HISTOIRE DES DUCS DE BOURGOGNE DE LA RACE CAPÉTIENNE

TOME PREMIER

 

CHAPITRE II. — LA BOURGOGNE SOUS LE ROI ROBERT (suite et fin) - 1015-1031.

 

 

Lambert de Vignory, évêque de Langres. — Le comté de Dijon cédé au roi Robert. — Conciles et assemblées. — Prise de possession de la Bourgogne. — La famille royale à Dijon, — Grand Concile d'Héry après l'incendie d'Auxerre. — Le roi à Avallon, Sens, Autun. — Débats pour la succession. — Mort d'Othe-Guillaume. — Lutte de son fils Renaud avec l'évêque Hugues de Chalon. — Mort de Landry. — Révolte des fils du roi. — Mort de l'évêque Lambert. — Robert installe Richard à sa place. — Mort du roi Robert.

 

Le roi Robert avait alors à défendre des intérêts autrement considérables en Bourgogne, où venait de mourir, le 31 janvier 1015[1], son plus tenace et son plus redoutable adversaire, l'âme de la résistance dans cette province : Bruno de Rouci, évêque de Langres. La nomination de son successeur avait une grande importance. Le roi tenait à y mettre un homme dévoué à ses intérêts, et il y installa Lambert[2] de Vignory, issu d'une des grandes familles baronales du Langrois, qui s'attacha plus étroitement dans la suite aux Ducs de la première race par des alliances et de hautes fonctions.

Le caractère doux et conciliant de ce prélat, sa corpulence énorme qui ne lui permettait pas une grande activité, devaient faciliter au roi l'accomplissement de ses projets. En effet, pendant cette année 1015 qui fut celle de son installation, l'évêque de Langres fit partie des conciles réunis pour le rétablissement de la paix et de la tranquillité, que tout le monde désirait en Bourgogne, sauf les usurpateurs qui, profitant des troubles et des maux du pays, s'étaient emparés des châteaux et des biens des églises.

On sait qu'il y eut à cette époque des conciles à Dijon, à Beaune[3] et ailleurs, mais à des dates qu'il est impossible de préciser. Ces réunions étaient faites à l'instigation de l'évêque d'Auxerre. Nous ne savons pas davantage les conventions qui y furent arrêtées et les traités qui s'en suivirent.

Il paraît seulement certain qu'il y eut arrangement entre les principaux auteurs de cette longue guerre, par suite des rapports que nous voyons plus tard établis entre eux. Le Duché de Bourgogne devait appartenir à Henri, second fils du roi Robert Renaud, fils d'Othe-Guillaume, devait épouser la fille du duc de Normandie Landry gardait son comté de Nevers, et on promettait en mariage à son fils Renaud, la princesse Adélaïde, fille du roi. Othe-Guillaume devait sa vie durant conserver la jouissance du comté de Dijon.

Le comté d'Auxerre, dont Landry s'était emparé ou qui l'avait reçu en dot en épousant la fille d'Othe-Guillaume, reçut des modifications profondes, ainsi que le fait judicieusement observer M. Challe, dans son Histoire de l'Auxerrois[4]. Ce comté fut morcelé et divisé en deux parties, car l'évêque Hugues, de Chalon, qui avait été le plus actif défenseur de la cause du roi Robert, recevait pour lui et ses successeurs évêques d'Auxerre, la moitié méridionale de ce pays, et y créait trois baronnies dont il récompensait ses auxiliaires et qui devaient relever de lui. C'était le fief de Donzy, dont il gratifiait son neveu Geoffroy de Semur le fief de Toucy, inféodé à son parent du côté de sa mère, Ithier de Narbonne ; le fief de Saint-Verain, dont il prit pour titulaire un autre de ses parents, Gibaud, venu lui aussi des provinces méridionales. La Puisaie était également divisée en trois châtellenies qui relevaient de l'évêque d'Auxerre, et l'on retrouve aux siècles suivants les descendants de ces premiers titulaires, encore en possession de ces châtellenies. L'évêque gardait de plus les fiefs relevant de son évêché. Landry avait 'le reste du comté d'Auxerre, la ville d'Auxerre et la partie nord de l'ancien comté du pays Auxerrois.

Il dut y avoir aussi un arrangement avec le comte de Champagne et des cessions de territoire, par suite des enclaves qui subsistèrent dans ces contrées sous la domination de ces comtes. Au milieu du onzième siècle, il y eut encore des modifications de détail après les guerres qui sont seulement indiquées par les chroniques, mais dont on ne connaît ni les causes, ni les résultats. Nous y reviendrons plus tard.

Les fils de cet Odo, vicomte de Beaune, qui avait été l'allié de Robert, furent toujours de l'intimité du roi c'était Jean de Marzy et Aganon ou Ascelin, qui fut mis à la tête de l'abbaye de Moustier-Saint-Jean[5]. C'est ainsi que Robert mit également à Saint-Pierre-le-Vif de Sens, l'abbé Ingon, son proche parent, après la mort de l'abbé Rainard[6].

Un acte d'une bien autre gravité est la cession de la propriété même du comté de Dijon, qui fut faite au roi par l'évêque de Langres. Il y avait longtemps que les rois de France avaient cédé cette propriété aux évêques, comme le prouvent les diplômes qui nous sont restés[7]. Les évêques avaient établi à Dijon des comtes, et ceux-ci des vicomtes pour leur servir de lieutenants. Aux neuvième et dixième siècles, les sires de Vergy en avaient été titulaires après la mort de Richard de Vergy, vers 946 ou 947, selon Vignier, Hugues de Beaumont, qui était sans doute son gendre[8], lui succéda. Létalde de Beaumont, mort en 1007, et petit-fils de Hugues, est le dernier comte de cette maison qui en ait exercé les fonctions, car Hugues II de Beaumont, oncle et héritier de Létalde, les sous-inféoda à Humbert de Mailly, l'un des grands barons de la province, et à son lieutenant ou vicomte Gui le Riche[9]. La lignée des sires de Beaumont se fond au siècle suivant par alliance avec les seigneurs de Vergy, comme on peut le voir sur le tableau généalogique que nous en avons dressé d'après des titres authentiques.

Il est supposable que la cession du comté de Dijon fut faite lors des assemblées pour la paix, dont nous venons de parler, mais dont les conventions ne nous sont pas plus connues que les négociations qui ont dû précéder ces traités, ou que, comme l'insinue l'auteur de la vie du prévôt de Saint-Etienne de Dijon, la cession de ce comté fut pour Lambert de Vignory le prix de son évêché de Langres[10]. En tous cas, depuis cette époque, le château de Dijon cessa d'appartenir aux évêques.

Ce comté de Dijon était un démembrement de l'ancien pagus ou comté d'Attouar[11], jadis gouverné par des comtes, dont le premier connu était Amalgaire, fondateur de l'abbaye de Bèze, duc de la Basse-Bourgogne, vers l'an 600. Le pagus d'Attouar comprenait à peu près, outre l'arrondissement actuel de Dijon, les cantons entiers de Saint-Jean-de-Losne et de Seurre, dans la Côte-d'Or ceux de Prauthoy, dans la Haute-Marne, et de Champlitte, Dampierre et Autrey, dans la Haute-Saône.

Le premier soin de Robert était de prendre possession de ce domaine, qui, par la position centrale qu'il occupait dans la province, devait lui assurer la soumission des contrées qui n'avaient pas voulu jusque-là reconnaître son autorité. C'est ce qu'il fit au commencement de l'année 1016. Il se rendit avec sa famille à Dijon pour en prendre solennellement possession. Un seul acte nous a été conservé de cet événement, mais il est important. C'est la confirmation de tous les droits, biens, privilèges et prérogatives qui avaient été précédemment accordés par les rois ses prédécesseurs à l'abbaye de Saint-Bénigne de Dijon. Ce diplôme est accordé, à la prière de Lambert, évêque de Langres, à Hugues, comte de Chalon, évêque d'Auxerre et avoué de Saint-Bénigne. Il nous montre la famille royale installée à Dijon, la reine Constance, ses fils Henri et Robert ; il cite les prélats qui les accompagnent : Othe, comte de Mâcon ; Rainaud, comte de Nevers ; Geoffroi, évêque de Chalon ; Ascelin, évêque de Noyon ; Béraud, évêque de Soissons. Il est daté du 25 janvier 1016[12], la vingt-huitième année du règne du roi Robert.

Il est à remarquer que Robert agit ici non comme Duc de Bourgogne, mais comme roi de France, qu'il prend au contraire possession du Duché au nom de son fils Henri, tunc duce, lequel était dans sa neuvième année, pendant que son frère Robert était âgé de sept ou huit ans seulement[13].

Ces observations à propos de l'âge des enfants de Robert auront plus tard leur importance, et nous serviront à écarter les anachronismes des historiens qui se sont laissés égarer par les récits confus et énigmatiques de Raoul Glaber et des chroniqueurs du temps.

Les dispositions conciliantes de l'évêque de Langres, qui promettaient pour la Bourgogne une paix prochaine, ne trouvèrent d'adversaires que parmi les seigneurs rebelles qui s'étaient saisis des châteaux et des biens qui ne leur appartenaient pas, et pour lesquels les troubles de la guerre offraient une occasion de vols et de brigandages[14].

Il est certain, en effet, que dans ces arrangements et parmi les témoins de la prise de possession, nous ne voyons pas apparaître les grands tenanciers féodaux de l'Auxois, du Duesmois, les sires de Thil, de Mont-Saint-Jean, de Salmaise, de Glane, etc., qui appartiennent à la maison de Vergy, pas plus que le chef de cette famille, Valon, ni son successeur, Humbert, qui était alors archidiacre de Langres et que la mort de ses parents mit à la tête de cette puissante seigneurie. Ce n'est qu'en 1030 que nous verrons ce personnage rallié à la cause royale, quand on lui donne l'évêché de Paris, dont il prit possession sous le nom d'Hézelin.

Vers cette époque, le roi se rendit à Rome[15], pour une cause qui ne paraît pas suffisamment connue, pendant que la reine Constance demeurait à Theil, près de Sens[16], avec Hugues, l'aîné de ses enfants. La dévotion fut-elle le seul motif de ce voyage ? La présence de la reine répudiée, Berthe, qui suivit le roi à Rome, put-elle faire supposer que celui-ci voulait la reprendre, comme on l'a dit ? Nous ne le savons. Il est certain qu'il y eut en ce moment des intrigues de palais, et qu'il se forma à la cour deux partis, dont l'un défendait Constance, que Robert n'aimait pas et appelait son inconstante Constance[17], l'autre qui soutenait Berthe. Landry, comte de Nevers, était celui qui conduisait ces intrigues avec le plus d'activité une chanson du temps, composée par un poète satirique du parti de Constance, et qui se chantait encore au milieu du douzième siècle[18], le représente comme un fourbe qui avait trouvé moyen de brouiller le roi et la reine, et qui après avoir joué les autres devait être joué à son tour[19].

Robert, pour assurer la tranquillité du royaume, choisit pour son successeur l'aîné de ses quatre fils, Hugues, qui avait onze ans, et le fit couronner à Compiègne, le jour de la Pentecôte, 9 juin 1017, en présence des archevêques de Reims, de Tours et de Sens, de neuf évêques, sept comtes et de nombreux seigneurs.

Trois diplômes marquent le passage de Robert en Bourgogne dans le courant de l'an 1019. Le 24 février il était à Sens, et ratifiait, à la demande d'Etienne, comte de Troyes, les biens du monastère de Lagny[20]. Il avait avec lui Hugues, son fils aîné, qu'il avait associé au trône, et ses deux autres enfants, Henri et Robert, qui eurent successivement le titre de Ducs de Bourgogne.

Quelques jours plus tard, nous retrouvons le roi à Autun[21], accompagné du comte Hugues de Chalon, évêque d'Auxerre ; de Baudry, évêque de Tournay ; de Thierry, évêque d'Orléans. L'abbé de Flavigny, Amédée, vint là pour lui rendre ses devoirs et le prier de donner à son abbaye la chapelle de Saint-Jean-l'Évangéliste bâtie dans la ville d'Autun, pour servir d'hospice aux religieux, attendu que cette chapelle était de fondation et de nomination royale. Cette faveur lui fut accordée, et l'évêque d'Autun, Gauthier, signa cette charte avec les prélats dont nous venons de parler[22].

Le roi ne revint pas de suite dans son royaume, et malgré le silence des chroniques et l'absence de documents, paraît avoir parcouru la Bourgogne, pour donner ordre aux affaires du Duché, et rallier à sa cause les seigneurs de la province qui auraient pu se tenir à l'écart, et que nous allons bientôt trouver en grand nombre réunis autour de lui à Autun.

Gauthier, évêque d'Autun, qui figure dans la pièce précédente, mourut moins de deux mois et demi après, le 9 mai 1019[23], et Helmuin, qui lui succède, parle de cette mort comme récente, lorsque Robert revient à Autun, probablement pour y installer le nouveau prélat.

L'évêque Gauthier avait résolu d'unir le monastère de Couches, situé dans son diocèse, à l'abbaye de Flavigny. Hugues de Chalon, évêque d'Auxerre, qui était pourvu de ce bénéfice y prêtait les mains, et désirait que la chose se fit, ne trouvant pas d'autre moyen de remettre cette maison dans ses anciennes pratiques d'observance. Helmuin en fit rédiger l'acte, aussitôt après la mort de son prédécesseur Gauthier, et profita de la présence du roi Robert, pour la lui faire signer, ainsi que tous ceux qui l'accompagnaient. C'est la première fois que nous trouvons cités autant de noms de prélats et de seigneurs, bien que la qualification de chacun d'eux ne soit pas suffisamment exprimée. Après le roi Robert, c'est d'abord l'évêque d'Auxerre, compagnon inséparable de ses pérégrinations en Bourgogne Lambert, évêque de Langres Geoffroi, évêque de Chalon Béraud, évêque de Soissons ; Gozelin, évêque de Mâcon ; Hugues, évêque de Nevers ; Hugues, abbé de Saint-Symphorien d'Autun ; Aganon, abbé de Moustier-Saint-Jean, fils d'Eudes, vicomte de Beaune et de Ingola Geoffroi, abbé de Saint-Martin d'Autun ; les abbés Herbert et Gui ; Armand et Anseise, l'un archidiacre, l'autre doyen d'Autun le prévôt Albuin. Parmi les seigneurs figurent Landry, comte de Nevers ; Othe-Guillaume, qui cette fois est désigné avec sa parenté et sa qualité de neveu de l'évêque Hugues de Chalon Thibaud de Chalon, neveu du même évêque Gérard de Semur[24] et une douzaine de personnages dont les noms de famille ne sont pas indiqués.

Cet acte d'union du prieuré de Couches à l'abbaye de Flavigny, fut passé, comme le précédent, la trentième année du règne du roi Robert, et écrit par un nommé Guillaume, remplaçant le chancelier Renaud. Il est assurément de l'an 1019 et probablement du mois de juin.

Le roi revint de là en France il confirma quelque temps après à Paris la restitution de diverses églises à celle de Chalon-sur-Saône, à la prière de Geoffroi, évêque de cette ville[25]. Hugues de Chalon, évêque d'Auxerre, Gozelin, évêque de Mâcon et Geoffroi, évêque de Chalon, se rendirent, le 29 août 1019, à la dédicace de l'église de Tournus et signèrent une charte en faveur de cette abbaye[26].

Une charte datée de Cluny indique à la même époque le passage de l'évêque Hugues de Chalon, lorsqu'il confirma aux religieux de ce monastère la possession du village de Gevrey dans le Dijonnais, dont la moitié leur avait été donnée par sa mère et l'autre moitié par sa sœur Mathilde, femme de Geoffroi de Semur. Les témoins sont le comte Othe, l'évêque Gozelin, Azelin, abbé de Moustier-Saint-Jean, Girard de Fouvent, etc.

Sur ces entrefaites Etienne comte de Troyes et de Meaux, étant décédé, Eudes, comte de Chartres et de Tours, s'empara, contre le gré du roi, de la Champagne et des domaines qui devaient échoir à la couronne.

L'année 1022 est signalée ainsi que les suivantes par des fléaux de mortalité qui ravagèrent toutes les provinces[27]. Les sécheresses et les chaleurs de l'été avaient perdu et anéanti toutes les récoltes la chaleur était si intense que l'on vit périr les animaux et les hommes[28]. Dans beaucoup de localités, il se tint des assemblées d'évêques, et on y conduisit les reliques des saints pour implorer la paix du ciel et demander la fin de ces calamités[29]. Il y eut un grand concile à Poitiers au sujet de la justice et de la foi catholique le roi accorda la permission de tenir d'autres assemblées dans diverses autres villes[30].

Il paraît supposable qu'une semblable réunion devait se tenir à Auxerre, mais que la ville et la cathédrale ayant été complètement brûlées en 1023[31], l'évêque organisa cette assemblée dans l'un des bourgs les plus importants de son diocèse, à Héry. Pareil cas s'était présenté pour Orléans, lors du concile qui devait y avoir lieu le 15 octobre 1018, et au sujet duquel Fulbert écrivit au roi pour le prier de contremander la cérémonie, parce que la ville venait d'être brûlée[32].

L'assemblée réunie à Héry, à laquelle assistèrent le roi Robert Gozelin, archevêque de Bourges Léotheric, archevêque de Sens Hugues de Chalon, évêque d'Auxerre Geoffroi, évêque de Chalon-sur-Saône[33] un grand nombre de prélats, d'abbés et de gens du peuple[34], n'eut pas lieu pour assurer la paix en Bourgogne entre le roi et Othe-Guillaume, paix qui était faite depuis longtemps, mais surtout, comme le dit Clarius[35], pour y faire certains règlements dans l'intérêt de l'Église, et réclamer du ciel l'apaisement des calamités et des fléaux dont le peuple était accablé. C'est là, comme le pense D. Bouquet[36], que fut interdit tout le Limousin et l'évêque même de Limoges.

Au concile d'Héry, que l'abbé Lebeuf[37] et ceux qui l'ont suivi, placent sept ou huit ans trop tôt, les religieux de Saint-Pierre-le-Vif de Sens amenèrent les reliques de saint Savinien ceux de Montierender, les reliques de saint Bercaire ceux de Châtillon-sur-Seine, les reliques de saint Vorles ; tous ces monastères, sauf celui de Saint-Germain d'Auxerre, y envoyèrent les châsses de leurs patrons.

L'historien de la vie de saint Bercaire[38] raconte, à propos de cette réunion, comment Landry, comte de Nevers, qui avait eu des difficultés avec les moines de Montierender, tenta de s'emparer des reliques de ce saint, en attaquant l'escorte qui les accompagnait sur les bords de l'Armançon, et se dirigeait sur Saint-Florentin.

En dehors des intérêts de l'Église et des malheurs du temps, qui amenèrent le concile d'Héry, on peut croire que les débats pour la succession de Champagne n'y furent pas étrangers car Eudes, comte de Blois et de Chartres, s'était d'abord emparé des États d'Etienne, son cousin, et en ce moment le roi Robert se préparait à envahir la Champagne, pendant que Foulques Nerra, son allié, prenait de nouveau les armes pour s'emparer de Tours[39]. Au milieu des maux de toutes sortes dont les peuples étaient accablés, une conflagration générale menaçait de s'étendre de la Touraine à la Champagne, en passant par le Nivernais et l'Auxerrois. Une conférence à Héry, sur les frontières des diocèses d'Auxerre, de Sens et de Troyes, avait sa raison d'être.

Après les arrangements divers et les conventions qui y furent faites, le roi Robert remonta en Bourgogne. Il était accompagné à Avallon des personnages qui avaient figuré dans ce concile, et notamment de Geoffroi, évêque de Chalon-sur-Saône. C'est à Avallon que le comte Othe-Guillaume et l'abbé de Saint-Bénigne de Dijon vinrent le rejoindre, pour lui faire signer les donations faites au monastère de Fructuare, au-delà des Alpes, de l'église de Saint-Martin de Beaune et de l'abbaye de Sainte-Marie de Chalon[40]. Ce diplôme est daté de l'an 1023, l'année trente-septième du règne du roi Robert, et fut écrit par son chancelier Baudoin. C'est sans doute à l'époque de ce voyage que le roi, pour adoucir les calamités que la guerre, l'incendie et la peste avaient déchaînées sur la province, prit à sa charge dans diverses villes, comme Auxerre, Avallon, Dijon, Sens, les soins de nourrir plusieurs centaines de pauvres.

On conviendra que la royauté était représentée d'une manière assez étrange en France, par ce roi assurément bon et charitable, mais dont la simplicité de cœur dépassait certaines limites humaines. Très assidu aux offices de l'église, faisant des prières et des génuflexions sans nombre, passant les nuits de fêtes sans dormir, couchant sur la terre, employant en pèlerinages les temps de carême, chantant au lutrin, enseignant aux autres les hymnes qu'il composait, atteint d'une superstition qui n'excluait pas des actes de barbarie ou d'une moralité douteuse tout le luxe de ce prince se déployait dans ces cérémonies religieuses et dans ces assemblées ecclésiastiques, si nombreuses sous son règne, que les chroniqueurs n'ont pas pris la peine de nous les mentionner toutes.

Pendant ce temps, la reine Constance ne prenait pas avec les années une humeur plus facile et plus accommodante. Elle menait le roi et voulait mener le gouvernement. Non contente de persécuter Robert et d'en faire son esclave craintif, elle se montrait d'une extrême dureté pour ses enfants, harcelait d'injures et d'outrages son fils aîné Hugues, l'associé au trône, lui refusait même l'argent nécessaire à ses besoins ; trouvant qu'il avait assez d'être logé, vêtu et nourri. Le jeune prince, ne pouvant supporter ce genre de vie, s'échappa de la cour, et se mit à vivre de pillage comme un brigand, avec quelques jeunes seigneurs de son âge. Le roi, indécis de la conduite qu'il devait tenir dans cette circonstance, prit les avis de divers personnages. Nous avons trois lettres de Fulbert[41] à ce sujet, par les conseils duquel il fit la paix avec son fils et lui donna satisfaction, en lui procurant le moyen de vivre suivant les honneurs de son rang. Mais Hugues survécut peu à cette réconciliation. Il fut emporté subitement par une maladie inconnue, dans sa dix-neuvième année, n'ayant encore que du poil follet[42], et mourut le 17 septembre 1025. On l'enterra dans l'église de Saint-Denis suivant les uns et suivant d'autres à Saint-Corneille de Compiègne[43].

L'abbé de Saint-Bénigne de Dijon sut, dans cette douloureuse circonstance, donner une nouvelle preuve d'amitié au roi il voulut lui porter lui-même ainsi qu'à la reine Constance des paroles de consolation et puiser dans la bonté de son âme le secret de tempérer les larmes arrachées par la mort prématurée d'un prince qui, malgré sa récente rébellion, donnait les plus grandes espérances, et auquel on promettait déjà le nom de Hugues-le-Grand, en souvenir de son aïeul.

Robert, sur l'avis de Fulbert, évêque de Chartres, résolut alors d'élever sur le trône, à la place du prince défunt, le puîné Henri, déjà Duc de Bourgogne mais la reine, par suite de la prédilection marquée qu'elle avait pour Robert, le dernier né, s'y opposa avec son sentiment de contradiction habituelle. Il y eut des intrigues de cour à ce sujet. Lorsque nous voyons les vœux de Robert pour son fils aîné ; les projets et les espérances de la reine Constance qui favorisait Robert, avec l'approbation de plusieurs évêques les incertitudes d'Odolric, évêque d'Orléans, qui, écrivant à Fulbert[44], hésitait entre le parti le plus sage à prendre, et qui voulait voir élever au trône celui des fils de Robert qui était le meilleur ; n'est-il pas clair que le droit de primogéniture n'était ni incontestable, ni encore reconnu en France pour la succession au trône, et que la loi salique n'avait alors aucune sanction ?

Pour cette fois, le vieux roi témoigna quelque énergie, et résista aux conseils de la reine, que l'évêque de Chartres, dans une lettre, ne craint pas d'appeler une couleuvre, et ce qui est plus piquant, dans une lettre au roi lui-même[45]. Il fallut se rendre aux désirs de Robert, le prince Henri fut couronné par l'archevêque de Reims, le 14 mai 1027, le jour de la Pentecôte.

Au sacre de Reims assistaient Eudes, comte de Champagne ; Othe-Guillaume[46], comte de Bourgogne, qui figure ici pour la dernière fois ; Lambert de Vignory, évêque de Langres Geoffroi, évêque de Chalon[47] ; Hugues de Chalon, évêque d'Auxerre ; Odillon, abbé de Cluny nombre de prélats et d'abbés[48].

C'est à l'époque de cette cérémonie, à Reims même, que l'évêque de Chalon, d'accord avec l'évêque d'Auxerre, lequel agissait ici comme suzerain du comté de Chalon, obtint du roi l'annexion à l'évêché de Chalon de l'antique abbaye de Notre -Dame-de-Losne, remontant au septième siècle et dont les domaines étaient assez considérables. Le pouvoir temporel prêtait la main dans cette circonstance au pouvoir spirituel, car l'évêque de Chalon pouvait n'être pas satisfait de voir dans son diocèse une abbaye indépendante de son autorité. Le nom du jeune Henri, qui paraît dans cette charte comme Dur : de Bourgogne, montre avec quel soin le bénéficiaire désirait se mettre à l'abri de toute revendication ultérieure. Et si l'évêque de Chalon avait rendu service au comte de cette ville, c'était un riche cadeau que ce dernier lui faisait obtenir[49].

Si l'annexion de l'abbaye de Losne à l'évêché de Chalon n'offrait pas de difficultés, et s'opérait sous des formes pacifiques, dans les monastères ayant plus de vitalité et où les religieux, jaloux de leurs prérogatives, se sentaient en force de les défendre, l'immixtion d'une autorité étrangère n'était pas sans péril. A Vézelay, l'abbé Hermann avait été ignominieusement chassé ainsi que les moines, et remplacé par un religieux de Cluny à l'instigation de Landry, comte de Nevers, et sans le consentement de l'évêque d'Autun. La vivacité de ce procédé ne paraît pas avoir trop affecté Guillaume, abbé de Saint-Bénigne, car il écrit dans le même temps[50] à Odillon, abbé de Cluny, pour lui donner avis du mécontentement de l'évêque d'Autun et de l'anathème lancé contre les envahisseurs, ajoutant qu'il avait pris sur lui d'ordonner à cet intrus, au nom de l'abbé de Cluny, de revenir le plus tôt possible, pour ne pas rester sous le coup des foudres ecclésiastiques. L'abbé Hermann put donc rentrer dans son monastère ; mais si l'insuccès de l'intrusion clunisienne dans les affaires de Vézelay a ici pour cause l'opposition de l'évêque d'Autun, les vaincus triompheront plus tard grâce à de multiples complicités.

Le 21 septembre de cette année 1027, le tombeau s'ouvrit pour le comte de Bourgogne, Othe-Guillaume[51]. Il ne fut point inhumé dans son comté on l'ensevelit à Dijon, dans ce monastère de Saint-Bénigne qu'il avait enrichi de ses aumônes, à côté de son fils Gui, qui l'avait précédé de quelques années dans la tombe.

Après lui, ses enfants se partagèrent la terre d’Outre-Saône. Rainaud, son fils, obtint le comté de Bourgogne, qui était la partie la plus considérable de ce patrimoine ; Othe, né de son second fils Gui, déjà titulaire du comté de Mâcon, dont son père avait joui, et qui devait demeurer plus de deux siècles en possession de ses descendants, reçut le ressort d'Auxonne et une partie de la contrée du Scoding[52].

Les autres enfants qu'Othe-Guillaume avait eus de sa femme Ermentrade de Rouci, veuve d'Albéric, comte de Mâcon, étaient, outre Renaud et Gui Bernon, archidiacre de Langres ; Mathilde, épouse de Landry, comte de Nevers ; Agnès, mariée à Guillaume le Grand, comte de Poitiers, puis en secondes noces à Geoffroi-Martel, comte d'Anjou et enfin Gerberge ou Gersende, qui portait le nom de sa grand'mère Cersende de Chalon et épousa Guillaume II, comte de Provence.

C'est ici qu'il faut placer, croyons-nous, la guerre entre le comte Renaud et l'évêque Hugues de Chalon, dont les chroniqueurs ne nous donnent pas la date exacte[53]. C'est en ce moment en effet, et peu après la mort d'Othe-Guillaume, que son fils Renaud put avoir des difficultés avec le comte de Chalon, soit parce que certains bénéfices avaient été concédés à vie seulement, lors des arrangements avec le roi Robert, soit parce que les domaines du Mâconnais, voisins du Châlonnais, pouvaient offrir quelque prétexte de revendications au comte de cette province. Ce qui est certain, c'est qu'à la suite de ces querelles, le comte Renaud était tombé par artifice entre les mains de Hugues de Chalon, évêque d'Auxerre, et qu'il avait été jeté en prison, chargé de chaînes. Le duc de Normandie, dont Renaud avait épousé la fille, envoya des députés à Hugues, pour le sommer de rendre la liberté à son gendre. Hugues ne tint aucun compte de ce message, et rendit au prisonnier la captivité plus sévère et plus dure encore. Le fils du duc de Normandie rassembla une armée et se dirigea sur la Bourgogne. Il s'empara d'un château en Franche-Comté, que l'on nommait Milinand[54]. Les Chroniques de Saint-Denis[55] disent : « Cil du chastel se tindrent, et cil dehors assalirent si fort, que le chastel fu pris, et ardirent tout, et famés et enfanz, et quanque il avoit dedenz ; mais s'en alèrent à Chalon, et gasterent devant eus toute la terre le conte Huon ; et quant il vit que il ne la porroit durer, il meisme prist une sele chevalière sor ses espaules, et vint devant Richarz l'enfant en priant merci humblement de son meffait. Lors rendi le conte Renaud, et dona bons ostages, que il iroit à Rœn au duc Richart pour faire l'amende à sa volenté. »

L'auteur du Roman de Rou et des Dues de Normandie[56], rapporte ce même épisode bien connu de soumission, qui s'appelait la selle chevalière :

Quant à Richard vint le quens Hue,

Une selle à son col pendue,

Son dos offri à chevauchier,

Ne se pot plus humilier.

C'en estoit cousturne en cel jour,

De querre merci à son seignour.

Un semblable outrage fut vers cette époque infligé à Guillaume de Belesme, lequel, ayant les pieds nus, portait une selle de cheval pour donner satisfaction à ses vainqueurs. Cette singulière façon de se soumettre humblement était du goût des ducs de Normandie[57].

Ces fâcheux événements paraissent avoir calmé un peu l'ardeur belliqueuse du vaillant évêque d'Auxerre, qui disparut pour un moment de la scène politique, frappé d'un tardif repentir. C'est quelque temps après que Hugues de Chalon se rendit à Rome, pour obtenir une absolution qui lui fut accordée par le pape, à la condition de faire un voyage à Jérusalem. C'est aussi à ce moment qu'il associa Thibaud de Chalon, son neveu et son successeur, au comté de Chalon.

Un des personnages les plus actifs de cette période tourmentée, Landry, comte de Nevers, mourut le 11 mai 1028[58], laissant de Mathilde, sa femme, fille d'Othe-Guillaume, cinq enfants connus : Renaud, l'aîné, recueillit l'héritage du comté d'Auxerre et de Nevers, dont il portait déjà le titre du vivant de son père ; Bodon ou Eudes, marié avec Adèle, comtesse de Vendôme ; Landry, Robert et Gui.

La reine Constance qui ne perdait jamais l'occasion de semer la discorde autour d'elle, qui avait brouillé ses fils Henri et Robert par les espérances qu'elle avait suggérées à ce dernier, ne tarda pas à les réconcilier par le commun ressentiment qui unit les deux frères contre les violences maternelles. Ils se jurèrent amitié, envahirent de concert les bourgs et les châteaux de leur père, et commencèrent à piller ses biens ; Henri prit le château de Dreux, Robert enleva Beaune et Avallon.

Le roi Robert, profondément affligé, leva une armée et s'avança en Bourgogne, où s'engagea une lutte pire que la guerre civile. Il prit conseil de Guillaume, abbé de Saint-Bénigne, qui l'engagea à employer les voies de douceur et de conciliation, persuadé que les princes n'avaient cédé qu'à un entraînement passager, et qu'un appel à leur conscience les ramènerait à la soumission. Il ajouta : « Vous devez vous souvenir, Sire, des injures et des opprobres que vous avez fait essuyer à votre père et à votre mère pendant votre jeunesse par la permission de Dieu, vous êtes traité par vos enfants comme vous avez traité vos parents[59]. » Le roi écouta patiemment ces observations et en reconnut la justesse il lit la paix avec ses fils, revenus à de meilleurs sentiments.

On peut croire que c'est h l'occasion de cette réconciliation que Robert et la reine Constance firent faire, pour les reliques de saint Savinien de Sens[60], une châsse enrichie d'or et de pierres précieuses. C'est le 25 août 1030 que le roi assista à Sens à la translation de ce saint, avec un concours considérable de seigneurs, d'évêques et d'abbés. Le chroniqueur Odoranne[61] assure que le roi et son fils Robert portèrent sur leurs épaules les reliques du saint, pour les déposer dans le lieu qui leur avait été préparé. Suivant le témoignage de ce même historien, le roi se disposait à rentrer à Paris, mais la mort de Lambert, évêque de Langres, arrivée peu de temps après[62], était un événement trop considérable pour qu'il pût en ce moment s'éloigner de la Bourgogne. La mort inattendue de ce prélat ne peut avoir eu pour cause que les fléaux et les épidémies qui ravageaient alors si cruellement la province, et lui firent perdre la moitié de ses habitants. Quelque temps auparavant, l'évêque Lambert avait fait la dédicace de l'église paroissiale de Dijon, et malgré les reproches qui lui furent adressés lors de son élévation à l'épiscopat, il a laissé les traces d'une bonne administration, et les preuves de sa bienfaisance envers plusieurs monastères, Saint-Etienne de Dijon, Saint-Bénigne, Bèze, Flavigny.

La nomination de son successeur avait une très grande importance, et le roi Robert ne voulut pas s'éloigner sans avoir arrêté ce choix. Il tenait à mettre sur le siège épiscopal de Langres une personne dévouée à ses intérêts comme avait été Lambert, et il choisit Richard, homme savant et de bonnes mœurs, paraît-il, mais qui fut repoussé par le clergé et le peuple du diocèse, de sorte qu'après plusieurs mois d'épiscopat, il fut chassé de la ville, et mourut, dit-on, empoisonné. On ne sait de cet évêque que ce que rapporte la Chronique de Saint-Bénigne[63], mais quant à cette fin tragique, il est supposable que la peste qui régnait alors fut un poison suffisant, sans aller chercher des causes plus dramatiques, qui étaient du reste dans les mœurs de l'époque.

On est assuré que le roi Robert passa en Bourgogne une partie du mois d'août et le mois de septembre en entier, de cette année 1030, et que c'est dans ce dernier mois que l'évêque Richard fut installé, car les personnages qui étaient à cette cérémonie, se trouvaient réunis à Argilly, au retour probablement, le 23 septembre[64]. Le roi, la reine Constance Geoffroi, évêque de Chalon-sur-Saône Hugues de Chalon, évêque d'Auxerre Helmuin, évêque d'Autun Renaud, comte de Nevers, y signent un diplôme de donation à l'abbaye de Saint-Hippolyte, sise dans le pays de Beaune. L'évêque Richard est nommé lui-même, et c'est le seul document dans lequel il apparaisse en cette qualité.

L'opposition qui s'était formée contre l'élévation de Richard à l'évêché de Langres, avait occasionné çà et là des résistances non seulement de la part du clergé, mais encore des seigneurs, de sorte que le roi profita de son séjour pour y veiller, et réduire par les armes les rebelles qui, profitant des troubles, enlevaient violemment le bien d'autrui, se construisaient des forteresses et des châteaux pour s'y réfugier et mettre en sûreté le fruit de leurs spoliations. Un seul fait marquant nous a été conservé de cette époque, c'est la prise et la destruction du château de Mirebeau[65]. Cette place était une des retraites de ces ravisseurs, et occupée probablement par un Guillaume de Mirebeau[66], qui vivait à cette date. Le siège eut lieu vers la fin de l'année 1030, ou au commencement de la suivante, car c'est là que le roi reçut un courrier qui lui apporta la nouvelle de la mort de Guillaume, abbé de Saint-Bénigne, décédé le vendredi matin, premier jour de janvier, dans l'abbaye de Fécamp[67].

Cet abbé, qui avait joué un rôle considérable dans les événements de l'époque, et auquel ses contemporains ont fait une auréole de sagesse et de vertu, fut remplacé à Saint-Bénigne par celui qu'il avait désigné comme le plus capable de lui succéder Halinard, fils de Garnier de Sombernon et d'Istiburge[68], et le beau-frère de cet Humbert de Mailly, qui avait une haute situation dans la contrée.

Il est facile de voir, par ce qui précède, que, malgré la prise de possession de la Bourgogne, nombre de seigneurs n'avaient pas encore désarmé, et n'avaient pas voulu faire leur soumission au roi Robert. L'un des plus puissants, Humbert, sire de Vergy et archidiacre d'Autun après l'avoir été de Langres, avait fondé en 1023[69] une collégiale dans son château sous le patronage de saint Denis il avait bien fait ratifier cette fondation par sa sœur Elisabeth, femme d'Othe, comte de Mâcon, et par ses enfants, mais il n'avait point voulu la soumettre à l'approbation du roi, avec lequel il ne paraît jusqu'alors dans aucun acte.

Robert, comprenant combien il était important de rallier à sa cause ce puissant seigneur, allié aux comtes de Mâcon et à toutes les grandes familles féodales de la province, l'investit de l'évêché de Paris, en 1030, après la mort de Francon, qui en était titulaire et chancelier de France. Humbert prit possession de son siège épiscopal sous le nom d'Hézelin, sous lequel nous le verrons désormais figurer avec le Duc dans toutes les circonstances solennelles.

En quittant la Bourgogne, le roi Robert passa une partie du carême à visiter les lieux consacrés par des saints, et qui étaient alors le but de pèlerinages Bourges, Souvigny, Brioude, Saint-Gilles, Castres, Toulouse, Conques, Aurillac et enfin Orléans, où nous le retrouvons aux fêtes de Pâques, ou mieux la veille de Pâques, le 11 avril. Il était à Melun les premiers jours de juillet et tomba malade, à la suite de ces fatigants voyages que ses soixante ans ne lui permettaient plus de supporter. Il mourut le 20 juillet 1031, un mardi, au lever de l'aurore[70]. « De ce siècle trespassa ce glorieux roy, en l'an de l'incarnation mil et trente et un et fut ensépulturé au cimetière des roys, en l'esglyse de Saint-Denys, qu'il avoit tant aimée et honorée[71]. »

C'est la seule oraison funèbre que lui firent les Chroniques de Saint-Denis, et la mort de ce roi très regretté et pleuré dans ses États, ne fit pas plus de bruit que sa vie dans le reste de la Gaule.

 

 

 



[1] Domini MXVI domnus episcopus Bruno obiit secundo Kal. februarii, peractis in episcopatu annis XXXV. Chr. de Saint-Bénigne, Analect. Divion., p. 174. La date de MXVI est évidemment erronée et c'est MXV qu'il faut lire, puisque la charte d'entrée du roi à Dijon où figure Lambert est du VIII Kal. februarii MXV (25 janvier 1015) et eut été antérieure à la mort de Brunon.

[2] Vita Garnerii ; Fyot, pr., pp. 58,59. — Pérard, pp. 124, 134.

[3] Bibl. histor. de l'Yonne, t. I, p. 389 D. Bouquet, t. X, p. 172 A, Gesta pontificum Autissiod.

[4] Pp. 100 et suiv. — Bien que nous ne partagions pas l'avis de M. Challe au sujet du concile d'Héry, où il suppose que furent arrêtées ces conventions. Le concile d'Héry n'eut lieu que quelques années plus tard, comme nous essaierons de le montrer.

[5] La liste des abbés de Moustier-Saint-Jean, donnée par le Reomaüs et par le Gallia christ. pour le commencement du XIe siècle, n'est pas exacte. Aganon ou Ascelin n'y est pas cité. Il parait cependant dans diverses chartes avec la qualification d'abbé, et deux fois seulement avec la désignation d'abbé de Moustier-Saint-Jean. C'est bien le même que Duchesne (Hist. de Vergy, p. 60) et la Chron. de Saint-Bénigne, Anal. Divion., p. 166, désignent sous le nom d'Aquion ou Ascelin, abbé, frère de Jean de Marzy.

[6] D. Bouquet, t. X, p. 224 A.

[7] Fyot, pr., n° 31, ex Cartul. capit. ecclesiœ Lingonensis. Diplôme de 889, du roi Eudes, où le prince dit, qu'à l'exemple de Louis-le-Débonnaire, de Charles-le-Chauve, de Charles-le-Gros, et des autres rois ses prédécesseurs, il confirme à Argrinus, évêque de Langres, la propriété de la cité de Langres et de la ville de Dijon.

[8] C'est d'autant plus probable que l'un des fils de Hugues de Beaumont est nommé Richard, comme son grand-père Richard de Vergy, et fut comme lui comte de Dijon. Voir Chr. de Saint-Bénigne, Anal. Divion.

[9] Ex vita domini Garnerii ; Pérard, pp. 124-134 ; Fyot, pr., n° 100.

[10] Ex vita domini Garnerii ; Pérard, p. 124 ; Fyot, pr., n° 100.

[11] D'après les recherches de M. Joseph Garnier, consignées dans les Chartes bourguignonnes (Paris, imp. roy., 1845), cette division territoriale est mentionnée pour la première fois en 783 (Pérard, p. 12), sous le nom de pagus Divionensis (p. 66), comme le pagus Oscariensis, autre dénombrement de l'Attouar et mentionné pour la première fois en 763 (Pérard, p. 10). V. Chartes bourguig., p. 70. — A l'époque de l'invasion bourguignonne, les nouveaux conquérants en détachèrent nos deux cantons actuels de Sombernon et de Saint-Seine, dont ils firent le pagus Magnimontis, ou de Mémont. Le Reomaüs (seu histor. monast. S. Joannis Reomaensis, p. 31) mentionne, dès le VIe siècle, cette nouvelle division territoriale. Plus tard, du pays d'Attouar fut détaché le pagus Oscarensis, ou pays d'Ouche, du diocèse de Chalon, comprenant en partie les cantons de Seurre et Saint-Jean-de-Losne, Auxonne, Genlis, Nuits, Gevrey et Dijon. A la même époque ; se détachait aussi de l'Attouar le pagus Divionensis, comprenant une partie des cantons de Dijon, Is-sur-Tille, Grancey.

[12] Nouveau style. Pâques était cette année le 1er avril. — D. Plancher, t. I, p. 257, cite encore quatre archidiacres, un vicomte Remy, deux prévôts, Jean et Técelin, et un chevalier Guy. Nous ne savons si dom Plancher a vu un document autre que celui-ci.

[13] Robert a épousé Constance en 1004 (D. Bouquet, t. X, S68, 211 C). — Hugues, leur fils aîné, a dû naître vers 1005, Henri vers 1006 et Robert vers la fin de 1006 ou en 1007.

[14] Ex vita domini Garnerii ; Pérard, pp. 124-134 ; Fyot, pr., n° 100.

[15] D. Bouquet, t. X, 303 N, A, 308 B, C. — Robert était assurément à Rome le jeudi 28 juin, veille de Saint-Pierre et Saint-Paul. Il déposa ce même jour une cédule sur l'autel. Les ecclésiastiques qui l'accompagnaient pensaient que c'était un présent de grand prix, mais c'était une hymne de sa composition.

[16] Odoranne de Sens, Bibl. hist. de l'Yonne, t. II, p. 397.

[17] Helgaud, ap. D. Bouquet, t. X, 102 E.

[18] Art de vérifier les dates, t. XI, p. 207.

[19] D'Arbois de Jubainville, Histoire des comtes de Champagne, t. I, p. 238.

[20] D. Bouquet, t. X, p. 602 Mabillon, De re diplomatica, p. 581 ; d'Arbois de Jubainville, Hist. des comtes de Champ., t. I, p. 465 ; Bibl. de Châtillon-sur-Seine, Cartul. de Flavigny, p. 462 et p. 505.

[21] Le roi qui était à Sens le 21 février, aurait été à Autun le 27 suivant, c'est-à-dire trois jours après, tertio Kalendas martii ; c'est bien court. Il peut y avoir erreur. Toutefois l'année MXVIII 3st formellement indiquée dans les deux pièces, c'est-à-dire 1019 (nouv. st.) puisque Pâques n'était cette année que le 6 avril. Autre confusion dans la chronologie, qui variai suivant les localités ces deux pièces de MXVIII portent, à Sens, la XXXIIe année du règne du roi Robert, et à Autun, la XXXe.

[22] Il y a des variantes pour la fin de cette pièce que nous donnons aux preuves, et qu'après Labbe et Mabillon, nous avons comparée sur le manuscrit de la Bibl. de Chatillon-sur-Seine. L'une de ces variantes porte à la fin : Ego Robertus, Dux Burgundionum, propria manu firmavi. Cette fin a intrigué Mabillon (Ann., t. IV, p. 257) qui a pu penser qu'alors, en 1019, Robert avait pu prendre le titre de Duc. Remarquons que Robert n'a que onze ans. Nous croyons qu'à son avènement, il n'a fait que donner une ratification des donations faites par son père, et que cette addition n'a été faite qu'à ce moment.

[23] Gallia christiana, t. IV, col. 378.

[24] Nous ne savons si ce Gérard est le fils d'Arlebaldus de Semur qui, en 992, souscrit une charte en faveur de l'abbaye de Flavigny, à la suite du comte Landry, et avant Aimo, comte d'Auxois, puis une charte de 1002, où ces personnages se trouvent dans le même ordre. Cela parait probable. Ces seigneurs de Semur-en-Auxois, de la même famille que les sires de Semur-en-Brionnais, avaient une situation presque aussi élevée que les comtes d'Auxois, leurs parents.

[25] D. Bouquet, t. X, pp. 602, 603. Autre contradiction pour les années de règne, qui est la 32e du roi Robert à Sens, la 30e à Autun et la 34e à Paris.

[26] D. Bouquet, t. XI, p. 112 B, N.

[27] D. Bouquet, t. X, p. 231 B.

[28] D. Bouquet, t. X, p. 201, D, 376 A, 193 D, 283 E.

[29] D. Bouquet, t. X, p. 233 N, C, 378 D, E, 379 A.

[30] D. Bouquet, t. X, p. 233 G.

[31] D. Bouquet, t. X, p. 172, 271 A, N.

[32] D. Bouquet, t. X, p. 45S E, 484 B.

[33] Comparer le diplôme de 1023, dans lequel il est dit que Geoffroy était à ce concile.

[34] Il n'est pas question de seigneurs laïcs dans la chronique de Clarius (Bibl. hist. de l'Yonne, t. II, p. 502), non plus que dans le Gesta Pontificum Autissiod. Bibl. hist. de l'Yonne, t. I, p. 388.

[35] Bibl. hist. de l'Yonne, t. II, p. 502.

[36] T. X, Index chronolog., col. 433.

[37] L'abbé Lebeuf, Histoire d'Auxerre, t. I, p. 253, nouv. édit., place ce concile en l'an 1015 ; Mabillon, Annal, benedict., t. IV. p. 267, en l'an 1020 D. Bouquet, t. X, p. 375 B, C, en l'an 1022. La teneur du diplôme du roi Robert, qui est de la fin de 1023 ou du commencement de 1024, indique bien que ce concile doit être de fort peu antérieur à cette date, concilio nuper Ariaci habito. Il semble même à peu près certain que les évêques se rendirent directement de là à Avallon, avec le roi Robert. Les assemblées de ce genre étaient si fréquentes, qu'il n'est pas permis d'éloigner cette réunion de la date de la charte précitée. Ce qui est certain et ce que nous pouvons prouver, c'est que ce concile, magnus conventus, comme l'appelle Clarius, ne peut être antérieur à juin ou juillet 1019 ni postérieur au 24 mars 1024, année dans laquelle tombait Pâques de 1023.

[38] Promptuarium sacrorum antiquitatum Tricassinœ, p. 108, 109 ; Duchesne, t. IV, p. 145. ex miraculis sancti Bercharii abbatis Derviensis. Voir encore D. Bouquet, t. X, p. 375 E ; ex miraculis sancti Veroti presbyteri, apud Bollandianos, XVII junii, p. 385.

[39] V. M. d'Arbois de Jubainville, Histoire des comtes de Champagne, t. I, p. 253 et suivantes.

[40] Les donations faites en Bourgogne à l'abbaye de Fructuare sous l'inspiration de Guillaume, abbé de Saint-Bénigne, sont postérieures au troisième voyage que cet abbé fit en Italie. Une bulle du pape. Jean XVIII confirme une donation de Gauthier, évêque d'Autun, IV Non. Decembris MXVI (10 décembre 1016). Ughelli, Italia sacr., t. III, p. 356. — Lambert de Vignory, évêque de Langres, donne une charte pour Fructuare, tertio Id. Januarii MXVII (30 janvier 1018). — Guichenon, Bibl. Sebus., p. 306. Il n'y avait pas encore de donations à Fructuare dans le diocèse de Chalon avant juin ou juillet 1019, car tous les personnages qui figurent ici se trouvaient à cette date réunis avec le roi Robert à Autun, et n'auraient pas manqué de profiter de sa présence pour lui demander sa ratification. D'autre part, la charte est antérieure au 24 mars 1024, et les termes de cette pièce font croire qu'au concile d'Héry, il avait été question de cette donation, qui n'avait pu être signée, parce que l'abbé Guillaume ou le comte Othe-Guillaume n'étaient pas présents à ce concile.

[41] D. Bouquet, t. X, p. 488 C, D. Ces lettres sont des années 1023-1025.

[42] D. Bouquet, t. X, pp. 169, 277.

[43] Glaber Radulp. ; D. Bouquet, t. X, p. 228.

[44] D. Bouquet, t. X, p. 504.

[45] D. Bouquet, t. X, p. 480 D, E, n.

[46] Nous croyons, avec Mabillon, qu'il s'agit ici d'Othe-Guillaume, comte de Bourgogne, qui mourut peu après, et non de Guillaume, duc d'Aquitaine, comte de Poitiers, qui était opposé au couronnement du prince Henri et qui ne dut pas assister à son sacre.

[47] D. Bouquet donne, t. X, p. 481 C, une lettre de Fulbert, évêque de Chartres, à Geoffroy, évêque de Chalon, dans laquelle il annonce qu'il il se rendrait au sacre, malgré l'état de ses forces, s'il n'était effrayé de la cruauté de la reine, que l'on peut croire quand elle promet du mal ; en conséquence, il prie l'évêque de Chalon de vouloir bien le remplacer dans cette cérémonie.

[48] Charte en faveur de l'abbaye de Montierender. — Arch. de la Haute-Marne, Cartul. de Montierender, t. I, fol. 34, 35 ; Ed. D. Bouquet, t. X, p. 614.

[49] Gallia christiana, t, IV, Instrum. ecclesiœ Cabill., p. 227, ex autographo ; D. Bouquet, t. X, p. 612.

[50] Annales bénédictines, t. IV, p. 453. On peut voir la traduction de cette lettre et les développements qu'elle comporte dans le beau travail de notre excellent ami Aimé Chérest, qu'il a modestement appelé : Étude sur Vézelay (3 vol., Auxerre, 1863).

[51] Guillaume, abbé de Saint-Bénigne de Dijon, écrivit à ce sujet à Odillon, abbé de Cluny. La lettre qui nous est conservée est celle dont il est plus haut question à propos de l'expulsion des moines et de l'abbé de Vézelay. V., outre l'Etude sur Vézelay, de M. Aimé Chérest, D. Bouquet, t. X, p. 505.

[52] Ed. Clerc, Hist. de Franche-Comté, t. I, p. 252.

[53] Cette guerre ne peut, en tous cas, être antérieure à l'an 1024, ni postérieure au 26 mars 1028 (nouv. style).

[54] Milinandum, Guill. de Gemetic., D. Bouquet, t. X, p. 190 A, B ; Milinandum castrum apud Alpes. Rob. de Monte, D. Bouquet, t. X, p. 270 C. — Melinende, Chron. de S.-Denis, D. Bouquet, t. X, p. 309 E, 310 A.

[55] D. Bouquet, t. X, pp. 309, 310.

[56] D. Bouquet, t. X, p. 310. N.

[57] D. Bouquet, t. X, p. 191, Chron. de Guillaume de Jumièges.

[58] Art de vérifier les dates, t. II, p. 207, édit. de 1818. Duchesne met à tort cette mort en 1015.

[59] Glaber Rad. ; D. Bouquet, t. X, p. 40 A, B, 568 B ; t. XI, 566 C, N.

[60] D. Bouquet, t. X, p. 168 C, N.

[61] Ex chron. Odoranni senon. D. Bouquet, t. X, p. 168 C, N.

[62] Kalendas septembris, dit la Chron. de S.-Bénigne, Analecta Divion., 1873, p. 178.

[63] Chon. de S.-Bénigne, Analecta Divion., 1875, p. 178 ; D. Bouquet, t. X, p. 280 D, 51 B.

[64] D. Bouquet, t. X, p. 624.

[65] Pérard, p. 127. — Vita domini Garnerii. Chron. de Bèze, Anal. Divion., p. 316, 317.

[66] M. Boudot, Géographe historique du canton de Mirebeau, p. 3, travail très consciencieux et fait avec des documents originaux. Mirebeau est un chef-lieu de canton de l'arrondissement de Dijon.

[67] Glaber Radulph., Vita S. Guillelmi, CXXIX ; De Levis, Opera S. Willelmi notœ ; Migne, Patrolog., t. CXLI, p. 838 ; Analect. Divion., Chron. de Bèze, p. 317 ; D. Bouquet, t. II, p. 174 C, D ; 210 B, 221 D, 324 A, 382 D, 371 N, A.

[68] Comparer la charte de 1020, Pérard, p.175 ; Chifflet, Genus illustre, p. 518 ; D. Plancher, t. I, pr. XXXIV où Warnerius (de Sombernon) et Istiburga figurent, et cette indication du nécrologe de Saint Bénigne de Dijon qui a passé inaperçue (Chifflet, Genus illustre S. Bernardi, p. 520) : XI Kal. novembris obiit Istiburgis, nostra amica, mater abbatis nostri (hæc est uxor Warnerii Sombernionensis). Ailleurs le Gallia christ., t. IV, art. S. Ben. dioc. Ling., dit seulement que le père de l'abbé Halinard était du diocèse de Langres et que sa mère appartenait au diocèse d'Autun.

[69] Duchesne, Histoire de la maison de Vergy, pr., p. 65.

[70] D. Bouquet, t. X, p. 574 Radul. Glaber, Helbaldi Flor. epitome vitœ Roberti regis. Il y a erreur dans la Petite chron. de Saint-Julien-de-Tours, qui place cette mort au mois de décembre.

[71] Les grandes chroniques de France, éd. Paulin Paris, t. III, p. 173.