Minorité du duc Hugues
III. — Tutelle de sa mère Marie de Champagne. — Premiers actes de la
duchesse. — Godefroi, évêque de Langres, se retire à l'abbaye de Clairvaux. —
Gauthier de Bourgogne, oncle du duc, est nommé évêque de Langres. — Troubles
pendant la minorité ; Hugues de Broyes Henri le Libéral conflit avec les
chanoines de Langres. — Meurtre de Renaud de Montsaugeon. — Troubles dans
l'Auxerrois. — Violences de Guillaume comte de Nevers, contre les religieux
de Vézelay, qui réclament l'intervention de la cour de Bourgogne. — La
duchesse prie Louis le Jeune de demander pour Hugues III la main d'Eléonore
de Vermandois. — Brouille entre le duc et sa mère. — La duchesse, privée de
son douaire et chassée de la cour, réclame l'intervention royale. — Hugues
III, menacé de guerre par Louis le Jeune, fait alliance avec l'empereur
Frédéric Barberousse. — Démarches de ce dernier auprès du comte de Champagne.
— La paix rétablie entre le duc et sa mère. — L'Empereur marie Hugues III
avec sa nièce Alix de Lorraine. — Fin de la régence.
Le fils
unique d'Eudes II était mineur à la mort de son père. C'était presque un
enfant, comme le dit la chronique de Hugues de Poitiers. Il était né vers
1148 ; son nom est cité pour la première fois en 1157, dans une lettre
adressée par son père aux habitants de Flavigny[1], et à la date du décès d'Eudes
II, à peine avait-il dépassé la majorité féodale, c'est-à-dire sa quatorzième
année. Nous avons déjà signalé la jeunesse de plusieurs de nos ducs lors de
leur avènement, et ce fait suffit pour expliquer le rôle secondaire qui leur
est assigné dans les faits généraux de l'histoire pendant certaines périodes
des XIe et XIIe siècles. La duchesse Marie de Champagne prit la direction des
affaires du duché avec la tutelle de son fils. Son premier acte fut de faire
une donation à Saint-Bénigne pour le repos de l'âme de son mari. Elle céda
aux religieux un droit sur le marché de Dijon pour servir à l'entretien d'une
lampe qui devait brûler perpétuellement devant le corps du saint patron[2]. Les témoins avec le jeune Hugues
III, son fils, sont le chapelain Humbert, Aimon de Dijon, Joubert de Grancey,
Etienne de Pouilly, Guillaume d'Orgeux, etc. Elle déclara que son mari,
pendant sa dernière maladie, avait fait abandon à l'église de Saint-Etienne
de tous les droits injustes qu'elle avait pu revendiquer, que s'étant
soigneusement fait renseigner à Argilly et ailleurs des droits que les
religieux y possédaient soit dans les forêts, soit pour le parcours, soit
pour d'autres rentes et usages, elle y mettait ordre. La reconnaissance
qu'elle en donne est datée 1162, quo anno dominus Odo dux obiit, et
fut d'abord délivrée à Argilly, puis ratifiée à Dijon par devant Gilbert de
Grancey, abbé de Saint-Etienne Joubert de Grancey, son frère Henri de
Châtillon, et autres[3]. On doit rapprocher de cette
date plusieurs actes passés par la duchesse, et notamment le traité fait avec
les religieux de Notre-Dame de Châtillon-sur-Seine, au sujet de l'incommunication
ou pariage d'une famille du pays[4]. Godefroi
de la Roche, évêque de Langres, était alors âgé et avait, dès l'année 1161,
demandé au Pape la permission d'aller finir ses jours à Clairvaux, mais
Alexandre III, dont il avait défendu les intérêts à l'encontre du duc de
Bourgogne Eudes II, ne lui en donna pas de suite l'autorisation et il dut
provisoirement conserver ses fonctions. Ce prélat, qui avait été mêlé à tous
les événements du temps, l'ami intime et le parent de saint Bernard,
successivement moine de Cîteaux, troisième prieur de Clairvaux, premier abbé
de Fontenay, premier prieur de Clairvaux, évêque de Langres dès 1138, avait,
à la suite d'un voyage à Rome, tenu un synode et tracé d'utiles règlements
pour son diocèse. Avant son départ pour la croisade, il avait souffert de la
famine qui s'étendit sur le Langrois et les provinces voisines, et s'était vu
contraint de vendre les vases d'or et d'argent de la cathédrale pour subvenir
aux frais de son voyage. Sa prudence et son autorité lui valurent les titres
de conseiller du roi et de légat du Saint-Siège ; il se déclara le premier
pour le siège de Constantinople, afin de se mettre à couvert contre la
perfidie des Grecs. Avant même d'avoir quitté son épiscopat, il commença à
Clairvaux de faire convertir en chapelle la cellule mortuaire de saint
Bernard ; c'est là qu'il passa le reste de ses jours et c'est là qu'il mourut
le 26 novembre 1165[5]. Gauthier
de Bourgogne, le sixième et le dernier des enfants mâles du duc Hugues II,
avait été appelé, dès 1163, à lui succéder à l'évêché de Langres. C'était le
troisième fils du duc élevé à l'épiscopat. Il avait été primitivement
chanoine et archidiacre de Langres, puis doyen de Besançon. Il fut même promu
à l'archevêché de cette ville, mais se vit dans la nécessité de résilier ses
fonctions, par suite des persécutions de l'empereur Frédéric Barberousse
contre le Pape Alexandre, que soutenait le prélat. Le
jeune duc Hugues III avait ainsi deux de ses oncles à la tête de l'épiscopat
d'Autun et de Langres, c'est-à-dire dans les diocèses qui comprenaient la
plus grande partie du domaine ducal. La
nomination de Gauthier de Bourgogne avait été faite vers la fin de l'année
1163 ou au commencement de 1164, et la notification royale lui avait été
apportée par l'abbé de Sainte-Colombe de Sens. Le nouvel élu écrivit aussitôt
une lettre de remerciements au roi Louis le Jeune ; il déclare qu'il est un
fidèle sujet du roi, qu'il compte sur son appui et qu'il part pour desservir
son église[6]. Toutefois Gauthier, qui est
qualifié de clerc dans les documents antérieurs, ne fut installé
officiellement que quelque temps après, bien qu'il ait rempli ses fonctions
avant cette installation. On sait, en effet, par une lettre des chanoines du
chapitre de Langres, que le nouvel élu devait être promu au diaconat par son
frère Henri, évêque d'Autun, et que la cérémonie devant avoir lieu le
dimanche de la Passion, le 10 mars 1164, les chanoines tenus d'y assister ne
pouvaient se rendre au mandement royal qui les convoquait à Sens pour
témoigner dans l'affaire d'Hugues de Broyes[7]. L'affaire
d'Hugues de Broyes était une de celles qui se présentaient si fréquemment
pendant les minorités du seigneur suzerain ou pendant les vacances de
l'évêché, alors que l'absence d'une main puissante et de tout contrepoids
laissait aux vassaux libre carrière de faire des incursions sur les terres du
voisin et même sur les domaines ecclésiastiques. Pendant la régence de Marie
de Champagne, chaque jour des plaintes de ce genre venaient retentir à la
cour royale. Hugues de Broyes qui vingt ans auparavant, comme nous l'avons
dit plus haut, avait été excommunié à la suite d'une guerre contre le sire de
Grancey et de dégâts commis au préjudice des religieux de Molème, s'était
signalé par de nouveaux méfaits dont sa plaignait le chapitre de Langres[8]. Henri
le Libéral, comte de Champagne, ne se conduisait pas mieux, et le nouvel
évêque Gauthier de Bourgogne écrivait au roi Louis VII : « Tout le monde
dans nos environs sait comment, du temps de notre prédécesseur, le comte
Henri s'est conduit envers l'église de Langres, et nous croyons que vous avez
dû en être informé. Aujourd'hui ses sentiments sont les mêmes il ne cesse
d'inquiéter nous et notre église, usurpant par la violence nos terres et nos
possessions. Il vient de piller notre village de Gevrolles et a reçu
l'hommage de Renaud de Montsaugeon pour le village de Condes, fief qui relève
de notre évêché. Vous devez comprendre combien cet acte est préjudiciable
pour notre église. Vous pourrez donner pleine confiance au porteur des
présentes, qui vous fera un complet exposé de notre affaire[9]. » Deux
ans après, le débat entre Gauthier de Bourgogne et Henri le Libéral n'était
pas terminé, et le roi Louis VII, qui avait sommé les parties de comparaître
devant lui à Gisors, reçut une lettre du comte de Champagne qui refusait de
s'y rendre sous prétexte qu'il n'avait pas eu le temps de consulter ses
barons dans une question aussi importante[10]. L'affaire se dénoua d'une
manière beaucoup plus tragique pour Renaud de Montsaugeon, qui fut
traîtreusement occis par les fils d'un chevalier de ce même château, ce qui
produisit de nouveaux troubles dans cette partie du Langrois. L'évêque se vit
en butte à des revendications incessantes de la part des héritiers et
notamment de Hugues d'Arceau, qui réclamait moitié de l'héritage. Les
parents, alliés et amis du défunt, firent grand bruit et ne cessèrent de
proférer les plus inquiétantes menaces. Dans la lettre écrite à ce sujet au
roi[11] par l'évêque de Langres, on
voit que ce dernier avait été en outre assigné pour un autre démêlé relatif à
Coublant et dont les détails ne nous sont pas connus. Ce document curieux
nous apprend que Gauthier ne put s'y rendre et réclama un nouveau rendez-vous,
non sans y manifester un certain dépit d'avoir à comparaître devant l'évêque
d'Auxerre, qu'il regardait sans doute comme son inférieur ou tout au plus son
égal hiérarchique : « J'ai contremandé, dit-il, le jour qui m'a été
assigné par l'évêque d'Auxerre, jugeant et estimant que je ne devais pas
comparaître en sa présence sans votre exprès commandement, puisque je tiens
la terre de Coublant de votre souveraineté[12]. » Dans
l'Auxerrois, l'agitation n'était pas moins profonde. Guillaume IV, comte de
Nevers, qui venait de succéder à son père, annonçait les mêmes dispositions
brouillonnes et batailleuses les guerres qu'il soutint presque aussitôt
contre les comtes de Joigny et de Sancerre et dont il sortit victorieux,
occasionnèrent des dégâts considérables sur les domaines de Saint-Étienne
d'Auxerre[13]. Le chapitre et l'évêque Alain
s'en plaignirent au roi Louis VII[14] et le supplièrent d'en faire
obtenir réparation, principalement pour les terres de Varzy et d'Appoigny qui
avaient le plus souffert. Ils représentaient Guillaume IV comme un tyran
disposant à sa volonté des biens de l'église et menaçant de tout soumettre à
sa domination. Quelques gentilshommes, comme celui de la Ferté Loupière,
s'étaient également jetés sur Appoigny et lieux circonvoisins. Il fallut
l'autorité du pape Alexandre III, qui résidait toujours à Sens, et celle du
roi qui était venu le visiter, pour mettre fin à ces querelles[15]. Ces
dissensions étaient à peine étouffées, que des faits plus graves et d'une
nature plus scandaleuse se passaient dans l'Autunois, à Vézelay, qui avait
été si longtemps déjà le théâtre des violences féodales et des insurrections
de la commune. Moins scrupuleux encore que son père, Guillaume IV, comte de
Nevers, cédant aux instigations haineuses de sa mère Ida de Carinthie, que le
chroniqueur Hugues de Poitiers appelle « la vieille Hérodiade, la fille de
Jésabel, de la race d'Amalech, » ne reculait devant aucun moyen pour livrer
au pillage les possessions de l'abbaye. Il détournait les marchands et les
pèlerins qui s'y rendaient, et soumit la ville à un blocus tellement
rigoureux que les habitants ne pouvaient descendre à la rivière pour faire
abreuver leurs bestiaux. Il avait institué des prévôts qu'il lançait contre
les moines comme des chiens à la curée. On le vit lui-même bravant
l'excommunication dont il était frappé, enfoncer les portes. du monastère, et
pénétrer dans l'église à la tête d'une troupe de seigneurs et d'hommes
d'armes avides de rapine et de sang. Les religieux contraints de s'enfuir
abandonnèrent tous l'abbaye, ce qui ne s'était pas vu même dans les plus
mauvais jours de 1155, dont nous avons précédemment parlé. Nous ne suivrons
pas tous les épisodes de ces scènes étranges et sauvages, qu'il faut lire,
non dans le Spicilège, car D. Luc Dachery, par un scrupule malentendu, a cru
devoir tronquer de nombreux passages, mais dans le manuscrit original de la
Bibliothèque d'Auxerre[16]. Disons seulement que les
moines de Vézelay, ne sachant de quel côté trouver leur salut, imaginèrent de
s'adresser à la Cour du jeune duc de Bourgogne Hugues III. Cet expédient
désespéré ne leur réussit pas. Guillaume IV, craignant l'ingérence des troupes
bourguignonnes qui auraient pu menacer son comté, négocia avec les seigneurs
du duché et fit avorter ces projets d'intervention. Les religieux abandonnés
à eux-mêmes furent obligés d'attendre que le roi de France jugeât le moment
opportun d'arracher l'abbaye à une destruction complète et mît fin à une
lutte qui ne se termina qu'en 1166. Revenons
un peu en arrière pour nous occuper de la duchesse et de son fils. Pendant
les années 1163 et 1164, c'est Marie de Champagne qui eut seule la direction
des affaires seule elle donne les actes c'est en sa présence et à sa cour que
se débattent les questions litigieuses ; son fils y paraît quelquefois, mais
aucun acte n'est donné en son nom. Quelque
temps après la mort de son mari, elle avait songé à procurer à Hugues III une
alliance digne de son rang et avait jeté les yeux sur les grandes familles
alliées et parentes de la Maison de France. Les comtes de Vermandois
comptaient parmi les puissants barons du royaume, et le dernier titulaire
Raoul le Vaillant, fils de Hugues le Grand, était à la fois comte de
Vermandois, de Valois, d'Amiens, de Crépy, et avait occupé les fonctions de
sénéchal de France et de régent. Il avait laissé ses enfants sous la tutelle
d'Ives de Nesles, comte de Soissons. L'un de ses fils Raoul, dit le Jeune et
le lépreux, était encore jeune à l'époque qui nous occupe ; sa fille aînée
Elisabeth avait été mariée quelque temps avant à Philippe d'Alsace, comte de
Flandre, et sa seconde fille Eléonore était d'un âge qui pouvait convenir au
jeune duc de Bourgogne C'est celle-là que Marie de Champagne résolut de faire
demander par l'entremise du roi elle écrivit en conséquence la lettre
suivante à Louis le Jeune son beau-frère : « A
Louis, par la grâce de Dieu très excellent roi de France, Marie duchesse de
Bourgogne envoie salut et hommage. Votre Majesté sait que mon fils est votre
homme lige, votre parent, et qu'il vous est « entièrement dévoué. C'est
pourquoi je m'adresse en toute sûreté à l'amitié que vous lui portez. J'ai
appris que le comte Raoul de Péronne avait une sœur nubile, et l'on m'a
rapporté qu'elle conviendrait pour être mariée avec mon fils. En conséquence,
très cher seigneur, moi et lui nous vous prions d'y pourvoir, d'en parler
avec le comte de Soissons et d'arrêter les conditions de cette alliance.
Sachez que bien que mon fils puisse se marier dans un autre royaume, je
préfère de beaucoup le voir marié dans le vôtre que partout ailleurs. Plus il
approchera de votre personne, plus il sera vôtre et vous sera dévoué[17]. » Ce
document curieux est le seul qui nous ait été conservé au sujet de ce projet
d'alliance. Il est probable que le roi soucieux de la mission qui lui était
confiée y donna suite et que les conventions en furent arrêtées, mais que des
causes qui nous sont inconnues n'en permirent pas la réalisation. Ce qui est
certain, c'est que cette Eléonore de Vermandois, qui fut mariée quatre fois,
épousa peu après Godefroi de Hainaut, qu'elle perdit au bout de quelques mois[18] et épousa en secondes noces le
terrible Guillaume IV, comte de Nevers, dont on connaît les tristes démêlés
avec les religieux de Vézelay. A
mesure que le duc Hugues III avançait en âge, il ne manquait pas dans
l'entourage de la cour ducale de seigneurs qui lui donnaient de mauvais
conseils et l'engageaient à secouer le joug de tutelle dans lequel il était
retenu. Ces suggestions perfides avaient beaucoup aigri le duc contre sa
mère, et il faut chercher les coupables parmi les chevaliers et les jeunes
barons qui figurent le plus souvent dans les actes du temps et faisaient
partie de son intimité, comme Eudes, sire de Grancey Gui, sire de Vergy
Jobert de Grancey, fils du sénéchal Viard ou Guiard de Faverney Gui, sire de
Salives Aimon de Dijon Guillaume d'Orgeux Etienne de Pouilly Calo le Jeune ;
de Grancey Ponce Chanlart, sire de Duesme, etc. Ces
seigneurs ne tardèrent pas à mettre une brouille complète entre la mère et le
fils, à tel point que Marie de Champagne, chassée de la cour et privée de son
douaire, se vit dans la nécessité d'implorer le secours du roi. Louis le
Jeune manda l'un et l'autre pour venir comparaître devant lui. Le duc ne se
rendit pas à l'invitation et envoya un ambassadeur pour réclamer un autre
rendez-vous. A ce propos la duchesse écrivit à Louis VII « Comme je me
rendais en votre présence au plaid que vous m'avez assigné afin que, par
votre justice, je puisse rentrer dans mes droits, j'ai reçu un envoyé du duc
qui contremandait cette entrevue. Cela ne m'empêchait pas d'aller vous
trouver. Mais cependant mon avis a été d'aller d'abord voir le pape, en tant
que mon affaire puisse le toucher, ce que je n'avais pas encore fait. Je me
rends donc en sa présence. C'est pourquoi j'expédie à votre Altesse un
courrier afin que vous fixiez un jour et décidiez d'une manière quelconque
sur l'affaire de mon très méchant fils. On m'a chassée et je suis en exil.
Autrefois riche, maintenant presque mendiante autrefois duchesse et
maintenant conservant à peine un débris de pouvoir, je me prosterne
suppliante et humiliée au pied de votre royale Majesté plongée dans le
malheur et les larmes, je vous supplie d'avoir pitié de moi, et de daigner me
faire rendre mon douaire, dont aucune autre duchesse n'avait encore été
privée jusqu'ici. Après Dieu, je n'ai plus espoir qu'en vous[19]. » On
connaissait trop la lenteur ordinaire delà justice, même de la justice
royale, pour obéir immédiatement aux ordres du roi. Il est probable que le
duc reçut plusieurs avertissements et plusieurs rendez-vous auxquels il ne se
rendit pas, sachant d'avance que le jugement ne lui serait pas favorable.
Louis VII irrité lui fit des menaces et commença des préparatifs de guerre.
Les chevaliers bourguignons conseillèrent au duc de recourir à l'alliance de
l'empereur Frédéric Barberousse. Ce dernier avait eu assez de causes de
mésintelligence avec la France à propos du schisme pour n'avoir pas à
intervenir dans une querelle qui ne lui était pas personnelle il pria Henri
le Libéral, comte de Champagne, de servir de médiateur et lui écrivit «
Frédéric, par la grâce de Dieu, empereur des Romains et toujours auguste, à
son cher vassal Henri, comte illustre de Troyes, qu'il assure de ses bonnes
grâces et auquel il souhaite toute sorte de prospérité. Nous avons entendu
dire, avec beaucoup de peine et de regret, que le roi de France compte à la
Saint-Jean prochaine entrer en ennemi et porter la destruction dans la terre
du duc de Dijon notre ami et notre allié. Or nous ne pouvons ni ne devons le
souffrir pour aucun motif. Mettant pleine confiance dans ton amitié, nous te sollicitons
affectueusement et nous te prions vivement de t'interposer par amour pour
nous auprès du roi pour le faire renoncer à ce projet. Fais en sorte de ne
causer, ni par toi ni par les tiens, aucun préjudice au duc, et plutôt que de
nuire au duc, retire au roi ton conseil et ton aide. Si le roi ne veut pas
renoncer à ses intentions hostiles, ou surseoir à leur réalisation, sache et
tiens pour certain que nous ne le souffrirons pas ni ne le supporterons et
pour lui résister, pour soutenir et défendre notre ami le duc, nous ferons
agir toutes les forces de notre empire. En effet, si entre le duc et sa mère
il s'est présenté ou se présente à l'avenir quelque sujet de discorde, nous
suffirons parfaitement et au-delà, nous et toi, pour arranger l'affaire[20]. » Les
menaces contenues dans cette lettre pouvaient faire craindre une
conflagration générale qui dépassait de beaucoup en importance la querelle
privée qui en était la cause. Il est probable que le comte de Champagne,
oncle du duc, s'interposa et rétablit la bonne harmonie entre la duchesse et
son fils, car ils parurent dans la suite vivre en meilleure intelligence,
sans que le roi ait eu besoin d'user de son intervention armée. Quant à
la date de ces événements que le Recueil des historiens de France fixe à l'an
1163, ou 1164[21], nous croyons qu'il faut les
rapporter à l'an 1165. Une note de D. Brial[22] s'appuie sur ce la duchesse
allant trouver le pape à Sens, ces faits devaient avoir lieu vers 1163-1164,
mais la raison n'est pas déterminante car Alexandre III habita Sens depuis le
30 octobre 1163 jusqu'au 4 avril 1165[23]. Que les seigneurs bourguignons
aient dès la première date cherché à écarter Marie de Champagne pour prendre
la direction des affaires sous le jeune duc, cela est supposable, mais ce
n'est qu'au commencement de 1165 que la duchesse dut écrire au roi ; c'est à
cette époque que l'empereur Frédéric envoya au comte de Champagne la lettre
que nous venons de donner, et c'est à la Saint-Jean de 1165 que Louis le
Jeune se proposait d'envahir la Bourgogne. D'ailleurs jusqu'à ce moment la
duchesse donne seule les actes la première charte, parfaitement datée donnée
par Hugues III sans la participation de sa mère, est du 8 avril 1165 (VI Idus
Aprilis)[24]. Nous croyons donc que la
régence de Marie de Champagne dura du mois de septembre 1162 à avril 1165,
c'est-à-dire deux ans et six mois environ. Louis
le Jeune commettait une grande faute politique en ne conservant pas avec le
duc de Bourgogne, son allié naturel, les bons rapports qui avaient existé
entre les ducs et les rois ses prédécesseurs, et en ne le rattachant pas à sa
famille par des liens plus étroits ainsi que la duchesse le lui avait
proposé. Il lui eût été facile, sans en venir aux menaces et à une
déclaration de guerre, de rétablir par sa seule autorité la bonne
intelligence entre la mère et le fils, au lieu de laisser intervenir des étrangers
dans leurs affaires personnelles. Le règne de Louis VII nous offre trop
d'exemples de ces inconséquences et de ces maladresses, depuis la dissolution
de son mariage avec la reine Eléonore de Guyenne, qui livrait au duc de
Normandie trois des plus belles provinces de France. Il n'avait ni les
qualités de son père ni celles de son fils, et il faut croire Hugues de
Poitiers sur ce qu'il dit de son caractère[25]. L'empereur Frédéric Barberousse, beaucoup plus adroit, sut habilement profiter de son rôle de médiateur depuis qu'il était possesseur du comté de Bourgogne par son alliance avec Béatrix, fille du comte Renaud III, il avait tout intérêt à ménager les intérêts du duché et la cour brillante du magnifique château qu'il avait fait construire à Dôle était trop près de la cour de Dijon. Il se fit du duc de Bourgogne un parent et un allié, se vengeant ainsi du roi qu'il n'aimait pas et qui protégeait ouvertement Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry, alors retiré à Pontigny, dont l'empereur réclamait l'expulsion. Frédéric fit offrir à Hugues III sa propre nièce Alix de Lorraine, fille de Mathieu Ier, duc de Lorraine et de Berthe, sa sœur. Le mariage fut conclu et les fiançailles eurent lieu vers les années 1164-1165, le duc étant dans sa dix-septième ou dix-huitième année. |
[1]
D. Plancher, t. I, pr. 74.
[2]
Pérard, pp. 242, 243.
[3]
Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Saint-Etienne, n° 22, fol. 41, v°
et 42 r°.
[4]
Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire d'Hochmelle.
[5]
On peut voir dans D. Bouquet, Epist. Ludovici, t. XVI, p. 31, C. D. p.
94, note p. 119, C. D, des lettres des années 1162, 1164, 1165, qui désignent
Godefroy quondam Lingonensis Episcopus. Il y en a même une que D.
Bouquet, t. XVI, p. 140 D. E, porte à l'année 1167, ce qui est une erreur,
Godefroy étant mort deux ans avant. D'après le t. IX des manuscrits de l'abbé
Mathieu, le tombeau de Godefroy, évêque de Langres, qui se trouvait dans l'église
de Clairvaux, croisée du côté du septentrion du cimetière des religieux,
au-devant de la chapelle de tous les saints, fut ouvert, ainsi que celui de
cinq autres évêques, au milieu desquels il était placé. On trouva dans ce
tombeau une plaque de plomb avec cette inscription : VI Idus novembris, pie
memorie Dominus Godefridus, Episcopus Lingonensis, hoc in loco sancto fine
quievit, ubi et inunctus fuerat, et divinis sacramentis munitus per ministerium
domini Alani Autissiodorensis, et ablutus in conventu per manum Episcoporum...
et Autissiodorensis et abbatum honorifice tumulatus (Migne, t. IV, p.
1782).
[6]
Epist. Ludov., D. Bouquet, t. XVI, p. 46 C. D.
[7]
D. Bouquet, Epist. Ludov., t. XVI, p. 47 A. B.
[8]
D. Bouquet, Epist, Ludov., t. XVI, p. 46, C. D ; p. 47 A. B.
[9]
Duchesne, Histoire Franc., t. IV, pp. 669, 670 et D. Bouquet, Epist.
Ludov., t. XVI, p. 119 C. D.
[10]
D. Bouquet, Epist. Ludov., t. XVI, p. 119, n° 336.
[11]
A. Duchesne, Histoire Franc., t. IV, pp. 643, 644.
[12]
A. Duchesne, Histoire Franc., t. IV, pp. 643, 644.
[13]
Voir Lebeuf, Histoire d'Auxerre, nouv. éd., t. III, pp. 92, 93.
[14]
A. Duchesne, Histoire Franc., t. IV et D. Bouquet, t. XVI, p. 93 A. B.
[15]
Voir D. Bouquet, t. XVI. p. 92, C. D., une lettre de l'évêque d'Auxerre Alain à
Louis le Jeune pour lui demander de lui assigner jour à Sens. Nous pensons que
ceci se passait vers le mois de mai 1164, époque à laquelle avait lieu la
dédicace de Sainte-Colombe. Anno incarnati verbi M.C.LX.IIII, regnante
Ludovico, rege Fran« corum Hugone Senonensium pontifice, Odone venerabili
abbate presidento, Alexander papa dedicavit ecclesiam Sancte Colombe
Senonensis, vt kal. maii, quam prefatus abbas a fundamentis renovavit
(Bibl. du Vatican, mss. n° 755, fol. 20, r°, relatif à la ville de Sens et à
Sainte-Colombe, mss. du XIIe s., in-f°, en veau rouge).
[16]
Cette partie du récit est comprise dans le livre IV de Hugues de Poitiers, dont
la publication intégrale serait curieuse. Il faut voir aussi l'Etude sur
Vézelay de mon regrettable ami Aimé Cherest, t. II, pp. 22, 61 et les
preuves de son t. III.
[17]
A. Duchesne, Histoire Francor., t. IV, p. 722.
[18]
Gisleb. du Mont dit dans D. Bouquet, t. XIII,. p. 556 : Godefridus cum
annorum esset circiter XVI et instaret tempus militiœ ejus, Montibus usque ad
mortem ægrotavit, ibi que defunctus est. Il se pourrait que le mariage de
Godefroy avec Eléonore n'ait pas été réalisé vu la jeunesse du fiancé. On se
mariait jeune mais guère avant dix-huit ans.
[19]
A Duchesne, Histoire Franc., t. IV, p. 726.
[20]
D. Bouquet, t. XVI. 691 ; D, 692 A.
[21]
D. Bouquet, t. XVI, p. 68.
[22]
Voir la note du t. XVI, p. 68.
[23]
Jaffé, Regesta pontificum romanorum, 695, 703.
[24]
Orig. Arch. de l'Aube. Edité par M. d'Arbois de Jubainville, Abbayes
cisterciennes, p. 392.
[25]
Hugues de Poitiers dit qu'il était d'un caractère timide, qu'il préférait les
douceurs du repos aux dangers de la guerre cui grata quies, exosum semper
extitit bellum. Spicilège, p. 639.