L'armée du Rhin fidèle
à l'esprit républicain de l'an IX. — Les Spartiates du Rhin. — Fraternité des
chefs et des soldats. — Leur abstention dans la politique intérieure. —
L'armée du Rhin, trompée comme la nation, accueille avec faveur le Dix-huit
brumaire. — Proclamation de Moreau.
Sous le
Directoire, la guerre de défense nationale des débuts delà Révolution avait
fait place, peu à peu, à la guerre de propagande, puis de conquêtes. Cette
évolution s'était traduite aux armées par l'altération progressive des vertus
qui caractérisaient les premières levées de la République. Sans doute, de
l'esprit primitif de la Révolution, elles avaient conservé quelque chose
d'humain et d'enthousiaste qui adoucissait les rigueurs de l'invasion. Mais,
devenues plus guerrières et moins étroitement unies à la nation, elles
n'obéissaient plus, en général, à la vocation presque mystique qui les avait
suscitées et exaltées de 1792 à 1794. Parmi
les armées de l'an VIII, celle du Rhin, héritière des vertus de l'armée de
Sambre-et-Meuse, était toujours animée du pur idéal républicain de l'an II[1] et constituait, à ce point de
vue, une remarquable exception. Beaucoup d'officiers et de soldats
continuaient à ne pas séparer le devoir militaire du devoir civique.
« Je veux être citoyen avant d'être officier », écrivait l'un d'eux[2]. Ils combattaient encore par
patriotisme et non par état ; non plus tant, il est vrai, pour défendre le
sol national et les conquêtes morales de la Révolution, que pour régénérer
les peuples et les affranchir de la tyrannie des rois. Comme aux premiers temps
de la croisade républicaine, ils ménageaient les peuples envahis qu'ils
considéraient comme des frères opprimés[3]. Moreau
s'efforçait de faire la guerre avec justice et modération[4], suivant l'exemple qu'avaient
donné les généraux des premières années de la République, et il put dire plus
tard avec une légitime fierté : « Parvenu au commandement en chef, lorsque la
victoire nous faisait avancer au milieu des nations ennemies, je ne
m'appliquai pas moins à leur faire respecter le caractère du peuple français
qu'à leur faire redouter ses armes. La guerre sous mes ordres ne fut un fléau
que sur les champs de bataille. Du milieu même de leurs campagnes ravagées,
plus d'une fois la nation et les puissances ennemies m'ont rendu ce
témoignage[5]. » Souffrant
de toutes les privations avec une « patience héroïque »[6], officiers et soldats
demeuraient intègres et pauvres[7] et se sacrifiaient, avec une
abnégation digne de leurs devanciers de Valmy et de Fleurus, à la cause
sacrée de la liberté. « Ce
matin, écrivait Moreau, on disait aux soldats : Arrangez vos armes ; on va
combattre. — Vive la République ! Ce soir, on leur annonçait qu'ils allaient
avoir la paix. — Eh bien ! Vive la République. Avec une telle armée, il n'est
pas étonnant qu'on prenne des places sans les assiéger[8]. » Le général en chef
connaissait bien les sentiments de ses troupes quand il mandait à Decaen,
après Hohenlinden, que leur « récompense la plus douce sera sûrement la
reconnaissance nationale pour les services importants que l'armée vient de
rendre à la République[9] ». Parmi
ces troupes, on distinguait encore un certain nombre de ces « Spartiates du
Rhin, comme on les appelait alors », assure Ségur[10], volontaires des premières
armées de la République, servant avec un dévouement pur de toute ambition et
ne se préoccupant ni d'avancement, ni de fortune, ni même de gloire. Maintes
fois, après avoir surmonté tous les périls et donné des preuves incontestables
de savoir et de courage, ils avaient refusé les grades qu'on leur offrait, si
bien qu'il devenait souvent difficile de pourvoir aux emplois vacants[11]. En se prodiguant tout entiers
pour assurer le salut public et faire triompher les idées de justice et de
fraternité, ils ne songeaient qu'à rentrer ensuite simples citoyens dans
leurs foyers. On
reconnaissait ces « Spartiates du Rhin », disent les contemporains,
à la simplicité de leurs vêtements et de leur manière d'être et de vivre, à
l'austère gravité de leur attitude, à l'indépendance de leur caractère, à
l'intégrité de leurs mœurs[12], parfois aussi à la surprise
amère et dédaigneuse que provoquaient l'ambition et l'amour du bien-être
qu'ils voyaient naître chez certains de leurs collègues[13]. Jamais,
a l'armée du Rhin, général en chef ne fit entrevoir, comme Bonaparte en 1796,
butin et richesses à ses troupes[14]. On vivait sur le pays, sans
doute, parce que les nécessités de la guerre l'exigeaient, mais on ne le
mettait pas, comme l'Italie, en coupe réglée. Aussi, suivant Lavalette, quand
en 1797, Augereau arriva à Strasbourg couvert de broderies des pieds à la
tête et suivi de sa femme dans un carrosse doré, les lieutenants de Hoche et
de Moreau, à peine distingués de la foule par le modeste galon qui bordait
leur capote, ne pouvaient en croire leurs yeux[15]. Peut-être même, de l'avis de Saint-Cyr,
y avait-il, dans la simplicité de leur uniforme, quelque affectation en sens
contraire[16]. A
l'armée du Rhin, la discipline était généralement tempérée[17]. D'après Ségur, Moreau, le
premier, donnait l'exemple[18], protestant contre les rigueurs
qu'il jugeait excessives[19], mais poussant parfois, il est
vrai, l'indulgence jusqu'à la faiblesse, à ce point que le Ministre de la
Guerre Carnot dut lui rappeler qu'une trop grande mansuétude ne convenait pas
à un général en chef[20]. Mais la sévérité était extrême
quand il s'agissait d'actes de pillage ou de violence, de malversations et de
concussions[21]. Moreau n'hésita pas à faire
fusiller un commissaire des guerres qui avait levé une contribution
exorbitante sur la ville de Kempten, et à faire quitter l'armée au général Vandamme
compromis dans cette affaire[22]. Ainsi
que l'a dit un contemporain, les chefs étaient « les amis des soldats »[23] et les considéraient comme des compagnons
d'armes fraternellement associés a eux pour le salut de la patrie. Les relations
des généraux avec le commandant en chef étaient empreintes, d'après Ségur, d'un certain ton d'égalité, et plus cordiales qu'hiérarchiques[24]. À tous, Moreau portait le plus bienveillant
intérêt, si bien qu'on l'appela plus
tard le père de ses soldats[25]. L'obéissance,
au lieu d'être imposée, était volontaire et librement consentie par des
citoyens a d'autres citoyens que leurs talents et leur courage rendaient
dignes d'exercer le commandement. C'était la force morale, en un mot, bien
plus que les rigueurs de la discipline, qui donnait l'impulsion à ces
troupes, et c'est avec raison qu'on a pu les comparer à une « famille »[26]. En 1705, après le départ de
Kléber, personne ne voulant commander devant Mayence l'armée assiégeante, les
généraux de division obéirent sans murmurera Schaal qui n'était que général
de brigade. Pendant cinq semaines il n'y eut pas de généralissime, et la chose
publique n'en souffrit pas, grâce à l'amitié fraternelle qui unissait
généraux et soldats[27]. Pleine
de respect et de déférence vis-à-vis du pouvoir civil, l'armée du Rhin
s'était toujours montrée aussi peu soucieuse d'intervenir dans la politique
intérieure de la République, que l'armée d'Italie y avait paru disposée. Elle
semblait avoir pris pour règle de conduite celle que Jourdan indiquait à ses
troupes le 7 prairial an III : « Il faut que l'armée agisse, dans cette
circonstance, comme elle a agi toutes les fois que de pareils événements ont
eu lieu, c'est-à-dire qu'étant placée sur la frontière pour combattre les
ennemis du dehors, elle ne s'occupe point de ce qui se passe dans
l'intérieur, et qu'elle ait toujours la confiance de croire que les bons
citoyens qui y sont parviendront à faire taire les royalistes et les
anarchistes[28]. » Fidèle
à ces sages recommandations, elle s'était abstenue, seule, en l'an V,
d'envoyer des adresses analogues à celles qu'avait provoquées, dans toutes
les autres armées, l'anniversaire du 14 Juillet[29], et parmi lesquelles celles de
l'armée d'Italie s'étaient fait remarquer parleur virulence. Commandée alors
par Moreau, l'armée du Rhin avait, observe Thibaudeau, l'esprit modéré de son
général[30]. Éloignée, comme lui, de tout
excès, quel qu'en fût le sens, elle n'était ni jacobine ni surtout royaliste,
mais sincèrement attachée à la Révolution et à la forme du Gouvernement[31]. Contraste remarquable, tandis
qu'à l'intérieur la République devenait bourgeoise, elle demeurait à l'armée
du Rhin franchement démocratique, parce qu'elle ouvrait à chacun, au plus
humble, pourvu qu'il fût intelligent et brave, le chemin des honneurs. Ce
sera parmi ses chefs, chez de fermes républicains comme Moreau, Lecourbe,
Gouvion Saint-Cyr, Bernadotte, Delmas, que Bonaparte rencontrera plus tard
l'opposition la plus sérieuse à ses projets de domination, au rétablissement
des formes monarchiques, à la conclusion du Concordat. C'est à l'armée du
Rhin que les exclusifs, comme les appellera la police du Consulat,
compteront le plus grand nombre de partisans[32] ; ils pourront affirmer que «
la majeure partie... leur est entièrement dévouée[33] » ; c'est en elle que
résideront « leurs espérances »[34]. Est-ce
à dire, comme l'affirme Gouvion Saint-Cyr, que l'armée du Rhin accueillit mal
le coup d'État du 18 brumaire et le considéra, tout aussitôt, comme une
réaction et un premier pas vers la dictature de Bonaparte ?[35] Tout semble indiquer que cet
officier général qui, d'ailleurs, ne rejoignit son poste, à Strasbourg, que
dans le courant de ventôse[36], fut mal informé. Transmettant
la nouvelle des événements de brumaire, le télégraphe annonçait que tout
était « tranquille et content » et spécifiait que Moreau commandait « au
palais des Directeurs »[37], ce qui était une preuve de sa
participation et, de ce fait, une sécurité pour les troupes qui connaissaient
ses sentiments. Comment eussent-elles été mécontentes, quand le serment qu'on
leur demandait était celui de « fidélité à la République, fondée sur les
bases de l'égalité, de la liberté et du système représentatif ?[38] » Elles le prêtèrent avec
enthousiasme[39]. La
présence de Bonaparte parmi les Consuls provisoires sembla de bon augure, en
faisant entrevoir le terme du dénuement dont l'innée souffrait cruellement[40], et la réparation des revers de
l'année précédente[41]. Elle suscita même une
véritable joie chez quelques-uns, comme Lecourbe, qui ne doutaient point que
la République s'en trouvât consolidée[42]. « Connaissant
votre louable façon de penser, écrivait le capitaine Ravier à Ney, le 10
frimaire, je ne doute pas que vous n'ayez pris un grand intérêt aux
événements des 18 et 19 brumaire. J'ai l'honneur de vous déclarer que cet
événement est dans mon cœur, et mon âme a tressailli de plaisir en
l'apprenant. Il n'appartenait qu'à un général qui, par ses victoires, ses
talents et ses sentiments généreux, a commandé notre confiance et notre
dévouement, d'être la pierre angulaire de notre félicité commune ; et je
regarde d'avance en riant la perspective avantageuse que Bonaparte
présente aux Français, et particulièrement à ses compagnons d’armes... Puisse
le ciel seconder ses travaux !!![43] » Ravier
ne s'était pas mépris, en effet, sur les sentiments de Ney dont il reçut, le
29 frimaire, une lettre à laquelle il répondit : « Je l'ai lue et relue
avec la plus grande satisfaction, et surtout quand j'y ai vu quelle était
votre louable façon de penser sur les événements des 18 et 19 brumaire. Mon
cœur me disait d'avance que nous étions du même avis à cet égard ; et, en effet,
un esprit intelligent ne peut que les approuver[44] ». Tous
deux croyaient d’ailleurs, très fermement, que Bonaparte avait sauvé la
République de la tyrannie jacobine et de la réaction royaliste, peut-être même
d'une nouvelle Terreur. « Quelques
jours plus tard que le 18 brumaire, dit Ravier, et nous retombions dans la
barbarie des principes qui ont ensanglanté notre révolution. Le 24 brumaire,
on voulait aussi faire une journée dans le sens inverse... mais quelle
journée !... Il s'agissait de noyer dans la Seine les généreux citoyens qui
viennent de nous sauver et tous leurs partisans ; ils ont été prévenus ; oui,
mon général, voilà le projet des Jacobins. L'activité de Bonaparte l'a
déjoué, et vous avez fortement raison de l'appeler notre sauveur. Car quel
autre que lui aurait pu nous retenir sur le bord du précipice dans lequel
nous allions tomber ?... Personne. C'était à lui à couronner la révolution,
en se mettant fièrement à la tête du parti du peuple...[45] » D'autres,
plus prudents, réservèrent leur opinion ; non pas, suivant toute apparence,
parce qu'ils se défiaient de l'ambition de Bonaparte, mais parce qu'ils
voulaient, avant de se prononcer, voir si le nouveau gouvernement serait
préférable au Directoire. « Je
pense comme vous sur le mouvement du 18 brumaire, écrivait Colaud à Ney, le A
frimaire. Le temps seul nous fera connaître si nous serons plus heureux.
Cependant, les choses commencent à prendre meilleure tournure[46]. » Cette dernière appréciation
ne dura pas : dès l'an IX la police du Consulat signala Colaud parmi les
opposants[47]. « La
Révolution du 17 brumaire est entièrement consommée à Paris, mandait-il le 5
frimaire ; l'enthousiasme pour Bonaparte y est à son comble ; on cite
plusieurs lois fructidoriennes déjà rapportées ; il parait que le Consulat
agira à cet égard avec une sage lenteur pour ne pas donner aux anarchistes le
prétexte de crier à une réaction royaliste. Espérons que le 18 aura l'effet
que les véritables républicains s'en promettent[48]. » Certains,
il est vrai, ne pouvaient être que mauvais juges, tant ils étaient satisfaits
de constater qu'un général était le premier magistrat de la République ; tant
ils espéraient que l'armée allait y gagner en importance. « Pour
nous, notre sort va s'améliorer à vue d'œil : notre considération croîtra de
beaucoup, écrivait l'un d'eux. Les officiers municipaux et autres
fonctionnaires changeront de ton à noire égard : bien loin d'être orgueilleux
et superbes, ils prendront, en nous parlant, l'air du respect que nos
fatigues et nos travaux ont droit d'exiger d'eux : cette nouvelle
satisfaction est une conséquence naturelle de la Constitution de l’an VIII.
Cette Constitution, en nommant un général pour Premier Consul, fait nécessairement
retomber toute la considération morale sur l'état militaire ; et cela nous
est d'autant plus dû que la nature de not.ee condition nous donne déjà la
considération physique[49]. » Il en
était enfin qui, las des perturbations continuelles des années précédentes,
accueillirent favorablement le nouveau gouvernement parce qu'il déclarait la
Révolution finie et leur promettait « la tranquillité de l'intérieur[50] » et le « bonheur général[51] ». Trait
bien caractéristique des liens étroits qui l'unissaient à la nation, l'armée
du Rhin, si vaillante, si prèle à tous les sacrifices, désirait la paix,
comme les hommes de 1792 et de 1793, et elle sut gréa Bonaparte des
tentatives qu'il avait faites pour l'obtenir. Ce fut là, certainement, une
des causes de In popularité du nouveau Consul[52]. « Les
bruits de paix recommencent à circuler, mandait-on à Ney. Puisse cette déesse
bienfaisante répandre bientôt ses faveurs sur notre patrie ! Personne, sans
doute, ne fait, pour la voir, des vœux plus ardents que les militaires ; ils
en connaissent mieux le prix que les pékins qui n'ont jamais été témoins des
horreurs de la guerre, et qui n'en trouvent le fardeau pesant que par
l'extraction qu'elle occasionne de leurs écus dans les coffres du
gouvernement[53]. » « Cette
campagne aura un but déterminé qui est la paix, écrivait un autre. Les
Français qui, aujourd'hui, ne doutent plus des intentions pacifiques du
gouvernement, feront un dernier effort pour parvenir à ce but, ce qu'ils
auraient été éloignés de faire si Bonaparte n'avait pas entrepris
l'initiative d'une pacification solide et basée sur les divers intérêts des
contractants[54]. » Lorsqu'après
Hohenlinden, l'archiduc Charles fit à Moreau la proposition d'une suspension
d'hostilités, Decaen demanda à son général en chef s'il avait l'intention de
l'accepter au moment où, l'armée autrichienne ne pouvant plus être un
obstacle, il avait la perspective d'arriver à Vienne sous peu. « Il serait
bien glorieux, ajouta-t-il, pour lui et pour son armée, de faire cette
conquête... » Le général Moreau répondit : « Mais, Decaen, la conquête de la
paix vaut encore mieux[55]. » En
réalité, on ne constate, à l'armée du Rhin, après les journées de brumaire,
aucun acte, aucune parole même d'opposition au nouveau gouvernement. La
politique nettement républicaine et hostile à toute réaction que suivit Bonaparte,
au lendemain du coup d'Etat, trompa cette armée comme elle avait trompé la
nation ; elle ne put manquer même de dissiper les préventions qui peut-être
s'étaient produites chez quelques-uns, et de les convaincre qu'aucun danger
ne menaçait la République. Tel
était, en l'an VIII, d'une manière générale, l'esprit de l'armée du Rhin ;
telles étaient les tendances des hommes parmi lesquels Moreau était appelé à
vivre pendant plus d'une année, et chez qui il allait retrouver, presque sans
altération, le pur idéal républicain et les hautes vertus civiques des
soldats de l'an II. Il ne devait pas tarder à ressentir les effets
inévitables de la réaction du milieu sur l'individu, avec d'autant plus
d'intensité d'ailleurs qu'il était d'un caractère plus facilement accessible
aux influences extérieures. Son
premier soin, on pourrait dire peut-être son premier souci, au moment de
prendre le commandement effectif de l'armée du Rhin, fut d'exposer aux
troupes les causes et les résultats des journées de brumaire cl de justifier,
en les expliquant, ses actes personnels. « Soldats,
dit-il dans une proclamation du 7 nivôse, la République française, pour
laquelle nous combattons depuis dix ans, en proie au désordre et à
l'impéritie, était au moment de sa dissolution, et, avec elle,
s'évanouissaient nos espérances de liberté. « Deux
factions, également puissantes, n'espéraient leur triomphe qu'au milieu des
troubles qu'elles ne cessaient de susciter. L'une prétendait rétablir la
royauté ; l'autre, sous le masque de la popularité, nous entraînait vers une
tyrannie non moins odieuse. « La
partie saine des Conseils, unie à plusieurs des chefs qui vous ont souvent
conduits à la victoire, et secondés de vos braves camarades, ont essayé de
sauver la République. Le succès a couronné leurs efforts les 18 et 19
brumaire. Les commissions législatives et les Consuls de la République nous
donnent, en ce moment, la preuve de leur dévouement à la cause sacrée de la
liberté, en se hâtant de faire jouir les Français (l'une Constitution qui
garantit la plénitude de leurs droits, sans ôter au gouvernement la force qui
doit maintenir la tranquillité publique et vous assurer les moyens de
vaincre. « Les
noms des premiers magistrats qu'elle proclame ne sont pas le moindre bienfait
de notre nouvelle charte. Actions éclatantes, talents distingués, probité
irréprochable, instruction profonde, sagesse et dévouement à la République,
voilà leurs titres à votre confiance, à celle de tous les Français et à la
considération de l'Europe. « Vos
travaux ne seront plus l'objet d'un calcul avide ; une paix honorable sera le
prix de vos victoires ; elle honorera notre gouvernement et vous acquerra de
nouveaux droits à la reconnaissance de vos concitoyens...[56] » Pour justifier le coup d'Etat et, en même temps, la part qu'il y avait prise, Moreau invoquait donc deux arguments qu'il savait bien propres à convaincre l'armée du Rhin : la nécessité de sauver la République, et le besoin d'échapper à la fois à une réaction royaliste et à une oppression jacobine. Tout permet de supposer qu'il réussit aisément, du moins pour quelque temps, à persuader ses subordonnés, qui avaient assisté déjà à des « journées » analogues, et qui n'entrevoyaient pas encore les conséquences du 18 brumaire. Leurs illusions, toutefois, devaient être de courte durée ; il semble qu'elles se soient dissipées à dater du moment où ils eurent connaissance de la nouvelle Constitution. |
[1]
C'est aussi l'opinion de M. AULARD, Histoire politique de la Révolution française,
692.
[2]
Ravier, capitaine organisateur du 2e bataillon auxiliaire du Pas-de-Calais au
citoyen Ney, général de division, Arras, 10 frimaire un VIII. (Archives du
prince de la Moskowa)
[3]
R. CHÉLARD, Les
armées françaises jugées par les habitants de l'Autriche, 1797-1800-1809,
p. 64, 89, 111, 115, 120 ; AULARD, Paris sous le Consulat, I, 435.
[4]
Moreau à Kray, Wiblingen, 30 floréal (A. H. G.). — « Personne n'a plus en
horreur que moi les maux qu'entraine la guerre. » (Moreau à l'archiduc Charles,
Salzbourg, 19 nivôse an IX (Ibid.). — « Tous les cœurs des habitants sont pour
lui. » (Gazette nationale du 7 fructidor un VIII.)
[5]
Procès Georges, Pichegru et autres, VII, 375-376. — Cf. Journal des
Débats du 2U vendémiaire mt IX ; REICHARDT, loc. cit., 259-260. — Cf. Moreau et sa
dernière campagne, 50.
[6]
Ordre du jour du 3 ventôse an VIII (A. H. G.).
[7]
« Moreau et tous ses officiers sont rentrés en France les mains nettes, comme
ils étaient venus. » (CHÉLARD,
loc. cit., 181.) — Tous ceux qui voulaient « fuir la misère » avaient
demandé peu à peu à servir en Italie. (Moreau au Ministre de la Guerre,
Schiltigheim, 30 ventôse an V, A. H. G., Armée de Rhin-et-Moselle). — Cf. LAMARTINE, loc. cit.,
618.
[8]
Moreau à Bonaparte, Nymphembourg, 3e jour complémentaire an VIII (A. H. G.).
[9]
Moreau à Decaen, 10 frimaire an IX (DECAEN, Mémoires inédits, t. IX). — Cf. Moreau au Ministre
de la Guerre, Salzbourg, 23 nivôse an IX (A. H. G.).
[10]
SÉGUR, Histoire
et Mémoires, II, 98.
[11]
« J'ai connu un homme qui avait reçu une éducation assez forte pour
devenir chef d'un service forestier important, qui était assez robuste pour
avoir pu faire, pendant sept ans, une telle guerre, sac au dos et fusil au
bras, assez vaillant pour avoir mérité une arme d’honneur ; jamais il n'avait
voulu d'avancement : parti soldat, il revint soldat. Il citait volontiers les
noms de beaucoup, de ses camarades qui, comme lui, s'étaient volontairement
acharnés à rester dans l'obscurité. »
(Duc D'AUMALE,
Les institutions militaire de la France, 68.)
Pour ne citer que deux exemples, Ney, nommé général de
brigade le 1er août 1796, par Merlin de Thionville, refusa ce grade. (Arch.
Adm. Guerre, dossier Ney.) Colaud refusa également le grade de général de
division, puis les fonctions de commandant de l'aile gauche de l'armée du
Danube auxquelles le Directoire l'avait appelé le 8 germinal an VII. (Arch.
Adm. Guerre, dossier Colaud.)
M. Chuquet a fait ressortir ces vertus de l'armée du
Rhin. (L'armée à travers les âges, 250.)
[12]
LAVALETTE, Mémoires
et Souvenirs, I, 151 ; FOY, Histoire de la guerre de la Péninsule, I, 68.
[13]
SÉGUR, loc.
cit., 98-99.
« L'armée du Rhin, dont Moreau était le chef,
avait conservé toute la simplicité républicaine ; l'armée d'Italie...
s'écartait chaque jour davantage de l'esprit patriotique qui avait animé
jusqu'alors les armées françaises. L'intérêt personnel prenait la place de
l'amour de la patrie et l'attachement à un homme l'emportait sur le dévouement
à la liberté. Bientôt aussi, les généraux de l'armée d'Italie commencent à
s'enrichir... » (Mme DE
STAËL, Considérations
sur la Révolution française, II, 173.)
[14]
« La conquête de l'Italie changea les mœurs de la tête de l'armée »,
assure le général Foy. (loc. cit., I, 69.)
[15]
Moreau au Directoire, 27 vendémiaire an VII, Arch. nat. F7, 6391 ; Général HUGO, Mémoires,
I, 68 ; LAVALETTE,
loc. cit., I, 144.
[16]
« Les habits n'ont rien de commun avec le caractère, ni la modestie ; il
n'y a point de luxe à porter un uniforme brodé quand les règlements obligent
tous les militaires à porter celui qui est affecté à leur rang dans l'armée, et
la simplicité ne consiste point dans un habit râpé. En campagne, il est
beaucoup plus commode de porter l'habit le plus simple, mais il y a dos
inconvénients pour soi et pour la discipline ; on peut être méconnu,
véritablement ou par feinte. »
GOUVION
SAINT-CYR, Manuscrit sur
les campagnes des armées du Rhin et de Rhin-et-Motelle de 1792 jusqu'à la paix
de Campo-Formio, Archives de l'artillerie, 3 b, 159.
[17]
LAVALETTE, loc.
cit., 147.
[18]
SÉGUR, loc.
cit., II, 105.
[19]
Moreau au Ministre de la Guerre, Coblentz, 7 ventôse an V (A. H. G., Armée de
Rhin-et-Moselle.)
[20]
Le Ministre de la Guerre à Moreau, 15 prairial an VIII. (Deux lettres) (A. H.
G.).
[21]
Ordre de l'armée du Rhin du 3 floréal an VIII créant des commissions militaires
qui doivent juger « sans désemparer, dans les vingt-quatre heures, autant que
possible. » (A. H. G.) ; Ordre du jour du V floréal an VIII spécifiant les
autorités qui ont le droit de lever des contributions (Ibid.) ;
Supplément à l'ordre du jour du 15 floréal an VIII (Ibid.) ;
Proclamation du 9 prairial an VIII (Ibid.) ; Ordres du jour du IV
prairial an VIII, du IV messidor an VIII, du 26 vendémiaire an IX (Ibid.)
; Dessolle à Montrichard, V brumaire an IX (Ibid.) ; Ordre du jour du 26
frimaire an IX (Ibid.) ; Moreau à Ney, Salzbourg, 26 pluviôse an IX (Ibid.).
[22]
Moreau au Ministre de la Guerre, Rabenhausen, 9 prairial an VIII (A. H. G.).
[23]
LAVALETTE, loc.
cit., 147.
[24]
SÉGUR, loc.
cit., II, 105. — Cf. FOY,
loc. cit., I, 36.
[25]
Arch. nat., F7, 3831, Bulletin de police du 23 prairial an XI.
[26]
Soult à de Billy, Wollkehm, 23 vendémiaire an VII ; Heudelet à de Billy,
Troyes, 6 prairial an IX. (LOTTIN, Un chef d'état-major sous la Révolution, 133,
137.)
[27]
Kléber à Jourdan, 14 et 18 vendémiaire an IV (A. H. G., armée de Sambre et
Meuse) ; Schaal au Ministre de la Guerre, Blotheim, 19 frimaire an IV (Arch.
adm. guerre) ; Schaal au Comité de Salut public, 26 pluviôse an III (Ibid.). M.
Chuquet a fait, le premier, cette constatation (loc. cit., 250-251).
[28]
Le général en chef Jourdan au général de division Hatry, Andernach, 7 prairial
an III. (SOULT, Mémoires,
I, 233.)
[29]
Moreau au Directoire, 27 vendémiaire an VII (Arch. nat. F7, 6391). — « Tandis
que les années expédiaient des adresses aux pouvoirs publics, qu'elles se «
prononçaient », l'année du Rhin, celle de Moreau, s'abstenait, quoique
républicaine. » (BARRAS,
loc. cit., III, 3.)
[30]
« Imprégnée du caractère de modération de son général. » (THIBAUDEAU, Mémoires,
II, 240.) Cf. Mathieu Dumas à Moreau, Paris, 17 thermidor et 12 fructidor an V.
(Victor PIERRE, Le
dix-huit fructidor, 37, 43.)
[31]
« ... La guerre de Vendée est sur le point d'être entièrement terminée ;
personne n'en est plus affligé que les féroces Jacobins qui espéraient tirer un
grand parti des progrès de la guerre civile... » (Passinges, aide de camp de
Ney, à Ney, Paris, 7 ventôse, Archives du prince de la Moskowa.) — Cf. le
capitaine Ravier à Ney, Metz, 1er nivôse (Ibid.) ; Colaud à Ney,
Waganzel, 4 frimaire (Ibid.) ; le même au même, Waganzel, 5 frimaire (Ibid.)
; Proclamation de Moreau à l'année du Rhin du 7 nivôse (A. H. G., Armée du
Rhin) ; DECAEN, Mémoires
inédits, t. IX.
[32]
AULARD, Paris
sous le Consulat, I, 428, 471, 529, 779.
[33]
AULARD, Paris
sous le Consulat, I, 457. — Cf. 779.
[34]
AULARD, Paris
sous le Consulat, I, 809. —Cf. Arch. nat., F 7, 3829. (Bulletin du 14
frimaire an IX.)
[35]
SAINT-CYR, loc. cit.,
II, 102.
[36]
SAINT-CYR, loc. cit.,
II, 110.
[37]
Télégrammes des 18 et 19 brumaire. (A. H. G., Armée du Danube.)
[38]
Ordre général de l'armée du Danube, 28 brumaire (A. H. G., Armée du Danube).
[39]
Lecourbe au Ministre de la Guerre, Mannheim, 3 frimaire (A. H. G., Armée du
Danube).
[40]
Le capitaine Ravier à Ney, Metz, 1er nivôse. (Archives du prince de la
Moskowa.)
[41]
Proclamation de Moreau à l'armée du Rhin en date du 7 nivôse (A. H. G.) ;
Buquet, chef de la 18e division de la gendarmerie, à Ney, Metz, 21 nivôse
(Archives du prince de la Moskowa) ; Ravier à Ney, Coblentz, 5 ventôse (Ibid.)
; le même au même, Kirchheimbolanden, 28 ventôse (Ibid.) ; Passinges à
Ney, 7 ventôse (Ibid.).
[42]
Lecourbe à Bonaparte, Zürich, 6 nivôse an VIII ; Ravier à Ney, Metz, 1er nivôse
(Archives du prince de la Moskowa) ; Passinges à Ney, Paris, 7 ventôse (Ibid.).
[43]
Archives du prince de la Moskowa. — Le mot en italique est souligné dans le
texte.
[44]
Ravier à Ney, Metz, 1er nivôse (Archives du prince Je la Moskowa).
[45]
Ravier à Ney, Metz, 1er nivôse (Archives du prince Je la Moskowa).
[46]
Archives du prince Je la Moskowa.
[47]
Arch. nat., V7, 3831 (Bulletins des 18 vendémiaire et 18 fructidor an XI) ; Ibid.,
F7, 3832 (Bulletin du 3 brumaire an XII).
[48]
Archives du prince Je la Moskowa.
[49]
Ravier à Ney, Metz. 1er nivôse (Archives du prince de la Moskova). — Cf. Buquet
à Ney, Metz, 21 nivôse (Ibid.).
[50]
Ravier à Ney, Metz, 1er nivôse (Archives du prince de la Moskowa).
[51]
Passinges à Ney, Paris, 7 ventôse (Archives du prince de la Moskowa).
[52]
BAILLEU, loc.
cit., 357, 372, 373.
[53]
Buquet à Ney, Metz, 25 pluviôse (Archives du prince de la Moskowa). — Cf. le
même au même, Metz, 21 nivôse, et Charmes, 28 pluviôse (Ibid.) ; Colaud
à Ney, Waganzel, 4 frimaire (Ibid.) ; Ravier à Ney, Coblentz, 5 ventôse
(Ibid.) ; Passinges à Ney, Paris, 7 ventôse (Ibid.).
[54]
Ravier à Ney, Coblentz, 6 pluviôse (Archives du prince de la Moskowa).
[55]
DECAEN, Mémoires
inédits, t. IX.
[56]
Zürich, 7 nivôse an VIII (A. H. G.).