Idées de Moreau sur la
situation militaire. — Impossibilité d'entrer immédiatement en campagne. —
Création de l'armée de réserve. — Note de Bonaparte sur la campagne
prochaine. — Les opérations de l'armée de réserve subordonnées à celles de
l'armée du Rhin. — Moreau devra concentrer ses forces entre Bâle et Constance
pour le 1er germinal. — Moreau refuse de servir sous les ordres de Bonaparte.
— La concentration de l'armée ajournée. — Moreau expose ses projets au
Premier Consul. — Au lieu de déboucher en masse par Schaffouse, il préfère
utiliser ses têtes de ponts. — Bonaparte essaie de convaincre Dessolle de la
supériorité de son plan. — Arguments que lui oppose Dessolle. — Bonaparte
cède ; il renonce à se rendre sur le Rhin et décide de produire un effort
décisif en Italie.
Désireux
de faire entrer la nouvelle armée du Rhin en Bavière dès nivôse an VIII,
Bonaparte invitait, le 13 frimaire, le Ministre de la Guerre à réunir chez
lui les généraux Moreau et Clarke, « pour arrêter ensemble un plan
d'opérations[1] ». S'il n'est point resté
de traces de cette conférence, tout au moins les idées de Moreau sur la
situation militaire générale sont-elles connues par une lettre qu'il
adressait à Bonaparte, dans le courant de ce même mois de frimaire[2]. A son
avis, les projets des alliés ne pouvaient consister que dans l'invasion de la
France si les armées de la République ne parvenaient pas à pénétrer sur leur
territoire. Quelle serait, dans cette hypothèse, la frontière menacée : celle
des Alpes ou celle du nord-est ? Moreau croyait « inutile de chercher à
démontrer » que les Austro-Russes ne tenteraient pas de s'emparer de
l'ancienne Provence ; cette opération ne les mènerait « à aucun grand
résultat ». S'ils obtenaient, au contraire, des succès en Helvétie ou
sur le Rhin, ils trouveraient, en se dirigeant sur la Bourgogne et la
Franche-Comté, « une frontière extrêmement ouverte ». On peut en
conclure qu'ils porteront leur principal effort dans cette région. Inversement,
le gouvernement de la République avait tout intérêt à projeter l'invasion de
l'Allemagne qui présentait également « une frontière sans défense et qui
semblait devoir être plus facile et plus rapide qu'une opération similaire en
Lombardie où, d'ailleurs, des succès égaux offraient moins de chances de
terminer la guerre. Quand bien même l'armée d'Italie serait arrivée sur
l'Adige, les Autrichiens pourraient encore tenir sur le Rhin ; des succès
prononcés en Allemagne auraient, au contraire, une influence considérable et
une répercussion immédiate sur les opérations militaires dans le bassin du
Pô. « Je
crois plus facile, écrit Moreau, d'aller à Munich qu'à Vérone et je pense que
l'Empereur demandera plutôt la paix quand nous serons maîtres de la Bavière
que de la Cisalpine. » Toutes les considérations, tant offensives que
défensives, font donc ressortir la prédominance très marquée, et encore très
réelle de nos jours, de la frontière du nord-est sur celle des Alpes. Très
justement, Moreau termine en demandant à Bonaparte d'appeler sur l'armée du
Rhin toute la sollicitude du gouvernement, tant pour s'efforcer de pénétrer
en Allemagne que pour défendre éventuellement, avec toutes chances de succès,
« la frontière la plus exposée de la République ». Bonaparte
était d'accord avec Moreau sur ces diverses questions. « Le but de la
République, en faisant la guerre, lui écrivait-il le 30 frimaire, est
d'amener la paix. C'est sur l'armée que commande le général Moreau que repose
la principale espérance de paix de la République en ce moment[3]. » Il en
conclut, telle est du moins la version de Sainte-Hélène, « qu'il ne fallait
pas envoyer à l'armée d'Italie au-delà de ce qui était nécessaire pour la
porter à 40.000 hommes, et qu'il fallait réunir toutes les forces de la
République à portée de la frontière prédominante[4] ». Dans un Mémoire adressé à
Bonaparte le 20 frimaire an VIII (20 décembre), Moreau insiste encore sur le
rôle primordial qui incombera à l'armée du Rhin où « le sort de la République
française va être décidé ». Tous les efforts du Gouvernement doivent donc
tendre à la rendre supérieure à celle de l'ennemi, « intéressé comme
nous à faire la guerre d'invasion sur cette frontière ». Dans
cet ordre d'idées, Moreau regrette qu'on en ait distrait, pour les envoyer en
Italie, deux demi-brigades d'élite, et qu'un certain nombre de cadres sur
lesquels il comptait pour incorporer des bataillons auxiliaires aient reçu
une autre destination. Loin de récriminer d'ailleurs, Moreau conclut en ces
termes qui attestent la cordialité de ses rapports avec Bona parte : «
Personne n'étant plus à portée de juger de l'importance de l'armée du Rhin
que le Consul Bonaparte, je ne ferai aucune demande, et je puis l'assurer
qu'il doit compter sur mon zèle et mon dévouement pour tirer le meilleur
parti possible des forces qui me sont confiées ; elles sont, à la vérité,
considérables, mais la ligne sur laquelle elles doivent opérer est immense,
et la quantité de grandes forteresses qui s'y trouvent exige beaucoup de
troupes inutiles pour la guerre[5] ». Moreau
estimait alors à un mois le temps nécessaire à ses préparatifs[6], Bonaparte l'avisait, du reste,
le 30 frimaire (21 décembre),
de l'autorisation qui lui était accordée par le gouvernement de conclure un
armistice de trois mois, pourvu que l'armée d'Italie y fût comprise[7]. Le même
jour, il invitait le Ministre de la Guerre à envoyer à l'armée du Rhin Bacler
d'Albe, chef des ingénieurs géographes au Dépôt de la guerre. Sa mission
était de faire un relevé exact des troupes qui la composaient ; d'indiquer,
sur une carte, leurs emplacements détaillés ; de dresser un tableau
d'effectif, par arme et par corps, avec la mention de la position de chaque
unité ; d'établir un état de situation des places de guerre de première ligne
comprises dans l'arrondissement de l'armée, avec mention de leurs
approvisionnements de toute espèce, et un état semblable de l'artillerie de
l'armée et de ses besoins. Moreau
devait renvoyer Bacler d'Albe, le plus tôt possible, à Paris, après lui avoir
remis ses notes sur la situation militaire, le personnel et le matériel des
troupes dont il avait le commandement en chef, ainsi qu'un Mémoire « annonçant,
d'une manière positive, au Gouvernement, le plan arrêté pour le commencement
des opérations militaires, et le développement des moyens qu'il se propose
d'employer pour le mettre à exécution[8] ». Dès son
arrivée A l'armée, le 5 nivôse (26 décembre), Moreau ne tarda pas à
constater que le délai d'un mois qu'il avait demandé pour terminer ses
préparatifs, était loin de suffire, en raison de la désorganisation et du dénuement
de l'armée[9]. «
Veuillez dire au Consul Bonaparte », écrivait-il, le 10 nivôse, au Ministre
de la Guerre, « qu'il ne peut pas compter que nous entrerons en campagne
à l'époque où il le croyait ; cela est impossible. Mais dites-lui que je ne
perdrai pas de temps et que nous commencerons le plus promptement que ce sera
possible[10]. » Il
renouvelait, le surlendemain, cette déclaration à Bonaparte lui-même[11] et insistait, le même jour,
auprès du Ministre de la Guerre, pour obtenir que les troupes, le matériel et
les ressources de toute nature fussent réunis sur la partie des frontières où
l'ennemi ferait son effort et où la France aurait intérêt à produire le sien[12]. Le 11
pluviôse, le Premier Consul envoyait en Helvétie le chef de brigade Duroc,
son aide de camp, avec mission de parcourir « les différentes positions qui y
ont été attaquées et défendues pendant la dernière campagne[13] » et dans le but d'avoir
toujours auprès de lui « quelqu'un qui connaisse la nature du pays[14] ». Moreau devait remettre à
Duroc un état exact des troupes composant l'armée du Rhin et de leur
organisation actuelle, ainsi qu'une « note détaillée » exposant ses idées sur
les opérations militaires de la campagne qui allait s'ouvrir[15]. Moreau
répond à ce sujet, au Premier Consul, le 18 pluviôse (7 février). Il remettra à Duroc « quelques
notes » sur ses projets[16]. A son avis, le succès est
assuré si l'armée du Rhin parvient à entrer en campagne avant l'ennemi, mais
il ne faut pas y songer actuellement, sous peine des « plus grands
malheurs, dans l'état de misère et de détresse où elle se trouve[17] ». Quatre
jours auparavant, Moreau avait été informé de la retraite définitive de
l'armée russe[18]. La nouvelle se confirme
d'abord[19], puis est démentie : le 27
pluviôse, on parle de son retour[20]. « Tout cela, observe
justement Moreau, marche comme l'esprit de Paul Ier[21]. » Il n'en est pas inquiet,
d'ailleurs, si l'archiduc Charles conserve le commandement de l'armée
autrichienne d'Allemagne. Il sait que Souvorov et lui se détestent, se
seconderont mal et se feront probablement battre l'un après l'autre. Mais si,
comme on l'assure, l'archiduc est remplacé par Kray, placé sous les ordres
supérieurs de Souvorov, « alors il faudra batailler sévèrement ». Toutefois,
même dans cette hypothèse, Moreau espère, grâce aux secours qui lui
parviennent, réorganiser ses troupes, remonter leur moral et obtenir des
succès. Il ne redoute que l'armée autrichienne d'Italie. Si elle n'est pas
contenue dans le bassin du Pô, elle pourra déboucher, par le Gothard, sur les
derrières de l'armée du Rhin ; aussi considère-t-il comme essentiel que
Masséna prenne vigoureusement l'offensive si l'ennemi se dégarnit en
Lombardie, pour tenter de faire irruption en Helvétie[22]. Moreau
ignorait alors, très vraisemblablement, que Bonaparte se proposait
d'organiser une armée de réserve au moyen des forces disponibles à
l'intérieur du territoire, soit dans les dépôts de l'armée d'Orient, soit
dans l'ouest, depuis la pacification de l'Anjou et du Poitou[23]. Le Ministre de la Guerre avait
reçu du Premier Consul des instructions à ce sujet, dès le 5 pluviôse, avec
la recommandation de tenir « extrêmement secrète la formation de ladite armée
», même dans ses bureaux, auxquels il ne devait demander que les
renseignements « absolument nécessaires[24] ». Aucun
document ne permet d'affirmer que Bonaparte fût fixé, dès cette époque, sur
l'emploi qu'il ferait de ces forces dont il se réservait le commandement
direct[25] et dont le rassemblement allait
s'effectuer d'abord : la droite à Lyon, le centre à Dijon, la gauche à Châlons-sur-Marne,
puis dans une zone plus restreinte, autour de Dijon. Il semble pourtant que
la constitution de cette armée répondit, dans sa pensée, à la conception de
frapper un coup décisif sur l'immense théâtre d'opérations qui s'étendait
depuis Mayence, par Bâle et le Saint-Gothard, jusqu'à la Rivière de Gênes, et
qu'il se réservât de déterminer ultérieurement le moment et le lieu de son
intervention. « Une armée de 35.000 hommes, écrivit-il plus tard, fut
réunie sur la Saône pour se porter au soutien de l'armée d'Allemagne, si cela
devenait nécessaire, déboucher par la Suisse sur le Pô, et prendre l'armée
autrichienne à revers...[26] » C'est
ce dernier projet qui paraissait prévaloir dans l'esprit du Premier Consul, vers
la fin de pluviôse. Le fait résulte d'une Note sur la campagne prochaine
datée du 29 pluviôse (18 février), non signée, il est vrai, mais probablement écrite
sous l'inspiration, sinon sous la dictée de Bonaparte[27]. D'après ce document, les
forces de la République seront réparties ainsi qu'il suit :
L'armée
du Rhin, réunie tout entière entre Neuf-Brisach et Schaffouse[28], devra commencer son mouvement
dans le courant de mars et se porter sur Stockach et Ulm. Après
avoir examiné ce que pourra faire l'ennemi dans différentes éventualités,
l'auteur de la Note conclut : « Il
faudrait qu'au commencement d'avril, au moins 40.000 hommes de l'armée de
réserve fussent prêts à marcher et rendus dans le courant d'avril en Suisse.
Cette réserve joindrait le gros détachement qui aurait été laissé par l'armée
du Rhin et se présenterait par Bellinzone, droit à Milan, dans le courant de
mai ». Il ne
s'agit donc pas explicitement de renforcer l'armée du Rhin au moyen de
l'armée de réserve[29]. L'idée qui semble prévaloir
dans l'esprit du Premier Consul, est d'employer celle-ci à produire un effort
décisif en Lombardie, sans toutefois qu'elle ait pris encore une forme
précise en ce qui concerne le point de passage des Alpes. Le 29
pluviôse, il dicte une « Note pour l'approvisionnement de la Réserve » qu'il
désire réunir à Zürich et qu'il projette d'acheminer en Italie, par Coire et
le col du Splügen[30]. Mais, d'autre part, il charge
son aide de camp, Le Marois, de reconnaître le passage du Saint-Gothard[31] et, le 14 ventôse, il écrit à
Masséna de recommander au chef de la garnison de Gavi de ne pas se décourager
: « Dans tous les cas, nous le dégagerons, fût-ce même par Trente[32] ». Enfin, le sous-lieutenant
Tourné, aide de camp de Clarke, est envoyé dans le Valais, au commencement de
ventôse, pour compléter les renseignements que l'on possédait déjà, au Dépôt
de la guerre, sur la liante vallée du Rhône et les passages du Saint-Bernard
et du Simplon[33]. Mais, quelque fût le coi dont
il ferait choix, Bonaparte considérait comme une nécessité primordiale de
subordonner, au début de la campagne, son mouvement à celui de l'armée du
Rhin en Bavière. « Nous
n'avons pas besoin, a-t-il écrit à Sainte-Hélène, de réfuter l'assertion que
le Premier Consul voulait déboucher des montagnes de la Suisse en Italie,
sans prendre l'offensive sur le Rhin ; cela est trop absurde. Bien loin de
là, il ne croyait pas que la diversion par le Saint-Gothard fût possible si,
au préalable, on n'avait battu et rejeté l'armée autrichienne au-delà de Lech
; car l'opération de l'armée de réserve eût été une insigne folie si, au
moment où elle fut arrivée sur le Pô, l'armée autrichienne d'Allemagne eut
pris l'offensive et battu l'armée française. S'il eût voulu, à toute force cl
conduit par la passion, prendre d'abord l'Italie, qui l'eût empêché de
laisser l'armée d'Helvétie dans la situation où elle se trouvait, en janvier
1800, et d'envoyer les 40.000 hommes dont il la renforçait à Gênes, ce qui
aurait permis à Masséna de s'avancer sur le Pô. Napoléon savait bien que
l'Italie n'était pas la conséquence d'une victoire en Allemagne, que c'était
le corollaire du succès obtenu sur la frontière prédominante[34]. » Or, le
10 ventôse (1er mars),
Moreau, malgré les demandes réitérées du Premier Consul, ne lui avait pas
encore envoyé son plan. Il n'aurait, disait-il, « d'opinion bien prononcée
sur les premières opérations de la campagne qu'au moment mémo d'agir » ; elle
était subordonnée à la position qu'occuperait alors l'armée ennemie[35]. Bonaparte
chargea alors le Ministre de la Guerre d'envoyer, par un courrier
extraordinaire, les instructions suivantes à Moreau[36] : L'armée
du Rhin sera divisée en quatre corps[37] : le quatrième, portant le nom
de corps de réserve, sera commandé par Lecourbe et destiné à servir de
réserve aux trois autres, à garder la Suisse et à combiner ses opérations
avec celles de l'armée d'Italie[38]. Moreau concentrera, le plus
tôt possible, toutes ses forces, avant le 1er germinal (22 mars), entre Bâle et Constance ; la
gauche pourra s'étendre jusqu'à Strasbourg pour la facilité des subsistances.
Il fera jeter, dans le plus bref délai, un pont sur l'Aar, de façon à rendre
extrêmement rapides les mouvements de Bâle à Constance. Il rassemblera « tout
ce qui est nécessaire pour pouvoir jeter trois ponts dont l'étendue sera
calculée sur la largeur du Rhin, entre Schaffouse et Constance ». Il enverra
« en toute diligence » à Paris, Dessolle, son chef d'état-major, ou, s'il ne
peut se passer de ses services, le général Lecourbe, accompagné d'un des
adjudants généraux de Dessolle. Le délégué dont Moreau aura fait choix «
rapportera, à son retour, le plan des premières opérations de la campagne,
combiné avec celui des autres armées[39] ». La
conception de Bonaparte consistait donc à grouper toutes les forces entre Bâle
et Constance, et à déboucher en masse sur la rive droite du Rhin, au nord de
Schaffouse, en surprenant l'armée autrichienne disséminée de Mayence à Coire. Convaincu,
à juste titre, de la nécessité de battre et de rejeter l'armée autrichienne
d'Allemagne au-delà du Lech avant d'entreprendre le passage des Alpes,
Bonaparte songea à se rendre, vers le 10 germinal, à l'armée du Rhin, à la
renforcer de l'armée de réserve et à prendre le commandement de toutes les
forces ainsi réunies[40]. « Il n'est pas impossible,
écrivait-il à Moreau, le 10 ventôse, si les affaires continuent à bien
marcher ici, que je ne sois des vôtres pour quelques jours[41]. » Si
vaguement ébauché que parût encore ce projet, la nouvelle qu'en reçut Moreau,
le 15 ventôse, suffit à le déterminer à un parti extrême. Disgracié par le
Directoire, il avait pu consentir, l'année précédente, à servir sous les
ordres de Schérer, mais il n'entendait plus se contenter d'un rôle subalterne
qui lui paraissait d'autant plus immérité qu'il jugeait considérables les
services qu'il avait rendus à Bonaparte le 18 brumaire. Admettant déjà comme
certaine l'arrivée du Premier Consul, ou voulant la prévenir, il lui fit
connaître qu'il se retirerait[42]. « Ne
prévoyant pas que vous viendriez prendre le commandement de l'armée, je
l'avais placée autrement que me le prescrit le Ministre de la Guerre, mais on
va mettre la plus grande célérité à la rassembler aux points qu'il indique,
et, en vous la remettant, j'aurai l'avantage de vous laisser une armée pleine
de bonne volonté, et qui, dirigée par vous, ne peut manquer d'obtenir les
succès les plus brillants[43]. » Moreau s'empressa d'ailleurs
d'expédier des instructions relatives à la nouvelle organisation de l'armée
telle que l'avait prescrite le Premier Consul. Il ordonna, en outre, la
concentration de trois corps : aile droite, centre et réserve, entre Bâle et
Constance et au sud en Helvétie, le quatrième venant se rassembler entre Bâle
et Brisach[44]. Mayence, Strasbourg et toutes
les places de première ligne ne devaient conserver pour toute garnison,
suivant les instructions du Premier Consul, que les dépôts des demi-brigades
et des régiments de cavalerie[45], mais Moreau prit sur lui d'y
laisser quelques troupes en plus[46]. Rendant
compte à Bonaparte, le 21 ventôse, du commencement d'exécution des mouvements
de concentration de l'armée sur sa droite, Moreau appelait son attention sur
la nécessité d'ouvrir les opérations dès qu'ils seraient terminés,
c'est-à-dire vers le 1er germinal. Il invoquait, à cet effet, deux arguments
: d'une part, les difficultés de l'alimentation dans une zone aussi
restreinte ; d'autre part, le défaut de protection du bas Rhin où l'ennemi
pourrait faire « quelque entreprise ». Si donc l'armée française n'était pas
prête à agir très peu de jours après l'achèvement de la concentration, Moreau
jugeait essentiel de surseoir à son exécution[47]. De fait, le 24 ventôse,
influence peut-être par Lecourbe qui se montrait très inquiet au sujet des
subsistances, Moreau prit, de sa propre initiative, cette détermination, et
prescrivit d'arrêter provisoirement, pendant cinq jours, toutes les troupes
sur les points où elles se trouvaient à cette date[48]. L'opération
fut remise au 6 germinal[49]. Le mouvement avait été
suspendu en temps utile pour ne point donner d'inquiétude sérieuse pour les
approvisionnements, mais les diverses unités furent « amoncelées » et se
trouvèrent dans un désordre qui, suivant l'expression de Moreau, « ne
ressemblait pas mal à l'incertitude de l'armée russe en Bohème[50] ». Quelques jours
suffirent toutefois pour remédiera cet état de choses, quand le Premier
Consul eut autorisé Moreau à ajourner sine die l'exécution de la
concentration générale entre Strasbourg, Bâle et Constance[51] Si,
comme tout permet de le supposer, Moreau fut mécontent d'apprendre l'arrivée
prochaine du Premier Consul, il n'en laissa rien paraître dans sa
correspondance, à part la détermination de ne pas servir sous ses ordres. «
Recevez mou compliment, lui écrivait-il, sur la promptitude avec laquelle
vous avez fini la guerre des Chouans...[52] » « Vous pouvez compter sur
tous mes efforts pour rassembler tous les moyens qui vous seront nécessaires[53]. » Et, en agissant ainsi, en ne
se bornant pas à de vaincs affirmations, Moreau avait d'autant plus de mérite
qu'il désapprouvait les dispositions que lui avait prescrites le Ministre de
la Guerre, au nom du Premier Consul. Il n'en avait ordonné l'exécution que
parce qu'il croyait à la prochaine arrivée de Bonaparte[54]. « Ne
me regardant plus comme destiné à commander l'armée, lui déclarait-il, j'ai
dû exécuter à la rigueur l'organisation et le placement que me prescrivait le
Ministre de la Guerre ; mais si vous ne m'eussiez pas annonce votre arrivée,
et qu'on ne m'eut pas parlé d'un autre successeur, alors je me serais bien
donné de garde de déférer aux ordres du Ministre de la Guerre, car je ne vous
dissimule pas que je ne ferai jamais marcher à l'ennemi, comme général en
chef, qu'une armée que j'aurai organisée moi-même et que je ferai mouvoir
d'après ma méthode de faire la guerre, parce que je crois qu'on n'exécute
bien que ses idées[55]. » Bien
renseigné sur la force et les emplacements de l'armée ennemie[56], Moreau fait connaître pour la première
fois ses projets au Premier Consul, par une longue lettre datée du 24 ventôse
(15
mars). Il
reconnaît qu'il est impossible déjuger la situation en Italie mieux que ne
l'a fait Bonaparte ; il considère le succès définitif comme assuré sur ce
théâtre d'opérations, car l'armée de réserve permettra de réparer un revers
avant que l'ennemi ait eu le temps d'en profiter. La perte même de Gènes
n'aurait qu'une importance secondaire. « Je
suis fâché, ajoute-t-il, de n'être pas de votre avis sur la guerre
d'Allemagne. Ce théâtre-ci diffère entièrement de l'Italie, pays extrêmement
resserré où l'on peut et où l'on doit être toujours très rassemblé, les
diversions ne pouvant jamais y avoir qu'un effet de vingt-quatre heures[57]. » La
distinction qu'établit Moreau entre les deux régions ne semble pas justifiée.
Si resserré qu'il affecte de considérer le théâtre d'opérations du nord de
l'Italie, il est manifeste que des diversions exécutées, par exemple, de la
Stradella sur Vérone ou de Gènes sur Mantoue, ont une ampleur supérieure à
une journée de marche. Au surplus, Bonaparte avait montré, dans sa campagne
de 1796, à Castiglione, à Arcole, à Rivoli notamment, le parti qu'un général habile
peut tirer d'une diversion de faible envergure en rappelant un détachement
sur le champ de bataille et en le faisant concourir à l'action générale,
tandis que l'adversaire n'a pas su prendre la même mesure en temps utile[58]. «
Considérez, écrit Moreau, notre ligne d'opérations depuis Constance jusqu'à
Mayence. Nos forces étant à celles de l'ennemi dans la proportion de 100.000
à 80.000 hommes, cette supériorité est peu sensible si on ne l'oblige pas à
faire des détachements » qui donneront, en dernière analyse, à l'armée
du Rhin, un grand avantage numérique sur le corps qu'elle se proposera
d'attaquer, quand bien même elle aurait été contrainte à ne pas tenir ses
forces réunies. « La
démonstration, dit-il, sera peut-être plus précise. » En maintenant à Mayence
un corps de 20.000 hommes qui menacera les derrières et les magasins de
l'ennemi, il compte obliger Kray à lui opposer sur ce point des forces égales
et probablement supérieures. Il est convaincu d'autre part, qu'en faisant
déboucher des détachements par Kehl et Brisach, il forcera les Autrichiens à
placer dans les vallées de la Kinzig et d'Enfer des troupes d'effectif au
moins équivalent, c'est-à-dire une vingtaine de mille hommes. Dès
lors, l'adversaire ne disposera plus, au nord de Schaffouse, vers Tüttlingen
et Donaueschingen, que de 40.000 hommes qu'il attaquera avec 60.000, « proportion
sans contredit plus avantageuse que celle de 100.000 à 80.000 hommes ; un
troisième détachement de 20.000 hommes nous mettrait en force double[59]. » Le raisonnement
de Moreau, exact en théorie en ce qui concerne les effectifs en présence,
peut soulever une série d'objections. D'abord il n'est nullement prouvé que
l'ennemi agisse comme il le pense et qu'il oppose aux détachements français
des corps numériquement égaux. Un général habile s'efforcera, au contraire,
de contenir ces détachements avec des forces plus faibles et strictement
suffisantes pour les empêcher de participer à la bataille générale. La vallée
de la Kinzig et le val d'Enfer se prêteraient fort bien à des combinaisons de
ce genre et, en ce qui concerne le corps de Mayence, son éloignement du général
en chef rend très improbable sa coopération ultérieure, même si l'adversaire,
bien avisé, ne lui opposait que quelques escadrons destinés à l'observer et à
l'inquiéter. Que
devient, dans ces conditions, la proportion de GO.000 contre 40.000 hommes
que Moreau espère réaliser au nord de Schaffouse ? Ne risque-t-il pas d'avoir
A lutter avec 00.000 hommes contre 80.000 ? On ne saurait objecter qu'il
rappellera ses détachements, au moins ceux de la Kinzig et du Val d'Enfer. En
raison du coude que le Rhin forme à Bâle et du massif isolant constitué par
la Forêt-Noire, l'ennemi tient la corde de l'arc que les troupes françaises
auront à parcourir ; il a donc toute latitude pour grouper toutes ses forces
le premier. Au
débouché par l'Helvétie, préconisé par Bonaparte, Moreau voit un autre
inconvénient, celui « de forcer à laisser des garnisons à Mayence et à Cassel,
à Landau, Kehl et Vieux-Brisach qui ne se trouvent plus couverts par le
mouvement ». Cette objection était sans valeur aux yeux du Premier Consul qui
avait recommandé de ne maintenir dans ces places que des dépôts suffisant a
les garantir d'un coup de main. Le temps nécessaire pour les emporter par un
siège en règle était d'ailleurs beaucoup trop considérable pour que
l'influence décisive d'une bataille générale ne fût pas intervenue
auparavant. Battus eu rase campagne, les Autrichiens abandonneront d'eux-mêmes
leur entreprise. S'ils sont vainqueurs, la résistance plus longue de quelques
forteresses ne préservera pas le pays de l'invasion, et les garnisons qui les
défendent auraient changé peut-être le sort de la bataille, si elles y
avaient été présentes. Moreau
estime que l'armée franchissant tout entière le Rhin, entre Schaffouse et
Constance, comme le désire Bonaparte, débouchera « trop amoncelée par
deux ou trois gorges très resserrées ; vous conviendrez, dit-il au Premier
Consul, qu'on ne pourrait y rendre bien mobile une force aussi considérable ;
l'ennemi, parfaitement placé, s'apercevrait peu de son infériorité[60]. » L'examen d'une carte montre
que cette appréciation du terrain dans la région Engen, Stockach, Thengen,
Schaffouse était empreinte d'un certain pessimisme et que la crainte de ne
pas pouvoir utiliser toutes ses forces semblait peu justifiée. La
concentration entre Bâle et Constance, recommandée par Bonaparte, présente,
d'après Moreau, de graves inconvénients au point de vue des subsistances. Les
approvisionnements seront promptement épuisés et il sera bien difficile d'en
assurer le renouvellement, faute de moyens de transport et de ressources, l'Helvétie
étant absolument ruinée[61]. « De l'autre manière, dit-il,
vous tirerez de Strasbourg et de Brisach même, pour faire subsister toute
l'armée, dès que la vallée de la Kinzig et le Val d'Enfer seront libres. » Cet
argument, qu'approuvait Lecourbe[62], ne manquait pas de valeur,
mais, ou bien il était prépondérant et, dans ce cas, tous les autres, d'ordre
stratégique, étaient inutiles ; ou bien il était secondaire et (levait
s'effacer devant ceux-ci. En
débouchant par Mayence, ajoute Moreau, on a encore l'avantage de dissiper
tous les rassemblements de milices qui se forment entre le Mein et le Danube
; d'imposer de fortes contributions ; d'avoir un corps dont l'entretien ne
coûterait rien à la République[63] ; « de dégager les fonds
numéraires de presque toutes les places de commerce de nos frontières et de
l'Helvétie qui sont à Francfort, nos ennemis ne les laissant j oint passer
et, sans eux, il est impossible de réaliser les traites dont nous sommes
inondés. » C'étaient là des avantages très réels, sans doute, mais il est
permis de douter qu'ils fussent de nature à compenser les inconvénients d'un
détachement à si grande envergure. Moreau
se montrait inquiet à la pensée de franchir le Rhin sur trois ponts jetés
entre Schaffouse et Constance ; il jugeait « dangereux d'aborder l'ennemi
sans manœuvrer à l'appui de nos excellentes têtes de ponts » de Mayence, de
Kehl, de Brisach et de Bâle. Il désapprouvait la concentration générale des
forces avant le débouché, estimant qu'elle divulguerait ses projets à
l'adversaire, tandis que son intention était de le tromper sur le véritable
point d'attaque. « Chacun, écrivait-il, serait parti de son cantonnement et
eût marché isolément jusqu'au point où j'étais sûr de trouver l'ennemi que
l'on eût attaqué le lendemain de l'arrivée de l'armée[64]. » Cette conception reposait
sur bi passivité absolue des Autrichiens et n'envisageait pas l'hypothèse où
ils prendraient eux-mêmes l'offensive pour battre en détail les diverses
colonnes françaises avant leur réunion. N'était-il pas préférable, comme le
conseillait Bonaparte, de rassembler d'abord tous ses moyens et de n'aborder
l'ennemi qu'avec leur entière possession ? La concentration entre Bâle et
Constance pouvait au surplus être dissimulée à l'adversaire, car, suivant
l'opinion de Napoléon à Sainte-Hélène, « il ne fut jamais un meilleur rideau
qu'une rivière aussi large que le Rhin pour masquer ses mouvements ; le
succès était infaillible[65]. » Poussant
jusqu'à ses plus extrêmes limites le principe de l'économie des forces,
Bonaparte voulait concentrer toutes les troupes de l'armée du Rhin, sans
exception, entre Schaffouse et Constance. Son intention était de ne laisser,
depuis Mayence jusqu'à Bâle, que quelques bataillons de dépôt dans les places
fortes. Sans doute, cette partie de la frontière était couverte indirectement
par le rassemblement même de l'armée, en ce sens qu'une offensive autrichienne
vers le Rhin moyen eût été prise immédiatement, en flanc et à revers, par les
corps français débouchant par Schaffouse Mais la
protection de la frontière n'était, en réalité, qu'une question secondaire.
Si dérobée que fût la marche de l'armée le long du fleuve pour se concentrer
entre Bâle et Constance, elle pouvait être connue, partiellement du moins, de
l'adversaire. Comme il était essentiel, pour le succès de la manœuvre, que
les Autrichiens ne fissent pas un mouvement similaire et restassent
disséminés sur une longue ligne, de Mayence à Coire, il y avait lieu, semble-t-il,
de leur opposer, entre Mannheim et Fribourg, une série de colonnes peu
nombreuses, mais très mobiles, capables de leur donner l'illusion de masses
considérables et de les immobiliser en masquant le déploiement de l'armée
française sur sa droite. Il y avait donc, peut-être, dans la conception de
Bonaparte, une exagération du principe de l'économie des forces, en même
temps qu'une confiance trop grande dans une manœuvre en présence d'un
adversaire qui n'avait pas été fixé au préalable. En
réalité, Bonaparte et Moreau n'étaient guère d'accord que sur un point : la
nécessité d'obtenir des avantages importants, sinon décisifs, sur l'armée
autrichienne d'Allemagne, et de la rejeter sur la rive droite du Lech avant
de faire déboucher l'armée de réserve en Lombardie[66]. Toutefois,
cette condition remplie. Moreau distinguait encore deux cas, suivant que
Masséna aurait été forcé ou non d'évacuer Gênes. Dans la première hypothèse,
écrivait-il à Bonaparte, « réuni sur les Hautes-Alpes avec votre réserve,
vous descendrez en Italie, par le Mont-Cenis et la vallée du Rhône, avec au moins
50.000 hommes. » Ce mouvement ne pouvant commencer que vers floréal, Moreau
espérait être arrivé sur le Lech a cette époque et pouvoir envoyer dans le
bassin du Pô un corps de 30.000 hommes, soit par le Vorarlberg, soit par
Innsbrück et Trente. Dans la
seconde éventualité au contraire, qu'il considérait comme probable, la
manœuvre devenait plus brillante. La plus grande partie de l'armée de réserve
suivrait d'abord l'armée du Rhin, participerait à ses opérations et serait
renforcée par celle-ci, après des succès notables, jusqu'à l'effectif de 50.000
hommes. Puis elle ferait elle-même le mouvement par le Tyrol, « soutenue par
des détachements qui, menaçant de descendre par les Alpes rhétiennes,
mettraient l'ennemi dans la nécessité d'évacuer l'Italie, en jetant, à la
hâte, des garnisons dans toutes les places, ou d'y êtr3 entièrement détruit
». Moreau
subordonne donc la manœuvre de l'armée de réserve sur les communications de
l'armée autrichienne d'Italie, à la résistance de Masséna dans la Rivière de
Gènes. Sans conteste, la présence de cette sorte d'avant-garde à grande
distance, immobilisant Mêlas, rendait, en effet, l'opération « plus
brillante ». Mais elle ne constituait pas une condition nécessaire à son
exécution, et la chute de Gènes ne semblait pas devoir entraîner le débouché
de l'armée de réserve par le Mont-Cenis, c'est-à-dire l'abandon de la
manœuvre sur les derrières de l'armée autrichienne. Tandis
que Moreau exposait ainsi ses idées sur la prochaine campagne, Dessolle,
arrivé à Paris le 22 ventôse, s'en entretenait verbalement avec Bonaparte. A
la première audience, le Premier Consul l'interrogea sur la situation
générale de l'armée du Rhin. Dessolle, dans ses réponses, trouva l'occasion
de présenter les observations dont l'avait chargé Moreau au sujet de la
concentration préalable prescrite par la lettre du Ministre de la Guerre du
10 ventôse. Il fit
observer que le projet de Moreau était entièrement conforme à celui de
Bonaparte, « quant au but qu'il s'agissait d'atteindre[67] », mais que, dans les
moyens, Moreau profitait au moins de l'avantage des ponts qui étaient déjà en
sa possession pour franchir le Rhin et éviter la nécessité d'un passage de
vive force. Il lui semblait, au contraire, ajouta Dessolle, qu'au lieu de
tirer parti de cet avantage, on y renonçât sans éviter aucune difficulté,
mais, en réalité, pour les réunir toutes vers Schaffouse, et y rendre
nécessaire un plus violent effort qui pourrait être infructueux et entraîner
peut-être des conséquences fâcheuses. N'était-il
pas préférable de menacer l'ennemi sur plusieurs points à la fois, et de le
tenir ainsi dans une grande incertitude sur la région où s'effectuerait la principale
attaque, et où l'on éviterait d'ailleurs la moindre démonstration ? Do la
sorte, les Autrichiens resteraient dans une ignorance complète A cet égard
jusqu'au moment de l'arrivée de Saint-Cyr à Saint-Blaise, et des préparatifs
de Lecourbe en face de Schaffouse. Mais alors, il serait trop tard pour
rappeler leur droite et mémo les troupes qu'ils auraient engagées dans la
vallée de la Kinzig. Moreau
ne craignait pas, d'ailleurs, selon Dessolle, de porter l'armée entière sur
la rive droite du Rhin, « quoiqu’en colonnes séparées », en raison des
dispositions de l'ennemi « qui paraissait sur la défensive », dont
toutes les réserves étaient établies vers Donaueschingen, et dont quelques
corps seulement, numériquement inférieurs, du reste, à ceux qu'on allait leur
opposer, se trouvaient placés aux débouchés occidentaux de la Forêt-Noire.
Leur rôle était moins de combattre, affirmait-il, que d'avertir le général
autrichien des attaques plus ou moins sérieuses de l'armée française sur la
rive droite du fleuve. Ainsi, conclut Dessolle, « Moreau se donnait les
moyens d'aborder l'armée ennemie sur Stockach, avec une supériorité notable,
garantie d'un beau succès ». En
terminant, Dessolle déclara « que si l'exécution du plan envoyé (le 10 ventôse) était définitivement arrêtée,
Moreau priait le Premier Consul de nommer un nouveau général au commandement
de l'armée, lui ne voulant, en aucune manière, prendre sur sa responsabilité
l'issue d'une opération qui, A ses yeux, paraissait douteuse pour un succès
et susceptible de devenir funeste dans le cas d'un revers...[68] » Bonaparte
parut très surpris de cette offre de démission qu'il n'accepta point. Bien
qu'il ne fût pas habitué à rencontrer une opposition sérieuse à ses projets,
il fit un grand effort sur lui-même, restant fidèle ainsi à la politique
conciliante qu'il suivait depuis le Dix-huit brumaire. Il
entama avec Dessolle une discussion qui dura trois jours consécutifs, dans le
but de le convaincre de la supériorité de son plan sur celui de Moreau. On
peut, dans une certaine mesure, connaître ses arguments par les observations
dictées, à ce sujet, à Sainte-Hélène. La conception de Moreau n'admettait
rien moins que l'immobilité absolue des Autrichiens[69] ; le débouché par Mayence,
Kehl, Brisach, « suivant la routine des campagnes de 1796 et 1797[70] », conduisait
nécessairement à la dispersion des forces, sans que l'on fût assuré que
l'ennemi modèlerait ses actes sur ceux de l'armée française ; « la marche de
trente lieues, depuis Vieux-Brisach à Bâle et Schaffouse, par la rive droite
du Rhin... dans un cul-de-sac, au milieu des ravins, des forêts et des
défilés... le flanc droit au Rhin, et le flanc gauche à l'ennemi[71] » présentait de graves dangers,
en présence d'un adversaire que l'on n'avait ni droit, ni raison de supposer
passif ; enfin, le général autrichien serait « ainsi prévenu où voulait aller
son ennemi[72] » et aurait le temps de réunir
à Donaueschingen les troupes de son aile droite et celles de la vallée de la
Kinzig et du Val d'Enfer. Le
Premier Consul tenta ensuite, vraisemblablement, de démontrer à Dessolle que
son plan n'avait aucun des inconvénients précédents. Ainsi qu'il l'a écrit à
Sainte-Hélène, il était possible de dérober à l'ennemi les marches de
concentration dans la région Bâle, Schaffouse, Constance, « en interdisant
toute communication de la rive gauche a la rive droite du Rhin[73] » ; de déboucher en masse, par
surprise, sur Stockach et Engen, « de manière à se mettre en bataille,
la gauche au Rhin et la droite au Danube[74] ». Il fit
encore entrevoir, sans doute, a Dessolle, « les grands résultats[75] » de cette manœuvre : prendre à
revers toutes les divisions autrichiennes échelonnées depuis Mayence jusqu'à Fribourg[76] ; « acculer le général Kray
dans les défilés de la Forêt-Noire et dans la vallée du Rhin ; saisir tous
ses magasins ; empêcher toutes ses divisions de se rallier ; arriver avant
lui sur Ulm ; lui couper la retraite sur l'Inn et ne laisser a ses débris,
pour tout refuse, que la Bohême[77] ». La campagne, a affirmé plus
lard Napoléon, eût été décidée dans les quinze premiers jours[78]. Dessolle,
esprit fin, cultivé et pénétrant[79], digne de servir de lien entre
ces deux hommes, comprit parfaitement les idées du Premier Consul et se
rendit compte de la supériorité de son plan sur les projets de Moreau. Il
n'en persista pas moins à engager Bonaparte à les adopter, parce qu'il
n'était pas autorisé p.ir son chef à céder sur un point quelconque[80], et qu'il fallait, à son avis,
laissera un général chargé d'une opération de guerre la latitude de
l'exécuter suivant ses conceptions. Il reconnut que le plan du Premier Consul
était plus grand, plus décisif, probablement même plus sûr ; mais il ne le trouvait
pas adapté au caractère du commandant de l'armée du Rhin. « Vous
avez, dit-il à Bonaparte, une manière de faire la guerre qui est supérieure à
toutes ; Moreau a la sienne qui est inférieure, sans doute, à la vôtre, mais
excellente néanmoins. Laissez-le agir ; il agira bien, lentement peut-être,
mais sûrement, et il vous procurera autant do résultats qu'il vous en faut
pour le succès de vos combinaisons générales. Si, au contraire, vous lui
imposez vos idées, vous le troublerez, vous le blesserez même, et vous
n'obtiendrez rien de lui pour avoir voulu trop obtenir. » Le
Premier Consul parut se rendre à ces arguments. Il connaissait assez Moreau
pour être assuré qu'à défaut de succès éclatants, celui-ci saurait, par ses
talents et sa prudence, empêcher ou, tout au moins, limiter un revers. « Vous
avez raison, dit-il à Dessolle ; Moreau n'est pas capable de saisir et
d'exécuter le plan que j'ai conçu. Qu'il fasse donc comme il voudra, pourvu
qu'il jette le maréchal de Kray sur Ulm et Ratisbonne, et qu'ensuite il
renvoie à temps son aile droite sur la Suisse. Le plan qu'il ne comprend pas,
qu'il n'ose pas exécuter, je vais l'exécuter, moi, sur une autre partie du
théâtre de la guerre. Ce qu'il n'ose pas faire sur le Rhin, je vais le faire
sur les Alpes. Il pourra regretter, dans quelque temps, la gloire qu'il
m'abandonne[81]. » Le
Premier Consul, si l'on en croit ses Mémoires, fit connaître alors au
Ministre de la Guerre « qu'il serait impossible d'obliger un général en chef
à exécuter un plan qu'il n'entendait pas ; qu'il fallait donc lui laisser
diriger ses colonnes à sa volonté...[82] » Mais
avant de prendre définitivement ces résolutions, le Premier Consul subit une
crise d'hésitations. Très contrarié des résistances de Moreau[83], et inquiet, peut-être, de la
tournure que pourraient prendre les opérations sur la frontière prédominante,
il revint à son projet d'assumer lui-même le commandement des armées du Rhin
et de réserve réunies[84], afin de réaliser le plan qu'il
avait conçu. Peut-être des considérations d'ordre politique l'y
engageaient-elles également[85], « mais l'agitation intérieure
de la République s'opposa à ce qu'il quittât sa capitale et s'en éloignât
pour autant de temps[86] ». Cette
version, que donnent ses Mémoires, ne semble pas être la vraie, car Bonaparte
n'eut aucune hésitation, peu après, à quitter Paris pour se mettre a la tête
de l'armée de réserve. En réalité, il savait déjà que Moreau refuserait
d'être son subordonné. En outre, s'il faut en croire Thibaudeau, Dessolle
aurait représenté au Premier Consul que Moreau, après avoir fait une retraite
pénible en Italie, avait besoin de succès pour rétablir sa réputation
militaire. « Le rôle qu'on lui réservait le portait à craindre qu'on ne lui
imputât les revers, s'il en survenait, et qu'on n'attribuât au Premier Consul
l'honneur des victoires[87]. » Une pouvait donc
accepter, pour ces motifs, d'être le lieutenant de Bonaparte. Celui-ci,
voulant éviter une démission bruyante de Moreau, suivie sans doute d'une
rupture, à une époque où il fallait ne point se créer une hostilité aussi
dangereuse, consentit à céder et renonça définitivement à se rendre sur le
Rhin[88]. C'est
donc à cette époque, semble-t-il, c'est-à-dire vers le 25 ventôse (10 mars) que, suivant Gouvion Saint-Cyr,
la connaissance du plan d'opérations de Moreau et son refus de le modifier
déterminèrent Bonaparte à employer l'armée de réserve, non plus a renforcer
celle du Rhin, mais à produire un effort décisif en Italie[89]. Dès le
29, le Premier Consul n'en fait plus mystère. Talleyrand en a connaissance et
divulgue même à l'ambassadeur de Prusse à Paris, Sandoz-Rollin, que le projet
de Bonaparte est d'amener l'armée de réserve à Milan par le pays de Vaud, le
Valais et le Saint-Gothard, avant que les Autrichiens, occupés dans la
Rivière de Gênes, aient eu le temps de rétrograder. Us se trouveront ainsi «
coupés sur leurs derrières[90] ». Mais,
tout en prenant ce parti, le Premier Consul s'efforça do faire disparaître
dans l'esprit de Moreau toute trace du dissentiment qui s'était produit. Il
lui fit dire par Dessolle, que personne ne s'intéressait plus que lui à sa « gloire
personnelle » et à son « bonheur ». Il lui écrivit qu'il enviait son « heureux
sort » et que sa confiance en lui était « entière sous tous les rapports[91] ». La réconciliation fut
d'ailleurs facile. De son côté, Moreau ne permettait pas, en effet, que l'on mit en doute la cordialité de ses rapports avec Bonaparte. Un certain général Sauriac, racontant partout qu'il avait été envoyé sur le Rhin pour être le conseil intime du général et faisant « un tas de bavardages aussi ridicules », ne fut l'objet d'aucune mesure de rigueur tant qu'il s'en tint là. Mais comme il affirma ensuite que Moreau était « mal avec le Premier Consul » et qu'il existait « deux partis dans l'armée », le général en chef le renvoya sur-le-champ à Paris et en avisa le Ministre de la Guerre, en l'assurant qu'il n'y avait « d'autre parti que celui de la République[92] ». |
[1]
Correspondance de Napoléon, n° 4413.
[2]
Cette lettre autographe est sans date ; elle porte comme en-tête : « Au
quartier général, frimaire an VIII de la République. » (A. H. G.)
[3]
Correspondance de Napoléon, n° 4432.
A Sainte-Hélène, Napoléon considérant, comme Moreau, la
frontière d'Allemagne comme « prédominante » et la frontière d'Italie comme «
secondaire », a repris, sous une forme un peu différente, mais dans le même
esprit, les idées de Moreau. (Mémoires de Napoléon (MONTHOLON), I, 43.)
[4]
Mémoires de Napoléon, loc. cit., 44. — Bonaparte avait oublié ces
considérations stratégiques quand, d'après Mme de Rémusat, il lui disait, le 17
février 1804 : « Moi, jaloux de Moreau ! Eh bon Dieu ! i ! mu doit la plus
grande partie de sa gloire ; c'est moi qui lui laissai une belle armée et qui
ne gardai en Italie que des recrues... » (Mme DE RÉMUSAT, Mémoires, I, 301.)
[5]
A. H. G.
[6]
Correspondance de Napoléon, n° 4432.
[7]
Correspondance de Napoléon, n° 4432.
[8]
Correspondance de Napoléon, n° 4433.
[9]
Cf. chapitre IV.
[10]
Moreau an Ministre de la Guerre, Zürich, 10 nivôse (A. H. G.).
[11]
Moreau à Bonaparte, Zürich, 12 nivôse (A. H. G.).
[12]
Moreau au Ministre de la Guerre, Zürich, 12 nivôse (A. H. G.).
[13]
Il s'agit des positions « en avant et en arrière de Zürich ». Le Premier Consul
au chef de brigade Duroc, Paris, 11 pluviôse, Correspondance inédite de
Napoléon.
[14]
Correspondance de Napoléon, n° 4557.
[15]
Correspondance de Napoléon, n° 4557.
[16]
Ces notes n'ont pas été retrouvées.
[17]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 18 pluviôse (A. H. G.)
[18]
« Les premiers rapports, écrit-il, m'en sont venus il y a quatre jours. »
(Moreau à Bonaparte, Bâle, 19 pluviôse, A. H. G.). Ces rapports avaient été
expédiés de Ratisbonne le 6 pluviôse.
[19]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 10 pluviôse (A. H. G.).
[20]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 27 pluviôse (A. H. G.).
[21]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 27 pluviôse (A. H. G.).
En réalité, l'armée russe avait reçu l'ordre do te
retirer définitivement le 18 janvier 1800 (HÜFFER, Quellen zur Geschichte des
Zeitalters der französischen Revolution, Ve partie, I, 520, Bellegarde à
Thugut, Prague, 18 janvier 1800). — Le départ des premières colonnes fut fixé
au 26 janvier suivant (Bellegarde à Thugut, Prague, 21 janvier, Ibid.)
[22]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 18 pluviôse (A. H. G.)
[23]
Les royalistes de l'Anjou et du Poitou avaient accepté la paix les 27 et 28
nivôse (17 et 18 janvier 1800).
[24]
Correspondance de Napoléon, n° 4552.
[25]
La Constitution de l'an VIII ne lui conférait pas le commandement de l'armée
qui fut placée nominalement sous les ordres de Berthier, auquel Carnot succéda
au ministère de la Guerre le 12 germinal an VIII.
[26]
Mémoires de Napoléon (GOURGAUD), I, 102.
[27]
A. H. G. Une autre Note du même jour et de la même main est écrite sur
du papier à en-tête du Premier Consul. L'écriture parait être de celle de
Bourrienne.
[28]
Le choix de celte zone de concentration que Bonaparte recommandera vivement à
Moreau, est un des indices que la note en question doit lui être attribuée
d'une manière plus ou moins directe. La mention, faite dans cette note, de la
répartition de toutes les forces de la République en est une autre.
[29]
Le 6 ventôse, Bonaparte écrit à Brune : « ... Je ne pense pas encore à aller à
l'armée du Rhin, et, lorsque j'y penserai, vous pouvez compter que je vous y
réserverai une place... » (Correspondance de Napoléon, n° 4619.)
[30]
Correspondance de Napoléon, n° 4605.
[31]
Correspondance de Napoléon, n° 4627.
[32]
Correspondance de Napoléon, n° 4641.
[33]
CUGNAC, Campagne
de l'armée de réserve en 1800, I, 99 et suiv.
[34]
Mémoires de Napoléon (MONTHOLON), I, 48.
[35]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 1er ventôse (A. H. G.).
[36]
Elles furent expédiées le 11 ventôse. Moreau à Bonaparte, Bâle, 17 ventôse (A.
H. G.).
[37]
Pour le détail de l'organisation ; voir chapitre XV.
[38]
On observera que Moreau appelait « corps de réserve » celui dont il s’était
réservé le commandement direct. Cf. chap. V.
[39]
Correspondance de Napoléon, n° 4626.
[40]
Correspondance de Napoléon, n° 4627 et 4639 ; Mémoires de Napoléon
(GOURGAUD), I,
162.
[41]
Correspondance de Napoléon, n° 4627.
Le bruit du départ du Premier Consul pour l'armée
courut à Paris, à cette époque, à plusieurs reprises. (AULARD, Paris sous le Consulat,
I, 92.) On voit que Rnnnp.it te projetait de se tendre sur le Rhin avant de
connaître le plan d'opérations de Moreau et avant le voyage de Dessolle à
Paris. Or, à Sainte-Hélène, Napoléon a présenté les faits dans l'ordre inverse.
Après avoir parlé du plan déconcentration de l'armée entre l'île et Constance,
il ajoute : « Le général Moreau était incapable d'exécuter et même de
comprendre un pareil mouvement ; il envoya le général Dessolle à Paris
présenter un autre projet au Ministre de la Guerre suivant la routine des
campagnes de 1796 et 1797... Le Premier Consul, fortement contrarié, pensa un
moment à aller lui-même se mettre à la tête de l'année... Mais l'agitation
intérieure de la République s'opposa à ce qu'il quittât sa capitale et s'en
éloignât pour autant de temps... » (Mémoires de Napoléon [GOURGAUD], I, 164).
[42]
Le fait est affirmé par Thiébault qui déclare le tenir de l'adjudant général
Fririon (III, 334 et suiv.). Thiébault est souvent sujet à caution, mais ici
son affirmation se trouve corroborée par un passage, cité plus loin, d'une
lettre de Moreau à Bonaparte.
« Moreau ne voulut pas accepter un tel rôle ; il dit
hautement dans un diner qu'il donnait à un grand nombre de généraux « qu'il ne
voulait pas d'un petit Louis XIV à son armée, et que si le Premier Consul y
arrivait, il partirait. » (GOUVION SAINT-CYR, loc. cit.,
II, 103.)
[43]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 17 ventôse (A. H. G.).
[44]
Dessolle au Commissaire ordonnateur en chef, 17 ventôse (A. H. G.).
[45]
Correspondance de Napoléon, n° 4626 et 4661.
[46]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 21 ventôse (A. H. G.).
[47]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 21 ventôse (A. H. G.). — Cf. Moreau à Bonaparte,
Bâle, 30 ventôse (Ibid.).
[48]
Ordres de Moreau du 2V ventôse (A. H. G.).
[49]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 24 ventôse (A. H. G.) ; Dessolle à Saint-Cyr, Bâle,
24 ventôse (Ibid.).
[50]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 30 ventôse (A. H. G.).
[51]
Correspondance de Napoléon, n° 4672.
[52]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 17 ventôse (A. H. G.).
[53]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 21 ventôse (A. H. G.).
[54]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 24 ventôse (A. H. G.).
[55]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 30 ventôse (A. H. G.).
[56]
Renseignements adressés le 12 pluviôse au Ministre des relations extérieures
par Bacher, chargé d'affaires près la diète de l'Empire à Francfort (A. H. G.)
; Notes politiques reçues à l'armée du Rhin le 28 pluviôse ; Renseignements
reçus le 30pluviôse, par le Ministre de la Guerre, comportant un état de
l'armée autrichienne, indiquant l'emplacement de chaque régiment ; Bulletin de
renseignements de l'armée du Rhin du 21 ventôse (Ibid.)
Moreau se déclarait satisfait des informations qui lui
étaient parvenues. (A Bonaparte, 24 ventôse, A. H. G.)
[57]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 24 ventôse (A. H. G.)
[58]
« Quand il [Bonaparte] est obligé de détacher des divisions... elles sont
à dix ou douze kilomètres du corps de bataille. Chacune d'elles peut être
rejointe par les autres pour une action décisive... Ces corps détachés dans les
directions intéressantes ou dangereuses pour protéger et renseigner l'armée,
sans s'en écarter, nul n'en avait connu l'usage et déjà il est systématique
chez Bonaparte. Il a, du premier coup, tiré tout le parti possible de
l'instrument nouveau que la Révolution lui a donné.
« Il le manie avec une perfection consommée,
détachant et rappelant ses divisions à point nommé, utilisant, dans une action
commune, deux forces en apparence contradictoires, la souplesse du principe
divisionnaire et la puissance d'un commandement unique. » (J. C., Études sur
la campagne de 1796-97 en Italie, 62-63.)
[59]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 24 ventôse (A. H. G.).
[60]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 24 ventôse (A. H. G.).
[61]
Moreau au Ministre de la Guerre, Zürich, 12 nivôse (A. H. G.) ; Au Premier
Consul, Bâle, 19 nivôse et 10 pluviôse (Ibid.) ; Au Ministre de la
Guerre, Bâle, 21 pluviôse (Ibid.). — Cf. Rapport de Pichon (p. 70, note
2).
[62]
Le général Lecourbe arrive à l'instant, très inquiet de la manière de faire
subsister les troupes qu'on rassemble en Helvétie, persuadé connue moi qu'elles
y mourront de faim si elles y restent réunies quelques jours, particulièrement
la cavalerie. » (Moreau à Bonaparte, Bâle, 2V ventôse (A. H. G.).
[63]
Il est curieux de trouver dans un mémoire de Bacher, du 30 pluviôse an VIII,
l'idée du débouché par Mayence. Après avoir examiné divers projets d'invasion,
Bâcher conclut ainsi : « Il ne reste donc plus que la route du Mein qui puisse
présenter quelques avantages à une armée française qui se proposerait de faire
une invasion dans le sud de l'Empire germanique pour y prendre une position
militaire et s'entretenir aux dépens de ses ennemis... Le moyen le plus sûr de
dissiper promptement tous ces rassemblements armés (milices) qui n'ont
jusqu'ici que peu d'ensemble et de consistance, serait de les tourner. » (A. H.
G.) Dans une lettre adressée, le 10 mars 1825, au colonel de Carrion-Nisas,
Dessolle a nié que Moreau eût jamais pensé à faire déboucher un corps d'armée
par Mayence. Ses souvenirs l'ont évidemment trompé. (CARRION-NISAS, loc. cit., 158).
[64]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 24 ventôse (A. H. G.)
[65]
Mémoires de Napoléon (MONTHOLON), I, 46.
[66]
Moreau à Bonaparte, Pâle, 24 ventôse (A. H. G.) ; Correspondance de Napoléon,
n° 4694 ; Mémoires de Napoléon (MONTHOLON), I, 47.
[67]
Le général Dessolle au colonel de Carrion-Nisas, 10 mars 1825 (CARRION-NISAS, loc. cit.,
158).
[68]
Le général Dessolle au colonel de Carrion-Nisas, Paris, 10 mars 1825 (CARRION-NISAS, loc. cit.,
158).
[69]
Un plan de campagne doit avoir prévu tout ce que l'ennemi peut faire et
contenir en lui-même les moyens de le déjouer. » (Mémoires de Napoléon
[GOURGAUD], I,
185.)
[70]
Mémoires de Napoléon (GOURGAUD), I, 164.
[71]
Mémoires de Napoléon (GOURGAUD), I, 187.
[72]
Mémoires de Napoléon (GOURGAUD), I, 187.
[73]
Mémoires de Napoléon (GOURGAUD), I, 186.
[74]
Mémoires de Napoléon (MONTHOLON), I, 45.
[75]
Mémoires de Napoléon (GOURGAUD), I, 187.
[76]
Mémoires de Napoléon (GOURGAUD), I, 186.
[77]
Mémoires de Napoléon (MONTHOLON), I, 46.
[78]
Mémoires de Napoléon (GOURGAUD), I, 187.
[79]
Mémoires de Masséna, III, 118 ; THIERS, Le Consulat et l'Empire, I, 261.
(Thiers a connu Dessolle.)
[80]
Le général Dessolle au colonel de Carrion-Nisas (CARRION-NISAS, loc. cit., 158).
[81]
THIERS, loc.
cit., I, 262.
« J'ai eu l'honneur, dit Thiers, de recueillir ce
récit de la bouche même du général Dessolle. »
[82]
Mémoires de Napoléon (MONTHOLON), I, 46.
Napoléon ajoute : « ... pourvu qu'il [Moreau] n'eût
qu'une seule ligne d'opérations et ne manœuvrât que sur la rive droite du
Danube. »
Ce dernier membre de phrase impliquait l'obligation,
pour Moreau, de renoncer à faire déboucher son aile gauche par Mayence,
opération qu'il préconisait dans sa lettre du 24 ventôse. De fait, le mouvement
n'eut pas lieu. Dessolle affirme, pourtant, dans sa lettre au colonel de
Carrion-Nisas, que le plan de Moreau fut exécuté « tel que le général Moreau
l'avait conçu et arrêté ». Il déclare aussi « qu'il ne fut jamais question de
faire déboucher un corps d'armée par Mayence », en quoi ses souvenirs l'ont certainement
trompé. Il assure enfin qu'il ne fut jamais nécessaire d'exiger de Moreau qu'il
n'eût qu'une seule ligne d'opérations.
D'après Gouvion Saint-Cyr, Moreau aurait modifié son
plan, en le rapprochant le plus qu'il put des idées de Bonaparte. (Loc. cit.,
II, 104.)
[83]
Mémoires de Napoléon (GOURGAUD), I, 164.
[84]
Mémoires de Napoléon (GOURGAUD), I, 164 et 186 ; GOUVION SAINT-CYR, Mémoires, II, 103 et 118.
[85]
A Sainte-Hélène, Napoléon a prêté les propos suivants à Rewbell. Il aurait dit
au Premier Consul, en février 1800 : « Vous réunissez une belle armée sur le
Rhin, vous avez lu toutes les troupes de la France, ne craignez-vous pas des
inconvénients de mettre tant de troupes dans une seule main ; cette
considération politique m'a toujours fait maintenir les deux armées de
Rhin-et-Moselle et de Sambre-et-Meuse ; peut-être cet inconvénient est-il
moindre vis-à-vis de vous que le soldat regarde comme le premier général ;
rependant, croyez-moi, allez à celte armée vous-même, sans cela vous en
éprouverez d grands inconvénients Je sais que Moreau n'est pas dangereux ; mais
les factieux, les intrigants de ce pays-ci, quand ils s'attachent à un homme,
suppléent à tout. » (Mémoires de Napoléon [MONTHOLON], I, 48.)
[86]
Mémoires de Napoléon (GOURGAUD), I, 164.
[87]
THIBAUDEAU, le
Consulat et l'Empire, I, 241.
[88]
Moreau à Bonaparte, Bâle, 12 germinal : « Dessolle m'a appris que votre projet
n'était pas de venir à l'armée du Rhin. » (A. H. G.)
[89]
GOUVION SAINT-CYR, loc. cit.,
II, 103 ; le Ministre de la Guerre à Masséna, Paris, 19 germinal (A. H. G.,
armée d'Italie).
[90]
BAILLEU, loc.
cit., 373, Rapport de Sandoz du 29 mars. — Kray en fut informé le 23 avril
(K. K. Arch. 1800, Deutschland, III, 48).
Quelques jours avant son départ de Paris, Bonaparte, à
un déjeuner aux Tuileries, s'ouvrit de son projet à Carnot, à La Clos et à Le
Coulteux. Comme celui-ci s'étonnait de celte confidence, La Clos lui dit : «
Rassurez-vous ; lois même que le projet du Premier Consul sérail communiqué à
M. de Mêlas, il croirait que ce que vient de dire le Premier Consul est dans le
dessein de lui faire abandonner le siège de Gênes. La suffisance autrichienne
et telle, le cabinet de Vienne est si mal instruit sur nos ressources et la
facilité incroyable qu'on peut avoir de nous remettre sur nos pieds, qu'il ne
pense pas que nous puissions mettre une armée sur pied, même en France, encore
moins de lui faire passer les Alpes. » (LESCURE, Souvenirs du comte Le Coulteux,
229.)
[91]
Correspondance de Napoléon, n° 4674.
[92]
Moreau au Ministre de la Guerre, Bâle, 7 germinal (A. H. G.).