LOUIS XV ET MADAME DE POMPADOUR - 1745-1752

 

SOURCES.

 

 

L'image de la marquise de Pompadour qui apparaît dans ce livre semblera quelque peu différente de celle qu'on est accoutumé de voir. Le récit de ses premières années à la Cour n'offre pourtant qu'une révision partielle des jugements portés sur elle ; la révision complète sera faite un jour, et peut-être ne lui sera-t-elle point défavorable. Déjà, de la publication des Mémoires et Lettres du Cardinal de Bernis, Paris, 1878, et de la belle introduction de M. Frédéric Masson, s'est dégagée, pour la première fois, une juste idée des circonstances qui ont établi ce règne de femme. Les documents dont on va trouver la liste achèvent de nous renseigner.

On ne pourra, sans doute, étudier exactement la marquise dans son rôle politique que lorsqu'on possédera, par les papiers du duc de Choiseul, l'équivalent et le complément de ceux de Bernis ; mais l'histoire de la maîtresse est possible aujourd'hui, d'après des renseignements sûrs, et c'est celle que j'essaye de présenter ici.

L'opinion de deux siècles a été sévère pour madame de Pompadour. On l'a jugée longtemps et on la juge encore d'après les seuls témoignages de ses ennemis. Il est peu de Mémoires, par exemple, plus lus et plus cités que ceux du marquis d'Argenson ; cet ancien ministre enragé de sa disgrâce, vivant éloigné de la Cour et mal renseigné sur ce qui s'y passe, a rempli de ses anecdotes douteuses et de ses jugements aigris toute la chronique du XVIIe siècle. La marquise se trouve parmi ses principales victimes, comme elle l'est de Soulavie et de bien d'autres. Il faut l'étudier maintenant, non plus d'après les pamphlétaires ou les moralistes, mais d'après les souvenirs, lettres et journaux de ceux qui l'ont vraiment connue, qui ont vécu dans son entourage et qui peuvent seuls nous apprendre les secrets de sa vie et la raison de son pouvoir.

La marquise a eu contre elle, à la fois, le parti qui ne pouvait lui pardonner la suppression de l'ordre des Jésuites, et les écrivains révolutionnaires pour qui le thème habituel des débordements de Louis XV prêtait aux plus avantageux développements. L'étude paisible des faits et des hommes réduit chaque jour une part de ces exagérations. A voir de près l'origine des accusations et à peser l'autorité des réquisitoires, on sent diminuer son indignation, et, sans vouloir le moins du monde réhabiliter des temps sans vertu, on est incliné à les expliquer plus qu'à les flétrir.

Parmi les légendes accumulées contre la marquise par l'acharnement des envieux, la rancune des gens de qualité et l'esprit de dénigrement des Français de tous les temps, il faut donner une large place à celles qui regardent sa famille. On a abaissé au plus bas degré les origines de madame d'Étioles ; on a chargé outre mesure la mémoire, point irréprochable sans doute, de ses parents ; d'autres ont cherché à déconsidérer la royauté en accentuant, dans le choix du prince, tout ce qui pouvait le rendre déshonorant. Ces questions, pour garder quelque intérêt, demandent à être ramenées à l'exactitude.

Il en est de même de la vie de la Cour, si curieuse à cette époque, mais où tant d'obscurités nous déconcertent, dont tant d'usages essentiels sont oubliés. C'est ici qu'on est heureux de pouvoir feuilleter les Mémoires, encore presque entièrement inédits, du duc de Croÿ — Bibliothèque de l'Institut —, qui complètent et contrôlent si utilement le journal du duc de Luynes. Témoin impartial, fort bien renseigné sur les intérieurs royaux, le duc de Croÿ, alors prince de Croÿ, se trouve être, parmi les chroniqueurs, le seul à avoir vu ce dont tant d'autres ont parlé.

Les correspondances inédites du temps m'ont apporté un assez grand nombre d'indications neuves sur les faits et sur les caractères. Les lettres de Pâris-Duverney, de Pâris de Montmartel et du marquis de Breteuil, mentionnées au premier chapitre, sont entre mes mains. Les lettres de madame de Pompadour à Richelieu et à Voltaire, citées au chapitre IV, appartiennent à la collection Alfred Morrison. — Le billet adressé à Malesherbes figurait clans l'ancienne collection Chambry, vendue par Étienne Charavay ; le billet à Vandières sur Gresset, déjà mis au jour par V. de Beauvillé, manque également au recueil Poulet-Malassis. — Enfin, j'ai fait usage en plusieurs parties du livre de dix lettres inédites de Le Normant de Tournehem à François Poisson, et de soixante-quatre lettres, écrites par Poisson à son fils, de 1749 à 1751, et qui renferment des détails inattendus sur sa famille et sur la vie intime de sa tille.

Aux correspondances doivent se joindre les pièces d'archives demeurées inconnues aux précédents biographes. Dans un excellent article de la Revue hebdomadaire du 26 septembre 1903, M. Gailly de Taurines a fait connaître de nombreux papiers relatifs aux affaires des Poisson, recherchés par lui auprès des notaires de Paris et aux Archives nationales ; il a bien voulu me communiquer ses copies complètes, dont j'ai plus d'une fois tiré parti. Une autre source précieuse de renseignements, qui sera mieux utilisée ailleurs, est l'inventaire après décès des biens de la marquise. Il forme deux gros volumes provenant de M. de Marigny et appartenant aujourd'hui à M. Paul Leroi, à l'obligeance de qui je dois d'avoir pu les étudier. Cet inventaire fait connaître non seulement les objets d'art et le mobilier de madame de Pompadour, mais encore, par une analyse minutieuse, tous les titres de propriété et papiers de famille trouvés chez elle et faisant partie de sa succession. On devine aisément l'intérêt d'un pareil dossier pour une information précise.

Comme il est impossible de donner ici une liste des ouvrages à consulter sur madame de Pompadour, je renvoie pour la vieille bibliographie aux ouvrages des anciens biographes, notamment à ceux des Goncourt et de M. Émile Campardon. Le livre des Goncourt est de ceux qu'il y a plaisir à relire, bien qu'on doive être en garde contre leurs confusions de chronologie et leurs procédés de romanciers. On sait qu'ils ont accrédité bien des erreurs, même sur le point qu'ils connaissaient le mieux, l'influence de madame de Pompadour dans l'art français ; mais il y aurait ingratitude à ne pas admirer ce qu'ils ont tiré de vérité historique du peu de renseignements dont ils disposaient.

Voici les principaux matériaux nouveaux utilisés dans mon récit. Les lettres du couvent de Poissy ont été publiées par M. Paul Fromageot dans la Revue de l'histoire de Versailles de 1902. Le contrat de mariage de mademoiselle Poisson a été découvert par M. le vicomte de Grouchy, qui l'a donné au Bulletin de l'histoire de Paris de 1890. Les notes du président du Rocheret sont imprimées par M. le duc de Caraman, dans son étude généalogique sur la Famille de Madame de Pompadour, Paris, 1901. En écartant quelques confusions de mémoire, j'ai cité, sur madame d'Étioles, les piquants souvenirs de la marquise de la Ferté-Imbault, réunis par M. Pierre de Ségur dans son livre, Le Royaume de la rue Saint-Honoré, Paris, 1897. Le mot de cour sur la Bestiole vient du Pot-pourry de Menin, analysé par M. Paul d'Estrée dans la revue Souvenirs et Mémoires de 1900. La nuit du bal de l'Hôtel de Ville est racontée d'après les Mémoires de Bernis, les Souvenirs si peu connus du marquis de Valfons, et un passage non remarqué de madame du Hausset.

Plusieurs observations nouvelles ont été tirées d'un recueil, trop peu lu par les historiens de la marquise, et qui n'est autre que la correspondance de Voltaire. Par exemple, la lettre contenant les vers sur César et Cléopâtre, citée en deux fois au chapitre Ier, est classée à tort par les éditeurs à l'année 1747 (n° 1440 de l'édition Beuchot) ; ces textes, qui restaient en partie incompréhensibles, sont devenus intéressants reportés à leur véritable date.

L'histoire intérieure de la Cour est aisée à suivre, année par année, Luynes, Bernis et Croy pouvant être interrogés avec confiance. Mais j'ai utilisé aussi, pour les événements de Fontenoy et le séjour de Choisy, les Souvenirs du comte de Tressan, réunis par son arrière-petit-neveu, Versailles, 1897 ; pour le mariage de Saxe, le livre du comte Vitzthum d'Eckstædt sur Maurice, comte de Saxe, et Marie-Josèphe de Saxe, Leipzig, 1867, celui du duc de Broglie sur Maurice de Saxe et le marquis d'Argenson, Paris, 1891, et surtout l'important ouvrage de M. Casimir Stryienski, La mère des trois derniers Bourbons, Paris, 1901 ; pour les caractères de la Cour, les Souvenirs du marquis de Valfons, Paris, 1860, les Mémoires de J.-N. Dufort, comte de Cheverny, introducteur des ambassadeurs, publiés par R. de Crèvecœur, Paris, 1886, Les Correspondances des agents diplomatiques étrangers en France, par J. Flammermont, Paris, 1896, les lettres citées par M. Henri Léonardon dans une étude sur le premier mariage du Dauphin, Versailles, 1900. Enfin, je dois à l'obligeante amitié de M. le duc de Fezensac le curieux témoignage sur les idées religieuses de Louis XV, tiré des papiers inédits de l'abbé de Montesquiou.

Pour l'état de l'opinion à Paris, j'ai consulté avec profit le tome II des Lettres de M. de Marville, lieutenant général de police, au ministre Maurepas, publiées par M. A. de Boislisle, Paris, 1903, et les lettres de Raynal, dans la Correspondance littéraire éditée par M. Tourneux. Pour la vie secrète du Roi, l'ouvrage si abondamment documenté du comte Fleury, Louis XV intime et les petites maîtresses, Paris, 1899, m'évite d'appuyer sur certains détails de mon sujet ; le lecteur informé notera aisément nos divergences. Sur les questions d'art et d'ameublement, je me suis servi du Livre-Journal de Lazare Duvaux et de l'introduction de Courajod, du François Boucher de M. André Michel, Paris, 1889, et du précieux Inventaire des tableaux commandés et achetés par la Direction des Bâtiments du Roi (1709-1792), rédigé par M. Fernand Engerand, Paris, 1900 ; enfin, pour les intérieurs royaux et les travaux du service des Bâtiments, j'ai repris quelques indications dans un livre intitulé Le Château de Versailles sous Louis XV, Paris, 1898, où se trouve notamment identifié l'emplacement de l'appartement d'en haut.

Les principaux documents d'art se rapportant à la première partie de la vie de la marquise ont été reproduits dans l'édition originale de ce livre, donnée par la maison Goupil. On y trouvera aussi quelques indications de sources, qu'il a semblé inutile de mentionner à nouveau. Plusieurs questions à peine touchées ici, où elles ne pouvaient avoir une suffisante place, seront reprises dans un ouvrage spécial sur Madame de Pompadour et les Arts.