LA JEUNESSE DE CATHERINE DE MÉDICIS

 

CHAPITRE IV. — DE L'ÉTAT DE FLORENCE APRÈS LA MORT DE LAURENT, DUC D'URBIN.

 

 

A peine Madeleine fut-elle morte qu'il se déclara un mal menaçant dans la santé du Duc, et dès la fin d'avril, à Rome, on était préparé à toute extrémité. Le 3 mai 1519, le Cardinal de Médicis reçut cet avis : C'est à peu près la dixième heure du jour, et le Duc se meurt et le confesseur recommande son âme à Dieu ! Voyez, seigneur révérendissime, quelles nouvelles, et que de courage elles attendent de vous ! Il y a encore de la vie, mais à peine un reste d'espoir. Dieu veuille le conserver ! Hâtez votre venue.

Laurent mourut le 4 mai au matin. Cinq semaines plus tard naquit celui qui, d'abord presque inaperçu, devait, dix-huit ans après, entrer en possession de l'héritage des successeurs de Côme l'aîné : c'était Côme, le futur premier Grand-Duc de Toscane.

La mort de Laurent donna à la politique chancelante de Léon X une direction décidée. Le Pape, nous l'avons déjà dit, avait eu de tout temps un cœur espagnol. S'il s'était rapproché de la France, c'est qu'au milieu des vicissitudes de ces temps et de l'incertitude de la succession à l'Empire, qui occupait tant le monde politique alors, il voulait en tout cas se ménager un appui. Mais dès que la nécessité des événements le lui permit, il montra sa vraie inclination. Laurent gisait encore que le Pape, le 17 janvier 1519, conclut avec le jeune Roi d'Espagne, Charles de Habsbourg, un traité secret qui resta inconnu jusqu'à nos jours[1]. Ce traité précéda celui de 1521, destiné également à rester ignoré jusqu'au moment où les faits l'ont révélé[2]. Les expressions en sont générales, comme c'était l'usage pour de pareils documents ; cependant on y reconnaît un but profond. Il y est fait mention de la raison pour laquelle la République de Florence est comprise dans l'alliance : Parce que, dit le traité, elle est si intimement liée à notre maitre très-chrétien, qu'on peut la considérer comme ne faisant qu'un avec les États et la souveraineté de Sa Sainteté. Il fut cependant admis qu'elle serait comprise dans la fédération. On convint aussi que tout demeurerait de même pour le Duc d'Urbin, quant à la protection assurée à sa personne, quant à sa haute position à Florence et quant à ses possessions présentes ou futures [3]. Peu de jours avant la conclusion de cette convention (11 janvier 1519), l'Empereur Maximilien mourut, et la fameuse lutte commença dès lors entre les deux grands prétendants, Charles-Quint et François Ier, dont la vie tout entière devait être une rivalité puissante destinée à remuer l'Europe entière.

Lorsque la fortune se fut prononcée pour Charles d'Autriche, le Duc d'Urbin était déjà mort. Qui sait si ce n'est point cette mort qui décida le Pape à changer de conduite envers les deux Souverains ? Au commencement il avait paru favorable à la France, puis il se prononça en faveur de l'Espagne. Laurent était sur son lit de mort, lorsque Charles écrivant à son chargé d'affaires à Rome, rappelait au Pape les anciens rapports d'amitié de ses prédécesseurs avec les Médicis, et lui donnait les assurances les phis tranquillisantes[4] sur ses rapports futurs avec le Saint-Siège. Dans la dernière moitié de juin, Léon X, qui avait jusqu'alors ostensiblement soutenu la candidature du Roi François par son légat le Cardinal de Gaëte, l'abandonna complètement. Le Cardinal Bibbiena, l'appui principal du parti français, fut rappelé de sa légation, et on tint pour certain qu'il perdit son influence sur Léon X longtemps avant sa mort, arrivée le 9 novembre 1520. Combien il se trompait lorsqu'il assurait à Louise de Savoie avoir trouvé le Pape fermement décidé à vivre et à mourir en intelligence, amitié et union constante avec le Roi de France[5] !

A la fin du printemps de 1521, fut conclu le traité d'offensive et de-défensive entre te Pape et l'Empereur. Le 13 juillet de la même année, François envoya une lettre circulaire à ses alliés, se plaignant de la déclaration du Saint-Père, de l'alliance avec l'Empereur, et de ce qu'il faisait avancer vers Bologne les troupes pontificales, celles des Florentins et les Espagnols qui se trouvaient à Naples, avec l'intention de l'attaquer dans ses États du Milanais et de Gênes. Avec l'aide de Dieu, de mes amis et de mes alliés, dit-il, le Roi espère se protéger et déjouer les malins projets du Pape, de telle sorte que la trahison de ce dernier ne lui portera ni avantage ni honneur. Cette rupture s'est d'ailleurs faite sans que le Roi y ait donné le moindre motif, ayant toujours été un fils bon et obéissant de l'Église, et désirant encore l'être et ne faire que ce qui, d'après ses idées, soit compatible avec l'honneur du Saint-Siège, du Pape et de toute sa maison. Il ne peut donc comprendre ce qui a pu causer l'inimitié de- Sa Sainteté, dont il ressent une si grande douleur, mais à laquelle il résistera de toute sa puissance[6].

François Guicciardini, d'après les communications intimes que lui fit Clément VII, le successeur de Léon, jette une vive lumière sur les intentions et les espérances de ce dernier. Après avoir chassé les Français de l'Italie supérieure avec l'aide des Impériaux, il pensait venir également à bout de ces derniers à Naples, revendiquant ainsi cette gloire de la liberté de l'Italie à laquelle avait aspiré si ouvertement son prédécesseur[7]. Il pouvait, jeune encore, espérer de pouvoir effectuer ce qu'avait tenté en vain le vieillard Jules II. Le malheur de l'Italie voulut qu'il en fût autrement. L'évacuation de Milan par les troupes françaises sous le commandement du maréchal de Lautrec fut le dernier triomphe de Léon X (le 19 novembre 1521), car le Pontife mourut douze jours après, âgé de quarante-cinq ans.

 

 

 



[1] Il a été publié par Gino Capponi dans l'appendice de l'Istoria fiorentina de Jacopo Pitti, vol. I de l'Archivio storico italiano, 1842, p. 376-383.

[2] Guicciardini, XIV, 1 : Occultissimamente.

[3] La preuve des intentions du Pape sur le fait de l'union intime de Florence avec sa famille existe dans une instruction de 1517 : Inclitam Florentinorum rempublicam ac Illum Dominum Laurentium de Medicis Urbini Ducem ac dominum de familia de Medicis unum atque idem corpus efficientes unum atque idem potentatum representantes.

[4] Lettre à D. Luis Carroz, citée par M. Mignet dans son remarquable travail : Une élection à l'Empire. (Revue des Deux-Mondes, 1854, 260.)

[5] Lettre à Louise de Savoie dans les Documenti di storia italiana, avec des notes par Capponi, Florence, Molini, 1836, I, 74. Cinq lettres, Rome, 18 février, 19 mai 1520. Le Bibbiena mourut à Rome, après une longue maladie, le 9 novembre 1520. Voyez aussi le t. II des Lettere dei Principi, Venise, 1370.

[6] Documenti, Molini, I, 97.

[7] Guicciardini, XIV, 1.