L'EMPEREUR CHARLES-QUINT ET SON RÈGNE

TROISIÈME SECTION. — RÈGNE DE CHARLES-QUINT - 1506-1555

 

CHAPITRE XII. — VOYAGE ET INAUGURATION DU PRINCE PHILIPPE AUX PAYS-BAS. - REPRISE DES HOSTILITÉS AVEC LA FRANCE ET L'ALLEMAGNE. - LEVÉE DU SIÈGE DE METZ. - PRISE ET DESTRUCTION DE THÉROUANNE. - TRÊVE DE VAUCELLES.

 

 

Cependant le prince Philippe était parti de Valladolid le 1er octobre ; le 2 novembre, il s'embarqua à Barcelone sur la flotte d'André Doria, et prit port à Gênes le 25. Traversant ensuite la Lombardie, le Tyrol, l'Allemagne, il arriva à Luxembourg le 17 mars 1549, et fut reçu le 28 à Namur par le prince Emmanuel-Philibert de Savoie, le duc Adolphe de Holstein, frère du roi de Danemark, et l'évêque d'Arras, envoyés par l'empereur au devant de lui. Le duc d'Arschot, avec une troupe brillante de gentilshommes beiges et une escorte d'hommes d'armes des ordonnances, était allé à sa rencontre jusqu'à Bruchsal, à quatre lieues au delà de Spire, et, aux frontières du Luxembourg, le prince avait trouvé tous les nobles hommes de fief et officiers de ce duché, montés, équipés et armés[1] ; il avait ensuite poursuivi son voyage par Bastogne, Laroche, Marche et Bouvignes. De Wavre, où Marie de Hongrie l'attendait, il arriva, le 1er avril, au château de Tervueren, dont cette princesse et la duchesse de Lorraine lui firent les honneurs. Après y avoir dîné, il se rendit, avec une suite de plus de seize cents chevaux au Haren heyden velt, vaste plaine à une demi lieue à l'est de Bruxelles, où un magnifique spectacle était préparé. Deux troupes de gentilshommes, la bande verte conduite par le prince de Piémont, la bande blanche conduite par le comte du Rœulx, étaient rangées en bataille, appuyées chacune par cinquante arquebusiers à cheval et par un corps d'infanterie ; dans l'intervalle s'étendaient des retranchements protégés par de l'artillerie. Trois galeries richement ornées avaient reçu l'élite de la noblesse ; une foule immense avait envahi les abords de la plaine. Dès que le prince eut pris place dans la somptueuse tribune qui lui avait été réservée, les évolutions commencèrent. Le canon tonna ; la bande verte et la bande blanche se chargèrent avec impétuosité ; les arquebusiers, l'infanterie, tout se mêla ; et, comme pour donner plus de réalité à ce simulacre de combat, deux soldats y perdirent la vie[2].

Le prince, en costume de velours et de satin cramoisi, monté sur un superbe coursier, se dirigea ensuite vers Bruxelles. Il était précédé de sa bannière, ayant à ses côtés le cardinal de Trente et le prince de Piémont ; dans sa suite figuraient l'évêque d'Arras et le duc d'Albe, le comte de Hornes et le comte d'Egmont. A la porte de Louvain, où étaient réunis les trois membres de la commune, le premier en costume et bonnet de velours vert, les deux autres en robes de drap cramoisi, tous nu-tête, le pensionnaire à genoux harangua l'héritier du trône. Granvelle traduisit sa harangue au prince, qui le chargea de répondre. Puis les magistrats, remontant à cheval, se joignirent au cortège, que grossirent douze à treize cents bourgeois portant les uns des robes de soie rouge à manches pendantes de jaune et blanc, qui étaient les livrées du prince, les autres des robes de drap de la même couleur. Les rues étaient ornées avec magnificence ; à chaque carrefour se dressait un arc de triomphe ; des tapisseries garnissaient les maisons ; le sol était jonché de fleurs. Au Treurenberg, le doyen de Sainte-Gudule, à la tête du chapitre collégial et des ordres mendiants, complimenta Philippe et le conduisit à l'église, où étaient exposés le saint sacrement de miracle et la châsse de l'auguste patronne de la capitale, et où fut chanté le Veni Creator. Partout la foule était si compacte que le cortège se frayait difficilement un passage et n'arriva que fort tard au palais[3]. Les reines douairières de France et de Hongrie reçurent le prince, et le conduisirent dans la chambre de l'empereur, qui éprouva, en le voyant, une joie extrême[4].

Philippe était alors âgé de vingt-deux ans. Il avait, dit M. Mignet, l'œil bleu et intelligent de son père, son menton avancé, la couleur blonde de ses cheveux et la blancheur de son teint. Son aspect était d'un Flamand, son caractère d'un Espagnol. Deux ans plus tard, l'ambassadeur vénitien Marino Cavalli, qui pendant près d'un an et demi l'avait vu à la cour de l'empereur, en traçait le portrait suivant : Le prince a vingt-quatre ans. Sa complexion est très délicate et sa taille au dessous de l'ordinaire : Il ressemble beaucoup à son père par le visage et le menton. Il ne mange jamais de poisson, ni d'aucun mets qui ne soit bien nourrissant. Il n'est pas fort de corps ; toutefois, depuis qu'il est allé en Flandre, et qu'il s'y est livré aux exercices de ces seigneurs bourguignons, il est devenu un cavalier très passable. Il se montre libéral ; mais il s'abandonne à sa libéralité de manière à faire augurer qu'il s'en lassera bientôt. Il est bien rare qu'il aille dehors en compagnie. Son plaisir est de demeurer dans son appartement, avec quatre ou six favoris, et de causer avec eux de choses particulières ; et si quelquefois l'empereur le mande, il s'excuse pour jouir de la tranquillité accoutumée. Il s'habille avec somptuosité et élégance. Il aime beaucoup qu'on soit respectueux envers sa personne, et reste avec chacun, de quelque rang qu'on soit, dans une plus grande réserve que l'empereur : ce dont les sujets, excepté les Espagnols, ont du mécontentement[5], et avec raison, car ils sont habitués à voir le père s'accommoder parfaitement à tous les usages et à toutes sortes de gens, se montrant tour à tour agréable aux Flamands et aux Bourguignons, par la familiarité et l'affabilité ; aux Italiens, par la finesse et la discrétion ; aux Espagnols, par la dignité et la gravité. Chaque jour, l'empereur fait venir son fils, pendant deux ou trois heures, dans sa chambre, soit pour assister avec lui au conseil, soit pour l'instruire en tête à tête. On dit que le prince a déjà beaucoup profité de ces enseignements, et fait espérer qu'il ira plus loin encore ; mais la grandeur de son père, et le fait d'être d'une si haute naissance, joints à ce que jusqu'à présent ses moyens n'ont été mis à aucune épreuve, empêcheront qu'il puisse jamais être comparé, même de loin, à l'empereur, et c'est là le malheur des gens trop heureux. On pense que lorsqu'il succédera à son père, il n'emploiera plus que des ministres espagnols, vu qu'il est porté pour cette nation beaucoup plus qu'il ne convient à un prince destiné à régner sur des peuples divers. M. d'Arras et les autres ministres qui ne seront pas espagnols, n'auront plus à se mêler des affaires d'état, et, si le prince emploie dans la guerre ou dans l'un ou l'aùtre gouvernement des Italiens ou des Bourguignons, ce sera absolument par nécessité, car, à mérite égal, et même moindre, les Espagnols seront toujours préférés aux autres[6].

Le jour qui suivit l'entrée du prince Philippe à Bruxelles vit mourir subitement dans cette capitale Philippe de Croy, duc d'Arschot, qui était allé au devant de lui jusqu'à Bruchsal en Souabe à la tête de douze cents chevaux des ordonnances. C'était une perte sensible pour l'empereur auquel le sire de Croy avait rendu d'excellents services dans les guerres contre la France ainsi que dans le gouvernement intérieur du pays, notamment lors des troubles de Gand. Peu de temps auparavant, Charles avait perdu le meilleur de ses généraux belges, Maximilien d'Egmont, comte de Buren[7]. Il remplaça le duc d'Arschot dans le gouvernement du Hainaut par le comte Charles de Lalaing, et donna celui de la Frise et d'Overyssel, que d'Egmont occupait, au comte d'Aremberg, Jean de Ligne, l'intime ami et le frère d'armes du défunt.

Un de nos historiens les plus distingués, parlant de la situation du moment, s'exprime ainsi : les princes protestants furent vaincus à Muhlberg : l'un d'eux, le landgrave de Hesse, reçut pour prison la forteresse d'Audenarde, mais leur parti ne tarda pas à se relever. Les guerres intérieures et étrangères se perpétuaient sans qu'il fût permis d'espérer la paix, si nécessaire aux intérêts et aux besoins de l'Europe. Le trésor de Charles-Quint était épuisé ; les vétérans de ses armées — perte irréparable — disparaissaient chaque jour, et avec eux les illustres capitaines qui leur axaient appris à vaincre : leurs glorieux débris, épars sur les champs de bataille, rappelaient ces monuments funèbres placés par les anciens au bord des routes que suivaient les triomphateurs. Si parmi eux il en était quelques-uns à qui il fût donné de finir, à l'ombre du foyer domestique, une vie abrégée par les fatigues, leur mort empruntait aux souvenirs de leurs exploits un caractère héroïque et belliqueux qui commandait l'admiration[8].

L'antiquité, ajoute M. Kervyn, ne nous a rien laissé de plus beau que ce récit de Brantôme :

Les Mamans et Bourguignons ont fort estimé leur monsieur de Bure — Buren —, et tenu pour bon capitaine. Aussi nous a-t-il fait la guerre bien fort vers nos frontières de Picardie, qui s'en sont bien ressenties à cause de ses bruslemens, car il a esté un grand brusleur. Il mena un grand secours en Allemaigne à l'empereur son maitre, qui estoient les troupes des vieilles ordonnances de Flandres et Bourgoigne, qui furent trouvées très belles et vindrent très bien à propos. Aussi, quand elles furent venues, l'empereur attaqua ses ennemys plus chaudement qu'il n'avoit fait.

Le comte de Bure mourut à Bruxelles et fit la plus belle mort de laquelle on ouyt jamais parler au monde. Ce chevalier de la Toison d'or tomba soudainement malade au lit, fust de quelque effort qu'il oust fait en avallant ces grands verres de vin à la mode du pays, carrousant à outrance, fust que les parties de son corps fussent viciées ou autrement. André Vesalius, médecin de l'empereur Charles, l'alla incontinent visiter et lui dit franchement, après luy avoir tasté le pouls, que dans cinq ou six heures pour le plus tard, il luy fallait mourir, si les règles de son art ne failloient en luy ; par quoy luy conseilla, en amy juré qu'il luy estoit, de penser à ses affaires ; ce qui advint comme le médecin l'avoit prédit. Tellement que Vesalius fut cause que le comte fit la plus belle mort de laquelle on ayt jamais ouy parler depuis que les roys portent couronnes ; car le comte, sans s'estonner aucunement, fit appeler les deux plus grands amis qu'il eust, à sçavoir l'évesque d'Arras, depuis cardinal de Granvelle, qu'il appeloit son frère d'alliance, ensemble le comte d'Aremberg, son frère d'armes, pour leur dire adieu. En ces cinq ou six heures, il fit son testament, il se confessa et receut le saint sacrement. Puis se voulant lever, fit apporter les plus riches, les plus beaux et les plus sumptueux habits qu'il eust, lesquels il N'esta ; se fit armer de pied en cap des plus belles et riches armes qu'il eust, jusques aux esperons ; chargea son collier et son grand manteau de l'ordre, avec un riche bonnet à la polacre, qu'il portoit en teste pour l'aimer plus que tout autre sorte de chapeau, l'eSpée au costé ; et ainsy superbement vestu et armé, se fit porter dans une chaire en la salle de son hostel, où il y avoit plusieurs couronnels de lansquenets, gentilshommes capitaines et seigneurs flamans et espagnols, qui le vouloient voir avant mourir, parce que le bruit vola quant et quant par toute la ville que, dans si peu de temps, il devait estre corps sans âme. Porté en sa salle, assis en sa chaire, et devant luy sa salade enrichie de ses panaches et plumes, avec les gantelets, il pria ses deux frères d'alliance de vouloir faire appeler tous ses capitaines et officiers, qu'il vouloit voir pour leur dire adieu à tous, les uns après les autres ; ce qui fut fait. Vindrent maistres d'hostel, valets de chambre, gentilshommes servans, pallefreniers, lacquais, portiers, sommeliers, muletiers et tous autres, auxquels à tous — plorans et se jettans à ses genoux — il parla humainement, recommandant ores cesluyci, ores cestuy-là, à monsieur d'Arras, pour les récompenser selon leurs mérites, donnant à l'un un cheval, à l'autre un mulet, à l'autre un lévrier ou un accoustrement complet des siens ; jusques à un pauvre fauconnier, chassieux, bossu, mal vestu, qui ne sçavoit approcher de son maistre pour luy dire adieu, comme les autres de la maison avoient fait, pour estre mal en ordre, fut aperçeu par le comte, dernier les autres, plorer chaudement le trespas de son bon maistre, fut appelé pour venir à luy ; ce que fit le faulconnier, lequel son maistre consola ; et si l'interrogea particulièrement comme se portoient tels et tels oiseaux qu'il nourrissoit, puis, tournant sa face vers l'évesque d'Arras, lui dit : mon frère, je vous recommande ce mien fauconnier ; je vous prie de mettre sur mon testament que j'entends qu'il ayt sa vie en ma maison tant qu'il vivra. Hélas ! le petit bon homme m'a bien servy, comme aussy il avoit fait service à feu mon père, et a esté mal récompensé. Tous les assistons, voyans un si familier devis d'un si grand seigneur à un si petit malotru, se mirent à plorer de compassion.

Puis, ayant dit adieu à tous ses officiers et serviteurs, leur avoir touché en la main, il demanda à boire en ce godet riche où il faisoit ses grands carroux avec les couronnels quand il estoit en ses bonnes ; et de fait voulut boire à la santé de l'empereur son maistre. Fit lors une belle harangue de sa vie et des honneurs qu'il avoit reçeus de son maistre, rendit le collier de la toison au comte d'Aremberg pour le rendre à l'empereur, beut le vin de l'estrier et de la mort soutenu soubs les bras par deux gentilshommes, remercia fort l'empereur, disant, entre autres choses, qu'il n'avoit jamais voulu boire en la bouteille des princes protestans, ny volter face à son maistre, comme de ce faire il en avoit esté fort sollicité ; et plusieurs autres belles parolles, dignes d'éternelle mémoire, furent dites et proférées par ce bon et brave capitaine.

Finalement, sentant qu'il s'en alloit, il se hasta de dire adieu à l'évesque d'Arras -et au comte d'Aremberg, les remerciant du vray office d'amy que tous deux luy avoient fait à l'article de la mort, pour l'avoir assisté en cette dernière catastrophe de sa vie. Il dit adieu de mesme à tous ces braves capitaines et gentilshommes qui là estoient. Puis, tournant la teste, appercevant monsieur Vesalius dernier celuy, l'embrassa et le remercia de son advertissement. Finalement dit : portez-moi sur le lit, où il ne fut pas plus tôt posé, qu'il mourut entre les bras de ceux qui le couchoient.

Ainsy, superbement vestu et armé, mourut ce grand cavalier flamand : mort de grand capitaine qui, certes, mérite d'estre posée à la veue des princes, roys et gouverneurs de province, pour leur servir de patron de bravement et royallement mourir.

En appelant d'Espagne aux Pays-Bas le prince Philippe, l'empereur ne s'était pas proposé seulement de lui faire connaître des états sur lesquels son fils serait appelé bientôt à régner, deux autres objets étaient présents à sa pensée. Il désirait que le prince fût inauguré de son vivant dans nos provinces et reçût. leur serment ; il voulait ensuite, pour assurer leur maintien constant dans l'avenir sous le même sceptre, déterminer par une pragmatique sanction un ordre de succession uniforme aussi bien en ligne directe qu'en ligne collatérale. Il y avait des provinces ou les coutumes n'admettaient point la représentation[9] : telles étaient la Flandre, l'Artois et le Hainaut, et il pouvait en résulter que les dix-sept provinces vinssent à tomber en partage à des souverains différents. Pour ces deux points il fallait le consentement des mandataires de la nation. L'empereur le demanda, le 23 mai, aux états de Brabant, assemblés en sa présence et celle de la reine régente ; la même demande fut faite, le même jour, aux états de Flandre convoqués à Bruxelles[10]. Les états des autres provinces successivement eurent à en délibérer à leur tour. Tous accédèrent, sans aucune difficulté, aux propositions impériales ; les états de Brabant poussèrent même la complaisance jusqu'à modifier plusieurs articles de la Joyeuse entrée[11]. Charles-Quint avait cru devoir consulter, sur sa pragmatique, le grand conseil de Malines et le conseil de Brabant : ces deux cours de justice, les plus élevées des Pays-Bas, y applaudirent, dit M. Gachard, comme à une mesure inspirée par une haute prévoyance et dictée par l'intérêt manifeste du pays[12].

Ce fut par le Brabant, la première en rang des dix-sept provinces, que Philippe, au mois de juillet, commença la série de ses inaugurations. Le 5 juillet, il reçut à Louvain le serment des gens de loy, bourgeois et communauté d'icelle ville[13]. A Bruxelles, la réception du prince héréditaire eut lieu le 8 juillet. Sur un autel couvert de reliques, et dressé à la limite de la commune, au lieu dit les deux Tilleuls, en deçà de l'ancien bois de Linthout, il jura de maintenir dans leurs privilèges, droits, statuts et possessions, le chapitre de Sainte-Gudule, ainsi que les autres églises de Bruxelles et de son territoire. C'est la dernière fois, remarque M. Henne, que cet antique usage fut observé ; sous les successeurs de Philippe, la cérémonie se fit dans la collégiale même. Conduit ensuite à l'hôtel de ville, le prince prêta, à la bretèque, le serment ordinaire, qui lui fut traduit en espagnol, afin d'éviter tout prétexte d'ignorance dans l'avenir[14].

Le 12, la famille impériale se mit en route pour la Flandre, et arriva, le même jour, à Termonde, dont Philippe jura de respecter les privilèges. Il fut inauguré, le 17, comme comte de Flandre, à Gand, et, pour sa bienvenue, les états du comté lui votèrent cent quarante mille carolus[15]. A Bruges, il prêta serment, le 23, aux bailli, écoutète, bourgmestre, échevins, conseil, bourgeois, manans et habitans, sur un théâtre construit devant les halles et peint par Pierre Pourbus[16]. Après cette cérémonie, il se rendit à la maison du Terroir du Franc, où il fit serment à ce membre et reçut celui des députés du territoire, qui en demandèrent acte[17]. Le prince alla ensuite successivement se faire reconnaître à Ypres, à Berghes, à Dunkerque, à Gravelines, à Bourbourg, à Saint-Orner, à Béthune et à Lille[18].

Le 7 août, la famille impériale arriva à Tournai, où elle fut reçue par le prince d'Épinoy, gouverneur de la ville, qui présenta à Philippe les clefs de la cité et du château, dans un bassin d'or. Les consaux lui offrirent trois mille carolus d'or pour sa bienvenue, et les états lui firent le même don ; les reines douairières de France et de Hongrie reçurent chacune six pièces de vin. Une magnificence extraordinaire avait été déployée pour la réception ; le lendemain, Philippe prêta et reçut les serments ordinaires, comme comte de Flandre, seigneur de Tournai et du Tournaisis. La cérémonie fut troublée par une regrettable bagarre. Des hérauts ayant jeté à la foule des pièces d'or et d'argent à l'effigie et aux armes du jeune prince, la presse fut telle qu'il y eut plusieurs personnes tuées et beaucoup de blessées[19].

Les augustes voyageurs visitèrent assez rapidement Douai, Arras, Cambrai, Bouchain, Valenciennes, Landrecies, Avesnes, Chimai, Marienbourg. Le duc d'Arschot, Charles de Croy, les reçut en son château de Beaumont, dont on vantait la magnificence ; le 22 août, ils étaient à Binche où ils se reposèrent quelques jours dans le splendide palais de Marie de Hongrie. Ils se rendirent ensuite à Mariemont, où la régente leur avait préparé des fêtes somptueuses. La reine, rapporte Brantôme, ayant mené l'empereur avec toute sa cour dîner en sa belle maison de Mariemont, lui représenta un château fait de tables peintes en façon de briques, si beau qu'on pensoit que c'estoient vraies briques. Il estoit fort grand et spacieux, avec bastions de douze pieds de terre-plein, avec un fort profond fossé ; derrière le terre-plein y avoit des retranchements où les soldats se mettoient à couvert. Dedans y estoit pour le défendre Philippe de Lalaing, comte d'Hoogstraeten, avec force cavalerie, environ deux cents arquebusiers et piquiers, et quelques pièces d'artillerie. Devant il y avoit force tentes et pavillons tendus en forme de camp sur une colline. A un côté du camp, il y avoit un escadron de gendarmes des ordonnances ; de l'autre, une troupe des plus gentils cavaliers de Brabant, de Flandre et de Hainaut, et le duc Astolphe avec des cavaliers espagnols et italiens. Un peu devant eux estoient cinq compagnies d'Espagnols des vieilles bandes, aveé leurs corselets, arquebuses et morions qui reluisoient bien fort, et avec braves habillemens aussi comme des princes. M. le prince de Piémont commandait les assiégeans et avait pour maitre des camps Jean-Baptiste Guastaldo.

Devant le front du chasteau, il y avoit un grand rang et file de gabions, derrière lesquels seize grosses pièces d'artillerie à droite et deux grandes couleuvrines à gauche, pour battre en flanc et rompre les défenses. Il estoit déjà midi quand toutes ces pièces commencèrent à tirer d'une grande furie et à faire la batterie. Puis fut délégué Jean de Acunaz avec deux autres pour reconnoistre le fossé, la batterie et la brèche, si le tout estoit raisonnable à donner l'assaut. De leur costé, les assiégés ne chômoient point. Ayant vu la furie de la batterie, au moment où l'ennemi s'ébranloit pour donner l'assaut, une troupe de cavaliers et d'arquebusiers des mieux choisis sortit de la place, pour défendre le passage d'un ruisseau qui la couvroit. Il y eut là une très grosse escarmouche et gentil combat, qu'ils rendirent si brave par leur valeur, que les assaillans furent repoussés et purent s'apercevoir qu'il n'estoit pas si aisé qu'on croyoit de forcer cette place. Par quoi s'estant retirés, il fut advisé de recommencer à redoubler la batterie avec les seize pièces, et elle fut si furieuse qu'un coup n'attendoit pas l'autre : on eût dit qu'il tonnoit. Durant laquelle batterie le disner se faisoit avec de très grandes opulences de toutes sortes de vivres, de diversités de mets, surtout pour ceux du dessert et dernier service, qui fut certes beau, gentil, bien inventé et pratiqué.

Le disner achevé et la batterie aussi achevée, laquelle avoit abattu une partie du torrion et fait quelque chemin de brèche, bien qu'il fust un peu rude, quelques gentils cavaliers du camp mirent pied à terre et, avec deux compagnies d'infanterie, les corselets en teste, les arquebusiers à costé, donnèrent l'assaut et par la brèche et par l'escalade. Les assiégés se défendirent bravement, à coups de piques, de pierres, d'artifices à feu, si bien qu'ils les repoussèrent de haut en bas, sonnant toujours l'alarme de tambours à grand force et furie. Enfin, si les uns assailloient bien, les autres se défendoient mieux : un altier des assiégeans étant monté sur le haut de la brèche avec quelques soldats, ceux-ci furent portés de haut en bas, et l'alfier pris.

Un peu après, survint le duc d'Arschot accompagné de plusieurs gentilshommes, avec cinquante autres bons cavaliers, amenant force chariots pleins de munitions pour ravitailler le chasteau ; ce qu'ayant été découvert, aussitôt saillit le prince de Piémont avec cinquante cavaliers et autant d'arquebusiers, laissant ses couleuvrines tirer toujours aux défenses. Déjà les chariots estoient quasi arrivés près de la place et aucuns en estoient sortis pour les recevoir, lorsque le prince les atteignit. Là se donna un furieux conibat et rompement de lances, de coups d'épée et de l'arquebuserie qui ne cessa de jouer bien son jeu. Tout alla si bien pour le prince de Piémont qu'il enleva plusieurs prisonniers. Cependant des troupes sorties de la place alloient changer la face des choses, si le duc Astolphe n'estait accouru avec quelque cavalerie soutenir son chef. Il fut bientost suivi par Jean-Baptiste Guastaldo, qui amenoit cinquante hommes d'armes et une compagnie d'infanterie : l'arrivée de ces renforts décida la victoire, et le duc d'Arschot battit en retraite laissant ses chariots et plusieurs prisonniers aux mains de l'ennemi.

Parmi les prisonniers s'en trouvoient plusieurs appartenans à la garnison et le prince de Piémont apprit par eux que sa batterie avoit canonné le costé le plus fort du chasteau. Jean-Baptiste Guastaldo la changea sur le champ, avec une extrême diligence, pendant que la cavalerie et l'infanterie se tenaient en ordre de bataille, pour prévenir un retour offensif du duc d'Arschot. En même temps on voyoit et l'on entendoit les assiégés se remparer le mieux et le plus promptement possible. Désespérant de secours, fort incommodés par le feu des grandes couleuvrines, commençant à manquer de poudre pour le trop qu'ils avoient tiré, ils mettoient tout leur remède et espoir en leur valeur, résolus de plustost mourir que de se rendre.

Déjà le soleil commençoit à baisser, quand ceux du camp rouvrirent leur feu si furieusement que tout le torrion s'écroula. Sur quoi se donna un assaut général où les gens de cheval mirent pied à terre avec l'infanterie. A bien assailli bien défendu, et les assiégés soutinrent le choc sans reculer d'un seul pas, car il n'y avoit armes artificielles et inventions desquelles ils ne s'aidassent pour se bien défendre. Mais les assaillans se rafraichissant à chaque instant, les uns après les autres, les défenseurs du chasteau, exténués de fatigue, plièrent enfin et se retirèrent par une porte secrète qui estoit aux épaules du chasteau. Les vainqueurs se répandirent aussitost dans la place avec de grans cris de victoire et recherchèrent des dames qui, le jour auparavant, avoient esté ravies du bal par un géant accompagné de quelques cavaliers. Ils les trouvèrent dans une prison fort obscure et basse où elles avoient esté mises pour n'estre sujettes aux coups de canon. Ainsi délivrées, elles furent menées en chariot triomphant devant l'empereur, le prince et les reines.

A Binche, l'empereur avait trouvé la chambre qui lui était destinée ornée de tapisseries de haute lisse, toutes d'or, d'argent et de soie, où étaient représentées ses conquêtes et ses victoires : quelque part que se reposassent ses yeux, les souvenirs de sa gloire s'offraient toujours à lui. Cette maison de Binche, dit encore l'historien contemporain Brantôme, estoit un miracle du monde faisant honte aux sept miracles tant renommés de l'antiquité. Toute l'Europe s'entretint des pompeux banquets où la reine de Hongrie occupait la première place moins par le privilège de son rang que par celui de sa grâce. Longtemps après, lorsque les Espagnols voulaient dépeindre quelque chose d'admirablement beau, ils avaient coutume de dire proverbialement : mas brava que las fiestas de Binche[20].

Le 31 août, Philippe fut reconnu à Mons par les états du Hainaut[21], et la même cérémonie y eut lieu ensuite pour le comté de Namur, en présence des députés de cette province. La famille impériale revint à Bruxelles le 5 septembre, et, le lendemain, elle partit pour Malines, où Philippe fut inauguré le 7. Elle séjourna dans cette ville jusqu'au 11, et se rendit ensuite à Anvers, qui, pour recevoir ses illustres hôtes, déploya une magnificence inouïe. Dans les rues et sur les places publiques se dressaient vingt-huit arcs de triomphe, et l'on rapporte que les marchands étrangers dépensèrent cent trente mille écus pour le cortège. Ils y figurèrent à cheval splendidement costumés, accompagnés de près de quatre cents laquais ou pages également à cheval, suivis de quatre mille valets à pied. Cette partie de la fête souleva des questions de préséance entre les diverses nations et faillit amener de sérieux conflits[22]. Philippe fut reçu aux limites de la commune par le magistrat et par le clergé, suivis de quatre mille bourgeois armés, et prêta serment sur un autel surmonté d'un magnifique arc de triomphe[23].

L'empereur, dont la bonne saison avait rétabli les forces, avait voulu, nous venons de le voir, accompagner son fils dans cette tournée. Il ne lui avait pas été difficile de s'apercevoir de l'impression fâcheuse qu'avaient produite sur la nation l'air froid et hautain du prince et le dédain montré par celui-ci pour tout ce qui n'était pas espagnol ; il avait voulu par sa présence donner de l'élan aux démonstrations populaires. Ce voyage le fatigua beaucoup ; aussi il revint à Bruxelles, et laissa Philippe aller, en compagnie de la reine de Hongrie, terminer les cérémonies de son inauguration dans les provinces du nord. Le prince alla donc, accompagné de la régente, se faire reconnaître à Bois-le-Duc le 23 septembre ; puis en Zélande, en Hollande, à Utrecht, dans le comté de Zutphen et le duché de Gueldre. Le comte d'Aremberg fut chargé de recevoir, en son nom, le serment des Frisons et du sénat de Groningue ; l'année suivante, ce seigneur remplit la même mission dans la Drenthe. Charles ordonna d'enregistrer les procès-verbaux de toutes ces cérémonies dans les registres des conseils de Malines et de Brabant, ainsi que dans ceux des chambres de comptes de Lille, de Bruxelles et de la Haye ; il envoya ensuite des commissaires remercier les provinces de l'accueil fait à son fils, leur futur souverain seigneur.

L'empereur était à peine arrivé à Bruxelles que la goutte l'attaqua aux deux mains et lui occasionna une fièvre et des faiblesses telles qu'on fut sur le point d'envoyer un courrier au prince pour le faire revenir[24] ; il en souffrit jusqu'au commencement du mois d'octobre. Le 4 novembre, il assembla les états généraux ; Philippe et la reine régente, de retour de leur visite aux provinces septentrionales, étaient à ses côtés. Après avoir rappelé les deux propositions qu'il avait soumises, quelques mois auparavant, à chacun des corps d'état en particulier et que tous avaient sanctionnées, il remercia cordialement les représentants de la nation de l'accueil que lui et son fils avaient reçu dans toutes les provinces où ils étaient allés, et de celui qu'elles avaient fait aux reines douairières de France et de Hongrie. Il annonça que l'œuvre de la pacification de l'Allemagne, si heureusement commencée les années précédentes, l'obligeait à y retourner ; que la reine Marie, cédant à sa prière, voulait bien ne pas insister pour le moment sur la demande qu'elle lui faisait depuis plusieurs années d'être déchargée du gouvernement des Pays-Bas. Il ne négligea point sa recommandation habituelle de vivre en bonne entente pendant son absence ; il y ajouta celle de soutenir la vraie et ancienne religion catholique, en repoussant toutes les nouvelles erreurs. Le 5 novembre, il appela les députés des diverses provinces à part, et les entretint de la nécessité d'équiper un certain nombre de navires de guerre pour la garde et la défense du littoral des Pays-Bas, leur proposant d'en couvrir la dépense au moyen d'un impôt à établir sur l'importation des vins[25].

Le jour même de l'ouverture des états généraux, l'empereur promulgua la pragmatique sanction acceptée par l'unanimité des représentants du pays. Après avoir rappelé les motifs d'utilité générale qui l'avaient décidé à en faire la proposition aux états, il ordonnait, statuait et décrétait pour loi perpétuelle et irrévocable que dorénavant en tous ses pays patrimoniaux et héréditaires d'embas et de Bourgogne, la représentation en matière de succession, sans distinction de sexe, tant en ligne directe que transversale, aurait lieu jusques au nombre infini, nonobstant toutes coutumes d'aucuns desdits pays à ce contraires. Auxquelles coutumes, ajoutait-il, il avait de son autorité et plénière puissance dérogé et dérogeait. Il voulait néanmoins que ces coutumes demeurassent en leur force et vigueur au regard de ses vassaux et sujets particuliers et fussent observées et entretenues comme du passé[26]. Cet acte important, que le conseil d'état, le conseil privé, toutes les cours et tous les officiers de justice, ainsi que les cours des comptes, reçurent l'ordre d'enregistrer, fut revêtu des signatures de Marie de Hongrie, de don Philippe, du duc d'Albe, grand maitre d'hôtel ; des gouverneurs des provinces, des chevaliers de la Toison d'or présents à Bruxelles, du garde des sceaux Granvelle, de son fils l'évêque d'Arras, des présidents et des principaux membres des conseils du gouvernement. Charles-Quint réclama, en outre, pour ce statut d'une portée si considérable la confirmation du roi des Romains Ferdinand, qui la donna par des lettres datées d'Augsbourg, le 14 décembre 1550[27]. Ce luxe de formalités et de précautions montre assez l'importance attachée par l'empereur à cette mesure destinée dans sa pensée à soustraire les Pays-Bas à toute domination étrangère, à les transmettre à sa dynastie compactes et homogènes[28].

Une grave nouvelle, celle de la mort du pape, parvint quelques jours après à Charles-Quint. Paul III était mort le 10 novembre[29]. L'élection de son successeur fut longue et difficile[30]. Ce fut le cardinal Jean Marie del Monte qui l'emporta, grâce surtout aux suffrages des cardinaux français qui, par ordre de Henri II, étaient tous accourus à Rome. Le nouveau pape prit le nom de Jules III ; il avait été précepteur du neveu de Paul III ; il avait été fait cardinal par celui-ci ; il avait eu sa confiance, et avait été son légat au concile de Trente ; il avait été un de ceux qui avaient le plus contribué à la translation et au maintien de ce concile à Bologne. La France le considérait comme l'adversaire futur de l'empereur ; cependant, chose remarquable et singulièrement honorable pour le nouveau pontife, aussitôt après son élection, Jules III avait envoyé don Pedro de Tolède à Charles-Quint pour l'assurer de ses sentiments d'amitié, lui témoigner le désir de voir leurs relations fondées sur une confiance mutuelle, et lui faire l'offre de rétablir le concile à Trente, comme la chose à laquelle il savait que l'empereur attachait le plus de prix. Don Pedro de Tolède arriva à Bruxelles le 1er mars 1550 ; la veille, l'empereur avait fait partir pour Rome le grand commandeur d'Alcantara, don Luis d'Avila y Cuniga, avec la mission de présenter ses félicitations au saint père et de lui baiser les pieds en son nom[31]. Il avait différé jusque-là de convoquer la diète de l'empire, voulant voir auparavant quelle serait l'issue du conclave, et de quelles intentions le successeur de Paul III se montrerait animé[32]. Le 13 mars, il fit expédier les lettres de convocation aux princes, aux électeurs et aux états de l'Allemagne ; Augsbourg y était désigné pour être cette fois encore le siège de la diète, et l'ouverture en était fixée au 25 juin.

L'empereur s'était proposé de partir pour l'Allemagne à la fin d'avril ou au commencement du mois suivant ; il fut retenu à Bruxelles jusqu'au dernier jour de mai. Dans cet intervalle, il promulgua plusieurs ordonnances qui doivent être mentionnées ici. Le 29 avril 1550, voulant exterminer le fonds et racine de la peste des nouvelles doctrines, il renouvela les édits antérieurs contre l'hérésie et revêtit du visa impérial un catalogue, qu'à sa demande l'université de Louvain avait dressé des livres réprouvés et de ceux que les maîtres d'école pouvaient mettre entre les mains de la jeunesse[33]. Il décréta aussi une nouvelle instruction pour les inquisiteurs de la foi, sans cependant modifier, en aucun point essentiel, celle de 1546[34]. Plusieurs règlements avaient été faits précédemment, nous l'avons dit, pour mettre des bornes au luxe excessif des habillements qui régnait dans le pays : une ordonnance du 22 mai décréta de nouvelles mesures sur ce point[35]. Une autre ordonnance du 30 révoqua l'autorisation donnée, en 1537, par le gouvernement des Pays-Bas, aux nouveaux chrétiens ou juifs convertis de Portugal de s'établir en ces provinces, en enjoignant à tous ceux qui, depuis six ans, y étaient venus pour fuir l'inquisition portugaise, de s'en retirer dans le délai d'un mois avec leurs familles, à peine de confiscation de corps et de biens[36].

Le 31 mai, Charles-Quint, ayant fait ses adieux à ses sœurs, monta à cheval avec le prince Philippe, et se dirigea vers l'Allemagne ; les compagnies d'ordonnances des comtes d'Egmont et d'Aremberg formaient son escorte. Il laissait aux Pays-Bas le landgrave de Hesse sous la garde d'un capitaine espagnol, mais il emmenait avec lui son autre prisonnier, le duc Jean-Frédéric. En traversant le marché à son départ, il se tourna vers le peuple et prit congé d'icelui, ce qui ne fut sans grand regret et lamentation dudit peuple[37]. A Tongres, l'empereur reçut les hommages du prince-évêque de Liège, venu là pour lui rendre ses devoirs. A Cologne, l'archevêque électeur vint au devant de lui ; il s'y embarqua le 14 juin, et remonta le Rhin jusqu'à Mayence, où l'archevêque l'attendait et le complimenta, comme avait fait celui de Trèves à son passage par Coblence. A Spire, il reçut la visite d'un autre électeur, le comte palatin Frédéric. Arrivé à Ulm le 2 juillet, il se détourna de sa route pour montrer et expliquer à son fils les positions que, dans la campagne de 1547, son armée avait occupées à Gingen, à Nordlingen et à Donau-Werth. Il fit son entrée, le 10, à Augsbourg, où le roi Ferdinand l'avait précédé, et où se trouvaient depuis plusieurs jours les deux Granvelle, père et fils. Le duc Jean-Frédéric était parvenu la veille en cette ville, monté sur un chariot et entouré d'une garde de cavalerie et d'infanterie espagnole[38]. Quatre enseignes d'infanterie allemande avaient été réunies à Augsbourg, pour en former la garnison pendant le séjour de l'empereur.

L'acceptation de l'Intérim et la question du concile étaient les objets principaux, ostensibles, si l'on peut dire ainsi, dont la prochaine diète avait à s'occuper, mais ce n'étaient pas les seuls qui ramenaient Charles-Quint en Allemagne. La succession éventuelle à l'empire était une de ses sollicitudes dominantes depuis quelques années et de celles de son frère Ferdinand. En 1548, l'empereur, le roi des Romains et la reine Marie se trouvant réunis à Augsbourg, Ferdinand avait mis en avant cette question de la succession impériale et parlé de son fils aîné l'archiduc Maximilien, comme futur roi des Romains. Charles, avant de se prononcer là-dessus, avait voulu avoir l'avis de son fils, et celui-ci avait exprimé le vœu que la question Mt remise à un autre temps, vu l'état peu rassurant des affaires publiques en Allemagne et surtout en Italie. L'empereur avait trouvé fondées les observations de son fils, et il avait engagé le roi des Romains à ne plus parler de cette affaire qui pourrait engendrer des haines entre les princes de leur famille et qui rencontrerait de grands obstacles, si l'on voulait y donner suite. Ferdinand n'insista point pour le moment[39].

Le prince Philippe ne tarda point cependant à manifester la prétention, non pas seulement de réclamer pour lui-même la succession qui semblait dévolue à son cousin, mais de succéder directement à son père sur le trône impérial. Le bruit s'en répandit en Espagne, et l'on alla jusqu'à dire que le roi Ferdinand consentirait à se démettre, en faveur du prince, de la dignité de roi des Romains. La conclusion de cet arrangement de famille y était considérée comme l'objet principal du voyage que Philippe allait faire aux Pays-Bas. Ferdinand s'en émut ; il écrivit à la reine Marie qu'il ne pouvait croire que de tels desseins eussent passé par la tête de l'empereur, car il le tenoit, disait-il, si bon seigneur, frère et même vrai père, qu'il étoit assuré qu'il ne voudroit faire ni penser chose qui tournât si grièvement à sa honte et desréputation. Marie le rassura en lui disant que ces rumeurs n'avaient aucun fondement.

Si Philippe s'était flatté de l'espoir que son oncle pourrait être amené à lui céder la dignité de roi des Romains, le langage de Ferdinand était de nature à le convaincre de son erreur : aussi ne s'agit-il plus dès lors, entre l'empereur, le prince et la reine Marie, que d'assurer à Philippe la succession à l'empire après la mort de Ferdinand, et Marie se chargea de faire au roi des Romains des ouvertures dans ce sens. Elle ne lui cacha pas le désir du prince, mais elle ajouta que, si Philippe était très enclin de aspirer à s'assurer de l'empire après lui, l'empereur y trouvait plus de pro et contra, et ne voulait s'en résoudre qu'après qu'ils auraient conféré ensemble. Ferdinand se contenta de répondre que l'affaire en effet était si grande et de tel poids et importance qu'elle lui semblôit requérir bonne délibération. Mais, quoi qu'en dît la reine, Charles désirait tout aussi ardemment que son fils de voir la dignité impériale assurée à celui-ci[40]. Il lui répugnait toutefois d'être le premier à entretenir le roi des Romains d'un sujet qu'il savait lui être si désagréable ; il aurait voulu que Ferdinand lui en parlât d'abord. Par son ordre, l'évêque d'Arras, à peine arrivé à Augsbourg, alla voir le roi et essaya de l'amener habilement sur le terrain voulu, mais Ferdinand ne se laissa point prendre à ce manège. L'empereur essaya de quelques autres moyens, mais ne parvint point à faire sortir son frère de sa réserve. Il résolut donc de temporiser. La reine Marie ayant offert de venir à Augsbourg, si on le jugeait nécessaire, pour moyenner une transaction entre les deux branches de la maison impériale, Charles accepta cette offre, et Philippe pria avec instance sa tante d'y donner suite. Ferdinand, de son côté, se félicita de la tournure que prenait la chose, et, dans sa correspondance avec la reine, il exprima l'espoir qu'on laisserait tomber un projet dont l'exécution lui paraissait impossible, et dont la proposition seule ferait naître beaucoup de défiances et d'aigreurs[41].

L'empereur ouvrit la diète le 26 juillet ; l'assemblée était très peu nombreuse. Des sept électeurs ceux de Mayence et de Trèves étaient seuls présents ; le comte palatin, dans son entrevue à Spire avec Charles, s'était excusé sur son grand âge ; le duc Maurice de Saxe et le marquis de Brandebourg avaient prévenu le roi des Romains, dès le mois d'avril, qu'ils n'y viendraient pas, si le landgrave n'était mis en liberté ; la plupart des princes ecclésiastiques et séculiers y manquaient aussi. La session commença par une allocution du cardinal d'Augsbourg, et le secrétaire de l'empire donna ensuite lecture des propositions impériales. Les affaires religieuses en formaient la matière principale. L'empereur annonçait que, conformément au vœu des états, il avait obtenu du nouveau pape la continuation du concile à Trente, et qu'il attendait d'heure en heure un nonce apostolique avec lequel cet important objet serait réglé, Il se plaignait que l'Intérim et les mesures prises pour la réforme des abus ne fussent pas observés, même par beaucoup de ceux qui les avaient votés., Il réclamait des mesures énergiques contre les villes qui se montraient obstinées dans leur rébellion contre les ordonnances, son autorité et celle de l'empire[42]. Il fut annoncé ensuite que l'empereur nommait président de la diète l'archevêque de Mayence. Ces choses faites, Charles, son fils et son frère allèrent chasser en Bavière ; ils ne revinrent à Augsbourg que le 8 août.

Sur ces entrefaites, Sebastiano Pighino, archevêque de Siponte, était arrivé en cette ville, en qualité de nonce du Saint-Siège. Charles reçut en audience ce prélat le 11 août. Le nonce, suivant ses instructions, donna l'assurance à l'empereur qu'en rappelant le concile à Trente, le pape désirait marcher d'accord avec lui, selon son devoir de bon pasteur, pour la conservation et l'exaltation de la foi, la confusion des hérétiques, l'avantage de l'empereur lui-même et des états de ce prince, le maintien de l'autorité pontificale. Il le priait toutefois de considérer les égards qu'il fallait avoir pour le roi de France, si l'on voulait que ce monarque envoyât au concile les prélats de son royaume ; la pauvreté des évêques italiens, qui ne leur permettait pas de séjourner longtemps à Trente ; la nécessité par conséquent de régler les choses afin qu'une seule heure ne fût pas consumée en vain. Il fit remarquer l'opportunité d'obtenir de nouveau des états de l'Allemagne et des protestants l'engagement de se soumettre aux décisions du concile, dont les décisions antérieurement prises sur les matières de la foi ne pouvaient plus être remises en question. Le nonce terminait en réclamant l'assistance de l'empereur pour que, dans le concile et hors du concile, l'autorité que le pape tenait immédiatement de Dieu fût respectée de tous. Charles accueillit très favorablement les communications du nonce ; il promit d'être dans l'avenir, comme il l'avait été dans le passé, le protecteur de l'autorité du souverain pontife et du siège apostolique.

Les états de l'empire, ayant délibéré sur les propositions du 26 juillet, présentèrent leur réponse au roi des Romains le 19 août ; l'empereur, en ce moment, était indisposé. Ils consentaient à soumettre les différends sur la religion au concile universel, comme l'avait fait la diète précédente, et ils offraient de s'employer auprès des villes réfractaires, pour les amener à une amiable composition. Au grand étonnement de tous, les représentants de Maurice de Saxe n'avaient pas voté la première résolution, en déclarant qu'ils voulaient un concile où le pape ne présidât ni par lui-même ni par ses légats. Cette conduite peu franche était dictée à Maurice par le désir de conquérir l'affection de ses sujets mal disposés à son égard[43]. L'empereur ne s'en émut point ; il avait, nous l'avons dit, l'engagement, écrit du prince saxon de se soumettre aux décisions du concile[44].

Depuis plusieurs années, la santé de Nicolas Perrenot de Granvelle, père de l'évêque d'Arras, allait en dépérissant. Dans l'été de 1549, il avait quitté la cour pour se rendre en Franche-Comté. Il avait fait un effort suprême pour venir à Augsbourg, où l'empereur jugeait sa présence nécessaire, surtout pour l'affaire épineuse de la succession à l'empire. Le voyage ne fit qu'augmenter son mal. Il était atteint d'hydropisie, et, le 27 août, il rendit le dernier soupir dans sa soixante-dixième année[45]. Charles-Quint fit en lui une perte qui eût paru irréparable, si le fils de ce ministre éminent n'avait été là pour le remplacer. Au jugement de ses contemporains les plus capables de l'apprécier, Granvelle était le premier homme d'état de son temps[46]. Sa prudence, sa dextérité dans le maniement des affaires, sa connaissance des vues et de la politique des différentes cours de l'Europe étaient sans égales. Jamais il n'était embarrassé, et il trouvait toujours des expédients pour sortir des circonstances les plus critiques[47]. La modération formait le fond de son caractère[48] ; son affabilité, sa courtoisie dans ses rapports avec les ministres étrangers n'étaient jamais en défaut[49]. L'empereur avait en lui une confiance sans bornes et ne faisait rien sans le consulter ; une harmonie parfaite dans les appréciations et les sentiments régnait entre ces deux hommes[50]. Chaque matin, Charles faisait demander à son ministre ce qu'il avait à faire ce jour-là et ce qu'il devait répondre aux ambassadeurs et aux autres personnages officiels admis à son audience[51]. Le seul reproche qu'on ait adressé à Granvelle est de s'être montré trop ardent à s'enrichir et à enrichir sa famille. Il aimait à recevoir des présents, et, d'après la rumeur publique, les accommodements avec les princes et les villes d'Allemagne en 1546 et 1547 avaient été pour lui un puits d'or[52]. C'était le mal de son époque. Granvelle, né pauvre, laissa une brillante fortune à sa nombreuse postérité[53]. Charles-Quint, le roi des Romains, le prince Philippe envoyèrent à l'envi les principaux officiers de leur entourage porter à sa veuve, Nicole Bonvalot, et à ceux de ses enfants qui étaient auprès d'elle, leurs compliments de condoléance. Le 30 août, un service solennel fut célébré à la cathédrale d'Augsbourg en mémoire de ce défunt si regretté ; le duc d'Albe y représenta l'empereur en qualité de grand maître de sa maison ; tous les princes, tous les membres de la diète, tous les officiers de la cour y assistèrent. Le corps fut porté à Besançon, où il reçut la sépulture. Charles-Quint donna à l'évêque d'Arras les charges occupées par le père du prélat ; il y ajouta ces paroles consolantes qui honorent à la fois le prince et le sujet : J'ai plus perdu que vous, j'ai perdu un ami que je ne retrouverai plus ; mais vous qui avez perdu votre père, vous le retrouverez en moi[54]. On est digne d'être bien servi, quand on sait ainsi reconnaître les services rendus.

Le 10 septembre, la reine Marie arriva à Augsbourg. Le but de son voyage avait été tenu secret, et elle-même avait déclaré que d'importantes affaires concernant les Pays-Bas en étaient le motif. En réalité il y en avait une qui l'occupait beaucoup en ce moment, elle et son conseil. On s'était fort ému à Anvers de certaines dispositions de l'édit impérial du 29 avril contre le luthéranisme : telles étaient la mention faite des inquisiteurs, la défense de recevoir ou de loger chez soi les personnes suspectes d'hérésie, l'injonction d'exiger de celles qui venaient résider aux Pays-Bas un certificat de leur curé. On représentait ces dispositions comme devant entraîner la décadence ou même la ruine du commerce, et déjà on annonçait que plusieurs marchands étrangers avaient annoncé l'intention de retourner dans leur pays. Marie avait répondu aux remontrances du magistrat que l'intention de l'empereur n'était nullement d'introduire aux Pays-Bas l'inquisition d'Espagne ; qu'il s'agissait uniquement de l'inquisition, c'est-à-dire, de la recherche des hérétiques, telle qu'elle existait dans ces provinces depuis plus de vingt ans, que la disposition relative aux certificats des curés ne devait pas s'entendre à la rigueur[55]. Cela n'avait pas suffi pour tranquilliser les esprits ; il fallut qu'elle promît d'aller trouver l'empereur pour solliciter des modifications à l'édit.

Pendant le temps qu'elle passa à Augsbourg, Marie eut de longs et fréquents entretiens avec le roi Ferdinand ; nous n'en connaissons pas le détail. Ce qui est certain c'est que Ferdinand ne céda point, et ne voulut, en l'absence de son fils, entrer en aucune négociation qui eût pu avoir pour résultat de porter atteinte aux drois éventuels de ce dernier. La reine quitta Augsbourg le 26 septembre. La veille, l'empereur avait signé une ordonnance qui modifiait celle du 29 avril dans les points qui avaient soulevé le plus de réclamations à Anvers[56].

Avant l'arrivée de la reine Marie à Augsbourg, le prince Philippe était mal vu des électeurs, des princes de l'empire et des autres membres de la diète : on avait remarqué avec indignation qu'en faisant visite à l'archevêque de Mayence, il s'était placé à la droite dè l'électeur et était resté couvert tandis que le prélat tenait son bonnet à la main[57]. Sa hauteur, sa taciturnité lui aliénaient tous les esprits. La reine s'appliqua à lui faire comprendre combien cela était contraire à son intérêt, et le mit en rapport plus intime avec les électeurs. On le vit depuis tantôt les inviter à sa table, tantôt dîner lui-même chez eux. Il était obligé de leur adresser la parole en latin, car il ne connaissait pas la langue allemande et ne parlait pas le français, quoiqu'il le comprit[58]. Jusque là il n'avait pas eu la réputation d'être très adroit dans les exercices du corps, mais il se réhabilita dans un tournoi donné, le 19 octobre, en l'honneur de la duchesse douairière de Lorraine, sa cousine, et remporta le prix destiné à qui romprait le plus de lances.

L'empereur montrait les intentions les plus conciliantes envers la diète, et se mit facilement d'accord avec elle sur les divers points qu'ils eurent à traiter. Toutefois il s'opposa avec une persistance inébranlable à une prétention des états. Aux termes de la transaction conclue, en 1548, entre l'Allemagne et les Pays-Bas, ceux-ci devaient être à tout jamais exempts de la juridiction des tribunaux de l'empire, sauf en ce qui touchait leur quote-part dans les contributions. Cependant les états, sous le prétexte que les gouverneurs des Pays-Bas pourraient attenter quelque chose contre quelque territoire allemand ou contre la paix publique, sollicitèrent de l'empereur une déclaration portant que ces cas seraient justiciables de la chambre impériale. Charles-Quint s'y refusa nettement : il avait juré, disait-il, à ses sujets des Pays-Bas de les maintenir dans leurs franchises, libertés et privilèges ; il ne lui était pas loisible de toucher, sans leur consentement, à ce qui avait été convenu en 1548. Il maintint cette détermination, malgré toutes les instances de la diète, et plus particulièrement des électeurs ecclésiastiques, en les assurant d'ailleurs que, si quelque chose était fait du côté des Pays-Bas contre la paix publique de l'Allemagne, on le trouverait toujours prêt à administrer bonne justice à ceux qui seraient en droit de se plaindre, et à d'aber les délinquants[59].

Le 10 décembre, l'archiduc Maximilien, fils aîné du roi des Romains et désigné lui-même, dès cette époque, sous le nom de roi de Bohême[60], était arrivé à Augsbourg et y avait été accueilli avec un sympathique empressement. Ce prince plaisait fort aux Allemands, qui ne dissimulaient pas leur désir de l'avoir un jour pour empereur[61]. Le prince Philippe s'empressa de lui faire visite, et le conduisit lui-même chez l'empereur. Il ne négligea rien pour gagner son affection et fit tout ce qu'il put pour se lier avec lui. Mais Maximilien ne répondit nullement à ces avances, évita toutes les occasions de se rencontrer avec Philippe, et quand il ne pouvait y échapper, se montra toujours froid et réservé[62]. L'archiduc Ferdinand, second fils du roi des Romains, arriva à Augsbourg quatre jours après son frère. La reine de Hongrie y était aussi attendue, et, le 1er janvier 1551, elle vint rejoindre ses frères et ses neveux, comme il avait été convenu entre eux. A peine arrivée, elle s'empressa de reprendre les négociations commencées. Le roi des Romains continuait à montrer une grande répugnance pour le projet de Charles-Quint ; lui et son fils Maximilien semblaient prendre à tâche d'éluder tout entretien à ce sujet. L'empereur était très mécontent et ne s'en cachait pas. Je suis jusques au bout de patience, écrivait-il à la reine Marie, remémorant ce que j'ai fait pour eux, et que, après qu'ils ont tiré de moi ce qu'ils ont voulu, nous tombons en tels termes[63]. La reine avait trouvé Ferdinand intraitable, et elle-même s'en plaignait hautement[64].

Les négociations continuaient cependant ; elles excitaient une extrême curiosité parmi les diplomates présents à Augsbourg ; mais comme l'empereur, le roi des Romains et celui de Bohème, la reine Marie étaient, avec Granvelle — c'est ainsi que nous appellerons désormais l'évêque d'Arras — les seules personnes qui y eussent part, ces négociations restaient enveloppées d'un impénétrable mystère[65]. Cependant les princes et les états de l'empire s'étaient plaints, à plusieurs reprises, que la diète durât aussi longtemps, puisqu'on avait statué sur toutes les demandes de l'empereur. Charles fut obligé de faire droit à ces réclamations répétées, et il fixa la clôture de la diète au 14 février. La cérémonie eut lieu dans la chapelle de la maison qu'il habitait. Il était présent, ainsi que le roi son frère, les électeurs, les princes et tous les membres des états. Le recez lu, l'empereur, par l'organe du cardinal d'Augsbourg, remercia les assistants des peines et des soins que ceux-ci s'étaient donnés pour l'arrangement des affaires de l'Allemagne ; il les exhorta à comparaitre au concile convoqué à Trente par le pape pour le 1er mai. Le secrétaire de l'électeur de Mayence, au nom de l'assemblée, remercia l'empereur de tant de fatigues souffertes par lui dans l'intérêt de l'empire, et promit que tous, protestants aussi bien que catholiques, se rendraient au concile, comme il venait de les y inviter.

Charles avait fait recevoir son fils par les états des Pays-Bas pour leur futur souverain ; il voulut aussi lui donner, par anticipation, l'investiture de ceux de ces pays qui relevaient de l'empire. Son désir était d'entourer cette cérémonie d'une grande solennité ; il espérait que les électeurs, les princes et les autres membres de la diète en rehausseraient l'éclat par leur présence, et, dans cette vue, il avait fait commencer des préparatifs sur la grande place d'Augsbourg. Mais il rencontra de l'opposition chez les représentants des membres absents de l'assemblée, qui déclarèrent ne pouvoir intervenir à cet acte sans des pouvoirs spéciaux, attendu les modifications apportées par l'empereur aux conditions des anciennes investitures. Charles entendait, en effet, se réserver l'administration des Pays-Bas, ce qui était contraire aux règles anciennes, et établir la succession éventuelle des femmes au duché de Gueldre. L'investiture eut donc lieu dans sa demeure privée[66], et voici le récit que nous en a laissé l'auteur contemporain des Voyages de Charles-Quint[67] : Le 7 mars, étant Sa Majesté à Augsbourg, assise en son siège impérial, accompagnée de plusieurs princes, seigneurs et prélats et ceux de son conseil, vinrent le prince de Gavre, comte d'Egmont, et le comte de Hornes, lesquels étant à genoux devant le passet de Sa Majesté, fut par ledit prince de Gavre exposé en latin comment ils étoient là envoyés de la part de son fils Philippe, prince d'Espagne, etc., lequel supplioit à Sadite Majesté être reçu en fief de l'Empire, et lui octroyer l'investiture des pays que Sa Majesté son père tient en fief dudit Saint Empire en général, sans spécifier aucun desdits pays, étant prêt d'en faire son devoir et serment de fidélité envers Sa Majesté et le Saint Empire. Les ayant ouïs, Sadite Majesté appela l'évêque d'Arras et le docteur Seldt, et après fut répondu, au nom de Sa Majesté, auxdits comtes ambassadeurs que Sa Majesté étoit prête de recevoir ledit prince, lequel fut alors amené par lesdits deux seigneurs. Et étant entré, fit trois révérences, se mettant à genoux sur le bord du passet de Sa Majesté, et les deux derrière lui, où par ledit d'Egmont fut derechef exposé plus amplement ce que ledit prince requéroit-. A quoi fut de Sa Majesté répondu par ledit Seldt. Puis le prince se leva, et, approchant de Sadite Majesté, se mit encore à genoux, tenant ses deux mains sur le missel ouvert, prononçant les paroles qui lui furent prédites et leues par icelui Seldt, qui étoient le serment accoutumé, qu'il fit à Sa Majesté. Puis prit icelle l'épée impériale en ses mains, que le maréchal impérial tenoit, faisant baiser audit prince le pommeau d'icelle. En après se leva et se fut remettre à genoux sur ledit passet, où par le dessusnommé prince de Gavre fut fait un beau remerciement. Ce achevé, chacun se retira[68].

Après la clôture de la diète, la reine Marie avait continué ses pourparlers avec Ferdinand. Le roi se montrait toujours difficile ; il savait que la nation allemande se prononçait contre ce qu'on réclamait de lui. Les électeurs disaient ouvertement qu'il ne leur appartenait d'élire ni un coadjuteur de l'empire ni un second roi des Romains ; que tout leur pouvoir consistait à choisir un empereur, quand l'empire était vacant, et, en l'absence de l'empereur, si le besoin s'en faisait sentir, un roi des Romains ; que nul de ces deux cas ne se présentait actuellement ; que si l'on voulait faire un coadjuteur ou un nouveau roi des Romains, il fallait réunir tous les princes et les représentants des états ayant siège à la diète, pour délibérer sur ce qu'exigeait la nécessité. Ils étaient bien certains d'ailleurs que cette assemblée ne consentirait jamais à chose pareille, d'autant plus que beaucoup de princes ne se gênaient point pour dire que plutôt que d'élire Philippe, ils s'accommoderaient avec le Turc[69]. Mais, malgré tout cela, la volonté de l'empereur prévalut, et le roi des Romains finit par céder[70]. Le 9 mars 1551, dans la chambre de l'empereur, où étaient avec lui son frère Ferdinand, le prince d'Espagne, la reine douairière de Hongrie, le.roi de Bohème et Granvelle, quatre actes furent lus et signés, dont nous allons faire connaître en substance le contenu d'après M. Gachard.

Le premier était une convention entre le roi des Romains et le prince d'Espagne par laquelle Ferdinand s'engageait à employer tous les moyens convenables pour que les électeurs donnassent l'assurance d'élire le prince à la dignité de roi des Romains, incontinent que ledit seigneur roi seroit couronné empereur, à condition qu'ils assurassent aussi d'élire Maximilien roi des Romains, quand le prince parviendrait à l'empire. De son côté, le prince s'engageait, le cas arrivant, à députer Maximilien, en qualité de son lieutenant, pour gouverner l'empire en son absence, comme l'empereur l'avait fait à l'égard du roi son frère. Il prenait de plus l'engagement, lorsqu'il aurait été élu roi des Romains de ne se mêler en façon quelconque du gouvernement de l'empire plus avant que le roi, lors empereur, lui consentiroit. Le roi et le prince se promettaient, après le décès de l'empereur, une assistance mutuelle envers et contre tous. Ils convenaient enfin, et ce du consentement de l'empereur, que le prince, étant parvenu à la dignité de roi des Romains, épouserait une des archiduchesses filles du roi[71].

Par le deuxième acte, Philippe confirmait les engagements pris dans le précédent envers le roi et Maximilien[72]. — Le troisième consistait dans des lettres par lesquelles Ferdinand donnait sa parole de roi que, venant à l'administration de l'empire, il nommerait le prince Philippe gouverneur et son lieutenant en Italie, pour y exercer, lorsque lui Ferdinand ne serait point en ce pays, l'autorité qui lui appartenait, tant en matière de justice qu'autrement. Il se réservait à lui-même la reprise des fiefs qui se faisait à l'avènement d'un nouvel empereur ; après celle-ci, le prince jouirait de tous les reliefs, excepté ceux des gros fiefs tels que Mantoue, Montferrat, Florence, le vicariat de Piémont et ce que le duc de Ferrare tenait en l'empire. Le prince ne pourrait demander aide aux feudataires impériaux que du su et consentement de l'empereur, excepté pour la défense de l'Italie et des états que l'Espagne y possédait. Le roi se réservait de leur demander aide et assistance contre le Turc[73].

Des réversales de Philippe formaient le quatrième acte. Indépendamment de l'obligation d'observer le contenu des lettres précédentes, le prince promettait, qu'étant nommé au gouvernement de l'Italie, il porterait à Ferdinand tout honneur, révérence et obéissance, comme roi des Romains étoit tenu de faire à un empereur, ou un lieutenant à son chef, et qu'il rendroit tout le meilleur devoir qu'il lui serait possible pour la bonne conduite et administration de ladite Italie en ce qui dépendoit de l'empire, et pour la maintenir sous l'autorité impériale[74].

Ces quatre actes avaient été rédigés en français par Granvelle ; ils étaient écrits entièrement de la main de la reine Marie. La rédaction en avait été longuement débattue entre la reine et le roi des Romains et plusieurs fois modifiée. Lorsque les parties contractantes y eurent apposé leurs signatures, Maximilien, qui jusque là s'était tenu dans un coin de la chambre avec Granvelle, s'approcha de l'empereur et, lui adressant la parole en espagnol, le supplia de croire qu'il n'avait fait ni démarches directes ni indirectes auprès des électeurs pour parvenir à la succession de l'empire, et que, s'il avait eu la volonté d'y parvenir, ce n'eût été qu'avec son consentement. Il promit à l'empereur ainsi qu'au prince d'Espagne, sur sa foi et son honneur, non seulement de n'apporter aucun empêchement par lui ni par d'autres à ce que cette succession fût assurée au prince, mais encore d'y aider, se soumettant, s'il manquait à sa promesse, à la punition de l'empereur. Enfin il déclara se vouloir employer toute sa vie au service de l'empereur, comme de son seigneur et père, et à celui du prince, comme de son bon seigneur et frère. Cette déclaration, dont il fut dressé acte[75], aurait eu de l'importance, si elle avait été spontanée, mais on a la preuve qu'elle fut dictée à Maximilien par la reine de Hongrie[76].

Tous ces arrangements terminés entre les deux branches de la maison d'Autriche, Ferdinand partit, le 10 mars, pour la Hongrie ; il fut suivi, le lendemain, par le roi de Bohème, et, quelques jours après, par ses deux autres fils, les archiducs Ferdinand et Charles. Le 7 avril, la reine Marie reprit le chemin des Pays-Bas. Philippe se mit en route le 25 mai ; il allait s'embarquer à Gènes, où devait le rejoindre Maximilien, qui allait chercher en Espagne la reine sa femme. Charles-Quint demeura à Augsbourg. L'empereur y fit publier, le 13 avril, que les légats du pape étant en chemin pour Trente, il requérait les protestants et tous autres de s'y trouver le jour fixé pour la réouverture du concile ; qu'ils pourraient franchement et librement s'y rendre et y demeurer, et aussi retourner chez eux, quand ils le voudraient ; qu'ils y seraient ouïs en leurs raisons ; que s'ils ne s'y trouvaient point et que des décrets fussent rendus en opposition à leurs doctrines, ils ne seraient pas admis à alléguer plus tard qu'on avait refusé de les entendre ; enfin que ce que le concile déciderait serait observé et mis à entière exécution[77].

La santé de l'empereur ne s'était pas améliorée pendant son séjour en Allemagne. Depuis le commencement du mois d'août jusqu'à la fin de l'hiver, il avait été presque constamment obligé de garder le lit ou la chambre, souffrant tantôt de pertes de sang produites par les hémorroïdes, tantôt de la goutte, d'autres fois de l'asthme, qui était aussi une de ses maladies[78]. Sans négliger les affaires publiques, il n'avait donné que de rares audiences aux ambassadeurs, assis en une chaise et ayant les pieds haussés et appuyés[79]. On espérait que ces indispositions répétées le porteraient à suivre un régime plus sévère dans ses repas, car ce grand homme, remarque M. Mignet, qui savait commander à ses passions, ne savait pas contenir ses appétits ; il était maure de son âme, dans les diverses extrémités de la fortune, il ne l'était pas de son estomac à table. On avait dit qu'il avait réduit le nombre des plats qui lui étaient servis chaque jour, et proscrit les mets contraires à sa santé[80]. Malheureusement le témoignage un peu antérieur de Granvelle, mieux informé, ne concorde pas avec les bruits qui couraient le monde politique à Augsbourg[81].

La reprise des travaux du concile œcuménique eut lieu à Trente, le 1er mai, sous la présidence du cardinal Crescentio, légat du pape, assisté de l'archevêque de Manfredonia, Pighini, et de l'évêque de Vérone, Lippotnani. La douzième session fut fixée au 1er septembre, afin que les prélats et les théologiens des divers pays catholiques, ainsi que les protestants, eussent le temps d'arriver. Jules III avait fait offrir à l'empereur, par le cardinal d'Imola, de se rendre en personne à Trente, si lui-même voulait y être présent, afin de travailler plus efficacement ensemble à apaiser les différends religieux de l'Allemagne. Charles déclina cette offre, et nomma pour ses ambassadeurs auprès du concile le comte Frédéric de Furstemberg, don Francisco de Tolède, prieur de Roncevaux, et le comte de Monteagudo. La reine Marie leur adjoignit, pour représenter les Pays-Bas, le protonotaire Guillaume de Poitiers, chancelier de l'évêque de Liège[82]. Plusieurs théologiens belges de renom assistèrent à cette grande réunion des chefs de la catholicité, et intervinrent avec distinction dans les délibérations[83]. Les docteurs de Louvain, remarque M. Henne, furent l'objet d'une bienveillance particulière de la part des pères du concile[84].

Henri II, nous l'avons vu, avait succédé à François Ier en 1547. Il avait, dit M. Guizot, tous les défauts, et, sauf la bravoure personnelle, aucune des qualités brillantes et aimables du roi son père. Comme François Ier, il était étourdi et imprévoyant dans ses résolutions et ses entreprises ; mais sans avoir la promptitude, la fécondité et la souplesse d'esprit que François Ier déployait pour sortir des mauvais pas où il s'était mis et pour en écarter ou en atténuer les conséquences. Henri était froid et sans attrait autant que François était gracieux et habile à plaire ; et tandis que, même quand il se gouvernait mal, François Ier du moins se gouvernait lui-même, Henri II subissait, sans s'en défendre et probablement sans s'en douter, l'influence de la favorite qui régnait dans sa maison comme dans sa cour[85], et des conseillers qui dominaient dans son gouvernement[86]. Ce triste roi manquait complètement de sincérité dans sa politique, bien que son ambassadeur Marillac eût eu ordre de déclarer, en arrivant à son poste auprès de Charles-Quint, que, sous le règne de son maître, ce qu'on affirmerait serait trouvé véritable, que le oui serait oui, et le non serait non[87]. En réalité le roi de France, jaloux de l'ascendant de l'empereur en Europe, ne cherchait qu'à lui susciter sous main des ennemis et à allumer une guerre générale.

Une occasion de remettre le pied en Italie s'était offerte à Henri II, et il n'avait pas manqué d'en profiter. Une conjuration avait fait périr Pierre-Louis Farnèse, duc de Parme et de Plaisance, fils de Paul III. Ce pape avait été engagé dans le mariage, nous l'avons dit déjà, avant d'entrer dans l'ordre ecclésiastique. Paul, dans un intérêt de conservation contre les envahissements du dehors, avait remis le duché de Parme sous le gouvernement direct du saint siège, au détriment de son petit fils Octave, et l'empereur, quoiqu'Octave fût son gendre, lui avait repris Plaisance dans des vues analogues. Jules III rendit d'abord le duché de Parme à Octave, mais plus tard il voulut le reprendre pour le restituer aux états de l'Église, et lui proposa en échange le duché de Camerino. Octave invoqua contre son aïeul et son beau-père l'appui du roi de France, et se mit sous sa protection. Henri II ne demandait pas mieux, et, par un traité signé le 27 mai 1551, il s'engagea à faire passer à Parme deux mille fantassins et deux cents chevaux ; il promit de plus à Octave Farnèse un subside annuel de douze mille écus.

A la première nouvelle de ces négociations, Jules III avait réclamé l'assistance de l'empereur. Charles, convaincu du danger que l'occupation de Parme par les Français ferait courir à l'état de Milan, accueillit sans hésiter la demande du pape. Il lui prêta deux cent mille écus pour les frais de la guerre, et mit à sa disposition les forces qu'il avait en Italie. Mais le rôle d'auxiliaire du duc de Parme ne pouvait longtemps suffire à Henri II. Ce prince fit saisir dans son royaume des navires et des biens appartenant aux sujets des Pays-Bas, et autorisa d'autres actes d'hostilité contre ces provinces[88]. Cossé-Brissac, qui gouvernait le Piémont pour la France, reçut l'ordre de commencer la guerre sans la déclarer auparavant, ce qui était fouler aux pieds les lois en usage chez toutes les nations civilisées. Le 2 septembre, dans la nuit, les Français sortirent de Turin et tentèrent de surprendre trois postes différents : San Damiano de Montferrat, qui ne fit point de résistance, Chieri, dont la garnison était sur ses gardes, et Cherasco, d'ott ils furent repoussés avec perte[89]. Au même moment, le baron de la Garde, un de leurs amiraux, capturait en pleine mer quarante-cinq navires belges chargés de marchandises d'une valeur de cinq cent mille écus[90] ; les galères de Marseille s'emparaient à l'improviste, sur la côte de Catalogne, de plusieurs bâtiments qui étaient à l'ancre sans défiance, et l'ambassadeur de France à Constantinople, d'Aramon, était venu avec deux galères et une galiote se joindre à la flotte turque qui assiégeait Tripoli d'Afrique appartenant à l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, et avait déterminé, par ses pratiques, le gouverneur à rendre aux Musulmans une place battue à peine depuis six jours sans avoir soutenu d'assaut[91]. Enfin, le 12 septembre, le connétable de Montmorency fit savoir à l'ambassadeur impérial, Simon Renard, que sa mission avait pris fin[92]. C'était l'équivalent d'une déclaration de guerre.

Charles-Quint et la reine Marie ainsi provoqués congédièrent, à leur tour, lès sieurs de Marillac et de Basse-Fontaine. La guerre fut déclarée, dans les Pays-Bas, le 26 septembre 1551. L'empereur écrivit à la reine de Hongrie qu'il fallait faire tout le pis que l'on pourroit à l'encontre des François, la courtoisie et douceur dont on avoit usé envers eux les ayant rendus plus insolents[93]. Toutefois la saison était trop avancée pour que, de l'une ou de l'autre part, on pût, en cette campagne, entreprendre quelque chose d'important. Mais de plus graves évènements se préparaient du côté de l'Allemagne.

La diète avait laissé à l'empereur le soin d'aplanir les difficultés que rencontrait l'observation de l'Intérim. Nous devons à Granvelle la connaissance d'un fait qui se passa peu de temps après la séparation de l'assemblée, et qui nous édifie singulièrement sur la valeur de la plupart de ces prédicants d'hérésie, qui depuis trente ans soufflaient le feu de la discorde en Allemagne. Dans les derniers jours d'août, l'empereur donna l'ordre que les ministres luthériens demeurés à Augsbourg, au nombre de dix, fussent examinés l'un après l'autre par des commissaires, parmi lesquels l'évêque d'Arras figurait lui-même. Or voici quel fut le résultat de l'examen. Il fut constaté que les ministres étoient tous dix d'opinions différentes, et qu'ils étoient ignorants et idiots comme des gens qui n'avoient aucune institution de lettres. L'empereur les bannit d'Augsbourg, avec l'approbation du grand conseil de bette ville et sans l'opposition d'un seul des quatre cents membres qui le composaient[94].

Avant de se séparer, Charles et Ferdinand étaient convenus de travailler d'accord auprès des électeurs pour leur faire agréer les arrangements conclus le 9 mars touchant la succession à l'empire. Ferdinand envoya à cet effet ses mandataires aux électeurs de Brandebourg et de Saxe, et Charles en députa de son côté à l'électeur palatin, et aux archevêques de Mayence, de Cologne et de Trèves. Ces mandataires étaient porteurs de lettres écrites au nom de l'empereur et du roi des Romains, et revêtus des signatures de l'un et de l'autre[95]. Bien accueillis partout, ils ne rapportèrent que des réponses évasives et dilatoires. Personne ne voulait s'engager seul et sans connaître l'opinion des autres électeurs. Il était évident qu'on s'entendait au fond, parce qu'on n'aimait pas le prince d'Espagne et qu'on ne voulait pas du gouvernement des Espagnols[96]. Toutes ces négociations s'en allèrent donc en fumée, et les embarras pressants où l'on allait se trouver ne devaient plus permettre de les reprendre. Charles-Quint put reconnaître alors, selon la remarque de M. Gachard, le tort qu'il avait eu de mettre en avant des prétentions qui l'avaient rendu odieux aux Allemands, lui avaient aliéné l'affection des princes de sa famille, et n'avaient certainement pas été étrangères au soulèvement de l'Allemagne[97]. Le projet auquel les actes du 9 mars 1551 donnèrent un commencement d'exécution fut la plus grande faute politique de son règne, et celle qui eut pour lui les conséquences les plus funestes[98].

Charles-Quint ne pouvait prolonger plus longtemps son séjour à Augsbourg. Il avait eu d'abord la pensée de passer aux Pays-Bas, mais les mouvements des Français en Italie le firent changer de résolution. Il eût été trop éloigné pour pourvoir aux affaires de Parme et de la Lombardie, et il ne voulait pas se mettre dans l'impossibilité de prendre une part active à la guerre, si les circonstances l'exigeaient. Il crut donc qu'Insprück était la ville où il pourrait le plus convenablement s'établir. Cependant, avant de se décider, il consulta sa sœur Marie et Granvelle, l'homme de sa confiance. Celui-ci se prononça pour les Pays-Bas ; la reine aurait préféré Worms ou Spire. L'empereur maintint le choix fait d'Insprück[99], dont le roi Ferdinand venait de mettre le palais à sa disposition. Le 20 octobre, ayant donné l'ordre aux Espagnols qui occupaient le Wurtemberg[100] et aux lansquenets établis à Augsbourg de partir pour l'Italie, il se mit en chemin avec sa maison, les deux compagnies d'hommes d'armes des Pays-Bas et la troupe qui formait l'escorte du duc Jean-Frédéric ; il arriva à Insprück le 2 novembre.

Charles était à Insprück depuis une quinzaine de jours lorsqu'une ambassade des électeurs de Saxe et de Brandebourg, du roi de Danemark, de l'électeur palatin, des ducs de Wurtemberg et de Mecklembourg, du marquis Jean de Brandebourg et du marquis de Bade vint solliciter de lui la mise en liberté du landgrave de liesse. L'empereur, à son départ des Pays-Bas, avait fait transférer le prince captif d'Audenarde à Malines. Une tentative d'évasion formée par lui à Audenarde était restée infructueuse, et il n'avait pas été plus heureux dans celle qu'il avait tentée à Malines[101], au mois de décembre 1550. Tout cela n'avait servi qu'à le faire resserrer plus étroitement, et la reine Marie aurait même voulu le faire conduire en Espagne. En donnant audience aux ambassadeurs, l'empereur n'ignorait pas que plusieurs des princes représentés ne s'étaient associés que par complaisance à la démarche des électeurs de Brandebourg et de Saxe. Il leur fit une réponse évasive, alléguant l'importance de la chose dans ses conséquences probables, et le désir d'en conférer avec l'électeur de Saxe dont il attendait la venue ; il les chargea, au surplus, d'assurer leurs maitres du grand cas qu'il faisait de leur recommandation.

C'est ici le moment où entre principalement en vue un personnage, dont l'ambition et la déloyauté ont stigmatisé le nom dans l'histoire, nous parlons de Maurice de Saxe. Depuis que les députés de ce prince à la diète s'étaient séparés des autres états sur la question du concile, Charles lui avait fait écrire qu'il désirait sa présence à Augsbourg. Maurice avait feint de vouloir se rendre à cette invitation, il avait même envoyé en avant une partie de son train ; mais en même temps il avait fait observer avec adresse à l'empereur qu'au point où en étaient les opérations militaires contre la ville de Magdebourg, il serait peut-être préférable qu'il joignît ses troupes aux troupes assiégeantes du duc de Mecklembourg. Charles l'avait cru, et, d'accord avec la diète, l'avait nommé général de l'armée chargée de la réduction de Magdebourg. Pendant l'hiver de 1550 à 1551, le siège avait fait peu de progrès ; le général en chef ne paraissait pas pressé de soumettre la ville : nous verrons bientôt qu'il avait ses raisons pour cela.

Maurice écrivait fréquemment à Charles-Quint ; toutes ses lettres étaient pleines de témoignages de déférence pour le chef de l'empire[102]. Charles fut averti cependant que l'électeur ne cachait pas son mécontentement de la détention prolongée de son beau-père ; que ses affidés parlaient même d'aller de force délivrer le prisonnier, et que Maurice levait des gens de guerre auxquels il faisait prêter serment de le servir contre tous saris exception[103]. Au mois d'août 1551, l'ambassadeur impérial en France, Simon Renard, apprit que des négociations secrètes étaient entamées entre le roi, l'électeur de Saxe et d'autres princes allemands ; il sut que l'évêque de Bayonne, Jean de Fresse, était parti pour l'Allemagne avec la mission de les terminer, et il s'empressa d'en informer l'empereur[104]. Ces informations touchèrent peu l'empereur et ses ministres ; ils se contentèrent d'envoyer des personnes de confiance en divers lieux de l'Allemagne pour s'enquérir de ce qui se passait, et, comme ces personnes ne découvrirent rien, ils crurent que tout ce qu'avait mandé l'ambassadeur était purement imaginaire[105].

Les renseignements de l'ambassadeur n'étaient pourtant que trop vrais. Le 5 octobre 1551, Maurice, en son nom et au nom de Georges-Frédéric, marquis de Brandebourg, son pupille, de Jean-Albert, duc de Mecklembourg, et de Guillaume de Hesse, signa, avec l'évêque de Bayonne, muni des pleins pouvoirs du roi de France, un traité par lequel les parties contractantes s'engageaient à déclarer la guerre à l'empereur. Le soutien de la religion protestante, la liberté de l'Allemagne et la délivrance du landgrave Philippe, tel était le triple but de l'alliance au dire de ses auteurs. Le roi s'obligeait à payer, avant le 25 février 1552, deux cent quarante mille écus destinés à couvrir les dépenses des trois premiers mois de la guerre, et soixante mille écus chacun des mois suivants. Les confédérés allemands devaient lever sept mille chevaux et autant de gens de pied qu'il serait jugé nécessaire ; le commandement en chef de ces troupes était dévolu à Maurice. Il ne serait fait de paix ni de trêve avec L'empereur que de commun accord. Le roi tâcherait de se saisir de Cambrai et des trois évêchés, Metz, Toul et Verdun ; il les garderait comme vicaire de l'empire, et en même temps il attaquerait les Pays-Bas. Maurice marcherait droit contre l'empereur ; lui et les princes pour lesquels il se portait, fort promettaient, si le succès couronnait leur entreprise, d'aider le roi à recouvrer les seigneuries patrimoniales qu'il avait perdues, et même, au cas qu'il prétendit à l'empire, de favoriser son élection de tout leur pouvoir[106].

La conclusion de ce traité fut tenue dans le plus profond secret. Peu de temps après, la ville de Magdebourg, auquel il avait fait des conditions favorables, ouvrit ses portes à Maurice. Il fit son entrée dans cette ville le 16 novembre, aux applaudissements des habitants, qui le nommèrent leur burgrave. Pour mieux endormir l'empereur, il lui offrit d'aller lui rendre compte des opérations du siège qui venait de finir. Charles le crut encore, bien qu'un détail eût dû faire naître quelque défiance dans son esprit. Un des principaux ministres de l'électeur, Christophe Carlowits, écrivit à Granvelle que si l'on tenait à la présence de son maître, il fallait lui envoyer un sauf-conduit[107].

Maurice ne partit point pour Insprück ; il prétexta l'embarras où il était, faute d'argent pour licencier ses gens de guerre. L'empereur accepta encore celle excuse, malgré les observations de la reine Marie, à qui la conduite de l'électeur de Saxe était de plus en plus suspecte. Il est vrai qu'il n'y avait sorte d'artifice à laquelle Maurice n'eût recours, soit par lui-même[108], soit par l'agent qu'il entretenait à la cour impériale[109]. Telle était l'habileté avec laquelle il cachait ses desseins que Lazare Swendy, envoyé à son camp pour le surveiller, était, tout le premier, persuadé de sa bonne foi[110]. Sans pourtant se dissimuler les dispositions peu favorables des Allemands[111], l'ambition et l'humeur inquiète de Maurice, Charles restait persuadé que ce prince n'oserait se mettre à la tête d'une confédération contre lui[112]. Il écrivit dans ce sens aux trois électeurs ecclésiastiques qui étaient à Trente, leur disant de ne point s'effrayer des bruits qu'on faisait courir et de demeurer au concile[113]. Maurice cependant, ayant reçu, à la fin de janvier, des commissaires de l'empire l'argent nécessaire, avait licencié ses troupes. Cette nouvelle ajouta à la confiance de l'empereur, bien que Maurice eût retenu à sa solde ses militaires et ses capitaines. En vain la reine Marie lui écrivait coup sur coup que les actes et les paroles de l'électeur n'étaient que jeu et stratagème, et que ses promesses ne tendaient qu'à l'abuser[114] ; en vain elle lui faisait représenter par Granvelle, en lui transmettant les renseignements recueillis par elle, qu'il valoit mieux être trop crédule que par incrédulité s'exposer à être pris au dépourvu, l'aveuglement de Charles était invincible : malgré l'agitation qui se manifestait sur plusieurs points en Allemagne, il se berçait encore de l'espoir que les choses prendroient bon train[115].

Maurice joua son jeu jusqu'à la fin. Le 5 février, un de ses conseillers était arrivé à Insprück, annonçant qu'il précédait l'électeur et venait préparer ses logements. Ce personnage protestait avec vivacité contre les projets attribués à son maître ; il assurait qu'aussitôt après la séparation de ses troupes, le prince s'était mis en chemin pour venir trouver l'empereur, demandant à ceux qui voulaient le détourner de ce voyage pourquoi il ne viendroit vers l'empereur, son seigneur et maître, puisqu'il n'avoit fait chose pour quoi il dût craindre de venir, et ayant reçu tant de bien et honneur de lui[116]. Mais toute cette fantasmagorie hypocrite ne tarda pas à se dissiper. Une dépêche de la reine Marie, en date du 26 février 1552, apporta à son frère des lettres du marquis Albert de Brandebourg interceptées par le maréchal de Gueldre. Ces lettres disaient clairement que le 27 mars était le jour fixé pour le rassemblement des forces destinées à agir en Allemagne contre l'empereur. A ces lettres était jointe une commission pour la levée de gens de guerre qui s'obligeraient à servir le marquis et ceux de sa ligue contre tous leurs ennemis sans exception.

Charles-Quint alors se réveilla de son assoupissement. Il se hâta d'écrire aux villes principales et à plusieurs princes de l'empire pour les détourner de prêter l'oreille aux pratiques des Français et des Allemands leurs alliés. Il envoya le comte d'Eberstein à l'électeur palatin, à l'électeur de Trèves, revenu depuis peu du concile, et au duc de Wurtemberg. Il fit partir pour Trente Simon Renard, avec la mission d'informer les électeurs de Mayence et de Cologne de ce qui se passait en Allemagne, et d'entendre leur avis sur les mesures à prendre dans ces graves circonstances[117]. Il chargea le seigneur de Rye, son premier sommelier de corps, d'aller trouver son frère Ferdinand pour qu'il interposât sa médiation entre lui et les électeurs de Saxe et de Brandebourg ; il autorisait le roi des Romains à leur promettre la délivrance du landgrave[118]. Toutes ces démarches malheureusement étaient tardives ; elles ne pouvaient parer le coup dont l'empereur était menacé[119].

Maurice, en effet, au lieu de continuer son voyage vers Insprück, s'était arrêté brusquement pour se diriger vers la Thuringe. Là, jetant enfin le masque, il s'était mis à la tête des troupes conservées par le duc Georges de Mecklembourg, y avait joint ses Saxons, licenciés quelques semaines auparavant, mais de façon à pouvoir se réunir dès qu'il en aurait besoin, et, avec toutes ses forces, s'était mis en marche dans la direction de l'Allemagne méridionale. En même temps, d'accord avec le duc Jean-Albert de Mecklembourg et le landgrave Guillaume de Hesse, il publiait un manifeste pour exposer leurs griefs communs ; le duc Albert de Brandebourg et le rui de France firent de même, chacun de son côté. Dans ces trois écrits, la conduite et les actes de Charles-Quint envers les villes et les états de l'Allemagne étaient vivement attaqués ; Henri II rappelait l'alliance d'autrefois entre la France et la Germanie, et prenait le titre de protecteur des libertés de l'Allemagne. Par des marches rapides Maurice s'avança vers le Danube ; son armée se grossit, près de Schweinfurt, des troupes réunies par Guillaume de Hesse. Toutes les villes qui se trouvaient sur sa route lui ouvrirent leurs portes. Le 1er avril 1552, il se présenta devant Augsbourg et y entra quatre jours après. Partout il rétablissait dans leurs charges les magistrats destitués par l'empereur, et remettait en possession des églises les ministres protestants qui en avaient été chassés.

Il est difficile de se faire une idée des embarras et de la perplexité où ces nouvelles jetèrent l'empereur qui s'y attendait si peu. Pas d'armée pour résister à ses ennemis, pas d'argent pour en lever une, pas un prince d'Allemagne qui se montrât disposé à le secourir[120]. Quoique moins maltraité par l'hiver que les années précédentes, ses forces allaient s'affaiblissant de jour en jour[121]. Tout lui faisait défaut à la fois[122], et sa situation était aussi critique que son incertitude devant la résolution à prendre était extrême. Quelques semaines plus tôt, il eût pu aisément gagner les Pays-Bas : maintenant les ennemis occupaient ou avaient à leur dévotion les lieux qu'il fallait traverser. Les chemins de l'Autriche et de l'Italie lui restaient ouverts : mais sa retraite en Autriche aurait eu de graves inconvénients pour le roi Ferdinand[123] ; son arrivée en Italie eût ressemblé à une fuite, les esprits n'y étaient pas mieux disposés envers lui qu'en Allemagne, et il aurait dû indubitablement abandonner le sol italien pour se rendre en Espagne, ce qui entraînait la perte des Pays-Bas sérieusement menacés par la France.

Charles-Quint avait à choisir entre une grande honte et un grand danger. Retrouvant toute son énergie, ne prenant conseil que de son courage, il préféra le danger à la honte[124], et, sans consulter aucun de ses ministres, il résolut, coûte que coûte, de tenter d'arriver aux Pays-Bas. Si Dieu est servi de donner bonne issue à ce voyage, écrivait-il à Ferdinand, j'espère que ce sera le plus convenable ; s'il est servi du contraire, je serai plus consolé d'achever mes jours en mourant ou en captivité que de les prolonger en plus de repos et longue vie[125]. Nobles paroles, dirons-nous après M. Gachard, que nous voudrions voir graver sur le piédestal de sa statue, si quelque jour la Belgique songeait à en élever une au conquérant de Tunis, au vainqueur de Mühlberg, au prince qui eut la gloire de consommer la réunion des dix-sept provinces, et qui plaça toujours les Belges, dans son affection, au dessus de tous ses autres sujets.

Charles, sans trouble et sans faiblesse, comme dit M. Mignet, avait jugé sa position avec une fermeté d'esprit incroyable. En conséquence, le 6 avril, entre onze heures et minuit, il sortit à cheval du palais ; les seigneurs d'Andelot et de Rosemberg avec quatre serviteurs formaient toute son escorte. Il laissa, en partant, une lettre à l'adresse des gentilshommes et des officiers de sa chambre pour leur recommander le secret sur le voyage qu'il allait entreprendre, sans leur en dire le but ; il en laissa une autre adressée à l'évêque d'Arras, contenant des instructions relatives aux choses du gouvernement pendant son absence : à cette lettre en étaient jointes deux autres destinées, l'une au roi des Romains, l'autre à la reine douairière de Hongrie, et les informant de la détermination qu'il avait prise. Il marcha toute la nuit et la matinée du jour suivant, se dirigeant vers le lac de Constance par des chemins détournés que Rosemberg connaissait, et d'où. il comptait parvenir aux Pays-Bas. Après s'être reposé quelques heures dans une pauvre ferme du village de Nasserit, à six lieues d'Insprück, il remonta à cheval et atteignit le village de Bachbach. Il y était à peine de quelques instants lorsqu'arriva le maître des postes Christophe de Tassis, venant d'Augsbourg, et annonçant que Maurice devait, la nuit suivante, mettre son armée en mouvement vers Landsberg et Lassen. Charles, pour poursuivre sa route, devait passer près de ce dernier endroit ; les coureurs ennemis auraient pu aisément le surprendre ; sa fatigue était extrême ; l'essai qu'il venait de faire l'avait convaincu qu'il s'était abusé sur ses forces : il lui fallut donc, quelque chagrin qu'il en éprouvât, renoncer à son entreprise et retourner à Insprück. Il rentra dans sa chambre sans qu'on s'en doutât plus qu'on ne s'était aperçu de son départ, et le secret fut si bien gardé que ce voyage resta ignoré du public[126].

Un acte inattendu de Maurice, aussi bizarre qu'ambitieux et hypocrite, sauva la situation. Ferdinand, après avoir vu de Rye, s'était empressé d'écrire à l'électeur de Saxe pour lui proposer une entrevue. Maurice lui répondit qu'il irait lui-même le trouver à Lintz au commencement d'avril[127]. Cette réponse parut avec raison fort étrange à la cour impériale ; l'électeur avait d'ailleurs si souvent manqué à sa parole, qu'on ne comptait plus sur ses promesses[128]. Mais, chose non moins étrange, il envoya d'Augsbourg à l'empereur lui-même le colonel Ham : Walter de Hiernheim, pour lui annoncer qu'il allait conférer avec le duc de Bavière sur les ouvertures du roi des Romains, et lui faire connaître le sujet des griefs qu'il avait contre lui. Ces griefs étaient la captivité du landgrave, l'oppression des protestants, l'influence accordée aux étrangers dans le gouvernement de l'Allemagne, enfin le livre récemment publié par le commandeur Luis d'Avila y Cûniga sur la guerre de 1546 et 1547[129]. A la suite de son entrevue avec le duc de Bavière, Maurice prit en effet le chemin de Lintz, où il arriva le 18 avril. Le duc Albert et l'évêque de Passau l'accompagnaient ; son chancelier et son conseiller Carlowitz l'y avaient précédé. Sur sa déclaration qu'il ne pouvait rien conclure sans ses confédérés, il fut convenu qu'une assemblée, à laquelle seraient convoqués tous les princes de l'Allemagne, se tiendrait à Passau le 26 mai. Le roi exprima alors le désir qu'une trêve, devant durer tout le temps où serait réuni cette sorte de congrès, commençât le 11 mai. Maurice n'y trouva pas d'objection, mais bientôt il fit savoir que ses alliés consentaient seulement à ce que la trêve prit cours à partir du jour de l'ouverture de l'assemblée pour finir avec celle-ci[130].

Maurice avait rejoint, le 8 mai, ses troupes, qui, pendant son absence, s'étaient portées sur Guldenfingen. Il avait conçu un nouveau projet plus hardi que tout ce qu'il avait imaginé jusqu'alors : c'était de surprendre l'empereur à Insprück et de le faire prisonnier. Passant immédiatement du projet à l'action, il s'avança avec ses forces jusqu'à Füssen, aux limites de la Bavière et du Tyrol. Pour cacher son but, il faisait publier partout/ sur son passage, qu'il prenait cette direction pour avoir moyen d'entretenir ses gens et les accommoder de vivres[131]. L'entrée du Tyrol de ce côté est fermée par un défilé que défendait le château d'Ehrenberger-Klause[132]. Une douzaine d'enseignes d'infanterie allemande gardaient ce château, mais, par une insigne témérité, s'y trouvant trop à l'étroit, elles avaient pris le parti de camper dehors. Assaillies à l'improviste, le 19 mai, par les troupes de Maurice, elles furent dispersées, et une partie seulement put rentrer dans la place. La forteresse était située sur un rocher escarpé de toutes parts ; les soldats de Maurice, guidés par un berger des environs, trouvèrent cependant un sentier par lequel ils gravirent, en grimpant, le sommet, et s'emparèrent ainsi du château.

Le roi des Romains se trouvait en ce moment à Insprück auprès de Charles-Quint ; ils examinaient ensemble les concessions qui pourraient être faites à Passau et les mesures qu'il y aurait à prendre si ces négociations restaient sans résultat. Ils avaient résolu la mise en liberté immédiate de Jean-Frédéric, et en avaient fait avertir ce prince par Granvelle. Les choses en étaient là lorsqu'arriva, comme un coup de foudre, la nouvelle que les ennemis s'étaient emparés du château d'Ehrenberger. Ils pouvaient arriver la nuit même à Insprück. Les deux frères reconnurent bien vite qu'on n'était pas en force pour se défendre, et qu'il n'y avait pas un instant à perdre pour se mettre en sûreté. Charles et Ferdinand s'empressèrent de quitter Insprück[133], suivis de Jean-Frédéric, déclaré libre sur sa simple parole de ne s'éloigner de la cour qu'avec la permission de l'empereur et des ambassadeurs étrangers ; les hommes d'armes, les archers, les soldats espagnols et les gentilshommes de la maison impériale les escortaient. On marcha toute la nuit, et on arriva le matin à Sterzing, au pied du Brenner. Les augustes fugitifs continuèrent de cheminer ensemble jusqu'au 23 mai : ce jour-là ils se séparèrent, Ferdinand pour se rendre à Passau, Charles se dirigeant vers Villach en Carinthie. Maurice, entré le 20 à Insprück et désespéré de voir sa proie lui échapper au moment où il croyait la saisir, poursuivit, mais inutilement, le cortège impérial jusqu'à quelques milles de distance. Ses soldats se partagèrent le butin abandonné chez les bourgeois par les personnes de l'entourage de Charles-Quint ; les chefs eurent pour leur part la petite artillerie de l'empereur, quelques canons du duc d'Albe, et trois fauconneaux appartenant au roi des Romains. En se retirant ils enlevèrent aux paysans leurs chevaux et leur bétail, et, pour couronner dignement cet acte de félonie, ils pillèrent un couvent, où l'on voyait les sépultures de plusieurs archiducs d'Autriche[134].

L'empereur en ce moment était réduit à l'impuissance[135] : il fut donc obligé de laisser son frère continuer les négociations entamées avec Maurice. Cependant il ne négligea rien pour rétablir sa situation dans un prochain avenir. Il venait heureusement de recevoir deux cent mille écus de Naples, et il espérait que, par des subsides ou des emprunts, les Pays-Bas et l'Espagne lui fourniraient bientôt des secours importants. Il ordonna donc la levée en Allemagne de sept régiments de gens de pied et de huit mille chevaux ; il fit renforcer les garnisons de Francfort et de Ratisbonne ; il accéda à la trêve que Jules III avait signée, le 29 avril, avec Henri II et Octave Farnèse[136] ; enfin il fit demander en Italie quatre mille hommes de troupes indigènes et deux mille Espagnols. Toutes ces forces devaient être confiées au commandement du duc d'Albe appelé d'Espagne à cet effet.

Ferdinand arriva à Passau le 29 mai avec l'archevêque de Salzbourg ; il y trouva Maurice de Saxe, les ducs de Bavière et de Mecklembourg, les évêques de Passau et d'Eichstadt, des envoyés de l'électeur de Brandebourg, du marquis Jean son frère et de l'évêque de Wfirzbourg. Les jours suivants, on vit grossir le nombre des médiateurs par l'arrivée des députés des quatre électeurs du Rhin, des ducs de Juliers et de Wurtemberg, du duc Henri de Brunswick et du duc Philippe de Poméranie[137]. L'empereur était représenté par le seigneur de Rye et le vice-chancelier Seldt. Le congrès s'ouvrit le 1er juin, et l'on arrêta ainsi l'ordre des négociations : les princes présents et les députés des absents délibéraient entre eux sur les communications des deux parties ; le roi des Romains les examinait de son côté ; les avis étaient comparés ensuite, et l'on donnait connaissance au duc Maurice et aux représentants de l'empereur des points sur lesquels on s'était mis d'accord[138]. L'évêque de Bayonne, ambassadeur du roi Henri II, accourut à Passau, espérant influencer les délibérations du congrès, et prononça, le 3 juin, devant l'assemblée des princes, un long discours employé à exalter l'ancienne alliance de la France et de l'Allemagne. Ferdinand refusa de le recevoir, et il prit le parti de se retirer presque immédiatement, très mécontent de l'accueil qu'il avait reçu[139].

Dès l'ouverture du congrès, Maurice avait renouvelé ses demandes touchant l'élargissement de son beau-père, le droit pour les protestants d'exercer librement leur religion, le redressement des griefs de l'Allemagne et la réorganisation de la chambre impériale. La plupart des princes présents ou représentés à Passau voulaient la paix à tout prix. Cette disposition accéléra la prompte conclusion des débats. Le 19 juin, les médiateurs arrêtèrent un projet de transaction qui devait être soumis par Ferdinand à l'empereur et aux confédérés par le duc Maurice. Celui-ci partit le 24 pour communiquer ce projet à ses alliés ; Ferdinand, de son côté, le transmit à l'empereur avec le vif désir de le voir accepté par lui. Le roi des Romains avait des motifs plus graves que personne de souhaiter la cessation des troubles de l'Allemagne. Les Turcs venaient de nouveau d'envahir la Hongrie ; ils marchaient vers Temesvar et menaçaient la Transylvanie. Ferdinand était sans troupes et sans argent. Si l'accord se faisait, il comptait sur les forces de Maurice et les subsides des états de l'empire qu'on lui promettait. Il écrivit donc à son frère dans les termes les plus pressants pour l'engager à accepter le traité sans aucun changement[140]. Le seigneur de Rye et le vice-chancelier Seldt appuyaient son avis, tout en s'exprimant avec plus de réserve[141].

Le projet auquel on invitait l'empereur à souscrire contenait, entre autres stipulations, que les protestants jouiraient d'une trêve illimitée, en ce qui concernait l'exercice de leur religion ; que sur les griefs de la nation allemande le chef de l'empire se soumettrait à ce qui serait décidé par le roi des Romains, le roi de Bohème et les princes assemblés à Passau ; que s'il n'observait pas toutes les clauses du traité, les deux rois et les princes se déclareraient contre lui. La grande âme de Charles-Quint se révolta à de pareilles conditions. Il écrivit à son frère le 30 juin 1552[142] : Combien que je ne sois en délibération de faire la guerre aux protestants, ni en aurois à présent le moyen, je ne puis, comme qu'il soit, consentir la bride qu'en ce l'on me veut mettre, afin que je ne puisse jamais procurer le remède, pour être telle obligation contraire à celle que j'ai à mon devoir. Et vois assez que la trêve devant durer soit qu'on s'accordât sur le différend de la religion ou non, je m'obligerois à comporter perpétuellement les hérésies, et il pourroit venir temps où ma conscience m'obligeroit au contraire. Et par ceci tomberoit du tout par terre l'intérim et tout ce qui avec si grande peine et frais s'est fait au point de la religion, et se dérogeroit, sans participation des états qui y ont intervenu, aux recez des deux dernières diètes : ce que je ne puis ni ne dois faire sans leur consentement, et même en chose que tant leur importe. Et entends que ce qui s'altérera ou fera en ceci soit avec leur participation, puisqu'avec icelle il s'est déterminé, ni pour rien au monde consentirai-je chose qui soit contre mon devoir et ma conscience, même quand elle se promettroit en mon nom. Je vous assure que s'il n'y avoit que la honte, je le passerois aisément pour procurer la pacification, et ne fis oncques difficulté de pardonner les injures qui m'ont été faites particulièrement, pour le bien public : mais le mal est qu'avec la honte, qui se pourrait bien avaler, il y a la charge de la conscience que je ne puis porter. Et aussi ne puis accepter que je vous aye, et notre fils le roi de Bohême, contraires à cause de non observer un traité qu'en bonne conscience je ne puis accepter. L'empereur se montrait donc nettement résolu à repousser le traité, s'il n'était pas modifié, et, plutôt que de charger sa conscience, à aller chercher ses ennemis avec le peu de forces qu'il pourrait rassembler, ou bien de quitter l'Allemagne et de passer soit en Italie, soit aux Pays-Bas.

Cette réponse mit Ferdinand dans un cruel embarras. Il n'y avait nulle apparence que les confédérés consentissent à changer quelque chose au projet : l'armistice était expiré ; les médiateurs menaçaient de se joindre aux adversaires de l'empereur, et prétendaient forcer le roi des Romains à les imiter, sous la menace, en cas de refus, d'envahir et de ruiner ses états. D'un autre côté les nouvelles de Hongrie et de Transylvanie étaient de plus en plus alarmantes. Le roi des Romains, pressé ainsi par les circonstances, se décida à aller trouver l'empereur pour essayer de le faire revenir sur sa résolution, et se mit en route le 6 juillet pour Villach. Là il le conjura, les larmes aux yeux, pour prévenir sa ruine et celle de ses enfants, d'accepter le traité tel qu'il lui était présenté. Charles fut inébranlable. Il déclara à son frère qu'il était prêt à faire pour lui tout ce qui était en son pouvoir, mais que pour rien au monde, et quand tout se devrait perdre, et le sien et ce qui était à Ferdinand, il ne voudrait faire chose qui fût contre son devoir et sa conscience, et que jamais il ne consentirait à la trêve perpétuelle à laquelle prétendaient les protestants. Ferdinand reprit le chemin de Passau le 11 juillet. Charles quitta Villach deux jours après, se dirigeant vers Brixen. Il fut rejoint à Lienz, le 17, par le duc d'Albe venant d'Espagne.

L'empereur avait indiqué au roi les changements qu'il exigeait aux deux articles relatifs à la trêve réclamée par les protestants et aux griefs de la nation allemande. Sur ce second point, il lui était impossible, disait-il, de reconnaître pour ses juges et ceux de ses successeurs ceux-là même qu'ils avaient la charge de gouverner. Dès le lendemain de son retour à Passau, Ferdinand fit connaître à l'assemblée des princes les modifications demandées par l'empereur. La nouvelle de l'approche des troupes appelées d'Espagne et d'Italie et des levées qui se faisaient par l'ordre de Charles en Espagne, avait changé la disposition des esprits. Les médiateurs prirent la résolution d'envoyer au duc Maurice et à ses alliés des députés afin d'obtenir leur acquiescement aux désirs de l'empereur ; le roi des Romains fit partir avec eux le comte de Planen, grand chancelier de Bohème. Cette députation, partie le 17 juillet, trouva Maurice avec son armée devant Francfort. Après quelque résistance, le prince saxon finit par céder, ce que fit aussi le jeune landgrave Guillaume de Hesse. Toutes les difficultés étaient aplanies, et, le 2 août, le roi des Romains et les princes médiateurs arrêtèrent la transaction sur les différends existants entre l'empereur et les princes confédérés.

Cette transaction se composait de onze chapitres[143]. En voici l'analyse, telle que nous la donne M. Gachard. Le premier chapitre disait que, le 11 ou le 12 août, les confédérés licencieraient tous leurs gens de guerre, ou les feraient passer au service du roi des Romains ; que le landgrave de Hesse serait rendu le même jour sain et sauf à Rheinfels, avec pouvoir d'achever les fortifications commencées à Cassel ; qu'il serait sursis à toutes sentences rendues pendant sa détention en faveur des comtes de Nassau, jusqu'à révision nouvelle par les électeurs non intéressés et six princes de l'empire. Aux termes du chapitre II, l'empereur devait convoquer, dans les six mois, une diète où l'on traiterait de la réunion d'un concile général ou national, ou d'une assemblée générale de l'empire, afin d'assoupir les dissensions religieuses et de parvenir à une union véritablement chrétienne ; à l'ouverture de la diète, il serait fait choix de quelques personnes d'âge et d'un esprit conciliant, lesquelles délibéreraient sur les moyens d'arriver à cette réconciliation et d'établir la concorde. Jusque là les deux religions vivraient en paix, chacune conservant une entière liberté pour son culte. Ce que les états de l'empire résoudraient avec l'empire serait ensuite inviolablement observé. A la chambre impériale, les assesseurs et tous ceux qui seraient astreints à un serment auraient la liberté de le faire à Dieu et à ses saints, ou à Dieu et sur les évangiles. L'empereur serait prié d'admettre à faire partie de la chambre et du conseil aulique les protestants aussi bien que les catholiques. Le chapitre III était consacré aux libertés de la nation allemande. Comme l'empereur, y était-il dit, n'avait pas connaissance de la plupart des plaintes relatives à des choses qu'on disait s'être passées dans l'empire contrairement aux droits de la nation, la décision de ces affaires était renvoyée à la diète prochaine ou à quelque autre assemblée de l'empire. Le congrès avait reçu avec gratitude la promesse, faite au nom de l'empereur, qu'il composerait son conseil aulique de conseillers allemands, et ne ferait traiter que par des Allemands les affaires de l'Allemagne. Au surplus le roi des Romains, le roi de Bohème, les électeurs et les états de l'empire avaient mission de mettre sous les yeux de l'empereur les griefs allégués et de veiller à ce que tout fût résolu conformément à la Bulle d'or, aux autres constitutions de l'empire et aux louables et anciennes coutumes de la nation allemande. Quant aux intérêts particuliers du roi de France, il serait loisible à son ambassadeur de proposer, par l'intermédiaire du duc de Saxe, les demandes qu'il aurait à faire au roi des Romains et aux princes médiateurs, lesquels en référeraient à l'empereur. Les chapitres IV à VIII concernaient la sûreté et le retour de ceux qui avaient été mis au ban de l'empire ; l'abrogation de toutes les actions et injures qui s'étaient produites pendant la guerre ; une sûreté générale pour ceux qui avaient porté les armes dans cette guerre ; la restitution au comte palatin Othon-Henri du duché de Neubourg. Les chapitres IX et X étaient relatifs à l'assentiment donné au traité par l'électeur de Saxe, le comte palatin, le duc Jean-Albert de Mecklembourg, le landgrave Guillaume de Hesse, et à la ratification attendue de l'empereur. Le chapitre X stipulait que si l'une des parties contractantes, dans le présent ou dans l'avenir, se livrait à des voies de fait envers une autre, les rois des Romains et de Bohème, les électeurs et les princes de l'empire donneraient secours à la partie attaquée et lésée.

Tel fut ce fameux traité de Passau ou de la paix publique, comme on l'appela en Allemagne, qui eut des conséquences désastreuses pour le catholicisme dans ces régions, et que l'empereur ne ratifia qu'avec une vive répugnance[144]. La libération du landgrave de Hesse se fit quelque peu attendre, et n'eut lieu que le 2 septembre à Louvain. Son départ de Malines avait provoqué des rixes qui faillirent être sanglantes entre les soldats espagnols de son escorte poursuivis par leurs créanciers et les habitants[145]. En prenant congé de la reine Marie, ce prince montra les meilleures dispositions pour le service de l'empereur[146], et resta désormais animé des dispositions les plus pacifiques. Cependant Charles-Quint avait quitté Brixen, et, passant par Insprück, avait gagné Munich. En chemin il rencontra les troupes espagnoles et italiennes qu'il attendait, et trouva rassemblés aux environs de la ville bavaroise la plus grande partie de ses gens de pied et de cheval, ainsi que les pionniers levés par ses ordres en Allemagne et en Bohème. De Munich il se dirigea vers Augsbourg, où il rétablit dans leurs charges les magistrats que Maurice avait destitués, et expulsa de la ville trois ministres zwingliens et anabaptistes qui y étaient revenus malgré sa défense. L'empereur s'arrêta à Augsbourg le temps nécessaire pour achever de mettre en ordre son armée, faire passer par le commissaire de guerre la revue des régiments et pourvoir à la solde de ceux-ci[147]. Le jour où il en partit, ter septembre, il mit définitivement en liberté le duc Jean-Frédéric, sans lui imposer aucune condition, sans exiger de lui aucune assurance. Maurice avait fort insisté pour qu'on le retînt jusqu'à ce que lui-même fût revenu de Hongrie où il était alors, et Ferdinand avait joint ses instances aux siennes, mais l'empereur s'y refusa nettement ne voulant pas manquer à sa parole[148]. Pendant son séjour à Brixen, il avait donné une autre preuve de la loyauté et de la générosité de son caractère, en instituant un conseil exclusivement composé d'Allemands pour vaquer aux affaires de l'empire. Il écrivait à cette occasion au roi des Romains Afin que l'on voie que ce que je n'ai voulu faire jusqu'à présent, pendant que les adversaires avoient les armes au poing et que j'étois désarmé, et afin qu'ils ne puissent dire de m'y avoir forcé, je le veux faire maintenant qu'ils sont loin et que je vais avoir mes forces ensemble[149].

 

Les affaires de l'Allemagne nous ont tenu plus que nous ne l'aurions voulu éloigné de 1105 contrées ; nous avons hâte de nous en rapprocher. La reine Marie sollicitait vivement le retour de l'empereur aux Pays-Bas. Ces provinces avaient couru de grands dangers et subi des pertes importantes. Henri II, après s'être emparé de Metz, de Toul et de Nancy, après avoir tenté de surprendre Strasbourg, avait ramené son armée vers la Moselle, et était entré dans le Luxembourg. Il ne cachait plus son intention de poursuivre ouvertement les desseins de son père. Il avoit esté délibéré par le conseil, dit un écrivain français du temps[150], estre très nécessaire et utile pour le bien public et de toute la France, de saisir et joindre à la couronne le duché de Luxembourg, comme succession et propriété escheue à la maison de Vendosme, dès la mort du connestable de Sainct-Pol, qui en estoit vray possesseur et seigneur, portant le nom et les armes, combien que Charles de Bourgogne injustement depuis l'eust usurpée, pour estre un vray receptacle et refuge de larrons, et toute nation séditieuse, propre à susciter tous maux. Et fut remonstré au roy feroit chose agréable à Dieu, proufitable aux hommes, mesmement à ses pauvres subjects, de suppéditer et dompter ceste contrée, pour luy servir de boulevard et frontière. Cette dernière considération seule était réelle, remarque M. Henne ; pour justifier ce désir de conquête, il était inutile d'invoquer la succession du connétable de Saint-Pol, qui n'avait possédé d'ailleurs qu'une faible partie du Luxembourg.

A la nouvelle de cette agression française, Marie de Hongrie avait montré une confiance exagérée. Elle se croyait, disait-elle, en mesure d'arrêter l'ennemi, ayant pourvu les places compétamment, y ayant mis des chefs principaux et de maison, qui avoient bonne réputation, avec gentilshommes et hommes d'apparence, tellement qu'elle se trouva courte pour la défense des autres provinces de ceux qui estoient èsdites villes[151]. Le gouverneur, Jean-Pierre de Mansfeld, s'enferma dans Luxembourg, et envoya ses arquebusiers commandés par le seigneur de Trélon, surveiller les mouvements de l'ennemi, auxquels ils enlevèrent, près de Rodemacheren, une vingtaine de prisonniers[152]. Charles de Lalaing, seigneur de Bugnicourt et de Hordaing, courut à Thionville avec sa bande d'ordonnances, et rencontrant un millier de chevau-légers français, qui venaient de franchir la Moselle, il leur passa sur le corps, en tua environ deux cents et leur fit une centaine de prisonniers[153]. Une fois entré à Thionville, il prit des mesures énergiques pour la défense de la place, qui semblait fort menacée et où l'ennemi avait des intelligences[154]. Ramelot et ses Namurois renforcèrent la garnison de Virton, où se trouvaient Pierre de Sapoigne et Claude de Belle-Fontaine, avec une poignée de soldats luxembourgeois. Gilles de Sapoigne et le capitaine Caron s'établirent à Arlon, jugé peu tenable par Mansfeld qui en avait retiré la grosse artillerie et n'y avait laissé qu'une enseigne wallonne du régiment d'Arschot, avec ordre d'évacuer la ville, si elle était sérieusement attaquée[155]. Jean Van Rossem fut placé à Echternach, le seigneur de Marey à Damvillers, le seigneur de Sainte-Marie, avec le capitaine Gérard, à Montmédy, et le seigneur d'Isendoren à Ivoy, où il amena les deux enseignes de Bas-Allemands qu'il avait à Stenay, ainsi que la bande d'ordonnances du marquis de Renty.

Les choses paraissaient être pour le mieux. La reine recommandait à tous de tenir ferme pour faire amuser l'ennemi et lui faire perdre la saison ; pour donner à l'empereur mieux à se fortifier. Si les François ne vouloient s'amuser à assiéger place, elle avait nombre suffisant de troupes, soit pour leur couper les vivres, soit pour en former masse, afin de livrer bataille. La princesse pouvait bien faire les provisions nécessaires ; malheureusement elle ne sçavoit donner le cœur aux gens, ni leur faire garder fidélité[156]. Il faut ajouter, dit M. Henne, que l'incurie de l'administration et la pénurie du trésor contribuèrent pour beaucoup aux désastres qu'elle rejeta exclusivement sur la lâcheté ou la trahison. Depuis longtemps en effet Mansfeld lui avait représenté qu'avec huit cents chevaux il était impossible d'assurer la marche des convois dans une province aussi étendue, et lui avait prédit que tout failliroit par le manque de vivres et par le manque d'artillerie[157].

L'armée française, constituant une masse de quarante mille fantassins et de dix mille chevaux, avait franchi la Sarre et la Moselle ; le 28 mai, l'avant-garde occupa la petite ville de Mont-Saint-Jean, qui fut saccagée et brûlée, ainsi que le château de Soleuvre et beaucoup de gros villages des environs. Il y eut là diverses et braves escarmouches, èsquelles tant les François que les Bourguignons monstrèrent grandes évidences de leur hardiesse et vaillance[158]. Mansfeld, sorti de Luxembourg avec sa bande d'ordonnances et trois cents arquebusiers à pied commandés par le sire d'Aremberg, rencontra sur la route de Thionville trois cornettes et quelque infanterie couvrant les détachements qui couraient le pays, la torche à la main. La difficulté des chemins et du terrain empêcha les gens d'armes de donner, mais les arquebusiers assaillirent vivement l'ennemi et le mirent en pleine déroute. Les Français furent poursuivis jusqu'à leur camp : on ne leur fit qu'une centaine de prisonniers, car on les traita en boute-feux, les tuant sur place. Le même jour, la garnison de Thionville donna un assaut au camp royal, où l'alarme fut si grande que toute l'armée passa la nuit sous les armes[159].

Le 30 mai, Henri II arriva à Longwy, et le connétable occupa Marville, où le rejoignit d'Annebault avec quinze à seize mille hommes et trente pièces d'artillerie de siège. La marche de l'armée royale dessinait son plan, et Mansfeld résolut aussitôt de s'enfermer dans Ivoy. Il laissa le commandement de Luxembourg à Lamoral d'Egmont, qui, voyant l'ennemi s'éloigner, se montra fort mécontent, et pria la reine de l'envoyer autre part où il pourroit donner plus grand service[160]. Mansfeld apprit en route que le roi prenait le chemin de Verdun, et il expédia sur le champ au seigneur d'Isendoren l'ordre de conduire en toute hâte ses deux enseignes à Damvillers. Lui-même se proposait de se jeter dans cette place, mais il n'en eut pas le temps. L'armée française, par une marche de nuit, investit Damvillers, le 2 juin, tandis que, pour détourner l'attention des Impériaux, un gros parti de cavalerie s'avançait jusque sous les murs de Montmédy, où Mansfeld était arrivé le 31 mai. La garnison, quoique affaiblie par l'envoi de deux enseignes à Damvillers, fit bonne contenance, et l'ennemi se retira après avoir escarmouché pendant une heure. Repoussé avec perte dans une attaque sur un fort établi au village de la Morteau, il se présenta ensuite devant Virton, que le capitaine Ramelot avait quitté pour courir à Montmédy. Peu de bourgeois y étaient restés avec quelques archers et arquebusiers de la bande du comte de Mansfeld ; ces braves gens répondirent par un énergique refus à la sommation de l'ennemi, qui ne tarda pas à se retirer, harcelé par les arquebusiers, et laissant entre leurs mains des prisonniers, notamment un jeune page du roi[161].

Damvillers[162], situé en lieu plain et marescageux, estoit malaisé à approcher en temps de pluyes et hyver ; mais la grande sécheresse que faisoit fut propice à l'ennemi. La ville avait été nouvellement rebastie selon les modernes fortifications, avec bouleverts, bastions, plates-formes, remparts larges et hauts, le tout revestu de murailles de bonne matière et estoffe ; toutefois encore qu'elle fust-toute neuve et bastie avec grand vouloir et délibération de la rendre imprenable, elle estoit assez mal pouveue de desfenses. Quoiqu'ils manquassent de beaucoup de choses qui leur estoient nécessaires, les assiégés et leur chef, le seigneur de Marey, gentilhomme du pays fort aimé et loué, étaient disposés à bien recevoir l'attaque. Et bientôt le seigneur de Frentz, se faisant jour à travers les attaquants, parvint à introduire dans la place deux enseignes et une cornette de cavalerie, dont il prit le commandement. La garnison se trouva forte alors d'environ deux mille hommes de pied et de trois à quatre cents cavaliers, desquels une partie estoient gentilshommes du pays et le surplus chevau-légers et harquebutiers, que les François ont appelés depuis carabins carabiniers. Ils firent bravement leur devoir à sortir aux escarmouches, tant pour empescher que la ville ne fust recognue que pour nuire aux approches, faisant leur artillerie fort bien son office et grande exécution tant de soldats que de vastadourspionniers[163].

Henri II menait avec lui une nombreuse artillerie, tirée de Chàlons, de Mézières, de Monzon et d'autres villes frontières. Son armée, nombreuse aussi, mais exténuée par les marches et les privations, montrait peu d'ardeur. Mansfeld assurait que s'il avait un millier de gendarmes à mettre en campagne, il empescheroit bien l'ennemi de brusler et gaster le pays. Le 4 juin, des arquebusiers à cheval enlevèrent quelques avant-postes et jetèrent l'alarme dans le camp royal ; en se retirant, ils tombèrent sur un gros de Suisses, dont ils tuèrent un grand nombre. Les gens du pays, de leur côté, attaquaient les convois et faisaient un grand massacre des fourrageurs. A la suite d'un coup de main, dans lequel on s'empara du munitionnaire, riche marchand, le roi fut obligé d'ordonner d'avoir toujours mille chevaux en embuscade pour parer à ces attaques. Ceux de dedans la ville faisoient du gros meurtre dans le camp royal ; pour un coup que les François donnoient, ils en donnoient dix. Dans une reconnaissance, le cheval du cardinal de Lorraine fut tué par un boulet tiré de la place, et le roi se trouva en grand danger de sa personne. Une autre fois, le cheval du duc de Guise fut blessé de deux coups de feu[164].

Cependant les assiégeants avaient établi leurs travaux d'attaque et se préparaient à donner l'assaut. Le 7 juin, la batterie fut bien à plein, malgré une vigoureuse sortie des assiégés qui tuèrent, entre autres, le seigneur de Piennes et prirent le baron des Guerres[165]. Le feu continua avec vivacité dans la journée du 8. Le 9, à la suite d'une nouvelle sortie de la garnison, les Français donnèrent l'assaut qui fut bien soutenu et repoussé, de sorte qu'ils y perdirent bien trois mille hommes, et demandèrent assistance et trêve afin de retirer leurs morts des fossés[166]. Le lendemain, ils rouvrirent le feu autant furieusement et soudainement que fut jamais ville canonnée[167]. Battant la place de trois côtés à la fois, ils y ouvrirent trois brèches, et deux batteries, de quinze canons chacune, firent écrouler le tourrion — grosse tour — de la reine. Les décombres remplissaient tellement le fossé que l'on y sust passer quarante à cheval de front. Alors, soit lâcheté, soit trahison, les soldats allemands crièrent à leurs capitaines que s'ils ne se rendaient pas, ils estoient tous morts, attendu que la muraille ayant esté abattue et le rempart rasé pied et terre, n'estoit possible tenir contre l'assaut. Il fallut donc se rendre à la volonté de l'ennemi, qui retint prisonniers les chefs et autres gens d'apparence, renvoyant les autres un bâton blanc à la main, après les avoir dépouillés de leurs armes et de leurs bagages[168].

Le gros de l'armée française s'arrêta quelques jours à Damvillers pour en réparer les brèches. Le roi donna à Coligny tous les biens et meubles de la ville, excepté l'artillerie, ce dont les soldats commencèrent à murmurer. C'était, remarque M. Henne, une sorte de système chez ce triste prince, qui partout usa avec la dernière rigueur des droits de la guerre. Il livra les villes au pillage ; mais au lies de faire du butin une récompense pour ses soldats, seule excuse qu'on pût alléguer pour ses brigandages, il en gratifia ses courtisans. Aussi ses capitaines recueillirent-ils en même temps les malédictions des habitants et celles de leurs soldats[169]. Durant cette halte, des détachements de cavalerie et d'infanterie se répandirent dans les environs, munis de lettres de représailles les autorisant à brûler et saccager villages, maisons et fermes[170].

Henri II n'avait pas attendu la reddition de Damvillers, et était parti, le 10 juin, avec un gros détachement, pour Verdun. Il venait de recevoir un nouveau renfort de neuf à dix mille hommes. Le connétable, qui voulait distraire l'attention des Impériaux, menaçait à la fois Montmédy et Thionville. On ne craignait pas moins pour Arlon et Luxembourg ; la terreur fut même si grande dans la première de ces villes, que tous les bourgeois émigrèrent, emportant jusqu'aux cloches des églises. Cette ville paraissait, du reste, si peu susceptible de résistance, que d'Egmont proposa d'en retirer la garnison pour renforcer celle de Luxembourg, où il n'avait que sept enseignes, dix-huit pièces d'artillerie et quarante hacquebuttes à croc. Marie de Hongrie l'autorisa à rappeler à Luxembourg l'enseigne de son régiment placée à Arlon, mais en lui prescrivant de la remplacer par une autre levée dans le pays, afin de conserver l'artillerie existante dans cette dernière ville[171].

Cependant les Français, ne cachant plus leurs véritables desseins et, laissant une forte garnison à Damvillers, se dirigèrent tout à coup vers Yvoy. Cette cité, située au pied d'une montagne assez prochaine qui lui nuisoit fort, avoit, de l'autre côté, une prairie et plaine très large et spacieuse au long de laquelle descend le Chiers, petite rivière qui s'enfle davantage près de là, à cause de plusieurs ruisseaux en trans dedans elle. On y avait ajouté de nouvelles fortifications, à cause de quoi on la réputait imprenable, et pour ce tout le plat pays y avoit remis le but de son espérance, et la pluspart de tous les gentilshommes y avoient été reçus avec leurs biens[172]. Mais ces apparences étaient trompeuses, et les gens de guerre ne jugeaient pas la place tenable. Philippe de Lalaing et Sassegnies en avaient refusé successivement, le commandement. Mais Mansfeld, qui soupçonnait le projet des Français, s'y était fait transporter, au premier avis de leur marche vers la ville, quoique la fièvre l'accablât depuis quelque temps. Marie de Hongrie lui fit dire d'y rester, malgré sa maladie, et il répondit : Je n'ai jamais eu d'autre intention, vu que l'ennemi approche. Soyez sûre que je ferai tout mon extrême devoir comme j'ai fait en toutes les autres villes où vous m'avez envoyé. Sa présence était d'autant plus nécessaire à Yvoy que des symptômes d'indiscipline s'étaient manifestés dans la garnison. Les Bas Allemands avaient déclaré qu'ils ne se battraient pas avant d'avoir reçu les arrérages de leur solde, et il avait fallu en pendre quelques-uns pour ranger les autres au devoir[173].

Le 15 juin, Yvoy fut investi par une nombreuse gendarmerie, tandis qu'un camp volant bloquait Montmédy et qu'un fort détachement marchait sur Virton. Cette dernière place avait été évacuée, et les Français se contentèrent d'incendier quelques maisons. Des bandes de partisans coupaient les communications entre les villes voisines, brûlant et pillant ; c'est ainsi que furent dévastés Florenville, Orval, Mergny et beaucoup de villages. Le 17, arriva le gros de l'armée royale, précédant seulement d'une marche son artillerie de siège. Henri II s'établit, avec le connétable, sur le chemin de Neufchâteau et d'Annebault du côté de Montmédy. La garnison, forte de trois enseignes de Bas-Allemands, de deux enseignes wallonnes de d'Arschot et de six cents chevaux, semblait décidée à se bien défendre, et à soutenir le plus longtemps qu'il servit possible, voire même jusques au terme qu'on présumoit l'empereur la pouvoir secourir. Et crois fermement, ajoute François Rabutin, que les assiégés eussent esté opiniâtres jusques au bout, si la volonté de tous eust esté semblable à celle du chef et de beaucoup d'autres qui estoient dedans. Mais parmi les piétons il y avoit beaucoup d'Allemands, Clévois et Gueldrois, hommes qui n'avoient accoustumé de porter longue faim et soif ; qui ne sçavoient que c'est d'estre estroitement enfermés et s'assujectir à une extrême nécessité. Pourtant dans le principe ils firent bravement leur devoir à sortir et escarmoucher. Ils ne faisoient guères sorties sans exécuter quelque bonne chose, et emmener des François prisonniers, ou en rendre des morts ou bien malades ; aucunes fois autant en advenoit d'eux. Pour dire la vérité, ils firent de grands et vertueux efforts, tant par hommes que avec leur artillerie, pour divertir et empescher l'ennemi d'approcher de leurs murailles. Ils avoient soin de ne tirer coup d'artillerie qu'avec occasion et où pensoient estre de bonne portée ; ils despartoient aussi leurs provisions avec poids et mesure, pour le grand désir et bonne affection qu'ils avoient de se défendre longtemps[174].

La tranchée fut ouverte en face du bastion Mansfeld, et, le 20, les Français commencèrent à canonner la place avec quatorze pièces d'artillerie. Puis ils établirent deux fortes batteries, l'une entre le bastion Mansfeld et le premier grand bastion, l'autre devant la porte du château du côté de Mouzon, entre le vieux bastion et la vieille porte. En outre six longues couleuvrines, hissées sur la montagne de Montilien, tiroient à plomb dedans presque toutes les rues, le long des courtines, droit au dos de ceux qui eussent voulu défendre la brèche[175]. Le 22, toutes les batteries tonnèrent, tirant six, huit et dix canons à la fois, avec une tant admirable et terrible furie, qu'on eust dit que tout devait s'abismer[176]. Jamais, racontait plus tard le duc de Guise, je n'ai vu ni ouï parler d'une batterie si furieuse que celle-là ; car la ville fut battue, deux jours durant, de trente-six pièces en batterie, si assiduellement qu'un coup n'attendoit pas l'autre, même que la nuit elles tiroient si souvent qu'on n'eut pas le loisir dedans de se remparer. Lorsqu'il entendait des grandes batteries, il disoit souvent qu'elles n'apprechoient rien de celles d'Yvoy[177].

Si furieuse que fût l'attaque, Mansfeld comptait toujours y résister, et son espoir s'augmentait de quelques circonstances favorables. L'armée royale, ravagée par les maladies, condamnée à des combats acharnés avec la garnison, était de plus harcelée par les milices du pays, qui la tenaient continuellement en alerte. Aussi de fréquentes désertions éclaircissaient ses rangs. Le 21, les milices d'Arlon et une troupe d'aventuriers luxembourgeois défirent, dans les bois entre Florenville et Orval, une division de Suisses et de légionnaires, lui tuèrent cent à cent vingt hommes, et ramenèrent un grand nombre de prisonniers[178]. Le même jour, la garnison effectua une sortie contre le corps de l'amiral d'Annebault, mit les Suisses en déroute, et, en se retirant devant la cavalerie, elle l'attira sous le canon de la place, qui lui causa d'énormes pertes[179]. Les bois d'alentour estoient pleins de paysans faisans grans dommages aux ennemis estans esgarrés par les champs, embastonnés et armés à leur mode, pour se venger de la ruine de leurs villages, et, comme gens désespérés, ils n'épargnoient personne[180].

Les assiégeants n'en étaient que plus excités à presser leurs travaux. En peu de jours, ils dressèrent deux nouvelles batteries de quinze canons, l'une sur la colline de la Belle Croix, l'autre du côté de la porte d'Aisne. Le 23, dès le point du jour, elles foudroyèrent la place, et ouvrirent au château, près de la tour de la prison, une brèche assez large pour qu'on pût y entrer à cheval[181]. Quand les Allemans entendirent ceste estrange reste qu'on leur sonnoit, et virent qu'il ne leur estoit loisible de se pourmener sur le pavé sans estie esmouchés bien souvent si près des oreilles que le poil y demeuroit, le tueur leur commença à défaillir. Mansfeld, ayant les armes sur le dos et prest à se présenter le premier à l'assaut, chercha vainement à les rappeler au devoir ; ils déclarèrent qu'il en délibérast comme bon luy sembleroit, mais que si les François le combattoient par devant, eux le defferoient par derrière. Dont il se trouva merveilleusement estonné et esbahy, car ils estoient les plus forts là dedans, et ne sçavoit plus qu'y penser, ne donner remède qu'avec grandes exclamations, maugréer et détester son malheur. Il alla jusqu'à se jeter à leurs genoux, les suppliant de vouloir résister[182]. Enfin, voyant tous ses efforts inutiles, il rendit à la liberté un gentilhomme français son prisonnier, affin fust, dit-il, tesmoing de ceste infidélité et défenseur de son honneur et innocence, quand il oyroit parler de ceste lascheté, et, avec de grosses larmes aux yeux, il se retira en son logis, passionné de véhémente douleur, cuydant enrager et de despit rongeant ses poings[183].

Alors les officiers des Bas Allemands envoyèrent des députés au connétable, et la ville fut rendue à discrétion, le 23, à onze heures du matin. Mansfeld[184] et les autres chefs furent retenus prisonniers, et les soldats, dépouillés de leurs armes, renvoyés un bâton blanc à la main, comme à Damvillers. Sassignies parvint à s'échapper sous un déguisement. Fidèle à son système, le roi donna le butin à Montmorency, dont les soldats des vieilles bandes se mutinèrent ouvertement, et dés lors commencèrent à se rompre et à secrètement abandonner leurs enseignes.

Ainsi succomba cette place, parce que de misérables lansquenets eurent la peur en l'estomac[185]. Mansfeld, conduit devant Montmorency, qui estoit grand bravache, luy dit, sur ce que le connétable l'advisoit d'avoir bien fait de capituler, car il y fast aussi bien entré par assaut et eust tué tout : ah ! monsieur, si tous mes gens eussent esté Bourguignons ou Espagnols, vous ne l'eussiez pas eue si aisément ; mais les Allemans m'ont fait fausse pointe et grand tort[186]. Le comte fut conduit en France avec ses officiers et resta détenu au château de Vincehnes jusqu'en 1556. Charles-Quint, irrité de la prise d'Yvoy, traita Mansfeld avec une extrême rigueur ; il ordonna sur le champ de rayer ses appointements des comptes généraux de la province, voulant qu'on tînt ses gages en surséance jusqu'à ce qu'il en eût autrement décidé[187]. L'année suivante, lorsqu'à l'occasion de la célébration de la Saint-André, les chevaliers de la Toison d'or le prièrent de traiter de l'échange ou de la rançon de leur confrère, il repoussa leur demande, en disant que le comte était soupçonné d'avoir manqué à son devoir dans la défense d'Yvoy et n'avait pas encore justifié sa conduite[188].

D'Egmont, qui ne se sut astez esmerveiller de la prise d'Yvoy, se prémunit sur le champ contre une attaque. Il fit travailler jour et nuit aux fortifications de Luxembourg, et obligea grands et petits à y mettre la main. Il avait reçu récemment quelque artillerie et trois enseignes assez mal fournies du régiment du prince d'Orange ; aussi, quoiqu'il manquât de canonniers, bien décidé à faire tout devoir d'homme de cœur, le 25 juin, au matin, il tint gemeyne — conseil en commun — avec les gens de guerre, et les trouva fort volontaires et délibérés faire comme gens de bien doibvent[189]. La consternation régnait partout ailleurs. Jean d'Immerseel évacua Arlon, qui n'estoit pas pourvu de gens pour faire résistance contre le moindre effort de l'ennemi, et dont le peuple tout ému estoit prêt pour s'enfuir. A Montmédy, que les Français investirent après avoir pillé Marville, il y avait deux enseignes d'Hennuyers, qui montroient bonne volonté de tenir bon. Peu de jours auparavant, ils avaient encore fait leurs preuves dans un combat acharné livré au camp volant chargé d'observer cette place ; et cependant elle se rendit sans attendre le canon, quoique très bonne et pourvue de ce qu'estoit requis à sa défense. La garnison, qui la quitta sans coup frapper, obtint vies et bagues sauves, réservé l'artillerie. Dans le même temps, le château de Lumes pris naguère à la France par un gentilhomme flamand (sic), Jean d'Aspremont, qui toujours l'avoit bien défendu, se rendit sans coup tirer, et ce déplorable exemple n'eut que trop d'imitateurs.

Pendant que l'armée royale se refaisait en pillant et ruinant les territoires qu'elle occupait, un nouvel agresseur apparaissait sur cette scène désolée. Robert IV de la Marck, à la tête des légionnaires de Champagne, de deux à trois mille lansquenets, de sa compagnie d'hommes d'armes et de douze à quinze cents chevaux, marcha sur le château de Bouillon ; il avait avec lui six pièces de grosse et moyenne artillerie[190]. La place était gardée depuis trente ans, au nom de l'évêque et de l'église de Liège, par Guillaume, bâtard de la famille de Horion, qui avait donné dans sa jeunesse mainte preuve de courage et de fidélité[191] ; Sébastien de Duras était son lieutenant. Le 1er juillet, un héraut d'armes somma les assiégés de se rendre au roi de France, car s'ils laissoient tirer un coup de canon, ils seroient tous au hasard de la guerre[192]. Cette sommation ayant été repoussée, pendant la nuit, la Marck fit affuter son artillerie, sur la crête d'une montagne dominant la place du côté de Sedan, sans que les Liégeois tentassent aucun effort pour empêcher cette périlleuse opération, qui s'exécuta tant malaisément qu'avec gros câbles falloit retenir les pièces, pour qu'elles ne roulassent de haut en bas. A ce que raconte Rabutin, la Marck fit passer et repasser par un mesure lieu les compagnies de cheval et de pied, afin que ceux de dedans, voyant tant grand nombre d'enseignes, pensassent que ce fust toute l'armée.

Le 2 juillet, au point du jour, les Français commencèrent à battre la place, qui riposta faiblement. Sept de ses pièces avaient éclaté aux premiers coups et une huitième avait été démontée par la batterie ennemie. A midi, la Marck renouvela sa sommation, qui, cette fois, fut accueillie sans résistance. On arrêta la reddition de la place, si elle n'était pas secourue dans les quatre jours ; la garnison obtenait vies et bagues sauves, réservé l'artillerie ; Horion livra trois ôtages en garantie de sa promesse[193]. Il informa de ce traité l'évêque de Liège, qui s'empressa d'en donner avis à Marie de Hongrie ; la reine ordonna sur le champ à d'Egmont et à d'Aremberg de voler à la délivrance des assiégés[194]. De son côté, soit remords, soit dissimulation, dit M. Henne, Horion manda aux prévôts des cantons voisins que si on lui envoyait cent hommes sûrs, il chasserait du château une vingtaine de mutins qui allaient le contraindre à livrer la place ; quant à la capitulation, il ne se croyait plus tenu de l'observer, attendu que l'ennemi l'avait violée en entrant dans le village de Bouillon et en enlevant les cloches.

D'Egmont et d'Aremberg accouraient à marches forcées, et la position de la Marck eût été fort compromise, si les assiégés avaient tenu quelques jours de plus. Malheureusement le délai fixé était trop court, et, à l'heure dite, ils se rendirent. Cette conquête entraîna, sans plus de difficultés, celle des forts et des châteaux de ce petit état, qui rentra ainsi dans la maison de Sedan et valut aux successeurs de Robert de la Marck le titre de ducs de Bouillon[195]. Guillaume de Horion, mis en jugement à Liège, paya de sa tête sa faiblesse ou son crime[196]. La sentence de mort fut prononcée à l'unanimité par le tribunal des échevins. Malgré son appel à l'empereur et les supplications de sa femme et de ses amis, il fut décapité le 44 avril 1553, et ses biens furent confisqués. Son fils, qui était médecin de l'évêque, en mourut de chagrin.

Ainsi, en moins de six semaines, les Français avaient ravagé toute la lisière du Luxembourg de l'est à l'ouest, ruiné cette charmante et fertile contrée qui descend, au midi, du plateau des Ardennes entre la Moselle et la Meuse. Le pays était dans la consternation. J'ai reçu, écrivait le comte du Rœulx à Marie de Hongrie, la lettre de Votre Majesté du 4 de ce mois et par icelle vu la reddition de Bouillon : à quoy ne sçaurois que dire, sinon qu'il faut que nous ayons tous perdu le tueur ou que nous soyons tous traitres[197]. La reine, triste et découragée, écrivait elle-même à l'empereur : Dieu me fasse ce bien que je puisse voir Votre Majesté accompagnée comme je le désire. Peut Votre Majesté penser quelle patience je puis avoir d'avoir mis tant de peine à faire et pourvoir nos villes de toutes choses nécessaires, et de les voir perdre si lâchement. Dieu par sa grâce y veuille pourvoir, puisque la provision des hommes n'y peut aider. Elle finissait en suppliant son frère d'accourir pour sauver le pays[198].

En ce moment, Henri II, encouragé par ses faciles succès, méditait d'autres projets. Il se proposait d'assaillir le Brabant sur trois points à la fois, en s'aidant de son armée de Picardie. Il pressait Albert de Brandebourg d'attaquer les pays d'Outre-Meuse, et lui-même avait pris à sa solde d'autres capitaines allemands, qui réunissaient, dans les environs de Brême, une armée destinée à envahir la Frise et la Gueldre. La grandeur du danger réveilla l'énergie de la régente. Par ses ordres, on exécuta partout de grands travaux de défense, notamment à Bruxelles, où elle voulait attendre l'ennemi. Elle pressa les levées de fantassins et de cavaliers, enjoignit aux officiers du plat pays de se jeter avec leurs milices dans les forteresses, et ne négligea rien pour stimuler l'ardeur des gens de guerre et déjouer les complots des agents de la France. Elle envoya à Givet quatre enseignes et deux cents chevaux ; craignant les dispositions hostiles des Liégeois[199], elle fit entrer dans la principauté des troupes avec la destination ostensible de protéger les états de l'évêque contre l'invasion. A défaut d'autre moyen, elle résolut de sauver le Luxembourg par de vigoureuses diversions[200]. Le seigneur de Boussu reçut l'ordre de s'établir avec une division à Châtelet, pour couvrir tout à la Ibis les pays de Namur, de Brabant, de Hainaut et de Liège ; d'Aremberg fut chargé de renforcer l'armée de la Meuse par une nouvelle levée de vingt-huit enseignes d'infanterie ; Lalaing et Glajon formèrent un camp à Avesnes, et le comte du Rœulx se jeta sur la Picardie, où avec une poignée d'hommes il fit merveilles et choses estranges[201].

Cet intrépide capitaine aurait voulu passer la Somme, piller Laon, Sancerre et Roye, prévenir toute attaque des Français sur le Hainaut, et les empêcher de ravitailler Thérouanne, où il y avoit nécessité de beaucoup de choses[202]. Mais pour cela il lui eût fallu des renforts, et, en les attendant, force lui fut de se borner à quelques incursions. Un de ses détachements s'avança jusque près d'Amiens et détruisit quatre ou cinq petits forts, qui nuisoient beaucoup au plat pays. Un autre, tiré de la garnison de Bapaume, incendia un château aux environs de Péronne, et, attaqué par une centaine de cavaliers sortis de cette ville, les mit en complète déroute. Dès qu'il se sentit un peu plus fort, le comte voulut frapper de grands coups, et médita une entreprise contre Hesdin, ou Corbie. Marie de Hongrie, consultée par lui, trouva chacune de ces entreprises bonne et utile, au cas qu'on pût en venir à chief[203], et lui laissa toute liberté d'action. Mener ces entreprises à chief, répondit du Rœulx, ce point gist en la volonté de Dieu, car les hommes pourront faire les entreprises, mais il faut que Notre Seigneur les asseure.

Son choix fut bientôt fait. A ses yeux, emporter Hesdin était l'entreprise la plus honorable et la plus profitable pour la Flandre et pour l'Artois ; c'était le moyen le plus sûr de conquérir Thérouanne, Montreuil et Ardres. Malheureusement tous les renforts qu'il attendait n'étaient points arrivés ; les chaleurs les plus grandes qu'on vit oncques et la rareté d'eau étaient aussi un obstacle. Ce retard donna l'éveil aux Français. Le comte ne s'en émut guères, et, pour leur ôter l'envie de prendre l'offensive, il donna une grosse alarme à Péronne et aux postes placés sur les bords de la Somme. Cette excursion jeta un tel effroi dans la contrée que les habitants s'enfuirent abandonnant leurs champs et leurs maisons ; toute la campagne entre Péronne et Amiens se trouva transformée en désert.

Cependant la reine, effrayée des progrès de l'ennemi dans le Luxembourg, pressait le comte de réunir les troupes placées dans son gouvernement pour porter en France le ravage et l'incendie[204]. On a résolu, écrivait-elle à d'Egmont et à Bugnicourt[205], de user envers le roi de France le contre-quarre et exploiter par les mesmes termes de desgats, feux et autres exploits extraordinaires dont il a donné si grand et cruel exemple, et en démonstration si gaillarde, que en cas qu'il ne fasse la retraite pour garantir son pays, le gaing qu'il pourroit faire seroit bien près de la perte. Jugeant avec raison qu'une simple excursion, si désastreuse qu'elle fût pour l'ennemi, serait insuffisante pour le distraire de son entreprise, le comte du Rœulx persista dans la résolution d'enlever Hesdin. Maître de cette place, disait-il, je ruinerai les campagnes d'Amiens, d'Abbeville, du Crotoy, de Saint-Valéry, d'Étaples ; je mettrai tout ce pays en tel point qu'il ne seroit point possible au roi de France d'y venir dedans un an ; j'affamerai complètement Ardres et Thérouanne, qui sont déjà en grande nécessité. Il avait une telle confiance dans le succès qu'il écrivait à la reine : Je partiray mardy au soir prochain, Dieu et le bon droit de l'empereur et de Votre Majesté devant les yeux, de sorte qu'il me semble, quand je partiray, que mon entreprise est comme achevée.

Les Français pourtant avaient déjà sur la frontière un corps considérable ; ils appelaient aux armes tous les habitants de la Picardie et l'on disait que Vendôme accourait avec douze mille hommes[206]. Il y avait près de Saint-Quentin deux mille cinq cents chevaux, et l'on y attendait huit enseignes de lansquenets ; les garnisons de Péronne et de Thérouanne avaient été renforcées, et, ce qui constituait un danger plus grave, des intelligences avaient été découvertes entre les Bas Allemands et l'ennemi[207]. Rien de tout cela ne put détourner le comte de son projet. Il avait d'abord l'intention de se porter, par une marche de nuit, sur Saint-Quentin et d'écraser les Français campés sous ses murs ; mais il renonça à cette idée que la crainte d'être coupé lui avait suggérée, en apprenant qu'ils étaient établis trop près de la ville, et que là où ils estoient, la rivière de la Somme alloit tout en tournant, de sorte qu'ils se trouvoient quasi en une île. Alors après avoir détourné Pattention de l'ennemi par des marches et des contre-marches, il se dirigea brusquement sur Hesdin avec douze à treize cents chevaux, deux à trois mille piétons, deux canons et quelques pièces légères d'artillerie. La ville fut emportée d'assaut ; les vainqueurs y trouvèrent, outre de nombreux approvisionnements, un grand convoi de munitions destiné à Thérouanne. Sans perdre un instant, le comte occupa les abords du château et se mit à le battre avec toute son artillerie. En huit à neuf heures il ouvrit une brèche d'environ douze pieds de large, et l'on se préparait à monter à l'assaut dans un ou deux jours, car les gens de guerre étoient bien disposés, quand de graves nouvelles vinrent y mettre obstacle :

Vendôme était accouru en Picardie avec vingt-deux enseignes d'infanterie et deux mille cinq cents chevaux, et, de tous côtés, se massaient des forces considérables. Le comte apprit, par une voie sûre, que le seigneur de Villebon allait se porter sur Hesdin avec quelques enseignes et six cents chevaux pour amuser les Impériaux, tandis que Vendôme se dirigerait lui-même sur Lillers, où il n'y avait qu'une centaine d'hommes. Sa petite armée était menacée d'un désastre qu'il fallait prévenir par une prompte retraite. Le comte n'hésita pas, et, au plus grand regret qu'il eut oncques, il se retira à Saint-Orner, après avoir combien qu'il lui en fit mal, brûlé la ville de Hesdin et ruiné ses environs[208].

Marie de Hongrie loua fort le comte d'avoir pris ce parti, et lui ordonna de lever en toute hâte de nouveaux piétons flamands et artésiens. L'ennemi devenait menaçant, et il fallait lui tenir tête à tout prix. Villebon disposait de forces importantes, et il achetoit toutes les faucilles et autres instruments qu'il pouvoit trouver pour scier les bleds ; Vendôme méditait un projet d'attaque contre Arras, qu'il avoit toujours eu envie d'assiéger[209]. Le comte, décidé à se jeter dans cette place à la première apparence de danger, fit battre le tambourin dans tous les villages de son gouvernement, et, en peu de jours, il recruta deux enseignes de Flamands et deux d'Artésiens. Ces enrôlements activement poursuivis lui eurent bientôt procuré dix à douze mille piétons et quatorze à quinze cents chevaux[210]. Tout ce monde était plein d'ardeur et impatient de retourner donner quelque bonjour aux ennemis[211].

La reine, rassurée sur l'Artois, songea à faire assaillir la Picardie du côté du Hainaut. Boussu reçut l'ordre de renforcer les garnisons des villes de ce comté, qui n'estoient la pluspart en parfaite deffense, et d'envoyer le surplus de ses forces au camp d'Avesnes. Les troupes réunies sur ca dernier point formèrent un corps d'armée de trente-six enseignes d'infanterie et de cinq mille chevaux, dont le comte de Lalaing prit le commandement. Entrant aussitôt en campagne, il poussa jusqu'à l'Oise, menaça Guise, brusla bien grande quantité de villages et bourgades, avec trois villettes[212].

Cette expédition eut l'effet désiré. Henri II, qui avait déjà renoncé à ses projets sur le Brabant et qui n'osait s'aventurer davantage dans le Luxembourg, défendu par le vaillant comte d'Egmont[213], s'était proposé de marcher sur Liège. Mais les succès des Impériaux l'inquiétèrent. Il craignit d'être coupé, et il résolut d'effectuer sa retraite, en longeant la lisière du Hainaut, espérant ainsi obliger Lalaing à évacuer la Picardie. En effet, au premier avis de la marche de l'armée royale sur Avesnes, Marie de Hongrie ordonna au comte de se retirer incontinent de France et de mettre de puissantes garnisons ès frontières de son gouvernement. Le comte du Rœulx reçut également l'ordre d'y envoyer toutes les troupes dont il pouvait disposer. Car le roi, oubliant les brigandages commis par ses troupes dans le Luxembourg, accourait altéré de vengeance contre les ravages exercés en Picardie.

Après avoir laissé de fortes garnisons dans les places conquises, Henri II passa la Meuse au dessous de Mézières, et vint attaquer Chimai. Dans l'intervalle, une de ses divisions s'empara des châteaux de Trélon et de Glajon, en massacra les défenseurs et les livra aux flammes. Les habitants de Chimai, ville autant ennemie des François que possible estoit, sçachans bien, que quoi qu'ils accordassent, ils seroient saccagés, s'étaient réfugiés dans les bois voisins, et la place était restée à la garde de quelques soldats. Ces braves gens tinrent ferme, et lorsque la brèche fut praticable, ils se retirèrent dans le château, où ils arrêtèrent plusieurs jours les assaillants. Enfin le capitaine du chasteau, voyant la bresche qui commençoit fort à s'ouvrir, demanda à parlementer ; mais, pendant qu'on discutait les articles de la capitulation, les assaillants s'introduisirent dans la place. Ils se hastèrent et diligentèrent tant à fouiller et chercher les biens de ces misérables Bourguignons, que devant la voulte d'une des tours du chasteau, où ils avaient retiré les pouldres à canon, furent bruslés et rostis plus de cent ou six vingt soldats François, où eux-mêmes sans penser avoient mis le feu[214]. La ville et le château furent saccagés et brûlés ; un corps de cavalerie courut jusqu'à Beaumont.

Le connétable étant allé reconnaître Avesnes, trouva cette place, que la reine avait pourvue d'artillerie et de munitions, en si bon état de défense, qu'il ne s'arrêta pas un instant devant ses murs. Le roi bientôt fut averti que le prince d'Orange n'était pas loin avec son régiment et un gros corps de cavalerie regardant à lui faire quelque embûche ; il sut aussi, écrit la reine, qu'à l'aide de Dieu et des forces de par deçà, elle avoit donné bon ordre aux frontières et faisoit approcher l'armée. Et alors, voyant de grosses pluies offrir aux Impériaux plus de moyens de se faire forts, il battit en retraite avec grande prestesse et hâte[215]. Marie de Hongrie, qui était accourue à Mons, envoya incontinent bon nombre de gendarmes pour le rateindre, le suivre et l'adommager le plus possible. Boussu, arrivé à Maubeuge, reçut l'ordre de se lancer avec toute sa cavalerie sur les traces de l'armée royale, et la reine le fit appuyer par les troupes réunies à Mons, afin de rabouter l'ennemi, s'il vouloit tourner bride. Mais la chose n'était nullement à craindre. Henri II précipitait sa marche avec grosse perte de bagages et de prisonniers ; à peine rentré en France ; il renvoya son armée exténuée par la fatigue et par la disette[216]. La reine fit alors rentrer les troupes du Hainaut et de l'Artois dans leurs garnisons ; Boussu et d'Aremberg eurent ordre de retourner dans le pays de Namur, d'oû le premier partit ensuite pour prendre le commandement des forces laissées entre la Meuse et le Rhin.

La reine rendit compte à l'empereur des mesures qu'elle venait de prendre : Trois causes, disait-elle, m'ont mue de ce faire : l'une qu'il me semble qu'il vault mieux temporiser jusque Vostre Majesté aura ses forces ensemble pour lors faire ce qu'il vous plaira nous ordonner, sachans les forces que nous avons ; l'aultre pour ce, quand nous aurions moien de mettre nos forces ensemble pour envahir l'ennemi, je ne vois chef à qui les oserois fier, ni y a l'obéissance, l'ung ni l'aultre, comme il convient, et ose bien asheurer Vostre Majesté autant de fois que nos gens debvoient faire quelque exploit, je me suis toujours trouvée en grande crainte que quelque désastre nous survînt pour la maul'vaise conduicte qu'il y a. La troisième que je vois que je ne me puis trop asseurer du costel d'Allemaigne, et certes, quant à ce point, ne.vois-je comme il me sera possible de résister de deux coustels, si sommes puissamment assaillis[217].

Ces imputations de la reine contre ses généraux sont, au jugement de M. Henne, empreintes de dépit et d'injustice[218]. Aucun de ces capitaines, remarque l'historien, n'avait eu, à la vérité, comme Henri de Nassau, et les Buren, l'occasion de se produire dans de grands commandements militaires ; Boussu, qu'on avait vu à l'œuvre en 1542, manquait d'initiative et non de courage ; mais Mansfeld, du Rœulx, de Lalaing, à la tête de poignées d'hommes, n'avaient-ils pas semé la terreur en France ? Le succès n'avait-il pas couronné leurs expéditions ? Le premier empêcha peut-être la jonction de Henri II avec les protestants d'Allemagne ; les deux autres sauvèrent certainement le Brabant, le pays de Liège et le Hainaut de l'invasion. Puis, à côté de ces capitaines, ne s'en trouvait-il pas d'autres dont on devait louer le courage, la fidélité, le talent ? Van Rossem servait son nouveau souverain avec la même vigueur avec laquelle il l'avait combattu naguère. D'Hoogstraeten était-il devenu infidèle à ses antécédents ; d'Aremberg n'avait-il pas révélé les qualités qui l'appelèrent bientôt aux postes les plus élevés de l'armée ? La perspicacité de Marie de Hongrie se trouvait-elle en défaut pour reconnaître le mérite éminent du seigneur de Glajon et du seigneur de Bugnicourt ? N'avait-elle pas entrevu le héros qui allait porter à son apogée la gloire des capitaines belges de cette époque, celui que l'on appelait déjà le vaillant comte d'Egmont[219] ?

Les craintes de Marie de Hongrie par rapport à l'Allemagne étaient plus fondées. Albert de Brandebourg, surnommé l'Alcibiade, avait refusé de prendre part aux négociations ouvertes à Passau ; il s'approchait du Rhin à la tête de troupes nombreuses, dont le passage était marqué par le pillage et la dévastation[220]. La ligue des villes maritimes du nord montrait des dispositions très menaçantes, et il avait fallu former un corps d'armée pour observer la Westphalie, le Holstein et les contrées voisines[221]. Un bâtard de Charles de Gueldre réunissait près de Lubeck deux mille chevaux et quarante enseignes, destinés à se joindre au comte d'Oldenbourg et à Wolfrad de Mansfeld, lesquels, renforcés encore par d'anciens capitaines de l'électeur de Saxe, se proposaient d'envahir la Saxe. Les chefs de cette ligue se croyaient assez forts pour menacer l'empereur de lui livrer bataille, s'il osait se mettre en campagne. Mais, disait Renaud de Bréderode, en informant la reine de ces circonstances, il est à croire que, dans ce cas, ils mettront de l'eau dans leur vin.

Des précautions étaient pourtant nécessaires. La reine ordonna à d'Aremberg de rejoindre Boussu avec ses deux régiments de Bas Allemands. Ces dix mille piétons, embarqués à Namur, descendirent la Meuse jusqu'à Maëstricht[222], et une partie d'entre eux, avec quelque cavalerie, s'établit à Fauquemont ; ils se reliaient par d'autres corps aux troupes chargées de la défense des provinces du nord[223]. On avait tout prévu. Si Albert de Brandebourg s'éloignait, ces troupes devaient assaillir Brême, restée le foyer des projets hostiles aux Pays-Bas ; si les négociations de Passau aboutissaient à un heureux résultat, le camp de Fauquemont devenait un point de concentration avec l'armée attendue d'Allemagne. Boussu fixa son quartier général à Maëstricht, et la reine prescrivit la reprise des travaux de fortification de cette place, depuis longtemps suspendus. La population de Maëstricht et la plupart des localités d'Outre-Meuse ne voyaient ces travaux que d'assez mauvais œil ; ces dernières refusaient de se soumettre aux corvées, et la ville n'acceptait qu'en murmurant les sacrifices d'argent exigés d'elles, et qui l'avaient mise dans la nécessité de vendre beaucoup de propriétés communales et de contracter de gros emprunts. Mais Marie de Hongrie ne s'arrêta pas devant ces répugnances. Elle maintint rigoureusement l'ordre de reprendre les travaux et en remit la direction à Jean de Locquenghien, seigneur de Cœckelberghe. Ce célèbre ingénieur étant tombé malade, elle le remplaça par un autre Bruxellois, le bourgmestre Jean Pipenpoy, et par le drossard de Grimberghe, Guillaume d'Oyenbrugge[224]. Il en résulta naturellement un énorme surcroit de charges pour la ville et ses environs.

Le mécontentement était extrême chez les Maestrichtois toujours mal disposés envers le régime impérial, et beaucoup plus enclins vers Liège, qui partageait avec l'empire la possession de leur ville. La reine alors voulut mettre garnison en leur ville, et, le 26 juillet, elle informa le magistrat de la prochaine arrivée de huit enseignes d'infanterie. Mais les bourgeois refusèrent nettement de recevoir ces soldats, et, ceux-ci étant venus camper dans les environs, la ville se mit en état de défense. On passa en revue tous les habitants propres au service militaire, et les ecclésiastiques eux-mêmes n'en furent pas dispensés. Lorsque, au mois d'août suivant, le magistrat autorisa le simple passage de ces soldats par la ville, il eut soin de se prémunir contre une surprise : les bourgeois s'armèrent, les chaînes furent tendues dans les rues et les barrières fermées.

L'inaction des Français permit à la reine de Hongrie de remettre l'ordre sur les frontières du Luxembourg. Elle conféra provisoirement le gouvernement de cette province au comte d'Egmont et nomma Frédéric de Sombreffe maréchal de camp. On fit de nouvelles levées dans le conté de Namur, dans le Brabant et dans le Hainaut. Huit enseignes de Hauts Allemands furent envoyées dans le Luxembourg, et un gros corps de gendarmerie s'établit à Namur : on était ainsi en mesure de réprimer les tentatives des garnisons françaises de Damvillers, d'Yvoy et de Bouillon. De nouvelles fortifications s'élevèrent à Thionville[225] et l'on releva celles de Chimai. Pour hâter tous ces travaux, non seulement les villages, mais les métiers des villes eurent à fournir des pionniers[226]. On ravitailla aussi les places frontières, et de longs convois de chariots y transportèrent des canons et des munitions.

Cependant Albert de Brandebourg avait refusé d'adhérer au traité de Passau et continué sa marche vers le Rhin. En présence du danger, Boussu, d'Aremberg, Van Bossent], Bréderode, d'Hoogstraeten et Liedekerke reçurent l'ordre de réunir leurs forces établies entre la Meuse et le Rhin. Boussu, avec d'Aremberg pour maréchal de camp, prit le commandement de cette armée forte alors de quarante-cinq enseignes d'infanterie, de douze bandes d'ordonnances et de quelques cornettes de cavalerie légère fournies par le Holstein. Elle fut successivement renforcée par un régiment de douze enseignes de Bas Allemands, sous les ordres du bailli du Brabant wallon ; par quatre enseignes de Flamands et par des reîtres du pays de Clèves. Un des régiments d'Aremberg, commandé par le colonel Georges Van Holl, celui du prince d'Orange et celui du comte d'Egmont formaient la réserve[227].

L'archevêque de Cologne tremblait pour sa capitale : il supplia Marie de Hongrie de lui envoyer des secours et d'occuper même la ville de Cologne. Mais les généraux des Pays-Bas refusèrent d'acquiescer à cette demande, sans un ordre direct de l'empereur. Toutefois, pour rassurer ce prélat et pour défendre le passage du Rhin, on décida, dans un conseil de guerre, de s'établir à Munster-Meyfeld, villette quasi aussi bonne que Duren, à deux lieues près de ce fleuve et vingt lieues de Maëstricht, sur le chemin de Luxembourg et de Trèves. — Estans là, écrivit Boussu à la reine, le marquis Albert ne se pourra tirer quelque part, que fussions toujours au devant de lui à notre grand avantage ; nous couvrirons les Pays-Bas, et les riches villes et les nombreux villages de la contrée fourniront abondamment aux besoins de l'armée. La reine fut d'un autre avis : avertie par du Rœulx et Lalaing que les Français se massaient sur les frontières de la Flandre, de l'Artois et du Hainaut, elle jugea dangereux de trop éloigner ses principales forces et enjoignit à Boussu de rester dans les environs de Maëstricht.

Le 15 août, Albert de Brandebourg passa le Rhin à la tête de vingt mille vieux soldats semant partout la terreur, surtout chez les gens d'église : on le surnommait le Fléau des prêtres (2)[228]. Il menaçait à la fois Cologne et Trèves, et l'on apprit bientôt qu'il se portait sur cette dernière ville. La reine ordonna à Boussu, à qui elle venait d'adjoindre de Praet, de défendre Trèves et d'y envoyer le régiment de George Van Holl avec six enseignes tirées des régiments d'Orange et d'Egmont. Le magistrat autorisa avec empressement l'entrée de ces troupes, mais les habitants, à qui la contention ancienne qu'estait entre le duché de Luxembourg et ladite ville faisait craindre toutes gens de guerre à la solde de l'empereur comme prince et seigneur des Pays-Bas et duc de Luxembourg[229], refusèrent de les admettre et ouvrirent leurs portes à Albert de Brandebourg[230].

On était au 28 août. L'Alcibiade se présentait comme serviteur du roi de France, lequel ayant conquis les duchés de Luxembourg et de Lorraine, étoit devenu protecteur de ladite ville de Trèves[231]. Dès qu'il y fut entré, il y mit une forte garnison, changea les serrures des portes, pilla et saccagea les maisons des gens d'église[232]. En même temps, il commanda aux villages voisins par delà la Moselle que chaque paysan eût à lui apporter un sac de farine de la charge d'un cheval, sous peine d'être brûlé. Ses bandes farouches, maîtresses d'une position qui leur livrait le passage de la Moselle, les reliait aux Français et leur permettait de donner la main à Metz, étendirent leurs courses dans toute la contrée, pillant, détruisant le pays. Marie de Hongrie, informée que le marquis de Brandebourg manœuvrait pour opérer sa jonction avec une armée française réunie à la frontière et pour tirer droit vers le Brabant où il se vantait de faire une brandschat — brûlerie — digne de mémoire[233], ordonna à Boussu de prendre position à Visé et de se tenir prêt à voler au secours des provinces menacées.

Le danger n'était pas là seulement. Les troupes de la ligue des villes maritimes étaient en marche, menaçant la Frise et la Gueldre[234] ; les provinces du midi étaient déjà assaillies. Pendant quelque temps, aux frontières de l'Artois et du Hainaut, les hostilités avaient été inaugurées par les Impériaux ; les Français, au contraire, estoient fort gracieux et ne donnoient nulle alarme[235]. Ainsi la bande d'ordonnances de Lalaing et une cornette de cavalerie de la garnison du Quesnoy avaient couru jusqu'au delà de Saint-Quentin, ne rencontrant que de faibles détachements qui prenaient la fuite à leur approche ; ainsi encore du Rœulx n'avait cessé d'inquiéter la Picardie et le Boulonnais, où ses lieutenants portèrent fréquemment le pillage et l'incendie[236]. Un fait d'armes mêlé de succès divers avait changé cette situation. Le 28 juillet, Jean de Mœrbeke, à la tête d'une petite division formée de trois bandes d'ordonnances, de deux enseignes de Bas Allemands et de six enseignes de Flamands de nouvelle levée, s'avança jusque sous les murs de Thérouanne, repoussa deux sorties de la garnison et ravagea les environs de la place depuis huit heures du malin jusqu'à trois heures de l'après-midi. Au retour, les Impériaux, fatigués et chargés de butin, rencontrèrent une troupe d'environ quatre cents chevaux français. Les hommes d'armes la chargèrent aussitôt, l'enfoncèrent au premier choc et lui tuèrent trente à quarante hommes. Ils la poursuivaient en s'éparpillant pour faire plus de prisonniers, quand une forte colonne de cavalerie appuyée de cinq enseignes tomba sur eux. Débandés comme ils l'étaient, ils furent ramenés sur leur infanterie. Celle-ci était plus nombreuse que celle de l'ennemi, et le combat aurait pu se rétablir, s'il n'y avoit eu grande faulte de conduite entre les capitaines et grande couardise et méchanceté entre les piétons. Les valets et les vivandiers s'enfuirent les premiers, jetant par leurs clameurs la panique dans l'infanterie. Ce fut un sauve qui peut général. Seule une enseigne de Flamands soutint l'honneur du drapeau : son héroïque résistance arrêta les vainqueurs quelque peu, mais bientôt, écrasée par le nombre, elle fut à moitié détruite. Cette défaite, advenue par mauvais ordre, par mauvaise conduite et par défaut d'ensemble, coûta aux Impériaux un millier de fantassins et quelques hommes d'armes[237].

Le comte du Rœulx, tout en disant qu'il n'y avoit d'autre remède que de regarder de soy en venger[238], prévit les suites de cette mésaventure et s'empressa de renforcer ses garnisons. En effet, dans la nuit du 4 août, la garnison de Thérouanne tenta de surprendre Renty, et se porta ensuite sur Contes, mais elle dut reculer devant la courageuse attitude des défenseurs de la place, à qui le comte envoya sur le champ des renforts, puisqu'ils avoient cœur de bien tenir. Cette expédition avait sans doute été concertée avec une autre plus importante. Le même jour, dix-huit enseignes françaises et neuf de lansquenets se concentrèrent à Auxy-le-Château, et jetèrent, la nuit suivante, un pont sur la Lacquette, petite rivière près de Contes. Menacée le matin par les Impériaux, cette troupe se etira en toute hâte, non pas si tost pourtant qu'il n'y eust un soldat de pris ; comme il avoit une croix rouge à son chapeau et un ruban rouge à sa manche, quoiqu'il fust de la nation françoise, on le pendit incontinent[239].

Ces entreprises devinrent plus sérieuses du moment qu'Albert de Brandebourg eut paru sur les bords du Rhin. Aux gros détachements cantonnés à Amiens et à Abbeville se joignirent des corps tirés des places voisines, et Vendôme se trouva, en peu de jours, à la tête de quatorze mille fantassins, de deux à trois mille chevaux, avec vingt-deux canons, sans compter six mille pionniers et cinq mille chevaux de trait que devait lui fournir la province. Le 10 août, le seigneur de Villebon, venant du Boulonnais, investit brusquement les châteaux de Tournehem et de la Monthoire. Leurs garnisons avaient promis de se défendre jusqu'à la dernière extrémité, mais les soldats forcèrent, au bout de deux jours, leurs capitaines à capituler, alors que s'ils avoient tenu un jour de plus, ce seul jour eust donné aux Impériaux la vie, et aux ennemis la mort. Le comte du Rœulx se montra fort mécontent, et infligea à ces lâches soldats un châtiment exemplaire. Et me déplaist plus, écrivait-il à la reine[240], de la force que les coquins et meschans ont fait aux capitaines d'eulx rendre que de la rendition, car ils en vouldroient faire une coustume, et peult estre que aucuns capitaines, pour l'advenir, quand ils se vouldront rendre, se feront forcer par leurs gens pour le faire tant mieulx à leur honneur.

Au premier bruit des préparatifs de Vendôme, la reine avait ordonné à Van Rossem de conduire son régiment dans l'Artois, et lâché la bride à du Rœulx, en l'autorisant à réclamer, au besoin, le concours du comte de Lalaing. Le comte, sans attendre ces renforts, ni en tirer du Hainaut, se mit sur le champ à la tête des troupes qu'il avait sous la main et courut à l'ennemi. Le jour même de la reddition de Tournehem et de Monthoire, il le rencontra à Andryck, se dirigeant vers Contes ou Renty. A son approche, Villebon rallia en toute hâte ses soldats battant la campagùe, et il y eut une escarmouche assez vive ; mais le camp des François étant bien fort et celui des Impériaux aussi, se mit de l'eau au vin des deux côtés, de sorte qu'après avoir longtemps regardé l'un l'autre, ils allèrent se loger ceux-là en leur camp, ceux-ci sous le canon de Gravelines. Une heure après, à la lueur de l'incendie d'Andryck, où il ne resta pas une maison debout, les Français délogèrent, abandonnant beaucoup de leurs munitions et armes[241]. Leur retraite fut une véritable fuite. Le même jour, ils allèrent camper à sept lieues d'Andryck. Les châteaux de Turnehem et de la Monthoire furent évacués si précipitamment par leurs nouvelles garnisons, qu'elles ne se donnèrent pas le temps d'en détruire les fortifications[242].

Villebon semble avoir projeté de passer en Flandre, d'où il comptait surprendre Dunkerque, brûler toute la contrée voisine et rejoindre ensuite Vendôme. La rapidité des mouvements du comte du Rœulx l'obligea à la retraite, et le comte résolut alors de brûler à son tour. Le régiment de Van Rossem était arrivé, et les garnisons de Renty et de Contes semblaient bien disposées à tenir ce qu'elles avaient promis. Donc, le 13 du mois d'août, il entra dans le Boulonnais et le ravagea le plus qu'il put. Il aurait bien voulu faire davantage, et il ne méditait rien de moins que de passer l'Authie, prendre Étaples, Rue, Saint-Renier, et revenir à Dourlens, après avoir ruiné toute la contrée jusqu'à la Somme. Mais Marie de Hongrie crut qu'il ne fallait rien livrer au hasard, et, bon gré mal gré, le comte dut se borner à pousser, le 19, jusqu'aux portes de Thérouanne et à détruire, à Guinegate, des grains et des fourrages assez pour nourrir trois mille chevaux, huit jours de long.

Le comte et son lieutenant Van Rossem ne se conformaient qu'avec peine aux défenses de la reine. Déjà ils avaient commencé une nouvelle expédition vers la Somme, quand une lettre du seigneur de Bugnicourt leur apprit l'arrivée prochaine de Henri II à Amiens, où se concentraient des troupes considérables. Le comte communiqua sur le champ cet avis à la reine, et, en attendant l'envoi de renforts devenus indispensables, il s'établit, le 24 août, à Helfaut, près de Saint-Omer[243]. Deux jours plus tard, les Français parurent devant Contes, et donnèrent à cette place, avec dix-neuf, et ensuite avec trente-six canons, la batterie la plus véhémente que jamais ne fast vue. Les assiégés opposèrent une héroïque résistance à cette furieuse attaque. Les fossés de la place se remplirent de cadavres ; au dehors une bande d'ordonnances et une enseigne d'infanterie pénétrèrent jusque dans le camp de Vendôme et y semèrent l'alarme et le carnage. Nobles efforts dignes d'un meilleur dénouement ! Le 28, l'ennemi étant prèt à livrer l'assaut, tous les compaignons dudit chasteau se mirent en bon état, et la pluspart reçurent leur Créateur ; après, tous, d'une commune voix, délibérèrent de soustenir et de hasarder leur vie pour le service de l'empereur. En effet ils combattirent bien deux grosses heures, main à main, jusques à ce que, pris par derrière, ils furent tous emportés et tous tués, tellement qu'il n'en échappa pas plus de dix-huit ou vingt ; ce qui fut grand dommage, car il y avoit là beaucoup de gens de bien et bons souldars[244].

Vendôme aurait voulu se porter sur Renty ; mais affaibli par la belle défense de Contes, ayant perdu une grande partie de ses munitions et la plupart de ses chevaux de trait, il n'osa tenter l'entreprise, et vint camper, le 31 août, dans la plaine d'Embry, sur la route de Liners. De leur côté, du Rœulx et Van Rossem, jugeant le camp de Helfaut trop étendu pour le nombre de leurs soldats, vinrent s'établir, le 1er septembre, au dessus du château de Cohen, lieu fort de tous costés et propice tout à la fois pour secourir Lillers et, défendre le pays de Flandre[245]. Les habitants de la frontière étaient fort effrayés, et, à Bruxelles même, les gardes bourgeoises s'armèrent et se préparèrent à protéger leurs remparts. Mais la reine commençait à se rassurer : elle avait reçu des nouvelles de son frère, et appris que des négociations étaient entamées avec l'Alcibiade[246]. Aussi ordonna-t-elle à Boussu d'envoyer en Artois les régiments du prince d'Orange et du seigneur de Bréderode, avec la moitié des bandes d'ordonnances et la cavalerie frisonne sous les ordres du comte d'Aremberg. Malheureusement la crue des eaux de la Meuse retarda l'arrivée de ces troupes, et, quand elles parvinrent à leur destination, la fièvre leur avait enlevé plus de quinze cents hommes et le danger avait disparu[247].

Pendant que Vendôme assiégeait Contes, les Impériaux tentèrent une diversion du côté du Hainaut. Bugnicourt et le capitaine du Quesnoy réunirent dix enseignes avec cinq pièces d'artillerie, et investirent Bohain. La ville se rendit à la première sommation et le château n'opposa guère plus de résistance. Il fut brûlé avec les grands magasins de blé qu'il contenait, et la ville éprouva le même sort, malgré les ordres des capitaines. Tous les petits forts des environs ouvrirent leurs portes ; c'était une panique générale. Les Impériaux épargnèrent les villages pour engager l'ennemi à traiter plus gracieusement le pays d'Artois, en publiant toutefois, que s'il continuoit ses feux, eux reviendroient promener la torche dans le pays[248].

Vendôme séjourna dans les environs de Renty jusqu'au 3 septembre. Il vint alors s'établir à Esquerdes, à trois petites lieues du camp des Impériaux. Il aurait pu de là franchir le Neuf-Fossé et marcher sur Cassel, mais c'était une entreprise dangereuse. Car, écrivait du Reeulx à la reine, oires que le peuple en aura quelque dommage, les François le payeraient bien ; et, ajoutait-il, s'ils attaquaient le camp, ils y auraient été bien recueillis, les Impériaux estans tous prêts pour en attendre la fortune et n'ayans guère moins d'enseignes qu'eux. Il valait donc mieux pour eux passer l'Aa pour se jeter dans la Basse Flandre du côté de Gravelines. Le comte s'y attendait, et il avait établi bon guet partout, afin que les ennemis ne pussent franchir la rivière comme ils le pensaient[249].

En effet, le 4 septembre, les Français, profitant d'une brume épaisse, arrivèrent sur les bords de l'Aa. Mais bientôt apparurent sur la rive droite quatre enseignes envoyées par le comte et la bande d'ordonnances du vicomte de Gand, tandis que le capitaine de Renty, Jacques de Bryas, donnant sur l'arrière-garde ennemie, mettait un de ses détachements en pleine déroute. Toute l'armée de Vendôme se trouva réunie dans la soirée, et, le lendemain, au point du jour, elle attaqua avec impétuosité le bolwerck d'Hennewyns[250]. Si ce n'eust esté l'arrivée des gens de pied anglois que le comte y avoit envoyés devant les autres, parce qu'ils estoient plus près, le boulevard se fust trouvé en grand danger d'estre pris. Touttefois resdits Anglois firent tel devoir qu'on s'en dut grandement contenter. Bientôt accoururent trois enseignes artésiennes et le régiment du maréchal de Gueldre, dont le comte ne sut assez grandement se louer, et lorsque celui-ci arriva avec le reste de l'armée, les Français étaient repoussés sur tous les points. Il prit alors position à Mariakerke, d'où il écrivit à Marie de Hongrie : Si nos ennemis nous y veulent assaillir, ce sera au ventre de notre mère, ce qu'il faut qu'ils fassent ou se retirent.

Vendôme ainsi repoussé marqua son séjour sur les bords de l'Aa par de nouvelles dévastations. C'est ainsi qu'il détruisit le château de Runninghen, où l'on avait jeté quarante piétons, qui abandonnèrent la place à l'approche de l'ennemi. Il rasa ensuite les châteaux de Tournehem et de Monthoire si très plat qu'il n'estoit plus possible d'y rien faire. Le 7, il dressa son camp à Esquerdes, et l'arrivée à Montreuil de forts convois de munitions inspira des craintes pour Renty. Le comte du Rœulx ne se fiait pas aux fortifications de cette ville et craignait quelque trahison[251]. Voulant en prévenir l'attaque, il courut se poster à une lieue de l'armée française, en telle sorte qu'il convenoit pour attendre la bataille, s'il plaisoit à monseigneur de Vendosme d'effectuer les propos qu'il avoit tenus, qu'estoit de la lui donner en quelque lieu qu'il pût le trouver[252].

Cette fière attitude imposa au duc, peu rassuré d'ailleurs par les graves nouvelles qui lui arrivaient et qu'exagérait la terreur des populations. Lalaing avait à cœur de venger les bruslemens de l'Artois, mais n'osant s'éloigner lui-même, il en chargea le seigneur de Famars. Celui-ci partit, le 7 septembre, vers midi, avec sa bande d'ordonnances, celle du seigneur de Wysmes, les arquebusiers à cheval du seigneur de Helfaut, quelques arquebusiers de la garnison de Landrecies et, trois cents fantassins. Un corps de sept cents hommes de pied le suivit dans la soirée et s'établit à Vaulx-le-Prêtre, pour aider à passer le butin à la retraite. La colonne expéditionnaire poussa jusqu'à l'abbaye de Vermand, qui tint fort et où fut bruslée la porte et pillée la basse-cour, ruina quatre ou cinq villages sur l'Oise, brûla deux forts, et ravagea le Vermandois sur une étendue de plus de vingt-six lieues. Chargée de butin et poussant devant elle cent vingt bêtes à cornes, douze cents moutons, trois cents porcs et cinquante-un chevaux, elle s'en revenait péniblement quand elle fut assaillie par des bandes de paysans exaspérés de ses déprédations. Ces campagnards, renforcés par des gens de pied et des cavaliers, harcelèrent les Impériaux durant un trajet de plus de deux lieues. Famars, sans se laisser entamer et sans cesser de combattre, atteignit enfin Vaulx-le-Prêtre, où sa réserve se tenait cachée, et où elle aurait attiré les Français dans un piège, si elle ne s'était trop tôt montrée. A la vue de ces piétons ennemis, ils s'arrêtèrent, et, pris de terreur, s'enfuirent à travers les bois voisins.

Cette expédition jeta la consternation dans le pays. La garnison de Saint-Quentin elle-même se crut menacée, et Vendôme, au lieu de livrer bataille, ordonna la retraite et évacua l'Artois. Cette retraite fut signalée par les plus affreux excès. Les ennemis, écrivait le comte du Rœulx, ont bouté le feu partout, sans rien espargner, et davantage forcé femmes, jeunes filles, mettant les enfans de quatre ou cinq ans à ranchon et autres maux inextimables. J'espère tant en la justice de Dieu qu'ils auront le guerdon qu'ils en doivent avoir, avant long temps. Au reste ils étaient tellement éprouvés par les fatigues et les maladies que le comte du Rœulx, pour éviter la contagion, ordonna à ses soldats de ne plus faire de prisonniers[253]. Cette armée, naguère si menaçante, se retirait avec une si étrange précipitation que le comte crut y voir un stratagème et l'intention cachée d'attaquer Arras. Sans cette crainte, nous dit-il, il eût couru tout de suite rendre aux François le mal qu'ils avoient fait, et il se promettait bien de leur donner incessamment un grand coup de baston du costé du Boulonnois ou de la Picardie. Il se contenta donc de les suivre à distance avec l'espoir de trouver l'occasion de leur donner une bonne main, et vint, en passant sous Thérouanne, se poster à Chergny. Là il apprit que Vendôme avait disloqué son armée, renvoyé ses vieilles bandes dans leurs garnisons, et dirigé la majeure partie de ses lansquenets avec sa gendarmerie vers la Lorraine. De concert alors avec Van Rossem, le comte distribua ses troupes dans les villes frontières avec ordre d'y déposer leurs bagages, et de se tenir prêtes à se réunir rapidement pour fondre sur le Boulonnais[254].

Pendant que les populations étaient ainsi livrées à toutes les horreurs de la guerre, le commerce et la pèche avaient à se défendre contre la piraterie organisée par les Français. Sur la proposition des états de Flandre, la reine de Hong,rie proposa de mettre en mer six vaisseaux fournis par la Flandre, huit par la Hollande et quatre par la Zélande, pour protéger les pêcheurs de ces provinces. Le gouvernement leva dix mille matelots. Il fut défendu aux pêcheurs et aux marchands de prendre la mer isolément, et, la régente pria le prince Philippe de faire escorter les bâtiments de commerce quittant les ports d'Espagne en destination pour les Pays-Bas. Du reste nos marins ne se manquèrent pas à eux-mêmes. Un aventurier de Flessingue, très hardi et heureux homme en mer, montant une petite jachte avec six pièces de bois peintes comme pièces de fer d'artillerie, prit à l'abordage un vaisseau de Bretagne trois fois plus grand que le sien, bien artillé, muni de gens et de munitions, et la plus part des François fut tué. Ayant ensuite vendu son navire en Angleterre, il monta le vaisseau qu'il avait pris et, à peine remis en mer, en captura un autre de Normandie qui revenait du Brésil avec une riche cargaison de bois, de papegais — perroquets —, de singes et autres minuties de ce pays, et valoit six à sept mille florins. Ce vaisseau avait pour pilote un homme de bonne apparence et savoir, qui avoit vécu six années au Brésil, et qui connoissoit toute la côte des Indes et de la Chine. La reine ordonna de le garder et l'envoya dans les mers des Indes[255]. Au mois de septembre, une escadre française donna la chasse à notre flotille de pêche. Deux buses assaillies par quatre vaisseaux de guerre les combattirent bien douze heures de long, et finirent par échapper[256]. Dans plusieurs autres circonstances encore les marins des Pays-Bas firent preuve d'une grande vaillance : on les vit fréquemment, dit M. Henne, reprendre à l'ennemi des navires capturés et s'emparer des vaisseaux de guerre qui leur donnaient la chasse[257].

 

Cependant la nouvelle de la prochaine arrivée de Charles-Quint s'était répandue dans nos provinces ; elle fut accueillie avec des transports de joie par les troupes du seigneur de Boussu, condamnées jusque là à l'inaction, et qui aspiraient à combattre sous les yeux de l'empereur. Celui-ci avait recommandé à sa sœur de lever dans les Pays-Bas trois mille pionniers des meilleurs[258], et surtout de se procurer de l'argent. La régente communiqua sur le champ cette nouvelle à ses généraux, et envoya cent mille écus à Charles, en lui promettant, quoiqu'elle eût eu beaucoup de peine à réunir cette somme, de la doubler bientôt. Mais en même temps elle le supplia de tenir son armée éloignée de nos provinces. Les habitants des Pays-Bas, disait-elle à son frère[259], qui ont déjà souffert de si grandes charges, seront très mécontens s'ils doivent supporter les foulles et dommages que les dites bandes exercent de tous costés. Je vous adjure donc d'avoir des égards pour les dits habitans, qui ont témoigné tant de zèle et de fidélité pour votre service.

Nous avons laissé l'empereur à Augsbourg. De là, en passant par Ulm, il s'était dirigé vers Strasbourg, où il fut reçu solennellement par le sénat ; et dont il loua le zèle et la fidélité. Son armée passa le Rhin près de cette ville le 15 septembre ; il lui fit prendre le chemin de Landau par les Vosges et le duché des Deux-Ponts, tandis que l'artillerie descendait le fleuve jusqu'à Coblence, pour remonter ensuite la Moselle. Une attaque de goutte força l'empereur de s'arrêter à, Landau une quinzaine de jours. Pendant ce temps le duc d'Albe, créé capitaine général, se mit en marche avec l'infanterie espagnole et italienne, deux régiments de lansquenets, la cavalerie légère et une partie de la cavalerie allemande. Le 16 octobre, Boussu le rejoignit avec le régiment d'infanterie du comte d'Arernberg, quatre des compagnies d'ordonnances des Pays-Bas et trois mille chevaux de Holstein[260]. Le 19, ils arrivèrent devant Metz.

Charles-Quint avait résolu le siège de cette ville impériale. Ce n'était pas l'avis de la plupart de ses capitaines[261]. A leurs yeux, la saison était trop avancée. Il fallait, disaient-ils, borner cette campagne à chasser les Français de Damvillers, d'Yvoy, de Montmédy, des petites villes de la Lorraine ; puis, par des courses incessantes, ruiner le pays messin, affamer sa capitale, épuiser les munitions de sa garnison. Entreprendre un long siège à l'approche de la mauvaise saison, était, selon eux, chose dangereuse ; tenter une attaque de vive force contre une place si bien fortifiée, si bien ravitaillée, si bien fournie de défenseurs, chose téméraire sinon impossible. Le duc d'Albe seul appuyait le projet[262], et la reine de Hongrie s'y montrait des plus favorables. L'empereur y tenait singulièrement. Ce prince, avoit l'esprit piqué et sollicité d'un extrême dépit de se venger ; de plus il comptait par la prise de Metz faire tomber en ses mains toutes les places de la Lorraine et se trouver en mesure, au retour du printemps, de pénétrer de nouveau au cœur de la France. Enfin il voyait dans cette conquête le moyen de sauvegarder l'intérêt de l'empire et son avenir, d'amoindrir la puissance du roi de France, de l'empêcher de prendre pied en Allemagne, de déjouer les complots de Henri II[263].

Les Français s'attendaient à ce siège. Dès le 17 août, François de Lorraine, duc de Guise, était venu s'enfermer dans Metz, dont la garnison avait été considérablement renforcée. Il y avait été suivi de la fleur de la noblesse française, jalouse de se distinguer sous les yeux d'un capitaine aussi renommé. Cette ville, lorsque Henri II l'avait prise, était à peine fortifiée ; les deux rivières qui l'entourent, la Moselle et la Seille, lui tenaient lieu de remparts ; dans l'espace qui les séparait, elle était couverte, entre l'occident et le midi, par un grand bastion. Les Français avaient réparé l'enceinte délabrée en plusieurs endroits, approfondi les fossés, ajouté aux défenses naturelles de la place. L'arrivée du duc de Guise fut le signal d'une série de mesures propres à assurer mieux encore la résistance. Par ses ordres, un grand nombre d'habitations, sept églises, plusieurs monastères furent démolis ; les matériaux qui en provenaient furent employés à élever, derrière le mur d'enceinte, des terrassements et de larges remparts ; les faubourgs, les maisons de plaisance, les bâtiments des environs furent livrés aux flammes ; on convertit les voûtes des églises en plates-formes recouvertes de balles de laine et armées d'une nombreuse artillerie battant les hauteurs qui avoisinent la cité ; au moyen des réquisitions faites aux habitants des villages environnants, l'approvisionnement de la place fut assuré pour une année. Tous les citoyens furent contraints de travailler en personne aux fortifications, et Guise leur en donna l'exemple. Quand l'œuvre fut terminée, il fit sortir de la ville les vieillards, les femmes, les enfants, tous ceux sur le dévouement desquels il ne croyait pas pouvoir compter[264].

Il semble que ni l'empereur ni même ses généraux ne s'étaient figuré que Metz leur opposerait des moyens de défense aussi formidables. Mais l'armée impériale était l'une des plus belles qu'il fut parvenu à former depuis son avènement au trône : après l'avoir amenée de si loin et à si grands frais, pouvait-on la licencier sans avoir au moins tenté avec elle quelque entreprise notable ? L'honneur ne le permettait pas, et il fallait poursuivre ce que l'on avait commencé. En ce moment d'ailleurs le duc d'Albe négociait avec le marquis Albert ; il comptait l'attirer au service de l'empereur, et il fondait sur cette coopération l'espérance d'une issue favorable du siège. Un traité secret fut conclu entre eux en effet, par lequel le prince allemand s'engageait à joindre toutes ses forces aux forces impériales, à condition que Charles-Quint le reçut en sa grâce et lui promit l'oubli du passé. L'empereur ratifia ce traité le 24 octobre[265]. Si secrète qu'eût été tenue la négociation, les Français en soupçonnèrent quelque chose, et le duc d'Aumale, frère du duc de Guise, se chargea de surveiller Albert avec un nombreux corps de cavalerie. Or il arriva que, le 4 novembre, l'infanterie du marquis à laquelle il était dû deux mois de solde, vint à se mutiner. D'Aumale voulut profiter de la circonstance, mais Albert chargea si vigoureusement les Français qu'il les mit en déroute, leur tua deux à trois cents hommes, et leur fit un nombre égal de prisonniers, parmi lesquels le duc d'Aumale lui-même. Huit jours après il venait renforcer le camp devant Metz de quinze mille hommes d'infanterie, deux mille chevaux, quarante pièces d'artillerie et deux mille quintaux de poudre.

Un mois s'était écoulé depuis le commencement des opérations du siège sans résultat marquant[266]. Charles-Quint n'était point à la tête de son armée : une seconde attaque de goutte l'avait obligé d'aller s'établir à Thionville. Le 18 novembre, se trouvant mieux, il se rendit au camp, où il fit accueilli le 20 par des acclamations enthousiastes. L'inspection des tranchées et des batteries lui donna lieu de reconnaître que certaines dispositions de ses généraux n'avaient pas été bien entendues ; il les rectifia et les compléta. La tranchée fut ouverte sur plusieurs points qui avaient été négligés ; de nouvelles batteries furent dressées ; une canonnade terrible secoua les murs de la place et fit brèche en différents endroits. La présence de l'empereur inspirait aux troupes une ardeur extrême. Mais Charles avait affaire à un ennemi qui ne lui était inférieur ni en activité ni en énergie. Derrière les murailles que démolissait l'artillerie impériale il s'en élevait d'autres comme par enchantement[267].

Bientôt des pluies arrivèrent qui détrempèrent le sol ; la neige leur succéda ; le froid devint insupportable aux soldats manquant de chauffage. Dans cette situation, l'empereur assembla un conseil et mit en délibération si le siège serait continué ou abandonné. Granvelle et le marquis de Marignan opinèrent pour la retraite de l'armée ; le duc d'Albe émit un avis opposé, et malheureusement ce fut encore cet avis qui fut suivi par l'empereur. On recommença donc : de nouveaux efforts furent faits pour vaincre la résistance de la place ; ils furent infructueux comme les précédents. La saison était de plus en plus rigoureuse, l'armée se fondait à vue d'œil, vaincue par le froid, par les maladies, par les désertions. Charles céda enfin à l'évidence, et renonça à une entreprise qui lui avait coûté des milliers d'hommes[268]. Le 1er janvier 1553, il donna l'ordre de lever le siège, et partit le même jour pour Thionville. Le même jour aussi, l'armée commença son mouvement de retraite sans obstacle de la part des assiégés. Une partie fut envoyée en quartiers d'hiver, l'autre licenciée. L'empereur conserva à sa solde vingt-six enseignes de Hauts-Allemands, mille reîtres, les chevau-légers et les vieilles bandes espagnoles. Albert de Brandebourg regagna l'Allemagne le 5 janvier.

De Thionville l'empereur se dirigea sur Luxembourg. Il comptait ne s'y arrêter que vingt-quatre heures, mais la goutte l'y surprit et le retint jusqu'à la fin du mois. Il arriva à Bruxelles le 5 février, et fut accueilli par de grands transports d'allégresse. On était heureux de le revoir, car le bruit de sa mort s'était répandu. La fièvre et la goutte lui avaient accordé un instant de trêve, dit M. Henne, mais il était assiégé par les souffrances morales et ce fut pâle, nerveux, très faible, n'ayant plus envie de manger ni de boire, se plaignant constamment sans spécifier aucun mal[269], couché dans une litière portée par deux mules, qu'il fit solennellement son entrée. L'esprit public, rassuré quant à sa mort, se préoccupait alors de l'affront infligé aux armes impériales. Pendant que la France exaltait la gloire du duc de Guise et chansonnait le grand empereur, qui l'avait fait si souvent trembler, dans les Pays-Bas on le taxait de folle obstination, on accusait le duc d'Albe d'impéritie, et même de lâcheté. Nous eussions pris Metz, disait-on, si le duc n'avait craint d'exposer ses Espagnols dans un assaut, alors que la brèche était praticable ; certes il en eût coûté moins de monde que n'en ont enlevé la faim, le froid et les maladies[270].

L'année 1552 avait fini tristement pour Charles-Quint, ou plutôt ce n'avait été qu'une année de mécomptes et de désenchantements. Le vieil empereur, dit M. Mignet, n'avait pas mieux réussi dans ses dernières attaques contre la France que dans la recherche de la couronne impériale pour son fils et dans l'exécution de ses plans politiques et religieux sur l'Allemagne. Il fut obligé de lever le siège de Metz après avoir perdu la moitié de son armée par les rigueurs du temps, comme il s'était désisté de la candidature du prince royal d'Espagne à l'empire, comme il avait renoncé à rendre toute l'Allemagne dépendante et catholique. Aces revers consécutifs, il comprit que le cours de ses desseins était arrêté, et l'on assure que, faisant allusion à l'âge de ses heureux adversaires, il dit avec autant de profondeur que d'esprit : La fortune n'aime que les jeunes gens[271]. Il ne continua plus la guerre que pour la bien finir[272].

L'année 1552, dit à son tour M. Gachard, avait été la plus malheureuse du règne de Charles-Quint. En Allemagne, il s'était vu réduit à fuir devant ses ennemis ; il avait été forcé de souscrire à un traité qui renversait tout l'édifice, si laborieusement élevé, de son pouvoir ; il avait échoué dans son entreprise pour faire rentrer l'empire en possession des territoires que Henri II lui avait enlevés. Aux Pays-Bas les Français restaient maîtres des places dont ils s'étaient emparés au début de la campagne ; la seule conquête que les généraux de l'empereur eussent faite sur eux, ils n'avaient pu la conserver[273]. En Italie, Sienne, fatiguée des exactions des soldats espagnols, qui la gardaient et des insolences de leur chef, Don Diego Hurtado de Mendoza, les avait chassés ; elle avait appelé les Français à son aide. Charles ressentait vivement ces disgrâces : il ne s'en laissait point abattre toutefois ; énergiquement secondé par la reine Marie, il se disposa à rétablir l'honneur de ses armes dans la campagne qui allait s'ouvrir[274].

 

Par les ordres de l'empereur, Marie de Hongrie avait convoqué les états à Bruxelles, afin d'adviser comme l'on pourroit recouvrer l'argent requis pour le soustenement et deffense des frontières du pays[275]. La dernière campagne avait coûté aux Pays-Bas d'énormes sacrifices ; toutes les ressources du trésor étaient épuisées. On avait été obligé de vendre ou d'hypothéquer sur le domaine et sur les revenus de l'état plus de trois cent mille livres de rentes héritables dans les seules provinces de Brabant, de Flandre, de Hainaut et de Namur[276] ; à la fin de 1552, le domaine se trouva chargé de plus de six cent mille florins[277]. Une bulle apostolique du 27 juillet avait accordé à l'empereur l'autorisation de lever la moitié de tous les revenus et biens ecclésiastiques, quels qu'ils fussent, excédant en valeur annuelle la somme de vingt-quatre ducats, et deux décimes sur tous les biens de cette nature d'un revenu de douze à vingt-quatre ducats[278]. Enfin un édit du 31 octobre avait augmenté d'un demi-centième le droit d'issue sur tous les biens, meubles et marchandises sortant des Pays-Bas[279], et la recette générale s'était élevée à plus de cinq millions de livres[280].

Mais ces aides, ces subsides, les sommes énormes reçues d'Espagne, les lingots arrivés du Mexique et du Pérou, avaient été insuffisants, et les opérations de guerre souvent paralysées par le manque d'argent. Devant Metz, cette pénurie avait failli provoquer une mutinerie générale des troupes, et il avait fallu recourir à des expédients pour arrêter le mal. Ainsi, au mois de novembre, à la suite d'un arrangement conclu avec leurs capitaines, elles acceptèrent, pour une partie de leur solde, des draps, des soieries, d'autres étoffes jusqu'à concurrence d'une somme de quarante mille florins[281]. Après de longues démarches, on avait obtenu des marchands d'Anvers un prêt de six cent mille ducats. La reine, munie de pleins pouvoirs de l'empereur[282], avait tiré sur l'Espagne une traite de six cent vingt-cinq mille ducats, en conjurant le prince Philippe de l'accepter, dans la crainte de perdre le crédit, qui seul, lui disait-elle[283], nous a soutenus, nous soutient et nous soutiendra dans ce pays complètement épuisé. Le produit de la traite absorbé, il fallut de nouveau recourir au commerce d'Anvers[284]. Mais les marchands s'excusèrent sur les deniers que l'empereur leur devoit, sur ce que la marchandise n'avoit pas son cours, sur ce que chaque jour ils perdoient beaucoup par les bancqueroutiers qui journellement abandonnoient leurs biens comme insolvens. Les commissaires de la reine s'adressèrent vainement aux Florentins, aux Genevois, à d'autres marchands étrangers ; après les plus actives démarches, en prenant les sommes les plus minimes à des intérêts exorbitants et sur l'engagement personnel de la reine, ils n'étaient parvenus à réunir que cent deux mille livres. Nous vous promettons, madame, écrivaient-ils, que nous avons bien à faire à amener les gens à vouloir prester : l'un pleure, l'autre lamente, le troisième nous jure que les voulons réduire en servitude ; le quatrième demande si par ordonnance les voulons contraindre à prester, de manière que nous avons bien à faire à les contenter[285].

Les états généraux se réunirent, le 13 février, au palais de Bruxelles, en présence de l'empereur et de la reine. Dans la proposition dont il leur fut donné lecture, Charles les remerciait d'abord du concours prêté par eux à son gouvernement, au milieu des circonstances difficiles où le pays était engagé, se démontrant en bons, loyaux et affectionnés sujets, tels qu'il les avoit toujours trouvés et connus. Il livrait ensuite à leur appréciation la conduite du roi de France qui, sous couleur d'amitié, avait occupé une partie des états du duc de Lorraine, circonvenu plusieurs villes du saint empire pour les soumettre à la cruelle servitude en laquelle il tient son royaume, suscité contre lui plusieurs des princes de l'Allemagne ; qui, non content de tout cela, s'était montré l'ennemi mortel de la chrétienté, en sollicitant le Turc d'envoyer sa flotte contre l'Italie, et de faire attaquer la Hongrie et la Transylvanie par son armée de terre. Il rappela ensuite que, lorsque les Pays-Bas avaient été menacés par les Français, il avait voulu accourir pour les défendre, mais que les forces corporelles lui avaient manqué et qu'il s'était vu obligé de retourner sur ses pas. Il déduisit les raisons qui l'avaient engagé à mettre le siège devant Metz, et ajouta que, s'il avait renoncé à cette entreprise, c'est que le temps et la saison étoient si rudes et si contraires que tous les jours défailloient les gens, pour non pouvoir comporter, en temps si froid, les guets qu'il falloit faire de tous côtés. L'empereur terminait par un appel pathétique au patriotisme et au dévouement des états[286].

Les subsides demandés étaient considérables. Le Brabant eut à fournir six cent mille florins carolus, et, pour se les procurer, les états établirent sur les foyers un impôt de vingt sols dans les villes, de quinze sols dans les campagnes, impôt dont les ordres mendiants seuls furent exceptés[287]. La Flandre accorda sept cent vingt mille livres[288] ; la Hollande trois cent mille[289], et les autres provinces des sommes proportionnelles. Le comté de Namur, taxé à vingt-quatre mille livres, offrit d'abord la moitié de cette somme en se fondant sur les souffrances causées aux habitants par le passage des troupes ; il voulut ensuite mettre des conditions à son consentement, mais l'empereur rejeta l'offre et les conditions ; il fallut céder[290].

 

Charles-Quint, dit M. Henne, trop clairvoyant pour méconnaître les dispositions des esprits, et trop fier pour rester sous le coup d'un échec, voulut tout à la fois relever la fortune de ses armes, et, par de grands succès, rendre la confiance aux timides, imposer aux mécontents. D'immenses convois de munitions furent dirigés sur les frontières ; on recruta des piétons dans toutes les provinces. Le 28 février, vingt et une bandes de la gendarmerie des Pays-Bas, présentant un effectif de trois mille cinq cents chevaux, se trouvèrent réunies ; dans le courant du mois suivant, elles furent successivement rejointes par dix-sept autres bandes et par deux compagnies de cent arquebusiers à cheval. En outre Charles avait chargé son fils de lui envoyer six mille Espagnols des vieilles bandes d'Italie.

Aussitôt que l'armée impériale fut organisée, les généraux belges proposèrent d'importantes opérations ; tous estimaient depuis longtemps que le plus grand estonnement à faire aux ennemis estoit de commencer tempre — vite — et de les assaillir vertement. Ils finirent par faire partager cet avis à l'empereur et à la reine de Hongrie. Aussi le printemps était à peine commencé quand le comte du Rœulx malade ordonna à son lieutenant Pontus de Lalaing, seigneur de Bugnicourt, de se mettre en campagne. Celui-ci proposa d'attaquer Thérouanne, et, quoique le comte eût préféré qu'on commençât par Hesdin, il fit partager son avis par la régente. La reine était informée de la faiblesse de la garnison de la première de ces deux villes, qui, dans la crainte où elle était d'être attaquée, tenait les eaux de la Lys fort élevées et venait d'expulser toutes les bouches inutiles. Le moment était donc propice et la résolution fut promptement exécutée.

Le 30 avril, au moment où la cour de France était tout occupée de bals, de festins, de tournois, pour le mariage de Diane, fille naturelle de Henri II, avec Horace Farnèse, les troupes impériales parurent devant Thérouanne. Cette ville était une des plus fortes places du royaume du côté des Pays-Bas ; François Ier avait coutume de dire qu'elle était un des deux oreillers sur lesquels les rois de France pouvaient dormir en paix. Les Français n'avaient connu que très tard le dessein des Impériaux, et le connétable de Montmorency n'avait eu rien de plus pressé que d'y envoyer des renforts considérables. Il avait confié le commandement de la place à son fils François qu'assistait d'Essé de Montalembert, dont la vaillance et l'habileté avaient brillé au siège de Landrecies et en Écosse. Ces deux capitaines, arrivés dans la nuit du 27 au 28 avril sur les bords de l'Aa, près d'Esquerdes, y trouvèrent le seigneur de Loos, qui battit les trois cents cavaliers de leur escorte et leur enleva un convoi de vins et de lard. Plus heureux dans une seconde tentative, ils parvinrent à s'introduire dans la place, avec un grand nombre d'autres seigneurs, gentilshommes et vaillans soldats, lesquels y venoient, les uns pour aceérir honneur, les autres suivans leurs capitaines pour la défendre et garder[291].

La garnison se trouva forte alors de trois mille hommes, mais Henri II ne fit rien de plus pour sauver Thérouanne. Alors, dit un écrivain français du temps, alors que les Impériaux s'attendaient à d'extrêmes efforts pour prévenir une conquête, qui seroit le plus grand affront qu'on pût infliger à la France ; alors qu'on prêtait même au roi l'intention d'accourir en personne à la tête de son armée, sachant sa ville renforcée de braves hommes, de vivres, de toutes munitions, il reçut on son esprit telle assurance et contentement que, sans de plus loin considérer les ruses et invasions estranges de l'ennemi, sans plus diligens préparatifs ni amas d'armes, il donna aux Impériaux le loisir d'user librement de ce qu'ils pouvoient imaginer propre à enfoncer et démolir une forteresse[292]. Vendôme, placé à Abbeville avec cinq à six mille chevaux, disposant de dix-huit mille piétons français, de trente-deux enseignes de lansquenets et de la nombreuse artillerie des arsenaux de Boulogne et d'Ambleteuse, imita l'inertie de son maître, et les assiégeants commencèrent les travaux d'attaque sans être le moins du monde inquiétés. Les assiégés cependant, stimulés par les souvenirs de Metz, paraissaient décidés à s'ensevelir sous les murs de la place. D'Essé avait dit à Henri II : Quand on vous annoncera que Thérouanne est prise, d'Essé sera guéri de la jaunisse et mort sur la brèche. Mais Bugnicourt, de son côté, avait dit à Charles-Quint : Je vous promets de vous livrer Thérouanne dans quatre mois. Si je manque à ma parole, je consens qu'on me fasse tirer à quatre chevaux. Ni l'un ni l'autre ne faillit à sa promesse.

A la suite du siège de 1537, les Français avaient élevé quelques nouveaux ouvrages pour garantir les parties les plus faibles de la place. Ils avaient établi, entre autres, un bastion qui couvrait la porte de Saint-Omer et une grande plate-forme, au côté et sur le coin tirant vers le mont Saint-Jean ; elle s'étendait jusqu'à une grosse tour dite tour du Chapitre. C'était le point le plus vulnérable : le fossé y était peu profond et le rempart, quoique haut et solide, était dominé par le mont Saint-Jean. Toute la difficulté pour les assiégeants était d'élever rapidement une esplanade d'où leur artillerie pût battre le pied du rempart. Quant aux flancs de la grande plate-forme, les Impériaux se proposaient de les briser par le canon ou de les faire sauter par la mine : trois cents mineurs anglais recrutés par le comte du Rœulx s'étaient engagés à mettre de cette façon la plate-forme par terre[293].

Le comte, très malade et déjà aux prises avec la mort, était arrivé au camp dans les premiers jours de mai ; mais ses forces trahirent son courage, et il fut obligé de se retirer au château d'Uppen. Il y succomba bientôt ; ses restes reçurent la sépulture à l'abbaye de Saint-Feuillien près du Rœulx. Sa perte fut justement déplorée : la Belgique perdit en lui un de ses plus nobles enfants ; Charles-Quint, un de ses plus fidèles serviteurs. Personne n'avait mieux défendu sa patrie, mieux soutenu les intérêts du souverain. On a pu lui reprocher d'être colère, opiniâtre, attaché aux minuties[294], de s'être montré cruel dans ses représailles contre la France, il n'en reste pas moins une des grandes figures de son temps, et sa mémoire est pure des reproches de cupidité qui ternissent celle de beaucoup de généraux et d'hommes d'état de l'époque[295].

La mort du comte du Rœulx laissa la direction complète du siège au sire de Bugnicourt. Personne n'était plus digne de remplacer cet habile et vaillant homme, car son ancien lieutenant était regardé comme le premier des capitaines des Pays-Bas, pour les talents et le courage, quand le vin ne troubloit pas sa raison[296]. Il sut vite justifier cette réputation militaire, même aux yeux des habitants de Thérouanne. Ceux-ci, au début du siège, voyant du haut de leurs murailles que les Impériaux traînoient leur artillerie avec peine et nonchalance, offroient la leur par dérision, leur lâchoient toute espèce de brocards, leur rappeloient ironiquement la levée honteuse du siège de Metz, mettaient paître une brebis sur les remparts, pour que ses bêlements les fit souvenir de ce nom funeste[297]. Mais ils changèrent bientôt de ton, et ne surent empêcher les assaillans de faire leurs approches où bon leur sembla[298].

Deux batteries furent établies l'une sur le mont Saint-Jean, au couchant de la ville, l'autre à l'opposite, et foudroyèrent les remparts. La grande plate-forme fut ruinée par la mine et par une batterie établie sur les bords du fossé même, entre le château et la tour du Chapitre. Marchant lentement, mais sûrement, les travaux d'attaque firent chaque jour des progrès, et l'issue de l'entreprise devint de moins en moins douteuse. Alors ceste gent de Flandre et d'Artois, tout aise de voir ainsi la place environnée, accourut avec femmes et petits enfants en chantant chansons et rythmes, amenans et apportans au camp tous grains, breuvages, bestails et autres vivres à monceaux, qui démonstroient leur armée plus grande en nombre que pourveue de bons soldats[299].

Vers la mi-juin, la principale batterie ouvrit une brèche de soixante pieds de largeur, et Bugnicourt ordonna sur le champ l'assaut. Belges et Espagnols y coururent avec impétuosité ; mais le pied de la muraille était resté debout, et trouvant l'ouverture trop haute à escalader, battus en flanc par une nombreuse artillerie, ils durent se résoudre à la retraite. Les assaillants eurent à cette attaque environ mille hommes mis hors de combat ; les Français en perdirent quatre cents, perte d'autant plus grave que parmi les morts se trouva le brave d'Essé de Montalembert, tué d'un coup d'arquebuse, et beaucoup d'autres vaillants capitaines. La négligence des guets impériaux permit toutefois de la réparer par l'introduction dans la place d'un renfort de trois cents combattants[300].

Bugnicourt pressa alors les travaux de ses mineurs, et malgré les contremines de l'ennemi, protégés par une nouvelle espèce de madriers dont l'invention était due à l'Espagnol Vega, ils firent, en peu de jours, sauter les principales défenses. Le 18, à la suite d'attaques furieuses, tous les ouvrages extérieurs furent pris et le bastion de la Patronnille emporté. Ces succès jetèrent la consternation dans la place, et, le 20, François de Montmorency offrit de la rendre, à la condition d'en sortir enseignes déployées, avec canons, armes et bagages. Glajon et Louis de Quixade, commissaires du seigneur de Bugnicourt, repoussèrent ces propositions et exigèrent que la garnison se rendit à discrétion. Les commissaires français se retirèrent, en déclarant qu'ils préféraient la mort à une si honteuse capitulation. Peu d'instants après pourtant, d'autres députés se présentèrent et les pourparlers recommencèrent. Mais, dans l'intervalle, un rude assaut fut donné et les assiégés étant enforcés et emportés, prêts à estre tous mis en pièces, comme l'art et la coutume de la guerre le permet, s'avisèrent à crier : Bonne, bonne guerre, compagnons ! Souvenez-vous de la courtoisie de Metz. Soudain les Espagnols courtois, qui faisoient la première pointe de l'assaut, sauvèrent les soldats, seigneurs et gentilshommes, sans leur faire aucun mal et reçurent tous à rançon[301]. Les Belges, au contraire, ne voyant dans Thérouanne qu'un nid de brigands trop longtemps funeste aux contrées voisines, ne firent pas de quartier. François de Montmorency, blessé au bras, eût été massacré, avec la plupart de ses soldats, sans l'intervention d'un seigneur ennemi[302], qui mourut peu de jours après des blessures reçues en le défendant. Fait prisonnier avec une foule d'autres gentilshommes, le fils du connétable fut taxé à une rançon de cinquante mille écus[303].

Ainsi succomba cette ville de Thérouanne un des principaux boulevards de la France, pour arrêter les irruptions des Anglois et des Flamands, qui avoit été fortifiée avec tant de soin qu'elle passoit pour une des plus fortes places du royaume. Les vainqueurs trouvèrent une bonne et grosse artillerie, entre autres deux longues couleuvrines, appelées l'une Madame de Hère, parce qu'elle portait, dit-on, à deux lieues de distance jusque dans la place de ce nom ; l'autre Madame de Fralin, qui n'était guère de moindre portée[304]. La ville fut pillée et brûlée. On n'épargna pas même, comme en 1513, la cathédrale : la soldatesque la spolia des vénérables corps saints, reliquaires, chapes, ornemens, tapisseries, lettraiges, livres, comptes, registres et autres meubles, ce que, selon droit et raison, et avec usance de bonne et ancienne guerre, ne se debvoit, d'autant que estoient et sont choses dédiées à l'honneur de Dieu et à son saint service. Les chanoines ayant demandé à l'empereur de recouvrer quelque partie de ces objets, afin d'orner l'église et de faire le service en tel lieu qu'il seroit possible, il leur répondit que son intention était que l'église de Thérouanne fut réintégrée en cesdits meubles et biens sacrés, si avant qu'ils fussent recouvrables et propres encore au service divin. A cet effet, il ordonna, le 13 juillet, aux autorités des villes voisines de prescrire, sous peine de punition arbitraire, à tous, de quelque estat ou condicion qu'ils fussent, ayans de ces objets, soit qu'ils les eussent pris eux-mêmes audit sac, ou qu'ils les eussent acquis et rachetés des mains des soldats ou autres, de promptement les rapporter ou renvoyer, aux dépens desdits supplians, en la maison prévôtale de Saint-Orner[305], où l'évêché fut transféré en 1554.

Quant à la ville, considérant que la force d'icelle n'eust servi à ses pays que de frais et que, retournant ès mains des François, elle povoit tenir sesdits pays en ppine et despence, l'empereur se détermina à la faire desmolir[306]. Marie de Hongrie demanda à l'Artois deux mille pionniers[307] et à la Flandre six mille, pour les employer à cette démolition[308], à laquelle les états de cette dernière province consacrèrent une somme de cinquante mille carolus[309]. La prise de Thérouanne excita la joie la plus vive, surtout dans les contrées voisines qui la célébrèrent par des fêtes publiques. La reine ordonna des processions et des prières pour remercier Dieu, et quand parut l'ordre de démolition, on vit les populations artésiennes et flamandes participer à l'œuvre de destruction avec une telle ardeur que, dès le 8 juillet, elle était déjà fort avancée. Chacun emportait quelques pièces de débris de cette ancienne ennemie, qui avait fait tant de mal, pour en orner sa demeure[310].

 

Au moment où se rallumaient les fureurs de la guerre, le pape Jules III, qui déjà l'année précédente avait fait des tentatives dans le but de réconcilier l'empereur et le roi de France, leur envoya des légats pour leur représenter le besoin que la chrétienté avait de la paix et leur offrir sa médiation. Il avait choisi, pour remplir cette mission évangélique auprès de Henri II, le cardinal de Saint-Georges, Jérôme de Capiteferreo, et, pour s'en acquitter auprès de Charles-Quint, Jérôme Dandolo, cardinal d'Imola. Celui-ci arriva à Bruxelles le 15 mai. L'empereur avait été souffrant tout l'hiver ; il l'était encore et ne recevait personne ; la reine Marie elle-même et ses principaux ministres avaient beaucoup de peine à le voir à d'assez longs intervalles[311]. Ce fut seulement le 9 juin qu'il put donner audience au légat. Le cardinal le trouva dans une petite chambre, assis sur une petite chaise très basse, les jambes supportées par un tabouret de la même hauteur à peu près que la chaise[312]. Invité à s'asseoir auprès de lui, il lui exposa l'objet de sa mission. Charles répondit en rendant grâces au souverain pontife de la sollicitude que celui-ci témoignait pour le bien de la chrétienté, mais il déclara qu'il voyait manifestement que le roi Henri, suivant les vestiges de son père, voulait remettre en question des choses décidées depuis longtemps par des traités solennels ; que ce roi avait usé à son égard des procédés les plus indignes, soulevant ses sujets et envahissant ses pays patrimoniaux ; que ce prince, qui faisait profession d'être chrétien et se faisait appeler roi très chrétien[313], n'avait pas eu honte de faire appel aux Turcs et de s'allier avec eux ; que par conséquent on ne pouvait se fier à aucun accommodement avec lui et qu'il aimait mieux continuer la guerre, car il ne perdait rien en la continuant, et s'il venait à perdre, il le supporterait plus patiemment que de se voir assassiné au moment où il y pensait le moins[314]. Le reste de l'entrevue se passa en compliments ; l'empereur permit toutefois que le légat conférât de ces choses avec l'évêque d'Arras, mais ces conférences restèrent sans résultat.

On se rappelle que le cardinal d'Imola avait été envoyé à Charles-Quint une première fois en 1551. Dans la dépêche oïl il rendit compte au saint père de sa dernière audience, il dit qu'il a trouvé peu de différence entre l'état actuel de l'empereur et celui où il l'avait laissé à Augsbourg ; que s'il y a quelque changement, c'est plutôt à son avantage ; qu'à la vérité une certaine pâleur est empreinte sur ses traits, mais qu'il y a longtemps déjà qu'on la remarque ; que, du reste, le monarque parle et écoute avec autant de gravité que jamais[315]. Dans un billet chiffré joint à sa dépêche, Dandolo ajoutait : Selon mon jugement, ceux qui comptent sur la mort prochaine de l'empereur s'abusent, à moins que Dieu n'en ait autrement disposé, et que Sa Majesté, par des excès de bouche auxquels on dit qu'elle s'abandonne souvent, et par l'usage d'aliments malsains, ne donne lieu elle-même à quelque accident soudain[316].

Des discussions nées entre ses généraux décidèrent l'empereur à nommer le prince de Piémont chef et capitaine général de l'armée. Par lettres patentes du 22 juin, il lui conféra plein pouvoir, autorité et mandement spécial de prendre et avoir la superintendance générale et souverain regard sur la conduite des gens de cheval et de pied, ensemble sur l'artillerie et les munitions, qu'il devait faire tenir en bon ordre, règle, justice et obéissance. Il lui donnait commandement sur les chefs, capitaines et lieutenants, et pouvoir de les conduire et employer avec la même autorité que si l'empereur y étoit en personne. En résumé, le prince avait charge de tout ce que chef et capitaine général devoit et étoit accoutumé de faire. Ses lettres l'autorisaient aussi à traiter et appointer avec les villes et places, forts et châteaux qui se voudroient mettre sous l'obéissance de l'empereur, à telles charges et conditions que, selon l'exigence des cas, il trouveroit convenir[317].

Emmanuel Philibert, dit Tête de fer, fils du duc de Savoie Charles III et de Béatrix de Portugal, sœur de la feue impératrice, avait alors près de vingt-cinq ans. L'empereur l'avait appelé à ces hautes fonctions pour le contentement que les gens de guerre de toutes nations et les seigneurs de par deçà avoient démontré avoir de sa personne, et afin d'avoir plus grande obéissance au camp[318]. Destiné d'abord, à l'Église, il avait conservé de la piété. D'un naturel hautain et fier, il savait cependant se montrer affable et courtois ; porté à la colère, il dominait sa fougue et ses emportements pour redevenir juste et clément. Il était franc, loyal, fidèle observateur de ses promesses. Ami des arts et des lettres, parlant l'italien, l'espagnol, le français, le latin, adonné à la culture des sciences, on ne peut lui reprocher que d'avoir porté trop loin le désir de connaître, et de s'être laissé entraîner dans les rêveries de l'alchimie fort en vogue encore à cette époque. Le prince de Piémont était entré en 1545 au service de l'empereur, qui le traitait avec beaucoup de distinction et lui avait accordé le titre d'altesse royale[319].

Thérouanne prise, l'armée impériale s'était portée rapidement sur Hesdin. Prévoyant cette attaque, Robert de la Marck avoit longtemps auparavant entrepris la tuition et défense de cette malheureuse ville ; il s'estoit parforcé davantage à la fortifier d'hommes et de toutes choses bastantes pour arrester les ennemys et empescher d'exécuter leur entreprise jusques au temps que le roy projettoit son armée estre preste et assemblée[320]. Horace Farnèse, gendre de Henri II, le marquis de Villars, brave et vaillant seigneur, beau-frère de M. le connétable[321], une foule des plus illustres gentilshommes de France, deux mille vaillants soldats s'étaient empressés de venir le rejoindre.

Si les Français étaient décidés à une héroïque résistance, les Impériaux ne l'étaient pas moins à les battre en bref. On savait que le roi concentrait sa gendarmerie à Amiens, complétait ses vieilles enseignes, en levait de nouvelles, appelait l'arrière-ban, attendait ses auxiliaires suisses et grisons ; le succès dépendait de la promptitude de l'attaque. Les habitants s'étaient empressés d'évacuer la place. Quatre jours après l'investissement, la garnison abandonna la ville pendant la nuit et se retira dans le château. Huit enseignes belges l'occupèrent immédiatement, et y furent assaillies dès le lendemain avec une grande vigueur par les assiégés. Le combat fut acharné, mais l'arrivée de trois cents arquebusiers espagnols décida la victoire en faveur des Impériaux.

Du côté opposé de la ville, le château n'avait point de muraille, mais un large fossé, au delà duquel régnait un massif de terre très élevé et très large ; aux extrémités se dressaient deux tours, dont les feux obliques convergeaient vers la contre-escarpe. Une batterie, dirigée par des Belges, les plus habiles dans l'art de l'artillerie, dit Sepulveda, foudroya vainement pendant huit jours ce front de défense. Les boulets s'enfonçaient dans le massif sans produire d'effet, et l'on résolut de recourir à la mine. Emmanuel-Philibert, qui vint en ce moment prendre le commandement de l'armée, approuva ces dispositions, et les mineurs, protégés par les madriers dont ils s'étaient servis au siège de Thérouanne, ne tardèrent pas à arriver sous le massif. L'explosion de la mine le fit ébouler en grande partie, et y demeurèrent du costé des assiégés grand nombre de vaillans hommes. Les Impériaux, accourus au même moment sur le bord du fossé, ouvrirent une fusillade meurtrière qui tua, entre autres, Horace Farnèse[322].

On était au t8 juillet et tout se disposait pour l'assaut, quand la Marck battit la chamade. Au moment où l'on arrêtait les termes de la capitulation, le feu fut mis par inadvertance aux artifices préparés à la brèche. L'explosion fut terrible et coûta la vie à un grand nombre de Français. Les Impériaux, croyant à une violation de l'armistice, allumèrent les mèches de leurs mines et renversèrent ainsi une partie du château, où ils pénétrèrent avant que les Français se fussent reconnus. La Marck demanda l'exécution de la capitulation, mais le prince de Piémont répondit qu'elle n'était plus nécessaire puisqu'on était maître de la place. Ce fut un jour de deuil pour la France. Elle perdait un grand nombre d'hommes de marque restés parmi les morts, notamment Jean de Taise, grand maître et capitaine général de l'artillerie. Dans la foule des prisonniers, on comptait La Marck lui-même, le marquis de Villars, le seigneur de Riom, gouverneur de la ville, le baron de Culan. On dispersa ces prisonniers dans les provinces de Brabant, de Hollande et de Zélande ; ils ne recouvrèrent leur liberté qu'au prix d'énormes rançons. La Marck, conduit d'abord à Gand avec le marquis de Villars et le seigneur de Réaux, fut transféré ensuite à l'Écluse, et ne fut relâché qu'en 1556, en payant une rançon de cent mille écus. La ville de Hesdin et le château furent rasés ; les malheureux habitants errèrent longtemps de ville en ville, partout où ils trouvaient un refuge[323].

L'armée reposée et renforcée, Emmanuel-Philibert résolut d'assiéger Dourlens, où le connétable avait jeté une nombreuse garnison. Mais à peine la place fut-elle investie, qu'on apprit l'arrivée des Suisses et des Grisons attendus par les Français. S'attendant à voir l'ennemi prendre l'offensive, le prince rappela sur le champ les troupes détachées à Dourlens et se prépara à la bataille. Ceci se passait le 13 août ; une rencontre paraissait imminente. Montmorency avait quinze mille fantassins français et gascons, presque tous des vieilles bandes ; dix mille lansquenets, dix mille Suisses et Grisons, quinze cents Anglais et Écossais, quatre à cinq mille chevaux. Mais le connétable était bien décidé à éviter tout engagement sérieux. Étonnés de son immobilité, les Impériaux se concertèrent, et on délibéra, dans le conseil du prince, d'envoyer un corps considérable de cavalerie pour reconnaitre la position de l'ennemi, au delà de la Somme. A cet effet trois mille à trois mille cinq cents cavaliers, ordonnances et chevau-légers, furent choisis parmi les Belges, et confiés au commandement de Bugnicourt, de Boussu, d'Aremberg, d'Arschot d'Épinoy, d'Egmont, de Mégem, de Renty, d'Hoogstraeten, de Philippe de Ligne[324], de Charles de Trazegnies et de son frère. C'était donc une troupe d'élite et exclusivement nationale. Emmanuel-Philibert voulut leur adjoindre cinq cents chevau-légers et six cents arquebusiers à cheval espagnols ; mais ils les refusèrent, soit à cause de leur peu d'amitié pour les Espagnols, soit parce qu'ils voulaient, eux seuls Flamands, avoir tout l'honneur de l'entreprise, en disant qu'ils étaient assez nombreux pour faire face à toute attaque, soit enfin pour constater qu'ils étaient chez eux, et que, connaissant parfaitement le pays, ils pouvaient se hasarder sans le soutien d'aucune autre nation. Malheureusement, au moment de se mettre en marche, survinrent des empêchements qui firent remettre le départ au lendemain : ce retard perdit tout[325].

Le détachement partit dans la soirée du 18 et, chevauchant toute la nuit, arriva, le lendemain dimanche, à un château, où l'on apprit que l'ennemi était averti de l'expédition. Plus loin on rencontra des paysans venant d'Amiens, et l'on apprit d'eux que, la veille, les Français avaient passé la Somme. Bugnicourt et d'Aremberg proposèrent alors de rebrousser chemin, mais tous les autres chefs se recrièrent contre l'idée de se retirer sans avoir vu l'ennemi ; selon eux, il serait toujours possible de se replier plus tard. On se remit donc en marche, et, à Talmas, au moment où le prince d'Épinoy, comme il faisoit fort grande chaleur venoit d'estouffer et mourir de chaud dans ses armes[326], les Belges se trouvèrent en présence de trois à quatre mille chevaux, gendarmes et nobles de l'arrière-ban, de vingt enseignes d'infanterie, François et lansquenets, avec quatre pièces d'artillerie[327]. C'était l'avant-garde de l'armée royale, qui se déployait sur la droite et un peu en arrière, formée de trois corps commandés par le prince de Condé, le connétable et. le maréchal de Saint André.

Bugnicourt, qui marchait en tête avec trois cents chevaux, dit aux autres de tourner bride et de rétrograder lentement ; qu'il venait d'apercevoir un corps de cavalerie bien plus considérable que le leur, qui ne manquerait pas de les suivre et d'inquiéter l'arrière-garde ; qu'il fallait par conséquent le tenir à distance en le chargeant vigoureusement pendant qu'eux opéreraient leur retraite ; que quant à lui, il espérait les frotter assez bien pour les dégoûter de toute poursuite. A peine ces dispositions étaient convenues qu'on vit arriver le duc de Nemours avec une troupe de cavaliers français. Celle-ci se mit à harceler la petite troupe de Bugnicourt, l'attaquant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, l'empêchant d'avancer et ne lui laissant pas un instant de repos. Bugnicourt irrité chargea à fond et avec tant de violence Nemours et ses gens, qu'il les culbuta et les mit en fuite. Alors Boussu et les autres seigneurs, qui étaient au centre, oubliant la résolution prise quelques moments auparavant, et dans la crainte peut-être de laisser à Bugnicourt tout l'honneur de la journée, chargent aussi le gros de l'ennemi commandé par le prince de Condé et le sire de Canaples, le mettent. en déroute et font les deux seigneurs français prisonniers. Le prince fut délivré une heure après par les siens, et le sire de Canaples seul amené au camp. En même temps furent tués le baron de Guerres, capitaine des chevau-légers et un grand personnage dont on ne sut pas le nom. On remarqua seulement qu'il était vêtu d'une casaque d'étoffe d'or et qu'environ cinquante cavaliers entourèrent le cadavre, qu'un d'eux plaça sur ses arçons.

Cependant le connétable accourait au grand trot, suivi de près par le maréchal de Saint-André avec une forte réserve, et l'engagement devint général. Tandis qu'on se battait dans la mêlée, un escadron belge de la force peut-être de cinquante chevaux, voulant assurer la victoire, poussa en avant, mais au lieu de tourner à gauche dans la plaine, il monta à droite vers un bois, d'où il voulait ensuite descendre sur l'ennemi. Malheureusement il tomba dans une embuscade, et fut assailli par une grosse troupe d'infanterie cachée dans le bois. Surpris par la fusillade, il fit volte-face et se mit à fuir. Les autres alors, qui combattaient dans la mêlée, commencèrent à lâcher pied, surtout les archers des hommes d'armes, et les chefs ne parvinrent point à les ramener. De cette manière, dit un témoin, nous est échappée la plus belle victoire que nous pussions espérer, parce qu'il y avoit là toute la cavalerie françoise, parmi laquelle, dit-on, on comptoit huit cents hommes d'armes, et la meilleure infanterie, surtout les vieux Gascons et les Allemands ; de manière que ceux-ci une fois battus, ainsi qu'il était aisé de le faire, actum erat — c'en était fait — de la France, qui n'auroit pu se remettre de sitôt. Une fois ces gens en déroute, on auroit pu marcher tout droit sur Paris et plus loin encore.

Alors entre les gens d'armes restés fidèles à l'honneur et la foule d'ennemis qui les pressaient de toutes parts, commença une lutte héroïque. Trois fois d'Egmont, dont on blàma la fougue, traversa les rangs français ; Mégem et les deux Trazegnies se battirent comme des Rolands ; le frère du marquis de Renty lutta pendant une heure pour garder le prince de Condé, qu'il avait fait prisonnier ; trois fois d'Arschot réunit nos gens et les ramena au combat ; mais enfin son cheval lui faillit, et roulant dans la poussière il parvint à gagner un bois où, après s'être tenu caché pendant deux jours, il fut pris par des paysans. On cite encore comme s'étant particulièrement distingués, Boussu, qui d'abord fait prisonnier, fut repris ensuite ; d'Aremberg et deux gentilshommes de l'empereur, Vatteville et Zuccaro. Les Impériaux parvinrent enfin à battre en retraite ; ils n'avaient perdu que cent quarante hommes tués ou pris, et dans ce nombre, excepté le duc d'Arschot, il n'y avait aucun personnage marquant. La perte des Français fut de près du double. Outre le sire de Canaples, ils laissèrent aux mains des Belges la Rochefoucauld, qui, pendant cinq jours, réussit à se faire passer pour un simple archer, et ne fut reconnu que par un trompette français, chargé par le connétable, son parent, de le rechercher. Les Français emportèrent trois de nos enseignes ; les Beiges, quatre enseignes et un guidon[328].

On s'attendait à voir les Français, encouragés par ce succès plus apparent, il est vrai, que réel, prendre enfin l'offensive. Il n'en fut rien. Au contraire, peu de jours après, le prince de Piémont, entrant en Picardie par Miraumont, détruisit le fort et la tour de Beauquesné, et s'avança jusqu'à Albert. Cette expédition avait pour but le ravitaillement de Bapaume, que, suivant divers rapports, les Français se proposaient d'assiéger. Le prince y mit huit enseignes d'infanterie ; craignant aussi pour Cambrai, il y envoya Bugnicourt, qu'accompagnèrent d'Aremberg et de Trélon avec leurs régiments et huit cents chevaux. Les garnisons des places voisines furent également renforcées. L'armée impériale, diminuée d'autant, alla prendre position sur la rive droite de l'Escaut. Campée à Fontenelle, Famars et Maine., couverte par le fleuve contre un ennemi formidable elle y attendit les évènements[329].

Henri II avait rejoint son armée à Corbie avec de nouvelles troupes, et elle s'était mise en marche le 1er septembre. Sa première fureur parut vouloir se desgorger sur Bapaume, lieu fort, plus par l'assiette stérile que de naturel ou d'artifice, mais odieux et dommageable aux François circonvoisins, autant ou plus que Thérouanne avoir esté à ses voisins les Bourguignons. Le 3 septembre, le connétable, accompagné d'une foule de princes et de gentilshommes, vint reconnaître la place avec cinq à six mille chevaux et autant de fantassins. A l'arrivée de cette belle compagnie, le gouverneur de Bapaume — le seigneur de Haulsimont, chevalier bien estimé entre les Bourguignons — ne se montra point chiche de pouldre et boulets, lui envoyant de telle marchandise plus qu'on n'en vouloit. Au surplus ceux de dedans ne furent fort paresseux et rétifs à sortir à l'escarmouche ; mais tant long que les boulets de leur artillerie pouvoient donner, s'eslongeoient et assez bravement faisaient leur devoir, presque quatre bonnes heures que l'escarmouche dura. Pendant ce combat, où furent blessés, du côté des Français, le capitaine Breul, le seigneur de Molimont, fils du gouverneur de Saint-Dizier, et le seigneur de Nogent, qui mourut quelque temps après des suites de ses blessures, le connétable avait examiné la place. Fut trouvé le tout prenable, estant le rempart de mauvais conroy, et la terre dont il estoit fait estre sable mouvant et délié, qui n'est de bonne tenue ; faisant de ce apparence un quartier de muraille qui estoit tombé, et autres du rempart qu'on pouvoit facilement congnoistre couler et descheoir ordinairement dessous. La plus grande difficulté qu'on y trouva, estoit la nécessité irrémédiable d'eau. Encore que M. le connestable y eust fait aller grand nombre de vastadours pour chercher des sources et fontaines, toutesfois ne purent trouver veines de durée. Pourquoi fut rompue la délibération de ce siège. L'armée royale se retira donc, estans tous les villages, abbayes et tous domiciles des ennemis, voire jusques aux moulins à vent, auprès des portes de Bapaulme, partie consommés, et le reste encore en flammes et fumée. La retraite toutefois ne s'effectua pas sans encombre : les villains et paysans destruits et désespérés, et la garnison de Bapaume assailirent l'arrière-garde firent de bons butins, destroussèrent les plus esgarés et mal conduits.

De Bapaume les Français se portèrent directement sur Cambrai, où ils avaient des intelligences. Henri II somma les magistrats, leur déclarant qu'il étoit venu, non pour les fouler et oultrager, mais plus tôt pour les remettre et confirmer en leur première liberté. Il promettait d'exempter à perpétuité les habitants de tailles, emprunts, subsides, exactions, les menaçant de sa colère, si on ne lui ouvrait les portes. Les magistrats de Cambrai informèrent Charles-Quint de cette sommation. L'empereur leur manda les plus belles raisons du monde, entre autres qu'il estoit empereur pour les garder et défendre, non un roy de France qui ne cherchoit que leur ruine. Il leur remit devant les yeux l'exemple de Metz, et promit que s'ils estoient assiégés ou grevés, il les secourroit en tout et partout. Ce n'étaient pas là de vaines paroles. Dès que Henri II s'était mis à la tête de son armée, Charles avait quitté Bruxelles (30 août) pour rejoindre la Sienne. Mais il avait trop compté sur ses forces, et un violent accès de goutte l'obligea de s'arrêter à Mons. Il n'en tint pas moins sa promesse. Par ses ordres le prince de Piémont se rapprocha sur le champ de Cambrai et y fit entrer des renforts commandés par Boussu[330].

Le 8 septembre, le connétable parut devant la ville à la tête d'une forte division, et l'armée royale se déploya trois jours de suite devant ses remparts. Il y eut de chaudes escarmouches, où les Français laissèrent sur le carreau, entre autres, le sire de Brezé, capitaine des gardes françaises, et le capitaine Cornet. En revanche, du côté des Impériaux, le comte de Pondevaux et le seigneur de Trélon furent faits prisonniers. Le connétable offrit alors à Bugnicourt de faire quelques coups de lance, de combattre dix contre dix, cent contre cent, ou mille contre mille. — Il faut remettre les joutes à d'autres temps, répondit le général ; mais je propose de faire plus que vous ne demandez, et de combattre avec le peu de gens que j'ai toute l'armée du roi[331]. Or Cambrai estoit autant subjecte à estre canonnée et minée que ville pouvoir estre, bien qu'elle eût bastions, rempars ou fortifications selon la nouvelle façon. Quant à sa citadelle, elle avait esté édifiée plus tôt pour tenir ceste ville neutre en subjection, que pour en faire une forteresse imprenable. Estant conjointe à la ville comme elle estoit, il eust esté besoin de la fortifier pour se secourir l'une l'autre, à raison que si la ville estoit occupée, la citadelle se trouvoit grandement compromise ; laquelle aussi estant forcée seroit cause de faire perdre la ville[332]. La valeur des assiégés en constituait donc la meilleure défense et elle suffit pour faire reculer l'ennemi.

Au reste, il n'y eut qu'un commencement d'attaque. Le roi, craignant de se voir couper les vivres, brûla ses gabions, retira sa grosse artillerie déjà mise en position, et se dirigea vers Cateau-Cambrésis, en dévastant toute la contrée. Une de ses divisions, qui s'aventura vers la frontière du Hainaut, perdit beaucoup de monde, à cause que les gens du pays se tenoient en leurs carrières, espèces de forts faits dedans la terre. Mais à peine arrivé à Cateau-Cambrésis, Henri II résolut tout à coup, à la désespérée, une tentative sur le camp impérial. Il prétendait, disait-il, le faire retirer ou le combattre. Le 15 septembre, il vint s'établir à deux petites lieues du prince de Piémont, posté sur la rive droite de l'Escaut au dessus de Neufville.

Charles-Quint fut informé de ce mouvement, le même jour, à trois heures de l'après-dîner, et prit immédiatement ses mesures pour l'arrêter. Il envoya Philippe de Blois, lieutenant des archers de sa garde, reconnaître le cours de la Haine, depuis Mons jusqu'à Condé, avec ordre de mettre à chaque pont un archer, un charpentier et quelques paysans, pour le rompre au premier signal. A chaque gué, il devait poster un archer et des paysans armés pour le défendre et en exhausser les bords. Les signaux convenus étaient des colonnes de fumée pour le jour, des gerbes de feu pour la nuit. Le lendemain matin, à deux heures, l'empereur quitta Mons et, porté en litière, il rejoignit le prince de Piémont entre six et sept heures du soir. Peu d'instants après, l'armée royale parut en vue du camp. Quelques escadrons de cavalerie en sortirent aussitôt pour escarmoucher et cherchèrent à attirer l'ennemi dans une embuscade, où quatre cents arquebusiers espagnols l'attendaient cachés dans des buissons. Les cavaliers français s'avancèrent d'abord avec précaution et en se tenant serrés ; mais bientôt, harcelés qu'ils étaient sans relâche et voulant riposter, ils allèrent tomber dans le piège qui leur était tendu : une fusillade meurtrière en fit rouler un grand nombre sur la poussière, et quand la gendarmerie royale accourut pour les sauver, elle s'aventura elle-même sur un mamelon dominé par l'artillerie des Impériaux, et y essuya de grandes pertes en hommes et en chevaux. La nuit arrêta ce combat, qui coûta aux Français douze capitaines de chevau-légers et plusieurs gentilshommes[333].

L'arrivée de Charles-Quint et l'approche d'un gros corps de cavalerie refroidirent l'ardeur d'Henri II : il se tint enfermé dans son camp toute la journée du 17, et il fut aisé de prévoir, dit M. Henne, que ces lieux, naguère témoins de la jactance de François Ier (1543), allaient voir s'évanouir les rodomontades de son fils. Dans un conseil présidé par le roi, les avis furent très partagés : les uns voulaient livrer la bataille, les autres entrer en quartiers d'hiver. Ce dernier avis, fondé sur la difficulté de se procurer des vivres et sur le mécontentement des troupes, auxquelles il était dû près de deux mois de solde, fut appuyé par le connétable et adopté le 19 septembre. L'armée royale se dirigea vers Guise et Saint-Quentin ; les Suisses furent congédiés avec une partie de l'infanterie française, mais on conserva sous les armes la cavalerie, les vieilles enseignes et les lansquenets ; Le maréchal de Saint-André fut envoyé avec une forte division devers la comté de Saint-Pol, pour la destruire de fond en racine et parachever le dégast et totale ruine, tant du bailliage de Hesdin que de la comté de Ponthieu et du reste du pays d'Artois[334]. L'entreprise se borna à l'incendie de quelques villages et de la ville de Saint-Pol, qui avait été évacuée. Triste succès promptement expié, dit encore M. Henne. Près de Renty, trois cents arquebusiers espagnols attirèrent dans une embuscade huit enseignes de lansquenets, les mirent en déroute, et si les trois cents chevaux qui devaient les appuyer, étaient arrivés à temps, les Allemands eussent été défaits à plat. De son côté, Bugnicourt, prenant une bonne revanche, brusla tout ce qui estoit du costé de Saint-Amand deçà la Somme, vers l'Artois[335]. Les Français accoururent en forces pour arrêter ses ravages, mais, écrit un conseiller de Charles-Quint, comme ils pensoient entrer sur nous, ils se trouvèrent chargés de notre cavalerie si vivement qu'ils se retirèrent plus vite que le pas, avec quelque perte ; ne fut toutefois chose d'importance[336].

L'armée impériale fut bientôt licenciée à son tour. Elle avait noblement lavé l'affront de Metz et rétabli sa supériorité sur l'ennemi. Cependant, ajoute l'historien auquel nous empruntons ces détails, la mollesse qui avait présidé aux dernières opérations de la campagne accusait la fatigue et l'épuisement des parties belligérantes, et bien des maux eussent été épargnés aux peuples, si l'amour propre n'avait empêché les deux souverains de le reconnaître, si chacun n'avait espéré voir son rival céder le premier. Après la retraite de Henri II, Charles-Quint retourna à Bruxelles, moins sans doute pour soigner sa santé lit délabrée, que pour surveiller l'Allemagne qui ne cessait point d'être tourmentée par une sourde agitation[337], et surtout pour préparer l'exécution des vastes projets formés par lui sur l'Angleterre[338].

L'héritier protestant de Henri VIII, Édouard VI était mort le 6 juillet 1553, et la parente de Charles-Quint, la catholique et aragonaise[339] Marie avait hérité de la couronne d'Angleterre. L'empereur songea à tirer parti de ce grave changement dans l'intérêt de ses alliances et de la grandeur de la monarchie espagnole. Il négociait depuis quelque temps pour son fils un second mariage avec dora Maria, fille du feu roi de Portugal dom Manuel et sœur du roi régnant Jean III. Cette princesse, que sa mère Éléonore avait laissée à Lisbonne lorsqu'elle était allée à Paris épouser François Ier, avait à prétendre des sommes considérables. Sa dot s'élevait à plus d'un million d'écus d'or. A l'instigation de la reine Éléonore, retirée depuis son second veuvage auprès de son frère Charles-Quint, le mariage entre l'infante dopa Maria et le prince de Castille avait été proposé dès 1550, mais la conclusion en avait été habilement retardée par Jean III, peu disposé à se dessaisir de l'immense dot que Charles comptait faire servir aux dépenses de plus en plus fortes de la guerre dans laquelle il était engagé. On était enfin arrivé à un arrangement dans l'été de 1553, lorsque l'empereur apprit l'avènement au trône de sa cousine Marie Tudor. Changeant aussitôt ses vues et les détournant du Portugal, d'où il n'était d'ailleurs pas sûr de tirer le million d'écus d'or, pour les porter vers l'Angleterre, où s'ouvrait à lui la perspective d'un grand royaume à ménager à son fils, il écrivit en Espagne : On m'annonce la nouvelle de la mort du roi Édouard VI ; si les fiançailles avec l'infante dopa Maria ne sont pas conclues, il faut les suspendre pour le moment[340].

Les fiançailles n'étaient pas conclues, et Charles-Quint proposa bien vite au prince d'Espagne d'épouser la reine d'Angleterre. Seulement, comme cette reine avait trente-huit ans et que le prince n'en avait que vingt-sept, il craignit que la disproportion d'âge ne détournât son fils de cette alliance. Il lui écrivit, le 30 juillet 1553, pour lui indiquer les inconvénients qui s'attachaient au mariage de Portugal et les avantages qu'offrirait un mariage avec la reine d'Angleterre. Il lui disait : Mon fils, rien, dans ce moment, ne pouvait se présenter plus à propos en ce qui touche à la France, à ces états-ci, et, bien que je pense que les Anglais feront les derniers efforts pour que leur reine ne se marie pas hors du royaume, elle parviendra sans doute avec sa prudence et sa dextérité, soit ouvertement, soit par voie détournée, à se faire proposer un mariage. Si ce mariage doit avoir lieu avec un étranger, je crois que les Anglais ne se porteront sur personne d'aussi bonne volonté que sur moi, parce qu'ils m'ont toujours montré de l'inclination. Mais je peux bien vous assurer que des états plus nombreux et plus considérables encore ne me détourneraient pas du dessein dans lequel je suis, et qui est bien différent. Au cas donc où ils m'enverraient proposer ce mariage, j'ai cru qu'il serait bon de leur en suggérer la pensée pour vous ; ce projet serait en suite conduit à une bonne fin. Les divers genres d'utilité et de profit qui s'ensuivraient sont si notoires et si grands, que je n'ai pas à les énumérer en détail. Je me borne à les mettre devant vous pour que vous les examiniez, et qu'après y avoir réfléchi vous m'informiez avec diligence de ce qui vous conviendra, afin que, conformément à vos désirs, il soit fait ce qui vous satisfera le plus ; et tenez cela en grand secret[341].

Le prince d'Espagne entra avec une docile déférence dans les vues de son père. Il lui répondit, le 22 août, de Valladolid : En cas que Votre Majesté persiste dans ce qu'elle m'a écrit et qu'elle croie devoir traiter de ce mariage pour moi, elle sait déjà que, comme son fils entièrement obéissant, je n'ai pas à avoir d'autre volonté que la sienne, et surtout en une affaire de cette importance et de cette qualité. Je m'en remets donc à Votre Majesté pour qu'elle agisse comme il lui conviendra et lui semblera bon[342].

Charles-Quint pensait avec raison qu'une semblable union devait déplaire beaucoup aux Anglais, mais agréer infiniment à Marie, qui y trouverait une satisfaction pour ses sentiments et un encouragement pour un avenir qui était loin d'être assuré. Les longues douleurs de sa mère et ses propres infortunes depuis le divorce de Henri VIII avaient dû tourner toutes ses affections et toutes ses espérances du côté des princes de sa maison et de sa religion. Aussitôt qu'il eut reçu la réponse de son fils, il résolut d'agir sans tarder pour préparer la réussite du plan qu'il avait conçu. Il avait une entière confiance dans l'habileté de Simon Renard : ce fut lui qu'il choisit pour l'instrument de ses desseins. Il rappela le conseiller Scheyfe, qui depuis plusieurs années était son ambassadeur résidant à la cour d'Angleterre, et nomma Renard à sa place. Marie avait hautement manifesté sa répugnance à épouser Édouard de Courtenai, le seul personnage du royaume qui pût prétendre à sa main. Renard fut donc chargé de lui proposer le prince d'Espagne.

Renard eut avec la reine plusieurs entrevues secrètes[343]. Marie, tout en se montrant flattée du parti qui lui était offert, ne se prononça pas d'abord. Des renseignements peu favorables lui avaient été donnés sur la conduite privée de Philippe, et elle s'en effrayait, surtout en considérant la disproportion d'âge qu'il y avait entre elle et lui[344] ; elle craignait aussi que son conseil et que la nation ne vissent pas de bon œil son mariage avec un prince qui, devant régner sur d'autres états, ne les voudrait apparemment pas abandonner pour venir demeurer en Angleterre, qui peut-être essayerait d'introduire des étrangers dans le gouvernement du royaume. L'ambassadeur impérial s'appliqua à lever ses scrupules et à résoudre ses objections. Il attribua aux ennemis du prince Philippe les propos qu'on tenait sur son compte ; il se porta garant de sa vertu, de sa prudence, de sa modération ; il dit que le royaume ne pourrait que se féliciter d'une alliance qui ajouterait à sa grandeur, à sa prospérité, à sa sécurité ; il assura la reine que le prince devenu son mari n'aurait rien de plus cher que de demeurer avec elle, et que cela lui serait rendu facile par la proximité des états qui devaient constituer son héritage ; il ajouta que la nation n'avait point à craindre que des étrangers fussent introduits dans le gouvernement ou pourvus des charges, offices et bénéfices du royaume, que des stipulations à insérer au traité de mariage lui donneraient toute garantie à cet égard[345]. Le 21 octobre, à sa troisième entrevue avec l'envoyé de l'empereur, Marie était encore hésitante[346]. Six jours après, elle reçut de nouveau Renard en audience : celui-ci lui remit des lettres par lesquelles l'empereur l'engageait à se marier, sans y faire mention de son fils ni d'aucun autre[347]. La reine lui dit alors qu'elle venait de pleurer plus de deux heures et de prier Dieu qu'il l'a voulût inspirer dans la résolution qu'elle avait à prendre ; elle ne lui déclara pas encore qu'elle acceptait le prince d'Espagne pour époux, mais elle ne l'en laissa guère douter[348]. Enfin, le 29 octobre au soir[349], elle le fit venir dans sa chambre, où elle était seule avec mistress Clarence, une de ses dames. Le Saint Sacrement était exposé. Après quelques mots adressés à l'ambassadeur, Marie se mit à genoux et récita le Veni Creator. S'étant relevée, elle dit à Renard qu'elle allait lui parler avec toute confiance puisque l'empereur l'avait choisi pour traiter cette affaire avec elle ; qu'ayant pesé toutes choses, croyant à ce qu'il lui avait affirmé des qualités du prince d'Espagne, persuadée que l'empereur l'aurait toujours en bonne recommandation et souvenance, que dans le traité à conclure il s'accommoderait aux exigences du bien public du royaume et lui demeurerait bon père, comme il l'avait été jusque là, enfin que se sentant conseillée de Dieu, qui avait déjà fait tant de choses extraordinaires pour elle, elle s'engageait devant le Saint Sacrement à prendre le prince pour mari ; qu'elle l'aimerait parfaitement et ne lui donnerait aucune occasion de jalousie ; que jamais elle ne changerait, et que si, les deux jours précédents, elle avait paru être malade, sa maladie n'avait été autre que la grande anxiété où l'avait mise la nécessité de se résoudre sur une affaire d'une telle importance[350].

Un profond secret fut gardé sur cette entrevue, comme sur celles qui l'avaient précédée. Le 8 novembre, à la demande de Renard et suivant ce qui avait été convenu entre eux, Marie lui donna audience en présence de son conseil. L'ambassadeur exprima le désir de recevoir la réponse de la reine à la communication qu'il lui avait faite de la part de l'empereur. Après avoir échangé quelques paroles avec ses ministres, Marie répondit que, quoique son inclination ne fût pas pour le lien du mariage, elle était prête à la surmonter pour le bien du royaume. Alors Renard lui proposa le prince d'Espagne, ajoutant que, si elle l'agréait, une ambassade composée de personnages d'autorité viendrait renouveler la proposition avec la solennité requise. La reine sortit[351] pour délibérer avec ses ministres. A sa rentrée elle dit à l'ambassadeur qu'elle recevrait volontiers l'ambassade qu'il lui annonçait[352].

L'empereur, en poursuivant avec ardeur l'alliance de son fils et de la reine d'Angleterre, n'était pas mû uniquement par le désir d'agrandir sa maison ; il avait encore en vue un autre objet qui avait toujours tenu une place principale dans les préoccupations de sa politique : il voulait pourvoir à la sûreté des Pays-Bas, que les agressions de la France avaient si souvent mis en péril ; il espérait atteindre ce but en stipulant dans le traité de mariage entre l'héritier de ses couronnes et la reine Marie que les Pays-Bas seraient réunis à l'Angleterre sous le sceptre des princes à naitre de ce mariage. Le 25 novembre, il assembla à Bruxelles les grands du pays et le conseil d'état, leur fit part de ses projets et les pria de lui donner leur avis, auquel il attachait, disait-il, une grande importance, avant de consommer une affaire aussi considérable[353]. L'assemblée ne pouvait qu'applaudir à un dessein tendant manifestement à l'avantage national. Charles désigna le comte d'Egmont, le comte Charles de Lalaing, capitaine général et grand bailli du Hainaut, le seigneur de Courrières et le conseiller Philippe Negri, chancelier de la Toison d'or, pour aller demander solennellement la main de la reine et signer le contrat de mariage, en son nom. Ces ambassadeurs arrivèrent à Londres le 2 janvier 1554 ; la reine leur donna audience dès le lendemain. Après qu'ils lui eurent présenté leurs lettres de créance et qu'ils se furent acquittés du message dont ils étaient chargés, elle les renvoya à son conseil, disant que ce n'était l'affaire d'une femme de traiter de son mariage, ni d'en parler. Les jours suivants furent employés par le comte d'Egmont et ses collègues à discuter, avec les ministres, les articles du traité de mariage qui avaient été rédigés à Bruxelles ; ils ne donnèrent lieu, de la part des conseillers de la reine, qu'à de légères observations auxquelles les ambassadeurs firent droit. Le traité fut signé et scellé le 12 janvier[354] : il portait en substance que Philippe et Marie prendraient réciproquement les titres et le protocole de leurs états respectifs ; que le prince aiderait la reine à gouverner son royaume, en se conformant aux lois, privilèges et coutumes ; que Marie se réservait la pleine et entière disposition des bénéfices, charges, emplois, lesquels ne pourraient être conférés qu'à des nationaux ; qu'elle disposerait de même des terres et revenus de la couronne ; que Philippe lui constituerait un douaire de soixante mille livres ; que les enfants issus de leur mariage hériteraient des biens maternels ainsi que des Pays-Bas et du comté de Bourgogne, et le cas advenant que don Carlos, fils de Philippe[355], mourût sans descendance, des royaumes d'Espagne, des deux Siciles, et du duché de Milan. Par un acte particulier, Philippe s'engageait à maintenir et à défendre les libertés de la nation anglaise ; à exclure tous les étrangers des charges de la cour ; à renoncer à toute prétention sur le trône d'Angleterre, s'il survivait à sa femme ; à ne point emmener la reine hors du royaume sans qu'elle l'eût préalablement demandé, ni aucun de leurs enfants sans que le parlement y eût consenti ; à ne prendre, pour son propre service, ni les vaisseaux du royaume, ni les munitions, ni les joyaux de la couronne ; enfin à conserver la bonne intelligence régnant entre l'Angleterre et la France[356].

Pour l'entier accomplissement de leur mission, les ambassadeurs avaient besoin de différentes pièces. Il leur fallait la ratification de l'empereur, celle de Philippe et sa procuration pour contracter le mariage en son nom, la dispense du pape à cause de la parenté entre les époux. Ces pièces venaient de leur être envoyées de Bruxelles, quand une tentative de révolution éclata en Angleterre[357] : ils crurent prudent, en attendant le dénouement, de retourner aux Pays-Bas et partirent le 1er février[358]. L'insurrection vaincue, Charles-Quint renvoya en Angleterre le comte d'Egmont, porteur de tous les actes nécessaires pour arriver à la célébration du mariage. Le 6 mars, dans une chambre du palais où le Saint Sacrement était exposé, et en présence des ministres du royaume, les ratifications du traité furent échangées. Marie et d'Egmont, au nom du prince Philippe, jurèrent de l'observer, et l'évêque de Winchester procéda à la cérémonie des épousailles. En ce moment, Marie se mit à genoux, et, protesta solennellement devant Dieu que, si elle avait consenti au mariage, ce n'était par aucun motif personnel, mais uniquement pour l'honneur et le bien de son royaume. Le 9 mars, le comte d'Egmont, chargé de porter les ratifications au prince Philippe en Espagne, quitta Londres et alla s'embarquer à Plymouth[359].

Le 31 janvier 1554, l'empereur avait fait convoquer les états généraux à Bruxelles, mais leur réunion fut retardée jusqu'au 1er mars. Dans l'intervalle, par acte du 27 février, les députés du Brabant avaient autorisé le gouvernement à créer de nouvelles rentes sur le domaine, jusqu'à concurrence d'une somme de plus de quatre cent mille carolus[360]. L'assemblée générale se tint en la galerie de la cour, qui estoit tendue et ornée de riche tapisserie. Environ les trois heures après disner, l'empereur y entra, avec plusieurs princes et seigneurs, se soustenant sur un baston crochu, et prit place sous un riche dais de drap d'or frisé, dressé en front de la salle ; auprès de luy, un peu plus bas, s'assit la royne de Hongrie, en une chaire couverte de velours noir. Au costé droit, sur les flancs, se rangèrent les princes et les chevaliers de l'ordre ; au senestre, les seigneurs et gentilshommes des estats ; au milieu, sur plusieurs bancs, les députés des villes et païs, chascun selon son ordre et préséance accoustumée. Lors monsieur le président de SaintMauris, estant tout debout, du costé des gentilshommes, après avoir fait une grande révérence, commença la proposition de la part de Sa Majesté[361].

Le président du conseil d'état commença par remercier les représentants des provinces des Pays-Bas du bon devoir et singulière affection qu'ils avaient toujours montré en ce qui concernait la conservation et le bien de la nation, et particulièrement de la grande volonté et promptitude avec lesquelles, depuis leur dernière assemblée, ils avaient alloué les sommes qui leur avaient été demandées. Il rappela ensuite que, dans la campagne précédente, malgré son indisposition, l'empereur avait voulu se trouver en personne à son armée, pour s'employer, comme bon prince, à leur défense ; il leur fit remarquer que le résultat avait répondu à ses efforts, puisque les Français avaient été forcés de se retirer avec honte et dommage. Il signala aussi les pratiques auxquelles s'était livré le roi de France, quand l'hiver était venu interrompre les hostilités, afin de semer des troubles en Allemagne, en Italie et surtout en Angleterre, où Henri II s'était uni aux conspirateurs pour détrôner la reine. Après cela il annonça qu'informé des préparatifs faits par le roi pour assaillir de nouveau les Pays-Bas, non seulement par terre, mais aussi par mer, l'empereur avait donné ordre que des navires de guerre fussent promptement équipés ; que, de l'avis des gouverneurs des provinces et des principaux seigneurs, il avait été résolu de ne pas accroître le nombre des gens de pied et de cheval jusqu'à ce qu'on connût mieux les desseins de l'ennemi ; que toutefois des mesures seraient prises, pour qu'au moment où l'on en aurait besoin, de nouvelles troupes fussent prêtes à entrer en campagne. Il ajouta que la reine régente communiquerait aux états l'emploi détaillé fait des aides de l'année précédente, et qu'ils verraient par là que sans un notable subside il serait impossible de garantir la sûreté du pays. Saint-Mauris terminait en exprimant l'espoir que, cette fois encore, ils donneraient des preuves de leur patriotisme[362].

Charles-Quint prit lui-même la parole après le président. Messieurs des estats, dit-il, le seigneur de Saint-Mauris vous a fait entendre la cause de votre convocation en ce lieu. Quant au reste, vous vous trouverez vers la royne, et elle vous dira chose de ma part, à laquelle je vous prie ajouter foy et crédence comme à ma propre personne. Advisez de faire tous offices de bons et loyaux subjects, et en mon endroit ne fauldray de vous estre bon prince. Le greffier des états de Brabant, au nom de l'assemblée, remercia l'empereur de la bonne faveur et assistance qu'il avoit faite à ses Pays-Bas, et de la grande et incomparable affection qu'il leur portoit et avoit toujours portée, de ce qu'il avoit fait ce bien et utilité à sesdits pais d'avoir, l'esté passé, conquis et fait desmolir les forteresses de Thérouanne et Hesdin, qui tant leur faisoient d'oppression et ennuys[363].

Les jours suivants, la reine réunit les députations des différents corps d'état, chacune en particulier. Le président de Saint-Mauris leur exposa, en détail et en son nom, que, quoique l'empereur eût pourvu, aux dépens de ses autres pays, à la solde des Espagnols et des Allemands de la garnison de Trèves, les aides accordées par les états laisseraient un déficit pour l'année courante, indépendamment de celui des années antérieures ; que l'impôt sur les vins, qu'ils avaient. voté pour quatre ans expirés le 31 décembre 1553, n'avait pas répondu aux prévisions, n'ayant rapporté en tout que cent cinquante mille florins, somme bien inférieure à ce qu'avait coûté l'entretien de la flotte en vue duquel cet impôt avait été établi. Il conclut en demandant la prolongation de la levée de l'impôt pendant un nouveau terme de quatre années, avec un subside, qui s'élèverait, pour la totalité des provinces contribuantes, à deux millions de florins[364]. Le droit d'entrée sur les vins ne donna lieu à aucune difficulté ; mais il en fut autrement du subside. Les Pays-Bas avaient beaucoup souffert de la guerre ; le commerce et l'industrie languissaient ; les peuples étaient surchargés d'impôts ; dans plusieurs provinces, le tiers-état ne s'entendit, qu'après de longues discussions, avec le clergé et la noblesse, sur les voies et moyens par lesquels ils se procureraient leur contingent dans le subside demandé. Il en résulta que les sommes consenties par les états restèrent de beaucoup au dessous des deux millions sur lesquels l'empereur avait compté, et qu'il s'écoula un assez long temps avant qu'il pût en disposer[365].

Ces aides n'étaient pas encore entrées dans le trésor que déjà l'ennemi avait envahi le pays, et qu'il fallut exiger de nouveaux sacrifices des populations ainsi continuellement mises à contribution. Henri II remplissait ses caisses plus facilement, selon la remarque de M. Gachard. Il ne lui fallait pas, pour combler le vide de son trésor, assembler les représentants de la nation et obtenir leur consentement : les mesures fiscales que cet objet rendait nécessaires, il les prenait de sa seule autorité ; tout au plus, à l'égard de celles qui avaient un caractère trop exorbitant, convoquait-il un certain nombre de notables dont le vote lui était acquis d'avance. C'est ainsi qu'en 1553 il avait promulgué un édit interdisant aux notaires de passer des contrats de prêts entre particuliers, avant que ceux qui auraient de l'argent à placer lui eussent prêté à lui-même jusqu'à concurrence de quatre cent quatre-vingt dix mille livres de rente[366] ; que, par un autre édit, il avait déclaré rachetables au denier vingt toutes les rentes foncières et tous les droits seigneuriaux constitués sur les maisons, jardins, marais, en se mettant au lieu et place des propriétaires, auxquels il servirait les intérêts du capital[367] ; qu'un troisième édit frappait d'un emprunt forcé de trois cent mille livres tournois les bonnes villes du royaume[368]. Il se créa d'autres ressources, en 1554, par l'augmentation illimitée du nombre des offices de judicature, d'administration, de finances, qu'il mit tous également à l'enchère[369].

Les Français avaient, dès le mois d'avril, commencé les hostilités sur les frontières de l'Artois, de la Flandre et du Luxembourg. Au mois de juin, ils mirent sur pied trois armées, concentrées d'abord près de Crécy en Laonnais. La première, qui était la principale, avait pour commandant le connétable, auquel le maréchal de Saint-André et le duc de Vendôme servaient de lieutenants ; la seconde était commandée par le prince de la Roche-sur-Yon ; la troisième par le duc de Nevers. On était, persuadé à Bruxelles que le but des ennemis était de s'emparer d'une partie de l'Artois et du Hainaut ; on craignait aussi pour Cambrai. Le gouvernement s'attacha à munir les places menacées et à en renforcer les garnisons ; dans les premiers jours de juin, il fut résolu de concentrer autour de Cambrai les troupes qu'on avait à sa disposition. L'empereur en nomma général le duc de Savoie, assista d'Antoine Doria et de Jean-Baptiste Castaldo ; il plaça à la tête de la cavalerie don Louis d'Avila y Cuniga[370] et donna le commandement des arquebusiers à cheval à Fernand de Lannoy. Emmanuel-Philibert partit pour Cambrai dans la nuit du 18 au 19 juin ; Marie de Hongrie, afin de l'aider et de prendre les mesures qu'exigeraient les circonstances, alla le 24 s'établir à Mons. Mais on s'était trompé sur les plans des Français. Tandis que le prince de la Roche-sur-Yon entrait dans l'Artois et que le duc de Nevers se dirigeait vers les Ardennes, le connétable se porta droit sur Marienbourg. C'est lui que nous allons suivre dans cette expédition.

Le connétable avait sous ses ordres vingt-cinq enseignes de Suisses, vingt-cinq enseignes de vieilles bandes et de légionnaires, deux régiments de lansquenets, environ deux mille chevau-légers et arquebusiers à cheval, deux mille chevaux de l'arrière-ban, et quelques cornettes de cavalerie anglaise et écossaise. Le 20 juin, son quartier général était à Marie ; le lendemain il se porta vers Estrée-au-Pont. Pendant qu'il opérait sur la gauche, le maréchal de Saint-André, prenant à droite, se dirigeait vers Maubert-Fontaine, avec les Suisses, quatre cents hommes d'armes, sept cents chevau-légers, un régiment d'infanterie française et l'artillerie. Le 22, il arriva à Rocroi, dernier village de l'obéissance du roi, dedans les bois qui s'estendent au long de ce quartier de frontière, fort épais et difficiles, tenant sept ou huit lieues de traverse, par où l'on n'eust cuidé que artillerie se pût bonnement conduire, ni troupes de gens de guerre aisément passer, mesmement que les ennemis les avoient fait bayer et traverser d'arbres abattus. Il mit incontinent gens à chercher le plus aisé, et bon nombre de pionniers, avec escorte de gens de guerre, toute la nuit, à y faire des esplanades et délivrer les chemins. Puis sollicita ses troupes de partir avant le jour et de faire diligence de gagner le delà des bois ; de sorte que, dans les dix heures du lendemain matin (23 juin), il les eut passés et se trouva devant Marienbourg[371].

Depuis le mois de mai, Charles-Quint avait eu avis d'une attaque sur cette place, mais, abusé par le bruit que les Français la réputaient imprenable, il l'avait laissée avec sa seule garnison ordinaire, encore fort petite[372]. Malgré les représentations du capitaine de la ville, Philbert de Martigny, Marienbourg était réduit à une enseigne d'infanterie, à laquelle se joignit un petit détachement sorti de Chimai. Lorsque les capitaines impériaux, occupés à concentrer leurs forces dans le Hainaut et dans l'Artois, voulurent y envoyer des renforts, il était trop tard. Le seigneur de Trélon, Baudouin de Blois, qui connoissoit le mieux les quartiers, promit d'y mettre deux enseignes ou de morir en la peine ; mais il lui fallait chercher ces troupes à Avesnes, et le temps lui manqua[373]. Un corps de deux cents arquebusiers espagnols, commandé par Julien Romero, tenta plusieurs fois de percer les lignes ennemies ; coupé dans sa retraite, il fut obligé de se replier sur Dinant et Bouvignes[374].

Philibert de Martigny tint bonne mine à l'abordée des ennemis et fit grande diligence de les adommager à coups de canon. Ces canonnades toutes fois ne les purent retarder de commencer avec promptitude les approches et les tranchées, qui furent ouvertes dans la soirée du 23. Le 24, arrivèrent Montmorency et Vendôme, qui avaient ruiné, sur leur passage, les châteaux de Trélon, de Glajon, de Chimai, évacués à leur approche[375]. Aussitôt les assiégeants, qui comptaient quarante enseignes gardées par une armée d'observation s'étendant au loin, travaillèrent, activement à porter gabions ; sur quoi ceulx de la ville jetèrent force feu dedans les fossés, de façon qu'on y véoit très der, et tirèrent avec vivacité[376]. Le 26, les Français découvrirent leurs batteries, et après un simulacre de résistance, à dix heures du matin, Philibert de Martigny, gagné par leur or, dit l'historien Pontus Heuterus, battit la chamade[377]. La garnison obtint vies et baghes sauves, fors les armes, munitions et artillerie ; le 28, elle évacua la ville.

La cour de France célébra ce succès par de grandes fêtes. Henri II, qui en reçut la nouvelle le 28, l'annonça à tous les ambassadeurs. Ayant une telle entrée dans les Pays-Bas, disait-il, je compte partir demain ou après-demain pour rejoindre mon armée et suivre le chemin de victoire que Dieu m'ouvre[378]. Le 30, il arriva à Marienbourg, dont il changea le nom en celui de Henribourg ; il ordonna d'en compléter les ouvrages extérieurs et de fortifier Rocroi, pour relier sa conquête à Maubert-Fontaine. La prise de cette place, l'évacuation des châteaux de Chimai, de Glajon, de Trélon, de Gonrieux, de Fagnolles, de Couvin, dont les petites garnisons étaient incapables de résistance[379], rendaient les Français maîtres de tout l'Entre-Sambre-et-Meuse ; de gros détachements battirent la contrée du côté de la Sambre et leurs avant-coureurs rançonnèrent le bourg de Broigne, les riches abbayes de Saint-Gérard et de Floreffe[380]. Laissant trois enseignes d'infanterie française à Marienbourg, l'armée royale se remit en marche le 3 juillet et se dirigea vers la Meuse, pour opérer sa jonction avec le duc de Nevers ; le même jour, elle arriva à Givet, où son avant-garde l'avait précédée la veille[381].

La nouvelle de la prise de Marienbourg avait produit à Bruxelles une vive émotion[382], comme on le pense bien. Les ennemis étant maîtres de la campagne, on pouvait craindre qu'ils ne se portassent jusqu'au cœur du Brabant, et il n'y avait plus de position fortifiée qui y fît obstacle. Dans le public on se plaignait hautement de la négligence de l'empereur, qui n'avait pu ignorer les armements des Français et ne s'était pas mis en mesure d'y résister[383]. Les apparences, fi faut l'avouer, étaient contre l'empereur, mais on aurait dû lui tenir compte des embarras où il se trouvait. Il, manquait d'argent à tel point qu'il s'était vu contraint de retarder de quinze jours le rassemblement de son armée afin d'en économiser la solde d'autant[384]. Il avait espéré que son fils, qui devait lui en apporter et lui amener aussi un corps de troupes espagnoles, arriverait en Angleterre aussitôt après les ratifications de son mariage avec la reine, mais Philippe avait mis une extrême lenteur dans ses préparatifs de voyage et était encore en ce moment dans la péninsule[385].

La perte de Marienbourg exigeait cependant des mesures promptes et énergiques. La reine Marie revint en hâte à Bruxelles ; le duc de Savoie y fut appelé avec Doria, Castaldo et d'autres chefs de l'armée ; un grand conseil de guerre fut réuni le 3 juillet. Les troupes impériales qui pouvaient tenir la campagne ne dépassaient pas le chiffre de quinze mille hommes d'infanterie et de quatre à cinq mille chevaux. Les généraux furent d'avis de leur faire prendre position en avant de Bruxelles, pour couvrir la capitale. Charles ne partagea pas leur opinion. Jugeant, d'après les derniers mouvements des Français, que leur dessein était d'occuper le pays de Liège, d'où ils auraient entravé le passage des gens de guerre attendus d'Allemagne, et mis à contribution la partie la plus riche du Brabant, l'empereur résolut d'aller camper près de Namur, de façon à leur couper le chemin de la Meuse[386]. L'ordre fut immédiatement donné aux troupes du Hainaut et du Cambrésis de prendre cette direction ; des dépêches pressantes envoyées aux colonels des régiments levés en Allemagne accélérèrent leur marche ; les villes du Brabant, celle de Malines, les châtellenies des pays de Waes, d'Alost, de Termonde, furent invitées à mettre sur pied tous leurs hommes en état de porter les armes, et de choisir parmi eux des compagnies d'élite destinées à rejoindre le camp de l'empereur ; il fut prescrit aux gouverneurs des provinces méridionales de faire sommer les nobles non retenus par les charges publiques de se monter et s'armer pour la même destination[387]. Charles-Quint quitta Bruxelles de sa personne le 7 juillet ; il était en litière découverte ; la reine Marie à cheval et une multitude de grands personnages lui faisaient escorte. Le peuple, réuni sur son passage, manifestait, par ses acclamations, la joie que lui inspirait cette détermination de son souverain. Celui-ci témoignait bien haut son désir d'en finir une bonne fois avec cette guerre[388]. Il arriva à Namur le 8, et alla visiter le château le jour suivant.

On se ferait difficilement une idée aujourd'hui, dit M. Gachard, de la licence qui régnait à cette époque parmi les gens de guerre, parmi les Espagnols surtout, de leurs insolences, des brigandages auxquels ils se livraient envers les malheureux habitants des campagnes[389]. Les officiers de justice du plat pays, impuissants à empêcher ces violences, abandonnaient leur poste et voulaient même se démettre de leurs fonctions[390]. Ému de cette situation, le prévôt général de l'hôtel, Thierri Herlaer, mit la main sur des soldats qui pillaient un village, en fit pendre sept, parmi lesquels cinq espagnols, et renvoya les autres au camp. A la nouvelle du supplice infligé à leurs camarades, les Espagnols se mutinèrent, et, sans écouter les représentations de leurs officiers, du général du camp et des seigneurs de leur nation qui étaient présents, ils se mirent dans le plus grand désordre en chemin vers Namur. C'était le 10 juillet. L'empereur averti monta à cheval pour aller au devant d'eux. Il les rencontra avant d'être sorti de la ville, leur ordonna de faire halte, écouta patiemment leurs plaintes et leur promit justice. Il leur fit ensuite reprendre le chemin du camp, et, arrivé à une certaine distance de la ville, il leur prescrivit de nouveau de s'arrêter, et les harangua en ces termes[391] : Soldats, accourir ainsi tumultueusement vers moi, n'est pas chose louable. Par là vous vous déshonorez vous-mêmes ; vous déshonorez vos capitaines, votre nation, et vous me faites une mauvaise réputation. Il me déplaît qu'il vous ait été fait tort ; mais chaque fois que pareille chose vous arrivera, donnez m'en connaissance par votre colonel ou par vos capitaines : je vous rendrai toujours justice et vous serai bon empereur et bon roi. Quant à ce tort que vous dites vous avoir été fait, je me renseignerai avec soin et celui qui a commis la faute sera châtié. Les soldats répondirent par le cri de vive notre bon roi ! Charles voyait avec douleur les désordres de ces soldats, mais sentait combien les ménagements étaient nécessaires[392]. Il chargea la reine de faire arrêter le prévôt et d'informer sur les exécutions ordonnées par ce fonctionnaire[393].

 

Reprenons notre récit. L'entrée de Nevers dans les Ardennes avait coïncidé avec l'investissement de Marienbourg. Son armée comptait dix-huit à vingt mille fantassins, avec quelque cavalerie et dix-huit canons. On avait redouté une attaque sur Luxembourg, bien mal préparé en ce moment à la défense. La contagion y sévissait avec une telle violence que les ouvriers employés aux fortifications désertaient en foule[394], sans compter qu'un incendie avait détruit, le 11 juin, la moitié de la ville, les moulins à poudre et à grains, ainsi qu'une notable partie des munitions[395]. Thionville n'était pas moins éprouvée par l'épidémie et, sur les instantes réclamations du comte de Mégem, il avait fallu en retirer la garnison[396]. Mais les Français ne voulaient plus renouveler leurs stériles expéditions de la campagne précédente, et s'apprêtaient à frapper des coups plus décisifs.

Mégem était allé s'établir à Grand-Pré[397] ; Marie de Hongrie ordonna à Van Rossem de l'y rejoindre avec toutes les forces disponibles. Celui-ci, sans tarder, remit le gouvernement du Luxembourg au bailli du Brabant wallon, Philippe d'Orley, en lui laissant un régiment de Hauts Allemands récemment levé par le frère du prince d'Orange, Jean de Nassau. Surpris par l'approche du comte de Nevers, il abandonna les Ardennes aux désastres de l'invasion et s'empressa de rejoindre le comte de Mégem. Nevers cependant, arrivé au village de Vielmesnil[398], qui lui estoit nom bien convenable, à raison que c'estoient plutôt vieilles ruines que maisons habitées[399], envoya le seigneur de Jametz sommer le château d'Orchimont. Ce château s'élevait sur un rocher aux bords d'un affluent de la Semoy, dont il avait pris le nom ; il était commandé par un gentilhomme liégeois, le seigneur de Barxhon, qui repoussa la sommation et demanda du secours à Martin Van Rossem. Mais quand il vit, le 26 juin, la place investie par douze enseignes d'infanterie et cinq cornettes de cavalerie, jugeant que semblables maisons n'estoient tenables contre le canon, il ne voulut pas y adventurer son corps et son bien. Sous couleur d'aller chercher du renfort, il abandonna la place par un passage secret. Son lieutenant, Louis Colas, n'en tint pas moins bon, quoique la garnison fût réduite à cinquante-quatre hommes, gens du pays : à une nouvelle sommation il répondit qu'il ne se rendroit jamais s'il ne voyoit le canon[400]. Les Français alors, faisant ce que l'on croyait impossible, hissèrent quelques pièces d'artillerie devant la place et la battirent tellement que aucuns des souldars furent tués. La garnison prit enfin le parti de l'évacuer, le 28 juin, laissant dix-sept à dix-huit hommes aux mains de l'ennemi, qui en massacra le plus grand nombre[401].

Dans l'intervalle, Nevers avait passé la Semoy entre Linchamp et Senendal. Il s'arrêta dans la vallée voisine, et envoya des détachements ruiner les forts abandonnés des environs, Louette, Graide, Gedinne, Porcheresse, Willerzies, Bièvre ; il brûla les villages dont les habitants s'étaient réfugiés dans les forêts et au milieu des rochers. Les Français, poursuyvans la proye et butin, suivoient leurs traces et cachettes et souvent prenoient quelques uns de ceux mesmes du pays qui, pour s'exempter de mort, leur servoient de guides. Ainsi estoit rempli leur camp d'un merveilleux nombre de misérables captifs, hommes, femmes et petits enfants esmouvans un chacun à grande pitié et commisération ; et puis asseurer, dit Rabutin, y avoir vu donner le taurillon pour vingt sols, la vache pour dix et les bestes à laine d'un an à deux pour cinq et six. Pour soustraire les femmes à la brutalité de la soldatesque, Nevers les fit toutes ramasser et resserrer, avec commandement, à peine de la vie, de leur faire aucune force ni violence, mais de les ramener toutes en un certain logis, où les fit seurement garder jusques tout le camp fût parti de là[402].

La garnison de Fumay, voyant que l'ennemi avoit passé par une deschente sur la rivière sy difficile, si dangereuse, abandonna la place pour se retirer à Bouvignes. Le château de Haihe fut saccagé et, le 29 juin, les Français parurent devant Beauraing. La petite garnison de ce château avait été renforcée par l'arrivée des capitaines Grand Gérard et Lalosse, qui avaient évacué Gedinne et Willerzies : aussi son capitaine, Jean Colichart, de Binche, reçut-il les assaillants avec force arquebusades à croc et coups de mousquet. Mais ceux-ci amenèrent devant la place quatre canons ; puis l'on prévint les assiégés qu'en cas de résistance ils seraient passés au fil de l'épée ou pendus. Il fallut se rendre à merci[403].

Nevers laissa à Beauraing une compagnie d'infanterie des vieilles enseignes et cinquante arquebusiers à cheval ; puis, ralliant ses détachements épars, il descendit la Houille et se dirigea sur Givet, pour opérer sa jonction avec le roi. Une petite division, marchant en avant, franchit la Meuse et vint sommer Agimont. Ce château, situé sur une éminence, à une lieue du fleuve, était le chef-lieu de l'importante seigneurie d'Agimont et de Rochefort. Le commandant, Évrard de la Marche, sommé à quatre reprises de livrer la place, se montra décidé à tenir jusqu'à la dernière extrémité. Nevers, qui avoit si sagement et avec si bonne police advisé aux vivres, raconte son compatriote Rabutin, qu'ils n'avoient failli à son armée ès plus grands et aspres déserts de toutes les Ardennes, lors se trouvant sans nul rasfraischissement desdits vivres pour ses soldats, se fascha grandement de cette résistance, qui pouvoit interrompre son entreprise. A peine arrivé à Givet, il fit passer l'eau à un nombre de cavalerie légère avec certaines compagnies de gens de pied, pour envelopper et enclorre ce chasteau. Le lundy ensuivant, au moment où l'avant-garde de l'armée royale apparoissoit, les gens de pied firent semblant de se mettre en devoir de vouloir escheller et donner assaut, qui tourna à bon escient, car ils entrèrent en jeu si avant et furieusement que ceux de là dedans ne purent longuement soutenir leur effort. Les assiégés furent contraints quitter et abandonner les défenses et leur donner ouverture, dont estans entrés, de chaude choie, feirent passer au tranchanx de leurs espées tous ceux qui voulurent faire résistance, qui n'estoient en grand nombre, ni gens d'autorité. Furent faits prisonniers les officiers avec le capitaine Évrard de la Marche, et la plupart des pauvres soldats renvoyés.

Lorsque l'armée royale arriva, elle trouva ainsi le duc de Nevers maitre du cours de la Meuse depuis Mézières jusqu'à Givet, et. sa jonction avec lui la rendit réellement redoutable. Elle comptait dix-sept cents hommes d'armes, deux mille sept cents chevau-légers et un nombre de pistoliers allemands ; sept mille cinq cents Suisses, huit mille lansquenets, quatorze à quinze mille Français, quelques enseignes écossaises, douze cents chevaux de l'arrière-ban et la maison du roi estimée à mille chevaux. Elle avait trente à quarante canons et d'autres pièces d'artillerie, avec bon nombre de pionniers. Le roi resta plusieurs jours campé à Givet, et les employa à faire reconnoître le pays par où il vouloit prendre son chemin, afin de choisir le plus large et plain, pour mener l'artillerie et l'armée On pourvut aussi aux vivres venant tant de Mézières, le long de la Meuse, que devers Maubert-Fontaine par charroi ; des gens de cheval et des gens de pied furent jetés par les forts du long de la rivière tant pour escorte d'iceulx vivres que pour tenir les chemins assurés[404]. De son côté, Nevers pilla et démantela Château-Thierry[405], évacué à son approche. Enfin, le 7 juillet, les deux armées combinées se mirent en marche, Nevers descendant la rive droite de la Meuse, et le roi se portant sans doute, dit M. Henne dont nous reproduisons l'intéressante narration, par la route de Hastières sur les riches plateaux qui dominent la rive gauche du fleuve[406]. Le 8 au matin, ils parurent, l'un devant Bouvignes, l'autre devant Dinant.

Il n'y avait à Bouvignes que quelques Espagnols de Julien Romero et des détachements sortis des châteaux de la Meuse, mais toute la population virile, commandée par le mayeur Pierre de Harroy et son frère, prit les armes pour la défense. Soudain que l'armée du roy arriva près de la ville, fut assise et affûtée l'artillerie au plus haut d'un ravin, dedans lequel passe le grand chemin qui monte en la plaine au dessus, et ladite ville furieusement canonnée jusque à trois heures après midy. Alors estant, la brèche faite à un portail et dedans une tour, fut donné quant et quant l'assault. Les assaillants emportèrent la ville sans éprouver grande résistance, estant seulement défendue par ses habitans auxquels il en print mal, car en fut fait d'une première furie grand carnage. Aucuns d'iceux, se pensans sauver, se jetèrent à la merci de l'eau ; toutes fois pour cela ne se peurent exempter de mort, estant tués la plus grande part à coups d'arquebuses ; ceux qui traversèrent la rivière furent pris par les soldats, et depuis pendus, pour avoir témérairement résisté contre la puissance du roy. Henri II, usant de son humanité accoutumée, épargna les femmes et les enfants. Quant aux hommes, deux jours après la prise de la ville, on y pendit encore huit à dix bourgeois pour avoir arresté l'armée du roy[407]. Les Espagnols, qui conduisoient tout l'ordre de la défense, s'étoient jetés dans la tour de Crèvecœur, pendant qu'ils faisoient soutenir l'assaut à ceux du pays, leur ayant donné à entendre qu'ils alloient chercher des artifices à feu pour repousser les François. A la fin, ils se rendirent et furent mis entre les mains du prévôt : mais d'autant qu'à Thérouanne l'un d'eux avoit sauvé quelqu'un des François, la vie fut sauvée à tous[408].

Dinant, ville liégeoise, était la clef de la Meuse et de telle importance, qu'elle prise par ennemi, lui estoient ouverts tous aultres chemins pour tirer ou bon lui sembleroit, sans rencontrer lieux forts qui lui pussent causer grand empeschement[409]. Dès le mois d'avril, Marie avait engagé l'évêque, George d'Autriche, à mettre cette place en état de défense, et il y avait envoyé une enseigne de piétons liégeois commandés par le drossard de Hockem[410]. La reine voulait y joindre quelque cavalerie, mais le prélat, se défiant sans doute de ces avances, l'en avait dissuadée en alléguant la disette de fourrages[411]. Les états, à Liège, n'étaient cependant pas sans crainte, et, le 16 juin, ils avaient décrété la levée d'un corps de douze cents hommes. Il était trop tard. Quand le danger éclata, il ne se trouvait à Dinant nulles gens que bien à point pour garder le chasteau ; dans la ville il n'y avoit que povres gens. Néanmoins tous, capitaines et soldats, se montrèrent délibérés d'attendre telle fortune qu'il plairoit à Dieu leur envoyer[412]. La ville avait pour gouverneur Henri de Berlaimont, seigneur de Modave[413], et le château était commandé par Philippe ou Jean[414] de Hamal, seigneur de Moucheaux.

Après la prise de Beauraing, Nevers avait déjà fait sommer Dinant. Pour violer la neutralité de cette ville, il prétextait que les Dinantais avaient donné du secours aux Impériaux et admis dans leurs murs don Julien Romero. On ne peut nier que la présence de ce capitaine, avec ses cent arquebusiers espagnols, avait beaucoup ajouté à leur assurance aussi répondirent-ils au héraut français : Si nous tenions les cœurs ou les foies du duc et du roi, nous en ferions une fricassée[415]. — Je vous asseure, écrivait Hamal au capitaine du château de Namur[416], que si nous avions quelque quinze cents hommes comme pourraient estre les Espagnols qu'avons ici, je pense que de quinze jours les François n'eussent approché, pour la difficulté du pays.

Nevers établit son camp dans la vallée de la Lesse et prit son logement au château de Walsin. Lorsqu'il vint reconnaître la place, une balle tua à ses côtés le cheval du seigneur de Jametz, et une vive canonnade lui présagea une vigoureuse résistance. L'attaque des approches et l'ouverture des tranchées lui coûtèrent en effet beaucoup de monde ; mais la ville, foudroyée par trente pièces d'artillerie, quinze du côté du duc de Nevers, de delà la vallée, autant du côté du roi de delà la Meuse, qui donnoient le long du creux et dedans le château, dont fut percée à jour la muraille de briques la plus haute, ne tarda pas à capituler. Considérant que d'autres fois ses habitans avoient été affectionnés à la couronne de France et que maintenant ils étoient bridés par le château ; oubliant leurs folles et téméraires paroles, Henri II leur accorda vies sauves. Il garantit aussi la sûreté de la ville, mais, au mépris de cet engagement, elle fut livrée au sac le plus épouvantable. Il y eut même un sanglant conflit entre les Français et les lansquenets, qui voulaient faire violence à des femmes réfugiées dans l'église de Notre-Dame, et la cité, dit M. Henne, ne fut préservée d'une complète destruction que par l'intercession de quelques marchands français qui s'y étaient établis[417].

La ville ainsi prise, restait le château, dont l'assiette estoit fort malaisée. La nature, comme par art et industrie, avoit fait un profond et grand précipice à l'entour, pour garder qu'il ne pust estre battu que de loin, réservé par une seule advenue du costé de la plaine, à l'endroit de la porte : par là avoit-on travaillé de le rendre plus fort, avec bon fossé, deux terre-pleins et autres défenses[418]. La garnison, composée de Liégeois, d'Allemands et des Espagnols de Romero, était dans les meilleures dispositions. Deux jours et deux nuits durant, continua le feu des assiégeans avec un merveilleux tonnerre ; enfin renversant les deux principales tours, il ouvrit une large brèche. C'était le 10, vers trois heures de l'après-dînée. Aussitôt Coligny conduisit à l'assaut les compagnies françaises, les corcetets en front par le milieu, les arquebusiers par les flancs. Animés par la présence du roi, les assaillants se montrèrent d'abord pleins d'ardeur, mais cette ardeur se brisa contre l'énergie de la résistance. Les assiégés, s'aidant de leurs artifices à feu, jetant des cercles allumés au pendant de la brèche, y semant des chausse-trappes, ruant incessamment une grande quantité de pierres et gros quartiers, fournissant le rempart de piquiers, logeant en des flancs qui n'avoient pu leur estre du tout ostés une grosse escopeterie, les repoussèrent avec une grande perte. En vain Coligny, avec aucuns autres capitaines et aussi des gentilshommes de la cour, et par exprès un nombre d'enseignes fort vaillans hommes, s'essayèrent de montrer le chemin à leurs soldats, les y appelèrent, montant de pieds et de mains, comme ils purent les premiers, où pour estre seuls en bute, il y en eut de renversés au fond morts et d'autres fort dangereusement blessés ; sans penser à plus grand combat, la retraite fut sonnée et ils s'en retournèrent avec le grand malcontentement du roi et des grands[419].

Cet échec rendait la position de l'armée royale fort critique : malheureusement les Impériaux ne surent pas en profiter. On leur pourra donner bien de l'ennui, disait un de leurs capitaines, en apprenant que les Français avaient formé deux camps, car, quelque nombre qu'ils soient, leur infanterie est grande canaille[420]. Mais les Allemands de la garnison ne valaient guère mieux, et leur lâcheté paralysa bientôt la défense. Durant l'assaut, le feu des assiégeants n'avait pas été interrompu, et, le lendemain, il reprit avec une nouvelle vivacité, nuisant grandement à ceux de dedans, qui estaient contrains de se descouvrir quelquefois et de se tenir en lieu où les ruines que le canon faisoit et les esclats les endommageoient fort ; de sorte qu'il y en eut beaucoup de morts, et bien peu qui ne fussent blessés[421]. Alors la terreur s'empara des Allemands, qui refusèrent de combattre plus longtemps et forcèrent leurs chefs à capituler[422]. La garnison obtint de sortir avec l'épée, la dague et quelques autres menues baghes ; mais les vainqueurs ne respectèrent pas mieux cette capitulation que celle de la ville. Henri de Berlaimont et Julien Romero, retenus prisonniers, furent conduits en France, où le premier resta vingt-huit mois[423]. Quant au second, au dire de Brantôme, pendant qu'il négociait avec le connétable pour obtenir les honneurs de la guerre, celui-ci par une grande ruse de guerre — qui mérite un autre nom, remarque M. Henne —, fit avertir les soldats espagnols que Romero ne plaidoit point pour eux, mais pour lui seulement et une douzaine d'autres à son choix, laissant le surplus en crouppe à la merci de l'espée. Ce qu'entendant le reste des Espagnols, soudain s'accordèrent à la même capitulation que les Allemands et sortirent tous ensemble, dont Romero cuyda se désespérer. Les Français lui en voulaient et lui reprochaient de ne pas se contenter de servir l'empeleur en ses guerres, mais de s'offrir à la solde de tous les ennemis du roi. Ils disoient cela pour ce qu'il avoit esté au service des Anglois contre eux, et maintenant se trouvait à tenir ce fort de l'évesque de Liège[424]. Hamal, plus heureux que ces deux capitaines, rejoignit l'armée impériale et reçut la charge de lieutenant-colonel du régiment des gens de cheval du comte d'Hoogstraeten, en récompense de sa belle conduite[425].

Les Français démantelèrent le château de Dinant et la tour de Bouvignes, et de gros détachements allèrent détruire les châteaux de Poilvache[426] et de Spontin[427]. Le butin ne leur profita guère. Les bateaux qui le transportaient à Mézières, avec plusieurs des officiers blessés à l'assaut, furent enlevés, près de Givet, le 15 juillet, par des milices du pays, qui taillèrent en pièces l'escorte. A cette nouvelle, d'autres bateaux, chargés des riches colonnes de marbre du jubé de l'église de Notre-Dame, rebroussèrent chemin, et il fallut renoncer à emporter ces dépouilles. Des fruits de sa conquête l'ennemi ne conserva que les cloches de cette église, envoyées à Mézières[428].

Malgré leurs succès, les Français commençaient à se sentir embarrassés. Une plus longue demeure en ces lieux eût pu, en temps de si grandes chaleurs, engendrer infection et mauvais air[429] ; d'autre part les communications avec la France devenaient difficiles. Les valeureuses milices de l'Entre-Sambre-et-Meuse, tombant à l'improviste sur un corps d'Anglais et d'Écossais posté près de Givet, l'avaient mis en déroute, après lui avoir tué beaucoup de monde et pris plus de quatre-vingt chevaux. De là, renforcées par quelques troupes venues du Luxembourg, elles s'étaient jetées sur la Champagne et les ravages qu'elles causèrent aux environs de Mézières forcèrent Henri II d'y détacher une forte division[430]. Le 13 juillet, Nevers se joignit à l'armée royale et celle-ci alla s'établir une lieue plus avant dedans le pays, où elle tint logis cinq jours entiers, harcelée par des compaignons arquebusiers namurois tenans guet aux bois, forets et passages[431].

Nous avons dit, un peu plus haut, que Charles-Quint avait quitté Bruxelles, le 7 juillet, se dirigeant sur Namur. Après avoir visité le château de cette ville, il s'était établi à Bouges. Là, couvert par la Sambre et par la Meuse, il était à même de concentrer ses forces, d'attendre ses renforts, de protéger le Brabant, et de délivrer, à l'heure propice, le pays de Namur de la présence de l'ennemi. Emmanuel Philibert, qui avait pris position à Gembloux, Van Rossem et Mégem postés à Grand-Pré, ne permettaient plus à celui-ci de réaliser son projet de diversion sur Liège, où d'ailleurs on était bien préparé à le recevoir. Ainsi gêné dans ses mouvements, Henri II prit le parti de marcher sur Bruxelles avec toutes ses forces. Le 18 juillet, après avoir ordonné à ses troupes de se fournir de vivres pour cinq ou six jours, et chargé sur un nombreux charroi les denrées et les munitions venues de France, il se remit en marche et alla loger à trois lieues de son ancien campement. Dans cette marche, ses troupes gastoient et brusloient le pays de quatre lieues à la ronde, par revanche de ce que les ennemis avaient commencé cette année mesme, depuis qu'il estoit en campagne, à br'isler ses sujets au pays de Boulonnois[432]. Le lendemain, continuant ainsi, mettant toute la contrée à feu et à sang, incendiant le château de Stave, les villes liégeoises de Florennes et de Fosses, pour punir les habitants du pays de Liège, disait-il, d'avoir abandonné l'alliance de la France[433], il vint passer la Sambre à Châtelet[434], sans rencontrer d'obstacle. A la nouvelle de la marche des Français sur Florennes, on s'était borné à prescrire au capitaine de l'enseigne des gens de guerre en garnison à Thuin, de rompre les fers des moulins, de haulser les bords des guets, de détruire les moulins de Chastelet et de Thuin pour oster la commodité des vivres au roi de France[435].

Le 20 juillet, l'armée royale entra dans le Hainaut, où Lalaing venait d'accourir, mais sans troupes pour l'arrêter. Elle put donc mettre à perdition toute la contrée, brusler et destruire tous les bourgs, chasteaux et villages, sans qu'il y eust un seul qui osast faire résistance, fuyant tout le populaire la rencontre de cette horrible furie[436]. Henri II campa à Jumet, et, dans la nuit suivante, il envoya le comte Rodolphe avec ses pistolliers, son régiment d'Allemans, la compagnie de monsieur le duc de Bouillon, et deux moyennes pièces de campagne, pour surprendre la petite ville de Nivelles, première place du Brabant. Toutes fois, la trouvant mieux munie de gens de guerre que ne pensoit, retourna sans faire autre chose que brusler les faulbourgs et villages de l'environ[437]. Si l'attaque avait réussi, les Français eussent marché directement sur Bruxelles, où les milices bourgeoises avaient déjà reçu l'ordre de se tenir prêtes au combat. L'échec éprouvé devant Nivelles les obligea, pour leur malheur, à modifier leur itinéraire et à prendre une voie plus détournée.

L'armée royale, après avoir brûlé Seneffe[438], se dirigea vers Binche, laissant toujours après elle, pour ses brisées, feux, flammes, fumées, toute calamité[439] ; mais elle fut suivie de près par le duc de Savoie, dressant sur la queue toutes les alarmes qu'il pouvoit, pour l'ennuyer et l'affoiblir[440]. Ainsi quarante hommes de la bande de Lalaing tombèrent sur la compagnie de chevau-légers de Nemours et lui tuèrent beaucoup de monde. Le 21, le roi vint camper près du château de Mariemont, où ses coureurs avaient déjà mis le feu, de même qu'à un aultre excellent chasteau appelé Trazegnies[441]. Henri II accourut à Mariemont, criant à ses gentilshommes : Or sus, mes chevaliers, donnons dedans ! et se jeta dans le parc, frappant les arbres de son épée, alimentant l'incendie[442]. Puis, sur les ruines de cette splendide demeure, il fit mettre cette inscription : Souviens-toi de Folembray, reine insensée[443].

Le même jour, les Français parurent devant Binche. Cette petite ville n'estoit guère munie et avait pour toute garnison deux enseignes commandées par Philippe de Blois. Ce brave capitaine n'en repoussa pas moins fièrement la sommation de l'ennemi, et l'accueillit par une vive canonnade. Mais, ùès le lendemain, furent mis en batterie, auprès d'un moulin à vent, du costé de la maladrerie, pour battre à droite de l'entrée devers Bruxelles[444], trente-sept pièces de campagne et douze gros canons. Cette puissante artillerie eut à Binche le succès qu'elle avait eu partout, et la ville fut obligée de se rendre à merci. Après que la populace et les soldats eussent esté mis hors sans armes, et que les capitaines avec les plus riches de la ville se fussent rachetés par argent, ladite ville fut pillée et bruslée avec le magnifique palais de la reyne Marie, en lequel furent démolis et ruinés plusieurs ouvrages de grand artifice, entre autres, l'artificielle Cérès, longue de vingt-huit pieds, posée en un jardin, et le mont Parnasse, d'escaille de perles, avec la petite fontaine en Hélicon, sur laquelle estoient assises les neuf déesses musicales, faites de marbre blanc ; aussy le vaisseau à eau fait de pierre de porphyre, lequel à peine fut parachevé en un an, et la petite table aux banquets jointe de plusieurs milliers de pièces rapportées, en laquelle estoit pour-traité au vif la ville de Binche, avec des couleurs naturelles, par des artisans allemands ; comme aussi les herbes et fleurs argentines jetées à la fonte, faites artificiellement, lesquelles se remuoient par le vent. En outre les plantes estranges et rares valant plusieurs milliers, et plusieurs colonnes de marbre, par lesquelles choses ceste ville fut célèbre, et nommément du temps de triumphe par un ciel côntrefait, duquel il tonna, eseléra et plut ; fontaines saillantes hors des roches artificielles où sembloient croistre des branches de corail[445].

C'est ainsi que Henri II se vengeait de la perte de son chasteau de Folembray et de ses places de Picardie mises à feu et à ruine ; c'est ainsi qu'il lavait l'affront que la petite ville de Binche avait naguère infligé à ses armes. En rendant compte à Marie de Hongrie de ces actes de vandalisme, réprouvés par les capitaines français eux-mêmes[446], Granvelle lui disait : Je ne sais si cet acte illustrera fort ses histoires[447]. Et la reine lui répondait : Je vous remercie de m'avoir avertie des magnanimes actes du roi de France et de ses principaux. Quant à moi, je me tiens toute glorieuse de ce qu'il lui a plu montrer tant de colère et énormité en mon endroit, que par ce il est venu à se oublier à faire offices si basses et non dignes de sa qualité : car de tant plus connoîtra le monde que suis très humble et bonne servante de Sa Majesté, que m'est la plus grande gloire que sçaurois avoir. Car, quant au dommage, ne l'estime trois prunes. Autant m'en eust pu advenir par feu, de meschief ou autrement, et ne suis femme qui mette le cœur à telles choses pour en avoir grand regret à les perdre, comme choses transitoires et muables, de quoi l'on doit user quand on l'a, et s'en passer quand on ne l'a pas. Voilà, sur ma foy, tout le regret que j'en ay[448]. — Votre Majesté le prend prudemment, constamment et vertueusement, répliqua l'évêque d'Arras, tenant les choses soumises à la fortune au point que l'on les doit tenir. Et certes je tiens que le roi sera peu estimé par toutes gens de bon jugement. Ce qu'il a voulu faire pour prétendre et prendre vengeance est chose si basse, qu'elle ne devon tomber au cœur de personne portant titre de roi.

Pendant que Henri II présidait à la destruction de Binche, ses troupes allaient détruire le château du Rœulx[449]. Mais ces dévastations touchaient à leur terme. Le duc de Savoie avait. été rejoint par l'empereur, qui amenait avec lui deux mille pistoliers allemands, le régiment de Jean de Nassau et la division de Van Rossem ; les troupes jetées dans Namur en avaient été retirées ; on n'y avait laissé que trois enseignes de lansquenets. Pendant que l'armée impériale devenait ainsi menaçante, les Français étaient en proie à la disette ; placés entre six fortes villes, Mons, Avesnes, Landrecies, le Quesnoy, Valenciennes, Cambrai, ils étaient exposés, en cas d'échec, à en voir les garnisons leur barrer le passage. Le connétable vit le danger et se décida à la retraite, après avoir appelé à lui le prince de la Roche-sur-Yon, qui venait de tenter sans succès une nouvelle entreprise contre l'Artois. Il y avait été harcelé sans répit par un nombre de Flamens le costoyant et suivant pour tousjours interrompre son dessin[450].

On était au 23 juillet. Dans sa retraite, l'armée royale incendia encore Maubeuge et Bavai. Pendant qu'elle se livrait à ce dernier exploit, la garnison du Quesnoy lui enleva ses avant-postes[451], et, au passage du Bermerain[452], elle faillit perdre son arrière-garde. Le 25, vers neuf heures du matin, Charles-Quint fut averti, par un trompette du marquis de Renty, que l'armée royale, partant de Villers-Pol, prenait, en fort grande hàte et désordre, la direction du Cambrésis, et que ses bagages étaient restés en deçà du ruisseau grossi par les pluies- Sur le champ il lança trois mille chevaux à sa poursuite, pour voir si Dieu vouldroit accorder la fortune si propice qu'on pût donner une bonne main à l'ennemi.

Arrivés vers midi au Quesnoy, les Impériaux aperçurent, à une demi-lieue, l'arrière-garde ennemie occupée à franchir le Berrnerain, sous la protection d'un corps de cavalerie, déployé sur une colline dont ce ruisseau baignait le pied. Louis d'Avila fut envoyé à la tête d'une troupe de chevau-légers et d'arquebusiers pour reconnaître la position. Ces chevau-légers et arquebusiers firent bon devoir, s'attachant à l'escarmouche, pour retenir l'ennemi au passage. L'escarmouche dura plus de deux heures avec tant d'incertitude et de diversité de rapports que monsieur de Savoie ne se sut légèrement résoudre s'il devait s'attacher au combat. La plupart des capitaines estoient d'opinion que les ennemis se retiroient et qu'il falloit les charger vertement. A deux reprises, Louis d'Avila pressa le duc de Savoie de lui envoyer des renforts et de presser la marche de la gendarmerie. Quand le duc s'y décida enfin, il était trop tard. Les ennemis avoient fait tel debvoir que jà estoient passé le ruisseau et à grande diligence se joignoient avec eux ceux qui les avoient attendus. Par où voyant l'occasion manquée et comme il n'estoit conseillable de passer ledit ruisseau, ledit seigneur duc commanda la retraite. L'affaire était manquée. Si nous nous fussions incontinent notre arrivée attachés à eux, écrivait Berlaimont à Marie de Hongrie[453], quelque devoir qu'ils eussent su faire, avant de passer ledit ruisseau, il fust demeuré pour le moins mille ou douze cents chevaux, et, possible, tout ce qui estoit par delà l'eau, par cest estonnement, eust été mis en fuite.

L'armée royale, souffrant de la difficulté des vivres, s'avançant péniblement dans des chemins effondrés par les pluies, harcelée par les chevau-légers de l'empereur, qui lui enlevèrent beaucoup de chariots, de bagages et de prisonniers, n'arriva pas sans peine à Crèvecœur le 17. Là, elle fut rejointe par le prince de la Roche-sur-Yon, qui lui amena grand secours de soldats avec grande quantité de vivres, dont elle avoit aussi fort nécessité. Au premier avis de la direction prise par l'ennemi, l'empereur avait envoyé Lalaing à Cambray, pour prémunir cette ville contre un double danger, celui d'une attaque et celui d'un soulèvement[454]. Quand les Français parurent devant la ville, le comte était préparé à, les bien recevoir. Ils restèrent huit jours en vue de la place. Tout se borna à des escarmouches avec la garnison et les avant-postes de l'empereur qui, de Douchy, était venu prendre position à Bouchain[455].

Sur ces entrefaites, les cinq mille Espagnols, attendus d'Angleterre, vinrent renforcer l'armée impériale[456] et la mettre en mesure de prendre bientôt l'offensive à son tour. Henri II prévit la chose et décampa brusquement dans la matinée du 3 août. Il se dirigea d'abord vers le Câtelet ; puis, prenant à droite, il passa sous Bapaume, dont la garnison escarmoucha avec sa cavalerie, traversa le comté de Saint-Pol, et vint camper, le 9 août, à Fruges, à une lieue de Renty[457]. Pour clore sa campagne, il voulait, délivrer le Boulonnais du voisinage de cette place, et, comptant l'emporter avant l'arrivée de Charles-Quint, à son artillerie, déjà formidable, il ajouta douze pièces de siège, tirées de Montreuil[458].

Le château de Renty, situé dans un marais entouré de montagnes, avait pour principale défense un large fossé alimenté par l'Aa, qui coule à ses pieds. Les Impériaux le croyaient peu susceptible de résistance et songeaient à le démanteler[459]. Mais le commandant, Jacques, seigneur de Bryas, homme de guerre habile et expérimenté, en jugea autrement. Il était du reste bien secondé. Son. lieutenant, Jacques, seigneur de la Cressonnière, était aussi un officier de grand mérite, et la garnison, composée d'Artésiens et de Flamands, venait d'être renforcée par une compagnie d'arquebusiers espagnols sous le capitaine Juan Gaytan[460]. Aux sommations du duc de Vendôme, qui, devançant l'armée royale à la tête d'une forte division, avait investi la place dans la matinée du 9 août, Jacques de Bryas répondit qu'il ne se rendrait jamais, et appuya cette réponse d'une vigoureuse sortie. Fut si chaude ladite escarmouche que l'on y vint jusques aux mains et aux espées, et que, pour non avoir loysir de recharger les acquebuttes, on se servoit des affus. Mais enfin les nostres, grâces à Dieu, demeurèrent supérieurs, et y demeura des ennemys françois, morts sur la place, cent et cinquante, et nul des nostres : seulement cinq ou six blessés[461]. A ce combat, le duc de Guise reçut une balle dans la manche de son pourpoint[462]. Le roi, qui arriva le lendemain, fit tout de suite battre aux défenses, et le connétable, prévoyant une vigoureuse résistance, demanda de nouveaux renforts aux villes de la Somme.

Charles-Quint. que venait de rejoindre son ancien lieutenant, don Fernand de Gonzague, se rapprochait de plus en plus de l'armée royale ; il était arrivé à Lillers, et déjà les coureurs des deux armées avaient été aux prises[463]. Le 10, les Impériaux vinrent camper près de l'emplacement de Thérouanne, et, le lendemain, l'armée réunie à Marcq fut passée en revue par l'empereur. Il trouva l'infanterie fort à son contentement, et la cavalerie belle et bonne, mais affoiblie. On se dirigea, le même jour, vers Renty, et l'on rencontra deux soudars, l'un espagnol, l'autre artésien, ayant, la nuit précédente, esté jetés hors dudit Renty, dépêchés, celui-ci par le seigneur de Bryas, celui-là par le capitaine Juan Gaytan, pour faire rapport à l'empereur de ce qui s'estoit passé avec les ennemis. Ils lui annoncèrent que la garnison estoit bien animée, et que, la veille par tout le jour, les François avoient battu aux défenses avec sept ou neuf pièces d'artillerie, mais y avoient fait peu d'effet. Les assiégés, disaient-ils, n'avaient encore perdu que six hommes. Ils donnèrent aussi des indications sur la position de l'armée royale, dont les divers corps étaient disséminés, et la cavalerie fort foullée et lassée. L'empereur les chargea de porter aux braves défenseurs de Renty la nouvelle qu'il accourait à leur secours, et tout fit présager que, si le roy continuoit en ses bravesses accoustumées, on ne resteroit pas sans avoir bientost fait ou failli[464].

Les Français étaient protégés par un bois, dit le bois Guillaume, qui s'étendait sur le revers d'une colline descendant en pente douce vers Renty, et par une vallée large d'un quart de lieue, profonde et marécageuse. A l'approche de l'empereur, ils se couvrirent de retranchements. Ils avaient environ trente mille piétons et neuf mille cavaliers ; mais les chevau-légers estoient fort deshalés, et il y avait beaucoup de soldats malades[465]. Huit des gros canons demandés à Montreuil leur étaient arrivés, et ils comptaient, en battant la place avec vigueur, la réduire en quatre ou cinq jours, quand l'approche de l'armée impériale dissipa ces illusions, que ne partageaient point tous leurs capitaines[466]. On résolut alors de tenter un effort suprême, et le 12, à six heures du soir, l'assaut fut donné ; mais les assiégés le reboutèrent vertement[467], et il fallut prévoir dès lors que le sort de Renty se déciderait sur un champ de bataille.

Le même jour, Charles-Quint s'établit entre Fauquemberghe et un lieu appelé les Plaines de Marque, lesquelles s'estendoient devers leur advenue jusques au village d'où il venoit, et alloient peu à peu faire une haulseure, dans le costé où estoient les François. De ces plaines sort un costeau qui respond par un bout à la vue de Renty, entre deux vallons, l'un devant et l'autre à leur costé droict, fort rudes à monter et descendre[468]. Il n'y avait donc plus entre les deux armées que la vallée de l'Aa, et il était devenu impossible qu'elles se séparassent, sans se veoir de plus près[469]. Déjà le duc de Savoie avait essayé, avec le régiment de Mégem et mille arquebusiers espagnols, de s'emparer du bois Guillaume, mais il n'y avait pas réussi, parce que, selon la remarque d'un capitaine belge, aucuns Espagnols vouloient mieux sçavoir l'adresse que celui qui les guidait[470].

Averti que depuis quatre jours le château de Renty estoit autant impétueusement battu et canonné que fut jamais place[471], et cédant à l'ardeur de ses soldats furieux d'estre si près de l'ennemi sans le combattre et l'essayer, l'empereur ordonna de renouveler la tentative sur le bois Guillaume, dont la possession était décisive pour le salut des assiégés. Le 13, vers midi, le duc de Savoie et Fernand de Gonzague attaquèrent cette position avac les arquebusiers espagnols, quelques cornettes de gens d'armes et de chevau-légers conduites par Bugnicourt, Philippe de Ligne, le comte de Hornes et d'autres gentilshommes des Pays-Bas[472]. Ils avaient trois ou quatre pièces de campagne portées sur quatre roues, qu'on pouvoit promptement tourner à toute main et qui depuis ont esté appelées pistollets de l'empereur. Le régiment de Van Rossem, les lansquenets de Jean de Nassau, deux mille reîtres environ sous Wolfram de Schwartzenbourg, devaient tourner l'ennemi, en longeant un côteau situé près du bois et descendant vers Fauquemberghe. Mais les Français avaient également apprécié l'importance de la position, et le duc de Guise s'y était posté avec trois cents arquebusiers, un nombre de corselets, et plusieurs corps de cavalerie. Deux files d'arquebusiers espagnols assaillirent le bois par deux costés, et une tierce du milieu donna par le devant, favorisés des autres troupes qui venoient en front de bataille. Le combat fut acharné, et il y demeura beaucoup, de chascun costé, de morts, blessés et prisonniers. Enfin les Français, quoique soustenus toujours avec quelques compagnies de cavalerie, furent chassés de traverse en traverse, et rejetés sur l'aile gauche de l'armée royale.

Dans l'intervalle, le connétable s'était formé en bataille. Il avait disposé son armée sur trois lignes : la première, composée de Français ; la deuxième, d'Allemands ; la troisième, de Suisses. La cavalerie couvrait ses flancs, principalement le flanc gauche, parce que de ce costé y avoit une courbe ou vallée, qui, depuis le quartier des Suisses devers Fauquemberghe jusques devers le bois, s'eslargissoit et faisoit un costeau assez facile. Là se trouvait le duc d'Aumale avec toute la cavalerie légère et quelques compagnies d'arquebusiers à pied. Les Impériaux, poursuivant le duc de Guise, tombèrent sur l'aile gauche, assaillie en même temps par la division chargée de tourner le bois Guillaume. Alors commença un rude et furieux combat et furent à la fin les François repoussés. D'Aumale, accouru pour les soutenir, fut enfoncé par les reîtres de Schwartzenbourg, qui tua de sa main trois gentilshommes français. Alors Fernand de Gonzague fit demander à l'empereur d'avancer avec toute l'armée, car l'avant-garde des ennemis estait desjà fort esbranlée et mise en désarroy.

Malheureusement l'empereur hésita. Croyant la journée trop avancée pour engager une affaire générale, il se borna à envoyer à ses lieutenants des renforts insuffisants. Le connétable au contraire accourut avec des forces considérables au secours de son aile gauche ; les assaillants, affaiblis et fatigués par la longueur du combat, se ralentirent, cédèrent peu à peu et furent enfin chassés des positions qu'ils avaient conquises. La cavalerie se relira en désordre ; l'infanterie, qui lutta longtemps pour conserver le bois Guillaume, perdit beaucoup d'hommes. Là toutefois s'arrêta le succès des Français ; ils furent contenus par l'artillerie que l'empereur amena lui-même afin de soutenir la retraite de ses troupes.

Un capitaine belge, que nous avons cité plus haut, fait, sur l'issue de ce combat, des réflexions qui trahissent le malaise et l'antagonisme existant entre la partie nationale de l'armée et les étrangers. Ce malheur, écrivait Lalaing à Marie de Hongrie, survint par mauvaise conduite et pour ne s'estre pas contenté d'avoir gagné le bois et la montagne. Il semble assez que si les Espagnols fussent aussi bons démons au bois comme ils le gaignèrent que pour le garder, nous ne l'eussions point perdu. Le duc de Savoye me dit que c'estoit advenu par ceux qui n'aiment ni le service, ni l'honneur de l'empereur. Les autres disent que don Fernand de Gonzague avait bien demandé d'approcher et de se monstrer, mais point d'aller si avant ; aussi qu'il doit avoir dit qu'il commandoit bien pour le service de Sa Majesté, mais que non ayant argent, il n'estait obéi. Madame, c'est à Dieu louer que les Franchois se sont ainsi retirés, car si plusieurs eussent poulsé oultre leur opinion, nous fussions descampés et reculés en arrière devant la retraite du roy de France. En effet, madame, je supplie de ne vous en pas fascher si je dis encore un mot, c'est que si Vos Majestés avoient aussi grande confidence de nous aultres comme des estrangiers, je crois qu'il en Fust plus d'une fois mieulx succédé, et que ne ferions moins qu'ont fait nos prédécesseurs. Si on nous impute quelques imperfections, c'est nostre malheur que n'avons esté plus guidés de l'œil de nostre prince, que plusieurs n'ont esté traictés selon leurs mérites ou desmérites[473].

Ce combat, que les Français transformèrent plus tard en éclatante victoire, ne fut considéré alors, par les deux armées, que comme un engagement avant la bataille. Henri II et le connétable ne s'exagérèrent point leur succès et ne se dissimulèrent point le danger qu'ils avaient couru. Pendant que Charles-Quint prenait ses dispositions pour une action décisive, ils se tinrent enfermés dans leur camp durant toute la journée du 14, et, la nuit suivante, ils battirent en retraite, après avoir brûlé les villages qu'ils occupaient. Ils firent si bonne diligence, que, dès le lendemain, ils se trouvaient sous la protection des canons de Montreuil[474].

Après la retraite du roi, Charles-Quint entra à Renty et pour considération des bons offices que les souldars et aultres gens de guerre y tenans garnison avoient fait, il leur accorda une gratification de trois mois de solde[475]. Souffrant cruellement de la goutte, il se rendit ensuite à Arras, où il apprit que Henri II avait quitté son armée. Ne jugeant plus dès lors sa présence nécessaire à la tête de ses troupes, il résolut de partir pour Bruxelles ; mais il n'y rentra que le 9 octobre, ayant été retenu tout ce temps à Arras et, à Béthune par la violence de ses douleurs[476]. Cette armée, qu'il laissait pleine d'enthousiasme et d'ardeur, il ne devait plus la revoir. Il allait déposer l'épée pour jamais, renoncer à toutes ses couronnes, et, par un choix arrêté et mûri avec toute la plénitude de sa liberté et de sa raison, finir sa vie glorieuse et agitée dans la paix et la solitude d'un cloitre.

Depuis quelque temps déjà, le grand empereur s'occupait moins des affaires publiques ; il s'en reposait, pour une part notable, sur la reine Marie, sur l'évêque d'Arras, sur Louis de Flandre, seigneur de Praet. La reine, en 1551, pour arrondir les dépendances du palais, avait fait l'acquisition, à l'extrémité du Parc, vers la rue de Louvain, d'une maison appartenant à Philibert de Mastaing, seigneur de Sassegnies. Cette habitation ne consistait qu'en un corps de logis ayant un seul étage, auquel on arrivait par un escalier de dix ou douze marches. Toute modeste qu'elle était — le cardinal d'Imola la comparait à la retraite d'un chartreux[477] — elle avait plu à Charles-Quint, et, dans l'été de 1553, il s'y était établi jusqu'à son départ pour l'armée. Il y retourna l'année suivante. Là il n'était entouré que de ses serviteurs les plus intimes ; il ne recevait personne ; lorsque le temps n'y mettait pas obstacle, il se promenait à cheval dans le Parc. Ce genre de vie exerçait une influence salutaire sur sa santé. Il s'était pris d'une sorte de passion pour les horloges et pour l'astronomie ; dans sa petite maison il s'y laissait aller sans réserve. Entre les horloges qu'il possédait, il y en avait une où étaient représentés les corps célestes avec leurs mouvements : Charles trouvait un grand plaisir à considérer les évolutions de ces grands corps, et en faisait son passe-temps habituel[478].

Revenu à Bruxelles, en compagnie de la reine, l'empereur alla descendre à sa petite maison du Parc. Il était alors tout à fait rétabli. Le 11 octobre, il y donna audience au cardinal Polus[479], chargé par le pape Jules III d'une mission auprès du roi et de la reine d'Angleterre. Ce prélat, en attendant le moment, et] il pourrait remplir sa mission, s'était fixé à l'abbaye de Dillingen. Le nonce du saint siège, l'archevêque de Conza[480] et Granvelle étaient présents à l'audience. Dans son discours, le cardinal insista sur l'aide que le souverain pontife se promettait de l'empereur pour le rétablissement de la religion catholique en Angleterre. Charles répondit au légat que personne n'avait plus à cœur que lui la rentrée de l'Angleterre sous l'obéissance du siège apostolique ; qu'il y avait travaillé déjà et y travaillait encore ; qu'il y était excité à la fois et par son devoir et par l'amour qu'il portait aux Anglais ; mais que ce fruit désiré on ne pouvait le cueillir que quand il serait mûr, sans lui laisser pourtant le temps de se gâter ; que jusqu'au moment présent le roi et la reine ne le considéraient pas comme parvenu à maturité, à cause de l'opposition des possesseurs des biens ecclésiastiques, qui avaient été vendus. Là était, à ses yeux, le principal obstacle, que lui avait révélé l'expérience faite en Allemagne, car, quant à la doctrine, les détenteurs de ces biens s'en souciaient fort peu. A son avis, il fallait négocier prudemment avec les intéressés, leur faisant le moins de concessions possible, mais ne les réduisant point au désespoir. Le cardinal s'étant plaint de n'avoir pu encore, comme les autres ambassadeurs, être reçu par le roi et la reine d'Angleterre, l'empereur répondit qu'il avait écrit à Londres pour obtenir les renseignements nécessaires et qu'il attendait une réponse prochaine. Plus d'un mois s'écoula encore avant que la cour d'Angleterre eût réglé tous les arrangements relatifs à la venue de l'envoyé du saint siège. Le cardinal ne quitta Bruxelles que le 14 novembre pour aller s'embarquer à Calais. En le congédiant avec les seigneurs anglais qui étaient venus le chercher par ordre du roi Philippe et de la reine Marie, l'empereur adressa à ceux-ci une exhortation touchante en faveur de l'unité de l'Église : un prêtre, un prédicateur consommé, au rapport de l'archevêque de Conza, n'eût pas parlé d'une façon plus éloquente[481].

Le départ de Charles-Quint n'avait pas mis fin aux opérations militaires. La cavalerie impériale avait poursuivi l'armée française et fait essuyer de fortes pertes à son arrière-garde. Le connétable jeta de grosses garnisons dans les places d'Ardres, d'Abbeville et de Dourlens ; arrivé à Compiègne, il licencia l'armée le 27 août. C'était livrer la frontière aux représailles d'un ennemi irrité[482]. Du côté de la Meuse, déjà toutes les conquêtes de Henri II et du duc de Nevers étaient perdues. A peine l'armée royale avait-elle commencé son mouvement de retraite, que l'évêque de Liège envoya une enseigne d'infanterie reprendre possession de Dinant. Cette petite troupe se porta ensuite sur le château d'Agimont, où se trouvait un capitaine avec une centaine de soldats, qui, après s'estre longuement défendus, se rendirent par capitulation[483]. Maîtres de cette forteresse, qui tenoit la rivière de la Meuse et le passage de Givet, les Liégeois se disposaient à poursuivre leurs avantages, mais l'ennemi ne les attendit pas et évacua tous les petits forts où il avait garnison. George d'Autriche s'empressa de relever les fortifications de Dinant, ce qui ne se fit pas sans quelque déplaisir pour Charles-Quint, désireux de voir démanteler, ou mieux encore d'ajouter à ses états cette ville toujours menaçante pour le pays de Namur[484].

Le duc de Savoie était arrivé, le 27 août, à Fruges. Il comptait marcher le lendemain sur Créquy, pour d'illecq aller droit sur les ennemis ; mais ceux-ci avaient rompu les ponts de la Cauche, et, comme il eût fallu plus d'un jour pour les rétablir, que d'ailleurs il était difficile de longer cette rivière bordée de prairies marécageuses, le duc alla la passer à Hesdin. Le 30, il attaqua Auxy-le-Château, pendant qu'une petite troupe de chevau-légers espagnols débusquait quelques deux cens chevaulx légers françois postés sur la rive gauche de l'Authie, dont y demeura environ quatre-vingt ou cent que tués, que prins, entre autres le cornette du seigneur de Miromont. La garnison d'Auxy, qui comptait trente-six soldats commandés par un enseigne, ne se voulut rendre au commencement, et il fallut y mener quelques pièces d'artillerie. Alors, dès que la place eut été battue de vingt ou trente coups, elle se rendit à discrétion. Les prisonniers furent envoyés aux galères : c'était, au jugement de l'empereur, le traitement le plus favorable qu'on pût leur accorder. Il faut avoir regard, écrivait au duc la reine de Hongrie, à l'exemple que les ennemis ont monstré à Bouvignes contre aucuns manans et bourgeois, dont ils ont fait pendre huit ou dix de sang-froid, deux jours après la prise de ladite ville, prenant couleur qu'elle n'estait de telle fortification que une armée se dust retarder. Ce que Sa Majesté m'a expressément enchargé de vous escripre et semble à icelle que la peyne des gallères est la moindre que l'on leur pourroit imposer[485].

La saison était trop avancée pour entreprendre une nouvelle campagne en France. On résolut de profiter du peu de temps dont on disposait et, de l'éloignement de l'ennemi pour ériger un fort destiné à s'assurer la possession du bailliage de Hesdin, et à défendre le comté de Saint-Pol ainsi que les frontières de l'Artois. Le projet fut étudié dans les conseils de Charles-Quint, et l'on choisit pour emplacement le confluent du Blangis et de la Gauche. Le duc de Savoie s'établit à Mesnil, à cheval sur la Picardie, le Ponthieu et le Boulonnais. Pour prévenir toute surprise, il s'empara du château de Dampierre, sur la rive gauche de l'Authie, et de celui de Maintenay sur la rive droite ; mais la première de ces places ne lui paraissant point tenable, il la détruisit. Les travaux de la nouvelle forteresse, qui reçut le nom de Hesdinfert[486], de la devise des ducs de Savoie, commencèrent le 8 septembre, jour de la Nativité de la Sainte Vierge : aussi la première église qu'on y éleva fut dédiée à Notre-Dame[487]. On recruta des pionniers dans toutes les provinces ; la ville de Gand, entre autres, fournit six cents terrassiers propres aux constructions hydrauliques. L'œuvre était dirigée par Sébastien Van Noen assisté de Donatien de Bonny ; les régiments d'infanterie de l'armée se partagèrent le travail et y déployèrent, au commencement, une extrême activité. Les Français n'essayèrent qu'une fois d'inquiéter les travailleurs ; mais, voyant qu'on leur apprestoit le banquet pour les bien recevoir, ils se retirèrent sans rien entreprendre. Malheureusement des ennemis plus, redoutables, selon l'expression de M. Henne, apparurent bientôt : les maladies et les intempéries de Pair rendirent la désertion si grande parmi les pionniers, qu'après avoir décrété la peine de mort pour l'empêcher, on recula devant l'exécution d'une mesure si rigoureuse. Au regard de ce que remettez à moi de prescrire aux villes le chastoy et renvoy des ouvriers et pionniers qui s'enfuient, écrivait la reine de Hongrie à Bugnicourt, je trouve quelque difficulté à mettre en pratique de les chastier et renvoyer ; car, en procédant audit chastiment selon le placard, devroit suivre la peine capitale. Sur quoy on a trouvé par conseil, vu la multitude de ceulx qui s'estoient rendus fugitifs, de faire exécuter, pour donner effroy à la multitude, les individus aultrement mal famés et ratteints d'autres meffaits, les vagabonds et gens de vie dissolue ; et quant aux aultres d'user seulement de chastoy arbitraire[488]. En dépit de ces obstacles, Hesdinfert, où l'on se proposait d'élever un palais pour Marie de Hongrie, en compensation de ceux qu'elle avait perdus, put recevoir garnison dès les premiers jours de novembre, et Baudouin de Blois en fut nommé capitaine.

L'œuvre achevée, on songea à venger les ravages commis par l'ennemi. Déjà, le 13 octobre, Emmanuel-Philibert, à la tête de sa cavalerie, avait brusté et gasté le pays au delà de Montreuil. Le 8 novembre, il alla reconnaître la petite ville de Rue, mais craignant de manquer de fourrages et de vivres dans une contrée ruinée par ses troupes, il renonça à l'attaquer[489]. Au retour de cette reconnaissance, marquée par l'incendie de tous les villages et maisons que l'on pouvoit voir et apercevoir, il rencontra une forte division ennemie, qui avait compté le surprendre ; mais il était sur ses gardes, et, après une légère escarmouche, les Français durent se retirer et furent poursuivis jusqu'aux portes d'Abbeville, où ils rentrèrent dans le plus grand désordre. Le même jour, d'autres détachements, chargés de brusler et faire le desgast, firent très bon devoir de tous costés à l'environ.

L'armée entière se mit en marche le lendemain. Passant près de Dourlens, elle alla camper au delà de l'Authie, non sans grande fascherie, parce que l'artillerie estoit mal attelée, que les chevaux estoient las et foulés, que en aucuns lieux les chemins n'estoient pas assez durs pour soustenir le carroy. Le 10, après avoir expédié l'ordre de faire sauter Auxy-le-Château, le duc, continuant les feux de tous costés, vint loger à Saint-Sauveur sur la Somme, près d'Amiens ; une partie de sa cavalerie, franchissant la rivière, s'établit au Bourg et près de Pecquigny. Le duc de Nemours, qui accourait d'Abbeville avec trois cents chevaux pour se jeter dans Amiens, tomba au milieu de cette cavalerie et courut risque d'être écharpé. Emmanuel-Philibert passa la Somme pour couper la retraite aux fuyards, mais ils piquèrent si bien qu'ils arrivèrent premiers à Pecquigny, non sans laisser aux mains des Impériaux une soixantaine de prisonniers ; le duc de Nemours lui-même fut pris deux fois et n'échappa que grâce à la vitesse de son cheval. Les hostilités continuèrent quelque temps encore. Le duc de Savoie avait remonté l'Ancre jusqu'à la ville d'Albert qui portait alors le nom de cette rivière, ruinant toujours le pays sur son passage, et s'y était arrêté le 12 novembre pour donner quelque repos à son armée, qui, tant les personnes que les chevaux estoit assez travaillée, et attendre des vivres ; il allait se remettre en marche, quand il reçut l'ordre de prendre ses quartiers d'hiver[490].

En bruslant depuis la mer jusques Ancre tout le pays situé entre l'Authie et la Somme, et auparavant les environs de Montreuil, les Impériaux avaient vengé — sur le pauvre peuple hélas ! — les ravages exercés par les soldats de Henri II ; mais, pour obtenir ce résultat, on avait épuisé les ressources du trésor, et, dans l'impossibilité d'entretenir plus longtemps son armée, force fut à Charles-Quint de la licencier. Il ne voulait conserver que les Espagnols, qu'il fit cantonner à Hesdinfert et à Cambrai, afin de les avoir plus à la main pour la sûreté des pays de Brabant et de Hainaut. Marie de Hongrie, qui désirait garder aussi deux mille Allemands, en fut dissuadée par le duc de Savoie : celui-ci leur préféra six enseignes artésiennes, plus propres, disait-il, à la conduite des convois et d'une fidélité plus éprouvée. On envoya ces enseignes à Saint-Pol, Pernes et Châtelet, avec ordre, au premier indice de danger, de se jeter dans Hesdinfert. Le licenciement du reste des troupes ne s'effectua pas sans difficultés. La pénurie du trésor ne permettant pas de les payer en numéraire, elles consentirent à recevoir des draps pour une partie du montant de leur solde arriérée, et restèrent campées à Ancre en attendant le règlement de leur compte. Cette prolongation de séjour fut marquée par l'incendie des environs de Dourlens et de la petite ville de Bray ; des corps de cavalerie légère enlevèrent ou chassèrent aussi tous les postes ennemis qui auraient pu inquiéter la frontière pendant l'hiver. Enfin l'argent et les draps promis étant arrivés, l'armée se retira par Bapaume et Douai sur le Cambrésis, où elle fut licenciée le 24 novembre[491].

Les autres frontières n'avaient pas été épargnées pendant cette rude campagne. Considérant que le roi de France avoit dressé ses emprinses du costé de la Meuse contre le pays de Namur et les environs ; que, par l'occupation de Marienbourg, il avoit commodité de continuellement courrir sus audit pays de Namur ; que s'estant, d'autre costé vers le pays de Luxembourg, saisi de plusieurs villes, tant de l'empire que aultres, dont ledit pays de Luxembourg souffroit plus d'invasions que auparavant, Charles-Quint jugea que à ceste cause il convenoit de donner à chacun desdits deux pays, pour leur meilleure deffense et tuition, un chef et gouverneur particulier. En conséquence, par lettres patentes du 8 septembre, il avait nommé Charles, baron de Berlaimont et de Hierges, gouverneur et souverain bailli, capitaine et grand veneur des ville, château, comté et pays de Namur ; il lui avait adjoint pour lieutenant Philippe de Senzeilles, vicomte d'Aublain, qui avait succédé à Henri de Witthem dans le gouvernement intérimaire du comté. Berlaimont ne cessa de harceler la garnison de Marienbourg, interceptant ses approvisionnements et guettant ses fourrageurs. Il alla plus loin, et lança quelques garnisons et gens du pays de Namur sur le quartier de Mézières, et ils s'avancèrent fourrageant et brûlant jusque sous les murs de cette ville. Les maux causés à la Champagne grandirent au point que pour les arrêter il fallut réunir un petit corps d'armée français, qui vint assiéger le château de Fumay. Après quelque escarmouche, la garnison, voyant la fureur arrivée, se retira delà la rivière par les bois, et l'ennemi alla ensuite exercer ses représailles en brûlant Hierges avec quatre ou cinq villages des environs[492].

Dans le Luxembourg, les hostilités eurent un caractère plus grave. Le bruit s'étant répandu que le duc de Nemours projetait une attaque contre cette province, Emmanuel-Philibert y renvoya sur le champ Van Rossem, occupé en ce moment à recruter son régiment de quinze enseignes de Bas Allemands. L'arrivée du vieux maréchal réveilla l'énergie des troupes impériales. La garnison d'Arlon remporta un avantage signalé sur celle de Stenay[493]. Le 1er octobre, le seigneur de Blétanges, capitaine de Thionville, envoya quelques chevaucheurs enlever des bestiaux aux portes de Metz, pendant qu'il s'embusquait lui-même dans les environs avec un détachement d'arquebusiers et d'hommes d'armes de la bande d'ordonnances de Mansfeld. Des troupes sortirent aussitôt de la place, et, en poursuivant les chevaucheurs, elles tombèrent dans l'embuscade et y laissèrent beaucoup de morts et de prisonniers. Les Impériaux, atteints dans leur retraite par trois cents chevaux que soutenait un détachement d'arquebusiers, chargèrent lesdits ennemis qui furent rompus et brisés. Bientôt pourtant les Français resserrant leurs ailes débordèrent les nôtres, et assaillirent des deux costés les archers et couteliers, tellement qu'ils prirent la fuite abandonnant les hommes d'armes. Mais ceux-ci soutinrent bravement le choc, et leur retraite s'acheva en si bon ordre qu'ils ne perdirent que neuf gendarmes et douze à treize archers et serviteurs faits prisonniers. Leurs blessés étaient nombreux, mais ils n'avaient eu que deux archers tués, tandis que la perte des Français était beaucoup plus considérable : une centaine de chevaux ennemis gisaient tués ou blessés ; un chariot plein de leurs gens morts rentra à Metz ; on leur prit un capitaine, un porte-cornette, un porte-enseigne, quelques hommes d'armes et beaucoup de piétons[494].

Peu de jours auparavant, la garnison française d'Yvoy, avec quelques pièces de bois montées sur roues en façon d'artillerie[495], avait investi le château de Villemont, qui se rendit sans la moindre résistance ; ce dont Martin Van Rossem fut bien esmerveillé et soupçonna quelque intelligence entre les François et le capitaine du lieu. Mais le vieux capitaine ne se contenta pas de cela : il tira sur le champ quelques troupes de ses garnisons, y joignit la bande d'ordonnances d'Hoogstraeten, trois enseignes de Bas Allemands envoyées par Berlaimont et courut assiéger la place. Au commencement ceux qui estoient dedans firent semblant de se rendre, et quand l'on en vint à parlementer, usant de finesse, ils se mirent à tirer. En un instant, les Impériaux eurent en batterie quatre gros canons, pendant que de petites pièces de campagne tiraient aux défenses. Le feu dura vingt-quatre heures, et alors, combien que l'assiégé se défendit avec beaucoup de vaillance, ils firent l'attaque si furieusement et volontairement qu'ils l'emportèrent. Y furent tués tous ceux qui estoient dessus la brèche, réservé deux[496]. A cet assaut l'enseigne de la compagnie wallonne de Malandry fut toute deschirée, de sorte qu'il lui en fallût faire faire une neuve[497].

Après cette expédition, Van Rossem renvoya les Bas Allemands à Namur et ses piétons dans leurs garnisons ; joignant ensuite sa bande d'ordonnances à celle d'Hoogstraeten, il fondit à leur tête sur Paliseul. L'église de ce village, dépendance du duché de Bouillon, était fortifiée ; une trentaine de paysans et quelques soldats français la défendaient. Après une courte résistance, ils se rendirent à discrétion et le feu fut mis à l'église, que le capitaine de Mirwart vint achever de démolir[498]. Puis, pour contenir la garnison de Metz, Van Rossem éleva, entre cette place et Thionville, un fort appelé la mauvaise S. Les Français, qui tentèrent de l'inquiéter avec un bon nombre de cavallerie et de gens de pied et quelque peu d'artillerie, retournèrent avec peu d'avantage et perte de beaucoup de vaillans hommes[499].

La basse Flandre avait eu aussi sa part des évènements militaires. Le 16 septembre, les garnisons du Boulonnais formant un corps de douze à quatorze cents piétons, avec trois cornettes de cavalerie, firent irruption dans le pays de Langle formé de quatre paroisses entre l'Aa et le retranchement d'Hennewyns. Les Impériaux n'avaient de ce côté que la garnison de Gravelines, réduite à cent piétons, et de petits détachements cantonnés dans les villages voisins, trop disséminés d'ailleurs et trop faibles pour résister à l'ennemi. Aussi celui-ci ravagea-t-il sans obstacle les rives de l'Aa depuis Watten jusque près de Gravelines. A Mariakerke pourtant il fut arrêté par les paysans retranchés derrière un enclos servant de refuge à leur bétail ; le combat dura plus d'une heure et les agresseurs furent repoussés avec perte. Cet échec marqua le terme de leurs succès. Vendeville était accouru avec la bande d'ordonnances de Looz ; le seigneur d'Embry, lieutenant de la bande d'Arschot, se porta sur un autre point, si bien que les Français, menacés d'être coupés, battirent en retraite. Un renfort de cinq enseignes qui les rejoignit en ce moment fit croire à une attaque sur le retranchement d'Hennewyns, mais Vendeville avait appelé les habitants des villages voisins à la défense de cette importante position, et réuni sur les bords de l'Aa une partie des garnisons de Cassel, de Bourbourg et de Berghes. Sa bonne contenance suffit pour détourner les Français de toute nouvelle entreprise[500].

Sur mer les hostilités s'étaient restreintes aux courses des corsaires. Les aventuriers de par deçà, écrivait Corneille de Scheppere à Marie de Hongrie, font journellement plusieurs exploits contre les ennemis. Une schute de Flessingue portant quatorze hommes y a ramené deux vaisseaux français chargés de vins. Un autre jacht de Brouwershaven a aussi capturé deux navires ; celui du capitaine Adrien Croie a pris un bon navire de commerce et un de guerre. Ceux d'Ostende se sont emparés de deux ou trois bâtimens chargés de vin et de pastel ; chaque jour il s'en prend d'autres. Quelque temps après, des aventuriers de Flessingue capturèrent encore sept ou huit vaisseaux, et un corsaire de Nieuport se rendit maître d'un petit navire fort bon voilier[501]. Bientôt à leur tour les François, avec petits navires, vinrent courir les côtes de Hollande et de Zélande. L'occasion était favorable : tous les vaisseaux de guerre étaient dans les eaux de l'Angleterre pour prêter appui au gouvernement de la reine Marie, et il n'y avoit personne présent en Zélande, vers lequel les bonnes gens pussent avoir recours[502]. Aussi un grand effroi se manifesta dans cette province avec une grande perturbation commerciale : heureusement l'effet ne répondit pas aux menaces.

En somme la campagne de 1554 avait été fort dommageable aux Pays-Bas. Philippe de Senzeilles, chargé de relever les fortifications de Florennes, que la reine voulait faire occuper, lui manda que toute la contrée d'Entre-Sambre-et-Meuse était ruinée, et qu'il serait impossible d'y entretenir une garnison[503]. Le pays de Namur avait souffert tant de grandes pertes, foulles, dommaiges et pilleries, ayans les villaiges par les ennemis françois pour la pluspart esté bruslés et pillés entièrement ; il en était résulté une si grande ruine, désolation et extrême dépopulation, qu'il lui fut de longtemps impossible de payer sa part des aides[504]. Luxembourg, dépeuplé par la misère, par la guerre, par la peste, ne comptait plus dans la ville haute que cent cinquante bourgeois[505]. Dans l'Artois, naguère le grenier à blé des contrées voisines, toutes les terres étaient en friche, les bestiaux disparus, les villages déserts[506]. La disette et les épidémies, se prêtant un mutuel et funeste concours, semblaient liguées pour porter à son comble la désolation de nos provinces[507].

La France n'avait pas moins souffert que les Pays-Bas de ces guerres toujours renaissantes. La détresse n'y était pas moins grande, et le besoin d'un arrangement s'y faisait également sentir à toutes les classes de la nation. Henri II et ses ministres ne l'ignoraient pas. Aussi, dès que l'hiver fut venu suspendre les hostilités, le connétable de Montmorency fit agir auprès de la reine d'Angleterre, pour qu'elle se portât médiatrice entre son maître et l'empereur. Dans le même temps, le comte de Vaudemont faisait des ouvertures de paix à Bruxelles au nom du cardinal de Lorraine. La reine d'Angleterre, avant de se décider, voulut connaître les dispositions de l'empereur. Charles-Quint n'avait cessé de désirer la paix, mais le caractère français lui inspirait une défiance extrême. Je crois, disait-il à l'archevêque de Conza, nonce à sa cour, que, quand même je leur donnerais le tiers de mon bien, les Français ne laisseraient pas de m'inquiéter et de me créer des ennuis[508]. Toutefois il se déclara prêt à négocier et à envoyer des ambassadeurs en un lieu neutre que la reine désignerait, dès que le roi de France en aurait fait autant de son côté. Marie choisit, pour le siège des conférences, Marcq, localité de la terre d'Oye, à peu près à égale distance de Gravelines, d'Ardres et de Calais. Henri II s'y fit représenter par le connétable, le cardinal de Lorraine, Charles Marillac, évêque de Vannes, Jean de Morvillier, évêque d'Orléans, et le secrétaire d'état de l'Aubespine ; Charles-Quint y députa le duc de Medina-Celi, le comte de Lalaing, le sire de Bugnicourt, l'évêque d'Arras, le président Viglius, Lambert de Briarde, président du grand conseil de Malines, et le secrétaire d'état Bave ; le cardinal Pole, le chancelier Gardiner, le comte d'Arundel, lord Paget étaient présents comme médiateurs. Les Conférences s'ouvrirent le 23 mai ; elles furent au nombre de sept ; la dernière se tint le 8 juin. On se sépara sans rien conclure.

Le 9 mai, l'empereur avait reçu la nouvelle de la mort de la reine Jeanne, sa mère, connue dans l'histoire sous le nom de Jeanne la Folle. Cette mort, dit M. Mignet, ajouta une profonde tristesse à ses autres accablements. L'infortunée reine, après un veuvage de quarante-neuf ans et la longue perte de sa raison causée par l'affection et la douleur, venait de terminer ses jours, le 13 avril 1555, au château de Tordesillas. Charles-Quint, qui lui avait toujours donné les marques de la plus grande tendresse et du plus touchant respect, qui ne sortait jamais de l'Espagne sans aller lui dire adieu, et qui n'y rentrait jamais sans accourir auprès d'elle, prit alors le deuil pour ne plus le quitter[509].

Ces pourparlers de paix n'avaient pas empêché Charles-Quint et Henri II de se préparer à une nouvelle campagne. Les hostilités s'ouvrirent dans les Pays-Bas au mois de mars, mais ne furent marquées par aucun fait d'une importance capitale. L'état d'épuisement où étaient les parties belligérantes ne leur permettait pas de mettre sur pied des armées capables d'exécuter de grandes choses. L'empereur, persuadé que le roi de France chercherait, comme l'année précédente, à se rendre maitre du cours de la Meuse, résolut d'y mettre obstacle en faisant construire un fort sur le fleuve. Un monticule de la terre d'Agimont, qui dominait la rive gauche, parut propre à la réalisation de ce projet. La nouvelle forteresse fut appelée Charlemont, du nom de l'empereur. De leur côté, les Français s'attachèrent à ravitailler Marienbourg, et ils y réussirent ; mais, le 15 juillet à Gimnée, et le 16 à Givet, le duc de Nevers et le maréchal de Saint-André furent battus par le prince d'Orange, Guillaume de Nassau, qui commandait les troupes impériales. Dans l'Artois, un corps d'infanterie et de cavalerie française, détaché pour piller les environs de Lillers et le bourg de Saint-Venant, fut mis en déroute complète par le gouverneur de Bapaume ; le chef de l'expédition française resta prisonnier avec plus de cinq cents nobles de l'arrière-ban Sur mer, le 15 août, la marine belge soutint un combat qui jeta de l'éclat sur nos vaisseaux. Vingt-deux hourques flamandes, venant d'Espagne chargées d'une riche cargaison, furent attaquées par dix-neuf navires de guerre et six brigantins sortis du port de Dieppe. Les hourques flamandes, inférieures par l'artillerie et le chiffre des équipages, et ne pouvant lutter de vitesse avec la flotte française, furent enveloppées et accrochées par les assaillants. Après une énergique défense, ne pouvant se maintenir plus longtemps, les Flamands mirent le feu à leurs poudres, pour se faire sauter avec l'ennemi. Ce fut une effroyable conflagration. Dans la confusion qui en résulta, cinq hourdes parvinrent à s'échapper et à gagner le port de Douvres. Cinq autres furent conduites à Dieppe ; le reste avait péri. Les Français eurent six vaisseaux brûlés et un septième coulé bas ; ils perdirent leur amiral, plusieurs capitaines et un nombre considérable de matelots et de soldats. Commencé à huit heures du matin, ce combat naval avait duré jusqu'à quatre heures de relevée[510]. De guerre lasse, on se décida à une trêve, qui fut conclue, pour cinq ans, à Vaucelles[511], le 5 février 1566.

Les derniers subsides accordés à l'empereur par les états des Pays-Bas étaient épuisés. On ne pourvoyait qu'avec une peine extrême à l'entretien des troupes. Déjà dans la dernière campagne, on n'avait pu les employer contre l'ennemi dans toutes les circonstances où la chose était désirable, ni les licencier au moment opportun. Des mutineries s'étaient produites, et elles pouvaient se renouveler dans l'avenir. Les gouverneurs des provinces avaient été mandés à Bruxelles, et n'avaient pu indiquer d'autre remède aux embarras financiers du gouvernement impérial qu'un nouvel appel au patriotisme de la nation[512]. Il fallut donc appeler dans la capitale les représentants des diverses provinces, et, le 11 et le 13 septembre, ils eurent des entretiens séparés sur ce sujet délicat avec la reine régente[513]. L'empereur n'eut aucune part à ces réunions. Il était à la veine de prendre une résolution qui fit l'étonnement du monde et qui est restée un des plus grands spectacles de l'histoire. Cette résolution c'était le renoncement à toutes ses couronnes et sa retraite dans un cloître au fond de l'Estrémadure.

 

 

 



[1] Ordre du 11 mars 1549. Compte de N. le Gouverneur, f° 22. Citation de M. Henne.

[2] M. Henne, VIII, 366-367.

[3] M. Henne, VIII, 367-368. — Ce récit contraste singulièrement avec celui de l'ambassadeur français qui semble dicté par un sentiment de jalousie peu bienveillant. — Marillac écrivait, le 4 avril, au connétable de Montmorency : Pour tout appareil, il trouva, devant chascune maison des rues où il passa, une torche ardente fichée sur ung posteau, avec quelques ceintures et chappeaux de lierre et autre verdure qui s'entresuivoit de torche en torche. Davantage y avait quatre ou cinq tabernacles aux lieux principaulx de la ville, faicts en forme d'arseaulx, sur lesquelz se veyoient quelques peintures et devises, comme d'ung aigle qui fouldroyoit le monde, d'une Victoire qui tenoit une croix en une main et ung calice en l'aultre, en signification de ce qui a esté restitué en la religion, et quelques aultres semblables figures, sans qu'on y veist aultre tapisserie par les rues, ny à costé ni par dessus. Ms. cité, p. 202.

[4] Journal de Vandenesse.

[5] Le contentement m'a esté aussi bien grand, écrivait le 22 octobre 1550 Marie de Hongrie à l'évêque d'Arras, d'entendre que monseigneur nostre prince continue de se faire plus communicatif et qu'il mect peine d'apprendre les langaiges, espérant qu'il y continuera comme chose plus que requise, et n'y aura que bien souvent lui rementevoir. Reg. Collection de documents historiques, VIII, f° 36. Citation de M. Henne.

[6] M. Gachard, Monuments de la diplomatie vénitienne, 110.

[7] Mort à Bruxelles le 24 décembre 1548, et non le 23 septembre, comme dit M. Henne, t. VIII, p. 357. Marillac, dans des dépêches du 28 décembre au roi et au connétable, donne d'intéressants détails sur ses derniers moments.

[8] M. Kervyn de Lettenhove, Histoire de Flandre, tome VI, p.131-132.

[9] Représentation, en termes de jurisprudence, se dit de ceux qui recueillent une succession, comme prenant la place et exerçant les droits de parents morts qu'ils représentent. — Pragmatique-sanction, ordonnance sur les affaires, nom donné aux plus anciennes ordonnances des rois de France, du XIIIe au XVe siècle, et aux ordonnances des empereurs d'Allemagne relatives aux affaires de succession.

[10] Analectes historiques, t. I, p. 261. — Rootboeck (archives des états de Brabant), fol. 174. Citation de M. Gachard.

[11] Rootboeck, fol. 174.

[12] Analectes historiques, t. I, pp. 265 et 267, et Bulletins de la commission d'histoire, t. VII, où ces avis ont été publiés par M. Gachard.

[13] La Joyeuse entrée du jeune prince contenait des innovations importantes... Les constitutions précédentes avaient consacré la prérogative du conseil de Brabant d'administrer, en l'absence du souverain, les duchés de Brabant et de Limbourg et le marquisat du Saint-Empire, mais cette prérogative avait été annihilée de fait par l'établissement des conseils collatéraux, et Charles-Quint vit, dans l'inauguration de son fils, l'occasion de rendre légales ces institutions contraires aux privilèges. En conséquence, dans la Joyeuse entrée de Philippe, il ne fut plus question des fonctions politiques attribuées au conseil de Brabant. Elle statua que le souverain, durant son séjour dans le pays, ne traiterait, par avis de cette cour supérieure, que les affaires concernant la justice et ce qui en dépend, soit de provisions ordinaires, ou statuts, placards, édits, ordonnances, commandemens ou autrement (Placards de Brabant, I, 195). Cet acte omit aussi la clause exigeant que les justiciers, officiers et receveurs fussent natifs dudit Brabant, comme y étoient astreints ceulx des vassaulx et seigneurs particuliers. Mais les états la maintinrent dans leur acte de consentement, et la reine promit qu'il serait fait droit à leurs réclamations. Il fallut attendre longtemps l'exécution de sa promesse, car ce fut un décret du 8 mars 1554 qui rétablit cette disposition. Acten van de dry staeten. M. Henne, VIII, 377-378.

[14] Acten van de dry staeten.

[15] Reg. n° 122, f° 13. Citation de M. Henne.

[16] M. Kervyn, VI, 138.

[17] Exposition des trois états du pays et comté de Flandres, 152-154.

[18] En 1551, Philippe fit le relief de la seigneurie de Flandre, qui relevait de l'empire. Exposition des trois états du pays et comté de Flandres, 180.

[19] Chotin, Histoire de Tournay, II, 130-144.

[20] M. Kervyn, VI, 139-140.

[21] M. Gachard, Notice sur les archives des ci-devant états du Hainaut. — Relation des cérémonies qui eurent lieu à Mons, lors de la joyeuse entrée du prince Philippe d'Espagne dans cette ville en 1549, extraite du registre de la cour à Mons, par M. Arsène Loin, Bulletins de la commission royale d'histoire, 2e série, III, 45-51.

[22] Graphœus, Spectacula in susceptione Philippi hispani principis. — Christoval Galvete de Estrella, El felicissimo viaje. — Triumphe van Antwerpen, 1549.

[23] L'ambassadeur Marillac tenait, dit M. Gachard, à ce que sa cour eût une médiocre opinion de la manière dont le prince Philippe était reçu dans les Pays-Bas : il mande au connétable, de Bruges, le 25 juillet 1549 : Je ne vous escriray rien par le menu de ce qui se fait en ces entrées du prince, d'autant qu'à la vérité il n'y a chose digne d'estre sceue. Il n'est question que de torches qui sont fichées par les rues sur des poteaux, ainsi que fut fait à Bruxelles. A Gand, il y eust davantaige des jeunes filles, jusques à huit cent ou mille, qui tenoient lesdictes torches. En ceste sorte se font lesdictes entrées, sans autre triomphe ou cérémonie. — Il lui écrit d'Anvers, le 16 septembre : Le prince d'Espagne fit son entrée à Anvers mercredi 11 septembre, où la grande pluie qu'il tomba troubla tout l'appareil que les nations et habitans de la ville avoient fait : de sorte qu'il n'y eut chose qui mérite d'estre rapportée, si ce n'est les théâtres et arceaux que les nations avoient construits, qui estoient excellens et de grands frais. Manuscrit 8626 de la Bibliothèque nationale de Paris, pp. 100 et 145.

[24] Lettres de Marillac au roi de France, du 29 septembre et 6 octobre 1549. Ms. cité, pp. 151 et 158.

[25] Archives du royaume, registre des propositions faites aux états généraux de 1535 à 1563, fol. 274. Citation de M. Gachard.

[26] Placards de Brabant, t. IV, p. 429.

[27] Placards de Brabant, t. IV, p. 431.

[28] M. Henne, VIII, 390.

[29] Voici un résumé impartial de la vie de ce pontife, emprunté à un recueil non suspect. Paul III (Alexandre Farnèse), Romain, né en 1466, pape de 1531 à 1519, chercha à arrêter les invasions des Turcs et les progrès de l'hérésie. Il effectua contre les uns une alliance avec Charles-Quint et Venise, et, dans l'espoir d'y joindre François Ier, fit signer la trêve de Nice entre lui et l'empereur (1538). Il opposa à l'autre l'institut des Jésuites (1510), et le concile de Trente (1545). Bientôt cependant, craignant que Charles-Quint, délivré de toute opposition en Allemagne, ne devint encore plus complètement le maître de l'Italie, et qu'il n'imposât ses volontés au concile, il transféra cette assemblée à Bologne, et rappela les troupes pontificales (1547). Paul III avait été marié avant d'entrer dans les ordres, et des malheurs de famille affligèrent ses dernières années : l'assassinat de son fils Pierre, qu'il avait fait duc de Parme et de Plaisance en 1545, et la révolte d'Octave son petit-fils, dépossédé de la seconde de ces villes par Charles-Quint, et de l'autre par Paul lui-même, qui la rattachait au saint siège pour la protéger contre l'empereur. Dictionnaire de Biographie et d'Histoire, par Ch. Dezobry et Th. Bachelet. — Octave Farnèse était gendre de l'empereur ; il avait épousé sa fille naturelle, si connue dans notre histoire sous le nom de Marguerite de Parme.

[30] L'empereur penchait pour le cardinal Polus. Ses sentiments à cet égard sont exprimés dans une lettre du 15 février 1550, à son ambassadeur en France, Simon Renard. Manuscrits de Wynants. Citation de M. Gachard.

[31] Journal de Vandenesse.

[32] Lettre de Charles à Ferdinand, du 16 mars 1550, dans Lanz, t. III, p. 1.

[33] Archives du royaume, reg. n° 57 de la chambre des comptes, f° 55 v°. Citation de M. Gachard.

[34] Placards de Brabant, t. I, p. 41.

[35] Archives du royaume, reg. ordonnances et placards, 1545-1550, f° 180. Citation de M. Gachard. — On ne risquerait guère de se tromper en disant, ajoute M. Gachard, que ces dispositions ne furent pas mieux gardées que les précédentes. Nous en avons un témoignage dans la relation faite au sénat de Venise, en 1557, par Frederico Badoero, qui avait résidé plusieurs années aux Pays-Bas comme ambassadeur de la république auprès de Charles-Quint et de Philippe II : Les Belges, dit ce diplomate, s'habillent beaucoup plus richement qu'aucun autre peuple de delà les monts. Relations des ambassadeurs vénitiens sur Charles-Quint et Philippe II, p. 81.

[36] Reg. ordonnances et placards, f° 174. — Les dispositions contenues dans cette ordonnance avaient fait déjà la matière (fun édit du 17 juillet 1549 ; mais celui-ci n'avait été publié qu'en Brabant, eu Flandre et en Zélande ; l'ordonnance de 1550 le fut dans toutes les autres provinces, — Dès le 2 juin 1547, la reine Marie informait l'empereur qu'il arrivait journellement à Anvers un grand nombre de nouveaux chrétiens venant de Portugal, lesquels petit à petit se retiraient en divers quartiers. — Le 17 juillet suivant, elle lui écrivait : Quant aux nouveaux chrestiens qui viennent journellement de Portugal en Anvers, ils passent continuellement dudit Anvers en France, et de là, comme l'on dit, vers Ferrare, sans que l'on sçait rien alléguer contre eux, en tant qu'ils se disent bons chrestiens et sçaivent généralement respondre de la foy chrestienne, combien que la présomption soit grande qu'ils ne se retirent dudit Portugal en si grant nombre sans estre grandement suspects... Ceux d'Anvers se sont dolus du grant nombre qui y arrive, et quant je leur ay demandé advis pour y pourveoir, ils dtsiroient qu'on leur eust accordé certain lieu vague où ils ont ragrandy la ville, pour illec édifier et pour y demeurer, en portant une marque, comme font les juifs en Allemagne : ce que je ne trouvay raisonnable, car, s'ils sont juifs, Vostre Majesté ne les voudroit tollerer en vos pays, mesmes les avoit fait retirer de Gheldre, et s'ils estoient chrestiens, on leur feroit tort faire porter marque. Monseigneur, il y a grande présomption contre ceux qui sont vrais juifs, que petit à petit se retirent vers la Salonnicque, ores que on ne les sçait convaincre ; et pour y parvenir, ne vois aultre remède que entièrement leur deffendre la hantise de vos pays. Mais, en ce faisant, est à craindra que la négociation de vos pays diminuera, en tant que aulcuns d'eux font grant train de marchandise. V. M me pourra commander son bon plaisir. Archives impériales à Vienne. Note de M. Gachard.

[37] Journal de Vandenesse.

[38] La corpulence de ce prince ne lui permettait guère de voyager autrement. Il avait l'air si riant, dit une relation italienne, qu'on l'eût pris pour un triomphateur plutôt que pour un prisonnier ; tous les habitants le saluaient avec respect. Lettre écrite, les 10 et 11 juillet 1550, au doge de Venise par les ambassadeurs Domenico Morosino et Frederico Badoero : Bibliothèque impériale à Vienne, manuscrit Brera, I, 132, fol. 6 v°. Citation de M. Gachard.

[39] Le roy a très bien prins la responce du prince, et voluntairement s'est accordé de différer la chose : dont l'empereur a eu bien grant contentement. Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 7 mai 1548, aux Archives du royaume. Citation de M. Gachard.

[40] Granvelle écrivait, le 22 juillet, à la reine Marie : Nos deux maistres, et le père et le fils, sont fort ardens en ceste négociation, et la mènent toutesfois doulcement pour ce commencement ; mais Sa Majesté Impériale m'a dit que, si le roy n'y marche de bon pied pour seconder son désir, qu'il parlera à luy de sorte qu'il luy fera clèrement et naïfvement entendre la faulte qu'il feroit en cecy. Archives impériales à Vienne. Citation de M. Gachard.

[41] Il écrivait à la reine le 19 juillet : Je espère que l'on passera sans traitier : que, à mon advis, seroit le meilleur pour beaucoup de respects (rapports) ; et, entre les aultres, n'est le moindre, que tiens que sera impossible de obtenir ; et à le proposer, pourroit, en beaucoup de lieux et de beaucoup de sortes, engendrer aigreurs et defildances, que de ma part ne verrois volontiers ; et tiens que, si l'on te propose, que troverés que vous ay escript vérité, et qu'il eust esté mieux que on ne le eust jamais proposé. — Dans une autre lettre, datée du 13 août, il lui répétait qu'il n'y avait apparence que le projet conçu à Bruxelles pût se réaliser : Et en le praticant, s'ensuiveroit la haine de nos personnes et maisons, et à la fin ne obtiendrions riens. Archives impériales à Vienne. Citation de M. Gachard.

[42] Constance, Strasbourg, Brème et Magdebourg ; Strasbourg toutefois était entré en composition avec son évêque.

[43] Dépêche des ambassadeurs Morosini et Badoero, du 21 août 1550. Reg. cité, fol. 23 v°. Citation de M. Gachard.

[44] Il répondit au nonce Pighino, qui lui en parlait, que cela n'importait pas, et qu'il espérait que l'électeur reviendrait là-dessus. Dépêche des mêmes, du 16 septembre. Reg. cité, fol. 23 v°. Citation de M. Gachard.

[45] Dans la Notice préliminaire des Papiers d'état de Granvelle, la mort de Nicolas Perrenot est indiquée au 28 août, et on ne lui attribue que l'âge de soixante-quatre ans. M. Gachard montre parfaitement, à l'aide des textes, que ces deux assertions sont inexactes.

[46] Relation d'Alvise Mocenigo.

[47] Relation d'Alvise Mocenigo.

[48] Nous aimons, dit M. Gachard, à en citer un exemple. Il écrivait d'Ulm, le 6 février 1547, à la reine Marie : Les choses de ce couste sont en assez bons termes à cause de l'accord de Wirtemberg et réduction de ces villes, pourveu qu'on les traite doulcement : en quoy j'ai faict tout ce que j'ay peu et dit tout ce qu'il m'a semblé convenir, et mesmes que les fault attirer à l'amitié de Sa Majesté et qu'elles prègnent confidence d'elle avec crainte révérenciale, et non point contraincte, et signamment pour ce qui concerne l'affaire de la religion. Archives impériales à Vienne.

[49] Relation de Mocenigo.

[50] Relazione di Marino Cavalli, dans les Relazioni degli ambasciatori veneti, ser. I, t. II, p. 210.

[51] C'est ce que rapporte Mocenigo. Cavalli, qui lui succéda comme ambassadeur de Venise à la cour impériale, dit la même chose : seulement, d'après lui, c'était dans la soirée que Granvelle envoyait le papier où était consigné son avis sur ce que l'empereur avait à faire le lendemain. (Relazione, p. 210.) — On conserve aux Archives du royaume, ajoute M. Gachard, un certain nombre de ces papiers.

[52] Relation de Mocenigo.

[53] Il laissa dix enfants vivants, et non onze, comme on le dit dans la Notice préliminaire. Lettre de l'Évêque d'Arras à la reine Marie, du 30 août.

[54] Dépêche de Morosini et Badoero du 30 septembre. Reg. cité, fol. 27 v°. M. Gachard.

[55] Lettre de la reine à l'empereur, du 16 août 1550. Archives impériales à Vienne. Citation de M. Gachard.

[56] Dans cette ordonnance, le terme d'inquisiteurs était supprimé partout et remplacé par celui de juges ecclésiastiques ; l'article qui défendait de loger ou recevoir en sa maison des personnes suspectes d'hérésie était maintenu, mais avec la restriction suivante : Sans toutesfois pour ce deffendre aux hostelliers ou aultres de logier ceuix qui viennent en nos pays d'embas pour négocier, marchander ou faire leurs besoingnes ou affaires, moyennant que tels estrangiers ne contreviennent à nostre présente ordonnance, et se conduisent sans schandale. A la disposition qui exigeait un certificat du curé il était ajouté : Quant aux marchans estrangiers et autres qui vouldroient venir en nosdits Pays-Bas, nous n'entendons les assugectir d'apporter et exhiber ladicte certiffication, moyennant qu'ils y vivent selon nosdictes ordonnances et se conduisent sans schandale, comme dessus. Archives du royaume, Reg. aux ordonnances de 1545 à 1550, fol, 215. Note de M. Gachard.

[57] Dépêche de Badoero et Morosini, du 22 juillet 1550. Reg. cité, fol. 11.

[58] Dépêche de Badoero et Morosini, du 30 septembre (fol. 42.) — Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 13 octobre. Arch. du royaume. — Lettre de Marillac à Henri II, du 21 octobre. Ms. cité, fol. 117, v°. — Dans sa lettre du 13 octobre, Granvelle écrit à la reine que, pour habituer le prince à parler le français, l'empereur, en sa présence, a ordonné aux Belges et aux Bourguignons attachés à 'la cour d'user toujours avec lui de cette langue. Note de M. Gachard.

[59] Le Journal de Vandenesse donne une traduction française des différents écrits de la diète et des réponses de l'empereur sur cette question. Note de M. Gachard.

[60] La Bohême, simple duché jusqu'en 1086, fut érigée en royaume sous Wratislas II, par un décret de l'empereur d'Allemagne Henri IV. La maison de Luxembourg lui donna quatre rois, de 1309 à 1437. La Bohème fut ensuite dévolue par mariage à Albert d'Autriche (1437-1439) dont le fils Ladislas Ier mourut en 1457. Ladislas II et Louis, de la race des Jagellons de Pologne, occupèrent le trône jusqu'en 1526. A cette date, Ferdinand, frère de Charles-Quint, fut élu roi, et, avec lui, la couronne d'élective devint héréditaire dans la maison d'Autriche. Au moment où nous sommes, Maximilien, fils aîné de Ferdinand, avait été appelé par lui à la royauté.

[61] Il le fut, en effet, sous le nom de Maximilien II. Il affecta une grande tolérance, et parut enclin au protestantisme. Maximilien avait épousé, en 1548, la princesse Anne, fille aînée de Charles-Quint, et avait été chargé par celui-ci du gouvernement de l'Espagne, qu'il conserva pendant deux ans.

[62] L'évêque d'Arras écrivait à la reine Marie le 16 décembre : Monseigneur nostre prince faict ce qu'il peult pour s'accoincter fort familièrement du roy de Bohème, tant aux champs, à la chasse, que à la ville. Mais, soit oires qu'il se trouve court de propos, ou qu'il aye aultre respect, il le fuyt tout ce qu'il peut, et mon dict seigneur s'en est plaint, et le seut Sa Majesté, encore qu'elle ne le démonstre, estant très bien advertye des diligences qu'en ce faict monseigneur nostre prince et de ce que ledict roy s'en dislongne. Archives impériales à Vienne. Citation de M. Gachard.

[63] Lettre du 16 décembre.

[64] Elle disait qu'elle ne voulait plus se mêler de rien, puisque, mal conseillé, il accordait moins de créance à elle, qui était sa sœur, et n'avait d'autre but que l'affermissement de leur maison, qu'à des ministres ignorants et intéressés, lesquels, pour le faire luthérien, ainsi qu'ils l'étaient eux-mêmes, ne se souciaient ni de sa ruine, ni de celle de ses royaumes. Lettre écrite à Côme de Médicis, le 19 janvier 1551, par l'évêque de Forli, aux Archives de Florence. Citation de M. Gachard.

[65] Les ambassadeurs de Venise écrivaient au doge, le 1er février : Tout se fait si secrètement que nul n'en peut savoir la moindre chose. Il n'y a que Leurs Majestés et la sérénissime reine qui interviennent dans les pourparlers, et elles ne s'en entretiennent avec personne, sauf monsieur le révérendissime d'Arras. Deux fois ces trois Majestés ont été seules ensemble, et chaque fois plus de quatre heures. Registre cité, fol. 403 v°. Citation du même.

[66] L'ambassadeur Marillac ne manque pas de se réjouir du désappointement de l'empereur ; il écrit au connétable le 3 mars : La moquerie fut grande d'avoir déjà préparé en public le lieu où se devoit faire l'investiture, pour estre contraint ensuite d'y renoncer. Ms. cité, fol. 245. Citation de M. Gachard.

[67] Vandenesse.

[68] Les lettres d'investiture de l'empereur du 7 mars furent approuvées et confirmées, le 4 avril, par Ferdinand, tanquam Romanorum rex. Note de M. Gachard.

[69] Dépêche de Morosini et Badoero, du 15 février 1551. Reg. cité, fol.113 v°. Citation de M. Gachard.

[70] Dans une lettre écrite à l'empereur le 17 août 1553 (Lanz, t. III, p. 5-4)), Ferdinand explique ainsi sa conduite : Certes Dieu sçait, et V. M. peult estre mémorative que je ne le feis pour autre intencion sinon, comme à ceste heure-là je le dis et donnay en partie par escript à V. M., que je véoye que les inconvéniens qui se sont ensuyvis s'ensnyvroient, comme V. M. l'a veu et apperceu. Mais à la fin, voyant vostre intencion et volenté, comme obéissant frère et serviteur, vous oiléis et le feis comme astheure là fut capitulé et juré.

[71] Cette convention est en français dans Maurenbrecher, Kart V und die deutschen Protestanten, p. 136, et en espagnol dans Döllinger, Dokumente zur Geschichte Karl's V, t. I, p. 169.

[72] En français dans Lanz, Staatspapiere, p. 483, et en espagnol dans t. I, p. 173.

[73] En français dans Maurenbrecher, p. 140.

[74] En français dans Maurenbrecher, p. 112, et en espagnol dans t. I, p. 175.

[75] Cet acte est dans Lanz, Staatspapiere, p. 482.

[76] Une première rédaction de cet écrit, laquelle fut beaucoup modifiée, porte en tête : Le sommaire de ce qu'il semble que le roy de Bohesme poroist dire et promestre à Sa Majesté et au prince, écrit, de la main de la royne d'Hongrie, à l'évesque d'Arras. On lit en marge : N. B. Il fault que ledict roy de Bohesme réponde de cecy comme de son fond et selon ce le dresse. Arch. du royaume : Collection de documents historiques, t. VIII, fol. 137. Note de M. Gachard.

[77] Journal de Vandenesse.

[78] Lettres de Marillac à Henri II, des 28 août, 30 septembre, 28 octobre, 4 et 11 novembre 1550 et 27 janvier 1551. Ms. cité. — Le 24 février, (ibid., fol. 251), le même ambassadeur disait : L'empereur, depuis le moys de juillet qu'il est arrivé en Auguste, a eu si peu de santé qu'il ne s'est guères monstre hors de son logis, et depuis la Toussaint n'a guères bougé de sa chambre, s'estant seulement laissé voir en une salle joignant à icelle les festes de Saint-André, de Noël et des Roys, et aussy quand il bailla le recez de la diette.

[79] Lettre de Marillac du 11 novembre.

[80] Dépêche de Morosini et Badoer, du 30 décembre 1550. Reg. cité, fol. 88 v°. Citation de M. Gachard.

[81] Dans une lettre du 17 novembre 1550, Granvelle, après avoir annoncé à la reine Marie qu'en ce moment-là l'empereur se portait très bien, ajoute : Mais je suis en peine de veoir que souvent il excède, tenant moins de soin de la conservation de sa santé qu'il ne conviendroit. Archives impériales à Vienne. Citation de M. Gachard.

[82] Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 21 avril 1553. Archives impériales à Vienne. — Lettre du même à la même, du 18 mai. Archives du royaume. Citation de M. Gachard.

[83] Mgr de Ram, Sur la part prise par le. clergé belge au concile de Trente, dans les Mémoires de l'Académie, t. XIV.

[84] Ouvrage cité, t. IX, p. 124.

[85] La duchesse de Valentinois.

[86] Guizot, ouvrage cité, t. III, 217.

[87] Lettre de Granvelle à Simon Renard, ambassadeur en France, du 14 septembre 1551, dans les Papiers d'état de Granvelle, t. III, p. 452, où la lettre porte par erreur la date de 1550.

[88] Lettres de la reine Marie à Charles-Quint des 10 et 16 juillet, 21 et 27 août. Archives impériales à Vienne. — Dans sa lettre du 10 juillet, la reine disait : Il me semble que ce roy de France délaisse à suyvre son père au bien qu'il avoit, mais prend le chemin qu'il faisoit du mal qui estoit en luy, qui excédoit le bien. Citation de M. Gachard.

[89] Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 10 septembre 1551. Archives du royaume. Citation de M. Gachard.

[90] Lettre de Marie à Charles, du 1er septembre. Archives impériales à Vienne.

[91] Lettre de Granvelle à Simon Renard, du 14 septembre.

[92] Papiers d'état de Granvelle, t. III, p. 588.

[93] Lettre du 24 septembre. (Archives impériales à Vienne.) Citation de M. Gachard.

[94] Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 4 septembre 1551. Archives du royaume. — Dans une autre lettre à la reine, en date du 10, Granvelle dit : Ce fut du consentement du magistrat, voyre et à la sollicitation des principaulx d'icelluy et avec leur assurance. Ibid. Citation de M. Gachard.

[95] On peut voir dans Lanz, Staatspapiere, p. 477, l'instruction secrète pour le conseiller Geinger. qui devait aller vers les électeurs de Saxe et de Brandebourg ; cet envoyé, étant tombé malade, fut remplacé par le comte de Schlick.

[96] Dans sa lettre du 10 décembre, la reine disait à l'empereur : Il est assez à voir qu'ils se sont résolus par ensemble à parler d'une bouche. — Déjà elle lui avait écrit le 26 octobre qu'il pouvoit estre assuré qu'ils s'estoient avertis l'un l'autre de ce qui s'estoit passé. Citation de M. Gachard.

[97] L'empereur ne se le dissimula pas. Comme le prince Philippe insistait pour que les négociations fussent continuées, il écrivit à la reine le 22 février 1552 : L'estat présent de la Germanie démonstre évidemment combien nous sommes loing d'y pouvoir pour le présent prétendre, voyre et me doubte que l'avoir myes en avant aura aydé les malveillans en la direction de leurs malheureuses practiques. — Dans une lettre du 6 mars, Granvelle est plus explicite encore : Nous sommes, dit-il à la reine, bien loin de prétendre à l'élection, laquelle et ce qu'en dirent les gens de monseigneur nostre prince à Augsbourg, venant d'Espaigne, et depuis à la diette, et ce que l'on a voulu embracer en Italie, et autres choses touchées en l'instruction de monsieur de Rye, sont cause de tous ces troubles. Archives impériales à Vienne. Citation du même.

[98] Biographie nationale, III, col. 823-824.

[99] Il adressa, le 4 octobre, à la reine, pour justifier sa résolution, une lettre de seize pages, écrite de la main de Granvelle, qu'il terminait ainsi : J'auray à Insprück les troys électeurs ecclésiastiques prochains, pour conférer avec eulx ce que sera de besoing, et ne suis si loing de ceulx de Saxe et Brandembourg qu'à Speir ; et si suis près du roy (des Romains) pour, s'il estoit besoing, faire quelque assemblée ; et passant par ledit Insprück le roy de Bohême, mon fils (son gendre), je le pourrai veoir et de plus en plus procurer de luy oster toute umbre et Baigner confidence, qu'importe ce que vous sçavez, et parler à ma fille plus franchement, pour en ce nous servir de son moyen, et luy faire plainernent entendre combien il luy convient. Touchant le concile, je pourray là, estre à ce respect plus à propos et pour l'entretenir... et y viendront plus voulentiers les protestans, qui s'assheurent plus de la sheurté que je leur ay donné que du concile mesme. D'adventaige je seray aussi là en la Germanie et avec plus grande sheurté, sans frais, près des Suisses et Grisons, pour les tenir en soing ; et si donne faveur au restablissement de la religion du pays de Swabe, en laquelle on gagne tous les jours avec la chaleur de ma présence. La reine lui avait représenté qu'Insprück ne convenait pas à sa santé autant que Worms et Spire ; que les neiges y duraient tout l'été. A cela il répond : Quant à ma santé, l'aer dudict Insprück, comme vous sçavez, est de soy sain ; vray est que le froyd et les bruymes me sont contraires pour ma poictrine. Mais puisque nostre frère m'accorde tout le lougis, j'auray moyen de choisir le meilleur quartier : et il y a tousjours bon moyen avec ce pour remédier contre la froydure, puisque aussi, en temps d'yver, j'ay peu de moyen de sortir, où que je soye. Archives du royaume. Il avait dit à la reine dans sa lettre du 18 septembre : Où que je soye, puis qu'il est apparent que mes indispositions ne me fauldront, aultant me vaut crier en ung lieu comme en ung aultre. Citation de M. Gachard.

[100] L'empereur s'était accordé avec le nouveau duc de Wurtemberg, Christophe, et s'était engagé à lui remettre les forteresses qui, depuis le traité d'Heilbronn, étaient occupées par des troupes espagnoles.

[101] M. Henne donne un récit détaillé de cette tentative et des suites qui en résultèrent, dans son tome IX, pp. 127-136.

[102] Continuellement il escript à S. M. fort courtoisement, mandait Granvelle à la reine Marie le 14 juin 1551. Archives impériales à Vienne. Citation de M. Gachard.

[103] Lettres de la reine Marie à Granvelle, des 15 mai et 4 juin 1551. Archives impériales à Vienne. Citation de M. Gachard.

[104] Lettre du 14 août. Manuscrits de Wynants.

[105] Lettres de Granvelle à la reine Marie, des 4, 10 et 14 septembre 1551. Archives du royaume.

[106] Dumont, Corps diplomatique, t. IV, partie III, p. 31.

[107] Cette demande ne causa à l'empereur que de la surprise. Une chose ai-je senti, que Carlowitz, conseillier du duc Maurice, aye escript à l'évesque d'Arras qu'il seroit besoing envoyer à son maistre saulfconduyt, afin qu'il veuille venir. Sur quoy je fais pourveoir et répondre comme il convient, ne sçachant qu'il aye contre moy commis chose pour quoy il aye besoing de saulf-conduit. Lettre de Charles, du 18 novembre.

M. Gachard fait sur cela les réflexions suivantes. A considérer les actions de Charles-Quint à cette époque de sa vie, il semblerait que le déclin des forces physiques eût produit en lui l'affaiblissement des facultés morales. Non seulement il se laissait abuser par Maurice de Saxe, mais encore lui, qui naguère était si actif, si résolu, qui s'occupait avec tant d'ardeur des affaires publiques, il hésitait lorsqu'il aurait fallu prendre un parti ; il se montrait presque insouciant de ce qui aurait dû le plus exciter sa sollicitude. Nous avons là-dessus un témoignage décisif. Granvelle écrivait, le 17 novembre 1551, à la reine Marie, en lui demandant le secret : Je trouve S. M. I. plus tardive qu'il ne conviendroit. Et me semble que le fondement est de désespérer qu'il y aye moyen, quel quy soit, pour fournir aux frais : crainte, à ceste cause, de desréputation avec ce nouveau roy (Henri II) ; le resentiment qu'il a du peu de discipline qu'il y a entre les gens de guerre et que tout en tout il désespère de remyde, reboutant quant l'on luy -mea en avant qu'il fault regarder comme l'on pourra remédier à tout, au moins mal et pourveoir à ce que convient... V. M. peuit penser et assez entendre en quelle peine je m'en doibs trouver souvent : toutefois fais-je ce que je puis pour procurer partout remyde et correspondre où il convient et préadvertir des offices qui me semblent nécessaires, mais tout cela ne peult souffire, si le maistre mesme ne s'esvertue... Quant l'on luy parle d'entretenir les Anglois, Vénitiens, princes d'Allemail-rne et aultres et gaigner la voulenté des gens, il me semble qu'il en tient si peu de compte, tenant tous en si peu d'estime, que je ne m'ay peu tenir de luy dire il y a cinq jours, — à l'occasion de tant qui sollicitoient audience et que, estant, grâces à Dieu, bien disposé et allant à la chasse, il ne les vouloit ouyr, disant qu'il sçavoit ce qu'ils voulaient dire et qu'ils rie faisoient tous rien pour luy, — que je luy supplioye considérer que nous avions peu d'amys et beaucoup de malveillans, et que nous debvrions procurer le contraire, et que tels donnoient peu d'ayde et prouffit que, s'ils estoient désespérés, se joignans avec aultres qui sont ennemys, pourvoient faire du rial assez, et que puisque l'on faisoit peu pour eulx, du moins convenoit-il les entretenir par bonnes paroles. Archives impériales à Vienne. Citation de M. Gachard.

[108] Il écrivait à l'empereur en le suppliant de ne vouloir croire le mauvais bruit que ses ennemis faisoient courir de lui, et qu'il donneroit le contraire à connoître. Le même.

[109] Le 30 décembre, cet agent déclarait à Granvelle qu'il ne pouvait penser, comme on en semait le bruit en Allemagne, que son maître voulût se déclarer contre l'empereur, et que, si ce prince manquait ainsi à son devoir, la plupart des nobles, et lui aussi, abandonneraient son service. Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 10 janvier 1552, aux Archives du royaume.

[110] Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 10 janvier 1552, aux Archives du royaume, et lettre du même à la même, du 17 janvier, aux Archives impériales à Vienne.

[111] Il écrivait à la reine Marie le 28 janvier : Je me treuve de tous coustels en tel estat que si par pure bélistrerie les Allemans me voulissent assaillir, je ne sçauroye que faire, synon jecter le manche après la congnie. Archives du royaume.

[112] Si bien les voulentés de ceux qui vouldroient mouvoir sont malvaises, ils ont peu de moyen pour les exécuter et ne trouveront la suyte que cy-devant... Le principal du tout est l'ambition et cerveaul irréquiet du duc Mauritz, voire et, si je l'osoye dire, folie, puisqu'il ne pense jusques au bout le danger auquel il se mettroit, et qu'il n'en pourroit ressortir sinon avec confusion et son entière ruyne, et la nécessité du marquis Albert, qui se treuve endebté tant que par désespoir il ne serche sinon moyen de gaigner où que ce soit ; et à tout ce que je puis entendre, ni l'ung ni l'aultre ont le cerveaul ni le crédit pour conduire ceste négociation. Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 27 janvier 1552, aux Archives impériales à Vienne. Citation de M. Gachard.

[113] Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 26 janvier 1552, aux Archives impériales à Vienne. Citation de M. Gachard.

[114] Lettre de Marie à Granvelle, du 10 décembre 1551. Archives impériales à Vienne.

[115] Lettre de Charles à la reine Marie, du 26 février 1552, aux Archives du royaume.

[116] Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 6 février, aux Archives impériales à Vienne.

[117] Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 6 mars, aux Archives du royaume.

[118] Instruction du seigneur de Rye du 3 mars 1552, dans Lanz, t. III, p. 98.

[119] C'était à bon droit, comme le remarque M. Gachard, que la reine Marie lui avait écrit le 5 mars : Il vous pourroit bien chier couster de n'avoir adjousté foy aux advertances.

[120] Je ne trouve point ung sou ni homme qui le me veult prester, ni un homme en Allemaigne qui monstre se déclarer pour moy. Lettre de Charles à la reine Marie, du 21 mars. — Granvelle écrivait à la reine, le 1er avril, que l'empereur était désespéré, voyant qu'il ne pouvait se procurer de l'argent. Archives impériales à Vienne.

[121] Vous m'avez escript qu'il ne falloit se perdre les bras croysés. Et combien que ay esté mieulx beaucoup de la goutte test yver que les aultres, si les ay -je de sorte que j'auroys plus de besoing de les porter en escharpe que de les croyser, et aussy les jambes telles que j'auroys plus mestier de potences pour aller Loing que de me mettre en Brans chemins. Lettre de Charles à Marie, du 21 mars.

[122] Il n'avait pas écouté les remonstrances de Granvelle qui le sollicitait de quitter Insprück, et maintenant il était obligé de reconnaître que, s'il y demeurait, il courait le risque d'estre un matin pris en son lit. Lettre du 4 avril 1552 au roi Ferdinand, dans Lanz, t. III, p. 159.

[123] Charles écrivait à la reine Marie le 15 avril : Le roy, par réitérées lettres, repète encoires que nullement je ne voyse vers luy, car ce seroit le ruiner et ses affaires, sans pouvoir dois là donner ressource aux miens. Archives du royaume.

[124] Il aimait mieux, disait-il, être traité de vieux fou, que de se perdre, en ses vieux jours, sans faire ce qui était en lui pour se sauver. Lettre du 4 avril.

[125] Lettre du 4 avril.

[126] Le roi des Romains en eut connaissance seulement quand il vint à Insprück, et ce fut l'empereur qui le lui apprit ; la reine Marie elle-même n'en fut instruite que par une lettre que Charles lui écrivit à la fin du mois de mai. C'est cette lettre, dit M. Gachard, qui nous a fourni les détails qu'on vient de lire.

[127] Lettre écrite à Côme de Médicis, le 29 mars 1552, par son ambassadeur Pandolfini, aux archives de Florence.

[128] Lettre de Pandolfini, du 15 avril. Archives de Florence.

[129] Lettre de Charles à la reine Marie, du 15 avril. Archives du royaume.

[130] Lanz, t. III, p. 201.

[131] Lanz, t. III, p. 203.

[132] Chiusa en italien. Ce château a été rasé dans les guerres de la révolution française.

[133] M. Gachard, qui cite assez souvent, pour s'en appuyer, l'historien Sismondi, le cite cette fois pour le contredire : Les historiens rapportent que Charles était malade lors de son départ ; Sismondi va même jusqu'à dire qu'il était au lit, souffrant, cruellement de la goutte, et qu'on dut le transporter dans la litière destinée pour son voyage : la lettre du 30 mai, que nous citons plusieurs fois, fait voir que ce sont là des détails controuvés, Nous lisons aussi, dans une dépêche que l'ambassadeur Pandolfini adressa de Villach à Côme de Médicis, qu'après s'être séparé de son frère, Charles continua son voyage à cheval (cavalcando).

[134] Lettres de Ferdinand à Charles-Quint, des 30 mai et 4 juin, dans Lanz, t. III, pp. 209 et 237.

[135] D'après une dépêche de Pandolfini à Côme de Médicis, en date du 23 mai, Maurice, pour se justifier de la prise d'Ehrenberger, aurait écrit au roi des Romains que ses troupes avaient été provoquées par les siennes. On a de la peine à croire, dit M. Gachard, que cet ambassadeur ait été bien informé, car c'eût été, de la part de Maurice, le comble de l'impudence que de prétendre qu'il avait été provoqué. Dans sa lettre du 31 mai, Charles dit que l'électeur, écrivant au roi, prétendoit avoir pu faire ce qu'il avoit fait à l'Écluse sans contrevenir aux trêves, attendu qu'elles commençoient seulement le 26.

[136] Lettre de Charles à la reine Marie, du 30 mai.

[137] Lettres de Ferdinand à Charles, des 30 mai et 1er juin, dans Lanz, t. III, pp. 209 et 217.

[138] Lettre de Ferdinand à Charles, du 3 juin. Lanz, t. III, p. 218.

[139] Lettre de Ferdinand à Charles, du 22 juin. Lanz, t. III, p. 279.

[140] Lettres des 22 et 28 juin, dans Lanz, t. III, pp. 286 et 305.

[141] Leurs lettres à l'empereur des 15, 19 et 21 juin, sont aussi dans Lanz, t. III, pp. 203, 277, 308.

[142] Lettre de Charles à Ferdinand, du 30 juin 1552, dans Lanz, t. III, p. 318.

[143] Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. III, p. 42.

[144] Voir dans Lanz, t. III, pp. 480 et 483, ses lettres à Ferdinand des 31 août et ter septembre. — Le cardinal de Granvelle, dans des lettres écrites de Home à Philippe II le 3 novembre 1568, et le 23 du même mois au secrétaire d'état pour les affaires d'Allemagne à Madrid (Correspondance de Philippe II, sur les affaires des Pays-Bas, t. I, CXC), assure même que depuis il révoqua sa ratification, mais sans rendre public l'acte qu'il fit expédier à cet effet, le roi Ferdinand lui ayant représenté que, s'il le publiait, ce serait sa ruine entière et celle de ses enfants. — Il est à remarquer que la correspondance de Charles-Quint avec Ferdinand, publiée par Lanz, t. III, ne dit mot de cette révocation, à moins que le passage suivant d'une lettre de Ferdinand du 29 décembre 1557 (p. 602) n'y ait quelque rapport : Je ne puis céler à V. M. avoir entendu de plusieurs lieux que l'on parle ouvertement, en la cour de V. M., aussi s'en sont fait oyr publicquement aucuns ses ministres envoyez par la Germanie, que Vostredicte Majesté n'entendoit aucunement observer les capitulations de Passau par lesquelles j'aurois obligé V. M. à choses non tolérables, etc. Note de M. Gachard.

[145] M. Henne raconte ces particularités en détail dans son tome IX, p. 291 et suivantes.

[146] Lettre de la reine Marie à l'empereur, du 5 septembre 1552, dans Lanz, t. III, p. 485.

[147] Lettre de Charles à Ferdinand, du 31 août.

[148] Lettres de Ferdinand à Charles, du 7 août et de Charles à Ferdinand, des 31 août et 1er septembre. Voir aussi Lanz, t. III, p. 422.

[149] Lettre du 31 juillet, dans Lanz, t. III, p. 399.

[150] Rabutin. — Nous reproduisons, dans cette partie de notre travail, le récit intéressant et circonstancié de M. Henne : il ne faut pas refaire ce qui est bien fait. — François de Rabutin a écrit des Mémoires ou Commentaires des guerres de la Gaule-Belgique entre le roi Henri II et l'empereur Charles-Quint, depuis l'an 1551 jusqu'en 1554. Il ne se donne point d'autre qualité que celle de gentilhomme de la compagnie du duc de Nevers.

[151] Lettre de Marie de Hongrie, du 4 juillet, dans Lanz, Correspondenz, t. III, p. 343.

[152] Lettre de Mansfeld, du 25 mai. Lettres des seigneurs, V, f° 117. Citation de M. Henne.

[153] Lettre de Bugnicourt, du 26 mai. Lettres des seigneurs, V, f° 133. — Lettre de Charles-Quint, du 12 juin. Lanz, III, 259.

[154] Lettre d'Egmont, du 17 juin. Lettres des seigneurs, V, f° 349.

[155] Lettre de Mansfeld, du 27 mai. Lettres des seigneurs, V, f° 135.

[156] Lettre de Marie de Hongrie, du 4 juillet.

[157] Lettre de Mansfeld, du 24 mai. Lettres des seigneurs, V, f° 108.

[158] Rabutin.

[159] Lettres de Mansfeld et du sire de Glajon, du 29 mai. Lettres des seigneurs, V, f° 164 et 166.

[160] Lettre du 30 mai. Lettres des seigneurs, V, f° 179.

[161] Lettres de Mansfeld, des 1er et 2 juin. Lettres des seigneurs, V, f° 494 et 206.

[162] Damvillers, aujourd'hui chef-lieu de canton (Meuse), sur la Linte, à 22 km. S. de Montmédy, ne compte pas mille habitants. Cette place a été démantelée en 1683 sous Louis XIV.

[163] Rabutin. — Lettres de Mansfeld et d'Egmont, des 1er et 2 juin.

[164] Rapport d'un messagier venant du camp des François. Lettres des seigneurs, t. V, f° 246. — Autre Rapport d'un espion venant du camp du roy de France devant Dampviller, du 10 juin. Ibid., f° 258.

[165] Et dit-on que ça esté une des plus belles saillyes qui soit faite depuis longtemps en çà Rapport du 8 juin. Lettres des seigneurs, t. V, f° 27.

[166] Le commun bruit est qu'il en estoit bien demourez trois mil hommes. Lettre de Mansfeld, du 10 juin. — M. Henne remarque que cette perte de trois mille hommes, qui semble exagérée, est également indiquée dans une lettre du comte de Stroppiana, du 21 juin.

[167] Rabutin. — Blaise de Vigenère dit que la place endura des milliers de coups de canon. Note de.M. Henne.

[168] La forme de la rendicion a esté à la volunté de l'ennemy. Ils ont retenu tous capitaines, enseignes, officiers de bendes et autres gens d'apparence prisonniers, et toute la reste ilz les ont despouillié, leur osté leurs armes, et avecq la blance verge en la main les ont fait passer par leur camp et de là les ont menez jusques auprez de Montmédy avecq convoi de cinq cens chevaux. Lettre d'Egmont, du 13 juin. Lettres des seigneurs, t. V, f° 294.

[169] M. Henne d'après Sismondi, ouvrage cité, t. IX, p. 229.

[170] Voici le texte d'une de ces lettres : Le duc de Montmorency, pair et connestable de France, et lieutenant général du roy en son armée, ayant entendu que l'armée des Bourguignons ont puis naguères bruslé la maison du sieur Despaulx, le dégast, pertes et dommaiges qu'il a souffert au moyen de cela, et désirant qu'il en puisse tirer réparation et luy donner moyen de se venger, Nous, pour ces causes, ayant, regard à la rigueur et non accoustumez exploicts de guerre qu'ilz ont usé en son endroit, luy avons permis de brusler, saccager et brancguetter toutes et chascunes les maisons nobles, chasteaulx et biens estans entre la ville de Metz et Thionville, appartenans aux subjectz de l'empereur, et à ceulx qui de présent sont à son service sans exception de personne. Par quoy nous avons fait la présente signée de nostre main, pour luy servir et valloir de descharge en tout et partout où il appartiendra. Faict à Civry-le-Franc, le premier jour de juing l'an mil cincq cens cinquante deux. Ainsi signé : De Montmorency. Lettres des seigneurs, V, f° 196.

[171] Lettre de Marie, du 13 juin. Lettres des seigneurs, V, f° 308.

[172] Rabutin.

[173] Lettre du comte de Mansfeld, du 10 juin.

[174] Rabutin. Ceux d'Yvoy, dit un rapport du 20 juin, tirent à force, et ils ont tué beaucoup d'ennemis. Lettres des seigneurs, V, f° 404.

[175] Rapport de Jean d'Immerseel, du 22 juin. Lettres des seigneurs, V, f° 428.

[176] Rabutin.

[177] Brantôme. — Blaise de Vignère dit aussi de cette place, qu'elle endura des milliers de coup de canon. Note de M. Henne.

[178] Rapport de Robert de Boullant et de Jean d'Immerseel, des 22 et 23 juin. Lettres des seigneurs, V, f° 422 et 436.

[179] Rapport de Robert de Boullant, du 22 juin. Lettres des seigneurs, V, f° 418.

[180] Rapport de Jean d'Immerseel, du 22 juin, Lettres des seigneurs, V, f° 426 et 428.

[181] Rapports de Robert de Boullant et de Jean d'Immerseel.

[182] Lettre du comte de Stroppiana, du 30 juin.

[183] Rabutin et Brantôme.

[184] Les soldats ne voulurent pas se défendre et firent, à son insu, un accord avec l'ennemi. De cette manière, il tomba au pouvoir des François, qui l'emmenèrent prisonnier. Récit véritable, en bref, de ce que le prince et comte de Mansfeld a fait, etc.

[185] Lettres de Marie de Hongrie, des 4 et 8 juillet.

[186] Brantôme.

[187] Compte de H. de Breissgin (n° 2638), f° 12 et 13. Citation de M. Henne.

[188] Reiffenberg, Histoire de la Toison d'or, p. 438. En 1556, les chevaliers, réunis en chapitre à Anvers, réitérèrent cette demande à Philippe II, et lui déclarèrent qu'ils tenaient leur confrère pour tout à fait irréprochable et innocent des accusations portées contre son honneur. Philippe accueillit cette demande et promit de donner à Mansfeld des marques de sa bienveillance, lorsqu'il se serait justifié de toute inculpation. Cette justification fut bien complète sans doute, puisqu'on vit le successeur de Charles-Quint donner au comte les plus grandes marques de confiance. Note du même.

[189] Lettre d'Egmont, du 25 juin. Lettres des seigneurs, V, f° 462.

[190] Rabutin. — Suivant une lettre de Marie de Hongrie, du 4 juillet, il n'avait que trois à quatre mille hommes ; mais ce chiffre semble moins exact que celui de Rabutin, mieux placé pour connaître les forces des Français et plutôt enclin à les diminuer qu'à les augmenter. Note de M. Henne.

[191] Foulon, Historiœ leodiensis compendium, ad annum 1553.

[192] Lettre de Guillaume de Horion à l'évêque de Liège. Lettres des seigneurs, V, f° 493.

[193] Lettres des seigneurs, V, f° 493. — Rabutin réduit le délai fixé à trois jours et ne parle que d'un étage, le fils du capitaine.

[194] Voir ses lettres à l'évêque de Liège et au seigneur de Boussu, du 6 juillet. Lettres des seigneurs, V, f° 510 et 512.

[195] Ils furent obligés plus tard de le rendre aux évêques de Liège ; ils conservèrent cependant le titre de ducs de Bouillon, qui passa par mariage dans la maison de la Tour-d'Auvergne ; plusieurs princes de cette famille le portèrent.

[196] Le capitaine qui en avoit la charge est chargé qu'il avoit intelligence avecq l'ennemi, car il la pouvoit facilement deffendre selon ce qu'elle estoit bien munie et en bien forte situation, avec ce que l'on lui envoia de ce coustel quelque nouveau secours pour la renforcer selon qu'il l'avoit requis, lequel secours il ne voulust accepter. Lettre de Marie de Hongrie, du 18 juillet. — Chapeauville, III, 868. — Dans une lettre du comte de Stroppiana, il est dit que Horion vendit la place pour quatorze mille écus en numéraire et six mille francs de rente en France. Note de M. Henne.

[197] Lettre du 5 juillet. Lettres des seigneurs, V, f° 507.

[198] Lettre du 4 juillet. Correspondenz, III, 343.

[199] Et en même temps envoiai vers M. de Liège, pour l'exhorter et admonester afin qu'il tînt main envers ses estats, se emploient à leur propre deffence contre l'ennemi, qui ne cherchoit que de les suppéditer, et lui ai fait ouffrir assistence d'un bon nombre de gens de pied, pour les jecter en cas de besoing en la ville de Liège, ce qu'il a accepté, où l'on commence jà à descouvrir gens affectionnés au parti de France, et qui sont mal volontaires envers Sadite Majesté et ledit seigneur de Liège. Lettre de Marie de Hongrie, du 18 juillet.

[200] Et comme je sceus lors de plusieurs coustels que ledit roi délibéroit d'assiéger aulcunes places dudit Luxembourg, il fut résolu par l'advis de principaulx seigneurs de par deçà, que nostre armée entreroit en France pour essaier à le divertir de ses emprinses, puisque l'on ne pouvoit secourir les villes dudit Luxembourg par camp formel, pour la grande nécessité de vivres estant audit pays. Lettre de Marie de Hongrie, du 18 juillet.

[201] Rabutin.

[202] Lettre du comte du Rœulx, du 9 juin.

[203] Lettre du 14 juin. Lettres des seigneurs, V, f° 312.

[204] S'il vous est possible, joindez-vous plus fort tant de gens de cheval que de pied. Levez plus tost gens nouveaux pour vous servir en campagne et pour mettre dedans les forts, au lieu de ceux que pouvez en tirer. Quant à l'argent, j'en envoierai ce qu'il vous semblera estre nécessaire, car il importe de faire tost ceste diversion. Lettre du 16 juin, Lettres des seigneurs, V, f° 336. — Le même jour elle lui écrivit une seconde lettre en lui disant d'agir le plus tôt possible, car il n'y avoit moyen pour le présent de donner secours ou soulagement aux villes du pays de Luxembourg, qui attendoient siège, que par voie de diversions, mettant toutes ses forces en France, y faisant le pis qu'on pourroit, bruslant et gastant tout. Ibid., f° 337.

[205] Lettres du 17 juin 1552. Lettres des seigneurs, V, f° 367.

[206] Le bruyt court au camp du roy que messieurs le connestable de France et Vendosme debvoient aller avec partye de leur camp au devant de monsieur de Rœulx. Rapport du capitaine d'Arlon, du 21 juin. Lettres des seigneurs, V, f° 416.

[207] Les Franchois se vantent d'avoir intelligence avec les bas Almans estans en nostre camp, mesures ay esté adverty qu'ils doibvent avoir envoyé quelqu'un vers les deux enseignes estans ici pour les mutiner, et de fait je les trouve à ceste heure, comme semble, assez froids en leur service. Je trouve les capitaines gens de bien et bien marys de ce qu'ils voient et m'ont dit que la faulte vient de ceulx qui sont au camp pour les advertissemens qu'ils ont secrètement. Lettre du comte du Rœulx, du 21 juin.

[208] Lettre du 4 juillet. Lettres des seigneurs, V, f° 501.

[209] Lettre du 5 juillet. Lettres des seigneurs, V, f° 507.

[210] Lettre de Marie de Hongrie, du 13 juillet. Lettres des seigneurs, V, f° 553.

[211] Lettre du comte, du 7 juillet.

[212] Lettre de Marie de Hongrie, du 18 juillet.

[213] Lettre du comte de Stroppiana, du 10 juillet.

[214] Rabutin.

[215] Lettre de Marie de Hongrie, du 22 juillet. Correspenclenz, III, 388.

[216] Rabutin.

[217] Lettre du 22 juillet. Correspondenz, III, 388.

[218] Ses dissentiments avec les généraux furent souvent extrêmement vifs. Ainsi le comte de Boussu lui ayant écrit le 1er octobre : Je treuve par expérience qu'il fault qu'il y a quelqu'un auprès de Votre Majesté, qui s'efforce d'interpréter à mal tout ce que je fais ou escrips, et si fais tout ce que je puis, sans m'espargner jour ne nuict, dont ai très grant regret, en tant que n'espère faire ou escripre chose, dont ne me pense bien excuser quand il sera besoing, et vouldrois que celui qui tant me cherche à me controller, deust essayer la peine que je prens pour léallement servir l'empereur et accomplir tout ce que Votre Majesté me commande d'heure à aultre, elle lui répondit : J'ai veu ce que m'avez escript du premier d'octobre, et le resentement que monstrez sur ceulx que dictes interpréter en mal vos faits et escripts. Si eussiez bien veu vos lettres et bien pesé, et estre souvenant si je vois les lettres qui sont escriptes à vous et aultres, ne jetteriez la coulpe à aultre. Et si voyez bien la lettre qu'avez escripte à monsieur d'Arras, si passion ou ambition d'avoir grande compaignie ne vous aveugle et ceulx en partie qui sont avecq vous, vous serez juge si j'ay plus d'occasion de me repentir de ce qui est audict fait que vous avez de moy. Car par ladite copie démonstrez assez combien vous désirez de faire trouver mauvais que l'on n'a envoyé ce que vous et aultres avez désiré qu'il se fist. Mais un bien y a que j'ai suivy le commandement de mon maître et son service, lequel je ferois tort si je ne m'esmoyois plus que serviteur quel qu'il soit de Sa Majesté, pour y avoir obligation et amour plus grande. Et n'est ny à vous, ni à moy juger ce qu'il luy est nécessaire, piisque avoys adverti Sa Majesté peur en sçavoir son bon plaisir. Mais je suis bien ayse d'en estre quiete par la présence du maitre de-combattre aultant les ambitieux que donner ordre à la résistanee des ennemis, par quoy serai hors de ces disputes, qui est tout ce que pour ce coup je veulx dire. Adjousté de la main de la royne à la lettre de Boussu, du 6 octobre 1552. Lettres des seigneurs, VII, f° 340. Note de M. Henne.

[219] M. Henne, ouvrage cité, t. IX, p. 257-258.

[220] Lettre de Marie de Hongrie, du 18 juillet.

[221] Lettre de Marie de Hongrie, du 1er juillet. Lettres des seigneurs, VI, f° 8.

[222] Lettre de Marie de Hongrie, du 23 juillet. Ibid., f° 31. — Pour avoir vacqué trois jours à Dinant, Bouvigne et Anseremme, pour faire venir en la ville de Namur tous les basteaux et nacelles qui pourroit recouvrer èsdits lieux, pour mener et conduire les dix mil piétons de monsieur d'Arenberghe jusques au lieu de Maestrich. Compte de P. E. de Mansfeld. Citation de M. Henne.

[223] Rapport lu aux états généraux. Reg. n° 122, f° 7. Citation de M. Henne.

[224] Lettre de Jean de Locquenghien, du 17 juillet. Lettres des seigneurs, VI, f° 12 et 13.

[225] On y éleva, entre autres, deux torions (grosses tours) pour couvrir les flancs de la place. Lettre de Marie de Hongrie, du 16 juillet.

[226] Ordre du 5 août. Compte de la veuve de Jean de Hemptines. Le seul bailliage de Namur en fournit deux mille. — Le Brabant wallon en fournit un non moins grand nombre. Compte de Ph. d'Orley. Citations de M. Henne.

[227] Lettre de Marie de Hongrie, du 16 août. M. Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne.

[228] Le marquis a commencé le XVe de ce mois bien matin à faite passer le Rhin à ses gens et à son artillerie, et le tout fait colloquer près de Mayence, dont l'on présume qu'il se mettra sur la rivière, et il doigt avoir dit qu'il a encore à piller ung ou deux, et que après il sera content de faire paix. L'on tient que ce seront les archevêques de Coulogne et de Trèves. Lettre de Marie de Hongrie, du 18 août 1552. Lettres des seigneurs, VI, f° 302.

[229] Lettre de Granvelle, du 1er octobre. Reg. Coll. de docum. histor., IX, f° 97. Citation de M. Henne.

[230] Lettre de Marie de Hongrie, du 30 août. Correspondenz, III, 485.

[231] Et nous ont montré certaine patente du marquis Aelbrecht, par laquelle il demandoit ouverture de ladite ville, et ce comme serviteur du roy de France, lequel roy il disoit avoir conquis la duché de Luxembourg et aussi celle de Lorraine, et que de tout temps lesdits ducs avoient esté protecteurs de ladite ville de Trèves. Lettre de Jean d'Immerseel, du 28 août. Lettres des seigneurs, VI, f° 431.

[232] Les gens du marquis Albert ont prins les clefs d'icelle ville, mesures fait changer les serrures, ayans dit auxdits de Trèves qu'ils se nieissent à repos et ne se meslent plus de ladite ville, et qu'ils en feroient bonne garde. Et a ledit marquis logié dedans ladite ville cincq enseignes de piétons, et le reste de ses gens dehors icelle ès monastères. Ses gens pillent et saccaigent toutes les maisons des gens d'église, laissans les bourgeois en paix. Lettre d'Egmont, du 1er septembre, Lettres des seigneurs, VI, f° 487.

[233] A déclaré que ledit marquis attendait l'armée de France et estans joincts ensemble, qu'ils doibvent tirer droit vers Brabant, et qu'ils y feront ung brantschat digne de mémoire. Lettre de Boussu, du 1er septembre. Ibid., f° 482.

[234] Lettre de Marie de Hongrie, du 20 septembre. Correspondenz, 494.

[235] Lettre de Lalaing, du 4 août. Lettres des seigneurs, VI, f° 442.

[236] Lettre de Lalaing, du 3 août. Lettres des seigneurs, VI, f° 134.

[237] Lettre du comte du Rœulx, du 31 juillet. Lettres des seigneurs, VI, f° 93.

[238] Lettre du même, du 29 juillet. Lettres des seigneurs, VI, f° 77.

[239] Lettre du même, du 5 août. Lettres des seigneurs, VI, f° 155.

[240] Lettres du comte du Rœulx, du 12 et du 15 août. Lettres des seigneurs, VI, f° 212 et 258.

[241] Lettre du comte du Rœulx, du 13 août. Lettres des seigneurs, VI, f° 227.

[242] Tant y a, madame, que je vous asseure sur ma foy que oncques gens de guerre ne se sont retirés plus honteusement que eux, et non contens de leur première retraite quelque part qu'ils ayent prins leur logis, depuis s'en sont retirés tout fuyans, comme il appert tant par leurs gens propres, les espyes et les prisonniers qui en sont retournés. Lettre du comte du Rœulx, du 15 août.

[243] Lettre du comte du Rœulx, du 23 août.

[244] Lettre du même, du 31 août. Lettres des seigneurs, VI, f° 458.

[245] Lettre du même, du 31 août. Lettres des seigneurs, VI, f° 458.

[246] Lettre de Marie de Hongrie au comte de Lalaing, du 28 août. Lettres des seigneurs, VI, f° 416.

[247] Correspondance de Guillaume le Taciturne.

[248] Rapport du capitaine du Quesnoy, du 27 août 1552. Lettres des seigneurs, VI, f° 442.

[249] Lettre du comte du Rœulx, du 3 septembre. Lettres des seigneurs, VI, f° 501.

[250] Le bolwerck d'Hennewyns, qui porte sur les anciennes cartes le nom de Bollvercq, défendait le passage de l'Aa sous Gravelines. Note de M. Henne.

[251] Quant à ce qui touche le chasteau de Renty, je n'ay failly d'escripre à Vostre Majesté les raisons pour quoy je craindois que les ennemis ne l'assiégeassent, par non me fier eu mon secrétaire, mais seulement pour mieulx savoir dire de bouche que par escript. Touteffois, puisqu'il plaist à Vostre Majesté que je l'en advise, il y a trois principaulx points pour lesquels je le crains. Le premier pour ce que les couvertures des canonnières sont peu puissantes et les remparts sur les murailles, lesquels pendent par trop sur le fossé, de sorte que avecq une grosse batterie telle que les François ont, il est apparent qu'en peu d'heures les canonnières et traverses seroient descouvertes et que le rempart du costel que l'on avoit mis sur la vieille muraille décline fort et tombe tout vers le fossé. Oultre les inconvéniens qu'il y a des deux costels des montaignes. Aussi que aucuns du chasteau ont tenu ces propos : que voulons-nous tenir, car quant nous aurons tout tenu, nous n'aurons point de secours ? Le tiers est que souvent nos capitaines pour gaignier le dixième des pilleries et roberies qui s'y font, prendent des Franchois qui se viennent rendre, combien que je l'ay assez deffendu, de sorte qu'il y en a un audit Renty, lequel est retourné en France vers monseigneur de Vendosme, et l'a adverty de toutes les faultes qui y sont. Touteffois j'espère que ceulx qui sont audit lieu feront leur debvoir, comme encore ils m'ont mandé aujourd'huy. Lettre du 7 septembre.

[252] Lettre du 8 septembre.

[253] Ils sont si très malades qu'ils n'en peuvent plus, et de petites maladies comme le flux de ventre au sang et de la peste. De sorte que je suis bien mary quant mes gens me les ameynent, et leur dis tous-jours qu'ils en tuent autant qu'ils en trouveront. Lettre du comte du Rœulx à Marie de Hongrie, du 19 septembre. Lettres des seigneurs, VII, f° 165.

[254] Lettre du 12 septembre. Lettres des seigneurs, VII, f° 70.

[255] Lettre de Scheppere, du 19 juillet. Lettres des seigneurs, VI, f° 19.

[256] Rapport du 20 septembre. Lettres des seigneurs, VII, f° 167.

[257] M. Henne, ouvrage cité, IX, 288.

[258] Correspondenz, III, 486.

[259] Lettre du 1er août. Correspondenz, III, 408.

[260] M. Henne complète le récit un peu abrégé de M. Gachard : Le duc (d'Albe) devait être renforcé par la division du seigneur de Boussu, qui avait quitté Cornély-Munster le 16 septembre, et s'avançait en côtoyant la Moselle. Sa marche fut lente, car le chemin était grand et pénible ; tout le pays à traverser, stérile ou ruiné ; et, obligée d'emporter ses vivres, elle faisait au plus des étapes de trois lieues par jour. En outre il fallait être constamment sur le qui-vive, car Albert de Brandebourg pouvait revenir sur ses pas, reprendre la gai nison laissée à Trèves, et assaillir inopinément des troupes exténuées de fatigue, embarrassées de nombreux chariots, et dont la cavalerie, en fort mauvais état, ne pouvait éclairer les mouvements. Pour conjurer ce péril, Marie de Hongrie ordonna à d'Egmont de se jeter entre le marquis et Trèves, avec le plus de force possible, sans trop dégarnir les forteresses du Luxembourg, mais un débordement de la Moselle ne permit pas d'exécuter cet ordre. Heureusement l'approche de l'armée impériale détourna l'Alcibiade de tout projet agressif, et ses bandes, en proie à la misère, préférèrent à une périlleuse expédition le pillage des contrées qu'elles occupaient. Bientôt même on fut si rassuré sur leurs dispositions, que la reine prescrivit à d'Egmont de se mettre en mesure de rejoindre l'empereur avec son régiment et celui de Van Holl. IX, 303-304. — Trèves commandant le cours de la Moselle, il importait d'en avoir l'entrée pour le service des vivres de l'armée. Charles-Quint approuva l'idée de la reine sur ce point, et comme le seigneur de Boussu manquait d'artillerie pour agir de force, l'empereur dépêcha au duc d'Albe des lettres invitant l'archevêque et les bourgeois de Trèves à ouvrir leur cité à ses troupes. Ils reçurent ces lettres au moment où apparaissait, en vue de leurs murs, la division du seigneur de Boussu. Ce général réclama l'entrée de la ville, en se fondant tant sur le droit de protection du duc de Luxembourg que sur l'impossibilité où se trouvaient les habitants de se défendre contre les communs ennemis. Il ajouta qu'il avoit commandement d'aller à la rencontre de l'empereur, de lui assurer le passage de la Moselle et des vivres, et de se loger en sûreté à tout évènement. Les circonstances ne permettaient, guère de décliner cette invitation, et, le 2 octobre, à une heure de l'après-dîner, Boussu prit possession de la place, où il mit en garnison le régiment de Van Holl, qui venait de le rejoindre avec les bandes d'ordonnances de Bréderode et d'Over-Embden. Ses autres troupes campèrent dans les environs, en attendant des ordres ultérieurs. Ibid., 304-305. — Quand l'empereur quitta Landau pour rejoindre son armée, la reine ordonna à Boussu de le rejoindre sans retard, mais ce général avait à peine quitté son campement qu'il reçut un contre-ordre lui prescrivant de se diriger vers Metz, pour opérer sa jonction avec le duc d'Albe, ce qu'il fit le 16, comme nous le disons dans le texte.

[261] Madame, j'ai toujours veu le duc d'Albe résolu de s'attacher à Metz, lequel lieu de Metz je treuve bien difficultueux pour prendre, car, Madame, avant-hier quand nous le fusme reconnoistre, y eust plusieurs prisonniers pris, lesquels maintenoient qu'il y avoit dedans huit mille hommes et grande jonesse et noblesse de France, bien résolus d'attendre la fortune telle qu'elle pourra advenir, et que tous les jours il y avoit plus de dix mille personnes besoignans aux rempars, et disoient qu'ils attendoient encore le soir quatre mille hommes qui debvoient entrer dedans, et qu'il y a dedans si grand nombre de vivres et de toute munition, qu'il n'est possible de plus, et tant que trouvoient les villaiges ci-entour plains de fourrages et de vins qu'ils n'ont prins la paine de mettre dedans, qu'est bien signe qu'ils n'ont faune de rien... Madame, si ceste compagnie y est dedans, je n'ai jamais veu homme qui ait veu ne ouy dire que villes ainsi munies soient esté prinses par force, et n'ai point aussi ouy dire qu'il se soit trouvé par escript. Dieu doint que les sieurs puissent bien perachever l'emprinse pour le service de Sa Majesté. Lettre de Boussu, du 23 octobre. Lettres des seigneurs, VII, 498.

[262] Sepulveda, De rebus gestis Caroli V, l. XXVII.

[263] Lettre de Charles-Quint, du 25 décembre. Archives de Simancas.

[264] Voir le Siège de Metz en l'an MDLII, par Bertrand de Salignac-Fénelon, édité par M. Chabert, Metz, 1856, et Bref Discours du siège de Metz en Lorraine, rédigé par escript, de jour en jour, par un soldat, à la requeste d'un sien amy, dans les Archives curieuses de l'histoire de France, Ire série, t. III. — Nous ajoutons quelques détails, tirés principalement de ces sources par M. Henne, au texte de M. Gachard que nous suivons. — Quand Henri II s'était emparé de Metz, cette ville, grande comme elle étoit, c'est à dire de huit à neuf mille pas de tour, n'étoit forte en aucun endroit. Elle n'avoit un seul pied de rempart en toute la muraille, ni espace pour en faire, le terrain étant occupé de maisonnages, d'églises et autres grands bâtiments. La seule plate-forme de Sainte-Marie étoit en bon état, et le meilleur de ses bastions, celui de la porte de Champagne, étoit d'ancienne structure, rond et peu commode à la défense. Outre ce, elle étoit généralement mal fossoyée et mal flanquée partout. Enfin elle étoit aisée à battre, dominée en plusieurs lieux par des montagnes voisines. Les Français s'empressèrent de réparer l'enceinte délabrée en plusieurs endroits et d'approfondir les fossés, d'où ils firent disparaître les jardins qu'on y avait formés. Ensuite ils complétèrent les fortifications naturelles de la place, et y réunirent, en grande quantité, des vivres et des munitions. L'arrivée du duc de Guise donna une nouvelle impulsion aux travaux, et sous la direction d'habiles ingénieurs, le maréchal Pierre Strozzi, Camillo Marini, les seigneurs de Gonnor et de Saint-Rémy, fort experts et entendus en fait de fortifications, s'établit un nouveau système de défense. La démolition d'un grand nombre de maisons, de plusieurs abbayes et de sept églises, fournit l'emplacement et des matériaux pour élever, derrière le mur d'enceinte, des terrassements et de larges remparts. Puis à peine Guise apprit-il l'approche de l'armée impérialé qu'il incendia les faubourgs et les bâtiments des environs. Les voûtes des églises furent converties en plates-formes recouvertes de balles de laine et armées d'une nombreuse artillerie battant les hauteurs voisines. Dans la crainte que les assiégeants ne cherchassent à détourner de son cours le bras de la Moselle qui traverse la ville par les deux ponts des Barres, en rompant la chaussée soutenant le canal, et que ces ponts ne servissent de brèches, on établit dans l'eau une forte estacade flanquée, des deux côtés du canal, d'un solide rempart garni d'artillerie. — Guise stimulait les travailleurs, et venoit souvent dîner aux remparts, de peur de mettre trop de temps à aller et à venir en son logis. On le vit même, dit-on, porter la hotte, exemple qui fut suivi par les plus illustres gentilshommes de France. Ne négligeant rien de ce que' la prudence humaine peut prévoir, il réunit en immense quantité le matériel nécessaire à la défense d'une grande place. Il ne se borna : pas à tirer de France, du Barrois et de la Lorraine blés, vins, bestial, chairs salées, poissons, beurre, huile, sel, fromage, riz et tous autres vivres de garde ; il ordonna aux habitants des villages voisins d'amener en ville tous leurs bestiaux et leurs denrées pour les vendre, en menaçant d'envoyer ses gens de guerre les prendre sans les payer. Malgré les courses de la garnison de Thionville et des Marengeois qui y donnèrent grand empeschement, pillans les charrois et chevaux en chemin et retenans les laboureurs prisonniers, il assura de la sorte l'approvisionnement de la place pour un an et, dès qu'il n'eut plus besoin de bras pour ses travaux, il en fit sortir les bouches inutiles. Après avoir retenu douze cents hommes de travail, charpentiers, maçons, armuriers, maréchaux, boulangers, chaussetiers, et ainsi que soixante à quatre-vingt prêtres ou religieux pour continuer le service de Dieu, il invita les autres habitants à se retirer, soit en France, soit dans les pays alliés. Puis, cette mesure n'ayant pas produit le résultat désiré, il expulsa de la ville les vieillards, les femmes, les enfants et tous ceux dont les sentiments lui étaient suspects ; aux autres il fut défendu, sous peine de mort, de sortir de la ville et même de leurs maisons, tant que durerait le siège. — Monsieur de Guyse a fait cryer à son de trompette, qu'il n'y ait bourgeois sous paine de la hart qui sorte hors de la ville ny aussy hors de la maison, tant que le siège de Sa Majesté soit devant la ville. Lettre de d'Egmont, du 28 septembre. Lettres des seigneurs, VII, f° 254.

[265] Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. III, p. 51. — Dieu scayt, écrivait Charles à sa sœur, ce que je sens me veoyr en termes de fayre ce que je fays avec le marquis, mais nécessité n'a point de loy. Lettre du 13 novembre, dans Lanz, Correspondenz, t. III, p. 513.

[266] Nous continuons à compléter le récit de M. Gachard par quelques extraits de M. Henne, dont M. Gachard du reste invoque lui-même le témoignage. — La tranchée avait été ouverte devant le front s'étendant de la porte Saint-Thiébault à la porte de Champagne ou Sarpenoise. Mais les travaux furent bientôt contrariés par un temps affreux, et ils marchèrent alors si lentement que le duc de Guise, secondé par l'admirable dévouement de la garnison, eut tout le loisir de compléter ses contre-attaques... Les Impériaux poursuivaient lentement la tranchée ; arrivés à environ 400 pas de la place, ils dressèrent, le 18 novembre, une batterie de sept pièces de campagne et de cinq de gros calibre, qui, le lendemain, ouvrit son feu contre le château et le perça assez bas, près du portail, à l'endroit où il n'estoit le plus fort. Ce commencement d'attaque fut pourtant assez froid et lasche, tellement que la mémoire encore fraische des canonnades données devant Damvillers et Yvoy, estoit plutôt l'occasion de s'en moquer et gaudir qu'aucune matière d'esbahissement. En effet, dans l'espace de sept jours, la batterie n'avoit pas passé deux cent cinquante coups par jour et quelquefois beaucoup moins. Aussi alors que l'évêque d'Arras écrivait à Marie de Hongrie : Les approches sur Metz procèdent de jour à autre de mieux en mieux, et semble que les capitaines et gens de guerre en ont tous les jours meilleur espoir ; chez les assiégés on pouvait desjà cognoistre à quel train se réduiroient les choses de ce siège. — Au moment où la confiance croissait chez les assiégés, de nombreux symptômes de démoralisation apparaissaient dans l'armée impériale. A peine arrivée devant Metz, elle s'était vue en proie à la disette, produite moins encore par la difficulté des transports et par la dévastation de la Lorraine, ravagée tour à tour par les Impériaux, les Français et les bandes de l'Alcibiade, que par l'indiscipline des soldats, qui détroussaient les vivandiers et se livraient à tous les excès. Puis la dyssenterie attaqua ces troupes obligées de camper sur un sol humide, et quand les pluies cessèrent, survinrent des gelées très cruelles et violentes, qui jetèrent le découragement dans l'armée. D'actives mesures ayant ramené l'abondance, on tomba dans d'autres inconvénients. Il elait déjà dû à l'armée des sommes considérables et, pour prévenir une mutinerie générale, Marie de Hongrie avait proposé d'engager tout le monde à porter sa vaisselle à la monnoie, à Anvers, lorsqu'arriva la flotte des galions. On put alors payer l'armée ; mais on ne diminua pas ses maux, et la désertion se mit surtout parmi les Italiens, tant à cause des défauts qui estoient en leur camp, que pour la défiance qu'ils disaient qu'on avait d'eux et de leur nation, auxquels fut baillé passage et moyen de se retirer en France. Quant aux travaux contrariés par les intempéries de la saison, et conduits dans une fausse direction, ils épuisaient le soldat sans produire le moindre avantage.

[267] L'arrivée des troupes d'Albert confirma Charles-Quint dans la résolution de continuer le siège, malgré l'intempérie de la saison, les maladies et les désertions, malgré les murmures des soldats et les représentations de la plupart des capitaines. Il crut du reste que la défection d'Albert de Brandebourg disposerait le roi de France à la paix. Dans le cas contraire, il n'y avoit autre chose à faire qu'à poursuivre l'entreprise, parce que si elle cessoit il lui faudrait rompre son armée sans agir ; or il était décidé d'attendre ce qu'il plairoit à Dieu lui en donner, plutôt que de se retirer sans essayer la fortune. En conséquence il ordonna de redoubler de diligence pour faire brèche, et Marie de Hongrie dirigea sur l'armée de siège de nombreux renforts de pionniers, de chevaux du train d'artillerie et de munitions. Le comte d'Egmont, chargé jusqu'alors d'observer l'Alcibiade, laissant la garde du Luxembourg au bailli du Brabant wallon, rejoignit d'Aremberg avec quatre enseignes de Bas Allemands et deux bandes d'ordonnances. Enfin, dans le cas où le duc d'Albe ne parviendrait pas à triompher de la résistance des assiégés, l'empereur comptait pour arracher la paix à l'ennemi, sur l'énergique diversion opérée par le comte du Rœulx, qui avec l'armée d'embas couroit et gâtoit la Picardie. — Perclus de la main droite par la goutte et souffrant cruellement des hémorrhoïdes, Charles-Quint était resté à Thionville ; mais dès que la maladie lui laissa un instant de répit, il voulut reconnaître par lui-même les obstacles et relever le moral de son armée. Parti le 18 novembre, il alla coucher dans un petit château à deux lieues de Thionville. Il y trouva un régiment allemand avec mille cavaliers du Holstein chargés de l'escorter, et, le lendemain, il arriva au camp d'Aremberg. Il passa en revue les troupes du comte, parlant aux colonels et aux capitaines ; puis, du haut de la colline de Châtillon, il examina longuement la place. Ayant fait mettre dans la tente de d'Aremberg sa chambrette de bois avec cheminée, laquelle fut reschauffée de charbons ou braise de la cuisine, il en eut la nuit quelque fâcherie en la tête. Néanmoins, le lendemain qu'estoit dimanche, il partit pour le camp du duc d'Albe, qui vint à sa rencontre avec plus de cinq mille cavaliers. Toute l'infanterie l'attendait rangée en bataille, et il l'inspecta, monté sur un cheval turc blanc, salué d'enthousiastes acclamations se mêlant au bruit des tambourins et d'une triple salve de tous les arquebusiers tant de pied que de cheval, ainsi que de toute l'artillerie tirant à boulets sur la place. — Il s'établit au logis du duc en ung petit coing eschappé du feu dans l'abbaye Saint-Clément, en attendant que le château de la Orgue, appartenant au seigneur de Thulanges, près de Magny, fût accoustré. Ce château, qu'il choisit pour son quartier général, était situé à deux milles italiens de Metz (le mille italien, miglio, vaut 1.852 mètres) ; il avait été brûlé en partie et l'on ne put y approprier que deux pièces, si petites qu'il était impossible d'y mettre plus d'un lit ; mais l'empereur ne voulant déranger personne s'en contenta et refusa d'occuper une des abbayes voisines qui avoient plus de logement,. — Un coup d'œil suffit à Charles-Quint pour s'apercevoir des difficultés du siège et des fautes commises. La mauvaise direction donnée aux premiers travaux avait fait perdre sept à huit jours de beau temps et laissé aux assiégés un grand loisir de se remparer et fortifier. Les assiégeants, sous l'œil de l'empereur, travaillèrent avec une grande activité. Le 24. Charles-Quint monta à cheval, et accompagné du duc d'Albe seul, il alla reconnaître la place, examinant tout en détail, pénétrant jusque dans les dernières tranchées qui étaient déjà fort rapprochées du rempart. Dans la nuit suivante, repoussant les efforts faits pour les déloger, ils élevèrent deux nouvelles batteries, l'une de 36, l'autre de 15 pièces. Puis, dès l'aube, ouvrant le feu le plus merveilleux et espoventable, ils lancèrent sur la ville 1.448 boulets. Tous les gabions de la plate-forme Sainte-Marie furent emportés ; les tours de Ligniers et de Sainte-Marie renversées ; celle de Wassieux ébranlée. — Cette attaque surprit les assiégés. De ce côté, la courtine estoit la plus droicte et de meilleur flanquement ; environnée de faulses braies, elle avoit une hauteur telle qu'elle ne pouvoit quasi estre eschelée. Oultre ce, elle estoit soustenue d'une fort belle et grande plate-forme. Aussi croyoit-on que personne n'imagineroit jamais de mener l'artillerie au devant d'un tel lieu, et l'on n'avoit point abattu les maisons voisines qui estoient tant contigues à la muraille, qu'à grand peine y avoit-il espace pour donner chemin à une charrette, ce qui estoit fort dangereux. Mais ce danger stimula le génie du duc de Guise. En moins de cinq jours, ces maisons disparurent et derrière les murailles incessament battues par l'artillerie, s'en élevèrent d'autres à la hauteur d'un homme et assez épaisses pour arrêter le coup de canon. — Cependant les assiégeants, enflammés par l'espérance du succès, redoublèrent leurs feux, et, le 26, la batterie de brèche fut armée de 22 pièces de gros calibre. Appuyée par douze ou treize autres canons, elle tira de telle furie et diligence qu'avant la nuit furent comptés 1.343 coups qui percèrent en trois lieux la muraille. Le lendemain, avant le jour, le feu recommença plus vif encore ; en quoi le seigneur Jehan Maurique, maitre de l'artillerie de l'empereur, ensemble ceux qui exécutoient les pièces, firent grand devoir et méritèrent la louange des assiégés d'être fort bons et justes canonniers. Le 28, continuant leur batterie, ils ouvrirent la tour d'Enfer de 18 ou 20 pieds de large, et, sur le midi, tout le pan de muraille entre les tours de Wassieux et de Ligniers commença à pencher et se départir de la terre qui l'appuyoit. Deux heures après, il tomba sur une longueur de 90 pas, mais une partie sous soy, rendant la montée mal aisée pour venir à l'assaut. A la vue de cet éboulement, les Impériaux poussèrent de grands cris et firent démonstration d'une grande joie. Mais quand, la poussière abattue, ils virent un nouveau rempart déjà haut de huit pieds par dessus la brèche, ils en eurent certes plus de fascherie qu'ils n'avoient reçu plaisir à voir ruiner la muraille. En effet, après avoir lancé plus de 8.000 projectiles de toutes qualités et de tous calibres, renversé une grande partie du revêtement, le terre-plein qu'ils découvraient alors, la largeur et la profondeur du fossé présentaient tant de difficultés qu'il était impossible de songer à l'assaut.

[268] Nous ne trouvons aucun document sur l'étendue des pertes faites par l'armée impériale devant Metz. — Sandoval (liv. XXXI) parle de quarante mille hommes morts de maladie : ce chiffre est exagéré à l'excès. Il n'y a guère moins d'exagération dans celui de cent mille hommes auquel cet historien fait monter l'effectif de rarmée avant ses désastres. M. Henne, qui a raconté le siège de Metz avec de grands détails et d'après quantité de documents inédits, établit parfaitement qu'on n'y comptait pas plus de cinquante à soixante mille hommes, après la jonction des forces du marquis Albert de Brandebourg. Note de M. Gachard.

[269] Lettre du comte de Stroppiana, du 9 février 1553.

[270] M. Henne, IX, 386-387, d'après Le Petit, l. VIII.

[271] Quem auditum ferebant, quum diceret nempe fortunam esse juvenum amicam. Strada, De bello belgico.

[272] Charles-Quint, son abdication, etc., 8e édition, 1882, p. 50-51.

[273] La ville de Hesdin avait été prise d'assaut le 1er novembre 1552 par le comte du Rœulx ; le château se rendit le 5. Ils retombèrent au pouvoir des Français à la fin du mois suivant.

[274] Biographie nationale.

[275] Lettre de Charles-Quint, du 12 janvier 1553. Correspondenz, III, 530.

[276] M. Henne donne le chiffre de 324.287 livres, et cite le compte de H. de Boulogne, n° 1893.

[277] Proposition faite aux états de Flandre. Reg. n° 422, f° 2. Citation de M. Henne.

[278] Compte de N. Nicole, n° 15746. Citation de M. Henne.

[279] Compte de P. E. de Mansfeld, n° 15226. Citation de M. Henne.

[280] M. Henne, citant le compte de H. de Boulogne, indique le chiffre précis de 5.021.015 livres 9 sols 4 deniers.

[281] Lettres de l'évêque d'Arras à Marie de Hongrie, des 12 et 21 novembre 1552. Reg. Coll. de docum. histor., IX, f° 143 et 153. Citation de M. Henne.

[282] J'envoyai ces jours derniers à la sérénissime reine Marie, ma sœur, mes pleins pouvoirs, pour qu'elle puisse emprunter six cent mille écus, sans compter les intérêts pour le change des monnoies et la perte de temps. Avec son activité ordinaire, elle est parvenue à se les procurer et à me les envoyer, et c'est au moyen de cet argent que j'ai pu entretenir cette armée jusqu'à ce moment... Depuis j'ai envoyé de nouveaux pouvoirs à la sérénissime reine, pour qu'elle puisse emprunter encore quatre cent mille écus. Lettre de Charles-Quint à Philippe, du 11 décembre 1552. Archives de Simancas.

[283] Lettre du 2 décembre 1552. Archives de Simancas.

[284] J'ai été dans le plus grand embarras lorsque j'ai appris par une lettre de Sa Majesté et par le sieur Noircarmes l'extrême besoin que Sa Majesté avoit d'argent, et lorsque j'ai vu le peu de moyens que j'avois pour m'en procurer aussi vite que la nécessité le requéroit. La place d'Anvers est complètement épuisée d'argent, parce que j'en ai tiré de grandes sommes, pour soutenir jusqu'à ce moment cette guerre considérable et très coûteuse, et que la plupart des marchands ont leur argent en Espagne. Si Dieu ne m'avoit pas fait la grâce d'envoyer ici les flottes de Portugal et d'Andalousie, il m'auroit été impossible, à aucun prix, de venir au secours de Sa Majesté et de faire un emprunt tel que je l'ai fait... Je n'ai pu le faire à meilleur prix, et j'ai dû encore m'engager personnellement. Archives de Simancas.

[285] Lettre des commis des finances envoyés à Anvers, du 21 décembre. Lettres des seigneurs, VIII, f° 506.

[286] Archives du royaume : reg. Propositions aux états généraux, 1535-1563, fol. 212. Citation de M. Gachard.

[287] Dans les chefs-villes, Louvain, Bruxelles, Anvers et Bois-le-Duc, le dénombrement des foyers fut effectué par des commissaires des communes intéressées, sous le contrôle réciproque des députés des autres villes ; dans le plat pays, ce relevé fut fait par les officiers du gouvernement. — Ordre du 9 mars 1553. Compte de J. B. de Werchin, n° 15354. — Comme il fallait tout de suite de l'argent, les états fournirent des obligations pour permettre d'emprunter le montant de leur aide (23 avril 1553). Acten van de dry staeten. Note de M. Henne.

[288] Reg. n° 122. — Acte d'acceptation de la reine, 19 mars 1553. M. Gachard, Lettre aux questeurs.

[289] Wagenaar.

[290] Compte de H. de Witthem.

[291] Rabutin.

[292] Rabutin.

[293] Lettre du comte du Rœulx, du 26 avril. Lettres des seigneurs, X, f° 279.

[294] Chapitre de la Toison d'or de 1545. Reiffenberg.

[295] M. Henne, X, 42.

[296] Relation de Badoaro.

[297] Le Petit.

[298] Rabutin.

[299] Rabutin.

[300] Lettre de Charles-Quint, du 8 juillet. Correspondenz, III, 571. Rabutin.

[301] Brantôme. — Rabutin. — Le Petit dit que les Espagnols, amis de l'argent, leur sauvèrent la vie pour en tirer de grosses rançons. — Note de M. Henne.

[302] Sepulveda dit qu'il fut sauvé par Bugnicourt.

[303] M. Henne, ubi supra, p. 44-45.

[304] Rabutin.

[305] Correspondenz, III, 578.

[306] Lettre de Charles-Quint, du 8 juillet.

[307] Ordre du 19 juillet. Inventaire d'ordonnances. Citation de M. Henne.

[308] Archives de Gand. M. Gachard, Notice sur ces archives, 44.

[309] Compte de Jean Van Rooden. Citation de M. Henne.

[310] M. Henne, p. 46-47. — Une foule de poètes, dit cet historien, célébrèrent cet évènement, dont la date est rappelée par de nombreux chronogrammes. Nous nous contenterons d'en citer deux après lui DE MORINEN LIGGENTE NIET, et DELETI MORINI.

[311] Dépêche du cardinal d'Imola au pape, du 28 mai 1553. Archives du Vatican, Nunziatura di Fiandra, vol. Ier, fol. 33. Citation de M. Gachard.

[312] Dépêche du 10 juin, Archives du Vatican, Nunziatura di Fiandra, vol. Ier, fol. 37. Citation de M. Gachard.

[313] Dépêche du 10 juin, Archives du Vatican, Nunziatura di Fiandra, vol. Ier, fol. 37. Citation de M. Gachard.

[314] Dépêche du 10 juin, Archives du Vatican, Nunziatura di Fiandra, vol. Ier, fol. 37. Citation de M. Gachard.

[315] Dépêche du 10 juin, Archives du Vatican, Nunziatura di Fiandra, vol. Ier, fol. 37. Citation de M. Gachard.

[316] M. Gachard ajoute : dans une dépêche du 12 juin, le cardinal s'exprime d'une manière plus positive sur l'intempérance de Charles-Quint : C'est une chose incroyable, dit-il, que les désordres de bouche de S. M., aussi bien par la qualité que par la quantité des mets dont elle use ; et l'on ne peut douter que par là non seulement elle ne mette sa vie en danger, mais encore elle ne se rende incapable tant d'exécuter quelque entreprise que de la conseiller et de la diriger.

Nous transcrivons ici une page curieuse de M. Mignet. Ni les sages conseils de son ancien confesseur, dit cet historien, ni les sévères avertissements de la maladie n'avaient eu le pouvoir de réformer ses habitudes à cet égard désordonnées. Durant l'hiver douloureux de 1550 à 1551, passé tout entier à Augsbourg dans son appartement chauffé comme une étuve, d'où il ne sortit que trois fois pour se montrer et manger en public, dans une salle voisine, aux fêtes de Saint-André, de la Noël et des Rois ; lorsqu'il était si exténué qu'on le croyait près de sa fin, et que les médecins eux- mêmes lui donnaient à peine quelques mois à vivre, l'Anglais Roger Asham, qui assista à l'un de ses repas, fut surpris de ce qu'il mangea et surtout de ce qu'il but. Bœuf bouilli, mouton rôti, levraut cuit au four, chapon apprêté, l'empereur ne refusa rien. Il plongea, dit Asham, cinq fois sa tête dans le verre, et chaque fois il ne but pas moins d'un quart de gallon de vin du Rhin. — (Works of Roger Asham, London, 1761, in 4°, lettre du 20 janvier 1551, p. 375. — Le gallon contient quatre litres et demi.) Deux ans après le repas décrit par Asham, continue M. Mignet, le spirituel et érudit Van Male, ayuda de aimera de Charles-Quint, fait un tableau plein de malice et de grâce des irrésistibles fantaisies de son maître au siège de Metz et des condescendances dangereuses que les médecins avaient pour lui. Le ventre, écrit-il à Louis de Flandre, seigneur de Praet, et une fatale voracité sont la source ancienne et très profonde des nombreuses maladies de l'empereur. Il y est assujetti à tel point, que, dans sa plus mauvaise santé et au milieu des tortures du mal, il ne peut pas se priver des mets et des boissons qui lui sont le plus nuisibles. Vous vous récriez et contre cette intempérance de César et contre la légèreté, l'indulgence, la faiblesse des médecins. C'est le sujet de toutes les conversations. L'empereur dédaigne-t-il la viande ? qu'on l'emporte. Désire-t-il du poisson ? qu'on lui en donne. Veut-il boire de la bière ? qu'on ne lui en refuse pas. A-t-il le dégoût du vin ? qu'on le retire. Le médecin est devenu un complaisant. Ce que César veut ou refuse, il l'ordonne ou le défend... Si la boisson n'est pas glacée, elle lui déplaît... Il est hien certain qu'affligé de tant de maux, la froideur de la bière exposée à l'air pendant la nuit et qu'il boit avant le jour ne lui convient pas. Il s'y est néanmoins tellement habitué qu'il n'a pas craint d'en boire au péril d'une dyssenterie imminente. Comme je suis pour cela son échanson avant le jour... je l'ai entendu pousser des gémissements qui attestaient ses souffrances... Je lui ai dit tout ce qui m'a paru le plus propre à le détourner de boire aussi mal à propos une boisson si nuisible, ajoutant que personne de nous, même avec une force et une santé athlétiques, ne supporterait sans en être incommodé de la bière glacée bue avant le jour et pendant l'hiver, et que lui ne craignait pas d'en prendre à son âge, avec une santé détruite par les maladies, les voyages et les travaux. Il en est convenu, et gràce à ce bon conseil, il a défendu que la bière fût exposée à l'air. Le docteur Corneille (Baersdorp) ne lui a pas permis non plus le vin trop froid à diner et à ses repas, Je ne sais s'il s'y résignera longtemps. Nous maudissons souvent ici le soin affectueux qu'a la reine (de Hongrie) de lui envoyer des poissons... Dernièrement il en dévora, et avec un très grand péril, pendant deux jours de suite. Il fit venir des soles, des huîtres qu'il mangea crues, bouillies, rôties, et presque tous les poissons de la mer, Lettre de Malinæus au seigneur de Praet, écrite le 24 décembre 1552, du camp devant Metz, pp. 91, 92). — M. Mignet, Charles-Quint, son abdication, etc., pp. 52-55.

[317] Dépêches de guerre, n° 368, f° 18. — Manuscrit de la Bibliothèque royale, n° 20411, f° 327. — Citation de M. Henne.

[318] Lettre de Charles-Quint, du 8 juillet.

[319] Voir M. Gachard, Le Duc Emmanuel-Philibert de Savoie, dans les Bulletins de l'Académie, XXII, 685 et suivantes.

[320] Rabutin.

[321] Brantôme.

[322] M. Henne, X, 51-52.

[323] Rabutin. — Le Petit.

[324] Fils de Jacques de Ligne, mort en 1552. Ce fut en faveur de son fils Lamoral que le comté de Ligne fut érigé en principauté (2 août 1602). Note de M. Henne.

[325] M. Henne, X, 51-55.

[326] Féry de Guyon. — Le corps du prince ne fut retrouvé qu'à grand'peine le lendemain par son valet de chambre, dévoré qu'il avait été en partie par les loups ou par les chiens. Le Petit. — La bande d'ordonnances d'Épinoy fut donnée au prince d'Orange et portée de 30 hommes d'armes à 50, de 40 archers à 80. Note du même.

[327] Rabutin.

[328] Lettre du comte de Stroppiana, août 1553 — Féry de Guyon (il assista à ce combat). — Rabutin. — Le Petit. — Les uns imputèrent cet échec à un excès de témérité du comte d'Egmont ; les autres à deux hommes d'armes, le Verd Censier et Jean Chinot, qui avaient mené leur compagnie vers le bois où l'infanterie française était embusquée. Le Verd Censier fut arrêté et ne fut relâché, à défaut de preuves, qu'après une longue détention. Le Petit, l. VIII, 213. — Le manque d'entente entre les chefs, l'absence d'unité dans le commandement, la rivalité existante entre Bugnicourt et Boussu, causèrent tout le mal. Note de M. Henne.

[329] Rabutin. — Féry de Guyon.

[330] Rabutin. — Le Petit.

[331] Relation des hostilités dans le Cambrésis. Papiers d'étal de Granvelle, IV, 106.

[332] Rabutin. — En effet cette citadelle était si peu fortifiable et tenable par la diversité de l'assiette, que, le 21 mars, ordre avait été donné aux Espagnols de la garnison de l'évacuer, en cas d'attaque sérieuse, et de se retirer sur le Quesnoy. Archives de l'audience, liasse 1259. Citation de M. Henne.

[333] Relation des hostilités. — Rabutin.

[334] Rabutin.

[335] Rabutin. — Lettre de l'évêque d'Arras, du 13 novembre 1553. Papiers d'état de Granvelle, IV, 145.

[336] Lettre de l'évêque d'Arras, du 19 novembre. Papiers d'état de Granvelle, IV, 152.

[337] Lettre de Ferdinand, du 17 août Lanz, Correspondenz, III, 580.

[338] M. Henne, X, 65-66.

[339] Par sa mère Catherine d'Aragon, tante de Charles-Quint.

[340] Santarem, Relations diplomatiques du Portugal, etc., vol. III, à partir de la page 523, cité par M. Mignet, Charles-Quint, son abdication, etc., pp. 68, 69.

[341] Retira, estancia y muerte del emperador Carlos Quinto en el monasterio de Yuste, de don Tomàs Gonzalez, fol. 9. Citation de M. Mignet.

[342] Retira, estancia y muerte del emperador Carlos Quinto en el monasterio de Yuste, fol. 9.

[343] Le 10, le 14 et le 21 octobre. Note de M. Gachard.

[344] Elle respondit que les conditions de Son Altèze luy estoient incongneues, et avoit entendu de plusieurs que Son Altèze n'estoit si saige que Vostre Majesté ; qu'il estoit bien jeune et n'avoit que vingt-six ans ; que s'il vouloit estre voluptueux, ce n'est ce qu'elle désire, pour estre de tel eaige que Vostre Majesté scèt. Lettre de Renard à l'empereur, du 12 octobre 1553, aux Archives du royaume. Citation de M. Gachard.

[345] Je dis à ladicte royne que, quant aux conditions de Son Altéze, je ne doubtois qu'elle fût abreuvée de personnaiges trop suspects et trop inclinés à mal parler et médire, qui par passion parloient plus que par vérité ; que ses conditions estoient telles, si louables, si vertueuses, si prudentes et modestes, que c'estoit plustost chose admirable que humaine. Lettre de Renard à l'empereur, du 12 octobre 1553, aux Archives du royaume. Citation de M. Gachard. — Dans l'entrevue que Renard eut avec la reine le 14, elle le conjura de lui dire, en lui prenant la main, s'il estoit vrai que Son Altèze fût tel qu'il lui avoit dit dernièrement. A quoi il répondit que si sa caution estoit suffisante, il l'obligeroit pour le tesmoingnage de ses qualités, autant vertueuses que de prince qu'il soit en ce nombre. Lettre de Renard, du 15 octobre. Citation du même.

[346] Elle me dit qu'elle n'avoit affection à Courtenai et ne s'estoit résolue en rung ni en l'aultre. Lettre de Renard à l'empereur, du 23 octobre, aux Archives du royaume.

[347] Ces lettres, en date du 10 octobre, sont dans les Papiers d'état de Granvelle, t. IV, p. 125.

[348] Elle lui dit qu'elle croyoit qu'elle s'accorderoit au mariage du prince. Renard écrivit à l'empereur : Par ce V. M. entendra comme le mariage est si avancé qu'il ne reste sinon l'advis des conseillers, puisque ladicte dame a donné son mot ; et jaçoit que l'ait limité par croire, si est-ce V. M. entend assez que veut dire cela. Lettre du 28 octobre, aux Archives du royaume.

[349] Lingard, M. Mignet, M. Henne, etc., donnent à cet évènement la date du 30 ; ils se trompent. Dans sa lettre du 31 à Charles-Quint, Renard s'exprime ainsi : Dimanche au soir ladicte dame me manda pour venir devers elle : ce que je fis. Or le dimanche était le 29, comme on peut s'en assurer en consultant l'Art de vérifier les dates. Note de M. Gachard.

[350] Lettre de Renard à l'empereur, du 31 octobre 1553, aux Archives du royaume.

[351] Desguisant le fait comme si jamais elle n'en eût ouy parler, écrivit Renard à l'empereur.

[352] Lettre de Renard à l'empereur, du 8 novembre, aux Archives.

[353] Archives du royaume. Citation de M. Gachard.

[354] Lettres écrites à l'empereur par ses ambassadeurs, les 7 et 12 janvier 1551, aux Archives.

[355] Et de sa première femme, Marie de Portugal.

[356] Lingard, Histoire d'Angleterre, t. II. — Le texte du contrat de mariage est dans Dumont, t. IV, part. III, p. 106-108.

[357] L'insurrection s'était déclarée dans le comté de Kent, le 25 janvier 154, et s'était étendue rapidement. Le chef des insurgés, sir Thomas Wyat, s'empara d'un quartier de Londres. On eut de grandes craintes pour la reine. Déjà, plusieurs mois auparavant, Simon Renard écrivait à l'évêque d'Arras : Cette princesse sera précipitée une de ces matinées du trône ; elle ne pense autre chose sinon à remettre la messe et religion au dessus, ce qui lui suscitera plusieurs assaulx, si Dieu ne la préserve (Lettre du 9 septembre). Mais, au milieu de ces périls, Marie déploya une énergie qu'on était loin de lui supposer, et, rejetant les conseils timides de ses ministres, elle tint victorieusement tête à l'orage. Thomas Wyat et le duc de Suffolk, défaits et pris, portèrent leurs têtes sur l'échafaud, où les suivit Jeanne Grey, dont ils avaient voulu faire leur reine. Élisabeth, fille d'Henri VIII et d'Anne Boleyn, impliquée dans la conspiration, fut aussi arrêtée et condamnée à mort par arrêt du parlement. Ce fut Philippe, le mari de Marie, qui demanda et obtint la grâce de sa belle-sœur et de beaucoup d'autres personnages compromis dans ces évènements.

[358] Ils s'embarquèrent avec leur suite sur des bateaux zélandais et anversois qui étaient à l'ancre dans la Tamise, prêts à mettre à la voile. Ils débarquèrent le 3 février à Flessingue. Note de M. Gachard.

[359] Une lettre du comte d'Egmont à l'empereur, datée de Falmouth le 6 avril, nous apprend que son voyage fut retardé de plusieurs semaines par les vents contraires. Deux fois il fit voile pour l'Espagne, et deux fois il fut obligé de revenir en Angleterre. (Archives du royaume.) Note du même.

[360] Le chiffre exact donné par M. Henne est de 402.407 carolus. Acten van de dry staeten, f° 257.

[361] Chronique de 1551 à 1554, aux archives d'Arras. Citation de M. Henne.

[362] Archives du royaume, Reg. Propositions aux états généraux, 1535-1563, fol. 220. Citation de M. Gachard,

[363] Bulletins de la commission royale d'histoire, 2e série, t. V, p. 76.

[364] Reg. Propositions aux états généraux, 1535-1563, fol. 167.

[365] M. Gachard, Biographie nationale. — M. Henne donne les chiffres suivants par province : La Hollande et la Flandre accordèrent sans opposition l'une 200.000 florins, l'autre 400.000 écus de 24 patards ; mais, dans le Brabant, que de fréquentes menaces d'invasion avaient obligé à d'énormes dépenses, il fallut d'itératives convocations pour obtenir le consentement des nobles et des prélats, qui, pour se soustraire aux charges résultant de leur vote, proposèrent un impôt sur les marchandises. Les villes, cognoissant que ce seroit la ruine du peuple, repoussèrent cette proposition et l'on eut beaucoup de peine à triompher de leur résistance aux demandes du gouvernement : ce fut seulement le 1er juillet que les trois membres votèrent une aide de 400.000 carolus à lever sur le vin, la bière, la viande et le grain. Le Hainaut, dont toutes les villes étaient obligées de recourir à des taxes extraordinaires pour payer leurs dettes, ne fournit sa quote-part qu'au moyen de concessions exceptionnelles. Après mainte convocation, les états de Namur accordèrent 16.000 livres ; ceux du pays de Fauquemont, 10.000, etc. Ouvrage cité, t. X, p. 92, 93.

[366] Édit du 19 janvier. Isambert, Recueil général des lois françaises, t. XIII, p. 301.

[367] Édit du mois de mai 1553. Recueil général des lois françaises, t. XIII, p. 323.

[368] Édit du mois de juillet 1553. Recueil général des lois françaises, t. XIII, p. 335.

[369] Édit du mois de juillet 1553. Recueil général des lois françaises, t. XIII, p. 335.

[370] L'auteur des Commentaires de la guerre contre les protestants d'Allemagne. Ces commentaires écrits en espagnol, sous l'inspiration de l'empereur, furent traduits en latin par le Brugeois Guillaume Van Male, le plus affidé des serviteurs de chambre de l'empereur, dit M. Mignet. Van Male, dit encore cet historien, versé dans la connaissance des langues grecque et latine, était un humaniste distingué du siècle, savait beaucoup, parlait bien, écrivait élégamment. Nous verrons plus tard qu'il suivit Charles-Quint à Yuste.

[371] Lettre de B. de Salignac-Fénélon à monseigneur le cardinal de Ferrare, du 12 juillet 1554. Le voyage du Roy au pays-bas de l'empereur, en l'an MDLIIII. Paris, chez Charles Estienne, MDLIIII. Citation de M. Henne.

[372] Lettre de Granvelle, du 24 septembre. Papiers d'état, IV, 306.

[373] Lettre du duc de Savoie, du 23 juin. Lettres des seigneurs, XII, f° 173. Citation de M. Henne.

[374] Lettres du capitaine de Binche, Louis de Sivry, du 24 juin ; des maïeur et échevins de Namur, du 25 ; du duc de Savoie, du 26. Lettres des seigneurs, XII, f° 189, 195, 221.

[375] Lettres de Salignac-Fénélon et des maïeur et échevins de Namur.

[376] Rapport d'ung prisonnier franchois, du XXVIe de juing. Lettres des seigneurs, XII, f° 223.

[377] Sommes adverty par le capitaine Julian espaignol, que la ville de Mariembourg est rendue dès hier environ les dix heures du matin. Lettre des majeur et échevins de Namur, du 27 juin. Lettres des seigneurs, XII, f° 243. Lettre de Charles-Quint, du 27 juin. Papiers d'état de Granvelle, IV, 262. Suivant cette lettre, au moment de l'attaque, un soudart de la garnison, soit par hayne particulière, ou sollicité des ennemis, tua le capitaine. Mais le fait est controuvé, et Pontus Heuterus affirme avoir vu, à Paris, en 1560, l'infâme Martigny, traînant, dans la misère et le mépris, une honteuse existence, qu'abrégèrent le remords et la faim (Rerum Austriæ, l. XIII). Guicciardin raconte également cette circonstance. — Marie de Hongrie ordonna d'arrêter le lieutenant porteur d'enseigne et les autres officiers de la garnison, et de les lui envoyer sur le champ, sous banne garde, à Bruxelles, où les amenèrent des hallebardiers et un sergent du bailli de Namur (Compte de H. de Witthem, f° XXX). — Au mois d'août 1555, le prince d'Orange arrêta le lieutenant de Philibert de Martigny, et la régente ordonna de le transférer à Namur, en le faisant mettre avecq garde, en lieu où l'on se puist asseurer de sa personne. (Lettre du 7 août, Correspondance de Guillaume le Taciturne, I, 73. — On emprisonna aussi ung maistre masson, ayant ouvret à la construction première de Marienbourg, à raison que publiquement, le camp du roy franchois estant devant icelle ville, ledit masson avoit déclaré en plein marché : Que voulez-vous dire, je vous gaige que Marienbourg serat ès mains des franchois devant demain le disner ? Compte de J. Favelly, f° XX.

A cette note de M Henne M. Gachard oppose celle-ci : Le commandant de Marienbourg a été accusé par plusieurs historiens d'avoir vendu cette place aux Français. Il ne faut pas admettre à la légère les accusations de trahison, auxquelles ne sont que trop souvent en butte ceux qui ne réussissent pas à la guerre. Dans la correspondance de ce temps de la reine Marie avec Charles-Quint et Granvelle, je n'ai rien vu d'où l'on puisse inférer que Martigny se serait laissé corrompre. L'archevêque de Conza, annonçant, le 21 juin, au cardinal del Monte, secrétaire d'état du pape Jules III, la perte de Marienbourg, l'attribue à la lâcheté des Wallons qui en formaient la garnison. Guicciardin, qui était contemporain des évènements, s'exprime ainsi : Marienbourg est presque inexpugnable, si elle est bien gardée et fournie de ce qui est nécessaire, et pourveu qu'il n'advienne comme advint à ceux qui, l'an 1554, la perdirent ignominieusement par leur laschete, quoyqu'il y en a qui blâment le gouverneur d'icelle de trahison. Description des Pays-Bas, édit. de 1582, p. 437. Il y a encore une observation qui se présente naturellement à l'esprit : si Martigny avait vendu Marienbourg aux Français, serait-il mort de faim à Paris, comme Pontus Heuterus le rapporte ?

[378] Lettre de Simon Renard, du 4 juillet. Papiers d'état de Granvelle, IV, 271.

[379] Rabutin.

[380] Lettre des maïeur et échevins de Namur, du 28 juin. Lettres des seigneurs, XII, f° 253.

[381] Lettre de Salignac-Fénélon. — Rabutin.

[382] On lit, dans une lettre écrite, le 5 juillet, par l'archevêque de Conza au cardinal del Monte, que l'empereur, à cette nouvelle, fut sur le point de se retirer en Hollande, et que déjà des ordres étaient donnés afin qu'on tint prêts des chariots et des mulets pour le voyage. Ce prélat parait s'être rendu ici l'écho de bruits mensongers : car l'empereur, en annonçant à son fils, le 28 juin, la perte de Marienbourg, lui dit qu'il a résolu de faire marcher les troupes dont il peut disposer dans la direction des ennemis, et d'aller se mettre à leur tête. Note de M. Gachard.

[383] L'archevêque écrit au cardinal le 25 juin : Si lamentano de la negligenza di Sua Maestà, et le 27 : Tutti li imperiali dannano la negligenza di S. M., et li temeno di peggio se non si sveglia. Dicono che sapeva i preparamenti di Francia et nondimeno non ha fatto le provisioni necessarie. Nunziatura di Fiandra, vol. II, fol. 113 et 120. Citation de M. Gachard.

[384] L'ambassadeur de Florence, Pandolfini, écrivait à Côme de Médicis le 4 juillet : Trovasi l'imperadore in uno besogno grande di danari, et la piazza d'Anversa va strettissima. Archive de Florence. — Dépêche de l'archevêque de Conza, du 25 juin. Citation de M. Gachard.

[385] Dans sa dépêche du 4 juillet, Pandolfini, parlant des embarras de l'empereur, s'exprime ainsi : Tutti questi disordini sono in buona parte attribuiti alla tarda natura di S. M., anchorchè et ella et i consigleri suoi ne diano la colpa alla troppa tardanza del principe di Spagna, con dire che havevano fondato ogni loro disegno et pensiero sopra le ebenti et danari che S. Alta conduce seco.

[386] Relation officielle des mouvements de l'armée de l'empereur et de l'armée française, du 8 au 29 juillet. Analectes historiques de M. Gachard, t. III, p. 107.

[387] Ces ordres donnés aux villes et aux gentilshommes eurent de médiocres résultats. Pour faire marcher à l'armée les milices communales, il aurait fallu les payer, et le trésor était vide. Il n'y eut qu'une compagnie d'Anvers et une de Malines qui prirent part aux opérations militaires. Quant aux gentilshommes, le nombre de ceux qui se présentèrent aux rendez-vous qui leur avaient été assignés, fut peu considérable. Note de M. Gachard.

[388] Dépêche de l'archevêque de Conza, du 8 juillet 1554. Vol. cité, fol. 134. M. Gachard.

[389] Dans une lettre écrite de Jodoigne, le 12 juillet 1554, à l'empereur, la reine Marie en fait un tableau saisissant : Si d'ung coustel faict à peser le peu de satisfaction des gens de guerre, qui ne désirent estre chastiés de leurs oultraiges, d'aultre part est de grande importance de laisser les insolences si énormes impugnies, lesquelles sont exécrables et oncques par cy-devant veues en çe pays, quelques grosses armées que l'on y ait menées : de sorte qu'il n'est question de vivre et de menger sur le bonhomme, ou de fouraiger le pays, mais de le saccaiger à cincq ou six lieues à la ronde autour de l'armée, sans y laisser ny meubles, ustensiles ny bestial, navrans et oultraigeans tant qu'ilz en treuvent. Et se saulve desjà tout ce qu'est à l'entour d'icy vers Louvain. Archives du royaume. — Le 30 juillet elle écrivait à Granvelle : Les foules et pilleries que les gens de guerre de S. M. font aux pauvres gens augmentent de jour en jour, de sorte qu'il n'y a gentilshommes, cloistres ni paysans qui n'en souffrent ; et devient la cryerie si grande et universelle que je ne sais comment l'on y pourra remédier, et moins apaiser les bons subjects, ayant furni libérallement les aydes et faict au surplus tout bon devoir. Vol. cité, fol. 134. M. Gachard.

[390] Tous les officiers se sont enfuyz et, à ce que je vois, prestz pour quitter le service. Lettre de Marie à l'empereur, du 15 juillet. Vol. cité, fol. 134. M. Gachard.

[391] Dépêche de l'archevêque de Conza, du 15 juillet 1554. Vol. cité, fol. 138. M. Gachard.

[392] Il écrivait à la reine le 14 juillet : L'évesque d'Arras m'a faict lecture des lettres que vous luy avez escriptes de vostre main sur le désordre qui se faict journellement par les gens de nostre camp sur les subjects, lesquels certes je sens plus que vous ne pouvés penser et austant que vous ny autre qui soit en ce monde. Mais je y vois peu de remède, et mesmes tant que l'on sera près des ennemys. Archives du royaume.

[393] La reine ordonna à Herlaer d'aller tenir prison au château de Rupelmonde, mais comme elle était convaincue qu'il n'avait fait que son devoir, elle recommanda au châtelain d'avoir pour lui des égards particuliers. Lettre du 19 juillet, aux Archives. M. Gachard.

[394] La peste commenche icy fort à régner, et à ceste occasion les ouvriers des ouvraiges ont commenché à eulx enffuyr par grandes troppes. Lettre de Van Rossem, du 10 mai 1554. Lettres des seigneurs, XI, f° 411.

[395] Lettre du même, du 12 juin. Lettres des seigneurs, XII, f° 71.

[396] Lettres de Mégem, des 20 et 21 juin. Lettres des seigneurs, XII, f° 140 et 154.

[397] Nous avons résolu Rosimboz, Malendry et moy, de loger à l'abbaye de Grand-Prez. Lettre de Mégem, du 30 juin. Lettres des seigneurs, XII, f° 341. — Grand-Pré, abbaye de l'ordre de Cîteaux, située à trois lieues de Namur.

[398] Ce village, appelé aujourd'hui Neufmanil, est situé au nord de Mézières, sur un affluent de la Semoy.

[399] Rabutin.

[400] Rabutin.

[401] Rabutin.

[402] Rabutin.

[403] Rabutin.

[404] Lettre citée de Salignac-Fénelon.

[405] Cet ancien château, sur la rive droite de la Meuse, à six lieues de Namur, n'a plus été relevé. Galliot, III, 311.

[406] De Givet à Bouvignes, dit M. Henne, la rive gauche de la Meuse ne pouvait être suivie par une armée, et la lettre de B. de Salignac-Fénelon dit positivement que ce fut par ces plateaux que Bouvignes fut attaquée encores qu'on y tirast de hault en bas. Le récit de Rabutin, ajoute M. Henne, confirme aussi cette supposition.

[407] Lettre de Marie de Hongrie du 31 août. Lettres des seigneurs, XII, f° 125.

[408] Salignac-Fénelon et Rabutin. — On connaît la légende des trois dames de Crèvecœur qui se seraient précipitées dans la Meuse du haut de la tour pour se soustraire à la brutalité des ennemis. Aucun monument historique ne mentionne le fait, mais un anniversaire se célèbre chaque année en l'église paroissiale de Bou-vignes, avec un grand concours de peuple, dit-on, pour en rappeler la mémoire. M. Henne, s'étant adressé à M. Lekeu, curé de Bouvignes, en a reçu les renseignements suivants : Cet anniversaire est inscrit au nombre de ceux qui sont à la charge de la fabrique ; celle-ci reçoit de ce chef une rente de douze muids d'épeautre établie sur la ferme de Rostenne. Les registres de la paroisse ne renferment pas d'acte de fondation, mais une série d'actes de payement qui ont servi de titre jusqu'à la prescription trentenaire de 1834. A cette époque, le propriétaire de la ferme de Rostenne, a passé un titre nouvel déposé dans les archives de la fabrique. C'est simplement sans doute un obit pour trois dames dont on ignore le nom.

[409] Lettre du comte d'Hoogstraeten du 10 avril. Lettres des seigneurs, IV, f° 225.

[410] Lettre de l'évêque du 23 juin. Lettres des seigneurs, XII, f° 175.

[411] Lettre du même du 10 juin. Lettres des seigneurs, XII, f° 61.

[412] Lettre de Jean de Hamal du juillet. Lettres des seigneurs, XII, f° 351.

[413] Remacle Mouhy de Ronchamps trace de ce seigneur, qui devint souverain mayeur de Liège, un portrait si flatteur, qu'il est difficile de ne pas le croire exagéré : Instruit pour son siècle il joignait à une physionomie heureuse une valeur sans égale. La noblesse et la gravité étaient peintes dans tous ses traits, et la vérité trouva toujours en lui un zélé défenseur. Vir nobilis et generosus, dit de son côté Chapeauville. Note de M. Henne.

[414] On le voit cité sous ces deux prénoms.

[415] Rabutin, Fisen, Villenfagne, Histoire de Spa, t. I, p. 276.

[416] Lettre citée du 8 juillet.

[417] Ouvrage cité, X, 117. — Suivant Rabutin, la reddition de la ville eut lieu après l'assaut donné au château ; mais Salignac-Fénelon la place antérieurement, et sa version, écrite peu de jours après l'évènement (31 juillet), semble plus exacte à M. Henne.

[418] Lettre citée de Salignac-Fénelon du 31 juillet. — Suivant Rabutin, ce château, qui avait été reconstruit sous Érard de la Marck, était couvert à l'est et à l'ouest par deux bastions ; celui de l'est était peu, considérable ; l'autre, au contraire, était susceptible d'une longue résistance. Note de M. Henne.

[419] Lettre de Salignac-Fénelon. — Cette défaillance des compagnies françaises est confirmée en tous points par Rabutin. Celui-ci ajoute même que aucuns capitaines, auparavant bien estimés, tombèrent en fort mauvaise estimation.

[420] Lettre de Carondelet du 8 juillet. Lettres des seigneurs, XII, f° 350.

[421] Salignac-Fénelon.

[422] Rabutin. — Quare territi Germani diutiusque repugnare detrectantes, deditionem obtulerunt. Fisen.

[423] Villenfagne. — Sed et Barlomontius fide nihilo meliore in Franciam abductus est, dit Fisen ; et Chapeauville dit de même : præter pactam legem, captivus in Gallias abdactus.

[424] Salignac-Fénelon.

[425] Lettres de Hamal du 1er août et de la reine du 3. Lettres des seigneurs, XII, f° 382 et 394.

[426] Ce château, célèbre dans l'histoire de Namur, n'avait pas été entièrement relevé depuis que les Liégeois l'avaient saccagé en 1434. Galliot, III, 304.

[427] De Marne et Galliot disent que ce fut le château de Beaufort, forteresse autrefois considérable, à quatre lieues au dessous de Namur, mais dont les fortifications, rasées par les habitants de Huy, sous Philippe le Bon, n'avaient pas été complètement rétablies. Il est impossible d'admettre que les Français se soient avancés jusque là, Charles-Quint se trouvant à Bouges, Van Rossem et de Mégem à Grand-Pré, sur la rive droite de la Meuse, et le duc de Savoie à Gembloux. Il est probable, pour ne pas dire certain, que les historiens namurois trouvant un château appartenant au seigneur de Beaufort, ont appliqué au château de Beaufort l'évènement arrivé au château de Spontin, situé sur la rive droite de la Meuse, à deux lieues de Dinant. Note de M. Henne.

[428] Dewez.

[429] Salignac-Fénelon.

[430] Rabutin.

[431] Compte de H. de Witthem, f° XXXI. Citation de M. Henne.

[432] Salignac-Fénelon.

[433] Fisen.

[434] Salignac-Fénelon n'indique pas l'itinéraire suivi par l'armée royale, et Rabutin l'explique d'une manière peu claire. En quittant la vallée de la Meuse pour se jeter dans le pays d'Entre-Sambre-et-Meuse, et se porter ensuite sur la Sambre, les Français passèrent certainement par Florennes, qui faisait partie du pays de Liège, et par Stave, qui appartenait au comté de Namur. Il y a tout lieu de croire qu'ils franchirent la Sambre à Pont de Loup et à Châtelet, où il y avait des ponts sur cette rivière (voir la carte du Hainaut, publiée par Jean Blaeu, en 1649), fort guéable du reste alors en beaucoup d'endroits.

[435] Ordre du 14 juillet. Archives de l'audience, liasse IIII. Citation de M. Henne.

[436] Rabutin.

[437] Rabutin. — Ils brûlèrent, entre autre, Saint-Géry, Gentinnes et la ferme de Géronvillers, Marbais et son château seigneurial dit du Châtelet, la ferme de Bongré à Boisy, Sart-Dames-Avelines, Frasnes, etc. Tarlier et Wauters, La Belgique ancienne et moderne. — Wauters, L'ancienne abbaye de Villers.

[438] Rapport du 21 juillet. Lettres des seigneurs, XII, f° 365.

[439] Rabutin.

[440] Rabutin.

[441] Rabutin.

[442] Lettre de Granvelle du 23 juillet.

[443] Brantôme. — Folembray, village du département de l'Aisne, à 30 km. de Laon. François Ier y avait une belle maison de chasse, ruinée par les Impériaux.

[444] Salignac-Fénelon.

[445] Vinchant, Annales du Hainaut, V, 255.

[446] Et n'en puis escrire, dit Rabutin, qu'avec grand regret et compassion, voyant ainsi tuer et exterminer tant de beaux édifices.

[447] Lettre citée du 23 juillet.

[448] Dans une autre lettre, aux Archives du royaume, Marie disait : Quant à ce que m'escripvez dudict Binches, je passe facilement le regret, estant cas de guerre, et vouldroye que je fusse seulle qui deust souffrir, et que tant de gentilshommes et aultres subjects en fussent esté exempts.

[449] Rabutin. — Vinchant dit la ville ; ce fut probablement l'un et l'autre.

[450] Rabutin.

[451] Rabutin.

[452] Cours d'eau qui a donné son nom au village de Bermerain Sainte-Marie.

[453] Lettre de C. de Berlaimont du 26 juillet 1554. Lettres des seigneurs, XII, f° 371.

[454] Je suis venu en ceste ville par le commandement de Sa Majesté pour la garde d'icelle. Lettre de Lalaing du 27 juillet. Lettres des seigneurs, XII, f° 375. Lalaing écrivait à la reine de Hongrie le 8 août : Madame, je ne veulx celer à Votre Majesté que je trouve en ceste ville les humeurs aulcunement changées, et que le cœur leur est diminué. Qui perd le sien, il perd le sens, car voicy la deuxième année que sont ruynés et bruslés. Ils me mettent en avant ce qu'ils souffrent et ont souffert, les impôts qu'ils ont courans pour eulx ayder, et que ne peuvent estre payés de ce qu'ils ont presté, pour estre quittes de l'oppression en quoy ils estoient.... Et pour tout dire, Madame, donnent à cognoistre qu'il leur fauldra abandonner la ville. Ibid., f° 414.

[455] Lettre de Granvelle à Simon Renard, datée du camp de Bouchain, le 4 août, Papiers d'état, IV, 284.

[456] Ils avaient accompagné le prince Philippe, qui venait de débarquer à Southampton pour l'accomplissement de son mariage avec la reine Marie Tudor.

[457] Salignac-Fénelon.

[458] Lettre de Berlaimont du 9 août. Lettres des seigneurs, XII, f° 420.

[459] Lettre de Granvelle du 12 août. Papiers d'état, IV, 290.

[460] Lettre de d'Aremberg du 11 août. Lettres des seigneurs, XII, f° 446.

[461] Lettre de Granvelle du 10 août. Lettres des seigneurs, XII, f° 431.

[462] Salignac-Fénelon.

[463] Lettre de Granvelle du 9 août. Papiers d'état, IV, 289.

[464] Lettre de d'Aremberg du 11 août. Lettres des seigneurs, XII, f° 446

[465] Rapport du Xe d'aoust 1554. Lettres des seigneurs, XII, f° 442. — Autre rapport du même jour, f° 443.

[466] Un espions uit deviser à deux gentilshommes des plus privés des seigneurs de Vendosme et d'Enghien, comme ils faisoient leur compte de battre le 10 aux défenses de la place avec 10 ou 12 pièces d'artillerie, et le lendemain à brèche avec 22, et de hanter le plus possible par crainte de l'arrivée de l'empereur. Mesme l'un d'eux dit que ledit chasteau ne tiendroit point quatre jours. — Sur quoy l'autre répondit : Nous ne l'avons point encore, car le roy a eu maintenant nouvelles que l'empereur a fait pour cejourd'hui 6 ou 7 lieues, et est arrivé à l'abbaye de Ham ; s'il chemine encore une telle journée, il sera prêt pour nous combattre. — Lors l'autre répliqua : Pensez-vous que l'empereur veuille hasarder toutes ses forces pour Renty ? — A quoy l'autre dit : Si l'empereur vient camper à une lieue ou à demi-lieue d'ici, comment voulez-vous que nous donnions assaut ? Ne faut-il point que nos gens soient empeschés à deux costés, et ne faut-il point que nous soyons campés à deux costés de la rivière ? Il ne faut point désestimer son ennemy. J'en vois icy de bien braves, mais si l'empereur approche de si près, vous en verrez de bien honteux. Sur quoy l'autre répondit que l'empereur ne saurait là venir en bataille. — Alors dit son compagnon que s'il gagnait le pays du eosté d'Escoupelle tirant vers Vymeu, qu'il aurait bien moyen de l'approcher, et mesme qu'il aurait la montagne pour luy, et que le roy ne le pourrait assaillir, si non pardevant, à cause de la forêt de Faulquenberghe. Rapport d'ung espie ayant par cy-devant servi au comte du Rœulx, du 10 août. Lettres des seigneurs, XII, f° 442.

[467] Les ennemis donnèrent hier à six heures du soir l'assault, dont furent verdement reboutés. Lettre de Lalaing du 13 août.

[468] Salignac-Fénelon. — Rabutin.

[469] Lettre citée de Lalaing du 13 août.

[470] Lettre citée de Lalaing du 13 août.

[471] Rabutin, — Ils continuent aujourd'hui jusques à ceste heure bien fort leur batterie, dit Lalaing dans sa lettre du 12 août. — Le Petit dit que les Français y tirèrent environ huit mille coups de canon.

[472] Lettre de Granvelle du 9 septembre. Papiers d'état, IV, 300.

[473] Lettre de Lalaing du 17 août. Lettres des seigneurs, XII, f° 460.

[474] La reine de Hongrie écrivait, le 17 août, à Philippe d'Orley : Pour vous advertir de la continuation de bonnes nouvelles qu'il a pieu à Dieu donner ce jour mesme, Sa Majesté s'est approchée avec son armée le 42e de ce mois un quart de lieue près de Renty, là où le roi de France tenoit le siège, et sentant ledit roi que Sa Majesté, au 11 et 14e ensuivant, continuoit de approcher son armée pour le combattre, la nuit ensuivant ledit 14e, troussa secrètement son bagaige et retira son artillerie en grande haste, abandonnant le siège dudit chasteau, s'est saulvé en extrême diligence, usant du bénéfice de la nuit et d'une grande bruyme qui s'estoit eslevé le matin du 15, avecq grande desréputation de avoir esté contrainct laisser son emprinse et n'oser attendre, et dont il a si souvent ceste année se vanté de le chercher ; et mesme estant audit siège, a perdu bon nombre de ses meilleurs gens d'infanterie tant par ceulx dudit chasteau que de ceulx de l'armée de Sa Majesté, lesquels n'ont cessé nuit ni jour de resveiller son armée, jusques ce qu'il a prins ce parti de abandonner son camp et ladite place de Renty, qui sont bien nouvelles qui méritent que l'on rende grâce à Dieu, comme vous exhorterez à ceulx du pays de Luxembourg de faire. Reg. Coll. de docum. histor., IX, f° 205. Citation de M. Henne.

A propos de l'affaire de Renty, M. Mignet raconte la curieuse anecdote suivante : Don Luis de Avila vint revoir l'empereur à Yuste dans l'été de 1557. Ce seigneur lui était particulièrement agréable ; il avait été son ambassadeur auprès des papes Paul III et Paul IV pour les affaires du Concile, son sommelier de corps, le compagnon de ses guerres, l'historien de ses victoires en 1516 et 1547. Son admiration reconnaissante pour l'empereur se voyait partout dans son palais de Plasencia, d'une noble et élégante architecture, et dont la cour intérieure, ornée d'une fontaine à la façon mauresque, était entourée de deux étages de galeries avec des colonnes d'ordre dorique et d'ordre ionien. Au fronton de la plus apparente fenêtre était inscrite la devise chrétienne et philosophique : Todo pasa, Tout passe. Sur une terrasse en jardin suspendu étaient des inscriptions romaines et des bustes antiques. Parmi ceux d'Auguste et d'Antonin le Pieux, don Luis de Avila avait placé une magnifique tête en marbre de Charles-Quint, sculptée par le maître Leone Leoni ou par son fils Pompeio Leoni, et au bas de laquelle il avait mis une plaque en bronze avec cette inscription d'un tour espagnol et d'un langage italien :

—-

Carlo Quinto, et è assai questo,

perché si sa per tutto il mondo il resto.

A Charles-Quint. Ce nom en dit assez, car le reste se sait

par le monde entier.

—-

Don Luis de Avila décorait son palais de tableaux représentant les plus glorieux évènements de la vie de son héros. Il faisait peindre à fresque quelques-unes de ses victoires. L'empereur, auquel il raconta qu'au nombre des peintures se trouvait la dernière rencontre qu'il avait eue avec le roi de France à Renty, lui demanda quelle était la disposition du tableau. En apprenant que les Français y semblaient chassés de leur position et mis en pleine déroute, Charles-Quint n'accepta point la flatterie d'un aussi grand succès, et lui dit : faites, don Luis, que le peintre modère cette action et la représente comme une honorable retraite et non comme une fuite, car véritablement ce n'en fut pas une. Charles-Quint, son abdication, etc. 2e édit., p. 282-283.

[475] Commission du 7 novembre, délivrée au seigneur de Burscheydt, chargé de leur distribuer cette gratification. Elle porte que si quelques-uns de ces soldats sont trépassés, lesdits trois mois de gages seront payés à leurs veuves ou héritiers. Archives de l'audience, liasse III. — Dépêches de guerre, n° 368, f° 37 v°. Citations de H. Henne. Quant à Jacques de Bryas, en récompense de sa belle conduite, il fut nommé gouverneur héréditaire de Mariembourg, quand cette place fut rendue aux Pays-Bas. Fisen.

[476] Lettre de Granvelle du 18 septembre. Papiers d'état, XII, 303, 306, 307. — Lettre de Carondelet du 28 août. Lettres des seigneurs, XII, f° 506. Citation de M. Henne.

[477] Dépêche du 24 juin 1553 au cardinal del Monte, Nunziatura di Fiandra, vol. Ier, fol. 96. Citation de M. Gachard.

[478] On lit dans une autre dépêche : S. M. stà sana et per anco al cassino, passando parte del tempo intorno ad uno horologio il quai ha tutti i moti di pianete et quanto si puo conoscere nell' astrologia. — A propos de ce goût de l'empereur pour les horloges, nous lisons ces intéressants détails dans M. Mignet : Des objets capables de distraire son esprit et d'occuper ses loisirs avaient été portés au monastère de Yuste pour les travaux de mécanique, d'horlogerie, d'astronomie et de géographie. Le savant mécanicien Giovanni Torriano, que secondait un horloger ordinaire appelé Jean Valin, avait construit pour l'empereur quatre belles et grandes horloges, outre un nombre considérable de petites horloges portatives, qu'on a depuis appelées montres, et auxquelles il travaillait à Yuste avec Charles-Quint. La plus grande des quatre horloges, enfermée dans sa caisse et posée sur une table de noyer, était dans la chambre de l'empereur ; les trois autres, dont l'une se nommait et portal (le portique), l'autre, el espejo (le miroir), et dont la dernière était sur pied, mais sans nom, avaient été placées dans d'autres pièces de la résidence impériale. Charles-Quint avait aussi un cadran solaire doré et tous les instruments pour en faire d'autres. En note, M. Mignet ajoute : Le fameux Cardan, après avoir parlé, dans le livre XVII, De artibus, des horloges à ressorts et à roues dentelées qui avaient succédé aux horloges à poids et à cordes, et dans la confection desquelles excellait Giovanni Torriano, dit qu'il fit, au moyen de ressorts et de cercles, sur un char de campagne, un siège où l'empereur était immobile, quel qu'en fût le mouvement, et qu'il construisit pour lui une horloge qui donnait toutes les divisions de la terre et tous les mouvements des astres dans le ciel. Cardan, De subtilitate, p. 478, édit. pet. in-folio ; Bâle 1582. — M. Mignet, ouvrage cité, p. 24.

[479] Renaud Pole ou Poole, dit le cardinal Polus, était parent du roi Henri VIII. Il déplut à ce roi en désapprouvant son changement de religion et n'échappa qu'à grand'peine au dernier supplice. Il fut un des présidents du concile de Trente, et devint, sous Marie Tudor, archevêque de Cantorbéry et président du conseil royal. Le cardinal Polus déploya, dans les missions importantes qui lui furent confiées, les talents d'un homme d'état. Il a beaucoup écrit sur des matières religieuses. Nous citerons son Orazione delta Pace a Carolo Quinto, Louvain, 1558, in-4°.

[480] Dépêche de l'archevêque du 13 octobre. Volume cité, fol. 218. Citation de M. Gachard.

[481] Dépêche du 15 novembre, vol. cité, fol. 55.

[482] Lettre de Charles-Quint du 1er septembre. Correspondenz, III, 639.

[483] Lettre de George d'Autriche du 6 août. Lettres des seigneurs, XII, f° 408.

[484] L'évêque d'Arras écrivait à la reine de Hongrie le 11 août : Madame, l'empereur a esté adverti que monseigneur de Liège fortifloit Dynant, pour la doubte qu'il a que les François n'y retournent, et soit que soit vray ou non, il semble à Sa Majesté qu'il seroit bien requis que Votre Majesté luy escripvit comme désirant sçavoir ce qu'il pense faire quant audit Dynant, luy représentant le danger auquel il se pourroit trouver, à faulte de pourvoir par temps à la fortification de ladite place, et qu'elle soit telle que les François après ne s'y puissent attacher... et de le presser plus avant d'arriver, afin qu'il laisse la place à Sa Majesté. Lettres des seigneurs, XII, f° 438.

[485] Lettre du 31 août. Lettres des seigneurs, XII, f° 525.

[486] On connait cette devise mystérieuse : F. E. R. T. Nous citerons seulement deux des nombreuses et peu satisfaisantes explications qu'on en a données. Les uns y ont vu les initiales des mots : fortitudo ejus Rhodum tenuit, mais il est difficile de dire à qui et à quel évènement cette phrase se rapporterait ; d'autres y voient les initiales des mots formant cette autre phrase : frappez, entrez, rompez tout.

[487] Madame, quant j'ay tant pensé aux maisonnages et aultres choses nécessaires pour l'érection du nouveau fort, je trouve que l'on ne s'est point souvenu du principal, qu'est de faire une esglise, et me semble que Votre Majesté ne feroit que bien d'y faire dresser quelque forme ou commencement, et commettre quelqu'un quy en prist la charge particulière, en y faisant remettre les chanoines et prébendes du vieil Hesdin. Et comme ledit nouveau fort a esté commenché sur un jour de Nostre-Dame, avecq ce que le nom de Votre Majesté s'y conforme, je serois d'opinion qu'elle se debvroit nommer l'esglise de Sainte-Marie ou de Nostre-Dame, puisque tout vient en un. Lettre du duc de Savoie du 12 octobre. Lettres des seigneurs, XII, f° 285.

[488] Lettre du 6 octobre. Lettres des seigneurs, XIII, f° 236.

[489] Lettre de Granvelle du 18 novembre. Papiers d'état, IV, 334. Lettre du duc de Savoie du 13 novembre. Lettres des seigneurs, XIII, f° 417.

[490] Lettres citées des 13 et 18 novembre.

[491] Lettres du duc de Savoie des 24 et 25 novembre, et de Bugnicourt du 1er décembre. Lettres des seigneurs, XIII, f° 467, 470 et 484.

[492] Lettres de Berlaimont du 22 août et du 11 septembre. Lettres des seigneurs, XII, f° 478, et XIII, f° 56.

[493] Madame, je ne fais doubte que le bailly de Brabant vous aura escript la bonne fortune que la garnison d'Arlon a eu allencontre de la garnison de Stenay, et en cas qu'il ne l'ayt fait, j'envoie à Votre Majesté icy encloses les lettres que monsieur de Villermont en a escript audit bailly, par lesquelles icelle pourra clerement entendre la bonne fortune. Lettre de Van Rossem du 31 août. Lettres des seigneurs, XII, f° 527.

[494] Lettre du gouverneur de Luxembourg du 2 octobre. Lettres des seigneurs, XIII, f° 213.

[495] Rabutin.

[496] Lettre de Van Rossem du 13 octobre. Lettres des seigneurs, XIII, f° 293. — Lequel chasteau depuis fut repris par les Bourguignons, y usant de plus grande cruauté envers ceux qu'ils y trouvèrent, qu'on n'avoit fait précédemment envers les leurs. Rabutin.

[497] Autre lettre de Van Rossem du 20 octobre. Lettres des seigneurs, XIII, f° 329.

[498] Lettre de Berlaimont du 17 octobre. Lettres des seigneurs, XIII, f° 316.

[499] Rabutin.

[500] Lettres du seigneur de Vendeville des 16 et 20 septembre. Lettres des seigneurs, XIII, f° 95 et 129.

[501] Lettres du 7 et du 13 avril. Lettres des seigneurs, XI, f° 178 et 224.

[502] Lettre du même du 25 juin. Lettres des seigneurs, XI, f° 207.

[503] Août 1554. Compte de P. de Senzeilles (n° 15229). Note de M. Henne.

[504] Acte de 1561, lui accordant, de ce chef, une remise des arrérages dans sa part des aides ordinaires et extraordinaires. Compte d'Aymon de Ferry (n° 16697). Citation du même.

[505] Lettre de Mégem du 5 septembre. Lettres des seigneurs, XIII, f° 17.

[506] Guicciardini.

[507] La peste désola particulièrement Namur, Verviers et les cantons voisins. (Lettre de Philippe de Neufville du 27 août. Lettres des Seigneurs, XII, f° 502. — Compte de Ph. de Senzeilles. — Citons encore comme plus maltraités par le fléau Lille, Le Quesnoy, Valenciennes et d'autres villes du Hainaut. A. Dinaux, Épidémies en Flandre.

[508] Dépêche de l'archevêque de Conza du 18 novembre 1554. Reg. cité, fol. 308. Citation de M. Gachard.

[509] Ouvrage cité, p. 88. — On a cherché à donner de la vogue, dans ces dernières années, à des accusations odieuses autant qu'absurdes sur le prétendu abandon où Charles-Quint aurait laissé sa mère, sur les tendances au protestantisme de celle-ci et sur la violence qui aurait été exercée contre elle pour cette raison. M. Gachard a parfaitement réfuté ces contes absurdes. Voir son double travail : Jeanne la Folle et saint François de Borja ; Les derniers moments de Jeanne la Folle, dans les Bulletins de l'académie royale de Belgique, 2e série, t. XXIX, pp. 290 et 389.

[510] M. Gachard, Bibliographie nationale. — M. Henne, ouvrage cité, X. 242-215. — Histoire de la bataille navalle faicte par les Dieppois et Flamens, au mois d'août en l'an 1555, reproduite dans les Archives curieuses de l'Histoire de France, 1re série, III, 139-168.

[511] Vaucelles, village du Cambrésis, à 3 km. S. de Cambrai, possédait une abbaye de Cîteaux, fondée par saint Bernard en 1132 ; c'est là que la trêve fut signée.

[512] Papiers d'état de Granvelle, t. IV, pp. 465-467.

[513] Archives du royaume, reg. Propositions aux états généraux, 1535-1565, fol. 132. Citation de M. Gachard.