Hugues III, duc de
Bourgogne, fait construire les fortifications de Châtillon. — Ses droits dans
cette ville. — Exploitations métallurgiques. — Croisade bourguignonne de
1170. — Construction de la Sainte-Chapelle de Dijon. — Mort de Hugues le
Roux. — Grand tournoi de Rougemont, près Montbard. — Nouvelles luttes de
Girard de Vienne et de Mâcon contre l'évêque de cette ville. — Expédition
militaire du roi Louis le Jeune dans le Mâconnais. — Excommunication de Gui,
comte de Nevers ; il est fait prisonnier par le Duc de Bourgogne, et traite
avec lui. — Accords entre le Duc et l'évêque de Langres, au sujet de
Châtillon ; au sujet du comté de Langres. — Départ du comte de Champagne en
Terre sainte. — Causes qui amenèrent à Pierre Perthuis le roi
Philippe-Auguste, administrateur des comtés de Nevers et d'Auxerre, et tuteur
des enfants mineurs du comte Gui de Nevers. — Jugement rendu contre le comte
de Mâcon. — Participation du duc Hugues III dans les affaires générales. —
Motifs probables qui déterminent le premier acte d'affranchissement accordé
aux habitants de Dijon. — Embarras du Duc. — Il répudie sa première femme
Alix de Lorraine, et épouse Béatrix d'Albon, comtesse de Viennois.
De
toutes les villes de Bourgogne, celle de Châtillon-sur-Seine était l'une de
celles où les ducs de Bourgogne paraissent avoir eu dès l'origine la plus
grande somme de revenus utiles. Si les évêques de Langres possédaient la
partie la plus ancienne que l'on nommait le Bourg ; le château de Chaumont,
qui s'élevait sur la rive opposée de la Seine et qui dominait la contrée,
était la possession exclusive des ducs, qui y entretenaient de nombreux
officiers et un personnel assez considérable. Pendant le XIe siècle, on a vu
déjà beaucoup de personnages et de chevaliers qui portaient le nom de
Châtillon, remplir à la cour ducale les principaux offices, et surtout celui
de dapifer ou de sénéchal. Entre
le Bourg et le château, l'abbaye de Notre-Dame, avec son église, son cloître,
ses jardins et ses vastes enclos, formait une troisième seigneurie
parfaitement distincte, dont les ducs avaient la garde. Ceux-ci avaient été
également investis de certains droits sur le Bourg, par les évêques de
Langres, qui, trop éloignés de cette terre, ne pouvaient la protéger contre
l'envahissante convoitise des seigneurs du voisinage puis ces droits
s'étaient successivement accrus, et, ce qui était inévitable, le plus
puissant des trois seigneurs, par suite d'usurpations et d'accroissements
successifs, tendait à centraliser sous sa domination tout le domaine, sauf la
suzeraineté qu'il devait à l'évêque. Encore les ducs cherchèrent-ils plus
d'une fois à s'affranchir de cette vassalité, car cette juxtaposition de
pouvoirs fournissait mainte occasion de conflits, qui venaient retentir à lg
cour de France ou à celle de Rome. On passait des transactions assez peu
observées pour régler les droits de chacune des parties, pour la distribution
de la justice, et fixer l'état distinct des personnes de ces trois
seigneuries. « Aussi, dit M. Garnier[1], tout en conservant les
apparences d'une suzeraineté qui allait chaque jour s'affaiblissant
davantage, l'évêque de Langres n'eut bientôt plus à Châtillon que des
redevances à percevoir, et une juridiction que son puissant vassal ne
respectait pas toujours. » On a
déjà vu ces contestations paraître au jugement de Moret entre l'évêque
Godefroy et le duc Eudes II lorsque l'évêque Gauthier de Bourgogne prit
possession du siège de Langres, les circonstances parurent favorables au duc
son neveu pour en obtenir de nouvelles concessions et une extension de
pouvoir, et sous prétexte que cette ville frontière formait la limite de la
Bourgogne et de la Champagne, le duc obtint de l'évêque le droit de fortifier
la ville et de l'entourer de murailles. A ce sujet, une convention eut lieu
entre les deux parties, en 1168[2]. Cet accord, rédigé en termes
assez brefs, réserve les droits des hommes de Châtillon appartenant à
l'évêque et demeurant tant dans l'intérieur du bourg qu'à l'extérieur de la
ville, mais on n'y trouve aucun détail sur l'importance respective de chacune
des seigneuries ; on voit seulement, ce que nous savons depuis longtemps, que
le duc y avait un prévôt, nommé Bouchard, Boicard, et que l'évêque y
avait un maire, nommé Pierre. Châtillon-sur-Seine
devait en outre être le centre d'un assez grand mouvement commercial, et les
industries métallurgiques qui, dans des temps plus rapprochés de nous, ont
été la fortune du pays, étaient déjà en activité. Ces faits que transmettent
assez rarement les documents du moyen âge méritent d'être signalés. C'est
ainsi que nous trouvons, en 1168, un centre d'exploitation de cette nature à
La Chaume[3], d'après une concession que
Gauthier de Bourgogne, évêque de Langres, fit aux religieux de Clairvaux pour
en tirer la mine de fer pour l'usine qu'ils se proposaient d'y édifier, et
si voluerint in eodem territorio de Chalma fabricam habeant, avec
autorisation de prendre dans le voisinage les bois nécessaires pour la
construire[4]. Les moines de Clairvaux n'y
avaient pas seuls le privilège exclusif, car en 1169, l'évêque Gauthier
gratifie les religieux de l'abbaye d'Auberive[5], ainsi que ceux de Longuay[6], d'un privilège semblable,
portant également sur le territoire de La Chaume et pays adjacents, qui
relevaient du domaine de l'évêché. C'est
en 1169 que Hugues III, duc de Bourgogne, manifeste pour la première fois le
désir de se rendre en terre sainte, lorsqu'il fit une donation aux religieux
de l'abbaye de Fontenay, de droits sur la terre d'Etormay, de concert avec sa
mère Marie de Champagne et sa femme Alix de Lorraine[7]. C'était un simple pèlerinage,
comme beaucoup de seigneurs en entreprenaient alors, pèlerinages isolés qui
avaient pour motif un but de piété ou l'expiation d'une faute. Cette détermination
du duc décida toutefois un certain nombre de chevaliers du duché et du comté
de Bourgogne à faire route avec lui. Son oncle Etienne, comte de Sancerre,
l'accompagna également ce dernier était particulièrement chargé par le roi de
France de porter aux chrétiens en détresse à Jérusalem des secours en argent
qui étaient destinés à leur venir en aide[8]. Il fallait naturellement une
escorte assez résistante pour défendre ce trésor contre les dangers à courir
dans un si long trajet. Le comte Etienne Ier, chef de la branche cadette de
Bourgogne, se joignit à eux, ainsi que plusieurs barons du comté. On a une
charte de cet Etienne, comte de Bourgogne, qui donne avant son départ, en 1170,
des biens aux religieux de Cîteaux, et les exempte de droits de péage, avec
l'approbation de sa femme Joëte et de son frère Girard, comte de Mâcon[9]. Avec eux, Eudes de Champagne
ou le Champenois, sire de Champlitte, cousin de l'Impératrice, prit la mer[10]. Citons encore l'évêque de
Verdun[11], Gérard, sire de Fouvent, Othe
de la Roche-sur-1'Ognon, Guillaume de Cicon, Eudes de Dampierre, Gaucher,
sire de Salins, Amaury de Joux[12]. A ces
croisés, il faut joindre, croyons-nous, bien que cela ne soit pas
formellement spécifié, Hugues d'Arnay, Pierre de Jouey, Guillaume d'Orgeux,
Barthélemy, chambrier ou chambellan du duc et son fidèle et inséparable
compagnon, celui qui vivait avec lui sur le pied de la plus étroite intimité,
Gérard de Rahon. Ces personnages paraissent en effet à Autun avec Hugues III,
lorsqu'il prit sa route pour ce grand voyage, en 1171, et lorsqu'il accorde aux
chanoines de l'église cathédrale de Saint-Lazare trois jours de justice, non
compris les dix journées qu'ils avaient auparavant[13]. Eudes le Champenois, sénéchal,
assistait à cet acte, ainsi que la duchesse Alix qui faisait la reconduite à
son mari avec son fils Eudes. Guichard, archevêque de Lyon et légat du Pape,
était venu en personne offrir ses vœux aux croisés pour l'heureux accomplissement
de ce pèlerinage, et ces détails nous sont révélés par le chapelain du duc
qui rédigea et écrivit la charte[14]. Tous
ces personnages, à l'exception de Gérard de Fouvent, qui mourut dans la
traversée[15], étaient de retour en 1172. Ils
avaient essuyé dans le trajet une effroyable tempête, qui les mit dans le
plus grand péril. Le duc, non moins effrayé que ses compagnons, croyait sa
dernière heure venue, et, dans son effroi, fit vœu de construire à Dijon une
église en l'honneur de la vierge Marie et de saint Jean l'Evangéliste. Il
revint par Rome pour voir le Pape Alexandre III et lui demander la
confirmation nécessaire à ses projets et à l'accomplissement de son vœu.
Rentré à Dijon, il réunit son conseil et ses amis, et institua, pour
desservir cette nouvelle église, dix chanoines, auxquels il assigna un revenu
annuel, du consentement de la duchesse et de son fils. Ces chanoines, dont
Nicolas, chapelain du duc, fut nommé doyen, devaient faire partie de sa
maison, et étaient spécialement affectés au service de la famille ducale. Par
une singulière disposition stipulée dans l'acte de fondation, le duc et la
duchesse devaient, en signe de fraternité, donner le baiser à chacun des
chanoines élus, et chaque duc et duchesse qui leur succéderaient étaient dans
l'obligation de faire de même. C'était ce que l'on appelait recevoir les
chanoines à féaulté de bouche. Parmi les assistants de la charte
primitive, on rencontre la duchesse douairière Marie de Champagne, et des
personnages qui avaient fait partie de la croisade, comme Guillaume d'Orgeux,
le chambellan Barthélemy, et d'autres qui n'ont pas encore été cités Aymon de
Dijon, chevalier, Renaud, bourgeois d'Autun, etc.[16] Telle
fut l'origine de la Sainte-Chapelle de Dijon, dont les constructions,
immédiatement entreprises, furent conduites assez rapidement sous la
direction de Hugues Lathôme, maître des œuvres. On a une lettre du Pape
Alexandre III au duc de Bourgogne l'autorisant à commencer les travaux, à la
date du 8 novembre 1172[17]. Quant à Hugues Lathôme, son
nom nous est révélé par le nécrologe de la Sainte-Chapelle, qui porte sa mort
au 8 des Ides de juin, à une année qui n'est pas indiquée[18]. Pendant
l'absence du duc Hugues III, son oncle Hugues, dit le Roux, sire du châtelet
de Chalon, était décédé. Pierre, évêque de Chalon-sur-Saône, déclare que,
pendant la maladie à la suite de laquelle il avait succombé, Hugues le Roux
avait fait aux religieux de la Ferté-sur-Grosne concession de la partie de la
rivière de Saône, indivise entre lui et Guillaume, comte de Chalon. Ce
document nous donne de plus le nom d'un des fils de Hugues le Roux de
Bourgogne, nommé Guillaume, que nous trouvons ici pour la première fois, et
qui dut mourir sans alliance[19]. Ce fils, inconnu jusqu'ici, ne
reparaît qu'en 1186, dans un acte qui nomme son père Hugues, et Guillaume,
comte de Chalon, son oncle ce qui prouve que Hugues le Roux avait épousé la
sœur du comte de Chalon, dont le nom est ignoré[20]. Les
fêtes de Pâques de l'année suivante furent signalées par un brillant tournoi,
donné sur la frontière des états du duc de Bourgogne et du comte de Nevers,
entre le 16 avril, jour auquel tombait Pâques, et le dimanche 23 avril 1173. En
suivant la grande route de Paris à Lyon, route qui côtoie entre Montbard et
Aisy la rivière de l'Armançon et le canal de Bourgogne, on voit entre le
petit village de Buffon, que notre grand naturaliste a rendu célèbre, et la
tour démantelée du vieux château de Rougemont, classée comme monument
historique, un immense amphithéâtre, dont la nature seule a fait les frais.
Cet amphithéâtre, demi-circulaire, parfaitement régulier, a environ 800
mètres de diamètre. C'est un fer à cheval dont les parois sont formées par
une montagne qui descend en pente raide sur un fond plat et uni, et dont les
extrémités vont en s'élargissant sur la route qui lui sert de base, en face
des forges de Buffon. Ce cirque gigantesque se prêtait merveilleusement aux
exercices équestres et aux tournois, dont Gislebert de Mont nous a conservé
le souvenir dans sa chronique du Hainaut[21]. Ce
tournoi avait été organisé par les soins du jeune Gui, comte de Nevers, époux
de Mathilde de Bourgogne, fille unique de Raimond de Bourgogne et petite-fille
du duc Hugues II il avait lieu sur ses terres, dont Rougemont faisait partie,
et précisément à la limite de la Bourgogne et du Nivernais. Les barons
appartenant à ces deux provinces devaient seuls y participer, et il avait été
fait défense à tous les étrangers d'y prendre part. Néanmoins le comte de
Hainaut, Baudouin V le Courageux, s'y rendit avec cent chevaliers environ,
équipés à ses frais, et malgré la défense formelle qui avait été faite, reçut
personnellement l'hospitalité au château de Rougemont. Le duc de Bourgogne
Hugues III y était accompagné d'une nombreuse escorte, et de chevaliers
richement armés et suivis de leurs écuyers. Le comte de Hainaut se présenta
sur le champ de bataille avec cinq de ses barons et combattit bravement tous
ceux qui se présentèrent contre lui. Puis il se rendit à Rethel et passa
ainsi cinq semaines en tournois. Une ancienne chronique manuscrite, rapportée
par l'Art de vérifier les dates[22], raconte les faits différemment :
« Quant il [le comte de Hainaut] approcha de Rougemont, li quens de Nevers
defendi que on ne l'hébergeât pas pour ce ne laissa mie à héberger de quoy li
quens de Nevers fu si courroucié, que il assembla contre li, et ot en sa
compaignie le duc Henri (Hugues) de Bourgoigne. Li quens Bauduin s'appareilla de bien défendre
mais li quens de Nevers ne parfit mie l'entreprise si s'en parti li quens
Bauduin dou pays sans damaige, et vint à un tournoiement à Rethest (Rethel) ; de là revint en son
pays. » L'emplacement
que nous venons de signaler resta longtemps encore un rendez-vous.de
prédilection pour les joutes et ces exercices favoris du moyen âge. Lorsque
Pierre de Courtenay, comte d'Auxerre, donna en 1194 une charte de franchise
pour les bourgeois de cette ville, et s'engagea à ne pas les emmener trop
loin au-delà du comté pour cause de guerre et de chevauchée, il se réserva
cependant le droit de les conduire avec lui au tournoi à Chablis, à Joigny ou
à Rougemont[23]. La
sévère répression infligée par le roi Louis le Jeune quelques années
auparavant dans le Chalonnais, avait enchaîné assez longtemps Girard de Màcon
et les turbulents seigneurs de ce comté. Mais en 1171, cette crainte étant
dissipée, Girard reprit ses habitudes de pillage, et revendiqua les armes à
la main ses prétentions sur les terres de l'évêché de Mâcon. Sommé de
comparaître à nouveau au parlement du Roi, il y renouvela les engagements
qu'il avait déjà plusieurs fois violés. Pour réduire son autorité dans cette
ville, Louis le Jeune fut obligé de revenir en personne au Mâconnais[24]. Etienne de Baugé, évêque de
Chalon, ne pouvant se soustraire aux attaques de son adversaire, était venu,
en 1171, à la tête de son chapitre, trouver le roi qui était à Vézelay,
probablement aux fêtes de la Madeleine, et l'avait associé dans la propriété
de divers domaines relevant de l'évêché, et qui étaient la cause de ces
démêlés[25]. Cet acte n'avait fait que
redoubler la colère du comte de Mâcon et l'ardeur de ses persécutions. Au
printemps de 1172, Louis le Jeune se mit en marche, et passa en Bourgogne les
mois de mars et d'avril. Il se trouvait assurément près de Mâcon, où il avait
dressé ses tentes, cum tandem juxta Matisconem in castris essemus[26], pendant les fêtes de Pâques,
le 16 avril, qui commençait alors l'année 1172. C'est ce qui explique les
deux diplômes datés de Tournus, en 1171[27], pendant que le dernier acte de
justice royale se passe à Vinzelles, près Mâcon[28]. C'est à Vinzelles et non à
Vézelay que le roi condamna Girard à démolir les maisons-fortes qu'il avait
fait construire, à l'exception d'une tour, et lui fit reprendre en fief de la
couronne royale les terres de Vinzelles, de Monbelet, de Sales, sauf la
fidélité due par Girard à son frère Etienne[29]. Lorsque le comte de Mâcon vint
cette même année au chapitre de l'abbaye de la Ferté, il ne put dissimuler le
ressentiment qu'il éprouvait du souvenir de la répression royale, et
traduisit ses sentiments dans des termes inaccoutumés[30]. Nous savons, d'autre part, que
les religieux de Cîteaux n'avaient pas été mieux traités, et avaient eu à se
plaindre de sa conduite. Girard, dans une charte sans date, déclare
qu'oublieux comme son frère Etienne, comte de Bourgogne, des bons rapports qu'ils
avaient avec les religieux, il s'était pour son compte livré à des actes
d'injuste violence, qu'il avait par suite été excommunié et ses terres mises
en interdit ; Il fit amende honorable, s'engageant à ne plus recommencer. En
cas de récidive, il faisait serment de tenir otage pendant quarante jours à
Losne, à Arlay ou ailleurs. Ses fils Guillaume et Gaucher approuvent, ainsi
que ses barons, Aimon de Faucogney, Ponce de la Roche, Othe de la Roche, Gui
de Trémelay[31]. En 1173, Girard, comte de
Mâcon, avait fait la paix avec l'abbaye de Cîteaux, et y rappelle les
donations de son frère Etienne, de pieuse mémoire. Il convient de plus que
ses obsèques, à lui Girard, devront avoir lieu avec le cérémonial d'un abbé
de l'ordre[32]. C'était cependant un honneur
que le postulant ne méritait guère. Mais l'église avait des complaisances
singulières, et l'on est étonné de voir avec quelle mobilité les seigneurs
passaient de l'état de guerre à celui de la plus complète amitié. L'on est
également surpris de voir leurs sollicitations au roi pour la moindre place.
Joceran le Gros de Brancion avait eu de nombreux démêlés avec l'évêque de
Mâcon, dans lesquels Louis le Jeune avait été contraint d'intervenir ; on a
de lui une lettre dans laquelle il prie le roi d'agir auprès de l'évêque de
Mâcon pour obtenir l'archidiaconat vacant de son église pour l'un de ses
neveux qui en était chanoine[33]. Hugues de Berzé réclamait en
même temps cette place pour son fils[34]. D'autre
part, la lutte traditionnelle entre les comtes de Nevers et l'abbaye de
Vézelay continuait toujours. Guy, frère de Guillaume IV, avant même d'avoir
été promu à la chevalerie[35], avait épousé, en 1170,
Mathilde de Bourgogne, veuve d'Eude d'Issoudun. Les violences coupables
commises par lui contre Vézelay lui avaient déjà valu, malgré sa jeunesse,
les peines de l'excommunication, lorsqu'il tomba malade à Clamecy, vers 1172
ou 1173[36]. Sa maladie prit bientôt un tel
caractère de gravité que sa mort paraissait imminente et qu'un grand nombre
de seigneurs et d'évêques accoururent auprès de lui. Mais en vain sa famille
éplorée réclama l'absolution pour le moribond nul ne voulut consentir à le
faire, en présence de l'anathème dont il était frappé. L'évêque d'Auxerre fut
le seul qui prit la parole en sa faveur et qui détermina les assistants à se
porter caution pour le comte[37]. L'absolution fut donnée, et,
par un effort inespéré de la nature, Guy, revenu à la santé, témoigna son
désir de réparer les dommages qu'il avait causés à divers monastères[38]. Mais il ne vécut pas assez
longtemps pour prouver la sincérité de son repentir. Au printemps de l'année
1174, Hugues III, duc de Bourgogne, entrait en guerre avec le comte de
Nevers. Ce dernier lui refusait foi et hommage pour certains domaines qui lui
appartenaient, tant de son chef que de celui de sa femme, Mathilde de
Bourgogne, cousine du Duc. Les troupes bourguignonnes envahirent l'Auxerrois,
et après une lutte dont les péripéties sont restées inconnues, le comte de
Nevers fut fait prisonnier par Hugues III, le 30 avril[39], et enfermé, selon toute
apparence, au château de Beaune, puisque c'est là que le duc et le comte
passèrent une convention, datée de la même année 1174[40]. Par ce traité, Gui
reconnaissait devoir hommage pour divers fiefs, promettait de détruire les
fortifications qu'il avait fait édifier à Argenteuil, à Saint-Cyr, à Bar (Barreio ?) et vers le gué de Vézelay, et
s'engageait en cas de récidive à s'en rapporter au jugement d'Anséric de
Montréal, d'Hugues de Mont-Saint-Jean, des abbés de Cîteaux et de Clairvaux.
Il remit en gage deux mille marcs d'argent et donna pour garants de sa promesse
les évêques de Langres, d'Autun, d'Auxerre et de Nevers. Ces conventions
furent arrêtées par l'entremise d'Humbert de Beaujeu, en présence des personnages
précités, et aussi de Gui de Vergy, Girard de Rahon, Narjod de Touci, Etienne
et Hugues de Pierre-Perthuis, Gibaud de Saint-Vérain, Pierre de Courson, etc.
Un fait nous paraît digne de remarque, c'est que Gui, comte de Nevers,
donnant en gage au duc une si lourde somme de deux mille marcs d'argent, et
n'ayant pas sans doute les moyens de se les procurer de suite, délivra aux
habitants de Tonnerre la première charte d'affranchissement accordée à cette
ville[41], dans laquelle il mourut
l'année suivante. Ces
événements eurent sans doute lieu avant le mois de juillet 1174, puisque
pendant les fêtes de la Madeleine, du même mois, le duc de Bourgogne, mandé
avec les grands vassaux, comme les comtes de Flandre, de Champagne, de Blois
et autres, assistait au siège de Rouen avec les troupes que Louis le Jeune
conduisait en Normandie. Cette tentative n'eut pas de succès, le manque de
vivres et la mortalité dont l'armée fut atteinte ayant forcé le roi à se
retirer[42]. Nous
devons citer encore des pèlerinages particuliers dont les cartulaires nous
donnent l'indication, et qui se succédaient sans interruption. En 1174, Gui,
seigneur de Verdun, avec le consentement de sa mère Asceline, de sa femme
Achacia, de son fils Gui et de plusieurs autres de ses parents, vint à
l'abbaye de Cîteaux avant de partir pour Jérusalem, se recommande aux prières
de la communauté et accorde aux religieux un droit de péage sur ses terres[43]. En 1175, Regnier de Chaumont
ou de Marac, avant son départ en Terre-Sainte, fait des concessions à
l'abbaye de Longuay et réclame les oraisons des moines pour le bon succès de
son voyage[44]. En
1177, Hugues III, duc de Bourgogne, prit en garde son petit-cousin, Eudes,
fils d'Eudes d'Issoudun, premier mari de Mathilde de Bourgogne, et l'amena à
sa cour pour faire son éducation, dans la crainte, dit Robert de Mont[45], qu'il ne tombât dans les mains
de Henri, roi d'Angleterre. La mort d'Eudes Ier d'Issoudun remontait à une
époque bien plus éloignée, car sa veuve était déjà remariée, en 1170, à Gui,
comte de Nevers[46], mort lui-même en 1175. Les
difficultés que le duc avait eues précédemment avec le comte de Nevers
provenaient sans doute du conflit d'intérêts occasionné par cette seconde
alliance. En 1176, Henri II, roi d'Angleterre, avait envoyé sa fille Jeanne
en Sicile, avec un grand cortège et de riches présents, pour y épouser le roi
Guillaume II. A leur retour, les ambassadeurs qui avaient accompagné la
princesse, traversant la Bourgogne, furent dévalisés par le Duc, sans égard,
dit Raoul de Diceto[47], pour cette maxime inviolable
du droit des gens : Sanctum populis per secula nomen legati. On a
vu que le duc Eudes Ier n'avait pas mieux agi au siècle précédent avec saint
Anselme. En
octobre 1178, le duc de Bourgogne fut caution et garant, à Besançon, d'un
acte de foi et hommage et d'une reprise de fief faite par Henri, comte de
Bar-le-Duc, à l'empereur Frédéric Barberousse. Cet instrument, publié par Pérard[48], relate un grand nombre de
témoins qui assistaient à cette cérémonie Guillaume, archevêque de Reims,
Henri, comte palatin de Troyes, Louis, comte de Ferrette, Eudes le
Champenois, Hugues, sire de Broyes, Symon de Commercy, Erard, comte de
Brienne, Girard de Riveau, Symon de Beaufort, Barthelemy de Vignory, Geoffroy
de Vienne, etc. En
décembre de la même année, le duc fit à Châtillon un accord avec l'évêque de
Langres, son oncle, au sujet des hommes qui viendraient demeurer en cette
ville. Ceux qui venaient s'établir à l'intérieur et entre les deux portes de
Chaumont devaient être les hommes du Duc, ceux qui voulaient demeurer à
l'extérieur seraient la propriété de l'évêque. De plus, Hugues III
revendiquait encore comme siens les habitants qui viendraient des abbayes de
Flavigny, de Pothières ou de Moutier-en-Der[49]. C'est
aussi à Châtillon-sur-Seine, en 1179, que le Duc traita avec l'évêque
Gauthier au sujet du comté de Langres, que le comte de Bar, Henri, avait reçu
en fief de Hugues III et qui fut cédé à l'évêque, en présence de Girard de
Rahon, Boin, prévôt de Châtillon, Viard Moriers, et autres[50]. Par un acte passé l'année
précédente, le duc avait obtenu par échange ce comté de Gui de Saux, et en
avait fait ratifier la teneur par ses fils Eudes et Alexandre, en présence
des mêmes chevaliers[51]. C'est
dans le printemps de cette année 1179, à la fin de mai[52], que Henri, comte de Champagne,
se mit en route pour Jérusalem avec une escorte de croisés assez nombreuse,
parmi lesquels il faut citer Pierre de Courtenay, fils du roi Louis VI ;
Philippe, évêque de Beauvais, fils de Robert de France, comte de Dreux, le
comte de Grandpré, Geoffroy, frère de ce dernier, Robert de Milly, Amaury,
frère du comte de Mollant, Guillaume, maréchal de Champagne, Artaud,
chambellan, Thibaud de Fimes[53]. Les pèlerins passèrent par la
Bourgogne pour aller, selon toute apparence, s'embarquer à Marseille.
Plusieurs chartes fixent l'itinéraire du comte de Champagne, que l'on
rencontre d'abord à Châtillon-sur-Seine[54], dans une donation en faveur de
l'Hôtel-Dieu de Bar-sur-Aube, et à l'abbaye des religieuses de
Jully-les-Nonnains[55], à Dijon, où il fut admis par
les moines de Saint-Bénigne aux bénéfices spirituels de la communauté[56], à Beaune, où il donne des
droits de péage aux religieux de Cîteaux, apud Bernam cum irem
Jherosolimam[57]. Le duc
de Bourgogne, qui avait perdu son frère Henri, évêque d'Autun, dix années
auparavant, perdit aussi son frère Gauthier, évêque de Langres, qui, après
avoir assisté au sacre de Philippe-Auguste, se retira à la Chartreuse de
Lugny, qu'il avait lui-même fondée et dont les constructions avaient été
faites à ses frais. Il y revêtit l'habit de Saint-Bruno, et y mourut en
janvier 1180, le 6 de ce mois, suivant le nécrologe de Langres, le 7, suivant
l'obituaire de Saint-Étienne, de Dijon[58]. Gérard,
comte de Mâcon, dont nous avons déjà raconté les tristes exploits et les
fréquentes répressions qu'on avait dû exercer contre ses agissements, n'avait
pas tenu les serments prêtés au roi, et ses dernières soumissions n'étaient
pas plus sincères que les premières. Pour s'y soustraire, il s'était même
allié avec le roi d'Angleterre, l'avait suivi à Limoges, et fut présent au
traité de paix que ce monarque conclut avec Raymond V, comte de Toulouse[59]. En 1174, il s'était associé au
comte de Chalon et au sire de Beaujeu pour faire des incursions sur les
terres de l'abbaye de Cluny puis, profitant de l'état d'inaction où les
infirmités avaient réduit Louis le Jeune, il redoubla ses violences contre
l'évêque et l'église de Mâcon[60]. Toute la Bourgogne méridionale
était dans un tel état de désolation lorsque Philippe-Auguste monta sur le
trône, que ce prince fut obligé de venir en personne pour y mettre ordre.
Rendez-vous fut assigné à Girard de Mâcon au château de Pierre-Perthuis, sur
les bords de la Cure, près de Vézelay[61]. Les seigneurs qui avaient
coopéré à ses méfaits y comparurent également, ainsi que leurs victimes. Par
un diplôme de 1180, qui nous a été conservé[62], un jugement en termes très
ménagés fut prononcé, en présence du roi et de sa cour, contre Girard. Les
dispositions de cet arrêté n'offrent rien de différent de celles qui avaient
été précédemment réglées par Louis-le-Jeune. On convenait que le comte de
Vienne et de Mâcon ne devait rien prendre, soit dans les meubles, soit dans
les immeubles, après la mort de l'évêque diocésain, qu'il n'avait à Mâcon
d'autre forteresse que sa tour, et qu'à l'égard de la maison-forte qu'il
avait fait édifier contre la défense qui lui en avait été faite, il serait
tenu de la remettre au roi toutes les fois qu'il en serait requis[63]. Philippe-Auguste
avait un autre motif de venir dans le Nivernais, car le comte Gui, en
mourant, avait laissé ses enfants mineurs sous la garde du roi de France ;
Louis VII avait négligé de s'en prévaloir, mais les conseillers qui
dirigeaient la jeunesse de Philippe-Auguste se montrèrent plus soucieux de
ses intérêts. Guillaume et Agnès de Nevers furent remis aux mains du roi pour
être élevés sous ses yeux. On ne laissa à la veuve, Mathilde de Bourgogne,
que le comté de Tonnerre, en retenant l'administration des deux autres comtés
de Nevers et d'Auxerre, qui se trouvèrent pendant quelque temps sous la
domination directe de l'autorité royale[64]. Hugues
III, duc de Bourgogne, prit une participation active à toutes les luttes qui
inaugurèrent tristement les premières années du règne de Philippe-Auguste. Il
était ligué avec Philippe, comte de Flandre ; Guillaume, archevêque de Reims
Thibaud, comte de Blois Etienne, comte de Sancerre ; Marie de France,
comtesse de Champagne, contre le roi de France[65]. On sait que Philippe-Auguste,
du vivant même de son père, s'était brouillé avec sa famille pour avoir, sur
le conseil du comte de Flandre, épousé Elisabeth, fille du comte Baudouin de
Hainaut. Lorsqu'il monta sur le trône, il se brouilla avec Philippe, comte de
Flandre, et lorsqu'on en vint aux armes, le roi se trouva réduit à avoir pour
allié l'éternel ennemi de sa couronne, le roi d'Angleterre. Le comte de
Sancerre, violant toutes les lois féodales à rencontre du roi son neveu et
son suzerain, envahit plusieurs de ses châteaux et les réunit sous la
domination du comte de Flandre[66]. Chacun des barons engagés dans
la lutte fit les mêmes représailles sur les terres ennemies, de sorte que
dans toutes les provinces la conflagration menaçait de devenir générale,
pendant l'année 1181[67]. « Il avint une fois ensi com
li Rois Phelippes sejornoit à Senliz entre lui et sa gent, li quens de
Flandres et li quens de Hainaut demoraient à Doai à tout, leur pooir. Cil des
contrées d'entor France dégastoient le roiaume, et metoient en feu et en flame
le païs, et ravissoient tout, et desroboient la terre le Roi. Li quens
Estienes o toute sa gent, avoit assaillie la terre entor Boorges la cité, et
entor Lorriz en Gastinois, et gastoit et ardoit tout. Li Dux de Borgoigne o
toute sa gent gastoit le païs d'entor Sens. Simplement presque tuit li baron
du roialme destruioient et dégastoient le païs[68]. » Enfin le 4 avril 1182, le
roi d'Angleterre engagea les parties à faire la paix, dans une entrevue
préliminaire qui eut lieu près de Gerberoy. Mais comme le duc de Bourgogne et
la comtesse de Champagne n'assistaient pas à ces pourparlers, on réserva qu'ils
se trouveraient le dimanche suivant, 4 avril, entre Senlis et Crépy-en-Valois
pour signer le traité définitif[69]. On a deux lettres du roi
d'Angleterre à ce sujet[70], dans lesquelles il parle du
duc de Bourgogne, de ses adhérents, et du rendez-vous qui leur fut assigné.
Au jour convenu, les rois de France et d'Angleterre se réunirent avec les
intéressés, sauf le duc de Bourgogne et la comtesse de Champagne, qui se firent
représenter par des ambassadeurs. Henri, évêque d'Albano, légat du
Saint-Siège, offrit sa médiation, et la paix fut définitivement conclue. De
sorte, qu'au dire d'un historien, nunquam nostra setate audivimus tantum
belli incendium, tam parva pacis scintilla extinctum[71]. Si le
duc de Bourgogne se trouvait mêlé à ces querelles des grands feudataires
contre le roi, c'est qu'il avait pris des engagements antérieurs. Il avait
assisté avec eux, le 14 mai 1181, à une grande réunion tenue à Provins, où
étaient réunis les principaux membres de l'aristocratie féodale, hostiles à
la politique adoptée par Philippe-Auguste Adèle, mère de ce prince, les
comtes Thibaud de Blois, Etienne de Sancerre, Henri de Bar-le-Duc. On y
arrêta les conventions d'un double mariage entre Baudouin de Hainaut et Marie
de Champagne, et entre Henri II de Champagne et Yolande, la plus jeune fille
du comte de Hainaut[72]. Les
conventions de paix arrêtées le 11 avril 1182 étaient dénoncées au printemps
de l'année suivante. Le 26 mars 1183, le comte de Flandre ayant perdu sa
femme Isabelle de Vermandois, prétendit conserver le comté dont sa femme
portait le nom et qu'il tenait de son chef. Philippe-Auguste le revendiqua
les armes à la main, et la guerre dura environ trois années, avec quelques
intermittences. Il est certain qu'en 1183, le duc de Bourgogne était de
nouveau allié avec les comtes de Blois, de Sancerre, de Flandre et la
comtesse de Champagne, contre Philippe-Auguste[73]. Gislebert de Mont raconte
aussi[74] qu'en cette même année, au
moment où le comte de Hainaut portait secours au comte de Flandre contre le
roi de France, la reine Elisabeth était tellement haïe et détestée, qu'une
cabale se forma contre elle. Un concile fut tenu à Soissons, et ceux qui y prirent
part s'efforcèrent de réussir à amener le divorce du roi avec Elisabeth. Au
nombre de ces personnages, il cite Hugues III, duc de Bourgogne, Guillaume,
archevêque de Reims, Thibaud de Blois, Etienne, comte de Sancerre, oncles du
Roi Raoul, comte de Clermont[75]. On ne
peut se dispenser de signaler cette singulière coïncidence, qui fait
apparaître le duc de Bourgogne à Soissons, l'année même où pour la première
fois il accordait aux habitants de la ville de Dijon une charte
d'affranchissement sur le modèle de celle de Soissons. Le texte de cette
pièce ne nous a point été conservé, pour des motifs que nous aurons à
expliquer, mais la confirmation qui en fut donnée par le roi Philippe-Auguste,
à Chaumont, entre le 1er novembre 1183 et le 31 mars 1184[76], est une garantie suffisante.
Le roi ratifiait la concession que le duc Hugues III et son fils Eudes
faisait à ses hommes de Dijon, d'une commune, ad formam communie
Suessionensis, sauf les droits dont jouissaient déjà les habitants. De
plus, Philippe-Auguste se faisait garant de cette concession, et s'engageait
à contraindre le duc de Bourgogne à y faire honneur, dans le cas où ce
dernier eût été tenté de manquer à sa parole. Il n'y a pas autre chose. Un
acte d'une si haute gravité, et sur lequel nous aurons bientôt occasion de
revenir plus longuement, devait être ardemment désiré par le sentiment public
de la population dijonnaise, cela n'est pas douteux. Indépendamment de ces
motifs, sur lesquels les documents du moyen âge sont toujours muets, il faut rechercher
si le duc n'avait pas de puissantes raisons pour le décider à agir ainsi, et
si les embarras inextricables dans lesquels il était plongé ne furent pas alors
une cause déterminante. Les questions de sentiment et de philanthropie
étaient assez incomprises sous la féodalité pour que l'on recherche ailleurs
le mobile d'une telle décision. Nous
avons vu Gui, comte de Nevers, prisonnier du duc quelques années auparavant
et condamné à une amende de deux mille marcs, octroyer une charte
d'affranchissement aux habitants de Tonnerre. On est surpris de trouver que
la première charte de commune de Dijon est concédée au moment où le duc de
Bourgogne est obligé de livrer à Philippe-Auguste une somme de deniers
parisis pour les dégâts et les dommages causés aux églises et aux monastères
de la province. La seconde charte de commune de Dijon, en 1187, est également
donnée quelques jours après que le duc est condamné par le roi à payer une
rançon de trente mille livres. Ces faits ne se produisent qu'à la suite des
sièges de Vergy, de Châtillon-sur-Seine et autres événements de la plus haute
importance dont le développement sera donné au chapitre suivant. Pour le
moment, il suffit de constater l'état de gêne du duc de Bourgogne et les
embarras financiers que lui avaient valu des guerres prolongées. Son alliance
avec les comtes de Flandre, de Sancerre, de Champagne et les autres
feudataires contre le roi, lui avait été très onéreuse. Il était déjà obéré
quand Philippe-Auguste monta sur le trône, et avait été forcé de vendre
Dampierre et plusieurs autres domaines à Mathilde, comtesse de Tonnerre ces
ventes, dont il avait touché le montant, lui avaient rapporté trois cents
marcs d'argent[77]. Les démêlés qu'il eut avec
Manasses de Bar-sur-Seine et qui se traduisirent par un accord, en 1182, au
sujet des droits respectifs des hommes de Châtillon-sur-Seine[78], ne provenaient que des
subsides insolites, que le duc ou ses officiers exigeaient des habitants de
cette ville. Son mariage avec Béatrix d'Albon, dauphine de Viennois et fille
de Guigues V, comte de Vienne et d'Albon, n'était dû qu'à des motifs intéressés,
comme le dit formellement Aubri de Trois-Fontaines : cupiditate magne
terre quam tenebat, facta sunt ea[79]. Le duc répudiait sans but
avouable Alix de Lorraine, qui avait été sa compagne pendant près de vingt
années et qui lui avait donné quatre enfants il n'avait même pas le prétexte
d'un degré de parenté il est vrai que le divorce était dans les habitudes du
temps. C'est à la fin de 1183 que Hugues III contracta sa seconde union, qui
fut célébrée à Saint-Gilles en Provence, dont Béatrix était restée comtesse,
après la mort de son premier mari Albéric Taillefer, fils de Raimond V, comte
de Toulouse. André, dauphin de Viennois, naquit la même année et on est
assuré qu'il avait pour nourrice, en 1184, une femme du nom de Phelilie, qui
reçut cette année du duc et de la duchesse des rentes sur la terre de Rouvre
et sur le droit des vins à Dijon[80]. Mais
n'anticipons pas sur les événements, et revenons sur les faits militaires
considérables de l'année 1183. FIN DU DEUXIÈME VOLUME
|
[1]
Voir l'excellent livre : Chartes de communes, t. I, p. 328 et suivantes.
[2]
D. Plancher, t. I, pr., LXXX.
[3]
Nous croyons qu'il s'agit ici de La Chaume, canton de Montigny-sur-Aube, non de
Chaume, canton de Baigneux, toutes deux communes du Châtillonnais.
[4]
Bibl. nat., F. latin, 10947, fol. 10 v°, Cartulaire de Clairvaux.
[5]
Arch. de la Haute-Marne, Cartulaire d'Auberive, t. I, p. 663.
[6]
Arch. de la Haute-Marne, Cartulaire de Longuay, f° 14.
[7]
Arch. de la Côte-d'Or, F. Fontenay, H. 869, Vidimus.
[8]
D. Bouquet, t. XIII, p. 314 C. D, Ex Roberti de Monte.
[9]
Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Cîteaux, n° 167, fol. 68 v°.
[10]
V. Clerc, Histoire de Franche-Comté, t. I, p. 368.
[11]
Gallia Christiana, Eccl. Virdun., p.
1205.
[12]
V. Clerc, Histoire de Franche-Comté, t. I, p. 368.
[13]
D. Plancher, t. I, pr., LXXXV,
Gall. Christ., t. IV, p. 94. Ce qui rend la supposition plus que
probable, c'est que la plupart assistent en 1170 au chapitre général de
Cîteaux, lorsque le Duc donne des droits de péage aux religieux, en présence de
son oncle, Etienne, comte de Sancerre, de Girard de Fauverney, Guillaume
d'Orgeux, etc.
[14]
Testis est etiam capellanus meus qui hoc scripsit. Ce chapelain était
Nicolas, qui fut le premier doyen de la Sainte-Chapelle.
[15]
V. Clerc, Histoire de Franche-Comté, t. I, p. 369.
[16]
Orig. Arch. de la Côte-d'Or, fonds de la Sainte-Chapelle de Dijon. H.
222 ; Ed. Gallia Christiana, t. IV, intr., col. 486-487. La pièce qui
est la Bulle d'Innocent, en décembre 1172, comprend également toute la charte
ducale. Voir dans les Mémoires de la commission des antiquités de la
Côte-d'Or, t. VI, pp. 63 et suiv., un Essai historique sur la
Sainte-Chapelle de Dijon, par M. d'Arbaumont.
[17]
D. Bouquet, t. XV, p. 927 D.
[18]
Necrologus antiquus capelle Ducis, mss. 622 de notre cabinet, fol. 53.
[19]
Orig. Arch. de Saône-et-Loire, F. La Ferté.
[20]
Orig. Arch. de Saône-et-Loire, voir notre t. III.
[21]
Voir ce passage dans D. Bouquet, t. XIII, p. 573 B. C.
[22]
Edition de 1818, t. XIII, p. 365.
[23]
Lebeuf, Histoire d'Auxerre, nouv. éd., t. IV, p. 377.
[24]
Il nous parait bien certain que le roi Louis le Jeune vint en Bourgogne en 1171
et en 1172, on a diverses chartes qui le prouvent. Les unes sont passées à
Tournus, lorsque le Roi régla un accord entre l'abbé et les religieux de cette
abbaye et les bourgeois de cette ville, relativement à la main-morte et à la
taille. Chifflet, Histoire de Tournus, pp. 452-453 ; Juenin, Nouv.
Histoire de Tournus, pp. 168-469. Le dernier diplôme de 1172 n'est pas daté
de Vézelay, comme on l'a cru, mais de Vinzelles, près Mâcon, actum
Vinzeliaci, château dont il est question dans la pièce, ainsi que l'un des
barons qui en portait le nom « Hugo de Vinzellis. » Le roi dit : ... post
guerras et dissentiones diutinas quae inter nos et comitem Girardum, et
ecclesias nostras, et dominum Humbertum de Bellojoco extiterunt, tandem venimus
Vinzeliacum... Juenin, Nouv. Histoire de Tournus, pp. 170, 171. —
Cette expédition du roi que l'on trouve à Vinzelles a jeté les historiens dans
une nouvelle confusion ; confusion de dates, confusion des noms de localités.
[25]
Bibl. nat. Baluze, 54, fol. 480, A. Luchaire, Actes de Louis VII, pp.
438, 439.
[26]
Perry, Histoire de Chalon-sur-Saône, pr. 83 ; Gallia Christ., t. IV, pr.
243.
[27]
V. Perry, Chifflet, Juenin, Gall. Christ. aux fol. précités, et A.
Luchaire, Actes de Louis VII, n° 609, 610, 611, 628 où ces actes ne sont
pas, selon nous, rangés dans leur ordre chronologique.
[28]
Juenin, Histoire de Tournus, p. 170,171 ; Ragut, Cartulaire de
Saint-Vincent de Mâcon, pp. 383, 384. A. Luchaire, Actes de Louis VII,
n° 628, place cet acte à Vézelay, prétendant que Vinzeliacum est une
mauvaise lecture. Le mot est deux fois reproduit dans la pièce sous la même
forme ; le chancelier Hugues, évêque de Soissons, qui écrivait les diplômes de
Louis VII, avait trop de fois écrit le nom de Virziliacum (Vézelay) pour
se méprendre ici. Peut-être est-ce à Vinzelles même que le roi avait établi son
camp ?
[29]
Art de vérifier les dates, édit. 1818, t. Il, pp. 24, 25 ; Histoire
de Tournus, par Juenin, p. 170.
[30]
Sciant presentes et futuri quod ego Girardus, comes Vienne et Matiscone ad
me ipsum regressus sum, et videns qued melius est sperare in Domino quam in
prtncipibus, reùogitavi elimosinis redimere peccam meam, et ita placare faciem
domini. A la suite des concessions faites par cet acte de 1172, au chapitre
de la Ferté-sur-Grosne, Girard demandait qu'il fût chanté, après son décès, une
messe dans tous les monastères Cisterciens, comme pour un frère de l'ordre. Sa
femme approuva ces dons, et ses enfants devaient faire de même quand ils
seraient en âge. Les témoins sont Ponce de Cuiseaux, Tibert de Montmoret, Alard
et Mile de Montmoret, Hugues de Vinzelles. Vidimus de 1252, Arch. de
Saône-et-Loire, fonds de la Ferté.
[31]
Cartulaire de Cîteaux, n° 167, fol. 69, aux Arch. de la Côte-d'Or.
[32]
Cartulaire de Cîteaux, n° 167, fol. 69, r°.
[33]
D. Bouquet, t. XVI, p. 434 D. E ; 435 A. Epist. Ludov. regis.
[34]
D. Bouquet, p. 435 B. C. Epist. Ludov. regis.
[35]
Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Molème, t. I, fol. 127 ; Ed.
Duchesne, Ducs de Bourg., pr. p. 42 ; Cartulaire de l'Yonne, t.
II, p. 223.
[36]
On peut voir dans Lebeuf, Histoire d'Auxerre, nouv. éd., t. III, p. 109,
les preuves qui fixent cette maladie du comte Guy à l'année 1172-1173, en
l'absence de document contemporain.
[37]
Ces détails sont extraits de la vie de Guillaume de Toucy, évêque d'Auxerre,
dans le Gesta pontificum, Bibl. histor. de l'Yonne, t. I, pp.
422, 428.
[38]
Voir un acte en faveur de Vézelay, dans l'Inventaire des titres de Nevers,
de Marolles, et en faveur de l'abbaye de Saint-Germain d'Auxerre, Cartulaire
de l'Yonne, t. II, p. 267.
[39]
Ex brevi chronic. Altissiod., apud D. Bouquet, t. XII, p. 299 D.
[40]
Edité dans Pérard, pp. 247, 248 ; Maison de
Chastellux, pp. 272, 273 ; Cartulaire de l'Yonne, pp. 249, 230,
251.
[41]
Chartes et titres anciens des habitants de Tonnerre, Auxerre, 1630, pp.
1, 7 ; Cartulaire de l'Yonne, t. II, p. 239. Cet affranchissement
est donné en cette même année 1174.
[42]
Voir Chronicon Rothomagense, apud D. Bouquet, XII, 786 B ; Guillelmus
Neubrigensis, D. Bouquet, t. XIII, pp. 116, 117 ; Radulphus de Diceto, Imagines
historiarum, D. Bouquet, pp. 195, 196, t. XIII.
[43]
Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Cîteaux, n° 167, f° 98.
[44]
Arch. de la Haute-Marne, Cartulaire de Longuay, fol. III.
[45]
D. Bouquet, t. XIII, p. 320 E.
[46]
Au sujet d'Eudes Ier d'Issoudun, on peut voir Bibl. nat., F. lat. nouv. acq.
2298, fol. 5, une curieuse charte originale inédite, provenant des titres
Grangier de la Marinière, dans laquelle il paraît avec son père Raoul, son
oncle Savaric et son grand-père Geoffroi.
[47]
D. Bouquet, t. XIII, p, 200 C. Imagines historiar.
[48]
Pérard, pp. 253, 254.
[49]
D. Plancher, t. I, pr. 93 ; Garnier, Chartes des communes, t. I, pp.
331, 332.
[50]
Gallia Christiana, t. IV, pr. p. 488 ; D. Plancher, t. I, p. 95 ;
Pérard, p. 284.
[51]
Gallia Christiana, t. IV, pr. p. 487. D. Plancher, t. I, pr. 92 ;
Pérard, p. 252.
[52]
Voir d'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et des comtes de Champagne,
t. III, p. 107.
[53]
Ces noms nous sont fournis par la charte donnée à Beaune.
[54]
Orig. Arch.de l'hospice de Bar-sur-Aube. Ed. Chevalier. Histoire de
Bar-sur-Aube, pp. 300, 301.
[55]
Ed. Notre Cartulaire de Jully-les-Nonnains, p. 23.
[56]
Pérard, p. 254 Martenne, Anecdot., t. I, pp. 891, 692, Brussel, 778,
note.
[57]
Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Cîteaux, t. II, f. 73, r°.
[58]
Gallia Christiana, t. IV, col. 687.
[59]
Vaissette, Histoire de Languedoc, t. III, p. 31.
[60]
V. l'Art de vérifier les dates, édition 1818, t. II, p. 25.
[61]
Les ruines du château de Pierre-Perthuis sont des plus pittoresques et des plus
curieuses de celles que nous avons visitées. Nous avons essayé de faire aux XIe
et XIIe s., la généalogie de cette famille féodale qui offre bien des lacunes.
[62]
Ed. Duchesne, Maison de Vergy, pr. p. 119. V. Catalogue des actes de
Philippe-Auguste, de M. Delisle ; Histoire des Sires de Salins, par
Guillaume, t. I, p. 70.
[63]
V. Art de vérifier les dates, t. II, p. 25, et une relation française
donnant beaucoup de noms erronés, dans D. Bouquet, t. XVII, p. 429 C.
[64]
Ces faits ressortent de la Chronique de Saint-Marien, Ed. Camuzat, p.
86.
[65]
D. Bouquet, t. XVIII, p. 250 B. Ex chron. sancti Mari. Autissiod.
[66]
D. Bouquet, t. XVII, p. 619. A. B. Ex Radulfi de Diceto.
[67]
V. D. Bouquet, t. XVII, 425, A, Liber III, Historiée regum Francorum ; t.
XVIII, p. 535, D. Annales Aquicinctensis monasterii.
[68]
D. Bouquet, t. XVII, p. 429. D, d'après un fragment du temps, composé en latin,
et traduit en français vers 1226.
[69]
Geraldus Cambrensis, De Instructione principis, D. Bouquet, t. XVIII, p.
133 D et 134 A.
[70]
D. Bouquet, t. XVIII, p. 133 D et 134 A.
[71]
D. Bouquet, t. XVIII, p. 635 D, Ex annal. Aquicinctensis monasterii.
[72]
V. d'Arbois de Jubainville, Histoire des comtes de Champagne, t. IV, p.
8, 9.
[73]
Note écrite dans un manuscrit de l'abbaye d'Arouaise, Martene, Deuxième
voyage littéraire, p. 61 ; Art de vérifier les dates, t. III, p. 13.
[74]
Apud D. Bouquet, t. XVIII, p. 374 D.
[75]
D. Bouquet, t. XVIII, p. 371 D, ex Gisleb Monteus.
[76]
Voir Delisle, Catalogue des actes de Philippe-Auguste, n° 88, Ed.
Pérard, p. 340 ; Garnier, Chartes de communes, t. I, p. 4.
[77]
Voir la charte dans D. Plancher, t. I, p. LXXXXVII.
[78]
Pérard, p. 300 ; Garnier, Chartes de communes, t. I, pp. 334-334.
[79]
D. Bouquet, t. XVIII, p. 746 C.
[80]
Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de la Sainte-Chapelle, n° 40.