Installation de
l'évêque de Langres, Hugues de Breteuil. — Guerre entre les princes Henri et
Robert, fils du roi Robert. — Mort de la reine Constance. — Robert confirmé
dans la possession du Duché de Bourgogne. — Peste et famine. — Conciles. —
Trêve de Dieu. — Robert à Saint-Bénigne. — Seigneurs qui l'accompagnent. —
Mariage du Duc avec Hélie de Semur. — L'évêque de Langres assiège l'abbaye de
Bèze, en chasse l'abbé. — Mort de l'évêque Hugues de Chalon.
Henri,
fils du roi Robert, l'associé au trône, était à Langres à la fin de juillet
1031, quand on vint lui annoncer la mort de son père. Il était venu installer
sur le siège épiscopal un nouveau prélat[1], et avait voulu rehausser
l'éclat de cette cérémonie par l'appareil de l'autorité royale, et par un
déploiement de forces' qui, dans cette circonstance, ressemblait assez à une
prise de possession, car cette autorité royale avait été fort peu respectée par
les Langrois rebelles, qui s'appuyant sur les statuts du droit canonique,
prétendaient maintenir, malgré l'usage consacré et malgré les envahissements
de la royauté, le principe primitif de l'élection des évêques. En
conséquence, quelques mois auparavant, ils avaient, après le départ du roi,
chassé violemment l'évêque Richard, qui leur avait été imposé. La mort
récente du titulaire laissait vacant le siège épiscopal, et le roi Robert,
irrité, avait nommé à sa place, sur les conseils de la reine[2], un chanoine de Chartres, d'une
grande famille baronale du Beauvoisis, ancien disciple de Fulbert, de
Chartres, nommé Hugues, et fils de Gelduin, comte de Breteuil, qui ne paraît
pas avoir gagné plus que son prédécesseur, et sans doute pour les mêmes motifs,
les bonnes grâces du clergé et du peuple Langrois. La mort
du bon roi Robert n'avait pas trop affecté sa très consolable veuve la reine
Constance, car elle laissa aussitôt percer tous ses mauvais sentiments
d'ambition en s'emparant de la plus grande partie du royaume, et en cherchant
à attirer les principaux seigneurs dans ses intérêts. Elle espérait gouverner
facilement des jeunes gens dont l'un, Henri, avait vingt-quatre ans, l'autre,
Robert, vingt-trois[3]. Comme
elle avait voué à Henri une haine de marastre[4], elle pensait pouvoir le
renverser du trône, et lui substituer Robert pour qui elle avait une
prédilection marquée. Elle montra dans cette entreprise la volonté et
l'énergie que promettait le tempérament dominateur dont son mari avait tant
de fois fait l'épreuve. Elle s'empara des villes et des châteaux qui
composaient le domaine royal Senlis, Sens, Béthisi, Dammartin, Le Puiset,
Melun, Poissy, Coucy. Elle mit dans ses intérêts Eudes, comte de Champagne,
en lui abandonnant la moitié de la ville de Sens[5]. Le jeune roi Henri, sentant
son insuffisance et se voyant abandonné, s'enfuit effrayé avec douze de ses
serviteurs à Fécamp, où se trouvait alors le duc de Normandie Robert le
Diable ou le Magnifique. Henri y fut reçu, non comme un fugitif, mais comme un
souverain auquel le duc devait hommage. Il fut équipé d'armes et de chevaux
et recommandé à son oncle Mauger, comte de Corbeil, qui réunit ses troupes à
celles qu'Henri fut bientôt en mesure de faire lever. La campagne commença au
printemps de l'année 1032. « Et le
roy Henri, qui estoit chevalereux, si assembla son ost, et fist tant que par
ses armes et par sens il abati l'orgueil de sa mère, et seurmonta tous et
humilia ceulx qui estoient contre luy. Et la première de ses batailles si fu
contre sa mère, et fu le chastel de Poissy le premier qu'il recouvra. Après
assist le Puisat, et puis Meaux, et puis Melun et tous les autres aussi[6]. » La
reine, accoutumée à semer la division, avait brouillé les deux frères, et
avait commis la nouvelle faute d'armer le jeune Robert contre son frère aîné,
mais elle avait eu la douleur de voir son bien-aimé Robert battu dans une
grande bataille près de Villeneuve-Saint-Georges. Elle dut comprendre que
l'intervention puissante du duc de Normandie devait rendre toute résistance
impossible, et sur les instances de son oncle Foulques, comte d'Anjou, qui
l'appelait « bête et vieille folle[7] », pour avoir entrepris
une si ridicule et si triste guerre, elle fit la paix, et par les conventions
qui furent arrêtées entre eux, Robert, tige des Ducs de la première race, fut
confirmé dans la possession du Duché de Bourgogne. Le
terrible et batailleur Eudes, comte de Champagne, était en dehors des
arrangements faits entre la reine et ses fils, et ne désarmait pas. Il
n'avait pas intérêt à renoncer aux terres que la reine lui avait cédées pour
le faire entrer dans ses intérêts. C'est donc contre lui que le roi Henri
tourna ses armes. Trois rencontres eurent successivement lieu, et trois fois
le comte de Champagne fut défait[8]. Puis surgirent de nouvelles
complications lors de la mort de Landri, archevêque de Sens (27 juin 1032)[9]. Le roi, usant de son droit
consacré par l'usage, nomma pour le remplacer Gelduin, fils de Geoffroi Ier,
comte de Joigny, cousin germain de Rainard, comte de Sens. Mais le comte
Eudes, maître de la ville de Sens, avait déjà pourvu au remplacement du
prélat défunt, et lui avait substitué Mainard, trésorier de l'église de cette
ville, qui avait l'appui du clergé, et fit condamner son concurrent comme
usurpateur dans deux conciles. Le roi fut obligé de venir au secours de son
protégé, et vint assiéger Sens pendant la moisson de 1032. Mais il commit
inutilement de grands ravages, et après quelques jours d'assaut sans
résultat, il fut forcé de se retirer. L'époque de ce siège correspond à celle
de la mort de la reine Constance, qui décéda à Melun au mois de juillet,
c'est-à-dire précisément au même lieu que son mari et un an après lui. Au
commencement de l'année suivante, le roi revint à Sens avec trois mille
hommes, dévasta de nouveau les environs de la ville par le pillage et
l'incendie, et se retira de nouveau sans pouvoir s'en emparer[10]. Il y eut aussi à Tonnerre
quelque grande et sanglante action de guerre, dirigée par le roi Henri, mais
sur laquelle nous n'avons aucun détail. Le chroniqueur Glaber[11], fidèle à ce système
d'anachronismes auquel on est habitué, cite ce fait à propos d'un miracle, et
le place à une date improbable, sous le pontificat de Brunon, évêque de
Langres, alors que Henri était tout à fait en bas âge. Ce fut l'année
suivante seulement que le roi put faire la paix avec le comte de Champagne,
retenu ailleurs par de plus graves intérêts, et ce ne fut qu'à cette époque
qu'il put reprendre possession de la ville de Sens, et y installer
l'archevêque Gelduin. Mais en
ce moment des fléaux atmosphériques, bien autrement redoutables que les
guerres féodales, ravageaient la province. Les mauvaises conditions
hygiéniques dans lesquelles vivaient les malheureux habitants des campagnes,
amenaient, à des périodes rapprochées, soit après les hivers rudes, soit après
les guerres prolongées, des épidémies et des pestes qui décimaient
impitoyablement les campagnes. Or, pendant les trois années de 1030 à 1032,
les pluies continuelles avaient tellement détrempé les terres, qu'il fut
impossible de cultiver le sol et de l'ensemencer. Les quelques sillons qui
avaient reçu la semence, ne rendaient qu'un grain maigre qui n'était que le
sixième de son produit ordinaire. Les seigneurs dans leurs châteaux furent,
comme les serfs dans leurs chaumières, atteints par cette plaie fatale de la
famine tous avaient la pâleur sur le front et la faim aux lèvres. Et comme il
arrive toujours en pareille circonstance, ce qui restait de grains disparut
comme par enchantement, et atteignit des prix exorbitants. On fut bientôt
réduit à manger les bêtes et les oiseaux des champs ; puis on attaqua
l'écorce des arbres et on arracha l'herbe des ruisseaux. Ces aliments ne
pouvant suffire à tromper la faim, on eut recours à une nourriture plus
horrible encore, on mangea de la chair humaine. Les plus robustes égorgeaient
les voyageurs, les coupaient par morceaux et les dévoraient après les avoir
fait cuire. Bien des gens qui quittaient leur pays, espérant trouver ailleurs
des ressources qu'ils ne pouvaient trouver chez eux, étaient reçus dans des
hôtelleries et égorgés par leurs hôtes, auxquels ils servaient de nourriture.
D'autres attiraient des enfants à l'écart en leur montrant un œuf ou un
fruit, et les tuaient pour se repaître de leur chair. L'histoire n'offre
nulle part ailleurs d'aussi terribles scènes que celles qui nous sont alors
signalées. Jamais on n'avait vu vendre publiquement sur un marché de la
viande 'humaine cuite. C'est ce que fit à Tournus un misérable qui fut
arrêté, et ne chercha point à nier son crime on le garrota et on le livra aux
flammes. Un autre malheureux qui avait dérobé pendant la nuit ces affreux
aliments enfouis sous terre, fut également saisi et brûlé. Dans la forêt de Chatenay,
près de Mâcon, un individu s'était établi dans une chaumière, et y massacrait
tous les passants qui s'arrêtaient chez lui. Deux voyageurs, le mari et la
femme, vinrent un jour lui demander l'hospitalité, et prendre un peu de repos
mais comme ils parcouraient des yeux les coins de la chaumière, ils aperçurent
des têtes coupées d'hommes, de femmes et d'enfants. Ils
voulurent sortir, mais leur hôte s'y opposa l'épouvante doublant les forces
de ces pauvres gens, ils parvinrent à se débarrasser des mains de cet
assassin, coururent à la ville, et se hâtèrent de communiquer leur horrible
découverte au comte Otton et aux habitants de Mâcon. Les particuliers qui
furent aussitôt envoyés pour vérifier le fait, trouvèrent ce scélérat au
milieu de quarante-huit têtes d'hommes, dont il avait dévoré les chairs,
comme une bête féroce. On l'amena à la ville, on l'attacha à un poteau, puis
on le précipita dans les flammes. « Nous avons assisté nous-même à son
exécution, » ajoute le chroniqueur Raoul Glaber[12]. Plusieurs
de ceux qui n'avaient pas voulu pour vivre employer ces tristes expédients,
mêlaient à de la farine ou à du son une terre blanche comme de l'argile, et
en faisaient des pains. La multitude des morts ne permettait pas de donner la
sépulture à tous les loups, attirés par l'odeur des cadavres, venaient se
repaître de ces débris. On trouvait des cadavres partout, dans les
"fossés des champs, dans les carrefours, jusqu'à ce que les âmes
charitables vinssent pour enterrer ces corps qui corrompaient l'air. Ces
calamités donnèrent lieu à des temples de charité et de grand dévouement.
L'abbé Guillaume de Dijon, reprochant à ses frères leur manque de charité,
fit distribuer jusqu'à leurs dernières provisions. Odilon épuisa celles de
Cluny, vida les greniers, vendit à des juifs les ornements de l'église et
jusqu'à la couronne impériale d'Henri II. Richard de Saint-Vanne de Verdun,
pour nourrir à la porte de son monastère une troupe d'affamés, vendit tous
les vases sacrés. L'année
1033 qui suivit ces trois années de famine et de désolation, amena une
abondance de vin et de fruits, telle qu'elle égalait la récolte qu'on aurait
pu espérer dans les cinq années suivantes ; il semblait que le ciel eût voulu
réparer les rigueurs de son inclémence, car cette prospérité se renouvela
trois ans sans interruption. Tant de
souffrances avaient abattu les esprits et effrayé cette société féodale qui
se croyait frappée du courroux céleste. Il en résulta une réaction contre le
système de ces guerres désastreuses, qui entraînaient ces ruines et ces
fléaux. Les évêques de Bourgogne furent les instigateurs de la paix le roi
Robert n'était plus là pour les menacer de l'autorité royale, la jeunesse des
princes ne pouvait porter ombragea à la suprématie dont ils jouissaient dans
leurs diocèses, ils se lièrent entre eux par le serment d'observer la paix et
la justice ils décidèrent la réforme des abus. Le droit d'asile, sacré en
tout autre cas, fut interdit au sacrilège qui violerait les lois relatives au
maintien de la paix. Cette généreuse tentative des évêques ne fut pas sans
résultat pour l'avenir. De ce
temps date la fondation du prieuré de Til-Châtel, où, depuis plus de deux
siècles[13], les chanoines de Saint-Etienne
de Dijon possédaient une église dont les seigneurs du pays s'étaient emparés
pendant les troubles du Xe siècle, et dont ils se contentaient de faire
hommage à l'évêque de Langres. Aimon de Til-Châtel, plus juste que ses
prédécesseurs, et frappé sans doute des calamités qui désolaient le pays,
vint en faire la cession à l'évêque Hugues de Breteuil, et le prier d'y
établir une petite communauté de chanoines réguliers[14]. Le prélat en investit Garnier
de Mailly, abbé de Saint-Etienne, et le chargea de l'administration et du
gouvernement de ce prieuré qui, sous le patronage de saint Florent, a eu
pendant longtemps une certaine importance. Le
concile de Verdun, que plusieurs historiens placent beaucoup plus tôt, et
même avant 1019, époque à laquelle Jocelin de Vienne, qui y paraît, monta sur
le siège épiscopal de Mâcon[15], ne doit pas s'éloigner des
événements qui nous occupent[16], ce qui n'exclut pas un autre
concile tenu précédemment dans cette localité par les soins de l'évêque
d'Auxerre. C'est dans cette réunion que les évêques et les principaux
seigneurs de Bourgogne jurèrent la trêve de Dieu, et la teneur de
quelques-uns des articles nous en a été heureusement conservée[17] sur un vieux parchemin
incomplet et déchiré, découvert à Dijon au XVIIe siècle. Voici la traduction
de divers passages : « Ecoutez,
Chrétiens, le pacte de la paix. Je m'engage à ne point attaquer l'Église, à
ne point violer les asiles, si ce n'est contre tout malfaiteur qui
enfreindrait la présente paix. Je n'attaquerai ni le clerc, ni le moine, ni
ceux qui les accompagnent sans armes. Je ne me saisirai point du bœuf, de la
vache, du porc, du mouton, de l'agneau, de la chèvre, de l'âne, de l'ânesse,
ni du fardeau dont ils sont chargés il en sera de même des oiseaux, du coq et
de la poule, à moins que je n'en aie besoin pour des éperviers, et, dans ce
cas, je le paierai deux deniers. Je n'enlèverai pas la cavale non ferrée ou
son poulain encore indompté. Je ne prendrai ni le vilain, ni la vilaine, ni
les marchands. Je ne leur enlèverai point leur argent, ni ne les rançonnerai,
ni ne les battrai. A aucun je ne prendrai son mulet, sa mule, son cheval, sa
jument ou d'autres animaux qui seraient au pâturage, à moins qu'ils ne
m'aient causé quelque dommage. Et s'ils m'ont causé des dommages, je ne les
tuerai point, mais les rendrai à leur maître, s'il a réparé le dommage dans
l'espace de huit jours. Je ne brûlerai ni ne détruirai les maisons, à moins
que je ne trouve mon ennemi à cheval et armé. Je ne couperai pas les vignes
d'autrui, ni ne les arracherai. Je ne vendangerai que celles qui
m'appartiennent. Je n'attaquerai ni ne dépouillerai les charretiers qui
conduisent les grains, les vins et autres marchandises. Je ne détruirai pas
les moulins et n'en enlèverai pas les denrées, excepté en temps de guerre. Je
n'aurai point à mon service de voleurs et ne favoriserai point leur
brigandage. » Cet
acte curieux se termine par des imprécations et des anathèmes contre les
violateurs de cette paix, qui devait être jurée par tout homme montant à
cheval. Par les
crimes qu'il est interdit de commettre, on peut juger de ceux qui se
commettaient impunément. On peut imaginer à quels désordres et à quel degré
de violences la société d'alors était descendue ; il n'y avait ni sens moral,
ni justice. La force brutale était tout, et tout était permis les armes à la
main. Les louables efforts que fit alors le clergé pour faire respecter la
trêve de Dieu, trouvaient, dans le caractère essentiellement guerrier de la
noblesse féodale, un obstacle bien difficile à vaincre. Car c'était lutter
contre le principe même de cette noblesse, qui s'était élevée dans les luttes
contre les invasions normandes et étrangères. Les barons dont l'épée avait
auparavant défendu un intérêt national et légitime, n'avaient de ressource
que de la tourner contre eux-mêmes ; et dans l'état de la société, il était
bien difficile de mettre fin à ces luttes privées de château à château, de
vassal à souverain, dont l'histoire du moyen âge est remplie. Ce
n'était pas une gaie résidence que le château de Dijon à l'époque qui nous
occupe. Ces fortes murailles qui suffisaient pour mettre les habitants à
l'abri d'un coup de main et des tentatives des seigneurs féodaux, qui
abritaient de temps en temps les évêques de Langres. et ensuite avaient servi
de demeure aux comtes de Dijon, gouverneurs du pays au nom des évêques,
étaient bien négligées depuis longtemps. Le séjour dans cette forteresse ne devait
pas offrir une perspective bien séduisante à un jeune homme de vingt-quatre
ans qui y arrivait sans suite, sans relations dans la province, au milieu
d'une population décimée par la peste et les fléaux, n'ayant pas trop à
compter sur une noblesse qui ne lui était pas sympathique, ni sur l'appui du
clergé qui ne lui était pas moins hostile. Les
seigneurs féodaux qui depuis le commencement du siècle jouissaient sur leurs
terres d'une autorité absolue, et qui avaient commis des empiétements que les
troubles de la guerre n'avaient pas permis de réprimer, devaient voir d'un
assez mauvais œil un suzerain venir s'installer près d'eux et au-dessus d'eux.
Les usurpations et les empiétements avaient dû s'exercer principalement sur
les droits et les émoluments qui appartenaient à la couronne ducale, et le
produit utile de la suzeraineté devait être à l'origine d'un assez maigre
rapport, en dehors des domaines qui en étaient l'apanage et qui en
constituaient le revenu. Les officiers qui furent installés au nom du Duc
Robert, par l'entremise probable de l'évêque Hugues de Chalon, furent chargés
de mettre un terme à ces injustes usurpations, ce qui donna lieu à de
nombreuses récriminations. Par le
premier diplôme qui nous a été conservé et que le Duc Robert dut signer
aussitôt après son arrivée et sa prise de possession de la Bourgogne, nous
apprenons que ses officiers s'étaient emparés de la terre de
Veuvey-sur-Ouche, dont jouissait son oncle Henri le Grand. Mais l'abbé
Halinard de Sombernon et les religieux de Saint-Bénigne lui ayant représenté
que ce domaine leur avait été donné par le comte Othe-Guillaume, que cette
donation avait été approuvée par le roi Robert, la reine Constance et- par
les frères du Duc, il en ordonna la restitution. Hugues, évêque de Langres,
témoin de cet acte passé dans son diocèse, menace d'anathème et
d'excommunication ceux qui viendraient de nouveau mettre la main sur ce
domaine. Cette
charte a de l'intérêt, car elle nous montre les personnages qui assistaient
le Duc Robert au commencement de son règne et qui lui étaient dévoués.
C'était, outre l'évêque de Langres, qui avait des motifs connus de lui être
fidèle, le plus zélé défenseur et le plus vieil ami de son père, l'évêque
Hugues de Chalon Béraud, évêque de Soissons plusieurs archidiacres du
Langrois ; Azelin ou Aganon[18], abbé de Moustier-Saint-Jean,
et son frère Jean, seigneur de Marzy, tous deux fils d'Eudes, vicomte de
Beaune Renaud, comte d'Auxerre et son frère Ademar de Dijon ; le vicomte
Erard ; les seigneurs Hugues de Beaumont, Hugues de Montsaugeon, Aimon de Til-Châtel,
Thierry de Faverney, chevaliers. Lorsque
le seigneur de Vergy, Azelin, qui était évêque de Paris, fit confirmer en
cette année 1032-1033[19], la fondation de Saint-Denis de
Vergy, l'acte fut passé en présence du Duc de Bourgogne, accompagné de
plusieurs seigneurs et prélats que nous venons de citer : Hugues de Chalon,
évêque d'Auxerre Aganon, abbé de Moustier-Saint-Jean Renaud, comte d'Auxerre.
D'autres personnages y figurent également ; Helmuin, évêque d'Autun ;
Geoffroi, évêque de Chalon Othe, comte de Mâcon ; Dalmace de Semur[20] et des chevaliers dont
l'absence des noms de famille ne permet pas d'indiquer les maisons Gauthier[21], Renaud[22]. Gui, Anselme qui reparaît plus
loin comme grand-veneur. Le
protecteur dévoué et le pilote habile qui avait jusque-là dirigé le jeune
Duc, l'évêque 'Hugues de Chalon voulut mettre la dernière main à son œuvre,
et se rattacher davantage à ses intérêts, en lui donnant pour femme sa propre
nièce ou plutôt sa petite-nièce, fille de Dalmace, seigneur de
Semur-en-Brionnais et d'Aremburge de Vergy, elle-même nièce de l'évêque-seigneur
de Vergy, Azelin[23]. C'était donner pour appui au
Duc les plus grandes familles baronales du pays. Dalmace, père de la fiancée,
était de plus le frère de ce Geoffroi de Semur, en faveur duquel l'évêque
d'Auxerre avait créé cette puissante baronnie de Donzy, lors de ses
arrangements avec le roi Robert, ce qui assurait une alliance dans les régions
occidentales de la Bourgogne. On peut voir du reste dans les tableaux
ci-joints les origines paternelles et maternelles de la Duchesse Hélie, issue
des seigneurs de Semur-en-Brionnais et des comtes de Chalon-sur-Saône. Ce
mariage eut lieu en 1033 probablement, et c'est en 1034 que le nom de la
Duchesse Hélie apparaît pour la première fois dans un diplôme. Gibuin,
fils du comte de Beaumont, fit vers 1034 diverses donations aux religieux de
Saint-Etienne de Dijon, en souvenir de son père, de sa mère Ermengarde, de
son frère Narduin et de ses neveux. Le Duc Robert et sa femme mirent leur
sceau à cet acte[24], qui prouve bien l'extinction
du titre de comte de Dijon, dont Hugues de Beaumont avait été le dernier
titulaire. Les
difficultés qu'éprouva le Duc pour l'installation et le fonctionnement de ses
officiers eurent aussi leur contre-coup dans le clergé. Si l'évêque Hugues de
Breteuil ne vivait pas en bonne intelligence avec le clergé Langrois, les
abbayes eurent des affaires qui ne témoignent pas un meilleur accord entre
les moines et leurs abbés, malgré la réputation de haute piété que les
historiens ont faite à quelques-uns d'entre eux, et notamment à l'abbé
Halinard. La Chronique de l'abbaye de Bèze[25] rapporte qu'Ogier avait été
envoyé à la, tête de ce monastère peu avant l'élévation de Hugues de Breteuil
au siège épiscopal de Langres, mais que ne voulant pas souffrir le ton
d'impérieuse hauteur de ce dernier, ni lui laisser commettre des exactions au
détriment de son église, il avait refusé de se soumettre à son autorité.
L'évêque avait nommé pour le remplacer l'abbé de Saint-Bénigne, Halinard, et
comme Ogier refusait de sortir de son monastère, il vint à main armée avec
Halinard et les religieux de Saint-Bénigne assiéger l'abbaye de Bèze, chassa
une partie des moines et emmena les autres prisonniers à Dijon. Au nombre de
ces derniers était l'abbé Ogier, qui reçut bientôt des nouvelles de ses
compagnons dispersés, et ensuite des secours en armes et en chevaux pour
s'échapper. Il vint se réfugier au château de Beaumont-sur-Vingeanne, rallia
peu à peu la plus grande partie de ses adhérents, vint à son tour attaquer
l'abbaye de Bèze occupée par ses ennemis, et employa les mêmes mesures de
violence pour s'en emparer et rentrer en possession de ses fonctions. A
Semur-en-Auxois, la lutte n'était pas moins vive entre les religieux de
l'endroit et le seigneur Girard Arlebald. Ce dernier fit un arrangement[26] avec les chanoines de
Saint-Maurice et le prieur Pandulphe, qu'il avait tous fort maltraités et
chassés de leur église, sise dans l'enceinte du château de Semur. Girard
Arlebald leur assigna une certaine somme pour les indemniser des pertes qu'il
leur avait fait subir, leur restitua les dîmes dont il s'était emparé, et
promit sous la foi du serment de ne plus se livrer à de semblables excès. Les
religieux de leur côté lui donnèrent l'absolution de l'interdiction lancée
contre lui. Les témoins de cet accord sont Renaud de Glane, Humbert de Vergy,
évêque de Paris, et un personnage de la même famille qui nous apparaît sous
le nom assez barbare de Quignaco, peut-être Guiard Aganon, abbé de
Moustier-Saint-Jean, son frère Jean, seigneur de Marzy, Catulo de Sombernon[27]. Au mois
de juillet 1035, Robert, Duc de Bourgogne, scella de son sceau le diplôme
donné par le roi Henri, son frère, en faveur de Saint-Pierre-le-Vif de Sens,
et dans lequel tous les privilèges de cette abbaye sont ratifiés. Outre la
reconnaissance des droits et des privilèges de ce monastère, le roi déclara
qu'il serait à l'avenir exempt de toute juridiction étrangère, fit défense à
ses officiers de prélever aucune taxe, telle que rouage, péage ou tonlieu,
sur les hommes libres ou sur les serfs. Eudes, frère du roi et du Duc Robert,
était également présent à cet acte[28]. Le Duc
accompagnait à Auxerre l'évoque Hugues de Chalon, en 1038[29], lorsqu'il fit don à l'abbaye
de Cluny de l'église de Saint-Cyr, sise dans l'évêché de Chalon, ainsi que
des biens qui en relevaient, à condition d'en laisser l'usufruit à un
chevalier nommé Seguin. Cet acte que nous publions pour la première fois et
auquel le Duc Robert prend part en qualité de seigneur suzerain est, à n'en
pas douter, une nouvelle preuve qu'il avait toujours la haute main sur
l'Auxerrois. C'est
encore à la prière de l'évêque Hugues de Chalon, que Robert confirma aux
religieux de Cluny la possession du village de Jully, près Chalon-sur-Saône,
et diverses donations faites jadis à cette abbaye par Othe-Guillaume, son
fils Renaud et d'autres seigneurs. Cet acte[30] passé sous le pontificat de
l'évêque d'Auxerre, c'est-à-dire en 1030 au plus tard, a pour témoins Hugues,
fils du Duc, entant d'un bon naturel, bone indolis pueri, âgé
d'environ cinq ans Hugues de Breteuil, évêque de Langres la Duchesse Hélie
Humbert de Fouvent Thierry de Faverney[31], et d'autres chevaliers dont
nous ne pouvons préciser les maisons Gui[32], Renaud[33], Bernard, Ogier[34], Guillaume, Erard[35]. Cet
acte est l'un des derniers où nous voyions figurer l'évêque d'Auxerre, dont
le nom est inséparable de tous les mouvements politiques du temps, et dont
l'ardeur s'était un peu ralentie avec les années. Nous l'avons vu tour à tour
prêtre et soldat, promoteur de synodes et de conciles, toutefois plus souvent
seigneur laïc qu'évêque, et plus souvent occupé des affaires temporelles que
des intérêts de l'Église. Le pape, comme nous l'avons dit, lui avait donné, à
la suite d'un voyage à Rome, une lettre d'absolution en termes assez durs,
avec l'obligation de faire un pèlerinage d'outremer. Ce pèlerinage est
rappelé d'une manière incidente dans une charte du cartulaire de Paray[36], alors que l'évêque reçut la
veille de son départ la visite de ses vassaux, qui vinrent lui offrir leurs
vœux et des présents, pour subvenir aux frais de ce lointain voyage. C'est
l'un des plus anciens exemples des aides accordés au seigneur féodal par les
vassaux. L'histoire de cet évêque[37], qui n'a pas à énumérer une longue série d'actes de piété, cite, au nombre de ses actions les plus méritantes, la construction de l'église de Notre-Dame de la cité d'Auxerre, qui fut commencée de son vivant et probablement après l'incendie qui détruisit cette ville en 1023. Ce prélat se sentant malade, se retira au monastère de Saint-Germain, y prit l'habit de religieux, et mourut peu de temps après, le 4 novembre 1039. |
[1]
Albéric de Trois-Fontaines, D. Bouquet, t. XI, p. 203 B, 349 E.
[2]
Analecta Divion., Chron. de Saint-Bénigne, p. 188.
[3]
Le roi Robert s'était marié en 1004 Hugues avait dû naître en 1005, Henri en
1006 et Robert en 1007. L'Art de vérifier les dates fait naître Henri en
1005 ; les chroniqueurs font mourir Hugues, l'aîné, dans sa dix-neuvième année,
en 1025. Les frères qui suivent devaient donc avoir, en 1031 l'âge que nous
leur donnons.
[4]
Les grandes chroniques de France, éd. Paulin Paris, t. III, p. 175.
[5]
D. Bouquet, t. XI, p. 158 D, Chronicon Hugon. Floriac. monachi.
[6]
Les grandes chroniques de France, éd. Paulin Paris, t. III, p. 176.
[7]
Radulp. Glab., D. Bouquet, t. XI. pp. 158-159.
[8]
Miracula Sancti-Benedicti, éd. de M. de Certain, p. 245. D. Bouquet, t.
X, p. 212 C, A.
[9]
Gallia christiana, t. XII, p. 36 B.
[10]
Chronique de Saint-Pierre-le-Vif de Sens, Chronique de Saint-Marien
d'Auxerre.
[11]
D. Bouquet, t. X, p. 56 A. B.
[12]
D. Bouquet, t, X, p. 18 A, B, C., 209 C.
[13]
Dès 881, Betto, évêque de Langres, avait donné cette paroisse aux chanoines de
Saint-Etienne de Dijon. Fyot, pr., n° 117.
[14]
Fyot, pr., n° 71.
[15]
Gallia christiana, t. IV, col. 1058.
[16]
L'Art de vérifier les dates dit seulement qu'il se tint plusieurs
conciles en 1034, sans citer les localités. V. t. V, p. 92.
[17]
Chifflet, Lettre touchant Béatrix, pp. 187, 190. Ce document se termine
par ces mots : interfuit autem huic concilio Udulricus in re honorabilis
sacordos, in spe episcopus venerabilis. Odolric succéda en effet à
Burchard, archevêque de Lyon, qui présidait à ce concile, mais qui ne fut
qu'après 1034, ce qui nous autorise à placer cet événement entre 1032 et 1034.
[18]
Azelin ou Aganon avait été fait abbé de Moustier-Saint-Jean par le roi Robert.
Voir ce que nous en disons précédemment.
[19]
Duchesne, Hist. de la maison de Vergy, p. 66 ; Gallia christ., t.
IV, pr., pp. 77, 78 ; Dubois, Hist. eccl. de Paris, t. I, p. 642 ;
Saunier, Autun chrétien, p. 31.
[20]
Dalmace de Semur, qui devint le beau-père du Duc Robert, comme l'évêque de
Paris Azelin de Vergy, en sera l'oncle. Peut-être, au moment de cette charte,
le mariage était-il arrêté.
[21]
Walterius ou Galtherus peut être un Gauthier de Sombernon.
[22]
Est-ce un Renaud de Glane ou un Renaud de Chatillon ?
[23]
Azelin ou Humbert, le même qui donne la charte précédente avec l'assentiment du
Duc Robert, ce qui fait croire que l'époque du mariage le rapproche de cette
date de 1033.
[24]
Arch. de la Côte-d'Or, 1er cartul. de Saint-Etienne de Dijon ; Pérard, p. 70 ;
Fyot, pr. 388.
[25]
Analecta Divion., Chr. de Bèze, pp. 317, 318 ; D. Bouquet, t. XI, p.
482.
[26]
Arch. de la Côte-d'Or, cartul. de Saint-Jean de Semur, XVIe s., copie très
informe. L'acte ne peut être antérieur à 1030, ni postérieur à 1042.
[27]
Ce dernier nom doit être exact : nous trouvons dans un acte de 1042 parmi
les personnages un Cadelo, qui doit être le même, et sans doute le diminutif de
Kalo.
[28]
Arch. de la ville de Sens, Fonds Saint-Pierre-le-Vif, liasse 1 D. Bouquet, t.
XI, p. 566 ; Cartul. de l'Yonne, t. I, p. 168.
[29]
Bibl. nat., Fonds Moreau, t. 22, fol. 491, copie de Lambert de Barive.
[30]
Mille, Hist. de Bourg., t. III, pr., p. 3S6 et suiv. Ex schedis
Eustachii Davesne, D. Bouquet, t. XI, pp. 612, 613.
[31]
Humbert et Thierry ont déjà paru dans deux chartes précédentes, avec le Duc.
Ces personnages pourraient être aussi Humbert de Mailly et son fils Thierry,
qui vivaient à cette époque.
[32]
Gui le Riche ?
[33]
Renaud de Glane ou Renaud de Châtillon-sur-Seine.
[34]
Aldigerius, le même, je crois, qu'Ingelerius, échanson du Duc, et qu'Ulgerius,
qui parait en 1033 à la fondation du prieuré de Saint-Florent par le sire de
Til-Châtel.
[35]
Erard, vicomte, cité en 1032, ou Erard de Châtillon, cité en 1042.
[36]
Marcel Canat, Origines du prieuré de N.-D. de Paray, p. 35.
[37]
L'abbé Lebeuf, nouv. édit., t. I, pp. 259, 260.