LA VIE DE JÉSUS-CHRIST

 

INTRODUCTION.

Où l’on traite principalement des sources de cette histoire.

 

Une histoire des Origines du Christianisme devrait embrasser toute la période obscure, et, si j’ose le dire, souterraine, qui s’étend depuis les premiers commencements de cette religion jusqu’au moment où son existence devient un fait public, notoire, évident aux yeux de tous. Une telle histoire se composerait de quatre livres. Le premier, que je présente aujourd’hui au public, traite du fait même qui a servi de point de départ au culte nouveau : il est rempli tout entier par la personne sublime du fondateur. Le second traiterait des apôtres et de leurs disciples immédiats, ou, pour mieux dire, des révolutions que subit la pensée religieuse dans les deux premières générations chrétiennes. Je l’arrêterais vers l’an 100, au moment où les derniers amis de Jésus sont morts, et où tous les livres du Nouveau Testament sont à peu près fixés dans la forme où nous les lisons. Le troisième exposerait l’état du christianisme sous les Antonins. On l’y verrait se développer lentement et soutenir une guerre presque permanente contre l’empire, lequel, arrivé à ce moment au plus haut degré de la perfection administrative et gouverné par des philosophes, combat dans la secte naissante une société secrète et théocratique, qui le nie obstinément et le mine sans cesse. Ce livre contiendrait toute l’étendue du IIe siècle. Le quatrième livre, enfin, montrerait les progrès décisifs que fait le christianisme à partir des empereurs syriens. On y verrait la savante construction des Antonins crouler, la décadence de la civilisation antique devenir irrévocable, le christianisme profiter de sa ruine, la Syrie conquérir tout l’occident ; et Jésus, en compagnie des dieux et des sages divinisés de l’Asie, prendre possession d’une société à laquelle la philosophie et l’État purement civil ne suffisent plus. C’est alors que les idées religieuses des races groupées autour de la Méditerranée se modifient profondément : que les cultes orientaux prennent partout le dessus ; que le christianisme, devenu une église très nombreuse, oublie totalement ses rêves millénaires, brise ses dernières attaches avec le judaïsme et passe tout entier dans le monde grec et latin. Les luttes et le travail littéraire du IIIe siècle, lesquels se passent déjà au grand jour, ne seraient exposés qu’en traits généraux. Je raconterais encore plus sommairement les persécutions du commencement du IVe siècle, dernier effort de l’empire pour revenir à ses vieux principes, lesquels déniaient à l’association religieuse toute place dans l’État. Enfin, je me bornerais à pressentir le changement de politique qui, sous Constantin, intervertit les rôles, et fait du mouvement religieux le plus libre et le plus spontané un culte officiel, assujetti à l’État et persécuteur à son tour.

Je ne sais si j’aurai assez de vie et de force pour remplir un plan aussi vaste. Je serai satisfait si, après avoir écrit la vie de Jésus, il m’est donné de raconter comme je l’entends l’histoire des apôtres, l’état de la conscience chrétienne durant les semaines qui suivirent la mort de Jésus, la formation du cycle légendaire de la résurrection, les premiers actes de l’église de Jérusalem, la vie de saint Paul, la crise du temps de Néron, l’apparition de l’Apocalypse, la ruine de Jérusalem, la fondation des chrétientés hébraïques de la Batanée, la rédaction des évangiles, l’origine des grandes écoles de l’Asie-Mineure, issues de Jean. Tout pâlit à côté de ce merveilleux premier siècle. Par une singularité rare en l’histoire, nous voyons bien mieux ce qui s’est passé dans le monde chrétien de l’an 50 à l’an 75, que de l’an 100 à l’an 150.

Le plan suivi pour cette histoire a empêché d’introduire dans le texte de longues dissertations critiques sur les points controversés. Un système continu de notes met le lecteur à même de vérifier d’après les sources toutes les propositions du texte. Dans ces notes, on s’est borné strictement aux citations de première main, je veux dire à l’indication des passages originaux sur lesquels chaque assertion ou chaque conjecture s’appuie. Je sais que pour les personnes peu initiées à ces sortes d’études, bien d’autres développements eussent été nécessaires. Mais je n’ai pas l’habitude de refaire ce qui est fait et bien fait. Pour ne citer que des livres écrits en français, les personnes qui voudront bien se procurer les ouvrages suivants :

Études critiques sur l’Évangile de saint Matthieu, par M. Albert Réville, pasteur de l’église wallonne de Rotterdam[1].

Histoire de la théologie chrétienne au siècle apostolique, par M. Reuss, professeur à la Faculté de théologie et au séminaire protestant de Strasbourg[2].

Des doctrines religieuses des Juifs pendant les deux siècles antérieurs à l’ère chrétienne, par M. Michel Nicolas, professeur à la Faculté de théologie protestante de Montauban[3].

Vie de Jésus, par le Dr Strauss, traduite par M. Littré, membre de l’Institut[4].

Revue de théologie et de philosophie chrétienne, publiée sous la direction de M. Colani, de 1850 à 1857. — Nouvelle Revue de théologie, faisant suite à la précédente, depuis 1858[5].

Les personnes, dis-je, qui voudront bien consulter ces excellents écrits[6] y trouveront expliqués une foule de points sur lesquels j’ai dû être très succinct. La critique de détail des textes évangéliques, en particulier, a été faite par M. Strauss d’une manière qui laisse peu à désirer. Bien que M. Strauss se soit trompé dans sa théorie sur la rédaction des évangiles[7], et que son livre ait, selon moi, le tort de se tenir beaucoup trop sur le terrain théologique et trop peu sur le terrain historique[8], il est indispensable, pour se rendre compte des motifs qui m’ont guidé dans une foule de minuties, de suivre la discussion toujours judicieuse, quoique parfois un peu subtile, du livre Si bien traduit par mon savant confrère, M. Littré.

Je crois n’avoir négligé, en fait de témoignages anciens, aucune source d’informations. Cinq grandes collections d’écrits, sans parler d’une foule d’autres données éparses, nous restent sur Jésus et sur le temps où il vécut, ce sont : 1° les évangiles et en général les écrits du Nouveau Testament ; 2° les compositions dites Apocryphes de l’Ancien Testament ; 3° les ouvrages de Philon ; 4° ceux de Josèphe ; 5° le Talmud. Les écrits de Philon ont l’inappréciable avantage de nous montrer les pensées qui fermentaient au temps de Jésus dans les âmes occupées des grandes questions religieuses. Philon vivait, il est vrai, dans une tout autre province du judaïsme que Jésus ; mais, comme lui, il était très dégagé des petitesses qui régnaient à Jérusalem ; Philon est vraiment le frère aîné de Jésus. Il avait soixante-deux ans quand le prophète de Nazareth était au plus haut degré de son activité, et il lui survécut au moins dix années. Quel dommage que les hasards de la vie ne l’aient pas conduit en Galilée ! Que ne nous eût-il pas appris !

Josèphe, écrivant surtout pour les païens, n’a pas dans son style la même sincérité. Ses courtes notices sur Jésus, sur Jean-Baptiste, sur Juda le Gaulonite, sont sèches et sans couleur. On sent qu’il cherche à présenter ces mouvements si profondément juifs de caractère et d’esprit sous une forme qui soit intelligible aux Grecs et aux Romains. Je crois le passage sur Jésus[9] est authentique. Il est parfaitement dans le goût de Josèphe, et si cet historien a fait mention de Jésus, c’est bien comme cela qu’il a dû en parler. On sent seulement qu’une main chrétienne a retouché le morceau, y a ajouté quelques mots sans lesquels il eût été presque blasphématoire[10], a peut-être retranché ou modifié quelques expressions. Il faut se rappeler que la fortune littéraire de Josèphe se fit par les chrétiens, lesquels adoptèrent ses écrits comme des documents essentiels de leur histoire sacrée. Il s’en fit, probablement au IIe siècle, une édition corrigée selon les idées chrétiennes[11]. En tout cas, ce qui constitue l’immense intérêt de Josèphe pour le sujet qui nous occupe, ce sont les vives lumières qu’il jette sur le temps. Grâce à lui, Hérode, Hérodiade, Antipas, Philippe, Anne, Caïphe, Pilate sont des personnages que nous touchons du doigt et que nous voyons vivre devant nous avec une frappante réalité.

Les Apocryphes de l’Ancien Testament, surtout la partie juive des vers sibyllins et le Livre d’Hénoch, joints au Livre de Daniel, qui est, lui aussi, un véritable apocryphe, ont une importance capitale pour l’histoire du développement des théories messianiques et pour l’intelligence des conceptions de Jésus sur le royaume de Dieu. Le Livre d’Hénoch, en particulier, lequel était fort lu dans l’entourage de Jésus[12], nous donne la clef de l’expression de Fils de l’homme et des idées qui s’y rattachaient. L’âge de ces différents livres, grâce aux travaux de MM. Alexandre, Ewald, Dillmann, Reuss, est maintenant hors de doute. Tout le monde est d’accord pour placer la rédaction des plus importants d’entre eux au IIe et au Ier siècle avant Jésus-Christ. La date du Livre de Daniel est plus certaine encore. Le caractère des deux langues dans lesquelles il est écrit ; l’usage de mots grecs ; l’annonce claire, déterminée, datée, d’événements qui vont jusqu’au temps d’Antiochus Épiphane ; les fausses images qui y sont tracées de la vieille Babylonie ; la couleur générale du livre, qui ne rappelle en rien les écrits de la captivité, qui répond au contraire par une foule d’analogies aux croyances, aux mœurs, au tour d’imagination de l’époque des Séleucides ; le tour apocalyptique des visions ; la place du livre dans le canon hébreu hors de la série des prophètes ; l’omission de Daniel dans les panégyriques du chapitre XLIX de l’Ecclésiastique, ou son rang était comme indiqué ; bref d’autres preuves qui ont été cent fois déduites, ne permettent pas de douter que le Livre de Daniel ne soit le fruit de la grande exaltation produite chez les Juifs par la persécution d’Antiochus. Ce n’est pas dans la vieille littérature prophétique qu’il faut classer ce livre, mais bien en tête de la littérature apocalyptique, comme premier modèle d’un genre de composition où devaient prendre place après lui les divers poèmes sibyllins, le Livre d’Hénoch, l’Apocalypse de Jean, l’Ascension d’Isaïe, le quatrième livre d’Esdras.

Dans l’histoire des origines chrétiennes, on a jusqu’ici beaucoup trop négligé le Talmud. Je pense, avec M. Geiger, que la vraie notion des circonstances où se produisit Jésus doit être cherchée dans cette compilation bizarre, où tant de précieux renseignements sont mêlés à la plus insignifiante scolastique. La théologie chrétienne et la théologie juive ayant suivi au fond deux marches parallèles, l’histoire de l’une ne peut bien être comprise sans l’histoire de l’autre. D’innombrables détails matériels des évangiles trouvent, d’ailleurs, leur commentaire dans le Talmud. Les vastes recueils latins de Lightfoot, de Schœttgen, de Buxtorf, d’Otho, contenaient déjà à cet égard une foule de renseignements. Je me suis imposé de vérifier dans l’original toutes les citations que j’ai admises, sans en excepter une seule. La collaboration que m’a prêtée pour cette partie de mon travail un savant israélite, M. Neubauer, très versé dans la littérature talmudique, m’a permis d’aller plus loin et d’éclaircir les parties les plus délicates de mon sujet par quelques nouveaux rapprochements. La distinction des époques est ici fort importante, la rédaction du Talmud s’étendant de l’an 200 à l’an 500 à peu près. Nous y avons porté autant de discernement qu’il est possible dans l’état actuel de ces études. Des dates si récentes exciteront quelques craintes chez les personnes habituées à n’accorder de valeur à un document que pour l’époque même où il a été écrit. Mais de tels scrupules seraient ici déplacés. L’enseignement des Juifs depuis l’époque asmonéenne jusqu’au IIe siècle fut principalement oral. Il ne faut pas juger de ces sortes d’états intellectuels d’après les habitudes d’un temps où l’on écrit beaucoup. Les Védas, les anciennes poésies arabes ont été conservés de mémoire pendant des siècles, et pourtant ces compositions présentent une forme très arrêtée, très délicate. Dans le Talmud, au contraire, la forme n’a aucun prix. Ajoutons qu’avant la Mishna de Juda le Saint, qui a fait oublier toutes les autres, il y eut des essais de rédaction, dont les commencements remontent peut-être plus haut qu’on ne le suppose communément. Le style du Talmud est celui de notes de cours; les rédacteurs ne firent probablement que classer sous certains titres l’énorme fatras d’écritures qui s’était accumulé dans les différentes écoles durant des générations.

Il nous reste à parler des documents qui, se présentant comme des biographies du fondateur du christianisme, doivent naturellement tenir la première place dans une vie de Jésus. Un traité complet sur la rédaction des évangiles serait un ouvrage à lui seul. Grâce aux beaux travaux dont cette question a été l’objet depuis trente ans, un problème qu’on eût jugé autrefois inabordable est arrivé à une solution qui assurément laisse place encore a bien des incertitudes, mais qui suffit pleinement aux besoins de l’histoire. Nous aurons occasion d’y revenir dans notre deuxième livre, la composition des évangiles ayant été un des faits les plus importants pour l’avenir du christianisme qui se soient passés dans la seconde moitié du premier siècle. Nous ne toucherons ici qu’une seule face du sujet, celle qui est indispensable à la solidité de notre récit. Laissant de côté tout ce qui appartient au tableau des temps apostoliques, nous rechercherons seulement dans quelle mesure les données fournies par les évangiles peuvent être employées dans une histoire dressée selon des principes rationnels[13] ?

Que les évangiles soient en partie légendaires, c’est ce qui est évident, puisqu’ils sont pleins de miracles et de surnaturel ; mais il y a légende et légende. Personne ne doute des principaux traits de la vie de François d’Assise, quoique le surnaturel s’y rencontre à chaque pas. Personne, au contraire, n’accorde de créance à la Vie d’Apollonius de Tyane, parce qu’elle a été écrite longtemps après le héros et dans les conditions d’un pur roman. A quelle époque, par quelles mains, dans quelles conditions les évangiles ont-ils été rédigés ? Voilà donc la question capitale d’où dépend l’opinion qu’il faut se former de leur crédibilité.

On sait que chacun des quatre évangiles porte en tête le nom d’un personnage connu soit dans l’histoire apostolique, soit dans l’histoire évangélique elle-même. Ces quatre personnages ne nous sont pas donnés rigoureusement comme des auteurs. Les formules selon Matthieu, selon Marc, selon Luc,  selon Jean, n’impliquent pas que, dans la plus vieille opinion, ces récits eussent été écrits d’un bout à l’autre par Matthieu, par Marc, par Luc, par Jean[14] ; elles signifient seulement que c’étaient là les traditions provenant de chacun de ces apôtres et se couvrant de leur autorité. Il est clair que si ces titres sont exacts, les évangiles, sans cesser d’être en partie légendaires, prennent une haute valeur, puisqu’ils nous font remonter au demi-siècle qui suivit la mort de Jésus, et même, dans deux cas, aux témoins oculaires de ses actions.

Pour Luc d’abord, le doute n’est guère possible. L’évangile de Luc est une composition régulière, fondée sur des documents antérieurs[15]. C’est l’œuvre d’un homme qui choisit, élague, combine. L’auteur de cet évangile est certainement le même que celui des Actes des Apôtres[16]. Or, l’auteur des Actes est un compagnon de saint Paul[17], titre qui convient parfaitement à Luc[18]. Je sais que plus d’une objection peut être opposée à ce raisonnement ; mais une chose au moins est hors de doute, c’est que l’auteur du troisième évangile et des Actes est un homme de la seconde génération apostolique, et cela suffit à notre objet. La date de cet évangile peut d’ailleurs être déterminée avec beaucoup de précision par des considérations tirées du livre lui-même. Le chapitre XXI de Luc, inséparable du reste de l’ouvrage, a été écrit certainement après le siége de Jérusalem, mais peu de temps après[19]. Nous sommes donc ici sur un terrain solide; car il s’agit d’un ouvrage écrit tout entier de la même main et de la plus parfaite unité.

Les évangiles de Matthieu et de Marc n’ont pas, à beaucoup près, le même cachet individuel. Ce sont des compositions impersonnelles, où l’auteur disparaît totalement. Un nom propre écrit en tête de ces sortes d’ouvrages ne dit pas grand’chose. Mais si l’évangile de Luc est daté, ceux de Matthieu et de Marc le sont aussi ; car il est certain que le troisième évangile est postérieur aux deux premiers, et offre le caractère d’une rédaction bien plus avancée. Nous avons d’ailleurs, à cet égard, un témoignage capital de la première moitié du IIe siècle. Il est de Papias, évêque d’Hiérapolis, homme grave, homme de tradition, qui fut attentif toute sa vie à recueillir ce qu’on pouvait savoir de la personne de Jésus[20]. Après avoir déclaré qu’en pareille matière il préfère la tradition orale aux livres, Papias mentionne deux écrits sur les actes et les paroles du Christ : 1° un écrit de Marc, interprète de l’apôtre Pierre, écrit court, incomplet, non rangé par ordre chronologique, comprenant des récits et des discours composé d’après les renseignements et les souvenirs de l’apôtre Pierre ; 2° un recueil de sentences écrit en hébreu[21] par Matthieu, et que chacun a traduit comme il a pu. Il est certain que ces deux descriptions répondent assez bien à la physionomie générale des deux livres appelés maintenant Évangile selon Matthieu, et Évangile selon Marc, le premier caractérisé par ses longs discours, le second surtout anecdotique, beaucoup plus exact que le premier sur les petits faits, bref jusqu’à la sécheresse, pauvre en discours, assez mal composé. Que ces deux ouvrages tels que nous les lisons soient absolument semblables à ceux que lisait Papias, cela n’est pas soutenable ; d’abord, parce que l’écrit de Matthieu pour Papias se composait uniquement de discours en hébreu, dont il circulait des traductions assez diverses, et en second lieu, parce que l’écrit de Marc et celui de Matthieu étaient pour lui profondément distincts, rédigés sans aucune entente, et, ce semble, dans des langues différentes. Or, dans l’état actuel des textes, l’Évangile selon Matthieu et l’Évangile selon Marc offrent des parties parallèles si longues et si parfaitement identiques qu’il faut supposer, ou que le rédacteur définitif du premier avait le second sous les yeux, ou que le rédacteur définitif du second avait le premier sous les yeux, ou que tous deux ont copié le même prototype. Ce qui paraît le plus vraisemblable, c’est que, ni pour Matthieu, ni pour Marc, nous n’avons les rédactions tout à fait originales ; que nos deux premiers évangiles sont déjà des arrangements, où l’on a cherché à remplir les lacunes d’un texte par un autre. Chacun voulait, en effet, posséder un exemplaire complet. Celui qui n’avait dans son exemplaire que des discours voulait avoir des récits, et réciproquement. C’est ainsi que l’Évangile selon Matthieu se trouva avoir englobé presque toutes les anecdotes de Marc, et que l’Évangile selon Marc contient aujourd’hui une foule de traits qui viennent des Logia de Matthieu. Chacun, d’ailleurs, puisait largement dans la tradition évangélique se continuant autour de lui. Cette tradition est si loin d’avoir été épuisée par les évangiles que les Actes des apôtres et les Pères les plus anciens citent plusieurs paroles de Jésus qui paraissent authentiques et qui ne se trouvent pas dans les évangiles que nous possédons.

Il importe peu à notre objet actuel de pousser plus loin cette délicate analyse, d’essayer de reconstruire en quelque sorte, d’une part, les Logia originaux de Matthieu ; de l’autre, le récit primitif tel qu’il sortit de la plume de Marc. Les Logia nous sont sans doute représentés par les grands discours de Jésus qui remplissent une partie considérable du premier évangile. Ces discours forment, en effet, quand on les détache du reste, un tout assez complet. Quant aux récits du premier et du deuxième évangile, ils semblent avoir pour base un document commun dont le texte se retrouve tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, et dont le deuxième évangile, tel que nous le lisons aujourd’hui, n’est qu’une reproduction peu modifiée. En d’autres termes, le système de la vie de Jésus chez les synoptiques repose sur deux documents originaux : 1° les discours de Jésus recueillis par l’apôtre Matthieu ; 2° le recueil d’anecdotes et de renseignements personnels que Marc écrivit d’après les souvenirs de Pierre. On peut dire que nous avons encore ces deux documents, mêlés à des renseignements d’autre provenance, dans les deux premiers évangiles, qui portent non sans raison le nom d’Évangile selon Matthieu et d’Évangile selon Marc.

Ce qui est indubitable, en tous cas, c’est que de très bonne heure on mit par écrit les discours de Jésus en langue araméenne, que de bonne heure aussi on écrivit ses actions remarquables. Ce n’étaient pas là des textes arrêtés et fixés dogmatiquement. Outre les évangiles qui nous sont parvenus, il y en eut une foule d’autres prétendant représenter la tradition des témoins oculaires[22]. On attachait peu d’importance à ces écrits, et les conservateurs, tels que Papias, y préféraient hautement la tradition orale[23]. Comme on croyait encore le monde près de finir, on se souciait peu de composer des livres pour l’avenir ; il s’agissait seulement de garder en son cœur l’image vive de celui qu’on espérait bientôt revoir dans les nues. De là le peu d’autorité dont jouissent durant cent cinquante ans les textes évangéliques. On ne se faisait nul scrupule d’y insérer des additions, de les combiner diversement, de les compléter les uns par les autres. Le pauvre homme qui n’a qu’un livre veut qu’il contienne tout ce qui lui va au cœur. On se prêtait ces petits livrets ; chacun transcrivait à la marge de son exemplaire les mots, les paraboles qu’il trouvait ailleurs et qui le touchaient[24]. La plus belle chose du monde est ainsi sortie d’une élaboration obscure et complètement populaire. Aucune rédaction n’avait de valeur absolue. Justin, qui fait souvent appel à ce qu’il nomme les mémoires des apôtres[25], avait sous les yeux un état des documents évangéliques assez diffèrent de celui que nous avons ; on tous cas, il ne se donne aucun souci de les alléguer textuellement. Les citations évangéliques, dans les écrits pseudo-clémentins d’origine ébionite, présentent le même caractère. L’esprit était tout ; la lettre n’était rien. C’est quand la tradition s’affaiblit dans la seconde moitié du IIe siècle que les textes portant des noms d’apôtres prennent une autorité décisive et obtiennent force de loi.

Qui ne voit le prix de documents ainsi composés des souvenirs attendris, des récits naïfs des deux premières générations chrétiennes, pleines encore de la forte impression que l’illustre fondateur avait produite ; et qui semble lui avoir longtemps survécu ? Ajoutons que les évangiles dont il s’agit semblent provenir de celle des branches de la famille chrétienne qui touchait le plus près à Jésus. Le dernier travail de rédaction, au moins du texte qui porte le nom de Matthieu, paraît avoir été fait dans l’un des pays situés au nord-est de la Palestine, tels que la Gaulonitide, le Hauran, la Batanée, où beaucoup de chrétiens se réfugièrent à l’époque de la guerre des Romains, où l’on trouvait encore au IIe siècle des parents de Jésus[26], et ou la première direction galiléenne se conserva plus longtemps qu’ailleurs.

Jusqu’à présent nous n’avons parlé que des trois évangiles dits synoptiques. Il nous reste à parler du quatrième, de celui qui porte le nom de Jean. Ici les doutes sont beaucoup plus fondés, et la question moins près d’une solution. Papias, qui se rattachait à l’école de Jean, et qui, s’il n’avait pas été son auditeur, comme le veut Irénée, avait beaucoup fréquenté ses disciples immédiats, entre autres Aristion et celui qu’on appelait Presbyteros Joannes, Papias, qui avait recueilli avec passion les récits oraux de cet Aristion et de  Presbyteros Joannes, ne dit pas un mot d’une Vie de Jésus écrite par Jean. Si une telle mention se fût trouvée dans son ouvrage, Eusèbe, qui relève chez lui tout ce qui sert à l’histoire littéraire du siècle apostolique, en eût sans aucun doute fait la remarque. Les difficultés intrinsèques tirées de la lecture du quatrième évangile lui-même ne sont pas moins fortes. Comment, à côté de renseignements précis et qui sentent si bien le témoin oculaire, trouve-t-on ces discours totalement différents de ceux de Matthieu ? Comment, à côté d’un plan général de la vie de Jésus, qui paraît bien plus satisfaisant et plus exact que celui des synoptiques, ces passages singuliers où l’on sent un intérêt dogmatique propre au rédacteur, des idées fort étrangères à Jésus, et parfois des indices qui mettent en garde contre la bonne foi du narrateur ? Comment enfin, à côté des vues les plus pures, les plus justes, les plus vraiment évangéliques, ces taches où l’on aime à voir des interpolations d’un ardent sectaire ? Est-ce bien Jean, fils de Zébédée, le frère de Jacques (dont il n’est pas question une seule fois dans le quatrième évangile), qui a pu écrire en grec ces leçons de métaphysique abstraite, dont ni les synoptiques ni le Talmud ne présentent l’analogue ? Tout cela est grave, et, pour moi, je n’ose être assuré que le quatrième évangile ait été écrit tout entier de la plume d’un ancien pêcheur galiléen. Mais qu’en somme cet évangile soit sorti, vers la fin du premier siècle, de la grande école d’Asie mineure, qui se rattachait à Jean, qu’il nous représente une version de la vie du maître, digne d’être prise en haute considération et souvent d’être préférée, c’est ce qui est démontré, et par des témoignages extérieurs et par l’examen du document lui-même, d’une façon qui ne laisse rien à désirer.

Et d’abord, personne ne doute que, vers l’an 150, le quatrième évangile n’existât et ne fût attribué à Jean. Des textes formels de saint Justin[27], d’Athénagore[28], de Tatien[29], de Théophile d’Antioche[30], d’Irénée[31], montrent dès lors cet Évangile mêlé à toutes les controverses et servant de pierre angulaire au développement du dogme. Irénée est formel ; or, Irénée sortait de l’école de Jean, et, entre lui et l’apôtre, il n’y avait que Polycarpe. Le rôle de notre évangile dans le gnosticisme, et en particulier dans le système de Valentin[32], dans le montanisme[33] et dans la querelle des quartodécimans[34], n’est pas moins décisif. L’école de Jean est celle dont on aperçoit le mieux la suite durant le IIe siècle ; or, cette école ne s’explique pas si l’on ne place le quatrième évangile à son berceau même. Ajoutons que la première épître attribuée à saint Jean est certainement du même auteur que le quatrième évangile[35] ; or, l’épître est reconnue comme de Jean par Polycarpe[36], Papias[37], Irénée[38].

Mais c’est surtout la lecture de l’ouvrage qui est de nature à faire impression. L’auteur y parle toujours comme témoin oculaire ; il veut se faire passer pour l’apôtre Jean. Si donc cet ouvrage n’est pas réellement de l’apôtre, il faut admettre une supercherie que l’auteur s’avouait à lui-même. Or, quoique les idées du temps en fait de bonne foi littéraire différassent essentiellement des nôtres, on n’a pas d’exemple dans le monde apostolique d’un faux de ce genre. Non seulement, du reste, l’auteur veut se faire passer pour l’apôtre Jean, mais on voit clairement qu’il écrit dans l’intérêt de cet apôtre. A chaque page se trahit l’intention de fortifier son autorité, de montrer qu’il a été le préféré de Jésus[39], que dans toutes les circonstances solennelles la Cène, au Calvaire, au tombeau) il a tenu la première place. Les relations, en somme fraternelles, quoique n’excluant pas une certaine rivalité, de l’auteur avec Pierre[40], sa haine au contraire contre Judas[41], haine antérieure peut-être à la trahison, semblent percer çà et là. On est tenté de croire que Jean, dans sa vieillesse, ayant lu les récits évangéliques qui circulaient, d’une part, y remarqua diverses inexactitudes[42], de l’autre, fut froissé de voir qu’on ne lui accordait pas dans l’histoire du Christ une assez grande place ; qu’alors il commença à dicter une foule de choses qu’il savait mieux que les autres, avec l’intention de montrer que, dans beaucoup de cas où on ne parlait que de Pierre, il avait figuré avec et, avant lui[43], Déjà, du vivant de Jésus, ces légers sentiments de jalousie s’étaient trahis entre les fils de Zébédée et les autres disciples[44]. Depuis la mort de Jacques, son frère, Jean restait seul héritier des souvenirs intimes dont ces deux apôtres, de l’aveu de tous, étaient dépositaires. De là sa perpétuelle attention à rappeler qu’il est le dernier survivant des témoins oculaires[45], et le plaisir qu’il prend à raconter des circonstances que lui seul pouvait connaître. De là, tant de petits traits de précision qui semblent comme des scolies d’un annotateur : il était six heures ; il  était nuit ; cet homme s’appelait Malchus ;  ils avaient allumé un réchaud, car il faisait froid ; cette tunique était sans couture. De là, enfin, le désordre de la rédaction, l’irrégularité de la marche, le décousu des premiers chapitres ; autant de traits inexplicables dans la supposition où notre évangile ne serait qu’une thèse de théologie sans valeur historique, et qui, au contraire, se comprennent parfaitement, si l’on y voit, conformément à la tradition, des souvenirs de vieillard, tantôt d’une prodigieuse fraîcheur, tantôt ayant subi d’étranges altérations.

Une distinction capitale, en effet, doit être faite dans l’évangile de Jean. D’une part, cet évangile nous présente un canevas de la vie de Jésus qui diffère considérablement de celui des synoptiques. De l’autre, il met dans la bouche de Jésus des discours dont le ton, le style, les allures, les doctrines n’ont rien de commun avec les Logia rapportés par les synoptiques. Sous ce second rapport, la différence est telle qu’il faut faire son choix d’une manière tranchée. Si Jésus parlait comme le veut Matthieu, il n’a pu parler comme le veut Jean. Entre les deux autorités, aucun critique n’a hésité, ni n’hésitera. A mille lieues du ton simple, désintéressé, impersonnel des synoptiques, l’évangile de Jean montre sans cesse les préoccupations de l’apologiste, les arrière-pensées du sectaire, l’intention de prouver une thèse et de convaincre des adversaires[46]. Ce n’est pas par des tirades prétentieuses, lourdes, mal écrites, disant peu de chose au sens moral, que Jésus a fonde son œuvre divine. Quand même Papias ne nous apprendrait pas que Matthieu écrivit les sentences de Jésus dans leur langue originale, le naturel, l’ineffable vérité, le charme sans pareil des discours synoptiques, le tour profondément hébraïque de ces discours, les analogies qu’ils présentent avec les sentences des docteurs juifs du même temps, leur parfaite harmonie avec la nature de la Galilée, tous ces caractères, si on les rapproche de la gnose obscure, de la métaphysique contournée qui remplit les discours de Jean, parleraient assez haut. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait dans les discours de Jean d’admirables éclairs ; des traits qui viennent vraiment de Jésus[47]. Mais le ton mystique de ces discours ne répond en rien au caractère de l’éloquence de Jésus telle qu’on se la figure d’après les synoptiques. Un nouvel esprit a soufflé ; la gnose est déjà commencée ; l’ère galiléenne du royaume de Dieu est finie ; l’espérance de la prochaine venue du Christ s’éloigne ; on entre dans les aridités de la métaphysique, dans les ténèbres du dogme abstrait. L’esprit de Jésus n’est pas là, et si le fils de Zébédée a vraiment tracé ces pages, il avait certes bien oublié en les écrivant le lac de Génésareth et les charmants entretiens qu’il avait entendus sur ses bords.

Une circonstance, d’ailleurs, qui prouve bien que les discours rapportés par le quatrième évangile ne sont pas des pièces historiques, mais des compositions destinées à couvrir de l’autorité de Jésus certaines doctrines chères au rédacteur, c’est leur parfaite harmonie avec l’état intellectuel de l’Asie mineure au moment où elles furent écrites. L’Asie mineure était alors le théâtre d’un étrange mouvement de philosophie syncrétique ; tous les germes du gnosticisme y existaient déjà. Jean paraît avoir bu à ces sources étrangères. Il se peut qu’après les crises de l’an 68 (date de l’Apocalypse) et de l’an 70 (ruine de Jérusalem), le vieil apôtre, à l’âme ardente et mobile, désabusé de la croyance à une prochaine apparition du Fils de l’homme dans les nues, ait penché vers les idées qu’il trouvait autour de lui, et dont plusieurs s’amalgamaient assez bien avec certaines doctrines chrétiennes. En prêtant ces nouvelles idées à Jésus, il ne fit que suivre un penchant bien naturel. Nos souvenirs se transforment avec tout le reste ; l’idéal d’une personne que nous avons connue change avec nous[48]. Considérant Jésus comme l’incarnation de la vérité, Jean ne pouvait manquer de lui attribuer ce qu’il était arrivé à prendre pour la vérité.

S’il faut tout dire, nous ajouterons que probablement Jean lui-même eut en cela peu de part, que ce changement se fit autour de lui plutôt que par lui. On est parfois tenté de croire que des notes précieuses, venant de l’apôtre, ont été employées par ses disciples dans un sens fort différent de l’esprit évangélique primitif. En effet, certaines parties du quatrième évangile ont été ajoutées après coup ; tel est le XXIe chapitre tout entier[49], où l’auteur semble s’être proposé de rendre hommage à l’apôtre Pierre après sa mort et de répondre aux objections qu’on allait tirer ou qu’on tirait déjà de la mort de Jean lui-même (v. 21-23). Plusieurs autres endroits portent la trace de ratures et de corrections[50].

Il est impossible, à distance, d’avoir le mot de tous ces problèmes singuliers, et sans doute bien des surprises nous seraient réservées, s’il nous était donné de pénétrer dans les secrets de cette mystérieuse école d’Éphèse qui, plus d’une fois, paraît s’être complu aux voies obscures. Mais une expérience capitale est celle-ci. Toute personne qui se mettra à écrire la vie de Jésus sans théorie arrêtée sur la valeur relative des évangiles, se laissant uniquement guider par le sentiment du sujet, sera ramenée dans une foule de cas à préférer la narration de Jean à celle des synoptiques. Les derniers mois de la vie de Jésus en particulier ne s’expliquent que par Jean ; une foule de traits de la Passion, inintelligibles dans les synoptiques[51], reprennent dans le récit du quatrième évangile la vraisemblance et la possibilité. Tout au contraire, j’ose défier qui que ce soit de composer une vie de Jésus qui ait un sens en tenant compte des discours que Jean prête à Jésus. Cette façon de se prêcher et de se démontrer sans cesse, cette perpétuelle argumentation, cette mise en scène sans naïveté, ces longs raisonnements à la suite de chaque miracle, ces discours raides et gauches, dont le ton est si souvent faux et inégal[52], ne seraient pas soufferts par un homme de goût à côté des délicieuses sentences des synoptiques. Ce sont ici, évidemment, des pièces artificielles[53], qui nous représentent les prédications de Jésus, comme les dialogues de Platon nous rendent les entretiens de Socrate. Ce sont en quelque sorte les variations d’un musicien improvisant pour son compte sur un thème donné. Le thème peut n’être pas sans quelque authenticité ; mais dans l’exécution, la fantaisie de l’artiste se donne pleine carrière. On sent le procédé factice, la rhétorique, l’apprêt[54]. Ajoutons que le vocabulaire de Jésus ne se retrouve pas dans les morceaux dont nous parlons. L’expression de « royaume de Dieu », qui était si familière au maître[55], n’y figure qu’une seule fois[56]. En revanche, le style des discours prêtés à Jésus par le quatrième évangile offre la plus complète analogie avec celui des épîtres de saint Jean ; on voit qu’en écrivant les discours, l’auteur suivait, non ses souvenirs, mais le mouvement assez monotone de sa propre pensée. Toute une nouvelle langue mystique s’y déploie, langue dont les synoptiques n’ont pas la moindre idée (monde, vérité, vie, lumière, ténèbres, etc.). Si Jésus avait jamais parlé dans ce style, qui n’a rien d’hébreu, rien de juif, rien de talmudique, Si j’ose m’exprimer ainsi, comment un seul de ses auditeurs en aurait-il si bien gardé le secret ?

L’histoire littéraire offre du reste un autre exemple qui présente la plus grande analogie avec le phénomène historique que nous venons d’exposer, et qui sert à l’expliquer. Socrate, qui comme Jésus n’écrivit pas, nous est connu par deux de ses disciples, Xénophon et Platon, le premier répondant par sa rédaction limpide, transparente, impersonnelle, aux synoptiques, le second rappelant par sa vigoureuse individualité l’auteur du quatrième évangile. Pour exposer l’enseignement socratique, faut-il suivre les Dialogues de Platon ou les Entretiens de Xénophon ? Aucun doute à cet égard n’est possible ; tout le monde s’est attaché aux Entretiens et non aux Dialogues. Platon cependant n’apprend-il rien sur Socrate ? Serait-il d’une bonne critique, en écrivant la biographie de ce dernier, de négliger les Dialogues ? Qui oserait le soutenir ? L’analogie, d’ailleurs, n’est pas complète, et la différence est en faveur du quatrième évangile. C’est l’auteur de cet évangile, en effet, qui est le meilleur biographe, comme si Platon, tout en prêtant à son maître des discours fictifs, connaissait sur sa vie des choses capitales que Xénophon ignorât tout à fait.

Sans nous prononcer sur la question matérielle de savoir quelle main a tracé le quatrième évangile, et tout en inclinant à croire que les discours au moins ne sont pas du fils de Zébédée, nous admettons donc que c’est bien là l’Évangile selon Jean, dans le même sens que le premier et le deuxième évangile sont bien les Évangiles selon Matthieu et selon Marc. Le canevas historique du quatrième évangile est la vie de Jésus telle qu’on la savait dans l’école de Jean ; c’est le récit qu’Aristion et Presbyteros Joannes firent à Papias sans lui dire qu’il était écrit, ou plutôt n’attachant aucune importance à cette particularité. J’ajoute que, dans mon opinion, cette école savait mieux les circonstances extérieures de la vie du fondateur que le groupe dont les souvenirs ont constitué les évangiles synoptiques. Elle avait, notamment sur les séjours de Jésus à Jérusalem, des données que les autres ne possédaient pas. Les affiliés de l’école traitaient Marc de biographe médiocre, et avaient imaginé un système pour expliquer ses lacunes[57]. Certains passages de Luc, où il y a comme un écho des traditions johanniques[58], prouvent du reste que ces traditions n’étaient pas pour le reste de la famille chrétienne quelque chose de tout à fait inconnu.

Ces explications seront suffisantes, je pense, pour qu’on voie, dans la suite du récit, les motifs qui m’ont déterminé à donner la préférence à tel du tel des quatre guides que nous avons pour la vie de Jésus. En somme, j’admets comme authentiques les quatre évangiles canoniques. Tous, selon moi, remontent au premier siècle, et ils sont à peu près des auteurs à qui on les attribue ; mais leur valeur historique est fort diverse. Matthieu mérite évidemment une confiance hors ligne pour les discours ; là sont les Logia, les notes mêmes prises sur le souvenir vif et net de l’enseignement de Jésus. Une espèce d’éclat à la fois doux et terrible, une force divine, si j’ose le dire, souligne ces paroles, les détache du contexte et les rend pour le critique facilement reconnaissables. La personne qui s’est donné la tâche de faire avec l’histoire évangélique une composition régulière, possède à cet égard une excellente pierre de touche. Les vraies paroles de Jésus se décèlent pour ainsi dire d’elles-mêmes ; dès qu’on les touche dans ce chaos de traditions d’authenticité inégale, on les sent vibrer ; elles se traduisent comme spontanément, et viennent d’elles-mêmes se placer dans le récit, où elles gardent un relief sans pareil.

Les parties narratives groupées dans le premier évangile autour de ce noyau primitif n’ont pas la même autorité. Il s’y trouve beaucoup de légendes d’un contour assez mou, sorties de la piété de la deuxième génération chrétienne[59]. L’évangile de Marc est bien plus ferme, plus précis, moins chargé de circonstances tardivement insérées. C’est celui des trois synoptiques qui est resté le plus ancien, le plus original, celui où sont venus s’ajouter le moins d’éléments postérieurs. Les détails matériels ont dans Marc une netteté qu’on chercherait vainement chez les autres évangélistes. Il aime à rapporter certains mots de Jésus en syro-chaldaïque[60] est plein d’observations minutieuses venant sans nul doute d’un témoin oculaire. Rien ne s’oppose à ce que ce témoin oculaire,  qui évidemment avait suivi Jésus, qui l’avait aimé et regardé de très près, qui en avait conservé une vive image, ne soit l’apôtre Pierre lui-même, comme le veut Papias.

Quant à l’ouvrage de Luc, sa valeur historique est sensiblement plus faible. C’est un document de seconde main. La narration y est plus mûrie. Les mots de Jésus y sont plus réfléchis, plus composés. Quelques sentences sont poussées à l’excès et faussées[61]. Ecrivant hors de la Palestine, et certainement après le siége de Jérusalem[62], l’auteur indique les lieux avec moins de rigueur que les deux autres synoptiques; il a une fausse idée du temple, qu’il se représente comme un oratoire, où l’on va faire ses dévotions[63] ; il émousse les détails pour tâcher d’amener une concordance entre les différents récits[64] ; il adoucit les passages qui étaient devenus embarrassants au point de vue d’une idée plus exaltée de la divinité de Jésus[65] ; il exagère le merveilleux[66] ; il commet des erreurs de chronologie[67] ; il omet les gloses hébraïques[68], ne cite aucune parole de Jésus en cette langue, nomme toutes les localités par leur nom grec. On sent l’écrivain qui compile, l’homme qui n’a pas vu directement les témoins, mais qui travaille sur les textes, et se permet de fortes violences pour les mettre d’accord. Luc avait probablement sous les yeux le recueil biographique de Marc et les Logia de Matthieu. Mais il les traite avec beaucoup de liberté ; tantôt il fond ensemble deux anecdotes ou deux paraboles pour on faire une[69] ; tantôt il en décompose une pour en faire deux[70]. Il interprète les documents selon son sens particulier ; il n’a pas l’impassibilité absolue de Matthieu et de Marc. Où peut dire certaines choses de ses goûts et de ses tendances particulières ; c’est un dévot très exact[71] ; il tient à ce que Jésus ait accompli tous les rites juifs[72] ; il est démocrate et ébionite exalté, c’est-à-dire très opposé à la propriété et persuadé que la revanche des pauvres va venir[73] ; il affectionne par-dessus tout les anecdotes mettant en relief la conversion des pécheurs, l’exaltation des humbles[74] ; il modifie souvent les anciennes traditions pour leur donner ce tour[75]. Il admet dans ses premières pages des légendes sur l’enfance de Jésus, racontées avec ces longues amplifications, ces cantiques, ces procédés de convention qui forment le trait essentiel des évangiles apocryphes. Enfin, il a dans le récit des derniers temps de Jésus quelques circonstances pleines d’un sentiment tendre et certains mots de Jésus d’une délicieuse beauté[76], qui ne se trouvent pas dans les récits plus authentiques, et où l’on sent le travail de la légende. Luc les empruntait probablement à un recueil plus récent, où l’on visait surtout à exciter des sentiments de piété.

Une grande réserve était naturellement commandée en présence d’un document de cette nature. Il eût été aussi peu critique de le négliger que de l’employer sans discernement. Luc a eu sous les yeux des originaux que nous n’avons plus. C’est moins un évangéliste qu’un biographe de Jésus, un harmoniste, un correcteur à la manière de Marcion et de Tatien. Mais c’est un biographe du premier siècle, un artiste divin qui, indépendamment des renseignements qu’il a puisés aux sources plus anciennes, nous montre le caractère du fondateur avec un bonheur de trait, une inspiration d’ensemble, un relief que n’ont pas les deux autres synoptiques. Son évangile est celui dont la lecture a le plus de charme ; car à l’incomparable beauté du fond commun, il ajoute une part d’artifice et de composition qui augmente singulièrement l’effet du portrait, sans nuire gravement à sa vérité.

En somme, on peut dire que la rédaction synoptique a traversé trois degrés : 1° l’état documentaire original (cité par Matthieu et Marc), premières rédactions qui n’existent plus ; 2° l’état de simple mélange, où les documents originaux sont amalgamés sans aucun effort de composition, sans qu’on voie percer aucune vue personnelle de la part des auteurs (évangiles actuels de Matthieu et de Marc) ; 3° l’état de combinaison ou de rédaction voulue et réfléchie, où l’on sent l’effort pour concilier les différentes versions (évangile de Luc). L’évangile de Jean, comme nous l’avons dit, forme une composition d’un autre ordre et tout à fait à part.

On remarquera que je n’ai fait nul usage des évangiles apocryphes. Ces compositions ne doivent être en aucune façon mises sur le même pied que les évangiles canoniques. Ce sont de plates et puériles amplifications, ayant les canoniques pour base et n’y ajoutant rien qui ait du prix. Au contraire, j’ai été fort attentif à recueillir les lambeaux conservés par les Pères de l’Église d’anciens évangiles qui existèrent autrefois parallèlement aux canoniques et qui sont maintenant perdus, comme l’Évangile selon les Hébreux, l’Évangile selon les Égyptiens, les Évangiles dits de Justin, de Marcion, de Tatien. Les deux premiers sont surtout importants en ce qu’ils étaient rédigés en araméen comme les Logia de Matthieu, qu’ils paraissent avoir constitué une variété de l’évangile de cet apôtre, et qu’ils furent l’évangile des Ébionim, c’est-à-dire de ces petites chrétientés de Batanée qui gardèrent l’usage du syro-chaldaïque, et qui paraissent à quelques égards avoir continué la ligne de Jésus. Mais il faut avouer que, dans l’état où ils nous sont arrivés, ces évangiles sont inférieurs, pour l’autorité critique, à la rédaction de l’évangile de Matthieu que nous possédons.

On comprend maintenant, ce semble, le genre de valeur historique que j’attribue aux évangiles. Ce ne sont ni des biographies à la façon de Suétone, ni des légendes fictives à la manière de Philostrate ; ce sont des biographies légendaires. Je les rapprocherais volontiers des légendes de Saints, des Vies de Plotin, de Proclus, d’Isidore, et autres écrits du même genre, où la vérité historique et l’intention de présenter des modèles de vertu se combinent à des degrés divers. L’inexactitude, qui est un des traits de toutes les compositions populaires, s’y fait particulièrement sentir. Supposons qu’il y a dix ou douze ans, trois ou quatre vieux soldats de l’empire se fussent mis chacun de leur côté à écrire la vie de Napoléon avec leurs souvenirs. Il est clair que leurs récits offriraient de nombreuses erreurs, de fortes discordances. L’un d’eux mettrait Wagram avant Marengo ; l’autre écrirait sans hésiter que Napoléon chassa des Tuileries le gouvernement de Robespierre ; un troisième omettrait des expéditions de la plus haute importance. Mais une chose résulterait certainement avec un haut degré de vérité de ces naïfs récits, c’est le caractère du héros, l’impression qu’il faisait autour de lui. En ce sens, de telles histoires populaires vaudraient mieux qu’une histoire solennelle et officielle. On en peut dire autant des évangiles. Uniquement attentifs à mettre en saillie l’excellence du maître, ses miracles, son enseignement, les évangélistes montrent une entière indifférence pour tout ce qui n’est pas l’esprit même de Jésus. Les contradictions sur les temps, les lieux, les personnes étaient regardées comme insignifiantes ; car, autant on prêtait à la parole de Jésus un haut degré d’inspiration, autant on était loin d’accorder cette inspiration aux rédacteurs. Ceux-ci ne s’envisageaient que comme de simples scribes et ne tenaient qu’à une seule chose : ne rien omettre de ce qu’ils savaient[77].

Sans contredit, une part d’idées préconçues dut se mêler à de tels souvenirs. Plusieurs récits, surtout de Luc, sont inventés pour faire ressortir vivement certains traits de la physionomie de Jésus. Cette physionomie elle-même subissait chaque jour des altérations. Jésus serait un phénomène unique dans l’histoire si, avec le rôle qu’il joua, il n’avait été bien vite transfiguré. La légende d’Alexandre était éclose avant que la génération de ses compagnons d’armes fût éteinte ; celle de saint François d’Assise commença de son vivant. Un rapide travail de métamorphose s’opéra de même, dans les vingt ou trente années qui suivirent la mort de Jésus, et imposa à sa biographie les tours absolus d’une légende idéale. La mort perfectionne l’homme le plus parfait ; elle le rend sans défaut pour ceux qui l’ont aimé. En même temps, d’ailleurs, qu’on voulait peindre le maître, on voulait le démontrer. Beaucoup d’anecdotes étaient conçues pour prouver qu’en lui les prophéties envisagées comme messianiques avaient eu leur accomplissement. Mais ce procédé, dont il ne faut pas nier l’importance, ne saurait tout expliquer. Aucun ouvrage juif du temps ne donne une série de prophéties exactement libellées que le Messie dût accomplir. Plusieurs des allusions messianiques relevées par les évangélistes sont si subtiles, si détournées, qu’on ne peut croire que tout cela répondît à une doctrine généralement admise. Tantôt l’on raisonna ainsi : Le Messie doit faire telle chose ; or Jésus est le Messie ; donc Jésus a fait telle chose. Tantôt l’on raisonna à l’inverse : Telle chose est arrivée à Jésus ; or Jésus est le Messie ; donc telle chose devait arriver au Messie[78]. Les explications trop simples sont toujours fausses quand il s’agit d’analyser le tissu de ces profondes créations du sentiment populaire, qui déjouent tous les systèmes par leur richesse et leur infinie variété.

A peine est-il besoin de dire qu’avec de tels documents, pour ne donner que de l’incontestable, il faudrait se borner aux lignes générales. Dans presque toutes les histoires anciennes, même dans celles qui sont bien moins légendaires que celles-ci, le détail prête à des doutes infinis. Quand nous avons deux récits d’un même fait, il est extrêmement rare que les deux récits soient d’accord. N’est-ce pas une raison, quand on n’en a qu’un seul, de concevoir bien des perplexités ? On peut dire que parmi les anecdotes, les discours, les mots célèbres rapportés par les historiens, il n’y en a pas un de rigoureusement authentique. Y avait-il des sténographes pour fixer ces paroles rapides ? Y avait-il un annaliste toujours présent pour noter les gestes, les allures, les sentiments des acteurs ? Qu’on essaye d’arriver au vrai sur la manière dont s’est passé tel ou tel fait contemporain ; on n’y réussira pas. Deux récits d’un même événement faits par des témoins oculaires diffèrent essentiellement. Faut-il pour cela renoncer à toute la couleur des récits et se borner à l’énoncé des faits d’ensemble ? Ce serait supprimer l’histoire. Certes, je crois bien que, si l’on excepte certains axiomes courts et presque mnémoniques, aucun des discours rapportés par Matthieu n’est textuel ; à peine nos procès verbaux sténographiés le sont-ils. J’admets volontiers que cet admirable récit de la Passion renferme une foule d’à peu près. Ferait-on cependant l’histoire de Jésus en omettant ces prédications qui nous rendent d’une manière si vive la physionomie de ses discours, et en se bornant à dire avec Josèphe et Tacite qu’il fut mis à mort par l’ordre de Pilate à l’instigation des prêtres ? Ce serait là, selon moi, un genre d’inexactitude pire que celui auquel on s’expose en admettant les détails que nous fournissent les textes. Ces détails ne sont pas vrais à la lettre ; mais ils sont vrais d’une vérité supérieure ; ils sont plus vrais que la nue vérité, en ce sens qu’ils sont la vérité rendue expressive et parlante, élevée à la hauteur d’une idée.

Je prie les personnes qui trouveront que j’ai accordé une confiance exagérée à des récits en grande partie légendaires, de tenir compte de l’observation que je viens de faire. A quoi se réduirait la vie d’Alexandre, si on se bornait à ce qui est matériellement certain ? Les traditions même en partie erronées renferment une portion de vérité que l’histoire ne peut négliger. On n’a pas reproché à M. Sprenger d’avoir, en écrivant la vie de Mahomet, tenu grand compte des hadith ou traditions orales sur le prophète, et d’avoir souvent prêté textuellement à son héros des paroles qui ne sont connues que par cette source. Les traditions sur Mahomet, cependant, n’ont pas un caractère historique supérieur à celui des discours et des récits qui composent les évangiles. Elles furent écrites de l’an 50 à l’an 140 de l’hégire. Quand on écrira l’histoire des écoles juives aux siècles qui ont précédé et suivi immédiatement la naissance du christianisme, on ne se fera aucun scrupule de prêter à Hillel, à Schammaï, à Gamaliel, les maximes que leur attribuent la Mishna et la Gemara, bien que ces grandes compilations aient été rédigées plusieurs centaines d’années après les docteurs dont il s’agit.

Quant aux personnes qui croient, au contraire, que l’histoire doit consister à reproduire sans interprétation les documents qui nous sont parvenus, je les prie d’observer qu’en un tel sujet cela n’est pas loisible. Les quatre principaux documents sont en flagrante contradiction l’un avec l’autre ; Josèphe d’ailleurs les rectifie quelquefois. Il faut choisir. Prétendre qu’un événement ne peut pas s’être passé de deux manières à la fois, ni d’une façon impossible, n’est pas imposer à l’histoire une philosophie a priori. De ce qu’on possède plusieurs versions différentes d’un même fait, de ce que la crédulité a mêlé à toutes ces versions des circonstances fabuleuses, l’historien ne doit pas conclure que le fait soit faux ; mais il doit en pareil cas se tenir en garde, discuter les textes et procéder par induction. Il est surtout une classe de récits à propos desquels ce principe trouve une application nécessaire, ce sont les récits surnaturels. Chercher à expliquer ces récits ou les réduire à des légendes, ce n’est pas mutiler les faits au nom de la théorie ; c’est partir de l’observation même des faits. Aucun des miracles dont les vieilles histoires sont remplies ne s’est passé dans des conditions scientifiques. Une observation qui n’a pas été une seule fois démentie nous apprend qu’il n’arrive de miracles que dans les temps et les pays où l’on y croit, devant des personnes disposées à y croire. Aucun miracle ne s’est produit devant une réunion d’hommes capables de constater le caractère miraculeux d’un fait. Ni les personnes du peuple, ni les gens du monde ne sont compétents pour cela. Il y faut de grandes précautions et une longue habitude des recherches scientifiques. De nos jours, n’a-t-on pas vu presque tous les gens du monde dupes de grossiers prestiges ou de puériles illusions ? Des faits merveilleux attestés par des petites villes tout entières sont devenus, grâce à une enquête plus sévère, des faits condamnables[79]. S’il est avéré qu’aucun miracle contemporain ne supporte la discussion, n’est-il pas probable que les miracles du passé, qui se sont tous accomplis dans des réunions populaires, nous offriraient également, s’il nous était possible de les critiquer en détail, leur part d’illusion ?

Ce n’est donc pas au nom de telle ou telle philosophie, c’est au nom d’une constante expérience, que nous bannissons le miracle de l’histoire. Nous ne disons pas : Le miracle est impossible ; nous disons : Il n’y a pas eu jusqu’ici de miracle constaté. Que demain un thaumaturge se présente avec des garanties assez sérieuses pour être discuté ; qu’il s’annonce comme pouvant, je suppose, ressusciter un mort ; que ferait-on ? Une commission composée de physiologistes, de physiciens, de chimistes, de personnes exercées à la critique historique, serait nommée. Cette commission choisirait le cadavre, s’assurerait que la mort est bien réelle, désignerait la salle où devrait se faire l’expérience, réglerait tout le système de précautions nécessaire pour ne laisser prise à aucun doute. Si, dans de telles conditions, la résurrection s’opérait, une probabilité presque égale à la certitude serait acquise. Cependant, comme une expérience doit toujours pouvoir se répéter, que l’on doit être capable de refaire ce que l’on a fait une fois, et que dans l’ordre du miracle il ne peut être question de facile ou de difficile, le thaumaturge serait invité à reproduire son acte merveilleux dans d’autres circonstances, sur d’autres cadavres, dans un autre milieu. Si chaque fois le miracle réussissait, deux choses seraient prouvées : la première, c’est qu’il arrive dans le monde des faits surnaturels ; la seconde, c’est que le pouvoir de les produire appartient ou est délégué à certaines personnes. Mais qui ne voit que jamais miracle ne s’est passé dans ces conditions-là ; que toujours jusqu’ici le thaumaturge a choisi le sujet de l’expérience, choisi le milieu, choisi le public ; que d’ailleurs le plus souvent c’est le peuple lui-même qui, par suite de l’invincible besoin qu’il a de voir dans les grands événements et les grands hommes quelque chose de divin, crée après coup les légendes merveilleuses ? Jusqu’à nouvel ordre, nous maintiendrons donc ce principe de critique historique, qu’un récit surnaturel ne peut être admis comme tel, qu’il implique toujours crédulité ou imposture, que le devoir de l’historien est de l’interpréter et de rechercher quelle part de vérité, quelle part d’erreur il peut recéler.

Telles sont les règles qui ont été suivies dans la composition de cet écrit. A la lecture des textes, j’ai pu joindre une grande source de lumières, la vue des lieux où se sont passés les événements. La mission scientifique ayant pour objet l’exploration de l’ancienne Phénicie, que j’ai dirigée en 1860 et 1861[80], m’amena à résider sur les frontières de la Galilée et à y voyager fréquemment. J’ai traversé dans tous les sens la province évangélique ; j’ai visité Jérusalem, Hébron et la Samarie ; presque aucune localité importante de l’histoire de Jésus ne m’a échappé. Toute cette histoire qui, à distance, semble flotter dans les nuages d’un monde sans réalité, prit ainsi un corps, une solidité qui m’étonnèrent. L’accord frappant des textes et des lieux, la merveilleuse harmonie de l’idéal évangélique avec le paysage qui lui servit de cadre furent pour moi comme une révélation. J’eus devant les yeux un cinquième évangile, lacéré, mais lisible encore, et désormais, à travers les récits de Matthieu et de Marc, au lieu d’un être abstrait, qu’on dirait n’avoir jamais existé, je vis une admirable figure humaine vivre, se mouvoir. Pendant l’été, ayant dû monter à Ghazir, dans le Liban, pour prendre un peu de repos, je fixai en traits rapides l’image qui m’était apparue, et il en résulta cette histoire. Quand une cruelle épreuve vint hâter mon départ, je n’avais plus à rédiger que quelques pages. Le livre a été, de la sorte, composé tout entier fort près des lieux mêmes où Jésus naquit et se développa. Depuis mon retour, j’ai travaillé sans cesse à vérifier et à contrôler dans le détail l’ébauche que j’avais écrite à la hâte dans une cabane maronite, avec cinq ou six volumes autour de moi.

Plusieurs regretteront peut-être le tour biographique qu’a ainsi pris mon ouvrage. Quand je conçus pour la première fois une histoire des origines du christianisme, ce que je voulais faire, c’était bien, en effet, une histoire de doctrines, où les hommes n’auraient eu presque aucune part. Jésus eût à peine été nommé ; on se fût surtout attaché à montrer comment les idées qui se sont produites sous son nom germèrent et couvrirent le monde. Mais j’ai compris depuis que l’histoire n’est pas un simple jeu d’abstractions, que les hommes y sont plus que les doctrines. Ce n’est pas une certaine théorie sur la justification et la rédemption qui a fait la réforme : c’est Luther, c’est Calvin. Le parsisme, l’hellénisme, le judaïsme auraient pu se combiner sous toutes les formes ; les doctrines de la résurrection et du Verbe auraient pu se développer durant des siècles sans produire ce fait fécond, unique, grandiose, qui s’appelle le christianisme. Ce fait est l’œuvre de Jésus, de saint Paul, de saint Jean. Faire l’histoire de Jésus, de saint Paul, de saint Jean, c’est faire l’histoire des origines du christianisme. Les mouvements antérieurs n’appartiennent à notre sujet qu’en ce qu’ils servent à expliquer ces hommes extraordinaires, lesquels ne peuvent naturellement avoir été sans lien avec ce qui les a précédés.

Dans un tel effort pour faire revivre les hautes âmes du passé, une part de divination et de conjecture doit être permise. Une grande vie est un tout organique qui ne peut se rendre par la simple agglomération de petits faits. Il faut qu’un sentiment profond embrasse l’ensemble et en fasse l’unité. La raison d’art en pareil sujet est un bon guide ; le tact exquis d’un Gœthe trouverait à s’y appliquer. La condition essentielle des créations de l’art est de former un système vivant dont toutes les parties s’appellent et se commandent. Dans les histoires du genre de celle-ci, le grand signe qu’on tient le vrai est d’avoir réussi à combiner les textes d’une façon qui constitue un récit logique, vraisemblable, où rien ne détonne. Les lois intimes de la vie, de la marche des produits organiques, de la dégradation des nuances, doivent être à chaque instant consultées ; car ce qu’il s’agit de retrouver ici, ce n’est pas la circonstance matérielle, impossible à contrôler, c’est l’âme même de l’histoire ; ce qu’il faut rechercher, ce n’est pas la petite certitude des minuties, c’est la justesse du sentiment général, la vérité de la couleur. Chaque trait qui sort des règles de la narration classique doit avertir de prendre garde; car le fait qu’il s’agit de raconter a été vivant, naturel, harmonieux. Si on ne réussit pas à le rendre tel par le récit, c’est que sûrement on n’est pas arrivé à le bien voir. Supposons qu’en restaurant la Minerve de Phidias selon les textes, on produisît un ensemble sec, heurté, artificiel ; que faudrait-il en conclure ? Une seule chose c’est que les textes ont besoin de l’interprétation du goût, qu’il faut les solliciter doucement jusqu’à ce qu’ils arrivent à se rapprocher et à fournir un ensemble où toutes les données soient heureusement fondues. Serait-on sûr alors d’avoir, trait pour trait, la statue grecque ? Non ; mais on n’en aurait pas du moins la caricature : on aurait l’esprit général de l’œuvre, une des façons dont elle a pu exister.

Ce sentiment d’un organisme vivant, on n’a pas hésité à le prendre pour guide dans l’agencement général du récit. La lecture des évangiles suffirait pour prouver que leurs rédacteurs, quoique ayant dans l’esprit un plan très juste de la vie de Jésus, n’ont pas été guidés par des données chronologiques bien rigoureuses ; Papias, d’ailleurs, nous l’apprend expressément[81]. Les expressions : En ce temps-là... après cela... alors... et il arriva que..., etc., sont de simples transitions destinées à rattacher les uns aux autres les différents récits. Laisser tous les renseignements fournis par les évangiles dans le désordre où la tradition nous les donne, ce ne serait pas plus écrire l’histoire de Jésus qu’en n’écrirait l’histoire d’un homme célèbre en donnant pêle-mêle les lettres et les anecdotes de sa jeunesse, de sa vieillesse, de son âge mûr. Le Coran, qui nous offre aussi dans le décousu le plus complet les pièces des différentes époques de la vie de Mahomet, a livré son secret à une critique ingénieuse ; on a découvert d’une manière à peu près certaine l’ordre chronologique où ces pièces ont été composées. Un tel redressement est beaucoup plus difficile pour l’Évangile, la vie publique de Jésus ayant été plus courte et moins chargée d’événements que la vie du fondateur de l’islam. Cependant, la tentative de trouver un fil pour se guider dans ce dédale ne saurait être taxée de subtilité gratuite. Il n’y a pas grand abus d’hypothèse à supposer qu’un fondateur religieux commence par se rattacher aux aphorismes moraux qui sont déjà en circulation de son temps et aux pratiques qui ont de la vogue ; que, plus mûr et entré en pleine possession de sa pensée, il se complaît dans un genre d’éloquence calme, poétique, éloigné de toute controverse, suave et libre comme le sentiment pur ; qu’il s’exalte peu à peu, s’anime devant l’opposition, finit par les polémiques et les fortes invectives. Telles sont les périodes qu’on distingue nettement dans le Coran. L’ordre adopté avec un tact extrêmement fin par les synoptiques suppose une marche analogue. Qu’on lise attentivement Matthieu, on trouvera dans la distribution des discours une gradation fort analogue à celle que nous venons d’indiquer. On observera, d’ailleurs, la réserve des tours de phrase dont nous nous servons quand il s’agit d’exposer le progrès des idées de Jésus. Le lecteur peut, s’il le préfère, ne voir dans les divisions adoptées à cet égard que les coupes indispensables à l’exposition méthodique d’une pensée profonde et compliquée.

Si l’amour d’un sujet peut servir à en donner l’intelligence, on reconnaîtra aussi, j’espère, que cette condition ne m’a pas manqué. Pour faire l’histoire d’une religion, il est nécessaire, premièrement, d’y avoir cru (sans cela, on ne saurait comprendre par quoi elle a charmé et satisfait la conscience humaine) ; en second lieu, de n’y plus croire d’une manière absolue ; car la foi absolue est incompatible avec l’histoire sincère. Mais l’amour va sans la foi. Pour ne s’attacher à aucune des formes qui captivent l’adoration des hommes, on ne renonce pas à goûter ce qu’elles contiennent de bon et de beau. Aucune apparition passagère n’épuise la divinité ; Dieu s’était révélé avant Jésus, Dieu se révélera après lui. Profondément inégales et d’autant plus divines qu’elles sont plus grandes, plus spontanées, les manifestations du Dieu caché au fond de la conscience humaine sont toutes du même ordre. Jésus ne saurait donc appartenir uniquement à ceux qui se disent ses disciples. Il est l’honneur commun de ce qui porte un cœur d’homme. Sa gloire ne consiste pas à être relégué hors de l’histoire ; on lui rend un culte plus vrai en montrant que l’histoire entière est incompréhensible sans lui.

 

 

 



[1] Leyde, Noothoven van Goor, 1862. Paris, Cherbuliez. Ouvrage couronné par la société de La Haye pour la défense de la religion chrétienne.

[2] Strasbourg, Treuttel et Wurtz. 2e édition, 1860. Paris, Cherbuliez.

[3] Paris, Michel Lévy frères, 1860.

[4] Paris, Ladrange. 2e édition, 1856.

[5] Strasbourg, Treuttel et Wurtz. Paris, Cherbuliez.

[6] Au moment où ces pages s’impriment, paraît un livre que je n’hésite pas à joindre aux précédents, quoique je n’aie pu le lire avec l’attention qu’il mérite : Les Évangiles, par M. Gustave d’Eichthal. Première partie : Examen critique et comparatif des trois premiers Évangiles. Paris, Hachette, 1863.

[7] Les grands résultats obtenus sur ce point n’ont été acquis que depuis la première édition de l’ouvrage de M. Strauss. Le savant critique y a, du reste, fait droit dans ses éditions successives avec beaucoup de bonne foi.

[8] Il est à peine besoin de rappeler que pas un mot, dans le livre de M. Strauss, ne justifie l’étrange et absurde calomnie par laquelle on a tenté de décréditer auprès des personnes superficielles un livre commode, exact, spirituel et consciencieux, quoique gâté dans ses parties générales par un système exclusif. Non seulement M. Strauss n’a jamais nié l’existence de Jésus, mais chaque page de son livre implique cette existence. Ce qui est vrai, c’est que M. Strauss suppose le caractère individuel de Jésus plus effacé pour nous qu’il ne l’est peut-être on réalité.

[9] Antiquités, XVIII, III, 3.

[10] S’il est permis de l’appeler homme.

[11] Eusèbe (Hist. eccl., I, 14, et Démonstr. évang., III, 5) cite le passage sur Jésus comme nous le lisons maintenant dans Josèphe. Origène (Contre Celte, I, 47 ; II, 43) et Eusèbe (Hist. eccl., II, 23) citent une autre interpolation chrétienne, laquelle ne se trouve dans aucun des manuscrits de Josèphe qui sont parvenus jusqu’à nous.

[12] Judæ Epist., 14.

[13] Les personnes qui souhaiteraient de plus amples développements peuvent lire, outre l’ouvrage de M. Réville précité, les travaux de MM. Reuss et Scherer dans la Revue de théologie, t. X, XI, XV ; nouv. série, II, III, IV, et celui de M. Nicolas dans la Revue germanique, sept. et déc. 1862, avril et juin 1863.

[14] C’est ainsi qu’on disait : l’Évangile selon les Hébreux, l’Évangile selon les Égyptiens.

[15] Luc, I, 4-4.

[16] Act., I, 4. Comp. Luc, I 4-4.

[17] A partir de XVI, 10, l’auteur se donne pour témoin oculaire.

[18] II Tim., IV, 41; Philem., 24, Col., IV, 14. Le nom de Lucas (contraction de Lucanus) étant fort rare, on n’a pas à craindre ici une de ces homonymies qui jettent tant de perplexités dans les questions de critique relatives au Nouveau Testament.

[19] Versets 9, 20, 24, 28, 32. Comp. XXII, 36.

[20] Dans Eusèbe, Hist. eccl., III, 39. On ne saurait élever un doute quelconque sur l’authenticité de ce passage. Eusèbe, en effet, loin d’exagérer l’autorité de Papias, est embarrassé de sa naïveté, de son millénarisme grossier, et se tire d’affaire en le traitant de petit esprit. Comp. Irénée, Adv. hœr., III, I.

[21] C’est-à-dire en dialecte sémitique.

[22] Luc, I, 1-2; Origène, Hom. in Luc., 1, init. ; saint Jérôme, Comment. in Matth., prol.

[23] Papias, dans Eusèbe, H. E., III, 39. comparez Irénée, Adv. hœr., III, II et III.

[24] C’est ainsi que le beau récit Jean, VIII, 1-44 a toujours flotté sans trouver sa place fixe dans le cadre des évangiles reçus.

[25] Justin, Apol., I, 33, 66, 67 ; Dial. cum Tryph., 10, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107.

[26] Jules Africain, dans Eusèbe, Hist. eccl., I, 7.

[27] Apol., I, 32, 61 ; Dial. cum Tryph., 88.

[28] Legatio pro christ., 40.

[29] Adv. Græc., 5, 7. Cf. Eusèbe, H. E., IV, 20; Théodoret, Hœretic. fabul., I, 20.

[30] Ad Autolycum, II, 22.

[31] Adv. hœr., II, XXII, 5 ; III, I. Cf. Eus., H. E., V, 8.

[32] Irénée, Adv. hœr., I, III, 6 ; III, XI, 7 ; saint Hippolyte, Philosophumena, VI, II, 20 et suiv.

[33] Irénée, Adv. hœr., III, XI, 9.

[34] Eusèbe. Hist. eccl., V, 24.

[35] I Joann., I, 3, 5. Les deux écrits offrent la plus complète identité de style, les mêmes tours, les mêmes expressions favorites.

[36] Epist. ad Philipp., 7.

[37] Dans Eusèbe, Hist. eccl., III, 39

[38] Adv. hœr., III, XVI, 5, 8. Cf. Eusèbe, Hist. eccl., V, 8.

[39] XIII, 23 ; XIX, 26 ; XX, 2 ; XXI, 7, 20.

[40] Jean, XVIII, 15-46 ; XX, 2-6 ; XXI, 15-49. Comp. I, 35, 40, 41.

[41] VI, 63 ; XII, 6 ; XIII, 24 et  suiv.

[42] La manière dont Aristion ou Presbyteros Joannes s’exprimait sur l’évangile de Marc devant Papias (Eusèbe, H. E., III, 39) implique, en effet, une critique bienveillante, ou, pour mieux dire, une sorte d’excuse, qui semble supposer que les disciples de Jean concevaient sur le même sujet quelque chose de mieux.

[43] Comp. Jean, XVIII, 45 et suiv., à Matth., XXVI, 58 ; Jean, XX, 2-6, à Marc, XVI, 7. Voir aussi Jean, XIII, 24-25.

[44] Voir ci-dessous, p. 159.

[45] I, 14 ; XIX, 35 ; XXI, 24 et suiv. Comp. la première épître de saint Jean, I, 3, 5.

[46] Voir, par exemple, chap. IX et XI. Remarquer surtout l’effet étrange que font des passages comme Jean, XIX, 35 ; XX, 31 ; XXI, 20-3, 21-25, quand on se rappelle l’absence de toute réflexion qui distingue les synoptiques.

[47] Par exemple, IV, 4 et suiv. ; XV, 42 et suiv. Plusieurs mots rappelés par Jean se retrouvent dans les synoptiques (XII, 46 ; XV, 20).

[48] C’est ainsi que Napoléon devint un libéral dans les souvenirs de ses compagnons d’exil, quand ceux-ci, après leur retour, se trouvèrent jetés au milieu de la société politique du temps.

[49] Les versets XX, 30-34, forment évidemment l’ancienne conclusion.

[50] VI, 2, 22 ; VII, 22.

[51] Par exemple, ce qui concerne l’annonce de la trahison de Judas.

[52] Voir, par exemple, II, 25 ; III, 32-33, et les longues disputes des ch. VII, VIII, IX.

[53] Souvent on sent que l’auteur cherche des prétextes pour placer des discours (ch. III, V, VIII, XIII et suiv.).

[54] Par exemple, chap. XVII.

[55] Outre les synoptiques, les Actes, les Épîtres de saint Paul, l’Apocalypse en font foi.

[56] Jean, III, 3, 5.

[57] Papias, loc. cit.

[58] Ainsi, le pardon de la femme pécheresse, la connaissance qu’a Luc de la famille de Béthanie, son type du caractère de Marthe répondant à celui de Jean (XII, 2), le trait de la femme qui essuya les pieds de Jésus avec ses cheveux, une notion obscure des voyages de Jésus à Jérusalem, l’idée qu’il a comparu à la Passion devant trois autorités, l’opinion où est l’auteur que quelques disciples assistaient au crucifiement, la connaissance qu’il a du rôle d’Anne à côté de Caïphe, l’apparition de l’ange dans l’agonie (Comp. Jean, XII, 28-29).

[59] Ch. I et II surtout. Voir aussi XVII, 3 et suiv. ; 49, 60, en comparant Marc.

[60] V, 42 ; VII, 34 ; XV, 34. Matthieu n’offre cette particularité qu’une fois (XXVII, 46).

[61] XIV, 26. Les règles de l’apostolat (ch. X) y ont un caractère particulier d’exaltation.

[62] XIX, 41,43-44 ; XXI, 9, 20 ; XXIII, 29.

[63] II, 37 ; XVIII, 10 et suiv. ; XXIV, 53.

[64] Par exemple, IV, 16.

[65] III, 23. Il omet Matth., XXIV, 36.

[66] IV, 14 ; XXII, 43, 44.

[67] Par exemple, en ce qui concerne Quirinius, Lysanias, Theudas.

[68] Comp. Luc, I, 34, à Matth., I, 21.

[69] Par exemple, XIX, 42-27.

[70] Ainsi, le repas de Béthanie lui donne deux récits (VII, 36-48, et X, 38-42).

[71] XXIII, 56.

[72] II, 21, 22, 39, 41, 42. C’est un trait ébionite. Cf. Philosophumena, VII, VI, 34.

[73] La parabole du riche et de Lazare. Comp. VI, 20 et suiv. ; 24 et suiv. ; XII, 13 et suiv. ; XVI entier ; XXII, 35 ; Actes, II, 44-45 ; V, 1 et suiv.

[74] La femme qui oint les pieds, Zachée, le bon larron, la parabole du pharisien et du publicain, l’enfant prodigue.

[75] Par exemple, Marie de Béthanie devient pour lui une pécheresse qui se convertit.

[76] Jésus pleurant sur Jérusalem, la sueur de sang, la rencontre des saintes femmes, le bon larron, etc. Le mot aux femmes de Jérusalem (XXIII, 28-29) ne peut guère avoir été conçu qu’après le siége de l’an 70.

[77] Voir le passage précité de Papias.

[78] Voir, par exemple, Jean, XIX, 23-24.

[79] Voir la Gazette des Tribunaux, 10 sept. et 11 nov. 1851, 28 mai 1857.

[80] Le livre où seront contenus les résultats de cette mission est sous presse.

[81] Loc. cit.