ESSAI SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME PREMIER

 

ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

 

 

La session de la constituante fut terminée le 30 septembre 1791 ; celle de la législative s’ouvrit le lendemain. Là, sur les bancs des législateurs, se trouvaient assis les apôtres de la république, Vergniaud, Guadet, Gensonné, Pétion, Brissot, Condorcet, Carnot, et d’autres qui joignaient à des esprits élevés et enthousiastes des âmes d’une vigueur peu commune. La terre de la liberté a produit des géants ; ses héros sont encore inconnus, mais la coalition des princes étrangers qui menace la France va bientôt les voir naître sous un drapeau encore inconnu à l’Europe. Les signes précurseurs de cette terrible époque, qui, dans un an, épouvantera les deux mondes, ont tous des caractères effrayants. Jamais plus sombres présages n’annoncèrent des orages plus funestes. Toute l’humanité semble avoir changé ses formes ; la nature impose des lois toutes nouvelles à ses créatures qui se précipitent aveuglément dans un avenir inconnu ; un étrange fanatisme, qui doit bouleverser toute une nation, s’empare de toutes les têtes, et a ses missionnaires, ses sophistes, ses adeptes, et jusqu’à ses hommes d’état. La politique, escortée par ses séductions et ses rigueurs, prête son appui aux doctrinaires de 1791 ; le bien public, dont le nom magique exerce tant d’empire sur les âmes jeunes et les esprits adultes, leur apparaît sous les traits d’une justice vengeresse. C’est au club des Jacobins que ces ligueurs de la liberté tiennent leurs assises. Depuis deux ans ce club a servi de théâtre aux explosions de leurs ardentes passions ; elles bouillonnent maintenant avec une nouvelle violence, et il faut quelles soient satisfaites. Ouvert dans les premiers jours de la révolution, à la discussion libérale des principes qui devaient servir de base à notre régénération, cet asile, envahi bientôt par la démagogie la plus effrénée était devenu l’arsenal où se forgeaient chaque jour ces armes révolutionnaires, qui devaient décimer la France, braver et vaincre toutes les forces de l’Europe conjurée. Les mécontents, les membres de l’assemblée constituante, dont le mandat vient d’expirer, et qui ourdissaient des trames coupables, y trouvent un asile et une tribune ouverte à leurs violentes déclamations. C’est là qu’ils se réunissent pour populariser leur cause et pour réaliser bientôt les projets qu’ils n’ont pas osé découvrir en présence de Mirabeau et des illustres protecteurs de la liberté naissante. Là, tout est exalté ; tous les sentiments sont extrêmes ; tous les cœurs fermentent, à l’exception de celui de Robespierre, qui s’est fait le sage de la terreur pour mieux la diriger un jour.

Le club des Jacobins a déjà un rival dans celui des Cordeliers que préside le fougueux Danton, antagoniste de Robespierre. La cause de la liberté doit se débattre entre ces deux hommes. Investie, assiégée, envahie par ces deux sociétés et par la commune de Paris, l’assemblée ne sera bientôt qu’une succursale inquiète de ces trois pouvoirs usurpateurs, dont la populace de Paris forme les sujets et l’armée ; aussi l’assemblée législative ne pourra ni défendre, ni garder son mandat, et sera forcée par les orateurs de ces clubs, par les membres de cette commune, par les fédérés des faubourgs, de décréter une convention nationale.

Tels sont les éléments d’anarchie qui environnent le berceau de la législative. Sur membres, elle ne compte pas cent propriétaires ; la majorité est sortie des sociétés populaires de la France. Si elle ne représente pas le peuple français, elle représente au moins ses révolutionnaires. Aussi, dès son début, la politique de cette assemblée fut aisément dévoilée. L’héritage de la constituante n’a point été accepté par la législative. Elle présente, comme la première, deux divisions, mais très-inégales, les constitutionnels et les républicains. Ceux-ci étaient divisés en deux sectes, les modérés ou les Girondins dirigés par Brissot, les purs ou les Jacobins qui s’étaient rangés sous la bannière de Couthon. L’essai qui avait été fait du régime républicain pendant l’absence et l’interdiction du roi, les menaces de l’émigration, la connivence de la cour avec elle ; la protection hostile que lui accordait l’étranger et l’anathème porté par le pape contre les prêtres assermentés, tous ces motifs avaient insensiblement dégoûté de la royauté, même de celle que l’autorité de l’assemblée constituante avait laissée à Louis XVI. Tous les partis de la législative étaient républicains, et la devise véritable des constitutionnels, était : la république plus un roi, c’est-à dire, un premier magistrat. Dans cet état des partis, les patriotes de la constituante eussent été les royalistes de la législative, tandis que les patriotes de celle- ci étaient déjà les conventionnels. La révolution avait fait bien du chemin depuis le départ du roi et la mort de Mirabeau.

Chaque parti prit position dans l’assemblée suivant sa couleur. Les constitutionnels se placèrent à la droite ; les modérés occupèrent la Plaine, et les Jacobins la Montagne. Ceux-ci avaient sur chacun des deux autres partis, l’avantage du nombre, et celui de l’influence qu’ils exerçaient sur les masses. Ils résolurent de profiter de l’un et de l’autre. Les massacres d’Avignon servent enfin de prélude, sous la bannière de ces anarchistes, aux affreux succès qu’ils ambitionnent.

Leur marche est rapide ; dès la cinquième séance, l’assemblée décrète que les titres de Sire et de Majesté sont abolis. Le décret est rapporté le lendemain ; mais le coup avait été porté, et l’on ne garde plus de ménagement envers le malheureux Louis XVI. La captivité du monarque n’est plus douteuse ; il veut sortir de son appartement à neuf heures du soir ; un factionnaire l’en empêche. Pétion est nommé maire de Paris et remercie les Jacobins de sa nomination. Le capucin Chabot entre chez le roi le chapeau sur la tête. Les constitutionnels avaient formé le club des Feuillants pour balancer l’influence de celui des Jacobins ; Pétion les dénonce à l’assemblée, qui décrète la clôture de ce club. Tous les princes émigrés sont mis en accusation. Pétion refuse à la reine le compliment du jour de l’an, dont le cérémonial est aboli. Un décret proclame l’ère de la liberté, à dater du 1er janvier 1792, qui en sera la quatrième année. Thuriot, président de l’assemblée, ne trouve pas chez le roi les deux battants ouverts, et s’en retourne avec les décrets qu’il venait soumettre à sa sanction. Un décret séquestre les biens des émigrés. Un évêque demande la suppression du costume ecclésiastique : l’assemblée le décrète... Toutes ces dispositions tyranniques, tous ces actes de violence sortaient d’un foyer profond, dont l’abîme n’était pas connu de ceux même qui en favorisaient l’explosion. Le volcan révolutionnaire ne semblait pas devoir se former des éléments conservateurs de la première assemblée ; mais les passions s’emparèrent de ces moyens de salut, qui devinrent dans leurs mains des foudres destructeurs.

Le despotisme de la liberté était déjà commencé. Il était encouragé et justifié par les préparatifs de Coblentz, par les bruits d’une coalition armée, par la crainte des trahisons intérieures, par les soupçons qui veillaient nuit et jour sur le palais. Le salut public était l’objet de toutes les discussions. Chacun l’entendait à sa manière. Une déplorable confusion de mots annonçait une périlleuse confusion de projets. Pour les uns, attaquer c’était défendre, défendre c’était souffrir, souffrir c’était trahir. Pour les autres les traditions de l’assemblée précédente étaient restées sacrées, la force était dans la modération, la modération était la justice, et la constitution le palladium de la France. Ceux-ci demandaient la paix avec l’Europe, et le respect pour le roi. Ceux-là voulaient la guerre, attaquaient journellement les ministres du roi et ne les comprenaient jamais dans leurs propositions. Ces derniers étaient les exclusifs de la liberté, comme d’autres furent depuis les exclusifs du despotisme, et d’autres ceux de la monarchie. Ils avaient aussi leur comité de surveillance qui remplaça le fameux comité des recherches de la constituante, et qui devint un comité de direction tout puissant. Ce dernier parti l’emporta. Le roi fut obligé de demander un ministère aux mêmes hommes qui avaient mis le premier en accusation. C’était abdiquer une royauté déjà perdue : c’était bien plus. Louis XVI allait au-devant de ses juges ; et il prépara tous les éléments de sa ruine, en venant lui-même déclarer la guerre à l’Autriche au sein de l’assemblée. Le nouveau ministère, qui lui est donné, doit aux qualités personnelles de Louis les divisions dont il sera la victime. Un grand crime dont le souvenir s’est renouvelé de nos jours, l’amnistie des assassins d’Avignon se prépare et se décide enfin. Un décret solennel attache le respect à ces actes sanguinaires dont le récit avait soulevé l’indignation de la représentation nationale. Mais comme elle était elle-même plus précipitée que conduite dans ses opérations, elle fut réduite à subir son propre joug en prononçant cette horrible absolution. On dut prévoir dès- lors que ceux qui avaient amnistié le coupe-tête Jourdan devaient condamner Louis XVI.

Tout se préparait pour cette sanglante catastrophe. Elle devenait inévitable, quand la Gironde, qui professait dans toute leur pureté les vertus républicaines, provoqua elle-même cet horrible décret pour conserver sa popularité. A quoi tenait donc cette popularité, et quelle garantie ou plutôt quelle espérance devait-elle donner aux destins de la patrie ? Que restait-il au roi ? La trahison de ses ministres. Bientôt le licenciement de sa garde et la formation d’un camp de vingt mille hommes devant Paris sont les attaques directes faites à sa personne. Il serait seul dans cette lutte inégale, si huit mille citoyens ne présentaient à l’assemblée une pétition contre la formation de ce camp dont le but n’est pas douteux. C’est un de ses ministres qui, à son insu, ose proposer à l’assemblée la réunion de ces troupes. Le veto royal répond faiblement à cet attentat singulier, qui reçoit la forme d’un décret, et qu’on a l’audace de présenter à sa sanction. Il oppose la même résistance au décret qui condamne à la déportation les prêtres insermentés. Louis roule dans l’abîme : en vain il renvoie ses ministres, ceux- ci sont comblés des marques de l’estime de l’assemblée, où lui-même est dénoncé et accusé par eux. Son pouvoir royal est débordé et déjà même il n’y a plus de capitulation possible.

Une insurrection armée de toute la populace des faubourgs, qui force l’enceinte de son palais, inonde ses appartenons, entoure sa personne et sa famille, sans toutefois commettre sur elles de violence, sans répandre une goutte de sang, lui prouve enfin quel est l’empire de ses ennemis sur les masses populaires.

Là, dans son propre palais, on manque au respect qu’on doit au premier magistrat de la nation, on insulte à la dignité dont il est revêtu, on couvre son front du bonnet rouge, et devant cette foule grossière, ameutée pour lui faire cet outrage, Louis XVI n’est plus que le simulacre d’un roi et le jouet de la liberté. Le prétexte de cette incursion populaire est le rapport fait sur le veto appliqué au décret relatif au camp’ sur Paris ; le but est l’avilissement public du monarque. Vingt mille citoyens demandent vengeance à l’assemblée de cet attentat du 20 juin, et le département de Paris suspend de ses fonctions le maire Pétion qu’il accuse de l’avoir favorisé. L’honneur d’avoir puni cet acte audacieux appartient tout entier à la faction des Girondins, qui voulurent prouver à Robespierre et à ses amis, qu’ils pouvaient disposer du peuple sans leur participation. Ce fut le dernier trophée de la Gironde. Les Jacobins, qui se promirent de ne pas laisser cette usurpation impunie, résolurent d’y répondre par une autre scène, où l’effusion du sang caractériserait la majesté d’une insurrection populaire.

Cependant un seul homme venait demander à la barre de l’assemblée raison des attentats du 20 juin. C’était le général Lafayette. Il osa réclamer aussi la clôture du club des Jacobins. Ceux-ci et la cour furent également effrayés, les uns des menaces du général, l’autre des propositions de salut qu'il fit au roi. La peur réunit pour le moment les deux extrêmes. Lafayette, indigné de la tiédeur de Paris et déplorant la résignation du roi, retourne à son armée. Ce trait d’héroïsme ne pouvait échapper à la reconnaissance nationale, qui devait s’en souvenir sous les frères de Louis XVI.

Les Jacobins, convaincus que tant que l’intérêt qui s’attachait encore à la personne du roi existerait, ils ne pourraient réaliser leurs projets, n’eurent plus d’autre but que celui de sa perte. Une proposition conciliatrice faite dans le sein de l’assemblée, jeta un moment dans l’illusion les constitutionnels et les Jacobins : elle désavouait le projet d’une république, et celui d’établir deux chambres. Un vertige subit s’empare de l’assemblée. Elle vote unanimement anathème à ces deux pro jets, qui la partagent depuis long-temps ; les députés se précipitent dans les bras les uns des autres avec une impétuosité électrique, qui se communique aux tribunes. On va chercher le roi pour être témoin de cette scène singulière, dont il est attendri, et à laquelle il ajoute encore par l’émotion qui accompagne ses paroles. Le soir chacun rougit de sa faiblesse, chacun reprit sa haine, et les Jacobins qui avaient voté contre la république s’applaudirent d’avoir égaré l’opinion sur son prochain établissement. Louis XVI restait en victime entre les deux partis, et ne conservait que la confiance, dont il avait honoré cette saturnale de la trahison.

Le fameux décret qui déclare la patrie en danger, mit fin à toutes les incertitudes de la défiance et de la haine, et souleva de suite dans toute la France les terreurs et les espérances des partis. L’assemblée ajouta un élément de plus à cette confusion en rendant, le 10 juin, Pétion à ses fonctions, et ses excès étaient amnistiés comme le massacre d’Avignon. La fédération eut lieu, et le cri stupide, vive Pétion ou la mort, vociféré par tous les fédérés, n’apprit que trop au roi, qui renouvela son serment, sur quel autel il devait bientôt faire un autre sacrifice. Les fédérés ne lui laissèrent pas ignorer leurs fatales dispositions, en demandant eux-mêmes à l’assemblée la suspension du pouvoir exécutif.

Les Girondins voulaient arriver à ce dénouement par la législation, et proclamer légalement la république. Les Jacobins plus ardents ne voyaient l’accomplissement de leurs projets que dans un grand mouvement populaire. Ceux-ci voulaient la complicité du peuple, ceux-là la complicité de la loi. Mais la Gironde pouvait s’arrêter à la grande victime, tandis que la Montagne voulait frapper de grands coups par les mains de la nation elle-même. Ces deux factions s’étaient déclarées ainsi par l’organe de leurs chefs. Vergniaud, l’orateur de la Gironde, avait dit ; Lorsque les peuples se prosternèrent pour la première fois devant le soleil pour l’appeler père de la nature, pensez-vous qu’il fût voilé par des nuages destructeurs, qui portent les tempêtes ; non sans doute : brillant de gloire, il s’avançait alors dans l’immensité de l’espace, et répandait sur l’univers la fécondité et la lumière. Dissipons les nuages qui enveloppent notre horizon politique ; foudroyons l’anarchie, non moins ennemie de la liberté que le despotisme ; fondons la liberté sur les lois et une sage constitution. L’orateur de la Montagne, Danton, avait répondu : Une nation en révolution est comme l’airain qui bout, et se régénère dans le creuset. La statue de la liberté n’est pas fondue. Le métal bouillonne, et si vous n’en surveillez le fourneau, vous serez tous brûlés ; montrez-vous révolutionnaires. Montrez-vous peuple, et alors la liberté n’est plus en péril. Les nations qui veulent être grandes doivent, comme les héros, être élevées à l’école du malheur.

Entre ces deux opinions il y avait l’abîme de toute la révolution. Danton l’avait ouverte ! la Gironde avait fléchi. Mais cette faction et celle des Jacobins ne s’accordaient encore ouvertement que sur l’abolition de la royauté, et la lutte recommença entre elles pour la consommer. L’invasion prochaine du territoire par les armées étrangères et les émigrés fournit à l’exécution de ce projet un nouvel élément d’activité : la déchéance du roi fut mise en question. Pétion profita de cette proposition pour la rendre générale, afin de familiariser le peuple avec la destruction de la royauté, et déclara la permanence des sections pour y traiter de la déchéance et du danger de la patrie. L’arrivée des Marseillais ajouta les plus sombres couleurs au tableau que présentait Paris, en y important la rage révolutionnaire qui avait ensanglanté le Midi. La conjuration se forme et se mûrit ; l’attaque du château est résolue ; toutefois on veut encore s’assurer de l’opinion en frappant par une accusation le premier soutien delà liberté constitutionnelle le défenseur récent de la puissance royale. Cette tentative tourne à la honte des conspirateurs. Une immense majorité qui honore à jamais le parti constitutionnel absout le général Lafayette, qui semblait avoir été désigné pour être le précurseur de la chute du trône. Il y avait de grandes vertus dans cette assemblée, et il y fallait déjà un bien noble courage pour s’opposer aux fureurs dont elle était sans cesse le théâtre. L’époque, la désastreuse époque arrive, où il n’y aura de pardon, ni pour la vertu, ni pour les services, ni pour les talents, ni pour la fortune, ni pour le malheur ; un tyran ignoble et lâche s’efforcera d’anéantir tout ce qui s’élèvera au dessus de sa vile médiocrité.

L’absolution de Lafayette servit de signal à une barbare réconciliation qui eut lieu entre les Girondins et les Jacobins, auxquels depuis longtemps sont affiliés les Cordeliers, autre puissance révolutionnaire dirigée par Danton. Cette séance du 8 août produit la journée à jamais déplorable du 10 du même mois. Le lendemain de la séance de réconciliation, l’insurrection des sections est annoncée à l’assemblée ; le maire de Paris trahit le département, et son inertie prouve sa complicité. Quelques voix courageuses s’élèvent et demandent le renvoi des fédérés et des Marseillais ; elles sont étouffées par les cris de trahison, dont on accuse le roi captif. Une convocation nocturne doit terminer cette orageuse délibération, qui fut au .moment d’être ensanglantée, par l’animosité des députés, dont plusieurs agitèrent des poignards. Les clubs se rassemblent tumultueusement aux Cordeliers, aux Quinze-Vingts, aux Jacobins ; les Marseillais s’y réunissent, et avec eux toute la populace des faubourgs. Le tocsin sonne. On crie : Au Château. A ce double signal, la foule se précipite armée de tout ce que la fureur a mis dans sa main. La cour avait préparé sa défense. Le Château est gardé par les Suisses et la gendarmerie, qui bientôt l’abandonnent ; une foule d’officiers, de militaires de la garde licenciée, une section entière de la garde parisienne, sont accourus pour le défendre. Pétion s’y présente, annonçant le péril dont il est lui-même le provocateur. On le fait prisonnier. La cour s’abuse étrangement, en voyant dans Pétion l’otage de Louis XVI ! La faction qui attaque le roi a déjà condamné le maire de Paris. Enfin la situation devient si déplorable, que l’on est réduit à faire signer par Pétion l’ordre aux troupes de repousser la force par la force. Cruelle humiliation d’un roi, qui prend pour appui un traître devenu son prisonnier ! L’assemblée dans laquelle la cour espérait encore, réclama Pétion par un décret, et cet homme lui fut rendu. Le roi passa la revue des compagnies que les sections avaient envoyées au château. Il y reçut quelques applaudissements, mais généralement il y fut accueilli ou par un morne silence, ou même par de sombres menaces. Il remonta tristement au château, ne prévoyant que trop le sort qui l’attendait. Toute défense lui parut inutile : le soin de sa famille seul abattait son courage, et quand Rœderer lui proposa l’assemblée pour asile, Louis l’accepta comme un bienfait.

Cependant l’insurrection est en marche ; quelques assassinats la précèdent. Une nouvelle municipalité s’empare de l’Hôtel-de-Ville, et son premier acte est de livrer à la rage du peuple le commandant de la garde nationale, qui est massacré sous ses yeux. Ce nouveau pouvoir émanait de Danton et de Robespierre, qui l’avaient enfanté la nuit. Tout-à-coup le Carrousel retentit de l’hymne marseillaise, de ce chant magique, complice de tant de crimes et de tant de victoires. Après une première attaque, où l’insurrection est repoussée par les Suisses, elle revient à la charge, et voit ses forces s’accroître de tout ce que l’indécision, la crainte ou l’incertitude du succès ôtait d’énergie à ses adversaires. Le palais, le jardin, la place, tout est envahi. L’incendie, le meurtre, la dévastation, le massacre de tous les Suisses, la suspension du roi, la convocation d’une convention nationale, sont les trophées du 10 août et les préliminaires de la terreur.

Haine à la royauté devient le cri général. Le lendemain, les images des rois tombent sous la hache révolutionnaire ; celle de Henri IV lui-même que la nation n’oublia jamais, ne trouve pas grâce devant ces furieux. Tous les attributs de la royauté sont arrachés des monuments publics, et ce qui restait de cette royauté fut transféré au Temple, après avoir été deux jours en dépôt dans une loge de l’assemblée.

Ainsi périt la monarchie, dont la tombe fut creusée par la corruption des deux derniers règnes, par les vices de la cour qui dénaturèrent les mœurs publiques, par l’égoïsme des privilégiés qui offensa la misère et la dignité de la nation, enfin par la faiblesse des vertus et par celle des défauts mêmes d’un prince désintéressé de toutes grandeurs, ennemi de toute injustice, et qui, ne pouvant être le modèle des rois était celui de chacun de ses sujets dans la vie privée.

Toute espérance était détruite : Robespierre gouvernait la commune, qui terrifiait et dominait l’assemblée ; et Danton était ministre de la justice ! Il le fut de la sienne ; il faut, dit-il, mettre les conspirateurs hors d’état de nuire, et du 2 au 6 septembre cinq mille prisonniers sont égorgés à Paris ! Dix prisons sont vidées par la mort. Ce n’est pas le ministre de la justice qui vous remercie, dit froidement Danton aux assassins, c’est le ministre de la révolution.

Cette sanglante proscription ne frappait point les égorgeurs du 10 août — une cérémonie funèbre avait honoré ceux qui avaient péri clans l’attaque du château —, mais elle atteignait les victimes qui leur avaient échappé, celles pour qui une générosité cruellement trompée avait fait un asile des prisons, et enfin ceux qui, comme les prêtres insermentés, étaient destinés à la déportation, ou étaient réputés suspects de trahison pour leurs écrits, leur attachement au roi, ou leurs services passés. De ce nombre furent aussi les prisonniers d’Orléans que Danton ordonna de transférer à Versailles pour les faire égorger en route par les assassins qu’il envoya de Paris. On appela le roi aux fenêtres du Temple, pour lui faire voir la tête de la princesse de Lamballe : on voulait ainsi l’aguerrir au sort qui lui était réservé.

Ces horribles massacres ne sont pas seulement légalisés par Danton qui les commande et par les communes qui les paient ; ils deviennent encore le thème d’une proclamation que la commune de Paris adresse à toutes les communes de la France. Une partie des conspirateurs a été mise à mort par le peuple, acte de justice qui lui a paru indispensable... Sans doute la nation entières empressera d’adopter ce moyen si nécessaire de salut public, et tous les Français s’écrieront comme les Parisiens : Nous marchons à l’ennemi, mais ne laissons pas derrière nous des brigands pour égorger nos femmes et nos enfants. Lafayette avait voulu mener le roi à l’armée, afin qu’il marchât avec elle à l’ennemi ; mais il voulait après avoir chassé l’étranger revenir à Paris détruire la commune, les Jacobins et les Marseillais. Le langage de Danton était différent : Il faut une convulsion nationale pour faire rétrograder les despotes. — Il faut que le peuple se porte, se roule en masse sur les ennemis pour les exterminer d’un seul coup. Danton dominait la tribune ; il avait été compris et obéi : la commune répondait par un manifeste sanguinaire au manifeste outrageant, que le duc de Brunswick avait publié à Coblentz. Ce généralissime de Pillnitz traitait de rebelles les soldats français que Dumouriez menait contre l’étranger. Il osait vouer à la mort ceux qui seraient pris les armes à la main ! Sortie de Coblentz, cette odieuse déclaration avait porté à son comble l’indignation du peuple. Ceux qui conduisaient ses destinées se servirent avec un horrible succès de cette passion nouvelle d’une généreuse vengeance, qui envahissait soudain les esprits.

A la tête de 80.000 Prussiens et Autrichiens, et de l’émigration sous les ordres des frères de Louis XVI, le généralissime de la coalition avait échoué devant Thionville, mais il avait pris Longwy et Verdun et était en marche sur la capitale. C’est pendant les intervalles de ces événements militaires, qu’arrivèrent à Paris les égorgeurs du Midi ; que Pétion avait demandé l’abolition de la royauté ; que la journée du 10 août avait eu lieu, la famille royale enfermée au Temple, les prêtres insermentés bannis ; des visites domiciliaires ordonnées partout ; et que les massacres de septembre venaient de faire couler des torrents de sang ! Cependant loin de ces périls, dans des villages de l’intérieur, s’élevait obscurément le 22 août, un drapeau royal et religieux, qui appelait vainement à lui l’émigration. Huit mille paysans de la Vendée, conduits par Baudry d’Asson, s’emparaient de Châtillon. L’aristocratie de la cour dédaigna ces prolétaires de la cause royale : elle aima mieux se mettre à la suite de l’invasion étrangère, qui avait provoqué les atteintes portées à l’inviolabilité de la personne du roi, et poussé ses ennemis à s’affranchir de toute retenue.

La victoire de Valmy, remportée par Kellermann le 20 septembre, repousse au-delà de nos frontières les étrangers et les émigrés. Mais malheureusement ce beau triomphe n’arrête point les anarchistes dans leur sanglante carrière. Le lendemain, l’assemblée législative ferme sa session, sans avoir pu se glorifier du succès de nos armes.