LA JEUNESSE DE CATHERINE DE MÉDICIS

 

CHAPITRE XV. — NÉGOCIATIONS AVEC CLÉMENT VII.

 

 

C'était en 1531. Les négociations au sujet du mariage de Catherine étaient menées avec la plus grande activité. A la fin de l'hiver, on envoya à Rome Gabriel de Gramont, évêque de Tarbes, auquel Clément VII avait donné le chapeau rouge l'été précédent. Les propositions qu'il apportait étaient que le Pape devait accorder sa nièce au Duc d'Orléans ; l'Empereur promettrait, au cas que Sforza mourût sans enfants, de donner Milan comme fief, et de sceller ainsi la réconciliation avec la maison royale de France. Pendant de longues années, François Per se flatta de l'espoir d'obtenir le beau duché pour son second fils ou pour le troisième, de qui l'on concevait tant d'espérances, Charles, Comte d'Angoulême, et il chercha à s'entendre avec l'Empereur.

Le Pape feignit d'avoir conçu d'autres plans : il fit comme s'il désirait donner Catherine à Sforza, à condition que l'Empereur assurât à ce der. nier la possession de ses États. Ce serait, comme le donnait à entendre le Cardinal Garcia de Loaysa, confesseur de Charles-Quint et son envoyé à Rome, le plus sûr moyen d'anéantir tout projet des Français sur l'Italie. Le Pape protesta qu'il serait dévoué jusqu'à sa mort aux intérêts de l'Empereur ; que les Français n'étaient que des imposteurs qui n'avaient que leur propre intérêt en vue[1]. L'Empereur désirait un concile pour tenter de ramener l'union de l'Allemagne ; le Roi de France ne le souhaitait point, parce que, l'Allemagne une fois unie, il craignait un trop grand accroissement de la puissance de son adversaire ; le Pape le désirait encore moins, car il avait devant les yeux les conciles du quinzième siècle. L'Empereur et le Roi cherchèrent à influencer Sa Sainteté, le premier par Loaysa en faveur d'un concile, le second par Gramont contre tout projet d'assemblée ecclésiastique. Les deux partis cherchaient à gagner Clément par des propositions avantageuses de mariage. Il parait cependant que Charles-Quint, en juillet 1531, ne doutait déjà plus de la préférence du Pape pour la France. Le Cardinal de Gramont, écrit-il le 29 juillet de Bruxelles au Roi Ferdinand[2], qui est de retour de Rome, a répandu sur son chemin et principalement en France la nouvelle de la conclusion du mariage entre la parente du Pape et le Duc d'Orléans, quoique le Saint-Père l'ait nié absolument dans la Conversation qu'il a eue avec mes Ambassadeurs à Rome. Je crois à ce que l'Évêque de Tarbes m'a rapporté et de même à ce que le Roi de France a dit à la Reine notre sœur. Quoi qu'il en soit, peu m'importe, pourvu que cela ne trouble point les affaires de notre sainte Église et la paix de l'Italie. Les choses ne peuvent rester plus longtemps secrètes, et l'on verra bientôt à quoi il faut s'en tenir. L'Envoyé vénitien Soriano[3] dit également, en parlant de la recherche de l'Empereur en faveur de Sforza : Le Pape n'est point disposé à accéder au désir du Duc de Milan, soit à cause de la trop grande différence d'âge, soit parce que le Duc est maladif, pauvre et peu puissant, soit enfin (et c'est là la vraie raison) que Sa Sainteté ait d'autres projets.

Le Pape prétendait encore n'avoir rien décidé : c'était vrai. Clément VII ne hâtait rien, surtout lorsqu'il s'agissait d'une affaire de pareille importance. Il voulait voir d'abord quelle tournure prendraient ses rapports avec l'Empereur, et il attendait, de plus, les conditions définitives de la France, que le Duc d'Albany devait transmettre d'un jour à l'autre. Qui savait d'ailleurs si le Roi prenait la chose au sérieux ? La première proposition avait été de fiancer Catherine à Henri, puis de l'envoyer comme fiancée en France. Clément n'en voulut pas entendre parler, et l'Ambassadeur impérial le fortifia dans son refus. Catherine aurait été entre les mains du Roi François un moyen dont il se fût trop aisément servi pour l'accomplissement de ses projets sur Milan[4]. Mainte fiancée avait été renvoyée ; la tante de l'Empereur elle-même, Marguerite d'Autriche, n'avait-elle pas eu ce sort, au temps de Louis XII ? Pour avoir un contre-poids, Clément ne laissa point tomber les négociations avec l'Ambassadeur impérial en faveur de Sforza. Dans ses entretiens avec Loaysa, il feignait de ne tenir les promesses françaises que comme faites en l'air, comme choses légères et menues. Le Cardinal, qui n'était point à la hauteur d'un politique de cette trempe, le pressait de se décider en faveur de Milan. La France, disait-il, ne pense pas sérieusement à cette alliance, et elle ne cherche qu'à troubler la paix de l'Italie. Le Pape repartit qu'il attendait la réponse que le Duc d'Albany devait rapporter, mais que, d'après les conditions qu'il avait mandées à Paris, il était d'opinion que le Roi et son Conseil renonceraient à la chose, et qu'alors il s'occuperait aussitôt des offres impériales[5].

Jean Stuart, Duc d'Albany, reparut à Rome en novembre. Son entretien avec le Pape dura trois heures. Le Roi François était singulièrement excité à se ménager la faveur du Pontife en présence des projets de l'Empereur ; il se disait que Milan serait complètement perdu pour lui si, par l'alliance avec Sforza, les intérêts du Pape s'unissaient à ceux de Charles-Quint. Il proposa donc à Clément VII une entrevue à Nice, afin d'y négocier le mariage de sa nièce. Il ne ferait pas de difficulté quant à la renonciation à l'héritage, pourvu que le Pape accordât à Catherine une dot suffisante. Le Pape accepta la proposition du Roi, mais en même temps il chargea les Ambassadeurs impériaux d'écrire à leur Souverain qu'il donnerait Catherine à Sforza si l'Empereur s'engageait fermement à lui conserver ses États. Il priait l'Empereur d'écrire au Duc de ne pas conclure un autre mariage et de se reposer sur lui, mais qu'il ne pouvait accepter cette alliance que si la défense du Duché de Milan ne devait pas être à sa charge ; car, l'eût-il même voulu, il n'en avait pas la puissance. L'Empereur devrait lui promettre des secours et le protéger contre la France.

Au moment où il était déjà résolu à signer l'alliance avec la France, Clément VII, levant les mains au ciel, s'écriait encore avec feu : Dieu fasse que l'Empereur gouverne le monde entier ! Je jure par Dieu et devant Dieu que s'il était nécessaire, pour assurer sa souveraineté universelle, de renoncer à la dignité papale, j'y renoncerais[6].

L'entrevue du Pape et de François Ier n'eut pas plus lieu que celle projetée entre le Roi et l'Empereur ; elle fut, en apparence, empêchée par la maladie, et en septembre 1531, par la mort de la mère du Roi, Louise de Savoie[7]. Les négociations au sujet du mariage n'en furent pas moins continuées. Les lettres des ambassadeurs en sont toutes pleines. Quoique l'Empereur cherchât encore à anéantir les projets de son rival, on a peine à croire que la perspicacité de Charles-Quint pût se faire illusion sur les vraies intentions de Clément VII. L'Empereur tenait encore à ses projets pour François Sforza, et celui-ci ne renonçait pas à ses espérances ; il exprima à plusieurs reprises sa reconnaissance envers l'Empereur, le priant de se hâter, aussi bien à cause de son honneur et de sa sûreté, que pour montrer au monde que la bienveillance de Sa Majesté n'était point illusoire[8] Peut-être ce dernier ne promenait-il le pauvre Duc à travers tant de lenteurs et de promesses que pour être plus sûr de la possession de Milan, car, nous le répétons, il semble impossible que Charles-Quint ait pu se méprendre sur les vraies intentions du perfide Clément.

En décembre 1532, ainsi que trois années auparavant, le Pape et l'Empereur eurent une nouvelle entrevue à Bologne. La nécessité d'un concile général, pour arrêter les réformes religieuses qui gagnaient de plus en plus en Allemagne, la conclusion d'une alliance contre les Turcs, où Venise devait mais ne voulait pas entrer, la fixation des rapports politiques de l'Italie supérieure, l'affermissement de la puissance des Médicis à Florence, toutes ces affaires importantes, auxquelles Charles-Quint consacra une partie de ses soins pendant tout son règne, furent traitées à Bologne, en ce second congrès. Clément VII avait besoin de l'Empereur pour fortifier sa position à Florence, où peu de temps auparavant Alexandre venait d'être nommé chef d'un gouverne.. ment dont la forme était républicaine mais qui au fond était despotique. Cependant il sut se soustraire aux propositions de Charles, il sut les éviter dans les points et articles qui concernaient François Sforza, qui, du reste, venait d'arriver à Bologne, en même temps que le Duc d'Albany, pour veiller avec plus de soin à ses intérêts personnels.

Le Pape manœuvrait ainsi avec une adresse remarquable.

Avec Jean Stuart étaient venus les Ambassadeurs français, le Cardinal de Gramont et François de Tournon, Cardinal archevêque de Bourges. D'un commun accord ils firent au Pontife la demande de la jeune Médicis pour le mariage de France. Nous laissons à François Guicciardini, qui connaissait exactement les affaires de Clément VII, le soin de raconter ce qui s'ensuivit : Après que les négociations au sujet du mariage eurent été reprises, dit l'auteur des Istorie d'Italia, le Pape répondit à l'Empereur, sur le fait de la demande de sa nièce pour le Duc de Milan, que les propositions du Roi de France étaient bien antérieures aux siennes, et que lui, Pape, les avait écoutées avec l'approbation de l'Empereur, qui ne s'était pas montré défavorable. Ce serait donc faire une trop grave injure au Roi, que d'accorder Catherine à un de ses adversaires, au moment même d'ouvrir des négociations. Il ne croyait pas, d'ailleurs, que le Roi prît toute l'affaire au sérieux, à cause de l'inégalité de rang et d'état, et il estimait que la seule intention de Sa Majesté était de gagner du temps. Il ne pouvait donc, aussi longtemps que le Roi n'avait pas rompu les négociations, le blesser d'une manière aussi sensible. L'Empereur ne pouvant lui-même se persuader que le Roi de France voulût pour un de ses fils une épouse d'un rang si inférieur, fit en sorte de connaître jusqu'où pouvait aller la déloyauté du Roi, et il encouragea le Pape à engager les deux Cardinaux à se munir de pleins pouvoirs pour la conclusion du contrat de mariage. Les Cardinaux n'eurent rien de plus pressé, et en quelques jours les pleins pouvoirs les plus absolus leur furent accordés. Ce fut ainsi que, tout d'un coup, le Duc de Milan vit tout espoir anéanti, et que l'alliance avec la France devint plus étroite[9].

Lorsque, le 10 mars 1533, Clément VII quitta Bologne, il avait conclu deux mariages ; celui du Duc de Florence avec Marguerite, fille naturelle de Charles-Quint, et celui de sa cousine avec Henri de Valois. Le Pape et le Roi se donnèrent rendez-vous à Nice[10]. L'Empereur ne cacha pas son dépit, et soupçonnant toujours davantage que le Pape, malgré les anciens et les nouveaux traités, voulait se venger des avanies de 1527, du sac de Rome et de sa captivité, il prit la route d'Espagne avec l'intention secrète de s'opposer, malgré sa promesse, au mariage de Marguerite ; ce qu'il ne fit pourtant point. François Sforza, pendant ce temps, chercha à se consoler de ses infortunes par les apprêts d'un autre mariage conclu cette fois avec la nièce de l'Empereur Charles, Christine de Danemark[11].

 

 

 



[1] G. Heine, Lettres à l'Empereur Charles-Quint, 1530-1532, Berlin, 1848, pages 118, 136, 138 (Garcia de Loaysa, de l'ordre des Prédicateurs, Évêque d'Osma, etc.).

[2] C. Lanz, Correspondance de l'Empereur Charles-Quint, Leipzig, 1844, I, 507.

[3] Antonio Soriano, Relazione della corte di Roma 1531. Raccolta Albèri, t. VII, p. 283, 284, 285, et notre livre Diplomatie vénitienne, p. 460 à 469, chap. VII, 3e partie. (Note du traducteur.)

[4] Relazione citée plus haut. Antonio Soriano, ambassadeur.

[5] Heine, Lettres de Garcia de Loaysa, 190.

[6] Heine, Lettres de Garcia de Loaysa, évêque d'Osma, 30 novembre 1531, p. 192.

[7] Charles-Quint au Roi Ferdinand, 26-28 septembre 1531. Correspondance publiée par Lanz, I, 540.

[8] Ferdinand à l'Empereur, Inspruck, 25 décembre 1531, Corresp., Lanz, p. 647.

[9] Istorie d'Italia, Guicciardini, XX, 2.

[10] G. Benet au Roi Henri VIII, Bologne, 11 mars 1533. State papers, VII, n° 354.

[11] Hawkins au Roi Henri VIII, Barcelone, 11 juin 1533. State papers, n° 362.