HISTOIRE DES DUCS DE BOURGOGNE DE LA RACE CAPÉTIENNE

TOME DEUXIÈME

 

CHAPITRE XVIII. — HUGUES III (suite) - 1167-1183.

 

 

Hugues III, duc de Bourgogne, fait construire les fortifications de Châtillon. — Ses droits dans cette ville. — Exploitations métallurgiques. — Croisade bourguignonne de 1170. — Construction de la Sainte-Chapelle de Dijon. — Mort de Hugues le Roux. — Grand tournoi de Rougemont, près Montbard. — Nouvelles luttes de Girard de Vienne et de Mâcon contre l'évêque de cette ville. — Expédition militaire du roi Louis le Jeune dans le Mâconnais. — Excommunication de Gui, comte de Nevers ; il est fait prisonnier par le Duc de Bourgogne, et traite avec lui. — Accords entre le Duc et l'évêque de Langres, au sujet de Châtillon ; au sujet du comté de Langres. — Départ du comte de Champagne en Terre sainte. — Causes qui amenèrent à Pierre Perthuis le roi Philippe-Auguste, administrateur des comtés de Nevers et d'Auxerre, et tuteur des enfants mineurs du comte Gui de Nevers. — Jugement rendu contre le comte de Mâcon. — Participation du duc Hugues III dans les affaires générales. — Motifs probables qui déterminent le premier acte d'affranchissement accordé aux habitants de Dijon. — Embarras du Duc. — Il répudie sa première femme Alix de Lorraine, et épouse Béatrix d'Albon, comtesse de Viennois.

 

De toutes les villes de Bourgogne, celle de Châtillon-sur-Seine était l'une de celles où les ducs de Bourgogne paraissent avoir eu dès l'origine la plus grande somme de revenus utiles. Si les évêques de Langres possédaient la partie la plus ancienne que l'on nommait le Bourg ; le château de Chaumont, qui s'élevait sur la rive opposée de la Seine et qui dominait la contrée, était la possession exclusive des ducs, qui y entretenaient de nombreux officiers et un personnel assez considérable. Pendant le XIe siècle, on a vu déjà beaucoup de personnages et de chevaliers qui portaient le nom de Châtillon, remplir à la cour ducale les principaux offices, et surtout celui de dapifer ou de sénéchal.

Entre le Bourg et le château, l'abbaye de Notre-Dame, avec son église, son cloître, ses jardins et ses vastes enclos, formait une troisième seigneurie parfaitement distincte, dont les ducs avaient la garde. Ceux-ci avaient été également investis de certains droits sur le Bourg, par les évêques de Langres, qui, trop éloignés de cette terre, ne pouvaient la protéger contre l'envahissante convoitise des seigneurs du voisinage puis ces droits s'étaient successivement accrus, et, ce qui était inévitable, le plus puissant des trois seigneurs, par suite d'usurpations et d'accroissements successifs, tendait à centraliser sous sa domination tout le domaine, sauf la suzeraineté qu'il devait à l'évêque. Encore les ducs cherchèrent-ils plus d'une fois à s'affranchir de cette vassalité, car cette juxtaposition de pouvoirs fournissait mainte occasion de conflits, qui venaient retentir à lg cour de France ou à celle de Rome. On passait des transactions assez peu observées pour régler les droits de chacune des parties, pour la distribution de la justice, et fixer l'état distinct des personnes de ces trois seigneuries. « Aussi, dit M. Garnier[1], tout en conservant les apparences d'une suzeraineté qui allait chaque jour s'affaiblissant davantage, l'évêque de Langres n'eut bientôt plus à Châtillon que des redevances à percevoir, et une juridiction que son puissant vassal ne respectait pas toujours. »

On a déjà vu ces contestations paraître au jugement de Moret entre l'évêque Godefroy et le duc Eudes II lorsque l'évêque Gauthier de Bourgogne prit possession du siège de Langres, les circonstances parurent favorables au duc son neveu pour en obtenir de nouvelles concessions et une extension de pouvoir, et sous prétexte que cette ville frontière formait la limite de la Bourgogne et de la Champagne, le duc obtint de l'évêque le droit de fortifier la ville et de l'entourer de murailles. A ce sujet, une convention eut lieu entre les deux parties, en 1168[2]. Cet accord, rédigé en termes assez brefs, réserve les droits des hommes de Châtillon appartenant à l'évêque et demeurant tant dans l'intérieur du bourg qu'à l'extérieur de la ville, mais on n'y trouve aucun détail sur l'importance respective de chacune des seigneuries ; on voit seulement, ce que nous savons depuis longtemps, que le duc y avait un prévôt, nommé Bouchard, Boicard, et que l'évêque y avait un maire, nommé Pierre.

Châtillon-sur-Seine devait en outre être le centre d'un assez grand mouvement commercial, et les industries métallurgiques qui, dans des temps plus rapprochés de nous, ont été la fortune du pays, étaient déjà en activité. Ces faits que transmettent assez rarement les documents du moyen âge méritent d'être signalés. C'est ainsi que nous trouvons, en 1168, un centre d'exploitation de cette nature à La Chaume[3], d'après une concession que Gauthier de Bourgogne, évêque de Langres, fit aux religieux de Clairvaux pour en tirer la mine de fer pour l'usine qu'ils se proposaient d'y édifier, et si voluerint in eodem territorio de Chalma fabricam habeant, avec autorisation de prendre dans le voisinage les bois nécessaires pour la construire[4]. Les moines de Clairvaux n'y avaient pas seuls le privilège exclusif, car en 1169, l'évêque Gauthier gratifie les religieux de l'abbaye d'Auberive[5], ainsi que ceux de Longuay[6], d'un privilège semblable, portant également sur le territoire de La Chaume et pays adjacents, qui relevaient du domaine de l'évêché.

C'est en 1169 que Hugues III, duc de Bourgogne, manifeste pour la première fois le désir de se rendre en terre sainte, lorsqu'il fit une donation aux religieux de l'abbaye de Fontenay, de droits sur la terre d'Etormay, de concert avec sa mère Marie de Champagne et sa femme Alix de Lorraine[7]. C'était un simple pèlerinage, comme beaucoup de seigneurs en entreprenaient alors, pèlerinages isolés qui avaient pour motif un but de piété ou l'expiation d'une faute. Cette détermination du duc décida toutefois un certain nombre de chevaliers du duché et du comté de Bourgogne à faire route avec lui. Son oncle Etienne, comte de Sancerre, l'accompagna également ce dernier était particulièrement chargé par le roi de France de porter aux chrétiens en détresse à Jérusalem des secours en argent qui étaient destinés à leur venir en aide[8]. Il fallait naturellement une escorte assez résistante pour défendre ce trésor contre les dangers à courir dans un si long trajet. Le comte Etienne Ier, chef de la branche cadette de Bourgogne, se joignit à eux, ainsi que plusieurs barons du comté. On a une charte de cet Etienne, comte de Bourgogne, qui donne avant son départ, en 1170, des biens aux religieux de Cîteaux, et les exempte de droits de péage, avec l'approbation de sa femme Joëte et de son frère Girard, comte de Mâcon[9]. Avec eux, Eudes de Champagne ou le Champenois, sire de Champlitte, cousin de l'Impératrice, prit la mer[10]. Citons encore l'évêque de Verdun[11], Gérard, sire de Fouvent, Othe de la Roche-sur-1'Ognon, Guillaume de Cicon, Eudes de Dampierre, Gaucher, sire de Salins, Amaury de Joux[12].

A ces croisés, il faut joindre, croyons-nous, bien que cela ne soit pas formellement spécifié, Hugues d'Arnay, Pierre de Jouey, Guillaume d'Orgeux, Barthélemy, chambrier ou chambellan du duc et son fidèle et inséparable compagnon, celui qui vivait avec lui sur le pied de la plus étroite intimité, Gérard de Rahon. Ces personnages paraissent en effet à Autun avec Hugues III, lorsqu'il prit sa route pour ce grand voyage, en 1171, et lorsqu'il accorde aux chanoines de l'église cathédrale de Saint-Lazare trois jours de justice, non compris les dix journées qu'ils avaient auparavant[13]. Eudes le Champenois, sénéchal, assistait à cet acte, ainsi que la duchesse Alix qui faisait la reconduite à son mari avec son fils Eudes. Guichard, archevêque de Lyon et légat du Pape, était venu en personne offrir ses vœux aux croisés pour l'heureux accomplissement de ce pèlerinage, et ces détails nous sont révélés par le chapelain du duc qui rédigea et écrivit la charte[14].

Tous ces personnages, à l'exception de Gérard de Fouvent, qui mourut dans la traversée[15], étaient de retour en 1172. Ils avaient essuyé dans le trajet une effroyable tempête, qui les mit dans le plus grand péril. Le duc, non moins effrayé que ses compagnons, croyait sa dernière heure venue, et, dans son effroi, fit vœu de construire à Dijon une église en l'honneur de la vierge Marie et de saint Jean l'Evangéliste. Il revint par Rome pour voir le Pape Alexandre III et lui demander la confirmation nécessaire à ses projets et à l'accomplissement de son vœu. Rentré à Dijon, il réunit son conseil et ses amis, et institua, pour desservir cette nouvelle église, dix chanoines, auxquels il assigna un revenu annuel, du consentement de la duchesse et de son fils. Ces chanoines, dont Nicolas, chapelain du duc, fut nommé doyen, devaient faire partie de sa maison, et étaient spécialement affectés au service de la famille ducale. Par une singulière disposition stipulée dans l'acte de fondation, le duc et la duchesse devaient, en signe de fraternité, donner le baiser à chacun des chanoines élus, et chaque duc et duchesse qui leur succéderaient étaient dans l'obligation de faire de même. C'était ce que l'on appelait recevoir les chanoines à féaulté de bouche. Parmi les assistants de la charte primitive, on rencontre la duchesse douairière Marie de Champagne, et des personnages qui avaient fait partie de la croisade, comme Guillaume d'Orgeux, le chambellan Barthélemy, et d'autres qui n'ont pas encore été cités Aymon de Dijon, chevalier, Renaud, bourgeois d'Autun, etc.[16]

Telle fut l'origine de la Sainte-Chapelle de Dijon, dont les constructions, immédiatement entreprises, furent conduites assez rapidement sous la direction de Hugues Lathôme, maître des œuvres. On a une lettre du Pape Alexandre III au duc de Bourgogne l'autorisant à commencer les travaux, à la date du 8 novembre 1172[17]. Quant à Hugues Lathôme, son nom nous est révélé par le nécrologe de la Sainte-Chapelle, qui porte sa mort au 8 des Ides de juin, à une année qui n'est pas indiquée[18].

Pendant l'absence du duc Hugues III, son oncle Hugues, dit le Roux, sire du châtelet de Chalon, était décédé. Pierre, évêque de Chalon-sur-Saône, déclare que, pendant la maladie à la suite de laquelle il avait succombé, Hugues le Roux avait fait aux religieux de la Ferté-sur-Grosne concession de la partie de la rivière de Saône, indivise entre lui et Guillaume, comte de Chalon. Ce document nous donne de plus le nom d'un des fils de Hugues le Roux de Bourgogne, nommé Guillaume, que nous trouvons ici pour la première fois, et qui dut mourir sans alliance[19]. Ce fils, inconnu jusqu'ici, ne reparaît qu'en 1186, dans un acte qui nomme son père Hugues, et Guillaume, comte de Chalon, son oncle ce qui prouve que Hugues le Roux avait épousé la sœur du comte de Chalon, dont le nom est ignoré[20].

Les fêtes de Pâques de l'année suivante furent signalées par un brillant tournoi, donné sur la frontière des états du duc de Bourgogne et du comte de Nevers, entre le 16 avril, jour auquel tombait Pâques, et le dimanche 23 avril 1173.

En suivant la grande route de Paris à Lyon, route qui côtoie entre Montbard et Aisy la rivière de l'Armançon et le canal de Bourgogne, on voit entre le petit village de Buffon, que notre grand naturaliste a rendu célèbre, et la tour démantelée du vieux château de Rougemont, classée comme monument historique, un immense amphithéâtre, dont la nature seule a fait les frais. Cet amphithéâtre, demi-circulaire, parfaitement régulier, a environ 800 mètres de diamètre. C'est un fer à cheval dont les parois sont formées par une montagne qui descend en pente raide sur un fond plat et uni, et dont les extrémités vont en s'élargissant sur la route qui lui sert de base, en face des forges de Buffon. Ce cirque gigantesque se prêtait merveilleusement aux exercices équestres et aux tournois, dont Gislebert de Mont nous a conservé le souvenir dans sa chronique du Hainaut[21].

Ce tournoi avait été organisé par les soins du jeune Gui, comte de Nevers, époux de Mathilde de Bourgogne, fille unique de Raimond de Bourgogne et petite-fille du duc Hugues II il avait lieu sur ses terres, dont Rougemont faisait partie, et précisément à la limite de la Bourgogne et du Nivernais. Les barons appartenant à ces deux provinces devaient seuls y participer, et il avait été fait défense à tous les étrangers d'y prendre part. Néanmoins le comte de Hainaut, Baudouin V le Courageux, s'y rendit avec cent chevaliers environ, équipés à ses frais, et malgré la défense formelle qui avait été faite, reçut personnellement l'hospitalité au château de Rougemont. Le duc de Bourgogne Hugues III y était accompagné d'une nombreuse escorte, et de chevaliers richement armés et suivis de leurs écuyers. Le comte de Hainaut se présenta sur le champ de bataille avec cinq de ses barons et combattit bravement tous ceux qui se présentèrent contre lui. Puis il se rendit à Rethel et passa ainsi cinq semaines en tournois. Une ancienne chronique manuscrite, rapportée par l'Art de vérifier les dates[22], raconte les faits différemment : « Quant il [le comte de Hainaut] approcha de Rougemont, li quens de Nevers defendi que on ne l'hébergeât pas pour ce ne laissa mie à héberger de quoy li quens de Nevers fu si courroucié, que il assembla contre li, et ot en sa compaignie le duc Henri (Hugues) de Bourgoigne. Li quens Bauduin s'appareilla de bien défendre mais li quens de Nevers ne parfit mie l'entreprise si s'en parti li quens Bauduin dou pays sans damaige, et vint à un tournoiement à Rethest (Rethel) ; de là revint en son pays. »

L'emplacement que nous venons de signaler resta longtemps encore un rendez-vous.de prédilection pour les joutes et ces exercices favoris du moyen âge. Lorsque Pierre de Courtenay, comte d'Auxerre, donna en 1194 une charte de franchise pour les bourgeois de cette ville, et s'engagea à ne pas les emmener trop loin au-delà du comté pour cause de guerre et de chevauchée, il se réserva cependant le droit de les conduire avec lui au tournoi à Chablis, à Joigny ou à Rougemont[23].

La sévère répression infligée par le roi Louis le Jeune quelques années auparavant dans le Chalonnais, avait enchaîné assez longtemps Girard de Màcon et les turbulents seigneurs de ce comté. Mais en 1171, cette crainte étant dissipée, Girard reprit ses habitudes de pillage, et revendiqua les armes à la main ses prétentions sur les terres de l'évêché de Mâcon. Sommé de comparaître à nouveau au parlement du Roi, il y renouvela les engagements qu'il avait déjà plusieurs fois violés. Pour réduire son autorité dans cette ville, Louis le Jeune fut obligé de revenir en personne au Mâconnais[24]. Etienne de Baugé, évêque de Chalon, ne pouvant se soustraire aux attaques de son adversaire, était venu, en 1171, à la tête de son chapitre, trouver le roi qui était à Vézelay, probablement aux fêtes de la Madeleine, et l'avait associé dans la propriété de divers domaines relevant de l'évêché, et qui étaient la cause de ces démêlés[25]. Cet acte n'avait fait que redoubler la colère du comte de Mâcon et l'ardeur de ses persécutions.

Au printemps de 1172, Louis le Jeune se mit en marche, et passa en Bourgogne les mois de mars et d'avril. Il se trouvait assurément près de Mâcon, où il avait dressé ses tentes, cum tandem juxta Matisconem in castris essemus[26], pendant les fêtes de Pâques, le 16 avril, qui commençait alors l'année 1172. C'est ce qui explique les deux diplômes datés de Tournus, en 1171[27], pendant que le dernier acte de justice royale se passe à Vinzelles, près Mâcon[28]. C'est à Vinzelles et non à Vézelay que le roi condamna Girard à démolir les maisons-fortes qu'il avait fait construire, à l'exception d'une tour, et lui fit reprendre en fief de la couronne royale les terres de Vinzelles, de Monbelet, de Sales, sauf la fidélité due par Girard à son frère Etienne[29]. Lorsque le comte de Mâcon vint cette même année au chapitre de l'abbaye de la Ferté, il ne put dissimuler le ressentiment qu'il éprouvait du souvenir de la répression royale, et traduisit ses sentiments dans des termes inaccoutumés[30]. Nous savons, d'autre part, que les religieux de Cîteaux n'avaient pas été mieux traités, et avaient eu à se plaindre de sa conduite. Girard, dans une charte sans date, déclare qu'oublieux comme son frère Etienne, comte de Bourgogne, des bons rapports qu'ils avaient avec les religieux, il s'était pour son compte livré à des actes d'injuste violence, qu'il avait par suite été excommunié et ses terres mises en interdit ; Il fit amende honorable, s'engageant à ne plus recommencer. En cas de récidive, il faisait serment de tenir otage pendant quarante jours à Losne, à Arlay ou ailleurs. Ses fils Guillaume et Gaucher approuvent, ainsi que ses barons, Aimon de Faucogney, Ponce de la Roche, Othe de la Roche, Gui de Trémelay[31]. En 1173, Girard, comte de Mâcon, avait fait la paix avec l'abbaye de Cîteaux, et y rappelle les donations de son frère Etienne, de pieuse mémoire. Il convient de plus que ses obsèques, à lui Girard, devront avoir lieu avec le cérémonial d'un abbé de l'ordre[32]. C'était cependant un honneur que le postulant ne méritait guère. Mais l'église avait des complaisances singulières, et l'on est étonné de voir avec quelle mobilité les seigneurs passaient de l'état de guerre à celui de la plus complète amitié. L'on est également surpris de voir leurs sollicitations au roi pour la moindre place. Joceran le Gros de Brancion avait eu de nombreux démêlés avec l'évêque de Mâcon, dans lesquels Louis le Jeune avait été contraint d'intervenir ; on a de lui une lettre dans laquelle il prie le roi d'agir auprès de l'évêque de Mâcon pour obtenir l'archidiaconat vacant de son église pour l'un de ses neveux qui en était chanoine[33]. Hugues de Berzé réclamait en même temps cette place pour son fils[34].

D'autre part, la lutte traditionnelle entre les comtes de Nevers et l'abbaye de Vézelay continuait toujours. Guy, frère de Guillaume IV, avant même d'avoir été promu à la chevalerie[35], avait épousé, en 1170, Mathilde de Bourgogne, veuve d'Eude d'Issoudun. Les violences coupables commises par lui contre Vézelay lui avaient déjà valu, malgré sa jeunesse, les peines de l'excommunication, lorsqu'il tomba malade à Clamecy, vers 1172 ou 1173[36]. Sa maladie prit bientôt un tel caractère de gravité que sa mort paraissait imminente et qu'un grand nombre de seigneurs et d'évêques accoururent auprès de lui. Mais en vain sa famille éplorée réclama l'absolution pour le moribond nul ne voulut consentir à le faire, en présence de l'anathème dont il était frappé. L'évêque d'Auxerre fut le seul qui prit la parole en sa faveur et qui détermina les assistants à se porter caution pour le comte[37]. L'absolution fut donnée, et, par un effort inespéré de la nature, Guy, revenu à la santé, témoigna son désir de réparer les dommages qu'il avait causés à divers monastères[38]. Mais il ne vécut pas assez longtemps pour prouver la sincérité de son repentir. Au printemps de l'année 1174, Hugues III, duc de Bourgogne, entrait en guerre avec le comte de Nevers. Ce dernier lui refusait foi et hommage pour certains domaines qui lui appartenaient, tant de son chef que de celui de sa femme, Mathilde de Bourgogne, cousine du Duc. Les troupes bourguignonnes envahirent l'Auxerrois, et après une lutte dont les péripéties sont restées inconnues, le comte de Nevers fut fait prisonnier par Hugues III, le 30 avril[39], et enfermé, selon toute apparence, au château de Beaune, puisque c'est là que le duc et le comte passèrent une convention, datée de la même année 1174[40]. Par ce traité, Gui reconnaissait devoir hommage pour divers fiefs, promettait de détruire les fortifications qu'il avait fait édifier à Argenteuil, à Saint-Cyr, à Bar (Barreio ?) et vers le gué de Vézelay, et s'engageait en cas de récidive à s'en rapporter au jugement d'Anséric de Montréal, d'Hugues de Mont-Saint-Jean, des abbés de Cîteaux et de Clairvaux. Il remit en gage deux mille marcs d'argent et donna pour garants de sa promesse les évêques de Langres, d'Autun, d'Auxerre et de Nevers. Ces conventions furent arrêtées par l'entremise d'Humbert de Beaujeu, en présence des personnages précités, et aussi de Gui de Vergy, Girard de Rahon, Narjod de Touci, Etienne et Hugues de Pierre-Perthuis, Gibaud de Saint-Vérain, Pierre de Courson, etc. Un fait nous paraît digne de remarque, c'est que Gui, comte de Nevers, donnant en gage au duc une si lourde somme de deux mille marcs d'argent, et n'ayant pas sans doute les moyens de se les procurer de suite, délivra aux habitants de Tonnerre la première charte d'affranchissement accordée à cette ville[41], dans laquelle il mourut l'année suivante.

Ces événements eurent sans doute lieu avant le mois de juillet 1174, puisque pendant les fêtes de la Madeleine, du même mois, le duc de Bourgogne, mandé avec les grands vassaux, comme les comtes de Flandre, de Champagne, de Blois et autres, assistait au siège de Rouen avec les troupes que Louis le Jeune conduisait en Normandie. Cette tentative n'eut pas de succès, le manque de vivres et la mortalité dont l'armée fut atteinte ayant forcé le roi à se retirer[42].

Nous devons citer encore des pèlerinages particuliers dont les cartulaires nous donnent l'indication, et qui se succédaient sans interruption. En 1174, Gui, seigneur de Verdun, avec le consentement de sa mère Asceline, de sa femme Achacia, de son fils Gui et de plusieurs autres de ses parents, vint à l'abbaye de Cîteaux avant de partir pour Jérusalem, se recommande aux prières de la communauté et accorde aux religieux un droit de péage sur ses terres[43]. En 1175, Regnier de Chaumont ou de Marac, avant son départ en Terre-Sainte, fait des concessions à l'abbaye de Longuay et réclame les oraisons des moines pour le bon succès de son voyage[44].

En 1177, Hugues III, duc de Bourgogne, prit en garde son petit-cousin, Eudes, fils d'Eudes d'Issoudun, premier mari de Mathilde de Bourgogne, et l'amena à sa cour pour faire son éducation, dans la crainte, dit Robert de Mont[45], qu'il ne tombât dans les mains de Henri, roi d'Angleterre. La mort d'Eudes Ier d'Issoudun remontait à une époque bien plus éloignée, car sa veuve était déjà remariée, en 1170, à Gui, comte de Nevers[46], mort lui-même en 1175. Les difficultés que le duc avait eues précédemment avec le comte de Nevers provenaient sans doute du conflit d'intérêts occasionné par cette seconde alliance. En 1176, Henri II, roi d'Angleterre, avait envoyé sa fille Jeanne en Sicile, avec un grand cortège et de riches présents, pour y épouser le roi Guillaume II. A leur retour, les ambassadeurs qui avaient accompagné la princesse, traversant la Bourgogne, furent dévalisés par le Duc, sans égard, dit Raoul de Diceto[47], pour cette maxime inviolable du droit des gens : Sanctum populis per secula nomen legati. On a vu que le duc Eudes Ier n'avait pas mieux agi au siècle précédent avec saint Anselme.

En octobre 1178, le duc de Bourgogne fut caution et garant, à Besançon, d'un acte de foi et hommage et d'une reprise de fief faite par Henri, comte de Bar-le-Duc, à l'empereur Frédéric Barberousse. Cet instrument, publié par Pérard[48], relate un grand nombre de témoins qui assistaient à cette cérémonie Guillaume, archevêque de Reims, Henri, comte palatin de Troyes, Louis, comte de Ferrette, Eudes le Champenois, Hugues, sire de Broyes, Symon de Commercy, Erard, comte de Brienne, Girard de Riveau, Symon de Beaufort, Barthelemy de Vignory, Geoffroy de Vienne, etc.

En décembre de la même année, le duc fit à Châtillon un accord avec l'évêque de Langres, son oncle, au sujet des hommes qui viendraient demeurer en cette ville. Ceux qui venaient s'établir à l'intérieur et entre les deux portes de Chaumont devaient être les hommes du Duc, ceux qui voulaient demeurer à l'extérieur seraient la propriété de l'évêque. De plus, Hugues III revendiquait encore comme siens les habitants qui viendraient des abbayes de Flavigny, de Pothières ou de Moutier-en-Der[49].

C'est aussi à Châtillon-sur-Seine, en 1179, que le Duc traita avec l'évêque Gauthier au sujet du comté de Langres, que le comte de Bar, Henri, avait reçu en fief de Hugues III et qui fut cédé à l'évêque, en présence de Girard de Rahon, Boin, prévôt de Châtillon, Viard Moriers, et autres[50]. Par un acte passé l'année précédente, le duc avait obtenu par échange ce comté de Gui de Saux, et en avait fait ratifier la teneur par ses fils Eudes et Alexandre, en présence des mêmes chevaliers[51].

C'est dans le printemps de cette année 1179, à la fin de mai[52], que Henri, comte de Champagne, se mit en route pour Jérusalem avec une escorte de croisés assez nombreuse, parmi lesquels il faut citer Pierre de Courtenay, fils du roi Louis VI ; Philippe, évêque de Beauvais, fils de Robert de France, comte de Dreux, le comte de Grandpré, Geoffroy, frère de ce dernier, Robert de Milly, Amaury, frère du comte de Mollant, Guillaume, maréchal de Champagne, Artaud, chambellan, Thibaud de Fimes[53]. Les pèlerins passèrent par la Bourgogne pour aller, selon toute apparence, s'embarquer à Marseille. Plusieurs chartes fixent l'itinéraire du comte de Champagne, que l'on rencontre d'abord à Châtillon-sur-Seine[54], dans une donation en faveur de l'Hôtel-Dieu de Bar-sur-Aube, et à l'abbaye des religieuses de Jully-les-Nonnains[55], à Dijon, où il fut admis par les moines de Saint-Bénigne aux bénéfices spirituels de la communauté[56], à Beaune, où il donne des droits de péage aux religieux de Cîteaux, apud Bernam cum irem Jherosolimam[57].

Le duc de Bourgogne, qui avait perdu son frère Henri, évêque d'Autun, dix années auparavant, perdit aussi son frère Gauthier, évêque de Langres, qui, après avoir assisté au sacre de Philippe-Auguste, se retira à la Chartreuse de Lugny, qu'il avait lui-même fondée et dont les constructions avaient été faites à ses frais. Il y revêtit l'habit de Saint-Bruno, et y mourut en janvier 1180, le 6 de ce mois, suivant le nécrologe de Langres, le 7, suivant l'obituaire de Saint-Étienne, de Dijon[58].

Gérard, comte de Mâcon, dont nous avons déjà raconté les tristes exploits et les fréquentes répressions qu'on avait dû exercer contre ses agissements, n'avait pas tenu les serments prêtés au roi, et ses dernières soumissions n'étaient pas plus sincères que les premières. Pour s'y soustraire, il s'était même allié avec le roi d'Angleterre, l'avait suivi à Limoges, et fut présent au traité de paix que ce monarque conclut avec Raymond V, comte de Toulouse[59]. En 1174, il s'était associé au comte de Chalon et au sire de Beaujeu pour faire des incursions sur les terres de l'abbaye de Cluny puis, profitant de l'état d'inaction où les infirmités avaient réduit Louis le Jeune, il redoubla ses violences contre l'évêque et l'église de Mâcon[60]. Toute la Bourgogne méridionale était dans un tel état de désolation lorsque Philippe-Auguste monta sur le trône, que ce prince fut obligé de venir en personne pour y mettre ordre. Rendez-vous fut assigné à Girard de Mâcon au château de Pierre-Perthuis, sur les bords de la Cure, près de Vézelay[61]. Les seigneurs qui avaient coopéré à ses méfaits y comparurent également, ainsi que leurs victimes. Par un diplôme de 1180, qui nous a été conservé[62], un jugement en termes très ménagés fut prononcé, en présence du roi et de sa cour, contre Girard. Les dispositions de cet arrêté n'offrent rien de différent de celles qui avaient été précédemment réglées par Louis-le-Jeune. On convenait que le comte de Vienne et de Mâcon ne devait rien prendre, soit dans les meubles, soit dans les immeubles, après la mort de l'évêque diocésain, qu'il n'avait à Mâcon d'autre forteresse que sa tour, et qu'à l'égard de la maison-forte qu'il avait fait édifier contre la défense qui lui en avait été faite, il serait tenu de la remettre au roi toutes les fois qu'il en serait requis[63].

Philippe-Auguste avait un autre motif de venir dans le Nivernais, car le comte Gui, en mourant, avait laissé ses enfants mineurs sous la garde du roi de France ; Louis VII avait négligé de s'en prévaloir, mais les conseillers qui dirigeaient la jeunesse de Philippe-Auguste se montrèrent plus soucieux de ses intérêts. Guillaume et Agnès de Nevers furent remis aux mains du roi pour être élevés sous ses yeux. On ne laissa à la veuve, Mathilde de Bourgogne, que le comté de Tonnerre, en retenant l'administration des deux autres comtés de Nevers et d'Auxerre, qui se trouvèrent pendant quelque temps sous la domination directe de l'autorité royale[64].

Hugues III, duc de Bourgogne, prit une participation active à toutes les luttes qui inaugurèrent tristement les premières années du règne de Philippe-Auguste. Il était ligué avec Philippe, comte de Flandre ; Guillaume, archevêque de Reims Thibaud, comte de Blois Etienne, comte de Sancerre ; Marie de France, comtesse de Champagne, contre le roi de France[65]. On sait que Philippe-Auguste, du vivant même de son père, s'était brouillé avec sa famille pour avoir, sur le conseil du comte de Flandre, épousé Elisabeth, fille du comte Baudouin de Hainaut. Lorsqu'il monta sur le trône, il se brouilla avec Philippe, comte de Flandre, et lorsqu'on en vint aux armes, le roi se trouva réduit à avoir pour allié l'éternel ennemi de sa couronne, le roi d'Angleterre. Le comte de Sancerre, violant toutes les lois féodales à rencontre du roi son neveu et son suzerain, envahit plusieurs de ses châteaux et les réunit sous la domination du comte de Flandre[66]. Chacun des barons engagés dans la lutte fit les mêmes représailles sur les terres ennemies, de sorte que dans toutes les provinces la conflagration menaçait de devenir générale, pendant l'année 1181[67]. « Il avint une fois ensi com li Rois Phelippes sejornoit à Senliz entre lui et sa gent, li quens de Flandres et li quens de Hainaut demoraient à Doai à tout, leur pooir. Cil des contrées d'entor France dégastoient le roiaume, et metoient en feu et en flame le païs, et ravissoient tout, et desroboient la terre le Roi. Li quens Estienes o toute sa gent, avoit assaillie la terre entor Boorges la cité, et entor Lorriz en Gastinois, et gastoit et ardoit tout. Li Dux de Borgoigne o toute sa gent gastoit le païs d'entor Sens. Simplement presque tuit li baron du roialme destruioient et dégastoient le païs[68]. » Enfin le 4 avril 1182, le roi d'Angleterre engagea les parties à faire la paix, dans une entrevue préliminaire qui eut lieu près de Gerberoy. Mais comme le duc de Bourgogne et la comtesse de Champagne n'assistaient pas à ces pourparlers, on réserva qu'ils se trouveraient le dimanche suivant, 4 avril, entre Senlis et Crépy-en-Valois pour signer le traité définitif[69]. On a deux lettres du roi d'Angleterre à ce sujet[70], dans lesquelles il parle du duc de Bourgogne, de ses adhérents, et du rendez-vous qui leur fut assigné. Au jour convenu, les rois de France et d'Angleterre se réunirent avec les intéressés, sauf le duc de Bourgogne et la comtesse de Champagne, qui se firent représenter par des ambassadeurs. Henri, évêque d'Albano, légat du Saint-Siège, offrit sa médiation, et la paix fut définitivement conclue. De sorte, qu'au dire d'un historien, nunquam nostra setate audivimus tantum belli incendium, tam parva pacis scintilla extinctum[71].

Si le duc de Bourgogne se trouvait mêlé à ces querelles des grands feudataires contre le roi, c'est qu'il avait pris des engagements antérieurs. Il avait assisté avec eux, le 14 mai 1181, à une grande réunion tenue à Provins, où étaient réunis les principaux membres de l'aristocratie féodale, hostiles à la politique adoptée par Philippe-Auguste Adèle, mère de ce prince, les comtes Thibaud de Blois, Etienne de Sancerre, Henri de Bar-le-Duc. On y arrêta les conventions d'un double mariage entre Baudouin de Hainaut et Marie de Champagne, et entre Henri II de Champagne et Yolande, la plus jeune fille du comte de Hainaut[72].

Les conventions de paix arrêtées le 11 avril 1182 étaient dénoncées au printemps de l'année suivante. Le 26 mars 1183, le comte de Flandre ayant perdu sa femme Isabelle de Vermandois, prétendit conserver le comté dont sa femme portait le nom et qu'il tenait de son chef. Philippe-Auguste le revendiqua les armes à la main, et la guerre dura environ trois années, avec quelques intermittences. Il est certain qu'en 1183, le duc de Bourgogne était de nouveau allié avec les comtes de Blois, de Sancerre, de Flandre et la comtesse de Champagne, contre Philippe-Auguste[73]. Gislebert de Mont raconte aussi[74] qu'en cette même année, au moment où le comte de Hainaut portait secours au comte de Flandre contre le roi de France, la reine Elisabeth était tellement haïe et détestée, qu'une cabale se forma contre elle. Un concile fut tenu à Soissons, et ceux qui y prirent part s'efforcèrent de réussir à amener le divorce du roi avec Elisabeth. Au nombre de ces personnages, il cite Hugues III, duc de Bourgogne, Guillaume, archevêque de Reims, Thibaud de Blois, Etienne, comte de Sancerre, oncles du Roi Raoul, comte de Clermont[75].

On ne peut se dispenser de signaler cette singulière coïncidence, qui fait apparaître le duc de Bourgogne à Soissons, l'année même où pour la première fois il accordait aux habitants de la ville de Dijon une charte d'affranchissement sur le modèle de celle de Soissons. Le texte de cette pièce ne nous a point été conservé, pour des motifs que nous aurons à expliquer, mais la confirmation qui en fut donnée par le roi Philippe-Auguste, à Chaumont, entre le 1er novembre 1183 et le 31 mars 1184[76], est une garantie suffisante. Le roi ratifiait la concession que le duc Hugues III et son fils Eudes faisait à ses hommes de Dijon, d'une commune, ad formam communie Suessionensis, sauf les droits dont jouissaient déjà les habitants. De plus, Philippe-Auguste se faisait garant de cette concession, et s'engageait à contraindre le duc de Bourgogne à y faire honneur, dans le cas où ce dernier eût été tenté de manquer à sa parole. Il n'y a pas autre chose. Un acte d'une si haute gravité, et sur lequel nous aurons bientôt occasion de revenir plus longuement, devait être ardemment désiré par le sentiment public de la population dijonnaise, cela n'est pas douteux. Indépendamment de ces motifs, sur lesquels les documents du moyen âge sont toujours muets, il faut rechercher si le duc n'avait pas de puissantes raisons pour le décider à agir ainsi, et si les embarras inextricables dans lesquels il était plongé ne furent pas alors une cause déterminante. Les questions de sentiment et de philanthropie étaient assez incomprises sous la féodalité pour que l'on recherche ailleurs le mobile d'une telle décision.

Nous avons vu Gui, comte de Nevers, prisonnier du duc quelques années auparavant et condamné à une amende de deux mille marcs, octroyer une charte d'affranchissement aux habitants de Tonnerre. On est surpris de trouver que la première charte de commune de Dijon est concédée au moment où le duc de Bourgogne est obligé de livrer à Philippe-Auguste une somme de deniers parisis pour les dégâts et les dommages causés aux églises et aux monastères de la province. La seconde charte de commune de Dijon, en 1187, est également donnée quelques jours après que le duc est condamné par le roi à payer une rançon de trente mille livres. Ces faits ne se produisent qu'à la suite des sièges de Vergy, de Châtillon-sur-Seine et autres événements de la plus haute importance dont le développement sera donné au chapitre suivant. Pour le moment, il suffit de constater l'état de gêne du duc de Bourgogne et les embarras financiers que lui avaient valu des guerres prolongées. Son alliance avec les comtes de Flandre, de Sancerre, de Champagne et les autres feudataires contre le roi, lui avait été très onéreuse. Il était déjà obéré quand Philippe-Auguste monta sur le trône, et avait été forcé de vendre Dampierre et plusieurs autres domaines à Mathilde, comtesse de Tonnerre ces ventes, dont il avait touché le montant, lui avaient rapporté trois cents marcs d'argent[77]. Les démêlés qu'il eut avec Manasses de Bar-sur-Seine et qui se traduisirent par un accord, en 1182, au sujet des droits respectifs des hommes de Châtillon-sur-Seine[78], ne provenaient que des subsides insolites, que le duc ou ses officiers exigeaient des habitants de cette ville. Son mariage avec Béatrix d'Albon, dauphine de Viennois et fille de Guigues V, comte de Vienne et d'Albon, n'était dû qu'à des motifs intéressés, comme le dit formellement Aubri de Trois-Fontaines : cupiditate magne terre quam tenebat, facta sunt ea[79]. Le duc répudiait sans but avouable Alix de Lorraine, qui avait été sa compagne pendant près de vingt années et qui lui avait donné quatre enfants il n'avait même pas le prétexte d'un degré de parenté il est vrai que le divorce était dans les habitudes du temps. C'est à la fin de 1183 que Hugues III contracta sa seconde union, qui fut célébrée à Saint-Gilles en Provence, dont Béatrix était restée comtesse, après la mort de son premier mari Albéric Taillefer, fils de Raimond V, comte de Toulouse. André, dauphin de Viennois, naquit la même année et on est assuré qu'il avait pour nourrice, en 1184, une femme du nom de Phelilie, qui reçut cette année du duc et de la duchesse des rentes sur la terre de Rouvre et sur le droit des vins à Dijon[80].

Mais n'anticipons pas sur les événements, et revenons sur les faits militaires considérables de l'année 1183.

 

FIN DU DEUXIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Voir l'excellent livre : Chartes de communes, t. I, p. 328 et suivantes.

[2] D. Plancher, t. I, pr., LXXX.

[3] Nous croyons qu'il s'agit ici de La Chaume, canton de Montigny-sur-Aube, non de Chaume, canton de Baigneux, toutes deux communes du Châtillonnais.

[4] Bibl. nat., F. latin, 10947, fol. 10 v°, Cartulaire de Clairvaux.

[5] Arch. de la Haute-Marne, Cartulaire d'Auberive, t. I, p. 663.

[6] Arch. de la Haute-Marne, Cartulaire de Longuay, f° 14.

[7] Arch. de la Côte-d'Or, F. Fontenay, H. 869, Vidimus.

[8] D. Bouquet, t. XIII, p. 314 C. D, Ex Roberti de Monte.

[9] Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Cîteaux, n° 167, fol. 68 v°.

[10] V. Clerc, Histoire de Franche-Comté, t. I, p. 368.

[11] Gallia Christiana, Eccl. Virdun., p. 1205.

[12] V. Clerc, Histoire de Franche-Comté, t. I, p. 368.

[13] D. Plancher, t. I, pr., LXXXV, Gall. Christ., t. IV, p. 94. Ce qui rend la supposition plus que probable, c'est que la plupart assistent en 1170 au chapitre général de Cîteaux, lorsque le Duc donne des droits de péage aux religieux, en présence de son oncle, Etienne, comte de Sancerre, de Girard de Fauverney, Guillaume d'Orgeux, etc.

[14] Testis est etiam capellanus meus qui hoc scripsit. Ce chapelain était Nicolas, qui fut le premier doyen de la Sainte-Chapelle.

[15] V. Clerc, Histoire de Franche-Comté, t. I, p. 369.

[16] Orig. Arch. de la Côte-d'Or, fonds de la Sainte-Chapelle de Dijon. H. 222 ; Ed. Gallia Christiana, t. IV, intr., col. 486-487. La pièce qui est la Bulle d'Innocent, en décembre 1172, comprend également toute la charte ducale. Voir dans les Mémoires de la commission des antiquités de la Côte-d'Or, t. VI, pp. 63 et suiv., un Essai historique sur la Sainte-Chapelle de Dijon, par M. d'Arbaumont.

[17] D. Bouquet, t. XV, p. 927 D.

[18] Necrologus antiquus capelle Ducis, mss. 622 de notre cabinet, fol. 53.

[19] Orig. Arch. de Saône-et-Loire, F. La Ferté.

[20] Orig. Arch. de Saône-et-Loire, voir notre t. III.

[21] Voir ce passage dans D. Bouquet, t. XIII, p. 573 B. C.

[22] Edition de 1818, t. XIII, p. 365.

[23] Lebeuf, Histoire d'Auxerre, nouv. éd., t. IV, p. 377.

[24] Il nous parait bien certain que le roi Louis le Jeune vint en Bourgogne en 1171 et en 1172, on a diverses chartes qui le prouvent. Les unes sont passées à Tournus, lorsque le Roi régla un accord entre l'abbé et les religieux de cette abbaye et les bourgeois de cette ville, relativement à la main-morte et à la taille. Chifflet, Histoire de Tournus, pp. 452-453 ; Juenin, Nouv. Histoire de Tournus, pp. 168-469. Le dernier diplôme de 1172 n'est pas daté de Vézelay, comme on l'a cru, mais de Vinzelles, près Mâcon, actum Vinzeliaci, château dont il est question dans la pièce, ainsi que l'un des barons qui en portait le nom « Hugo de Vinzellis. » Le roi dit : ... post guerras et dissentiones diutinas quae inter nos et comitem Girardum, et ecclesias nostras, et dominum Humbertum de Bellojoco extiterunt, tandem venimus Vinzeliacum... Juenin, Nouv. Histoire de Tournus, pp. 170, 171. — Cette expédition du roi que l'on trouve à Vinzelles a jeté les historiens dans une nouvelle confusion ; confusion de dates, confusion des noms de localités.

[25] Bibl. nat. Baluze, 54, fol. 480, A. Luchaire, Actes de Louis VII, pp. 438, 439.

[26] Perry, Histoire de Chalon-sur-Saône, pr. 83 ; Gallia Christ., t. IV, pr. 243.

[27] V. Perry, Chifflet, Juenin, Gall. Christ. aux fol. précités, et A. Luchaire, Actes de Louis VII, n° 609, 610, 611, 628 où ces actes ne sont pas, selon nous, rangés dans leur ordre chronologique.

[28] Juenin, Histoire de Tournus, p. 170,171 ; Ragut, Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon, pp. 383, 384. A. Luchaire, Actes de Louis VII, n° 628, place cet acte à Vézelay, prétendant que Vinzeliacum est une mauvaise lecture. Le mot est deux fois reproduit dans la pièce sous la même forme ; le chancelier Hugues, évêque de Soissons, qui écrivait les diplômes de Louis VII, avait trop de fois écrit le nom de Virziliacum (Vézelay) pour se méprendre ici. Peut-être est-ce à Vinzelles même que le roi avait établi son camp ?

[29] Art de vérifier les dates, édit. 1818, t. Il, pp. 24, 25 ; Histoire de Tournus, par Juenin, p. 170.

[30] Sciant presentes et futuri quod ego Girardus, comes Vienne et Matiscone ad me ipsum regressus sum, et videns qued melius est sperare in Domino quam in prtncipibus, reùogitavi elimosinis redimere peccam meam, et ita placare faciem domini. A la suite des concessions faites par cet acte de 1172, au chapitre de la Ferté-sur-Grosne, Girard demandait qu'il fût chanté, après son décès, une messe dans tous les monastères Cisterciens, comme pour un frère de l'ordre. Sa femme approuva ces dons, et ses enfants devaient faire de même quand ils seraient en âge. Les témoins sont Ponce de Cuiseaux, Tibert de Montmoret, Alard et Mile de Montmoret, Hugues de Vinzelles. Vidimus de 1252, Arch. de Saône-et-Loire, fonds de la Ferté.

[31] Cartulaire de Cîteaux, n° 167, fol. 69, aux Arch. de la Côte-d'Or.

[32] Cartulaire de Cîteaux, n° 167, fol. 69, r°.

[33] D. Bouquet, t. XVI, p. 434 D. E ; 435 A. Epist. Ludov. regis.

[34] D. Bouquet, p. 435 B. C. Epist. Ludov. regis.

[35] Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Molème, t. I, fol. 127 ; Ed. Duchesne, Ducs de Bourg., pr. p. 42 ; Cartulaire de l'Yonne, t. II, p. 223.

[36] On peut voir dans Lebeuf, Histoire d'Auxerre, nouv. éd., t. III, p. 109, les preuves qui fixent cette maladie du comte Guy à l'année 1172-1173, en l'absence de document contemporain.

[37] Ces détails sont extraits de la vie de Guillaume de Toucy, évêque d'Auxerre, dans le Gesta pontificum, Bibl. histor. de l'Yonne, t. I, pp. 422, 428.

[38] Voir un acte en faveur de Vézelay, dans l'Inventaire des titres de Nevers, de Marolles, et en faveur de l'abbaye de Saint-Germain d'Auxerre, Cartulaire de l'Yonne, t. II, p. 267.

[39] Ex brevi chronic. Altissiod., apud D. Bouquet, t. XII, p. 299 D.

[40] Edité dans Pérard, pp. 247, 248 ; Maison de Chastellux, pp. 272, 273 ; Cartulaire de l'Yonne, pp. 249, 230, 251.

[41] Chartes et titres anciens des habitants de Tonnerre, Auxerre, 1630, pp. 1, 7 ; Cartulaire de l'Yonne, t. II, p. 239. Cet affranchissement est donné en cette même année 1174.

[42] Voir Chronicon Rothomagense, apud D. Bouquet, XII, 786 B ; Guillelmus Neubrigensis, D. Bouquet, t. XIII, pp. 116, 117 ; Radulphus de Diceto, Imagines historiarum, D. Bouquet, pp. 195, 196, t. XIII.

[43] Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Cîteaux, n° 167, f° 98.

[44] Arch. de la Haute-Marne, Cartulaire de Longuay, fol. III.

[45] D. Bouquet, t. XIII, p. 320 E.

[46] Au sujet d'Eudes Ier d'Issoudun, on peut voir Bibl. nat., F. lat. nouv. acq. 2298, fol. 5, une curieuse charte originale inédite, provenant des titres Grangier de la Marinière, dans laquelle il paraît avec son père Raoul, son oncle Savaric et son grand-père Geoffroi.

[47] D. Bouquet, t. XIII, p, 200 C. Imagines historiar.

[48] Pérard, pp. 253, 254.

[49] D. Plancher, t. I, pr. 93 ; Garnier, Chartes des communes, t. I, pp. 331, 332.

[50] Gallia Christiana, t. IV, pr. p. 488 ; D. Plancher, t. I, p. 95 ; Pérard, p. 284.

[51] Gallia Christiana, t. IV, pr. p. 487. D. Plancher, t. I, pr. 92 ; Pérard, p. 252.

[52] Voir d'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et des comtes de Champagne, t. III, p. 107.

[53] Ces noms nous sont fournis par la charte donnée à Beaune.

[54] Orig. Arch.de l'hospice de Bar-sur-Aube. Ed. Chevalier. Histoire de Bar-sur-Aube, pp. 300, 301.

[55] Ed. Notre Cartulaire de Jully-les-Nonnains, p. 23.

[56] Pérard, p. 254 Martenne, Anecdot., t. I, pp. 891, 692, Brussel, 778, note.

[57] Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Cîteaux, t. II, f. 73, r°.

[58] Gallia Christiana, t. IV, col. 687.

[59] Vaissette, Histoire de Languedoc, t. III, p. 31.

[60] V. l'Art de vérifier les dates, édition 1818, t. II, p. 25.

[61] Les ruines du château de Pierre-Perthuis sont des plus pittoresques et des plus curieuses de celles que nous avons visitées. Nous avons essayé de faire aux XIe et XIIe s., la généalogie de cette famille féodale qui offre bien des lacunes.

[62] Ed. Duchesne, Maison de Vergy, pr. p. 119. V. Catalogue des actes de Philippe-Auguste, de M. Delisle ; Histoire des Sires de Salins, par Guillaume, t. I, p. 70.

[63] V. Art de vérifier les dates, t. II, p. 25, et une relation française donnant beaucoup de noms erronés, dans D. Bouquet, t. XVII, p. 429 C.

[64] Ces faits ressortent de la Chronique de Saint-Marien, Ed. Camuzat, p. 86.

[65] D. Bouquet, t. XVIII, p. 250 B. Ex chron. sancti Mari. Autissiod.

[66] D. Bouquet, t. XVII, p. 619. A. B. Ex Radulfi de Diceto.

[67] V. D. Bouquet, t. XVII, 425, A, Liber III, Historiée regum Francorum ; t. XVIII, p. 535, D. Annales Aquicinctensis monasterii.

[68] D. Bouquet, t. XVII, p. 429. D, d'après un fragment du temps, composé en latin, et traduit en français vers 1226.

[69] Geraldus Cambrensis, De Instructione principis, D. Bouquet, t. XVIII, p. 133 D et 134 A.

[70] D. Bouquet, t. XVIII, p. 133 D et 134 A.

[71] D. Bouquet, t. XVIII, p. 635 D, Ex annal. Aquicinctensis monasterii.

[72] V. d'Arbois de Jubainville, Histoire des comtes de Champagne, t. IV, p. 8, 9.

[73] Note écrite dans un manuscrit de l'abbaye d'Arouaise, Martene, Deuxième voyage littéraire, p. 61 ; Art de vérifier les dates, t. III, p. 13.

[74] Apud D. Bouquet, t. XVIII, p. 374 D.

[75] D. Bouquet, t. XVIII, p. 371 D, ex Gisleb Monteus.

[76] Voir Delisle, Catalogue des actes de Philippe-Auguste, n° 88, Ed. Pérard, p. 340 ; Garnier, Chartes de communes, t. I, p. 4.

[77] Voir la charte dans D. Plancher, t. I, p. LXXXXVII.

[78] Pérard, p. 300 ; Garnier, Chartes de communes, t. I, pp. 334-334.

[79] D. Bouquet, t. XVIII, p. 746 C.

[80] Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de la Sainte-Chapelle, n° 40.