HISTOIRE DES DUCS DE BOURGOGNE DE LA RACE CAPÉTIENNE

TOME PREMIER

 

CHAPITRE IV. — LE DUC ROBERT IER (suite) - 1039-1057.

 

 

Guerre dans l'Auxerrois après la mort de l'évêque Hugues de Chalon. — Mort de Renaud, comte de Nevers. — Droits de gite à Gilly, Saint-Apollinaire, Cromois, etc. — Etat du clergé. — Hugues de Breteuil est déposé. — On remplace l'archevêque de Sens. — On dépose l'abbé de Flavigny et celui de Pothières. — Avoueries et droits de garde. — L'abbé Halinard de Sombernon nommé archevêque de Lyon. — Actes divers du Duc Robert.

 

L'évêque Hugues de Chalon, qui avait tenu tant de place dans les événements de l'époque, et dont l'influence avait pendant plus de quarante ans pesé sur les destinées de nos provinces, avait survécu le dernier à tous les personnages qu'il avait fait agir. Sa mort même fut le signal de nouveaux troubles, car les droits que, d'après son intervention, le roi Robert avait jadis cédés après la conquête de la Bourgogne, donnèrent lieu à des revendications, soit de la part des comtes de Nevers et d'Auxerre, soit de la part du Duc Robert. On peut supposer que l'évêque Héribert, que le défunt prélat avait choisi comme successeur, et qui devait être dans les intérêts du Duc de Bourgogne, ne fut pas bien vu du comte Renaud. Le clergé Auxerrois, qui ne l'avait pas nommé, avait pu voir son installation avec déplaisir, et la consécration qu'il devait au roi de France n'était pas une recommandation suffisante aux yeux de ses administrés. Toujours est-il que la guerre s'alluma entre le Duc de Bourgogne et le comte de Nevers. Il y eut une rencontre entre eux, en 1040, sur 4es frontières de l'Auxerrois et du Tonnerrois, dans une localité de ce dernier comté, appelée jadis Silviniacum, et qui changea ensuite de nom pour prendre celui de Sainte-Vertu[1]. C'est là que l'infortuné comte Renaud fut tué par un simple soldat. Il fut enterré à Saint-Germain d'Auxerre[2], et sa veuve, Alix de France, fonda une maison religieuse et une église à Crisenon[3], qui fut plus tard donnée à saint Robert, et devint l'origine de l'abbaye de ce nom.

La mort inopinée du comte Renaud, la trêve de Dieu, qui fut confirmée en 1041, selon Hugues de Flavigny, mit momentanément fin à cette guerre, et maintint l'Auxerrois sous la domination du Duc Robert ; mais cette lutte devait attirer plus tard de terribles représailles, et nous la verrons revivre seize ans plus tard, lorsque le comte Guillaume, devenu plus âgé, se sentira en mesure de venger la mort de son père. En 1040[4], les officiers du Duc Robert eurent quelques démêlés avec les religieux de Saint-Germain-des-Prés de Paris, au sujet des droits de gîte et de nourriture qu'ils exigeaient pour leurs chevaux sur la terre de Gilly, dans le Beaunois, appartenant à ces religieux. Ce droit qu'ils regardaient comme un privilège établi depuis longtemps, et qui devait faire partie du revenu ordinaire du Duché, fut contesté par l'abbé Aldérolde. Le Duc Robert céda aux réclamations des religieux, et leur fit remise de ces droits onéreux d'hospitalité qui prenaient parfois des proportions abusives, quand le nombre des officiers qui l'accompagnaient était trop considérable. Le diplôme fut signé à Dijon par le Duc, la Duchesse Hélie, Helmuin, évêque d'Autun, Azelin, abbé de Moustier-Saint-Jean et son frère Jean, Hugues, évêque de Langres, et divers seigneurs le vicomte Thibault, Cadelon de Sombernon[5], Thierry de Favernay, Humbert de Fouvent, et autres. L'acte fut ratifié par le roi Henri, en présence de Humbert de Vergy, évêque de Paris, et de Gui, évêque de Senlis.

Ces droits d'hospitalité avaient sans doute causé de graves dommages aux religieux, qui n'étaient pas en mesure de recevoir d'aussi nombreuses escortes, car deux ans après, le Duc, pour les indemniser et leur permettre de vivre plus largement, ad eorum victus cotidianos augendos, leur céda le domaine de Villebichot, sis également dans le pays de Beaune, avec toutes les terres, prés, vignes et bois qui en dépendaient, en y mettant l'obligation pour les religieux de ne pas oublier les donateurs dans leurs prières. La Duchesse Hélie figure encore dans cet acte, également revêtu de l'approbation des jeunes princes Hugues et Henri. Ce dernier apparaît ici pour la première fois, en 1042, et devait être âgé de sept ans au plus. Les autres témoins sont Guillaume, comte de Nevers[6] Humbert de Vergy, évêque de Paris Boson, chevalier le vicomte Thibault, Erard de Châtillon le prévôt Baudouin Renaud, chevalier ; Ogier, cité plus tard comme échanson Renier, prévôt de Beaune et Gui le Riche, vicomte de Dijon[7].

Le petit nombre de diplômes qui nous ont été conservés du Duc Robert, nous le montrent beaucoup plus occupé de chasses et des moyens de pourvoir à ses déplacements que de toute autre chose. Au commencement de mars 1043[8], c'est-à-dire en 1044, d'après notre manière de compter, il était en pourparlers avec les religieux de Saint-Bénigne de Dijon, et leur faisait remise du droit de gîte qu'il possédait sur leur domaine de Saint-Apollinaire, dans les villages d'Aguilly, Cromois, Sully, à condition d'entretenir deux religieux en plus dans leur monastère, de célébrer des services pour le repos des membres défunts de la famille ducale, et de dire des prières pour le salut des membres vivants. Robert est assisté de la Duchesse Hélie, de ses fils Hugues et Henri, du comte Foulques[9] ; de Gui le Riche, ancien vicomte de Dijon de ses fils, Gauthier, vicomte en exercice, et Villencus ; de Hugues, évêque de Langres ; de Thierry et Humbert, qui peuvent être de la maison de Favernay, de celle de Mailly ou de celle de Fouvent ; du prévôt Baudouin ; de Jean de Marzy[10]. La pièce est, chose rare, parfaitement datée elle est du premier jour de mars 1043, la treizième année du règne du roi Henri, et fut écrite par Guiguin[11], prêtre et moine de Saint-Bénigne.

Le Duc prend le titre de Dux et rector inférions Burgundie, qualification que nous ne retrouvons qu'une seule fois sous une autre forme inferioris Burgundie Dux, deuxième charte de 1054.

Ces qualifications méritent que nous nous y arrêtions.

Il ne faut pas entendre ici que Robert, en prenant le titre de Duc ou recteur de la Bourgogne inférieure, entendait l'appliquer à l'Auxerrois, à partie de l'Avallonais, du Nivernais et du Tonnerrois, c'est-à-dire aux contrées désignées depuis sous le nom de Basse-Bourgogne. Cette appellation s'étendait à la totalité de son Duché, en y comprenant le Dijonnais et les pays qui n'étaient qu'un démembrement de cet ancien et considérable royaume de Bourgogne, royaume bien amoindri et bien loin d'avoir l'étendue qu'il avait jadis, même sous les Ducs bénéficiaires de 880 à 1002.

Il n'est pas douteux que le Nivernais et l'Auxerrois tout entier ne fissent auparavant partie de ce royaume. Ils étaient au nombre des provinces revendiquées par le roi Robert, puisqu'elles furent tout d'abord le théâtre de la guerre, et le point d'appui le plus vigoureux des résistances qu'il eut à vaincre. L'inféodation qui fut faite par l'intervention de l'évêque d'Auxerre après la conquête, en mettant quelques grandes baronnies dans les mains de seigneurs féodaux, réservait la suprématie au Duc. La date même à laquelle Robert prend le titre de rector inferioris Burgundie, en 1043, c'est-à-dire après la guerre qu'il vient de soutenir contre le comte d'Auxerre, indique que ces droits avaient dû lui être contestés, et qu'il revendique hautement son droit de protecteur et de suzerain.

Il y eut pendant ce onzième siècle beaucoup d'autres guerres, auxquelles prirent part le Duc, les comtes de Nevers, d'Auxerre et surtout de Champagne. Il y eut par suite des traités de paix et des modifications de territoires. Mais malheureusement nous ne sommes pas mieux renseignés par les chroniques sur un point que sur un autre. C'est ce qui rend la carte de Bourgogne si difficile à établir à l'arrivée de nos premiers Ducs. Quelles étaient ses limites exactes ? quels étaient les pays qui en faisaient partie ? quels étaient tous les domaines relevant du Duché et qui en composaient le revenu utile ? A toutes ces questions[12], nous sommes embarrassé de répondre d'une manière précise, et la crainte d'émettre des opinions hasardées dans un livre que nous voulons appuyer de documents irréfutables, nous a fait négliger de donner tout d'abord la description de la Bourgogne, par laquelle nous aurions dû commencer.

Il y a bien, aux archives de la Côte-d'Or, dans le fonds de l'ancienne Chambre des comptes, des informations[13] diverses sur certaines parties des limites du Duché, mais cette nature de documents ne remonte pas au-delà du XVe siècle, et reste complètement muette sur ce que pouvait' être la province quatre siècles auparavant. Ce n'est que successivement, par des achats commencés sous le Duc Hugues IV, poursuivis surtout sous Robert II, et qui seront indiqués en leur temps, que le Duché est devenu ce qu'il était quand Philippe-le-Hardi est venu en prendre possession.

Les bonnes dispositions du Duc à l'égard des religieux de Saint-Bénigne, avec lesquels il avait intérêt à vivre en bon voisinage, n'empêchaient pas ses officiers d'avoir de fréquentes contestations avec eux. Sur de nouvelles plaintes qui lui furent faites, en 1045, par l'abbé Halinard, il donna une promesse de faire respecter les biens et les hommes du monastère dans l'enceinte des domaines de l'abbaye, et s'engagea ainsi que la Duchesse et ses fils à réprimer tous les abus qui lui seraient signalés[14].

Au milieu de contestations secondaires et souvent puériles, citons le vol d'une génisse fait par un des officiers du Duc à l'abbaye de Saint-Etienne, pour lequel Garnier de Mailly, prévôt de cette église, avait fermé sa porte à Robert après avoir lancé l'anathème contre lui[15]. Les conciles, on le voit, n'avaient pas réussi à réprimer l'abus que les abbés et les prélats faisaient alors de l'anathème et de l'excommunication. Ces collisions fréquentes entre les pouvoirs laïcs et ecclésiastiques, qui se produisaient également dans le sein du clergé, n'annonçaient pas encore de grands progrès et un adoucissement notable dans l'état des mœurs. La manière dont se recrutaient les hauts dignitaires de l'Église était d'ailleurs défectueuse et donnait lieu à trop d'abus. Souvent les évêques et les abbés étaient d'une extrême jeunesse et n'avaient ni l'autorité ni la maturité d'esprit suffisantes pour diriger les intérêts spirituels et temporels de l'église confiés à leurs soins. Beaucoup d'entre eux devaient leurs fonctions, moins à l'éclat de leurs vertus et à leur talent qu'à l'élévation de leur naissance. Plusieurs étaient mariés, et ceux qui ne l'étaient pas ne donnaient pas les meilleurs exemples de sagesse. Les ordonnances des papes, les décrets des conciles généraux et particuliers avaient vainement tenté d'y remédier. Le pape Léon IX, en venant présider en personne le concile de Reims, qui se tint, en 1049, dans le monastère de Saint-Remy de cette ville, dut s'élever contre de pareils désordres. Hugues de Breteuil, évêque de Langres, accusé de plusieurs crimes, convaincu de simonie, reconnu pour avoir une conduite et des mœurs infâmes, y fut déposé, et fut condamné à se rendre à Rome les pieds nus pour y implorer le pardon de ses fautes[16]. Il y a des historiens qui mettent ce prélat au nombre des saints, on pourrait s'en étonner[17]. L'archevêque de Sens, Gerduin, qui avait obtenu jadis sa nomination de Henri, roi de France, malgré l'opposition du clergé Senonnais, poursuivi pour les mêmes crimes, ne put prouver son innocence, et fut remplacé sur son siège épiscopal[18]. Un abbé également simoniaque, qui depuis douze ans dirigeait l'abbaye de Flavigny, Aimo, fut mis en demeure d'abdiquer et de laisser la crosse abbatiale à Eudes, religieux de Montieramey, qui avait accompagné son abbé à ce concile[19]. On déposa Arnold, abbé de Pothières, qui menait une vie scandaleuse, et continuait, malgré l'excommunication dont il avait été frappé, à exercer le ministère[20].

Le concubinage des prêtres était si fréquent, qu'il passait pour un usage commun[21]. Les lois qui notaient d'infamie les enfants des prêtres et les déclaraient inhabiles à entrer dans les ordres, les règlements qui s'élevaient contre les diacres et les clercs qui avaient des femmes chez eux, contre les évêques qui vendaient la pénitence et la confirmation, paraissaient tomber en désuétude. On a des lettres de clercs se plaignant qu'on voulait les obliger à vivre dans la continence[22].

Les avoueries avaient amené aussi une certaine perturbation dans la possession des biens ecclésiastiques. Au moyen âge, toutes les abbayes impuissantes à se défendre et à faire respecter leurs domaines au milieu des brigandages et des guerres privées, avaient pris pour avoués les grands seigneurs du voisinage, et les avaient chargés de protéger leur église, de défendre leurs causes, de veiller à la conservation de leurs droits, de contraindre leurs serfs et vassaux à l'exécution des jugements de justice, de conduire leurs troupes à la guerre. Il y avait des terres, des redevances et des privilèges attachés à ces charges d'avoués. Mais ces barons, de protecteurs qu'ils étaient d'abord, ne tardèrent pas à devenir usurpateurs, à la faveur des guerres et du manque de contrepoids, lors de la prise de possession de la Bourgogne. Ils cessèrent même de prendre le titre d'avoués dans les terres qui leur avaient été ainsi confiées, et se regardèrent comme seuls possesseurs et seigneurs du pays. Chaque abbaye avait parfois plusieurs avoués, comme Saint-Bénigne qui comptait pour défenseurs dans diverses régions., les Vignory, les sires de Salmaise, les ducs de Normandie, les sires de Chalon-sur-Saône, etc. comme Flavigny dont se déclaraient avoués les seigneurs de Semur-en-Auxois, les comtes de Grignon, les sires de Frolois, de Maligny, etc. Certains barons étaient eux-mêmes parfois avoués de plusieurs abbayes, comme Hugues de Chalon, évêque d'Auxerre, avoué de Saint-Bénigne, de Saint-Philibert de Tournus, et qui portait en cette qualité l'étendard de saint Philibert, patron de cette abbaye.

Par le droit de garde, les monastères se mettaient sous la protection du seigneur le plus puissant de la contrée, qui avait par le fait un rôle d'avoué plus étendu que les autres. A ce droit étaient également attachées des redevances assez variables, et il ne faut pas douter que les Ducs de Bourgogne n'en tirassent dans l'origine le plus clair de leur revenu. De là ces contestations sans nombre avec Saint-Bénigne et les autres abbayes qui étaient sous sa garde, et les discussions sans cesse renouvelées entre ses officiers et les religieux au sujet des taxes prélevées et généralement peu définies.

Nous n'avons pas à ce sujet de document plus curieux que celui des archives de l'Yonne, dans les titres de Saint-Germain d'Auxerre, en 1035[23]. C'est une sentence rendue au château de Saint-Florentin, par devant Arnoul, prévôt du comte Thibaud de Champagne, concernant le droit de garde de la terre de Villers-Vineux, qui avait donné lieu à un procès entre Gaudri de Saint-Florentin et l'abbé de Saint-Germain. L'abbé se plaignait des violences et des abus commis par Gaudri sous prétexte du droit de garde qui ne devait se payer que trente muids de vin, ou trente sous, si la récolte venait à manquer, suivant les conventions jadis arrêtées par Heldric, abbé de Saint-Germain, aïeul et prédécesseur de Gaudri. Ce dernier souscrivit aux termes de cette transaction, promit de renoncer à ses mauvaises coutumes, et de se contenter des trente muids de vin ou des trente sous, d'un setier d'avoine par chaque homme cultivant avec ses bœufs, et d'une mine pour celui qui n'avait que sa pioche.

L'abbé accorda de plus, par le conseil des juges qui rendaient la sentence, et sur la demande de Gaudri, que le jour du prélèvement de ces redevances, soit avant, soit après, mais une fois par an, il aurait droit de prendre un repas dans le manoir de Saint-Germain, avec vingt hommes de sa suite. Ce repas devait consister en pain et vin et en deux plats de viande, l'un chaud, l'autre de rôti mais- il ne serait rien dû pour la nourriture des chevaux.

Halinard de Sombernon, abbé de Saint-Bénigne de Dijon, occupait alors le siège de l'archevêché de Lyon, qu'il devait à la puissante intervention de Henri II, roi de Germanie, en 1046. Il avait déjà refusé une première fois cet honneur, prétendant que ce fardeau, offert à un moine plus éminent que lui, Odilon, abbé de Cluny, était trop lourd pour ses forces. Il s'était contenté d'appuyer, avec le clergé et les fidèles de Besançon, la candidature d'Odolric, archidiacre de Langres, vieillard respectable par son âge et par ses vertus ; mais, au bout de quelques mois, Odolric, victime des partis, périt par le poison. Halinard fut appelé de nouveau à lui succéder, et ne put cette fois se dérober aux sollicitations dont il fut l'objet. Il se rendit à la cour pour recevoir l'investiture, mais il refusa de prêter serment et on voulut bien l'en dispenser il fut ordonné en présence du roi par Hugues, archevêque de Besançon. Halinard n'en conserva pas moins la direction de l'abbaye de Saint-Bénigne, qu'il conserva jusqu'à sa mort, arrivée sept ans plus tard, pendant un voyage qu'il fit à Rome[24], où il était question de l'élever à la dignité de souverain pontife[25]. Revenons au Duc Robert, que nous retrouvons, en 1048, allant accompagner son frère Henri, roi de France, au concile de Sens. Thibaud, comte de Blois et de Champagne ; Humbert de Vergy, évêque de Paris ; Mainard, évêque de Troyes ; Hugues, évêque de Nevers ; Héribert, évêque d'Auxerre ; Guillaume, comte de Nevers, faisaient aussi partie de cette assemblée, et mettent leur sceau à un diplôme constatant une donation de Thibaud de Champagne à l'église Saint-Ayoul de Provins[26].

Nous avons encore de Robert deux actes de donations pour Saint-Etienne de Dijon, qui doivent être du milieu du XIe siècle. Dans le premier, qui est d'une brièveté inusitée, il donne aux religieux, de concert avec la Duchesse Hélie, la monnaie de Dijon et une rente de quinze deniers pour l'habillement des moines[27]. Dans l'autre, il exempte l'abbaye, dont relevaient les chanoines de l'église Saint-Michel, située près des murs du château de Dijon, des droits de gîte et d'hospitalité, causes de si fréquents débats. C'est une simple exemption pour les religieux de ces charges dont le roi Robert les avait jadis exonérés[28].

Un document plus intéressant de l'année 1053[29] donne quelques détails sur l'insubordination des officiers chargés de veiller aux intérêts et de percevoir les redevances du Duché, qui, par excès de zèle, prélevaient des dîmes et exigeaient des redevances, auxquelles ils n'avaient pas droit. Les religieux de Saint-Germain-des-Prés se plaignirent des agissements de ces officiers et des impôts dont ils grevaient la terre de Gilly et ses dépendances, malgré les franchises précédemment accordées par le Duc Henri le Grand. Le Duc s'engage à réprimer l'ardeur de ses ministres, et confirme à l'abbé Alderolde les immunités dont ce domaine avait été autrefois gratifié. Après le préambule ordinaire qui précède les chartes de cette époque, le chancelier Valon qui l'écrivit indique ainsi la qualité du Duc : Robertus superni arbitri cuncta regente ac disponente potentia, post obitum patris mei Roberti Regis Francorum Burgundie regnum, ejus destinatione, Ducis auctoritate, adeptus. Les fils du Duc sont cités avec lui dans le corps de la pièce et y ont un rang à part. Il est dit que Robert et ses fils Hugues et Henri ont acquiescé à la demande de l'abbé de Saint-Germain, et, pour la rémission de leurs péchés, ont renoncé à toutes mauvaises coutumes qu'ils prenaient injustement sur la terre de Gilly, savoir de droits sur la vente des vins et sur l'usage dans les bois, etc. Les témoins qui viennent ensuite après Robert et ses fils Hugues et Henri, sont dans l'ordre suivant Jean de Marzy[30] ; Foulques, comte de Beaumont ; Gui, comte de Chaumont ; Gui le Riche et ses fils, le vicomte de Dijon, Gauthier et Gui ; Arnout, chevalier ; Renaud, veneur ; Ulric, chevalier, de Beaumont ; Sevin, chevalier, de Vergy ; Othe, chevalier, de Bessey ; Hugues, fils du comte Valon ; Humbert, chevalier, fils d'Hildebrand ; Baudoin, prévôt ; Raoul, prévôt d'Argilly ; Eudes, prévôt ; Ogier[31], échanson ; Anselme, veneur ; Varin, officier de vénerie et Valon, chancelier.

Par un acte passé le 16 janvier 1055[32], dans le château de Dijon, les religieux de Saint-Bénigne de Dijon obtinrent du Duc la confirmation des droits de banvin dont ils étaient depuis longtemps investis, et qui leur avaient été concédés par les anciens Ducs bénéficiaires et par le roi Robert. La charte est revêtue des sceaux du Duc, de Gui le Riche, du vicomte Gauthier, son fils, de Fromond de Gissey-sur-Ouche, des prévôts Baudouin et Eudes, de Varin, officier de vénerie de Garnier le Riche, abbé de Saint-Etienne, et de Tecelin que nous croyons de la maison de Châtillon-sur-Seine, le père ou le grand-père de Tescelin le Roux[33], seigneur de Fontaines, près Dijon, et par suite l'aïeul ou le bisaïeul de saint Bernard.

A la suite du nom de Robert, qui prend la qualité de in ferioris Burgundie Dux, est un autre nom laissé en blanc, où celui de la Duchesse Hélie était ordinairement inscrit. Cette particularité sur laquelle nous reviendrons aura son importance. Quant au texte de ces documents, ils ne nous paraissent pas offrir d'intérêt pour l'histoire générale, et ils ne nous apprennent rien de ce que nous aurions le désir de connaître.

 

 

 



[1] D. Bouquet, t. X, p. 259 C., t. XI, p. 281 ; Sainte-Vertu, canton de Noyers, arrondissement de Tonnerre. Une charte de Charles le Chauve de 856 explique parfaitement que Silviniacum est l'ancien nom du pays, et que Sainte-Vertu est le nom d'un prieuré dépendant du monastère de la celle de Troyes. Le nom du prieuré a depuis fait oublier le nom primitif du pays (V. Cartul. de l'Yonne, t., I, pp, 67, 68). Cela donne raison à la Chronique de Vézelay, au père Labbe, son éditeur, et condamne les historiens qui, comme Lebeuf, ont voulu voir une erreur de copiste (Lebeuf, Hist. d'Auxerre, nouv. éd., t. I, p. 61).

[2] D. Bouquet, t. X, p. 51 A ; Glaber Radul.

[3] Bibl. nat., mss. latin, 9886, Hist. de Crisenon, abbaye de femmes.

[4] La charte est de 1040, la dixième année de règne du roi Henri, car l'une des pièces suivantes, datée de 1043, porte la XVIIe année de ce même roi.

[5] Voir Catulo de Sombernon, dans une pièce précédente.

[6] La présence de Guillaume, comte de Nevers, prouve qu'il avait fait la paix avec le Duc Robert, après la mort du comte Renaud, son père.

[7] Hist. de Saint-Germain-des-Prés, pr., p. 27 D. Bouquet, t. XI, p. 609 charte tronquée dans Duchesne, Maison de Vergy.

[8] Pérard, p. 188 D. Plancher, t. I, pr., pièce 35 ; D. Bouquet, t. XI, pp. 610, 611.

[9] Peut-être Foulques, époux d'Hermengarde, la dernière héritière des comtes de Beaumont, le même qui paraît dans des titres postérieurs avec la qualité de comte de Beaumont.

[10] Ce Jean de Marzy qui figure en tant d'actes n'est plus ici accompagné de son frère Aganon ou Azelin, abbé de Moustier-Saint-Jean, qui ne reparaît plus, et était peut-être mort.

[11] Guiguin est appelé, je ne sais pourquoi, Jean Pregiguine, par D. Plancher, t. I, p. 368. A-t-il mal lu Ego Giguinus ?

[12] Telles étaient les questions que me posait mon excellent ami, Aimé Chérest, qui a bien voulu lire la copie de ce travail, travail qui a été entrepris sur son avis et poursuivi avec ses encourageantes sollicitations. Sa mort récente nous prive de ses bons conseils.

[13] Voir aux Arch. de la Côte-d'Or la série B du n° 256 au n° 285.

[14] Orig. Arch. de la Côte-d'Or ; D. Plancher t. l, pr., pièce XXXVI ; D. Bouquet, t. XI, p. 611.

[15] Vita domni Garnerii ; Fyot, pr., n° 100 ; Pérard, p. 132.

[16] Episcopalem dignitatem per simoniam hœresim obtinuisse ; sacros ordines vendidisse ; homicidia perpetrasse alieni matrimonii jura violasse ; in clericos suos tyrannidem exercuisse sodomico etiam flagitio pollutum esse. Clericus dixit quod sibi, adhuc laico, conjugem suam violenter abstulerat, et post perpetratum cum ea adulterium monacham fecerat. (Conciliorum, t. 25).

[17] Surtout en lisant la note précédente. V. l'abbé Mathieu, Hist. du diocèse de Langres, p. 310 ; Roussel, Hist. du diocèse de Langres, t. I, pp. 104, 105.

[18] Hist. des archiv. de Sens, Mss de notre cabinet, fol. 78 v°.

[19] Bibl. de Châtillon-sur-Seine, Hist. man. de Flavigny.

[20] Anselmus monachus, Historia dedicationis S. Remigii, Migne, Patrol. lat., t. CLII, p. 1411.

[21] D. Bouquet, t. X, prœfatio.

[22] Museum italic, t. I, part. II, p. 128 ; Mabillon, Ann. Bened., t. V, p. 634. On vit des évêques, comme celui du Mans, avoir des fils et des filles qu'il fallut enrichir des biens de l'Église un pape comme Benoit IX, dont la vie et la conduite étaient infâmes, chassé honteusement de son siège, en 1044, et dont Glaber Radulph disait : Horrendum quippe referre turpitudo illius conversationis et vitæ. D. Bouquet, t. XI, p. 63 C, N.

[23] Orig. Arch. de l'Yonne, Fonds Saint-Germain, cart. 1 ; Bibl. d'Auxerre, Cart. de Saint-Germain, n° 140, fol. 91. Id. Hist. de Saint-Germain, de D. Cottron, mss. p. 794, Ed. Cartul. de l'Yonne de M. Quantin, t. I, p. 169.

[24] Analecta Divion., Chron. de Saint-Bénigne, pp. 111, 178, 179, 194, 221, 182, 187, 190, 191, 192, 317 ; Acta SS. O. B. B. sœcul. VI, pars. 2, p. 35 ; Pertz, Monumenta Germaniœ, t. VII, p. 235 ; D. Bouquet, t. XI, p. 13 A ; 210 B, 13 B, 353 B. D.

[25] Chr. de Saint-Bénigne dans les Anal. Div., p. 182. Consulter aussi la Chronique de Flavigny, les chartes de Pérard, la Chron. de Bèze, pour la vie d'Halinard.

[26] Camuzat, Antiq. Tricass., fol. 22 v° ; D. Bouquet, t. XI, p. 584. Bourquelot, Hist. de Provins, t. II, p. 377.

[27] Pérard, p. 78 ; Fyot, pr., n° 87.

[28] Arch. de la Côte-d'Or, 1er Cartul. de Saint-Etienne ; Pérard, p 73.

[29] Duchesne, Maison de Vergy, pr., p. 73 ; D. Bouquet, t. XI, pp. 613, 614.

[30] Nous avons déjà fait remarquer que Aganon ou Azelin, abbé de Moustier-Saint-Jean, qui figurait toujours dans les actes avec son frère Jean de Marzy, ne parait plus depuis 1043.

[31] Ogier n'est peut-être pas la traduction exacte d'Ingelerius, mais comme nous trouvons Aldigerius, en 1039, et Ulgerius, en 1033, nous croyons qu'il s'agit du même personnage.

[32] Pérard. p. 190 ; Duchesne, Ducs de Bourg., pr., p. 11 ; D. Plancher, t. I, pr., pièce XXXVI ; D. Bouquet, t. XI, pp. 614, 61 S ; Orig. Arch. de la Côte-d'Or, Fonds Saint-Bénigne.

[33] C'était aussi l'avis de l'abbé Merle, curé de Fontaines, qui avait fait de profondes études sur les XIe et XIIe siècles, sur les familles féodales, sur saint Bernard, et qui est décédé sans avoir pu compléter et mettre en ordre les matériaux qu'il avait colligés. Sa mort, en interrompant ses travaux, nous a privé des relations et des lumières de cet excellent homme, dont la mémoire mérite d'être conservée.