LA JEUNESSE DE CATHERINE DE MÉDICIS

 

CHAPITRE V. — LE CARDINAL JULES DE MÉDICIS ADMINISTRE FLORENCE.

 

 

Les funérailles du Duc d'Urbin furent pompeuses au delà de toute mesure. Non-seulement tous les magistrats, mais encore presque tous les citoyens de la ville prirent le deuil. On déposa à Saint-Laurent, dans les tombeaux de ses ancêtres, le dernier rejeton légitime de Côme l'aîné.

L'histoire de la basilique de Saint-Laurent est intimement liée à celle des Médicis, qui ont supporté une grande partie des frais de réédification nécessités -par l'incendie de 1423, destructeur de l'ancienne église du cinquième siècle. Philippe Brunelleschi, le plus grand architecte des temps modernes, fit le plan de la construction actuelle, où reposent Jean de Médicis, le fils d'Averardo ; son fils Côme, le Père de la Patrie ; les fils de ce dernier, Pierre et Jean ; ses petits-fils Laurent II et Julien, et la plupart de leurs descendants. Le 7 mai eut lieu la cérémonie funèbre à laquelle assista le Cardinal Luigi de' Rossi, le même qu'on voit debout derrière la chaise du Pape dans k. portrait de Léon X par Raphaël. Messer Francesco Cattani de Diaceto prononça l'oraison funèbre en latin[1].

Les témoignages de regret ne furent en grande partie qu'extérieurs et apparents, car Laurent de Médicis ne s'était point fait aimer. Les anciens partisans de la maison tenaient à lui parce qu'ils voulaient un chef de cette famille. Mais même parmi les amis et les parents, il y en avait qui étaient ennemis de sa tendance visible à se faire maitre absolu dans sa patrie. Tous les autres lui étaient défavorables. Jacques Pitti, un historien qui, par sa grande connaissance de l'état intérieur de la République, a plus d'importance peut-être que tout autre, mais montre clairement la face des choses à l'époque où Laurent revint de son voyage en France : Rempli d'orgueil par l'amitié du Roi François, raconte-t-il, Laurent[2] n'eut plus les mêmes rapports qu'autrefois avec les citoyens François Vettori et Philippe Strozzi, son beau-frère, qui l'avaient accompagné en France, et lui avaient mis en tête de se faire Duc de Florence, en lui insinuant que cette dignité seule répondait à la grandeur de sa famille. Dans la ville, tout allait à l'arbitraire ou au hasard. L'administration croulait, et il n'y avait plus aucun sentiment d'unité chez les magistrats, prêts à obéir à chaque signe de Laurent et de sa mère Alphonsine. Tout le monde était armé, et une poignée de jeunes gens sans mœurs dictait les lois aux citoyens. Le Duc se rendit à Rome afin de chercher à gagner le Pape et de l'amener à ses plans. Mais Léon, instruit de tout, le reçut d'autant plus mal qu'il craignait que la conduite de son neveu ne renouvelât en sa personne le sort de son père Pierre. Il le renvoya donc à Florence après lui avoir fait maint reproche. Laurent revint aussitôt, mais en proie aux plus mauvaises dispositions ; dès lors il ne parla plus, il ne trouva plus de plaisir en rien et il vécut toujours isolé, ne voyant presque personne. Ce mécontentement intérieur, joint à ses débauches habituelles, aux fatigues de son voyage accéléré et à la maladie qui le minait dès longtemps, le livra à plusieurs accès de fièvre intermittente. Il prit le lit. Des douleurs d'estomac et d'entrailles survinrent ; il ne voulait Faire qu'à sa tête, et ne se laissait conseiller par personne. Goro seul lui parlait en lui indiquant la voie du bien. Il mourut ainsi misérablement après une maladie de six mois.

A la nouvelle de sa mort, le Cardinal de Médicis vint à Florence, désiré et appelé de tous ceux qui voyaient combien dans ce moment-là on avait besoin d'une main ferme qui soutint l'État chancelant entre la liberté et le despotisme. Il fallait en vérité que l'urgence de son- voyage fût bien grande pour qu'il fût permis au Cardinal vice-chancelier de l'Église, si mêlé aux affaires de l'État, de quitter Borne pour se rendre dans sa patrie. Aussitôt arrivé, il chevaucha vers le couvent de Saint-Marc, ne voulant retourner qu'après les funérailles de Laurent dans la maison de ses pères. Jules de Médicis, fils de Julien l'aîné, qui avait été victime de la conjuration Pazzi, ne déçut pas l'attente générale. Tant que sa famille eut la primauté à Florence, la République fut gouvernée avec une modération, une sagesse et une observation attentive des lois qu'elle n'avait point encore connues. Il rétablit autant que possible l'ancien ordre de choses, rendit toute liberté aux élections, et il aurait fait mieux encore si les passions funestes des nobles florentins n'eussent entravé considérablement son œuvre.

Les nobles florentins, rapporte Jacques Pitti, enclins par nature et exercés à la tyrannie, s'étaient habitués avec le temps à l'arbitraire. Ils avaient construit de magnifiques plais, ils avaient augmenté leur fortune, ils s'étaient faits à la vie molle de la Cour de Léon X : germes funestes pour les mœurs domestiques et dangereux pour la liberté de la République. Les bienfaits immenses du prodigue Léon, les bénéfices ecclésiastiques et les pensions sans nombre, les gouvernements des villes et des provinces des États de l'Église qui furent donnés à plusieurs d'entre eux, augmentèrent le mal en ne satisfaisant pas complètement à leur ambition. Cependant le peuple revint à l'espérance sous l'administration du Cardinal. La modération et la sagesse étaient d'autant plus nécessaires que François-Marie della Rovere venait de reconquérir son Duché d'Urbin, et que la République, à laquelle le Pape avait donné une partie de cet État, le comté de Montefeltro, se trouvait ainsi engagée dans le désordre général et dans la lutte. Ce fut un deuil général lorsque, sous le gouvernement d'Adrien VI, le Cardinal de Médicis quitta Florence à jamais et qu'il se rendit à Rome, où, le 19 novembre 1523, il prit la tiare sous le nom de Clément VII.

On avait gémi à raison. Le Pape ne réalisa point les espérances que le Cardinal avait réveillées, et tandis que la politique chancelante du Pontife conjurait sur les États de l'Église les malheurs les plus terribles, elle donnait aux adversaires des Médicis, à Florence, du courage et de la résolution pour oser une entreprise qui, loin de réussir, scella la ruine de la liberté que le Cardinal administrateur avait voulu d'abord sauver et protéger.

 

 

 



[1] Moreni, Pompe funebri celebrate nell' I. e R. basilica di San-Lorenzo, Florence, 1827, 40.

[2] Pitti, 118, 119. Nardi, Istorie della città di Firenze, VI. Édition L. Arbib, Florence, 1842, II, 44, 45.