Reprise de la guerre
en Auxerrois. — Robert fait alliance avec Thibaud, comte de Blois. — Siège
d'Auxerre. — Robert et Thibaud vont guerroyer en Normandie. — Thibaud est
prisonnier. — Mort de Hugues de Bourgogne. — Siège de Toucy. — La Duchesse
Hélie répudiée. — Robert assassine son beau-père Dalmace à Semur-en-Auxois. —
Meurtre du plus jeune fils de Dalmace. — Robert est excommunié, comparait au
concile d'Autun. — Traités de paix pour l'Auxerrois. — Robert part à Rome. —
L'évêque de Langres incendie Pothières. — Scandales. — Fondation de Molème
par saint Robert. — Mort du Duc Robert.
Nous
sommes arrivés à l'époque finale, mais non la moins dramatique de cette
période mouvementée et de ces guerres de Bourgogne, dont la possession de
l'Auxerrois fut l'objet ; époque la plus inconnue et dont aucun historien n'a
paru soupçonner l'importance. Nous n'avons même plus pour guide les récits
confus de Raoul Glaber et Hugues de Poitiers, si exact pour les faits de la
fin du onzième siècle, n'a pas encore commencé sa précieuse chronique.
Quelques notes jetées incidemment dans des vies de saints ou sur les marges
de manuscrits, sont les seules indications qui nous restent, et si nous
n'avions à recueillir que ces souvenirs qui manquent totalement d'unité, nous
serions réduits à rejeter au second plan des événements considérables que
nous désirons présenter au premier. La
guerre que le Duc Robert avait soutenue contre le comte de Nevers, son
beau-frère, et qui s'était terminée par la mort du comte Renaud, avait
maintenu jusque-là l'Auxerrois sous sa domination. Mais le jeune comte de
Nevers, Guillaume, qui vivait cependant deux ou trois ans plus tard en bonne
intelligence avec son oncle et l'assistait en qualité de vassal[1], devait revendiquer un jour les
droits que la mort prématurée de son père ne lui avait pas permis de
défendre. Son mariage avec Ermengarde de Bar-sur-Seine, héritière du comté de
Tonnerre, augmentait considérablement sa puissance, et protégeait en les
étendant les limites de son vaste patrimoine. Le prélat Héribert qui avait
été nommé à l'évêché d'Auxerre par le roi Henri, sur la désignation de son prédécesseur
Hugues de Chalon, avait d'abord été dans les intérêts de Robert, mais, par
suite de la domination que le Duc voulut exercer dans sa ville épiscopale, et
des tracasseries auxquelles le clergé du diocèse fut en butte, Héribert se
vit obligé d'abandonner son siège, préférant la vie monastique à la tutelle
humiliante dans laquelle il était tenu[2]. Geoffroi de Champaleman, fils
d'un vicomte de Nevers, qui succéda à Héribert, fut plus favorable à la cause
du comte Guillaume, mais n'eut pas moins à souffrir de ces longs débats. En
1057, la guerre était recommencée. Hugues, fils aîné du Duc Robert, à la tête
d'une armée, envahit l'Auxerrois, assiégea la petite ville de Saint-Bris,
s'en empara, et y mit le feu pour punir les habitants de leur résistance.
Cent dix personnes qui s'étaient réfugiées dans l'église, comme dans un lieu
d'asile inviolable, trouvèrent la mort au milieu des flammes[3]. La
lutte s'envenimant, et le Duc de Bourgogne n'espérant seul venir à bout de
son jeune et ardent adversaire, fit alliance avec Thibaud, comte de Blois et
plus tard de Champagne. Leurs troupes réunies apparurent, pendant le carême
de 1058[4], sous les murailles de la
vieille cité d'Auxerre, tant de fois assaillies depuis le commencement du
siècle. L'abbaye de Saint-Germain, fortifiée de manière à supporter un siège,
fut attaquée à l'improviste les religieux surpris ne purent résister et la
place fut prise d'assaut. Mais cette violation de l'un des sanctuaires les
plus célèbres et les plus vénérés de nos contrées, ne pouvait à cette époque
être considérée que comme un sacrilège, et soulever la réprobation générale.
Les soldats, effrayés du crime qu'ils avaient commis, abandonnèrent sans
combat la forteresse à ses légitimes possesseurs[5]. Plusieurs historiens[6] croient devoir attribuer cette
expédition non à Thibaud de Blois, mais à Thibaud, comte de Chalon-sur-Saône,
qui vivait en effet à la même époque, passa ensuite en Espagne et ne mourut
que sept années plus tard. Les liens étroits qui unissaient de longue date
les comtes de Chalon à nos Ducs donnent quelque vraisemblance à cette
conjecture, mais la continuation de la guerre que n'arrêta pas la mort
d'Hugues de Bourgogne, la présence de Thibaud qui paraitra bientôt guerroyant
dans une autre partie de l'Auxerrois, à Toucy, et d'autres circonstances que
nous expliquerons, rendent cette assertion insoutenable. Sur ces
entrefaites, le roi Henri, qui ne voyait pas sans amertume les
agrandissements et la puissance toujours croissante de Guillaume le Bâtard,
duc de Normandie, fils de Robert le Diable, manda à son secours dans le
courant de la même année 1058, les vassaux et les grands seigneurs Robert,
Duc de Bourgogne ; Thibaud, comte de Blois ; Geoffroi Martel, comte
d'Anjou ; Rotrou, comte du Perche ; Hilduin, comte de Rouci, et
autres. Cette expédition ne fit pas entièrement diversion à la guerre
soutenue dans l'Auxerrois, où des troupes restèrent sous la conduite de
Hugues, fils de Robert. Le Duc et le comte Thibaud partirent, et prirent
part, en Normandie, à une campagne commencée avec succès, mais qui se termina
par une déroute complète de l'armée royale. Thibaud y fut fait prisonnier[7], et l'était encore au moment du
sacre du roi Philippe[8]. A ce
sacre qui eut lieu le jour de la Pentecôte 23 mai 1059, le Duc Robert
n'assista point, il était alors excommunié et ses États étaient en interdit
mais il fut remplacé par son fils aîné Hugues, dont le nom figure parmi les
personnages de cette assemblée[9], dont le procès-verbal nous a
été conservé. La mort de Hugues ne peut donc être de 1057 ou 1058, comme le
dit la petite Chronique d'Auxerre. La note qui le concerne insinue que ce
prince fut tué dans une action de guerre en Auxerrois, mais nous n'avons pas
d'autre indication qui nous fixe sur les circonstances et le lieu où cet
accident arriva. Cette mort qui enlevait à l'âge de trente-six ans l'héritier
du Duché de Bourgogne était un événement grave et malheureux. Renaud, comte
de Nevers, tué vingt ans avant, était vengé, et son fils Guillaume, suivant
les barbares coutumes du moyen âge, ne pouvait espérer de plus impitoyables
représailles. La
guerre n'était pas finie toutefois, et Thibaud, comte de Champagne, aussitôt
délivré de prison, profita de sa liberté pour accourir au secours de son
allié. Nous n'avons pas d'autres renseignements que celui qui nous est donné
par la chronique déjà citée, lorsqu'il vient guerroyer dans la partie
méridionale de l'Auxerrois, assiéger et brûler la ville de Toucy[10], occupée et défendue par les
chevaliers Itier et Aganon de Narbonne[11]. Ces
luttes jetèrent une telle perturbation dans les provinces qui en étaient le
théâtre ; les personnes et les propriétés y étaient si peu respectées, que
des bandes de pillards se livraient aux dévastations ; des incendies allumés
par des mains inconnues dévoraient les villes et les châteaux. Jean d'Aglié,
abbé de Fécamp, accusant Robert et Thibaud, son complice, de ne pas respecter
la trêve de Dieu et de fouler aux pieds les décrets de l'Église, traitait le
Duc de Bourgogne d'insensé, infrunito Duce Burgundionum[12]. Dans
toute cette campagne de l'Auxerrois, nous avons vu agir Hugues de Bourgogne
et le comte Thibaud, mais Robert n'y paraît pas en personne ; il était retenu
dans le Dijonnais, l'Auxois et l'Autunois par bien d'autres affaires, et par
de scandaleux démêlés que les contemporains n'ont pas osé ni voulu nous
révéler. Ce
Prince, dominé par un caractère ardent et par une violence sans frein, était
le portrait de sa mère Constance. Les actes de sa conduite privée ne le
rendent pas plus recommandable que les actes de vexation qu'il commettait
envers les seigneurs et les abbayes. Il avait répudié sa femme Hélie de
Semur, et vivait publiquement dans des liens incestueux. Ces faits, que ses
panégyristes nous ont laissé ignorer, dans la crainte sans doute de déflorer
un Duc auquel quelques auteurs donnent à tort le surnom de Pieux, nous sont
rapportés par un chroniqueur étranger à la province Hildebert du Mans[13] dit, en partie, ce que d'autres
n'avaient pas osé sous-entendre, et nous révèle ce qu'il leur eût répugné de
laisser par écrit sur le beau-frère de saint Hugues. Cette
assertion doit être exacte. La répudiation de la Duchesse Hélie dut avoir
lieu avant le 16 janvier 1055[14], époque à laquelle on ne trouve
plus son nom dans les chartes ducales. Et c'est l'explication du-curieux
titre original de cette date, que nous avons sous les yeux, qui laisse en
blanc le nom de la Duchesse à la suite de celui du Duc. Cette
scandaleuse conduite n'était pas faite pour maintenir entre le Duc Robert et
son beau-père Dalmace des relations bien sympathiques. Mais nous croyons
qu'outre ces causes de mésintelligence, des raisons d'intérêt avaient amené
de nouveaux motifs de querelles. Girard
Arlebald, seigneur de Semur-en-Auxois, de la famille des sires de Vergy[15] et des sires de Semur-en-Brionnais[16], n'avait jamais été rallié à la
cause du roi Robert, et s'était toujours tenu à l'écart, même depuis que le
Duc, fils de ce dernier, avait pris possession de la Bourgogne, et s'était
rattaché à sa famille, en prenant alliance dans sa maison. Dans un seul acte,
on rencontre ce personnage accompagnant le Duc et lui servant de témoin en
1015. Son importance est cependant attestée par le cartulaire de Flavigny[17], dont il était un des plus
puissants avoués. L'acte de donation et d'arrangement qu'il fait avec le
prieuré de Saint-Maurice de Semur-en-Auxois, prouve bien qu'il est seigneur
du pays. Le nécrologe de Flavigny[18] dit aussi : Kal. Mart.
obiit Girardus Sinemur, qui cellam Sinemurensem sancto Pryecto dedit. Girard
Arlebald, que les auteurs font oncle de Dalmace, ne paraît pas avoir eu
d'enfants, et avait un héritage qui devait faire retour aux seigneurs de
Semur-en-Brionnais et à Dalmace, son neveu[19]. La possession du domaine et de
la seigneurie de Semur-en-Auxois valait la peine d'être convoitée, et Robert
n'était pas fâché de prendre, de ce côté, une partie de ce qu'il perdait en
Auxerrois. Outre la mort de Girard Arlebald, dont la date n'est pas
exactement fixée, celle des deux derniers descendants des comtes d'Auxois, le
comte Valon et son fils Hugues, arriva vers le même temps, 1055. La
disparition de ces personnages ne pouvait manquer de faire naître des
collisions entre les intéressés qui convoitaient cette opulente succession.
Le dernier et l'un des rares documents qui signalent le souvenir du comte
Valon et de son fils Hugues est du 2 février 1053, le jour de la purification
de la Vierge, la 23e année du règne de Henri, roi de France. La mort de ces
personnages a dû suivre cet acte d'assez près. De
toutes les circonstances relatives à ces événements qui nous sont totalement
inconnues, nous ne savons qu'une chose, c'est que depuis le milieu du XIe
siècle, le domaine de Semur-en-Auxois fut administré par des officiers au nom
du Duc. Faut-il
rattacher ces faits au meurtre de Dalmace, que le Duc Robert-le-Pieux
assassina de sa propre main, en le perçant de son glaive, dans un moment de
colère[20] ? Cela est supposable. Il est
même à peu près certain qu'une guerre en règle avait lieu entre le beau-père
et le gendre, car vers le même temps, par suite de l'inimitié qui régnait
entre eux, deux soldats du Duc avaient tué Joceran, le plus jeune fils de
Dalmace. Les assassins ne trouvèrent de refuge nulle part, et vinrent à Cluny
réclamer le droit d'asile. Chose inouïe Ils y furent bien accueillis par
l'abbé saint Hugues, le fils et le frère des victimes, qui les protégea
contre les vengeances de sa famille, et fut touché avant tout de la nécessité
de convertir les assassins. C'était pousser la charité un peu loin. Ces
tragiques histoires ne sont-elles pas des exemples caractéristiques de
l'étrange barbarie de ce siècle ? On comprend que ces sauvages épisodes de famille
aient épouvanté les contemporains, et arrêté la plume des biographes de
l'abbé de Cluny. Geilon et Etzelon, ainsi que le moine Hugues, qui nous ont
laissé des détails sur sa vie, ne parlent pas de ces crimes. L'abbé de
Vézelay, Raynald de Semur, garde le même silence, tout en signalant le
meurtre du plus jeune des fils de Dalmace. Aucun d'eux n'indique les causes
de ces abominables forfaits, et Hildebert du Mans[21] est le seul qui, d'un trait,
nous laisse entrevoir ces épouvantables scènes. Mais ce
que le scrupule des chroniqueurs nous laisse ignorer, et ce qu'il leur eût
répugné de consigner par écrit, on a cru le reconnaître gravé sur la pierre
comme un souvenir d'expiation. « Sur
la façade de l'église de Semur-en-Auxois, dit M. Pignot[22], dans les bas-reliefs du
portail de gauche, est représentée une tragique histoire. Cinq personnes sont
assises à la table d'un festin c'est la famille de Robert, Duc de Bourgogne,
et celle de Dalmace de Semur, son beau-père. Dalmace tombe à la renverse, tué
par un poison que vient de verser un serviteur qui se cache sous la table, et
que le chien du seigneur de Semur saisit par la gueule pour l'arracher de sa
retraite. Un personnage placé au milieu montre du doigt la victime, et,
fixant sur Robert un regard énergique, semble dire « C'est toi qui as commis
le crime. » Un autre pleure et gémit. Assis à sa gauche, à la place
d'honneur, sur un siège richement sculpté, le Duc, avec un front plein
d'assurance, répond par un geste « Je ne sais ce que vous voulez dire » et de
la main droite il indique une bouteille, comme pour ajouter « Ce vin n'est
pas empoisonné. » Deux serviteurs, à l'extrémité de la table, goûtent le vin
pour justifier leur maître. » D'autres
bas-reliefs complètent cette légende et bien que les scènes ne soient pas
conformes à ce qui est indiqué par Hildebert, qui n'était pas sur les lieux
pour savoir exactement les détails du crime, il est de vieille tradition,
dans la contrée, que l'artiste a voulu représenter le meurtre de Dalmace. Était-ce
une des expiations et des pénitences qui furent imposées au meurtrier, lors
de la première construction de l'église de Semur-en-Auxois[23] ? Cette construction fut faite
à ses frais, non loin d'un petit prieuré dépendant de l'abbaye de Flavigny,
dont nous avons déjà parlé, et c'est là, paraît-il, que le crime avait été
commis. Le monument fut commencé peu de temps après un voyage à Rome, où le
Duc axait été solliciter le pardon de ses fautes. C'est encore une tradition
des siècles derniers, qui n'est étayée par aucun document contemporain, mais
qui offre toutes les garanties de vraisemblance. La mort
de Hugues de Bourgogne n'avait point arrêté les guerres qui désolaient
l'Auxerrois. Le Duc voulait venger la mort de son fils, et la lutte était
poursuivie apparemment par ses officiers, car, pendant ce temps, Robert, par
suite de l'agitation qu'il avait semée dans l'Auxois, avait eu d'autres
difficultés avec Aganon de Mont-Saint-Jean, évêque d'Autun. Ce prélat n'avait
pu voir sans émotion les scandaleux exemples que le Duc donnait dans son
diocèse, dont Semur-en-Auxois dépendait. Il avait été de plus en butte à des
vexations. Des malfaiteurs, envoyés par Robert, avaient enlevé ses récoltes,
saisi les dîmes de diverses églises, et s'étaient installés dans ses maisons[24]. Dans le
Dijonnais, les récriminations n'étaient pas moins vives. Les religieux de
Saint-Etienne avaient eu fort à se plaindre de ses violences. Il s'était
emparé des celliers appartenant aux chanoines de cette église, celliers sis
dans le faubourg de Dijon, et qu'il refusait de restituer[25]. De
pareilles violences et de tels crimes ne pouvaient rester impunis. Sur les
clameurs qui s'élevaient de toutes parts, dans l'Auxerrois, le Langrois, le
Dijonnais et l'Autunois, Robert fut excommunié, et ses Etats furent mis en
interdit. On en a la preuve lorsque l'évêque de Chalon, Achard, vient, à la
prière de l'évêque de Langres, faire la dédicace de l'église de Sennecey[26], bâtie par Ingelio Gallicus.
L'évêque Hardouin déclare qu'il n'a pas osé aborder cette partie de son
diocèse à cause de l'excommunication qui pèse sur Robert[27]. Les
conséquences de l'interdiction d'une province étaient assez graves alors pour
jeter une profonde émotion dans la population. La consternation fut générale
en Bourgogne le mot de paix était dans toutes les bouches. L'Église, qui y
avait intérêt, réclama un concile qui devait se tenir à Autun, et où Robert
fut sommé de se rendre. Ce concile, peu connu, eut lieu en effet ; mais il
est mal daté par ceux qui en ont parlé[28], et doit être porté à l'année
1060. À cette
réunion d'Autun, qui eut une certaine solennité, par le concours des évêques,
des abbés, des grands seigneurs et du peuple, on rencontre Hugues, abbé de
Cluny ; Aganon de Mont-Saint-Jean, évêque d'Autun ; Hugues,
archevêque de Lyon ; Acard, évêque de Chalon ; Dreux, évêque de
Mâcon, et Hugues, archevêque de Besançon[29]. Le Duc,
ou plutôt le tyran, suivant l'expression du moine de Cluny[30], s'y rendit également avec une suite
nombreuse et un faste insolent son attitude n'annonçait pas un bien vif
repentir ; ni le désir de se soumettre. Sachant d'avance le jugement qui lui
était réservé pour tous les crimes dont il s'était rendu coupable, il refusa
les premiers jours de paraître à l'assemblée. Saint Hugues, auquel on avait
confié la présidence et la direction des débats, n'hésita pas à venir trouver
le meurtrier de son père et de son frère, lui adressa par devant témoins les
plus sévères reproches, le somma de comparaître, et réussit à le ramener doux
comme une brebis. Quand
tout le monde fut réuni, l'abbé de Cluny s'exprima avec une extrême chaleur,
et fut écouté avec admiration par les assistants. Bien que ses paroles ne
nous aient pas été rapportées entièrement, on sait qu'il prononça la formule
suivante : « Que ceux qui veulent la paix et qui craignent Dieu,
nous écoutent et nous secondent que celui qui n'est point le fils de la paix,
mais qui est notre ennemi, que celui-là, je le lui ordonne, se retire du
milieu de nous et ne mette pas obstacle à l'œuvre du ciel. » Le Duc,
fléchi par l'éloquence, predicatio, du vénérable abbé, jura de garder
à l'avenir la paix avec l'Église, et s'engagea à réparer les dommages qu'il
avait causés aux monastères et aux particuliers. Il est probable que c'est là
que son voyage de Rome fut décidé pour obtenir le pardon de ses crimes. On le
somma principalement de renoncer aux représailles qu'il voulait exercer
contre les meurtriers de son fils, et contre le comte de Nevers. Tous les
seigneurs présents se lièrent par le même serment, et malgré que leurs noms
ne nous aient pas été donnés, on peut croire que Guillaume, comte de Nevers,
était lui-même au nombre de ces seigneurs[31]. Le
concile d'Autun et cette date de 1060 ont une importance politique sur
laquelle il faut insister. C'est la fin de cette terrible guerre de
Bourgogne, commencée cinquante-huit ans auparavant, cessée et reprise avec
des fluctuations diverses. Ce
pacte de paix est un traité qui laissa au comte de Nevers les fruits de la
victoire. L'Auxerrois, que le roi Robert et le Duc, son fils, ont réussi jusque-là
à maintenir sous leur autorité, s'en détache complètement. La Bourgogne, déjà
si amoindrie, si déchue de son antique splendeur, y perd une de ses
meilleures provinces, qui ne fera plus tard retour au Duché que sous la main
puissante des Ducs de la seconde race. Le jeune Hugues de Bourgogne, héritier
présomptif du Duché, sera fiancé avec Sybille de Nevers, fille du comte
Guillaume. Le Duc
Robert perdait en outre tous les avantages qu'il avait fails à Thibaud, comte
de Blois et de Champagne, pour prix de son alliance dans la dernière
campagne. C'était d'abord la libre jouissance de l'abbaye de Saint-Germain,
et des privilèges dont les comtes de Champagne conservèrent la possession
jusqu'à la fin du XIe siècle privilèges qu'ils cédèrent en 1098, en se
réservant le droit de garde, dont ils ne se dessaisiront que cent cinquante
ans plus tard en faveur du comte d'Auxerre. Est-ce
en souvenir de cette cession, que les comtes de Champagne, à l'avènement de
chaque Duc, seront obligés d'aller lui faire hommage au ru d'Augustine, entre
Bar-sur-Seine et Châtillon, pour la garde de l'abbaye de Saint-Germain, les
domaines et châteaux de Maligny, Ervy, Chaourse, etc.[32] ? Par des
arrangements qui durent aussi avoir lieu entre le comte de Champagne et celui
de Nevers, ce dernier devait foi et hommage à Thibaud, pour les fiefs de
Ligny, Saint-Sauveur-en-Puisaye, Mailly, Druyes, Châtel-Censoir, Monceaux,
Pierre-Perthuis, Montreuillon, Huchon, etc.[33] Le
comte de Champagne gagnait encore des droits à Chablis, la garde de l'abbaye
de Saint-Martin de cette ville, le domaine et la seigneurie de
l'Isle-sous-Montréal, terres qui formaient des enclaves limitrophes de la
Bourgogne et de l'Auxerrois. Sur ces
mêmes frontières, les seigneurs qui avaient pris part à cette guerre se
taillaient des domaines qui resteront longtemps indépendants, et qui
échancrent principalement la Bourgogne, comme les sires de Noyers, issus des
comtes de Tonnerre, les sires de Chastellux, les sires du Vaux d'Oligny. Les
promesses et les engagements que Robert prit au concile d'Autun paraissent
avoir été tenus. Nous en sommes assurés, au moins pour l'abbaye de Saint-Etienne
de Dijon, où il vint faire amende honorable. Il y déclare que frappé de
l'énormité de ses fautes, il est sur le point d'aller voir le pape pour se
faire absoudre de ses crimes, et, en des termes d'une contrition soumise et
repentante, il fait remise aux religieux des celliers, sis dans les faubourgs
de Dijon, dont il s'était emparé, promettant de ne plus commettre dans la
suite d'aussi injustes spoliations[34]. Nous ne savons rien de son
voyage à Rome, qui dut avoir lieu entre les années 1060 et 1064. On lui
imposa pour pénitence la reconstruction de l'église de Semur-en-Auxois, non
loin du lieu qui avait été le théâtre du meurtre de Dalmace. Quant à l'église
de Montréal qu'on lui a également attribuée, sa construction ne fut faite que
cent ans plus tard, par un sire de Montréal[35]. Pendant
que ces événements se passaient en Auxois, de grands troubles avaient aussi
éclaté dans la ville de Langres, en 1059. Les doyens de la cathédrale, qui
remplaçaient les anciens prévôts, s'étaient efforcés de faire revivre les
droits ce ces dignités supprimées par l'évêque Lambert. Ces prétentions des hauts
dignitaires du clergé avaient surexcité le mécontentement d'abord, puis une
irritation qui prenait des proportions menaçantes. L'évêque Hardouin, pour
étouffer ces dissensions, abolit tous ces droits, en réunissant les
émoluments de ces charges à la mense du chapitre. Il fut même obligé, pour
calmer l'effervescence populaire, de faire confirmer cette suppression par le
roi lui-même, apparemment pendant le temps de l'excommunication du Duc
Robert. La querelle, un moment assoupie, se réveilla bientôt si vivement, que
le pape Grégoire VII fut forcé d'envoyer un légat à Langres pour mettre fin à
ces querelles[36]. Après
la mort de l'évêque Hardouin, en 1065, Hugues Rainard de Bar-sur-Seine, comte
de Tonnerre, fut appelé au siège épiscopal de l'église de Langres, dont il
était déjà chanoine[37]. Ses panégyristes nous le
représentent comme un homme instruit, auquel les langues latine et grecque
étaient familières, généreux, charitable, d'un esprit vif et pénétrant, d'une
éloquence abondante, d'un abord facile, administrateur vigilant et politique
habile, mais fier, hautain, ardent jusqu'à la violence. Les actes de sa vie
semblent protester contre tant de qualités et de vertus, comme nous le
verrons plus loin. L'année
qui suivit son installation, c'est-à-dire en 1066, il fut médiateur entre le
Duc de Bourgogne et l'abbé de Saint-Bénigne. Voici à quelle occasion : Un des
sergents du Duc prétendait user du droit de banvin à Dijon, malgré les
privilèges dont les religieux de Saint-Bénigne étaient investis les
mandataires de l'abbaye s'y opposèrent' ; le sergent, pensant servir les
intérêts de son maître, revint à la charge, brisa les étaux des moines, et se
livra à des voies de fait graves. Cette collision entre les officiers du Duc
et ceux de Saint-Bénigne occasionna une sédition d'abord, puis une vraie
bataille le prieur fut outrageusement chassé de l'abbaye il y eut du sang
versé dans les rues, et dans les deux camps plusieurs victimes. Le Duc
Robert, irrité de ces violences, dont il accusait les religieux d'être les
auteurs, fit venir l'abbé Adalbéron, et exigea des excuses pour les faits qui
venaient de se passer. L'abbé ne voulant rien céder des droits de son abbaye,
ni trahir les intérêts des moines, offrit de donner sa démission plutôt que
de se soumettre, et alla trouver l’évêque de Langres. Hugues Rainard convoqua
les parties dans une grande réunion dans l'abbaye de Bèze. Là, vinrent
Hugues, archevêque de Besançon ; Aganon, évêque d'Autun ; Guillaume, comte de
Nevers ; Landri, archidiacre d'Autun ; Aldo, abbé de Flavigny ;
Helmuin, abbé de Saint-Seine ; Girard de Fouvent et son frère Humbert ;
Eudes de Montsaugeon ; Aldo de Til-Châtel ; Hugues de Chaumont ; Renier
de Nogent, et une suite nombreuse. On y rapporta les diplômes concédés aux
religieux de Saint-Bénigne par les rois on y lut également les chartes du Duc
Robert et de ses prédécesseurs mais on ne put se prononcer sur les coupables,
ni désigner ceux auxquels incombait la responsabilité de ces sanglantes et
criminelles collisions. Le Duc confirma de nouveau, ainsi que son fils Henri,
les droits et les privilèges précédemment accordés à l'abbaye[38]. On ne
doit pas blâmer trop sévèrement le Duc Robert de ses altercations avec les
religieux, quand l'évêque de Langres, Hugues Rainard, avec une inqualifiable
persistance, persécutait les moines de Pothières qui étaient sous la
protection des comtes de Bar-sur-Seine et de Tonnerre, et dont il était ou
aurait dû être le défenseur et l'avoué[39]. Ses
prédécesseurs, évêques de Langres, avaient plusieurs fois tenté, mais en
vain, de remettre cette abbaye sous leur juridiction les religieux
prétendaient ne relever que du pape, et ne voulaient pas céder le droit de
visite à l'évêque. Ils s'appuyaient sur le texte de leur charte primitive, par
laquelle Gérard de Roussillon, en leur concédant des libertés illimitées,
leur assurait une situation tout à fait indépendante. Ils ne voulaient
reconnaître au-dessus d'eux, ni juridiction laïque, ni suzeraineté féodale,
et ne toléraient aucune des restrictions que l'autorité diocésaine voulait
imposer à l'omnipotence des ordres religieux. N'est-ce pas ici l'origine
d'une de ces luttes engagées pour les mêmes motifs à Vézelay, et dont les
péripéties nous ont été si savamment racontées par M. Aimé Chérest[40] ? N'y avait-il pas entre les
deux abbayes, fondées par le même personnage, protégées par les mêmes
privilèges, une entente mutuelle, une connivence, pour défendre dans leurs
diocèses respectifs les immunités et l'autonomie dont le fondateur les avait
gratifiés ? Vers
l'an 1069, Hugues Rainard employa la force et la violence, et vint à main
armée attaquer Pothières. L'abbé et les religieux s'y étaient enfermée avec
l'intention de s'y bien défendre. L'évêque ordonna de briser les portes. Ses
hommes, furieux après avoir égorgé et pillé les habitants, mirent le feu à
l'abbaye et réduisirent le bourg en cendres[41]. Une autre version plus
explicite, insérée dans une ancienne chronique de Pothières restée inédite[42], rapporte que l'évêque n'ayant
pu réduire par la force ce monastère que protégeaient ses murailles et ses
fossés, avait employé la ruse. Il déguisa ses soldats, vint
processionnellement à Pothières, précédé des croix, des gonfanons et de l'eau
bénite. Ceux de la ville, les voyant ainsi, allèrent au-devant d'eux pour
leur faire les honneurs mais à peine la procession fut-elle introduite, que,
jetant leurs manteaux et tirant leurs glaives, l'évêque et ses partisans se
jetèrent sur les habitants surpris et sans défense, les massacrèrent,
pillèrent l'abbaye et la ville, et incendièrent le monastère. Toutes les
archives furent brûlées, et le tombeau en marbre de Gérard de Roussillon,
leur célèbre fondateur, fut brisé. On ne
sait si c'est pour cette étrange expédition, ou pour avoir, comme le dit
l'abbé Mathieu[43], soutenu avec trop de hauteur
les intérêts et les droits de Mile, comte de Bar, son frère, que le roi
Philippe tint quelque temps cet évêque enfermé, en 1070, dans la tour de
Noyon. Ce qui est certain, c'est que le pape Alexandre II fut saisi de cette
scandaleuse affaire et ne put la terminer que Grégoire VII, qui lui succéda
sur le trône pontifical, fut également obligé d'intervenir. Par une lettre
qui nous a été conservée de ce dernier pontife, à la date du 11 novembre 1074[44], on voit que le malheureux
Humbert, abbé de Pothières, persécuté et chassé de son asile, avait trouvé
pendant longtemps hospitalité auprès du pape Grégoire VII exhorte les évoques
de Lyon, d'Autun et de Mâcon à se servir de leur autorité sur les clercs de
l'église de Langres, pour les forcer à réparer les maux et les désastres dont
ils s'étaient rendus coupables envers l'abbaye de Pothières. Hugues
Rainard, après de longues hésitations, comparut devant la cour pontificale.
II fut destitué et chassé de son siège, jusqu'à ce qu'il eût crié merci à
l'abbé et aux moines. De retour en Bourgogne, il fit cet acte de soumission
en offrant de restituer le butin qu'il avait pris et de réparer les dommages
causés. Il consacra de grandes sommes à la restauration de l'église, et par
lettres donna au monastère des rentes appelées croix de Châtillon[45]. Ces
scandales étaient malheureusement trop fréquents, et les violences des
puissances laïques ou séculières venaient retentir chaque jour à la cour de
Rome, qui ne pouvait y remédier. L'évêque
de Mâcon, non moins jaloux de son autorité que l'évêque de Langres, avait
voulu faire reconnaître sa suprématie aux moines de Cluny, et, sur leur
refus, avait fait forcer les portes de l'abbaye. Hugues de Semur, abbé de
Cluny, avait sollicité et obtenu un concile à Chalon-sur-Saône, en 1063, et
avait fait condamner l'orgueilleux prélat à faire amende honorable, et à
jeûner au pain et à l'eau pendant sept jours[46]. Ces
affranchissements de tutelle avaient eu leur raison d'être pendant la période
tourmentée des invasions du moyen âge, en protégeant les monastères contre
les revendications de barons qui se disputaient les lambeaux de la succession
royale, dont ils n'étaient pas les héritiers. Mais les temps sont changés à
la fin du XIe siècle. Nous arrivons à une époque où ce système féodal tend à
se régulariser dans l'ordre civil comme dans l'Église, où les évêques, comme
les seigneurs dans leurs domaines, veulent être la fois chefs,
administrateurs et juges. C'est
ce qui explique cette tendance des évêques à soumettre à leur autorité
diocésaine les abbayes qui jouissaient dans l'origine de privilèges
considérables et d'une indépendance absolue. Nous
avons déjà vu l'abbaye de Notre-Dame de Losne, fondée au VIIe siècle dans les
mêmes conditions d'autonomie, être soumise en 1027 par le puissant évêque
Hugues de Chalon. Aujourd'hui la lutte est partout. Dans le diocèse de Mâcon,
c'est Cluny, qui refuse de reconnaître la suprématie de l'évêque de cette
ville. Dans le diocèse de Langres, c'est Pothières. Dans celui d'Autun, c'est
Saint-Vivant de Vergy ; c'est Vézelay, dont les luttes auront plus tard un si
retentissant éclat. Au
moment où la plupart des monastères bénédictins étaient tombés dans le
désordre et le relâchement, un seul avait pu se préserver de la corruption
générale. Cluny était à l'apogée de sa puissance. Par une rare bonne fortune,
dont peu d'abbayes ont eu à se féliciter, elle n'avait été dirigée que par
des hommes aussi recommandables par leur intelligence que par leurs vertus.
Son institution étendait ses ramifications depuis les côtes de la
Grande-Bretagne jusqu'aux faubourgs de Constantinople. De ce cloître renommé
sortent toutes les intelligences qui jettent quelque éclat au xi° siècle.
Avant de s'asseoir sur le trône de saint Pierre, le pape Grégoire VII y avait
passé deux moines qui lui succèdent sous les noms de Urbain II et de Pascal
II, viennent puiser dans ce foyer intellectuel toutes les grandes idées qui
ont remué le moyen âge. Mais de
tous ces noms, l'un des plus connus et des plus considérables est celui de
saint Hugues, dont la vie entière fut consacrée à ramener la règle primitive
et à faire triompher l'institution Clunisienne, à laquelle il veut soumettre
toutes les abbayes bénédictines. Il y avait alors, entre Tonnerre et Chablis,
dans une solitude profonde, un petit groupe d'ermites qui étaient venus se
réfugier dans la retraite, sous la protection et sur le domaine des seigneurs
de Maligny, issus des comtes de Tonnerre. Le directeur de ces religieux,
nommé Robert, avait été d'abord moine de celle de Saint-Pierre de Troyes,
dont il fut ensuite prieur[47], puis successivement abbé de
Saint-Michel de Tonnerre et de Saint-Ayoul de Provins. Mais ne trouvant pas
assez austère la vie qu'il menait dans ces monastères, il était venu se
cacher dans le désert de Collan, où sa réputation de sainteté avait attiré d'autres
religieux désireux de pratiquer les rigueurs de sa règle et d'imiter ses
vertus. Hugues de Maligny, allié aux familles de Châtillon, de Noyers, de
Montbard, de Ricey, etc., s'entendit avec ses sœurs, ses neveux et ses nièces
pour céder à ces pieux solitaires un domaine qu'ils possédaient à Molème,
entre Laignes et les Riceys, afin de leur permettre de vivre plus
commodément, et de donner à leur colonie naissante un développement plus
considérable. Toutes les familles féodales des contrées voisines en Bourgogne
et en Champagne, contribuèrent à cette fondation, et cédèrent à un
entraînement inconnu jusqu'alors et qui se continue jusqu'au milieu du XIIIe
siècle. L'évêque
de Langres, Hugues Rainard, favorisa beaucoup le développement de la nouvelle
institution, confirma les donations premières, et en ajouta de nouvelles.
Peut-être n'était-il pas fâché de voir s'élever à côté de Pothières, qui
n'avait pas voulu reconnaître sa juridiction, une abbaye plus importante. Un
courant avait d'abord entraîné les populations dans la célèbre abbaye
Clunisienne une impulsion plus vive est donnée par cette colonie partie du
désert de Collan et ensuite de Molème. A
partir de 1075, date de fondation de Molème, nous verrons l'influence
croissante des idées religieuses, favorisées par un mouvement inouï et
inexplicable des esprits, donner bientôt naissance à une règle nouvelle, à un
ordre différent, qui fera d'innombrables disciples, et couvrira le monde d'un
réseau de monastères dont Cîteaux sera le berceau, et saint Robert le premier
apôtre. Depuis
la réunion tenue à Bèze, en 1066, et dans laquelle le Duc de Bourgogne
confirma les privilèges de l'abbaye de Saint-Bénigne, nous n'avons pas un
seul document qui nous éclaire sur les faits et gestes du Duc Robert. Des
vingt chartes qui nous ont été conservées pendant un règne de quarante-trois
ans, on ne connaît pas un seul de ses actes pendant les neuf dernières années
de sa vie. On n'a plus la ressource des chroniques ni des indications
fournies par des vies de saints, et l'historien se trouve dans un grand
embarras. Les titres du XIe siècle sont si rares Il en reste même si peu de
ceux qui ont été édités Le curieux sceau du Duc Robert appendu à une charte
de 1054, en faveur de Saint-Bénigne, et que Pérard[48] a reproduit dans son livre,
n'existe plus. Ce sceau nous le représente vêtu à la romaine, appuyant sa
main gauche sur un bouclier, et tenant à la droite une lance ornée d'une
oriflamme ; une fleur de lis est à ses pieds avec l'exergue : ROBERTVS DVX
BVRGVNDIE. Au
siècle dernier, on avait trouvé[49] dans les ruines du château de
Semur-en-Brionnais le sceau de la Duchesse Hélie sa femme avec l'inscription :
SIGILLVM
VXORIS ROBERTI. Il
est regrettable qu'on n'en ait point conservé le dessin. Il est
probable que le Duc Robert passa ses dernières années dans la retraite, et
que les liens incestueux par lesquels il était attaché, comme le dit
Hildebert du Mans, ne devaient pas lui faire rechercher la société. Sa mort
répondit à ce genre de vie, puisqu'il mourut d'un accident honteux et
tragique, sur lequel on n'a aucun détail. Cet
événement eut lieu à Fleurey-sur-Ouche, le samedi 21 mars 1076[50]. Robert avait soixante-huit ou
soixante-dix ans. On l'avait surnommé le Vieux, pour le distinguer de son fils
du même nom. D'autres lui ont donné le nom de Pieux mais, d'après ce que nous
avons vu, cette piété ne s'appuie pas sur des bases bien solides nous croyons
même que cette appellation, dont les contemporains n'auraient pas osé se
servir, n'a été inventée que par des auteurs des siècles derniers. Ouvrons
maintenant dom Plancher. Cet écrivain, fidèle à ce système de biographie
laudative qui n'a jamais manqué aux personnages qui ont joué un rôle en ce
monde, orne Robert de qualités et de vertus que démentissent tous les actes
de son règne. La vérité est qu'il est difficile de trouver des faits qui
puissent lui attirer un éloge, et que rien dans sa vie privée comme dans sa
conduite publique ne le rend recommandable. Nous voyons, au contraire, qu'il
fut longtemps en guerre avec le comte de Nevers et en querelle presque
continuelle avec les abbayes du Duché. Répudier sa femme, avoir de mauvaises
mœurs, assassiner son beau-père, se faire excommunier à la suite d'exactions
sans nombre, ne sont pas des traits que l'on puisse citer à son avantage. Il
faut tenir compte de la barbarie de cette triste époque, où les abbés, les
évêques et les papes ne donnaient pas un meilleur exemple. Les
enfants de Robert Ier, duc de Bourgogne, sont : 1° Hugues,
mort sans alliance, à la fin de l'année 1059 ou au commencement de 1060 ; 2° Henri,
héritier présomptif du Duché après la mort de son frère. Il avait épousé,
vers 1056, c'est-à-dire à l'âge de vingt-et-un ans environ[51], Sybille de Bourgogne[52], fille de Renaud, comte de
Bourgogne, et d'Alix de Normandie. Parmi les domaines qui lui avaient été
assignés lors de ce mariage, celui de Saint-Julien, près Dijon, était du
nombre, comme le prouve une charte non datée du cartulaire de Saint-Etienne,
mais qui a dû être faite peu avant la mort de ce prince. Dans cet acte, Henri
donne aux chanoines de Saint-Étienne droit d'usage dans ses bois de
Saint-Julien pour le chauffage et pour le parcours de leurs porcs : ses
fils Hugues et Eudes, alors en bas âge, approuvent la donation. Henri mourut
avant le Duc Robert, entre les années 1070 et 1074[53], et sa femme Sybille lui
survécut[54]. Il continue la lignée des
Ducs, comme nous le verrons plus loin. 3° Robert,
auquel son père destinait le Duché après la mort de ses frères aînés[55], mais qui fut dépossédé par son
neveu Hugues. Après la prise de la Bourgogne par ce dernier, il ne reparaît
plus dans la province mais on le rencontre le 5 août 1087, avec son neveu le
Duc Eudes, dans la ville de Léon, et fut un de ceux qui prirent part à cette
expédition d'Espagne[56]. Il passa ensuite en Sicile, et
épousa la fille de Roger, comte de Sicile. 4° Simon,
qui, selon Orderic Vital, suivit la fortune de son frère Robert et que nous
ne rencontrons cité nulle part dans les documents. 5° Constance,
filleule probablement de sa grand’mère la reine Constance, épousa Hugues II,
comte de Chalon[57], mort en 1080 et en secondes
noces Alphonse VI, roi de Castille, en 1080. Elle mourut en 1092. 6° Hildegarde, qui épousa, en 1068, Guillaume VIII, comte de Poitou, lorsqu'il eut répudié sa seconde femme[58] elle vivait encore, vers 1120, suivant une charte de donation faite au monastère de Moustier-Neuf[59]. |
[1]
Nous voyons en effet Guillaume, comte de Nevers, cité avec le Duc dans les
chartes de 1042, 1048.
[2]
Il y a dans la Chron. de Saint-Marien d'Auxerre, éd. Camuzat, f°. 76 v°, un
passage bien formel de la possession de l'Auxerrois par le Duc Robert sous
Héribert. Autissiodorensi ecclesiœ post Hugonem prefuit Heribertus. Hic cum
a Roberto Duce Burgundiœ suis adhuc diebus Àutissiodoro principante...
[3]
Chronicon breve Autissiodorense, D. Bouquet, t. XI, p. 292 B.
[4]
Chronicon breve Autissiodorense, D. Bouquet, t. XI, p. 292 B, C.
[5]
Chronicon breve Autissiodorense, D. Bouquet, t. XI, p. 292 B, C.
[6]
Duchesne, Maison de Vergy, p. 73 ; Art de vérifier les dates, t.
II, p. 529.
[7]
Gesta Guillelmi Ducis, D. Bouquet, t. Xi, p. 84 E, 85 A, B ; Willelmi
Gemetiensis historia, D. Bouquet., t. XI, p. 48 C, D ; Chron, de
Normandie, D. Bouquet, t. XI, p. 342 D, 343 B.
[8]
Hist. des comtes de Champagne, par M. d'Arbois de Jubainville, t. I, pp.
391 et suiv.
[9]
Duchesne, Ducs de Bourg., pr., p. 14.
[10]
Beaucoup d'auteurs ont été trompés par une faute du Père Labbe, qui a édité la
chronique et qui porte Crociatum au lieu de Tociacum et notamment
M. d'Arbois de Jubainville, dans son excellente Hist. des comtes de
Champagne, t. I, p. 392, qui ne trouve naturellement aucune localité
répondant à Croissy.
[11]
Le nom de Narbonne était celui des premiers sires de Touci, auxquels Hugues de
Chalon avait inféodé cette seigneurie. Nous trouvons encore ce nom porté au
XIIe siècle par quelques-uns d'entre eux dans la généalogie que nous en avons
dressée.
[12]
Annal. Benedict., t. IV, p. 521.
[13]
Hildeberti Vita S. Hugonis, chap. 2, par. 9.
[14]
Cette charte, dont il a été précédemment fait mention, porte : XVII Kal.
Febr. dominica die festivitate sancti Marcelli Pape, anno MLIV.
[15]
Dans les quelques pièces où figure Girard Arlebald, paraît aussi Humbert, sire
de Vergy, évêque de Paris.
[16]
Un Arlebald ou Herlembaud parait dès l'an 960. — Girard Arlebald, seigneur de
Semur-en-Auxois, est cité après l'an 1000, et signe une charte pour Flavigny
après Landry de Nevers. Vers 1030, il donne à Flavigny l'église de
Semur-en-Auxois. D. Viole, Hist. manus. de Flavigny, Bibl. de
Chatillon-sur-Seine.
[17]
Cart. de Flavigny, à la bibl. de Châtillon-sur-Seine, à la Bibl. nat. — Copie
de notre cabinet.
[18]
Edit. Migne, lib. I, col. 19.
[19]
C'est à tort que l'Art de vérifier les dates, t. II, p. 39, dit que
Dalmace fut seigneur de Semur-en-Auxois, non de Semur-en-Brionnais. La
meilleure preuve c'est que le sceau de la Duchesse Hélie a été trouvé dans les
ruines de Semur-en-Brionnais.
[20]
Hildeberti Vita S. Hugonis, chap. 2, par. 9.
[21]
Hildeberti Vita S. Hugonis, chap. 2, par. 9.
[22]
Hist. de l'ordre de Cluny depuis la fondation de l'abbaye jusqu'à la mort de
Pierre-le-Vénérable, Autun, Dejussieu, 3 vol. in-8°. Ouvrage consciencieux
et plein de recherches, auxquelles nous avons eu plus d'une fois recours pour
l'époque du XIe siècle.
[23]
On peut voir diverses descriptions de cette église dans le bel album de Nesle,
contenant des dessins divers de ce monument. M. de La Borde, Monum. hist. de
Fr., t. II. Mémoires de la commission des antiquités de la Côte-d'Or,
t. I, p. 48.
[24]
S. Hugonis, monachi cluniac., Vita., Migne, Patrologie latine, t.
CLIX, p. 920.
[25]
Pérard, p. 72.
[26]
Sennecey, canton et arrondissement de Dijon.
[27]
C'est ainsi, croyons-nous, qu'il faut interpréter ce passage : Quippe domnus
Arduinus ad bas partes non audobat, propter infestationem Roberti Ducis, accedere.
Pérard, p. 74. Fyot, pr. n° 108.
[28]
Les uns mettent ce concile en 1055, d'autres, comme Gagnare, Hist. de
l'église d'Autun, p. 97, à l'an 1057. Or ce concile a lieu peu de temps
après la mort d'Hugues de Bourgogne, c'est-à-dire après la fin de 1059 et
plutôt en 1060.
[29]
Gagnare, Hist. de l'église d'Autun, p, 97.
[30]
Vita S. Hugonis, ch. 2, p. 7, Migne, Patrologie latine, t. CLIX,
p. 920.
[31]
Comparer Acta sanctorum, apud Bolland., die 29 aprilis, p. 643 ; ex Cluniae. Bibl., col. 420 et seqq. ; D. Bouquet, t.
XIV, p. 71, B, C, D ; Migne, Patrol. lat., t. CLIX, p. 920.
[32]
Le premier acte qui nous a été conservé de cet hommage est de 1143. – V.
Pérard, p. 227.
[33]
Duchesne, Hist. de la maison de Vergy, pr., p. 99 ; Cart. de l'Yonne,
t. III, p. 64.
[34]
Arch. de la Côte d'Or, 1er cartul. de Saint-Étienne Pérard, p. 72.
[35]
C'est en 1170 et non en 1070 que fut édifiée la collégiale de Montréal. Cette
méprise une fois éditée a été bien des fois reproduite.
[36]
Mathieu, Hist. du diocèse de Langres, p. 311 ; Roussel, Hist. du
diocèse de Langres, t. I, p. 105.
[37]
L'évêque de Langres, Hugues-Rainard de Bar-sur-Seine, comte de Tonnerre,
succéda sur le siège de Langres à son cousin germain Hardouin de Tonnerre. Ce
dernier était fils de Rainard, comte de Tonnerre et de Hervise de Bar. On
rencontre Hardouin dans des chartes de 1036, 1039. Il avait d'abord été
archidiacre de Noyon, et fut sacré évêque de Langres, en 1050, par Halinard de
Sombernon, archevêque de Lyon, et par le pape Léon IX, qui séjournait alors à
Langres. On devrait pouvoir identifier tous les noms des personnages qui jouent
un rôle au moyen âge, et qui, sauf de rares exceptions, appartiennent aux
familles féodales.
[38]
Orig. Arch. de la Côte-d'Or, Fonds de Saint-Bénigne, carton 2. D. Plancher, t.
I, preuve XXXIX.
[39]
L'abbaye de Pothières, fondée par Gérard de Roussillon, était à la garde des
comtes de Tonnerre et de Bar. C'est, avec d'autres indices que nous avons, l'un
des arguments qui nous font regarder les comtes de Tonnerre comme les
descendants de Gérard de Roussillon.
[40]
Étude sur Vézelay, 3 vol.
[41]
D. Bouquet, t. XI, p. 482 ; l'abbé Mathieu, Hist. du diocèse de Langres,
p. 313 ; Roussel, Hist. du diocèse de Langres, t. I, p. 105.
[42]
« Ancien livre estang en l'église de Pothières, qui estoit uns livret rymé en
romant. » Voir Mignard, Hist. et légendes du pays de la Montagne, pp.
35, 36.
[43]
Hist. du diocèse de Langres, p. 313.
[44]
Labbe, Concilia, t. X, col. 82, 83.
[45]
V. l'indication du manuscrit cité plus haut, dans Mignard. Hist. et légendes
du pays de la Montagne, pp. 35, 36.
[46]
Art de vérifier les dates, t. III, p. 101.
[47]
On s'accorde pour indiquer la ville de Troyes comme lieu où Robert passa son
noviciat ; je crois qu'il fut plutôt prieur non de la ville de Troyes, mais du
petit prieuré de Sainte-Vertu (canton de Noyers), qui en dépendait et qui est
dans le voisinage de Collan. Tous les écrivains Cisterciens parlent de saint
Robert, mais ne donnent de renseignements exacts ni sur la date de sa
naissance, ni sur sa famille. Il appartient, croyons-nous, à la famille des
comtes de Tonnerre, soit à la branche des Noyers, soit à celle des Maligny. Les
seigneurs de ces maisons sont, à l'origine, les principaux donateurs, et c'est
ce qui nous paraît ressortir des cartulaires de Molème que nous avons copiés.
Un petit volume : Vie de saint Robert, abbé de Molème, instituteur de
l'ordre de Cisteaux, Troyes, Garnier jeune, M.DCC.LXXVI,
in-8° de 88 pages, donne une histoire dégagée des épisodes légendaires et des
circonstances merveilleuses dont les hagiographes du temps passé l'avaient
entourée, mais ne fournit aucun fait nouveau et certain. Voir aussi Cisterçiensium
Annal. auct. Angelo Maurique.
[48]
P. 491, charte en faveur de Saint-Bénigne.
[49]
V. Courtépée, t. III, p. 84. Ce sceau était alors chez M. Dupuy, curé de
Perreux.
[50]
Anniversarium Ducis Roberti qui celebratur XII Kal. Aprilis. — Charte de
1093, en faveur de l'abbaye de Saint-Seine. Chifflet, Lettre touchant
Béatrix, pp. 170, 171. Cette mort eut lieu à Fleurey-sur-Ouche, d'après une
charte rapportée par Saint-Julien-de-Baleure, de l'Orig. des Bourgong.,
p. 453, et par Duchesne, Hist. de la maison de Vergy, p. 79.
[51]
Le duc Robert s'était marié vers 1033. Hugues, son fils aîné, avait pu naître
en 1034 et Henri en 1035.
[52]
La tombe de Sybille de Bourgogne était dans le parvis de l'église Saint-Étienne
de Besançon (Art de vérifier les dates, t. II, p. 108).
[53]
VI Kal. Februarii. Voir la charte en faveur de l'abbaye de Saint-Seine,
de 1093. Chifflet, Lettre touchant Béatrix, pp. 170, 171.
[54]
Un ancien calendrier de l'église de Besançon marque au mois de juin l'obit de
Sybille, mère du Duc de Bourgogne (Eudes). IV Idus Julii obiit Sibilla mater
Ducis Burgundiœ, que dedit nobis unum mansum apud Fontenoy. Duchesne, Ducs,
p. 25.
[55]
Orderic Vital ; Duchesne, Ducs, pr., pp. 15, 16.
[56]
Juenin, Preuves de l'histoire de Tournus, p. 134. — Chifflet, Hist.
de Tournus, p. 131.
[57]
Saint-Julien-de-Baleure, Antiquités de Tournus ; Duchesne, Ducs,
pr., pp. 17, 18.
[58]
D. Bouquet, t. XI, p. 220 C, 221 A, ex chron. S. Maxentii, Duchesne, Ducs,
pr., p. 18.
[59]
Gallia christiana, t. II, prob. col. 355.