BONAPARTE ET MOREAU

L'ENTENTE INITIALE - LES PREMIERS DISSENTIMENTS - LA RUPTURE

 

PRÉFACE.

 

 

Les rapports de Bonaparte et de Moreau sont liés plus ou moins étroitement, mais d'une façon certaine, aux événements du Dix-huit brumaire et à l'histoire politique et militaire du Consulat. La rupture qui se produisit entre eux, à la suite de longs dissentiments, nous semble être, tant par elle-même que par ses conséquences, un des faits les plus importants de cette période.

Quelles sont les causes de cette querelle et de cette rupture ?

La tradition napoléonienne en rejette la responsabilité sur Moreau ; on veut qu'il ait rompu avec Bonaparte par ambition, jalousie, rancune, et l'on admet volontiers, sur les dires de Napoléon, qu'il fut poussé à la rupture par l'influence de sa femme et de sa belle-mère, Mme Hulot.

Il faut avouer que cette opinion a en sa faveur quelques apparences historiques.

Les hommages que le gouvernement de la Restauration rendit à la mémoire de Moreau, qui pourtant refusa constamment de servir les intérêts des [Bourbons ; les faveurs dont Louis XVIII se plut à combler sa veuve et les autres membres de sa famille ; les publications des royalistes glorifiant la triste lin du transfuge ; les ouvrages des admirateurs de Napoléon dénaturant au contraire et déconsidérant à l'envi tous les actes de Moreau ; les Mémoires de Sainte-Hélène enfin, appréciant avec sévérité les opérations militaires du général que l'opinion avait osé comparer à Bonaparte ; tout a contribué à donner tort à Moreau aux yeux de la postérité, ou du moins à jeter l'incertitude et l'équivoque sur les motifs du désaccord qui s'éleva entre ces deux hommes.

Nous voudrions donc, par une enquête aussi complète que possible, faire la vérité sur cet épisode qui touche à l'histoire générale. Nous allons essayer d'exposer avec quelques détails, d'après les documents les plus authentiques et les faits les plus certains, l'origine, les vicissitudes, la rupture des relations entre Bonaparte et Moreau. Nous nous efforcerons d'arriver de la sorte à un jugement équitable et vraiment historique.

Nous avons cherché la vérité en toute indépendance, un toute impartialité, faisant abstraction de toute préférence, de toute sympathie, de toute opinion préconçue. Les faits seuls ont déterminé nos conclusions. En rendant hommage aux vertus civiques, à la loyale et glorieuse carrière de Moreau, nous ne saurions oublier qu'il porta les armes contre son pays. En admirant le génie militaire de Napoléon, il nous semble difficile d'excuser l'attentat de Brumaire, l'abolition de la liberté, le despotisme impérial, cette ambition démesurée, qui finalement amena l'invasion et le démembrement de la France. L'histoire doit reconstituer le passé, sans se préoccuper du parti que les polémiques peuvent tirer de ses conclusions.