Discussions entre le
duc Eudes II et l'évêque de Langres. — Jugement rendu à Moret par le roi
Louis le Jeune. — Sentences des cours de justices épiscopales. — Le duc au
concile de Soissons. — Raymond de Bourgogne mêlé aux luttes de l'abbaye de
Vézelay ; sa mort. — Mathilde de Bourgogne épouse Guillaume de Montpellier. —
Contestations de l'abbé de Flavigny avec le duc Eudes Il. — Jugement du roi
dans l'affaire du duc et de l'évêque d'Autun. — Donations aux monastères. —
Actes d'incommunication ou de pariage. — Débats entre Alexandre III et
l'antipape Victor IV. — Le château de Vergy offert comme asile au Pape. —
Conférence de Saint-Jean-de-Losne. — Le roi Louis le Jeune et le comte de
Champagne à Dijon, chez le duc, leur beau-frère. — Fin des négociations. —
Mort d'Eudes II.
Au
moment où les lettres et les bulles pontificales recommandaient au duc de
Bourgogne et aux seigneurs de la province d'apporter une intervention
efficace dans les luttes multiples que l'abbaye de Vézelay avait à soutenir,
Eudes II était lui-même en discussion avec Godefroy, évêque de Langres, au
sujet des fiefs qu'il ne servait pas loyalement, et à la suite de faits
graves relatés dans une enquête trop curieuse pour que nous nous abstenions
de la rapporter. Depuis
un certain temps déjà, l'affaire était pendante devant la cour des pairs de
France. Le roi Louis le Jeune avait convoqué les parties à Moret en Gatinais,
pour comparaître devant une assemblée de barons et d'évêques. Le duc et
Godefroy s'y trouvèrent au jour indiqué, et exposèrent leurs griefs. L'évêque
invité à parler le premier, dit : « Je demande au duc comment,
étant notre homme et notre feudataire pour le fief de Saint-Mametz, il n'a
pas daigné nous faire hommage et nous rendre les honneurs de ce fief ?
Pourquoi a-t-il enlevé nos hommes de Châtillon, prêtres et autres ? Pourquoi
a-t-il mis le feu au village d'Occey ? Je demande que, conformément à ses
promesses, il répare les dommages causés par Hugues d'Arceaux, qui, avec ses
complices, a mis le feu à ce village et à plusieurs autres, après avoir
maltraité et tué les habitants, et commis beaucoup de violences. Je n'ai
relâché ses complices que j'avais fait mettre en prison que sur la promesse
faite par le duc, et la parole donnée en son nom par l'abbé de Clairvaux, qui
s'était porté pour caution, en m'assurant que satisfaction me serait rendue.
» « Je
réclame la moitié du péage de Châtillon que prend le duc et qui m'appartient.
Je réclame les moulins construits contre toute justice sur nos terres de
Saint-Mametz. Je réclame Varenne et les droits que le duc et ses officiers
prélèvent sur ce château. Je réclame Brazey et le village de Bonjean (Bons Johannes
?) qui sont de mon
fief, et que le duc retient en gage sans mon assentiment. Je demande qu'il
fasse détruire les anciennes murailles de Dijon, construites sur notre fonds,
et qui ferment l'entrée de nos abbayes du côté de nos châteaux de Saulx et de
Til-Châtel. Qu'il abatte la tour élevée à Velars, qui nous est incommode et
nuisible, principalement à notre forteresse de Gurgi. Qu'il répare les torts
causés à nos chanoines du Dijonnais, en leur fermant les portes, et qu'il
mette fin aux violences exercées contre nos abbayes. » A ces réclamations
nettement formulées par l'évêque de Langres, le duc donna une réponse qui
nous paraît fort évasive, et insuffisante en tous cas pour réfuter les faits
qui étaient mis à sa charge. « Je ne
veux pas, dit-il, répondre à tout ce qui vient de m'être reproché. D'abord on
met à ma charge des actes commis avant que je n'aie été homme et vassal de
l'évêque, puis quand je suis devenu son homme et vassal, il a refusé de me
rendre justice, c'est ce qui m'a porté à lui refuser hommage et à ne plus le
reconnaître pour seigneur. Je réclame en outre qu'il détruise les
fortifications et les fossés qu'il a faits à Mussy. » L'évêque,
reprenant les raisons alléguées par le duc, dit : « Je l'ai reçu en
bonne foi sur les promesses qu'il m'a faites, et que j'ai cru sincères, de
réparer tout le mal qu'il avait causé précédemment. Il ne peut objecter que
je n'aie pas exigé ce que je réclame aujourd'hui, car quand je l'ai reçu,
j'ai ajouté formellement cette clause, sauf mes droits et sans préjudice
de mes justes prétentions. Quant à la seconde objection du duc, que je ne
lui aurais pas rendu justice, je ne sais. Lorsqu'il m'a demandé d'écouter ses
plaintes, je lui ai assigné un jour pour comparaître à la Cour épiscopale. Je
m'y suis trouvé. Le duc n'est pas venu, et s'est contenté d'envoyer
quelques-uns de ses officiers. Je l'ai de nouveau invité à venir dans la
maison de son seigneur ; il a refusé, et j'ai renvoyé ses gens sans vouloir
les entendre. Quant aux fortifications et aux fossés de Mussy, je ne dois
point les détruire, c'est mon frère qui les a fait faire peu de temps avant
son voyage de Jérusalem avec l'approbation et même le secours du duc, et de
plus ces constructions sont faites sur le fonds de Saint-Mametz, où le duc
n'a aucun droit. » Eudes
II répliqua que ni lui ni ses ancêtres n'avaient jamais comparu en personne à
la Cour épiscopale de Langres, sinon par des procureurs, et que c'était à eux
et à eux seuls que l'on devait répondre. « Cela
n'est pas exact, dit l'évêque, ni moi ni mes prédécesseurs n'avons jamais
répondu aux envoyés du duc, mais aux ducs eux-mêmes, et d'ailleurs votre
aïeul et votre grand'père ont plusieurs fois plaidé devant l'évêque, à
Langres, à Châtillon, où ailleurs. Vous avez vous-même plaidé jusqu'à deux
fois dans la maison de l'évêque. » « Ce
n'était que par bonne amitié, interrompit le duc. « Moins
par amitié, répliqua l'évêque, que pour la déférence due à votre suzerain, et
pour l'hommage que vous lui devez. » Nous ne
savons si le chancelier de la Cour de France, qui relate les paroles
prononcées à l'assemblée de Moret, n'a pas écourté un peu les allégations
produites par Eudes II. Il est certain que le beau rôle reste à l'évêque de
Langres, et que les arguments fournis par son adversaire n'ont pas dû agir
favorablement sur l'assemblée. La
suite de l'affaire nous offre un curieux exemple des habitudes de lenteur de
la justice féodale. Après la discussion de l'affaire en litige, on alla aux
voix mais les arbitres réclamèrent ajournement de la sentence. Le roi fixa en
effet un autre rendez-vous. L'évoque s'y rendit. Le duc, qui avait des
raisons de retarder autant que possible le moment d'une condamnation
probable, évita de comparaître. Autre rendez-vous fut indiqué. L'évêque y fut
seul. A une troisième assignation, l'évêque se rendit encore, le duc refusa
de comparaître. On tint conseil. Le roi se décida à envoyer en Bourgogne un
ambassadeur, qui trouva le duc en train de monter à cheval, et parfaitement
bien portant, incolumem et equitantem. Quatrième sommation. L'évêque
comparut encore le duc se fit représenter par un de ses officiers chargé de
l'excuser et d'expliquer, que, si son maître n'était pas venu, c'est qu'il ne
pouvait assister à tant de réunions ! La
cause était entendue, et l'arrêt fut rendu en faveur de l'évêque de Langres
par les membres présents les archevêques de Sens et de Paris Alain, évêque
d'Auxerre le bouteiller, le connétable, le grand chambrier de France et
plusieurs autres, l'an 1153[1]. A voir
tant de lenteurs, de remises et de démarches inutiles, on croirait que les
juges touchaient des émoluments, et avaient intérêt à prolonger les débats,
mais ces lenteurs étaient dans les habitudes de l’époque, et les justices
ecclésiastiques, comme nous l'avons vu plus d'une fois, n'apportaient pas
plus de célérité dans leurs jugements que les justices féodales. Toutefois
les sentences rendues par les Cours épiscopales, quand il s'agissait de
décisions entre les abbayes et les seigneurs de moins haute volée, étaient
plus expéditives. En 1154, quand Godefroy, évêque de Langres, fait un
arrangement entré les religieux de Theuley et les frères de la commanderie du
temple de la Romagne, il arrête les limites respectives des domaines
appartenant à ces monastères, et fixe les points du débat avec les
dignitaires présents à l'évêché[2]. Henri de Bourgogne, évêque
d'Autun, étant à Autun, dicte un arrangement entre les moines de Fontenay et
Renier de Frolois, qui contestait des redevances à Flacey et ailleurs il rend
son jugement après audition des allégations respectives des parties et
nouvelles enquêtes contradictoires[3]. Vers la même époque, les
religieux de Fontenay s'adressent encore à leur évêque pour les contestations
qu'ils avaient avec Jean et Renier de Sainte-Colombe au sujet des droits, à
Saigny, Eringes, Grignon l'évêque n'eut qu'à relater les conventions arrêtées
par les arbitres, menaçant d'anathème ceux qui viendraient à violer les
clauses du traité[4]. En 1153, l'évêque de Langres,
pour éviter de nouvelles contestations entre les abbayes de Molème et de
Clairvaux, notifie la cession d'une rente sur Beaumont, faite par Gui, abbé
de Molème à celui de Clairvaux[5]. Le 10
juin 1155[6], le duc de Bourgogne se rendit
au concile de Soissons près du roi Louis le Jeune. Il y assista avec les
archevêques de Reims et de Sens, en présence d'une nombreuse assemblée on
voulut aviser aux violences et aux exactions commises par les seigneurs et une
paix de dix années y fat solennellement jurée[7] : « En présence de
tous les prélats et de tous les barons présents à la réunion, dit le diplôme
de Louis VII[8], le roi donna sa parole
d'observer cette paix, et de faire justice des infractions, si elle était
violée. Le même engagement fut pris par le duc de Bourgogne, le comte de
Champagne, le comte de Nevers, le comte de Soissons et les autres seigneurs
présents. » Dans la
chronique originale de Hugues de Poitiers[9], à propos des luttes sanglantes
qui ont lieu entre les bourgeois de Vézelay et Ponce de Montboisier, abbé du
monastère, on voit figurer Raimond de Bourgogne, frère d'Eudes II ; il prend
part à une action de guerre dont la lacération des feuillets du manuscrit[10] ne permet de préciser
exactement ni le lieu ni les circonstances. Un fait digne de remarque, c'est
que la mort de Raimond suit d'assez près l'époque de cette lutte, soit qu'il
ait reçu de graves blessures, soit pour d'autres causes qui ne nous sont pas
connues. En tous cas, son intervention dans les affaires de Vézelay est
curieuse, et montre qu'il dut servir les intérêts de son frère l'évêque
d'Autun. Il mourut le 28 juin 1156, veille de Saint-Pierre et Saint-Paul. Et
ce même jour, le duc était à Beaune avec sa mère l'a duchesse douairière
Mathilde, en même temps que son frère Henri, qui fonde à l'occasion de cette
mort un anniversaire dans l'abbaye de Sainte-Marguerite, et donne pour cette
fondation l'église de Grosbois et ses dépendances, avec l'approbation de leur
autre frère Gauthier, alors archidiacre, et plus tard évêque de Langres[11]. Henri fonda également
l'anniversaire de son frère Raimond dans l'abbaye de Flavigny[12]. Agnès, comtesse de Montpensier
et de Grignon, veuve du défunt, lui rendit le même honneur à Notre-Dame de
Beaune, en assurant à l'église une rente sur les coutumes de Vitteaux, en
présence de Hugues le Roux, autre frère du Duc[13]. Le cartulaire de Cîteaux porte
le souvenir d'une semblable libéralité et d'une rente sur Vitteaux cédée pour
pareille cause par la même comtesse[14]. Dans
ces deux derniers actes, Agnès de Montpensier associe le souvenir de son fils
Hugues, qui avait précédé son père dans la tombe, à celui de Raimond de
Bourgogne, dont l'obit était célébré à Cîteaux, le 28 juin[15]. De cette alliance, il restait
une fille alors fort jeune, la comtesse Mathilde qui eut quatre alliances, et
dont les libéralités ont surtout conservé la mémoire. Cette Mathilde dont il
sera plus d'une fois fait mention, avait reçu son nom, selon toute apparence,
de la duchesse Mathilde, sa grand'mère, ou de sa tante Mathilde, sœur d'Eudes
II, que nous voyons, en février 1157, épouser Guillaume de Montpellier. Le
texte du contrat de ce mariage, en donnant le détail de la dot, porte ce
préambule que nous traduisons « comme Dieu au commencement « du monde, en
créant toutes choses termina par la « création de l'homme, et prit une de ses
côtes en « disant Il n'est pas bon que l'homme soit seul sur « la terre,
c'est pourquoi nous faisons une compagne « pour l'aider et quand il eut créé
la femme, il dit « croissez et multipliez, et peuplez la terre, etc.[16] » Eudes II était alors (1157) en contestation avec l'abbé de
Flavigny, au sujet des fortifications qu'il avait fait élever autour de la
ville, fortifications que les habitants de Flavigny ne voyaient pas s'élever
à leur satisfaction, et pour lesquelles ils avaient porté plainte au duc de
Bourgogne. Dans une lettre que ce dernier écrivit aux habitants qu'il traite
d'amis[17], il leur déclare renoncer à ses
prétentions et avoir fait la paix avec l'abbé Renaud. Il se décharge sur eux
du tort qu'il peut avoir commis en cette affaire, et ce avec l'approbation de
la duchesse Marie et de son fils Hugues : « J'accorde aux moines la
permission de faire autour de la ville de Flavigny toutes les fortifications
qu'ils croiront devoir faire, sans qu'on puisse apporter aucun obstacle à
leurs travaux. Et comme je n'ignore pas votre mauvais vouloir à ce sujet, je
vous demande de laisser faire à l'abbé ce qu'il désirera, et de vous
soumettre en tout à sa volonté. Adieu. » Cet
abbé Renaud paraît avoir été assez jaloux de son autorité abbatiale, et avoir
énergiquement défendu les privilèges du monastère de Flavigny contre les
prétentions des puissances laïques ou ecclésiastiques. Il semblerait qu'il y
eut là comme à Vézelay, mais avec une moindre intensité, une revendication
des privilèges de l'abbaye. Henri de Bourgogne, évêque d'Autun, venait de
céder aux religieux, lors de la fondation d'anniversaire de son frère
Raymond, la moitié des oblations de l'église paroissiale de Saint-Genest de
Flavigny, dans laquelle il n'y avait alors que deux chapelains[18]. L'abbé Renaud n'en contestait
pas moins à l'évêque, en 1160, ses prétentions sur la ville et sur l'abbaye,
et lui refusait foi et hommage. Il appuyait sa résistance sur les anciens
privilèges du monastère, et prétendait n'être tenu qu'envers le roi, son
suzerain immédiat, aux devoirs de fief. Henri de Bourgogne, ne pouvant en
avoir raison, fit citer l'abbé devant Louis le Jeune, qui après avoir entendu
les dires de l'un et de l'autre, confirma les droits de l'évêque, et ordonna
à l'abbé de Flavigny de rendre hommage de son abbaye, de même que l'évêque
rendait au roi ses devoirs de vassalité pour son église. Pour mettre fin à de
nouveaux débats, le roi déclare que quand même la confirmation de ces droits
n'aurait pas été faite par les rois ses prédécesseurs, il la lui octroyait,
et que désormais Flavigny reconnaîtrait l'autorité diocésaine. Ce
jugement, prononcé en 1160[19], mit pour le moment un terme à
ces contestations. Dans les siècles suivants, les successeurs de Renaud,
fidèles à ces devoirs de vassalité, offrirent toujours les clefs de la ville
et de l'abbaye, lorsque l'évêque se présentait à Flavigny. Le jugement de
Louis VII fut d'ailleurs confirmé par un diplôme de Philippe-Auguste, donné à
Fontainebleau, en 1192. Le roi se réserve de plus un droit de gîte à Flavigny
pour un jour de chaque année[20]. Eudes
II assistait, en 1157, à Châtillon-sur-Seine, avec Godefroy, évêque de
Langres, à une importante donation de la terre de Semond[21], faite aux religieux de
Molosmes, près Tonnerre, par Gaudin, seigneur de Bremur, avec la
participation de toute sa famille. L'abbé Adelard, en faveur de cette
cession, remit à chacun des donateurs une certaine somme aux filles, il donne
une vache, à une autre un manteau, à l'un des fils une tunique, etc.[22] Peu
après[23], le duc pacifie une
contestation entre les religieux de Saint-Etienne de Dijon et plusieurs
seigneurs Hugues d'Arceaux, Guillaume et Aymon de Beire, relativement à des
droits de pâturage à Ahuy, contestation qui avait déjà été trente ans
auparavant l'objet d'un débat et d'un jugement rendu à la cour de Hugues II.
Les habitants d'Ahuy furent de nouveau investis du droit qu'ils réclamaient,
avec l'assentiment du connétable Guillaume de Marigny, probablement seigneur
féodal de ce fief. Alix, femme du connétable, et leurs fils Eudes et Aymon
donnèrent aussi leur consentement à Jaugey[24], apud Juxe. Les
chevaliers du temple de la commanderie d'Uncey[25] protégés par la faveur ducale,
reçurent à cette époque les libéralités des barons du voisinage. Gui de
Sombernon leur concéda ce qu'il possédait à Avosnes[26], conjointement avec Barnuin et
Aimon de Drées. Le duc Eudes étant à Saint-Seine avec sa cour, Jean de
Mont-Saint-Jean, Jean de Chaudenay, Aimon le Roux, Garnier d'Agey, etc.,
ratifia la donation. Garnier d'Agey fit aussi abandon de ce qu'il avait à
Avosnes et en fit dresser l'acte à Sombernon par l'évêque Henri de Bourgogne[27]. Godefroy,
évêque de Langres, sans vivre ouvertement en mauvaise intelligence avec le
duc de Bourgogne, avait souvent avec lui des questions d'intérêt qui
menaçaient de troubler l'accord, que le jugement de Moret n'avait pas réussi
à rendre parfait, bien que le duc ait dû s'incliner devant la décision du roi
de France. Pour éviter le retour de ces revendications qui amenaient des
débats incessants, l'évêque de Langres obtint, en mars 1158 (1159) une bulle du Pape Adrien qui
ratifiait la décision royale, et assurait à l'évêque la moitié du château de
Montsaugeon et de ses dépendances[28]. Lorsque Eudes II, la duchesse
Marie de Champagne et leur fils Hugues donnent à l'abbaye d'Auberive une
famille d'hommes à Pierre-Fontaine[29] pour la fondation d'un service
religieux, Godefroy ne manque pas de faire valoir sa suzeraineté c'est lui
qui dicte la charte et la scelle de son sceau[30]. Le duc
cède encore aux religieux de Saint-Bénigne, vers 1160, ce qu'il possédait à
Velars-sur-Ouche, en y établissant les droits de justice qui lui reviennent
ainsi qu'à l'abbé. Il avoue que dans ce village, il a outrepassé ses
pouvoirs, en usant de violence et en percevant ce qui ne lui était pas dû. La
duchesse Marie approuve ainsi que son fils Hugues, en présence de Gauthier,
archidiacre de Langres, frère du duc ; Euvrard, chapelain de la duchesse ;
Aimon le Roux, Etienne de Pouilly, chevaliers, le prévôt Bon ami[31]. A la
même date, fut passé entre le duc et les mêmes religieux un traité d'incommunication
ou de pariage, relativement à la terre de Mémont[32], ancien domaine important qui
avait eu des comtes particuliers pendant la première époque de la féodalité.
L'acte d'incommunication ou de pariage s'appliquait à des biens
indivis, qui exigeaient des possesseurs une entente, une administration
commune pour en toucher les revenus et en régir les intérêts au profit de
chacun des propriétaires. C'est encore avec la médiation de l'évêque Godefroy
que ce traité fut passé. On peut en voir le texte dans D. Plancher, qui
s'étend toujours longuement sur les faits qui intéressent l'abbaye et en
rapporte le texte dans ses preuves[33]. Un des prieurés dépendant de
Saint-Bénigne s'associa également avec Eudes II par une semblable
incommunication pour une terre sise à Bellenod, près de Pouilly, afin de
construire en cet endroit un village, dont le monastère devait comme le duc
prendre sa part de charges et de revenus. Les constructions à élever
devaient, comme les acquisitions futures, être à frais communs[34]. Eudes
II et la duchesse Marie résidaient alors souvent à Châtillon-sur-Seine, et
l'abbaye de Notre-Dame de cette ville fut pendant leurs dernières années
l'objet de leurs libéralités. Nous donnons aux preuves divers actes passés
dans ce château en présence des principaux officiers de la cour ducale[35]. De plus
graves événements durent en ce moment nécessiter l'intervention du duc de
Bourgogne dans les affaires générales, bien que les chroniques restent
muettes sur le rôle qu'il y prit, alors que la Bourgogne était le théâtre de
ces démêlés les préparatifs de guerre de Louis le Jeune et de Henri le
Libéral contre le roi d'Angleterre, et la lutte du Pape Alexandre III contre
l'empereur Frédéric Barberousse. La
reine Constance étant morte, le 4 octobre 1160[36], le roi Louis VII avait attendu
quinze jours à peine pour prendre en troisièmes noces la dernière sœur
d'Henri, comte de Champagne et de Thibaud, comte de Blois, et devenait ainsi
le beau-frère du duc de Bourgogne. Cette parenté expliquerait un séjour assez
prolongé que fit le roi à Dijon, en 1162, si de plus sérieux motifs n'y
avaient nécessité sa présence. Le Pape
Adrien IV était décédé en septembre 1159, et la majorité des cardinaux lui
avait donné pour successeur Roland, cardinal de Saint-Marc, qui prit, le nom
d'Alexandre III, pendant que l'empereur Frédéric Barberousse soutenait le
cardinal de Sainte-Cécile, qui s'intitulait Victor IV. C'était toujours la
vieille lutte du schisme allemand opposé au Pape légitime, appuyé par la
France et l'Italie. Victor IV était, au dire de Hugues de Poitiers[37], parent de Henri le Libéral :
soutenu et excité par l'empereur, il ne tarda pas à forcer son rival à sortir
de ses états et à chercher asile en France, où Alexandre débarqua aux fêtes
de Pâques 1162[38]. Par
l'entremise de Manassès, évêque d'Orléans, le roi de France chargea Henri le
Libéral de négocier une entrevue avec l'empereur pour décider la querelle
entre les compétiteurs. Si Louis VII protégeait Alexandre, il choisissait
bien mal ses négociateurs, qui penchaient secrètement pour Victor. Au mois de
mai, le comte de Champagne arriva en Lombardie et convint avec l'empereur
d'une conférence qui devait s'ouvrir à Saint-Jean-de-Losne, le 29 août 1162[39]. Dans cette entrevue
préliminaire, il fut arrêté que celui des deux compétiteurs dont l'élection
serait déclarée régulière, serait proclamé pape, avec obligation pour le roi
comme pour l'empereur de se soumettre à la décision qui serait solennellement
prise dans la réunion[40]. Le comte de Champagne rapporta
de plus à Louis VII une lettre de l'empereur datée de Pavie, le 2 des
calendes de juin[41], dans laquelle il lui
prodiguait les témoignages de la plus sincère amitié, et le désir de vivre
avec lui en bonne intelligence. Au reçu de toutes ces dépêches, le roi
annonça son projet de se rendre à Saint-Jean-de-Losne au jour convenu, et en
attendant se rendit à l'abbaye de Souvigny, près Moulins, où se trouvait
Alexandre III avec lequel il passa deux jours. Louis VII espérait faire venir
son protégé au rendez-vous, mais ce dernier qui avait des motifs de se défier
des négociateurs de ces conventions, n'accepta pas dans la crainte de tomber
dans les mains de ses ennemis : « Si vous n'osez pas aller à
Saint-Jean-de-Losne, disait le roi à Alexandre, accompagnez-moi jusqu'à
Vergy, où vous pourrez en toute sécurité attendre mon arrivée, vous y serez
dans une forteresse inexpugnable. Je prendrai pour votre sûreté et celle de
votre entourage les mêmes précautions et les mêmes garanties que pour ma
propre personne. Je vous en donne ma parole[42]. » Cette
offre du château de Vergy ne fut pas davantage acceptée par Alexandre, qui,
ayant chargé quatre cardinaux d'accompagner le roi, s'en remit à eux du soin
de défendre ses intérêts, sans les autoriser toutefois à accepter un jugement
contraire à son élection dont la validité était inattaquable. Louis
VII se retira à Dijon, à la cour du duc de Bourgogne, où le comte de
Champagne vint le rejoindre[43]. Le Duc Eudes II, alors atteint
de la maladie, ultima egritudine[44], qui devait le conduire peu
après au tombeau, prit très peu de part aux événements ultérieurs. Le 29
août, le roi, Henri le Libéral, l'archevêque de Tours, l'évêque de Paris,
Ponce de Montboisier, abbé de Vézelay, les cardinaux, et un cortège de
nombreux personnages se rendirent à Saint-Jean-de-Losne. Louis VII, qui était
en simple costume de chasse, en s'approchant de la ville, envoya d'avance
plusieurs émissaires pour savoir si Frédéric était arrivé. Les ambassadeurs
apprirent avec étonnement que l'empereur et l'antipape Victor s'étaient
présentés avant le jour sur le pont de Saint-Jean-de-Losne, et que n'ayant
trouvé personne, comme ils pouvaient s'y attendre à pareille heure, ils
s'étaient retirés pensant avoir rempli leur engagement. Aux délégués que
l'empereur avait laissés à sa place, les ambassadeurs du roi réclamèrent un
nouveau rendez-vous, que les premiers prétendirent ne pouvoir accepter,
n'ayant pas qualité pour le faire. La conférence était rompue ; les cardinaux
reprirent le chemin de Vézelay et le roi rentra à Dijon. Le
comte de Champagne, qui n'avait pas trop servi les intentions du roi dans les
premiers pourparlers, se rendit immédiatement au palais impérial de Dôle, où
il trouva l'empereur, en obtint la promesse d'une nouvelle conférence, et
revint en toute hâte à Dijon, dans le palais ducal, où il arriva de grand
matin. Il exposa au roi que trois semaines plus tard une réunion aurait lieu,
et que cette fois la question serait définitivement tranchée. Louis VII
accepta ces propositions, promit de s'y soumettre, et donna pour caution les
comtes de Flandre et de Nevers, et le duc de Bourgogne[45]. Le 22
septembre, à neuf heures du matin, le roi arrivait sur le pont de
Saint-Jean-de-Losne, et attendit vainement à cheval jusqu'à midi l'arrivée de
l'empereur, qui ne parut pas, mais se fit représenter par son chancelier,
porteur d'excuses assez mauvaises, relativement au retard de son maître.
Après un échange d'explications, le roi, pensant sa parole dégagée, jugea de
sa dignité de faire faire volte-face à son cheval et de se retirer. Le soir
seulement l'empereur arriva, et joua l'étonnement de ne trouver personne sur
le pont. Des envoyés furent députés au roi à Dijon, mais il refusa de les
entendre. Le comte de Champagne, négociateur de la réunion, dut payer de sa
personne en se livrant prisonnier et en faisant hommage à l'empereur de neuf
de ses châteaux[46]. Outre
la maladie du duc de Bourgogne qui ne lui permettait pas de prendre part à
ces démêlés, il semble que la répulsion manifestée par le pape de s'approcher
de ses états, et d'accepter l'hospitalité qui lui avait été offerte au
château de Vergy, cachait ce pressentiment, que le duc partageait, comme son beau-frère
le comte de Champagne, un secret penchant pour la cause de l'antipape Victor.
On est d'autant plus porté à le croire, qu'Alexandre III avait été obligé
d'intervenir d'une manière fâcheuse dans les intérêts d'Eudes II, et les
jugements rendus relativement à ses contestations avec l'abbé de Flavigny ne
lui avaient pas été plus favorables que l'arrêt de Moret. Le duc
de Bourgogne, sans tenir compte du dernier jugement rendu contre lui en 1160,
avait mis la main sur Flavigny, dont ses officiers s'étaient emparés
violemment, et le retenait malgré les vives réclamations de l'évêque d'Autun,
son frère. Henri de Bourgogne, oubliant ses liens de parenté, ne voulut
tolérer cette usurpation, lança une sentence d'excommunication contre Eudes
II et la notifia au pape[47]. Alexandre était alors à Déols
ou Bourg-Dieu[48]. Le 22 septembre, le jour même
où le roi se rendit à la seconde entrevue de Saint-Jean-de-Losne, le pape lui
écrivait de prier le duc de Bourgogne de faire rendre Flavigny, soit au roi
lui-même, soit à l'évêque d'Autun. Il ajoutait qu'il venait de donner sa sanction
à la sentence lancée contre lui, et qu'il mandait aux évêques de Langres et
de Chalon de tenir la main à son exécution[49]. Nous ne
savons si cette excommunication pesait encore sur Eudes II, lorsqu'il mourut
en septembre 1162[50]. Le dernier acte du duc avait
été rédigé en faveur de l'abbaye de Cîteaux, où, comme ses prédécesseurs, il
devait recevoir la sépulture. Il donna aux religieux une maison à Dijon, dite
de la duchesse, dont la duchesse douairière Mathilde avait eu l'usufruit.
Marie de Champagne ratifia la dernière volonté de son mari ainsi que son fils
Hugues[51]. Telle fut à Dijon l'origine du
clos et de l'enceinte que l'on nommait le Petit-Cîteaux[52]. La
duchesse douairière Mathilde avait précédé son fils dans la tombe et était
décédée, soit à Beaune, où elle fut enterrée sous le maître-autel de l'église
qu'elle avait contribué à édifier, soit au château de Méduan, près de
Magny-les-Villers[53]. Marie
de Champagne survécut longtemps à son mari et existait encore en 1190[54] : elle termina ses jours à
l'abbaye de Fontevrault. Eudes
II et Marie laissaient trois enfants ; deux filles qui paraissent les aînées
et un fils unique : 1°
Mahaut, femme de Robert IV, comte d'Auvergne et de Clermont ; 2°
Alix, femme d'Archambaud, sire de Bourbon ; 3° Hugues III qui continue la lignée. |
[1]
Spicilège, de d'Achery, t. III, pp. 802, 603. — D. Plancher, t. I, pr.
72, pp. 48, 49.
[2]
Orig. Arch. de la Côte-d'Or, Fonds de la Romagne, H. 1230. — Nos Cartulaires
des Templiers.
[3]
Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Fontenay, n° 201 fol. 41, 42.
[4]
Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Fontenay, n° 201 fol. 101, 102.
[5]
Orig. Arch. de la Côte-d'Or, Fonds Clairvaux, cart. 542.
[6]
A. Duchesne, Hist. Fr., IV, 583.
[7]
Ann. Benedici. ad annum 1155, n° 59. — Art de vérifier les dates,
t. III, p. 149.
[8]
D. Bouquet, t. XIV, p. 387, 388, d'après Duchesne.
[9]
Bibl. d'Auxerre, MSS. n° 106.
[10]
Manuscrit n° 106, fol. 109 v°.
[11]
Orig. Arch. de la Côte-d'Or, Titres de Sainte-Marguerite, carton 677.
[12]
Bibl. de Châtillon-sur-Seine, Cartulaire de Flavigny, p. 186. Ed. D.
Plancher, t. I, pr. n° LXXIV.
[13]
Orig. Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de N.-D. de Beaune, n° 94, fol.
79.
[14]
Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Cîteaux, n° 167, fol. 73.
[15]
L'obituaire de Cîteaux (de notre cabinet), fol. 22, porte : IV Kal. julii
obiit Raymundus, frater ducis Burgundie. L'Obituarium ecclesie beate
Mariœ Belnensis, de nos manuscrits, fol. 157, porte : XV Kal. Maii, pro
Hugone, puero, filio Raymundi, fratris Ducis Burgundie, et pro ipso Raymundo
XIII solidos et IV denarios super furnum Vietelli.
[16]
Spicilegium, de d'Achery, t. III, p. 526.
[17]
Bibl. de Châtillon-sur-Seine, Cartulaire de Flavigny, p. 180 ; Ed. D.
Plancher, t. I, pr. 75.
[18]
Bibl. de Châtillon-sur-Seine, Cartulaire de Flavigny, p. 186 ; Ed. D.
Plancher, t. I, pr. 74.
[19]
D. Plancher, 1. 1, pr. 78. Orig. Arch. de Saône-et-Loire.
[20]
D. Plancher, t. I, pp. 338, 339.
[21]
Semond, commune du canton de Baigneux, arrondissement de Châtillon-sur-Seine.
[22]
Orig. Arch. de la Côte-d'Or, H. 620, Fonds de Quincy.
[23]
Pérard, p. 437 ; Fyot, pr. p. 107.
[24]
Jaugey, hameau de la commune de Barbirey, canton de Sombernon.
[25]
Uncey-le-Franc, commune du canton de Vitteaux.
[26]
Avosnes, commune du canton de Vitteaux.
[27]
Orig. Arch. de la Côte-d'Or, Titres de la commanderie du Temple de
Dijon, H. 1169.
[28]
D. Plancher, t. I, pr. 76 ; Gall. Christ., t. IV. Instr. coll. 178.
[29]
Pierre-Fontaine, commune du canton de Longeau, Haute-Marne.
[30]
Arch. de la Haute-Marne, Cartulaire d'Auberive, t. I, pp. 257, 258.
[31]
Orig. Arch. de la Côte-d'Or, Fonds Saint-Bénigne, carton 2 ; Ed. D.
Plancher, t. I, pr. 79 ; Duchesne, Ducs de Bourg., pr., pp. 38, 39.
[32]
Canton de Sombernon.
[33]
D. Plancher, t. I. pr. 77. — Gall. Christ., t. IV, Instr. coll. 180. — Orig.
Arch. de la Côte-d'Or, Titres de Saint-Bénigne, carton 70.
[34]
Orig. Arch. de la Côte-d'Or, Fonds Saint-Bénigne, cart. 22 bis. La
Duchesse Marie approuve cet arrangement ainsi que son fils Hugues, en présence
de Jean de Mont-Saint-Jean, Aymon de Dijon, Etienne de Pouilly, etc.
[35]
D'après le Cartulaire de Notre-Dame de Châtillon.
[36]
D. Bouquet, t. XIII, 517 E.
[37]
Historia Vizeliacensis monasterii, D. Bouquet, t. XII, 330 E.
[38]
D. Bouquet, t. XIII, 665 D.
[39]
Lettre de l'empereur Frédéric à l'archevêque de Lyon, D. Bouquet, t. XVI, 690
E.
[40]
D. Bouquet, t. XII, 330 B.-C.
[41]
D. Bouquet, t. XVI, 30 A. B.
[42]
Historia monasterii Vizeliacensis, D. Bouquet, t. XII, 35 A ; Acta
Pontificatus Alexandri III, D. Bouquet, t. XIII, 667 B. C.
[43]
Acta Pontificatus Alexandri III, D. Bouquet, t. XIII, 667 C.
[44]
Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Saint-Etienne, n° 22, fol. 41, v°.
[45]
Hist. Vizeliacencis monasterii, D. Bouquet, t. XII, pp. 330, 331 et t.
XIII, 67 D. E. Voir aussi l'Hist. des ducs et comtes de Champagne, de M.
d'Arbois de Jubainville, auquel nous empruntons plusieurs détails, t. III, pp.
48 et suiv. et principalement une étude de Cl. Xav. Girault : Conférence
de Laône entre l'empereur Frédéric Barberousse et Louis le Jeune, Paris, J.
B. Sajou, 1811, 28 pp. extr. du Magasin Encyclopédique de juillet 1811.
[46]
Voir l'Hist. de Champ., de M. d'Arbois de Jubainville, loco citato,
et Xavier Girault dans la brochure précitée.
[47]
D. Bouquet, t. XV, pp. Ï88, 786.
[48]
Abbaye de l'ordre de Saint-Benoît, arrondissement de Châteauroux (Indre).
[49]
D. Bouquet, t. XV, pp. 785, 786. Epist. Alexand. III.
[50]
D. Plancher, t. I, p. 342. — Art. de vérifier les dates, t. II, p. 46.
[51]
Arch. de la Côte-d'Or, Cartulaire de Cîteaux, t. III, fol. 468 r°.
[52]
D. Plancher, t. I, pp. 341, 342.
[53]
Voir ce que nous disons précédemment de Méduan, lieu détruit.
[54]
Cartulaire de Châtillon-sur-Seine, fol. 145.