LA JEUNESSE DE CATHERINE DE MÉDICIS

 

CHAPITRE XII. — CATHERINE DE MÉDICIS APPELÉE À ROME PAR CLÉMENT VIII.

 

 

Ainsi que nous l'avons déjà raconté, Catherine était demeurée dans le couvent de Sainte-Lucie jusqu'au moment de la levée du siège. Elle était âgée de onze ans à peine, et cependant certains projets avaient été déjà conçus pour s'assurer sa main. Ainsi, le capitaine de l'armée ennemie, dont la fureur s'était déchaînée contre l'infortunée Florence, songeait sérieusement à une union avec l'héritière des Médicis. Philibert de Châlons était le cinquième et dernier rejeton mâle de sa famille qui avait succédé à la maison provençale de Baux dans la possession de la principauté d'Orange, maison qui s'était éteinte avec Claude sa sœur, l'épouse du comte Henri de Nassau, cousin de Guillaume le Taciturne, à qui il était réservé de fonder la liberté de la Hollande. Mécontent de la réception qu'il avait reçue à la Cour de François Ier lors du baptême du Dauphin, il était entré an service de Charles-Quint. Le Roi, qui avait envahi Orange, avait fait prisonnier Philibert, qui ne sortit de la tour de Bourges qu'après le traité de Madrid, et qui ne recouvra que plus tard sa principauté, dont les rapports avec la France n'étaient pas bien définis. Ce qu'il possédait dans la Franche-Comté lui était resté, et il chercha à faire valoir en Italie sa devise : Je maintiendrai Châlons. Devenu commandant de l'armée impériale après la mort du Bourbon, puis vice-roi de Naples après celle de Moncada, il briguait une haute faveur et sollicitait de grosses récompenses. Catherine de Médicis devait lui apporter en dot la domination sur Florence et peut-être encore d'autres possessions. On prétend que lorsqu'en 1529, Orange, en allant au siège de Naples, apparut à Rome, que ses troupes avaient pillée deux ans auparavant, Clément VII lui promit la main de Catherine, quatre-vingt mille écus d'or comptants, une solde mensuelle payée d'avance, et un impôt de guerre de cent cinquante mille écus d'or après la prise. On comprend, en connaissant de tels traités, que les troupes espagnoles, apercevant, des hauteurs d'Apparita, sur la voie Arétine, la belle Florence, se soient écriées, dans des transports de joie et d'envie : Prépare tes brocarts, Dame Florence, nous venons les mesurer avec nos piques.

La promesse de Clément VII était-elle sérieuse ? Aurait-il consenti, lui qui voulait voir des Médicis à Florence, à céder ce riche héritage à un étranger ? C'est plus que douteux, car lors du mariage de Catherine, il la fit renoncer à toute prétention héréditaire. Les Florentins voyant que le Pape, pour tout préliminaire d'accommodement, exigeait la liberté de sa nièce, s'aperçurent bientôt qu'elle servirait facilement de moyen pour parvenir au but qu'ils se proposaient. Il est donc aisé de concevoir pourquoi ils veillaient aussi soigneusement sur leur prisonnière.

Le sort destinait Catherine à une plus haute fortune que celle d'appartenir à un seigneur français révolté et condottiere impérial. Le 3 août 1530, près de Gavinana, petit pays à demi caché sous les épais et magnifiques châtaigniers des montagnes de Pistoia, eut lieu une rencontre entre la troupe conduite par François Ferruccio au secours de Florence et les impériaux venus au-devant de l'ennemi, conduits par Philibert d'Orange. Les deux généraux furent tués. On prétendit, et le bruit s'en est maintenu, que le prince ne tomba point sous le coup d'une balle ennemie, mais que sa mort fit le fruit d'une trahison. Ainsi périt le premier prétendant politique à la main de Catherine de Médicis.

Le combat de Gavinana décida du sort de la ville. La capitulation fut conclue le 12 août. Florence, après dix mois de siège et réduite à toute extrémité par la famine, par des épidémies, par des pertes de toute espèce et par une misère indicible, ouvrit ses portes. Plus de huit mille citoyens et quatorze mille soldats avaient péri. Les plus riches aussi s'étaient appauvris, car, de gré ou de force, ils avaient dû consacrer à une défense opiniâtre les biens qui leur restaient, endommagés et écrasés déjà par l'excessive cherté de toutes choses, dans cette ville affamée.

Le temps du blocus avait été pour Florence un temps triste et dur ; les jours qui le suivirent furent plus tristes et plus durs encore. Le caractère du Pape prêtait à la haine et à la vengeance des partis. Le pape Clément, dit un des écrivains les plus consciencieux et les plus impartiaux de ce temps-là, était faible d'esprit et avait un cœur froid et aride : de là son adhésion aux proscriptions, aux emprisonnements, aux condamnations à mort, et à la misère profonde de tant de citoyens, de tant de familles, disons même, de la ville entière[1]. Les chefs pallesques s'enviaient et se haïssaient les uns les autres ; François Guicciardini était jaloux de Baccio Valori, et Baccio Valori, plus modéré, se trouva enfin heureux d'abandonner la ville déchirée par les partis. Le Pape le nomma gouverneur de la Romagne, et transmit la direction des affaires à un étranger, l'Archevêque de Capoue, Nicolas de Schomberg, qui, il est vrai, connaissait Florence depuis longtemps. Ce ne fut que le 3 juillet de l'année suivante, 1531, qu'Alexandre de Médicis fut nommé chef de la République. Ainsi fut ironiquement accomplie la promesse de conserver saine et sauve la liberté de la belle Florence !

Catherine, libre dès le jour où le blocus avait cessé, était revenue dans le cloître des Murate, où les nonnes l'avaient accueillie avec transport. Messer Ottaviano continua aussi de lui prodiguer ses soins par toutes sortes de marques d'affection et d'attachement. Si Messer Ottaviano était resté dans sa patrie, ce n'avait été qu'à grand'peine et non sans avoir couru de grands dangers ; au mois de septembre de l'année 1530, il accompagna à Rome la petite Duchesse ainsi que Messer Leonardo Tornabuoni, évêque du Saint-Sépulcre, envoyé par Clément VII à Florence pour y chercher sa parente et avec charge de remettre au couvent des Murate un présent de cent cinquante écus d'or[2]. Le Pape avait près de lui Hippolyte et Alexandre de Médicis, il voulait aussi Catherine. Aussi peut-on admettre sans preuve absolue que la jeune Duchesse habita dans Rome le palais Médicis, sur la place des Lombards, où demeurait aussi Madonna Lucrezia Salviati, fille de Laurent le Magnifique, qui, huit années après, fut contrainte de le laisser à Marguerite d'Autriche, veuve du Duc Alexandre et femme d'Ottavio Farnèse[3].

C'était une raison plus puissante qu'on ne l'a cru généralement qui avait engagé Clément à prendre le parti d'appeler Catherine à Rome. Il ne voulait pas qu'aucun membre de sa famille se trouvât à Florence au milieu d'hommes qui étaient vendus et achetés comme des bêtes et dans une ville en proie à des proscriptions sans fin[4]. Sa ruse trouvait son profit dans la haine de ses concitoyens : ils servaient ii ses fins en se détruisant les uns les autres. Les Médicis, spectateurs éloignés, firent la récolte de ces tristes semailles.

 

 

 



[1] Varchi, XIV, III, 30.

[2] Leonardo Tornabuoni était fils de ce Laurent qui, pendant l'année 1497, art pendu, à la suite d'intelligences secrètes avec Pierre de Médicis. Léon X et Clément VII le Favorisaient beaucoup. Il mourut en 1540. Sa famille s'éteignit en France, où s'était rendu un neveu (enfant naturel) au service de Catherine.

[3] Voyez aux Archives d'État, à Milan, les dépêches du protonotaire Zorzo Andreosi, ambassadeur de François II Sforza près la personne du Saint-Père. Elles sont pleines de faits intimes et de nouvelles politiques de la cour de Rome : nous croyons de notre devoir de les indiquer à l'attention des actifs et érudits rédacteurs de l'Archivio storico italiano.

[4] Varchi, XVI (III, 365), e XII (II, 560, 578). M. A. Trollope a cité l'intéressant passage suivant sur les motifs qui ont déterminé le Pontife à ne laisser, dans les circonstances présentes, aucun membre de la Famille des Médicis à Florence :

Deliberò il Papa in que' principi, che non fusse alcuno in Firenze de suoi, uè volle, che vi fosse anche altri, che il commissario, quale apparisse in modo alcuno rappresentante la casa de' Medici ; perchè nell' assicurarsi dello statu de quella apertamente estraordinariamente contrari, volle il Papa, che gli erori di tali cosi fatti cittadini fussero riconoscinti da' cittadini di quello stato ; e volle che l'esicuzioni, che per tali cagioni s'avessero a fare, benche tutte si facessero di suo ordine, e di sua voluntà, e commissione, apparissero fatte da' magistrati ordinariamente, e da que' principali cittadini, che allora governavano, e non dalla casa sua, o da alcuno de' suoi nipoti, per poter poi, come faceva nel suo parlare, volgerne tutto il carico a quei cittadini, per più obbligarli a dover temere dello stato popolare ; e perch' egli avessero cagione di temer più dallo stato mutato che non fecero nel 1527. E questa fu la cagione in que' tempi e nel principio di quel nuovo stato, che il Papa non fece ritornare alcuno di suoi in Firenze, e fece anche levarne subito la nipote sua Caterina.