LES FRANÇAIS EN ITALIE DE 1494 A 1559

 

CHAPITRE V. — LE ROI CHEVALIER.

 

 

SOMMAIRE.

Le rosier des guerres. — Campagne de 1515. — Les Suisses. — Marignan.

 

LE ROSIER DES GUERRES.

 

Nous travaillons en vain, ce gros garçon gâtera tout !

Avait dit Louis XII de son cousin, François d'Angoulême, l'héritier de sa couronne[1].

 

Cependant jamais règne ne commença sous de plus heureux auspices.

Le nouveau roi, dans tout l'éclat de ses vingt ans, était de belle taille, bien proportionné de membres, beau de face, avec une telle majesté au visage que tout en lui ressentait de la grandeur royale. Eloquent au possible, homme de bon discours, il prenait un singulier plaisir à ouïr les hommes rares parler devant lui ; à leurs raisons il ajoutait souvent les siennes, si pertinentes que la plupart admiraient sa gentillesse et sa subtilité[2].

Mais c'était surtout de la guerre que François Ier aimait à s'entretenir, avec les merveilleux capitaines[3] qui l'avaient dirigé dans ses premières campagnes, en Navarre contre les Espagnols, en Picardie contre les Impériaux et les Anglais.

 

Les dernières négociations de Louis XII semblaient au nouveau roi autant d'humiliations, dont il fallait tirer une prompte vengeance ; aussi employait-il les heures de repos que lui imposaient les fatigues de la chasse, ou les horions reçus dans les tournois[4], à étudier, dans le traité de Machiavel[5], les devoirs d'un roi belliqueux.

Admirateur de Louis XI, qui avait eu bien raison, disait-il, de mettre les rois hors de pages, il savait par cœur les maximes du Rosier des guerres[6], que le général de Montlhéry avait rédigé pour ses successeurs.

 

Voici les principales de ces maximes :

Celui-là est digne d'être chevalier, qui a l'œil ouvert, la tête droite, la poitrine large, les bras gros et carrés, le cou gros, les doigts longs, le ventre petit, les reins larges, les cuisses et les pieds nerveux et durs ; on doit, dans un chevalier, rechercher la force plutôt que la grandeur de la stature.

Il est rare qu'on puisse férir bons coups d'épée ou de hache, quand on n'a appris qu'à tenir la plume, l'aiguille ou le rasoir[7].

Le chevalier doit avoir sens, force, hardiesse, loyauté et exercice de son art.

Sens de chevalier fait plus pour la victoire que multitude de gens ou force des combattants.

Quand on jette dard en la bataille[8], le chevalier ; par sa hardiesse, vient courant et saillant ; il ébahit la pensée et les yeux de ses adversaires, et les navre avant qu'ils se soient mis en garde ou qu'ils se soient préparés à se défendre.

Le loyal chevalier n'est pas corruptible ; il aimerait mieux mourir que de servir en rien les ennemis du royaume ou faire une vilaine fuite.

C'est pillard et non chevalier qu'il faut appeler celui qui, ordonné pour la garde et la défense du droit commun et bien payé de ses gages, vit nonobstant sur le commun.

 

Quant au prince :

Il n'a pas au monde de moyen plus sûr pour défendre son bien que d'être aimé de ses gens ; le plus épouvantable c'est d'en être craint.

Celui qui veut être craint doit se tenir en garde contre ceux qui le craignent ; sinon il se met en péril. Mais, pour être aimé, il faut aimer soi-même.

 

Le prince doit, de ses mains, bailler les gonfanons et bannières en la plus triomphante manière.

Tous ses capitaines doivent savoir garder et conduire l'armée, mettre aux champs les pavillons[9], surveiller, de jour et de nuit, les environs de l'ost, disposer et échelonner les batailles.

Le prince doit être partout à la fois, tantôt ici et tantôt là, mais ne s'exposer de sa personne qu'en cas de nécessité.

Bien garder les villes assiégées par l'ennemi.

 

On ne doit pas batailler pour avoir guerre, mais pour gagner pays.

 

Le prince qui veut mener sainement son armée doit :

1° Prendre par écrit les chemins ou passages les plus courts et les plus sûrs, et noter les dangers qu'on peut courir en les parcourant, avec les remèdes à l'encontre ;

2° Se servir des meneurs et des guides connaissant les voies ; les surveiller pour les empêcher de trahir, en les menaçant de mort si l'on doute d'eux, et en leur promettant riche récompense s'ils mènent bien ;

3° Être assisté de bons et loyaux conseillers, usités et accoutumés d'armes et de batailles ;

4° Laisser ignorer où il veut aller ; plus le conseil sera tenu secrètement et mieux l'entreprise réussira ;

5° Mettre l'élite de ses gens de guerre dans l'endroit qu'il croira le plus périlleux ;

6° Avoir, dans chaque bataille, des coureurs et chevaucheurs bien montés et loyaux ;

7° Tenir l'armée bien rangée et ordonnée par batailles, de manière que si l'ennemi survient à l'improviste, il la trouve en bonne ordonnance et toujours appareillée de combattre ;

8° Savoir s'il dispose de plus de cavalerie que d'infanterie ou réciproquement, et quelle est la plus grande force de l'armée ; se rappeler que c'est en plein champ que les gens de pied combattent le mieux.

 

Le prince connaîtra, comme tout bon capitaine, les cinq manières de former une troupe en bataille.

La première, en ligne longue et étroite ; ce qui n'est bon que pour défendre un port (passage) ;

La seconde, en carré ; c'est la pire ;

La tierce, en manière de force ou de tenaille ; c'est la meilleure ;

La quatrième, en écu ;

La cinquième, en cercle.

Pour bien juger de la formation à choisir, on considérera l'artillerie des deux partis.

 

Sept choses donnent l'avantage à la guerre :

1° Un bon ordre de bataille et la supériorité en artillerie et en gens de guerre ;

2° La position ;

3° Les circonstances atmosphériques : le vent, la pluie, le soleil, avantageux ou contraires ;

4° La connaissance qu'on a de l'approche de l'adversaire avant d'être attaqué ;

5° Être reposé et repu ;

6° Avoir concorde et amour entre soi ;

7° Savoir, peu ou prou, les projets de l'adversaire.

 

Les occasions favorables pour une attaque sont :

1° Le moment où l'ennemi est lassé de cheminer ;

2° Quand il passe une rivière ; qu'il est engagé dans un défilé ou embourbé en terrain marécageux ;

3° Quand il gravit une montagne ;

4° Quand il a le soleil, la poussière et le vent dans les yeux ;

5° Pendant qu'il dort ou qu'il se repose ; à la condition que les troupes qui attaquent soient reposées elles-mêmes et qu'elles aient mangé.

 

Si on est bien appareillé, prêt et ordonné, et si l'on surprend l'adversaire avant qu'il ait ordonné ses batailles, alors il se trouble, il hésite ; et c'est la moitié de la victoire que d'avoir troublé son ennemi avant le combat.

 

En résumé, il faut faire ce qui est profitable aux siens et nuisible à l'adversaire. Coutume[10] aide plus en bataille que vertu ; mais souvent lieu[11] aide plus que vertu, et vertu plus que multitude.

Un petit nombre de gens bien avisés est plus digne d'avoir victoire que grande multitude rude et sans enseignement.

Art et sagesse valent mieux que puissance[12].

 

CAMPAGNE DE 1515.

 

Pour entreprendre, à son tour, la conquête du Milanais, François Ier était assisté des bons et loyaux conseillers que prescrivait Louis XI ; mais, outre les gens bien avisés qu'il avait, en grand nombre, il disposait de 60.000 hommes et de 30.000 chevaux.

C'était la plus nombreuse armée qu'un roi de France eût réunie depuis Bouvines, et cette armée devait trouver en Italie de vaillants alliés.

Venise, menacée par les Espagnols, appelait les Français et leur assurait un renfort de 16.000 soldats aguerris, commandés par le célèbre Alviano. Gênes promettait d'ouvrir ses portes à François Ier, en haine du duc de Milan.

Cependant Maximilien Sforza avait formé une nouvelle ligue avec l'empereur Maximilien, le roi d'Espagne Ferdinand le Catholique et le pape Léon X.

Pendant que l'armée de cette ligue se concentrait à Plaisance, sur le Pô, 20.000 Suisses venaient s'établir à Suse, au débouché des cols du mont Genèvre et du mont Cenis, afin de fermer aux Français les seules routes qu'on eût suivies jusqu'alors pour pénétrer en Piémont.

 

Lyon avait été désigné comme point de rassemblement de l'armée française.

Le duc de Gueldre et Robert de la Mark, seigneur de Sedan, y avaient conduit 26.000 lansquenets ; la fameuse bande noire, reconstituée par le capitaine Tavannes et portée à 6.000 combattants, était le corps d'élite de cette infanterie allemande.

Pedro Navarro, le glorieux vaincu de Ravenne, devenu Français par vengeance contre Ferdinand le Catholique qui @ l'avait accusé de lâcheté, avait amené de Navarre, de Biscaye et de Gascogne, 10.000 gens de trait.

Il était venu le même nombre d'aventuriers français, sous les capitaines Georget, Bonnet et Maulevrier.

Le grand maître de l'artillerie, Jacques Galiot de Genoilhac, avait réuni à Lyon 72 gros canons et plus de 300 pièces légères, avec un nombreux matériel à la mode française, qu'escortaient 2.500 pionniers, outre les artillers.

 

François 1er arriva à Lyon le trois août 1515, avec le connétable Charles de Bourbon[13], les trois maréchaux de France, Lautrec, Trivulce et La Palice, et un magnifique cortège de princes, de grands seigneurs et de capitaines illustres[14].

La maison du roi, la noblesse volontaire et la gendarmerie formaient une force irrésistible de plus de 3.000 armures de fer, suivies d'un grand nombre de pages, d'archers et d'arbalétriers à cheval. 1.500 chevau-légers devaient faire le service d'éclaireurs et les reconnaissances.

 

De Lyon, cette armée alla, par différents chemins, se concentrer à Grenoble et à Briançon.

Mais, au moment de franchir le pas de Suze, François Ier apprit que le passage était gardé par les Suisses, et que Prosper Colonna, avec 700 cavaliers pontificaux, se tenait en embuscade aux environs de Saluces, se flattant de prendre les Français comme pigeons en cage.

 

PASSAGE DES ALPES (août 1515).

 

Cette prétention piqua l'amour-propre des capitaines français.

Un chasseur de chamois offrit de les guider à travers les défilés, qui mènent d'Embrun à la source de la Stura par la vallée de Barcelonnette.

Le roi fit faire la reconnaissance de ces défilés par le maréchal de Lautrec et par Pedro Navarro. Pour de tels hommes, il n'y avait pas d'entreprise impossible ; le sentier proposé fut déclaré praticable, et Navarro se chargea d'y faire passer l'artillerie.

 

L'armée était divisée en 3 corps :

L'avant-garde avec les pionniers, sous le connétable de Bourbon ;

La bataille, commandée par le roi ;

L'arrière-garde, sous le duc d'Alençon.

Elle traversa la Durance à Embrun et se dirigea, par Guillestre, vers le col de l'Argentière, pour descendre dans le marquisat de Saluces.

Une colonne de cavalerie, commandée par le maréchal de La Palice, ayant avec lui Bayard, Aubigny, Montmorency et Himbercourt, couvrit le flanc gauche de l'armée du côté du pas de Suze et suivit, par Briançon, Sestrière et la Roque-Epervière, un sentier où jamais cheval n'avait passé.

 

En même temps Aymar de Prie, débarqué à Gênes avec quelques troupes légères, enrôlait 4.000 bourgeois, et tenait tête au détachement suisse qui opérait dans les Alpes liguriennes.

 

Le passage des Alpes par le col de l'Argentière fut un prodige d'audace et de persévérance. Depuis Annibal, on n'avait pas vu une armée jeter un pareil défi à la nature.

Pendant cinq jours, l'infanterie française, allemande ou gasconne se prodigua sous la direction de Pedro Navarro. Des ponts furent jetés sur les abîmes, la poudre fit sauter des rochers énormes ; les soldats traînèrent leurs canons avec des câbles et les hissèrent de cime en cime ; les trois corps principaux de l'armée se trouvèrent réunis, le 15 août, dans le marquisat de Saluces[15].

Le même jour, le détachement de La Palice surprenait dans Villefranche, sur le Pô supérieur, Prosper Colonna et ses 700 cavaliers italiens, qu'il l'obligeait à mettre bas les armes[16].

Ce coup d'audace déconcerta les Suisses ; ils abandonnèrent leur camp de Suze, se retirèrent à Novare et de là à Milan.

 

LES SUISSES EN 1515.

 

Le gros de l'armée française marcha de Turin à Verceil, sans rencontrer de résistance.

Un corps de 8.000 hommes occupa toute la partie cispadane du Milanais, pendant qu'Alviano, posté à Lodi sur l'Adda, observait, avec 16.000 Vénitiens, les 20.000 Espagnols ou Italiens qui campaient sous les murs de Plaisance.

François Ier, maître de Novare et de Pavie, essaya d'acheter la retraite des Suisses, afin d'éviter à Milan les ravages d'un siège.

La négociation semblait facile. Les défenseurs du Saint-Siège n'avaient pas reçu la solde promise par le pape et par le roi d'Espagne ; ils étaient mécontents, et répondaient aux sermons frénétiques du cardinal de Sion :

Pas d'argent, pas de Suisses !

Leurs capitaines, gagnés par les agents français, s'apprêtaient déjà à évacuer la Lombardie, lorsqu'un nouveau corps de 20.000 montagnards, avides de pillage et de butin, descendit de Bellinzona. Les nouveaux venus criaient bien haut que les lansquenets du roi n'oseraient pas les regarder en face, et que les piques des vainqueurs de Novare auraient raison des gendarmes de France, c'est-à-dire des lièvres armés, qui avaient tant joué de l'éperon à Guinegatte.

L'honneur français était en jeu : le roi et ses capitaines se préparèrent à combattre.

Ils vinrent prendre position à Melegnano (Marignan), sur le Lambro, afin de séparer les Suisses, réunis a Milan, de l'armée de Cardona, et dé donner la main aux Vénitiens du camp de Lodi.

 

Le 13 septembre, l'armée campait sur deux lignes en avant de Melegnano, au bord de la Vahabia, petit affluent canalisé du Lambro.

En première ligne, la plus grande partie des lansquenets étaient établis des deux côtés du droit chemin de Milan à Rome ; ils avaient à leur droite les bandes françaises et gasconnes ; à leur gauche, une partie de la gendarmerie.

Au centre, la maison du roi et le reste de la gendarmerie bivouaquaient en arrière du parc d'artillerie. Galiot de Genoilhac avait placé ses canons en avant du front de bandière, le long de la rive droite du canal.

En deuxième ligne, les lansquenets de la bande noire gardaient le bagage.

 

Il était trois heures du soir ; le roi faisait asseoir à sa table Alviano, venu de Lodi pour prendre ses ordres, lorsqu'il entendit les trompettes sonner l'alarme dans le camp français.

Fleurange entra au même moment et lui apprit, qu'étant allé escarmoucher aux portes de Milan en compagnie du comte de Sancerre, il avait vu 24.000 Suisses sortir de la ville avec 8 pièces de campagne, et que cette armée, conduite par le cardinal de Sion, s'avançait, en trois colonnes, à l'attaque du camp royal.

 

Grâce à l'activité du connétable de Bourbon, des maréchaux de France et du grand-maître de l'artillerie, les Français prirent promptement leurs dispositions défensives, pendant qu'Alviano s'éloignait, au galop de son cheval, pour aller chercher du renfort.

 

Seigneur Barthélémy, lui avait dit le roi, tout en revêtant son armure, je vous prie d'aller en diligence faire marcher votre armée, et de venir le plus tôt que vous pourrez, soit de jour, soit de nuit, où je serai ; car vous voyez quelle affaire j'en ai ![17]

 

La bataille dura deux jours et, au dire du maréchal Jean-Jacques Trivulce, toutes celles qu'il avait vues dans sa longue carrière étaient jeux d'enfant au prix de celle-là.

François Ier, qui combattit pendant vingt-huit heures au premier rang comme général ou comme soldat, a adressé à sa mère, Louise de Savoie, un récit juvénile et coloré de ces deux journées mémorables ; c'est pour l'histoire militaire une bonne fortune, dont nous profitons en citant la lettre tout entière.

 

Marignan (13 et 14 septembre 1515).

Madame, afin que vous soyez bien informée du fait de notre bataille, je vous avise que hier, à une heure après midi, notre guet, qui était sur les portes de Milan, nous avertit que les Suisses se jetaient hors de la ville, pour nous venir combattre[18].

Laquelle chose entendue, je tins nos lansquenets en ordre, c'est à savoir en trois troupes : deux de neuf mille hommes et la tierce d'environ quatre mille qu'on appelle les enfants perdus de Pierre de Navarre, sur le côté des avenues, avec les gens de pied de France et les aventuriers[19].

L'avenue, par où venaient lesdits Suisses, étant un peu serrée, il fut impossible de placer nos gendarmes comme en plein pays[20] ; ce qui nous cuida mettre en grand désordre.

De ma bataille[21] il j'étais à un trait d'arc des deux troupes de ma gendarmerie ; à mon dos mon frère d'Alençon avec le demeurant de son arrière-garde[22], et notre artillerie sur les avenues[23].

Les Suisses étaient en trois troupes : la première de 10.000, la seconde de 8.000, et la tierce de 10.000 ; je vous assure qu'ils venaient pour châtier un prince, s'il n'eût été bien accompagné.

D'entrée de table qu'ils sentirent notre artillerie tirer, ils prirent le pays couvert[24].

Le soleil commençait à coucher, de sorte que nous ne leur fîmes pas grand mal pour l'heure avec notre artillerie. Je vous assure qu'il n'est pas possible de venir en plus grande fureur ni plus ardemment.

Ils trouvèrent les gens de cheval de l'avant-garde par le côté, et lesdits hommes d'armes chargèrent bien et gaillardement. Le connétable, le maréchal de Chabannes, Himbercourt, Theligny, Pont-de-Rémy et autres qui étaient là furent reboutés sur leurs gens de pied.

La grande poussière aussi bien que la nuit qui venait empêchaient qu'on ne se pût bien voir ; il y eut quelque peu de désordre[25].

Mais Dieu me fit la grâce de venir sur le côté de ceux qui les chassaient un peu chaudement, et il me sembla bon de les charger.

Je vous promets, madame, que pour bien accompagnés et si gentils galants que soient les Suisses, deux cents hommes d'armes que nous étions en défîmes bien quatre mille et les repoussâmes assez rudement, leur faisant jeter leurs piques et crier : France ![26]

Laquelle chose donna haleine à nos gens. Avec ceux qui me purent suivre, nous allâmes trouver une autre bande de huit mille hommes, laquelle, à l'approcher, cuidions que fussent lansquenets, car la nuit était déjà bien noire. Toutefois quand on vint à leur crier : — France ! — je vous assure qu'ils nous jetèrent cinq à six cents piques au nez, nous montrant bien qu'ils n'étaient pas nos amis.

Nonobstant furent-ils chargés et remis en dedans de leurs tentes ; de telle sorte qu'ils laissèrent de poursuivre les lansquenets.

La nuit était noire et, n'eût été la lune qui aidait, nous eussions été bien empêchés de nous connaître l'un de l'autre.

Je m'en allai jeter dans l'artillerie, et là, rallier cinq ou six cents hommes d'armes, de telle sorte que je tins ferme à la grosse bande des Suisses.

Cependant, mon frère le connétable rallia tous les piétons français et quelque nombre de gendarmerie, et fit une charge si rude, qu'il en tailla cinq ou six mille en pièces, et jeta cette bande dehors ; et nous, par l'autre côté, fîmes jeter une volée d'artillerie à l'autre bande, et aussitôt les chargeâmes, de sorte que nous les emportâmes, et leurs fîmes repasser un gué, qu'ils avaient gagné sur nous[27].

Cela fait, nous ralliâmes nos gens et retournâmes à l'artillerie ; mon frère le connétable alla sur l'autre coin du camp. Les Suisses se logèrent si près de nous qu'il n'y avait qu'un fossé entre deux.

Toute la nuit nous demeurâmes à cheval, la lance au poing, l'armet à la tête, et nos lansquenets en ordre pour combattre[28].

Pour ce que j'étais le plus près de nos ennemis, il m'a fallu faire le guet ; de sorte qu'ils ne nous ont point surpris le matin.

Il faut que vous entendiez que le combat du soir dura depuis les trois heures d'après-midi jusques entre onze heures et minuit, que la lune nous faillit.

On a fait une trentaine de belles charges, et croyez, Madame, que nous avons été vingt-huit heures à cheval, l'armet à la tête, sans boire[29] ni manger.

Au matin, une heure avant jour, nous prîmes place autre que la nôtre, laquelle sembla bonne au capitaine des lansquenets ; et l'ai mandé à mon frère le connétable, pour soi tenir par l'autre avenue, et pareillement l'ai mandé à mon frère d'Alençon qui au soir n'avait pu venir.

Dès le point du jour que nous pûmes voir, je me jetai hors du sort avec deux gentilshommes, qui m'étaient demeurés du reste du combat, et j'envoyai quérir le grand maître[30], qui se vint joindre à moi avec environ cent hommes d'armes.

Cela fait, messieurs les Suisses se sont jetés en leur ordre[31] pour essayer encore la fortune du combat.

Comme ils marchaient hors de leur logis, je leur fis dresser une douzaine de coups de canon qui les prirent au pié, de sorte qu'au grand trot ils retournèrent en leur logis.

Là, ils se mirent en trois bandes. Comme leur logis était fort[32], et que nous ne les en pouvions chasser, ils me laissèrent à mon nez huit mille hommes et toute leur artillerie, et ils envoyèrent les autres deux bandes aux deux coins du camp : l'une, à mon frère le connétable, l'autre, à mon frère d'Alençon.

Celle qui fut au connétable fut vertueusement reculée par les aventuriers français de Pierre de Navarre ; elle fut repoussée et taillée en grand nombre.

Des Suisses, cinq ou six mille se rallièrent ; mais ils furent défaits par autant d'aventuriers, avec l'aide du connétable, qui se mêla parmi eux avec quelque gendarmerie.

A cette heure-là, arriva Barthélemy Alviano[33] menant la bande des Vénitiens gens de cheval, qui tous ensemble les taillèrent en pièces. Moi, j'étais vis-à-vis les lansquenets de la grosse troupe ; nous bombardions l'un et l'autre avec les Suisses[34] : c'était à qui se délogerait. Nous avons tenu butte huit heures à toute l'artillerie des Suisses, laquelle, je vous assure, a fait baisser beaucoup de têtes.

A la fin, il se détacha, de cette grosse bande qui était vis-à-vis de moi, cinq mille hommes, lesquels renversèrent quelque peu de nos gendarmes, qui chassaient les gens que mon frère d'Alençon avait rompus.

Ces cinq mille Suisses vinrent jusqu'aux lansquenets, qui les recueillirent si bien à coups de hacquebute, de lance et de trait, qu'il n'en réchappa la queue d'un ; car tout le camp vint à la huée s[35] vers ceux-là et se rallia sur eux.

Après cela, nous fîmes semblant de marcher aux autres, lesquels se mirent en désordre, laissèrent leur artillerie et s'enfuirent à Milan[36].

De vingt-huit mille Suisses qui là étaient venus, n'en réchappa que trois mille qui ne fussent morts ou pris ; des nôtres, j'ai fait faire la revue et n'en trouve qu'environ quatre mille.

Le tout, je prends, tant d'un côté que d'un autre, à trente mille hommes.

La bataille a été longue et a duré depuis hier, les trois heures d'après-midi, jusques aujourd'hui deux heures, sans savoir qui avait perdu ou gagné, sans cesser de combattre ou de tirer l'artillerie, jour et nuit ; et vous assure, Madame, que j'ai vu les lansquenets mesurer la pique aux Suisses, la lance aux gendarmes ; et ne dira-t-on plus que les gendarmes sont lièvres armés, car, sans point de faute, ce sont eux qui ont fait l'exécution ; et ne penserai point mentir en disant que, par cinq cents et par cinq cents, il ait été fait plus de trente belle charges, avant que la bataille fût gagnée.

Et, tout bien débattu, depuis deux mille ans en ça, n'a point été vue si fière ni si cruelle bataille ; ceux de Ravenne disent que ce ne fut au prix qu'un tiercelet.

Le Sénéchal d'Armagnac[37], avec son artillerie, peut bien oser dire qu'il a été cause en partie du gain de la bataille, car jamais homme n'en servit mieux et, Dieu merci ! tout fait bonne chère.

Je commencerai par moi et mon frère le connétable, par MM. de Vendôme, de Saint-Pol, de Guise, le maréchal de Chabannes, le grand maître M. de Longueville. Il n'est mort de gens de renom qu'Himbercourt et Bussy, qui est à l'extrémité ; et c'est grand dommage de ces deux personnages.

Il est mort quelques gentilshommes de ma maison, que vous saurez bien sans que je vous le récrive. Le prince de Talmont[38] est fort blessé, et vous veux assurer que mon frère le connétable et M. de Saint-Pol[39] ont aussi bien rompu bois que gentilshommes de la compagnie, quels qu'ils soient. Je parle des gens, comme celui qui a vu.

Ecrit au camp de Sainte-Brigitte, le vendredi quatorzième jour de septembre 1815.

FRANÇOIS.

 

En résumé, c'est à l'artillerie et surtout à la gendarmerie que François Ier attribue sa victoire.

Il a raison. Les lansquenets, abusés par le mot trahison, qui a couru dans leurs rangs, ont reculé devant les Suisses ; il a fallu, pour les rassurer, que le roi chargeât plusieurs fois en personne, à la tête de sa maison. Cependant ces braves lansquenets, des bords du Rhin pour la plupart, — Français de cœur, parmi lesquels les Alsaciens d'aujourd'hui comptent plus d'un ancêtre, — ont vaillamment réparé leur premier échec. Pendant la terrible veillée de cette nuit sanglante, ils sont venus, un à un, se rallier autour de leurs enseignes, près du canon sur lequel le roi s'est endormi, et, au matin, c'est par une charge générale qu'ils ont préparé la victoire.

 

Les avenues que suivaient les trois colonnes suisses, offraient à l'artillerie française un but facile ; mais la gendarmerie ne pouvant se déployer en haie comme à l'ordinaire, chargea par escadrons de cinq cents, et renouvela plus de trente fois ses charges meurtrières !

Le souvenir de Novare et de Guinegatte et le terrible surnom de lièvres armés lui firent braver toutes les fatigues. Le premier jour, elle chargea jusqu'à minuit ; le reste de la nuit, elle fit le guet, à cheval, la lance au poing ; le lendemain elle recommença sans relâche, jusqu'à l'arrivée du renfort promis par Alviano.

 

C'est ce renfort qui obligea les Suisses à la retraite. Sans le dévouement et la promptitude d'Alviano, sans sa cavalcade hardie, qui menaça inopinément le flanc gauche des Suisses, les deux sanglantes journées n'auraient peut-être pas eu de résultat décisif.

Ce fut, au contraire, une éclatante victoire qui assura le premier rang à l'armée française, 'au début de la grande querelle européenne où le roi l'avait engagée.

 

François Ier avait noblement gagné ses éperons sur le champ de bataille ; c'est sur le champ de bataille qu'il voulut se faire armer chevalier de la main de Bayard[40].

 

Au point de vue tactique, Marignan est le dernier grand jour de la lance et de l'armure de fer ; désormais le canon de campagne va devenir l'ultima ratio regum, mais cette bataille de géants mérite bien la place d'honneur qu'elle a prise, entre Bouvines et Rocroy, dans les fastes de la monarchie française.

 

 

 



[1] Il l'avait fait élever aux études dans le collège de Navarre, à Paris ; et, bien que François n'y eût pris qu'une très médiocre teinture de la langue latine, néanmoins le peu qu'il savait lui donnait un grand goût des sciences, particulièrement de l'astronomie, de la physique, de l'histoire naturelle et de la jurisprudence. Il avait auprès de lui les plus habiles gens de son royaume, qui s'entendaient à lui faire des discours méthodiques de ces belles connaissances ; le plus souvent, durant son dîner, quelquefois à la promenade ou dans son cabinet. Il profita si bien de leurs entretiens, qu'il devint aussi habile que ses maîtres. (Mézeray, Histoire de France.)

[2] Jean Rabel, Histoire de François Ier.

[3] Louis XII eut de son temps les meilleurs capitaines qu'eut jamais roi de France depuis les 12 pairs de Charlemagne. (Brantôme.)

[4] Le 29 novembre 1514, mon fils courant en lice aux Tournelles, fut blessé entre les deux premières jointes du petit doigt, environ 4 heures après midi. (Journal de Louise de Savoye.)

[5] C'est une nécessité pour un prince de se donner tout entier à l'étude de la guerre. En temps de paix, il doit tenir ses soldats en haleine et se livrer à la chasse. Cet exercice, en l'habituant à la fatigue, lui apprendra l'assiette des lieux, la pente des montagnes, les entrées et les issues des vallées, la largeur des plaines, la nature des cours d'eau et des marais ; de cette façon, il connaîtra, non-seulement son pays et la manière de le défendre, mais encore les autres pays qu'il a intérêt à connaître ; car les collines, les vallées, les plaines, les rivières et les marécages de la Toscane, par exemple, ont une certaine ressemblance avec ceux des pays voisins, Bien connaître une province, c'est apprendre le terrain en général.

Cette étude est le premier devoir d'un bon capitaine ; c'est celle qui lui apprend à reconnaître l'ennemi, à établir son camp, à diriger son armée, à livrer les batailles ou à assiéger les villes. Lorsque Philopœmen voyageait avec ses amis, il s'arrêtait souvent pour leur demander :

— Si l'ennemi était sur cette colline, et que notre armée fût ici, qui aurait l'avantage de la position ?

— Comment pourrions-nous aller à l'ennemi et l'attaquer dans les formes ?

— Par où nous retirerions-nous en cas d'échec ?

— Comment poursuiverions-nous en cas de succès ?

Il examinait tous les cas qui peuvent se présenter à la guerre, recueillait les avis et donnait le sien avec toutes les raisons à l'appui. De cette façon, quand il faisait la guerre, il ne lui arrivait jamais rien qu'il n'eût prévu.

Un prince doit encore nourrir son esprit en recueillant dans l'histoire les actions des grands capitaines, les causes de leurs victoires et de leurs revers. C'est ainsi qu'Alexandre a imité Achille, César Alexandre et Scipion Cyrus. (Le Prince.)

[6] Le manuscrit de Louis XI fut imprimé in-folio par ordre de François Ier, en 1523, sous le titre Rosier historial de France. Le président d'Espagnet en a donné l'édition la plus connue. (Paris. Nicolas Buon, 1616.)

[7] Ceci était sans doute une épigramme de Louis XI à l'adresse de son barbier Olivier le Daim, qui tranchait du gentilhomme depuis qu'il avait été ambassadeur à Gand.

[8] Contre les gens de trait ou de canon.

[9] Établir le camp.

[10] L'expérience.

[11] La position topographique.

[12] Tout l'avantage de la guerre ne git pas en multitude de légions d'hommes armés, mais seulement en sûre conduite des sages capitaines, droite exécution de preux soldats et vigoureuse défense de juste querelle. (Discours de La Trémoïlle, rapporté par Jean d'Auton.)

[13] Fils de Gilbert de Montpensier, descendant direct du sixième fils de saint Louis, Robert comte de Clermont et sire de Bourbon ; il avait épousé, en 1505, sa cousine Suzanne de Beaujeu, fille du duc Pierre II de Bourbon, gendre de Louis XI.

[14] Les ducs d'Alençon et de Vendôme, Claude de Lorraine, seigneur de Guise, Bayard, Himbercourt, Aubigny, Béarn, Bussy d'Amboise, La Clayette, Sancerre, Fleurange, etc.

[15] Après cinq jours d'efforts et de fatigues inouïs, la nature sauvage des Alpes fut aussi glorieusement domptée par les Français qu'elle l'avait été autrefois par le grand Annibal ; le troisième jour, l'armée coucha sur les sommets de la grande chaîne qui sépare la vallée du Rhône de celle du Pô et la France de l'Italie ; le quatrième jour, elle atteignit Argentière et la source de la Stura ; le cinquième enfin, elle descendit dans les plaines de Saluces, après avoir surmonté autant de périls pour descendre que pour monter. (Henri Martin, Histoire de France, liv. XLVI.)

[16] Colonna était à table et dînait ; ses serviteurs lui crièrent :

— Levez-vous, seigneur Prosper, voici les Français en grosse bande qui sont déjà en cette porte.

— Alors le seigneur romain cria :

— Enfants ! gardez cette porte un petit que nous soyons accoutrés pour nous défendre.

Laquelle chose fut faite. Mais le noble Bâtard, d'un côté fit combattre ses gens à la porte du logis, et par les autres écheller les fenêtres ; il entra dans la chambre le premier, bien armé, et cria :

— Seigneur Prosper, où êtes-vous ? Rendez-vous, ou vous êtes mort !

En disant cela, la porte était gagnée el les Français entraient en grande presse. Quand Colonna vit que la maison était déjà pleine, il cria :

— Seigneurs français, qui est votre capitaine ?

— C'est moi, seigneur, répondit Bayard.

— Votre nom, capitaine ?

— Seigneur, je suis Bayard de France, et voici le seigneur de La Palice, les seigneurs d'Aubigny et Himbercourt, la fleur des capitaines de France !

— Or, je me rends, dit le seigneur Prosper, car j'ai été bien surpris ! (Symphorien Champier, Vie et gestes du chevalier Bayard.)

[17] Fleurange, chap. L.

[18] Les Suisses s'avancèrent dans la plaine en trois corps massifs, leur artillerie, au centre, sur la grand'route. Les bannières d'Uri sous les landammans Imhof et Puntiner, celles de Schwytz sous Kœtzi et Fleckle, d'Unterwalden sous Fluenz, de Zug sous Schwarzmourer, de Glaris sous Tschudi et des Grisons sous les deux Salis, formèrent la colonne du centre ou le corps de bataille. Zurich sous le bourgmestre Roist et Schafthouse sous Ziegler, formèrent l'aile droite ; Lucerne sous l'avoyer Hertenstein et Bâle sous les conseillers Offenburg et Meltinger, formèrent l'aile gauche.500 volontaires sous Werner-Stein, de Zug, étaient à l'avant-garde. Marchant en échelons réguliers sur un front peu étendu, ces masses refoulèrent tout devant elles. (F. Lecomte, colonel fédéral suisse, Études d'histoire militaire ; Lausanne, Chantrens. 1870.)

[19] Charles de Bourbon commandait l'avant-garde ; c'était un droit de sa charge de connétable. Il disposait de la plus grande partie de l'artillerie légère, d'une moitié de la gendarmerie, de 4.000 lansquenets et de 8.000 piétons français.

[20] Les compagnies d'ordonnance, groupées en deux masses, étaient formées en presse ; l'une à l'aile gauche de l'avant-garde, l'autre à l'extrême gauche de la première ligne de bataille. On ne pouvait pas trouver de plus mauvais terrain pour la cavalerie : les avenues étaient bordées de fossés profonds, un canal longeait le front de bandière du camp, et des vergers, garnis de vignes rampantes, rendaient impossible toute manœuvre d'ensemble.

[21] Le roi commandait en personne le corps de bataille, formé de 9.000 lansquenets et de sa maison.

[22] 9.000 lansquenets. A la première alarme le duc d'Alençon se porta en ligne pour former l'aile gauche de l'armée française, ce qui était le rôle ordinaire de l'arrière-garde.

[23] Galiot de Genoilhac avait disposé sa grosse artillerie derrière des épaulements protégés par des abatis.

[24] C'est-à-dire les vergers. Le connétable de Bourbon avait si bien disposé son artillerie à l'avant-garde que les Suisses y perdirent contenance ; car comme ils tournaient, l'artillerie tournait aussi, les séparant et les étonnant de telle façon qu'ils ne savaient plus ce qu'ils faisaient ni où ils en étaient. Depuis son invention, l'artillerie ne fit oncques autant d'ouvrage que depuis midi jusqu'à la même heure le lendemain. (Pasquier Le Moyne.)

[25] Les lansquenets voulurent faire une hardiesse et passer le canal pour aller trouver les Suisses, qui en laissèrent passer sept à huit rangs, puis les poussèrent de telle sorte que tout ce qui était passé fut jeté dans le canal. Lesdits lansquenets furent fort défaits, et n'eût été le seigneur de Guise (Claude de Lorraine), le connétable de Bourbon ; le gentil comte de Saint-Pol, Bayard et plusieurs autres gendarmes qui donnèrent au travers de cette bande de Suisses, ils eussent fait grande fâcherie, car il faisait nuit, et la nuit fia pas de honte. (Le Loyal Serviteur, chap. LX.)

Dans cette charge furent tués François de Bourbon, M. d'Himbercourt, qui était gentil capitaine, le comte de Sancerre et tout plein de gens de bien. (Fleurange, chap. L.)

[26] Par la gendarmerie de l'avant-garde fut le soir rompue cette bande de Suisses ; une partie d'environ deux mille vint passer vis-à-vis du roi, qui gaillardement les chargea. (Le Loyal Serviteur.)

[27] Les piquiers suisses, sur six rangs, chargent, têtes basses, les lansquenets qui ont même armement et même formation de combat. Les lansquenets sont flanqués par la gendarmerie de France ; le roi, au premier plan, est accompagné de Claude de Lorraine, duc de Guise. Au milieu, les bandes françaises, sous leurs enseignes à croix rouge, sont précédées des arbalétriers gascons. A gauche, l'artillerie française est gardée par des piquiers et par de la gendarmerie. Les étendards suisses portent les deux clefs croisées du Saint Siège.

[28] Le roi avait avec lui un trompette italien nommé Cristoforo qui le servit merveilleusement bien ; on entendait sa trompette pardessus toutes celles du camp ; on savait ainsi où était le roi et on se retirait vers lui. M. de Vendôme, avec Fleurange qui savait le langage allemand, rallia les lansquenets, tellement que le roi en eut bientôt autour de lui près de quatre mille que lui amena le capitaine Brandecque ; les autres capitaines suivirent à la file. Quand le jour fut venu, il se trouva, là où était le roi, vingt mille lansquenets et toute la gendarmerie, le tout assez bien en ordre, auprès de l'artillerie. (Fleurange.)

[29] Le roi demanda à boire, car il était fort altéré ; un piéton lui alla quérir de l'eau qui était toute pleine de sang ; cette eau fit tant de mal audit seigneur, avec le grand chaud, qu'il ne lui demeura rien dans le corps. (Fleurange.)

[30] Louis d'Orléans, comte de Dunois et duc de Longueville, grand maître de France. Fait prisonnier à Guinegatte, les armes au poing en brave seigneur et chevalier et mené en Angleterre, il avait par sa sagesse et prudence fait la paix entre les deux rois, au grand soulagement de toute la France. (Brantôme.)

[31] Les Suisses avaient passé une nuit pénible ; ayant fait près de cinq lieues avant d'engager la bataille, sans emporter de vivres, ils souffraient de la faim et de la soif autant que du froid et de la fatigue. Le taureau d'Uri et la vache d'Unterwalden avaient mugi longuement avant de rallier les trois colonnes dispersées. Les capitaines furent réunis en grand conseil autour d'un feu de bivouac par le cardinal de Sion. Son ardeur belliqueuse était tombée, et il voulait qu'on rentrât à Milan ; mais la majorité décida qu'on recommencerait l'attaque, au petit jour, dans le même ordre que la veille.

[32] La fortification improvisée est employée dans les deux camps : les Suisses ont taudissé et remparé leur artillerie ; ils ont enclos d'un fossé les vergers au milieu desquels ils bivouaquent ; ils ont barricadé les cassines et les maisons qui bordent la route de Milan.

[33] Alviano, ne pouvant arriver avec son infanterie et tout le reste de l'attelage de l'armée vénitienne, prit l'élite de son armée, et, par une grande cavalcade, il arriva sur les dix heures du matin, ainsi qu'on était aux mains, et bien à propos. Car il n'y a si grand capitaine, ni si vaillant homme de guerre, qui, voyant arriver à l'improviste un nouveau secours inopiné, n'en prenne l'alarme, ne s'en étonne, voire même ne branle. (Brantôme.)

[34] Les Suisses avaient mis dans une maison, brûlée la veille par les lansquenets de Fleurange, deux pièces d'artillerie, qui battaient l'endroit où était le roi ; ils faillirent tuer ledit seigneur et quelques gens de bien. (Fleurange.)

[35] Règlement du 12 juin 1875. Pour l'assaut, les tambours battent la charge, les soldats mettent la baïonnette au canon, et toute la ligne, enlevée par les officiers, se précipite sur l'ennemi au cri répété de : En avant ! (Titre IV, p. 113.)

[36] Les Suisses voyant que toute l'armée vénitienne allait les assaillir, et n'ayant plus l'espoir de vaincre, battirent en retraite, en emportant leur artillerie sur leurs épaules. Ils quittèrent le champ de bataille sans désordre et sans confusion, et se dirigèrent lentement vers Milan, avec tant de fermeté et d'audace que les Français étonnés (fatigués surtout) n'osèrent pas les poursuivre. Cependant deux compagnies de Suisses s'étaient réfugiées dans une cassine : les chevau-légers italiens y mirent le feu, et les deux compagnies périrent dans l'incendie. Le reste de l'armée rentra à Milan en bon ordre, avec la même fierté sur le visage et le même éclat dans les yeux qu'au départ. On dit que les Suisses avaient pris quinze pièces de canon le premier jour, mais que, ne pouvant les conduire jusqu'à Milan, ils les laissèrent dans les fossés de la route. (Guicciardini, liv. XII, chap. XXXIV.)

[37] Galiot de Genoilhac.

[38] Cette victoire ne fut pas sans perdre plusieurs gens de bien de France, et mèmement la plus grande partie d'une bande de jeunes princes et seigneurs qui étaient à l'avant-garde ; lesquels, pour rompre les Suisses, se jettèrent entre eux et furent en partie cause de leurs désarroy et déconfiture. Là, Charles, prince de Talmont, fils de Loys de la Trémoïlle, fut abattu et blessé en soixante-deux parties de son corps, dont il avait cinq plaies mortelles. Messire Reynaud de Moussy, chevalier qui l'avait gouverné en ses jeunes ans, le retira de la presse et le fit porter ainsi blessé jusques en sa tente, où les chirurgiens le pansèrent en grande diligence. (Jean Bouchez, chap. XXVI.)

[39] Frère cadet de Charles de Bourbon, duc de Vendôme ; Il fut de son temps un très vaillant et hardi prince (car de cette race de Bourbon, il n'y en a pas de poltron). Le roi François l'aimait fort et il était de ses grands favoris. (Brantôme.)

[40] Le roi voulut faire et créer les chevaliers qui lui avaient servi en cette bataille, et comme il appartient, par l'ordre de chevalerie, au seul chevalier de créer et faire des chevaliers, le roi appela Bayard et lui dit :

— Bayard, mon ami, je veux aujourd'hui être fait chevalier par vos mains, parce que le chevalier qui a combattu à pied et à cheval en plusieurs batailles, est tenu et réputé le plus digne entre tous les autres.

— Sire, répondit Bayard, celui qui est couronné, sacré, oint de l'huile envoyée du ciel, roi d'un si noble royaume, le premier fils de l'Eglise, est chevalier sur tous autres chevaliers.

— Si ! dit le roi ; Bayard, dépêchez-vous ; il ne faut alléguer ni lois ni canons ; faites mon vouloir et commandement !

Alors, Bayard prit son épée et dit :

— Sire, autant vaille que si j'étais Rolland ou Olivier, Godefroy ou Baudouin son frère. Certes, vous êtes le premier prince que je fais chevalier. Dieu veuille que, en guerre, ne preniez la fuite !

Après, pour manière de jeu, il cria hautement, l'épée en la main dextre :

— Tu es bien heureux, Bayard, d'avoir aujourd'hui à un si beau et puissant roi donné l'ordre de la chevalerie ! Certes, ma bonne épée, vous serez moult bien comme relique gardée, et sur toutes autres honorée, et ne vous porterai jamais, si ce n'est contre Turcs, Sarrazins ou Mores !

Puis, il fit deux sauts, et remit au fourreau son épée. (Symphorien Champier, Vie et gestes du chevalier Bayard.)