L'EMPEREUR CHARLES-QUINT ET SON RÈGNE

TROISIÈME SECTION. — RÈGNE DE CHARLES-QUINT - 1506-1555

 

CHAPITRE IX. — TROUBLES ET RÉVOLTE À GAND. - CHARLES-QUINT À GAND. - LES GANTOIS CHÂTIÉS ET DÉPOUILLÉS DE LEURS PRIVILÈGES.

 

 

Tandis que ces choses se passaient en Espagne, aux Pays-Bas, le gouvernement de l'empereur était dans de grands embarras. Lorsqu'au mois de mars 1537, François Ier avait envahi l'Artois, la reine Marie avait assemblé les états généraux, pour leur demander une aide de douze cent mille florins destinée à la levée et à l'entretien, pendant six mois, d'une armée de trente mille hommes. Toutes les provinces avaient voté celte aide avec un empressement patriotique. Toutefois, en Flandre, le vote n'avait pas été unanime. Les trois premiers membres de la représentation nationale, Bruges, Ypres et le Franc, avaient consenti ; mais Gand, le quatrième, avait répondu qu'il était prêt à fournir un secours en hommes, si l'empereur en avait absolument besoin, selon l'ancien transport[1] et ancienne coutume de faire, mais non autrement, considéré le mauvais temps, petite négociation et gagnage, et les précédentes aides encore courantes[2]. La reine, ayant revu cette réponse, avait ordonné que l'aide fut levée au quartier de Gand[3], comme dans les autres, par le motif qu'elle avait été réclamée et accordée pour la défense du pays ; que, selon le droit écrit et la raison naturelle, l'accord des trois membres devait être réputé pour accord général et universel ; qu'il obligeait dans toute la province ; qu'il en avait été usé ainsi de tout temps et notamment en 1525 et 1535[4].

Cette décision mécontenta grandement les Gantois. Ils se plaignirent et, invoquant leurs privilèges, ils demandèrent qu'il fût sursis à la levée de l'aide et que les contribuables incarcérés pour refus de la payer fussent mis en liberté. La reine leur offrit le recours à la justice, leur laissant l'option entre le conseil privé et le grand conseil de Malines, qui était le tribunal souverain et le juge en dernier ressort de la Flandre. Les Gantois voulaient, avant tout, que la reine cédât à leur double demande, et Marie de Hongrie s'y étant refusée, le 31 décembre 1537, par acte fait devant notaire, ils appelèrent de son refus à la personne même de l'empereur[5]. Charles-Quint leur répondit longuement de Barcelone, le 31 janvier, en leur exprimant son étonnement qu'ils n'eussent pas accepté la voie de justice que la reine leur avait offerte et de laquelle tous bons et loyaux sujets se devaient contenter. L'empereur s'émerveillait qu'ils prétendissent non seulement s'exempter du payement de l'aide, mais encore empêcher les habitants de leur quartier de la payer, comme si ceux-ci étaient leurs sujets et non les siens et ne pouvaient rien donner ou accorder sans leur consentement[6]. Nous avions toujours, ajoutait-il, eu cette opinion et espoir de vous que, durant notre absence, vous vous employeriez plus à nous aider, assister et servir que nuls autres, à cause que sommes gantois et avons pris naissance en notre ville de Gand. Il les requérait enfin de vouloir, à sa contemplation, consentir la levée et l'aide dans leur quartier. S'ils continuaient à s'y montrer opposés, il leur ordonnait, sous peine d'encourir son indignation, de relever leur appel devant le grand conseil, n'entendant pas, lui, en prendre connaissance hors du pays, et le temps où il y pourrait revenir étant incertain[7]. Cette lettre, qui leur fut remise au mois de mars, ne produisit qu'une médiocre impression sur les Gantois. Ils ne tinrent pas plus de compte d'un mandement de l'empereur, rapporté d'Espagne par le conseiller d'état Van Schoore, et qui enjoignait à tous les contribuables du quartier de Gand d'acquitter leur quote-part dans l'aide : à défaut de quoi ils y seraient contraints[8]. Au mois de mai 1538, la régente eut à solliciter une nouvelle aide des membres de Flandre, comme cela avait été fait dans les autres provinces, pour la solde des gens de guerre et l'entretien des places fortes. Pour préparer la voie à l'exécution de cette mesure difficile, elle ordonna l'élargissement provisoire des personnes qui s'étaient laisser emprisonner précédemment plutôt que de payer la somme à laquelle elles avaient été taxées. Cet acte d'indulgence n'eut pas l'effet qu'elle en attendait[9]. Gand accueillit la nouvelle demande par un refus unanime ; Ypres ne montra pas une meilleure volonté ; Bruges et le Franc étaient dans des dispositions plus favorables, mais n'osaient les manifester de crainte de mécontenter le peuple[10]. Sur ce, la reine fit recommencer les poursuites pour la perception de l'aide de 1537. Les Gantois réclamèrent de nouveau et avec une grande vivacité, mais la régente leur répondit, comme la première fois, que s'ils se croyaient lésés, ils n'avaient qu'à s'adresser à la justice. La plupart des villes et des villages du quartier de Gand finirent par payer la contribution. Mais il n'en fut pas de même de la châtellenie du Vieux-Bourg qui était contiguë au territoire de la ville : là les Gantois ne permettaient pas aux gens de loi d'exécuter les contribuables.

Les choses en étaient là lorsque, le 7 juillet 1539, le magistrat assembla la collace[11]. Le Brabant, le Hainaut et l'Artois avaient résolu d'envoyer une ambassade à l'empereur pour lui présenter des compliments de condoléance sur la mort de l'impératrice. Le magistrat proposa à l'assemblée d'adjoindre à l'ambassade des députés de la Flandre. Il lui fit, de plus, suivant la coutume, la proposition de mettre en ferme, pour l'année commençant au 15 août, la perception des impôts et accises de la ville. Les trois membres se prononcèrent contre l'envoi de députés en Espagne. Le premier seul consentit à la mise en ferme des impôts ; les deux autres voulaient que la perception en fût suspendue aussi longtemps que la reine n'aurait pas fait droit à leurs prétentions. Ils disaient hautement qu'en attendant ils ne voteraient plus de subside quelconque qui leur serait demandé par l'empereur ou en son nom[12].

La commune gantoise avait donc commencé à prendre décidément une habitude agressive, et d'alarmantes rumeurs circulaient parmi la foule. On parlait de soustractions, de falsifications de privilèges, en citant des noms propres, sur lesquels n'allaient pas tarder à peser de terribles accusations. Un avocat au conseil de Flanche, Simon Borluut, prétendait que, suivant une tradition conservée dans sa famille, un comte de Flandre ayant perdu ses états en jouant aux dés avec un comte de Hollande, un de ses ancêtres avait réussi à persuader aux Gantois de les racheter, à la condition d'être exempts à toujours des charges publiques qu'ils n'auraient pas acceptées. Cette histoire se répandit, non sans acquérir quelque créance parmi les plus exaltés. Les échevins mandèrent Simon Borluut pour apprendre de lui ce qu'il en était. Celui-ci déclara qu'il l'avoit ainsi entendu de ses prédécesseurs, mais qu'il n'avoit jamais vu le dit privilège, ni copie d'icellui[13]. Aucun des inventaires ne mentionnait cet acte, désigné par la tradition sous le nom de Rachat de Flandre. Le seul fait révélé par une enquête ouverte à ce sujet fut qu'un membre du métier des tisserands, Jean Untermeere, avait offert d'en donner lecture et d'en laisser copie à un nommé Charles Van Meerendre. Ce dernier, ne sachant ni lire ni écrire, l'avait remercié de sa communication, sans demander d'autres preuves de l'existence de l'acte[14]. Le peuple, toujours défiant, toujours prêt, dans les temps de trouble, à accueillir les soupçons de trahison ne tint pas compte de ces résultats négatifs. Persistant à croire à la réalité du Rachat de Flandre, il accusa ses magistrats de le celer ou de l'avoir soustrait[15], en emportant du Secret, c'est ainsi qu'on appelait à Gand la trésorerie des chartes, ce privilège et plusieurs autres.

Cette accusation de la violation du secret on l'appuyait sur certains indices qui présentaient de fâcheuses coïncidences. Qu'on s'imagine, dit M. Steur, un chétif coffre de bois, en hauteur et largeur n'ayant pas au delà. de deux pieds, ni plus du double en longueur, recouvert sur toutes ses faces extérieures de minces lames et de mauvais cercles de fer, et l'on aura une idée du trésor qui était connu sous le nom de secret de la ville de Gand. Mieux connue aujourd'hui sous celui de Coffre de fer, cette curieuse antiquité renfermait alors les originaux des chartes et des diplômes que la commune avait obtenus, à différentes époques, de ses princes souverains. Ce meuble de féodale origine, que chacun peut voir encore aux archives de la maison de ville à Gand, était déposé dans une salle obscure du beffroi, où personne n'avait un libre accès. S'il était nécessaire d'y entrer, soit pour en extraire, soit pour y remettre des chartes ou des diplômes, il fallait la triple intervention du grand bailli, du magistrat et de la commune. Personne à leur insu n'y pouvait pénétrer sans crime capital. Il n'était d'ailleurs pas aisé d'y parvenir, car indépendamment d'une trappe mobile pratiquée dans le haut du plafond, seule entrée par où il était possible de se laisser descendre dans ce lieu redoutable, le coffre lui-même était fermé par trois cadenas différents, dont les clefs étaient gardées par les trois doyens en chef de la ville. Or il arriva qu'en 1530 le doyen des tisserands, Renier Van Huffel, avait égaré sa clef. Après de longues et vaines recherches, on résolut de charger le serrurier de la ville d'en faire une autre et on l'introduisit nuitamment avec un de ses ouvriers dans la chambre du Secret. Le grand doyen Liévin Pyne[16] avait prêté sa clef pour cette opération qu'on ne put effectuer, paraît-il, qu'en fracturant un des cadenas. Cet incident n'avait fait aucun bruit alors. Mais les circonstances où l'on se trouvait en réveillèrent le souvenir et lui donnèrent bien vite un caractère d'extrême gravité[17]. On a violé le secret ! on a falsifié la paix de Cuizant[18] ! On n'entendit bientôt plus autre chose dans toute la ville de Gand.

Le 15 août 1539, la loi fut renouvelée en la manière accoutumée, sans trouble ni empêchement. Ce calme fut de peu de durée. Les métiers déclarèrent qu'ils ne procéderaient à l'élection de leurs doyens qu'après qu'on aurait fait cesser la perception de tous les impôts dans la ville et constitué prisonniers les magistrats qui avaient été en charge depuis le 15 août 1536 jusqu'à la date correspondante de l'année suivante. Ils accusaient ces magistrats d'avoir rendu à la reine un compte inexact de la résolution de la collace sur l'aide demandée de quatre cents mille florins[19] et d'être entrés clandestinement au Secret de la ville, pour en emporter et mutiler les privilèges. C'est en ce moment qu'on vit paraître sur la scène la redoutable association des Creesers[20], qui allait dominer toute la situation. Les métiers les plus exaltés, les meuniers, les tapissiers, les bateliers, les cordonniers, les maréchaux ferrants, les constructeurs de navires, s'allièrent les premiers à cette faction, dont l'influence devint considérable dans les collèges communaux. Le 17 août, les métiers convoqués à l'effet de dresser, conformément à la paix de Cadzant, la liste des candidats aux fonctions de doyens, s'y étaient refusés unanimement, nous venons de le dire. Convoqués de nouveau, le 19, les métiers persistèrent dans leur refus, et celui des cordonniers en vieux[21] notifia, d'une voix unanime, son intention de n'élire son doyen et ses jurés qu'après l'exécution des résolutions prises par la dernière collace. En outre il réclama l'arrestation immédiate de quiconque s'était permis de charger le pays de Flandre contrairement à la décision de cette assemblée, ainsi que des personnes accusées de s'être introduites pendant la nuit dans la chambre du Secret et de leurs complices. Enfin il demanda qu'on enjoignit au grand bailli de surveiller avec soin l'observation des privilèges et de punir les contrevenants. Nous et nos suppôts, ajoutèrent-ils, sommes prêts à nous employer, corps et biens, pour l'exécution de ces mesures. Cette motion fut appuyée par les charpentiers de navires, les tanneurs, les tonneliers, les plâtriers, les épiciers, les scieurs, les corroyeurs en noir, les couvreurs en paille, et adopté par l'assemblée. De plus elle réclama la mise en liberté de toutes les personnes détenues au sujet de l'aide, et l'inviolabilité des privilèges que l'empereur avait juré de maintenir et d'observer.

Effrayés de ces manifestations, les magistrats n'essayèrent pas même d'opposer de la résistance aux prétentions des métiers. ils se bornèrent à prévenir les inculpés du sort qui les attendait. La plupart se hâtèrent de fuir ; d'autres, forts de leur innocence, refusèrent de profiter de cet avis. Cette confiance allait être cruellement expiée. Le grand bailli[22], qui, l'année précédente écrivait à Marie de Hongrie : Je ne sache si grand homme en toute la ville que, si je m'apercevois qu'on y fit sédition, je ne prisse par le collet et en ferois faire bonne justice[23], le grand bailli ne se montra pas plus courageux que les échevins, et se contenta de réclamer des ordres écrits pour procéder aux arrestations. Liévin Pyne fut sur le champ constitué prisonnier et l'on arrêta dans la soirée même du 19 août Jean Van Waesberghe, receveur de la ville et échevin de 1536, un autre ancien échevin, Liévin Lammens, les serruriers et autres personnes accusées d'avoir participé à la violation du Secret.

Cependant les magistrats, revenus de leur stupeur, essayèrent le lendemain d'opposer une digue à la violence en armant la bourgeoisie contre les métiers[24]. Mais ceux-ci, informés de la chose, courent aux armes, s'emparent des portes de la ville et des prisons, occupent tous les carrefours, pendant que la foule s'ameute en criant : aux traitres ! à la trahison ! Au bout du peu d'instants, la ville entière est au pouvoir des Creesers. A la réunion de la collace, qui a lieu le lendemain, les propositions les plus étranges, les plus anarchiques se produisent. Les métiers déclarent qu'ils ne se sépareront pas avant d'avoir obtenu prompte justice des échevins qui ont remis à la reine un faux consentement de l'aide, et des prisonniers qui ont violé le Secret. Ils exigent de plus la fermeture du Secret par trois nouvelles serrures, dont les clefs seront remises à des doyens renouvelés annuellement, la séquestration des biens des fugitifs, qui seront mis sous la garde des tisserands ; le déploiement du grand étendard de la commune, la restitution de l'artillerie et des munitions de guerre transportées à Bruges après la paix de Cadsant. Ce n'est pas encore assez. Ils veulent qu'on reprenne les canons de la commune placés à. Enghien, au château de Gavre, à Liedekerke et en d'autres places ; que la garde des prisons soit confiée à six hommes de bien, choisis en nombre égal dans chacun des trois corps de la commune ; qu'on produise le Rachat de Flandre ; que l'on interdise aux couvents l'exercice de tout négoce ou industrie ; qu'on anéantisse le calfvel de 1515, fait contre la commune et sans collace[25] ; qu'on révoque sur le champ tous les fonctionnaires suspects d'avoir desservi la ville ou trahi ses intérêts, et que les échevins soient rendus pécuniairement responsables de leurs jugements[26].

Le magistrat crut pouvoir apaiser la multitude par quelques concessions. Il prescrivit au bailli du pays de Waes d'empêcher l'exportation des blés et d'envoyer à Gand les grains de ce quartier ; on choisit neuf commissaires dans les trois membres de la commune ; on ordonna une enquête sur la gestion de quelques fonctionnaires communaux. Un receveur, convaincu de concussion, fut fustigé en face de la maison échevinale et sur les principales places de la ville, puis conduit au champ de la potence, Galgenveld, où il fut cloué au gibet par l'oreille. Mais ces concessions furent impuissantes pour contenir le torrent populaire. Le 23 août, un rassemblement se forma devant la maison du grand bailli, en réclamant à grands cris Droit, loi et justice[27]. D'autre part les métiers, réunis en armes dans leurs maisons, s'emparaient de tous les postes et y mettaient des gardes. Rien ne pouvait plus leur être refusé. Leur première exigence fut qu'on mît sur le champ à la question Liévin Pyne, inculpé d'avoir présenté à la reine un faux rapport au sujet de l'aide, de s'être bâti une maison avec des matériaux appartenant à la ville et d'avoir pénétré indûment dans le Secret, ou tout au moins de s'être dessaisi de sa clef pour aider à ce méfait.

A onze heures du matin, le prisonnier fut amené en la grande salle du chasteau où se tenoit la chambre du conseil de Flandres, nommée 's Gravesteen[28]. Et incontinent Liévin Hebscap, maître-charpentier des ouvrages de Flandre, avec son varlet, apporta audit chasteau un nouveau banc pour torturer, lequel il avait fait prest ne scays par charge de qui[29]. Après avoir été confronté avec Jean Van Waesberghe, Liévin Lemmens, Josse Cordeel, les serruriers et les autres personnes soupçonnées d'avoir participé à la violation du Secret, le malheureux vieillard âgé d'environ soixante-quinze ans, qui auparavant avoit esté plusieurs fois en loy et aussi grand doyen[30], fut inhumainement géhenné et torturé. Un grand nombre de gens des métiers étaient présents, et le peuple avoit aussi contraint aucuns bourgeois et de ceulx de la loy d'y venir, ou aultrement, s'ils n'y fussent venus, ils eussent esté en bien grand dangier de leurs vies. Et criaient ceux de ladite commune à l'officier criminel : tournez encoires ung tour ; estriquiés bien ce meschant qui nous a ainsy desrobé et mengié les biens de la ville, fait et allé à l'encontre de nos privilèges. De telle sorte se maintenaient que ledit officier ne sçavoit ce qu'il devait faire ni dire, tant estoit étonnet dudit peuple, et fut ledit Lievin sy très fort géhienné qu'il fut affollé de tous membres[31].

Le patient avait été principalement interrogé sur deux points : sur les personnes qui, en 1536, avaient pénétré dans le Secret de la ville et sur les privilèges qu'elles avaient emportés. Il ne confessa autre chose, sinon que, audit an 1536, lui, comme grand doyen, avait une fois mis sa clef du Secret sur le buffet de la chambre échevinale, parce qu'on disoit que Renier Van Huffel[32] avoit perdu ses clefs, et afin qu'on en fit d'autres. Il soutint avoir porté à la reine le consentement contenu dans l'instruction des échevins des deux bancs, selon laquelle il s'était réglé, sans savoir si c'était contre la conclusion de la collace[33]. Interrogé aussi sur le gouvernement de la ville et sur l'administration de ses biens, il ne confessa chose d'importance. A deux reprises il avait été appliqué à la question et elle ne cessa qu'à six heures du soir. Il avait été si tiré et allongé qu'il ne se eust seu soustenir sur aucun de ses membres, et il fallut le placer dans un fauteuil d'osier pour le reporter dans la prison.

Le lendemain, 24 août, Pyne rétracta les aveux, insignifiants d'ailleurs, arrachés par la torture, et cette rétractation jeta les échevins dans un nouvel embarras. La journée se passa en délibération et, le 25, ils proposèrent de charger de l'instruction du procès quelques hommes de loi, selon Dieu, droit et raison[34]. Mais, au moment même où leur collège était réuni à cet effet, des députés des métiers et des tisserands s'y présentèrent pour demander que Pyne fût soumis à de nouvelles épreuves. Les échevins alors, bien qu'ils dussent faire droit sur les confessions, sans sur ce prendre avis des métiers ou tisserands, craignirent de tomber en quelque inconvénient s'ils jugeoient autrement que à l'appétit des dits métiers et tisserands. Ils advisèrent donc, avant de procéder plus avant, d'assembler les dits métiers par forme de collace, pour leur demander de procéder à toute diligence en la dite matière par train de justice, en choisissant à cette fin de bons et notables personnages lettrés[35].

La nouvelle assemblée eut lieu le jour suivant, 26, au milieu d'une grande agitation accrue par la présence des campagnards des environs de Courtrai, qui venaient se plaindre des exactions exercées contre eux pour la perception de l'aide[36]. Dès l'ouverture de la séance, les métiers et les tisserands demandèrent que les têtes des fugitifs fussent mises à prix. Passant ensuite à la proposition qui leur était soumise, ils déclarèrent qu'il n'était pas nécessaire de charger des légistes de l'affairé. A leur gré, il fallait soumettre l'accusé à un examen plus sévère et le forcer de dire ce qu'était devenu le grand étendard de la commune, ce qui avait été traité dans la conférence tenue. au mois d'août 1536, chez maitre Philippe de la Kethulle dans l'intervalle des deux réunions de la collace, et quels avaient été les instigateurs de la violation du Secret et leurs motifs. Une proposition des échevins de n'admettre à l'examen des accusés que douze notables fut repoussée et il fut décidé que tous les doyens et les jurés des métiers y assisteraient. Le membre de la bourgeoisie se rallia aux métiers et aux tisserands[37]. Force fut donc aux échevins de formuler une ordonnance sanctionnant ces violentes motions.

A deux heures de l'après-dîner, Liévin Pyne fut ramené au 's Gravensteen et interrogé de nouveau. Il persista dans ses premières déclarations et disculpa ses collègues, gens de bien, dit-il, incapables de rien faire au préjudice de la commune. Comme on lui objectait leur fuite, il répondit qu'ils avaient émigré par crainte et que, si lui-même avait prévu qu'on le traiterait comme on le faisait, il se serait absenté aussi. Alors, après l'avoir rasé par tout le corps[38], on le mit pour la troisième fois à la question. Soumis à d'affreuses tortures, le malheureux Pyne montra une inébranlable fermeté. Il convint seulement d'avoir fait travailler à sa maison par les ouvriers de la ville et d'y avoir employé quelques charrettes de briques et de sable appartenant à la commune, qui en revanche lui devait trente et une livres de gros. Son courage, sa constance, non plus que son âge et ses membres brisés, ne désarmèrent pas ses farouches ennemis. — C'était un sortilège, disaient-ils, qui le faisait résister ainsi à toutes les tortures. En vain le grand bailli proposa de renvoyer l'accusé en prison et de remettre le jugement aux échevins de la keure : les métiers requirent qu'on remit de nouveau le courageux vieillard à la question en serrant davantage les cordes. Le bourreau s'y prêta malgré lui et tellement que l'une des cordes se rompit. Alors seulement ils permirent pour ceste fois de le retirer du banc de torture, en lui recommandant de penser à son affaire jusqu'au lendemain[39].

La plupart des corporations passèrent la nuit sous les armes[40]. Le lendemain, 27 août, dans une assemblée générale des métiers et des tisserands, il fut requis qu'on fit justice du coupable et qu'on lui envoyât un ou deux religieux pour recevoir la confession de ses crimes. Le même jour, parut une proclamation promettant une prime de cent florins carolus à quiconque livrerait l'un des fugitifs. Le 28, les échevins de la keure déclarèrent Liévin Pyne convaincu d'avoir poussé au vote de l'aide de quatre cent mille livres, d'avoir remis à la reine, de concert avec les autres députés, un consentement contraire à la résolution de la collace, livré la clef du Secret, employé à son usage le bien de la ville et, de ces chefs, le condamnèrent à mort.

La sentence des échevins fut exécutée sur le champ. En entendant cette condamnation, Liévin Pyne leur remonstra bien franchement et d'un cœur viril la grande lâcheté qu'ils faisoient de ainsy l'envoyer au supplice par crainte du peuple, sans qu'il l'eust nullement mérité, comme bien ils le sçavoient. Il leur dit aussy que s'ils eussent esté gens de cœur, ils eussent bien empesché ladite commotion, au commenchement d'icelle, en faisant bonne et roide justice des premiers, mais qu'ils n'estoient point tous si bons les uns que les autres. Du reste, il prioit Dieu qui sçavoit le tout., de leur pardonner sa mort ; quant à luy, de très bon cœur il leur pardonnoit. Il la prendrait même en gré pour tous les péchiés qu'il povoit avoir commis, si, par sa seule mort, toute la commotion et trouble qui estoit en la ville de Gand et encoires apparent de y estre de plus en plus, povoit estre apaisie[41]. Après un repas, auquel assistèrent une multitude de gens de bien qui le vinrent consoler[42], il se confessa[43] et but le vin offert aux condamnés[44]. Ce fut assis dans une chaiere, car son corps tant estoit debile de la torture qu'il ne se povoit nullement soustenir, qu'il fut porté sur l'échafaud dressé en face du s' Gravesteen et de l'église de Sainte Pharaïlde. Dans le trajet, il vit et reconnut plusieurs de ses amis, dont il prit congié d'un cœur d'homme, de sorte que plusieurs furent constraints de plourer de pitié, mais luimesme les reconfortoit, ayant tousjours bonne espérance en Dieu et en sa miséricorde, de tant plus qu'il moroit innocent des cas que on luy imposoit. Il dist au peuple, estant sur ledit eschafault : enfans, je sçay bien que, aussy tost que vous aurez vu mon sang, et en dedans brief temps après, serez dollens de ce que vous faictes présentement, mais il sera trop tard[45]. Lorsque sa tête fut tombée, ses enfants et ses amis vinrent enlever le cadavre, qu'ils inhumèrent à côté de l'autel de Sainte-Anne, dans l'église de Saint-Nicolas, sa paroisse[46].

Les métiers avaient assisté en armes à cette lamentable exécution ; ils se retirèrent ensuite dans leurs maisons et s'y tinrent en permanence. En vain le grand bailli, le grand doyen, le doyen des tisserands allèrent-ils de maison en maison les exhortant à reprendre leurs travaux habituels. Ils répondirent qu'il restait d'autres résolutions de la collace à exécuter et qu'ils ne déposeraient les armes qu'après l'entier accomplissement des volontés de la commune. Et envoyèrent messagers de l'un à l'autre requérans de vouloir demeurer ensemble et s'assister mutuellement jusqu'au bout[47]. Au cloître des Bogards, où étaient réunis environ huit cents tisserands, à peine le grand bailli eut-il pris la parole qu'il lui fut répondu par un Laurent Claes, qu'ils ne se partiroient si premier on ne déchiroit le calfvel, qui est l'acte despèché par l'empereur en l'an 1515, incontinent après sa venue à seigneurie, pour observation de la Paix de Cadsant, disant le dit calfvel estre despêché au grand préjudice de la commune, sans collace et sur un blanc signet de Sa Majesté, et comme le grand doyen se voulut excuser, disant ne sçavoir parler dudit acte, blasma fort ledit grand doyen, en luy donnant injurieuses paroles, monstrant copie d'icelui acte[48]. Effrayés de plus en plus en voyant le nom de l'empereur mêlé à ce débat, les échevins adressèrent aux métiers de pressantes représentations sur les dangers de leur conduite. Les tisserands chargèrent Laurent Claes d'y répondre et d'exposer leurs motifs, en promettant de le porter indemne et de le deffendre jusques au dernier homme de tout ce qu'il diroit[49].

Le 29 août, le député des tisserands se présenta devant les échevins ; il était accompagné de deux doyens et d'une troupe d'hommes armés. Vous n'ignorez pas, leur dit-il[50], que nous n'avons jamais reconnu à un pouvoir quelconque le droit d'annuler nos privilèges, et que toute décision prise sans l'avis de la commune est nulle[51]. Quand le souverain de ce pays jura de maintenir nos privilèges, le peuple objecta que la paix de Cadzant ne pouvait survivre, que puisque nous avions satisfait à ses conditions, payé les tributs qu'elle imposait, nous devions rentrer dans tous nos anciens droits. Qu'en est-il résulté ? Ceux qui montrèrent alors du zèle pour le bien public furent ou bannis ou déportés : on récompensait ainsi de généreux citoyens d'avoir défendu nos droits et nos libertés ! Le prince fut-il satisfait de ces rigueurs ? Vous savez tous le contraire. Vous vous rappelez encore comment il se plaignit de la douceur des peines, accusant le magistrat de tiédeur et de connivence, comme si réclamer l'exécution de nos lois était un crime ou une trahison. Puis, pour mettre le comble à ses mépris, il décréta, sans consulter le peuple, le maintien de la paix de Cadzant, exigea de tous les fonctionnaires le serment de la maintenir au péril de leurs jours. Cet acte arbitraire et illégal ne saurait nous obliger. Nos lois n'en reconnaissent pas la validité, et nous n'en sommes pas encore à plier nos têtes sous une pareille tyrannie. Personne, je le dis à haute voix, n'a ici d'autorité que le peuple. De tout temps, il a exercé ces droits qu'ont achetés nos aïeux, qu'au prix de notre sang nous avons nous-mêmes plusieurs fois défendus. Quand, trahis, nous fûmes assez malheureux pour succomber aux champs de Gavre, vaincus nous perdîmes nos droits et nos libertés. Ne les avons-nous pas reconquis depuis ? A quoi la paix de Cadzant nous a-t-elle obligés sinon à des subsides que nous avons acquittés ? Qui donc oserait soutenir qu'elle doit rester en vigueur ? Y a-t-il des magistrats méconnaissant leur devoir au point de le prétendre ? Eh bien, qui nous arrête ? Il est temps, à la fin, de montrer que nous sommes encore les fils de ces braves Gantois qui, dans les plaines de Courtrai et de Roosebeke, versèrent leur sang pour la patrie. Trop longtemps nous avons souffert en silence. Il faut que le mal soit réparé, que le peuple reprenne ses droits, que les lois punissent les traîtres qui les ont outragées.

Les échevins, effrayés de tant d'audace, cherchaient de plus en plus à éluder la question, mais la députation des tisserands, sourde à leurs raisonnements, se retira brusquement en déclarant que le peuple mettrait bon ordre à la chose. Le 30, en effet, il fallut tirer du Secret le calfvel et les autres actes imposés à la commune, pour en faire lecture publique, et la multitude exaltée jusqu'à la fureur en demanda à grands cris l'anéantissement. Ce ne fut pas sans peine qu'on la décida à ne pas en exiger la destruction immédiate. Pour l'en empêcher, le magistrat dut promettre de conserver le calfvel à l'hôtel de ville et d'envoyer à la régente une députation des collèges des deux bancs pour en obtenir la révocation. Mais ce palliatif ne calma qu'un instant les esprits. Le même jour, les tisserands exigèrent l'arrestation des échevins survivants qui avaient adhéré au cultuel, la séquestration de leurs biens et le prompt châtiment des coupables. On ne parvint à trouver que deux de ces anciens magistrats, Jean De Vettere et Jean Van Wyckhuise ; les autres avaient pris la fuite et s'étaient réfugiés à Anvers. On se borna toutefois à leur faire subir un interrogatoire, qui ne révéla rien de nouveau[52].

Les métiers et les tisserands étaient toujours en armes. Le ter septembre, des députés de leurs doyens se présentèrent à l'hôtel de ville. Laurent Claes, chargé de porter la parole, exposa dans une bien longue proposition, leur volonté formelle de détruire le cultuel. Après quelques tentatives de résistance, les échevins résolurent de soumettre la demande à la collace. Le grand bailli essaya encore d'arrêter le torrent, en proposant de déposer le cultuel en lieu sûr jusqu'à décision de la régente et en s'engageant par écrit à ne jamais arrêter ni emprisonner personne en vertu de cet acte, mais ce fut pour néant. Les métiers et les tisserands disoient que, quand l'empereur, comme comte de Flandre, avoit fait ledit statut, il estoit jeune, si comme de quatorze à quinze ans, et partant ne sçavoit lors ce qu'il faisoit. Or, comme il l'avoit donné à la requeste d'aucuns qui lors gouvernoient en icelle ville, et aussi au pays, pour leur seurté et bien particulier, ils n'en vouloient rien tenir. Avertis que la bourgeoisie inclinait vers une transaction, ils s'empressèrent de prévenir toute mesure de ce genre. Les creesers et leurs affiliés, au nombre de cinq cents, envahirent l'assemblée de ce membre et prirent part, malgré les protestations des modérés, aux délibérations qui revêtirent un caractère d'extrême violence[53].

La collace se réunit le 2 septembre ; on avait mis à l'ordre du jour comme un prétexte ostensible la motion de voter l'affermage des accises. Mais, dès l'ouverture de la séance, l'assemblée fut saisie de la proposition des métiers et des tisserands. Le grand bailli la combattit avec une certaine insistance ; il représenta que détruire le calfvel c'était s'ôter toute chance de réconciliation avec l'empereur et que lui-même s'exposerait au dernier supplice, s'il révoquait des actes émanés directement du souverain. Ce discours avait fait quelque impression sur la multitude qui paraissait hésitante, quand l'orfèvre Guillaume De Mey prit la parole. Accusant de lâcheté ceux qui n'osaient répondre à ce défenseur du pouvoir absolu contre les droits de la commune[54], il se répandit en menaces contre les traîtres et, soutenu par les clameurs de ses adhérents, il fit voter par le suffrage populaire les résolutions les plus radicales. Les trois membres demandent que le calfvel soit brûlé ou détruit publiquement ; les tisserands exigent, de plus, l'anéantissement d'un autre règlement publié en 1531 par le conseil de Flandre et appelé par le peuple le petit calfvel. L'assemblée adopte diverses motions prescrivant de rendre aux fossés de la ville leur ancienne profondeur ; d'établir des guets de voisinage, en leur donnant de nouveaux mots d'ordre ; de vendre les biens des fugitifs au profit de la commune ; de commettre neuf députés pour recevoir les arrérages des fermes courantes, des droits d'issue échus et à échoir, pour contrôler les comptes de la ville depuis l'an 1526. Quant à l'affermage des accises, la collace refuse d'y procéder avant d'avoir vu exécuter toutes ses résolutions. Le bailli tente un dernier effort, mais sa voix est étouffée par les cris : nous ne partirons pas si le calfvel  n'est déchiré, tellement que pour apaiser le peuple, on déclara que on l'enverroit quérir.

Laissons l'écrivain contemporain, auquel nous avons fait déjà de fréquents emprunts, nous raconter ce qui se passa alors : La manière de le rompre et deschirer fut par eux ordonné telle : c'est que ledit statut seroit mis sur le bureau en la maison eschevinalle de la ville de Gand, présent toute la loy, le grant doyen et ceulx des mestiérs, aucuns bourgeois et tout le peuple qui y vouloit venir, et illecq ledit grant doyen le casseroit d'un cop de cousteau au travers, le doyen des tisserons feroit le semblable, et ainsy le feroit le premier eschevin du hault banc, qui sont les eschevins de la beurre, et aussy pareillement le feroit le premier eschevin du second banc, qui sont les esche-vins des parchons. Et ainsy fut fait, présent grande partie du peuple et commun de la ville de Gand, qui ainsi le vouloient estre fait ; et en tel état cassée leur fut délivrée, laquelle tout en un instant fut par eux prise et rompue, tant le sceau que le parchemin, en plus de mille pièces, par merveilleux corrage, comme si eussent esté gens hors de leurs mémoires et forcenés[55]. D'après d'autres relations du temps, on vit des hommes s'en arracher les morceaux et les avaler[56] ; quelques-uns les : foulèrent dans la boue ; d'autres les attachèrent orgueilleusement à leurs bonnets, comme leurs pères, dit M. Kervyn[57], s'étaient parés, en 1467, des débris de l'aubette des commis de la gabelle.

Lorsque la séance de la collace fut reprise, incontinent la foule cria qu'elle vouloit aussi avoir déchiré la copie du caquet enregistrée au rouge livre, et il fallut céder encore. Elle réclama ensuite la destruction du petit calfvel de 1531, et cet acte eût été anéanti à son tour, si le pensionnaire des métiers n'avait. déclaré qu'il se trouvait à Malines, où il avait dû être produit dans un procès devant le grand conseil. Ce n'était plus que clameurs et menaces ; on était sur le point d'en venir aux mains, et les plus avisés comprirent qu'il y en avait assez. Laurent Claes lui-même intervint pour ramener le calme dans les esprits, et la discussion fut renvoyée à une prochaine collace. Finalement le pensionnaire de la ville, au nom du magistrat, remercia les trois membres de leur bonne assistance et promit qu'il seroit fait bonne justice, suivant les résolutions arrêtées. Ainsi se départit cette notable assemblée[58].

Le même jour, le grand bailli lança des ordres d'amener contre les échevins survivants de 1515 ; mais Jean Van Wyckhuuse et Jean De Vettere avaient déjà rejoint leurs anciens collègues. De nombreuses visites domiciliaires répandirent l'alarme chez tous les gens paisibles ou soupçonnés et, en peu de jours, l'émigration fut considérable. Les Creesers eurent ainsi le champ libre et ils en profitèrent pour s'emparer de toute l'autorité. Liévin Hebscap, l'un des leurs, remplaça le grand doyen Jean de Block qui s'était soustrait aux poursuites dont on le menaçait, et de nombreuses destitutions mirent toutes les fonctions publiques au pouvoir de l'élément populaire. Chose singulière, l'ordre se rétablit immédiatement : une tranquillité complète avait succédé sans transition aux violences dont on venait d'être témoin[59].

La reine était partie au mois de juillet pour les provinces du nord. Ce fut à la Haye qu'elle apprit le progrès des troubles. Les seigneurs de Sempy, de Liedekerke et de Wyngene l'en informèrent, car le grand bailli de Gand estoit en telle perplexité qu'il ne pouvoit escrire ni advertir des manières de faire de la commune. Sans perdre un instant, Marie de Hongrie avait envoyé au malheureux Liévin Pyne une attestation qu'elle n'avait jamais reçu de lui ni de ses collègues consentement l'aide de quatre cent mille carolus. En même temps, elle prit des mesures pour isoler les agitateurs en circonscrivant le foyer de la révolte. Le seigneur de Sempy, alors à Bruges, reçut l'ordre d'y rester et de travailler à maintenir cette importante cité en sa bonne affection envers l'empereur. Il fut enjoint au grand bailli de demeurer à Gand, tant que sans danger de sa personne il le pourroit. Tous les nobles possédant des châteaux dans le quartier de Gand, le seigneur de Beveren, le comte de Buren, tuteur des enfants de Montmorency pour leur château de Nevele, la douairière d'Egmont pour son château de Gavre, la marquise d'Arschot, Jeanne de Halewyn, pour son château de Tamise ; les capitaines et autres officiers d'Audenarde, de Courtrai, de Biervliet, de l'Écluse, de Rupelmonde, de Gravelines, de Tournai, d'Arras, de Béthune, de Saint-Orner, de Bapaume, furent requis de se prémunir contre toute tentative de surprise. En outre la régente escrivit au président du conseil de Flandre qu'elle estoit esmerveillée n'avoir advertence de luy, requérant faire meilleur devoir de luy escrire de la conduite de ceux de Gand. Émue enfin de la fin tragique du malheureux Pyne, qui n'avait même osé faire usage de son attestation, voyant dans la destruction du caquet l'approche de plus graves évènements, elle dépêcha en toute diligence vers l'empereur, l'advertissant bien au long de tout ce qu'elle avoit pu entendre, et lui déclarant qu'elle ne voyait moyen d'y pouvoir résister sans sa présence[60].

En ce moment même, le bruit se répandit que les Gantois avaient résolu de solliciter l'appui du roi de France pour le maintien de leurs privilèges ; on les accusa même de lui avoir offert la souveraineté de la Flandre[61]. L'anxiété de la reine de Hongrie allait croissant ; elle quitta précipitamment la Hollande et, dès son retour à Anvers, le 6 septembre, elle écrivit au duc d'Arschot, de prendre sans retard et dans le plus grand secret, des mesures pour arrêter au passage l'envoyé des Gantois et surtout pour se saisir de ses papiers. Cet, émissaire, comme nous l'apprend la lettre même de la régente, était un certain Lupart Grenu, de Tournai, établi à Gand depuis dix ans[62]. Il réussit à tromper la vigilance des agents du duc d'Arschot et se présenta à Fontainebleau. François Ier refusa d'entendre les propositions des Gantois ; il se borna à offrir à Marie de Hongrie ses bons offices auprès de la commune insurgée, mais elle s'empressa de décliner cette médiation. La reine, quoique rassurée, n'en prescrivit pas moins de faire bonne guet, bonne et soigneuse garde pour saisir le messager au retour[63], mais il réussit une seconde fois à échapper aux pièges qui lui étaient tendus.

Cependant les principaux seigneurs, appelés à Malines, avaient conseillé à la régente de temporiser, sans recourir aux mesures violentes, afin de calmer l'effervescence et de permettre à l'empereur d'agir. Elle suivit leur conseil, en faisant surseoir aux exécutions ordonnées au sujet de l'aide, et convoqua à Malines les députés des trois autres membres de Flandre, Bruges, Ypres et le Franc, pour d'eux entendre le moyen de remédier par la douce voye et d'éviter tous maux et inconvénients qui adviendroient, s'il falloit y remédier par la force et la guerre. — Je m'adresse à vous, leur disait-elle, afin d'avoir advis et conseil parce que, connaissant la nature du pays et des sujets, vous pouvez plus facilement adviser que nuls autres. De mon côté je ferai extrême diligence et tout devoir possible, sans rien espargner,'pour mettre fin à ces troubles par douceur, bonne intelligence et amitié, car en allant par la force, ce que Dieu ne veuille, et ce qui seroit à très grief regret de Sa Majesté, on mettrait le pays en grand hasard et désolation, les bons avec les désobéissans. Je vous requiers donc de m'indiquer quelque remède prompt et convenable, à la moindre foulle des sujets et pauvres paysans, que Sa Majesté désire soulager, connoissant leur fidélité du passé et les bons services qu'ils ont faits à leur prince naturel et seigneur souverain. Les députés consultèrent leurs commettants et revinrent lui déclarer que la conduite de ceux de Gand leur déplaisoit ; qu'ils priaient Sa Majesté d'y vouloir pourveoir par la douceur et par les meilleurs moyens qu'elle pourroit adviser, à quoi ils étoient prêts de concourir comme bons et loyaux sujets ; que, quant à donner leur advis, ils ne le sçavoient bonnement faire et s'en rapportoient à elle, combien qu'il leur semblât que sa venue en Flandres, en tel lieu qu'il lui plairait, ne pourroit que bien convenir à l'affaire. La reine répondit à cette ouverture qu'elle avait l'intention de visiter la Flandre, dès que sûrement et commodieusement elle pourroit le faire, après avoir advisé aux moyens de réduire les Gantois et mis ordre sur eux[64].

Pendant que la reine consultait ainsi et délibérait, les Gantois ne restaient point inactifs. La collace venait de décider le rétablissement de l'ancienne formule du serment exigé des magistrats, des doyens, des officiers de la commune, et le remplacement immédiat des échevins émigrés ou nommés en opposition aux privilèges de la commune. A cet égard elle remonstroit que, au renouvellement de la dernière loy, on avoit eslu eschevin des parchons un Renier Van den Velde, lequel n'estoit agréable ni à la commune ni à ses compagnons, pour ce que autrefois il avoit perpétré homicide. Or l'empereur ne pouvait, par rémission, habiliter un meurtrier à devenir magistrat ou à porter autre office en ladite ville. Conformément à cette résolution, le premier échevin des parchons, Charles Uutenhove, seigneur de Maldeghem, et deux échevins de la keure, Pierre Van der Spuert et Antoine Colpaert, se rendirent auprès de la reine, le 14 septembre, aux fins de la prier de nommer des commissaires pour procéder à de nouvelles élections ou de donner aux échevins de la keure les pouvoirs nécessaires à cet effet[65].

Marie de Hongrie avait été prévenue par le grand bailli de l'arrivée de ces députés et avait eu le temps de préparer sa réponse. Pour ne rien précipiter, elle leur demanda d'abord la formule du nouveau serment, les noms des échevins en exercice et l'indication précise des faits d'illégalité dont on se plaignait. Les députés n'osèrent prendre sur eux de s'expliquer sur ces différents points et réclamèrent de nouvelles instructions. Marie de Hongrie s'y attendait. Elle eut ainsi le loisir d'avertir les seigneurs de par deçà, lors absens, et recevoir leur avis. C'est avec cette intention qu'elle envoya au duc d'Arschot et aux comtes de Buren et d'Hoogstraeten un exposé des prétentions des Gantois et ses réflexions à ce sujet[66]. Arschot était à Beaumont, Buren à Grave, Hoogstraeten à La Haye ; tous trois furent d'accord pour conseiller à la gouvernante de céder provisoirement et de déférer l'affaire à l'empereur[67]. Mais la reine Marie n'eut point à délibérer là-dessus. La face des choses était changée à Gand et les évènements ne permettaient plus de garder cette attitude dilatoire. Avertie que les Gantois avaient envoyé des commissaires à Bruges pour réclamer leur artillerie, elle réitéra l'ordre de mettre les châteaux de la Flandre sur le pied de guerre. Philippe de Lalaing, seigneur d'Escornaix, bailli et châtelain d'Audenarde, ne répondant pas de la sûreté du château, si on ne lui envoyait des renforts, elle invita son frère le comte Charles de Lalaing à s'y rendre avec des gentilshommes de sa maison, sous prétexte de visiter sa mère[68]. Jean de Montmorency, seigneur de Courrière, ayant à pourvoir à la sûreté d'Alost et de Grammont, dont il était souverain bailli, la garde de cette dernière ville où des troubles avaient éclaté[69] fut remise au seigneur de Gaesbeek, et le sire de Courrière, qui commandait les archers de corps de l'empereur, eut charge de les appeler tous sous les armes[70]. Quelques-uns furent envoyés au château de Gavre, position stratégique importante en cas de lutte avec ceux de Gand[71].

Revenons en cette ville. Le 16 septembre, en l'absence de preuves de culpabilité, on avait élargi Jean Van Waesberghe et Liévin Lammens, arrêtés en même temps que le malheureux Pyne, sous la condition de ne pas quitter la ville et de se reconstituer prisonniers à la première réquisition. A peine libre, Van Waesberghe songea à se mettre à l'abri de nouvelles poursuites et, dès le lendemain, il prit la fuite déguisé en femme, une faille sur la tète, et suivi d'une chambrière. Reconnu près du Polder par des tondeurs de drap, de garde à la maison du métier, il se jeta dans la demeure d'un nommé Jacques Parmentier, escalada un mur et gagna un enclos appartenant à Simon Borluut. Mais déjà le quartier était cerné par la foule et le fugitif ne tarda pas à être appréhendé. Il s'ensuivit un indicible tumulte. Le mot de trahison courait dans toutes les bouches. Officiers, magistrats, tous à la fois, dit M. Sieur, furent accusés d'avoir favorisé cette évasion. Des bandes d'hommes furieux se portèrent devant la maison du grand bailli, qui se crut obligé de réintégrer dans leur prison Van Waesberghe et Liévin Lammens ; on le força même d'ordonner l'arrestation de deux échevins de la keure, Liévin Donaes et Josse Seys, soupçonnés d'être leurs complices. La commune courut aux armes, des canons furent traînés sur les remparts, et, à la demande des métiers et des tisserands, le magistrat convoqua sur le champ la collace[72].

Il fallait s'attendre à des mesures extrêmes ; elles ne manquèrent pas en effet. Adoptant les propositions écrites des métiers et des tisserands, l'assemblée, après avoir confirmé ses précédentes résolutions, décida la destitution de tous les échevins de la keure. Elle exigea ensuite que l'on appliquât publiquement à la torture Van Waesberghe avec ses coaccusés, et que leurs maisons, ainsi que celle de Liévin Pyne, fussent occupées par des agents de la commune jusqu'après apurement de leurs comptes[73]. Il fut résolu, en outre, de porter à six cents florins carolus la prime offerte pour l'arrestation des fugitifs[74] et d'écrire par tout Flandres et ailleurs hors Flandres, attachant billets aux portes des villes, contenans leurs noms et surnoms, pour les tant mieux recouvrer. Parmi beaucoup d'autres dispositions prises, nous remarquons encore celle-ci, où l'on verra peut-être un indice de l'esprit sectaire qui animait les mutins. Ordre était donné de jeter sur le bassin communiquant à la Lys et à la Lieve, près de la Waelpoorte, un pont, aux frais du béguinage de Sainte-Élisabeth — le grand béguinage —, lequel béguinage ferait également curer ses fossés, attendu qu'il en avait le profit, et abattre tous les arbres à lui appartenant et pouvant gêner la défense de la ville[75].

En informant Marie de Hongrie de ces résolutions, le grand bailli lui exposa la situation de la ville et la nécessité de pourvoir sans retard au sauvement des bons et loyaux sujets de l'empereur. Il ajoutait : A cette heure n'est plus lieu de délai. Quant est de ma personne, je me suis volontiers employé et tenu en cette ville, comme encore je le ferois, si j'espérois ou si apparence aucune estait de savoir faire service à l'empereur. Mais, considéré que j'ai expérimenté en vain tout mon pouvoir et qu'il n'est en moi seul de modérer une si très difficile et ardue affaire, Votre Majesté me pardonnera et prendra de bonne part mon service, mais je suis délibéré de sortir de la ville, ce qui me semble mieux être fait et à mon plus grand honneur, que de faire choses contre Sa Majesté, que l'on me pourroit ci-après reprocher. Il prévenait en même temps la régente que le lendemain au soir six députés de la commune viendraient lui demander le renouvellement du magistrat, ce que, à son opinion, falloit faire sans délai, et il l'engagea à statuer sur leur requête le plus tôt possible[76].

Le 19 septembre, les six députés[77] des collèges des deux bancs se présentèrent devant elle. Ils étaient chargés de lui donner les renseignements demandés au sujet de la précédente requête et de lui remettre une copie de la formule du nouveau serment[78]. Ils devaient de plus lui communiquer les résolutions de la collace, réclamant le renouvellement intégral des échevins de la keure, avec prière d'acquiescer le plus tôt possible à cette demande, afin d'apaiser la commune. Marie de Hongrie avait eu le temps de conférer avec ses ministres sur l'objet principal de cette mission, et ceux-ci avoient avisé que c'estoit chose de très mauvaise conséquence de destituer ainsi une loy établie par autorité du souverain, sans alléguer cause ou raison suffisante. Si l'on y consent, disaient-ils, les Gantois voudront avoir gens à leur appétit, pour sous cette ombre collorer leurs manières de faire et les pallier par justice. Les gens de bien affectionnés au bien public et au service de leur prince n'oseront accepter la charge, les affaires demeurant comme elles estoient. Enfin il n'y avoit apparence que en accordant auxdits de Gand ce qu'ils demandoient, ils se devoient amender ou désister de leurs mutineries et aster les armes. Il avait donc été résolu que on envoyeroit aucuns bons personnages en la ville de Gand pour par tous bons moyens et persuasions induire lesdits de Gand à vouloir desister de cette poursuite. La reine notifia la chose aux délégués gantois, leur ordonnant que tant que ses députés seroient de retour à Gand, ils se tiendroient à Malines, pour après le retour de ceux que Sa Majesté envoyeroit, leur faire telle response qu'il appartiendroit, dont lesdits délégués ne se contentèrent point trop bien.

Le même jour la reine écrivit au grand bailli pour le déterminer à ne pas quitter la ville immédiatement, comme il en avait manifesté l'intention. Quant est, lui disoit-elle, de votre plus longue demeure en ladite ville, il peut sembler que votre présence y pourroit profiter, comme jusques ores elle a fait, sinon à appaiser totalement les troubles, au moins à éviter plusieurs et plus grands inconveniens, en quel cas desirons que pour le service de l'Empereur, mon sieur et frère, vous vous y veilliez encoires tenir un espace de temps, pour voir oh les choses vouldront tomber, mesmes jusques à ce que aurons ouy les nouveaux députés des Gantois, qui ne sont encoires arrivez, si avant toutesfois que ce pust estre sans aucun dangier et inconvenients, mais si d'adventure vous voyez apparence que l'on vous y voulsist detenir et faire quelque deplaisir, ou que par cy-après vous n'en pourrez sortir seurement et à votre aise, ce que vous pour estre sur le lieu pourrez mieux regarder et appercevoir que nous ne saurions imaginer, en ce cas vous accordons vous en pouvoir retirer quand bon vous semblera ; et comme autresfois vous avons escript nous en remettons entierement à vous, vous en dechargeant par cettes, ne faisant doubte que tout ce que vous en ferez sera par bonne discretion, et pour le mieux, comme tout ce que jusques a present avez faict, dont vous savons très bon gré, le tenant pour service bien agreable. Lesdits deputez venuz, adviserons encore s'il y aura moyen d'envoyer quelcun audit Gand, selon que avons delibéré comme dessus. Et à tant tres chier et bien amé, Dieu vous ait en garde. De Malines le 19e jour de septembre 1539[79].

La reine chargea de la mission délicate de se rendre à Gand comme conciliateurs Adolphe de Bourgogne, seigneur de Beveren, et le président du grand conseil de Malines, Lambert de Briaerde. Elle leur fit remettre des instructions écrites, qui nous ont été conservées et que nous croyons devoir insérer dans notre texte. Ces instructions nous éclairent parfaitement sur la situation du moment et sur les dispositions pacifiques du gouvernement ; il y a d'ailleurs dans le langage et les formes de ce document un si vif reflet de couleur locale, que, bien qu'un peu long, nous croyons faire chose utile et agréable à à nos lecteurs en le reproduisant.

Instruction pour messire Adolf de Bourgogne, sr de Bevres, de la Vere, Vlissinghe, admirai de la mer, chevr de l'Ordre, et messire Lambert de Bryarde, chevr président du grand Conseil à Malines, de ce qu'ils auront à faire et besoigner en la ville de Gand où, à la requisition de la Reine douagiere de Hongrie, de Boheme, Régente et Gouvernante, ils iront presentement.

Premier. Ils se transporteront en ladite ville de Gand pour y estre au plus tard le 240 jour de ce mois, et illecq arrivés, manderont vers eux le grand bailly d'icelle ville, et luy declareront la cause de leur venue selon cette instruction, et entendront de luy la disposition des affaires et troubles de ladite ville de Gand.

Et après adviseront, avec l'advis et assistance dudit grand bailly, de communiquer avec les gens de bien de ladite ville, ou autres, pour trouver le plus convenable moyen de pouvoir remedier auxdits troubles, et selon que ils trouveront la disposition des affaires.

Et s'ils entendent quelque moyen par lequel l'on pourroit remedier à tous inconveniens apparens, sans prejudice à l'autorité de l'Empereur, autres que cy-après seront mentionnés, ils le pourront mettre en avant, dont Sa Majesté se rapporte entièrement auxdits Srs de Bevres et Président.

Si lesdits de Bevres et Président trouvent qu'ils puissent sans 'danger avoir deputez des trois membres, pour communiquer avec eux, ils leur proposeront ce que s'ensuit.

Que la Reyne a entendu ce que leurs deputez, à deux fois envoyez vers elle, ont proposé et requis, et que Sa Majesté desire y pourveoir pour le bien, repos et tranquillité de la ville de Gand, en tant que en elle est, et faire se peut, en gardant l'autorité de l'Empereur, et aussy les privileges de la ville de Gand.

Mais pour ce que l'affaire est de grande importance, auparavant y pouvoir donner absolute responce à leurs susdits deputez, a envoyé lesdits Srs pour communiquer avec eux, et par bonne intelligence faire ce qu'il appartiendra, ayant cependant fait demeurer leurs dits deputez à Malines, afin de leur rapporter telle responce qu'il sera advisé.

Et pour ce que en premier chef ils ont requis que doresnavant les eschevins et autres officiers de la ville de Gand devroient faire serment, comme l'Empereur a sa premiere reception a sa seigneurie auroit fait en l'eglise de St-Jehan, selon la forme depuis baillée par escrit.

Et que, pour ledit escrit, ils veullent que lesdits eschevins et officiers doivent entre autres choses jurer d'estre bons et loyaux a l'Empereur comme Comte de Flandres, et de garder ses droits, auctoritez et Sies, et de faire la justice au pauvre comme au riche ; combien que telle affaire, qui concerne privilege, compete à l'Empereur et ne se peut faire par la reyne sans en advertir Sa Ma implle, toutefois, pour la pacification de ladite ville, seroit assez encline, sous le bon plaisir de l'Empereur, et tant que Sa Majesté de ce advertie en auroit autrement ordonné, de tollerer ladite forme du serment, pourveu que par ce tous troubles presentement sussités en icelle ville puissent cesser, et que ce ne fut tiré en autre consequence.

Mais pour ce que leurs dits deputez, outre ce, ont requis premier que ou lieu des eschevins absentez de la ville, autres gens de bien fussent mis en leur lieu, et que Sa Maté avoit ad-visé de faire appeller lesdits absents, et entendre d'eux la cause de leur absence, et après leur ordonner de retourner en ladite ville, ou eulx deporter de leur office, et en leur lieu autres gens de bien commettre.

Ce que la reyne desiroit faire pour proceder meurement en cette affaire, et garder ordre de droit, en tant que on ne peut destituer personne sans le premier ouyr.

Toutefois depuis leurs deputez en delaissant ce point, ont requis que tous les eschevins de la kuere commis au demy aoust dernier, fussent destituez, et autres commis en leur lieu, sans declarer les causes.

Ce que Sa Majesté trouve difficile, et sur quoy elle ne sauroit bonnement respondre, sans premier communiquer, comme dit est, avec eulx.

Car premier : il est clair et notoire que lesdits eschevins de la kuere ont esté choisiz et esleuz comme et pour gens de bien, auxquels on feroit tort de les deporter sans cause ou raison, et les préalablement ouyr, et seroit directement contre droit et justice.

Et davantage contre le privilege du roi Philippe de France[80] donné à la ville de Gand, par lequel est dit par exprès que les eschevins commis selon la teneur dudit privilege doivent regir et gouverner pour un an.

Pourquoy si la reyne deportoit entierement la loy de la kuere, sembleroit que on n'auroit gardé ledit privilege, dont cy après Sa Ma pourroit ouyr quelque reproche.

Car elle entend se toujours regler selon les privileges des villes, comme elle a fait jusques à ores, tant que icelles mesmes les garderont.

Et si en ladite loy de la kuere sont aucuns qui ne y doivent estre, en les declarant, et les raisons pourquoy, Sa Mate sommierement ouy celluy que l'on voudra dire n'estre qualiffié pour estre en loy, et les trouvé, le destituera et mettra autres gens de bien en leur lieu.

Leur remontrant a cette fin que la reyne en gardant justice ne le pourroit entierement destituer, et lesdits eschevins ne doivent requerir une princesse chose contre justice et raison.

Davantage leurs deputez ont requis de vouloir destituer les sergeants de la ville de Gand, et commettre autres gens de bien en leur lieu.

Et pour ce que lesdits sergeants sont officiers de l'Empereur, ayant lettres patentes de commission de Sa Majesté, lesquelles la reyne ne peut revoquer sans cause raisonnable et sans les ouyr, elle ne peut si generalement accorder le susdit point.

Mais en cas que lesdits sergeants ou aucuns d'eux ne soyent gens de bien, et qualifiés comme ils doivent, Sa Ma, après les avoir ouy sommierement, les destituera, et commettra autres en leurs lieux.

Et touchant le dernier point requis par leurs deputez de destituer Reynier Van den Velde, eschevin de parchons, pour l'homicide par luy commis et perpetré.

La reyne après avoir veu le privilege dudit roy Philippe exhibé par leurs deputez, ne trouve par icelui qu'il soit dit que homicide ne peut estre en loy, mais dit seulement que on y doit commettre gens de bien.

Or peut bien estre que un homme de bien commet homicide en son corps deffendant, et demeurer homme de bien, et après estre en loy, comme est advenu au cas présent.

En tant qu'il appert par la copie de la remission dudit Reynier Van den Velde, qu'il a commis l'homicide mentionné en sa remission, en son corps deffendant, et bien innocentement, tellement que pour raison dudit homicide il n'ait delaissé d'estre homme de bien, consideré mesme la remission qu'il a obtenu, par laquelle il est restitué en sa lame, bonne renommée, honneurs et dignitez.

Et est a diverses fois advenu que l'homicides, quant autrement ils ont esté gens de bien, ont esté en loy, mesmes de feu Messe Anthoine de la (sic) qui en son temps a tres bien regy ladite ville de Gand.

Neantmoins si de ce lesdits de Gand ne se vouloient contenter, leur sera dit que, pour garder ordre de justice, la reyne mandera ledit Reynier et, lui sommierement ouy, appointera sur sa destitution comme il appartiendra, tellement qu'ils auront cause de raisonnable contentement.

Pourront aussy lesdits Srs de Bevres et Président remonstrer auxdits de Gand, qu'ils doivent bien regarder et penser ce qu'ils demandent à leur Prince, et. qu'ils ne doivent demander chose desraisonnable et, ce qu'ils demandent, le doivent demander en douceur et bonne reverence, tel qu'il appartient a un sujet vers son superieur mesme, tel que est l'Empereur, qui est un prince souverain, doux et clement vers ses sujets, quant ils se monstrent telz qu'ils doivent ; aussy au contraire, que pour sa reputation il ne voudroit de ses sujets endurer chose qu'il ne doit, et que en demandant chose non fondée, il ne leur pourroit bien prendre, ou bien advenir à la ville, ni aux manans et habitans d'icelle, et pourrait causer infraction de leurs privileges.

Et, si lesdits de Gand disaient ou craignaient, evoyant (sic) ceux que on voudroit destituer, la chose trainneroit et se mettrait en long delay, lesdits Srs de Bevres et Président leur diront que on n'entend pour cette affaire de mener procès, ni proceder par calenge et responce, pour dilayer la matiere, mais que la Reyne entend seulement mander vers elle ou ceux du Conseil, à certain brief jour, ceulx que on voudra destituer, et s'ils ne comparent, qu'ils seront destituez, sans y garder autre solempnité, et s'ils comparent, on les ouyra verballement, et incontinent on appointera sur leur destitution comme il appartiendra, sans plus de delay.

Declarant en outre auxdits de Gand que la Reyne entendait faire ce que dessus, pour le bien, tranquillité et pacification de ladite ville, et pour observation des privileges d'icelle.

Bien entendu que lesdits trois membres laisseront ceulx de la loy, qui y seront institués, librement administrer la justice, comme il appartient selon les privileges de la ville, et qu'ils ne se mesleront plus du fait de la justice, ni de faire apprehension d'aucuns prisonniers, ni estre presens à la torture d'iceulx, et qu'ils laissent, paisibles les electeurs de ladite loy, et qu'ils se retireront de leurs susdites chambres, et feront leurs metiers et negociations comme ils sont accoustumez, et qu'ils seront et demeureront bons et loyaulx à l'Empereur et à la Reyne comme Regente.

Si avant que lesdits de Gand ne se voulaient accorder de eulx separer ou delaisser leurs chambres, ne fut que premier ils entendent resolution sur les points et articles dessus declarez selon leur collace, lesdits Srs de Bevres et Président s'en enquesteront par la meilleure maniere que faire pourront, pour entendre à quoy ils se voudront arrester, et si en leur accordant aucuns points, il y a apparence de les contenter, ou non, et prendront temps pour advertir la Reyne, et faire donner responce à leurs deputez, sitot qu'ils seront de retour devers sa Majesté.

Et si, après avoir entendu la maniere de faire desdits de Gand,- et leur intention, ils trouvent convenable, leur pourront mettre en avant que, selon les privileges de la ville de Gand, à l'Empereur, comme Comte de Flandres, ou son Conseil, compete et appartient la connaissance des mesuz et delits commis par ceux de la loy d'icelle ville, et que, s'il y a aucun de quelque condition ou etat qu'il soit, qui ait commis chose digne de reproche contre les privileges de la ville, que Sadite Majesté est prete d'en prendre la cognoissance et en faire la punition telle qu'il appartiendra, tellement qu'ils auront cause de contentement en y procedant par ordre de justice.

Et qu'ils doivent bien regarder que, en y procedant par autre moyen, si ne serait contrevenu aux privileges de la ville de Gand, lesqueiz Sa M, comme dit est, desire en tous points garder et observer.

En outre ce, la Reyne a escrit aux Srs Des Fossés et de Poucke de eulx vouloir trouver en la ville de Gand, comme Sa M espere qu'ils feront, afin que durant que lesdits Srs y sejourneront, puissent parler et converser entre ceulx de leur connaissance, et par eux entendre l'intention de ceux de la commune desdits de Gand, dont la Reyne leur a ordonné de toujours advenir lesdits Srs et se conduire selon leur advis.

Et au surplus pour ce que en telz troubles sujects a continuel changement il est mal possible de pouvoir donner seure instruction, Sa Majesté se confiant entierement en l'integrité desdits Srs de Bevres et Président, se remet totallement d'user de cette instruction, comme selon la disposition des affaires ils trouveront convenir au bien, tranquillité et pacification de ladite ville et des troubles y regnans.

En prenant toujours regard de y garder l'autorité et préeminence de l'Empereur, comme Comte de Flandres, tant qu'il sera faisable, et comme Sa Majesté a en eux sa pleine confidence.

Ainsi fait par Sa M a Malines le 23e jour de septembre l'an 1539[81].

Les commissaires n'étaient pas encore partis, quand arriva un rapport alarmant du grand bailli. Ce fonctionnaire informait la reine que les métiers ayant été six semaines en leurs chambres, voulaient, en invoquant leurs privilèges, descendre sur le marché[82]. Les envoyés se mirent en route sur le champ et arrivèrent à Gand le 24 septembre. Ils trouvèrent le peuple si agité que le grand bailli leur conseilla de ne pas faire connaître l'objet de leur mission et, d'accord avec lui, ils informèrent la régente qu'il ne restait qu'un seul moyen de prévenir des troubles plus redoutables, c'était de renouveler la loi en déléguant à cet effet des commissaires sachant le langage flamand[83] Marie de Hongrie ne crut pas devoir se rendre à ce conseil. Elle répondit à ses envoyés, le 25, que la concession qu'on lui demandait ne serait que le prélude de nouveaux désordres et de nouvelles exigences ; que bientôt on verrait reparaître le grand étendard et les chaperons blancs. Je suis, disait-elle, disposée à accorder aux Gantois plus que je ne dois, mais sans pouvoir, ajoutait-elle, fléchir sur ce point. Elle leur recommandait ensuite d'épuiser tous les moyens de conciliation, de s'entendre avec le grand doyen, de visiter chaque métier séparément, d'assurer les Gantois qu'ils la trouveraient toujours prête à leur octroyer choses raisonnables et convenables pour le bien et. le repos de la ville. Si on résistait à leurs avis, elle leur enjoignait de ne rien négliger pour pénétrer les projets ultérieurs des meneurs et de revenir ensuite à Malines pour délibérer avec les autres seigneurs convoqués à cette fin sur la conduite à tenir dans les circonstances[84].

La dépêche de la reine arriva à Gand le 26, vers six heures du soir, au moment même où les métiers, exaltés par la découverte d'approvisionnements de salpêtre et de poudre, venaient de signifier au grand doyen leur résolution de descendre sur le marché. Le grand bailli était à bout de ressources. Soumettre les propositions de la reine à la commune, c'était, selon lui, faire tourner la chose à pis encore. Le grand doyen, sur lequel la régente avait placé quelque espérance, n'avait non plus de crédit devers le peuple qu'un enfant. Dans cette situation inextricable à leurs yeux, les commissaires, d'accord avec le seigneur de Poucques, qui venait de les rejoindre, et avec le grand bailli, mandèrent à la reine que les choses estoient venues si avant qu'il n'estoit plus heure de pouvoir pratiquer aucun bien, si ce n'est qu'elle donnât commission pour le renouvellement complet de la loi. Et ne doit Votre Majesté s'esbahir, continuaient-ils, si ceux de Gand la forcent à ce, car ils l'ont bien fait à votre bisaieul, monsieur le duc Charles, lui estant icy en sa propre personne, le forçant de signer les privilèges qu'ils vouloient[85].

Le grand bailli et le président du conseil de Flandre supplièrent, de leur côté, la reine de prévenir les désastreuses conséquences d'une plus longue opposition à la volonté populaire. Le premier s'efforçait de la convaincre que la crainte qu'elle manifestait de nouveaux et plus grands excès n'était point fondée. Il lui peignait ensuite sous les plus vives couleurs les malheurs prêts à fondre sur la ville et sur le pays, dans le cas où elle maintiendrait son opposition. Mon sang répandu au service de l'Empereur et de Votre Majesté ne serait rien, disait-il, mais ce qu'il faut considérer et redouter, dans l'intérêt de la dignité impériale et royale, c'est la desconfiture de tant de gens de bien, la démolition d'une si notable ville, la destruction de tout le pays, résultats certains d'un inexorable refus[86]. Le président du conseil de Flandre s'exprimait dans le même sens et d'une manière non moins pressante. Il exposait d'abord les causes d'impopularité des magistrats dont la commune réclamait la destitution, et l'incapacité notoire de ceux qui n'avaient pas émigré, simples gens n'ayant jamais esté en loi, n'assistant le grand bailli en fait ni en paroles non plus que de simples enfans, chose pitoyable à voir et à ouïr. Il exprimait ensuite la crainte de voir les Gantois passer outre, procéder à de nouvelles élections et recourir à des voies de fait contre des magistrats devenus l'objet de l'animadversion publique. Il faisait remarquer, en outre, que rien n'empêchait d'admettre provisoirement la nouvelle formule de serment, quoiqu'elle ne fit aucune mention de la paix de Cadzant, attendu qu'aucun article de cette paix n'obligeait les échevins à en jurer l'observation. Le président terminait en engageant la reine à éloigner de sa présence à Malines les émigrés de la ville de Gand : sans vouloir juger personne, concluait-il, je ne puis laisser de dire à Votre Majesté qu'il est fort à craindre que les faits et les paroles de ces fugitifs et de ces émigrés ne soient pas trouvés, en fin de compte, assez sains et assez justes pour leur mériter si grande compassion, et moins encore pour donner créance aux opinions dont ils peuvent sans cesse emboucher Votre Majesté afin d'embellir leur cas, et l'offusquer par leurs rapports malveillants contre les Gantois[87].

La reine résistait toujours. Elle écrivit le même jour, après avoir reçu ces lettres, au sire de Beveren et au président : Y ayant pensé derechef et délibéré en bon conseil, je ne me trouve pas moins empêchée, craignant les fâcheuses conséquences d'une telle concession. Je vous requiers donc encore de tâcher, par tous bons moyens, de contenter le populaire et d'obtenir qu'il se sépare et mette fin à ces rassemblements dangereux. Elle les autorisait toutefois, si leurs efforts en ce sens n'aboutissaient pas, à promettre aux Gantois de s'employer auprès d'elle en faveur de leurs demandes, à condition qu'ils s'engageassent, de leur côté, à se séparer et à ne plus se mêler de l'administration de la justice. A cette lettre était jointe une note où la reine énumérait tous les dangers à redouter de la concession qu'on lui conseillait.ses yeux, c'était sanctionner la lacération du calfvel et abolir de fait la paix de Cadzant ; c'était conférer aux Gantois la connaissance et la judicature des causes civiles et criminelles dans les villes closes de leur quartier et dans tout le plat pays de la Flandre jusqu'à Cassel ; c'était rétablir les chaperons blancs ; c'était leur accorder le pouvoir d'arrêter, au nom de la ville, tous et quelconques personnes, vassaux, Officiers et autres sujets de l'empereur, de les mener à Gand pour en faire telle justice qu'il plairait au bailli et à la loi ; c'était enfin autoriser toutes les décisions de la collace et soumettre au consentement de cette dernière toutes les demandes d'aides adressées au pays de Flandre. C'était, disait la note, la souveraineté même de l'empereur qui était en jeu, et déjà, dans leurs requêtes, propositions et autres écrits, les Gantois ne l'intitulaient plus que seigneur naturel comme comte de Flandres, délaissant le titre de souverain seigneur, dont usaient les trois autres membres[88].

Une dernière lettre des envoyés de la reine, arrivée vers huit heures du soir, ne permit plus à la reine de prolonger cette inébranlable résistance. Il étoit besoin, affirmaient les envoyés, d'envoyer la commission pour renouveler la loi en dedans le lendemain matin, autrement, n'y avoit d'apparence de plus contenir ladite commune. Le sire de Beveren ajoutait, dans une lettre particulière, que si l'on n'envoyoit ladite commission, le président et lui seroient en danger et grand hasard. Marie de Hongrie convoqua à l'instant même le conseil d'état. Il était neuf heures du soir. Les conseillers déclarèrent qu'ils ne pouvaient engager Sa Majesté à nommer une commission pour le renouvellement de la loi à Gand, sans manquer à leurs serments, mais que, pour ne pas mettre la vie des envoyés de la reine en danger et pour éviter de plus grands maux, ils croyaient qu'il y avait lieu de se soumettre à la nécessité. La régente céda alors, mais en protestant expressément que c'était par force et contrainte. Les secrétaires du conseil dressèrent sur le champ la commission donnée au seigneur de Beveren, au président du grand conseil de Malines, au sire de Poucques et à Philippe de Liedekerke, seigneur d'Everbeek, pour procéder à la destitution et au remplacement des échevins de la keure. La reine alors, renouvelant sa protestation, envoya querir le grand sceau, fit,  en sa présence sceller ladite commission, mettant neantmoins et escrivant de sa main sous la cire les mots suivants : par force, et pour eviter plus grand mal ay consenty cette commission, Marie[89].

Les commissaires de la reine reçurent leurs pouvoirs le 27. Aussitôt ils firent assembler ceux de la loy et autres notables de la ville, et leur declaroient qu'ils avoient charge de renouveler la loy de la keure, à deux conditions, l'une que ce servit sans prejudice de hauteur de l'Empereur et, si par cy après on trouvat que ce fut au prejudice dudit droit, qu'ils en devroient respondre et non la Reyne, aussi que moyennant ledit renouvellement ils se devoient retirer de leurs maisons et laisser convenir ceulx de la justice, et le même fut declaré à la commune par le grand bailli, allant de maison en maison. A quoi ne fut respondu autre chose, sinon qu'ils désiroient que, au lieu de Renier Van den Velde, autre fut commis en son nom. Les commissaires alléguèrent le silence de leurs instructions à cet égard, mais, dans la crainte de soulever de nouveaux orages, ils finirent par consentir au remplacement de ce magistrat, qui était échevin des parchons[90].

L'élection eut lieu le lendemain. Les eschevins choisis firent serment selon la collace desdits de Gand, sans mentionner ou ensuivre l'acte de l'an 1515 ou de la paix de Cadzant. Encore lesdits de Gand, non contens après avoir obtenu ladite nouvelle loy, requirent que les esehevins des parchons, instituez au demy aoust dernier, devroient faire le serment comme avoient fait les esehevins de la kuere nouvellement instituez, ce que les commissaires pour contenter le peuple ont consenty et de-porté les eschevins de leur premier serment[91].

Ce ne fut pas sans peine que les commissaires quittèrent Gand, où déjà les difficultés recommençaient. La commune réclamait le renvoi de ses députés, et la reine y consentait difficilement, ne condescendant pas volontiers à lâcher ses otages. Elle promit cependant de les renvoyer le 4 octobre. Ce jour venu, elle les congédia, en leur recommandant d'engager leurs concitoyens à se conduire maintenant que les choses s'étoient passées à leur appétit, de manière à contenter l'empereur et à ne pas encourir son indignation, dont cy après les manans d'icelle ville se pourroient ressentir. Elle leur fit remettre des lettres expédiées au nom du monarque et datées du 13 septembre déclarant qu'ils eussent à cesser toutes nouvelletez et à obéir à la reine jusques à sa venue, qui seroit de brief. Le même jour, 4 octobre, les commissaires de la régente quittèrent Gand sans opposition[92].

De nouvelles complications étaient prochaines. Les échevins de la keure récemment élus étaient affiliés au parti des perturbateurs, et ce n'est pas sans raison qu'on les désignait par la dénomination de loi ou de magistrats des Creesers. Peu de jours après leur élection, le 30 septembre, ils avaient envoyé dans les campagnes et dans les petites villes des hommes armés afficher, aux portes des églises, des mandats ordonnant de livrer à la commune de Gand les émigrés et les fugitifs qu'ils accusaient de les calomnier auprès de là reine. Le jour même du départ des commissaires royaux, les métiers furent convoqués pour élire leurs doyens. Avant d'y procéder, ils requirent de nouvelles rigueurs contre les échevins dépossédés. On décréta sur l'heure l'arrestation de Renier Van den Velde, de Corneille Van der Zwalmen, de Guillaume De Smet et de Laurent Everden. Philippe Rym, à cause de son indisposition et de son grand âge, fut gardé à vue. En même temps on opéra des perquisitions dans les maisons de Gilles Van Huffel, Pierre Van Dickele, Antoine de Baenst, Liévin De Grave, Simon De Buck, Antoine Halins, qui avaient émigré depuis le commencement des troubles[93].

Le 7 octobre, nouvelle réunion des métiers. Ils persistèrent dans leur refus de procéder au choix des doyens et commencèrent à murmurer pour tenir nouvelle collace. Ce jour-là même, les échevins de la keure, qui sympathisaient avec les agitateurs, écrivirent à la reine, lui demandant que son bon plaisir fat de commander à Josse de Joigny, seigneur de Pamele, commis premier échevin, lequel on ne savoit trouver, de desservir son état. La lettre portait en suscription : Eschevins de la keure de Gand, au plaisir de Votre Majesté toujours appareillés. La régente répondit que, puisque l'on ne pouvait trouver ce magistrat, elle ne pouvait lui envoyer l'ordre réclamé. Toutefois, pour faire ce que en elle estoit, elle leur transmit des lettres qui enjoignaient au sire de Pamele de se rendre à son poste. Celui-ci ne comparaissant point, ils exigèrent sa destitution, et le premier échevin fut remplacé quelques jours plus tard par messire Antoine de Leu[94].

La situation devenait des plus critiques. Le mouvement se propageait dans toute la Flandre, et une insurrection générale semblait imminente. La reine avait recommandé plusieurs fois à la douairière d'Egmont de mettre son château de Gavre à l'abri d'un coup de main. Cette place était d'une importance majeure, pour le cas où l'on serait obligé d'intercepter les communications entre Gand et Audenarde. A la fin elle y envoya Guillaume Coffoy, archer de corps de l'empereur, avez seize soldats, et ordonna à l'officier de la comtesse, Florent de Potelles, de lui remettre son commandement. A cette nouvelle, deux mille paysans des villages voisins armez et embastonnez accoururent sous la conduite d'Yvain Van Waernewyck, gentilhomme des environs, et abattirent les ponts du château, tellement que nul ne pouvoit ni y entrer ni en sortir. Les plus exaltés continuèrent à faire une garde étroite autour de la place ; d'autres, plus timides, se réfugièrent à Gand avec leurs biens et leurs bestiaux.

A Roulers, à Grammont, le peuple s'ameuta, et, dans cette dernière localité, la foule obligea le magistrat de relâcher les prisonniers arrêtés à la suite d'une première commotion. L'attitude des gens du commun était si menaçante, que la reine prescrivit de surseoir à toutes poursuites contre les coupables[95] et qu'elle écrivit au magistrat de la ville, le requérant mettre peine de, par ce troublé temps, entretenir les manans de la dite ville en bonne paix et obéissance envers l'Empereur, mon seigneur et frère, disait-elle, et envers vous, qui avez l'administration de la justice, laquelle vous ordonnons faire comme il appartiendra. A quoi vous baillerons et ferons bailler toute assiste, quant besoing sera, par le vicomte de Berghes ou aultre. Cette lettre, du 11 octobre, portait pour suscription : A nos très chers et bien aimez les bailli et eschevins de la ville de Grantmont[96].

Les villes de Courtrai et d'Audenarde donnèrent le spectacle de troubles plus graves et plus inquiétants. La première de ces villes était en proie à une agitation produite par l'établissement de marchés dans les terres de quelques seigneurs du voisinage. Les habitants accusaient cette mesure d'être ruineuse pour leur propre marché et préjudiciable aux recettes communales. Le gouvernement n'ayant pas tenu compte de leurs réclamations, les magistrats communaux laissèrent leurs administrés se réunir dans des assemblées locales présidées par les chefs des quartiers urbains, désignés, à Courtrai, par le nom de hooftmans et de bereckers[97]. Dans ces réunions, on formula un bon nombre de réclamations sur différents points d'ordre public. Ainsi on demandait la suppression de l'accise levée sur les toiles et le linge ; la faculté pour tous de s'approvisionner au marché de Courtrai, en payant seulement le milte ghelt comme à Iseghem ; l'abolition de l'impôt sur les filets et de la taxe sur la petite bière ; un nouveau règlement pour le marché au blé, enfin la lecture et une copie de tous les privilèges de la ville, qui seraient désormais placés sous la garde de commissaires choisis par le peuple[98].

Ces demandes avaient été présentées aux échevins, qui en référèrent à la régente. La réponse n'était pas arrivée quand vint le moment de renouveler l'affermage des accises. Le magistrat voulut y procéder, malgré les dangers que faisait présager l'agitation des esprits au sein de la ville et dans les campagnes voisines, parcourues par les émissaires des Gantois. En effet la commune réunie, au lieu de délibérer sur la proposition qui était à l'ordre du jour, se plaignit hautement du retard mis à redresser ses griefs et fit entendre des récriminations menaçantes contre les magistrats. Bientôt ces plaintes firent place à des cris tumultueux de Tuez ! Tuez ! vociférés par la foule qui avait envahi la place publique et qui exigeait impérieusement la lecture des privilèges.

Il fallut céder. Le lendemain, sur une estrade dressée au milieu du marché, on procéda à cette lecture, qui ne fut achevée qu'au bout de quelques jours. Cela fait, le commun peuple établit des postes armés pour veiller sur ses privilèges et occuper l'hôtel de ville[99]. On adjoignit au magistrat quatre hooftmans révocables par la commune, à laquelle ils prêtèrent serment. Toute décision prise en leur absence fut déclarée nulle ; à eux seuls fut remise la direction des finances et des travaux publics, ainsi que la garde du chartrier communal. Ces concessions ramenèrent la tranquillité, et les envoyés chargés par Marie de Hongrie d'examiner les demandes de la commune trouvèrent l'ordre rétabli. Mais au bruit de la prochaine arrivée de troupes, l'attitude du peuple redevint si menaçante que le magistrat supplia la reine de renoncer à un projet qui pourrait avoir les plus fatales conséquences. En effet il suffit de l'assertion d'un bourgeois prétendant avoir vu des gens d'armes sur la route de Lille, pour exciter les colères de la foule. Elle courut aux armes, se livra à des manifestations violentes contre les échevins et les riches bourgeois, hoochpoorters, et leur arracha l'ordre d'arrestation du sous-bailli[100].

A Audenarde, le mouvement populaire prit les allures d'une véritable insurrection. D'après le désir de la reine, le comte de Lalaing s'était rendu dans cette ville pour y prêter aide et assistance à son frère ; il était accompagné du seigneur de Molembais, de Morant de Haussy, sire de Rémicourt, de Godefroid de Corchin et d'autres gentilshommes. En même temps, Marie de Hongrie avait écrit à la commune, au nom de l'empereur[101]. pour détourner ceux d'Audenarde d'imiter les troubles et révoltes dont les Gantois venaient de se rendre coupables. Ces lettres avaient été bien accueillies et le calme semblait régner dans la cité, quand un incident inattendu vint jeter le trouble dans les esprits.

Le 4 octobre, un homme du commun se présenta chez le bourgmestre se disant chargé par le peuple de réclamer la suppression de la maltôte et la démolition du bureau où se percevait cette taxe impopulaire. Les gens du bourgmestre mirent la main sur cet homme et le conduisirent à l'hôtel de ville, où il fut retenu prisonnier. Mais le lendemain, qui était un dimanche et jour de fête dans l'un des faubourgs, un rassemblement de gens avinés fit mine, vers le soir, de vouloir délivrer le prisonnier. Les frères de Lalaing, avertis par le magistrat, agirent avec beaucoup de prudence, et firent élargir l'homme détenu, après lui avoir fait promettre de se représenter à la première sommation[102]. Toutefois la concession fut impuissante. Les esprits étaient montés et la foule ameutée obligea ces seigneurs à se renfermer dans le château, où ils eurent à soutenir un siège en règle[103].

A cette nouvelle, qui lui fut apportée le 7 octobre, à neuf heures du soir, par un envoyé du sire de Courrière, Marie de Hongrie convoqua sur le champ ses conseillers et las gentilshommes de sa maison. Elle leur dit qu'il fallait à tout prix sauver ces seigneurs qui s'étaient exposés pour le service de l'empereur. Les abandonner, ajoutait-elle, seroit perdre réputation et mettre tout le pays au hasard. Elle offrit sa vaisselle pour fournir au plus hâtif, et tous les assistants promirent de la seconder. Le prince d'Orange s'engagea à réunir, en trois ou quatre jours, trois cents chevaux ; le seigneur de Molembais, récemment revenu d'Audenarde, se chargea d'y joindre cent cinquante à deux cents gentilshommes de la maison de la reine, et l'on se proposait de renforcer cette cavalerie de cinq cents hommes de pied, levés par le duc d'Arschot depuis les commotions de Gand[104].

Une nouvelle réunion avait été fixée au lendemain pour arrêter définitivement ces précautions militaires. Elle devait avoir lieu à six heures du matin, mais avant cette heure arriva un laquais de Philippe de Lalaing ; il était chargé d'avertir la reine que son maître et le frère de celui-ci étaient en danger d'être perdus, s'ils n'étaient promptement secourus, le château étant hors d'état de tenir contre l'artillerie dont les assaillants étaient pourvus. La régente prit immédiatement les mesures d'urgence réclamées par les circonstances. Elle enjoignit au prince d'Orange et au sire de Molembais de se tenir prêts avec les forces dont ils disposaient et de se mettre en communication avec le bailli d'Alost, Jean de Montmorency, afin d'être informés d'heure en heure de la situation des choses. Le duc d'Arschot reçut l'ordre de diriger sans retard ses piétons sur Ath et de réunir ses trois cents chevaux aux troupes de ces seigneurs. Libert de Turck, son lieutenant, fut envoyé à Harlem pour y lever mille à douze cents fantassins et les faire marcher sur Lierre. Des lettres pressantes furent adressées aux comtes d'Hoogstraeten et de Buren, pour réclamer leur concours empressé. La reine fit publier partout que ces gens de guerre eussent à se loger et payassent, afin que les paysans ne se élevassent, dont plus grand inconvénient fût advenu et l'entreprise empêchée. Elle dépêcha ensuite le secrétaire du conseil privé, Georges d'Esplechin, à Audenarde, à l'effet de regarder si, par l'entremise des gens de bien, il pourroit trouver moyen d'apaiser ceux de la commune[105].

Le seigneur d'Escornaix jouissait d'une grande considération à Audenarde, et sa conduite prouva qu'il en était digne. Il se mit en rapport avec les métiers, et la violence fit bientôt place aux négociations pacifiques. Par son inspiration, le magistrat adopta des mesures d'ordre et de police qui rétablirent peu à peu la tranquillité dans la multitude sans l'irriter. Le 10 octobre, Charles de Lalaing écrivait à la reine que son frère avait si bien communiqué avec les métiers, qu'ils luy avoient accordé d'estre leur chier, vingt-quatre hallebardiers à leurs dépens, et monsieur de Beveren pour lieutenant. Ils lui avoient jà, continuait-il, baillé les clefs de la ville en ses mains, de sorte que le tout allait en bon accord, parce qu'il avait gaignié les bonnes grâces du peuple. Mais il fallait se garder de menaces, qui ne seraient propres qu'à reculer le tout, car si avoient une fois le bruit qu'on rassembloit piétons, seraient tous les gens de bien en hasard d'estre tués, attendu que eulx et les Lalaing avoient asseuré sur leur honneur qu'il n'y viendroit personne[106]. Les dispositions de la commune étaient si bonnes en effet, que les échevins de Gand ayant offert à ceux d'Audenarde de les assister, au besoin, contre les soldats de la reine[107], il leur fut répondu qu'on les remerciait de cette offre de secours, mais qu'on espérait ne pas se trouver dans la nécessité d'y recourir. On s'engagea seulement à faire saisir et châtier les fugitifs de Gand qui se retireraient à Audenarde[108].

Une sorte d'agitation inquiète et menaçante régnait en ce moment dans toute la Flandre. La régente, en proie à une anxiété bien légitime, déployait une activité incessante et recourait à toutes les mesures de précaution dictées par les circonstances. A Ypres, le peuple inclinait visiblement du côté des Gantois et, au rapport du bailli de cette ville, journellement mettoit nouvelléités en avant[109]. A Lille, Marie de Hongrie était informée que les povres gens et aultres de petit estat murmuroient contre les loix et aultres ayant estat et gouvernement de la chose publique, cherchant occasion de eulx pouvoir eslever contre leurs supérieurs[110]. Deux cordeliers suspects avaient été arrêtés à Haspres ; peu satisfaite de l'instruction à laquelle ils avaient été soumis sur le lieu, elle ordonna de les diriger sans retard sur Malines, pour pouvoir les interroger elle-même[111]. Elle enjoignit à tous les officiers et magistrats de la Flandre d'interdire les réunions illicites, de réprimer les propos séditieux, de faire extrême et rigoureuse justice des fauteurs des troubles. Partout où elle le put, elle plaça des soldats. Termonde et Rupelmonde furent armées, et l'on transféra ailleurs les prisonniers détenus dans le château de cette dernière ville, dont l'esprit inspirait des craintes à la régente. En outre, le magistrat de Malines fut invité à tenir, de jour et de nuit, des guetteurs sur la tour de Saint-Rombaut, avec ordre d'y allumer autant de feux qu'ils en verraient briller sur le château de Rupelmonde, le nombre de ces feux devant indiquer, d'après les instructions convenues avec le capitaine de la place, Georges Dubois, les divers incidents qui pouvaient s'y produire et dont il importait que le gouvernement fat immédiatement averti[112].

Revenons à Gand. Nous avons vu le mauvais effet produit en cette ville par l'envoi de quelques soldats au château de Gavre. Les paysans des environs, avons-nous dit, s'étaient mis sur pied au nombre de deux mille, sous la conduite d'Yvain Van Waernewyck, avaient détruit les ponts-levis et tenaient bloqué le château. La reine se montra disposée à renvoyer le faible renfort que la place avait reçu, mais elle voulut d'abord que les paysans insurgés rentrassent dans l'ordre en se retirant chez eux. Le 11 octobre, l'écuyer Jean de Waudripont se présenta devant le château, avec ordre d'engager les paysans à s'éloigner et, en cas de refus, de les sommer de le faire, sous peine d'encourir l'indignation de l'empereur. Arrivé aux avant-postes, Waudripont fut arrêté et conduit devant Yvain Van Waernewyck, qui se fit donner ses lettres de commission, le mit sous bonne garde et courut à Gand pour avoir conseil et avis. La collace s'était réunie ce jour-là même et les résolutions prises par elle portaient la marque d'une nouvelle surexcitation[113]. Les magistrats, sous l'impression de ces discussions peu pacifiques et peu respectueuses pour le gouvernement, écrivirent à la reine une lettre qui fut jugée bien arrogante, desraisonnable et du tout dérogeante aux hauteurs, prééminences et souveraineté de l'empereur. La lettre portait cette simple suscription : à la reine, et cette forme plus encore que le fond mécontenta profondément la régente. Voici la pièce qui provoqua une nouvelle péripétie dans ce drame, dont le dénouement fatal n'était plus éloigné.

Très haute et très puissante Darne, nous avons cejourd'huy receu vos lettres escrites le X de ce présent mois d'octobre, et par icelles entendu les raisons et occasions qui auroient meu Votre Majesté de mettre garnison au chàteau de Gavre, et davantage faire lever autres gens de guerre, tant de pied que de cheval, mais que votre dite Majesté, ayant entendu les dites occasions non estre telles, auroit à tout et quelconques les dessus dits gens de guerre donné congé. Ce toutesfois nonobstant est venu à notre connoissance que l'on auroit mandé à votre part aux paysans estans autour dudit château de Gavre, de se desloger d'illecq, sur peine d'encourir l'indignation de l'Empereur notre naturel sr et Prince natif ; ce que, sous correction, ne nous semble estre conforme ni aussy accorder avec ce que Votre Majesté nous auroit écrit et donné à connoistre, supplians partant qu'il vous plaise, pour le repos et tranquillité, tant des inhabitans de cette ville que des dits paysans, faire retirer et sortir à toutte diligence et sans nul delay les gens de guerre estans tant audit chasteau de Gavre que ailleurs de ce pays de Flandres, ensemble pour le bien du dit pays de Flandres et la hauteur de sa Majesté impériale notre naturel sr et prince natif, souffrir et permettre que le chasteau dudit Gavre soit gardé par gens de cette ville de Gand, ou pour le moins par les paysans et circumvoisins dudit chasteau, à la dénomination et discrétion des trois membres de ladite ville de Gand, et aussy permettre que le semblable soit fait de tous autres chasteaux audit pays de Flandres, et principallement au quartier dudit Gand, attendu que lesdits de Gand ne demandent que paix et union, avec bonne amitié avec leurs voisins et manans du dit pays de Flandres, et avec leurs voisins sujets de saditte Mate Impie. Parquoy leur semble, en parlant en toute reverence sous correction, estre inutile et superflu de mettre aucuns gens de guerre, ni garnison ou munition èsdits chasteaux ou forts audit pays de Flandres, supplians au surplus, attendu que la commune de cette di tte ville est fort emeue a l'occasion que certains fugitifs, ayans grandement forfait envers icelle ville et quartier dudit Gand, se seroient retirez sous votre protection, qu'il plaise a Votre Majté nous envoyer et faire delivrer au lieu de leur bourgeoisie iceux fugitifs, pour d'eux estre fait justice comme par droit et raison sera trouvé appartenir, ou en faute de ce, les repulser et chasser de vous mesmes, attendu que pour avoir les dits fugitifs commis si grands et énormes delitz, ils ne doivent avoir ne jouir ès pays de l'Empereur d'aucune franchise, port, ni faveur quelconque.

En quoy faisant, votre ditte Maté fera grand bien a la ditte ville de Gand, aux voisins d'icelle, et au pays de Flandres en général, selon que Dieu le coignoist, qui à vous, très haute et très puissante Dame, veuille donner l'entier de vos tres nobles et bons désirs. De Gand le 12 jour d'octobre 1539.

Les Échevins des deux bancqz, et deux Doyens de la ville de Gand, entierement vostres.

A la Royne[114].

La régente s'empressa de transmettre une copie de cette pièce à Charles-Quint et de l'instruire des derniers évènements. Il est temps, lui disait-elle, d'y pourvoir et de hâter votre venue par deçà, autremeut le pays ira en totale désolation. Elle n'avait rien changé cependant aux procédés conciliants dont elle avait usé jusque là envers les Gantois ; elle se rappelait ce que le grand bailli lui avait écrit tout récemment sur leur compte : Les Gantois sont gens bien traitables, en y procédant par douceur ; mais en usant de rigueur, ce sont gens furieux et sans raison. Jean de Wautripont, qui avait été rendu à la liberté, reçut l'ordre de tâcher de convaincre les paysans que la garnison du château de Gavre n'était là pour leur causer aucun dommage, et de leur offrir, au besoin, de laisser pénétrer à l'intérieur quelques-uns des leurs, devant qui le capitaine prêterait le serment de ne pas molester le pays, si on lui fournissait des vivres. Van Waernewyck repoussa cette proposition ; il voulait introduire dans la place autant d'hommes que la reine y avait envoyé de soldats. L'envoyé de la reine retourna donc sans rien faire. Toutefois il trouva moyen, avant de s'éloigner, de se mettre en rapport avec les gens de la garnison. Ceux-ci lui dirent qu'ils étaient délibérés de garder la place jusques au bout ; ils ne craignoient que faute de vivres, car ils n'en avoient pas pour dix jours, ce dont ils le prioient d'avertir la reine[115].

Aux procédés conciliants de la régente la commune de Gand continuait à opposer des prétentions toujours grandissantes et de nouveaux empiètements sur l'autorité impériale. En conformité des résolutions de la collace, les échevins invitèrent les villes de Bruges, Ypres, Audenarde, Courtrai, Alost et Termonde à prendre avec celle de Gand la défense dei droits du pays. Honorables, sages et discrets seigneurs, chers et bons amis, disaient-ils s'adressant aux magistrats locaux, pour ce que nous et toute la communauté de cette ville sommes d'opinion et d'advis de garder et entretenir, et de faire garder et entretenir paix, amour et accord entre nous et avec toutes communautés, à l'honneur de Dieu tout puissant, de l'impériale Majesté, et de la commune prospérité de ce pays de Flandres, sans y contrevenir ou laisser contrevenir, si avant que sera en nous et en la communauté de cette ville, a ceste cause nous escrivons presentement à vous pour sçavoir si estes de la même opinion et advis, et si ainsy est, comme nous l'esperons, prions et requérons en toute diligence de vous entre advertis, afin que avec bon repos en nécessité nous puissions fyer en vous et vous en nous, prians que si on veut envoyer ou mener auculns gens de guerre en votre ville, le vouloir empescher et vous toujours joindre avec nous[116]...

Le 15 octobre, la régente avait écrit aux échevins de la keure à Gand pour leur exprimer son étonnement de voir le libre accès au château de Gavre toujours intercepté par leur aveu, et pour leur proposer de s'entendre avec eux sur la garde des maisons du quartier de Gand. Ceux-ci, ne gardant plus de ménagement, lui répondirent le même jour : Très haute et très puissante Dame, nous nous donnons des merveilles outre mesure que n'avons encore receu response sur nos lettres escrites le 12 de ce mois, considéré que la cause requiert célérité, car nous considérans que le peuple, et principalement residant au plat pays, de jour en jour est plus esmeu, et qui plus est, les paysans commencent en grande multitude eux retirer ès villes, parce que les gens de guerre par vous envoyés à Gavre ne se veulent retirer, disans ce ne pouvoir faire sans votre ordonnance. Ce considéré, memement la grande nécessité qui nous contraint, nous escrivons autre fois à Votre Majesté prians qu'il vous plaise pour la conservation de ce pays, à toute diligence faire retirer lesdits gens de guerre, ou par faute de ce, vous mettrez tout le pays en hazart, et comme par deux fois avons escrit, serez occasion de la destruction et degast d'icelluy pays, et specialement de cette ville de Gand, laquelle ne désire autre chose que demeurer bonne et lealle à l'Empereur notre naturel sr et Prince natif, jusques a la mort, ce cognoit Dieu, lequel, tres haute et tres puissante Dame, vous conserve. De Gand ce 15 d'octobre 1539. Et dessous estait escrit : Les tous vos très humbles serviteurs, Eschevins et Conseil de la ville de Gand[117].

Ce jour-là, les métiers avaient enfin procédé à l'élection de leurs doyens, de la manière arrêtée par la collace. Ils allaient quitter leurs maisons d'assemblée, lorsqu'ils apprirent que le grand doyen, Liévin D'Herde, avait prêté serment d'après la formule comprenant la paix de Cadzant. Un violent tumulte s'ensuivit et ne cessa que le lendemain après que le doyen eut renouvelé son serment en se conformant à la nouvelle formule. Les exigences de la multitude allaient toujours en augmentant et les échevins eux-mêmes commençaient à s'en montrer effrayés. Le grand bailli, désespérant plus que jamais de pouvoir arrêter ce mouvement, contraint d'ailleurs de refuser tout nouveau serment par ordre de la reine comme étant chose trop préjudiciable à l'autorité souveraine, prit le parti de fuir sous le déguisement d'un de ses serviteurs, après avoir informé les échevins de son départ et leur avoir recommandé sa femme, tout en leur rappelant ses services. Un trait, insignifiant d'ailleurs, montre bien quelle était en ce moment l'exaltation d'une fraction du peuple. Jean Van Waesberghe était mort en prison. Lui ainsi mort, fut le corps porté en sa maison afin de l'ensevelir et le mettre en terre, mais dès que les mutins le sçeurent, le firent rapporter en prison, et à toute fin voulaient que on coupast publiquement la teste de ce corps mort comme l'ayant bien desservi[118]. La collace, réunie le 19 octobre, recula devant cette mesure, et les échevins, laissés juges du procès, permirent d'inhumer le cadavre en l'église de Saint-Nicolas.

Dans la situation des esprits, tout devenait aliment pour les passions populaires. Marie de Hongrie, informée de la détresse de la garnison de Gavre, avait chargé Jean de Wautripont d'aviser aux moyens d'y faire passer des vivres. Mais, bien que les paysans se fussent relâchés dans leur surveillance, il ne put rien besoigner[119]. La reine alors écrivit au prince d'Orange, René de Nassau, qui se trouvait à Maëstricht, de revenir en toute hâte avec les troupes employées à la soumission de cette ville[120]. Toutefois de nouveaux rapports toujours plus pressants ne permettant plus d'attendre l'arrivée du prince, la reine ordonna au sire de Glajon de prendre deux cents chevaux de la bande d'ordonnances du seigneur de Beveren, trente à quarante couleuvriniers, quelques avant-coureurs, gens de fait et entendus à la guerre, et de conduire à Gavre deux ou trois chariots de vivre. Elle recommanda au commandant de veiller à ce que personne ne reçut de ses troupes insulte ni dommage ; mais elle l'autorisa, en cas de résistance à agir, comme le droit de la guerre le requéroit.

Glajon arriva dans la nuit du 18 octobre devant Ninove. Les habitants de la ville, avertis de son approche, avaient fermé et cloué leurs portes. Pour passer la Dendre, il fut obligé de faire un long détour qui le mena à une petite lieue de Gand, tellement que s'il eust esté jour, il eust esté à la merci des Gantois[121]. Il arriva devant Gaffe le lendemain, à huit heures du matin, et accomplit sa mission sans obstacle. Au retour, passant près du château de Waernewyck, il en enleva des grains et de l'artillerie et revint à Bruxelles, où se trouvait la régente, sans avoir dû tirer l'épée. Les magistrats de Ninove, effrayés après coup de l'audace des habitants, envoyèrent, dès le 19, des députés à la reine pour excuser leur conduite. Nous étions absents, dirent-ils, et les bourgeois n'ont osé donner passage à cette gendarmerie clans la crainte de voir leur ville brûlée par les Gantois. Marie de Hongrie leur déclara pour toute réponse qu'on examinerait l'affaire lors de l'arrivée de l'empereur[122].

Le bruit de l'expédition du sire de Glajon mit la ville de Gand en émoi. Les campagnards effrayés s'y réfugiaient en grand nombre ; ceux qui tenaient bloqué le château de Gavre se dispersèrent en se plaignant que on les entretenoit de bourdes ; que les gens de guerre les vouloient manger et piller ; Van Waernewyck lui-même crut devoir se cacher. Les métiers prirent les armes et les échevins adressèrent sur le champ une nouvelle requête à la reine. Après avoir cherché à justifier les paysans et les Gantois eux-mêmes, auxquels, disaient-ils, le château de Gavre a autrefois esté partial et dommageable, ils priaient la reine en toute humilité et révérence que, prenant regard au temps présent, il lui plût à l'honneur de Dieu tout puissant, de l'impériale Majesté et prospérité du pays de Flandre, faire retirer les gens de guerre hors dudit château, et laisser garder iceluy par aucuns loyaulx et adhérités de leur ville et des habitants autour dudit château, qui jureroient de le garder à la conservation de la hauteur de sa Majesté et de la prospérité du pays de Flandre. La reine répondit à cette lettre par un refus formel ; elle invoqua les ordres de l'empereur et répéta que l'occupation des places fortes ne tendait qu'à empêcher aucuns mauvais garnemens de les surprendre. Le conseil de Flandre eut beau la supplier, à la demande des échevins de Gand, de revenir sur cette résolution, elle resta inébranlable, mais elle engagea la commune à lui envoyer des députés pour traiter de ces affaires[123]. Marie de Hongrie, en maintenant intacts les droits de l'autorité, cherchait évidemment tous les moyens de temporiser et de laisser à l'empereur la charge des résolutions suprêmes.

Une nouvelle source de difficultés venait de s'ouvrir. Un agitateur, que nous avons déjà vu en scène, Guillaume De Mey, envoyé dans les châtellenies pour faire échec aux agents du gouvernement, accusa de trahison les hauts échevins et les hoogpoirters de Courtrai. Cette accusation trouva de l'écho chez les gens du peuple et les villageois des environs de Courtrai. Les deux hoogpoirters Josse Van den Berghe et Simon Caluwart furent arrêtés pendant la nuit, traînés à Gand et jetés en prison. Aux plaintes et aux reproches de la reine les échevins de Gand répondirent, en la priant de ne donner ni laisser donner aucun empêchement ou trouble à l'exercice de leurs droits et privilèges, qui leur donnoient juridiction et judicature, non seulement sur leurs manans, mais aussi sur tous ceux qui estoient demeurant au plat pays ou en villes closes de leur quartier ; car, ajoutaient-ils, en cas que en ce nous soit fait aucun empêchement ou force, nous serons nécessairement contraints y resister et chercher le dernier moyen de préserver les privilèges, libertés et juridiction de cette ville, ce que ne voudrions faire ni penser de faire, si la nécessité ne nous contraignoit[124]. La régente opposa à ces menaces et à ces prétentions le traité de Cadzant, qui avait enlevé aux Gantois toute juridiction, en matière criminelle, sur les officiers et justiciers du dehors. Par quoy, leur disait-elle, si vous ou ceux de la châtellenie de Courtray voulez demeurer bons et obéissans sujets de sa Majesté, devez poursuivre votre droit par justice par devant ceux du Grand Conseil, sans vous mesler autrement de l'affaire, ou chercher, comme escrivez, les extrêmes moyens dont ne vous sauroit advenir que votre extrême destruction.

Les termes dont on usait de part et d'autre devenaient, on le voit, de plus en plus menaçants, quel que fût le désir de la régente d'user de tous les ménagements. On allait plus vite du côté opposé. Le 27 octobre, le magistrat de Gand, parlant en souverain, selon l'expression de M. Henne[125], fit publier, dans les villages du quartier de Gand, deux placards, dont le premier ordonnait à tous paysans demeurans dedans les limites et chastellenie de Gand, en cas que aucun les outrage par exécution ou autrement à cause des 400.000 carolus, que la Roiale Majesté maintient lui estre consenti, qu'ils apprehendent lesdits exécuteurs faisant outrage, sans les blesser ou grever, et les amèneront devant les eschevins pour d'eux faire droit, loy et justice ; et dont le second portait que suivant la conclusion de la collace, tous baillis, mayeurs et escouttetes doivent dizainer leur peuple et cloire tous passages par barrières ou autrement en dedans huit jours sur l'amende de 60 livres parisis et correction des eschevins. Le même jour, la commune de Gand envoya des commissaires à Courtrai pour enquérir sur les faits imputés aux prisonniers et entendre les plaintes des habitants[126].

De Courtrai-Guillaume De Mey s'était rendu à Audenarde, où le mécontentement populaire venait de prendre des proportions considérables à propos d'un octroi obtenu, disait-on, du gouvernement de la régente au préjudice de la commune. On avait dû lui donner lecture des privilèges urbains, et cette lecture avait duré plusieurs jours, quoiqu'on y eût procédé chaque fois depuis neuf heures du matin jusqu'à onze heures, et depuis deux heures jusqu'à quatre heures de l'après-dînée. A peine arrivé le tribun gantois harangua la foule attroupée. Il était temps, selon lui, de repousser par des moyens énergiques un système d'oppression qui menaçait tous les droits. Nous les premiers, disait-il, nous vous en donnons l'exemple. Trop longtemps nous avons gémi sous un joug de fer. Que sont devenus nos privilèges et nos droits ? En a-t-on respecté un seul sous ce règne ? Jeunes encore nous espérions qu'un prince né parmi nous aurait gouverné le pays selon nos mœurs et nos lois. Vain espoir ? Nous avons pour maîtres des courtisans qui, après nous avoir ruinés, insultent à notre misère. Leurs intrigues tiennent éloignés de tous celui qui seul pourrait faire droit à nos trop justes plaintes. On lieus accable d'impôts, les subsides acquittés se comptent par millions, et cependant nos frontières sont dégarnies et le soldat n'est pas payé. La cour et les ministres ruinent le pays. Qu'avons-nous besoin d'être gouvernés par une femme ? Reléguons-la dans un cloitre, et que nos maux finissent avec nos oppresseurs[127]. Quel que soit, du reste ; le parti que vous preniez, nous avons résolu de conquérir nos franchises le fer à la main. Déjà, je le sais, des soldats marchent contre nous ; peut-être déjà sont-ils entrés dans vos murs. Qu'importe ? Nous ne reconnaissons, plus qu'un pouvoir, celui de la' commune. Et vous, souvenez-vous du serment de vos pères. Aux armes, et plutôt la mort que l'esclavage !

La multitude, enflammée par ces paroles, voulait qu'on lui ouvrit les portes du château pour y rechercher les émissaires de la régente. Les frères de Lalaing eurent besoin de toute leur habileté bienveillante pour calmer un peu les esprits. Il Fallait cependant une satisfaction aux mutins. Malgré les instantes prières du magistrat, les échevins de 1537, accusés d'avoir chargé la châtellenie sans le consentement des Gantois, furent jetés en prison[128]. L'ordre, la subordination, l'autorité, tout était compromis en ce moment sur une portion considérable du territoire flamand. L'action directe de l'empereur semblait réclamée énergiquement par les circonstances. Elle ne tarda pas à s'affirmer, après avoir essayé toutefois d'un dernier moyen d'apaisement et de conciliation.

Charles-Quint avait écrit de Madrid à sin sœur, le 30 septembre, qu'il était résolu de se rendre en Belgique avant la lin du mois suivant. Puisque lesdits de Gand ont passé si avant, lui disait-il, et tant se ont deshontés et perdu la vergogne qtie de recourir à la France, il fait grandement à craindre qu'ils ne fassent tout le pis qu'ils pourront par extrême désespération, et fait à douter qu'ils ne se veullent ayder des desvoyés de la foi, dont, comme j'entends, il y en a grand nombre en mes pays, et aussy des voisins et estrangiers[129]. Mais, avant lui, on vit arriver le comte du Rœulx, Adrien de Croy, porteur d'instructions datées de Madrid, 20 octobre 1539. L'envoyé impérial fut obligé de s'arrêter un peu à Mons, retenu par un mal de jambe, et ne parvint à Gand que le 30 octobre[130]. Il y fut reçeu, dit un document contemporain, comme la personne de l'empereur, sous espoir de bonnes nouvelles, et mesme que tout ce qu'ils avoient commis jusques ores ne desplairoit, mais seroit agréable Vers l'impériale Majesté[131]. Cette singulière et à peine croyable illusion ne tarda pas à se dissiper.

La collace fut convoquée le lendemain de l'arrivée du comte du Rœulx. Celui-ci lui donna connaissance de ses lettres de crédit et de ses instructions, qui portaient en substance ce qui suit. Après avoir rappelé toute la série des actes de la commune gantoise depuis le refus de l'aide jusqu'à la destruction du calfvel, l'empereur, disaient-elles, a trouvé ces attentats fort étranges de la part des Gantois qu'il a toujours tenus pour bons et loyaux sujets. Les croyant toujours dans la disposition de rester tels, il leur dépêche le comte du Rœulx chargé de les requérir et, au besoin, de leur ordonner de se désister de semblables manières d'agir, de reprendre leurs travaux, de rendre l'administration de la justice à ceux qui ont juré de l'administrer aux pauvres comme aux riches. La bonne affection dont sa Majesté impériale leur a donné tant de preuves, lui garantit leur obéissance. S'ils ont des réclamations à élever, il leur est loisible de les adresser à la reine régente ; elle y mettra tel ordre qu'ils auront raison de s'en contenter. Au reste, ils peuvent attendre l'arrivée de l'empereur, qui ne tardera pas à les visiter. Mais ils doivent cesser de s'émouvoir ou tumultuer. En ce cas, le comte priera l'empereur, prince tant bénin et clément, que rien plus, de les traiter gracieusement. Dans le cas contraire, ils donneront lieu à l'impériale Majesté de leur retirer sa bonne affection et de les soumettre par la rigueur. En dehors des points ainsi énumérés, le comté du Rœulx était pleinement autorisé par ses instructions à se conduire selon les conjonctures[132].

Ce gentilhomme, l'un des plus braves capitaines de son temps, appuya la lecture de ses instructions d'un discours où il parla aux Gantois avec une franchise toute militaire. Il leur remontra, dit un contemporain, de fort grand audace le grand danger où ils se mettoient, s'ils faisoient choses que bons et loyaux sujets ne doivent faire à l'encontre de leur bon prince et seigneur souverain, et que pour le présent l'empereur estoit le plus puissant et bien fortuné prince de toute la chrestienneté, et que jamais ils n'avoient eu un tel comte ayant la puissance et noblesse de lui, lequel ils devoient partant bien aimer, et mesme plus que nuls de ses autres sujets, en tant qu'il estoit natif de la ville de Gand ; et, pour ces causes et autres, ils lui devroient estre des plus obéissans, et mesme, que si aucuns autres de sesdits sujets se vouloient élever à l'encontre de ladite Majesté, qu'ils devrolent estre ceulx qui de tout leur pouvoir devroient soutenir pour icelle, et mesmement pour ce que l'Empereur estoit le premier comte de Flandre qui se pouvoit intituler comte, prince et seigneur souverain du pays de Flandres, laquelle souveraineté sa Majesté avoit conquise aucun temps par avant, à l'encontre du roy de France, par la prise que son armée fit dudit roy, nommé François, premier de ce nom, à la journée et bataille devant la ville de Pavie, en la duché de Milan en Italie, que ledit roy avoit assiégé avec sa puissance en personne, laquelle ville tenoit le parti de l'empereur, et partant ladite année sa Majesté leva — fit lever — ledit siège, et expulsa tous les François hors desdites Italies, lesquelles furent lors toutes mises en l'obéissance d'icelle sadite Majesté, et auxquels roys de France ladite comté de Flandres avoit toujours esté sujette en souveraineté comme tenue de la couronne dudit royaume de France, lesquels roys en estoient souverains, qui a esté et est un grand bien et honneur pour lesdits de Gand, et conséquemment de tout ledit pays et comté de Flandres, de quoy sera mémoire à tousjours, et partant le devoient aimer souverainement par dessus tous autres ses sujets ; et avec ce, qui, au moyen de ladite souveraineté ainsy acquise, sa Majesté avait relevé lesdits Gantois, et aussi tous autres dudit pays de Flandres, de la servitude en laquelle ils estoient sortis sans par appel au parlement de Paris. Et plusieurs autres telles et semblables remontrances leur fit ledit comte de Rœulx.

Aussy leur mist en mémoire comment ils devoient avoir souvenance que leurs prédécesseurs avoient esté si grièvement punis d'avoir rébellé à l'encontre de leurs comtes par cy-devant, lesquels n'estoient en rien à rapporter à la puissance de leur comte présent, et si devoient aussy avoir mémoire des deux journées de bataille qui furent, si comme l'une et la première à Rosebecke, et la seconde à Gavre. Lesquelles deux batailles lesdits Gantois eurent à l'encontre de leurs dits comtes, assavoir celle dudit Rosebeke au comte Loys de Male, comme le traicte messire Jehan Froissart, par l'un de ses volumes, et celle dudit Gavre au bon duc Philippe de Bourgogne, aussy en son vivant comte de Flandre, et y furent mors et occis de la partie desdits Gantois, ès dites deux journées de bataille, plus de trente à quarante mille hommes, et bien peu de la partie desdits deux comtes de Flandres, qui est bien démonstré que les mauvais, rebelles et désobéissans sujets n'ont jamais droit de victoire à l'encontre de leurs bons princes.

Et, en leur disant et remonstrant, par ledit comte du Rœulx, toutes ces choses et autres telles et semblables, cuydant et espérant par ce moyen appaiser leurs dites commotions, lesquelles remonstrances les dits Gantois devoient bien noter et considérer qu'elles estoient toutes véritables, et que, avant encommencer telles et si pesantes affaires que leurs prédécesseurs avoient par cy-devant faites, et auxquelles leur en estoit si mal pris, que, avant ce faire, ils y devoient bien avoir pensé deux fois à quelle fin elles leur viendraient, car c'estoient choses de trop grande conséquence, et que tant de maux et misères en adviendroient et qu'ils ne seroient jamais reparables, et, dont de toutes ces choses ils en seroient cause, au cas qu'ils voulussent continuer folies par eulx encommenciées, et ensuivre celles de leurs prédécesseurs ; et mesmement avec tout ce leur dit, déclara et certifia aussy publiquement que l'Empereur seroit à l'esté lors prochain en ses pays de par deça et en sa ville de Gand, voir de plus brief, si besoin estoit : par quoy, si ils se maintenoient autrement que bons et loyaux sujets ne devoient faire, que lors sa Majesté en feroit telle correction et punition, qu'il en seroit mémoire à tousjours, et que partant ils feroient bien et sagement de non eulx mettre en l'indignation de sa Majesté, et que ce n'estoit point un prince à qui on se devoit jouer, car il estoit bon et vertueux et aussy fort bien fortuné, comme en toutes ses œuvres et affaires ils avoient bien pu voir et ouï dire, et entre autres au triomphant et. victorieux voyage que sa Majesté Impériale List au pays d'Africque, et à la conqueste du royaume et ville de Thunis et fort chasteau de la Goulette, et au reboutement du roy d'Algarbe (Alger), qui se nommoit Barbe Rousse, lequel, avec plus de cent mille Turcs qu'il avoit avec luy, présenta la bataille à l'empereur, qui, de grande audace, et comme prince magnanime, avec sa puissance à ce le reçut, et avec icelle mist en fuite et deffit ledit Barbe Rousse et sadite armée, où icelle sa Majesté estoit en propre personne et y obtint ce jour une gloire et mémoire immortelle, comme aussy avoit-elle fait auparavant au reboutement du Turc au royaulme de Hongrie et en l'archiduché d'Austrice : dont, à l'occasion de toutes ces choses et autres, et aussy qu'il estoit natif de la ville de Gand, lesdits Gantois le devoient de tant mieux aimer, crémir et doubter (redouter)[133].

La commune demanda huit jours pour formuler sa réponse. Le comte trouva ce délai trop long, et on le réduisit à deux ou trois jours. Sur la proposition du grand doyen et avec l'assentiment du comte, les instructions furent traduites en flamand. Et, continue le même écrivain contemporain, de toutes les choses dessus dites et autres, la plupart desdits de Gand n'en faisoient peu ou nulle estime, et n'y adjoutoient les plusieurs d'iceux foy aux paroles dudit comte de Rœulx, combien toutesvoyes qu'il avait lettres de crédence de par l'Empereur à eulx adressans, lesquels disoient et estimoient lesdites lettres avoir esté feintement faites, et ne sçavoient ou vouloient croire lesdits Gantois malveillans que l'Empereur dust pour eulx venir en ses pays de par deçà pour leur affaire, et auxquels il sembloit que sa Majesté avoit des autres plus grandes affaires assez que les leurs, tant en ses royaumes des Espaignes, de Naples, Sicile, Italie, Allemaigne et ailleurs en la crestienneté, pour le bien d'icelle que plusieurs médians luttériens contendoient à des-traire, en quoy lesdits Gantois se fioient, et aussy à l'encontre des Turcs, lesquels pareillement ne cessaient de vouloir envahir ladite chrestienneté, par quoy l'Empereur ne se viendrait occuper ès affaires de Gand, et que les autres estoient de toute autre importance, et que ladite roynne, laquelle ils n'aimoient point, ne le faisoit ainsy dire que pour les esbahir. A. ceste cause n'en faisoient point d'estime, et disoient que, quand ores ainsy seroit que l'Empereur y viendroit par deça, qu'ils n'estaient de rien en souci de eulx bien excuser vers sa Majesté, et le contenteraient de telle sorte, meisniement que de tout ce qu'ils avaient fait en sçauroit bien bon gré, et qu'ils espéroient tant faire vers luy, qu'il feroit tout ce qu'ils voudroient pour le bien du pays, ou du moins en partie, et que, à leur requeste, sadite Majesté mettroit bon ordre ès affaires de tous les pays de par deçà selon leur désir, qui estoit pour le bien et proffit tant d'icelle sa Majesté que de tous sesdits pays, comme ils disoient. Et autre choses n'y sceust faire ledit comte de Reux, qui toutesvoyes en fast bien ses devoirs, et meisme Our ce faire se mist, en danger de sa personne, car c'estoient gens sans raison, non accomptans pour le temps de lors à Monsieur ne à Madame. Toutesvoyes il y tist un grand bien, qui fust que, durant le temps qu'il séjourna en la ville, qui assés fut bonne espace, les affaires d'icelle demourèrent en un mesme estat comme elles estaient quand il y entra, sans ce que icelles empirassent, ne aussy sans qu'elles amendassent, qui fui encoires un fort grand bien et temps gaigué, en approchant toujours la venue de l'Empereur[134].

Le comte du Rœulx ne réussit donc point dans l'objet principal et direct de sa mission, mais sa présence à Gand ne laissa pas d'avoir quelques bons résultats pour la cause de l'ordre et de l'autorité. Les finances de la commune étaient, on le pense bien, dans un assez piteux état à la suite de toutes ces commotions. Les employés n'étaient plus. payés ; une foule d'ouvriers remplissaient les rues, ne subsistant que d'aumônes ; dans la multitude germaient des projets de pillage et d'incendie. Les chefs du mouvement, effrayés eux-mêmes de ces symptômes menaçants, cherchèrent à se réconcilier avec les modérés : les gens sans avoir furent exclus des assemblées de la bourgeoisie. Guillaume de Mey, voulant ménager les deux factions, proposa de former un quatrième membre de la commune, composé du bas peuple et des bourgeois forains[135], mais cette proposition ne rencontra que méfiance chez les uns, que colère chez les autres. Les trois membres la repoussèrent comme attentatoire à leur indépendance ; les Creesers n'y virent qu'un moyen de neutraliser leur influence et repoussèrent avec dédain la concession légale d'un droit apparent, dont depuis longtemps la force leur avait donné la possession réelle[136].

Ces dissentiments furent mis à profit par le comte du Rœulx, et son habileté en fit sortir des partis irréconciliables. Il eut de fréquents entretiens avec les gens de bien, et, s'ils eussent eu courage, ledit seigneur eust pensé chastier les mauvais, mais pour ce qu'il les trouvoit si couars, ne se osa fier en eux[137]. Néanmoins, grâce à sa présence, on vit bientôt la bourgeoisie relever la tête. Quelques-uns ne proposaient pas moins que d'investir le comte du gouvernement de la ville Jusqu'à l'arrivée de l'empereur ; d'autres voulaient lui conférer le titre de ruwaert et lui donner des gardes. Mais les chefs du mouvement populaire montraient de tout autres sentiments ils osaient même parler de mettre la main sur le comte et de le tenir prisonnier[138]. Tout à coup la cloche d'alarme se fit entendre ; une foule d'hommes armés de coutelas, de maillets, de piques, apparut dans les rues, proférant d'horribles menaces contre les traîtres et contre le comte lui-même ; celui-ci fut tenu assiégé dans son propre hôtel, et le pillage des couvents semblait imminent[139]. En même temps on travaillait à augmenter les moyens de défense : des palissades s'élevaient, des fossés se creusaient, et on traînait à grand bruit des canons sur les remparts[140].

Les modérés cependant ne restaient pas inactifs. Le 4 novembre, les trois membres devaient se réunir pour aviser au déficit des finances de la commune, déjà obérée d'une somme de plus de onze mille livres. Les riches bourgeois résolurent de saisir cette occasion pour se soustraire au joug de la multitude. Dans la nuit qui précéda le jour fixé pour la tenue de l'assemblée, ils réunirent les membres de leurs familles, leurs censiers et autres leurs amis, tant de dehors de la ville que de dedans, tous bien armés et embastonnés, car ils avaient résolu de mettre le tout contre le tout et de eux défendre. Il n'en fallut pas davantage. Tout aussitôt les bienveillans et tenans le party de l'empereur, les nobles, plusieurs ecclésiastiques, les métiers des merciers, des bouchers, des bateliers, des tisserands, se joignirent à eux, s'emparèrent de la plus grande partie de l'artillerie et vinrent occuper le marché. En même temps paraissait une proclamation ordonnant que chacun se retirât en sa maison, et que personne ne se trouvât à la collace sinon les bourgeois et les doyens des métiers[141].

A l'heure fixée, les trois membres se réunirent dans leurs lieux d'assemblée, et l'on décida sans difficulté la levée des accises sur le pied précédent et sans modifications essentielles. Mais, pendant qu'ils délibéraient avec calme, la grande salle du couvent des Frères-Prêcheurs, où siégeait la portion modérée de la bourgeoisie, devenait le théâtre de scènes violentes. Les Creesers étaient parvenus à détacher les tisserands de la cause de leurs adversaires et, prenant les armes, s'étaient dirigés sur Se couvent, entraînant avec eux une foule de bourgeois forains et de gens sans avoir. Un effroyable tumulte se produisit ; et les deux partys ainsy rassemblés, armés, embastonnés, bien délibérés, on fut très près de jusques aux coups donner. Alors intervinrent plusieurs bons religieux et religieuses. Et grâce à eux, mais plus encore au nombre et à la contenance ferme de la bourgeoisie, les malintentionnés se décidèrent à abandonner le champ de la lutte et à renoncer, au moins pour ce jour-là, à l'exécution de leurs criminels desseins[142]. Il fait assez à croire, remarque encore l'écrivain du temps cité plus haut, que, sans les prières de plusieurs bons religieux et religieuses, dont il y en a beaucoup en la ville, les mutins eussent mis à exécution leurs mauvaises volontés. Lesquels ne cuidoient trouver nulle résistance à l'encontre d'eux, et ainsi furent bien abusés et la pluspart dolans, car tel d'entre eulx estoit fort pauvre qui en dedans le soir cuidoit estre bien riche, et desjà entre eulx avoient party (partagé) par parolles les biens et maisons de plusieurs riches gens et aussy de plusieurs riches religions (couvents), comme de Saint-Pierre, Saint-Savon et aultres, dont il y en a ansés bonne quantité en la ville, tant d'hommes que de femmes[143].

On n'en avait pas fini cependant. Les agitateurs exigeaient maintenant que la mise en ferme des accises fût subordonnée à l'exécution de toutes les résolutions des précédentes collaces et au renvoi en justice des prisonniers accusés de. trahison. En attendant, ils décidèrent que la cloche de travail ne sonnerait plus. Ces propositions furent adoptées par les métiers et les tisserands, qui retirèrent leur premier vote. Le lendemain, la cloche de travail ne sonna pas en effet ; les ouvriers, jetés sur le pavé par milliers, s'en allaient mendier aux portes des couvents et des riches, disant : Donnez-nous à manger et à boire ; nous n'avons pas de travail, et pourtant il nous faut vivre[144]. En même temps les motions les plus subversives se succédaient. On proposait de vendre les biens des fugitifs, de hausser le cours des monnaies, de châtier les dizainiers qui venaient de se montrer hostiles au peuple, et mille choses semblables. On poursuivait aussi une enquête pour découvrir le Rachat de Flandre, la vieille loi — hauwette — et l'étendard de la commune que quelques-uns disaient si magnifique, qu'on alla jusqu'à le supposer mis en gage chez les lombards ou autres prêteurs. De grandes recherches furent prescrites pour le retrouver à Anvers, à Malines et dans d'autres villes.

Au milieu de tout ce fracas, on avait perdu de vue les demandes du comte du Rœulx. Le 5 novembre, il prévint les échevins de son prochain départ, en leur promettant de revenir bientôt ; il resta pourtant jusqu'au 9, mais cette prolongation de séjour n'amena aucune résolution. Néanmoins il avait agi dans l'intervalle et, lorsqu'il quitta Gand pour remplir la mission supplémentaire dont il était chargé près des villes de Courtrai, Bruges et Ypres, une réaction en faveur de l'ordre commençait à se manifester. Les bourgeois et gens de bien commencèrent à faire du maistre plus audacieusement qu'ils n'avoient fait, et, les mutins commencèrent à diminuer, et les uns se tirer d'un costé et les autres d'un autre. Et lesdits gens de biens ne lais-soient à estre sur leurs gardes et faire bon guet chascun en sa maison, en eux y tenons tout prèts, si de rechef besoin eust esté, et ainsy commencèrent quelque peu à dominer et ravoir cœur[145]. Les effets de cette réaction se manifestèrent promptement. Le 8 novembre, les trois membres de la commune autorisèrent la mise en ferme des accises et permirent de sonner la cloche de travail. Un mouvement analogue se produisit dans les châtellenies, et partout le calme renaissait.

Ce fut en ce moment que se répandit le bruit de la prochaine arrivée de Charles-Quint. Le 3 novembre déjà, Marie de Hongrie avait ordonné de faire célébrer des processions générales et autres œuvres méritoires, pour obtenir la protection divine sur le voyage de l'empereur[146]. Cet ordre avait été exécuté à Gand le 11 novembre[147]. Cependant l'annonce de ce voyage avait rencontré beaucoup d'incrédules dans nos provinces, où l'on croyait le prince trop occupé de ses armements contre les barbaresques et de ses démêlés avec les protestants d'Allemagne. Mais bientôt on apprit que l'empereur avait déjà quitté Madrid, et l'on accusa la régente de vouloir empêcher la ville de Gand d'envoyer une députation à la rencontre du souverain[148]. La collace, réunie le 7 décembre, résolut alors de dépêcher, aux frais de la ville, un messager qui irait au devant de sa Majesté et ne reviendrait qu'après l'avoir vue. Le secrétaire du membre des métiers, Liévin de Tollenaere, chargé de cette mission, partit le 9, muni des instructions du grand doyen Liévin D'Herde. L'envoyé de la commune revint le 28 et annonça le lendemain à ses commettants qu'il avait trouvé l'empereur à Orléans[149]. Peu de jours après, on fut informé de l'entrée de ce prince à Paris.

Charles-Quint, en effet, pour arriver plus tôt en Belgique, avait résolu, malgré les remontrances de la plupart de ses ministres espagnols, de passer par la France[150] pour se rendre en Belgique, où il avait hâte d'arriver. François Ier, mis au courant de la pensée de l'empereur, avait chargé François Bonvalot[151], ambassadeur de Charles-Quint à sa cour, de lui en faire la proposition de sa part. Le 27 septembre, le commandeur de Los Covos et Granvelle informèrent Bonvalot que leur maître était très disposé à traverser la France et qu'eux-mêmes approuvaient cette idée[152]. L'ambassadeur était donc autorisé à provoquer une invitation officielle de la part de la cour de France. C'était bien là le désir de l'empereur lui-même, qui, à peu près à la même date, écrivait à la reine de Hongrie : Je veux bien vous advertir en secret que je me suis résolu de passer par France. Et, suivant cette détermination, ay fait escripre à mon ambassadeur en France. Je suis déterminé de m'y adventurer, si je n'entends chose qui notablement m'en doive retirer, puisque le nécessité en est tant grande, sans m'arrester au parler des gens, qui en tous costés glosseront cedit passage estre emprins trop légèrement et aclventureusement. Et, puisque l'on est venu à tant, faut demonstrer entière confidence dudit seigneur roy et des seigneurs, et passer le plus légèrement et diligemment que faire se pourra, excusant de rien traiter là, comme à la vérité ne conviendroit, et ne le vouldrois faire, sans avoir parlé au roy, monsieur nostre frère, et à vous[153].

Le 7 octobre 1539, François Ier écrivit à Charles-Quint la lettre suivante : Monsieur mon bon frère, encore que je sache certainement vostre zèle et singulier amour pour le bien, salut et conservation de la république chrétienne, et que vostre plus grande et principale affection soit d'entendre premièrement à y employer vostre personne, vos forces et le surplus du povoir que Dieu vous a donnéchose digne de vous et très requise et nécessaire en la dite chrestienneté; toutefois, monsieur mon bon frère, voyant la saison si avancée comme elle est, et le commencement de l'hiver entré, qui vous peut donner beaucoup de fascherie et d'ennui, faisant vostre passage en Italie et par mer[154], il m'a semblé, pour le devoir de l'entière amitié que je vous porte, et pour le regret que j'aurois que inconvénient advinst en vostre personne, vous supplier et requérir, tant affectueusement et de cœur qu'il m'est possible, ne l'exposer au péril et dangier de la mer, mais faire tant pour moy et pour ceste nostre commune et fraternelle amitié, que de prendre vostre chemin et adresse par cestui vostre et mien royaume. Ce vous sera occasion de visiter vos Pays-Bas, chose qui ne pourra de rien retarder ou reculer vostre bonne et sainte délibération de pourvoir aux affaires du Levant, qui, pour ce temps d'hiver, ne requièrent vostre présence, ne sont en dangier d'aucun inconvénient. Vous pourrez ainsi, en ce peu de temps donner ordre et provision aux affaires de vosdits Pays-Bas, qui en ont besoin ; à quoi de ma part je m'employerai et vous y ferai telle aide et secours que pour mes propres affaires, ainsy que je l'ay jà offert à la reine d'Honguerye, ma bonne sœur. Je veux bien vous assurer, monsieur mon bon frère, par ceste lettre escripte et signée de ma main, sous mon honneur, et en foy de prince et du meilleur frère que vous ayez, que, passant par mondit royaume, il vous y sera fait et porté tout l'honneur, accueil et bon traitement que faire se pourra, et telle que à ma propre personne. J'iray, s'il vous plaist nie le faire sçavoir, au devant de vous jusques au milieu de vos pays, pour vous quérir et accompagner ; j'y mènerai mes enfans, que vous trouverez prêts à vous obéir, et pareillement, tout ce qui sera en ma puissance dedans cedit royaume, duquel vous disposerez entièrement comme du vostre[155].

Le connétable, de Montmorency, et le cardinal de Lorraine joignirent leurs instances à celles du roi[156]. Le dauphin, à son tour, s'associa au vœu et aux assurances de son père ; il ajouta qu'il entretiendrait et observerait à jamais, tout ce que son père aurait promis et accordé à l'empereur[157]. Des engagements aussi formels ne pouvaient laisser subsister aucune ombre de défiance dans l'esprit de Charles-Quint : en les violant, François Ier se serait déshonoré aux yeux du monde entier. Charles prit donc ses dernières dispositions de départ. Il commit au gouvernement de la Castille don Juan de Tavera, cardinal-archevêque de Tolède, et le grand commandeur Francisco de los Covos. Le comte de Morata, le marquis de Calabre, le marquis de Lombay, don Diego Hurtado de Mendoza, furent nommés respectivement vice-rois d'Aragon, de Valence, de Catalogne et de Navarre. Dans un codicille et une instruction[158] qu'il laissa au prince son fils, il lui fit connaître ses vues sur les alliances matrimoniales qui pourraient se contracter entre les maisons d'Autriche et de France ; il lui recommanda particulièrement, au cas que Dieu disposât de lui, ses pays d'embas et de Bourgogne, ayant si bien et léalement toujours servi et tant souffert par les guerres passées et sa longue absence d'iceux ; il l'exhorta à toujours préférer leur bien et contentement raisonnable au sien propre.

L'empereur quitta Madrid le 11 novembre, précédé par Granvelle, parti le 1er novembre, et par le seigneur d'Andelot chargé d'offrir à François Ier vingt-cinq superbes genets d'Espagne. Il visita, en passant, sa mère à Tordesillas[159]. Le 21, à Valladolid, il prit la poste avec sa suite. Celle-ci n'était point nombreuse ; elle se composait du duc d'Albe, du sire de Boussu, grand écuyer ; de don Pedro de la Cueva, maitre d'hôtel ; du seigneur de Rye, sommelier de corps ; du comte Charles d'Egmont, gentilhomme de la chambre de don Luis d'Avila, des seigneurs de la Chaulx, de Pelote, de Flagy, d'Herbais ; des secrétaires Bave et Idiaquez, d'un médecin, d'un barbier, de deux aides de chambre, de deux cuisiniers, des sommeliers de la panneterie et de la cave, du maitre des postes et de quelques archers de corps[160]. Il arriva, le 26, à Saint-Sébastien, où l'attendait François Beauvalot. Entre cette ville et Fontarabie, il trouva le duc d'Orléans accouru à sa rencontre et, le 28, ils entrèrent à Bayonne. L'empereur y fut reçu par le dauphin, le connétable, le cardinal de Châtillon et plusieurs princes et seigneurs français. Le 1er décembre il coucha à Bordeaux. Le roi et la reine l'attendaient à Loches avec une cour brillante. Il y arriva le 12 et fut accueilli par le roi son beau-frère et par sa sœur avec de grandes marques d'affection. Le lendemain ils se mirent en chemin tous ensemble, et couchèrent au château de Chenonceaux le 13, à Amboise le 14, à Blois le 17, à Orléans le 20. On était le 24 à Fontainebleau, où de grandes chasses avaient été préparées. On ne quitta Fontainebleau que le 30, après les fêtes de Noël. Le jour suivant l'empereur s'arrêta au bois de Vincennes, pour faire son entrée à Paris le 1er janvier 1540. Depuis son entrée dans le royaume, il avait été l'objet de toute sorte d'honneurs et de réjouissances ; partout les prisons s'étaient ouvertes sur son passage. Bordeaux avait offert à l'hôte impérial de la France trois cents pièces de vin qui furent livrées à Anvers ; Poitiers, un aigle d'or de la valeur de mille écus ; Orléans, de la vaisselle qui en valait deux mille. Paris ne pouvait rester en reste : il fit hommage à l'empereur d'une statue d'Hercule en vermeil, qui n'avait pas coûté moins de dix mille écus[161].

Les habitants de la capitale manifestèrent, par des démonstrations non équivoques, la joie qu'ils éprouvaient de voir en si bons termes deux souverains, dont les divisions passées avaient coûté à la France tant de sacrifices d'hommes et d'argent ; ils n'omirent rien pour rendre le séjour de leur ville agréable à l'empereur. Après six jours de fêtes, Charles se remit en route le 7 janvier, car il avait hâte d'arriver dans ses états. Le roi voulut l'accompagner jusqu'à Saint-Quentin, où ils entrèrent le 19. Après avoir pris congé de François Ier, l'empereur poursuivit son voyage en compagnie du dauphin, du duc d'Orléans, du connétable, du cardinal de Châtillon, des ducs de Vendôme et de Nevers, et suivi d'une troupe de seigneurs qui formait une petite armée de mille chevaux. On avait fait de grands apprêts aux Pays-Bas, par ordre de la reine de Hongrie, pour recevoir ce brillant cortège. Le duc d'Arschot avait fait venir des tapisseries de Tournai, d'Enghien, de Binche et d'ailleurs pour orner Mons et Valenciennes ; la régente lui en avait aussi envoyé de Bruxelles[162]. Les veneurs avaient commandé des chasses extraordinaires dans toutes les forêts du domaine ; un nombreux personnel d'officiers et de valets avait été réuni, et de grandes quantités de venaison et d'autres comestibles étaient attendues du comté de Namur. Toutefois la nouvelle reçue que le roi ne poursuivrait pas le voyage jusqu'en Belgique fit restreindre ces préparatifs dispendieux. Le gouvernement de la reine était magnifique, mais pauvre, et les fêtes de la réception n'étaient pas achevées que déjà il avait fallu recourir à l'emprunt pour en couvrir les frais[163].

L'empereur et les princes français arrivèrent, le 20 janvier, à Cambrai. Ils y furent reçus par le duc d'Arschot, le prince d'Orange, les comtes du Rœulx, de Buren, d'Epinoy, le prince de Chimai, les sires de Beveren, de Praet, de Trazegnies, de Bréderode, de Courrière, le sénéchal du Hainaut, envoyés à leur rencontre par la régente. Le duc d'Arschot les harangua en sa qualité de souverain bailli du Hainaut, et l'évêque de Cambrai, son clergé et les habitants leur rendirent les plus grands honneurs[164]. Le lendemain l'empereur mit le pied sur le territoire belge, et entra à Valenciennes, où l'attendaient Marie de Hongrie et une foule de gentilshommes de ses états. Il n'avait pas voulu que l'on fit eschefaulx, feux de joie, ni que l'on mit de torches ou autres luminaires, tant pour ce qu'il estoit délibéré faire ses entrées de jour, que aussy parce qu'il estoit en deuil de l'impératrice. Pour la même raison, le dais sous lequel il devait marcher était fait de damas noir et non pas de drap d'or. L'entrée néanmoins fut magnifique. Des arcs de triomphe, décorés des armes impériales et de celles des princes français, étaient dressés aux portes de la ville ; dans toutes les rues que devait traverser le cortège, on lisait des inscriptions destinées à célébrer l'union des maisons de France et d'Autriche. Les prélats du Hainaut et tout le clergé, en mitres, en chappes et en habits de cérémonie, allèrent processionnellement au devant des augustes visiteurs ; les magistrats, les gens de loi, les confréries, avec leurs insignes, ajoutaient à la pompe de la cérémonie. Durant les trois jours que les fils de François Ier passèrent en cette ville, ce ne furent que bons plaisirs et soullas, où sa Majesté garda bien grandement son honneur, comme à icelle appartenoit : de quoy elle fut louée de tous[165].

Pendant que ces réjouissances se célébraient à Paris et à Valenciennes, l'inquiétude se répandait de plus en plus dans la Flandre, où les émeutes avaient cessé, mais où régnait toujours une grande agitation. La commune de Gand fut avertie officiellement par le comte du Rœulx, le 1er janvier, de la prochaine arrivée de l'empereur. A la suite de cette communication, une députation de douze membres avait été chargée de se rendre au devant de sa Majesté, pour lui montrer tout honneur, soumission et révérence. Cette commission était composée d'Antoine de Leu, premier échevin de la keure ; de Josse Charles Uutenhoven, premier échevin des parchons ; de Charles de Gruutere, seigneur d'Exaerde ; de Nicolas Triest, seigneur d'Hauweghem, et de Louis Beth, membres de la bourgeoisie ; de Liévin Hebscap, doyen des charpentiers, d'Antoine Degnoot, doyen des bouchers, de Liévin d'Hooge, membres des métiers ; d'Adrien Van Damme, de Josse Heel, de Liévin Van der Beke, membres des tisserands ; et de maitre Jacques Martins, pensionnaire de la ville. Ce dernier avait la mission particulière d'adresser à l'empereur le discours suivant, dont la teneur avait été arrêtée, mot à mot, en français, dans les instructions données à la commission : Sire, les eschevins des deux bancs et les deux doyens de vostre ville de Gand, dernièrement commis au gouvernement d'icelle, vos très humbles serviteurs et sujets, ayant entendu vostre très désirée venue et descente à vos pays de pardeçt, se sont tant et si merveilleusement resjouis, qu'ils n'ont pu cesser d'envoyer leurs députés au devant de vostre très sacrée Majesté, pour à icelle monstrer tout honneur et révérence, et congratuler vostre bonne et très désirée venue, très joyeux de vous voir en bonne disposition et santé, non obstant qu'avez prins beaucoup de travaulx, et vous mis en plusieurs dangiers, entrant et passant par pays d'aultrui, et en ce temps inconvenable, dont ils rendent gràce à Dieu ; supplians très humblement qu'il plaise à vostre très sacrée Majesté vostre dite ville de Gand et les inhabitans d'icelle avoir pour recommandés et commis à vostre très bénigne clémence, prians en toute humilité et révérence qu'il vous plaise les venir voir le plus tost que se faire pourra, et à vostre très sacrée Majesté semblera mieulx opportun et propice[166].

La députation partit le 11 janvier 1540 à midi, mais arrivée près de Valenciennes, elle reçut un message de l'empereur, qui lui enjoignait d'aller attendre ses ordres à l'abbaye de Saint-Amand. La cause pourquoy lesdits Gantois n'eurent si tost audience, dit l'écrivain contemporain cité plusieurs fois, et que on ne leur permist de venir à Valenciennes, c'estoit pour ce que les enfans, princes et seigneurs de France estoient encores en ladite ville, et qu'il n'estait besoin que les estrangers sceussent au vray les affaires d'iceulx de Gand, combien qu'ils en sçavoient assez, car on n'avoit parlé plus d'un demi an auparavant par tout le pays d'aultre chose que d'eux[167]. En effet, aussitôt après le départ des princes français, les députés furent prévenus que l'empereur les recevrait le lendemain, 25 janvier. Il écouta froidement leurs compliments de bienvenue[168] ; mais lorsque le pensionnaire voulut exposer l'objet de sa mission, il l'interrompit et déclara qu'il s'était rendu dans les Pays-Bas au grand danger de sa personne et nonobstant les fatigues d'un long voyage entrepris au cœur de l'hiver, pour rétablir bon ordre en sa ville de Gand ; punir, suivant raison et justice, les excès ; ce qu'il feroit de telle sorte qu'il en seroit mémoire, et que aultres ses villes, pays et sujets, y prendroient exemple[169]. Il prévint les députés de sa prochaine arrivée à Gand, où allait le précéder son grand maréchal de l'ont, pour préparer ses logements et ceux de ses troupes. Après cette déclaration, il les congédia sans qu'il leur fût possible d'obtenir une nouvelle audience. La députation était de retour à Gand le 21, avant midi[170].

L'empereur quitta Valenciennes le 26 janvier ; le lendemain il reçut à Mons les envoyés des quartiers de Bruges, d'Ypres et du Franc, qu'il y avait appelés d'après le conseil de la régente. Il les accueillit avec bienveillance et les assura que s'étant conduits en bons et loyaux sujets, ils n'avaient rien à redouter de sa part. Charles partit, le 28, pour Nivelles, et arriva le jour suivant à Bruxelles[171]. Ce fut dans cette ville qu'il fit ses derniers préparatifs, que les sages précautions prises par la reine de Hongrie lui rendaient faciles. Quoique gênée par le manque d'argent, car elle n'avait même pu obtenir des marchands d'Anvers un prêt de mille ducats[172], l'active et habile princesse n'en avait pas moins pressé ses armements. Le colonel François de Themste avait été chargé, dès le mois de novembre, de lever en Allemagne quatre mille piquiers et couleuvriniers, et ces troupes, formant huit enseignes, étaient déjà arrivées dans le Brabant[173]. Elles allaient être suivies de quelques autres enseignes levées par Godschalck Eriesen, dont la reine hâtait la marche[174]. On y joignit les Bas-Allemands — Nederlander — recrutés en Hollande par le prince d'Orange, les Hennuyers du duc d'Arschot, les Artésiens enrôlés par le comte du Rœulx, et divers corps fournis par le Brabant et les pays d'Outre-Meuse. Le 9 janvier, le prince d'Orange, le duc d'Arschot, les comtes. du Rœulx et d'Hoogstraeten, le seigneur de Beveren, avaient reçu l'ordre de réunir leurs bandes d'ordonnances à Malines, Hal et Enghien[175] ; il avait été enjoint à tous seigneurs et gentilshommes de se pourvoir de chevaux et d'armes[176]. Philippe de Lalaing avait été invité à tenir continuelle demeure au chasteau d'Audenarde sans en bouger[177], et Frédéric de Melun envoyé à Termonde pour garder ceste ville et empescher que par l'Escaut rien n'arrivast au secours[178]. Enfin il avait été ordonné aux officiers des frontières de prendre singulier regard sur ceux qui viendroient en leurs quartiers, pour, en cas que y vinssent aucuns desdits Gantois, les faire appréhender et garder, le tout toutefois si secrètement et discrètement qu'il n'en fust aucun bruit[179].

Cependant le comte du Rœulx et le grand bailli étaient revenus à Gand le 4 février, et avaient trouvé la ville dans une parfaite tranquillité. Le 31 janvier, à la demande du magistrat, les métiers, en permanence depuis le 15 août précédent, avaient déposé les armes et, pour faire disparaître tout appareil de guerre, le brandwacht — guet de feu — même fut supprimé le 7 février. Bientôt un corps de plus de trois mille Allemands entra en ville[180], et les échevins furent prévenus que l'empereur amènerait à sa suite douze ou treize pièces d'artillerie pour sa sûreté. En leur faisant cette communication, le comte du Rœulx invita la population à n'en point prendre ombrage, car soyez assurés, disait-il, que Sa Majesté ne veut user que de raison et de bonne police[181]. Les Gantois, loin de songer à quelque émeute, prirent sur le champ des mesures pour recevoir leur prince avec les honneurs qui lui étaient dus. Les notables de la bourgeoisie, les doyens des métiers, les jurés des tisserands, les membres des cinq serments et des quatre chambres de rhétorique furent invités à se munir de torches de quatre livres pour aller à sa rencontre[182].

L'empereur quitta Bruxelles le 9 février, se dirigeant par Alost vers Termonde. Dans cette dernière ville, il reçut une députation des magistrats de Gand, qu'il accueillit bien et à laquelle il annonça sa prochaine arrivée. Après s'être arrêté quatre jours à Termonde, il fit son entrée le 14 à Gand, dans un appareil à la fois solennel et menaçant. Il était accompagné de la régente et de sa nièce, la duchesse douairière de Milan. Le nonce du pape ; les évêques de Tournai, d'Arras, de Cambrai, une foule de prélats et de dignitaires ecclésiastiques ; les ambassadeurs des rois de France, d'Angleterre, de Portugal et de Pologne ; ceux de la république de Venise et de plusieurs villes d'Italie et d'Allemagne ; le vice- roi de Sicile, don Fernand de Gonzague ; les ducs d'Albe et d'Arschot ; les princes d'Orange, de Salerne, de Chimai ; le marquis Antoine de Berghes ; les comtes d'Over-Embden, du Rœulx, d'Epinoy, d'Hoogstraeten, de Lalaing ; Charles d'Egmont, de Buren ; te sénéchal du Hainaut, le baron d'Antoing, les sires de Sempy, de Molembais, de Praet, de Boussu, de Trazegnies, et une multitude d'autres gentilshommes lui faisaient une suite magnifique. L'escorte était formée des archers et des hallebardiers de la garde, de cinq bandes d'ordonnances fortes de huit cents hommes d'armes et présentant un effectif de trois à quatre mille chevaux, de cinq mille lansquenets, de quelques enseignes de piétons d'Arras, de Béthune, de Saint-Omer, et d'un train d'artillerie sous les ordres du seigneur de Molembais. Quatre enseignes d'infanterie occupaient le marché du vendredi. Toutes ces troupes étaient prestes et appareillées d'entrer en combat : les cavaliers en armes, la lance au poing ; les arquebusiers la hacquebutte en main avec tout ce qui appartient à icelle. Le défilé dura plus de six heures, sans compter le charroi et les bagages, qui eurent besoin de toute la journée. Les Gantois firent leurs devoirs comme ils estoient assez accoustumés de faire ; ils allèrent au devant de l'empereur en toute révérence et humilité[183]. La dite entrée fut faite en bonne ordonnance, et marchoit chascun selon son ordre et degré, et partant fort belle à veoir, car la pompe et magnificence estoit grande, de laquelle lesdits Gantois estoient tous esmerveillés de veoir un tel peuple et puissance en la ville. Et, icelle entrée ainsy faite, venoient de jour en jour grant nombre de gens de tous quartiers et pays, tant ecclésiastiques que séculiers, de telle sorte que, en peu de temps après, on estimoit y avoir en icelle ville de Gand, pour cause de la venue de l'Empereur, bien soixante mille testes et quinze mille chevaux[184].

Charles-Quint et sa suite descendirent avec tout leur cortège à le cour des princes, Prinsenhof, où, par ordre du comte du Rœulx, le capitaine du S'Gravensteen, François de Pottelsberghe, seigneur de Vinderhoute, avait placé une garde[185]. Dès qu'ils y furent entrés, les troupes prirent possession de leurs logements, distribués de façon à les tenir en corps et à les réunir avec facilité et promptitude. Les bandes d'ordonnances du Rœulx et d'Orange furent logées dans les quartiers de la ville appelés la Muide, le Meiren et dans les environs ; celle d'Arschot dans l'Ouder Bergen ; celle de Beveren occupait la rue des Champs, le Cauter et les environs, celle d'Hoogstraeten, le quartier de Saint-Pierre. Les piétons avaient envahi toute la paroisse d'Eeckergheme depuis la maison des Orphelins, vers la rue de Bruges, La Liève et le pont de la Lys jusqu'à l'église de Sainte-Agnès. Le seigneur de Molembais s'établit avec son artillerie au Louwen Bussche. Ces troupes faisaient par bandes et compaignies, chascun à son tour, grant guet tant de jour comme de nuit par toute la ville et ès carrefours d'icelle. Chascune bande de gendarmes, de chevaucheurs et les enseignes de piétons sçavoient leurs lieux et quartiers, et principalement estoit ledit guet renforcé de nuit, durant laquelle y alloient parmi les rues, sans cesser, bon nombre de gendarmerie de cheval, armes au clair, la lance au poing, l'espée d'arme au costé et la hache à l'archon de la selle. On s'imagine aisément combien il était difficile de maintenir une discipline sévère parmi cette masse d'hommes armés. Dès les premiers jours, les lansquenets, gens sans mœurs et sans loi[186], se conduisirent comme en pays conquis. Ils se gorgeaient de vin et de viandes, au point que plusieurs moururent des suites de leurs excès[187].

Charles-Quint commença par faire relâcher les hoogpoirters de Courtrai détenus dans les prisons de Gand ; il changea aussi les magistrats d'après le mode établi par le traité de Cadzant, et ordonna la mise en liberté de tous les prisonniers incarcérés en vertu de décisions de la commune. Ces premiers actes n'avaient rien de bien effrayant, et les Gantois ne tardèrent pas à se tranquilliser. Disoient entre eulx : on ne nous fera rien, n'ayons plus crainte, car si l'empereur nous eust voulu mal, on nous l'eust fait dès le commenchement de son entrée en ceste ville. Et à ceste cause que l'empereur delayoit encoires quelque temps leur affaire, ils cuydoient que le tout se deust ainsy laisser et oublier, en leur faisant seulement payer quelque somme de deniers, et avec ce qu'ils accorderoient quelque bonne et grosse ayde sur tout le pays de Flandres, pour, des deniers en procédans, employer à la despenceavoit faite d'estre venu en ses pays de pardeçà. Ainsy pensoient estre eschappés, quand ils veoient que on tardoit si longuement à leur rien faire, demander ni dire[188].

C'était le sommeil en face du danger, mais le réveil fut prompt et terrible. Le 17 février, on arrêta dans leurs maisons Liévin D'Herde, grand doyen des métiers, Laurent Claes, alors juré du métier des tisserands ; Liévin Hebscap, doyen des charpentiers et ancien grand doyen ; Simon Borluut, licencié en droit et auditeur au conseil de Flandre ; Jean De Munck, orfèvre ; Jean de Courtrai, Jean Bauwens, Martin Van Hauselaer, Jean Uuttermeere, Pierre Van Aerde, Guillaume de Somere, Daniel Van Iseghem, Liévin D'Haeze, Adrien Dullaert, Josse Van de Vyvere, tisserands de lin ; Jean Van de Moortele, foulon ; Jean Van Beest dit l'Espagnol, cordonnier, et la femme de Guillaume Van Coppenolle, savetier[189]. D'autres accusés, parmi lesquels Gilles De Wilde, Guillaume de Mey, Jean Debbaut, étant parvenus à s'échapper, des ordres furent expédiés, le même jour, à tous les officiers de la Flandre et du Brabant, de mettre la plus grande vigilance à les appréhender[190]. Un placard défendit, sous peine de punition corporelle, de donner asile à ces méchans rebelles, désobéissans et mutins, ou de celer leur retraite, et des primes de cent florins carolus furent promises à quiconque les dénoncerait ou les livrerait au grand bailli de Gand. Pour prévenir toute résistance aux ordres d'arrestation, les postes avaient été doublés, de fort piquets de cavalerie et d'infanterie occupaient les carrefours ou parcouraient les rues. Le 18, de nouvelles arrestations eurent lieu ; le 20 encore. Ce jour-là le doyen des meuniers, avec plusieurs autres membres de ce métier, fut mis en lieu de sûreté, et Guillaume de Mey vint lui-même se constituer prisonnier aux mains du grand bailli[191]. Des lettres patentes du 23 mirent à néant l'amende de six cents florins carolus prononcée par la commune contre les émigrés. Il fut toutefois enjoint à ceux-ci de purger leur contumace dans les huit jours, par devant les conseillers d'état Louis Van Schore et Charles Boiset[192].

Le 24 février, anniversaire de la naissance de l'empereur, les collèges des deux bancs furent mandés au palais. Un des échevins de la keure, Jean De Keysere, tonnelier, tomba mort en s'y rendant. Ce fut sous l'impression de ce triste incident que ses collègues comparurent devant l'empereur. Le prince les reçut assis en son siège, environné de ses princes, noblesse et conseil, en l'une des plus grandes chambres de sa cour, laquelle estoit toute ample ouverte, et où chascun povoit bien entrer qui sçavoit avoir place. Alors maitre Baudouin Lecocq, procureur général du grand conseil de Malines, commença à dire et lire haut et clair, que chascun le povoit bien entendre, en tant qu'il y avoit bonne silence, tous les points et articles de la dite commotion et tout ce qu'ils avoient fait et commis, durant le temps d'icelle, à l'encontre des hauteurs et seigneuries de l'empereur comme comte de Flandre, dont plusieurs desdits articles estoient cas de crime de lèse majesté. L'orateur conclut en accusant tous les manans et habitans de ladite ville de Gand d'avoir forfait vers l'empereur, comme leur comte, prince, et seigneur souverain, corps et biens, ensemble tous leurs privilèges. — Après quelque peu de silence et avoir parlé ensemble, les échevins demandèrent que ces griefs leur fussent communiqués par écrit et que l'on leur laissât le temps de préparer leur défense. L'empereur acquiesça à cette demande et leur accorda un délai de dix jours. Ils se retirèrent ensuite bien fort entonnés et en grand souci[193]. Et disoient bien plusieurs entre eulx (les Gantois) coyement (tout bas) que s'ils eussent pensé que la fin deust estre telle, que, dès le commencement de leur dite commotion, ils eussent vidé en armes et mis le tout contre le tout, pour eulx faire maistres de la ville et du pays de Flandres, comme autrefois avoient fait leurs prédécesseurs, et qu'ils ne se repentoient d'autre chose[194].

Pendant que les échevins préparaient une défense bien difficile hélas ! les mesures de sévérité se succédaient dans la ville consternée. Le 27 février, ordre fut donné aux receveurs du quartier de Gand de faire rentrer l'arriéré de l'aide de quatre cent mille écus, et de poursuivre les récalcitrants nonobstant tout appel ou opposition[195]. Un placard du 28 prescrivit le rétablissement de tous les impôts abolis pendant les troubles, et le magistrat publia, le lendemain, un arrêté ordonnant la perception de ces impôts, à partir du 2 mars, sur le pied antérieur au 15 août 1539. Mais personne ne se présenta pour les affermer et il fallut les mettre en régie[196]. Un autre arrêté du 3 mars abolit une fête connue à Gand sous le nom de Tauwe wet[197], qui se célébrait à la mi-carême et donnait occasion à de grands désordres. De quoy les Gantois, ou au moins la plus grant part, furent fort courroucés, et n'eussent jamais souffert de l'abolir, s'ils etissent pu ; mais n'estoit en leur puissance ; il leur convenoit avoir patience et eulx taire. L'empereur profita de cet intervalle pour aller recevoir, le 25 février, à Bruxelles, son frère le roi des Romains, qu'il ramena à Gand le 27 avec un grand nombre de princes et de seigneurs allemands[198].

Le 6 mars, jour fixé par l'empereur, les échevins furent admis de nouveau devant lui ; il était assis dans la même salle, ouverte au public, et entouré du même appareil. Les magistrats gantois commencèrent par lui présenter des excuses au sujet des atteintes portées à son autorité, ce qui leur déplaisoit bien fort, disaient-ils, et que s'ils l'avoient à faire, pour rien ne le feroient. Mais bientôt ils entrèrent dans un système de justification plus propre, on l'a remarqué avec raison[199], à gâter davantage leur cause qu'à l'améliorer. Tout le mal provenait, selon eux, du petit et sobre gouvernement qui avoit esté ès pays de par deçà durant l'absence de Sa Majesté. Durant ledit temps, les biens et revenus d'icelle ville avoient esté assés (très) mal conduits et gouvernés, dont le commun peuple et autres avoient fort murmurés, disans qu'ils estoient mangés et les biens de la ville pillés par les gouverneurs d'icelle, lesquels n'avoient eu aucun soin ni cure du bien de la chose publique. Par quoy le pauvre peuple, toujours chargé de plus en plus, avoit murmuré en disant qu'on ne devon point mettre tels gens en la loy et qu'ils n'en estoient qapables, mais au contraire plustôt dignes de mort. De là les troubles s'estoient ensuivis, et aussy bien en la ville de Gand que partout ailleurs èsdits pays, la justice n'avoit esté si bien administrée, ni la police si bien gouvernée, comme elle deust avoir esté. Néanmoins, ajoutaient-ils, ils requéroient sa gràce et miséricorde, se submettant totalement en icelle.

En ce qui concernait le refus de l'aide, ils dirent : qu'ils n'y avaient jamais consenti, parce que lors, à leur semblant, ils ne veoient le pays de Flandre, ne la ville de Gand à ce disposée, pour la povreté et petit gaignaige que lors estoit audit pays et en ladite ville, et que, pour ces raisons, avoient fait ledit refus, et que ce n'estoit point chose nouvelle de faire iceluy, et que par plusieurs fois ledit pays de Flandres avoit fait refus aux demandes y faites. Ils disaient encore que, par privilège exprès qu'ils maintenoient avoir à ces fins, les autres trois membres d'iceluy pays ne les povoient charger, ne pareillement la chastellenie, sans leur consentement.

Et, à ce qu'ils auroient offert de payer et livrer gens de guerre de la ville, pour autant que leur portion à l'ayde povoit porter, ils l'eussent fait, combien qu'ils n'avoient consenti ledit aide, et que la ville fust fort à l'arrière, et la pluspart des gens en icelle et aussy là autour fussent povres, à cause du chier temps et petit gaignaige qui lors estoit. La cause pour quoy ils voulloient livrer gens, au lieu d'argent que on leur demandoit estoit pour ce que lors, comme dit est, n'y avoit point de gaignaige en la ville, à cause de la guerre, au moyen de laquelle marchandise n'avoit point de cours, et à ceste occasion plusieurs povres compaignons ne trouvoient que gaigner, et ne sçavoient de quoy vivre et eulx entretenir ; et avec ce y avait en ladite ville de Gand tant de vagabonds et bancquebieres[200], desquels lesdits de Gand eussent volontiers estés quittes et déchargés, et eulx donné moyen de vivre et entretenement durant ladite morte saison et temps de la guerre, et à ce employer les deniers de leurdite portion.

Ils finissaient en requérant de tout grâce et pardon, et aussy voulloir considérer qu'il y a bien à faire à sçavoir mener et conduire un si grand nombre de peuple et commune comme celluy de la dite ville de Gand, et la misère, crainte et dangers de leurs vies, en quoi plusieurs gens de bien ont esté en icelle durant le temps de ladite commotion[201].

Après ce discours des échevins, l'avocat fiscal du grand conseil de Malines, maitre Pierre Du Breul, prit la parole et s'exprima en ces termes : Sire, Vostre Majesté a pu icy voir et oyr comment vos désobéissans et rebelles subjects de vostre ville de Gand ont, de grande audace, en vostre présence, dit et proposé, entre autres choses, de leursdites excuses, lesquelles sont de bien petites solutions, que les mésuz par eulx ainsy commis procèdent de la petite conduyte et sobre gouvernement que avez laissé en ces vos pays de par deçà, au dernier parte-ment que Vostredite Majesté a fait d'iceulx, qui est bien grandement chargié et touchié à l'honneur de son prince et seigneur souverain, et qui est une grande et merveilleuse hardiesse à un subject de faire et dire leurs excuses de leurs mésuz, quant ils les ont commis de la sorte, comme ils les ont faites et dites car, quant ores ainsy eust esté qu'il y auroit eu quelque faune audit gouvernement et que, au moyen de ce, la chose publique n'auroit si bien esté conduite et gouvernée comme elle deust avoir esté, si ne deussent pourtant lesdits Gantois avoir encommencié ne fait telles commotions tendans à tous maulx, comme ils ont fait, et aussy, que en faisant leurs excuses d'iceulx, ne les devroient avoir faites de telle sorte, audace et arrogance, comme ils les ont faites et dites, mais en toute révérence, humilité et doulceur, et ainsy le doivent faire tous bons et ohéissans subjects. Et, s'ils eussent voullu remonstrer et donner à cognoistre quelque chose à leur prince, pour le bien, honneur et proffit de luy et aussy de ses pays, ce que chascun doit tousjours désirer, qui est ansés licite et permis de faire, moyennant qu'il soit fait en toute doulceur et d'un bon zèle, et par bonne amour et affection qu'ils doivent avoir à luy et à la chose publicque de ses pays, requérant à sa seigneurie, que pour le bien et honneur tant de luy comme de tous pays et subjects, en iceulx voulloir pourveoir à tel désordre qu'ils donneroient ainsi à cognoistre, en suppliant aussy non prendre de mauvaise part telle advertence qu'ils feroient, et qu'ils la font par vraye et bonne amour que le subject doit porter à son prince, et ainsy deussent avoir fait vos subjects de Gand, et lors Vostre Majesté eust pourveu à tel désordre qu'ils eussent donné à cognoistre en icelle, et meismes leur en eussiés sçeu bon gré, sans y aller de la sorte comme ils ont fait, de encommencier telles commotions et tourbles appartins de si grands maulx et inconvénients par tout le pays en général, se Dieu par sa grasce n'y eust pourveu. Mais, tout au contraire, lesdits Gantois ont fait et cuydié (pensé), par leur haultesse, force et menaces, constraindre la roynne douaigière de Hongrie et de Boheme, seur de Vostredite Majesté, et pour icelle régente de vosdits pays de par deçà durant vostredite absence d'iceulx, ensemble tous vos princes, seigneurs et consaulx estans lez elle, de faire en partie tout ce qu'ils voulloient ; et pour ce qu'elle ne les a du tout voullu complaire, et meismement ès choses déraisonnables et en leurs mauvaises opinions et voullentés, ils se sont eslevés à l'encontre d'elle et des gouverneurs et officiers de Vostredite Majesté en iceux vosdits pays de par deçà, et n'a point tenu à eulx de les détruire de cors et biens, se Dieu le tout puissant n'y eust pourveu, et ne cesse encoires leur grand orgueil et hardiesse, comme le povés veoir et oyr en leursdites excuses. Voyez Jonques comment ils feront et continueront leurs malices, quant icelle Vostre Majesté sera absente et partie d'iceulx vos pays de par deçà, èsquels elle ne peut faire continuelle résidence pour un plus grand bien de toute la chrestienneté. Et aultres paroles telles et semblables en substance furent illecq ainsy dites publiquement par ledit advocat.

Et, quant à leurs excuses du refus qu'ils avoient fait de payer leur portion de l'ayde des dits quatre cens mil Karolus d'or accordés par lesdits trois membres, comme il est dit cydevant, laquelle ils n'ont voulu payer, pour ce qu'ils n'avoient esté consentans en icelluy ayde, pour la povreté et petit gaignaige qu'ils disoient lors estre au pays et en ladite ville de Garid à cause de la guerre, ils ne s'en sçauroient nullement excuser sur ladite povreté, mais n'estoit que la mauvaise voullenté qu'ils avoient de non payer ne assister leur prince ne ses pays au besoin, ainsy que lors estoit, et que par leurs faultes et commotions ils ont esté cause d'un mal irréparable pour tous les pays de par deçà, car, sans eulx, les affaires de ladite guerre eussent mieulx esté conduys qu'ils ne furent, dont ils ont esté cause, par faulte qu'ils n'ont voullu faire leurs devoirs comme les autres villes et pays, ce qu'ils eussent bien fait, s'ils eussent eu bonne voullenté ; car, tost après, ils trouvèrent bien argent pour faire la feste de la rhétorique qui y fut faite et tenue, laquelle dura plus d'un mois, et où plusieurs villes desdits pays de par deçà se trouvèrent, ce qui cousta à ladite ville et aux manans d'icelle, bonne somme. Ladite feste fut par eulx plus tenue et mise sus, comme il sembloit, par desdain tant de Vostre Majesté que de la roynne vostre seur, que des gouverneurs et consequamment de tous vos pays de par deçà, et fut d'icelle feste le commencement de ladite commotion, et à ces fins, l'avoient aucuns mauvais mutins esté cause et tenu la main de le mettre sus. Et, quant à ce qu'ils voulloient et offroient livrer gens de la ville, ce n'estoit point tant pour le bien et avancement qu'ils voulloient à Vostre Majesté pour le fait de la guerre qui lors estoit, mais estoit plus par cautelle et finesse, et pour parvenir à leur mauvaise intention, et trouver moyen de eulx rassambler en nombre, et eulx mettre en estat et ordre de guerre, que pour après courre et pillier tout le pays, qui estoit la fin et désir des méchans, et y eult bien eu à faire à les disjoindre et séparer, si une fois ils se fussent joincts, ce qu'ils eussent beaucop plus tost esté que séparés, ainsy qu'il est ainsy dit cy-devant[202].

Ayant ainsi parlé, l'avocat fiscal prit ses conclusions qui n'étaient que trop en harmonie avec le langage sévère qu'il venait de faire entendre. Il demandait donc que l'empereur punit et corrigeât les attentats commis contre sa souveraineté, selon les articles et charges du procureur général, c'est à dire, qu'il déclarât que les Gantois avaient forfait en corps et biens ; qu'il abolit tous leurs privilèges, tant ceux de la commune que ceux des métiers ; qu'il pourvût pour l'avenir au gouvernement de la ville, de telle sorte que les habitants n'eussent plus cause ni pouvoir de jamais recommencer semblable opposition et que les autres villes et pays en prissent un exemple salutaire. A quoy fut répondu, par la bouche de sa Majesté, qu'il le feroit ainsy, voir de brief, et de telle sorte qu'il ten seroit mémoire, et que autres y prendroient exemple, car à ces fins estoit-il venu par deçà[203].

Ce fait, le chef du privé conseil de l'empereur, qui estoit l'archevesque de Palerme, dist à ceulx de Gand, là ainsy présens devant sa Majesté, qu'ils baillassent par escript, signées et scellées, leurs excuses par eulx illecq ainsy faites, avec aussy les privilèges dont ils s'estoient aydiés en icelles leurs excuses, et le tout avoir exhibé en dedans quatre jours ensuivans, et que après ce fait, l'empereur leur diroit et déclareroit l'intention finale de Sa Majesté sur le forfait de corps, biens et privilèges confisqués, et que, au surplus, pour l'advenir, leur donneroit tous autres bons statuts et usaiges qu'ils n'avoient eus par le passé. Dont. lesdits de Gand estoient tous perplex d'oyr tant de choses à l'encontre d'eulx, et à tant se partirent lors pour ceste fois, et finirent, en dedans lesdits quatre jours ce que dessus leur estoit ordonné[204].

L'empereur avait nommé des commissaires pour instruire, de concert avec les échevins, le procès des accusés incarcérés et contumaces. L'instruction se fit du 26 février au 3 mars. On appliqua successivement à la torture Laurent Claes[205], Jean Bauwens[206], Martin Van Hanselaer, Jean De Munck[207], Simon Borluut[208], Liévin Hebscap[209], Jean de Courtrai[210] et Liévin D'Herde[211] ; Guillaume De Mey[212] y fut soumis à plusieurs reprises. Le 11 mars, parut une sentence bannissant de la Flandre, pour un terme de cinquante ans, la femme de Guillaume Van Coppenolle, inculpée d'avoir proféré des propos séditieux et excité plusieurs individus à la révolte. Une ordonnance de l'empereur, en date du 15, promit gràce à quiconque aurait jusqu'alors donné asile à Gilles De Wilde, Jean Debbaut, Guillaume Van Coppenolle, Thomas Van den Berghe, on à d'autres fugitifs, à condition de les livrer sans retard, et prononça la peine de mort contre toute personne qui les logerait ou cèlerait leur retraite. La prime offerte aux dénonciateurs fut élevée à deux cents florins carolus pour chaque proscrit et il fut interdit à tous les habitants de Gand de porter des armes d'aucune espèce, pas plus casques et cuirasses que autres. Enfin, par ordonnance du 16, fut déclaré ce qui suit : L'Empereur ayant ouy le rapport des commis de par Sa Majesté, pour, avec ceulx de la loy de ceste sa ville de Gand, instruire les procès des prisonniers criminels, chargés des esmotions advenues en ladite ville, et ouy les debvoirs faits jusqu'à présent, avec l'estat de la matière, eu sur ce l'advis des chevaliers de son ordre, présidens et gens de ses consaulx d'estat et privé, et autres de par deçà rassemblés en notable nombre, et attendu la qualité des cas et délicts dont sont chargés lesdits prisonniers, a retenu et retient à soy la judicature et décision de leursdits procès. Et sera ceste ordonnance insinuée par lesdits commissaires auxdits de la loy de Gand, afin que selon ce ils se règlent[213].

Le 17 mars, en face du S'Gravesteen, à la place même où Liévin Pine avait été décapité, un échafaud se dressa par ordre du prévôt général — provost van de roode roede —, Thierri de Herlaer. Les neuf accusés, nommés plus haut, furent conduits de la prison communale à l'hôtel de ville. Là, le grand bailli les remit aux mains des commissaires impériaux, qui les transférèrent au S'Gravensteen, où il leur fut donné lecture des sentences qui les condamnaient à estre mis au dernier supplice et exécutés par l'espée, avec confiscation de tous et quelconques leurs biens au prouffit de Sa Majesté[214]. — Et, ledit jour après disner, environ trois heures, furent lesdites neuf personnes exécutées selon ladite sentence, et ce devant le chanteau nommé S'Gravenstien, sur ung eschaffault, au meisme lieu où ils avoient fait exécuter sans peu ou nulle raison Liévin Pin, et leurs cors mis sur une roue, et leurs testes au bout d'une lance attachée à icelle roue, hors de la porte de le Mude — ter Muyden[215]. Ils moururent tous neuf fidèles, connaissans et confessans leurs mésuz, ayant grande doléance d'yceux, requérant mercy l'empereur et à justice. Leurs parens et amis poursuivirent tant, que l'empereur leur accorda que, au bout de trois ou quatre jours, leurs cors estre ostés des roues, et iceulx mis en terre sainte, chascun en sa paroisse, ou ailleurs, à la voullenté de leurs femmes, enfans et parens, ce qu'ils firent. Il n'y vint guerres desdits Gantois voir faire ladite exécution, et ne vidèrent aussy peu pour ce jour hors de leurs maisons, car ladite exécution se faisoit bien au grand regret de la pluspart d'eulx, et s'ils l'eussent peu empeschier, ilc l'eussent fait. Aussy leur desplaisoit ladite confiscation de biens, dont ils avoient de tout temps esté francs[216]. C'estoit, dit en terminant ce récit l'écrivain contemporain auquel nous devons ces détails, c'estoit une grande pitié de les veoir ainsi mourir l'un après l'autre, combien qu'ils l'avoient bien mérité et desservy, car, s'ils eussent venu à chier de ce qu'ils avoient emprins, ils eussent fait plusieurs ceurs dollans, et grant rneschiefs en fussent advenu par tout le pays de par deçà[217].

Le dimanche XXIe jour du mois de mars, environ trois heures de l'après diner, l'empereur estant assis en siège, à l'huis ouvert que chascun y povoit entrer, avironné de ses nobles et de son conseil, y vindrent devers Sa Majesté tous le cors de la loy entièrement de la ville de Gand, aussi tous les doyens et jurés des métiers d'icelle, avec bon nombre des bourgois et gens notables de ladite ville, devant laquelle ils se mirent tous par trois fois à genoulx, et, à la troisième fois, le pensionnaire de la ville, pour et au nom de tous les manans et habitans d'icelle, requist très humblement Sadite Majesté voulloir avoir pitié d'eulx, ses povres subjects, selon son accoustumée clémence et miséricorde... A quoy l'Empereur respondit qu'il n'avait d'autre désir en ce monde que, tant qu'il plairait à Dieu le y laissier, de user de grâce et miséricorde, et aussi de faire justice, comme avaient fait ses bons prédécesseurs, et que, entre autres prières qu'il faisait journellement à Dieu, c'estoit qu'il luy pleust donner sa grâce de ainsy le faire. Mais leur dist après qu'il se donnoit de merveille qu'ils requéraient et demandaient pardon, et néantmoins qu'il estoit bien adverty que encoires ne cessoient la pluspart des habitans de la ville continuer en leurs mauvaises opinions de murmurer, dire mal et enflamber les uns les autres à toutes rébellions et commotions ; qu'il sambloit estrange à Sa Majesté de demander pardon d'un mésus et néantmoins y continuer. Ma's leur dist, sur ce qu'il mettroit remède, et leur empescheroit bien à jamais mettre leurs mauvaises vollentés à exécution ; et, avec ce, leur dist pour la responce à leur requeste, que de bien brief il leur déelareroit son intention. Et ainsy se partirent lesdits de Gand de Sa Majesté avec ceste responce, laquelle ne leur fut point fort agréable, néantmoins eulx tousjours recommandant en sa grâce et miséricorde, et n'y euh, pour ceste fois autre chose fait ne dit[218].

Le lendemain, qui estoit lundy, ladite loy, avec les trois membres et plusieurs bourgois et notables d'icelle ville de Gand, en bon nombre, vindrent semblablement devers la roynne douaigière de Hongrie et de Bohème, régente pour l'empereur de ses pays de par deçà, sa seur, laquelle estoit assise en son siège, avironnée de grant noblesse et conseil, devant laquelle ils se mirent tous à genoulx, en la saluant et faisant grant honneur et révérence, et lors le pensionnaire de la ville, pour tout le cors et communaulté d'icelle, et en grand humilité, commença à dire les paroles qui s'ensuivent, ou en substance : Madame, voyez ici la loy avec une grande partie des trois membres de la ville de Gand, lesquels se treuvent présentement par devers vostre haulteur, pour vous dire la bien venue en icelle ville et en vous priant que, de vostre bénignité et douceur accoustumée, veuilliez avoir pitié d'eulx, et estre leur advocate devers la majesté de l'Empereur, vostre bon frère et nostre bon prince, qu'il veuille pareillement user vers nous de sa douceur, et aussy descharger les manans des piétons allemans, qui sont en bon nombre en la ville, et qui y ont desjà esté bonne espace de temps, dont le povre peuple est bien fort travaillé, car iceulx piétons se maintiennent ès maisons èsquelles ils sont logiés et vers les gens d'icelles si estrangement et rudement que c'est pitié, et que, si les ennemis de l'Empereur et du pays, ou les Turcs y estoient logiés, ne feroient point pis que lesdits Allemans ne font. A quoy ladite dame respondit : Quant à ce que me dites la bien venue en ceste ville, je vous en sçay bon gré et vous en remercie, toutesvoyes (quoique) qu'il y a plus d'un mois passé que j'ay esté en icelle, qui estoit autant à dire qu'ils la venoient saluer et bienvienger sur le tard ; et puis leur dit comment elle se donnoit de merveille (s'étonnait) de ce qui avoit peu les esmouvoir contre elle ; qu'elle ne cuydoit en nulle manière les avoir desservi, meismement que de toute sa puissance, comme régente durant l'absence de l'empereur son frère elle s'estoit employée à la conduite des affaires du pays au mieulx qu'elle avoit peu et sceu, ainsy qu'il estoit notoire à chascun, et que nonobstant tous ses bons services, ceux de Gand lui avoient rendu le mal pour le bien. Elle leur dist aussi qu'elle n'avoit jamais demandé à Dieu nulle vengeance, et que, en l'honneur de Dieu, elle pardonnoit le tout de bon cœur ; que de tout temps elle avoit voullentiers usé de douceur et de miséricorde, et que encoires elle estoit délibérée de ce faire et y continuer tant qu'elle vivroit ; qu'elle sçavoit que l'Empereur son bon frère feroit aussy le semblable, et que Sa Majesté mettroit tel et si bon ordre en toutes les besognes et affaires de sa ville de Gand avant son parlement d'icelle, que toutes bonnes gens auraient cause et matière de eulx en contenter, et que, si ladite ville avoit esté bien habitée, peuplée et réputée l'une des meilleures et plus belles villes de par deçà, au moyen du bon régime qui y seroit mis pour l'advenir, encoires le seroit-elle plus que jamais, et que plusieurs de devers quartiers et pays y viendroient habiter, pour la bonne situation d'icelle. — Et autre response n'eurent les Gantois de la roynne pour ceste fois, et se partirent à tant d'elle en toute honnesteté et révérence[219].

Nous aimons à citer l'auteur contemporain, témoin oculaire des choses qu'il rapporte[220]. Sa sincérité est évidente, quoiqu'il se montre peu favorablement disposé à l'égard des Gantois, et il avoue si naïvement ses répétitions et ses longueurs[221] qu'on n'éprouve aucune peine à les lui pardonner. Nous continuerons à lui emprunter des particularités propres à mettre dans tout son jour le dénouement prochain du grand drame politique qui termina la lutte séculaire de la puissante commune de Gand contre ses souverains. Pour réduire les Gantois à l'impuissance, Charles-Quint avait résolu d'élever une citadelle dans leur ville. Ce projet n'était pas nouveau. Déjà, en 1492, Maximilien avait annoncé la même intention, mais il y avait bientôt renoncé, et la paix de Cadzant ne contenait aucune réserve à cet égard. Dès son arrivée à Gand, ses capitaines recherchèrent l'emplacement le plus convenable pour la construction de ce chasteau, qui devait tenir les Gantois à jamais en bonne obéissance, et leur sambloit plus griève punition que d'avoir perdu en bataille huit ou dix mil hommes.

Et pour faire ieelluy chasteau et choysir lieu et place la plus propice, l'empereur alla lui meismes en personne, comme aussy fast le roy des Romains son frère ; par diverses fois veoir et visiter plusieurs lieux en la ville de Gand, et y mena Sa Majesté avec luy plusieurs bons capitaines, gens de guerre, canonniers, maistres ouvriers et autres bons personnages. Et meismes monta l'empereur en,hault du clochier de l'église Saint Jehan, pour d'illecq tant mieux veoir et descouvrir toute la ville, et fut trouvé par commun accord d'eulx tous ensamble, que le lieu où estoit située et assise l'église et monastère de Saint Bavon[222], avec aussy l'église et partie de la paroisse de Scheleskest heylig-kerst, Saint-Sauveur — estant assez pres dudit monastère, estoit la place la plus propice à y faire ledit chasteau, et que c'estoit le lieu par lequel on povoit mieulx constraindre et tenir la ville de Gand subjecte, et battre d'artillerie une grande partie d'icelle. Et entre autres raisons alléguées par les dits personnaiges eulx cognoissans, fust que c'estoit du costé tirant vers Brabant, par lequel pays on pourroit mieulx donner secours audit chasteau, et y mettre gens, vivres et munitions dedans, se besoin en estoit, que des autres lieux de la ville tirans sur les costes, de Flandres, et aussi que la grosse rivière de l'Escaut et aussy celle du Lys, tirant vers la ville d'Anvers et de là en la plaine mer, lesquelles deux rivières, au moyen dudit chasteau, seroient aussi tenues subjectes, et avec ce feroient forteresses à icelluy.

Ledit cloistre et monastère de Saint-Bavon estoit un fort beau et plaisant lieu et bien situé et assis. Il y avoit beaucoup de beaux édifices et somptueux. L'église estoit belle et bien ornée et parée de toutes belles richesses, tant d'ornemens, comme de reliquiaires et autres joyaulx en abondance. C'estoit une riche maison, ayant de grans biens et revenus chascun an, tant en seigneuries que terres, prés, bois et autrement, plus que à moisnes ne appartenoit, qui n'estoient en nombre que trente ou trente-six au plus, et leurdit bien et revenu portoit chascun an à plus de vingt mille karolus d'or, et avec ce estoient biens à l'advant. Deux ou trois ans auparavant que ledit chasteau fut édifié, et non sachant lors que on y en ferait un en ladite ville, l'abbé lors vivant, par le consentement du pape et de l'empereur, feist d'icelle abbaye une chanesie (chapitre), et devindrent tous lesdits moisnes et religieux chanoines en l'an mil cincq cens trente-sept, le premier jour du mois d'aoust[223].

Et, pour y édifier ledit chasteau, selon le voulloir de l'empereur, leur fut osté ledit lieu et abbeye ainsy changié en chanesie, et, en récompense d'icelle, leur fut donnée l'église de Saint-Jehan, et leur fut permis de povoir emporter tout ce que à ladite abbeye et église appartenoit, réservé seullement les édifices qui se devoient abattre, et, de ceulx qui se devoient abattre, ils povoient aussy emporter les matériaux en procédans, si comme le bois, ferrailles, plomb, ardoises et autres estoffes, réservé seulement les pierres. Et ainsy fut transférée ladite abbeye et chanesie en l'église Saint-Jehan, et y vindrent tenir leur résidence et faire le service divin, pour la première fois, au commencement du mois de may l'an mil cincq cens et quarante.

Et, à dire le vray, ce fut une grande pitié et dommaige de abolir un tel si beau et ancien lieu et dévocieux, comme ladite abbeye de Saint-Bavon avoit esté au temps passé, que lors les religieux estoient de meilleure et plus austère vie que n'estoient pour le présent, et lequel avoit cousté tant de sevanche (chevance) à longeur et succession de temps, car chascun abbé y avoit en son vivant voullentiers fait quelque chose en ladite maison, en mémoire de luy, et en laquelle y avoit tant de corps saints et autres grandes dignités reposans et honorés, et aussy tant de bons religieux et autres bonnes personnes y enterrés ; mais, à l'heure qu'ils devindrent chanoines, ils estoient bien changiés de vies et de meurs qu'ils n'estoient le passé, comme aussy sont pour le présent la plupart des gens séculiers, car le monde est de toute autre manière de faire et plus tendant à toutes tromperies, déceptions, avarice, envie, orgueil, luxures, et autres meschancetés, qu'ils ne souloient estre par cy-devant chascun estoit lors plus à la bonne foy[224].

Des circulaires du 12 avril ordonnèrent aux officiers de l'empereur dans les provinces de bailler toute assistance aux commis du comte du Rœulx, lequel avoit la charge de faire édiffier ledit chasteau, tant pour recouvrer maçons, ouvriers et pionniers, que aussi pour arrester, acheter, amener illecq pierres, bricques, chaux, aultres matériaux et ustensils[225]. Le 22 avril, Charles-Quint fit jalonner en sa présence le circuit de la citadelle[226]. Par lettres patentes du 24 du même mois, il annonça que pour obvier, éviter et empescher, au temps à venir, les troubles et mutinations qui par cy-devant bien souvent estoient survenus en sa ville de Gand, et dernièrement encore, contre l'honneur de Dieu, les hauteur, autorité, souveraineté, seigneurie de leur prince, en grande confusion, hors de tous termes de raison et de justice, il avoit conclu et arrêté de faire un chastel fort pour le bien, repos et tranquillité de ses bons et léaulx sujets. Ces lettres portaient aussi que, d'après les conseils de ses capitaines, gens de guerre et maîtres ouvriers, il avait confié la direction supérieure des travaux au comte du Rœulx, gouverneur et capitaine général du pays d'Artois, des villes et chàtellenies de Lille, Douai et Orchies avec plein pouvoir de mettre en réquisition tous ouvriers, de' passer tous marchés nécessaires, de faire abattre les maisons et héritages qu'il conviendra clore (comprendre dans l'enceinte) audit chasteau, avec la promesse aux propriétaires de les récompenser (indemniser) selon raison[227]. Le même jour, l'empereur posa la première pierre des fondations, et trois à quatre mille ouvriers, arrivés à Gand deux jours auparavant, se mirent à l'œuvre, conduits par Pedro de Trente et Domenigo Dassimon[228], sous la direction de l'ingénieur Donatien Bonny[229].

Le ceur (chœur) de l'abbeye ne fut point démoli, mais fut laissié, pour y faire le service divin à ceulx du chasteau, et ne fut aussi touchié aux sépultures des cors saints y enterrés, et y furent aussy laissié plus des édifices qu'il n'a été besoin d'abattre, pour servir de demeure, tant pour le capitaine que de ses lieutenans et sauldoiers. L'église de Shelesket (Saint-Sauveur) fut aussy entièrement démolye, comme aussy furent une grande partie des maisons d'icelle paroisse. Il y en avoit de fort belles et bonnes, combien qu'elles feussent Loing du bourg de la ville ; néantmoins c'estoit un beau et plaisant quartier, et sambloit une ville à part. Ce fust un grand dommaige pour ceulx qui y perdirent leurs héritages et biens ; mais l'empereur, qui estoit prince vertueux, les feist tous honnestement récompenser (indemniser), point jusqu'au dernier denier, mais selon leurs aventures ; ils le furent tellement, qu'ils devoient avoir cause de eulx contenter. Ladite récompense se feist des maisons appartenans aux cors des mestiers, de leurs rentes, vas-selles et autres meubles qu'ils avoient, et de quoy ils n'avoient que faire, sinon pour trois ou quatre fois l'an eulx enyvrer et procéder les uns des mes tiers à l'encontre des autres[230].

L'historien du règne de Charles-Quint en Belgique ajoute, non sans amertume et avec quelque exagération, en se fondant sur une autre relation contemporaine[231] : Une hirondelle ayant construit son nid sous la tente de l'empereur, rapporte Antoine de Vega, le prince ordonna de respecter ce frêle édifice, et la tente resta dressée jusqu'au jour oi les petits prirent leur volée. Les Gantois, moins heureux que ces oisillons, furent chassés par centaines de leurs demeures, pour faire place au monument de ses colères. L'ordre de déguerpir leur avait à peine été signifié, qu'ils furent violemment expulsés de leurs maisons. Les démolisseurs y mirent la pioche, sans même s'inquiéter de savoir si elles étaient encore habitées, et comme s'il s'agissait de la destruction d'une ville ennemie. Beaucoup de personnes en moururent de douleur, et ce fut un spectacle navrant de voir une foule éperdue de femmes, de vieillards abandonner des lares que tant de souvenirs leur rendaient chers et sacrés. Lorsque, le 29 avril, l'évêque de Tournai vint déconsacrer les églises de Saint-Bavon et de Saint-Sauveur, une foule immense, versant des larmes, poussant de longs gémissements, l'accompagna jusqu'à la maison de Saint-Jacques op de Mude, où il transporta le Saint-Sacrement[232].

Enfin le jour était arrivé où devait être publiée la terrible sentence, dont l'avenir garderait un ineffaçable souvenir. Le 29 avril, vers neuf heures du matin, l'empereur estant assis en son siège, pour ce fait et préparé, environné tant de ses princes que de ses nobles et de ceulx de son principal et grand conseil, en une vaste chambre à ce ordonnée, à l'huys ample ouvert, et ou chascun povoit entrer que sçavoit y avoir place, les trois membres de la commune comparurent pour entendre leur arrêt. L'avocat fiscal résuma le réquisitoire du procureur général, rappela ses conclusions, analysa les moyens de défense des Gantois, ainsi que sa réplique, et donna ensuite lecture de la sentence définitive[233]. Voici en abrégé cette sentence, que Gand, selon l'expression du dernier historien de la Flandre, après trois siècles, ne relit encore qu'avec effroi[234].

Après examen et mûre délibération en conseil des chevaliers de notre ordre, des chefs de nos conseils, maîtres des requêtes et autres bons personnages, nous déclarons que les Gantois ne sont ni recevables, ni fondés dans leur demande ; que l'accord de l'aide de quatre cent mille carolus d'or par les trois membres de notre pays de Flandre, estoit et est suffisant pour comprendre et obliger la ville de Gand et les châtellenies de son quartier ; que, comme tel, il doit sortir son plein et entier effet, et qu'il en sera ainsi désormais dans tous les accords de notre pays de Flandre, nonobstant les privilèges de 1296, de 1324 et de 1477, indûment invoqués. Nous rejetons l'appel interjeté par lesdits suppliants, le déclarant également non recevable, et inadmissible dans le cas présent.

Nous disons et déclarons que les corps et la communauté de notre ville de Gand sont eschus ès crimes de déloyauté, désobéissance, infraction de traités, sédition, rébellion et lèse-majesté, et que partant ils ont forfait tous et quelconques leurs privilèges, droits, franchises, coutumes et usages emportant effet de privilèges, juridiction et autorité compétents tant au corps de notredite ville de Gand qu'aux métiers, les en avons privés et privons à perpétuité. En conséquence tous lesdits privilèges seront apportés en notre présence pour en être fait et ordonné à notre bon plaisir, sans que, à l'avenir, ils les puissent alléguer, en garder des copies ou extraits sous peine d'encourir notre indignation et celle de nos successeurs.

Nous déclarons aussi confisqués à notre profit les biens, revenus, maisons, artillerie, munitions de guerre, la cloche nommée Roland, et autres choses que le corps de la ville, les métiers et les tisserands possèdent en public et en commun, leur défendant de dorénavant avoir artillerie et aucune espèce de munitions de guerre.

Par dessus ce, condamnons lesdits de notre ville de Gand à faire amende honorable, à savoir que les échevins actuels des deux bancs avec leurs pensionnaires, clercs et commis, trente notables bourgeois désignés par nous, le doyen des tisserands et le remplaçant du grand doyen, vêtus de robes noires, sans ceinture, tête nue ; six membres de chaque métier et cinquante du métier des tisserands ; cinquante aussi de ceux qui pendant les troubles s'appeloient Cresers, tous étant en chemise et les Cresers la hart (la corde) au cou[235], se rendront à la maison échevinale, dans les trois jours, pour aller à telle heure et en tel lieu que nous leur ordonnerons, et là, à genoux, feront dire, par l'un des pensionnaires, à haute et intelligible voix, que grandement leur déplait desdites déloyauté, désobéissance, rébellions, et prieront qu'en l'honneur de la passion de Notre Seigneur, nous voulions les recevoir à grâce et miséricorde.

Et, pour réparation profitable, les condamnons à nous payer, par dessus leur quote-part de l'aide de quatre cent mille carolus d'or, la somme de cent cinquante mille carolus d'or pour une fois, et, chaque année, six mille semblables carolus de rente perpétuelle. Déclarons éteinte la rente de cinq cent cinquante livres de gros, courant à notre charge et provenant de la vente effectuée du temps de notre bisaïeul Charles sur la ville de Gand. Condamnons aussi lesdits de Gand à payer des dommages et intérêts à toutes les personnes lésées pendant les troubles. Aussi les condamnons à faire remplir à leurs dépens la rytgracht[236], et de plus les canaux et fossés depuis la porte d'Anvers jusqu'à l'Escaut, endéans les deux mois prochains. Et nous nous réservons de faire démolir aucunes vieilles portes, tours et murailles pour en être les matériaux employés au château de Saint-Bavon. Et moyennant ce, leur quittons et remettons de grâce spéciale tous les susdits méfaits et délits, en exceptant toutefois les réfugiés et autres ayant délinqué depuis que nous sommes en notre ville, ainsi que les particuliers encore en ce moment prisonniers, dont nous nous réservons de faire justice à notre volonté.

Le lendemain, une ordonnance spéciale régla l'organisation de l'administration communale. Les formes anciennes des institutions municipales étaient conservées, mais l'intervention du prince se trouvait substituée, dans les dispositions les plus essentielles, à l'élection populaire. Voici l'analyse détaillée de ce document[237] :

La nomination des échevins appartient au souverain ou à ses délégués sans plus user d'électeurs (art. 1er) ; est abolie la distinction des trois membres de la commune, qui sont réunis en un seul corps et communauté (art. 66) ; au lieu des collaces — interdites sous peine de confiscation de corps et de biens — est établie une assemblée unique se réunissant à l'hôtel de ville, sur convocation du bailli et des échevins, et formée des deux collèges échevinaux et de six notables- choisis par ces collèges et par le bailli dans chacune des sept paroisses (art. 67) ; est enlevée aux Gantois toute juridiction, autorité, prééminence, priorité sur le Vieux-Bourg, les villes et les châtellenies de Courtrai, Audenarde, Termonde, Alost, Grammont, Ninove, les Quatre-Métiers, le pays de Waes, et généralement sur tout ce qu'on avait accoutumé d'appeler les châtellenies et le quartier de Gand (art. 65) ; est proscrite toute réunion du peuple, quel qu'en soit le but, sous peine de mort pour quiconque convoquerait une réunion de ce genre ou y assisterait en armes (art. 74) ; les cinquante-trois métiers existants sont réduits à vingt-et-un, y compris les tisserands (art. 69) ; les doyens sont supprimés ; chaque métier est placé sous la direction d'un supérieur, overste, bourgeois non faisant métier, styl, et choisi par le bailli (art. 60 et 71) ; il leur est laissé l'élection de deux jurés, soumis à l'approbation du bailli et des échevins, qui sont autorisés à les nommer d'office, si, après deux présentations successives, il n'y avoit pas matière raisonnable d'agréer les candidats présentés (art. 72) ; sont supprimées les fêtes de la Tauwe wet, de Saint-Liévin[238], et toutes cérémonies ou réunions avec port d'armes ostensibles ou cachées ; il est défendu aux deux confréries de Saint-Liévin et aux tisserands de laine d'assister à la procession de Notre-Dame (art. 74).

Beaucoup d'autres dispositions restreignaient ou anéantissaient les franchises et les avantages dont les magistrats et les particuliers avaient joui jusque là. — Les échevins ne pourront dorénavant faire ni évoquer aucun statut sans le consentement formel du souverain ou du grand bailli (art. 17) ; ils ne pourront établir aucun impôt sans exprès octroi, à peine de rendre de leur propre ce qui en aura été levé, et d'être arbitrairement punis (art. 19) ; ils sont tenus de publier tous placards et ordonnances du prince portant ou non confiscation de biens, de marchandises ou autres peines, et d'en assurer l'entière exécution (art. 23) ; Lesdits de la loy recevront dorénavant pour grand bailli la personne commissionnée par le souverain, quelle qu'elle soit et à quelque localité qu'elle appartienne ; cet officier prêtera serment entre les mains du prince et par devant la chambre des comptes ; le serment qu'il prêtait à la commune est aboli (art. 24) ; les individus bannis par les échevins et graciés par le souverain rentreront en ville, sans avoir à solliciter le consentement de ces magistrats, ni à leur rien payer (art. 26) ; les amendes provenant de condamnations criminelles ou civiles sont adjugées au grand bailli (art. 27 et suivants) ; il est interdit aux échevins de prononcer la peine de bannissement sur la simple dénonciation et requête de partie privée, sans l'intervention du grand bailli ou de son lieutenant (art. 37) ; toute personne est tenue, sous peine d'une amende de trois carolus d'or, d'assister, à la première réquisition, les officiers chargés d'arrêter des criminels ou des bannis (art. 39) ; l'inviolabilité du domicile est supprimée pour les bourgeois poursuivis criminellement ou condamnés en matière civile ; les officiers du souverain sont autorisés à les en arracher, en présence de deux échevins (art. 40) ; sera frappé d'une amende de trente carolus d'or quiconque aura mis obstacle aux arrestations opérées par le grand bailli, le sous-bailli ou leurs sergents (art. 41) ; les personnes arrêtées par ces officiers seront mises en prison et non plus gardées dans leurs maisons ; la connaissance des abus, des méfaits et des crimes commis par les officiers de justice, est déférée au souverain, ainsi que toutes les actions à intenter contre eux, du fait de leur office (art. 52) ; la nomination des sergents de ville est ôtée aux magistrats communaux ; le prince se réserve le droit d'en créer et d'en commettre tel nombre qu'il lui plaira (art. 53) ; les biens vacants des bâtards deviennent la propriété du souverain ; il est défendu aux échevins de les garder même en dépôt (art. 54) ; l'empereur se réserve l'entière disposition de la maison de Saint-Jacques avec ses provendes (art. 55) ; il n'y a plus de bourgeois forains (art. 56) ; pour acquérir la bourgeoisie, il suffit d'un an de résidence (art. 58) ; l'absence fait perdre le droit de bourgeoisie, mais le retour peut le faire récupérer (art. 59) ; les bourgeois coupables de quelque délit et appréhendés hors de la juridiction de la ville, deviennent justiciables du juge du lieu où ils sont arrêtés ; toutefois, en cas d'arrestation à Gand pour des crimes ou délits commis ailleurs, ils restent justiciables de leurs échevins (art. 60) ; les crimes d'hérésie, de lèse-majesté, de rébellion, de sédition contre le prince, ses droits et hauteurs ; les attentats contre ses conseils et ses officiers ; les violences commises contre des sergents assermentés, en raison de leurs fonctions ; les infractions aux sauvegardes et assurances données par le prince ou son conseil, entraînent la perte de corps et de biens ; dans les autres crimes punis de la peine de mort, les bourgeois restent francs et exempts de confiscation de biens, fiefs et héritages (art. 61) ; les bourgeois et manants de Gand perdent la faculté d'ajourner ou d'attraire devant les échevins de cette ville leurs censiers et débitants domiciliés hors de son échevinage ; il est interdit à ces magistrats de prendre connaissance des causes de l'espèce ; elles seront poursuivies, en première instance, par-devant les juges de la résidence des intimés, à moins que ceux-ci ne se soumettent à leur jugement (art. 63) ; à l'ancienne robe — tabbaerd — des échevins en drap noir rayé longitudinalement de bandes jaunes de trois doigts de largeur, est substitué un tabbaerd noir avec bande de velours, de quatre doigts de largeur, sur l'épaule gauche, garnie de cordons et de glands de soie (art. 12) ; à l'avenir les comtes de Flandre à leur avènement jureront le maintien des dispositions contenues en la présente ordonnance, et non d'antres ; ceux de Gand feront le même serment (art. 75 et dernier).

Tel est le contenu de cette célèbre Caroline de 1540, qui resta en vigueur jusqu'au jour où l'invasion française renversa les vieilles institutions de la Belgique ; elle termina le rôle politique de la commune gantoise et abattit à toujours sa puissance. Si les deux collèges des échevins de la keure et des parchons furent maintenus, ce fut au simple titre d'administrations municipales ; leurs membres, nommés par le prince, n'eurent plus ni liberté d'action, ni indépendance. Des dites ordonnances les Gantois furent merveilleusement fort courroucés et estonnés, et ils avoient assez raison de l'estre ; car là où ils avoient esté des plus grands des autres villes du pays, ils furent faits des plus petits. Ils perdirent ce qu'ils avoient tant aimé et bien gardé par si longues années qui estoient leurs privilèges, et avec ce toutes leurs anciennes coustumes et usaiges, et aussy toutes autres autorités, franchises et libertés, desquels les Gantois avoient usé en grande présomption, en n'estimant autres villes que la ville de Gand, de telle sorte qu'il leur sembloit qu'il n'y avoit prince sur la terre, tant fust grant et puissant, qui les oust sceu dompter, et meismement que le comte de Flandres ne povoit bien peu au pays sans eulx[239].

Il fallut boire le calice jusqu'à la lie. Par un mandement du 2 mai, le procureur général, au nom de l'empereur, somma les membres de la commune et les Creesers de venir le lendemain, faire amende honorable, sous peine, pour les échevins de ban et des suites de son indignation, pour les autres, de ban et confiscation de corps et de bien. — Donc se rassemblèrent en la maison échevinalle de la ville de Gand, le lundy du devant disner, troisième jour du mois de may, l'an mil cincq cens et quarante, assavoir : tous ceulx de la loy des deux bancs entièrement, les doyens et jurés de chascun des mestiers, et avec eulx de chascun d'iceulx mestiers six personnes, mais du mestier des tisserins cinquante personnes, et aussi quelque nombre de bourgois de la ville de Gand, tous ensamble représentant le cors et communaulté d'icelle.

Et les dessus nommés, eulx ainsy rassemblés au dit lieu, tous vestus de robes noires, sans estre ceintes, et à nues testes, et avec eulx y vindrent et s'y rassemblèrent aussy cinquante autres personnes pris et, choisis hors de ceulx qui durant ladite commotion se nommoient Cressers ; et iceulx cinquante en leurs chemises, ayant seulement un linge mis devant et à l'entour d'eulx, à testes et piets nus, et ayans iceulx cinquante le hart au col, et ainsy illecq tous rassemblés, se partirent ensamble de ladite maison échevinalle en ordre, chascun selon sa qualité et degré, deux à deux, pour venir devers l'Empereur faire ladite réparation honnorable ; lequel à ces fins estoit assis en son trosne et siège pour ce fait et préparé à l'un des costés de la -court de son hostel, que on nomme le WalTenwalle, dessous la gallerie et droit devant l'huys de la chambre en laquelle on tient le siège de ses domaines et finances, quant Sa Majesté est en la dite ville ; et la roynne douaigière de Hongrie et de Bohème, seur de Sadite Majesté, et pour icelle régente de ses pays de par deça, aussi assise au costé d'icelle, lesquels estoient avironnés de leurs princes, seigneurs et noblesses, ensamble de leurs consaulx et d'autre multitude de gens de toutes qualités et quartiers, chascun au mieulx qu'il povoit avoir place. Et y avoit une forte grant presse, tant. estoit le tout plain, bas et hault, ès fenestres et galleries de la court, et rampoit le peuple partout sur les murs et toits des maisons de de ladite court où ils povoient avoir lieu et place, tant avoit chascun grant désir de veoir lesdits de Gand ainsy faire ladite réparation honnorable ; mais le moindre nombre de tous ceulx qui y vindrent pour le veoir estoit de la ville, pour ce que c'estoit bien à leur fort grant déshonneur et regret.

Et ainsy iceulx dessus nommés, partis de ladite maison échevinalle, vindrent tous jusques audit hostel impérial, en l'estat que dessus, et entrèrent en bon ordre en la court d'icelluy hostel, de laquelle l'entrée estoit bien gardée de bonne gendarmerie ; néantmoins chascun y povoit entrer, qui sçavoit avoir place, en tant que la voullenté de l'Empereur estait telle, que la reconnoissance et réparation honnorable fust fait tout publiquement pour plus grand mémoire. Et là eulx ainsy entrans, en l'estat que dit est, y trouvèrent sa Majesté assise et ladite roynne en leurs sièges, et avironnés comme dit est dessus, et avec ce des archiers de cors et hallebardiers de sa garde, et pour ce jour estoit toute la gendarmerie estant en la ville, tant de piet comme de cheval, en armes par les carrefours et rues d'icelle, faisait le ghuet et chascun sur sa garde car on sçavoit bien que ladite réparation se faisoit à leur fort grant regret, et principalement de ainsy avoir le hart au col qui leur estoit dur à passer ; et s'ils n'eussent esté ainsy domptés, ils ne l'eussent jamais fait pour morir.

Et lorsqu'ils furent tous entrés, ils se mirent à genoulx, requérans mercy de leurs mésus, commis à l'encontre de leur souverain seigneur, comme comte de Flandres, là présent, lesquels leurs mésus ils confessoient et en estoient dolans et repentans, et que, s'ils les avoient à faire, que pour riens ne les feroient, comme ainsy le proposa le pensionnaire de la ville pour toute la communaulté d'icelle, requérant derechief pardon, priant à Sa Majesté de vouloir user envers ses povres subjects, qui avoient esté mal conseilés, de sa bonté, grâce et miséricorde, lesquels jamais ne rescheroient (retomberaient) en sambables cas, et que à jamais seroient bons et loyaulx. Telles et autres semblables paroles furent dites par ledit pensionnaire, ou en substance et selon ce qu'elles luy avoit esté chargié dire par la loy et le corps de ladite ville, avant illecq eulx estre venus.

Et, durant ce que ledit pensionnaire ainsy parloit et proposoit ce que dessus à l'Empereur, lesdits de Gand estoient tous-jours à genoulx. Il en y avoit pluiseurs qui plouroient d'entre eulx ; mais c'estoit de desplaisir de ladite commotion advenue, ou de despit de leur correction si rigoureuse et honteuse, cest auteur n'en sçauroit jugier la vérité, combien qu'il fait assés à présumer que la pluspart desdits Gantois avoient grant honte et vergogne de telle punition et réparation honnourable, laquelle d'eulx meismes n'eussent jamais fait, s'ils eussent eu povoir de résister au contraire, ce qu'ils n'avoient pas, car ils estoient vraiment domptés et mis du tout en bonne obéissance, et par ainsy constrains de ce faire, combien que, à l'apparence et par imagination, ils le firent maulgré eulx. Mais, s'ils eussent bien pensé au mal et grant inconvénient qui povoit advenir de leur-dite commotion s'ils eussent fait et ensieuvi ce qu'ils avoient emprins, à quoy Dieu remédia par sa miséricorde, ils eussent eu tant meilleure paciense de leurs punitions qu'ils n'avoient.

Les paroles dudit pensionnaire finées, l'empereur se tint quelque petite espace coy, sans riens respondre, soy maintenant, comme il monstroit à son samblant, de penser à l'affaire desdits de Gand, et se Sa Majesté leur pardonnerait, ou non ; mais cependant la roynne se tourna vers icelle en toute révérence, honneur et humilité, luy priant et requérant qu'il pleust à Sadite Majesté faire un pardon général à tous les manans et habitans de sa belle ville de Gand, en l'honneur et mémoire de sa nativité qu'il avoit reçue en icelle, des mésus par eulx commis ses povres subjects. A laquelle l'Empereur monstra beau samblant, et lui respondit doulcement que, pour l'amour fraternelle qu'il avoit et portoit vers elle, et aussi la grant pitié qu'il avoit de ses povres subjects de Gand, voullant, comme prince bénin et vertueux, préférer miséricorde à rigueur de justice, et voyant aussy la repentance et le bon voulloir desdits Gantois, leur pardonnoit et remettoit le tout entièrement, en fournissant néantmoins par eulx à tous les autres points et articles contenus en sa sentence. Dont tous humblement remercièrent Sa Majesté et ladite roynne, promettant derechef par ledit pensionnaire accomplir le tout, et de luy estre à jamais bons, loyaulx et obéissans subjects ; et lors celle Majesté leur promist aussy estre leur bon seigneur et prince, et qu'il les maintiendroit, à l'ayde de Dieu, en bonne paix, pollice et justice. Et, ce fait et dit, se partirent joyeulx de Sa Majesté, et retournèrent tous ensamble en ladite maison eschevinalle, au meisme estat qu'ils en estoient partis.

Ladite réparation honnourable se fist ainsy en la court dudit hostel, pour ce qu'il n'y avait en icelluy salle ne chambreque fust grande assez que pour ce faire, comme il appartenoit, à cause du grant peuple qui y estoit, et aussi que l'empereur voulloit bien que chascun le sceust et véist, pour mémoire et exemple cy-après[240].

Poursuivons ce triste récit dont le lecteur a hâte sans doute de voir la fin. Le 4 mai, Liévin Geeraerts, charpentier de navires, scipmaker, Charles Van Meerendre, Jean De Vooght, Pierre Van Aerde, Liévin Van Doorne furent condamnés à mort et immédiatement exécutés[241]. L'exécution fut faite au meisme lieu où les autres le furent ; leurs corps mis sur une roue, les testes au bout d'une lance hors de la porte de Le Mudde. Plus de quarante autres prisonniers furent condamnés, les uns au bannissement, les autres à des pèlerinages à Rome, en Chypre, à Saint-Jacques en Galice, à Saint-Nicolas en Aragon, et ailleurs, avec injonction de rester en ces lieux un, deux ou trois ans.

Une ordonnance du 6 désigna les fortifications à démolir. C'étaient la Tour rouge, la tour dite Crapaux, avec la muraille adjacente ; la Braempoorte ; la Steenpoorte ; les cinq Trous au Vent ; la Waelpoorte ; la Ketelpoorte ; le Cuypgat ; la Zantpoorte ; la Posternepoorte ; la porte des Tours ; la porte Grise ; la porte des Vaches ; la porte Saint-Georges[242]. Par un mandement du 11, il fut enjoint au procureur général de sommer les échevins de faire combler les fossés depuis la porte d'Anvers jusqu'à l'Escaut, et le lendemain, en présence de l'empereur, fut posée la première pierre du corps de la citadelle[243]. Le même jour, Charles-Quint quitta Gand avec sa sœur et le roi des Romains, qui retournait en Allemagne. Il n'avait avec lui qu'une escorte peu nombreuse ; toutes ses troupes, placées sous le commandement du comte du Rœulx, et la plupart des seigneurs de sa cour ne sortirent point de la ville.

Le 4 mai n'avait point été pour Gand seul une date sanglante. Des exécutions eurent lieu le même jour à Audenarde, à Deynze, au château de Vilvorde. Les condamnations, à des peines diverses, mais sévères, se succédèrent, dans les mois suivants, à Grammont, à Ypres, à Courtrai, à Evergem, à Alost, à Gavre, à Audenarde. A Courtrai, trois femmes furent bannies pour trois ans de la châtellenie, comme coupables d'avoir dit sédicieuses paroles et icelles semées parmy la ville. Ces châtiments rigoureux n'atteignirent pas seulement les individus coupables ; plusieurs communes furent frappées aussi, et Audenarde, Renaix, Deynze, Courtrai, Ninove, Hulst, Grammont, Menin, le métier des tisserands à Ypres, furent soumis à des amendes honorables et profitables.

Dans plusieurs de ces villes la peine eut un caractère plus particulièrement grave. Ainsi à Audenarde, en conformité des lettres d'abolition et de pardon accordées à cette ville, quatre membres du magistrat, douze hooftmans et principaux des ghildes durent venir, en robe noire, prier merci à Dieu et à l'empereur, en déclarant qu'il leur déplaisait d'avoir offensé les deux majestés, divine et humaine, et aussi d'avoir été désobéissants à la reine. La commune eut, en outre, à prendre à sa charge une rente de trois cent soixante livres de quarante gros créée en 1472 par le duc Charles, et à payer huit mille carolus d'or en deux termes, la moitié dans les deux mois, l'autre moitié à la Noël[244]. Ninove, où l'amende honorable fut la même, eut à payer deux mille carolus d'or en une fois, ou cent vingt-cinq carolus d'or de rente annuelle au denier seize. Les lettres d'abolition reconnaissaient cependant que tout ce qui estoit advenu ne procédoit de nulle malice, ains de vraie simplesse, elles reconnaissaient également la grande indigence et povreté du peuple de cette ville estant hors passaige, et vivant seulement de quelque petit labeur, dont, ajoutait le texte impérial, près toutes les terres nous appartiennent, et le reste à l'abbaye Saint-Cornille lez nostredite ville[245]. A Courtrai, le gouvernement usa de plus de rigueur encore. Tous les privilèges de la ville furent abolis ; les biens de la commune et des métiers confisqués. Cinq échevins et deux hooftmans de chaque section urbaine, en robes noires, deux habitants de chaque section en chemise vinrent publiquement, devant l'empereur, prier, à genoux flexis, merci à Dieu, à lui, à la reine sa sœur. Une amende de douze mille carolus d'or fut imposée à cette ville, qui en soy n'estoit peuplée, dont les habitants estoient la pluspart povres gens, de petite négociation, et que cet arrét privait de toute police, règles et droits, de tout revenu de judicature et de maltôtes[246]. Mais Charles-Quint se ressouvint de l'assistance donnée par les Courtraisiens à la conqueste de la ville de Tournay, en l'an XVc vingt et un, et au rebouttement des ennemis qui lors approchoient de ladite ville. Il accorda provisoirement aux échevins la connaissance des délits commis par les bourgeois ; la faculté de continuer la levée des impôts courants ; l'usage de l'hôtel de ville et de la halle ; le rétablissement des marchés hebdomadaires, de la franche foire et du marché aux chevaux[247]. Puis, après avoir donné, le 4 novembre, un nouveau règlement d'administration, il lui rendit la vaisselle et les meubles de la maison échevinale[248], ainsi que les chartres non supprimées[249] ; mais l'artillerie, les armes et les munitions restèrent confisquées.

La démolition des lieux fortifiés à Gand s'opéra difficilement et avec lenteur ; il fut impossible de trouver des adjudicataires pour cette démolition et pour le comblement des fossés. En vain le magistrat offrit-il d'en céder à perpétuité les terrains aux entrepreneurs, l'offre ne persuada personne. Puis lorsque, pressé par des ordres réitérés, il recruta des ouvriers pour ce travail abhorré, il put à grande peine en réunir deux cents, lesquels, travaillant avec dégoût, ne firent pas, dit un récit contemporain, l'ouvrage de cinquante hommes[250]. La démolition de Saint-Bavon et des maisons voisines fut poussée au contraire avec beaucoup d'activité. On avait chargé de ce travail des ouvriers wallons, qui eurent de fréquentes querelles avec les travailleurs flamands. Aux doléances des habitants violemment expulsés de leurs demeures, il faut ajouter celles d'un peuple avide de plaisirs et privé alors de toute espèce de fêtes, chez qui les jeux mêmes des enfants dans les rues étaient sévèrement interdits[251].

A ces causes de mécontentement se joignaient, nous l'avons déjà dit, les excès de la soldatesque. Ceulx ès maisons desquels les piétons estoient logiés, en furent merveilleusement travaillés. La pluspart en restèrent tout apovris, et il y eust tels honnestes menaiges qui, tant qu'ils vécurent, s'en sentirent. Lesdits piétons allemans, leurs femmes mariées ou aultres, dont ils estoient bien fournis, ensemble leurs goujats, y firent de fort grandes rudesses, rompirent, gastèrent, emportèrent tout ce qu'ils purent ; meisme quand on ne leur voulloit donner bois pour brusler et faire bon feu à leurs voullentés, ils prendolent et brusloient les porteaux et meubles des maisons, et plusieurs autres maulx y faisoient[252]. Les comptes des officiers de justice font foi des forces et rudesses commis et perpétrés par les lansknechts venus avec l'impériale majesté, et, chose triste à dire, on comptait douze Belges parmi ceux qui furent suppliciés pour leurs violences[253].

Un compte des confiscations opérées en 1540 présente un total de cent soixante-huit mille six cent seize livres, treize sols, cinq deniers[254], et, suivant un autre compte, la vente des biens confisqués produisit la somme de quatre cent soixante-huit mille quatre cent septante six livres, un escalin, onze deniers[255]. Notons un détail caractéristique du temps. Les corporations avaient été autorisées à racheter, d'après l'évaluation des priseurs jurés, les ornements de leurs chapelles, parce que, dit le compte du receveur, eust esté chose odieuse les vendre publiquement avec baston[256]. Les sommes provenant de ces confiscations furent, en majeure partie, employées à la construction de la citadelle et au payement des lansquenets.

La somme annuelle de six mille carolus d'or imposée par la sentence du 30 avril fut payée à l'échéance fixée, et la commune remit les titres de la rente créée par Charles le Téméraire. Mais il lui fut plus difficile d'acquitter le montant de l'amende principale. Les échevins des deux bancs furent obligés de présenter une requête à l'empereur pour obtenir une diminution. Charles-Quint accueillit cette demande et leur accorda une remise de soixante dix-huit mille carolus, prenant esgard, disait-il, au debvoir où ils se sont mis et en confyant qu'ils y continueront, et feront tout office de bons et loyaux sujets[257]. La détresse de la ville était telle que l'empereur lui-même reconnut la nécessité de diminuer la contribution des habitants dans une nouvelle aide de deux cent mille écus de quarante-huit gros, payable pendant six ans, qu'il venait d'obtenir des états de Flandre. Il réduisit la part de Gand à trois mille écus par an, pour les deux premières années ; à quatre mille, pour les deux suivantes, à six mille pour les deux dernières[258].

Lorsque les travaux de la citadelle furent assez avancés pour qu'on n'eût plus rien à redouter de l'émeute, Charles-Quint consentit à retirer de Gand les soldats, dont la présence y était si désastreuse. Une ordonnance du 9 août 1540 ordonna le licenciement des cinq bandes d'ordonnances qu'il y avait amenées. Elles reçurent une gratification d'un mois de solde pour payer leurs hôtes, et il leur fut défendu, sous peine d'encourir l'indignation de l'empereur, de fouler les localités qu'elles traverseraient[259]. Une gratification de quinze jours de solde fut également allouée aux piétons. Ceux-ci évacuèrent la ville le 9 septembre. Le comte du Rœulx avait prescrit au magistrat de Gand de leur fournir des chariots de vivres pour la route ; il leur avait fait préparer des logements, afin d'empescher le povre peuple d'estre foullé, et le bailli d'Alost avait reçu l'ordre de réunir des provisions dans les villages de son ressort, pour éviter foulle, mengerie ou insolence[260]. Malgré toutes ces précautions, cette soldatesque indisciplinée, qui s'éloignait chargée des malédictions des Gantois, commit tant d'excès sur son passage qu'il fallut recourir, pour les relréner, à de nombreuses et sanglantes exécutions[261].

Alors aussi partirent la plupart des seigneurs et des gentilshommes de la suite de l'empereur. Ce prince revint à Gand, avec Marie de Hongrie, vers la fin d'octobre. Le 30, il visita le château, dont les travaux, comme il nous l'apprend lui-même, étaient à cette date déjà fort avancés. Peu de temps après cette inspection de l'empereur, les travaux furent interrompus par l'hiver, mais on les reprit au mois d'avril 1541 ; on y logea alors quatre cent cinquante piétons. Les bastions furent élevés à une hauteur de dix-huit pieds. Les ponts-levis ne furent construits qu'en 1553, et l'ouvrage fut terminé le 15 janvier 1554. Il avait coûté quatre cent onze mille, trois cent trente-quatre livres, cinq sols. Ce château, appelé citadelle des Espagnols, formait un grand carré régulier, flanqué de quatre bastions portant les noms de Sainte-Anne, Saint-Jacques, Sainte-Marie et Saint-Charles, sans aucun ouvrage extérieur pour en protéger les abords. Les deux premiers bastions se dressaient du côté de la Pêcherie ; les deux autres, du côté de la campagne. Case-matés sous les deux flancs, à l'exception du bastion de Sainte-Anne, où avait été posée la première pierre, ces ouvrages étaient reliés entre eux par des courtines revêtues de maçonnerie et bordées d'un parapet de quelques pieds de hauteur. On entrait au château par trois portes, l'une dans la direction de la porte de Termonde ; une autre débouchant à la Pêcherie ; la troisième faisant face à la porte d'Anvers. Deux de ces portes étaient ménagées dans les angles rentrants des courtines[262].

N'oublions pas de signaler, en finissant, les adoucissements apportés par Charles-Quint à la rigueur de la sentence dont il avait frappé les Gantois. Outre la réduction considérable de l'amende à laquelle la ville avait été condamnée, une ordonnance du 14 mai lui restitua une partie de ses archives communales[263]. Les hôpitaux rentrèrent en possession de leurs revenus, et les métiers récupérèrent les rentes destinées à l'entretien de leurs membres pauvres[264]. La vaisselle de la commune lui fut rendue[265], et un acte du 1er octobre 1541 lui restitua la propriété de la Pêcherie des Châtelains, appelée dans l'acte la Rivière des Gantois[266]. La cloche Roland, déjà descendue pour être vendue, soit qu'elle n'eût pas trouvé d'acheteurs, soit qu'elle eût obtenu grâce aux yeux de l'empereur, fut replacée en 1544. La Caroline avait renvoyé au juge local des habitants du plat pays leurs procès avec les Gantois, au sujet du fait et exercice des mestiers, négociations et entrecours de la marchandise. Le collège de la keure voyant les négociations et marchandises près de faillir, à totale destruction et ruine d'icelle ville de Gand, représenta à l'empereur les graves inconvénients de cette mesure. Charles accueillit ces plaintes, et résolut de rétablir la prérogative des Gantois de faire juger chez eux les affaires de cette nature et d'ajourner à Gand les débiteurs et les censiers de ce quartier. Seulement, au lieu de rendre aux échevins cette juridiction exceptionnelle, il constitua, sous le titre de lieutenant du bailli, un juge spécial auquel ressortirent les litiges pécuniaires procédant de vrais et exprès contrats entre les Gantois et leurs fermiers ou débiteurs habitant les paroisses du quartier[267]. En 1544, il établit en outre, à Termonde, un autre lieutenant civil, devant lequel les bourgeois de Gand et ceux de Termonde, fondés en titre, pouvaient aussi assigner leurs fermiers et autres débiteurs demeurant hors de la juridiction de cette dernière ville, dans certaines paroisses du pays de Waes et lieux voisins[268].

Il faut une conclusion à ce long et dramatique récit. Charles-Quint, n à Gand, traita les Gantois avec une extrême sévérité, on ne peut le nier ; il humilia et réduisit à l'impuissance la cité célèbre qui lui avait donné le jour, et dont l'action, dans le passé, avait été marquée par une énergie si hautaine et si persévérante. Comment l'impartiale histoire doit-elle juger cette phase de la vie du grand empereur, qui a jeté un si vif éclat sur son siècle et sur la Belgique en particulier ? Plusieurs écrivains, dont le nom a figuré souvent avec honneur dans ces pages, ont condamné Charles-Quint avec une amertume qui a quelque chose de la haine et de la colère, et sinon avec injustice, tout au moins avec beaucoup d'exagération. Citons d'abord M. Henne, dont la conclusion surtout a quelque chose de si démocratique pour ne pas employer un autre mot, qu'on a peine à y reconnaître une plume habituellement contenue et modérée.

Ainsi tomba, dit cet historien, pour ne plus se relever, la fière commune que ses libertés, naguère si glorieusement défendues, avaient rendue prospère et puissante. De 1540 datent la décadence de Gand et celle de la Flandre. Depuis lors, en effet, cette province fut complètement éclipsée, dans nos annales, par le Brabant, devenu le véritable foyer de nos libertés et de notre indépendance. Combien durent gémir alors sur leur pusillanimité et sur leur égoïsme, ces rudes bourgeois qu'un ridicule épouvantail avait arrêtés dans la voie de la résistance, et qui se virent dès lors livrés aux vengeances d'un despote irrité ! Ils avaient craint pour leurs biens ; et pressurés à outrance par le fisc, ruinés par les confiscations, pillés par une soldatesque brutale, chassés de leurs demeures, pour faire place à une menaçante citadelle, ils voyaient la misère dans toute son horreur. Ils avaient craint pour leurs vies, et la hache du bourreau atteignait dans leurs rangs de nombreuses victimes. Ils avaient redouté le gouvernement des masses, et ils étaient tombés sous le despotisme le plus arbitraire. Triste leçon, destinée, comme tant d'autres, à rester stérile ! Quand donc les classes moyennes se ressouviendront-elles qu'elles sont sorties du peuple ? Quand leur sera-t-il donné de comprendre que le tronc séparé de ses racines doit infailliblement périr ? Quand donc, profitant de tristes expériences, ne s'émouvront-elles plus de la fantasmagorie de ces spectres rouges qui ont frayt, le chemin à toutes les tyrannies ?[269]

Voilà comment parle M. Henne. il accuse à la fois Charles-Quint et les Gantois. M. Sieur, lui, ne s'attaque qu'au premier mais il n'en est ni moins amer, ni moins violent. Si pour X. tienne le grand empereur est un despote, pour M. Sieur c'est un tyran sans honneur et sans humanité. Écoutons le.

Non content d'avoir dépouillé les Gantois de leurs libertés. de leurs droits ; d'avoir, dans une même condamnation, confondu les bourgeois et les factieux, l'innocence et le crime, Charles-Quint voulut. comprimer par la présence continuelle d'une force militaire importante les plaintes d'un peuple qui, pour tin moment d'égarement, perdit le fruit de cinq cents ans de travaux, de négociations, de sacrifices pécuniaires, de combats livrés aux fauteurs du despotisme et de sang répandu peur l'indépendance et la liberté. Ainsi finit la commune de Gand, jadis si fière et si puissante. Victime de quelques factieux, soi : histoire fut depuis indignement tronquée, travestie, mutilée. Des historiens mercenaires ou ignorants ne virent dans cette honorable opposition des Gantois que le principe d'une turbulence naturelle qu'aucune considération politique n'avait su ni guider ni soutenir ; et tandis que la capitale de la Flandre, sans calculer le danger auquel elle s'exposait, éleva la première la voix pour accuser un gouvernement despotique, avare, injuste et dilapidateur, il ne se rencontra, au jour de la vengeance impériale, nul écrivain, nul défenseur qui °CU assez de courage pour flétrir la conduite d'un souverain qui méconnut sa parole royale, et foula indignement aux. pieds les droits de ses peuples. l'humanité, la justice et l'honneur[270].

Il n'y a pas jusqu'à M. Kervyn de Lettenhove qui ne tienne sa note dans ce concert, note adoucie sans doute, dont la sévérité se déguise sous l'élégance de la forme, mais toujours hautement accusatrice contre Charles-Quint.

Charles-Quint, dit l'historien de la Flandre, quitta Gand, après y avoir passé quatre mois. Au lieu des acclamations populaires qui avaient tant de fois retenti autour de lui, il ne recueillit à son départ que les silencieux témoignages d'une douleur profonde. La vieille cité de Jean Yoens et de Jacques d'Artevelde avait trouvé dans les ruines de sa puissance et de sa liberté cette voix désolée de la patrie qui redemandait, dans le discours de Symmaque, le culte de ses dieux, et qui s'adressait à Coriolan pour lui rappeler qu'il était fils de Rome, comme Charles-Quint était fils de Gand : Potuisti populari hanc terrant quæ te genuit atque aluit ? Charles-Quint n'avait-il pas été comte de Flandre avant d'être empereur et roi ? Ne l'avait-on pas entendu dire aux cardinaux, en parlant de ses concitoyens, mes Flamands ?[271] Gand n'avait-elle pas entouré son berceau de prières dictées par l'allégresse la plus vive ?

Le 24 février 1500, Charles naissait au milieu d'une fète, et sous l'influence favorable des astres, qui du haut des cieux saluaient sa venue ; le 24 février 1515, il était inauguré à Gand ; le 24 février 1525, la victoire de Pavie lui livrait le roi de France prisonnier et le rendait l'arbitre des destinées de l'Europe ; le 24 février 1530, le pape Clément VII le couronnait à Bologne. Les premiers vœux de Gand, mère de Charles-Quint, ne lui tenaient-ils point lieu du sourire de la fortune ? Ils lui manquent le 24 février 1540, lorsqu'il reçoit les envoyés des princes protestants d'Allemagne, prêts à se confédérer contre lui, tandis qu'il médite lui-même, entouré de soldats allemands, dans sa propre patrie, la sentence dont il doit la frapper. Gand lui annonça ses triomphes, elle ne lui présage plus que des revers. Le 24 février 1557[272], un monastère de l'Estramadure le recevra, lui aussi, morne et découronné, et il y cherchera en vain, comme une consolation aux soucis qu'il n'aura pu rejeter loin de lui avec la pourpre impériale, l'image fugitive de sa ville natale, jadis si fière de ses franchises séculaires, désormais triste, abattue, humiliée, prête à passer des larmes à la haine[273].

Nous ne sommes pas insensible à ces accents du cœur, à ces sentiments patriotiques, à ces contrastes, à ces images évoquées par une imagination pieuse[274] et poétique. Mais, à notre sens, ce n'est pas là de l'histoire. Il faut juger les hommes et les choses avec un esprit plus calme et plus désintéressé ; on n'en aime pas moins son pays, on n'en est pas moins touché de ses malheurs, pas moins frappé de ces grandes, de ces lugubres catastrophes qui assombrissent ses annales. Cette appréciation impartiale et sans passion, sine ira et studio, est d'ailleurs la seule qui permette de retirer des évènements du passé les leçons qu'ils renferment à l'adresse des générations présentes. Quelle est donc l'opinion définitive que nous avons à nous faire sur les scènes tumultueuses et sanglantes, sur le dénouement lamentable du grand drame qui vient de se dérouler sous les yeux du lecteur ? Nous pensons qu'il faut y voir surtout le résultat des divisions, des fautes, des excès qui depuis des siècles attristaient le sol de la Flandre. Pu côté du pouvoir, c'était depuis les premiers ducs de Bourgogne le dessein poursuivi sans relâche de substituer aux franchises, aux vieilles libertés du pays, la domination unique d'une autorité dynastique plus ou moins modelée sur le système monarchique de la France ; du côté des communes, c'était l'orgueil de la richesse, les luttes intestines ou de commune à commune, l'oppression des villes Secondaires et des campagnes par les grandes cités. C'était, il faut bien le dire aussi, l'affaiblissement de la foi catholique, la décadence des mœurs que M. Kervyn lui-même a signalés avec tant de raison clans les dernières pages de son histoire[275]. La lutte entre le pouvoir tendant par une sorte de fatalité à devenir de plus en plus absolu, et les communes envahies toujours davantage aussi par cet esprit d'indépendance exagérée dans l'ordre civil comme dans l'ordre religieux et menaçant d'aboutir à l'anarchie dans les deux ordres, cette lutte séculaire devait finir par la défaite complète, par la mise hors de combat de l'un ou de l'autre des deux éléments en présence. Il fallait que Charles-Quint cédât devant l'orgueilleuse cité de Gand, ce qui était la ruine du pouvoir monarchique, ou que Gand vaincu et enchainé fut réduit à l'impuissance. L'œil pénétrant de Charles-Quint avait vu clairement cette double et inévitable alternative. Il n'était point cruel, il aimait sa ville natale, mais la froide raison, la raison d'état l'emporta dans son esprit. N'oublions pas non plus qu'il avait devant lui, en ce moment, deux ennemis implacables, les Turcs toujours armés, toujours prêts à de nouvelles invasions, l'hérésie, aux tendances socialistes, dont les progrès continuels ébranlaient la société catholique jusque dans ses fondements. Devant cette situation le grand empereur ne pouvait hésiter : l'intérêt suprême de la chrétienté exige.it un grand sacrifice. Gand fut sacrifié, parce que son jour était venu, et que son indépendance était désormais incompatible avec les exigences de la mission sociale départie par la. Providence au plus illustre de ses fils.

Venit summa dies et ineluctabile tempus.

 

*****

 

NOTE

Tauwe wet. L'auteur de la Relation des troubles, remarque M. Gachard, traduit lui-même ce mot par la vieille loi, de oude wet. La manière dont il l'a ortographié semble d'accord avec la prononciation gantoise. La description que donne de cette fête la Relation, p. 83-86, est extrêmement curieuse ; nous la reproduisons, bien qu'un peu longue : Et au my-quaresme dudit an mil cincq cens trente-neuf (n. s. 1540), fut aboly pour la première fois le Tauwe wet, qui de toute ancienneté solloit (avait coutume) aller les trois nuyts de la franche t'este de ladite ville de Gand, laquelle est en la semaine dudit myqunresme, les jours de mercredy, jeudy et vendredy. Et estoit icelluy Tauwe tee certain bon nombre de gens tous armés et bien enbaslonnés, de chascun des cincquante trois mestiers une bonne quantité, de l'un plus, de l'autre moins, selon les richesses et bontés desdits mestiers : chascuns d'iceulx sçavoient leurs cottes et portions, combien qu'ils devoient livrer de gens, lesquels tous ensemble faisoient une bonne et grande compaignie d'hommes, et avoient la pluspart desdits mestiers les armures et harnas à ce propices et à eulx appartenans, lesquelles armures estoient gardées ès maisons appartenans aux cors d'iceulx mestiers. — Ils n'estoient point armés en piétons, mais en hommes d'armes, depuis le couppet de la teste jusques au bas des piets, chascun tenant en sa main une hache d'armes ou autre baston de bonne deffence. Ils estoient fort et doublement armés, de sorte que, s'ils eussent esté mis par terre, il n'eust esté en leur puissance de eulx sçavoir relever. Ils avoient sur leurs heaulmes de grans plumas ou autres choses signaians et enseignans de quels mestiers ils estoient, et les doyens et jurés, avec aucuns des plus notables de chascun mestier, et aussy ceulx qui estoient ordonnés pour estre ainsy armés, se rassembloient envers les sept heures du soir en la maison appertenant à leurdit mestier, et illecq estoit fait un bancquet, et y bancquetoient de telle sorte que la pluspart estoient toujours yvres, et puis s'armoient desdites armures, quant ils estaient bien armés de vin par dedens, et lors estaient-ils en leur grant force et vigheur, et leur sambloit proprement qu'ils estaient les seigneurs de toutes autres villes du pays de Flandres, et que le comte ne povoit bonnement rien en icelluy pays sans eulx. Et eu tel estat se partoient lesdits doyens et jurés, avec leurs hommes ainsy armés, de leurdites maisons, à piet et en ordre, avec force torches, fallots et tambours d'Allemans ou trompettes, environ les dix heures, et alloient ainsy en la maison escbevinalle, où la Lay estoit aussy rassamblée, et y avoit un honnourable bancquet, et à fait que aucuns desdits mestiers venoient, les doyens et jurés d'iceulx montoient en hault où ladite loy estoit, et leur présentoit-on pain et espèche (épices) et droguerie (dragées, confitures), et les compaignons ainsy armés attendoient en bas à l'entour de ladite maison eschevinalle avec leurs torches et fallots. Lesdits doyens et jurés estoient vestus de manteaux de drap noir, clos devant et derrière, et seullement ouverts à l'un des lez sur l'espaute, et ceulx de la loy estoient vestus de leurs robes eschevinalles, et avoient les eschevins dés grans chapperons sur leurs testes du meisme drap de leurs robes, qui estoient royées de l'un des lez (rayées d'un des côtés). — Et, illecq ainsy tous rassamblés environ les unze heures à minuit, on commenVoit à sonner une fort grosse cloche qui pendoit au belfroit de la ville, et lors se partoient tous de ladite maison eschevinalle en bon ordre, et chascuti des mestiers selon leurs degrés et préhéminences ; chascun sçavoit son lieu et le quantiesme ils devoient aller et marcher ; ils avoient force trompettes, tambours et !luttes d'Allemaigne qui jouyoient à la voilée, comme se ils eussent allé en bataille, et avec ce avoient Grant nombre de torches et fallots. et ainsy marchoient au son de ladite cloche, laquelle sonnoit continuellement depuis le parlement qu'ils faisoient de ladite maison eschevinalle, tant et si longuement qu'ils y estoient tous rentrés, et sievoyeut derrière tous ceulx de la loy entièrement ainsy vestus avec leurs robes et chapperons, et aussy les officiers et serviteurs de la ville, et devant chascun de ladite loy estoit portée une torche par les serviteurs d'icelle, devant lesquels marchoient les trompettes et clairons d'argent de ladite ville, lesquels jouyoient haultement ; et ainsy en tel estat faisoient un tour au plain bourg de la ville, lequel povoit bien durer environ de deux heures, et, ledit tour fait, retournoient en ladite maison eschevinalle ; et, illecq tous retournés, se mettoient chascun des doyens et jurés avec leurs gens ainsy armés en ordre, et se tenoiebt tous cois (tranquilles) à l'entour d'icelle maison, tant que la loy y fust rentrée, laquelle prendoit lors congé de tous les mestiers en général, en les remerciant bien grandement de !honneur qu'ils avoient fait ceste nuyt à la ville, selon l'ancienne coustume et manière de faire d'icelle, priant de continuer en leurs bons devoirs ; et, ce fait, ceux de la loy rentroient en la maison eschevinalle, et, après y avoir derechef prias ypocras et draperies, se retournoit chascun en sa maison, et les doyens et jurés avec leurs gendarmeries, chascun retournoit ès maisons de leurs mestiers, où ils alloient bancqueter tout le reste de la nuyt, aux despens du cors desdits mestiers, et illecq se parennyvroient comme pourceaux. — Durant lesdits trois nuyts que ledit Tautve wet se faisoit, il sambloit proprement que toute la ville de Gand fust en armes, et que les ennemis estoient devant icelle, tant estoit le peuple à tous lez et costés esmeus, avec le vin qui souvent dominoit en plusieurs ; et, à dire le vray, toute la ville entièrement estoit lors en sa vraie force et vigeur, et ne leur eust fallu guerres de choses pour les mettre tous, ou du moins la pluspart, en commotion, à quoy les manans et habitans ont de tout temps esté assez enclins. C'estoit une vraie ydolatrie et mahommerie à les ainsy voir, et où innumérables maux et péchés se faisoient et commettoient, tant par yvronnerie, paillardies, débats, homicides et aultres telles et semblables meschantés, où le Dieu tout-puissant estoit bien souvent grandement offensé, et plus qu'ils n'eussent fait de jour, à cause que c'estoit de nuit. — Se fut une fort belle euvre de ainsy l'avoir mis jus.

 

FIN DU TROISIÈME VOLUME

 

 

 



[1] La répartition de l'impôt entre toutes les communautés de la Flandre était réglée d'une manière souveraine et invariable par un tableau qui déterminait la part de chacune d'elles. Ce tableau appelé transport de Flandre remonte aux premières années du XIVe siècle ; il avait été renouvelé avec beaucoup de soin en 1408 et 1517, modifié ensuite partiellement et revêtu de l'approbation du prince à chaque révision. (Place. de Flandre, I, 513 et suivantes ; III, 378 et suivantes ; Zaman, Exposition des trois états du pays et comté de Flandre, p. 341, 343.)

Marchant, historien de la province, donne une explication assez étrange de ce nom énigmatique de transport ; quoi qu'on en puisse penser, la voici :

Le comte de Flandre Robert de Béthune, retenu déloyalement prisonnier à Paris par Philippe le Bel, n'obtint sa liberté, en 1305, qu'au prix de dures conditions : l'une d'elles étoit le payement en quatre termes d'une somme de 400.000 livres, outre une rente annuelle de 20.000 livres, pour sûreté de laquelle il donna en garantie les villes de Douai, Lille et Béthune. La moitié de la rente fut, peu après, capitalisée et remboursée ; pour la levée annuelle du surplus on dressa un tableau de répartition et ce tableau reçut le nom de transport lorsqu'en 1312 les intrigues d'Enguerrand de Marigny, le même qui, trois ans après, fut pendu à Montfaucon, induisirent le comte Robert à transporter à Philippe le Bel la propriété de l'hypothèque pour se libérer de la dette. (Marchant, Flandria, l. I v° Teneramonda ; d'Oudegherst, Ann. de Flandre, chap. III et suivantes ; Zaman, p. 35, n° 5 et 6 ; Panckouke, Abrégé chronolog. de l'histoire de Flandre, anno 1305, 1312.) Defacqz, Recherches sur les anciens impôts et spécialement sur les tailles réelles, dans les Bulletins de l'académie royale, 2e série, t. XIX, page 107.

[2] Instruction donnée par les échevins des deux bancs et les deux doyens de Gand aux députés envoyés vers la reine Marie, pour lui remettre la réponse des trois membres de la ville, dans M. Gachard, Relation des troubles de Gand sous Charles-Quint, Supplément, pages 519-550. Cette relation est anonyme ; l'auteur, témoin oculaire de la plupart des faits qu'il rapporte, parait avoir été wallon et probablement de Lille.

[3] Le quartier de Gand, comme le fait remarquer M. Gachard, était le plus considérable des quatre quartiers de la Flandre. Il comprenait les châtellenies du Vieux-Bourg, d'Audenarde, de Termonde, d'Alost, de Courtrai, du pays de Waes et les Quatre-Métiers, c'est à dire beaucoup plus que ne contient aujourd'hui la province de la Flandre orientale.

[4] L'opposition des Gantois était-elle légale ? Voici comment M. Henne répond à cette question : La question, au point de vue constitutionnel ne parait point indécise. Les Gantois invoquèrent les chartes des comtes Gui de Dampierre (1196) et Louis de Nevers (1314) et la charte générale accordée à la Flandre le 11 février 1477 par Marie de Bourgogne, en vertu desquelles on ne pouvait ni les imposer sans leur consentement, attendu qu'ils n'étaient pas liés par le vote des autres membres du comté, ni exiger des inhabitans et circonvoisins de leur châtellenie, impôts, exactions, corvées, molestations et autres tailles, réservé tout seulement les charges et tailles, èsquelles ladite ville de Gand estoit obligée. Le gouvernement s'appuya sur la paix de Cadzant (août 1492) et sur l'acte du 11 avril 1515, prescrivant l'observation de ce traité. Or, la paix de Cadzant, qui avait confirmé auxdits de Gand tous les privilèges par ci-devant donnez et accordez, avec tous leurs droit, coustumes et usaiges, sous des réserves étrangères à l'objet en litige, pas plus que les traités de 1485, 1488 et 1189, n'avait infirmé les chartes invoquées. Toute la conduite du gouvernement prouva qu'il en était convaincu lui-même. En 1515, Marguerite d'Autriche n'avait-elle pas reconnu qu'il ne s'étoit jamais vu que les Gantois eussent payé, s'ils n'avoient accordé. D'un autre côté, en 1536, à l'appui de sa demande d'aide, on avait exhibé certaine copie de remonstrance et ouverture, en date du 7 avril 1535 avant Pasques, par laquelle avoit esté donné à congnoistre la promesse de l'Impériale Majesté de rien demander ni exiger d'icelluy son pays de Flandres durant les six années des payemens de ceste aide. Les prétentions du gouvernement constituaient donc une infraction aux privilèges et une violation de promesse. VI, 135. — Nos écrivains, en général, passent très légèrement sur cette question qui semble les embarrasser. Nous croyons, quant à nous, les Gantois répréhensibles non pour avoir défendu leurs privilèges, mais pour la façon séditieuse dont ils les défendirent. — M. David, Vaderlandsche Historie, IX, 497, reconnaît que la prétention des Gantois était fondée — De bewering der Gentenaers had grond —, en faisant remarquer toutefois que la concession de la duchesse Marie en 1487 lui avait été à peu près arrachée, afgeperst, ce qui est vrai, et qu'il n'en était plus tenu compte depuis longtemps. — Voir notre Histoire, tome VII, pages 712, 743.

[5] L'acte d'appel se terminait ainsi : Comme il n'a plu à la reine de superséder, nous nous sommes vus réduits, pour la conservation de nos droits, à prendre notre refuge vers la personne de l'impériale majesté, comme comte de Flandre, notre naturel seigneur et prince ; à lui exposer nos griefs ; à protester contre toutes voies extraordinaires de justice faites et à faire. Sachant que le remède d'appel sursoit et suspend, sans allencontre de ce attenter ou innover, nous appelons de toutes exécutions, levées ou autres procédures quelconques faites ou à faire en cette cause, en quelque manière qu'elles aient été ou qu'elles soient faites, par la reine ou par son conseil, contre les habitants des châtellenies ou leurs biens. Nous nous engageons à relever cet appel et à remonstrer plus avant en temps et en lieu, à la personne de sadite impériale majesté, quand nous aurons devant elle franc et sûr accès. Nous protestons, en outre, considéré son absence, que le temps de relever cet appel ne pourra courir à notre préjudice, quelque retardé qu'il soit, et pour qu'ils n'en prétextent point ignorance, cet acte sera signifié à la reine, à son conseil, à tous ceux à qui il compète ou compètera, espérant par ce, selon notre confiance, en sa réginale majesté, qu'elle ne voudra, en aucune manière, traiter ni permettre qu'on traite les sujets de sa majesté autrement que de droit. D'Hollander, Discours des troubles advenus en la ville de Gand, 34-40.

[6] Les Gantois, dit l'auteur de la Relation publiée par M. Gachard, se conduisoient et maintenoient comme s'ils eussent été les princes et seigneurs du pays et comté de Flandre, et parloient communément : nous le voulons. Il va plus loin et prétend que les Gantois voulaient faire de leur cité une ville de commune et non sujette à nul prince ou seigneur, fors à elle même, comme il y en a ès Allemaigne, Italie et ailleurs.

[7] Lettres patentes de l'empereur sur l'appel interjeté par ceux de Gand, contenant commandement de faire percevoir l'aide au quartier de Gand, nonobstant ledit appel ; imprimé dans le Discours des troubles, publié par Hoynck Van Papendrecht, Analecta belgica, t. III, 2 part., pag. 321. En 1743, dit M. Gachard, le chanoine de Malines, Hoynck Van Papendrecht, publia, dans ses Analecta belgica, un Discours des troubles advenus en la ville de Gand en 1539, attribué par lui à Jean D'Hollander, chanoine de Sainte-Waudru à Mons. Ce discours contient une narration circonstanciée du différend entre le gouvernement et les Gantois, depuis le mois de mars 1537 jusqu'au mois de novembre 1539. On y trouve presque toutes les pièces officielles relatives à cette affaire, et, malgré sa sécheresse, C'est un document d'une très haute importance. D'après M. Gachard, il n'est pas de l'écrivain obscur auquel on l'attribue, il a été rédigé, par ordre de la reine Marie, pour être envoyé à l'empereur, au moment où il se dirigeait vers Gand, en traversant la France.

[8] Relation de tout ce qui a été fait et dit à Gand par le conseiller de Schoore, Archives du royaume, Registre intitulé Troubles de Gand, 1537-1542, t. II, publié par M. Gachard, Relation, etc., Appendice. XXXIII, pages 207-211.

[9] L'huissier, chargé d'exécuter l'ordre d'élargissement, trouva très grande difficulté, les détenus ne voulant faire la promesse voulue — de se reconstituer prisonniers à la première réquisition du grand conseil de Malines, ou dans les trois mois, si le débat n'était pas vidé — ni payer leurs despens de prison ; ils aymoient mieux, comme obstinés. demeurer en prison que ce faire. M. Gachard, Relation, etc., 66-67.

[10] Lettre de la reine à l'empereur du 9 juin 1538, aux Archives du royaume.

[11] La collace, remarque M. Gachard, était, à Gand, la représentation de la commune, comme le large conseil à Anvers et à Malines. Rappelons qu'elle se composait de trois membres : la bourgeoisie, les cinquante-trois métiers et le métier des tisserands auquel cinq autres étaient unis. — Il ne sera pas inutile non plus, pensons-nous, de rappeler, avec M. Henne, quelle était, dans son ensemble, à l'époque où nous sommes, l'organisation communale de Gand. La commune était divisée en trois membres, comme on vient de le dire : la bourgeoisie, poorterye, les métiers, les tisserands en laine. La bourgeoisie était représentée dans le corps échevinal par un haut doyen, de droit premier échevin. Elle s'assemblait en différents quartiers de la ville. Le hoofdman de la section présidait la réunion, recueillait les voix, formulait la décision. Ensuite les députés des différents quartiers se rendaient à l'assemblée générale de la bourgeoisie, présidée par le haut doyen, pour rapporter l'avis de leurs commettants. Le haut doyen dépouillait les suffrages et la majorité des sections formait l'opinion générale, que rédigeait le pensionnaire du membre. Les métiers, au nombre de cinquante-trois, étaient divisés en autant de sections ayant chacune son doyen assisté de plusieurs jurés. Ils délibéraient dans leurs maisons respectives et votaient séparément sur les propositions du gouvernement ou du magistrat. Leurs avis étaient lus en assemblée générale, et de la majorité des suffrages sortait l'opinion commune, qui était formulée par leur pensionnaire. — Les tisserands. divisés en plusieurs sections ayant chacune sa maison, procédaient de la même manière. Après ces opérations préliminaires, le magistrat fixait le jour de la réunion des trois membres. Cette assemblée, nommée collace, était présidée par le grand bailli, officier du souverain. Les députés des trois membres y rapportaient les vœux de leurs commettants ; les réclamations étaient examinées et discutées ; le président proclamait la décision réunissant la majorité des opinions. — Le magistrat, corps exécutif de la commune, était formé de vingt-six échevins divisés en deux bancs : les échevins du haut banc ou du banc, dits aussi de la Keure, chargés de l'administration de la justice, des finances et des biens de la ville ; les échevins des parchons connaissant des successions, des partages et des biens pupillaires. L'élection des échevins était faite tous les ans, le 15 août, par des commissaires nommés moitié par le souverain, moitié par le magistrat. Ces commissaires désignaient vingt-six candidats entre lesquels le prince choisissait les treize échevins du banc et les treize échevins des Torchons. Les échevins étaient choisis dans la proportion suivante pour chaque membre : trois de la bourgeoisie, cinq des métiers et cinq des tisserands.

[12] Lettre de la reine à l'empereur (Archives du royaume). Citation de M. Gachard.

[13] Ceux de la loy advertis de ce mandèrent ledit Simon Bourlut pour de lui entendre ce que en estoit, qui déclara l'avoir ainsi entendu de ses predecesseurs, mais qu'il n'avoit jamais veu ledit privilege, ni copie d'iceluy, combien qu'il disoit avoir copie de tous les autres privileges de la ville. D'Hollander, 130.

[14] Interrogatoire de C. Van Meerendre, du 23 mars 1540, Enquêtes criminelles. Citation de M. Steur, Mémoire sur les troubles de Gand, dans les Mémoires de l'Académie, tome X, in-4°, p. 57.

[15] M. Henne, VI, 292-293.

[16] Le nom de ce personnage, dit M. Gachard, est écrit diversement par les historiens. L'Espinoy l'appelle constamment Liévin Pin, comme l'auteur de notre Relation ; dans le Mémoire attribué à Jean D'Hollander on lit Liévin Pyl ; enfin M. Steur écrit Liévin Pyen. — Remarquons, ajoute M. Gachard, que, dans le compte rendu par François des Fossés (sic), bailli de Gand pour une année, commençant le 22 mai 1539 et finissant le 22 mai 1540, l'ancien grand doyen est nommé Liévin Pien. — Le Cort verhael écrit aussi Lieven Pien. C'est ce qui nous détermine à écrire nous-même Liévin Pyne. Il nous semble que cette forme répond mieux, en français, à la prononciation flamande du nom Pien.

[17] M. Henne, VI, p. 303.

[18] Tome VIII de notre Histoire, page 137. Cette paix, conclue le 29 juillet 1492 devant l'Écluse, entre Maximilien, représenté par le duc Albert de Saxe, et les Gantois, apportait des restrictions notables aux privilèges de ces derniers. Le texte est dans M. Steur, Mémoire cité, pages 141-142.

[19] C'était la part de la Flandre dans les douze cent mille florins postulés de toutes les provinces.

[20] Plusieurs lieux pour le temps de lors estoient assez enclins à toutes séditions, commotions et hérésies, et les intentions de teiz et semblables n'estoient que à pillier églises, gens nobles et autres riches, et avec eux plusieurs estrangers se y feussent boutés aians tous les mesmes voullentés et qui ne demandoient que ung tel temps troublé, et lesquelz tenoient la secte luthérienne qui régnoit lors par toute la crestienté, qui aussy ne demandoient sinon faire toutes choses communes et entre autres points hérétiques qu'ils soutenoient, c'en estoit l'un... Toute la fin de leur commotion tendoit de faire les riches devenir povres et les povres devenir riches, et en effect, tous biens communs, ce qui estoit l'opinion de plusieurs luthériens... et quand les povres rencontroient les riches, en allant leur chemin par les rues, ilz leur disoient par grant envye : passez oultre ! le temps viendra de brief que possesserons vos richesses à nostre tour, car vous les avez assez possessées et vous possesserez nos povretez à vos tours ; si sçaurez que c'est d'icelles et nous sçaurons que c'est de vos richesses, et porterons vos belles robes et vous porterez les nostres, qui sont bien laides et de petite valleur. — Après avoir cité ces passages de la Relation des troubles, pp. 23, 35 et 37, M. Kervyn ajoute : Cette secte portait à Gand le nom de creesers, qu'on n'a pas mieux réussi à expliquer que celui des huguenots. Et en note : M. Steur fait dériver creesers de creysschen, pleurer, crier... Mieux vaudrait adopter pour étymologie le verbe kryghen, combattre ou piller... On comprendrait, dans ce dernier sens, que l'appellation de creeser fût, dès 1538, une injure punie par les tribunaux. Histoire de Flandre, VI, 96-97.

[21] Résolution du petit métier des cordonniers en vieux sur le fait du renouvellement de leur doyen et de leurs jurés, conformément à l'ordonnance du grand bailli, dans l'Appendice à la Relation des troubles, page 586.

[22] Ce grand bailli était François Van der Gracht, seigneur de Schardane, conseiller et chambellan de l'empereur. L'Espinoy, Antiquités de Flandre, l'appelle François Desfossés.

[23] Rapport du 14 juin 1538, Appendice cité, 217.

[24] D'Hollander, 95-96.

[25] Ce calfvel (peau de veau, parchemin) contenait l'acte par lequel Charles-Quint avait ordonné, le 11 avril 1515, quelques jours après sou inauguration comme comte de Flandre, qu'à l'avenir le grand bailli, les échevins, les doyens et tous les officiers de la ville de Gand feraient serment d'observer la paix de Cadzant. Cet acte, sur son commandement exprès, avait été déposé au Secret de la ville et enregistré dans le livre aux privilèges. Voir le texte dans M. Steur, Mémoire, pp. 143-145.

[26] Points et articles présentés par les trois membres de la ville de Gand, assemblés en collace, au sujet de l'administration de ladite ville et de l'exécution de certaines mesures, avec les réponses données le lendemain sur chacun d'eux par le magistrat de la ville. Appendice, 587-597. — L'original se trouve aux Archives de la ville de Gand, registre des collaces, 1539.

[27] Cort verhael van de principaelste geschiedenissen ghebeurt binnen de stadt van Ghendt, in 't jaer 1539 ende 1540, publié par M. Gachard, dans sa Relation des troubles de Gand. Introduction, appendice, pages XXXIX-LXX. — Ce récit, remarque M. Henne, est en général d'une grande exactitude, comme le prouve sa corrélation avec les actes officiels qui nous ont été conservés sur ces évènements.

[28] Relation des troubles.

[29] D'Hollander, 192.

[30] Il tenait l'auberge de la Cloche. Cort verhael.

[31] Relation des troubles.

[32] Renier Van Huffel ou Van Huffelghern avait rempli, en 1536, les fonctions de doyen des tisserands et s'était rendu fort impopulaire. Obligé d'émigrer dès le commencement des troubles, il s'était bien vite rassuré, était revenu à Gand et avait trouvé moyen de se faire élire second échevin de la keure.

[33] La décision de la collace était ainsi conçue : Sy avant que l'impériale majesté, leur naturel seigneur et prince, avoit affaire et lui estoit besoing de gens de guerre de son pays de Flandres contre le roy de France son ennemy et pour la défense et tuition dudict pays. offroient et présentoient à Sa Majesté de volontairement l'assister avecq gens de guerre dudict pays, tout selon l'anchien transport et coustume anciennement observé, et de payer iceulx gens, et non aultrement, considéré la povreté du temps, la petite négociation, aussy les grosses charges des aydes précédentes et d'aultres encore courantes. Cette décision avait été portée à Bruxelles, le 17 avril 1533, par les échevins Renier Van Huffel, Jacques Van Melle, Jean Van den Eeckhaute, le grand doyen Liévin Pyne et le pensionnaire maitre Jean Baert. D'après une enquête ouverte plus tard, plusieurs de ces députés auraient tronqué la décision de la collace. Selon certains témoignages, le pensionnaire Baert avait déclaré, dans une réunion des députés des villes et des châtellenies du quartier de Gand, tenue le 18 dans le grand réfectoire des frères prêcheurs, et en présence de plusieurs de ses collègues que, vu l'extrême besoin des frontières, vu que les Français s'étaient emparés de Hesdin, la métropole consentait, pour cette fois, à l'aide de quatre cent mille carolus demandée à la Flandre ; mais que, considéré la stagnation du commerce et l'absence de travail, qui poussait beaucoup de ses habitants au vagabondage, elle choisirait entre eux des gens pour marcher contre l'ennemi, et les payerait avec les étrangers. M. Henne, VI, 211.

[34] D'Hollander, 103-105.

[35] D'Hollander, 103-105.

[36] M. Léopold Ritter von Sacher Masoch, Der Aufstand in Gent unter Kaiser Carl V, d'après un journal manuscrit reposant aux archives de Vienne. Citation de M. Henne.

[37] Appendice cité, 597, et Corl verhael.

[38] Ce système de raser le corps des patients était appliqué aux individus soupçonnés de porter des maléfices. Damdouhere, Practique judiciaire à causes criminelles, ch. XXXVII.

[39] Les doyens et deputez de la commune, voyant que ledit Lievin Pyl ne vouloit rien confesser, requirent que tout son poil lui fût couppé, ce qui fut fait devant l'autel du consistoire du Conseil en Flandres, où l'on dit que un Willeken de Mey, orfèvre, commit tel outrage et inhumanité que par honnesteté on n'en peut parler, et aussy fut porté en la grande salle, en présence du grand bailly, des eschevins des deux bancqs, des 53 doyens et des jurés des mestiers et des tysserans, ensemble de grand nombre des bourgeois et notables de la ville, et illecq fut mis derechef à torture, ayant les mains liez au dos, et pressé par cordes au chef gros de la gambe, et es greves, son nez estoppé, et luy donné grande quantité d'eau, et comme encore ne vouloit rien confesser, fut tiré par les orteaux, et après avoir esté longuement en cette peine, et tant que le Me des haultes œuvres declare par son serment qu'il ne sçavoit faire davantage, s'il ne vouloit tuer l'homme, ne confessa rien sur sa principale charge, sinon seulement, qu'il avoit aucunes fois fait besoigner en sa maison les ouvriers de la ville, et en aucunes carrettes de bricques et du sablon des biens de la ville, et que alencontre de ce la ville luy devroit trente et une livres de gros. — Finablement le grand bailly remonstra à ceulx de la commune le sobre estat du patient, ensemble son age, et qu'ils se voulussent rapporter a la discretion de ceux de la loy, a quoi ceux de la bourgeoisie consentirent, si avant que les deux autres membres fussent de cet advis, et les autres membres requirent que on mit les cordes ès vielles playes de la première torture, mais le Me des haultes œuvres declara que la chair des dites playes estoit morte et sans sentiment ; a ceste cause firent plus serrer les cordes sur le gros des jambes, et sur les greves et plus tirer les orteaulx, tellement que l'une des cordes se rompit, mais ne voulut rien confesser, disant toujours que ceux de la loy n'avoient jamais esté au Secret de la ville, sinon publiquement, avec les solennités y requises, et après avoir esté longuement en la peine, les deux autres membres consentirent qu'il seroit pour ceste fois relaxé du bancq, et qu'il voulut penser à son affaire jusques a demain, et fut mis en une chayere, et rapporté en sa prison. D'Hollander, 184, 185.

[40] Le même jour ceulx de la loy ont ordonné le guet par connestablies, et la pluspart des mestiers sont demeurez toute la nuit en leurs chambres armez et embastonnez. D'Hollander, 186.

[41] Relation des troubles, 13 et 15.

[42] Payé à Pierre de Bie, officier en ladite ville, la somme de xxiiij sols, à cause de semblable somme par luy déboursée au dernier repas de Lievin Pien, en la précédente année exécuté, et ce par dessus l'ordinaire du meisme repas mis en compte de ladite année, et ce à cause de la multitude des gens de bien qui le vindrent consoler. Compte de F. Van der Gracht, de 1510-1514, f° VIII. Citation de M. Henne.

[43] Item, pour les prebstres qui le confessèrent, vj sols. Compte de F. Van der Gracht, de 1510-1514, f° VIII.

[44] Item, pour le vin, xij sols. Compte de F. Van der Gracht, de 1510-1514, f° VIII.

[45] Et tout ainsy en advient-il. Mais lors, s'ilz l'eussent pu faire morir de cent mors, ils l'eussent fait, tant estoit ledit peuple animé à l'encontre de luy. Relation des troubles, 13 et 15.

[46] Ses enfans et amys en furent fort dollans c'estoit raison ; mais ne povoient résister au contraire. Ilz le firent mettre en terre saincte en son église paroichiale, honnestement, comme il appartenoit, car il avoit toujours bien et honnourablement vescu. Relation des troubles, 16.

[47] D'Hollander, 194.

[48] D'Hollander, 194.

[49] D'Hollander, 201.

[50] A l'imitation de M. Henne, nous donnons ce discours d'après M. Steur, qui en a puisé les éléments dans les Enquêtes criminelles conservées aux archives de Gand.

[51] Nous croyons devoir reproduire un passage de l'Avertissement mis par M. Steur en tête de son Mémoire : A l'époque de 1540, l'esprit public en Flandre et dans la presque totalité des provinces des Pays-Bas était fortement prononcé contre l'excessive hauteur des subsides et la tendance à l'usurpation du pouvoir, deux abus également funestes à la tranquillité de tous les états. A la vérité ce conflit n'était pas nouveau. Né sous le règne orageux du comte Gui de Dampierre, il s'était renouvelé plus vif et plus pressant sous les princes de la maison de Bourgogne. Aussi la paix de Gavre n'avait jamais été regardée par les Gantois que comme un pacte humiliant, imposé par la force, et qui avait eu pour principe la guerre civile et pour résultat une infâme spoliation. Il était donc naturel de prévoir que tous ceux qui se sentaient encore au fond du cœur une étincelle de ce vieil esprit d'indépendance ne saisissent toutes les occasions de récupérer leurs anciens droits. Il était même à craindre que, tôt ou tard, abusant des plus légers prétextes pour parvenir à leurs fins, ils ne fussent tout prêts à tremper dans quelque tentative d'insurrection dont le but serait sinon d'arrêter le prince dans son humeur envahissante, au moins de poser des bornes à la trop grande extension de son pouvoir.

[52] Cort verhael.

[53] Relation des troubles et D'Hollander.

[54] Dans cette harangue en langue flamande, De Mey désignait le grand bailli du surnom de vlabakker. Les factions, dit M. Steur, donnaient à ceux qui se signalaient par leur attachement au souverain le sobriquet de vlabakkers, terme de mépris à l'aide duquel on signalait à la vengeance du peuple ceux qui faisaient ombrage à la commune.

[55] Relation des troubles, 18.

[56] Cort verhael.

[57] M. Kervyn de Lettenhove, VI, 102. — Le récit de D'Hollander diffère un peu de celui de la Relation, le voici On déclara que on envoyeroit querir ledit acte, comme l'on fit, et fut dechiré par les trois pensionnaires des trois membres en trois pièces, et jettez entre le peuple, qui le déchirèrent en mille pièces, et aucuns en mangerent, et, comme l'on dit, un quidam avoit prins le signet de l'empereur, lequel fut apperceu d'autres qui le prindrent et rompirent davantage. 211.

[58] D'Hollander, 212.

[59] Cort verhael. — Relation des troubles.

[60] D'Hollander.

[61] Un fait d'une haute gravité a été reproché aux Gantois, dit M. Gachard. On les a accusés d'avoir envoyé des députés à François Ier, pour lui offrir la souveraineté de la Flandre ; et ce qui a donné du poids à cette accusation, c'est qu'elle reposait sur le témoignage d'historiens contemporains, ordinairement bien informés. M. Gachard cite les Mémoires de du Bellay, l'Histoire de nostre temps, par maistre Guillaume Paradiez, et Sandoval. Quelque imposants que soient ces témoignages, continue M. Gachard, M. Steur n'a pas cru devoir admettre le fait auquel ils servent d'appui. M. Steur insiste surtout sur cette circonstance que, d'après Sandoval, François Ier transmit immédiatement à Charles-Quint les lettres originales des Gantois, et que cependant ces lettres n'ont jamais été produites et qu'il n'en est fait la moindre mention nulle part. Les raisons alléguées par M. Steur, dit toujours M. Gachard, sont certainement d'une grande force : cependant les lettres de la reine Marie au duc d'Arschot, des 6, 16, 21 septembre et 7 octobre 1539, et celle de l'empereur à la reine, du 30 septembre, semblent laisser peu de doute sur la réalité des démarches des Gantois auprès de François Ier, afin de s'assurer son appui. Il resterait à expliquer comment un fait aussi important ne se trouve rappelé ni dans le réquisitoire du procureur général, ni dans la sentence de l'empereur, ni dans les informations criminelles prises contre les auteurs des troubles : c'est là un point que nous ne nous chargeons pas de résoudre. Relation, introduction, pages XXV-XXVI.

[62] Lettre de la reine Marie au duc d'Arschot, grand bailli du Haunaut, d'après l'original, aux archives de M. le duc de Caraman, à Beaumont. Relation, appendice, page 600.

[63] Lettre du 16 septembre, Relation, appendice, page 605.

[64] D'Hollander, 217-231.

[65] D'Hollander, 235-236.

[66] Cette pièce se trouve en entier dans D'Hollander, 242-253. Elle est précédée de ces lignes : Incontinent et à diligence Sa Majesté fit faire un mémoire pour advertir les Srs Darschot, de Bueren, et Hoochstraete, de ce que dessus, pour avoir sur icelluy leur advis, duquel mémoire la teneur s'ensuit.

[67] D'Hollander, 254.

[68] D'Hollander, 233.

[69] Lettre de Marie de Hongrie au seigneur de Gaesbeek, Maximilien de Hornes. Goethals, Dictionnaire généalogique et héraldique, art. de Hornes.

[70] Lettres des 19 et 22 septembre 1539. Appendice cité, 244, 245.

[71] Lettre du 23 septembre, Appendice cité, 245.

[72] Rapport du grand bailli à Marie de Hongrie, du 18 septembre 1539. D'Hollander, 282.

[73] Que l'on mette gardemengeurs ès maisons de Jehan Van Waesberghe, Lievin Donaes, Joos Seys, Lievin Lammens et Lievin Pin jusques à ce que leurs comptes soyent recollez, comme est ordonné par collace, pour recouvrer sur leurs plus apparans biens ce que l'en trouvera qu'ils seront redevables à la ville. D'Hollander, 269.

[74] S'en suivent les noms des fugitifs de Gand, mis à 600 carolus : Me Philippe van den Kathulle, Reynier van Oeffleghern, Jacob van Melle, Gillis Stalius, in den haut briel ; Me Joos Triest, Jan de Backere, filius Bartholomei ; Joos de Grave, Jan Van Eechaute et Willem de Ridde, buuter Waelpoorte ; Lievin Myte, Joos de Brune, Jacob Chuns, Gillis Stallius, op den Coornaert ; Jan de Block, Jan de Vettere, tusschen poorten ; Mr Willem de Waele, Mr Lievin Blomme, Jan Seys filius Joos ; Sebastien de Hane, Mr Jan Bart, Mr Jan de Zomere. D'Hollander, 280.

[75] Que on face aux despens du Beguinage Sainte Elisabeth un pont par dessus la rivierre, entre le Waelpoorte et les dunes, Duynen, pour y passer à long desdites dunes vers Trawit, et que on face nettoyer les dunes et fossez aux despens dudit Beguinage, veu qu'ils ont eu le prouffit desdites dunes de deux costés, et que on face abattre les arbres y croissans. D'Hollander, 270.

[76] Rapport du 18 septembre 1539.

[77] C'étaient Nicolas Triest, seigneur d'Auweghem, et Louis Bette, de la bourgeoisie, poorterye ; Liévin Beerick et Jean de Somere, des métiers, neeringhe ; Jean Sanders et Mathieu Van Deynse, des tisserands, weverye. Cort verhael.

[78] M. Henne, par inadvertance, dit que les députés étaient chargés de remettre à la gouvernante une copie de la formule de l'ancien serment, extraite du greffe du conseil provincial. C'était la formule du nouveau serment que Marie de Hongrie avait demandée ; celle de l'ancien n'était un secret pour personne. D'Hollander nous a donné la formule nouvelle ; nous la reproduisons : Nous jurons d'estre bons eschevins de notre redouté Sgr empereur, roi d'Espagne, Sr propriétaire et comte de Flandres, et ce de la kuere de ceste ville de Gand, et ce qu'il y appartient ; de conserver et faire conserver l'Église en ses droits ; d'estre bons et loyaux à notre redouté Sr, de conserver et faire conserver ses S1es, droits et hauteurs ; de garder et faire garder les privilèges, droiz et libertez de cette ville ; de garder vefves et orphelins en leurs droits, pauvres et riches, qui à nous le requerront, ce que ne delaisserons pour biens, amitié, parenté, ou autre cause, que le tueur pourroit penser, ou la bouche parler, selon notre sçavoir et pouvoir ; ainsy Dieu nous ayde et tous ses saints.

A cette formule les Gantois avaient joint un extrait prins au greffe de Flandres du serment que l'empereur a fait à sa réception au pays de Flandres et du serment fait à Sa Majesté par ceux de Gand. D'Hollander, 296.

[79] D'Hollander, 283.

[80] Philippe le Bel en 1301. Voici les mots du privilège, dit le commentateur de D'Hollander : Cil huit (eliseurs) ou la plus grant partie de eulx presenteront en la maison de eschevins ces vingt et six partit en deux treizeinnes à celuy qui en la ville sera de par nous se aucun y est, lequel pourra eslire les qui eux que il voudra des deux treizeinnes, pour demourer eschevins de ladite ville celle année, et les autres treize demourront conseillers de la ville celle année.

[81] D'Hollander, 302-327.

[82] D'Hollander, 328.

[83] D'Hollander, 328.

[84] D'Hollander, 330.

[85] D'Hollander, 331-338.

[86] D'Hollander, 339.

[87] D'Hollander, 341-348.

[88] D'Hollander, 349-360.

[89] D'Hollander, 365.

[90] D'Hollander, 367.

[91] D'Hollander, 368-370. — D'Hollander donne la liste suivante des échevins nouvellement élus : Messr Josse de Jongis (Joigny) Sr de Pamele, Mathieu de Deynse, Rogier van Zonnemare, Joncheer Anthonis de Luu, Me Gilles de Wede, Martin Volckaert, Jehan de Dixmude, Lievin Van der Haghen d'aude, George del Havelt, Lievin van Hucqueleghem, Jehan de Keysere d'oude, Franchois van den Haute, Jacques de Wulf filius Gilles. — Échevin des parchons : Jehan d'Hooghe D'aude huverterkin.

[92] D'Hollander, 371-378.

[93] Corl verhael. D'Hollander, 381.

[94] D'Hollander, 390.

[95] Lettre de la reine de Hongrie à Maximilien de Hornes, du 30 septembre 1539. Appendice, 254.

[96] Lettre de la reine de Hongrie à Maximilien de Hornes, du 30 septembre 1539. Appendice, 265.

[97] Lettres d'abolition et de pardon pour la ville de Courtrai. Ce document, extrait des archives de la chambre des comptes à Lille, registre aux chartes de 1538-1542, a été publié par M. Gachard. Appendice, page 409-418. — On lit, dans cette pièce, au sujet de ces chefs, qu'ils appellent en thiois hooftmans et bereckers, la déclaration suivante des échevins de Courtrai : Sont telz Hooftmans instituez de tout temps pour avoir la conduite et maniance des jeux de réthoriques et cérémonyes qui se font en l'honneur de Dieu, notre créateur, le jour du Saint-Sacrement, l'octave, et ès entrées et réceptions des princes du pays, et pour conduire semblables actes.

[98] Collégialement rassemblés avecq leurs chiefs, chascun en son quartier et wyck, se sont ingérez, conchevoir et couchier par escript divers articles séditieulx et plains de commotion, contre noz droix, auctoritez et prééminences, assavoir : que l'on must jus l'assyse qui se liève sur les thoiles et linges, et qu'il fast permis à chascun de pouvoir hanter le marchié de Courtray, en payant tant seullement le milthe ghelt, comme l'on paye à Yseghem ; semblablement, que l'on mist jus l'impost que l'on liève sur les filles, et que on leur baillast lecture et copie de tous et quelzconques privilèges de notre ditte ville, et que on les délaissast soubz la garde de tels que le commun choisiroit à ce ; et oultre ce, que aussy feust mis jus l'impost sur la petite cervoise, comme avoit esté fait à Gand et Bruges, si comme Hz disient, et que règle et ordre feust mis sur le marchié au bled, tant à ceulx qui auront à mesurer ledit bled que sur la mesure. M. Gachard. Appendice, page 409-418.

[99] Le peuple, rassemblé en grant nombre, se trouva sur la maison de la ville, cryant en tumulte et à haulte voix qu'ilz vouloient avoir la dite lecture, voyre aucuns cryèrent : Tuez, tuez, de sorte que linablement lesdits de la loy ont accordé tous lesdits articles, et, suyvant ce, feust incontinent transporté ung eschaufault, qui estoit dessouix un appointiz de la maison de la ville, où furent le lendemain apportez lesdits privilèges et lettraiges d'icelle ville, et leus en présence du peuple et commune, publiquement, de jour en jour, jusques que le tout feust achevé, et aussy y a esté assis guet du commun peuple, pour veiller et garder lesdits privilèges, que depuis, après ladite lecture, bonne et longue espace de temps, sur la maison de ladite ville, tant en armes que aultrement. M. Gachard. Appendice, page 409-418.

[100] Lettre de la reine au seigneur des Fossez, datée de Malines le 11 octobre, aux archives du royaume. Appendice, page 263. Le destinataire de cette lettre était, dit M. Gachard, François Vander Gracht, ou de le Gracht, ou des Fossez, écuyer, seigneur de Nalstede, châtelain et capitaine du château de Courtrai. A la fin de cette lettre, écrite à l'occasion de la commotion d'Audenarde, dont nous allons parler, la reine demande en quel estat sont les affaires en la ville de Courtray, mesmement si le soubz-bailli est encoires prisonnier, et ce que lesdits de Courtray lui vuelent imposer.

[101] Le 25 septembre 1539. La lettre est en original aux archives de la ville d'Audenarde. — M. Vander Meersch, d'Audenarde, a tiré, dit M. Gachard, des archives de sa ville natale plus de trois cents documents différents sur les troubles qui y éclatèrent en 1539. Ces pièces, recueillies avec un soin et une exactitude de bénédictin, sont transcrites littéralement dans huit cahiers de papier, auxquels il a donné le titre de Opstand der gemeente van Andenaerde, 1539-1549. M. Gachard a inséré dans l'Appendice souvent cité une analyse de plusieurs de ces pièces, en y ajoutant la note suivante. Nous devons à l'obligeance de M. Vander Meersch la communication de l'analyse raisonnée des pièces qui suivent. Les autres documents réunis par lui sont d'un intérêt purement local pour Audenarde et les environs.

[102] Lettre de Charles, comte de Lalaing, et de Philippe de Lalaing, sr d'Escornaix à la Reine, pour l'informer de ce qui se passe à Audenarde, du 6 octobre 1549 ; aux Archives du royaume. Appendice, pages 257-258. — Voici le récit de ces seigneurs : Madame, nous nous recommandons très humblement à la bonne grâce de Vostre Majesté. — Madame, samedy dernier, ung compaignon de cette ville s'avancha de venir à la belle-fille du borghemaistre lui demander après son beau-père, et, non content de sa réponse, le réitérant par aulcunnes fois, dict qu'il avoit cerge du même peuple de voloir avoir mis jus la maison où l'on rechoit les maletottes, et oussi d'en plus donner, par quoy a esté mis prisonnier en la maison de la ville. Hier, qu'il estait dimence et aussi ducasse en l'un des faubourgs, que lors les ivrognes s'avanchent le plus, y eult murmure en plusieurs lieus, et apparense que aulcuns se trouverent ensemble sur le soir, pour avoir ledit prisonnier dehors ; par quoy, nous retirasmes ensemble avecques le bally, borghemaistre et aulcuns autres, pour voir qu'il seroit de faire, et avisasmes de démener l'affaire par le bon moieu, de sorte que l'on vint prier pour luy, ad fin qu'il peulsist estre eslargy, che que fust faict. sur promesse de se venir rendre prisonnier, quant on voldra. Il est. comme entendons. un povre yvrogne et sans grand esprit, et fust enhorté d'aulcuns, la plupart estrangiers, pour ce qu'il est hardi pallier, quant il a bu : a promis au Lally d'estre saige et de venir =mener ceulx qu'il sçaura davantaige estre mauvais. — Madame, s'il samble à Vostre Majesté qu'il vault mieulx en faire aultrement, le polra mander ; quant à sa personne, il n'y a point grand dangier estre dehors, car il est bien recouvrable, et aulcuns autres qui polrient avoir plus mésusetz. A quoy, les choses estantes comme elles sont, ne sommes plus avant avanchés, que Vostre Majesté ne le nous ordonne ; 'et en ce cas plaira aussy à Vostre Majesté avoir regard s'il vauldroit mieulx les mettre céans au chasteau, ou en la prison de la ville. Ils seriont céans plus seurement : mais, au contraire, polroit sambler dangier que, en cas de sédition, on ne courrat sus à la loy, à cause de la bourgoysie, avecques que le borghemaistre est des menues gens fort hey, et, si la chose commence une fois ichi, est grandement à craindre qu'elle sera plus dangereuse que aux petites villes voisines. Il y a grand peuple, et beaucolp de mauvais, comme entendons, s'ils estiont une fois esmeus davantaige. Entre les aultres y a beaucolp de rites : par quoy les povres, s'il venoit jusques là, y trouveriont bien à pêchier. — Madame, Vostre Majesté nous polra commander son bon plaisir. Et, sur ce, prions Dieu vous donner très-bonne et longhe vie. D'Audenarde, ce Vie d'octobre. — Vos très-humbles et très-obéissans serviteurs, C. De Lalaing, P. De Lalaing. — A la Royne.

[103] Lettre de la reine du 11 octobre citée plus haut. Nous vous tenons adverti de la commotion advenue à Audenarde, et que les Srs de Lalaing et d'Escornaix ont esté, pour ung tamps, comme assiégés au chasteau dudit Audenarde. — Comme aux derrenières émotions des Flandres, monsieur de Courrière estoit adverti que par le peuple d'Audenaerde le chasteau d'Audenaerde estoit assiégé tellement que te sieur d'Escornaix et le sieur de Lalaing estant audit chasteau ne povoient vuider, ledit seigneur de Courrière envoya en poste à Malines, le VIIe d'octobre XXXIX, le lieutenant de ce bailly pour advertir la royne afin de faire provision et assistance auxdits seigneurs. Compte de G. du Bosch. Citation de M. Henne.

[104] D'Hollander, 392.

[105] D'Hollander, 393-398.

[106] Lettre du comte Charles de Lalaing à la reine, du 10 octobre 1539. Appendice, p. 262.

[107] Lettre du 11 octobre. Appendice, 701.

[108] Lettre du 12 du même mois. Appendice, 702.

[109] Rapport du bailli d'Ypres, du 22 octobre 1539. Appendice, p. 277.

[110] Lettre de la reine au magistrat de la ville de Lille, du 11 octobre 1539, aux Archives du royaume, Appendice, p. 265-266. — Cette lettre est très intéressante ; nous la reproduisons : Marie, par la grâce de Dieu, etc., régente. — Très-chiers et bien amés, pour ce que continuelement avons advertence, de divers lieux, que les povres gens et aultres de petit estat et de mauvais gouvernement murmurent contre les loix et aultres ayans estat et gouvernement de la choise publique, sarchans occasion de eulx povoir eslever contre leurs suppérieurs et piller les cloistres et aultres riches, nous, désirans en ce pourveoir, vous requérons et, de par l'Empereur, notre seigneur et frère, ordonnons bien et acertes, tant pour son service que pour vostre propre bien, faire prendre bon regardt que, en la ville de Lille, nulles parolles sédicieuses ne se sèment, ou Lacent aucunes assemblées illicites ; et, si aulcuns soyent trœvés faisans le contraire, que en faites faire extrême et rigoreuse justice, à l'exemple de tous en icelle ville ; en oultre, que vuellés faire renouveller le serment des confrairres du serment en icelle ville, et qu'ilz jurent à leur povoir défendre et em.pescher toutes assamblées du commun peuple, et qu'ilz feront ce que par vous leur sera ordonné ; avecq ce, de révéler et donner à cognoistre tous ceulx qui pourront entendre porter aulcunes paroles sédicieuses, ou tendre à faire assemblées et commotions ; et au surplus, que vuellés bien et soigneusement poerveoir que inconvénient n'adveigne en ladite ville, selon que par vostre serment estes tenus de faire, et comme en avons nostre confidence, et nous advertir de ce que fait en averez. A tant, chiers et bien ainés, etc. de Malines, le XIe d'octobre. Aux mayeur, eschevins et conseil de la ville de Lille.

[111] Lettres des 24 septembre et 7 octobre ; Appendice, p. 606 et 610. Dans la première de ces lettres adressées au duc d'Arschot, Marie lui écrit : Touchant les deux cordeliers arrestez illecq, m'a semblé et aux bons personnaiges estans lez moi, attendue la vacillation d'iceulx cordeliers, ensemble qu'ilz disent avoir eu leur licence tant seulement de bouche, sans aucun escript ny enseignement, que est contre la forme et stil de leur religion, et partant chose grandement suspecte, que ferez très-bien d'envoyer à diligence audit Haspre quelque personnaige discret et entendu, pour derechief les interroger bien am_ plement et de plus près, et regarder s'ils n'ont aulcunes escriptures, ou quelque chose notée en leurs bréviaires, afin d'enfoncer leur intention et vérité de l'affaire. — Elle dit dans la seconde : Mon cousin. je vous requiers ordonner aux dits cordeliers que incontinent et sans délay ilz se trœuvent vers moy en ceste ville de Malines, venant toujours le droict chemin, et sans détourner du costé, selon que par escript leur limiterez ledit chemin de lieu à aultre, pour les faire encoires interroger et après y résouldre, comme verroy convenir.

[112] Appendice, 274. — Voici la lettre de la reine : Voyant l'estrange conduite et désobéissance de ceulx de Gand, nous avons ordonné au capitaine du chasteau de Replemonde mettre certains falloz au plus hault dudit lieu. Et, pour ce que nous désirons savoir combien il en y avera mis à chascune foiz, nous vous requérons que, pour le service de l'Empereur, mon seigneur et frère, veuilliez donner ordre que de mettre uni ; guet ou deux sur la tour de l'église de St-Rombault, pour y estre continuellement nuyt et jour, et y mettre aussi autant de falloz qu'ilz veront audit Replemonde, ne plus ne moins, toutes et quantes fois que le cas adviendra ; et n'y veuilliez faillir. De Bruxelles, le XIX d'octobre XVe XXXIX. Aux communemaistres et eschevins de la ville de Malines. Aux Archives du royaume.

[113] D'Hollander, 409-415. — Voici les deux premières résolutions adoptées par l'assemblée : Que on devroit faire cesser le revenu de la Reyne tant qu'elle auroit livré en la ville de Gand les fugitifs qui sont avec elle ; que on face retirer du plat pays tous vagabonds et gens de guerre ; pour ce mieulx effectuer, que on accorde aux paysans le son de la cloche.

[114] Appendice, 424.

[115] Appendice, 418-422.

[116] Appendice, 427.

[117] Appendice, 434.

[118] Relation des troubles.

[119] D'Hollander, 426. — A Jehan de Waudripont, escuyer, la somme de vingt livres, pour, à l'ordonnance de la reine, avoir fait deux voyages, tant de nuict que de jour, au château de Gavre, du temps que les paysans estoient devant. Compte de la recette générale, octobre 1539. Citation de M. Henne.

[120] En 1539 Maëstricht fut le théâtre d'une lutte sanglante. Le 22 septembre, le mayeur avait fait arrêter un bourgeois nommé Pierre Frambach. Les jurés de la commune, s'appuyant sur leurs privilèges, s'opposèrent à l'incarcération du prisonnier. es bourgeois, prenant parti pour les jurés, sonnèrent le tocsin, coururent aux armes et attaquèrent les gens du mayeur, qui fut tué dans le combat, ainsi que le bourgmestre Prent, accouru pour le soutenir. L'effervescence se calma difficilement. A cette nouvelle, Marie de Hongrie ordonna au prince d'Orange de diriger sur Maëstricht les troupes qu'il avait été chargé de lever contre les Gantois et lui conféra des pouvoirs extraordinaires pour châtier les rebelles. L'évêque de Liège, de son côté, se rendit à Maëstricht, et une commission mixte fut instituée pour informer sur ces troubles. La répression fut terrible. Sept bourgeois furent condamnés et exécutés ; on exposa les cadavres sur des roues. Un arrêt du 12 décembre, émané d'Érard de la Marck et de René de Nassau, condamna la ville à une forte amende ; elle dût en outre expier, par une amende honorable et par une cérémonie annuelle, le meurtre du mayeur Goër et du bourgmestre. Charles-Quint réduisit l'amende à deux mille florins, mais il maintint la cérémonie expiatoire consistant à allumer tous les ans, la veille de la Saint-Martin, des feux dans les rues et sur les places publiques.

[121] D'Hollander, 439.

[122] La ville de Ninove obtint des lettres d'abolition de l'Empereur. moyennant une amende honorable et une peine pécuniaire. Ces lettres, datées de Bruges au mois de juillet 1540, sont reproduites dans l'Appendice de la Relation des troubles, pages 407-409.

[123] D'Hollander, 436-437.

[124] D'Hollander, 445-446.

[125] Comme s'ils eussent été princes, dit le chanoine D'Hollander.

[126] D'Hollander, 467-468.

[127] Propos tenu à Audenarde par Willekin Demey, et dont il fut accusé par ses complices. Enquêtes criminelles, interrogatoire de Guillaume Demey du 5 mars 1539 (vieux style). — M. Steur, page 95, en note.

[128] Ces échevins sont ainsi nommés dans les documents de l'époque jonkheer Jacob Van Dervarent, jonkheer Jan Van Siclyn, Adriaen Vanderstraeten, jonkheer Jacob Vanden Bosselle, filius Adriaen, jonkheer Jacob Van Quiekelberghe, Jooris De Corte d'oude, Pieter Gastet en jonkheer Philippe Elias, heer van Huddeghem. M. Steur, p. 96.

[129] Appendice, p. 252.

[130] C'est D'Hollander qui le dit. Il dût s'arrêter bien peu, car ses instructions étaient datées du 20 octobre, et ce n'était certes pas trop de dix jours à cette époque pour faire le voyage de Madrid à Gand.

[131] Lettre d'un inconnu à Antoine de Croy, seigneur de Sempy, du 2 novembre 1539. Appendice, p. 283.

[132] Instruction pour le comte du Reulx Me d'hostel de l'empereur de ce que à son arrivée en Flandres il aura à dire et remonstrer à ceux de la ville de Gand en vertu des lettres de credence de sa Majesté qui lui seront délivrées. — D'Hollander, 451-459.

[133] Relation des troubles de Gand, pages 31-32.

[134] Relation des troubles de Gand, pages 31-32.

[135] Les bourgeois forains de Gand devaient payer annuellement pour leur bourgeoisie 36 gros, monnaie de Flandre, moitié pour la ville, moitié pour le souverain. Compte de Liévin Lyns. Citation de M. Henne.

[136] Enquêtes criminelles, interrogatoire de Willekin Demey. Steur, page 88.

[137] D'Hollander, 472.

[138] D'Hollander, 472-473.

[139] Des bandes furieuses, dit M. Henne, saccageaient des couvents. VII, 14. — Rien que nous sachions, dans les documents contemporains, n'autorise à affirmer qu'on soit allé à cet égard au delà de la menace.

[140] Cort verhael.

[141] Cort verhael, et Relation des troubles.

[142] M. Steur, pages 103, 104.

[143] Relation des troubles, p. 36.

[144] Cort verhael, LVI.

[145] Relation des troubles, pages 39, 40.

[146] Comptes d'Antoine de Berghes et du duc d'Arschot. Citation de M. Henne.

[147] Cort verhael.

[148] Tout au moins ses conseillers les plus intimes l'y engagèrent. Voir une lettre très curieuse du seigneur de Granvelle à la reine douairière de Hongrie, écrite le 6 décembre 1539. Appendice, p. 305. Ceulx de Gand font plus de doulx à ceste heure, pensant par ce bout eschapper, écrivait la reine Marie à l'empereur le 16 novembre.

[149] Le rapport de cet agent, rédigé en flamand, se trouve dans l'Appendice de M. Gachard, p. 645.

[150] Le principal ministre espagnol, le grand commandeur Francisco de Los Covos, contribua beaucoup avec Granvelle à faire adopter par l'empereur le parti auquel il se fixa. Du reste, comme le remarque M. Gachard, aux Pays-Bas mêmes, où la venue de l'empereur était tant désirée, sa détermination de traverser la France excita des inquiétudes. La reine lui écrivait, le 15 octobre, qu'elle ne la trouvait estre sans grant hasard. Le 21 du même mois, elle lui mandait qu'elle en avait donné connaissance aux principaux seigneurs et bons personnages étant auprès de sa personne. Tous, ajoutait-elle, ont esté resjoys et confortez de l'espoir que donnez de vostre briefve venue, mais non sans grande crainte du hasard de vostre passaige, lequel ilz pèsent fort. (Archives du Royaume). M. Gachard, Biographie nationale.

[151] François Bonvalot, abbé de Luxeuil et de Saint-Vincent à Besançon, était beau-frère de Granvelle. La protection de celui-ci l'avait fait nommer conseiller et maître des requêtes du conseil privé ; mais il dut à son aptitude aux affaires d'être chargé d'importantes missions, et Charles-Quint lui accorda une grande confiance. Dans une instruction secrète adressée à son fils Philippe, en 1545, ce prince disait : Après Granvelle je ne connais personne de plus capable en ce genre que Bonvalot. Il travaille comme lui à l'avancement de sa famille, mais il n'a guère moins de capacité, d'expérience et de dignité. M. Ch. Weiss, Notice préliminaire aux Papiers d'état de Granvelle.

[152] Lettre de Francisco de Los Covos et de Granvelle à l'ambassadeur, du 27 septembre 1539. Appendice, p. 249.

[153] Lettre de Charles-Quint à la reine de Hongrie, du 30 septembre. Appendice, p. 252.

[154] Il avait été question qu'André Doria viendrait se mettre à sa disposition, dès que Barberousse aurait quitté la mer.

[155] Appendice, p. 258, et Papiers d'état de Granvelle, II, 540. L'original de cette lettre entièrement de la main du roi est aux Archives du royaume de France, K. 1382, B 31. Citation de M. Gachard.

[156] Lettres de la même date, Appendice, p. 260 et 261.

[157] Lettre du 17 octobre, Appendice, p. 273.

[158] L'un et l'autre en date du 5 novembre 1539. Papiers d'état de Granvelle, II, 542-549.

[159] Description des voyages, faicts et victoires de l'empereur Charles, Ve de ce nom, escipt de la propre main de monsieur de Herbays, manuscrit de la Bibliothèque nationale, à Madrid. Citation de M. Gachard.

[160] Journal de Vandenesse.

[161] Rapport de Liévin de Tollenaere du 29 décembre 1539. Appendice, p. 645. — Ce rapport est en original aux archives de Gand ; il contient de curieux détails sur les préparatifs faits à Paris pour la réception de l'empereur. — M. Gachard a publié dans l'Appendice de la Relation des troubles de Gand, pages 653-658, un récit espagnol très curieux et très détaillé du voyage de l'empereur, depuis le 21 décembre 1539, jour de son départ d'Odéons, jusqu'au 7 janvier 1510, jour de son départ de Paris. Cette relation est extraite d'un manuscrit de la Bibliothèque nationale de Madrid ; on y lit au sujet de l'Hercule de plus haut : Dieron a la Majestad, en Paris, un Hercules de plata, que tenia en les manos las dos calanas con el plus ultra amaryllo byen hecho. Dicen que pese quynyentos marcos de plata. On sait que cet Hercule, donné en cadeau par Charles-Quint au comte de Boussu, orna longtemps l'une des salles du château de ce nom.

[162] Lettre de la reine au duc d'Arschot, du 2 janvier 1540. Appendice, p. 319.

[163] Lettre du 31 décembre 1539. Appendice, p. 316.

[164] Journal de Vandenesse.

[165] Relation des troubles, p. 55.

[166] Instruction pour les députés de la ville de Gand chargés d'aller au devant de l'empereur. Appendice, p. 660-662. — Cette instruction datée du 11 janvier I559 (1540, n. st.), est écrite en flamand ; après le texte français du discours, que nous reproduisons littéralement, suit une translation flamande.

[167] Relation des troubles, 59.

[168] Le Cort verhael dit cependant qu'ils furent reçus très amicalement, seer vriendelyck, par l'empereur.

[169] Relation des troubles, 61.

[170] M. Steur, p. 118 en note.

[171] Journal de Vandenesse.

[172] Nous lisons, dit M. Gachard, Appendice, p. 55 en note, dans une lettre des conseils privés et des finances, adressée à la reine Marie, en date du 13 janvier 1540, que c'était en vain que le receveur général des finances et messire Rombaut des Taxis, maitre des postes, s'étaient rendus à Anvers, pour solliciter des marchands un prêt de 20.000 ducats dont Charles-Quint avait écrit qu'il avait besoin en France. Ils n'avaient pu y recouvrer un seul denier. Voy. aux Archives du royaume, le registre intitulé Troubles de Gand, 1537-1542, fol. 109.

[173] Comptes d'Antoine de Berghes. Citation de M. Henne.

[174] Lettre de la reine du 26 janvier 1540. Appendice, 337. Ces troupes, qui arrivèrent bientôt, furent provisoirement laissées à Gembloux. Comptes du même.

[175] Lettres du 11 janvier. Appendice, 330, 331.

[176] Compte de J. Van den Daele, janvier 1510. Citation de M. Henne.

[177] Lettre du 11 janvier. Appendice, 333.

[178] Compte de la recette générale. Citation de M. Henne.

[179] Ordres du 11 janvier, donnés au seigneur de Beveren, au receveur de Bewesterschelt et au capitaine de Gravelines. Appendice, 332.

[180] Ces Allemands étaient au nombre exact de 3.190, d'après la lettre de l'empereur au cardinal-archevêque de Tolède, du 14 février 1540.

[181] Appendice, p. 67.

[182] Cort verhael.

[183] Cette bonne attitude des Gantois est confirmée par une lettre de l'empereur lui-même, écrite de Gand le 14 février au cardinal-archevêque de Tolède. Appendice, 668. Cette pièce, en espagnol, a été tirée par M. Gachard des archives de Simancas.

[184] Relation des troubles, p. 63-64. — Le lecteur verra avec plaisir la description de la ville de Gand, que nous lisons dans cet écrivain contemporain, p. 72 : C'est une ville fort belle, grande, puissante et ample, bien amaisonnée et propice à logier tel et si grant nombre de peuple et noblesse ; on y eult encoires logié beaucoup davantaige, s'ils y eussent esté, et chascun bien à son ayse et selon son estat et qualité. C'est la plus belle et ample ville de la chrestienneté, bien furnie de belles eauwes et rivières, et où il y a fort bon ayr, en laquelle y a aussy beaucoup de belles maisons et logis, lesquelles sont assez (superlatif comme l'assai italien) meublées, parées et esquippées : au moyen de quoy les estrangiers estoient fort bien honnestement logiés et traictés pour leur argent, et est ledit peuple de Gand assez gent (gracieux) et curieux en leurs mesnaiges, et principallement d'avoir du beau et blanc linge, et n'y eult nulle faute d'aucuns vivres, ne pour les gens ne pour les chevaulx, et avait chascun ce qui sçavoit désirer et souhaiter, moyennant son argent, et assez à raisonnable pris, (pli fut une fort belle chose, et de quoy lesdits estrangiers se donnoient bien grant merveille, et eussy de la grandeur et ancienneté d'icelle ville et où beaucoup d'anticquités s'y voyent...

[185] A Fransois de Pottelsberghe, sieur de Vinderhoute, capitaine du Vielchastel de Gand, appelé 's Gravesteen, pour, par ordonnance de monseigneur le gouverneur général de Flandre et d'Artois, comte de Rœulx, à la venue de l'empereur en icelle ville de Gand, en l'an XVc trente-neuf, avoir mis audit chasteau certaine garde de gens l'espace de onze mois et achapté certain nombre de hallebardes, bois, chandelles, lanternes et aultres choses nécessaires à y faire le guet. Compte-rendu par Josse Van den Hecke, des biens confisqués à l'occaesion des esmotions advenues en l'an XVc trente-neuf. Archives du Royaume. Citation de M. Henne.

[186] Cort verhael, LXI.

[187] Cort verhael, LXI.

[188] Relation des troubles, p. 66.

[189] Cort verhael.

[190] Lettre de l'empereur à ses officiers dans les villes de Flandre et de Brabant. Appendice, 343. — Le haut bailly ayant receu lettres de Sa Majesté luy ordonnant de prendre garde en son quartier, pour adtraper certains fugitifs de la ville de Gand, pour soy acquicter et diligenter les affaires, envoya lettres closes au bailly de Menyn, affin d'aussy prendre soin et garde en son quartier. Compte de 1539-1541, n° 13822. Citation de M. Henne.

[191] M. Sueur, 122, en note.

[192] Cort verhael.

[193] Relation des troubles, p. 73 et 74.

[194] Relation des troubles, p. 74, 75, 91.

[195] Appendice, p. 345.

[196] Cort verhael.

[197] Voir la note à la fin du chapitre.

[198] C'estoit, dit un témoin oculaire, une fort belle chose à veoir, la noblesse et grande richesse des princes et seigneurs d'Allemaigne, tant à cause de leurs belles fourures de martres sables (zibelines) que de grosses chaines d'or fin qu'ils poitoient à leur col de plisseurs doubles, et aussy des perles et pierres précieuses que aussy ils portoient sur eulx, tant à leurs bonnets que ailleurs, en grande abondance. Relation des troubles, p. 67.

[199] Si les dits de Gand, c'est l'auteur de la Relation des troubles qui parle, se feussent ainsi seulement submis en sa grâce (de l'empereur), en confessant tous leurs tors et fourfaits, sans faire ne bailler nulles excuses, ils eussent beaucop mieulx faits, et en eussent eu plus doux, gracieux et legier appointement qu'ils n'eurent, mais il faut extimer que le plaisir de Dieu estoit tel, qu'il voulloit leur grain orgœul estre du tout abatu et mis à bas. P. 77.

[200] Bancquebieres, en flamand bier-bancke. Ce mot que Kiliaen traduit par sedile potorium semble équivaloir, dit M. Gachard, à l'expression française pilier de cabaret.

[201] Relation des troubles, p. 76-80.

[202] Relation des troubles, p. 79-82.

[203] Relation des troubles, p. 82.

[204] Relation des troubles, p. 83. — Voir, à l'Appendice, p. 352-357, l'inventaire des titres et documents produits par ceux de Gand contre le procureur général de l'empereur. Cette pièce, datée du 10 mars et signée Bave, secrétaire ordinaire de l'empereur, repose en original aux archives de la ville de Gand, coffre de fer, layette A.

[205] L'un des commis aux biens et revenus de la ville de Gand par les mutins, durant le temps de leurs commotions, homme ayant honnestement à vivre. Relation des troubles, p. 88.

[206] La Relation le qualifie ainsi que le suivant tous deux povres honnestes hommes. Relation des troubles, p. 90.

[207] De son stil (métier) phèvre (forgeron, serrurier), lequel n'estoit guerres riche ; néantmoins il avoit fait en sa maison munition de quelque nombre et quantité de hacquebuttes et aussi de hallebardes et armures, qui furent trouvées en sadite maison, lorsque se- ; biens furent saisis et inventoriés comme confisqués. La cause pour quoy il avoit lesdites munitions de guerre, l'on ne scet, mais fait plus tost à présumer le mal que le bien, en tant qu'il ne se mesloit de tel stil ne marchandise, et que lesdites munitions estoient bien mises secrètement en sadite maison. Relation des troubles, p. 89-90.

[208] Filz d'un riche bourgois de l'ancienne bourgoisie de la ville, lequel estoit encoire jeune homme à marier et advocat postulant en la chambre du conseil de Flandres, laquelle résidoit et avoit son siège à Gant. Relation des troubles, p. 89.

[209] Qui avoit esté commis par le peuple grant doyen,' au lieu de celluy qui se absenta de la ville, lequel Liévin estoit officier de l'empereur et le servoit en l'estat de maistre de ses ouvraiges en sa ville de Gand et à l'environ, au quartier d'icelle, ayant aussi honuestement biens, lesquels il avoit la pluspart gaignié au service de Sa Majesté, de son maistre carpentier. Relation des troubles, p. 89.

[210] Homme de stil assés povre. Relation des troubles, p. 89.

[211] Qui fut fait grand doyen, quant ceulx de la ville voullurent avoir la loy d'icelle renouvellée, aussy homme ayant assés de quoy. Relation des troubles, p. 89.

[212] De son stil orphèvre ; qui s'estoit fait nommer capitaine Rinc (de cercle) ; homme de moyen cage, fort bien enlangaigié ; ayant eu moiennement biens temporels, mais il les avoit la pluspart dissipés ; il estoit homme légier et fort à son plaisir. C'estoit celtuy qui avoit esté à Coudray, Audenarde, Bruges, Ippre, Tournay et en plusieurs autres villes et bourgades du pays de Flandres, au commencement de leurs commotions, affin de les suborner et séduire à faire chascun en son quartier le samblable, et se joindre avec ceulx de Gand, à quoy il se emplois bien fort ; et en feist bien ses devoirs vers ceulx qui estoient samblables à luy èsdites villes, et ne tint point à luy que les habitans d'icelles ne s'y joindirent. C'estoit ung des principaux capitaines des mauvais mutins ; car chascun luy donnoit audience en la ville de Gand, quant il parloit, car, par son beau parler, il les atiroit à croire ce qu'il leur disoit, et pensoit le commun peuple que ce fust toute vérité. Relation des troubles, p. 89.

[213] Appendice, p. 358.

[214] M. Gachard a reproduit les neuf sentences d'après un manuscrit de la Bibliothèque de Bourgogne, Appendice, p. 359-361 Les cinq premières sont rédigées en français, les autres en flamand. Nous donnons la première comme specimen : Veu le procès criminellement instruit, par ordonnance de l'empereur, par devant les commis de Sa Majesté avec ceulx de la loy de ceste ville de Gand, altencontre de Laurent Claes, à présent prisonnier, chargié d'avoir publicquement soustenu que l'acte de l'an XVc XV, signé de par Sa Majesté, estoit desraisonnabte et subreptive. l'appellent par grant irrévérence calfvel, et avec ce avoir esté le premier qui en a embouché le commun, et donné occasion et consentement qu'il a esté publicquement et à grant schandale deschiré, et autres crismes et délicts dont est apparu par le procès, tant par la confession dudit prisonnier, que autrement et tant que pour souffire ;

Sa Majesté déclaire ledit Laurent Claes estre encouru et encheu és crismes de sédition et lèse-majesté, le condemne partant à estre mis au dernier supplice, et d'estre exécuté par l'espée ; et si déclaire tous et quelconques ses biens confisquiés au prouffit de Sadite Majesté. Protioncié audit Gand, le xvir jour de mars l'an 1539.

[215] Le Cort verhael ajoute quelques détails assez tristes. Appendice, p. LXIII-LXIV.

[216] Voir, Appendice, p. 679, la Requéte des échevins de Gand à l'empereur, pour obtenir mainlevée des biens des Gantois qui avoient eté exécutés, avec l'apostille de S. M. I. L'original de la pièce, du 20 avril 1540, est aux archives de la ville de Gand. L'apostille est ainsi conçue : Les supplians ne sont fondez en ce qu'ils requièrent, attendu les qualités des délicts. Signé : Bave.

[217] Relation des troubles, p. 90, 91.

[218] Relation des troubles, p. 92-93.

[219] Relation des troubles, p. 93-95.

[220] Si, dit-il parlant de lui-même, cest auteur n'y eust esté depuis le commencement de la venue de l'Empereur en la ville de Gand, jusques à son département d'icelle, il ne l'eust sceu bonnement croire, mais il y fut tousjours depuis ledit commencement jusques en la fin, et partant il véist tout ce qu'il y advint.

[221] Il termine ainsi sa narration : L'auteur prie à ceulx qui liront ou orront lire ce livre, que, se à leur samblant il est composé en trop rudde langaige, ou par trop prolixe, et que une chose y soit souvent résumée (reprise) deux ou trois fois, qu'il luy soit pardonné, car il l'a fait au mieulx que possible luy a esté, et selon le petit sens que Dieu luy a presté, et par manière de passe-temps et mémoire cy-après.

[222] Voir A. Van Lokeren, Histoire de l'Abbaye de Saint-Bavon et de la crypte de Saint-Jean, à Gand ; Gand, 1855, in 4°. — On lit, page 170 de cet ouvrage : Le 22 avril, l'empereur fit tracer en sa présence le périmètre d'une citadelle dans l'intérieur de S. Bavon. L'abbé Luc Munich et ses chanoines, informés de ce projet, vinrent se jeter aux pieds de l'empereur sur la voie publique, pour le supplier de vouloir épargner leur seigneurie. Seigneurs de S. Bavon, leur répondit-il, jusqu'à cette heure mes projets ne sont pas arrêtés. Mais dès le lendemain, l'abbé fut mandé au palais, où il se rendit avec seize de ses chanoines. Charles-Quint lui annonça qu'il n'avait trouvé aucun emplacement plus favorable que le quartier de S. Bavon pour la construction d'une citadelle ; qu'il l'engageait à se résigner, attendu que sa décision était irrévocable. Dès le jour suivant, il publia des lettres-patentes pour faire connaître qu'après mûre délibération avec son conseil privé, il avait décidé de construire un château bastionné dans le quartier de S. Bavon et de confier la surintendance de ces travaux à messire Adrien de Croy, comte du Rœulx. — L'évêque de Tournai, Charles de Croy, ne crut pas devoir s'opposer à la demande qui lui avait été adressée de démolir l'abbaye de S. Bavon et toutes ses dépendances, ainsi que l'église paroissiale de S. Sauveur, qui venait à peine d'être restaurée. Paul III approuva également l'autorisation qui avait été donnée par Alexandre Farnèse, son légat, de faire procéder à la démolition de ces édifices.

[223] L'instrument diplomatique de cette transformation des moines bénédictins de Saint-Bavon en chanoines séculiers par le pape Paul III et les pièces y relatives se trouvent dans Mirœus, Opera diplamatica, II, 1051-1065.

[224] Relation des troubles, p. 100-109.

[225] Compte du duc d'Arschot, f° XLII. Citation de M. Henne.

[226] M. Van der Mersch, La ville de Gand considérée comme place de guerre, dans les Mémoires couronnés par l'Académie, t. XXV.

[227] Appendice, 368.

[228] M. Van der Mersch, La ville de Gand considérée comme place de guerre.

[229] Compte de la recette générale. Citation de M. Henne.

[230] Relation des troubles, p. 109-110.

[231] M. Henne, tome VII, p. 74-75.

[232] Cort verhaet, LXV, LXVI.

[233] Relation des troubles, p. 112-134. Les préliminaires et la sentence elle-même occupent, on le voit, un espace trop considérable pour que nous puissions les reproduire intégralement ; nous en donnons l'analyse d'après MM. Henne et Kervyn.

[234] La sentence de Charles-Quint existe en double original, l'un en français, l'autre en flamand, aux archives de la ville de Gand. Tous deux, écrits sur parchemin, sont scellés du sceau de l'empereur et portent sa signature. M. Gachard croit que le texte français est le texte primitif.

[235] De là le sobriquet de stropdragers appliqué aux Gantois.

[236] Le fossé nommé vulgairement et par corruption Rytgracht, Rietgracht et Grietgracht, se doit nommer Bevryt-Gracht. C'est un ancien fossé large et profond, en forme de ligne, qui par un grand contour enferme les faubourgs de la ville, des hameaux, etc. Les Gantois l'ont fait creuser à grands frais et travaux pour leur défense. tin croit que ce fut sous la dictature de Jacques d'Artevelde, ruart ou chef des Gantois et de leurs alliés en 1337, ou environ ce temps-là. Note (34) du Mémoire de Jean D'Hollander, dans les Analecta belgica du chanoine Hoynck van Papendrecht, t. III, p. 2da, 362.

[237] Le texte entier de cette ordonnance, comprenant soixante-quinze articles, se trouve dans la Relation des troubles de Gand, p. 134-153.

[238] Voir notre Histoire, tome VII, pages 494, 495. — La Relation des troubles de Gand contient une description très curieuse de cette fête et des scandales auxquels elle donnait lieu, pages 103-107.

[239] Relation des troubles, p. 153.

[240] Relation des troubles, p. 155-159.

[241] Voir les sentences de ces cinq condamnés, Appendice, p. 371 et suivantes La profession des quatre derniers n'y est pas indiquée.

[242] Tous ces ouvrages ne furent pas démolis. Ainsi l'on conserva la porte de la Poterne, celle de Brabant appelée Braempoorte, qui subsista jusqu'en 1562 ; la Waelpoorte et la Ketelpoorte, qui ne furent démolies qu'en 1580. Diericx, Mémoires sur la ville de Gand, II, 244, 302.

[243] Cort verhael.

[244] Lettres d'abolition et pardon pour la ville d'Audenarde, juin 1540. Appendice, p. 399-402.

[245] Lettre d'abolition pour la ville de Ninove, juillet 1540. Appendice, p. 407-409.

[246] Lettres d'abolition et pardon pour la ville de Courtrai, 17 juillet 1540. Appendice, p. 409-418.

[247] Ordonnance du 27 juillet 1510, Appendice, p. 420.

[248] Placards de Flandre, II, 306.

[249] Ordonnance du 6 novembre 1540, Appendice, p 438.

[250] Cort verhael.

[251] Cort verhael.

[252] Relation des troubles de Gand, 165.

[253] Compte de la veuve de Daniel de Stoppelaere. Citation de M. Henne.

[254] Compte de J. Van den Hecke. Citation de M. Henne.

[255] Ms. cité par M. Voisin, Notice historique sur la ville de Gand.

[256] Compte de J. Van den Hecke.

[257] Déclaration de l'empereur, qui accorde aux .Gantois une réduction sur les sommes qu'ils devaient lui payer. 18 juin 1540. Appendice, p. 392.

[258] Lettres patentes du 7 juillet 1540. Appendice, p. 684.

[259] Appendice, p. 421.

[260] Rapport du 8 septembre 1540. Appendice, p. 428.

[261] Compte de la veuve de D. de Stoppelaere.

[262] Un arrêté royal du 21 décembre 1847 a ordonné la démolition des ouvrages encore existants de cette vieille citadelle ; la démolition a été terminée en 1852.

[263] Histoire de Flandre de M. Kervyn, VI, 124.

[264] Lettres patentes du 7 mars 1541. Appendice, p. 692.

[265] Le 8 avril 1543. Reg. au dép. et mand. des finances, n° 20736. Citation de M. Henne.

[266] C'est la partie du sas de Gand qui s'étend de cette ville, par Langerhrugge, jusqu'à la Maison rouge, Rooden Huyse, autrefois Terlicht. Elle avait été cédée à la commune, le 26 août 1329, par Marie, châtelaine de Gand, femme du vicomte de Melun. Le 26 mai 1547, la commune fut autorisée à creuser l'autre partie de ce canal, située entre la Maison rouge et la digue de mer, dite aussi Joos flamerlince. Dyk. Les premières pierres de l'écluse de mer dite zoute Spui, et de l'écluse intérieure dite zaete Spui, furent posées le 29 août 1551. Reiffenberg, Archives philologiques, IV, 172.

[267] Placards de Flandre, II, 198, 283 ; III, 198. Édits du 14 février 1541 et du 7 mars 1543.

[268] Placards de Flandre, II, 300.

[269] Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, tome VII, pages 115, 116.

[270] Mémoire sur les troubles de Gand de 1540, p. 138.

[271] L'empereur donna audience à ces envoyés à Gand, le 24 de février. Sleidan, l. XII. Note de M. Kervyn.

[272] Greg. Leti, I, p. 541. Note de M. Kervyn.

[273] Histoire de Flandre, tom. VI, pages I25, 126.

[274] Pieuse dans le sens antique du latin : Et pius est patriæ facta referre labor.

[275] Évidemment, dit-il, il existe chez nos populations flamandes du seizième siècle une tendance funeste à un abaissement moral, conséquence inévitable de l'abaissement politique : Les vieillards, écrivait Meyer, prétendent que tout est changé dans les mœurs de notre nation, et ils se plaignent qu'à des hommes simples, francs, loyaux, courageux, robustes et d'une haute stature, a succédé une génération corrompue par le vice, l'oisiveté, l'ambition et l'orgueil. Les désordres se sont multipliés, la piété du clergé s'est refroidie. Autrefois il suffisait de l'arbitrage de quelques hommes sages pour éteindre de rares discussions soulevées par des achats et des ventes qui se faisaient souvent sans témoins : aujourd'hui chacun recourt à des actes écrits, de crainte de rencontrer une mauvaise foi que ne connurent jamais nos ancêtres (De rebus flandricis, 9). — Rien ne prouve mieux, continue M. Kervyn, le relâchement qui régnait dans le lien social que le penchant des esprits à rompre le lien religieux consacré par le culte des générations, qu'il unissait entre elles dans une pieuse communauté de traditions et de souvenirs. Les doctrines des luthériens s'étaient rapidement introduites dans les Pays-Bas, surtout dans les cités commerciales et industrielles où affluaient un grand nombre d'étrangers. Dès 1522, un an après la diète de Worms, elles avaient fait de grands progrès à Anvers. Elles s'étaient également bientôt répandues à Gand ; elles y avaient pris un si grand développement qu'au mois de juin 1538 le président de Flandre, Pierre Tayspil, annonça Marie de Hongrie l'existence d'une petite communauté de luthériens et d'anabaptistes aux portes mêmes de Gand. L'année suivante, elles se mêlèrent aux mystères que représentaient publiquement, selon un ancien usage, les povres de sens de Furnes, les compagnons du Saint-Esprit de Bruges, de l'Alpha et Oméga d'Ypres, de la Fleur de Lis de Dixmude, et d'autres membres des innombrables sociétés de rhétorique alors établies dans les Pays-Bas. — On connait d'ailleurs les projets politiques des Creesers. Toute leur affaire tendoit, porte un document contemporain, de faire d'icelle ville de Gand une ville de commune et non subjecte à nul prince ne seigneur, fors à elle-mesme, comme il y a en plusieurs en Allemagne et en Italie. M. Kervyn, endroit cité, pages 94-98.