AUTOUR DE LA REINE

 

LA BEAUTÉ DE MARIE-ANTOINETTE.

 

 

IL est peu de reines qui n'aient reçu le don de beauté aux yeux intéressés ou sincères de leurs courtisans et que les poètes ne célèbrent sur ce point. En de tels sujets, les peintres nous trompent sans scrupule, et les sculpteurs, d'ordinaire plus exacts, sacrifient eux-mêmes, en devenant artistes de cour, à cette flatterie qui fait partie de leurs fonctions. Ne nous plaignons pas de tels mensonges, auxquels nous devons tant d'agréables images et quelques chefs-d'œuvre ; mais, quand cette question de grâces importe à l'histoire, tâchons de regarder de près dans les adulations contemporaines, et n'étudions qu'au miroir d'une iconographie bien classée les femmes privilégiées qui régnèrent si aisément sur les imaginations et sur les cœurs.

Le problème n'est pas facile à débrouiller pour Marie-Antoinette. Aucune souveraine n'a été comparée plus abondamment aux déesses de l'Olympe et n'a savouré davantage les lieux communs de l'apothéose ; aucune, non plus, n'a été louée par des connaisseurs plus fins et n'a excité de plus vrais enthousiasmes. Il y a eu, de son temps, des amoureux de la Reine, dont le prince de Ligne fut le plus fervent ; et de graves personnages comme Burke ont mérité à leur tour cette qualification, trop prodiguée de nos jours au moindre écrivain qui répète, avec plus ou moins de complaisance, des louanges de convention. De ces amoureux posthumes, il n'en est point pour Anne d'Autriche, pour la grande Catherine, pour Marie-Thérèse, ni même pour cette impératrice Joséphine, dont la mémoire ne saurait refuser les adorations. Ce culte puéril et touchant s'adresse de préférence à la brillante reine de Versailles et de Trianon ; car, s'il s'agit de l'émotion chevaleresque qu'inspire aux amis du trône l'héroïque victime du Temple, ce sont, je pense, d'autres idées qui s'évoquent et d'autres mots qu'il faudrait choisir. A Marie-Antoinette semble réservé ce sentiment singulier, qui naît devant un portrait, s'émeut sur une légende, et qui suppose naturellement assurée la tradition de la beauté de la Reine.

Que disent à ce sujet les premiers témoignages du règne ? Walpole a vu la jeune souveraine au bal du mariage de Madame Clotilde et, dès le lendemain, écrit ses impressions à une amie de Londres : On ne pouvait avoir des yeux que pour la Reine. Les Hébés et les Flores, les Hélènes et les Grâces ne sont que des coureuses de rue à côté d'elle ! Quand elle est debout ou assise, c'est la statue de la beauté ; quand elle se meut, c'est la grâce en personne...

Un autre observateur anglais est moins enthousiaste : Ses charmes personnels consistaient plus dans son air de dignité, la noblesse de sa taille, la grâce de son maintien, qui vous annonçaient une reine, que dans ses traits manquant de douceur et de régularité. Elle avait les yeux faibles et plutôt échauffés, mais son teint qui était éblouissant, sa jeunesse, la richesse de ses parures frappaient tous ceux qui la voyaient. Bachaumont note avec précision ses yeux bleus sans être fades, qui jouent avec une vivacité pleine d'esprit, le front beau, la forme du visage d'un ovale agréable, mais un peu allongé, les sourcils aussi bien formés qu'une blonde peut les avoir... Son nez est aquilin, un peu effilé par le bout, sa bouche petite, ses lèvres épaisses, surtout l'inférieure qu'on sait être la lèvre autrichienne. La blancheur de son teint est éblouissante, et elle a des couleurs naturelles qui peuvent la dispenser de mettre du rouge.

Ajoutons l'harmonie d'un corps bien fait et la splendeur d'un cou grec d'une sveltesse incomparable. Ces charmes iront en se développant pendant quelques années ; et Sénac de Meilhan marquera celui qui survivra à tous les autres : Aucune femme ne portait mieux la tête qui était attachée de manière à ce que chacun de ses mouvements eût de la grâce et de la noblesse. Sa démarche noble et légère rappelait l'expression de Virgile : Incessu patuit Dea...

Pourquoi multiplier les citations ? Nous n'avons là que des paroles. Une beauté qui prend les cœurs est faite d'éléments très divers, où concourent la mobilité des traits et leur irrégularité même que seuls les portraits peints ou sculptés peuvent nous rendre. Interrogeons donc les artistes qui ont travaillé si nombreux pour la Reine. Si nous cherchons à connaître comment Marie-Antoinette voulait être vue, les tableaux célèbres de Mme Vigée-Le Brun nous suffisent ; cette aimable femme flatta généreusement sa souveraine, comme ses autres modèles, et plus encore, s'il est possible. Renseignés par ses seules toiles, nous ignorerions absolument les détails fâcheux, le front trop bombé, les yeux ronds et gros, la lèvre d'Autriche, que d'autres cependant nous ont conservés. Mais quelle est l'autorité de ces peintres véridiques ? Comment interprètent-ils une image qui a dû changer singulièrement, au cours des années, depuis la capricieuse dauphine choyée par Louis XV jusqu'à la souveraine aux prises avec la Révolution, qui retrouve en soi le sang de Marie-Thérèse et conquiert l'admiration de Mirabeau ?

Nous avions suivi jusqu'à présent ces transformations sur la trentaine d'images qu'utilisait déjà lord Ronald Gower[1]. Si la publication de MM. Vuaflart et Henri Bourin était complète nous aurions plus de deux cents types originaux en peinture, sculpture, gravure, dessins[2]. Cette profusion ne compliquerait-t-elle pas le problème au lieu de le simplifier ? L'enquête à laquelle ces érudits passionnés ont consacré tant d'années de leur vie leur a donné du moins l'occasion de découvertes charmantes. Grâce à eux, le dossier de l'Archiduchesse et de la Dauphine est à peu près définitif. C'est ainsi qu'une vingtaine de portraits d'enfance de l'archiduchesse Antonia a été retrouvée dans les palais impériaux d'Autriche. Elle figure parmi les nombreuses toiles où Marie-Thérèse a fait peindre sa brillante progéniture à tous les âges et qui témoigne de son orgueil maternel. Toutes, il est vrai, sont médiocres, et il faut attendre l'arrivée à Vienne de Ducreux pour rencontrer l'image qui ouvre de façon magistrale la précieuse iconographie.

Nous savons tous les détails de la mission remplie par cet habile pastelliste, le meilleur élève de La Tour, qui fut envoyé par le Roi à la cour de Vienne en 1769 pour en rapporter les traits de la princesse qu'il destinait à son petit-fils. Le récit se tire des pièces diplomatiques échangées entre le duc de Choiseul, ministre des Affaires étrangères, et l'ambassadeur marquis de Durfort, du comte de Mercy, du prince de Starhemberg, du prince de Kaunitz, du baron Neny, secrétaire du cabinet de l'Impératrice. Grâce à ces témoignages, nous suivons jour par jour l'artiste dans ses travaux. Il arrive accompagné du friseur parisien qui vient embellir le front trop dégarni de la future dauphine. Ducreux se met aussitôt à l'œuvre, fait poser tour à tour devant ses crayons, archiducs et archiduchesses et enfin l'Impératrice elle-même, qui le comble de bontés, le fait travailler dans son cabinet de Schœnbrünn, visiblement enchantée d'avoir sous la main un bon artiste français pour révéler à son ami le roi de France les traits de tous les siens.

Le contentement n'est pas moindre à Versailles, à mesure qu'arrivent ces portraits. Seul, le plus impatiemment désiré se fait attendre. L'artiste a eu quelque difficulté pour celui de Marie-Antoinette qu'il a dû recommencer, son premier travail n'ayant pas satisfait l'Impératrice. Pressé par M. de Durfort, il est obligé d'emballer son châssis précipitamment, en bâclant la main et les accessoires, car le courrier de Vienne doit l'emporter le jour même. Enfin, Mercy écrit à Kaunitz le 18 mai 1769 : Au lever d'hier, tous les assistants, ministres étrangers et courtisans, ont vu le portrait en question. Interrogé à ce sujet, j'ai donné à entendre que, si l'on en croit la rumeur publique, la réalité devait surpasser de beaucoup le portrait en beauté.

L'ambassadeur exagérait un peu les perfections physiques de sa princesse. Il est vrai que Marie-Antoinette n'apparaîtra jamais plus jolie qu'en ce portrait présenté à Versailles ou dans la première étude de Ducreux rapportée par le peintre. Les lignes indécises de l'adolescence prêtent au visage une douceur que le temps effacera peu à peu. Malgré l'ingénuité de la bouche et du regard un peu myope, on devine une prochaine souveraine, dans cette façon fière de porter la tête qui contraste avec l'âge de l'enfant. Cette image historique prend un intérêt émouvant, encore qu'on puisse se défier du pastelliste qui travaillait sous les yeux d'une mère, pour faire connaître à sa future famille une petite fiancée lointaine.

L'interprétation de Ducreux domine l'iconographie de l'Archiduchesse ; celle de Drouais et de Duplessis tient la même place pour la Dauphine. Ceux-ci sont des artistes de sincérité et on peut les consulter avec confiance. Déjà les traits se précisent, la physionomie s'accentue, et il y apparaît quelque dureté. Faut-il dire qu'à manier ces images on s'inquiète de ce que va devenir, dans sa maturité, ce visage qui gardera intactes seulement la fraîcheur du teint et la limpidité délicieuse des yeux ?

Les contemporains, par bonheur, n'éprouvèrent rien de cette inquiétude. Une lettre inédite de la marquise de Durfort sur l'arrivée de l'Archiduchesse ne montre que leur admiration : Toute la famille royale en raffole : le Roi en est enchanté et il m'a fait l'honneur de me dire qu'il la trouvait bien mieux que ses portraits... J'ai suivi avec bien de l'attention tous les mouvements de ce charmant enfant, et je n'en ai vu aucun qui ne mérite un éloge : élégance, noblesse, aisance et dignité dans son maintien, attentive et polie, je ne connais personne capable de soutenir un début avec autant de succès. Elle est à merveille avec le Roi, elle le caresse à propos. Ce soir, quand on lui a donné les présents de diamants, elle a sauté sur le portrait du Roi en bracelet, elle l'a mis en place du sien avec un sentiment et une grâce infinie... Elle a un charme dans ses manières qui nous tournera la tête ; je ne vous parle pas de sa figure, je la trouve charmante. Et voilà un portrait de main de femme qui vaut bien un portrait de main de maître.

 

ÉTUDE POUR LE PORTRAIT DE LA DAUPHINE par DUPLESSIS

 

 

 



[1] Son Iconographie de Marie-Antoinette remonte à 1883. Le sujet s'est beaucoup enrichi ; j'ai fait connaître, pour ma part, six ou sept portraits importants.

[2] Leur admirable recueil, les portraits de Marie-Antoinette, devait comporter cinq volumes ainsi désignés : I L'archiduchesse ; II La Dauphine ; III La Femme-Reine ; IV L'apogée ; V Les mauvais jours. Les deux premiers seuls ont paru en 1909 et en 1910. La guerre a interrompu la publication dont les éléments seront, espérons-le, utilisés un jour.