|
Ce n'est pas sans une certaine appréhension et sans un sentiment profond de notre insuffisance, que nous commençons la rédaction de l'histoire des Ducs de Bourgogne de la première race. Les corporations seules pouvaient consacrer le temps suffisant à la préparation d'un tel ouvrage. Lorsque tant de congrégations, après d'immenses recherches, après avoir péniblement réuni de nombreux matériaux, n'ont pu achever leurs travaux, comment espérer d'être plus heureux Au milieu de ces chroniques du onzième siècle, si confuses, si laconiques, parfois si contradictoires ; à travers celte période si pauvre en documents, comment ne pas reculer tout d'abord devant la témérité de l'entreprise Ne peut-on craindre d'être accusé de présomption, quand Raoul Glaber, écrivain de la première moitié de ce siècle, qui vivait en Bourgogne, qui avait fait des recherches pour la composition de son histoire, qui pouvait trouver bien d'autres éléments de travail aujourd'hui perdus, après avoir nommé le pète et le grand-père de Hugues Capet, s'excuse ingénument de ri avoir rien découvert avant eux, parce qu'au-dessus de ces générations, il ne trouvait qu'obscurité et confusion. Il est vrai que cent ans plus tard, Albéric de Trois-Fontaines se vante fort d'avoir trouvé le grand-père du roi Robert, sans pouvoir remonter plus haut dans l'échelle généalogique de la dynastie Capétienne. La difficulté de la tâche ne nous a point arrêté, et sans craindre le reproche d'avoir donné un livre trop hâtif et pas assez mûri, nous avons résolument commencé la mise en œuvre des matériaux recueillis pendant bien des années dans les fonds inexplorés de nos archives, et dans les manuscrits de ceux qui avant nous avaient entrepris ce travail ingrat de défrichement. D'autre part des amis zélés nous encourageaient nous pressaient, en nous rappelant que la durée de la vie d'un homme est limitée, que les facultés intellectuelle s'émoussent, que la puissance de travail s'affaiblit avec l'âge, que les entreprises littéraires ne trouvent point d'héritiers, et que quand de semblables recherches ne sont pas perdues après celui qui les a faites, rarement elles servent à d'autres. Pour moi, je me rappellerai toujours avec bonheur les jours d'été, pendant lesquels enfermé dans un vieux monastère perdu dans les bois, au milieu d'une église transformée en bibliothèque, encombrée de parchemins et de cartulaires copiés de toutes parts, je venais compulser, comparer, remuer tous ces souvenirs du moyen âge. En me promenant sous les arcades de ce cloître solitaire, j'ai pris immédiatement les faux airs d'un moine de l'ordre des bénédictins — un moine sans l'habit — un bénédictin moins les tendances. Qu'on pardonne à l'auteur de consacrer à ces vieux murs, qui n'ont d'intérêt que pour lui, le souvenir de ï hospitalité reconnaissante, et de laisser échapper quelques paroles de sentiment, dans un travail qui en comporte si peu. Lorsque l'on a vu de près, et que l'on a vécu par la pensée ait milieu de ces générations barbares du moyen âge, comme on se félicite de n'être plus de leur époque l Combien nos passions sont moins redoutables que les leurs et si cette société peut encore éveiller la curiosité de l'histoire, comme elle mérite peu d'exciter nos regrets L'ouvrage dont on donne les premiers volumes est un de ceux que l'on consulte quelquefois, mais qu'on ne lit jamais. On y recherche l'exactitude des faits, non la mise en scène des personnages. Pour ce genre de livres, la forme brillante et l'allure du style ne sauraient compenser l'absence de valeur du fond ; et c'est au bon mouvement imprimé aux études historiques que l'on doit depuis un certain nombre d'années la publication de matériaux neufs, destinés à jeter une nouvelle lumière sur les périodes obscures ou inconnues de notre passé. On n'écrit plus pour raconter seulement, mais pour prouver : ad probandum. C'est par ce judicieux esprit d'investigation que l'histoire tend de nos jours à se rajeunir, et à rectifier des erreurs répercutées d'âge en âge, et passées à l'état de vérité. En bornant les recherches aux Ducs de Bourgogne de la première race, on trouve un assez large cadre à remplir, puisqu'il comprend la période qui s'étend du commencement du onzième siècle jusqu'à la mort de Philippe, de Rouvre, en 1361, c'est-à-dire plus de trois siècles et demi de nos annales Bourguignonnes annales assez peu connues, car dom Plancher, dans un ouvrage considérable, mais fait dans l'intérêt des bénédictins Clunisiens, à l'exclusion des Cisterciens, n'a pu trouver que cent trente pages pour la chronique des sept premiers Ducs qui se succèdent pendant deux siècles. Aux preuves qui forment la partie la plus utile pour les chercheurs, nous ne donnerons jusqu'à la fin du douzième siècle que des pièces rigoureusement inédites[1], en choisissant parmi les plus importantes celles qui sont relatives à la famille ducale et aux grands officiers. A partir de 1200, les documents deviennent si abondants, que l'on est obligé de se borner à un catalogue d'actes, sauf quelques-uns qui méritent d'être donnés en entier. Si l'étendue de cette publication permettait de plus grands développements, on pourrait citer quelques chartes françaises comprises dans quatre de nos cartons séparés et dont la plus ancienne remonte à 1214. On a recherché autant que possible les versions originales qui abondent dans nos dépôts publics ; car, malgré les dilapidations dont les archives de province ont été l'objet à diverses époques, les fonds ecclésiastiques sont encore riches en documents originaux et inédits. On n'a pas cru devoir négliger certaines copies fautives ou incomplètes, mais précieuses parce qu'elles sont uniques, et qu'elles peuvent apporter quelque fait nouveau à la série des pièces connues. La collaboration des savants archivistes qui ont bien voulu apporter leur concours à cette publication, n'empêchera pas d'inévitables fautes dans les copies, dont les provenances si éloignées et si diverses ne faciliteront pas un nouvel examen au moment de la correction des épreuves. Les chercheurs et les érudits, habitués à la patience, tiendront compte de ces difficultés matérielles et se montreront indulgents pour une œuvre poursuivie avec persévérance. Nous croyons indispensable de donner tout d'abord un aperçu des fonds d'archives qui ont été plus particulièrement mis à contribution dans ces recherches, facilitées aujourd'hui par la concentration de nos richesses diplomatiques dans chacun des chefs-lieux de département. Nous sommes loin des temps où ceux qui entreprenaient de semblables travaux étaient obligés à de longs et pénibles voyages à travers les provinces, et allaient frapper à la porte de tous les monastères, pour interroger des archives qui ne s'ouvraient pas toujours au gré des visiteurs. Il est également utile de rendre hommage aux œuvres patientes, aux savantes recherches de ces hommes studieux et modestes, intrépides chercheurs du passé, qui se sont succédé depuis deux ou trois siècles. Ces savants sont nos premiers maîtres. Si plusieurs d'entre eux ont pu voir une partie de leur travail imprimé, d'autres nous ont laissé les matériaux qu'ils avaient laborieusement amassés ; un certain nombre moins heureux n'ont laissé que le souvenir d'une vie consacrée à l'étude, et leurs papiers, tombés dans des mains ignorantes, ont été perdus pour la science. |
[1] On nous a engagé à faire exception pour 20 ou 30 pièces du roi Robert et du premier Duc Robert, à cause de la rareté des documents de cette époque.