L'EMPEREUR CHARLES-QUINT ET SON RÈGNE

TROISIÈME SECTION. — RÈGNE DE CHARLES-QUINT - 1506-1555

 

CHAPITRE VII. (SUITE DU PRÉCÉDENT)[1]. — DERNIERS ACTES DE L'ADMINISTRATION DE MARGUERITE D'AUTRICHE. - SITUATION INTELLECTUELLE DE LA BELGIQUE PENDANT LA PREMIÈRE PARTIE DU XVIe SIÈCLE.

 

 

Les Pays-Bas, délivrés de la guerre, étaient en proie à d'autres désolations. A la suite d'horribles tempêtes, Ostende et toute la côté de Flandre, les rives de l'Escaut, la Hollande et la Zélande furent dévastées par de ruineuses inondations ; la plupart des digues furent rompues, et soixante-douze villages, dans le Sud-Beveland, submergés. Tandis que la contagion sévissait, sous le nom de peste, dans les provinces méridionales, une épidémie plus meurtrière encore apparaissait dans celles du nord et du centre. C'était la suette ou peste britannique. Ce fléau, après avoir dépeuplé les terres britanniques[2], s'était porté en Allemagne, d'où il gagna le Danemark et la Norvège. Il pénétra par Hambourg[3] en Zélande. et en Hollande, et se propagea bientôt, avec une effrayante rapidité, dans le Brabant et la Flandre.

Cette maladie meurtrière se développait par des sueurs partielles d'abord, et bientôt générales. Une soif inextinguible, une angoisse et une agitation extrêmes, un penchant invincible au sommeil survenaient ensuite ; des éruptions se montraient souvent sur le corps. Enfin la sueur disparaissait, mais ce symptôme était le présage de la mort, qui arrivait rapidement. Après vingt-quatre heures le danger était ordinairement passé ; c'étaient les individus les plus robustes qui étaient les plus exposés et qui succombaient en plus grand nombre. Le mal saisissait ses victimes à table, à la promenade, au lit, partout, en un mot, comme si Dieu avait voulu, dit un historien[4], par un nouvel et terrible exemple, montrer aux hommes qu'ils sont mortels et qu'ils doivent toujours être préparés à mourir. Les médecins recommandaient de se tenir légèrement couvert et d'éviter la grande chaleur. Le traitement reconnu comme le plus efficace alors, fut l'action sur le moral, un régime sévère, l'emploi de tous les moyens propres à activer la sueur et à en empêcher la suppression, ce qui était un phénomène toujours mortel.

Au mois de septembre 1529, au moment même où Marguerite ordonnait de faire prières à Dieu, afin que, par sa bénigne grâce, il voulût préserver le pays de certaine maladie de suerye, qui régnoit ès pays voisins, et d'autres maladies pestilentielles et contagieuses, le fléau éclata à Anvers. Dans l'espace de trois jours, la suette enleva plus de cinq cents personnes[5]. A Gand, à Bruges, à Malines, ses ravages ne furent ni moins rapides, ni moins grands. A Bruxelles, où l'on avait interdit toute communication avec ces villes, en poussant même la précaution jusqu'à murer les portes, l'effroi jeté dans la population montre assez avec quelle violence sévit le fléau. Les fidèles remplissaient les églises, où les cérémonies saintes se succédaient sans interruption, et se livraient à tous les exercices du jeûne et de la pénitence. Le mal dura une année[6]. A sa disparition, Marguerite fit célébrer, le 3 octobre 1530, une procession solennelle, à laquelle elle assista elle-même avec la cour et tous les corps constitués de l'état.

Un autre fléau, la famine, menaçait alors le pays. La cherté des subsistances était excessive. Pour y remédier, le gouvernement interdit l'exportation des céréales, mais cette mesure fut inefficace, et ne prévint point les émeutes provoquées par les souffrances publiques. Au mois de juillet 1530, il y eut à Malines une émotion populaire, excitée par quatre à cinq cents femmes, que la faim poussait au désespoir[7]. Le mouvement fut comprimé par le désarmement des tisserands et des foulons[8], mais l'effervescence ne se calma que lorsque le gouvernement eut pris l'utile mesure d'acheter des blés en Hollande et de les revendre au prix contant.

La situation financière continuait aussi à être des plus mauvaises. La nécessité de payer l'arriéré des soldes des troupes licenciées à la fin de la guerre grevait le trésor de nouvelles charges ; on n'avait plus d'argent pour pourvoir aux exigences des garnisons des pays d'Utrecht et d'Over-Yssel. Et, en ce moment-là même, Charles-Quint informait sa tante qu'il avait tiré de Gênes sur les Pays-Bas des lettres de change pour la valeur de plus de cent mille ducats d'or, payables dans les deux mois. Il fallut négocier un emprunt à Anvers, et la négociation n'aboutit que moyennant la garantie des principaux seigneurs de la cour, des membres du conseil privé et des plus hauts fonctionnaires. En annonçant à Charles-Quint l'accomplissement de sa volonté, la régente lui exposa, avec amertume, sa fâcheuse position. Après lui avoir rappelé les peines, les sacrifices qu'elle s'imposait depuis longtemps, les obligations qu'elle avait contractées pour son honneur et pour son service, elle terminait en disant[9] : Considérez, je vous prie, l'état de vos affaires en ces pays. Après cet examen, vous ne serez plus disposé à leur imposer des charges telles que le payement de ces lettres de change ; vous ne presserez plus ceux de vos finances au-delà de ce que la raison et la possibilité peuvent porter. Soyez en bien persuadé, à moins de mettre vos pays d'en bas en totale ruine, désolation et perdition, on n'en sauroit tirer plus que je n'ai fait pour votre service.

La régente fit tout ce qui était en elle pour tirer des états les deniers exigés par les besoins du pays. Ceux du Brabant, après beaucoup de délais et d'incidents, finirent par accorder, au mois d'avril 1530, une aide de cent cinquante mille livres, payable en deux fois, à la Saint-Jean et à la Noël. Les états de la Flandre avaient voté cent mille écus, au mois de décembre précédent. On obtint aussi vingt mille livres[10] des nobles et des petites villes du Hainaut ; dix mille livres de Valenciennes, sept mille quatre cents du comté de Namur. Ce dernier sacrifice était d'autant plus méritoire que la ville elle-même de Namur était dans la détresse, et qu'il avait fallu vendre sur le corps d'icelle, avec la garantie des maïeur et échevins, plusieurs rentes héréditaires et viagères montant à grandes sommes de deniers par an.

Les dernières années de Marguerite s'écoulèrent au milieu de ces embarras, de ces agitations intérieures, que les progrès des nouvelles doctrines, les troubles religieux qui en furent la suite et dont le caractère social et révolutionnaire ne doit pas être perdu de vue, aggravaient singulièrement. Charles-Quint s'était montré d'abord un peu indifférent sur ce chapitre ; il avait usé d'assez grands ménagements envers le moine audacieux, qui leva le premier l'étendard de la révolte contre le catholicisme, cette base reconnue, légale, de tous les états européens, réunis par lui en une admirable unité désignée sous le nom de chrétienté. Il ne tarda pas à voir les dangers que le mouvement recélait dans son sein, et, s'il garda plus tard des tempéraments forcés, en Allemagne, envers l'hérésie, il se montra, dans ses états héréditaires, d'une implacable rigueur contre les prédicateurs de la réforme. Le 22 mars 1521, avait paru, dans les Pays-Bas, un placard prescrivant, en conformité de la bulle de Léon X et des déclarations des facultés de théologie de Louvain et de Cologne, de brûler tous livres et écrits provenans de la secte hérétique d'un nommé Martin Luther, religieux de l'ordre de Saint-Augustin, et d'en interdire l'impression, l'achat, la conservation, la lecture, sous peine de confiscation et autre punition arbitraire[11]. Le 29 avril 1522, on vit paraître un mandement ordonnant de citer et d'arrêter toutes les personnes qui soutiendraient en public les doctrines de Luther, d'inventorier leurs biens, de saisir leurs livres, et défendant de donner asile ou logement aux sectaires[12]. Enfin, par un édit du 14 octobre 1529, Charles-Quint, voyant toutes les mesures prises jusqu'alors restées sans effet, défendit de traduire, de lire, d'écrire aucun livre touchant les saintes écritures sans permission des autorités ecclésiastiques. Aux termes des édits, quiconque assiste à des réunions hérétiques, dispute sur l'écriture sainte, manque de respect aux images de Dieu et des saints, est coupable d'hérésie, et l'hérésie, selon le droit existant, est punie de mort, les hommes par l'espée, les femmes, par la fosse, les relaps, par le feu[13].

Hélas ! ces peines si graves, si terrifiantes, si contraires, il faut bien le dire, à nos sentiments actuels les plus intimes, mais qui étaient pourtant dans les habitudes et les mœurs du temps, ces peines produisirent peu d'effet. Deux causes surtout, dans ces premiers temps de la réforme, contribuèrent à la propager dans les Pays-Bas. Les relations commerciales avec l'Allemagne et le contact des troupes levées dans le même pays constituaient la première de ces causes, ces troupes étant composées en grande partie de luthériens. L'autre cause était l'ignorance du peuple et la négligence d'un grand nombre de pasteurs d'âmes, ignorants eux-mêmes et de mœurs déréglées[14]. Au moyen de la conversation des Allemands, écrivait Marguerite à Charles-Quint en 1525, la secte luthérienne, joint que de soi en plusieurs cas elle est agréable, s'espace et multiplie fort. La même année, dans un mémoire adressé à l'empereur, elle disait : l'erreur et abus de la secte luthérane est en plusieux lieux de par deçà, principalement Gand, à Anvers, à Bois-le-Duc et Amsterdam, à Delft, à Berghessur-le-Zom et autres lieux de Hollande, en Haynnau et au pays de Luxembourg. Ce fut bien pis quelques années plus tard. Les tendances révolutionnaires, antisociales de la réforme étaient alors manifestes à tous les yeux ; elles avaient pris corps dans des faits patents, odieux, qui avaient fini par jeter l'effroi dans toutes les âmes sages et honnêtes. Luther et Ulrich de Hutten, son trop fidèle associé, avaient lancé un appel à la révolte et aux passions des classes les plus infimes de la société ; l'horrible guerre des paysans avait rempli l'Allemagne de sang et de ruines. C'était la société elle-même ; c'était le pouvoir dans ses assises les plus profondes ; c'était la famille et la propriété qu'il s'agissait de défendre. Qu'on ne s'étonne donc pas des édits et des rigueurs de Charles-Quint. Ce prince, dit M. Henne, protestant lui-même, et qui se plait à étaler en détail toutes les exécutions provoquées par les édits de l'empereur, ce prince redoutait autant les progrès du luthéranisme que les succès de Soliman. Il ne méconnut point le véritable caractère de ce mouvement social ; il entrevit les formes républicaines du protestantisme ; il sut que l'intention principale des communes et des luthériens tendoit à liberté[15]. Il soutient donc le catholicisme afin que le catholicisme lui soit tour à tour un appui et un instrument. Son autorité est en jeu, et il doit être inflexible ; mais il a si peu pour mobiles la foi, le respect pour le clergé, la soumission à Rome, que dans le temps même où il excite l'ardeur des bourreaux, où le châtiment atteint quiconque récrimine contre l'illégalité ou la cruauté de ses édits, ses officiers poursuivent avec rigueur les ecclésiastiques dérogeant à ses règlements pour obtempérer à la loi d'obéissance envers leur chef suprême. Marguerite, considérant que la source de l'hérésie procède des extorsions des gens d'église, prescrit de faire à cet égard diligente inquisition et information, afin d'y porter prompt remède. Cette princesse qui, en 1525, avait demandé au pape l'autorisation de lever sur le clergé des Pays-Bas la somme de huit cent mille ducats, pour rebouter et estaindre la secte luthérienne, était-elle inspirée par l'orthodoxie lorsqu'elle menaçait les abbés du Brabant de les faire jeter à l'eau ; lorsqu'elle pressait Charles-Quint de prendre prétexte de la guerre contre les Turcs pour s'emparer d'une partie des biens des gens d'église, et de tirer de chaque cloître un ou deux religieux des plus dispos pour les mesler aux gens de guerre ?[16] — Il y a incontestablement, dans ce tableau, beaucoup d'exagération, d'injustice même. On ne peut pas contester sérieusement l'attachement sincère de Charles-Quint à la foi catholique et à l'Église. Mais il y a là aussi un côté vrai, et l'on ne peut nier avec fondement que les considérations sociales et politiques n'aient été pour beaucoup dans les rigueurs exercées aux Pays-Bas, non pas précisément, comme on le dit trop souvent, contre la profession de l'erreur, mais contre la propagation extérieure de l'hérésie par des moyens illégaux, souvent violents, et, en somme, destructifs de tout ordre et de toute autorité. Partout, il faut bien le dire avec un de nos historiens les plus véridiques[17], partout où triomphait la réforme, la révolution politique marchait à côté de la révolution religieuse.

 

Marguerite d'Autriche n'avait que cinquante ans. Mais accablée d'infirmités précoces, dégoûtée, dit M. Tienne, d'un monde dont elle avait pu sonder les abîmes, elle avait formé des projets de retraite déjà anciens, et elle n'attendait que le retour de l'empereur, afin de lui rendre bon compte de sa charge et gouvernement. Désireuse de faire une bonne fin avec l'aide de Dieu et de notre bonne maîtresse sa glorieuse mère, elle avait résolu de se retirer au couvent des annonciades, dit des Sept Douleurs, fondé par elle hors d'une des portes de la ville de Bruges. Elle en avait écrit à sa bonne mère, sa mie, sœur Ancelle[18], supérieure de la maison, la suppliant de faire prier toutes ses bonnes filles à l'intention qu'elle lui avait toujours dite, car le temps approchoit, puisque l'empereur venoit. Elle se proposait néanmoins de visiter d'abord le magnifique monument qu'elle érigeait à Brou en Bresse à la mémoire de son dernier mari, lorsque la mort, qu'elle prévoyait, vint la surprendre plus tôt encore qu'elle ne l'avait pensé.

La princesse souffrait de maux de jambe, qui s'aggravèrent dans les premiers jours de novembre de l'année 1530. Le 20, elle eut un accès de fièvre, qui dura environ quatre heures, pour ce que les humeurs de sa jambe montoient en haut par les remèdes qu'on y fesoit, cuydant que ce fut goutte. Ses médecins et chirurgiens lui firent alors par oignements ouverture pour faire évacuer les humeurs. Il y eut un soulagement momentané : la fièvre disparut, et lesdits médecins et chirurgiens pensoient déjà que, par ladite évacuation, elle seroit bientôt guérie[19]. Mais la nuit suivante, la malade se trouva fort foible et ils eurent quelque doute d'elle, bien qu'ils conservassent bon espoir qu'elle n'auroit que le mal. Cependant la gangrène se déclara, et quelque remède qu'on y sut donner, le feu, qui s'étoit mis en la jambe, monta au corps. Vainement on appela les médecins les plus renommés, notamment ceux de Louvain[20], toute leur science resta impuissante. Quelque diligence qu'ils y firent, le doute de la mort excéda bientôt l'espoir de la vie.

Marguerite fut soignée par les sœurs noires de Malines[21]. Pressentant sa fin prochaine, elle demanda à être administrée de sa conscience, pour attendre le bon plaisir de Dieu. Dans la nuit du 27 au 28 novembre, elle ressentit une extrême faiblesse. Le comte d'Hoogstraeten se hâta d'informer l'empereur de l'état critique de sa tante. Le 30, elle se démit de son gouvernement, le confia par provision au comte d'Hoogstraeten, et dicta ensuite la lettre suivante à Charles-Quint[22] : Monseigneur, l'heure est venue que ne vous puis plus escripre de ma main, car je me trouve en telle indisposition que doubte ma vie estre brefve. Je suis pourveue et reposée de ma conscience, et de tout resolue à recevoir ce qu'il plaira à Dieu m'envoyer. Je n'ai regret quelconque, réservé de la privation de vostre présence, et de ne vous pouvoir voir ni parler encore une fois avant ma mort, ce que — pour le doubte que dessus — suppléray en partie par ceste mienne lettre, qui, je le crains, sera la dernière que aurez de moy. Je vous ay institué mon héritier universel seul et pour le tout, aux charges de mon testament, l'accomplissement duquel vous recommande. Je vous laisse vos pays de par deçà que, durant vostre abscence, n'ay seullement gardés, comme me les laissâtes à vostre parlement, mais grandement augmentez ; je vous rends le gouvernement d'iceulx, auquel me cuyde estre léalement acquittée, et tellement que j'en espère rémunération divine, contentement de vous, monseigneur, et gré de vos subjects. Je vous recommande singulièrement la paix, et par espécial avec les roys de France et d'Angleterre. Et, pour fin, vous supplie, monseigneur, que l'amour qu'il vous a pieu porter au povre corps, soit mémoire du salut de l'âme, et recommandation de mes povres serviteurs et servantes, vous disant le dernier à Dieu, auquel je supplie, monseigneur, vous donner prospérité et longue vie. De Malines, le dernier jour de novembre 1530. Votre très-humble tante, Marguerite.

Le même jour, il y eut à Malines une procession solennelle du Saint-Sacrement, pour invoquer l'assistance du ciel en faveur de la malade. Mais le moment suprême était venu, et, dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre, entre minuit et une heure, après avoir pris son dernier sacrement, Marguerite rendit l'âme à Dieu. A cette nouvelle, un deuil général s'étendit sur la ville, et le glas funèbre se fit entendre depuis le 1er décembre jusqu'au 16 janvier suivant. L'archevêque de Palerme et le comte d'Hoogstraeten s'empressèrent d'informer l'empereur du décès de sa tante. Après avoir fait serrer les coffres, ils appelèrent à Malines les membres les plus importants du conseil privé, Henri de Nassau, Jean de Berghes, les comtes de Buren, de Gavre, et le seigneur de Beveren, pour adviser avec eux. En même temps, il fut recommandé à tous les officiers des frontières de France, d'Angleterre, de Gueldre, de se tenir bien sur leurs gardes[23].

Dans une réunion de tous les membres du gouvernement, il fut décidé que le conseil de la justice et les conseils provinciaux continueroient leurs fonctions comme du vivant de la feue gouvernante, que les lettres missives se dépêcheroient et écriroient de par l'empereur en son conseil privé des Pays-Bas ; que les affaires de la justice seroient traitées par l'archevêque de Palerme, et celles de l'état par le comte d'Hoogstraeten ; que les dépêches importantes porteroient, avant le dispositif, les mots : à la délibération des chefs et gens du conseil privé, et seroient signées par tous les membres présents à la délibération. L'archevêque et le comte informèrent l'empereur des mesures prises, et le prévinrent qu'en attendant ses ordres se despêcheroient le moins que l'on pourroit de choses importantes. Un des premiers actes du conseil fut de notifier le décès de Marguerite aux cours de France et d'Angleterre, à la princesse d'Orange, au duc de Savoie, au maréchal de Bourgogne, au parlement de Dôle. Cette cour reçut l'ordre d'administrer dorénavant la justice et de dépêcher ses arrêts et provisions au nom de l'empereur, rentré en possession de ses comtés de Bourgogne et de Charolais[24].

Les restes de la princesse furent embaumés par ses chirurgiens, maîtres Philippe Savoyen et Pierre des Maistres. Son corps, légué par elle au couvent de Saint Nicolas de Tolentin à Bourg en Bresse, fut renfermé dans un cercueil de plomb recouvert d'un coffre de bois. Dans des urnes de plomb furent recueillis son cœur, destiné aux annonciades de Bruges[25], et ses entrailles, qui devaient être déposées dans l'église de Saint-Pierre et de Saint-Paul à Malines [26]. Les funérailles, célébrées avec grande pompe dans cette église par les évêques de Cambrai et de Tournai, durèrent trois jours, du 16 au 18 janvier[27]. Le deuil était conduit par le jeune prince de Danemark, accompagné de l'archevêque de Palerme, des comtes d'Hoogstraeten, de Gavre, de Buren, de Hornes ; des seigneurs de Berghes, de Walhain, de Fresin, de Praet, de Neufville, de Rosimbos, et d'une foule d'autres grands personnages, auxquels s'étaient joints les ambassadeurs de France, d'Angleterre et de Gueldre. Tout ce monde officiel, toute la maison de Marguerite, depuis ses grands officiers et ses dames d'honneur jusqu'aux plus infimes valets, était vêtu de deuil. L'éloge funèbre de la princesse fut prononcé par un homme célèbre alors, quoique bien oublié aujourd'hui, Henri Corneille Agrippa, écrivain fécond mais sans goût, savant prétentieux, plus bizarre que profond, qui n'a laissé aucune trace dans la science. Le discours qu'il prononça dans cette triste cérémonie était, dit M. Altmeyer, rempli de pathos et d'une insipide phraséologie[28].

Le corps de Marguerite fut transporté à Termonde, le 22 janvier 1531, et de là à Gand, où il fut déposé, pour une nuit, dans l'église de Saint-Michel. Le jour suivant il fut remis en dépôt au couvent des annonciades de Bruges, où il resta jusqu'au moment où le comte de Lalaing et Claude Boissoit, archidiacre d'Arras, vinrent le prendre pour le confier à sa dernière demeure, le couvent de Saint Nicolas de Tolentin à Bourg en Bresse. Le prince de Danemark, une foule de seigneurs et les ambassadeurs gueldrois avaient fait partie du convoi funèbre jusqu'à Bruges. Charles-Quint se montra très-sensible à l'attention de ces derniers[29].

Marguerite avait fait son testament à Bruxelles, le 20 février 1508, parce que connoissant l'instabilité de cette vie, à laquelle humaine nature est sujette, et sachant qu'il n'est chose plus certaine que la mort, ni plus incertaine que l'heure d'icelle, elle ne vouloit décéder intestat de ce mortel monde en l'autre, sans disposer des biens que Dieu lui avoit accordés et prêtés. Elle avait donné sa légitime à l'empereur son père, et institué Charles son neveu héritier universel. A son défaut, l'héritage devait revenir à Ferdinand ou à ses sœurs, à charge d'acquitter ses dettes et les legs pieux faits par elle. La princesse avait choisi pour exécuteurs testamentaires, en raison de sa bonne confiance en leur loyauté et personnes, le prince de Chimai ; les comtes de Nassau et de Montrevel ; les seigneurs de Chiévres et de Berglies ; Laurent de Gorrevod, Mercurino de Gattinara, et Louis Oghain, son confesseur et aumônier[30]. Le 28 novembre 1530, un codicille, passé par-devant le notaire Gualterus Militis, ratifia ce testament, et confirma Charles-Quint son seul et unique héritier universel[31]. Marguerite léguait, en même temps, à Ferdinand l'une de ses meilleures bagues, à la discrétion des exécutions testamentaires. Elle faisait quelques autres donations, entre autres un legs de cent livres au couvent de Bethléem à Malines, et. ajoutait ensuite : Et pour non abolir le nom de la maison de Bourgogne, je prie et supplie l'empereur que son bon plaisir soit vouloir retenir en ses mains la comté de Bourgogne — la Franche Comté —, tant et si longuement qu'il vivra, et pourvoir qu'après son décès cette comté succède à celui de ses héritiers à qui demeureront les pays de par deçà. Enfin, pour le bien universel de la chrétienté et pour la sûreté de son état, je le supplie d'entretenir, garder et observer paix et amitié avec les rois de France et d'Angleterre. La plupart des exécuteurs testamentaires désignés en 1508 étant morts, elle en nomma de nouveau, à savoir les comtes de Nassau et d'Hoogstraeten ; Jean de Berghes ; le seigneur de Praet ; Pierre de Rosimbos ; son dernier confesseur, Antoine de Montent, abbé commendataire de Saint-Vincent à Besançon ; Jean Rutïault, Jean de Marnix et Guillaume des Barres. L'empereur trouva dans les coffres de sa tante beaucoup d'or et d'argent en monnaie de France ; il les fit fondre en 1532 avec sa vaisselle et convertir en monnaies nationales. Il y en avait pour une valeur de cinquante mille ducats[32].

Marguerite d'Autriche, dit avec raison M. Henne, offre sans contredit une des plus intéressantes figures de nos annales historiques. Les faits ont témoigné de son génie politique et de sa puissante énergie. On l'a vue dans les circonstances les plus critiques, au milieu d'une indicible confusion, d'une détresse extrême, suppléer à l'incurie de son père ; pallier ses fautes incessantes ; seconder avec habileté les hautes conceptions de son neveu, et réussir, alors que l'intégrité du territoire était compromise, à en étendre les limites aux dépens de ses plus intraitables ennemis. Aussi, quoique dans les dernières années de sa vie ses forces morales fussent diminuées, ce n'était point à tort que le comte d'Hoogstraeten écrivait à Charles-Quint[33] : Ce sera l'une des plus grosses pertes que Votre Majesté sauroit avoir pour ses affaires de par deçà.

Les ressentiments personnels de cette princesse, continue le même écrivain, avaient envenimé l'antagonisme des maisons de France et d'Autriche ; pour donner à celle-ci la prépondérance, elle déploya une habileté et une fermeté qui lui valurent les respects de ses adversaires même. Elle suscita plus de difficultés et de dangers à Louis XII et à François Ier que les armes impériales, et l'avenir a justifié toutes ses appréhensions. Ses vues politiques étaient si judicieuses, que Charles-Quint n'agit pas plutôt par lui-même, qu'il y revint pour ne plus les abandonner. Les traités de Cambrai, préparés et conclus par elle, sont considérés à bon droit comme des chefs d'œuvre diplomatiques[34]. L'un déshonora Louis XII en lui laissant toute la honte de la ligue contre les Vénitiens ; l'autre fut aussi humiliant pour François Ier qu'honorable pour Charles-Quint, dont il consolida la puissance en Italie. Marguerite atteignit le double but qu'elle avait poursuivi sans relâche : avant de mourir, elle eut la satisfaction de voir l'abaissement de la France et la soumission du duc de Gueldre. La paix de Gorcum, la paix des Dames furent des coups dont Charles d'Egmond et François Ier ne se relevèrent jamais. L'énergie de la princesse ne faiblit pas un instant dans les circonstances les plus graves ; son activité prépara souvent les succès de son neveu ; son habileté prévint non moins souvent ses revers. Douée d'une vive intelligence, elle suivit, déroula ou aida à conduire toutes les négociations, toutes les intrigues de cette époque immorale, qui ouvrit l'ère de la diplomatie, qui vit paraître le code fameux du célèbre secrétaire florentin, et n'en pratiqua malheureusement que les maximes odieuses[35].

C'est de cette façon que M. Henne apprécie la vie diplomatique, si l'on peut parler ainsi, de Marguerite d'Autriche. Voici comment il juge son administration. Inébranlable dans ses résolutions, dit-il, apportant dans leur exécution une impétueuse ardeur, la résistance, la contradiction même lui étaient insupportables[36]. Les lois, les libertés communales, les immunités du clergé ou les prérogatives de la noblesse, rien ne pouvait enchainer son impérieuse volonté. Aussi les peuples ne furent-ils pas satisfaits de son gouvernement ; mais ils haïssoient surtout ses favoris, principalement le comte d'Hoogstraeten, qu'ils accusoient d'exercer une influence pernicieuse sur son esprit[37]. — Il faut retirer l'autorité des mains du peuple, disait-elle, en restreignant les privilèges de la commune bruxelloise, et, par cet acte arbitraire, elle déchirait le pacte constitutionnel. Elle persécutait les luthériens, et travaillait à rendre l'église romaine dépendante du pouvoir, sévissait rigoureusement contre le clergé du Brabant et de la Flandre, dont l'opposition, si légale qu'elle fût, était à ses yeux un crime d'état tel qu'il fallait mettre les récalcitrants au sac en un bateau pour les noyer au fond. Quant aux nobles, elle traitait aussi cavalièrement leurs personnes que leurs privilèges. Les réclamations soulevées par sa conduite à leur égard montrent son peu de souci de leurs représentations ; l'arrestation de Don Juan Manuel prouve notamment que les statuts de la Toison d'or étaient pour elle une espèce de lettre morte. Les circonstances ne justifient jamais de tels actes : là où il n'y a plus de contrat observé, la force seule décide. L'action attire la réaction, et Marguerite de Parme expiera un jour le despotisme de Marguerite d'Autriche.

Ce jugement est peut-être un peu sévère, nous en adoucirions volontiers certains traits pour le fond et pour la forme. Cependant nous devons à la vérité de l'histoire et à notre propre sincérité de déclarer qu'il nous est impossible de partager l'admiration de quelques écrivains de notre pays pour le gouvernement intérieur de Marguerite. Ses actes, sinon son caractère, hautains, despotiques, et d'une légalité peu scrupuleuse, furent en lutte continuelle avec nos traditions, nos droits, nos libertés, et consolidèrent, dans notre pays, les tendances, les pratiques d'absolutisme, inaugurées par les princes de la maison de Bourgogne. Cette administration n'eut rien de national, et nous sommes porté à croire, avec M. Henne, qu'une part notable doit lui être faite dans les calamités qu'un avenir prochain allait faire peser sur la Belgique. Reconnaissons cependant que cette partie de la vie de l'archiduchesse Marguerite trouve, sinon sa justification, au moins une excuse et une atténuation dans le caractère et les tendances de l'époque, époque singulièrement troublée et agitée, où les esprits, sous l'empire de tant de découvertes, de tant de faits nouveaux, étaient comme pris de vertige et se perdaient dans leurs aspirations vers un avenir prochain et encore inconnu ; où les mœurs, dans les cours, dans le monde de la richesse, étaient singulièrement dépravées ; où les gouvernants, dévorés de jalousies et d'ambitions, luttaient les uns contre les autres d'astuce et de perfidies. N'oublions pas que les théories de Machiavel n'étaient que l'expression de ce qui se pratiquait chaque jour dans la politique habituelle de ces premières années des temps modernes.

Dans sa vie intime, dans sa vie de chaque jour, notre princesse reprend toute sa supériorité. Marguerite, dit M. Altmeyer, avait l'esprit vif et enjoué ; elle aimait passionnément les lettres et faisait le plus brillant accueil aux savants ; son impulsion généreuse, ses nombreuses largesses attiraient à elle tout ce qui vivait de l'âme et de la pensée ; elle fut pour les Pays-Bas ce que François Ier fut pour la France. Elle donna l'élan à cette profession de l'esprit qui domina, chez nous, le XVIe siècle. Ses immenses propriétés de Bourgogne et de Charolais, ses sauneries de Salins, ses beaux revenus de la ville et du territoire de Malines, son héritage paternel, son magnifique douaire, sa pension de vingt mille livres, lui fournissaient de quoi récompenser largement le talent[38]. Ce tableau est vrai. Malgré les souffrances des peuples, l'épuisement des provinces, des communes, la cour de Marguerite fut toujours brillante, elle trouva toujours de quoi entretenir l'éclat de son rang et faire preuve de munificence pour tous ceux qui l'approchaient. Son palais était meublé avec goût et avec splendeur, ses dames et ses filles d'honneur, ses officiers, ses domestiques nombreux et richement vêtus ; sa table servie avec une abondance véritablement princière[39].

Mais c'est surtout dans les choses de l'intelligence que brillait l'heureuse nature de Marguerite. Au risque de nous répéter, nous aimons à transcrire encore quelques pages remarquables de M. Altmeyer. Le génie de Marguerite, dit cet historien, se trouvait également propre aux plaisirs et aux affaires, et elle possédait à un haut degré toutes les excellentes qualités du cœur et de l'esprit : magnanimité, bonté naturelle, vivacité, pénétration, grandeur. Les plus sages et les plus expérimentés admiraient en elle cette intelligence vive et perçante, cette prodigieuse compréhension qui embrassait sans peine les plus grandes comme les plus petites choses, et pénétrait avec facilité dans les plus secrets intérêts. De quelque belle apparence que la perfide et immorale politique de son siècle se couvrit, elle en apercevait les détours, et d'abord elle savait connaître, même sous les fleurs, la marche tortueuse du serpent[40]. Et il fallait bien qu'elle fût douée de talents d'un ordre supérieur : elle était placée au centre de la diplomatie européenne ; le fil de toutes les intrigues politiques venait aboutir entre ses mains ; elle devait intervenir sans cesse dans les événements qui agitaient le XVIe siècle, et ces événements furent immenses.

Marguerite, continue le même écrivain, eut le bonheur d'être secondée par des agents instruits, dévoués, prudents, parmi lesquels trois furent célèbres, Mercurin de Gattinara, Ferry de Carondelet, Alberto Pio ; ils méritent que nous en disions quelques mots. Mercurin de Gattinara, issu d'une famille noble de Verceil, devint un des plus grands jurisconsultes de son temps, fut conseiller du duc de Savoie et ensuite président du parlement de Franche-Comté. En 1508, l'empereur Maximilien le chargea d'une négociation à la cour de Louis XII, au sujet du traité de Cambrai. Charles-Quint le nomma son chancelier en 1518, et l'employa avec succès dans plusieurs négociations importantes. Ce fut lui qui, après le sac de Rome par l'armée impériale, dressa les articles de pacification entre Clément VII et Charles-Quint. Le même pontife, pour lui donner un témoignage de sa haute satisfaction, le nomma cardinal en 1529. Au mois de décembre de la même année, Mercurin conclut à Bologne un traité qui eut pour résultat le couronnement de l'empereur par le pape. Le cardinal de Granvelle, qui se connaissait en politique, a appelé ce traité un chef-d'œuvre. Ferry de Carondelet était archidiacre de l'église métropolitaine de Besançon, prévôt de l'église collégiale de Furnes, abbé commenditaire de Mont-Benoît, conseiller de Charles-Quint, son ambassadeur à Rome, et gouverneur de Viterbe. Les Carondelet étaient originaires du comté de Bourgogne ; leur famille fut, dans l'origine, une de ces bonnes familles bourgeoises de Dôle, qui vivaient de leurs rentes, s'alliaient à la noblesse et s'appliquaient à l'étude des lois. Elle dut son agrandissement à Jean Carondelet, troisième de ce nom, que son mérite éleva à la première dignité de la robe. — Albert Pio de Savoie, de la maison de Carpi, qui faisait remonter son origine jusqu'à Constantin le Grand, était un homme d'une piété exemplaire, d'une vertu solide, brave, généreux, honnête et savant. Il avait étudié sous Alde-Manuce et fut employé à Rome, par Maximilien et Charles-Quint, en qualité d'ambassadeur auprès de Jules II, de Léon X et de Clément VII. Ce fut lui qui, l'an 1517, obtint de Léon X le chapeau de cardinal pour Adrien Floriszoon d'Utrecht, qui fut, depuis, le pape Adrien VII. Pio était à Rome lorsque cette ville fut prise par l'armée de Charles-Quint, en 1527. Ceux qui n'avaient pas épargné la personne du pape n'épargnèrent pas la sienne ; il fut jeté en prison et n'en sortit qu'avec peine pour venir se réfugier en France. La reconnaissance n'est pas une vertu royale. L'empereur Charles-Quint, oubliant les grands services que lui avait rendus le prince de Carpi, le dépouilla de tous ses biens, qu'il donna à Prosper Colonna, un des plus grands généraux qu'ait eus l'Italie. Albert, accablé de douleur d'avoir perdu avec ses biens un fils qu'il avait, mourut de la peste à Paris en 1531. Ce grand homme a laissé divers ouvrages, parmi lesquels il y en a un contre Luther et un contre Érasme[41].

Nous avons maintenant à considérer Marguerite sous un autre aspect ; nous allons la replacer au milieu de ce monde des lettres et des arts, où elle tint une place si distinguée, où elle exerça une influence si aimable et si réelle. On avait vu précédemment les trouvères noblement accueillis à la cour de Brabant, nos princes eux-mêmes figurer parmi ces poètes du moyen âge ; plus tard Froissart reçut l'accueil le plus honorable auprès de Philippine de Hainaut, et se plut à en exprimer sa reconnaissance dans sa prose naïve et chevaleresque. Marguerite, à l'époque de la renaissance, honora et cultiva la poésie et les arts, se plut à s'entourer d'écrivains et d'artistes. Nous avons conservé d'elle des vers charmants, empreints d'une sorte de mélancolie intime, d'une sorte de désenchantement, qui paraît avoir fait le fond de son caractère, et contre lequel elle luttait vainement. Un des morceaux les plus remarquables qui nous en sont restés porte l'empreinte profonde de cette disposition d'âme, c'est, la complainte de dame Marguerite d'Autriche, fille de Maximilian, roy des Romains. Nous la reproduisons.

Quant une fleur, yssant d'aitre d'honneur,

Est entré en vergier d'un seigneur,

Noble, puissant et riche gouverneur,

Et qu'elle croist en toute souffisance,

En force, en drut, en beaulté, en verdeur,

En fruit, en grâce, en louange, en grandeur,

En pureté, en substance, en odeur,

Est mal de lui oster force et puissance ;

Pour moy, chascun en a eu cognoissance.

Moy Marguerite, de toutes fleurs le chois,

Ay esté mise en grand vergier franchois

Pour demeurer, croistre et hanter ainchois

Que feusse grande, emprès la fleur de lis :

Là, ay receu tous biens et tous esbanois,

Là ay veu joustes, dansses et tournois.

Et maintenant je vois, et si cognois

Que ces grands biens me sont prins et fallis,

Pas n'en doivent les miens estre jolis (contents).

Je y ay esté noblement arousée

Plus de dix ans de très noble rosée,

Guidant estre royne et espousée

Au roi Charles et couronne portée ;

Mais bien parchoy que me suis abusée,

Par quoy estre en mon cuer dolorée ;

Car de par lui ay esté refusée,

Et si m'a fait hors du vergier oster

Pour une aultre en mon lieu bouter.

Cest espace, royne ay esté nommée,

Mais maintenant suis la renommée,

O roi Charles, pas de toi amée,

Puisque pour une aultre m'avez valu changée,

Mais, nonobstant, pas n'en suy diffamée,

Amoindrie, foulée, ne blamée.

Si en ton pays je ne suis enfermée,

Dame et royne, cause ai de moi planter

En aultre vergier, pour moy de toy venger.

O empereur de Rome redoubté,

Mon grand-père, de vertu illustré

Qui chà jus porte et as toujours porté

Le monde, aussi l'espée de justice,

Je te prie que tu prende pytié

De Marguerite, à qui on a osté

Plaisir, solas, puissance et majesté,

Sans regarder à quelque préjudice ;

C'est peu prysé ton noble hôtel d'Austrice.

Mon noble père, aussi roy des Romains,

Toujours auguste entre les corps humains,

Je te requier et prie à jontes mains,

Pour acquérir de Jhésus le mérite,

Que tu veuilles tant prier tes Germains,

Et tes subjects qu'en brief, sans nulz demains,

Ils tirent hors de ces las inhumains

Ta petite fillette Marguerite,

Que de solas et joye on déshérite.

Et toy aussi, mon frère souffisant,

Philippe, archiduc d'Austrice, flourissant

En toutes honneurs et en beaulté croissant,

Remets ta sœur petite en non chaloir,

Fais esclaircir ton espée tranchant,

Fais esmouvoir ton peuple ravissant,

Fais desploier ton estendart puissant,

Fais à ce cop ta jeunesse valoir ;

Car, selon droit, mon duel te doit doloir.

De cuer contrit, je requier à Dieu vengeance ;

De cuer contrit, je demande alligeance ;

De cuer contrit, je pleur ma nuysance,

Pensant en moi qu'.3 mon corps deviendra.

On m'a osté mon solas, ma plaisance,

On m'a donné pour joye desplaisance ;

De faire à dame ainsi est-ce l'usance ?

Non, j'ai espoir que le temps changera,

Il n'a pas pieu tout ce qu'il plouera.

O mes Flamens, estes-vous endormiz ?

Vous estes ceulx qui me y avez miz,

En ce dangier dont de peur je frémis,

Craignant user en douleur mon eage.

Tous les Franchois vous tenez pour amis

Que vous devez tenir pour ennemis ;

Car faussé vous ont ce qu'ilz vous ont promis,

Touchant de luy et moy le mariage ;

Mené m'avez en paynible volage.

Et vous qui estes de la noble maison

de Bourgoigne : or, est-il huy saison

De vous monstrer en servant la toison,

Preux et vaillans, sans faire nulle haussage,

Vous voiez que suys à demi en pryson

Mise par vous, dont petit vous pryse,

Si ne vengez la grande mesprison.

Mettez vous donc en armes au passage

Pour moy ravoir, et on vous tendra sage.

Considérez la honte et vitupère

Que on a fait à moy et à mon père ;

Aydez que le faiteur le compère

Selon raison, droit et sainte escripture

Pour elle aussi que deusee nommer mère

Me faut gouster cette sausse amère.

Ou que chà jus en nulz livres d'Homère

Home ne fist de telz fais lecture.

Mal en viendra selon foy et droiture.

Oncques parler de telz fais je ne ouys ;

Que dites-vous les bons de mes pays ?

Bien cause avez d'estre peu esjouys

Pour ces tors fais à moy et mon père.

Sy petit n'est qui n'en soit eshahiz ;

Qui telz fait brasse, il doit estre hays.

O tristesse, de toy trop je jouys,

Oultre mon veul ; mais s'il plaist Dieu, j'espère

Que je reverray ma lyesse prospère.

O vous, dames, damoiselles et pucelles,

Vous bourgeoises, gentiles damoiselles,

Vous marchandes riches et toutes celles

A marier, prenez en exemplaire ;

Mirez vous y et lisez mes libelles ;

N'alliez pas vos faces qui sont belles

A hommes nulz qui vous soient rebelles,

Comme de moy est fait, dont me doit desplaire,

Mais puisque à Dieu plaist, par raison me doit plaire.

Si je ne suis en France coronée,

Et se du roy je suis habandonnée,

Et se une aultre est en mon lieu ordinée,

Il m'en convient la patience avoir,

Pas ne m'en chault ; mais que soie menée

En la maison, en laquelle suy née,

Et souefment de tous biens gouvernée,

Pour mon tayon (aïeul) mon père veoir,

Je ne demande en ce monde aultre avoir.

Adieu plaisirs, adieu esbatemens,

Adieu deduis, adieu haus paremens,

Adieu chansons, adieu bons instrumens,

Adieu danses, adieu joieusetez !

J'ay tous anuys, j'ai tous encombremens,

J'ay toutes peines, j'ay douleurs et tourmens,

J'ai tous dangiers, et tous par vous, Flamens !

En test avis m'avez mis et bouté,

Quant Dieu plaira de moi ara pitié.

De mon tort fait, l'arbre en doit sa verdeur

Perdre à tousyours, et la fleur son odeur,

Le fruyt son goust, le soleil son ardeur,

L'oiseau son chant, la rivière son cours,

Tous Austriciens, subjets à l'empereur

Doivent entrer en vaillance et fureur,

En promettant de venger cest erreur,

Sans des Franchois doubler le secours,

Car c'est blame pour toutes nobles cours.

Je ne sais mieulx que patience avoir,

Et mettre en Dieu le fait Marguerite,

C'est celui qui peut et scet tout concevoir,

Et qui aulx bons donne sa gloire eslite.

Quelle belle poésie ! quelle vérité et quelle profondeur de sentiment'. Ces prières, ces imprécations adressées à un père, à un frère, aux nobles de Bourgogne, aux Flamands, à tout un peuple, cette résignation ensuite, cette soumission à la divine volonté, ont quelque chose de singulièrement touchant. Voilà bien Marguerite, traînant douloureusement, toute sa vie, avec une mélancolique résignation, la longue chaîne de ses espérances trompées. Il semble qu'elle ait voulu, dans les magnificences de sa cour, dans les jouissances des lettres et des arts, chercher une diversion à cette disposition habituelle de son âme.

Marguerite, dit encore M. Altmeyer, ne protégeait pas seulement les lettres, elle favorisait encore les arts. Sous le règne de cette princesse la musique fut portée à un degré de perfection inconnu jusqu'alors. Elle voulait consoler ses infortunes, adoucir les douleurs poignantes de son âme par les plaisirs. Aussi pendant que Massé lui racontait les merveilleuses histoires de ses Assyriens et de ses Babyloniens[42], Lemaire[43] et Molinet[44] se mettaient à chanter sur toutes les gammes :

Après regretz il se faut resiouir

Chassant tristesse et souvenir.

Puis c'étaient trompettes, joueurs de tambourins, orgues, fifres, rebecs, et sacquebottes, qui venaient la distraire. Une autre fois c'étaient des chanteurs allemands, remarquables, alors comme aujourd'hui, par le sentiment et l'exécution. D'autres fois encore c'étaient des joueurs de farces et des faiseurs de pas, ou bien des automates, de ces fameux audroïdes, objets alors de la curiosité générale. Nous avons, à la bibliothèque de Bourgogne, un manuscrit provenant de la collection de Marguerite, intitulé des basses danses, où se trouvent annotées en musique plus de cinquante danses différentes. Sa cour était devenue le rendez-vous de toute la noblesse du pays[45].

Marguerite habitait Malines, son séjour de prédilection ; c'était alors une des plus belles villes des Pays-Bas. Par le milieu d'icelle, dit Guicciardin, passe la rivière Dele — la Dyle —, qui, de soy-mesme, est assez grande et enflée, et plus encore pour le flue et reflus de la mer, qui vient jusqu'à là, et encore une lieue plus oultre : de sorte que se paraissant en plusieurs bras, comme canaux, fait des isles infinies en la ville, jointes par des ponts et séparations d'églises et maisons, avec une grande commodité des citoyens et ornement de la ville. Malines formait une seigneurie à part. On y admirait les fières corporations des pêcheurs, boulangers, tenturiers, corroyeurs, brasseurs de bière et bouchers, lesquels sont en telle réputation que de chascun de ces mestiers on fait tous les ans un eschevin : tellement que le souverain magistrat et bourguemaistre a six eschevins qui sont artisans, et six qui sont gentilshommes. Mais sur tous ces mestiers sont respectés les couroyeurs, pour estre test art de grande importance en ceste ville, ceux qui s'exercent à faire et parer les cuirs embrassans et faisans presque la quatrième partie de tout le corps de la bourgeoisie et citoyens de cette belle ville. Ce mestier a un grand espace de la ville séparé des autres, et_bien accommodé d'eau vive, d'édifices, de canaux et instrumens propres... et jouissans de beaux privilèges et libertez, jusque là que d'avoir congé d'aller à la chasse de toute beste, ainsi qu'ont les seigneurs et gentils hommes[46].

Les draps, les toiles, les tentures de Malines étaient fort recherchés. Ses fondeurs de cloches et de canons n'étaient pas moins célèbres. C'est à Malines qu'est gardée l'artillerie, poudres et munitions du prince, et pour ce qu'il y a un logis très grand et capable pour cest effect, qu'on appelle l'hostel de la munition : là où vous verrez si grand nombre d'artillerie, tant,de fer que de bronze, et si grande quantité de tous instrumens et apareils de guerre, de barques, pontz, chariots et munitions... Rien de plus animé alors que cette ville : tantôt on y voyait un légat du pape ou un prince des Moscovites[47] ; tantôt on assistait à de pieuses processions parfumées d'encens et de fleurs, ou bien c'était l'ouverture des états généraux, ou la réception solennelle d'un docteur de Louvain[48]. Les Malinois estoient fort civils, accostables et traictables, sentans leur cour, laquelle y a résidé longtemps : ayans — outre ce que nature les pousse à ceste naïve courtoisie — une telle grâce, gentillesse et façon de faire, qu'il semble que toute leur vie ils aient fréquenté les palais des princes.... En ceste ville ont esté eslevez et nourris, durant leur enfance, Philippe d'Austriche, roy d'Espagne, et Charles son fils... d'autant que la cour résidoit ici le plus souvent... et comme depuis l'empereur Charles eust octroyé ceste ville à madame Marguerite pour usufruit durant sa vie, elle y posa son siège et demeure ordinaire.

Malines fut aussi le rendez-vous de plusieurs princes d'Allemagne, auxquels le magistrat, dans un intérêt bien entendu, avait l'habitude de faire de beaux cadeaux en vin du Rhin et de donner de splendides banquets, où coulait à pleins bords l'hypocras, le beaune et le malvoisie, pendant que le peuple, enrichi par les prodigalités de ces opulents étrangers, versait des flots de cervoise dans les nobles estaminets du Cygne, de l'Ours et de l'Agneau. Le palais de Marguerite à Malines n'était pas moins somptueux que celui de l'empereur à Bruxelles. Les murs des salons étaient couverts de ces exquises tapisseries faictes de fils d'or et de soie, en lesquelles estoit contenue l'histoire de la passion en assez grands personnages[49] et d'autres histoires merveilleuses sacrées et profanes. Ils étaient garnis de tapis velus amenés de Valladolid, pays d'Espagne, de miroirs d'acier et de gourdinnes de velours. Sur les tables, de riches cassolettes d'argent, à moult belle façon, exhalaient bonnes senteurs et autres parfumades d'Espagne. Vêtements, service, décors de toute sorte étaient en proportion.

Mais si Marguerite se plaisait à orner splendidement sa demeure, il faut rendre hommage à sa piété, et faire connaître le zèle vraiment royal avec lequel elle aimait à décorer les temples du Seigneur des marques de sa munificence et de ces œuvres d'art dont elle encourageait si généreusement la production. C'est ici le lieu de dire en passant quel honorable appui rencontra chez elle un artiste célèbre, Bernard Van Orley ou d'Orley, son peintre en titre, dont elle acquit un grand nombre de tableaux religieux[50]. On la voit avec admiration allouer cent livres à l'église de Saint-Gommaire, à Lierre, pour acheter une tapisserie armoyée de ses armes, et destinée à en décorer le chœur ; cinquante livres à l'église de Saint-Pierre, à Malines, pour faire estoffer de fin or et d'asur trois grandes ymaiges de bois, assavoir Notre-Dame, Saint-Pierre et Saint-Pol estans sur le grand autel de ladite église, où les armes d'icelle dame furent mises et posées pour mémoire d'elle ; cent quarante-deux livres dix sous au couvent de Galilée, à Gand, pour l'acquisition d'une tapisserie destinée à en orner l'église ; trois aunes de crêpe à la grande église de Heusden, pour servir sur une sépulture de Notre-Seigneur étant en ladite église ; deux manteaux de satin broché pour deux ymaiges de Notre-Dame, l'un estant en l'église de Cauberghe, à Bruxelles, et l'autre en l'église de Mol ; un manteau de damas blanc à l'image de Notre-Dame de Pitié dans l'église de Saint-Géry, à Bruxelles ; trente-trois livres six sous huit deniers pour fournir à la dépense de la dorure d'un tableau des Sept Douleurs, avec la représentation du feu roy don Philippe, qui décorait une chapelle de cette église[51]. A chaque page des comptes de Marguerite, on voit figurer des subsides accordés pour établir des verrières, notamment dans le chœur et dans la chapelle du Saint-Sacrement de l'église de Sainte-Gudule, et dans l'église des frères-mineurs, à Bruxelles ; dans la chapelle des chartreux, à Scheut ; dans l'église du couvent de Rouge-Cloître, à Auderghem ; dans l'église d'Alsemberg ; dans la cure de Braine, dans l'église de Sainte-Elisabeth, à Grave ; dans l'église paroissiale de Zutphen ; dans l'église des frères-prêcheurs de Douai[52]. L'exemple de la princesse eut de nombreux imitateurs, à cette époque, dans le clergé, dans la noblesse, et dans la riche bourgeoisie. A aucune époque on n'exécuta autant de vitraux pour les églises.

La régence de Marguerite fut éminemment sympathique aux choses de l'esprit ; ses exemples et ses encouragements contribuèrent puissamment, il n'est pas permis d'en douter, au développement des lettres et des arts. Le mouvement des intelligences était, en ce moment, des plus actifs et des plus caractérisés dans tout l'occident. C'est le moment de la Renaissance, époque pleine d'éclat, pleine d'espérances. Ces espérances hélas I furent loin de se réaliser complètement : l'orgueil, les passions humaines, de funestes malentendus vinrent jeter la division dans les esprits, le trouble dans les cœurs ; de tristes orages, des guerres sanglantes allaient bientôt succéder à ces perspectives riantes, à cette aurore sereine, et provoquer, au sein de la chrétienté, une révolution religieuse et politique, dont les suites calamiteuses durent depuis des siècles et qui n'a pas dit son dernier mot. Pendant qu'il en est temps encore, essayons de tracer un tableau rapide de la situation intellectuelle de la Belgique dans ce premiers tiers du seizième siècle.

Marguerite d'Autriche cultivait la poésie ; elle avait attiré auprès d'elle deux poètes, qui ne manquaient pas de distinction, nous l'avons dit : Jean Molinet et Jean Lemaire des Belges. A côté d'eux on peut citer, dans la poésie française, Julien Fossetier d'Ath, qui paraphrasa la célèbre devise : Fortune infortune fort une, et Nicaise d'Adam, qui dédia à sa bienfaitrice une chronique en vers. Dans la poésie latine, qui était alors fort en honneur, nous avons un grand nombre sinon de poètes remarquables, au moins d'honnêtes versificateurs à nommer. Le plus remarquable et le plus connu est Jean Everardi, communément appelé Jean Second, dont les poésies, souvent réimprimées, ont un caractère véritablement antique. Ses deux frères tiennent aussi un rang distingué parmi les poètes latins modernes ; on les désigne souvent sous le nom de tres fratres belgœ[53]. C'était une famille privilégiée, car leur sœur Isabelle cultiva aussi avec succès les muses latines dans les paisibles solitudes du cloître. Nommons encore Remacle de Florennes[54], que Marguerite combla de ses bienfaits ; Nicolas de Stoop, d'Alost, qui composa un panégyrique en vers de la malheureuse mère de Charles-Quint ; Martin Borckens, de Tongres, auteur d'épigrammes et d'acrostiches à la louange des saints et des évêques de Tongres et de Liège ; Pierre de Busschere, d'Alost, qui, sous le titre de Stichologia, a laissé un traité sur l'art de la versification ; Nicolas Brontius, qui dédia à Charles-Quint un poème sur la nécessité de combattre les Turcs et chanta les louanges du Hainaut, sa patrie ; Pierre Pontanus, de Bruges, que les muses consolèrent de sa cécité ; l'helléniste Christianus Cellarius, qui célébra la campagne de Charles-Quint contre Soliman — Carmen heroïcum de Bello per Carolum V in Hungaria advenus Solimanum Turcarum imp. gesto —, Pierre Heyns, d'Anvers, auteur du Speculum mundi sive epitome theatri orteliani ; le bénédictin Paschal de Bierset[55], poète et peintre, dont la correspondance avec Érasme figure parmi les œuvres de celui-ci.

Marguerite, comme les princes de la maison de Bourgogne en général, avait conservé les habitudes et le langage de la France, quelque hostile qu'elle fût d'ailleurs aux tendances françaises. Le gouvernement de cette dynastie n'avait donc pas été favorable au développement de la littérature flamande. L'époque où nous sommes n'en vit pas moins fleurir un grand nombre de poètes flamands. Le plus fécond de ces écrivains nationaux fut un prêtre d'Audenarde, Mathieu Casteleyn, l'un des membres dirigeants de la société de rhétorique de cette ville, Pax vobis. Il a écrit plus de cent pièces de théâtre, et sa Science de la rhétorique, konst van rhetoriken, eut une vogue immense dans les sociétés littéraires et dramatiques de nos provinces du nord[56].

Ces chambres de rhétorique, comme on les appelait, étaient très nombreuses alors dans la Flandre et dans le Brabant. Il y en avait quelquefois plusieurs dans la même ville, et l'on en rencontrait dans des localités tout-à-fait secondaires. C'étaient à la fois des centres d'études et d'amusements populaires. Les représentations théâtrales étaient particulièrement l'objet de l'émulation qui régnaient parmi elles. On distinguait deux espèces de chambres de rhétorique, les franches et les non franches. Les premières avaient deux octrois, l'un de l'autorité communale, l'autre de la chambre supérieure, hoofdkamer. Philippe le Beau, qui commençait à redouter leur pétulante indépendance, érigea en principe ce droit d'octroi dont s'étaient emparé les chambres supérieures, et en fit une attribution du pouvoir souverain.,Alléguant l'intention de mettre de l'unité dans leur direction, il créa une chambre suprême, et lui donna pour prince, comme on disait alors, son premier chapelain, Pierre Aelturs. Le règlement de cette chambre date du 25 novembre 1505 ; elle fut établie à Gand, dans le palais même des comtes de Flandre, et on lui assigna, pour ses exercices religieux, car à l'origine ces sociétés étaient profondément empreintes de ce caractère, un autel de la chapelle de Sainte-Barbe[57]. La chambre était formée de, quinze membres, et de quinze jeunes gens tenus d'apprendre l'art de poésie. En outre, afin d'honorer d'une manière plus particulière Notre Seigneur Jésus-Christ et la Sainte Vierge Marie, on y admit quinze femmes en mémoire des quinze joies de la Sainte Vierge. Les cotisations payées par les membres étaient affectées à un prix annuel, pour lequel chaque rhétoricien avait la faculté de concourir. Lorsque les membres se rendaient à des concours, la suprématie de leur chambre leur conférait le droit de priorité pour la représentation de leurs drames et de leurs moralités, sans qu'ils fussent obligés de se soumettre à la voie du sort. Ge privilège provoqua des réclamations de la part des sociétés rivales. Ainsi la Fontaine de Gand, que cette institution avait privée de son droit d'octroi, en appela au conseil de Flandre et au grand conseil de Malines, mais, à deux reprises, gain de cause fut donné à la chambre suprême. Cette barrière, toutefois, fut impuissante contre l'esprit d'indépendance qui dominait alors, et si jamais les chambres de rhétorique ne donnèrent plus de concours que dans la première moitié du XVIe siècle, jamais non plus elles n'exprimèrent des idées plus hardies et plus inquiétantes pour la constitution sociale et politique du pays.

Le goût des représentations dramatiques s'était singulièrement développé dans les premières années de ce siècle. A Anvers, dit M. Snellaert[58], presque chaque rue avait son théâtre particulier. Malheureusement ces spectacles étaient souvent entachés d'attaques satiriques contre le clergé et contre les -classes supérieures. Sur ces théâtres, remarque un écrivain contemporain[59], on met en scène, dans un esprit évidemment hostile, les cérémonies de l'église ; on accueille d'un rire ironique les écarts des grands ; on se répand en railleries mordantes contre les fautes que peuvent commettre les prêtres, puisqu'ils appartiennent à l'humanité.

Les mystères, qui avaient fait les délices du moyen-âge, étaient encore fort en vogue à cette époque. En 1501, à l'annonce d'une représentation du mystère de la Passion, le magistrat de Mons prescrivit, entre autres mesures de précaution, de placer des gardes aux portes de la ville et à la maison communale, de tendre les chaînes aux abords du marché, de tenir les chiens au logis. Philippe le Beau l'ayant invité à retarder cette fête de trois semaines ou un mois, afin que la princesse sa femme pût y assister, le conseil de la ville pria le prince d'autoriser la représentation au jour primitivement fixé, vu l'achèvement des préparatifs, les grandes dépenses qu'elle avait occasionnées et la multitude de peuple qui devait y accourir[60]. Les Sept Douleurs de la. Sainte-Vierge, mystère qui fut joué à Bruxelles en 1522 par la chambre de rhétorique la Guirlande de Marie, et le Jeu du Saint-Sacrement, représenté en la même ville en 1523, et plus tard, déployèrent de véritables merveilles de luxe et de décors et attirèrent une foule innombrable. Le Mystère de Saint-Jean-Baptiste avait une grande vogue dans les localités placées sous le patronage du bienheureux Précurseur ; en 1548, il fut repris à Molenbeek-Saint-Jean-lez-Bruxelles, après une longue interruption. L'affluence des spectateurs fut si grande, qu'il en résulta de nombreux et graves accidents[61].

Les chambres de rhétorique ne se bornaient pas à donner des représentations dramatiques et à ouvrir ces concours célèbres sous le nom de joyaux du pays, landjuweel. C'étaient elles généralement qui, de concert avec les métiers, organisaient les solennités publiques sous le patronage des autorités communales. Elles déployaient dans ces circonstances, comme dans leurs concours, une magnificence inouïe. Ainsi, au landjuweel qui eut lieu à Malines, le 22 juillet 1545, on vit une des trois chambres d'Anvers, de Violieren, représentée par six cents de ses membres, à cheval, en chariots et à pied, tous habillés de même[62]. A un carrousel offert le 5 mai 1538 par une des chambres de rhétorique de Bruxelles, le Livre, aux autres chambres et aux corps de musique, les musiciens de l'église de- Saint-Nicolas et la chambre la Fleur de blé se présentèrent dans un somptueux cortège composé de plus de cent chevaux. Ce furent les premiers, costumés en Maures, qui remportèrent le prix d'adresse[63].

Lorsque la réforme vint agiter les esprits, les mystères religieux portés sur les théâtres perdirent leur caractère primitif. Beaucoup de chambres de rhétorique accusèrent des tendances favorables aux idées nouvelles. Les satires contre le pape, les moines, les indulgences, les pèlerinages et autres pratiques du culte catholique, s'étalèrent sur ces scènes populaires. Ce fut en vain qu'on poursuivit les auteurs dramatiques, qu'on interdit la publication et la mise en scène des pièces allégoriques connues sous le nom de spelen van sinne. Tous ces moyens furent inefficaces ou insuffisants, et bientôt la licence ne connut plus de retenue.

Cette tendance favorable à la réforme ne se montrait pas moins dans les refrains ou chansons populaires fort en vogue à cette époque. Mais là les catholiques luttèrent avec un succès marqué. Anna Byns, d'Anvers, religieuse et institutrice, fut longtemps leur oracle ; ils lui décernèrent le nom de Sapho brabançonne, nom peu convenable à son genre de talent et à son caractère, mais qui indique l'enthousiasme inspiré par ses œuvres. Dans un langage admirable de pureté pour l'époque, dit M. Henne auquel nous empruntons beaucoup de ces détails, elle lança d'énergiques épigrammes contre Luther et le luthéranisme ; ses poésies, surannées sous le rapport des formes grammaticales et de la syntaxe, plaisent encore par l'harmonie du rhythme, par la netteté et par l'énergie de la diction[64]. Il y eut alors des efforts courageux pour épurer la langue et la versification flamandes. Mais cet idiome national, supplanté à la cour et dans l'administration par le français son rival, dégénéra de plus en plus, et, on le remarque à regret, le défaut d'entente entre ses partisans lui nuisit considérablement. Dans la plupart des écoles des Pays-Bas, dit Guicciardin, on enseigne le français aussi bien aux filles qu'aux garçons, de sorte que par cet enseignement, joint à l'usage et à la fréquentation, cette langue ne doit pas tarder à être aussi familière aux habitants des provinces flamandes que leur langue maternelle.

Mais ce qui brille d'un éclat incomparable en Belgique, pendant ce premier tiers du XVIe siècle, c'est la haute littérature, la littérature savante, la philologie, si l'on veut, mais en prenant ce mot dans son acception la plus élevée et la plus étendue. Au premier rang des écrivains qui illustrèrent alors notre Belgique apparaît Érasme[65], Belge par ses affections, par son long séjour dans un pays où il regretta de ne pouvoir mourir, par ses relations avec tous nos hommes supérieurs, et par l'influence qu'il exerça chez nous sur le progrès des études et des méthodes, grâce surtout à la part considérable prise par lui à la création et à la première organisation du Collège des Trois-Langues à Louvain. Cet homme extraordinaire, qui tient une si grande place dans le mouvement intellectuel de son temps, avait trouvé l'accueil le plus distingué et le plus sympathique chez nos compatriotes. Reçu avec honneur dans les villes qu'il visitait, accueilli avec les plus grands honneurs à la cour de nos princes, on le vit, en 1504, chargé par les états de Brabant de complimenter Philippe le Beau sur son retour en Belgique. Charles-Quint lui conféra le titre de conseiller avec une pension de trois cents livres. Quand François Ier voulut l'attirer dans son royaume, rien ne fut négligé pour le retenir, et il resta jusqu'à sa mort, dit M. Henne, le protégé de la cour, comme il resta le plus bel esprit et le savant le plus universel de son temps.

A côté d'Érasme on voit figurer une autre personnalité littéraire, dont le nom, entouré d'une auréole plus sévère, ne pâlit cependant point, au moins dans l'appréciation des hommes de la science, à côté du sien. Cet homme, étranger aussi, mais nationalisé en Belgique, où il se maria et où. il termina sa vie studieuse et. féconde, c'est Louis Vivès[66], de Valence en Espagne. Vivès faisait partie avec Érasme de ce glorieux triumvirat littéraire, dont Budé fut le troisième membre, et il y tenait dignement sa place, puisque si l'on accordait à l'un de ses rivaux la prééminence de l'esprit, à l'autre celle de l'érudition, on lui décerna à lui la palme du jugement. C'est par là, en effet, que se fit remarquer cet écrivain illustre, non moins que par son attachement vif et sincère à la foi catholique, par la douceur et la fermeté réunies du caractère, et par les vues les plus saines, les plus applicables, aujourd'hui encore, sur le progrès des méthodes et des études. Il ne manque à Vivès pour reprendre la place qui lui est due, c'est-à-dire, une des premières, dans l'histoire des lettres, que d'être mieux connu.

A vrai dire, notre histoire littéraire, à. cette époque, est presque tout entière dans celle de l'Université de Louvain. Un événement capital en signale les premières années, c'est la fondation du Collège des Trois Langues par Jérome Busleyden en 1517. Il ne faudrait pas croire toutefois que le progrès des études littéraires, florissantes alors en Italie, n'ait commencé qu'à cette date à Louvain. Cette ville et son université avaient été des premières, rendons leur cette justice, à s'emparer de l'imprimerie, le nouveau et admirable moyen de divulgation des idées, au profit des études et particulièrement de celle de l'antiquité. Dès l'an 1473, on signale à Louvain la présence d'un imprimeur célèbre, Jean de Westphalie, et on le voit avec un plaisir mêlé d'étonnement obtenir de l'université le titre de magister artis impressoriæ. Il y publie son premier ouvrage en décembre 1474, et, pendant une résidence d'environ vingt-quatre ans, il y édite plus de cent vingt ouvrages, dont les exemplaires conservés sont au nombre des plus précieux monuments de la typographie naissante. On cite, parmi ces éditions, les satires de Juvénal et de Perse (1475), le traité de Cicéron De claris oratoribus (1475), les Bucoliques et les Géorgiques de Virgile (1475), les XII livres de l'Énéide (1476), les traités de Cicéron, De officiis, Paradoxa, De amicitia, de senectute (1483), une traduction de la Morale d'Aristote (1475), Boèce, les XXII livres De civitate Dei de Saint-Augustin (1488), et ses livres sur la Trinité (1495) ; enfin les Epistolæ peramœnœ d'Aneas Sylvius Piccolomini (1483). On conserverait difficilement, dit avec grande raison le savant historien du collège des Trois Langues, des doutes sur les progrès lents, mais sûrs, des études de philologie latine, en voyant ces textes étendus de Cicéron et de Virgile, publiés à Louvain avec netteté, et mis à la portée de la jeunesse de ses collèges.

Ces publications nombreuses d'excellents écrits furent continuées avec plus d'éclat et de fécondité par Thierri Martens[67] d'Alost, qu'on a surnommé l'Aide de la Belgique. Après avoir cultivé avec succès et en le perfectionnant sans cesse son art à Anvers et à Alost, ce célèbre imprimeur vint en 1512 se fixer à Louvain, où, précédemment déjà, il avait racheté les ateliers de Jean de Westphalie et reçu le titre de maître en l'art d'imprimer.

C'est surtout à la Faculté des lettres qu'il consacra ses presses, a dit son historien. Aussi est-ce à l'activité avec laquelle Martens secondait les efforts d'Érasme, de Barland[68], de Martin Dorp[69], de Pierre Gilles[70], de Louis Vivès, que leuniversité de Louvain dut l'avantage de contribuer puissamment à la renaissance de la saine littérature au commencement du XVIe siècle. Quatre-vingts éditions, dont la latinité toute cicéronienne bannit à jamais du sol belge le latin barbare du moyen-âge[71], attestent encore aujourd'hui la part que prit Martens à cette œuvre glorieuse.

L'ouverture du collège des Trois Langues donna une nouvelle activité aux presses de Thierri Martens. C'est avec l'aide des professeurs de ce collège, et en vue du mouvement intellectuel qu'ils étaient appelés à produire et à diriger, qu'une notable partie de ses belles éditions furent publiées. Le nouveau collège fut inauguré le Ier septembre 1518, dans une dépendance du couvent des pères augustins, dans le voisinage du marché au poisson ; il fut désigné sous le nom de Collegium trilingue, Collegie van de dry tonghem, et aussi de collegium Buslidianum ou Buslidii, collège de Busleiden, en mémoire de son principal fondateur. Il était destiné à l'enseignement des trois langues hébraïque, grecque et latine. Les trois premiers maîtres chargés de cet enseignement furent Hadrianus Barlandus pour le latin, Rutgerus Rescius[72] pour le grec, et Matthæus Adrianus[73] pour l'hébreu.

Jérôme Busleiden, né à Arlon vers 1470, appartenait à une famille noble du Luxembourg, qui avait été comblée des faveurs des princes et du gouvernement des Pays-Bas. Après avoir étudié les lettres et les éléments du droit à Louvain, il visita l'Italie vers l'an 1498, et prit à Bologne le grade de docteur. Il occupa un siège au conseil souverain de Belgique, et remplit plusieurs missions diplomatiques auprès du pape Jules II, de François Ier et de Henri VIII. Pendant les années où il résida en Belgique, Jérôme Busleiden montra le zèle le plus éclairé pour le progrès de l'instruction, et donna aux lettres un asile splendide en sa propre demeure, où il rassembla une collection d'antiquités, de manuscrits et de livres grecs et latins, qui était considérée comme une des plus précieuses de l'époque. Lui-même possédait beaucoup de savoir et était très versé dans la connaissance des langues grecque et latine, vir utriusque linguæ callentissimus, au jugement d'Érasme. Il avait embrassé l'état ecclésiastique, et il devint successivement chanoine de Malines, de Sainte-Waudru à Mons et de Saint-Lambert à Liège, trésorier de Sainte-Gudule à Bruxelles, archidiacre de Notre-Dame à Cambrai et prévôt de l'église de Saint-Pierre à Aire en Artois ; c'est de cette dernière dignité qu'il prenait le titre de prœpositus ariensis.

Jérôme Busleiden mourut à Bordeaux, le 27 août 1517. Il avait fait son testament à Malines le 22 juin de la même année, et il y ajouta quelques codicilles. Dans ce testament, il prit les dispositions nécessaires à. la dotation d'un enseignement des trois langues savantes, qui serait institué à l'université de Louvain. Il créa à cette fin treize bourses pour les honoraires de trois professeurs et pour l'entretien de dix élèves ; il affecta les fonds nécessaires sur tous ses biens tant mobiliers qu'immobiliers. Les six premiers boursiers devaient être choisis de préférence parmi les Luxembourgeois ; le choix devait se porter sur ceux qui donneraient les plus belles espérances à l'Église de Dieu et aux bonnes études ; entre plusieurs concurrents, le plus pauvre devait être préféré, s'il n'était pas inférieur aux autres pour la conduite et pour l'aptitude.

Le testateur avait chargé de l'exécution de ses dernières volontés trois hommes considérables de ce temps, Antoine Tuquet, son ancien compagnon de voyage, Nicolas de Nispen, secrétaire de Robert de Croy, archevêque de Cambrai, et Barthélemi de Vessem, chanoine de Malines. Ces mandataires usèrent de la liberté qu'il leur avait laissée d'interpréter ce qu'il pouvait y avoir d'obscur dans son testament, et en exécutèrent les clauses avec une généreuse largeur d'esprit. Sans perdre de temps, et pendant que se faisait la réparation des bâtiments achetés par eux au centre de la ville, ils inaugurèrent le nouveau collège dans le couvent des Pères augustins, et ce fut dans des salles prêtées par ces religieux que furent données les premières leçons,

Une agitation inaccoutumée régnait en ce moment dans l'université. L'alma mater, dans sa sollicitude pour le maintien de sa constitution et de ses privilèges, renouvela, le 8 mars 1549, celui de ses statuts portant que nul docteur, maître, licencié, bachelier, ne pouvait être admis à professer sans une autorisation préalable ; la faculté des arts soutenait de plus que le nouveau collège devait être réputé sien, et que c'était à elle de prescrire les règlements concernant les cours et les heures où ceux-ci pourraient être donnés. L'affaire fut instruite officiellement, et après de nombreuses conférences des députés de l'université avec les exécuteurs du testament de Jérôme Busleyden, le collège des Trois Langues fut admis comme faisant partie de l'institution universitaire. Les clauses établies par le testateur devaient être fidèlement respectées, mais avec l'obligation d'observer strictement aussi les statuts de l'université. Bientôt l'état provisoire rendu nécessaire par les travaux à faire aux bâtiments vint à cesser, et, le 18 octobre 1520, les professeurs prirent solennellement possession du local définitif ; ils avaient à leur tête pour président Jean Sterke ou Fortis, de Meerbeck, licencié en théologie. Les proviseurs, qui présidèrent à l'installation, étaient, suivant la volonté du fondateur, le pléban de l'église collégiale de Saint-Pierre, le directeur des disputes hebdomadaires du collège des théologiens — dites sabbatines —, et le prieur de la chartreuse de Louvain.

Il faut bien le reconnaître, la nouvelle institution ne s'était, pas établie sans opposition et sans lutte au sein de l'aima mater. Elle avait pour adversaires les partisans de la routine, les prôneurs ignorants du passé, toute une foule dominée par les préjugés d'éducation et d'école[74]. Une certaine inquiétude, une certaine méfiance se montrait aussi chez des hommes graves et. instruits, chez la plupart des membres de la faculté de théologie, en particulier, qu'en ce temps de réforme, de bruit et d'exaltation, tout changement, toute nouveauté trouvaient peu sympathiques. Ces hommes gardaient un silence peu encourageant, mais d'autres attaquaient même violemment la nouvelle institution. Les démonstrations hostiles ne manquèrent point. La jeunesse universitaire, ardente comme toujours et s'agitant volontiers, s'amusait à crier, en mauvais latin, faisant allusion à l'emplacement du nouveau collège, et comme pour joindre l'exemple au précepte : nous ne parlons pas nous le nouveau latin du marché au poisson, mais le latin de notre mère la Faculté. Tout ce tapage dura peu ; Adrien VI, déjà cardinal alors, prononça un mot qui eut un grand retentissement[75], sans toutefois faire disparaitre entièrement le mécontentement inquiet qui était dans un assez grand nombre d'esprits, et que les malheurs, les défections de ce temps agité ne faisaient qu'alimenter. Érasme mit un soin, une activité extrême à protéger les débuts du collège des Trois Langues ; il se fit le défenseur officieux de l'institution, et ne négligea rien pour lui procurer des amis et des protecteurs[76]. Mais la faveur d'Érasme avait ses inconvénients et ses dangers. Érasme, dit M. Neve, qui du reste le juge avec une indulgence que nous ne partageons pas entièrement, Érasme n'avait-il pas plus d'une fois abordé les questions les plus graves, au milieu de matières fort légères, et ne les avait-il pas traitées avec hardiesse, alors même qu'il n'avait rien cédé à l'erreur ? N'avait-il pas porté dans la satire, par exemple dans l'Éloge de la Folie, Moriœ Encomium, une causticité excessive, qu'avaient dû blâmer ses admirateurs sincères, tels qu'Adrien Barland et Dorpius ? Et même ne s'était-il pas laissé aller quelquefois à des sorties violentes et de mauvais goût à l'adresse des docteurs entêtés, inexorables en leurs discours contre les lettres et ceux qui les cultivaient[77] ?

Quoi qu'il en soit, le premier siècle du collège des Trois Langues, dit avec raison son historien, est certainement glorieux pour l'université qui l'a vu naître dans son sein et grandir rapidement ; pour la Belgique, qui a été éclairée la première par ses travaux[78]. Le XVIe siècle, dont l'histoire littéraire s'ouvre par le triumvirat d'Érasme, de G. Budé et de Vivès, se termine par le règne d'un autre triumvirat, formé par les noms de Juste Lipse, de Joseph Scaliger et d'Isaac Casaubon : dans l'un comme dans l'autre, un nom qui le dispute à tout nom rival appartient aux Pays-Bas : Érasme brille dans le premier, Juste-Lipse dans le second. Elle ne fut point stérile pour la saine érudition, pour l'avancement des études, pour la formation et la diffusion du bon goût dans les lettres, cette école qui a fleuri dans la vieillesse d'Érasme, et qui, moins de cent ans après, a produit le grand Lipsius, idole de son temps[79].

La réputation du collège des Trois Langues s'étendit vite au dehors. Plus d'un-pays étranger profita des fruits de son enseignement. Un historien bien connu de la Renaissance, l'Anglais Henri Hallam, en a rendu ce témoignage éclatant : Cet établissement produisit une foule d'hommes distingués par leur érudition et leurs talents ; Louvain, au moyen de son Collegium Trilingue, s'élevant à un rang plus éminent encore que celui qu'avait occupé Deventer dans le XVe siècle, devint non seulement le foyer principal des connaissances en Belgique, mais encore un foyer d'où elles se répandirent en différentes parties de l'Allemagne[80]. L'Allemagne, parmi les pays étrangers, ne fut pas seule à profiter des bienfaits de l'enseignement du collège des Trois Langues ; il suffit d'un seul exemple à l'appui de cette assertion. Un savant luxembourgeois, natif d'Arlon, fut appelé à la chaire de littérature latine du collège de France, chaire illustrée par Denis Lambin, et, au même moment, Jean Straselius[81] occupait la chaire de grec au même établissement[82].

Le progrès des études et des méthodes fut très remarquable au collège des Trois Langues, dès les débuts de l'établissement. Parlons d'abord de l'hébreu et des langues orientales en général. Le 30 mars 1518, Martens avait annoncé l'intention de commencer ses impressions hébraïques. Il s'occupait à cette date de la formation d'un double alphabet pourvu de points-voyelles, et bientôt après il publia son abrégé des racines de la langue sainte, rédigé en faveur des commençants[83]. Jean Van den Campen, Campensis, ainsi appelé de son endroit natal, la petite ville de Campen, à cinq lieues de Deventer, sur la rive gauche de l'Yssel, professa avec beaucoup de succès l'hébreu au collège pendant onze ans (1520-1531). Après avoir fait un voyage en Allemagne et en Pologne dans l'intérêt de ses études, il partit pour l'Italie et résida deux ans à Venise, où il donna des leçons. Il fut accueilli avec grande faveur à Rome ; mais les honneurs ne purent le retenir en Italie et il avait repris le chemin de la Belgique, quand il fut enlevé par la peste à Fribourg en Brisgau, le 7 septembre 1538[84]. Van den Campen est auteur d'un abrégé de grammaire hébraïque[85], d'une paraphrase des psaumes[86] et d'une autre de l'ecclésiaste[87]. Si l'hébreu, dit M. Neve, excita le sentiment d'une noble ambition dans l'esprit de Thierri Martens, un zèle non moins grand fut déployé par Jean Campensis. Ce professeur fit pour la grammaire ce que le docte typographe avait fait pour le lexique ; il donna un traité qui résumait les notions essentielles de la grammaire hébraïque d'après le grammairien le plus estimé de son temps, et l'on a la meilleure preuve de l'application avec laquelle de nombreux auditeurs avaient suivi son enseignement dans l'accueil qui fut fait à son Libellus, imprimé en 1528, et dans le succès de la grammaire abrégée, publiée l'année suivante sous le titre de Tabula par Nicolas Cleynaerts, de Diest, son élève[88]. Campensis avait donné la théorie et rassemblé les éléments de la science grammaticale : Cleynaerts appliquait à l'hébreu ses vues sur la méthode d'apprendre les langues. Il eut la satisfaction de voir cette méthode justifiée par la pratique. Le petit livre qui en était le résumé avait paru en janvier 1529 ; au mois d'août de la même année il s'applaudissait du parti qu'en avaient tiré en peu de mois des jeunes gens, capables déjà d'écrire des lettres en hébreu sur des sujets familiers[89]. Nous retrouverons bientôt ce maitre si original et si remarquable dans ce que nous aurons à dire au sujet des études grecques. Achevons maintenant de caractériser son influence sur les études orientales, et traçons une légère esquisse de la vie si accidentée d'un homme réellement extraordinaire.

 

Nicolas Cleynaerts, né le 5 décembre 1495, à Diest, fut envoyé fort jeune à Louvain. Il fut un des auditeurs les plus intelligents de Barlandus, de Rutger Rescius, de Campensis et des autres maîtres qui ouvrirent, vers 1518, des cours au collège des Trois Langues. Lui-même fut autorisé, après l'an 1520, à donner à l'université des leçons publiques et privées. Pendant de longues années, Cleynaerts médita sur la meilleure méthode d'apprendre les langues mortes et sur les moyens de faire avancer les études grammaticales. Il porta surtout ses efforts sur l'enseignement du grec et de l'hébreu, et ne recula devant aucune peine pour l'éclaircir et le simplifier. Nous venons de dire un mot de ce qu'il fit pour l'hébreu, nous parlerons tout à l'heure des services rendus par lui aux études grecques. Poursuivons maintenant l'exposé du reste de sa vie aventureuse et toute consacrée à la propagation de la foi chrétienne et à la science.

Tout en se livrant, dit M. Neve, à des exercices multipliés pour trouver la clef d'un enseignement raisonné du grec et de l'hébreu, Cleynaerts avait de bonne heure porté ses vues sur l'arabe, devenu, dans le cours du moyen-âge, l'idiome des nations et des écoles du monde musulman. Quoique muni de peu de matériaux, il s'était proposé de découvrir les analogies de l'arabe avec la langue hébraïque, la seule des langues sémitiques étudiée jusque là, avant de tenter la lecture du Coran et d'autres livres. Ayant aperçu et quelquefois deviné ces analogies, les ayant même signalées à ses amis de Louvain, il avait conçu le dessein de gagner l'Afrique par l'Espagne et de visiter cette race maure, chez qui se conservait l'usage de l'arabe. C'est qu'il voulait à la fois apprendre à connaitre la littérature de l'Islam et se rendre maître de la langue parlée, pour faire de l'une et de l'autre des instruments de prosélytisme scientifique et religieux[90].

C'est en 1532 que Cleynaerts quitta le Brabant pour aller chercher au midi de l'Europe des armes en faveur de ses projets. Il se dirigea d'abord vers l'Espagne, et s'établit à Salamanque, la ville savante, où il reçut la permission d'enseigner les langues. Il avait réuni une foule extraordinaire d'auditeurs pour le grec, et il allait obtenir, en 1534, une chaire à l'université quand il fut appelé en Portugal par le roi Jean III, pour achever l'éducation du frère de ce monarque, don Henri, destiné à l'archevêché de Braga. Il passa à Évora, résidence de la cour, quatre années environ, continuant ses études philologiques sans perdre de vue le but essentiel de son voyage. Il séjourna à Braga et à Coïmbre avant de rentrer en Espagne, et se fixa ensuite à Grenade, où il vécut plus de six mois à l'Alhambra, résidence du vice-roi, qui le protégeait, et s'exerçant à la conversation en arabe dans la société d'un esclave maure, que son protecteur avait attiré chez lui à grands frais. Ainsi parvint-il à lire aisément le Coran aussi bien que divers écrits de religion et de grammaire, et à traiter par écrit en arabe divers sujets de composition. Alors il se décida à passer seul en Afrique, malgré les périls inséparables d'une telle entreprise. Au mois d'avril 1540, Cleynaerts partit de Gibraltar et se fit débarquer dans la ville portugaise de Ceuta[91].

Après une marche pénible de plusieurs journées, il parvint à Fez, capitale d'un royaume voisin du Maroc, et siège d'écoles florissantes où les sciences préférées par les Arabes étaient cultivées par des maîtres expérimentés, et d'autres écoles tenues par des docteurs juifs. Il surprit les indigènes par les ressources de sa conversation arabe, par ses remarques sur des points de grammaire et par ses citations fréquentes du. Coran. Accueilli à la cour, il salua le roi étonné en arabe et lui exposa les motifs de son voyage[92]. Mais trahi et desservi auprès des autorités, il fut dépouillé de quelques manuscrits rassemblés à grand'peine, et soumis à de rudes privations et à de mauvais traitements. Après quinze mois de séjour en Afrique, au mois d'août 1541, il se vit forcé de regagner Grenade, où, grâce toujours à l'hospitalité du vice-roi, il reprit courageusement ses travaux et rédigea de longues épîtres aux princes chrétiens pour mettre en lumière le but de ses études et de ses périlleuses excursions. Mais une maladie, résultat des fatigues endurées dans l'accomplissement de la mission héroïque qu'il s'était donnée, l'enleva dans le cours de l'année 1542, âgé seulement de quarante-sept ans ; il fut inhumé dans une ancienne mosquée transformée en église chrétienne.

Nous n'avons pas, dit toujours M. Neve, recueilli le fruit des longues et ingénieuses études de Cleynaerts sur l'arabe. Les manuscrits d'une grammaire et d'un dictionnaire de cette langue, restés après sa mort entre les mains d'un ami, ne se retrouvent plus. Mais nous avons, sous forme de lettres, une relation des voyages de Cleynaerts faite par lui-même. C'est la plus originale des productions littéraires de Cleynaerts, et l'on y retrouve l'exposé de ses, procédés philologiques et ses projets d'une propagande très active pour la conversion des nations musulmanes. La lecture de ces Epistolœ[93] est attrayante, tellement le récit est animé, les traits jetés en abondance et la plaisanterie toujours naturelle et vive. On y est initié par Cleynaerts lui-même aux rapprochements de mots qu'il a cherchés dans plusieurs langues, aux inductions qu'il a su tirer d'un peti t nombre de textes sur les affinités de l'arabe et de l'hébreu, aux procédés familiers qu'il mettait en usage pour inspirer le goût des langues anciennes.

Ce qui l'emporte en intérêt, dans cette correspondance, c'est l'exposé des plans de notre compatriote pour les progrès de la science des langues concourant à la propagation de la vérité chrétienne. Il réclame l'érection de nouvelles chaires dans les universités et les grandes écoles de l'Europe, dans le but de former des controversistes préparés à lutter, par la plume et par la parole, avec les docteurs et les légistes de l'Islam. Cleynaerts voulait publier le texte du Coran, avec les réfutations propres à renverser la science traditionnelle de la Sunnah. Il appelle les efforts de toutes les monarchies européennes contre l'ennemi commun qui menace encore les frontières de la chrétienté ; il adresse aux peuples chrétiens une espèce de manifeste, véritable testament de ce savant au cœur d'apôtre ; il rédige spécialement, en janvier 1542, une supplique à l'empereur Charles-Quint, où il expose ses espérances sur les résultats d'une polémique littéraire, qui viendrait en aide à la diplomatie et à la force des armes. Hélas ! les circonstances étaient bien peu favorables, au moment surtout où la France venait de conclure une alliance politique avec le sultan, et de paralyser ainsi les expéditions préparées par les nations du midi de l'Europe contre les Turcs et les Maures qui désolaient la Méditerranée. Mais ces idées, ces plans n'en font pas moins honneur au savant qui les avait conçus. Philologue ingénieux et chrétien zélé Cleynaerts, après avoir été chercher la connaissance de l'arabe en Afrique au péril de sa vie, mourut au moment où son vif désir était de revenir à Louvain pour y créer une école et une pépinière d'orientalistes destinées à satisfaire aux besoins de la controverse et aux libres entreprises de l'apostolat[94].

Lorsqu'un peu plus tard, Arias Montanus se rendit à Louvain pour y jeter les bases de la bible polyglotte dont la direction lui avait été confiée par Philippe II, il réclama de l'université le concours de deux de ses membres pour l'aider dans l'accomplissement de cette grande tâche, et cela en deux points principaux. Il avait admis l'opportunité d'insérer une traduction littérale du texte hébreu dans les Biblia regia, et d'y joindre une version complète de la Paraphrase chaldaïque, qui ne s'étendait qu'au Pentateuque dans la Bible d'Alcala. Ces coopérateurs furent les docteurs Augustin Hunnœus de Malines et Cornelius Reineri, dit Gaudanus ; ils accomplirent, au nom de l'université, la tâche pour laquelle avait été sollicité leur concours : ils examinèrent les textes et les versions de tout l'ouvrage avec une attention scrupuleuse d'un bout à l'autre, et méritèrent les éloges solennels du savant éminent qui avait tout ordonné et tout dirigé[95].

Occupons-nous quelque peu maintenant du progrès des études grecques au sein de l'aima mater dans ces premières années du XVIe siècle. Le nom principal que nous avons à citer ici est encore celui de Cleynaerts. Ses Institutiones linguce grcecce, qui parurent en avril 1530, lui assurent un rang distingué parmi les hellénistes de son temps. Il fit l'application de ses théories et de sa méthode dans un autre livre, qui lui valut un long empire dans les classes[96]. Sa grammaire, chargée de notes de divers philologues, eut un grand nombre d'éditions, et fut en usage plus de deux cents ans après lui dans les Pays-Bas, en Allemagne et en France. Le successeur de Rescius à la chaire de grec du collège des Trois Langues, Adrien Amerot, de Soissons, Hadrianus Amerotius, avait aussi publié, dès l'an 1520, chez Thierri Martens, un abrégé de grammaire grecque, qui mérite une place d'honneur parmi les livres méthodiques qui ont assuré la rapide extension des études grecques à cette époque[97]. Ce traité et celui de Cleynaerts trouvèrent leur complément dans celui de Jean Varennius, ou Van den Varen, de Malines, sur la syntaxe de la langue grecque[98]. L'ouvrage de Varennius parut au mois d'août 1532, et eut plusieurs éditions à Louvain et ailleurs dans le même siècle. On doit au même savant un travail sur les accents grecs[99].

La langue latine, cultivée en Belgique avec plus de soin et d'extension que toute autre, exerça de bonne heure la sagacité d'un grand nombre de nos humanistes. Parmi ceux qui écrivirent des traités pour seconder le mouvement des études, il faut citer d'abord un amateur, Georges de Halluin, seigneur de Comines, qui chercha à établir, contre l'avis des grammairiens antérieurs prenant tous les règles et l'analogie pour bases de leur enseignement, l'usage et la lecture des anciens comme les seuls éléments véritables de la connaissance du latin. Ce petit livre[100], si curieux qu'il fût, dit M. Neve, s'est effacé devant la célébrité de l'ouvrage de Despautère[101], l'oracle de la grammaire latine pendant de longues années. La méthode usitée dans les leçons du collège des Trois Langues amena des réformes utiles dans l'enseignement. Conrad Gochlen, Goclenius[102], qui remplaça Barland dans la chaire de latin (1519-1539), et Pierre Nanninek, Nannius[103], qui remplaça celui-ci, furent deux professeurs très distingués. Grâce à eux et à leurs successeurs, plusieurs générations d'étudiants acquirent à Louvain l'usage d'une latinité pure, élégante, abondante, sans surcharge et sans afféterie. Juste-Lipse, malgré toute sa science, entraîna, par l'éclat de sa renommée, les maîtres et les élèves dans une voie nouvelle, qui semblait un progrès, et qui n'était qu'une regrettable déviation. C'est trop souvent là malheureusement le résultat des erreurs des hommes de génie. A la suite de Juste-Lipse, on visa à un langage concis, serré, solennel ; on voulut être magnifique comme lui, et l'on tomba avec lui dans cette dureté d'expression, dans cette concision affectée, qui déparent sa latinité. Le collège des Trois-Langues produisit, pendant cette première période de son existence, une foule d'humanistes actifs et judicieux. Plusieurs rendirent aux écoles du dehors des services recherchés. Nous avons nommé déjà Barthélemi Masson, Latomus, professeur au collège de France. Citons encore, comme sortant de Louvain, Suffridus Petri ou Sjurd Peeters[104] et Jean Boschius[105]. Le premier fut envoyé par le sénat académique de Louvain à l'université d'Erfurt, quand celle-ci lui demanda, en 1557, un professeur de grec et de latin ; le second fut appelé vers le même temps (septembre 1558), à l'université d'Ingolstadt, pour y donner la leçon d'éloquence — oratoria lectio.

C'est encore à Ingolstadt qu'un ancien élève du collège des Trois Langues, devenu franciscain, Godefroi Fabricius, enseigna les lettres sacrées sur l'appel qui lui fut fait par le duc de Bavière, après avoir suivi dans sa jeunesse, à Louvain, les cours de Goclenius, de Rescius et autres. On voit, à peu près à la même date, à l'université de Dillingen, la chaire d'Écriture sainte occupée par Guillaume Lindanus, plus tard évêque de Ruremonde, élève des mêmes maîtres, et auteur d'un ouvrage de critique publié à Cologne en 1558 : de optimo genere interpretandi scriptural libri III. Ajoutons à tous ces noms célèbres à divers degrés, ceux de Jean Storms, qui professa le droit à Orléans, de Jean Vasius, de Bruges, appelé en Espagne par le fils de Christophe Colomb, et auquel Jean III, roi de Portugal, confia la direction de l'école fondée à Braga sur les conseils de Cleynaerts de Christophe de Longueil, de Malines, désigné par Léon X pour combattre les erreurs de Luther, et mort à Pavie en 1522.

Nous croyons répondre à une préoccupation de notre temps en nous arrêtant un instant sur la place qui fut faite par les premiers humanistes de Louvain aux anciens auteurs chrétiens, à côté de ceux de l'antiquité païenne. Ici encore nous laisserons parler M. Neve, témoin impartial et éclairé : Ces hommes qu'on a taxés d'un dédain calculé pour les œuvres de l'antiquité chrétienne, non seulement les ont hautement appréciées, mais encore en ont recommandé instamment la lecture et l'étude. Il importe de dire que les écrivains de la plus grande autorité l'ont prouvé par leur propre exemple, qui n'a pu manquer d'efficacité : ainsi l'avis d'Érasme et de Vivès a dit se faire sentir heureusement dans notre pays et même y prévenir les écarts.

Érasme avait lui-même étudié les Pères grecs, et il a compris dans ses œuvres des études qui accompagnaient le texte des Pères latins, tels que Arnobe et saint Cyprien ; il a encouragé ses amis d'Oxford, qui travaillaient sur les mêmes sources, et il a soutenu Vivès dans son grand travail critique sur la Cité de Dieu de saint Augustin. Nous nous bornerons à un seul fait qui se rattache à la direction donnée aux études de philologie au collège des Trois Langues. Voulant, en 1527, dédier à son ami Nicolas Warry, dit Marvillanus, sa version du traité de saint Jean Chrysostôme in Babylam, Érasme a parlé de l'éloquence de cet illustre pontife avec une admiration sincère qui le rend éloquent lui-même. Il offre à Warry, président du collège des Trois Langues, une œuvre oratoire qui sera lue avec grand fruit par la jeunesse de ce collège, et qui servira très bien de modèle à ses exercices ; il lui semble que ce petit livre de Chrysostôme ne le cède point aux discours des orateurs profanes sous le rapport de l'élégance de la diction, de l'habileté du raisonnement et de la richesse de la composition, et que c'est merveilleux de voir avec quel éclat de couleurs le génie de l'écrivain a exposé un sujet fort simple en lui-même ; c'est là ce qui en augmente l'intérêt pour qui en fait un objet d'étude. Et puis, dit Érasme, qu'y a-t-il de plus utile au premier âge que d'apprendre à la fois la langue et l'art oratoire de ces auteurs, dont le langage ne respire pas moins le Christ que Démosthène ?

Dans bien des écoles Érasme avait vu des hommes entraînés vers les auteurs païens par leurs études oratoires, montrer une injuste aversion pour l'éloquence des Pères, et rechercher plutôt ce qui les éloigne du Christ. Pour lui, il réserverait par principe la lecture des auteurs païens aux maîtres, mais ne conseillerait pas de les expliquer aux jeunes gens. Sans prendre à la lettre le mot d'Érasme dans ce passage, on a lieu de croire que, frappé des abus, il réclamait dans le choix des ouvrages une réserve qu'on avait méconnue dans le premier élan de l'enthousiasme scientifique. Il n'avait alors que des louanges à donner au collège des Trois Langues en la personne de son directeur, et c'est dans la suite de cette même lettre qu'il félicite les professeurs de Louvain de s'être comportés avec tant de sagesse, de s'être gardés des imprudences et des excès alors si fréquents en Allemagne. Érasme était de l'avis de Marvillanus, qui recommandait à tout le monde, aux ignorants comme aux savants, la connaissance approfondie des langues, mais à la condition qu'au sortir de son collège, les parents recevraient leurs enfants non seulement plus habiles dans la parole, mais encore plus religieux et plus vertueux. Selon toute apparence, les conseils d'Érasme, qui étaient ceux de la prudence chrétienne, furent exactement suivis : on porta un sage discernement dans l'emploi des auteurs anciens répandus par l'impression, et l'on mit en honneur, d'autre part, la lecture non seulement des ouvrages des Pères, mais encore les compositions d'écrivains et de poètes chrétiens, tels que Prudence, par exemple. Adrien Barland conseillait d'expliquer ce poète après Virgile ; J. Murmellius, philologue de la même époque, l'avait commenté ; Érasme lui-même avait donné un commentaire sur deux hymnes de Prudence, célébrant la Nativité et l'Épiphanie[106]. Nannius s'est encore occupé de Prudence à l'époque qui suivit l'ouverture du collège ; il ne faisait que se conformer à tant d'exemples entre lesquels on ne saurait oublier celui du vieux Tnierri Martens, qui s'est adressé avec effusion de cœur aux jeunes amis des belles lettres — bonarum litterarum studiosis —, en leur offrant, au mois de novembre 1518, des morceaux choisis du plus éloquent des poètes chrétiens[107]. Ainsi s'exprimait l'infatigable éditeur des classiques, en parlant à la jeunesse chrétienne de nos contrées.

Mon imprimerie ne doit pas se borner à éditer des auteurs qui vous instruisent, elle doit encore vous en présenter qui vous rendent meilleurs. Dans cette vue, j'ai fait imprimer ces jours passés plusieurs pièces de vers du poète chrétien Prudence. Lisez-les avec goût, chers jeunes gens, et vous ferez de grands progrès dans la piété. C'est cette piété que moi, vieillard aux cheveux blancs, à la peau ridée, après tant de travaux d'une longue carrière, c'est elle que je recherche avant tout, car je sais que nulle étude n'est agréable à Dieu, si elle n'est accompagnée de la piété, qui ignore les dissensions, qui nous fait aimer de tout notre cœur Jésus-Christ, le sauveur du genre humain, et tous les hommes comme nos frères...

Elle dut être aussi d'un grand poids dans la tradition de nos écoles, l'autorité de Vivès, qui n'avait jamais perdu de vue la foi chrétienne au milieu des entraînements de la Renaissance. A Louvain, comme ailleurs, L. Vivès avait quelquefois expliqué des traités religieux tels que le Christi Triumphus qui fait partie de ses œuvres, dans le but avoué de substituer, en littérature, l'élément chrétien à la mythologie ; il revient plusieurs fois cette pensée dans ses écrits, soit philologiques, soit théologiques[108]. On sait quel cas Vivès faisait des poètes chrétiens, et quel rang d'honneur il assignait à Prudence et à plusieurs autres parmi les poètes de l'antiquité[109].

Il faut convenir que les hommes qui défendaient si habilement les droits de la littérature chrétienne méritaient bien d'être écoutés avec respect par leurs contemporains, quand ils recommandaient à leur étude les chefs d'œuvre littéraires de la Grèce et de Rome. On a donc accueilli les classiques païens dans notre enseignement national, mais avec la mesure que ces sages et grands esprits avaient prescrite ; on a cru à leur parole, quand ils ont, comme Vivès et d'autres penseurs non moins profonds l'ont fait, signalé ailleurs le danger moral que quelques-uns voyaient uniquement. dans les écrivains du polythéisme. C'étaient bien plutôt les œuvres modernes, les poésies populaires et galantes, des romans corrupteurs comme il y en eut dans toutes les langues ; cette classe d'œuvres où Dante signalait d'immenses périls[110], qu'il fallait mettre en cause pour sauvegarder la conscience publique...[111]

Achevons cette esquisse de l'état intellectuel de la Belgique pendant cette première portion du XVIe siècle. Nous ne pouvons passer sous silence deux hommes également remarquables dans le domaine des lettres et dans la sphère de la diplomatie et des affaires publiques, Corneille de Scheppere et Augier Ghisain de Busbecq. Le premier, né à Nieuport, selon les uns, à Dunkerque, selon les autres[112], au commencement du XVIe siècle, venait de terminer ses études à Paris, quand il s'attacha au service du malheureux Christiern II, qui le fit son secrétaire, puis son vice-chancelier, et le décora de l'ordre de l'Éléphant. Il écrivit plusieurs apologies de ce prince, remarquables par le style, l'érudition et l'art de manier le ridicule. Appelé à Bruxelles après la mort de son bienfaiteur, il fut mis au nombre des conseillers et des gentilshommes de Marie de Hongrie. Charles-Quint le chargea de diverses missions en Danemark, en France, en Angleterre, en Pologne, en Transylvanie et ailleurs. Envoyé deux fois à Constantinople, Scheppere y conclut la première paix entre l'Autriche et l'empire ottoman, et parvint à faire rendre par Soliman à la veuve de Louis II le douaire qu'elle réclamait et les biens qu'elle possédait en Hongrie. L'empereur le nomma d'abord membre du conseil privé, et, en 1538, il l'appela dans le conseil d'état, aux mêmes gages qu'il avoit au conseil privé. Poète, historien, mathématicien, philosophe, homme d'état, it écrivait avec une égale facilité en prose et en vers. Son style est tout cicéronien. Son début dans la carrière des lettres fut un ouvrage contre l'astrologie judiciaire, où il déploie une verve satirique des plus mordantes[113]. Il mourut, en 1554, à Anvers, et fut enterré au village d'Eecke sur l'Escaut[114], dont il était seigneur, et où l'on voit encore sa sépulture[115].

Augier-Ghislain de Busbecq naquit, en 1522, à Commines en Flandre, et annonça de bonne heure les plus heureuses dispositions. Ses études terminées à Louvain, son père, seigneur du lieu, l'envoya successivement aux plus célèbres universités de France et d'Italie. Le roi des Romains Ferdinand le choisit, en 1555, pour son ambassadeur auprès de Soliman. Il résida sept ans à la Porte[116]. Choisi plus tard pour gouverneur des fils puinés de Maximilien, ce prince, devenu empereur, le chargea d'accompagner en France l'archiduchesse Élisabeth, qui allait épouser Charles IX. Busbecq demeura en France jusqu'en 1592 avec le titre d'ambassadeur de Rodolphe II. Il mourut au château de Maillot près de Rouen, le 28 octobre de cette année. Son cœur, porté dans sa patrie, fut déposé dans le tombeau de ses ancêtres. Le génie diplomatique de Busbecq n'est pas plus contesté aujourd'hui qu'il ne le fut de son temps. On a conservé de lui quatre lettres qui contiennent la relation de ses deux ambassades en Turquie[117]. Il y développe avec clarté la politique de cette puissance, sa force et surtout sa faiblesse ; ces lettres n'ont pas peu contribué à diminuer la terreur qu'inspirait dans l'occident le nom des Ottomans. Nous possédons, de plus, ses lettres à l'empereur Rodolphe II, écrites de la cour de France, au nombre de cinquante-trois[118] ; elles sont en général fort courtes, mais elles n'en sont pas moins intéressantes. On y trouve le récit fidèle des intrigues de cour, au sujet des grands et des petits événements de cette époque ; on y voit, dit un biographe, dans leurs véritables attitudes, Henri III, la reine-mère, le duc d'Alençon, le roi de Navarre, la reine Marguerite, et les autres courtisans, dont on chercherait vainement ailleurs un portrait aussi fidèle[119]. Le style de Busbecq est pur, élégant et surtout plein de naïveté. Pendant son séjour en Turquie il recueillit des inscriptions antiques, et c'est à lui qu'on doit le monument d'Ancyre, si précieux pour l'histoire de l'empereur Auguste. Il fit dessiner des plantes et des animaux, et ces dessins servirent à propager l'étude des sciences naturelles. Nous lui devons le lilas, qu'il avait vu à Constantinople et dans l'Asie mineure. La bibliothèque de Vienne lui est redevable des cent, manuscrits grecs, qui font son principal ornement[120]. Busbecq lui-même était très savant ; il parlait sept langues, notamment l'esclavon. L'archiduc Albert, voulant honorer sa mémoire, érigea la terre de Busbecq en baronnie[121]. La meilleure partie de la carrière active de Busbecq se rapporte à la seconde moitié du XVIe siècle ; nous l'avons mis à cette place-ci, parce qu'il appartient par son éducation h la période où nous sommes arrivé dans cette histoire.

L'histoire fut cultivée avec succès durant cet intervalle, et les écrivains qui s'y consacrèrent sont nombreux. Nous citerons comme particulièrement dignes de mémoire Philippe Wieland, de Gand, le savant auteur des Antiquités de la Flandre[122] ; Jacques Meyer, l'illustre annaliste, qui a si bien retracé les glorieux événements de cette Flandre, sa patrie[123] ; Sacques Fontaine, de Bruges, historien et témoin oculaire du siège et de la prise de Rhodes[124] ; Grégoire Renoir, de Louvain, auteur d'un remarquable traité sur les institutions de la Frise[125] ; Marc Van Vaernewyck, dont l'Historie van Belgie abonde en détails curieux[126] ; Corneille Gaillard, aussi de Bruges, à qui ses connaissances valurent la charge de héraut d'armes ; le poète Julien Fossatier, d'Ath, chroniqueur et indiciaire de très puissant prince don Charles d'Autriche, qui dédia à sa protectrice Marguerite des Chroniques Margaritiques et Athensiennes ; Remi Du Paeys, qui succéda, le 15 février 1511, à Jean Le Maire, dans les fonctions de chroniqueur-historiographe, et composa un récit dela Joyeuse-Entrée de Charles-Quint à Bruges[127] ; Jacques de Wesembeek, d'Anvers, écrivain attaché à la réforme et qui en a fait l'histoire dans les Pays-Bas[128] ; Gaspar Ophuys, de Tournai, auteur d'une chronique du couvent de Rouge-Cloître, dans la forêt de Soigne, intéressante pour l'histoire du Brabant ; Jean de Brusthem, qui recueillit les faits relatifs aux évêques de Liège et aux ducs de Brabant. A ces historiens et à ces chroniqueurs, il importe d'ajouter Antoine de Lalaing, qui a laissé une relation du voyage de Philippe-le-Beau en Espagne, et Jean Van de Nesse, qui a écrit l'itinéraire non moins précieux des voyages de Charles-Quint, depuis 1514 jusqu'au 25 mai 1551[129].

Les sciences ecclésiastiques[130] réclament une place d'honneur dans cette esquisse de l'état intellectuel de nos provinces durant ces premières années du XVIe siècle. Nous avons ici b. citer un grand nombre d'hommes éminents, et avant tous l'illustre docteur de Louvain Adrien Bœyens, qui occupa le siège apostolique sous le nom d'Adrien VI. Nous avons retracé précédemment la vie du pontife dans ses rapports avec la Belgique ; nous dirons quelque chose maintenant du savant et du professeur. Adrien, né à Utrecht le 1er mars 1459, appartenait à une famille aisée et honorable de cette ville. La mère d'Adrien, veuve, confia de bonne heure son fils aux Hiéronimites de Delft, membres d'une congrégation célèbre dans l'histoire de la pédagogie. A l'âge de dix-sept ans, le jeune homme arriva à Louvain, et y fut immatriculé dans l'université le 1er juin 1476. Proclamé primus au concours général de 1478, il fut admis, dix ans après, au conseil de l'alma mater, puis chargé de l'enseignement de la philosophie au collège du Porc, l'une des pédagogies, dont il avait été l'élève. Le 21 janvier 1492, Adrien reçut les insignes du doctorat en théologie, et Marguerite d'York, sœur du roi Édouard IV d'Angleterre et veuve de Charles le Téméraire, voulut faire les frais de la promotion. Six ans plus tard, il fut nommé doyen du chapitre de Saint-Pierre, place à laquelle était attachée de droit celle de chancelier de l'université, et, à deux reprises, il fut promu aux honneurs du rectorat académique. En 1507, l'empereur Maximilien lui confia l'éducation de son petit-fils l'archiduc Charles d'Autriche, qui devait devenir notre grand empereur Charles-Quint. Le jeune archiduc résidait habituellement au Château-César à Louvain, et, grâce à cette particularité, Son  précepteur put continuer à donner ses leçons de théologie. Outre son décanat de Saint-Pierre, Adrien, selon une coutume fort regrettable et malheureusement trop commune alors, possédait un assez grand nombre d'autres bénéfices. Il était chanoine à Anderlecht, prévôt de Saint-Quentin à Maubeuge, doyen de Notre-Dame à Anvers, chanoine-trésorier de Sainte-Marie et prévôt de Saint-Sauveur à Utrecht. Mais il faut lui rendre la justice qu'il employait religieusement ses revenus au soulagement des pauvres dont il était le père, à l'entretien d'étudiants dépourvus de ressources et à d'autres œuvres de charité. En 1512, il acheta une maison à Louvain pour y recevoir et y entretenir des jeunes gens qui se destinaient aux études ecclésiastiques. Devenu pape, il dota richement cette fondation. C'est aujourd'hui encore le Collège du Pape, Paus-Kollegie[131].

Malheureusement la politique, qu'il n'aimait pas, ne tarda pas à l'enlever aux études et à l'enseignement. La gouvernante Marguerite le nomma, au commencement de l'année 1515, membre de son conseil. Bientôt après, le 1er octobre de la même année, il se mit en route pour l'Espagne, où il était chargé de traiter avec Ferdinand le Catholique des affaires secrètes de la plus haute importance. A la mort du roi, arrivée le 23 janvier 1516, Ximenès et Adrien prirent ensemble l'administration du royaume d'Aragon, en qualité de régents, jusqu'à l'arrivée du jeune roi Charles. Le 1er juillet 1517, le pape Léon X décerna à Adrien les honneurs du cardinalat. L'empereur, au moment de se rendre en Allemagne pour la cérémonie de son couronnement, remit au cardinal Adrien, évêque de Tortose, par un acte daté de Zamora le 17 mars 1520, l'administration de tous ses royaumes et états espagnols.

La mort inopinée du pape Léon X laissait vacant le trône pontifical. Le conclave, ouvert le 27 décembre 1521, réunit ses suffrages, le 9 janvier suivant, sur le cardinal Adrien, généralement considéré comme un saint. Autant Léon X avait déployé de magnificence, autant son successeur montra de simplicité et de sévérité pour lui-même dans l'exercice de sa haute dignité. Son pontificat ne fut pas long. Il mourut le 14 septembre 1523, àgé de soixante-quatre ans. On plaça sur son tombeau cette humble et touchante inscription : Hadrianus sextus hic situs est, qui nihil Bibi infelicius in vita duxit quam quod imperaret[132]. Le cardinal Enckevoirt éleva à son bienfaiteur un magnifique mausolée dans l'église nationale des Allemands, Sancta Maria dell anima[133].

Érasme a fait l'éloge du savoir théologique d'Adrien, et a reconnu son équité bienveillante envers les lettres humaines. Ses écrits sont nombreux ; ils n'ont pas été tous imprimés. Sa correspondance a été publiée, en très grande partie, dans ces derniers temps, par les soins de notre commission royale d'histoire. Quelques lignes de M. Neve couronneront dignement cette notice ; elles apprécient parfaitement l'attitude d'Adrien VI en face du mouvement de la renaissance, et font justice des reproches qui lui ont été adressés à ce sujet. Adrien, dit ce sage et impartial écrivain, avait en partage une éducation littéraire qui l'élevait fort au dessus de mesquines préventions touchant la lecture des monuments grecs et latins. Mais, s'il n'était pas étranger aux bonnes lettres, comme il appelait les études littéraires, il n'en pouvait approuver ou encourager l'application frivole ; et, sur ce point comme sur tant d'autres, il a été jugé avec injustice et passion par les Italiens, qui craignirent dès son avènement la prochaine réforme d'abus invétérés. Il ne se posa pas en ennemi acharné des lettres, hostis acerrimie, comme ils l'ont dépeint sans bien le connaître ; ce n'était pas un barbare caché dans le Vatican, mais il était fort éloigné, par son caractère et son éducation, de ce prompt enthousiasme que les savants de la péninsule concevaient pour les œuvres et pour tous les souvenirs de Rome ou de la Grèce... Arrivant en Italie, Adrien dut être frappé de la multitude des œuvres de l'art païen exposées à tous les regards. Comme les voyageurs et les savants qui venaient des pays du nord, et pour qui ce spectacle était nouveau, il montra une surprise qui choqua les esprits cultivés de la société italienne. Indubitablement Adrien ne vit pas sans crainte le prestige exercé sur les imaginations, quelquefois sur les âmes, par l'évocation du polythéisme et de l'antiquité sous les formes brillantes de la statuaire. Selon plusieurs de ses biographes, il n'aurait eu qu'indifférence pour ces merveilles de l'art qui décoraient les palais de Rome. On raconte même qu'il aurait détourné un jour ses regards. du Laocoon, retrouvé sous son prédécesseur, comme s'il blâmait les simulacres d'une nation impie Et que penser de l'exclamation qu'il aurait poussée à la vue de ce groupe fameux : Oh ! les idoles des gentils ![134] Fût-elle vraie, elle exprimerait la première et profonde impression ressentie par le pontife étranger. S'il eut, résidé à Rome plus longtemps, il eût considéré sans doute d'un autre œil ces débris de la civilisation païenne rassemblés sous les auspices des hommes les plus distingués qui aient orné la cour et la ville pontificale, depuis Nicolas V jusqu'à Léon X ; lui-même il les eût donnés comme des dépouilles du paganisme rendant témoignage au triomphe de la vraie religion dans la capitale du monde chrétien[135].

Autour d'Adrien se rangeaient à Louvain un grand nombre d'élèves et d'admirateurs des plus distingués. Parmi les théologiens qui honorèrent alors l'université et prirent une part considérable à la lutte qu'elle soutint à cette époque contre le luthéranisme naissant, nous citerons surtout Jacques Masson, appelé Latomus dans la langue savante du temps ; Ruard Tapper Jacques Driedo et Jean Briard. Nous dirons quelques mots de chacun de ces hommes, dont le catholicisme et la science vénèrent la mémoire.

Jacques Masson, du village de Cambron dans le Hainaut, était né vers l'an 1475. Il avait étudié à Paris, et y avait professé la philosophie en qualité de maître-ès-arts, lorsqu'il fut appelé à Louvain par un grand bienfaiteur des étudiants pauvres, Jean Standonck, qui venait d'y fonder le collège de ce nom. Il fut admis au conseil de l'université, comme membre de la faculté des arts, le 29 novembre 1510, et promu au doctorat en théologie, le 14 août 1519 ; ce furent ses élèves qui firent les frais de la promotion. En 1537, il fut élu recteur, et mourut à Louvain le 29 mai 1544. C'était, au jugement d'un critique éclairé[136], qui a reproduit, en les faisant siens, les termes mêmes de l'épitaphe consacrée à sa mémoire, un homme de beaucoup de savoir, de piété et de modestie[137]. Il en donna la preuve en répondant aux injures grossières de Luther[138], qu'il combattit toute sa vie avec les armes de la science et de la charité chrétienne. Érasme a rendu, sous ce rapport, à Latomus, une éclatante justice[139].

C'est un nom célèbre dans notre histoire religieuse et civile que celui de Ruard Tapper, né à Enchuysen, en Hollande, dans les dernières années du XVe siècle. Après d'excellentes études à Louvain, et avoir été proclamé maître-ès-arts en 1507, il fut élevé au doctorat en théologie, en 1517, le même jour que Jacques Masson, dont nous venons de parler. Sa carrière fut longue, active, et, marquée par de grands services rendus à l'Église et à l'État. Il fut président du collège du Saint-Esprit, doyen de l'église de Saint-Pierre et chancelier de l'université pendant un quart de siècle. Il combattit, avec un zèle infatigable, les progrès de l'hérésie, et obtint toute la confiance de Charles-Quint, dont il fut le conseiller, et qui professait une grande vénération pour son intégrité sans fard et la sainteté de sa vie. En mourant, il légua sa bibliothèque, qui était considérable, au collège du Saint-Esprit[140], et le reste de ses biens aux pauvres. Tapper assista avec honneur au concile de Trente ; il avait constamment recommandé à l'empereur l'érection de nouveaux sièges épiscopaux aux Pays-Bas, lui en démontrant la nécessité pour réformer les mœurs et opposer une barrière efficace à l'envahissement des nouvelles doctrines. Sa vie et ses écrits[141] lui méritèrent une large part, dès ses débuts, dans les injures cyniques de Luther[142]. Il mourut à Bruxelles le 2 mars 1559 ; ses restes, rapportés à Louvain, furent ensevelis avec pompe devant le maître-autel de sa collégiale.

Un autre théologien singulièrement remarquable de cette époque est Jean Driedo ou Dridœns, de Turnhout, à qui aucun genre d'étude n'était étranger et qui se livra spécialement, dans ses premières années, à la culture de la philosophie et des mathématiques. Élève de la pédagogie du Faucon, où il fut professeur plus tard, il obtint la première place au concours général de 1499. L'un de ses maîtres — celui qui devint pape sous le nom d'Adrien VI — l'engagea à se livrer plus exclusivement à la théologie, et, docile à ce conseil[143], il prit le bonnet de docteur en 1512, et ce fut cet excellent maitre qui le lui conféra. Chanoine d'abord de Saint-Pierre, il fut plus tard curé de Saint-Jacques à Louvain, et conserva cette place jusqu'à sa mort. Driedo reçut la sépulture dans l'église de sa paroisse, au milieu des regrets et des larmes de ses ouailles[144]. Il a beaucoup écrit, et ses œuvres ont toujours été l'objet d'une estime particulière[145].

Jean Briard, Briardus, né à Belœil, dans le territoire d'Ath en Hainaut, prit de cette ville le surnom d'Athensis, sous lequel il était connu à Louvain. On le voit briller à l'université avant la fin du XVe siècle. Professeur de philosophie au collège du Faucon, il entra, le Ier octobre 1492, comme représentant de la faculté des arts, au conseil de l'université. Il fut, de bonne heure, le collègue dans le doctorat en théologie d'Adrien VI, avec lequel il eut d'étroites relations. Briard fut appelé deux fois, en 1505 et en 1510, aux honneurs du rectorat. Il jouissait de la plus haute estime à l'aima mater et dans la ville universitaire quand il mourut, le 8 janvier 1520, après une création de bourse au collège du Saint-Esprit. Ses restes furent réunis à ceux de ses parents et inhumés dans l'enceinte de la chartreuse de Louvain[146]. On nous a conservé les dissertations où, sous le nom de Quæstiones quodlibeticæ, Briard, à l'exemple d'Adrien VI, traita des matières philosophiques et morales[147]. Érasme, dans ses lettres, a rendu une éclatante justice au savoir et à la modération de ce maitre, qu'il avait connu personnellement[148].

C'est Érasme aussi qui a dit de Briard qu'il était loué au plus haut point par tout le monde et que cependant il ne l'était jamais assez[149]. Érasme enfin voulut soumettre au jugement de celui qu'il appelait caput academiæ ses annotations sur le texte grec du Nouveau-Testament. Disons en terminant que Briard jouit de la confiance de Marguerite d'York et eut le rang de conseiller parmi les personnes attachées à sa maison[150].

A côté de ces hommes si distingués, on en remarquait deux autres qui, dans les relations délicates de la théologie avec le mouvement littéraire de l'époque, tinrent une conduite diamétralement opposée et qui ne semble pas avoir échappé à tout apparence d'excès en sens contraire. Le premier, Nicolas Baechem de Egmunda ou d'Egmond, du lieu où il était né, étudia à Louvain, où il fut élève de la pédagogie du Faucon, et fut proclamé le premier à la promotion générale de la licence en 1491. D'Egmoncl prit le grade de docteur en théologie, le 2 décembre 1505, et prononça ses vœux solennels à Malines, dans l'ordre des carmes chaussés, le 1er mars 1507. Renvoyé à Louvain pour diriger le collège de son ordre incorporé à. l'université, il y enseigna pendant plusieurs années et mourut le 28 juillet 1526. On lui érigea un monument dans la salle capitulaire du couvent des carmes, à Malines, où il avait reçu la sépulture. Ce savant religieux se montra l'adversaire constant du luthéranisme et des hérésies qui gagnaient tous les jours du terrain. Il les attaquait avec énergie dans ses cours et dans ses prédications. Il n'épargnait pas non plus les opinions singulières et hasardées dont Érasme se faisait le propagateur. Tout cela lui valut naturellement les injures des novateurs et du célèbre humaniste[151]. On a fait des reproches analogues à un autre docteur de Louvain, le dominicain Eustache de Zichem, Eustachius de Zichemis, dont le crime capital, comme le remarque un juge éclairé, était d'appartenir à cet ordre religieux et de n'être pas l'ami de Luther[152].

Un autre théologien de Louvain, dont nous allons parler maintenant, semble avoir été placé complètement au pôle opposé. Il est prodigieusement intéressant, dans sa courte existence, ce jeune docteur si plein d'enthousiasme pour les lettres classiques, si versé dans la connaissance de l'antiquité, telle qu'elle se manifestait alors, et en même temps si appliqué aux sciences sacrées, si pur dans sa vie, si généralement aimé et apprécié de tous[153]. Martin Van Dorp, Dorpius, c'était son nom, né à Naeldewyck, à deux lieues de Delft, arriva à Louvain en 1504 et enseigna pendant plusieurs années la philosophie et l'éloquence au collège du Lis. Ce fut le docteur Jean Briard qui l'en.- gagea à se livrer aux études théologiques, où il fit de si rapides progrès qu'on lui décerna le doctorat en 1515. Il commença dés lors à enseigner les saintes lettres dans une langue pure et châtiée, montrant dans cet enseignement la profonde connaissance qu'il avait acquise de la littérature latine, car le grec lui était resté étranger. Après qu'il eut ainsi enseigné les choses divines pendant quelques années et exercé la présidence du collège du Saint-Esprit, une fin prématurée coupa dans sa fleur cette vie si remplie d'espérances pour l'avenir, après qu'elle eut produit, dans un bien court espace, des fruits si précoces et déjà si abondants. Dorpius mourut le dernier jour de mai 1524, pleuré de tous et particulièrement d'Érasme qui voulut écrire son épitaphe[154]. Nous avons de lui quelques écrits suffisant pour donner une idée nette de son génie, de ses tendances et de son savoir aussi varié qu'étendu.

La vie de Dorpius présente un phénomène littéraire très curieux par lui-même et très propre aussi à caractériser l'époque où il vécut. Nous emprunterons sur cette vie quelques détails à M. Neve, que nous aimons à prendre pour guide en ces matières : nous ne saurions en trouver de plus impartial, ni de mieux éclairé. Parlant des débuts du collège des Trois Langues et spécialement de l'enseignement de la langue hébraïque, il s'exprime ainsi : Martin Dorpius, qui enseignait alors l'Écriture sainte au collège du Saint-Esprit, était du nombre de ceux qui prenaient parti ouvertement pour l'hébreu ; il était même leur chef[155] et il bravait courageusement les murmures qui se changeraient un jour en applaudissements. L'ère nouvelle dont Érasme saluait l'aurore pendant son séjour en Belgique était inaugurée par un compromis des lettres avec les sciences. Dorpius le ratifiait au nom de la théologie et de l'exégèse dans ses discours et dans ses leçons. Déjà, dans la harangue solennelle qu'il prononçait en 1513 à la reprise des leçons, il s'était fait le promoteur de l'étude des langues, de leur culture, indispensable auxiliaire des sciences les plus hautes, et là même il s'élevait avec une vivacité qui rappelait les allures d'Érasme contre la manière de traiter la théologie dans les écoles. Dorpius fut fidèle à sa thèse et, s'il est le seul des théologiens de sa faculté qui se soit avancé aussi loin, c'est qu'il avait confiance dans un mouvement qu'il voyait diriger sous ses yeux avec modération et sagesse. Qu'on sache bien que le suffrage de Dorpius en cette matière était un avis tout à fait désintéressé. Avouant qu'il ne savait pas le grec, il se résignait modestement à profiter de ce qu'il y aurait d'utile dans les travaux des autres[156] et c'est sans doute en adoptant les conclusions d'autrui qu'il avait composé un traité de codicibus sacres castigandis qu'il avait lu dans ses cours de Louvainin schola Lovaniensiet qu'il destinait à la publicité. Sans s'arrêter aux écarts d'Érasme, de Laurent Valla, de Lefèvre d'Étaples, ou peut-être sans s'en rendre bien compte, Dorpius osait requérir des futurs théologiens une égale habileté dans les langues hébraïque et grecque[157].

Parlant ailleurs de l'idée qu'on se faisait à Louvain de la renaissance des lettres et du côté utile et sérieux qu'on voyait dans cette rénovation des études, M. Neve écrit : Rien de mieux approprié à ce but qu'une analyse du discours qu'un jeune théologien de mérite, Martinus Dorpius, fut autorisé à prononcer devant toute l'université, le 1er octobre 1513, lors de la reprise des leçons, sur les avantages particuliers de toutes les sciences[158]. C'est au nom de la vénérable faculté des arts que Dorpius s'adresse à son auditoire et c'est du respect dont elle jouit auprès de tous qu'il attend quelque autorité pour ses paroles. Quand il a passé en revue toutes les sciences et défini le prix de chacune, il s'élève à une véritable éloquence pour célébrer l'excellence de la théologie et pour vanter ensuite la philosophie, qu'il considère comme l'habileté pratique de l'intelligence dans tous les ordres du savoir. Traitant des trois arts libéraux qui formaient le trivium des anciennes écoles, la grammaire, la dialectique et la rhétorique, l'orateur parle des études philologiques et littéraires, comme si le besoin en était vivement senti, comme si leur admission parmi les travaux universitaires ne pouvait plus être contestée.

En abordant la définition de la grammaire, Dorpius ne craint pas de déclarer que cette science a été renouvelée et ennoblie dans les derniers temps par des qualités d'ordre et de lucidité, de justesse et d'agrément, qui lui manquaient jusque là, et qu'elle peut mieux que jamais servir d'introduction à toutes les autres sciences. Le rôle du grammairien, comme l'ont dit les anciens, est de bien entendre le texte des auteurs, d'en donner aux autres une intelligence complète et d'appliquer à toutes les œuvres l'art de la critique qui fait de lui un autre Aristarque. C'est une tâche laborieuse qui appartenait en propre à cette époque, disait Dorpius, que de faire disparaître cette rouille de barbarie qui avait envahi tous les écrits et qui défigurait encore les livres les plus répandus.

Quand il passe à la dialectique, Dorpius représente l'utilité et la dignité de cette science, tout en combattant l'esprit sophistique par lequel on l'a défigurée. Puis il montre dans la rhétorique une sœur des deux autres sciences qu'il a définies. C'est déjà au point de vue d'un siècle nouveau et dans un langage vif et libre que l'orateur montre le rôle éminent de l'éloquence dans tous les temps et dans toutes les conditions de la vie sociale. A l'éloge de Cicéron, qu'il nomme l'Achille des orateurs anciens, il fait succéder des exemples tirés de l'histoire des derniers siècles pour attester l'heureux ascendant d'une éloquence forte et vraie. Mais Dorpius qui, dans ce discours, faisait de l'éloquence une puissante auxiliaire de toutes les études, mettant au grand jour le savoir du théologien, du jurisconsulte, du philosophe, a stigmatisé un genre d'études qui se produisait sous le nom de philologie, mais qui s'arrêtait à. une critique minutieuse et stérile des mots. C'était sans doute le fait de quelques grammairiens qui abusaient de la faveur avec laquelle on entendait alors disputer sur les termes peu usités et les formes peu connues. Or comme l'abus ne naît qu'à, la suite du travail, Dorpius a voulu en prémunir ses nombreux auditeurs déjà occupés des études de grammaire et de style. Sans nul doute ces études étaient faites à Louvain et dans d'autres écoles de la Belgique avec plus de lenteur, mais aussi avec plus de discernement qu'elles n'avaient été traitées en Italie dans le siècle précédent. On s'y attachait à quelques textes importants. Comme on n'y travaillait que rarement sur des manuscrits, on n'était pas exposé, du moins au même degré, au danger de renfermer tout le mérite du philologue dans la confection de gloses prolixes[159].

La langue latine était adoptée et employée alors généralement comme la langue officielle, en quelque sorte, de la science et de l'érudition. Quiconque aspirait à entrer dans l'arène des débats scientifiques et littéraires, devait préalablement se mettre à même de le faire dans un langage latin net et correct. Ici nous retrouvons encore Dorpius. Nous n'irons point plus loin, dit toujours M. Neve, sans entretenir le lecteur d'une tentative très hardie faite à Louvain pour intéresser la jeunesse à la culture littéraire de la langue de Rome et pour lui en donner une connaissance familière. Nous voulons parler de la lecture des comiques latins et de la représentation de leurs pièces à l'intérieur des collèges... Il est peu de morceaux de l'érudition latine moderne plus curieux que celui où Dorpius invitait le public universitaire à assister à la représentation de l'Aulularia de Plaute, qui aurait lieu au Lis, le 3 septembre 1508, à neuf heures du matin[160]. Non seulement il conviait une nombreuse assistance à donner ainsi aux belles-lettres des marques d'intérêt et aux jeunes acteurs de modestes encouragements, mais encore il coopérait au succès de cette fête dramatique en écrivant un prologue en vers latins du genre de ceux de Plaute, pour servir d'introduction à la pièce même et, de plus, il avait risqué de combler, par des tirades nouvelles, des lacunes qui restaient dans l'action.... L'épreuve que Dorpius avait faite des dispositions de son public avait si bien réussi, qu'il le convoqua une autre fois à la représentation d'une seconde pièce de Plaute, le Miles, pour laquelle il prit la peine d'écrire de même un long prologue en vers et, le jour même du spectacle, il fit aussi une annonce en vers pour la comédie que la troupe des acteurs du Lis devait jouer dans ce vaste collège, à cinq heures de l'après-midi.

Tout ce qu'avait fait Dorpius pour la réussite de ces séances dramatiques qu'il assimilait à des exercices littéraires, ne lui attira point de désagrément ; à peine quelques murmures se firent entendre autour de lui. On savait quelle était la fermeté de sa foi et quelle était son aptitude aux études les plus sérieuses... Du reste, l'exemple de Dorpius ne fut point unique à Louvain. Un autre humaniste du même temps, Barland, s'intéressa à l'exhibition de l'Aulularia, qui eut lieu peu d'années après, par les élèves du collège d'Arras. Il avait composé lui-même pour cette pièce un prologue et d'autres encore pour la représentation d'autres comédies antiques... Cependant cet usage de lire Plaute et Térence et de donner des rôles dans leurs pièces à des étudiants, ne pouvait subsister longtemps dans nos écoles. Avant qu'il résultât de graves abus d'une trop grande familiarité permise à la jeunesse avec les personnages peu recommandables de la comédie latine, déjà l'attention était fixée sur d'autres auteurs de l'antiquité ; le cercle des classiques entre lesquels les maîtres pouvaient choisir s'était agrandi en peu d'années et, lorsque le collège des Trois Langues s'ouvrit, il n'y avait point de grief à articuler du chef d'avoir accordé aux comiques latins une préférence dangereuse. Quant à Dorpius et Barland, on ne peut non plus faire peser sur eux une trop grande responsabilité pour l'innovation imprudente qu'ils ont patronnée avec leurs amis et leurs confrères. Les mœurs chrétiennes, qui régnaient encore dans les institutions académiques de notre pays, ont prévenu le péril qu'elle avait dû entraîner presque infailliblement en Italie et ailleurs[161]. On trouvera peut-être M. Neve un peu indulgent ; on ne peut nier cependant que les faits confirment, au moins jusqu'à un certain point, ces explications.

On voit maintenant si les théologiens de Louvain méritèrent les injures de Luther et de son école, comme des gens sans lettres et toujours en pleine barbarie. Luther, qui n'eut personne de supérieur en fait d'injure[162], ne pardonnait point à l'université de Louvain les mesures prises par cette institution pour éloigner d'elle les doctrines du novateur, et la condamnation sévère que la faculté de théologie, l'une des premières, en avait porté. Luther avait commencé à dogmatiser en 1517. Dès l'année suivante, l'université avait fait défendre la vente publique de ses écrits et, un peu plus tard, au mois de février l519, la faculté de théologie de Louvain déférait à celle de Cologne des extraits de ces écrits, en appelant sur les erreurs qu'ils contenaient le jugement des docteurs allemands. Le 7 novembre suivant, la faculté condamna solennellement les quatre-vingt quinze propositions contenues dans le livre hérétique publié par frère Martin Luther, soi-disant docteur de Wittemberg, lequel, affirment les membres de la faculté, dès le premier abord, nous a paru un livre scandaleux et préjudiciable à l'Église du Christ (2)[163]. A cette censure le novateur répondit immédiatement et avec beaucoup d'âpreté[164]. Latomus lui opposa une réplique à la fois très calme, très modérée de forme et très fortement motivée. Alors Luther n'y tint plus et commença contre les théologiens de Louvain, qu'il avait d'abord invoqués comme des juges, cette longue publication de libelles, où il épuisa tout ce que le vocabulaire de la langue latine, très riche, sous ce rapport, on le sait, lui fournit d'expressions injurieuses jusqu'au cynisme le plus révoltant. Bossuet, si respectueux des personnes dans ses luttes contre l'erreur, a tracé ce tableau des excès haineux où se laissa aller l'insulteur fanatique[165], qui avait créé l'adverbe lovanialiter, comme synonyme de ce qu'il imaginait de plus abject et de plus inepte : Pendant que le chef des réformateurs tiroit à sa fin, il devenoit tous les jours plus furieux. Ses thèses contre les docteurs de Louvain en sont une preuve : et je ne crois pas que ses disciples puissent voir sans honte, jusque dans les dernières années de sa vie, le prodigieux égarement de son esprit. Tantôt il fait le bouffon, mais de la manière du monde la plus plate ; il remplit toutes ses thèses de ces misérables équivoques, vaccultas au lieu de facultas, cacolyca ecclesia au lieu de catholica ecclesia, parce qu'il trouve dans ces deux mots vaccultas et cacolyca une froide allusion avec les vaches, les méchants et les loups. Pour se moquer de la coutume d'appeler les docteurs nos maitres, il appelle toujours ceux de Louvain nostrolli magistrolli, bruts magistrolia, croyant les rendre fort odieux ou fort méprisables par ces ridicules diminutifs qu'il invente. Quand il veut parler plus sérieusement, il appelle ces docteurs de vraies bêtes, des pourceaux, des épicuriens, des païens et des athées, qui ne connaissent d'autre pénitence que celle de Judas et de Saül, qui prennent non de l'Écriture mais de la doctrine des hommes tout ce qu'ils vomissent ; et il ajoute, ce que je n'ose traduire, quidquid ructant, vomunt et cacant. C'est ainsi qu'il oublioit toute pudeur, et ne se soucioit pas de s'immoler lui-même à la risée publique, pourvu qu'il poussât tout à l'extrémité contre ses adversaires[166].

Nous aurons terminé ce que nous avions à dire des sciences ecclésiastiques, lorsque nous aurons fait une courte mention de deux hommes qui se distinguèrent alors, l'un dans l'éloquence de la chaire, l'autre dans la direction des âmes et par une connaissance profonde des secrets de la vie mystique.

Le premier, Pierre De Corte, plus connu sous le nom de Curtius, né à Bruges, fut le premier évêque de sa ville natale. Après s'être distingué au plus haut point dans ses études philosophiques au collège du Lis, il fut appelé à professer dans cet établissement la physique et la dialectique. Nommé pléban par le chapitre de Saint-Pierre en 1529, il se livra avec ardeur aux fonctions du ministère pastoral ; il réunissait au pied de sa chaire un nombreux auditoire, admirateur et avide de sa parole. Dans les discours qu'il prononçait deux fois chaque semaine, alternativement en latin et en flamand, il s'attachait à éloigner les fidèles des nouvelles doctrines importées de l'Allemagne, en leur montrant les dangers qu'elles recélaient pour la religion et pour la patrie[167]. Sa promotion au grade de docteur en théologie, le 12 juillet 1530, se fit avec une solennité inaccoutumée ; il fut appelé, l'année suivante, à une chaire de théologie et promu trois fois par la suite à la dignité rectorale. Pléban et professeur pendant plus de trente ans, il s'acquit l'estime et l'admiration de tous par son dévouement et la solidité de son enseignement. Charles-Quint professait de l'estime pour ses qualités éminentes et Philippe II le désigna, malgré sa vieillesse, pour le nouvel évêché de Bruges. Curtius fut sacré, à Malines, par le cardinal de Granvelle, le 26 décembre 1561, et administra son diocèse avec prudence et sagesse jusqu'à sa mort, arrivée le 16 octobre 1567[168].

Louis de Blois, Blosius, abbé de Liessies, était né au château de Donstiennes, dans le Hainaut, au commencement du mois d'octobre 1506. Il descendait de la famille des comtes de Blois et des seigneurs de Châtillon. Le jeune homme reçut dans la maison paternelle une éducation distinguée ; il était doué d'un caractère excellent et d'une intelligence supérieure. Page de l'archiduc Charles, qui fut depuis l'empereur Charles-Quint, il conquit son amitié et ne la perdit jamais. A quatorze ans, il prit la résolution de quitter le monde et entra au monastère de Liessies. Ses supérieurs l'envoyèrent à Louvain pour y étudier les belles-lettres et les sciences sacrées. Il suivit, au collège des Trois Langues, les leçons de Cleynaerts et s'y perfectionna dans la connaissance des langues hébraïque, grecque et latine. Pour la théologie, il eut des maîtres non moins illustres, Ruard Tapper et Jean Driedo, avec lesquels il se lia d'une amitié étroite. Choisi, malgré sa jeunesse et son humilité, en 1527, comme coadjuteur de son abbé infirme, il obtint de passer encore trois ans à Louvain et ne se rendit à Liessies qu'à la mort de son abbé, le 2 mars 1530. Il fut ordonné prêtre le 14 novembre de cette année et installé abbé le surlendemain, au milieu d'un grand concours de personnes de toute condition. Liessies avait beaucoup souffert des malheurs des temps. Aidé par Charles-Quint, Blosius y rétablit, avec quelques adoucissements, la règle primitive de Saint-Benoît. Les statuts qu'il rédigea pour sa communauté furent solennellement approuvés par le pape Paul III en 1540.

Le jeune abbé était le père et le modèle de ses religieux. Il brillait au milieu d'eux par l'éclat de ses vertus et, de sa sainteté. Il fut un des premiers, en Belgique, à recommander la pratique des exercices spirituels institués par. saint Ignace. Il se rendit auprès des Pères de la compagnie de Jésus, récemment établis à Louvain, pour y faire ces exercices. sous leur conduite et engagea plusieurs religieux de Liessies à suivre son exemple. Il témoignait aux jésuites une affection, un dévouement sans bornes, favorisait leur action autant qu'il le pouvait et prenait hautement leur défense auprès des grands et à la cour.

Le fervent prélat ne négligeait point le soin matériel de son abbaye. Il en agrandit les jardins et les entoura de murailles ; il construisit une chapelle magnifique pour y déposer les reliques que possédait le monastère et fit dresser des plans pour l'agrandissement du chœur de l'église et l'amélioration des dortoirs des religieux. La bibliothèque était l'objet de soins tout spéciaux de sa part. Il l'enrichit notamment d'une des plus riches collections de passionnaires, de martyrologes et de vies manuscrites des saints que l'on eût réunie à cette époque. Grâce à Blosius, l'abbaye de Liessies eut l'honneur de donner naissance à la grande œuvre des Bollandistes. Le père Héribert Rosweydus, professeur à Douai, dit un écrivain autorisé[169], passant, selon son usage, ses loisirs de professeur à visiter les bibliothèques des abbayes de nos provinces, se prit à chercher de préférence quelques vies de saints. L'abbaye de Liessies lui fournit un grand nombre de passionnaires et ce fut là qu'il conçut le premier dessein des Acta sanctorum.

Blosius avait gouverné l'abbaye de Liessies pendant trente-quatre ans. Sa charité était sans bornes et le nom de père des pauvres, sous lequel il était connu dans toute la région environnante, dit assez avec quelle générosité il secourait les malheureux. Il était mûr pour le ciel, quand un accident qui lui arriva en visitant de nouveaux travaux de construction, lui causa une fièvre lente, que la science s'efforça en vain de combattre. Il mourut après trois mois de souffrances et quarante-cinq ans de profession monastique. Son corps fut inhumé à l'entrée du chœur de l'église abbatiale et une simple pierre ne contenant, selon son désir, que son nom et l'année de sa mort fut placée, sur sa sépulture. Plus tard, un mausolée plus digne de lui fut, érigé à sa cendre au milieu du chœur, et l'archevêque de Cambrai, François Van der Burch, l'y déposa solennellement, le 15 juin 1631[170].

Le pieux et savant abbé a laissé un grand nombre d'écrits remarquables, plus d'une fois réimprimés. La plupart sont des œuvres ascétiques, composées pour l'édification des religieux confiés à ses soins[171]. On lui doit aussi quelques ouvrages de polémique et la traduction, faite pendant qu'il était étudiant à Louvain, d'un opuscule de saint Jean Chrysostome où l'illustre orateur développe une comparaison entre un moine et un monarque[172]. Blosius occupe, sans contredit, l'un des premiers rangs parmi les maîtres de la vie spirituelle. Les nombreuses éditions de ses écrits ascétiques et les traductions qui en ont paru dans toutes les langues de l'Europe attestent assez l'autorité dont il jouit chez les âmes religieuses. L'onction et la grâce qui le caractérisent l'ont fait souvent comparer à saint François de Sales et à Fénelon[173].

 

Nous abordons les sciences médicales et ici tout d'abord nous rencontrons un nom illustre, grand parmi les plus grands, celui d'André Vésale, le créateur, ce n'est pas trop dire, de l'anatomie humaine. Vésale naquit à Bruxelles, le dernier jour d'avril 1513, d'un père médecin ; il comptait parmi ses aïeux une longue suite de praticiens, tous médecins distingués. Jean Vésale, son bisaïeul, avait enseigné, dans sa vieillesse, la médecine à Louvain. Sa famille était originaire et tirait son nom de la ville de Wesel, au duché de Clèves. Le jeune Vésale, destiné à la médecine par une sorte de vocation de famille, étudia successivement cette science à Louvain, à Cologne, à Paris, où il eut pour maître un professeur célèbre, Jacques Sylvius. Il se prit de bonne heure d'une véritable passion pour l'anatomie et surmonta avec un courage, une persévérance admirable, les difficultés, les dégoûts, les dangers même attachés alors aux travaux anatomiques. Il lui fallut, dit-on, disputer aux oiseaux de proie leur pâture pour se composer un squelette avec les os des condamnés au dernier supplice. A l'âge de vingt-cinq ans, Vésale se mit à voyager, déjà précédé d'une grande renommée. Passant de Bâle en Italie, il y vit les gouvernements de la péninsule s'efforcer de l'y retenir par de grands avantages. Il enseigna publiquement l'anatomie, de 1540 à 1544, d'abord à Pavie, ensuite à Bologne et enfin à Pise. Côme de Médicis se fit honneur de l'accueillir à sa cour. C'est dans cet intervalle, en 1543, que parut à Bâle la première édition de sa grande anatomie, avec des planches attribuées dans le temps au Titien[174]. Charles-Quint, averti par la renommée, l'éleva au poste de son premier médecin et l'appela auprès de lui. Vésale quitta l'Italie et, traversant Bâle, il gratifia l'école de médecine de cette ville d'un squelette, don alors d'une grande valeur et qui y fut longtemps conservé comme un souvenir précieux. Quand Charles-Quint, dégoûté des affaires et du monde, eut abdiqué l'empire pour finir ses jours dans la solitude, Vésale passa au service de Philippe II. Riche, puissant et considéré à la cour de Madrid, il favorisait de tout son crédit le développement de l'anatomie, lorsque des causes sur lesquelles la légende a répandu un voile lugubre et mystérieux, le déterminèrent, à son tour, à quitter la cour pour s'acheminer vers Chypre et Jérusalem[175], en compagnie de Malatesta, général des troupes de Venise. Assailli par une tempête à son retour, il fut jeté sur les côtes de l'île de Zante et y mourut le 15 octobre 1564. Les Belges n'ont pas oublié un des savants qui ont le plus honoré la patrie commune et lui ont érigé une statue dans la capitale. Vésale, a dit Portal avec l'enthousiasme d'un homme de la science, Vésale me paraît un des plus grands hommes qui aient existé. Que les astronomes me vantent Copernic, les physiciens Galilée, Toricelli, les mathématiciens Pascal, les géographes Christophe Colomb, je mettrai toujours Vésale au dessus de leurs héros. La première étude pour l'homme, c'est l'homme. Vésale a eu ce noble objet et l'a rempli dignement ; il a fait sur lui-même et sur le corps de ses semblables une découverte que Colomb n'a pu faire qu'en se transportant à l'extrémité de l'univers. Les découvertes de Vésale touchent directement l'homme ; en acquérant de nouvelles connaissances sur sa structure, l'homme agrandit, pour ainsi dire, son existence, au lieu que les découvertes de géographie ne touchent l'homme que d'une manière très indirecte[176]. L'anatomie, sans doute, depuis Vésale, a fait de grands progrès, mais l'initiative est venue de lui et il est des détails où, même aujourd'hui, il n'a guère été surpassé. Telle est l'anatomie du cœur, qu'il a très bien décrit, et celle du cerveau, à laquelle on n'a ajouté depuis que bien peu de chose[177].

La science a conservé la mémoire d'un assez grand nombre de médecins belges qui se distinguèrent à cette époque. Nous citerons spécialement Daniel Van Vlierden, de Bruxelles[178], qui prit le bonnet de docteur à Bologne et laissa quelques ouvrages sur l'art médical ; Guillaume Quackelbeen, de Courtrai, qui accompagna Busbecq en Orient, et qui a enrichi notre pharmacopée de plusieurs remèdes inconnus jusqu'à lui[179] ; Jérémie Dryvere, Triverius, de Braeckel près de Grammont, professeur de médecine à Louvain dont il illustra l'université par son enseignement et par ses écrits[180] ; Pierre Memmius, de Herenthals, qui professa à Rostock ; Corneille de Baesdorp, de Bruges, médecin de Charles-Quint pendant les dernières années de son règne ; Antoine Bussenius, de Breda, qui professa à Louvain et commenta Galien ; Martin De Cleyne, Micronius, de Gand, médecin savant, qui écrivit sur Hippocrate, Galien et Platon ; Jacques Bogaert, de Louvain, qui professa la médecine pendant un grand nombre d'années à l'université de cette ville et écrivit cinq volumes de commentaires sur Avicenne[181]. Nous aurions dû nommer, avant tous, un savant du premier ordre, le plus grand botaniste de la Belgique, Rembert Dodoens ou Dodonée, de Malines, qui fut aussi un médecin très remarquable et enseigna à Leyde la pathologie et la thérapeutique. Mais le botaniste a absorbé le médecin et c'est par ce nom illustre que nous allons commencer le court exposé de ce que notre pays nous présente, au moment où nous sommes, de plus remarquable sur le terrain des sciences proprement dites.

Rembert Dodoens, Dodonœus, naquit à Malines le 29 février 1517, d'une famille originaire de la Frise, dont le nom primitif paraît avoir été Joenekena ou Joenekens, et qui se rattachait, par de nombreuses alliances, à la noblesse de cette province. Il fit ses humanités au collège de sa ville natale et se rendit ensuite à Louvain pour y suivre les cours de médecine ; il fut reçu licencié dans cette faculté le 10 septembre 1535. Dodoens parcourut ensuite l'Europe, dans l'intérêt de ses études, pendant un espace d'environ onze ans, et se lia avec un grand nombre d'hommes savants, dont ses connaissances précoces avaient mérité l'estime et attiré l'attention. A Paris, il retrouva Jean Gunther, d'Andernach, qui avait professé le grec à Louvain et était devenu plus tard professeur d'anatomie à Paris et médecin de François Ier. Gunther avait fait une traduction du grec en latin des œuvres de Paul d'Égine ; avant de la publier, il pria notre jeune licencié de la revoir et de la collationner sur le texte original[182]. Ce fait témoigne hautement du savoir philologique de Dodoens. M. Morren a émis l'opinion que ce fut à la liaison de Dodoens avec Gunther que le premier dut son goût pour l'anatomie. Gunther, dit-il, disséquait ou faisait disséquer beaucoup d'animaux ; il eut pour protecteur notre immortel Vésale. Ce fut aussi, ajoute-t-il, ce goût des autopsies qui fit découvrir à notre compatriote l'anatomie pathologique, ce flambeau de la médecine[183]. Revenu à Malines vers la fin de 1546, Dodoens publia un travail de cosmographie[184], qu'il dédia à Joachim Hopperus, son cousin et son protecteur. C'est un résumé de cette science, telle qu'on la comprenait alors, écrit en vue d'en donner une connaissance claire, concise et complète à la fois.

En 1548, Dodoens fut nommé médecin de la ville de Malines et en remplit les fonctions jusqu'en 1574, époque où il partit pour l'Allemagne. Pendant les années qu'il passa alors dans sa ville natale, il s'occupa de la physiologie, dont il publia en 1580 des tableaux synoptiques, et surtout de la botanique. Bientôt, sur le conseil de l'imprimeur anversois Van der Loo, il entreprit d'écrire l'histoire des plantes en flamand. Il ne recherchait pas la gloire, disait-il, mais il voulait aider au progrès de la science des végétaux et par là même venir en aide â l'étude de la médecine[185]. Ce travail était terminé en 1552, mais, avant de l'éditer, Dodoens publia quelques écrits spéciaux, toujours cependant ayant trait soit à la botanique, soit à la médecine. Dans l'intervalle, Van der Loo avait fait l'acquisition des planches gravées sur bois de l'herbier d'un botaniste allemand, Fuchs, dans le dessein de les faire servir à l'ouvrage de notre compatriote. Celui-ci y ajouta, dès la première édition, environ deux cents figures nouvelles, gravées d'après ses dessins, et encore environ autant aux éditions postérieures ; il substitua quelques nouvelles figures aux anciennes et en emprunta un petit nombre aux ouvrages d'autres botanistes. Pendant qu'on imprimait son Herbier, Dodoens résolut de faire tirer à part les planches sans le texte, ainsi que les synonymes de toutes les désignations en grec, latin, allemand, français et flamand. Ce travail, spécialement destiné aux étudiants en médecine et comprenant les planches de ses trois premiers livres, parut en 1553[186]. L'Herbier flamand vit le jour l'année suivante sous le titre de Cruydeboeck ; il était dédié à la gouvernante des Pays-Bas, Marie, reine de Hongrie, sœur de Charles-Quint. Quatre ans après, le célèbre botaniste Charles de l'Écluse traduisit l'ouvrage en français. Dodoens revit avec soin cette traduction, augmenta le texte et le nombre des gravures, ainsi qu'il le dit dans la préface qu'il y a insérée[187]. L'ouvrage du botaniste belge est avant tout un herbier national. L'auteur s'attache particulièrement aux plantes indigènes, surtout à celles des contrées flamandes ; il indique les lieux où elles croissent, l'époque de leur floraison et de leur fructification, toutes choses qui ne se trouvent pas dans l'herbier de Fuchs. En énumérant les propriétés des plantes, il reproduit les opinions des anciens à ce sujet : il cite Hippocrate, Dioscoride, Théophraste, Galien, Pline.

C'est à cette date de 1557 qu'il faut rapporter les démarches tentées par la municipalité de Louvain pour lui faire accepter une chaire à l'université de cette ville. On ne s'entendit point sur les conditions et le chiffre des appointements. Dodoens trouva les conditions onéreuses, les compensations pécuniaires dictées avec une économie un peu mesquine ; il refusa. Du reste, sa fortune jointe à celle de sa femme Catherine 's Bruynen lui assurait dès lors une existence honorable. Il jouissait dans sa cité natale d'une grande considération, y possédait une nombreuse clientèle et était marguillier de l'église de Saint-Pierre.

Cependant Dodoens s'était lié d'amitié avec Plantin, le célèbre imprimeur émigré de Tours à Anvers. Il résolut de refaire son ouvrage et de le rédiger en latin. Plantin se chargea de l'impression et, ne voulant pas se servir de planches déjà usées par plusieurs tirages, il préféra faire exécuter à ses frais toutes celles dont Dodoens aurait besoin pour son œuvre nouvelle. Celui-ci avait en vue un livre original plutôt qu'une traduction ; il n'était plus content de la classification qu'il avait d'abord adoptée. Il en imagina une autre entièrement neuve, dans laquelle il donna pour chaque plante la description la plus complète en même temps que la plus exacte et la plus concise qu'il lui était possible. Ce travail devant se prolonger longtemps, il se décida à l'éditer par traités séparés[188].

Comme il n'avait tenu qu'à Dodoens d'occuper une chaire à l'université de Louvain en 1557, il dépendit de lui, dix ans plus tard, de devenir médecin de Philippe II. Alors encore il préféra rester à Malines, mais, le 2 octobre 1572, eut lieu le sac de cette ville par les troupes espagnoles. Ruiné alors comme le reste de ses concitoyens, il accepta la place de médecin de l'empereur Maximilien II et quitta Malines au mois de septembre 1574. Il fut reçu avec bienveillance à la cour de Vienne et nommé conseiller aulique, mais, au bout de quelques années, des querelles scientifiques avec un de ses collègues, médecin comme lui de l'empereur, lui rendirent le séjour de la capitale de l'Autriche moins agréable. D'autre part, des lettres de ses amis des Pays-Bas l'engageaient à revenir dans sa patrie pour soigner ses biens ravagés par les factieux et qui consistaient en maisons situées à Malines même et dans des bois et des terres au village voisin de Hever. Il partit donc de Vienne, avec l'autorisation de l'empereur, mais, arrivé à Cologne, il n'osa aller plus loin à cause des troubles qui continuaient à désoler les Pays-Bas. Il resta un an à Cologne, puis, croyant les circonstances meilleures, il rentra en Belgique, passa quelques jours à Malines et finit par aller s'établir à Anvers, pour y surveiller, dans les ateliers de Plantin, l'impression du grand et définitif ouvrage qui l'a immortalisé. Cette œuvre, dédiée à la ville d'Anvers, fut terminée en 1583[189]. C'est la synthèse de tous ses écrits précédents ; il contient mille trois cent quarante et une figures, nombre qui n'avait été atteint par aucune publication antérieure. Quoique médecin encore plus que botaniste et s'occupant plus des usages des plantes que de leurs caractères, Dodoens, dit Sprengel[190], explique bien et savamment les anciens botanistes et il a décrit beaucoup de plantes pour la première fois.

Dodoens était à peine rentré depuis un an dans sa patrie, quand les curateurs de l'université de Leyde lui offrirent une chaire avec un traitement considérable. Cette fois il accepta et alla donner, dans cette école naissante, les cours de pathologie et de thérapeutique générale et spéciale des maladies internes, comme nous l'avons dit plus haut. La mort le surprit au bout de deux années de professorat, le 10 mars 1585, sans lui avoir permis d'exécuter le projet qu'il avait conçu de faire imprimer ses leçons[191]. Telle fut la carrière de cet homme éminent qui n'a pas toujours été apprécié avec une égale bienveillance par la critique, mais qu'on doit placer avec Haller parmi les inventeurs dont les découvertes ont profité à la science. Un mérite qu'on ne peut lui refuser non plus c'est d'avoir provoqué l'élan qui poussa de l'Escluse, De Lobel et d'autres savants dans la même voie[192].

Après le nom illustre de Dodoens, nous sommes heureux d'en placer ici deux autres, ceux de Mercator et d'Ortelius, qui tinrent aussi un rang éminent dans la science et influèrent considérablement sur ses progrès. Leur carrière, à eux aussi, s'étend sur la partie la plus considérable du XVIe siècle, mais, comme hommes d'action et d'influence, nous croyons qu'ils doivent figurer ici. Gerard Mercator, Koopman, était né à Rupelmonde, le 5 mars 1512, de parents originaires du duché de Juliers. Après avoir terminé ses premières études à Bois-le-Duc, il suivit un cours de philosophie à la pédagogie du Porc à Louvain et y reçut le grade de maître-ès-arts. Il travaillait avec une telle application qu'il en oubliait le manger et le sommeil. Il eut pour maître de mathématiques un professeur célèbre de ce temps, Gemma Frisius, et se mit bientôt à même de donner des leçons de géographie et d'astronomie. Il fabriquait lui-même les instruments dont ses élèves avaient besoin avec une précision remarquable pour l'époque. En 1541, Mercator présenta au cardinal de Granvelle un globe terrestre dont celui-ci fut si satisfait qu'il recommanda l'auteur à Charles-Quint. Mercator fut attaché à la maison de l'empereur et exécuta pour lui deux globes, l'un céleste en cristal et l'autre terrestre en bois, dont les contemporains parlent avec admiration. Vers 1559, Mercator se retira à Duisbourg et reçut le titre de cosmographe du duc de Juliers. Dans sa vieillesse, il fut pris de la manie des disputes théologiques et publia quelques écrits renfermant des erreurs, mais rien ne prouve qu'il ait fait profession de luthéranisme. Il mourut

Duisbourg le 2 décembre 1594 ; il avait quatre-vingt deux ans[193]. Mercator est célèbre surtout, dit Hallam, comme inventeur d'une méthode bien connue pour la construction des cartes hydrographiques et d'après laquelle les parallèles et les méridiens se coupent à angles droits[194]. Il est auteur aussi de l'atlas de vingt-sept cartes qui accompagne les éditions latines de la géographie de Ptolémée[195] ; toutes celles qu'on a données depuis n'en sont que des copies. Mercator gravait et enluminait lui-même ses cartes avec beaucoup d'habileté. Ortelius, son émule, l'appelait le prince des mathématiciens du temps et l'oracle de la géographie[196].

Abraham Orteil ou Œrtel, Ortelius, naquit en 1527, à Anvers, de parents originaires d'Augsbourg, qui jouissaient d'une grande fortune. Après avoir terminé ses études classiques, entraîné par son goût pour les voyages, il parcourut d'abord les Pays-Bas et une partie de l'Allemagne, puis l'Angleterre et l'Irlande, enfin il visita l'Italie jusqu'à trois fois et y recueillit des médailles, des bronzes et des antiques, dont il forma l'un des cabinets les plus curieux qu'on eût encore vu dans les Pays-Bas. Son principal soin dans ses voyages était d'examiner les inscriptions, pour reconnaître les anciens noms de chaque lieu et fixer le rapport de l'ancienne géographie à la géographie moderne. A son retour dans sa ville natale, il s'appliqua sérieusement aux études géographiques et conçut le premier l'idée de réunir les cartes publiées jusqu'alors par différents auteurs. Ses talents lui méritèrent l'estime de ses plus illustres contemporains, entre autres de Gérard Mercator, qui, loin d'être jaloux du seul rival qu'il pût redouter, retarda la publication de ses propres cartes pour ne point nuire au débit de celles d'Ortelius[197]. L'Atlas d'Ortelius eut un grand succès et lui valut, en 1575, le titre de géographe du roi Philippe II d'Espagne. Exempt d'ambition, il ne sortait que rarement de son cabinet ouvert à tous.les curieux et il employait ses journées à lire ou à extraire les voyages des anciens. Il avait pris pour devise un globe terrestre avec ces mots : contemno et orno mente, manu. Quelques jours avant sa mort, il dit à ses amis qui entouraient son lit : Je ne laisse rien en cette vie dont je ne puisse et ne veuille bien me passer. Ortelius mourut le 28 juin 1598, à l'âge de soixante et onze ans. Ses restes furent déposés dans l'église des prémontrés d'Anvers, où sa sœur lui fit élever un tombeau décoré d'une épitaphe de la composition de Juste-Lipse[198]. On a de notre grand géographe deux ouvrages justement célèbres. L'un, son Theatrum orbis terrarum[199], est un monument précieux pour l'histoire de la science. Il fera toujours époque dans cette histoire parce qu'il a été la base de tous les travaux géographiques publiés après lui[200]. Cet Atlas a été réimprimé un grand nombre de fois, et a été traduit en italien, en espagnol et en français. La Synonymia geographica[201] d'Ortelius est un catalogue alphabétique de tous les lieux dont il est parlé dans les anciens auteurs, avec leurs noms modernes et ceux qu'ils ont portés à différentes époques. Nous n'aurons pas de longtemps, dit un critique autorisé[202], de dictionnaire plus complet pour ce qui concerne la géographie ancienne. On le consulte encore journellement et l'on peut dire que c'est surtout dans ce livre qu'Ortelius s'est montré savant géographe.

Nous quittons le terrain austère de la science pour aborder le domaine plus riant de l'art. Les Pays-Bas, dit M. Henne, ont eu, comme les autres états de l'Europe, leur renaissance après le moyen-âge. Charles-Quint aimait la magnificence des arts et il contribua à leur développement dans tous les pays de son immense domination. C'est au temps de ce prince et sous l'administration de Marguerite d'Autriche, que les écoles flamandes d'architecture, de sculpture et de peinture, inspirées par le goût de l'antiquité, reprirent un essor inattendu. C'est à cette époque que les architectes, les sculpteurs, les verriers, les peintres, encouragés par l'autorité publique, créèrent d'innombrables chefs-d'œuvre, monuments nouveaux, églises et chapelles, hôtels de ville, fontaines, palais, habitations splendides ; c'est alors qu'ils firent de Bruxelles la plus belle cité des Pays-Bas[203].

La reconstruction de l'ancienne Halle au Pain ou Maison du roi (1515-1525) et de l'église de Saint-Géry (1520-1564), la construction des nouvelles bailles de la cour (1509-1520), de la chapelle (1525) et de la belle galerie du palais (1534), de la chapelle du Saint-Sacrement à Sainte-Gudule, l'achèvement de cette superbe collégiale, les travaux exécutés alors à l'église du Sablon, l'érection du mausolée de François de Bourgogne dans l'église de Caudenberg[204], l'achèvement de la belle chartreuse de Scheut, auquel Marguerite contribua par ses subsides, témoignent de l'impulsion donnée aux arts. Les particuliers, comme les communes, comme le clergé, furent entraînés par l'exemple du gouvernement. La plupart des abbayes fondèrent à Bruxelles de beaux refuges, tandis que la noblesse, les d'Egmont, les Mansfeld, les Taxis, les Lalaing, les Culembourg, les Boussu, les Lannoy élevaient des hôtels où ils étalèrent un luxe que la politique de leur souverain les forçait à déployer[205].

Ce mouvement, continue M. Henne, s'étendit naturellement aux villes voisines. A Anvers, on achevait, en 1518, la tour de Notre-Dame, œuvre de Jean Appelmans[206], et en 1531 s'éleva son admirable bourse. A Mons, on terminait, en 1519, le transept de l'église de Sainte-Waudru[207] et l'on commençait la nef et ses collatéraux ; le campanile surmontant la croisée fut achevé deux ans après et, en 1535, on jeta les fondements de la tour. En 1525, les magistrats d'Audenarde arrêtaient la construction de leur magnifique hôtel de ville[208]. A Bruges, on restaurait la chapelle du Saint-Sang, qui reçut alors sa façade actuelle[209] (1533), et l'on élevait la façade de l'ancien greffe, construit en 1537. La façade de l'hôtel de ville de Courtrai, qui avait été brillé en 1382, fut reconstruite en 1526. Le 10 mars 1521, messire Simon, seigneur de Montbaillon, présida, comme représentant de Marguerite, à la fondation de la chapelle du Saint Nom de Jésus, en l'église de Saint-Pierre à Malines ; cette princesse y fit construire aussi la chapelle de Notre-Dame et, le 23 octobre 1522, elle accorda aux marguilliers de la même église cent livres de quarante gros, pour l'achèvement d'une autre chapelle. Le 23 mars 1530, fut posée la première pierre de l'hôtel que Rombaut Van Mansdale y construisit, sur la place du marché, pour le grand conseil[210]. La ville de Malines elle même n'avait rien négligé pour conserver les bonnes grâces de la régente. En 1514, le magistrat alloua à Henri de Nassau un subside de quatre cents philippus, destinés à la maçonnerie de l'hôtel qu'il y faisait bâtir ; le comte d'Hoogstraeten et d'autres seigneurs de la cour obtinrent les mêmes avantages, et de magnifiques hôtels s'élevèrent sur les ruines d'antiques masures[211]. La commune perça de nouvelles rues, jeta de nouveaux ponts sur la Dyle, fit achever la voûte de l'église de Saint-Rombaut et restaurer la tour de cette église, qui reçut une horloge en 1526[212]. La célèbre cheminée du Franc de Bruges, exécutée en 1529, une des deux cheminées de l'hôtel de ville d'Audenarde, les superbes tabernacles de l'église de Léau[213] et de l'abbaye de Tangerloo[214], les maisons du serinent de Saint-Georges et du métier des drapiers, à Anvers, celle du serment des arbalétriers, à Bruges, celle des bateliers, à Gand[215], celle des poissonniers, à Malines, une foule de splendides mausolées, attestent encore le développement progressif des beaux-arts.

A Liège, un prince sage, éclairé, très ami des arts, donnait à cette époque une large impulsion aux dispositions heureuses dont son peuple se montrait alors animé. Érard de la Marck édifia le palais somptueux qui, malgré l'incendie de la façade principale, malgré de nombreuses mutilations et des restaurations inintelligentes, est encore, dans nos régions, dit un juge compétent, M. Helbig, l'un des monuments civils les plus intéressants de la première moitié du XVIe siècle. Sous son règne, les voussoirs du porche de la cathédrale de Saint-Lambert furent historiés de nombreuses statues dues au ciseau de Susterman, que l'on admirait encore au moment de la démolition de ce monument. Il fit placer au milieu du chœur de sa cathédrale son propre tombeau et, si ce travail ne donnait peut-être pas une haute idée du goût du temps, il se distinguait au moins par une grande richesse et cette simple inscription :

Erardus a Marka, mortem præsentem habens, vivus posuit[216].

 

Nommons quelques-uns des principaux auteurs de ces grands travaux. Jamais, dit M. Henne, la Belgique n'offrit une plus brillante série d'architectes. Antoine Kelderman dit le vieux, de Malines, maître ouvrier de monseigneur le roy, exécuta le modèle en bois de la Maison du roi, à Bruxelles, et fit, avec son fils Antoine, les plans des bailles du palais de cette ville. — Rombaut Van Mansdale, d'abord maître des travaux de la ville de Malines, ensuite maître maçon et maître général des œuvres de l'empereur, composa, entre autres plans, celui de la chapelle du palais de Bruxelles et travailla, avec Dominique de Waghemakere, maître des travaux de la ville d'Anvers, à la tour septentrionale de Notre-Dame, en cette ville. — Louis van Bodeghem ou Beughem, après la mort d'Antoine Keldermans le vieux, exécuta le plan de l'intérieur de la Maison du roi et fut l'un des principaux architectes de la belle église de Notre-Dame de Brou[217]. — Jean Van der Eycken, nommé par les Espagnols Anequin Egas, travailla à la porte des lions de la cathédrale de Tolède. — Pierre Van Weyenhoven, maître ouvrier de l'empereur en Brabant, donna le plan de la chapelle du Saint-Sacrement de Miracle à Sainte-Gudule. — Pierre Coeck, d'Alost, peintre et architecte de Charles-Quint, traduisit Vitruve en flamand. — Henri de Pas fut l'auteur des plans de la bourse des marchands à Londres et Corneille de Vriendt, dit Floris, l'architecte de l'hôtel de ville et de la Maison hanséatique, à Anvers.

C'est à ces artistes, dit toujours M. Henne, à Corneille Floris et à Pierre Coeck surtout, qu'il faut attribuer le succès définitif de la réaction en faveur de l'architecture gréco-romaine. La renaissance, qui s'était manifestée en Italie dès le Mlle siècle, n'avait commencé en France et en Belgique qu'à la fin du XVe, et l'Hôtel consulaire des Biscayens, à Bruges, construit en 1495, en présente le premier exemple connu. L'architecture ogivale se maintint quelque temps encore dans les constructions d'églises, mais elle céda bientôt devant le nouveau style, dont les principes dominèrent et se sont perpétués en grande partie malgré les variations du goût et le caprice de la mode. Cette réaction contre l'art ogival fut plus violente et plus dévastatrice que la réaction des iconoclastes ou celle des révolutionnaires de 1793 et faillit nous priver de toutes les admirables productions du moyen-âge[218].

Quoique nous soyons bien éloigné, on le sait, de professer une admiration sans mélange pour la Renaissance, nous ne voulons cependant pas être injuste envers cette période de l'histoire de l'art ; nous ne répéterons donc point les anathèmes, on dirait presque les cris de colère de M. Henne. Nous continuerons à faire l'exposé calme et impartial, autant qu'il est en nous, des œuvres qu'elle a produites. Nous arrivons au domaine de la peinture et l'on nous permettra de nous y arrêter quelque peu. Au moment où nous sommes, la peinture flamande est sur le point de perdre, avec son indépendance, son cachet d'originalité. Pour notre ancienne école, les productions de l'art avaient un sens profond, une influence forte, une autorité légitime. La peinture alors parlait à l'âme et son enseignement fraternisait avec l'enseignement du sacerdoce. Cet art du moyen-âge, chrétien par son essence, mystique dans sa forme, s'était développé chez nous jusque là sans mélange d'élément étranger. Mais, dès le XVe siècle, un autre art, celui des temps antiques et du monde classique s'était révélé aux maîtres italiens. Nous l'avons vu précédemment, Raphaël, à l'époque de sa force, de son plein développement, brisa les liens de la tradition chrétienne et s'écarta entièrement de la manière et de l'esprit des maîtres du moyen-âge, qui avaient été sa première manière, son esprit primitif même à lui. Ce fut le triomphe de l'art matériel sur l'intelligence. On sait à quels excès, à quelle décadence enfin conduisit peu à peu cette déviation malheureuse de l'homme qu'on s'est habitué à considérer comme la personnification du génie même de la peinture[219]. La Belgique ne pouvait se dérober longtemps à cette influence.

Memlinc avait été le dernier représentant de notre vieille école flamande. La nouvelle école commence avec le premier des grands peintres d'Anvers, Quentin Metsys, dont les documents les plus récents placent la naissance et l'apprentissage à Louvain[220]. Le plus ancien morceau que nous possédons de lui est une tête du Christ, au musée d'Anvers, peinte dans le style des anciens maîtres. Ce Christ est bien encore le Christ des écoles de Cologne et de Bruges ; Metsys n'aspire encore à surpasser ses prédécesseurs que par les miracles du coloris. Son pinceau, brillant et suave, fond avec tant de douceur les teintes qu'il mélange, que la vue ne peut en discerner l'artifice. Dans un second ouvrage, qui fait le pendant de celui-ci, c'est une figure de la Vierge, également de grandeur naturelle. Ce n'est plus la Vierge d'Hubert van Eyck et de Memlinc : l'artiste anversois, dit. M. Moke[221], nous présente une image d'un caractère différent et qui parait nouveau. Des contours peut-être moins harmonieux et des traits plus fins que réguliers semblent plutôt indiquer un portrait qu'une figure idéale ; mais les légères imperfections du modèle sont effacées par la magie de la couleur, qui fait rayonner de lumière et de transparence cette physionomie virginale. Deux autres sujets sacrés, qu'il traite avec encore plus de hardiesse, attestent que le peintre continue à marcher dans cette voie nouvelle. L'un est un Christ au roseau, de grandeur médiocre, qui déjà ne rappelle plus en rien la sérénité harmonieuse des morceaux précédents, mais qui la remplace par l'énergie de l'expression. Ce Christ, qui souffre comme un homme, montre plus d'accablement que de résignation, plus d'effroi que de force. L'âme ne s'élève point en contemplant cette douleur qui n'a plus de caractère sacré ; elle n'éprouve que la pitié qu'inspirerait un malheur vulgaire. Le peintre a voulu augmenter l'émotion et il a faussé l'idée. Nous en trouvons un exemple plus remarquable encore dans sa tête du Christ couronné d'épines. Cette figure pleine de douleur ne conserve pas, dans son agonie même, un caractère noble et sublime. Ces traits profondément altérés, ce visage défait, cette sueur sanglante qui sillonne des chairs déjà livides, nous demandent de plaindre non d'adorer.

Toutefois, poursuit M. Moke, ce n'est point d'après ces morceaux détachés qu'il faut juger la révolution que préparait Metsys. L'œuvre où nous voyons son style entièrement formé, est un tableau à volets, dont le cadre principal représente l'Inhumation du Christ et offre un groupe de figures de grandeur naturelle. Il avait près de soixante ans à l'époque où il termina cette peinture (1508) et jamais son pinceau n'avait été plus vigoureux. Le Christ surtout produit un effet surprenant. Il est couché dans toute sa longueur sur le premier plan, nu comme un cadavre qu'on va ensevelir et livide comme si la mort avait déjà complètement saisi sa proie. Peut-être cette lividité un peu trop ressentie nuit-elle à la majesté du visage ; mais le reste du corps est d'une vérité si parfaite, qu'il semble se détacher du tableau. Ces membre3 raidis, ce tronc affaissé, ces chairs qui n'ont plus de souplesse, tout est rendu avec la vérité de la nature. On croirait entrevoir çà et là, sous l'épiderme décoloré, la blancheur des os qu'il recouvre. Deux vieillards à têtes vénérables — Nicodème et Joseph d'Arimathie —, soulèvent à demi le cadavre, qu'ils sont prêts à laisser échapper de leurs mains tremblantes. De saintes femmes lavent en pleurant les plaies de ce corps divin ; mais toutes ces couleurs vives pâlissent devant celle de saint Jean et de la sainte Vierge. L'apôtre, quoique aveuglé par ses larmes et dans un état voisin de la stupeur, voudrait encore consoler ou secourir la mère de Jésus ; pour elle, pâle et morne comme le désespoir, elle retombe en arrière brisée. C'est un drame dont la grandeur a été comprise par le peintre et qui vient glacer l'âme du spectateur. On a penne à s'arracher à l'émotion qu'il inspire, pour analyser froidement chaque partie de cette vaste page ; mais, quand on l'examine en détail, le procédé du peintre est facile à saisir. Il a gardé les anciens types ; nous reconnaissons les traits de la Vierge et de l'apôtre, tels à peu près que nous les a montrés Jean de Bruges ; nous croyons retrouver les saintes de Memlinc dans ces femmes groupées autour du Christ ; et cependant, quoique les formes soient restées les mêmes, la force de l'expression change pour ainsi dire la nature même des images. C'est qu'ici l'émotion agite les sens de chaque figure : la chair frémit, l'âme est troublée ; le calme des bienheureux a fait place à tous les déchirements du cœur humain[222].

Deux autres morceaux, qui servent de volets au précédent, offrent un emploi moins heureux du même style. Le premier, qui nous montre la tête de saint Jean-Baptiste apportée sur la table d'Hérode, est exécuté avec une perfection remarquable ; mais on y reconnaît à peine un sujet religieux, tant l'artiste a rabaissé le caractère des figures principales. De riches costumes, des détails soigneusement achevés, des carnations brillantes, ne peuvent suppléer au manque de distinction qui avilit les personnages. La tête du saint, pâle et glacée, rappelle seule la majesté d'un tableau historique : le reste ne parle ni à l'intelligence ni au cœur. Cette absence de poésie va jusqu'à l'ignoble dans l'autre tableau qui représente l'apôtre saint Jean plongé dans l'huile bouillante... Metsys, sans même revêtir de formes imposantes le saint jeté nu dans la chaudière, le laisse sur le second plan pour attirer de préférence notre attention sur les deux bourreaux chargés d'attiser le feu. Ces ministres hideux des rigueurs de la loi, hommes d'une force athlétique, mais d'une grossièreté brutale, semblent apporter une sorte de joie à leur horrible tâche. Ce n'est pas assez d'exciter la flamme qui monte de toutes parts ; une grimace de plaisir ou d'empressement prèle à leurs traits une expression à la fois féroce et grotesque. L'artiste sublime a disparu... mais comment le pinceau ne tombe-t-il pas de ses mains, quand il jette les yeux sur le Christ à côté duquel apparaîtront ces images bouffonnes[223].

L'église de Saint-Pierre, à Louvain, était restée, jusqu'à ces derniers jours, en possession d'une autre œuvre capitale de Quentin Metsys ; cette œuvre est devenue récemment la propriété de l'État. Voici comment elle a été décrite, il y a quelques années, par un écrivain belge : c'est un vaste triptyque, qui ne le cède en rien au retable du même maitre, que le musée d'Anvers regarde comme un de ses plus beaux ornements. Le panneau central représente une rotonde, qui s'ouvre par trois arcades sur un paysage terminé par des montagnes, et sous laquelle est assise la Vierge ayant sur ses genoux l'enfant Jésus. A sa gauche, on voit sainte Anne. Elle présente une grappe de raisins à l'enfant, qui porte sur l'index de la main droite un petit oiseau attaché à un fil rouge dont la Vierge tient le bout. A la gauche de sainte Anne et sur un plan plus rapproché du spectateur, on voit une femme assise, qui a une fleur à la main et près de laquelle se trouvent deux enfants, dont l'un tient un livre ouvert et a l'air de réciter une leçon ou une prière. Sur le même plan, une quatrième femme, également assise, est placée à la droite de la Vierge. Un enfant lui présente un œillet ; deux autres sont debout à côté d'elles et regardent des images dans un livre qui est ouvert sur ses genoux, tandis qu'à ses pieds est assise une toute petite fille qui joue avec un missel richement peint et avec des images enluminées qu'elle éparpille autour d'elle. Le groupe que forment la Vierge, l'enfant Jésus et sainte Anne est disposé devant une balustrade derrière laquelle sont assis quatre personnages, que l'on prend pour les quatre docteurs de l'Église, bien qu'ils n'en aient ni le caractère ni les attributs. Sur le volet gauche on voit saint Joseph à genoux au milieu d'un riche paysage et un ange qui plane dans l'air et lui enjoint, au nom de l'Éternel, de ne pas renvoyer la Vierge Marie (Évangile de S. Matthieu, ch. I, x. 20). Sur le volet opposé, l'artiste a figuré la mort de sainte Anne. La sainte est couchée sur un lit qui se présente en raccourci. Elle a à la main un cierge bénit, que la Vierge, placée à la gauche de sa mère, l'aide à tenir, tandis que l'enfant Jésus, debout à la droite de son aïeule, lève la main pour lui donner sa bénédiction. Au pied du lit, on voit une femme agenouillée et livrée à l'angoisse d'une douleur profonde. Derrière la Vierge sont groupés saint Joseph et deux autres personnages, qui assistent avec recueillement à l'agonie de la mère de Marie et sont inondés de la lumière qui tombe de ce côté dans la chambre par une fenêtre ouverte.

La composition du panneau principal, continue le même écrivain, est d'une grande richesse, sans qu'il y ait toutefois de la confusion dans le groupe abondant des figures que le peintre y a mises en scène. L'ordonnance est claire et simple, bien que l'ensemble ait l'air de manquer d'unité, à cause de l'éparpillement trop uniforme du jour et à cause de l'absence d'un centre de lumière. Pour le style, cet ouvrage est tout à fait à la hauteur des productions du commencement du quinzième — lisez seizième — siècle. Le dessin est dans le goût de l'école romaine, à laquelle on ne sait en vérité comment rattacher Quentin Metsys, qui ne sortit jamais des Pays-Bas. Les nus sont cependant traités avec une certaine maigreur et le modelé manque de fermeté. En revanche les draperies sont pleines d'ampleur et d'un agencement fort intelligent, surtout dans les peintures extérieures des volets, où l'artiste a représenté deux scènes d'une légende dont nous n'avons pu découvrir le sens. Le paysage montagneux qui se déploie dans le fond du panneau central et du volet gauche est dénué de caractère et de vérité. On y chercherait vainement, surtout dans les rochers fantastiques qui le terminent, une étude sérieuse de la nature. Mais on pardonne aisément ce défaut eu faveur du charme et de la naïveté, nous dirons même de la grâce, que l'artiste a répandus sur la plupart des figures dont ce triptyque est peuplé. Le petit enfant qui joue avec des images enluminées, sur l'avant-plan du panneau central, est une des créations les plus ravissantes que l'on puisse imaginer[224]. — Cette page, très satisfaisante comme description, est malheureusement très insuffisante pour l'explication du fond ; le critique, on le voit, n'est pas parvenu à se rendre compte de l'unité du sujet et de la pensée de l'artiste. Nous essayons, en note, de combler cette lacune[225].

Poursuivons l'analyse des œuvres de Metsys. La nature de son esprit, qui le portait vers la réalité, devait lui faire préférer quelquefois à la peinture religieuse la reproduction des scènes de la vie ordinaire, et il y montre la même supériorité de talent. Le musée du Louvre possède de lui deux tableaux de moyenne grandeur, où nous voyons apparaître à demi-corps des figures de caractère. C'est l'avare qui compte son or et le joyeux compagnon placé entre la dépense et le plaisir. Ce type de l'usurier il l'a répété plusieurs fois. On peut le regarder comme un des créateurs de la peinture de genre[226]. Il semble avoir pensé que l'art peut répandre son prestige sur tout ce qu'il embrasse, et si dans la suite plusieurs de nos vieux peintres réussirent à  rendre intéressante, par le charme de l'exécution, une nature basse et triviale, c'est à lui qu'ils paraissent avoir emprunté, selon M. Moke, le secret qu'ils léguèrent aux Brauwer et aux Teniers[227].

Metsys fut donc le premier qui franchit les bornes que jusqu'alors la peinture flamande s'était tracées à elle-même. C'est de lui qu'elle a appris à rompre avec le passé. On ne peut nier qu'une fois entrée dans cette voie, son éclat ne soit devenu moins pur, mais il est plus vif. L'école flamande prit alors un caractère distinct, qui lui permit de se maintenir en face de l'école italienne, laquelle semblait destinée à effacer toute autre splendeur que la Sienne, à éteindre tout autre génie. Tel fut le sort de l'école de Cologne, dont les peintres tombèrent bientôt, dans l'obscurité. Malgré l'apparition d'une suite d'artistes supérieurs, les Albert Dürer, les Cranach et les Holbein, l'art allemand cessa d'être représenté dès le seizième siècle[228].

Mais quelle que fût la vitalité de l'art flamand à cette époque, l'art italien avait pris en ce moment un essor bien plus rapide et plus élevé. Grâces au génie de Léonard de Vinci, de Michel-Ange, de Raphaël, les progrès de l'Italie avaient été si grands, l'art s'y était développé d'une façon si glorieuse, que nos artistes eux-mêmes s'en émurent. Un bon nombre cependant n'abandonnèrent pas leur pays et restèrent fidèles à son école ; d'autres, nombreux aussi, franchirent les Alpes et, en revenant plus tard dans nos régions, y rapportèrent le goût italien, si opposé à celui des peintres flamands. Il y eut alors contraste et lutte ; il y eut, à Anvers même, deux styles, deux séries d'artistes, les uns restés flamands, les autres devenus plus ou moins romains ou florentins, mais de cette lutte devait sortir plus tard une jeune école flamande par le rapprochement et l'unité que Rubens eut la gloire d'établir[229].

C'est chez Jean de Maubeuge, plus connu sous le nom de Mabuse[230], que l'on aperçoit distinctement les premières traces de l'influence italienne. Mabuse parait avoir été élève de Memlinc. Avant de passer les Alpes, il avait acquis un renom justifié par l'importance de ses œuvres. La production la plus marquante de sa première manière était un retable immense, auquel il avait travaillé pendant quinze ans[231]. Albert Dürer alla exprès à Middelbourg pour le voir. Il passait, dit une vieille chronique zélandaise citée par M. Alfred Michiels[232], pour la plus belle peinture de l'Europe entière ; un ambassadeur du roi de Pologne en avait offert 80.000 ducats de bon argent. Malheureusement cette grande œuvre périt avec l'église qui la renfermait et qui fut consumée par la foudre le 24 janvier 1568. Mabuse partit pour l'Italie en 1508, à la suite de l'évêque Philippe de Bourgogne. Les œuvres de sa seconde manière sont nombreuses et dispersées dans les musées de l'Allemagne. Le musée d'Anvers en possède trois échantillons faisant partie de la collection Van Erthorn. Pour la finesse de la touche, pour la vigueur du coloris, dit M. Moke, il le dispute presque à Memlinc lui-même ; pour le dessin, il semble imiter, non pas encore Raphaël ou Michel-Ange, mais les maîtres qui les avaient précédés et dont le style plus roide et plus maigre avait plus d'analogie avec la vieille école flamande. Ses personnages, qui s'écartent tout à fait du type flamand, ont des traits rudes qui ne s'embellissent que par l'expression, mais le sentiment qui les anime est rendu avec force. Son crayon est correct et sage, malgré quelque dureté ; il avait fait une étude sérieuse des proportions du corps humain, comme le montre un Christ nu, modelé savamment et dans le goût de l'antique. Il excelle dans les compositions simples, qu'il sait rendre vraies et pittoresques par une heureuse entente de l'action et du costume ; mais ses grands tableaux, dont le musée d'Anvers ne possède aucun[233], ne sont pas exempts de confusion[234].

C'est avec Bernard Van Orley, continue M. Moke, que commence l'imitation complète et déclarée des maîtres italiens. On sait que cet artiste, né à Bruxelles en 1474, était resté pendant assez longtemps à Rome et avait travaillé sous les yeux de Raphaël, dont il devint le disciple et l'ami. Doué d'une facilité extrême, il réussit bientôt à imiter le style et le faire de ce peintre immortel, auquel on a prétendu que ses ouvrages furent quelquefois attribués. Une des premières productions qu'il exécuta en Belgique parait être un tableau à volets, peint vers 1515, et qui se trouve encore dans l'église Saint-Jacques à Anvers. En vain chercheriez-vous là le cachet flamand : tout y respire la peinture italienne. A l'extérieur apparaît un groupe allégorique de grandeur presque naturelle, où le peintre a placé Dieu le Père planant dans les cieux comme le représente Raphaël, tandis que sur la terre des martyrs et des saints lèvent les yeux vers lui. Ces divers personnages, qu'on dirait empruntés aux fresques de' Rome, sont d'une fierté mâle et d'une correction de forme irréprochable ; il y a de la grandeur dans le caractère et souvent de la grâce dans le dessin. Mais un coloris dur et cru laisse peu d'intérêt aux figues que Van Orley a si savamment tracées ; peut-être Et vie manque-t-elle à quelques-unes, tant elles semblent garder une régularité classique qui nous ramène aux statues.

Il ne faut donc pas croire, c'est toujours M. Moke qui parle, que tout fut progrès et perfectionnement dans ce changement de manière et de style dont nous apercevons ici l'origine[235]. L'opinion commune ne veut voir chez les artistes qui s'étaient formés en Italie que les qualités qu'ils en rapportaient, la science du dessin, l'harmonie de la composition, la noblesse de la pensée et des types choisis pour la reproduire ; mais on fait trop bon marché des avantages que possédait l'ancienne école, et qu'ils sacrifiaient avec un mépris aveugle, le charme de l'imitation, la délicatesse et la transparence du coloris et cette extrême vérité que donne à l'ensemble la perfection de tous les détails. Sous ce rapport, Bernard Van Orley foulait aux pieds tout ce qu'avaient adoré ses prédécesseurs. L'intérieur du cadre de Saint-Jacques offre un jugement dernier peint avec une main de fer : tout y est vigoureux, mais jusqu'à la dureté, et si l'on est contraint d'admirer la puissance avec laquelle son pinceau fait ressortir les figures principales, aussi remarquables par la fierté que par la correction, eu revanche on demanderait en vain de l'éclat et de la douceur aux parties lumineuses du tableau, où les habitants du ciel, dépouillés de cette nature aérienne et transparente que Memlinc avait si bien exprimées, ressemblent aux dieux du paganisme.

Toutefois le peintre lui-même se corrigea par degrés de cette violence de ton, qui ne se remarque plus chez ses élèves et qui est déjà notablement adoucie dans ses productions suivantes. Ramené à une couleur moins foncée par l'aspect des tableaux flamands, il voulut égaler leurs nuances vives et pures. Telle est la pensée qui semble dominer dans sa grande composition des sept Œuvres de miséricorde, conservée à l'hôpital de Sainte-Élisabeth et qui doit être regardée comme son plus bel ouvrage. Là il aspire évidemment à se montrer coloriste. C'est sur un fond d'or bruni qu'il a soin de peindre, afin que l'effet soit plus brillant, et sa touche devient presque délicate. Au milieu des œuvres de miséricorde qui occupent le volet et le premier plan du cadre principal, il a répété sa scène imposante du jugement dernier et, cette fois, il s'y est surpassé lui-même. On ne peut concevoir une disposition plus majestueuse que celle qu'il a donnée, dans la partie supérieure du tableau, à ce monde céleste où resplendit la grandeur divine. Des zones lumineuses se déploient au dessous du séjour de l'Éternel et s'arrondissent comme pour embrasser l'univers. Des anges, inondés eux-mêmes de lumière, apparaissent de distance en distance, faisant retentir à tous les coins du inonde la trompette qui réveille les morts. D'autres descendent vers la sphère inférieure, ou touchent déjà du pied cette terre destinée à périr. L'humanité qui se ranime est représentée par les élus, dont la foule compacte s'étend jusque dans le lointain ; mais les réprouvés ont disparu, entraînés dans l'abîme dont les bouches ardentes vomissent la fumée. A peine quelques-uns, les moins coupables peut-être, cherchent-ils encore à se mêler parmi les justes : un ange les repousse en détournant les yeux, comme s'il craignait d'en avoir pitié. Pour rattacher ce sujet au précédent, le premier plan de cette page si poétique est consacré en grande partie à un épisode qui ne se rapporte pas au jugement dernier, mais bien aux œuvres de miséricorde : ce sont des religieux qui s'occupent d'ensevelir un cadavre et qui semblent continuer tranquillement leur tâche, au moment où la mort même est vaincue et où les tombeaux rendent leur proie[236].

Le principal élève de Bernard Van Orley fut Michel Coxie ou Van Coxie, de Malines, qui se rendit, à son tour, à Rome, pour y étudier Michel-Ange et Raphaël. Il en revint riche de savoir, avec un goût formé sur celui de ces maîtres de l'art et une correction si parfaite, mais si minutieusement imitée, qu'il semblait en être devenu incapable de produire une œuvre originale. Cet artiste, que l'on a quelquefois appelé le Raphaël flamand, semble appartenir déjà à une période plus récente de notre art national, car, quoique né en 1499, il prolongea son existence jusqu'aux dernières années du XVIe siècle.

Au moment où nous sommes, des peintres éminents surgissent de tous les points de notre sol ; jamais fécondité plus grande ne signala celte terre privilégiée. Les bords de la Meuse, pour leur part, virent naître trois peintres célèbres. Les deux premiers étaient des paysagistes : l'un, Joachim Patinier, de Dinant[237], séduit par les sites pittoresques que la nature a semés sur Les rives du fleuve wallon, les a fixés sur ses panneaux avec une naïveté souvent pleine de poésie, mais aussi avec une certaine sécheresse de ton que l'on ne remarque ni dans les frais paysages de Jean van Eyck, ni dans les perspectives chaudes et dorées de Memlinc ; l'autre, Henri de Bles de Bouvigne[238], plus pénétré du sentiment de la nature, imprima à ses œuvres plus de vie et de chaleur, qualité qu'il dut surtout à la longue étude qu'il fit de l'école de Venise, où il séjourna longtemps avant d'aller mourir à Ferrare[239].

Le troisième de nos artistes wallons, Lambert Lombard, né à Liège en 1505 ou 1506, est un peintre d'histoire, un véritable initiateur, qui créa toute une école dans son pays natal et exerça l'influence la plus décisive, pendant de longues années, sur les tendances et le caractère propre de la peinture liégeoise. Lombard apporta en naissant des aptitudes à toutes choses, un goût très décidé pour les arts et particulièrement pour la peinture. Il y fit des progrès rapides, mais s'éprit en même temps d'un amour très ardent des lettres. Il aimait les voyages et séjournait assez souvent à Middelbourg. C'est dans cette ville qu'il connut Jean Gossaert, dit Jean de Maubeuge ou Mabuse, qui y était alors occupé à des travaux importants. Lombard devint son élève ; il se lia aussi d'amitié avec Michel Zagrins, greffier de la ville, homme d'un esprit cultivé et grand ami des arts, qui stimula encore le zèle de Lombard pour l'étude de l'antiquité, véritable passion de tous les érudits de l'époque. L'instruction de Lombard, en cette matière, était malheureusement incomplète. Il le comprit et s'efforça de connaître les auteurs classiques par la lecture des traductions françaises et italiennes. Il lut ainsi les anciens poètes et même les philosophes, surtout ceux qui traitent de la morale. Son biographe, d'ailleurs juge compétent[240], dit que, pour un homme dépourvu de la connaissance des langues anciennes, le jeune peintre pouvait passer pour un prodige d'érudition ; il assure que l'on rencontrait peu d'hommes, même dans les rangs élevés de la société, ayant autant de lecture que lui[241].

Son goût pour les lettres et les arts de l'antiquité trouvèrent un aliment dans un voyage en Italie entrepris sous les auspices les plus favorables. Le cardinal anglais Réginald Pole, fuyant sa patrie alors en proie aux troubles religieux provoqués par les passions impudiques d'Henri VIII, vint chercher un refuge à Liège. Après y avoir fait un séjour momentané, il quitta cette ville pour se rendre à Rome. C'était l'époque où Érard de la Marck cherchait à rétablir dans la principauté le règne de la paix et des lois, et relevait de ses ruines la ville épiscopale. Plusieurs grands édifices se construisaient à Liège, et notamment l'église de Saint-Jacques et le somptueux palais du prince. Érard se promettait bien d'en orner les murailles par les œuvres du pinceau de Lombard et d'autres artistes du pays. Il profita du départ du cardinal Pole qui, comme lui, aimait les arts, pour lui recommander son peintre favori, le priant de le recevoir parmi les gens de sa suite. Une pension d'Érard pourvut noblement aux besoins de l'artiste pendant le séjour qu'il allait faire en Italie.

La vue des travaux des grands maîtres de la Renaissance exerça naturellement une puissante influence sur la direction des études du peintre liégeois. Admirant Raphaël pour la beauté des lignes et la grâce de la forme, le Titien pour la force et le charme du coloris, il parait cependant avoir éprouvé une prédilection particulière, dit M. Helbig, pour les œuvres d'André Mantegna[242]. Lombard, dans les peintures et les dessins qu'il a faits longtemps après son retour d'Italie, rappelle souvent le style distingué de ce maitre. Mais il s'appliqua surtout à étudier, à dessiner et à mesurer les statues antiques, dans lesquelles les artistes d'alors cherchaient à trouver une sorte de canon pour les proportions et les différents, types du corps humain. A l'imitation de Léonard de Vinci en Italie, d'Albert Dürer en Allemagne, de Jean Cousin en France, Lombard fit une sorte de grammaire de l'art dans laquelle il consigna tout ce qu'il regardait comme des principes au dessus de la controverse, comme des règles fixes et des préceptes rigoureux. Cette conception d'une bonne grammaire de l'art le préoccupa jusqu'à la fin de ses jours. Dans une lettre qu'il écrivit, un an avant sa mort, à Vasari, il suggère au peintre historien la pensée d'enrichir la postérité d'un semblable travail. A cette occasion il développe ses propres vues, désigne les mesures à prendre sur les types consacrés par la statuaire antique et les meilleurs modèles à suivre. Cette méthode, ajoute M. Helbig, a depuis été mise en usage dans l'enseignement des beaux arts par la plupart des académies.

L'artiste était dans toute l'ardeur de ses études lorsque Érard de la Marck mourut, le 16 février 1538. Ce fut une perte capitale pour les arts et pour Lombard en particulier. La mort de son protecteur, en supprimant la pension dont il jouissait, l'obligea à revenir à Liège en 1539. Il n'existe aucun renseignement sur la suite des travaux entrepris par lui après son retour dans sa patrie. On sait seulement que, bien qu'agréable aux princes-évêques qui se succédèrent après le décès d'Érard de la Marck et traité par eux avec distinction, il ne fut employé à aucun travail qui eût pu donner à son pinceau tout l'essor dont il était capable. Quoique très actif, très laborieux, Lombard ne fut pas un peintre très productif. Il peignit presque toujours des triptyques, des tableaux d'autel, dont les volets, peints des deux côtés, réclament naturellement un double travail. Dans son art, il semble, au jugement de M. Helbig, avoir poursuivi un idéal difficile à atteindre, et souvent il a changé sa manière.

Lombard fit beaucoup de dessins qu'il exécutait facilement, soit à la plume, soit au lavis à l'encre de chine, quelquefois rehaussés de sanguine. Il s'en conserve un grand nombre et, contrairement à ses tableaux, ils sont souvent signés et datés. Il était généreux de ses compositions et en faisait fréquemment. pour des confrères moins bien doués sous le rapport de l'imagination. Il dessinait aussi pour les peintres-verriers, les sculpteurs, les graveurs et les orfèvres. Bien qu'il n'ait pas lui-même manié le burin, il avait, comme Raphaël d'Urbin et d'autres peintres, organisé un atelier où il initiait des jeunes gens à l'art du dessin et de la gravure. Lorsqu'il reconnaissait des aptitudes particulières à l'un de ses disciples, il le patronnait et lui facilitait le voyage en Italie, qui alors semblait indispensable à l'éducation d'un artiste, en obtenant des subsides sollicités auprès de ses amis et auxquels il contribuait quelquefois de ses propres deniers[243]. Dans la peinture, il forma plusieurs élèves distingués. Le plus brillant, celui qui conserva le plus fidèlement les traditions du maître, fut Frans Floris.

Une trentaine de compositions de Lombard ont été reproduites par la gravure. Plusieurs des œuvres existantes de ce maitre sont en la possession des hospices civils de Liège, ou figurent au musée de cette ville. Il était aussi architecte et bâtit, entre autres, pour le chanoine écolâtre de Saint-Lambert, Jean Oems de Wyngaerde, un hôtel d'ordre corinthien composite. Cet édifice fut achevé en 1548 et eut un si grand succès qu'on regretta à cette époque de voir le palais épiscopal construit dans le style ogival. Lombard avait également construit pour Liévin Vanderbecke — Lævinus Torrentius —, alors vicaire général du diocèse, une maison spacieuse et richement ornementée, dont on trouve l'éloge dans un ouvrage d'Ortelius.

La révolution opérée par Lombard imprima, dit M. Van Hasselt, d'une manière indélébile à l'école liégeoise ce caractère de grandeur et de noblesse qui ne s'effaça que durant la période de décadence où l'art belge périt tout entier dans le cours du siècle dernier. La conception savante, la pureté des lignes, le sentiment épique que cet artiste avait inaugurés dans sa patrie et auxquels il sacrifiait volontiers la splendeur de la palette, se sont maintenus dans les œuvres de ses disciples et de ses successeurs. C'est de lui que date la belle école liégeoise du seizième et du dix-septième siècle, si peu connue, parce que la plupart des productions qu'elle a fournies ont été disséminées dans les galeries étrangères, où elles figurent sous des noms de maîtres italiens, et si essentiellement différente de l'école d'Anvers, soit à cause de la direction plus idéaliste et plus érudite qu'elle avait reçue de Lombard, soit à cause des influences particulières sous lesquelles elle se développa au milieu d'une ville épiscopale et d'une société où dominait l'élément ecclésiastique[244].

Nous nous sommes étendu, un peu longuement peut-être, sur les peintres qui brillèrent au premier rang dans cette période de l'art national, sur ceux qui lui imprimèrent, si l'on peut ainsi dire, son caractère et exercèrent la plus puissante influence sur ses développements ultérieurs. Nous sommes loin cependant d'avoir nommé tous ceux qui ont droit à une mention spéciale. Les encouragements de Marguerite, la protection de Charles Quint, à qui, selon l'expression de M. Henne, tout sentiment de grandeur était naturel, dotèrent la Belgique d'une nombreuse phalange d'artistes éminents. La seule ville de Malines comptait plus de cent cinquante peintres, que la cour de la gouvernante y avait sans doute attirés. La plupart des villes avaient des corporations d'artistes. En 1 510, Georges Formentel fonda l'académie de peinture et de sculpture d'Anvers ; il lui donna pour emblème une colombe portant un rameau d'olivier dans le bec, avec cette légende : ecce gratia. Cette institution s'éleva très probablement sous les auspices de la confrérie de Saint-Luc, existante déjà au commencement du XVe siècle[245].

C'est des Pays-Bas, dit Guicciardin, qu'on voit se répandre des maîtres parfaits en Angleterre, en Allemagne, en Danemark, en Suède, en Norvège, en Pologne et dans les autres pays septentrionaux, sans parler de la France, de l'Espagne et du Portugal, où les appellent souvent les princes, les seigneurs et lés villes, qui les comblent de présents ; ce qui est non seulement merveilleux, mais encore honorable pour ces hommes et polir leur patrie. Les Belges, dit à son tour l'ambassadeur vénitien Badoaro, excellent plus qu'aucune autre nation à peindre le paysage et les animaux.

Guicciardin nous a laissé une liste des peintres renommés "eh Belgique dans la première moitié du XVIe siècle. Nous ne sommes pas arrivé tout à fait à cette date dans le cours .de cette histoire. Nous allons, à l'exemple de l'écrivain florentin, énumérer ceux de ces artistes qui ne sortent pas complètement des limites que l'ordre du récit nous fait un devoir de respecter. Nous citerons donc Josse Van Cleef, d'Anvers, regardé comme le meilleur coloriste de son temps[246] ; Simon Beninc[247] et Lancelot Blondeel[248], de Bruges, qui excella surtout, au rapport de Vasari, dans la reproduction des effets de lumière ; Gérard Hoorenbault, de Gand[249] ; François de Vriendt, dit Frans Floris, le Raphaël flamand[250] ; les trois descendants de l'illustre Roger Van der Weyden, de Bruxelles[251], Pierre, Gosuin et Rogier le jeune, auquel on a longtemps attribué une partie des œuvres de son glorieux homonyme ; Jean Vermay, ou Vermeyen, de Malines, portraitiste distingué, qui accompagna Charles Quint en Afrique et reproduisit la conquête de Tunis dans de grands tableaux conservés au Belvédère de Vienne et au palais du prince Eugène ; Grégoire Vellemans, chargé, en 1529, par le magistrat de Malines de peindre le couronnement de Charles Quint, et Charles Schoof, qui l'avait été, en 1514, de représenter le grand conseil, tel qu'il avait été établi par Charles le Téméraire. Nommons enfin, parmi d'autres femmes artistes[252], Susanne Hoorenbault, fille de Gérard, que de brillants avantages attirèrent à la cour de Henri VIII.

Nous avons dit comment Marguerite d'Autriche se plaisait à orner d'œuvres d'art, avec une générosité toute royale et une piété digne de sa naissance, les édifices consacrés au culte. Cette munificence si éclairée trouva de nombreux imitateurs. Ainsi Laurent du Bijou ! donna à l'église de Sainte-Gudule deux magnifiques tapisseries représentant l'histoire du Saint Sacrement de miracle. Mais les peintres-verriers eurent surtout à se louer de l'administration de la princesse, qui encourageait> spécialement cette branche de l'art. Aussi à aucune époque on ne plaça autant de vitraux dans les églises et, à chaque page des comptes de son hôtel, on trouve des subsides accordés pour établir des verrières. Ses exemples furent féconds. Le chœur de Sainte-Waudru, à Mons, décoré de cinq vitraux, dus à la munificence de Maximilien et de sa famille, en reçut d'autres de l'évêque de Cambrai, Jacques de Croy ; de l'archevêque de Palerme, du seigneur de Ravenstein, Philippe de Clèves, et de sa femme, Françoise de Luxembourg ; du seigneur de Chièvres et de sa femme, Marie-Madeleine de Hamal ; de Philibert Naturelli ; d'Antoine de Lalaing et de sa femme, Élisabeth de Culembourg ; du seigneur de Gaesbeek, Martin de Hornes, et de sa femme, Anne de Croy. Le magistrat de Mons décora cette église de la verrière placée au dessus du portail septentrional, et le portail méridional en reçut une de l'ordre de Malte. En 1528, Érard de la Marck fit don à l'église de Sainte-Gudule du beau vitrail de Jacques de Vriendt, dit Floris, représentant le jugement dernier, et, en 1547, l'église de Saint-Pierre, à Malines, reçut du cardinal Granvelle un présent analogue.

En 1526, les membres du grand conseil firent placer des vitraux représentant la famille impériale dans l'église de Saint-Rombaut ; le frontispice de la même église venait d'être orné (1526) d'un autre vitrail, exécuté en 1473, aux frais du métier des drapiers, par Gauthier Van Battele. Van Orley y peignit aussi un vitrail figurant les portraits en pied de Marguerite et de Philibert II de Savoie. Jean Haeck, d'Anvers, d'après les dessins de Van Orley et de Michel Coxie, orna la nouvelle chapelle du Saint Sacrement de miracle, à Bruxelles, de sept vitraux, dons de François Ier, d'Éléonore, de Catherine, de Jean de Portugal, du roi des Romains Ferdinand, de son fils Maximilien et du prince Philippe. La famille impériale, de grands personnages de la cour et le magistrat de Bruxelles donnèrent à la chapelle de Notre-Dame de Scheut treize vitraux représentant la passion, et quarante-trois vitraux au cloître, qui, dit-on, n'avait pas son pareil en Belgique. En 1521 et 1522, Daniel Louis exécuta de nombreuses peintures sur verre dans les églises de Saint-Bavon et de Saint-Sauveur et dans la chapelle de Jérusalem, à Gand, dans les églises de Papingloo, de Mendonck, d'Ackerghem et de Wondelghem, ainsi que dans les maisons de plusieurs particuliers ; et Pierre Cœck, d'Alost, orna de plusieurs vitraux la cathédrale d'Anvers.

Avant de passer à la sculpture, ajoutons un mot relativement à ces belles tapisseries historiées, véritables peintures exécutées avec des fils d'or, d'argent, de laine et de soie. On sait combien étaient célèbres alors les tapisseries de haute-lisse d'Arras et de Bruxelles. Un très beau spécimen de ces grandes œuvres est une tapisserie de Flandre, laine et soie, en trois pièces, représentant toute l'histoire de sainte Élisabeth de Hongrie, qui se conserve en l'église de Sainte-Catherine, à Hoogstraeten. Voici la description qu'en a faite M. James Weale, dans la Description des objets d'art religieux, exposés à Malines, en 1864. Cette histoire est divisée en neuf parties, auxquelles correspondent autant d'inscriptions. 1° Sainte Élisabeth, encore enfant, est fiancée au fils du landgrave de Hesse. On la voit apportée dans un petit berceau et présentée par sa mère. L'inscription décrit cette scène : Elisabeth Andrew Hungariœ regis filia in cunis agens comiti provinciali Hassiœ despondetur. Au dessus des envoyés, on lit ces mots : Legati Lantgravii. — 2° Un char richement orné emporte la jeune princesse parvenue à l'âge nubile ; sa mère l'embrasse ; des serviteurs apportent une foule d'objets précieux, qu'ils déposent avec précaution dans des coffres. Inde mater ejvs Gertrvdis ilium ad sponsum ituram exoscvlata mvltis muneribus onerat. — 3° Ce mariage est célébré par un prêtre, en présence d'une nombreuse assemblée de seigneurs et de dames ; il y a beaucoup de détails de costumes qui sont à remarquer. — Dans le fond du tableau on est assis au festin des noces. Elisabeth tum matera œtate comiti provinciali nubit seque illi tamquam domino subdit. — 4° Ici est l'admirable scène du crucifix trouvé dans le lit, de la sainte et le tableau vivant de ses œuvres héroïques de charité. Elisabeth pavperes quos laverat in thoro sua collocat ; indignabandvs cvbicvlvm vir adit at crvcifixvm invenit. — Nous hasardons cette restitution d'un texte tronqué et qui manque de sens tel qu'il est donné par M. Weale. — 5° Miracle dont elle est l'objet. Un ange la revêt d'un vêtement d'or. Sur le devant du tableau, on voit ses femmes occupées à filer. Elis. vestimentis suis inter pavperes distribvtis fila ex penso dedvcens ab angelo palla avrea donatvr. 6° Un parent de son mari la visite et la trouve parée de ce vêtement ; elle cache ainsi ses aumônes. A qvodam maria, sui cognato visitata palla prœfata ut suas eleemosynas celaret vestitvr. 7° Pour avoir manqué au sermon du prêtre, elle est reprise par lui et reçoit la discipline des mains d'une servante. On voit sur le tableau ces trois scènes animées : le prédicateur et son auditoire ; le même parlant avec sévérité à la sainte ; enfin, dans le fond, la sainte recevant un rude châtiment. Elis. qvadam die non avdito sacerdotis sermone ab illo — il manque un mot : reprehenditur ou autre semblable — flagris ab ancilla cœditvr. — 8° Élisabeth reçoit un avertissement du ciel, qui lui annonce l'approche de sa dernière heure. On la voit ensuite se disposant à recevoir la sainte Eucharistie et l'Extrême-Onction. Un prêtre apporte la pyxide sacrée ; il est suivi d'un clerc portant le livre et l'huile sainte. Tandem divinitvs mortis horam cognoseens svmpta evcharistia sanctam animam cœlo reddidit. — 9° On voit ici le tombeau d'Élisabeth recouvert d'un poêle précieux et armorié, entouré de gros cierges, environné de pèlerins et d'ex-voto, témoins et symboles des guérisons obtenues par son intercession. Sepvlchrvm illius a freqventi mvltitodine invisitur quœ a variis ibi morbis cvratvr. — Outre ces inscriptions on trouve plusieurs fois sur les bordures les devises : ne moy aultrenulle plus. Ces tapisseries ont été faites pour Antoine de Lalaing, comte d'Hoogstraeten, un des favoris de Charles-Quint, et données par lui à l'église d'Hoogstraeten, qu'il a construite et ornée de vitraux, de tapisseries et de beaucoup d'autres riches objets. Si le sujet de ces tentures est la vie de sainte Élisabeth, c'est qu'elle était la patronne de la comtesse d'Hoogstraeten. Il y a beaucoup d'animation et de mouvement dans les figures ; à l'exception des couleurs qui ont pâli, leur conservation est parfaite. 1530. Longueur de chaque pièce, environ 4 mètres, hauteur 1,60.

 

La sculpture aussi vit naître un grand nombre d'habiles maîtres et produisit beaucoup d'œuvres remarquables. Obligé de nous restreindre, nous nous contenterons de décrire rapidement quelques-unes de ces œuvres existantes encore aujourd'hui et d'esquisser ainsi la physionomie de l'art sculptural à cette époque ; nous citerons ensuite les noms de plusieurs de ces artistes, dont la mémoire est restée vivante et honorée jusqu'à nos jours.

Le premier monument qui doit fixer notre attention, est une magnifique statue placée dans l'église de Notre-Dame à Bruges, et qui en représente la sainte patronne. Cette statue est assez généralement attribuée à Michel-Ange, mais cette attribution n'a pas laissé de soulever des contestations. Quoi qu'il en soit, c'est un des chefs-d'œuvre les plus remarquables que possède la Belgique. Un critique que nous citons volontiers, à cause du caractère spiritualiste et des vues élevées qui dominent ses appréciations, en parle en ces termes[253] : Jean Mouscron, l'un des notables marchands de Flandre au XVIe siècle, fit don de cette statue au chapitre de Notre-Dame, après l'avoir, dit-on, achetée à des corsaires d'Amsterdam. Cette dernière circonstance parait fabuleuse, mais c'est à tort, croyons-nous, que quelques écrivains ont émis des doutes sur le nom du sculpteur. Non seulement le génie de Michel-Ange éclate dans ce bel ouvrage, mais c'est peut-être une de ses conceptions les plus fières. Lui seul en effet eût osé choisir le type mâle et sévère sous lequel la Vierge est ici représentée et dans lequel, au premier abord, on hésite presque à la reconnaître. Bien qu'elle tienne ses yeux attachés sur son Fils, sa figure n'offre plus cette douce sérénité qui forme le caractère habituel de ses images. L'expression que l'artiste lui a donnée est triste en même temps que majestueuse, et tout dans ses traits marque à la fois ses souffrances maternelles et sa royauté divine. Le port de la tête rappelle ces fières impératrices romaines dont les statues semblent encore commander le respect, mais une amertume indicible est peinte dans son regard et sur ses lèvres ; on dirait que Michel-Ange a voulu laisser sur ce noble visage la trace ineffaçable des angoisses que la Mère du Christ avait éprouvées au Calvaire et que son ciseau a rendues avec tant de vigueur dans le sublime groupe de Notre Dame de Pitié. Le Dieu enfant, debout devant elle dans une pose ravissante de grâce et d'abandon, offre cette perfection de formes dont nul autre statuaire n'a eu le secret. A la manière dont il s'entrelace à la main et aux genoux de sa mère, son attitude suffit pour nous révéler sa tendresse. Telle est, continue M. Moke, l'œuvre hardie que le maitre italien a livrée à l'admiration des hommes du Nord. A la manière dont il l'a traitée, on croirait qu'elle était destinée à la Flandre, malgré l'anecdote qui l'a fait apporter par des pirates. En effet, si la pensée générale est bien celle de Michel-Ange, si le dessin du groupe atteste sa main vigoureuse et savante, en revanche l'exécution n'a plus rien de cette rudesse et de cette négligence à laquelle on reconnaît d'ordinaire son mépris pour les détails. Tout y est achevé, gracieux, délicat, parfait. Étudiez chaque partie du corps de l'enfant, les mains, les genoux, les pieds, vous n'apercevrez que des contours d'une élégance inexprimable et que relève le fini du travail. Les draperies de la Vierge sont plus étonnantes encore : jamais le marbre n'a mieux pris sous le ciseau la souplesse et le brisé de l'étoffe ; jamais la vérité et la grandeur de l'effet n'ont été jointes à plus de richesse et de légèreté. De là même est né le doute dans quelques esprits ; c'est ce soin minutieux qui a fait parfois méconnaître le grand sculpteur : à peine existe-t-il deux ou trois statues qu'il ait ainsi achevées. Mais depuis qu'un tableau de Jean Van Eyck avait attiré à Bruges Antonello de Messine, l'art flamand avait eu de la célébrité en Italie et Michel-Ange sans doute n'en ignorait pas le caractère ; il connaissait tous ces chefs-d'œuvre de délicatesse et d'application qui faisaient la gloire de l'école brugeoise. Il comprenait que, vis-à-vis de pareils ouvrages, le sien ne pouvait rien conserver d'incomplet et qu'il eût été indigne de lui de paraitre inférieur à ces artistes étrangers, même dans le genre de mérite qui leur était propre... Mais toute incertitude à cet égard doit être dissipée par le témoignage d'Albert Dürer qui, visitant Bruges avec un artiste italien, du vivant même de Michel-Ange (en 1521), le nomme comme l'auteur de ce bel ouvrage. Qu'on nous permette de le dire avec la modestie qui sied à notre jugement, ce raisonnement ne résout pas complètement pour nous cette question d'attribution.

Une incertitude semblable existe au sujet d'un monument des plus remarquables de la période que nous étudions : nous voulons parier du tabernacle sculpté que l'on admire dans la petite ville de Léau à quelque distance de Tirlemont. Il faudrait aller jusqu'à Florence, dit un écrivain de la Belgique monumentale, pour demander au siècle des Médicis quelque chef-d'œuvre qu'on pût comparer à ce tabernacle de pierre, qui pyramide depuis le pavé jusqu'à la voûte. Eh bien, au jugement du même écrivain, cette œuvre magnifique serait aussi de provenance étrangère ; voici comment il en parle : ce chef-d'œuvre de la renaissance italienne, morceau unique de ce genre en Belgique, nous le croyons dû au ciseau de quelque artiste florentin de l'école de Buonarotti. Tous les détails de ce superbe monument, depuis les cariatides qui ornent les angles jusqu'aux moindres arabesques qui décorent les frises, sont d'une pureté de dessin, d'une élégance. de contours, d'une perfection de ciseau dont, nous le répétons, on ne retrouve les modèles qu'en Italie. Nous persistons donc à croire que cet ouvrage aura été exécuté à Florence et transporté pierre par pierre en Belgique, ou bien que ses donateurs auront fait venir d'Italie, pour l'exécuter, quelque artiste célèbre alors et qui n'a pas daigné laisser son nom sur ce monument de pierre grise, qu'il exécutait pour une église ignorée d'une petite ville des Pays-Bas. Il en coûte de l'avouer à notre amour propre national, mais nous ne connaissons aucun artiste belge de cette époque à qui cette œuvre puisse être attribuée[254].

Nous ne savons, mais, pourtant, nous croyons qu'il y a lieu aussi d'appeler de ce jugement[255]. Transportons-nous à une autre extrémité du Brabant, dans une autre petite ville : nous y trouverons une œuvre sculpturale qui n'est pas indigne d'être comparée à celle-ci et qui, heureusement, est signée, d'une manière bien authentique, du nom d'un artiste belge. Celte œuvre est le retable du grand autel de Hal, près de Bruxelles. Laissons parler sur ce monument un autre critique d'art, cité plus d'une fois déjà dans notre Histoire. Cet ouvrage rappelle le gracieux tabernacle de l'église de Léau dont il est contemporain. Nous ne pensons pas que le style de la renaissance ait laissé en Belgique un échantillon plus parfait. Il appartient d'ailleurs à l'époque où ce style avait atteint son apogée, car il est de l'année 1533, comme l'atteste une inscription qui y est tracée sur un petit cartouche et qui se trouve, du moins nous le croyons, publiée ici pour la première fois. Elle est conçue en ces termes :

L'an de grâce 1533 posé fus, officiant de Bailli en ceste ville de Haulx messir Balthazar de Toberg. Jehan Mone[256], maistre artiste de l'empereur, a fa ict test dist retable.

Nous ne connaissons aucune autre sculpture du maître dont, nous venons de reproduire le nom et qui était attaché à l'empereur Charles-Quint. Mais l'autel de Hal suffit pour donner de son talent une très haute idée. En effet les bas-reliefs et les figurines qui le décorent sont d'une admirable exécution, et ils témoignent d'une étude solide des plus beaux modèles italiens. La forme générale du retable est celle d'un parallélogramme dont le grand côté s'étend dans le sens horizontal. Ce parallélogramme est orné de sept médaillons dans chacun desquels est enchâssée une scène qui figure l'un des sept sacrements et dont quatre composent la ligne inférieure et trois la ligne supérieure. Au-dessus du médaillon intermédiaire de la rangée supérieure, s'élève une petite niche dans laquelle se trouve un groupe représentant saint Martin et le pauvre, et qui est surmontée d'un tabernacle en forme de dôme et tout travaillé à jour. Cette niche est flanquée de deux consoles renversées sur lesquelles sont disposées des statuettes qui représentent les pères de l'Église et plusieurs anges. Un gril de charmantes et gracieuses colonnettes et de frises couvertes de feuillage et de figurines forme le cadre qui renferme les sept médaillons. Ainsi que nous l'avons dit, cet ouvrage est un reflet des meilleures productions de l'art italien au commencement du seizième siècle. En effet, la composition de chacune des sept scènes est sévère et pleine d'intelligence et de sentiment. Les figures sont d'une rare vérité d'expression et en même temps d'une grande beauté de style. Les draperies sont traitées avec un goût plein d'élévation. Enfin le dessin est d'une pureté qui ne laisse rien à désirer. Les arabesques qui se déroulent sur les frises et sur les colonnettes, et celles qui décorent le tabernacle dont le retable est couronné, sont d'une élégance charmante et d'une richesse d'imagination qui éblouit. Les petits génies qui s'y jouent sont modelés avec la perfection que notre grand sculpteur flamand François Du Quesnoy devait atteindre un siècle plus tard. L'ensemble de cet ouvrage, quelques-uns le trouveront peut-être dénué du caractère grandiose que l'on est en droit de réclamer d'un monument de la nature de celui qui nous occupe ; mais l'abondance des détails, la finesse de l'exécution, la naïveté et l'esprit qui se révèlent aussi bien dans les groupes que dans les figures isolées, donnent à cette production une physionomie pleine de grâce et un caractère tout à fait poétique. A la vérité, il séduit plutôt l'imagination qu'il ne frappe l'esprit ; mais il fait, sur celui qui le regarde, l'effet que produit un chef-d'œuvre[257].

Parmi les productions remarquables que nous a léguées la sculpture de ce temps, il est deux genres de monuments que nous ne pouvons entièrement passer sous silence, ce sont nos antiques jubés et les stalles de nos églises cathédrales, collégiales et abbatiales. Nous citerons comme un magnifique spécimen des œuvres de la première catégorie le beau jubé de Dixmude. Nous ne possédons, dit M. Van Hasselt[258], aucune donnée précise au sujet de l'époque où ce bijou architectonique a été créé ni au sujet de l'artiste auquel il est dû. Mais il appartient incontestablement au XVIe siècle et il doit être postérieur à l'incendie qui dévora, en 1513, une grande partie de la ville et de l'église dont il est un des principaux ornements. Du reste le caractère de l'ensemble et des mille détails qui le constituent nous autorise à croire que ce merveilleux ouvrage est à peu près contemporain de l'hôtel de ville d'Audenarde, construit entre les années 1525 et 1535, d'après les plans de Henri Van Pede, maitre ouvrier des maçonneries de la ville de Bruxelles. Comment décrire la profusion d'ornements qui revêt tout l'entablement de cette adorable construction ! C'est un ensemble dans lequel l'artiste parait avoir voulu réunir toutes les formes que l'imagination et la fantaisie que les maîtres du XVIe siècle avaient inventées, pour en composer une carte d'échantillons de leur art que le temps pût montrer à l'art nouveau qui allait prévaloir. C'est un prodigieux mélange d'arcs et d'angles enchevêtrés de toutes les manières, de feuillages que l'on dirait sculptés par la main des fées, de rinceaux qui serpentent dans toutes les directions et courent l'un après l'autre avec une vivacité et une pétulance pleines de charmes, de niches peuplées de saints posés sur des socles en forme de culs-de-lampe et couronnés de baldaquins taillés à jour comme une dentelle de pierre. Devant un pareil chef-d'œuvre, que le crayon du dessinateur est seul capable de reproduire, l'écrivain sent toute l'impuissance du langage et doit déposer la plume.

L'étranger ne sait assez admirer les merveilles que la sculpture sur bois étale en si grande abondance dans nos églises. Nous choisissons pour exemple de ce genre les magnifiques stalles de l'église de Sainte-Gertrude à Louvain. Tout ce que le style de la renaissance a de plus riche et de plus touffu, dit un écrivain de la Belgique monumentale, est jeté à profusion dans l'ornementation de ces vingt-huit stalles, dont le fond représente des phases de la vie et de la passion du Christ. Le bois de chêne semble s'être assoupli sous le ciseau de l'artiste, tant la sculpture y est facile, hardie et délicate. Chaque sujet est entouré d'un cadre formé d'ornements entremêlés de feuilles de chêne. Pour se faire une idée des miracles d'art et de patience dus à ces sculpteurs inconnus qui dédaignaient de signer des chefs-d'œuvre dont s'honoreraient nos artistes les plus habiles et les plus distingués, pour pouvoir comprendre et apprécier tout ce qu'il y avait d'imagination fraîche et de piquante originalité dans le travail de ces obscurs tailleurs de bois et de pierre auxquels on doit des œuvres colossales comme la cathédrale de Cologne, gracieuses et artistiques comme les stalles de l'église de Sainte-Gertrude, il faut surtout examiner en détail ces œuvres délicates, cachées dans 'l'ombre des églises, dans le demi-jour des chœurs, des chapelles, dans tes recoins des sacristies et des baptistères. Il semble, dirons-nous en modifiant tant soit peu la forme de l'écrivain dont nous reproduisons la pensée, que l'art, après s'être fatigué à jeter dans les airs des voûtes hardies, des flèches impossibles, ait voulu se reposer en créant ces miraculeuses petitesses, où la pensée s'idéalise sous la main de l'ouvrier, tout en semblant disparaître sous la multitude des ornements et des lignes[259].

Pour ne rien omettre, mentionnons encore lé grand retable sculpté de l'église de Saint-Denis à Liège, récemment exposé en cette ville. La Belgique, lit-on dans une description fort intéressante de cette exposition, n'a gardé qu'un petit nombre de retables de ce genre, une trentaine peut-être ; celui de Saint-Denis est le mieux conservé de tous. Il forme comme une sorte de gigantesque armoire, renfermant dix scènes sculptées dans le bois, au total plus d'une centaine de figurines, pleines de vie, d'expression ; celles-ci y font revivre sous un fouillis d'arceaux gothiques à fleurons et crochets, dans la partie supérieure, les six principaux épisodes de la passion du Sauveur ; dans l'inférieure, les quatre grands incidents de la légende de saint Denis. Tout y est traité avec un soin remarquable, les visages, les corps, les poses, les costumes et, lorsqu'un or encore brillant éclairait de ses raies délicates ou de ses fleurettes variées, les bordures, les détails saillants de ces costumes, l'éclat de ce chef-d'œuvre de notre sculpture du seizième siècle devait rappeler la splendeur du chef-d'œuvre de notre orfèvrerie, le buste de Saint-Lambert[260]. — Le retable a été fait, comme la place réservée à la vie de saint Denis le prouve, pour l'église qui le possède encore. Il remonte, à n'en pas douter, à la première moitié du seizième siècle. Des volets peints le fermaient primitivement : on en a retrouvé quelques-uns, et leur peinture révèle l'école de Lombard ; l'un d'eux accuse le maitre lui-même[261].

Terminons par la liste de quelques habiles sculpteurs qui ont droit à une mention spéciale dans les fastes de notre art national : Jacques du Broeucq, de Mons, non seulement sculpteur, mais architecte et graveur ; il orna l'église de Sainte-Waudru d'autels, de bas-reliefs, de statues et d'un magnifique jubé détruit à la fin du siècle dernier[262] ; son élève, le célèbre Jean de Bologne[263], et Jean de Thuin[264] qui était également un habile tailleur d'images ; — Jean de Heere[265], de Gand, auteur du mausolée d'Isabelle d'Autriche dans l'église de l'abbaye de Saint-Pierre, et du jubé de Saint-Bavon, détruit par les iconoclastes en 1568 ; son concitoyen, François Vandevelde[266], sculpteur, géographe et géomètre distingué, qui exécuta de beaux retables pour l'église de l'abbaye de Saint-Pierre, à Gand ; — Corneille Floris, ou De Vriendt, lequel introduisit les grotesques dans les Pays-Bas ; on lui doit le tabernacle de l'église de Léau le plus beau monument du style de la renaissance que possède la Belgique, et la décoration[267] du jubé de la cathédrale de Tournai ; — Guillaume Van den Brœck, ou Van de Poel[268], Paludanus, sculpteur fort estimé ; — Lambert Van Eerseele, qui exécuta, en 1527, un crucifix en fer, du poids de seize cents livres, pour la place de Meir, à Anvers[269] ; — Jean Van Hoorne, dit Jean de Bruxelles[270], qui donna les modèles des statues et, des figures d'animaux destinées à orner les bailles du palais des ducs de Brabant ; — Conrad Metz ou Meyt, à Malines, tailleur d'ymaiges de Marguerite d'Autriche et de Marie de Hongrie ; on lui doit les belles sépultures en marbre blanc de l'église de Brou et. les mausolées de Jean II et de Philibert de Châlons à l'église des cordeliers de Lons-le-Saulnier[271] ; — Guyot de Beaugrant[272], de Malines, auteur du mausolée de François d'Autriche, dans l'église de Saint-Jacques, à Bruxelles, et de la cheminée du Franc, à Bruges ; — Alexandre Colin[273], de Malines, auquel l'église des Franciscains, à Insprück, est redevable du magnifique mausolée de l'empereur Maximilien, qui la décore ; — Rombaut de Dryvere, de Malines, à qui l'on attribue le tabernacle de Tongerloo[274] ; — Albert de Brull ou Van den Brulle[275], d'Anvers, auteur de la superbe boiserie du chœur de l'église de Saint-Jacques-le-Majeur, à Venise ; — le Liégeois François Borset[276], auquel est due la colonnade du palais des princes-évêques, à Liège ; — Henri Cools, de Herenthals[277], qui exécuta (1535-1540), dans un style ogival très délicat et très orné, le buffet d'orgues de Tongerloo.

L'art des calligraphes et des enlumineurs, jadis si florissant en Belgique, commençait à pâlir devant les progrès toujours croissants de la typographie[278]. On sait combien de trésors du plus haut prix renferme notre Bibliothèque de Bourgogne en fait de manuscrits à miniatures du XIVe et du XVe siècle. Tout a été dit sur l'habileté de la pratique manuelle qui brille dans ces ouvrages, sur la délicatesse du pinceau de leurs auteurs, sur l'éclat et la solidité des couleurs employées par ces merveilleux artistes[279]. Marguerite d'Autriche n'en fit pas moins exécuter beaucoup d'œuvres de ce genre[280]. D'autre part, l'invention de la gravure en taille-douce par Maso Finiguerra[281], orfèvre florentin, et les travaux de Marc-Antoine Raymondi, d'Albert Dürer et de Lucas de Leyde avaient excité l'émulation de nos compatriotes et, avant que le XVIe siècle fût entièrement écoulé, on vit les graveurs des Pays-Bas prendre décidément le premier rang en Europe[282].

Ce qui était particulièrement en honneur chez nous, à l'époque au nous sommes, c'était la gravure des sceaux et médailles. Pour juger combien le gal de la numismatique régnait alors aux Pays-Bas, il suffit de penser qu'on y comptait jusqu'à deux cents cabinets de médailles. La collection formée à Bruges par les deux frères Lauwerein, seigneurs de Watervliet, connus sous le nom de Laurini, et d'après laquelle Hubert Goltzius[283] a fait ses ouvrages renommés, n'était dépassée par celle d'aucun souverain. Malheureusement les guerres civiles la dispersèrent[284].

L'industrie elle-même s'ennoblissait en s'associant au culte de l'art. Il y avait alors à Anvers, dit Guicciardin, cent vingt orfèvres, outre un grand nombre de lapidaires et autres tailleurs et graveurs de pierreries, lesquels, ajoute-t-il, font des œuvres admirables. Et l'orfèvrerie n'était pas seule à ressentir cette heureuse influence qui s'étendait à toutes les branches du travail industriel. Les fondeurs belges, notamment, jouissaient d'une grande réputation. On cite, entre autres, les frères Moer, qui fondirent, en 1515, la célèbre cloche de Saint-Servais à Maëstricht, et René Van Thienen, de Bruxelles, des creusets duquel sortirent les statues de bronze des bailles du palais.

 

Nous avons rappelé précédemment la part considérable prise par la Belgique au grand mouvement musical qui se manifesta vers le milieu du XVe siècle et qui eut son point de départ principal dans notre pays. Nous avons fait connaître les artistes distingués qui se signalèrent dans ce mouvement remarquable et dont les noms sont restés en honneur dans l'histoire de l'art, Dufay de Binche, Ockeghem[285], Josquin Despré[286], tous deux aussi du Hainaut, Jean le Teinturier, Tinctor ou Tinctoris, qu'on croit né à Nivelles[287], et auquel cette ville a érigé récemment une statue[288]. La Belgique ne perdit rien de cette gloire à l'époque où nous sommes parvenu. Si, pour les contemporains de Philippe-le-Bon, la musique de la cour de Bourgogne était considérée comme la meilleure de l'Europe, cette renommée musicale de notre pays faisait depuis longtemps sentir son influence au dehors ; l'empereur Maximilien en avait importé les traditions en Allemagne, comme les vrais principes de l'art, et les musiciens belges tenaient le premier rang dans les cours de France et d'Italie. Ce sont les Belges, dit Guicciardin, qui ont relevé la musique et l'ont amenée à la perfection. Ils y sont si propres que hommes et femmes chantent comme d'instinct, avec mesure, avec grâce, avec mélodie. Ils jouent de tous les instruments, et il n'y a pas de cour de prince chrétien où il n'y ait de musicien belge. — Les Belges, écrivait l'ambassadeur de Venise Frédéric Badoaro, paraissent nés pour la musique, et ils possèdent des compositeurs du mérite le plus éminent[289]. — On peut dire avec vérité, affirmait de son côté plusieurs années auparavant un autre diplomate de la même nation, Vincent Quirini[290], qu'en Belgique la musique est parfaite.

Marguerite d'Autriche et Charles-Quint accordèrent à la musique de sympathiques encouragements et, sous leurs auspices, se forma une pléiade de compositeurs et d'artistes qui maintinrent glorieusement la renommée de notre pays dans l'Europe entière. C'est avec une fierté patriotique que nous allons citer toute une série de noms, que l'histoire ne doit pas laisser tomber dans l'oubli. Alexandre Agricola[291], l'un des plus grands et des plus féconds maîtres de son temps ; Pierre de la Rue[292], Flamand, dont quelques productions sont encore citées comme des chefs-d'œuvre ; Adrien Willaert[293], qui fut maitre de musique de l'église de Saint-Marc à Venise, forma des élèves devenus l'honneur de l'Italie et inventa, dit-on, la musique à plusieurs chœurs ; Nicolas Gombert, auteur d'un magnifique Ave Maria, qui, de nos jours encore, a obtenu de vifs applaudissements[294] ; son successeur dans les fonctions de maitre de la chapelle de Charles-Quint, Thomas Créquillon[295], placé au rang des plus fameux compositeurs de son temps ; Anselme de Flandre ou le Flamand[296], qui compléta, dit-on, notre gamme moderne ; Josquin Baston[297], dont les motets eurent un grand retentissement ; Jean Bonmarché[298], d'Ypres, qui organisa définitivement la chapelle royale de Madrid ; Jacques de Keerle[299] son concitoyen, qui composa la musique des prières chantées au concile de Trente ; enfin cet illustre Roland Delattre, Lassus, Orlando di Lasso[300], de Mons, qui reçut de ses contemporains le titre de prince des musiciens, brilla dans les cours de Naples, de Sicile, de Rome, de France, de Munich, fonda un grand nombre d'écoles, et laissa des œuvres immortelles.

La première chapelle qu'il y eut en Espagne avait été formée par des artistes belges qu'avait amenés avec lui Philippe le Beau ; sous Charles-Quint et sous Philippe II, la Belgique continua à lui fournir des musiciens. La chapelle de Charles-Quint était, dit un contemporain, la meilleure et la plus complète qu'on pût rencontrer ; les chantres, au nombre d'une quarantaine, ayant été choisis dans les diverses provinces des Pays-Bas, qui sont aujourd'hui, ajoute-t-il, comme la source de la musique. Les désastreux évènements qui marquèrent la seconde moitié du XVIe siècle enlevèrent à la Belgique sa prééminence dans le monde musical ; nos écoles se fermèrent au milieu de nos luttes sanglantes, et l'Allemagne, recueillant nos proscrits, releva le sceptre musical tombé de nos mains.

 

Nous terminons par cette esquisse de notre situation intellectuelle dans la première moitié du siècle, ce chapitre de notre Histoire. Dans le suivant, nous reprendrons le récit des évènements politiques, qui vont prendre un caractère d'incomparable gravité. La Belgique, emportée par un mouvement commun à la plupart des autres contrées de l'Europe, va voir déchirer son unité sociale et religieuse ; des guerres plus que civiles vont ensanglanter son sol, ruiner ses provinces, accumuler des ruines que l'avenir ne relèvera qu'à grand'peine et fort imparfaitement. Recueillons-nous et préparons-nous à entamer cette grande tâche avec le calme sérieux, l'amour sincère de la vérité, de laquelle la grande cause nationale et religieuse que nous servons n'a rien à redouter, et dont le flambeau nous dirigera au milieu des temps sombres et agités qui s'ouvrent devant nous.

 

***

NOTE 1

Dans un recueil très rare d'opuscules publiés par Dorpius en 1'514, à l'occasion de sa promotion à la licence en théologie, on trouve, après un texte restitué de l'Aulularia, des prologues et des analyses de sa façon sur des pièces de Plaute : Ejusdem thomus (sic) Aululariæ Plautinæ adjectus cum prologis aliquot in comediarum actiones et paucutis carminibus. Le titre du livre entier est le suivant : Martini Dorpii sacre theologie licentiati opuscula, in-4°, 36 feuilles, chez Thierry Martens.

Voici l'annonce de la représentation de l'Aulularia :

Quicumque philomusi estis, quicumque vel

Amatis atticos sales, vel ipsius

Latiœ nitorem linguœ, adeste, et quidquid est

Negotii, poulie. Vobis acturus est Plauti grex lilianus Aululariam

Qua fabularum una est, quas Plautus scripserit,

Joco, lepore, argutiis bellissima.

Qui nosse cætera volt, is adesto crastino.

Curabitur, Musis belle juvantibus,

Ne quempiam ventitasse pceniteat.

Nous y ajoutons le prologue lui-même, quoique un peu long. Les vers sont si bien frappés, il y a tant de naturel, tant d'aisance, au milieu de tant de difficultés vaincues, que nous ne nous sentons pas le courage d'en rien retrancher :

Salute multa vos pro more impartior,

Quicumque adestis, spectatores candidi :

Nigros siquidem (ni se abluerint) nihil moror.

Comcediana actitabinius Aulurariam,

Qua fabularum una est, quas Plautus scripserit,

Joco, lepore, argutiis bellissima.

Sat se pœta, sat laudarit fabula.

Tall, hercle, vino hederam inscitum est suspendere.

Cæterum haud fallit me : contorquetis capita,

Susurrantes, heec imperfecta 'st fabula.

Est, hercle, verum, qui nostro prœst gregi,

Is, scilicet, est Plautina factus simia.

A Plauto doctus ipso, quamvis mortuo,

Quod deerat, id pro virili, eodem fere

Quoad potis est, peniculo appingere.

Porro id quantum flet negotii, Veneris

Apelleœ partem inferiorem absolvere,

Ilidernum sentient, quicumque harenula

In eadem colluctantes desudaverint.

Na ; illi pluteum ferient, et ungues denique

Vivos arrodent, et caput scabent suum.

Plauti jocos, sales, venerem, plus, per Jovem,

Quam atticam, et illam romanam elegantiam,

An consequutus est, haud ausim asserere.

Nam quid foret jactantius, aut dementius ?

Conatus oppido est (nam ingenue fatebimur),

Appendicem ex Plauti farina appendere,

Quam Plautus ipsus in pistrino comico

Moluit : nam egit (ut probe nostis) trusatiles

Tantus pœta molas, coactus inopia.

Jam vero censurarn haud ita deprecabimur

Vestram, modo equi omnes, et sitis candidi :

Modo reputet secum quisquis diutule,

Num dura sit provincia, homini penitus

Adulescenti, a mutis docto, et duntaxat iis

Magistris ; qui nullas Alpes transcenderit,

Nulias adierit Athenas, lingue gratia

()manche ; nato ad extremum ferme angulum

Totius orbis. Huic num est, quaeso, negotii

lies neutiquam minuti, Plautum exprimera ?

Comicum scilicet tain varium, amplissimum,

Verborum et rerum majestate principem.

At erunt fortasse qui faciles fatebuntur hoc ;

Verum ob id, inquient, non cceptum oportuit.

Humeri hoc opus tenelli si non sufferunt,

Cur suscipis ? Illi critici responsum habento sic.

Si tantisper doctissimus quisque abstineat

Vel a scribendo vel edendo quippiam,

Dum nil ab amusai discrepet, et puncta dum

Ferat omnia : dispeream, si scribat quispiam.

Ita comparatum, ut nil sit humanœ rei

Absolutissimum, quin ungues uspiam

Peritiorurn hians remoretur quippiant.

Postremo, si quis Momus erit molestior,

Is noverit bifrontes Janos esse nos

Quos nulla impune ciconia pinsuerit

A tergo ; et est nobis non retunsus stilus,

Quo blacterantes istos insectabimur,

Quis nil placet nisi domi natum suEe.

Verum enimvero malurnus per gratias

(Nam dicendum est iterum) œquos et candidos,

Quin conniventes, si quando opu'st, judices.

Heus vos, lieus, prœterieram penussime,

Quod dictum oportet inprimis : videlicet,

Ne quis loquaculus esto : neu turbato quis :

Neu quid prorsus loquitor : nam qui jam nunc senex

Prodibit, is quemcumque forte audiverit,

Furem illico vocitabit, inque jus rapiet :

Quod rapiunda super aula consuluerit.

Nondum tacetis, ultimus ille mussitat ?

Decretum, pol, jam promulgabo scenicum,

Quod cum grege sanxit imperator histricus.

Quieumque lingulax fuat, hue raptabitur ;

Et ejus flet lingua communis gregi.

Abeo, tacete, quotquot estis, obsecro.

Voici enfin l'annonce du Miles :

Dorpius candidis lectoribus

Plautina Miles est scatens salsissimis

Salibus comœdia, et attica venere.

Eam, auspice Thalia, comœdorum dea,

Grex lilianus est acturus hodie,

Hora secunda pomeridiana, eodem

In Liliorum ample gymnasio, ubi

Et Aululariam egerunt nuperrime.

Hoc significandum duximus, ne quispiam

Hoc bacchico die, tam sese poculo,

Tam se esculento copioso ingurgitet,

Ut nil fuat loci esitandis fabulis.

Qui pransi erunt deparcius, adsunto alacres.

Eos studebimus exsaturare fabulis :

Cibo nihil exhibente negocii stomacho.

 

NOTE 2

M. Moke, Splendeurs de l'art en Belgique, page 281. — Voici comment un observateur fin et attentif, mais un peu réaliste a décrit, de son côté, la grande œuvre de Metsys. Par une faveur spéciale du sort que n'ont pas obtenue tous les peintres de cette époque, dit M. Alfred Michiels, le chef-d'œuvre de Quentin Metsys n'a souffert ni du temps, ni des révolutions. Le musée d'Anvers le possède, brillant d'une fraîcheur qui n'annonce point trois siècles et demi de durée. Il représente le Sauveur descendu de croix, que l'on s'apprête à ensevelir ; les personnages sont presque de grandeur naturelle Nicodème agenouillé soulève par les aisselles le buste du Messie, le tourne un peu vers le spectateur. Joseph d'Arimathie vient d'ôter au supplicié la couronne d'épines et l'a remise à un homme coiffé d'un turban, qui la porte sur un linge. Elle a un aspect formidable : les épines en sont tellement longues et tellement fortes qu'on dirait des pointes de fer. L'opulent Israélite détache avec soin les caillots de sang mêlés aux cheveux du Rédempteur. Cette circonstance dramatique, un peu répugnante même, ne se serait jamais offerte à l'esprit d'un maître brugeois. La face du Christ nous apparaît livide, bleuâtre, enluminée par la mort, et n'offre aucun signe de divinité, aucune trace de nobles sentiments, aucune beauté physique. Les muscles sont déprimés, les lèvres terreuses ; l'œil se décompose au fond de son orbite agrandi. La pourvoyeuse des cimetières n'a point exercé autant de ravages sur le corps, peint de couleurs trop vivantes peut-être, avec une patience outrée ; après avoir indiqué les os, les muscles, les côtes et les veines, l'artiste a encore dessiné les poils des bras et des jambes. De ses longs cheveux la Madeleine essuie le pied gauche du Médiateur, qu'elle a baigné d'une huile odorante ; Marie Salomé aide à maintenir le buste soulevé, en tirant le cadavre par un bras, donnée commune et singulière. Une femme debout porte un vase élégant et une éponge pour laver le corps et les blessures de Jésus. Au centre de la composition, sa mère agenouillée, soutenue d'ailleurs par saint Jean, drapé dans un grand manteau rouge, croise les mains avec l'attitude et l'expression du désespoir. Sur la droite, Marie Cléophas, vêtue à peu près de la même manière, croise aussi les mains et trahit une douleur presque aussi violente. — Les types sont généralement communs et les figures expriment une affliction vulgaire. Nicodème seul nous montre une belle tête aux lignes harmonieuses, encadrée d'une longue barbe grise. — A droite de ce groupe, on aperçoit la caverne où est préparé le tombeau du Fils de l'homme. Une servante la balaie, une autre l'éclaire au moyen d'une torche ; un vieillard porte le linceul destiné à la glorieuse victime. Plus haut, derrière l'épisode principal, se dresse le Golgotha : c'est un plateau sur des rochers, à peine clairsemé d'herbes et de petits arbres. Les deux voleurs sont encore pendus à leurs croix ; au pied de celle que le Nazaréen a sanctifiée par sa mort, deux Flamandes épongent et lavent le sang du sacrifice, avec cette passion de la propreté qui distingue leur race. Un journalier emporte l'échelle dont on a fait usage pour descendre le martyr ; un autre mange une tartine (sic) ; le gardien du calvaire, ayant déposé prés de lui sa hallebarde, ôte son soulier, sans doute pour en retirer un caillou qui le blesse. A gauche du Golgotha, se creuse une vallée où l'on aperçoit Jérusalem et, plus loin, des collines bleuâtres. — Aucune portion de ce tableau, prise à part, n'excite l'étonnement et l'admiration, ne fait naître la joie intime dont nous remplissent les œuvres du génie. On approuve sans doute, mais on ne s'émerveille point. L'ensemble, au contraire, frappe et saisit. L'harmonieuse vivacité des couleurs charme le regard : ces deux attributs souvent opposés, la douceur et l'éclat, s'unissent de la manière la plus parfaite ; la nature ne réussit pas mieux, lorsqu'elle fond des beautés hostiles, la splendeur du couchant et les premières ombres de la nuit, la grâce et la force, l'emportement de la passion et les langueurs de la tendresse, le génie et la simplicité, les divers parfums des champs, les divers murmures des eaux et des bois. L'air circule dans le tableau, les personnages respirent, se tiennent dans des attitudes faciles et se groupent avec un art presque moderne. La touche a une hardiesse que l'on ne connaissait point avant Metsys. La puissance d'une vie nouvelle anime cette jeune production. — Elle forme le centre d'un retable. Sur le volet gauche, la fille d'Hérodiade présente à Hérode la tête de saint Jean. La salle est tendue en cordouan et un groupe de musiciens placés dans une tribune égaie le repas. La danseuse met le plat sur la table ; Hérode l'examine d'un air stupide ; sa maîtresse, pompeusement vêtue, sourit d'une manière presque aussi sotte ; elle a pris un couteau effilé dont elle perce la tempe du mort. Sur le premier plan, un petit page arrête un chien ; sur le dernier, une arcade ouverte nous fait assister à la décollation de saint Jean-Baptiste. Aucun détail n'est spécialement remarquable, mais l'ensemble a la tournure dégagée qui flatte dans le panneau central. L'aile droite vaut beaucoup mieux. Elle nous montre saint Jean l'Évangéliste au milieu d'une cuve pleine d'huile bouillante... Il lève les deux mains vers le ciel qu'il regarde avec une ardente espérance ; le type de sa figure est laid, trivial, son corps maigre et anguleux. Sur le premier plan, deux bourreaux excitent la flamme : ce sont deux têtes vulgaires, pleines de naturel. Le despote monté sur son cheval a un air stupide ; les autres assistants forment aussi de vraies caricatures, excepté un gamin perché sur un arbre, qui examine la tragédie du haut de cet observatoire. Un château occupe le fond, vers la droite ; la perspective est excellente et l'on dirait que le vent du ciel y souffle sans contrainte. Histoire de la peinture flamande, 2e édition. Tome IV, pages 318-322. On regrette de rencontrer dans cet ouvrage si riche d'observations et de jugements d'une grande valeur au point de vue de l'art, tant de vaines théories et de personnalités acerbes jusqu'au dénigrement.

 

NOTE 3

L'explication de cette grande composition de Metsys nous est donnée dans les Évangiles apocryphes. On sait ce qu'il faut entendre par cette désignation. On comprend en général sous ce nom tous les livres qui ne sont point dans le canon des Écritures reconnues. Ces livres sont de deux sortes : ceux qu'on peut lire pour l'édification des fidèles, mais douteux et contredits, et ceux qui ont été composés par des hérétiques et remplis d'erreurs. Ceux de ces livres qui ont joué le plus grand rôle sont les apocryphes qui appartiennent au cycle évangélique. Ces légendes du cycle évangélique sont de simples traditions, peut-être un peu trop crédules, un peu trop puériles, mais où il n'y a pas de mauvaise intention. La bonhomie et la candeur y brillent à chaque page et il y a une telle conformité dans quelques-uns de leurs récits avec ceux de l'Évangile que la critique a incliné à les regarder, sur plusieurs points, comme un complément authentique de la narration des Apôtres. L'art du moyen-âge s'est adressé surtout à cette source de poésie native : à cette époque, le pinceau et le ciseau ne font guères que traduire ces pieuses et naïves lé en des. Metsys est resté fidèle à cet usage et c'est dans la pastorale touchante de Joachim. connue sous le nom d'Évangile de la nativité de sainte Marie, qu'il a pris le sujet des divers épisodes de sa grande composition de Louvain. Ce livre apocryphe nous est parvenu en latin. Qu'on nous permette d'insérer ici la traduction de quelques fragments des trois premiers chapitres. La bienheureuse et glorieuse Marie, toujours vierge, de la race royale et de la famille de David, naquit dans la ville de Nazareth et fut élevée à Jérusalem, dans le temple du Seigneur. Son père se nommait Joachim et sa mère Anne.. Leur vie était simple et juste devant le Seigneur ; elle était pieuse et irréprochable devant les hommes... Il y avait prés de vingt ans qu'ils vivaient chez eux dans un chaste mariage sans avoir d'enfant. Ils firent vœu, si Dieu leur en accordait un, de le consacrer au service du Seigneur... Or il arriva que, comme la fête de la Dédicace approchait, Joachim monta à Jérusalem avec quelques-uns de sa tribu. Alors Isachar était grand prêtre. Lorsqu'il aperçut Joachim parmi les autres avec son offrande, il le repoussa et méprisa ses dons, en lui demandant comment, étant stérile, il avait la hardiesse de paraître devant ceux qui ne l'étaient pas... Joachim, rempli de confusion, se retira auprès des bergers qui étaient avec ses troupeaux dans ses pâturages ; car il ne voulut pas revenir en sa maison, de peur que ceux de sa tribu qui étaient avec lui ne l'humiliassent par le même reproche qu'ils avaient entendu de la bouche du prêtre. Or, quand il y eut passé quelque temps, l'ange du Seigneur lui apparut avec une immense lumière Cette vision rayant troublé, l'ange calma sa crainte, lui disant : Ne crains point et ne te trouble pas en ma présence ; car je suis l'ange du Seigneur ; il m'a envoyé vers toi pour t'annoncer que tes prières sont exaucées et que tes aumônes sont montées ju- qu'à son trône. Car il a vu ta honte et il a entendu le reproche de stérilité qui t'a été adressé injustement. Or, Dieu punit le péché et non la nature... Ta femme Anne enfantera une fille et tu la nommeras Marie, et vous la consacrerez au Seigneur dés son enfance, comme vous en avez fait le vœu, et elle sera remplie du Saint-Esprit, même dès le sein de sa mère... Ensuite l'ange apparut à Anne, l'épouse de Joachim, et lui dit : Ne crains point, Anne, et ne pense pas que ce que tu vois soit un fantôme. Car je suis ce même ange qui ai porté en présence de Dieu vos prières et vos aumônes, et maintenant je suis envoyé vers vous pour annoncer qu'il vous naîtra une fille, qui sera appelée Marie, et qui sera bénie entre toutes les femmes... Cette vierge sans commerce d'homme engendrera un fils, cette servante enfantera le Seigneur, le Sauveur du monde par sa grâce, par son nom et par son œuvre. Lève-toi donc, va à Jérusalem et, lorsque tu seras arrivée à la porte d'or, ainsi nommée parce qu'elle est dorée, tu auras pour signe le retour de ton mari... Ils se conformèrent donc au commandement de l'ange et tous deux, partant du heu où ils étaient, montèrent à Jérusalem et, lorsqu'ils furent arrivés à l'endroit désigné par la prédiction de l'ange, ils s'y trouvèrent l'un au devant de l'autre. Alors, joyeux de se revoir mutuellement et rassurés par la certitude de la race promise, ils rendirent grâces, comme ils le devaient, au Seigneur qui élève les humbles C'est pourquoi, ayant adoré le Seigneur, ils retournèrent à leur maison, où ils attendirent avec confiance et avec joie la promesse divine. Anne conçut donc et elle mit au monde une fille et, suivant le commandement de l'ange, ses parents l'appelèrent du nom de Marie. Et lorsque le terme de trois ans fut révolu et que le temps de la sevrer fut accompli, ils conduisirent au temple du Seigneur cette vierge avec des offrandes... Ayant célébré le sacrifice selon la coutume de la loi et accompli leur vœu, ils l'envoyèrent dans l'intérieur du temple pour y être élevée avec les autres vierges et s'en retournèrent à leur maison. — C'est dans ce récit, on le voit, que l'artiste a puisé les éléments de sa composition et dans d'autres légendes du même genre. On trouvera des détails sur ces légendes relatives à sainte Anne dans le Dictionnaire des légendes du christianisme (Migne, 1855). M. Ch. Nisard, dans son Histoire des livres populaires, t. II, p. 266 ; s'est occupé d'une de ces productions, la Vie de sainte Anne, mère de la Sainte Vierge, imprimée à Épinal. — Pour compléter la description de l'œuvre, nous transcrivons l'exposé clair et intéressant de M Éd. Van Even, dans son livre : L'ancienne école de peinture de Louvain, Louvain, E. Fonteyn. 1870. Avant de décrire cette œuvre, dit l'auteur, nous devons en faire connaître l'histoire. La confrérie de Sainte Anne possédait primitivement à l'église de Saint-Pierre la première chapelle à droite, vaste oratoire qui fut cédé, en 1620, à la confrérie de Saint Charles-Borromée. En 1502, les maîtres de la première confrérie firent un contrat avec les sculpteurs louvanistes Jean Van Kessele et Jean Petereels pour l'exécution d'un retable en chêne d'après un modèle dessiné Comme les artistes ne furent point satisfaits du modèle, ils en demandèrent, en 1503, un autre à un artiste d'Anvers. On en fixa le prix à 231 florins. Mais l'exécution du nouveau projet demandait un travail tellement considérable, que les sculpteurs ne l'entreprirent point. Le 22 septembre 1508, le contrat fut rompu. Ce fut alors que les membres de la confrérie s'adressèrent à leur compatriote Quentin Metsys. Heureux de pouvoir exécuter une grande peinture destinée à l'église, qui était non seulement l'église primaire de sa ville natale, mais celle où il avait été baptisé, l'artiste produisit une composition que plusieurs critiques envisagent comme son chef-d'œuvre. Le triptyque fut achevé en 1509 et posé sur l'autel de Sainte-Anne. Il y resta pendant environ un siècle. Les membres de la confrérie, étant diminués en nombre, échangèrent leur vaste chapelle contre l'oratoire très restreint de Saint-Corneille, dans le pourtour du chœur. En suite de cet échange, le triptyque de Metsys fut enlevé de son emplacement primitif et posé sur l'autel de la nouvelle chapelle. Alors déjà il était détérioré en plusieurs endroits. Il fut restauré en vertu d'une résolution du chapitre du 21 octobre 1633, par Jean-Baptiste Bruno, d'Anvers, l'un des restaurateurs les plus habiles de l'époque, ainsi qu'il résulte des attestations qui lui furent délivrées par Rubens, Van Dyck et Gérard Zeghers. Comme cet autel s'élevait en face d'une grande fenêtre, le triptyque souffrit beaucoup de l'action du soleil. (Le coloris du panneau principal et du volet offrant l'Annonce à Joachim — dit M. Van Evert dans une note qui répond à une observation de M. Alfred Michiels — est d'une pâleur qui contraste avec le ton vigoureux qui domine dans les autres scènes. Mais cela s'explique : ces deux parties ont constamment été exposées au soleil, tandis que le panneau représentant la Mort de sainte Anne était protégé par le mur de la chapelle. Comme le triptyque était jadis constamment ouvert, les revers des volets ont été les mieux protégés contre l'ardeur du soleil). Le 18 juillet 1794, Laurent, représentant du peuple, fit enlever le chef-d'œuvre, qui fut envoyé à Paris et figura au Musée national jusqu'à la chute de l'empire. Le 20 novembre 1815, dix voitures arrivèrent à Bruxelles, chargées de caisses contenant des tableaux restitués à la Belgique. Mais ce fut seulement le 10 janvier 1816 qu'une commission composée de Godecharles, Palinck et Thys, procéda à l'ouverture de ces caisses. Dans la première, l'on trouva le triptyque de Metsys. Nous avons constaté, dit la commission dans son rapport, que l'eau a pénétré dans la caisse, a coulé sur les peintures et y a formé différentes taches blanches. En outre, quelques jointures de panneaux ont travaillé par l'humidité. Le triptyque resta pendant quelques mois au Musée de Bruxelles. Un arrêté du commissaire général de l'instruction. des arts et des sciences, du 13 août 1816, le restitua à la collégiale de Louvain. Il fut restauré en plusieurs endroits et placé dans un nouveau cadre en chêne. Mais, comme l'ancien autel avait été remplacé par un autel en marbre du XVIIe siècle provenant du couvent des Thérésiennes, on se vit obligé de placer le triptyque contre le mur et sous une fenêtre. Ce mauvais emplacement contribua à le détériorer profondément. En 1857, il se trouvait dans le plus triste état. Les planches qui composent les panneaux étaient disjointes et de notables parcelles de couleur s'écaillaient et se détachaient. Sur la proposition de la commission des monuments, on en confia la restauration à M. Étienne Le Roy, de Bruxelles. Commencée en 1860, cette restauration fut terminée en 1864. La dépense s'en éleva à 3.150 francs. Le triptyque fut replacé à l'église de Saint-Pierre au mois d'avril 1865.

Ce triptyque représente dans ses cinq panneaux autant de sujets de la vie de sainte Anne. Les scènes sont combinées d'après l'ordre chronologique. Les revers des volets, c'est à dire les parties du triptyque qu'on voit en premier lieu, représentent : 1° l'Offrande de Joachim refusée, et 2° l'Offrande de Joachim acceptée. En ouvrant le triptyque, le premier volet figure l'Ange du Seigneur annonçant à Joachim la naissance de Marie ; le panneau central offre le Triomphe de sainte Anne, et le dernier volet la Mort de sainte Anne. Le panneau central a 2 mètres 25 de hauteur sur 2 mètres 20 de largeur. Chaque volet a 92 centimètres de largeur. — Dans le premier sujet, on voit Joachim au temple. Le grand prêtre repousse les pièces d'or qu'il a déposées sur la table et lui commande de partir. Joachim s'en va tout triste. (Ses traits, dit M. A. Michiels, expriment parfaitement la tristesse et la honte.) On y observe, en outre, un homme coiffé d'une espèce de turban. une vieille femme portant un capuchon et un autre spectateur. Au premier plan à gauche se trouve un homme robuste et gras. il porte une robe de velours vert, bordée de fourrure, un bonnet de menu-vair et a une clef à la main. Une aumônière ouverte est attachée à son ceinturon. C'est très probablement le portrait du trésorier de la confrérie de Sainte-Anne. (Les mains des divers acteurs, ajoute M. Michiels parlant de ce premier épisode, sont d'une facture excellente : tout connaisseur y admire la précision du dessin, la finesse des tons et un modelé comparable à celui de la nature. Mais ce qui étonne, ce qui charme surtout, c'est la puissance et la profonde harmonie de la couleur. L'ensemble et les détails sont d'un aspect magnifique. On croirait voir une des pages les plus intenses du quinzième siècle).

Le second sujet figure les offrandes et donations de sainte Anne et de Joachim. La scène se passe sous le portique d'un temple de style italien. Sainte Anne agenouillée offre au grand prêtre une cassette en bois, couverte de cuir noir, ornée de ferrures délicatement ouvragées. Derrière elle se tient debout un jeune homme qui présente au pontife un parchemin. A droite du grand prêtre, au second plan, on observe deux hommes, les témoins de la donation sans doute. L'un lit le texte d'un document qu'il tient à la main. Metsys a imité sur ce parchemin les premières lignes d'un acte concernant ses enfants, reçu par les échevins d'Anvers le 15 mars 1508. A gauche du second plan, l'on voit un homme vu du dos qui lit dans un livre. Entre ce personnage et l'angle de l'arcade du portique, au troisième plan, Joachim et sainte Anne distribuent des aumônes à des indigents groupés autour de la porte des leur demeure. A gauche, dans le fond, on aperçoit la tourde Notre-Dame d'Anvers, à droite la temple de Nazareth, construit dans le style italien et orné de la jeune parure de la Renaissance. Le contrefort du temple est orné de colonnes de porphyre, de chapiteaux de bronze et de statuettes de marbre. Sur la frise qui supporte ces figurines, on lit : Qvinte Metsys Screef dit A° 1500 A (Comme  exécution, dit M. Michiels, l'Offrande acceptée est la page la plus belle et la plus vigoureuse du triptyque. La splendeur du coloris égale tout ce qu'on a pu faire en ce genre. Il v a un capuchon de velours violet notamment, que n'éclipseraient pas les plus brillantes étoffes peintes par les Van Eyck.)

Le volet de gauche représente Joachim agenouillé près d'un rocher et au milieu d'un paysage ravissant. Un chien blanc est couché près de lui Au dessus de lui plane l'ange qui lui apporte la nouvelle que sa femme engendrera la mère du Sauveur Le céleste messager est admirablement drapé dans sa longue robe verte. D'une main il montre à Joachim le ciel, dont il proclame la volonté ; de l'autre, le château où est restée sainte Anne. Dans le lointain, on voit l'épouse guettant à une croisée le retour de Joachim, pour lui annoncer la bonne nouvelle. Devant la porte d'un château, les époux s'embrassent. Dans la prairie, on remarque un berger jouant de la flûte, en gardant ses moutons, ainsi qu'un jeune paysan qui fait tourner une toupie. Plus loin, s'élève, sur le flanc d'une colline, la ville de Nazareth. (Le paysage est très beau, dit aussi M. Michiels : il y a sur le premier plan des tons vigoureux et splendides, qui rappellent les deux Van Eyck, Thierry Bouts et Memlinc ; tes teintes pâles, les nuances bleues ne commencent qu'au second plan.)

Dans le panneau principal, qui représente le Triomphe de sainte Anne, les personnages sont assis sous un portique à trois arcades, en style italien. L'arcade du milieu est surmontée d'une coupole, dont l'entablement repose sur des pilastres en marbre gris à colonnes de porphyre. Sur les chapiteaux des colonnes du second plan se trouvent des figurines assises, l'une tirant de l'arc, l'autre élevant une boule. A travers les arcades on aperçoit la campagne. Sous le portique se trouve un banc eu marbre, orné de sculptures. La sainte Vierge est assise au centre du banc, tenant l'enfant Jésus sur son genou gauche, Rien n'impressionne comme ta placide et tendre tête de la mère du Sauveur. Uri rayon tombé du ciel semble l'illuminer d'une lumière tonte céleste. Des cheveux blonds, fins et doux comme la soie, se déroulent en tresses abondantes sur le blanc virginal de sou vêlement. C'est vraiment une créature angélique. La candeur, la modestie, la délicatesse d'une âme pure respirent dans son regard et dans son geste. Marie porte une robe blanche à reflets bleuâtres, bordée d'une bande noire sur la poitrine, ainsi qu'un manteau de même couleur, ourlé d'une broderie d'or. Le petit Jésus a une robe blanche. Il tient Sur l'index de la main droite un bouvreuil (un pinson, selon M. Michiels), attaché par un fil rouge, dont la mère tient l'extrémité. Sainte Anne porte une robe rouge, sur laquelle se déroule un manteau de même couleur. Elle a la tête enveloppée dans un capuchon noir ourlé de martre. La mère de Marie offre, avec un beau geste, une grappe de raisins à Jésus, qui lève la main pour l'accepter. (M. Michiels demande si c'est une allusion aux vignes jadis plantées dans les environs de Louvain, grande rareté sous le ciel humide et froid de la Belgique.) A la droite de la sainte Vierge, l'on voit Marie Cléophas, en manteau de velours vert. Elle est assise au milieu de ses enfants, savoir : saint Jacques le Mineur, saint Simon, saint Thadée et saint Joseph le Juste. La mère avance la main pour accepter un œillet rouge que lui offre un de ses enfants. Deux de ses fils lisent dans un livre qui est posé sur ses genoux. Un troisième, qui est tout jeune et qui porte une robe verte, est assis. Il joue avec un psautier et avec des images enluminées, qu'il éparpille autour de lui avec une ravissante naïveté. A gauche de sainte Anne, on remarque Marie Salomé, en robe pâle bleu, également assise. Près d'elle se trouvent ses deux fils, saint Jacques le Majeur et saint Jean l'Évangéliste. Ces enfants ont un charme infini de délicatesse et de suavité morale. Derrière le dossier du banc, à gauche, sont assis saint Joseph et Alphée, époux de Marie Cléophas ; à la partie correspondante de droite, Joachim et Zébédée, époux de Marie Salomé Ces têtes, qu'on peut prendre pour autant de portraits, sont pleines de pensée, d'austérité et de grandeur. (L'agencement de ces divers personnages est d'une trop grande symétrie peut-être, comme dans les tableaux de l'école brugeoise, où l'art n'avait pas encore appris à se déguiser lui-même. Cette remarque est de M. Michiels). Une verdure d'une fraicheur incomparable et constellée de fleurs revêt le sol au premier plan. La loggia, qui abrite les personnages, est ouverte au soleil et à l'air. Le portique en est d'une structure splendide et élégante. Le paysage du fond est d'une haute valeur artistique.

Le volet droit figure la mort de sainte Anne, qui clôt la série des sujets. L'épouse de Joachim est couchée dans un lit couvert d'une-draperie rouge, Ce panneau est d'une venté sublime. Lu regardant la tête de cette femme, ou se sent devant la mort. La sainte Vierge se trouve à côte du lit de sa mère. Élie se penche vers l'agonisante avec une profonde anxiété et lui présente un cierge allumé. De l'autre côté, Jésus debout, vêtu d'une robe grise, la tête entourée d'un nimbe rayonnant, touche de la main gauche le front de son aïeule et la bénit de la main droite. Il semble avoir seize à dix-huit ans. A gauche du lit, se trouve agenouillée Marie Salomé. Elle porte un mouchoir à son visage pour essuyer ses larmes. Cette femme pleure avec le touchant abandon de la douleur. Marie Cléophas se trouve à droite et verse également des larmes abondantes. Du même côté, près d'une fenêtre ouverte, l'on remarque deux hommes, qu'on pense être saint Joseph et Alphée. La fenêtre est à meneaux en pierres et à vitres en losange. La lumière s'y introduit d'une manière admirable. (La lumière qui entre, dit de son côté M. Michiels, produit un effet admirable : les maîtres hollandais les plus habiles n'ont pas mieux imité les rayons du jour).

Je termine par quelques observations techniques de M. Alfred Michiels ; elles témoignent de l'attention avec laquelle il a examiné l'œuvre. Un favorable hasard, dit-il Lui même, m'a permis de l'étudier à loisir, sous tous les jours, en 1861, dans l'atelier de M. Étienne Le Roy, qui le restaurait. Deux caractères spéciaux frappent tout d'abord dans la composition : l'un est la pâleur générale du coloris (de la partie centrale) ; l'autre, la manière étrange dont les yeux sont dessinés — Pourquoi l'image centrale, la partie la plus importante de l'œuvre, offre-t-elle ces teintes blêmes, quand la surface d'autres panneaux brille comme un champ de fleurs, étale aux regards toutes les nuances de l'arc en ciel ? (M. Van Even explique la chose en faisant remarquer que cette partie centrale est restée longtemps exposée au soleil et aux intempéries de l'air. Les linéaments de certains visages sont si faiblement tracés qu'ils paraissent à demi voiles par un brouillard ; les chairs n'ont aucun relief... Ces costumes mêmes sont mollement traités... La forme des yeux n'étonne pas moins que le vague des contours et la pâleur de tous. Les paupières sont à peine entrouvertes et, dans l'intervalle, s'ébauche un mince fragment de prunelle, ce qui éteint tout regard, ce qui ôte à la vue toute expression. Sur huit grands personnages et six enfants, un petit garçon et deux hommes, saint Joseph et Alphée, ont seuls les yeux ouverts. Quelle inexplicable fantaisie ! On l'observe déjà sur le triptyque d'Anvers, mais là elle se maintient dans certaines bornes... Une circonstance particulière, qui rend ce tableau plus curieux, c'est qu'il est peint à la détrempe. Pour le restaurer, M. Le Roy fut contraint de délayer les couleurs avec du blanc d'œuf... Le résultat de notre conversation, dit en terminant M. Michiels, fut que les vieux peintres des Pays-Bas connaissaient une laque diaphane et sans couleur, analogue à celle des Chinois, la même peut-être, et obtenaient par ce moyen l'inaltérable émail qui rehausse et protège leurs couleurs. Il faut bien en convenir, une partie seulement des procédés que les Van Eyck employaient nous a été transmise).

 

NOTE 4

Il nous reste à donner quelques renseignements biographiques sur l'artiste célèbre, généralement connu sous le nom légendaire du forgeron d'Anvers. Nous les empruntons à M. Van Even, qui les a recueillis, pour une grande part, avec un soin scrupuleux dans les documents originaux dont il a la garde. Quentin Metsys naquit à Louvain en 1466 ; il était fils de Josse Metsys et de Catherine Van Kinckem. Son père était forgeron ; dans le compte de la ville de 1469, il est qualifié de Josse le serrurier, rue du Château. On ne possède pas de renseignements sur l'enfance de Quentin Metsys. Josse, son père, pratiquait le métier de forgeron avec une habileté peu commune et jouissait d'une certaine considération à Louvain. En 1476, Mathieu de Layens, l'architecte de l'hôtel de ville, lui confia l'exécution d'une balustrade destinée au perron du nouvel édifice. C'est un ouvrage considérable, orné de feuillages et de fleurons. On le paya 42 florins, et 42 plaquettes (plecken). Josse Metsys mourut vers 1481. Sa veuve supporta avec résignation le coup qui la frappait et continua le métier de son mari avec son fils aîné Josse, âgé de dix-huit ans ; Quentin en avait quinze, Josse avait hérité de l'habileté de son père, il se maria avant 1489 et s'établit pour son compte. Quentin resta avec sa mère et prit la direction de la forge. Lui aussi montra une rare adresse dans l'exécution des travaux qui lui furent confiés. Le seul travail martelé de Quentin Metsys que l'on connaisse aujourd'hui à Louvain est l'admirable potence qui servait autrefois à mouvoir le couvercle des fonts baptismaux de l'église de Saint-Pierre. L'appareil est garni de représentations de l'ordre végétal. Le fer y est transformé avec une élégance et une délicatesse vraiment étonnantes. Molanus dit positivement que c'est une production de Quentin. Elle donne la preuve que dès lors non seulement l'art du dessin, mais aussi celui du modelage. devait lui être familier A la fin du XVe siècle, la grande prospérité d'Anvers se développait rapidement. Notre Metsys résolut de se fixer définitivement dans cette ville. Avant de quitter Louvain, il s'était initié à la pratique de la peinture et, en 1491, il fut reçu franc-maître à la confrérie de Saint-Luc, à Anvers. Ce fut bien, comme la tradition l'a toujours attesté, l'amour qu'il portait à une jeune personne d'Anvers qui décida sa vocation d'artiste ; elle s'appelait Alyt Van Tuylt ou Van Tuël. Il l'épousa et échangea définitivement le marteau contre la palette, mais il ne conserva pas longtemps celle qu'il avait unie à son existence. Elle mourut vers 1507, après avoir mis au monde six enfants, quatre fils et deux filles. Quentin épousa en secondes noces, vers la fin de 150S. Catherine Heyns, dont il nous a laissé un beau portrait. qui orne actuellement la galerie des Uffizi, à Florence, et porte le millésime de 1520. Son portrait à lui, peint par lui-même, figure dans la même galerie L'artiste avait alors cinquante-quatre ans. C'est une figure calme et placide. Le corps annonce une santé robuste ; les mains charnues montrent qu'elles n'ont pas toujours manié le pinceau. Metsys travaillait pour les églises et pour les salons. C'était, dans nos régions, le premier portraitiste de son temps.

Quentin Metsys comptait à Anvers, cela va de soi, une foule d'admirateurs et d'amis. Un des hommes qui éprouvaient pour lui une vive affection était Pierre Gillis ou Ægidius, secrétaire de l'échevinage d'Anvers, grand ami des lettres et des arts, qui entretenait des rapports avec les savants les plus distingués de son temps. C'était un ami ntime d'Érasme, qui en fait souvent l'éloge dans sa correspondance. Au mois de mai 1514, l'illustre chancelier d'Angleterre, Thomas Morus, fut envoyé à Bruges avec de pleins pouvoirs pour conclure un traité de commerce entre Henri VIII et Charles-Quint. En visitant la ville d'Anvers, Morus fit la connaissance de Pierre Gillis, et se lia d'une intime amitié avec lui. C'est à Gillis qu'il adressa le manuscrit de son Utopie, avant de le publier, et c'est l'humaniste flamand qui soigna l'impression du livre, lequel sortit des presses de Thierry Martens, à Louvain, en 1517. Après son quatrième voyage à Londres, Érasme séjourna pendant quelque temps à Anvers, chez son ami Gillis. Metsys, qui éprouvait une vive sympathie pour Morus, profita de la circonstance pour reproduire sur un même panneau les portraits d'Érasme et de Gillis et les offrir ainsi réunis au chancelier. Il y réussit admirablement. Érasme tenait à la main le commencement de sa paraphrase de l'Épître aux Romains. Gillis une lettre de Morus à lui adressée Le chancelier fut ravi du présent et chanta la gloire de l'artiste dans une pièce de vers qui nous a été conservée et que nous croyons devoir reproduire :

Tabella loquitur.

Quanti olim fuerant Pollux et Castor amici.

Erasmum tantos Ægidiumque fero :

Morus ab iis dolet esse loco sejunctus, amore

Tam prope quam quisquam vix queat esse sibi.

Sic desiderio est consultum absentis, ut horum

Reddat amans animum littera, corpus ego.

Ipse loquor Morus :

Tu quoque aspicis, agnitos opinor

Ex vultu tibi, si prius vel unquam

Visos : sin minus, indicabit altrum

Ipsi litera scripta, nomen alter :

Ne sis nescius, ecce scribit ipse.

Inscripti poterant docere

Toto qui celebres leguntur orbe.

Quintine, o veteris novator artis,

Magno non minor artifex Apelle,

Mire composito poteus colore

Vitam adifingere mortuis figuris.

Heu cur effigies labore tanto

Fartas tam bene, talium virorum,

Quales prisca tulere secta taros,

Quales tempora nostra rariores,

Quales baud scio post futura an ullos,

Te juvit fragili indidisse ligno,

Dandas materiœ fideliori,

Quæ servare datas queat perennes ?

O si sic, poteras tuæque famæ et

Votis consuluisse posterorum.

Nam si secula, quæ sequentur, ullum

Servabunt studium artium bonarum,

Nec Mars horridus obteret Minervam,

Quanti hanc posteritas emat tabellam !

— M. Van Even, qui reproduit cette pièce si pleine de charme et de naturel, et si glorieuse pour Metsys, y ajoute cette note : M. Alfred Michiels, dans la nouvelle édition de son Histoire de la peinture flamande, t. IV, p. 304, a cru qu'il s'agissait dans les vers de Morus d'une sculpture et non d'une peinture. Mais il s'est trompé, ainsi qu'on peut s'en convaincre par la lecture de la pièce que nous venons de transcrire. Nous remarquions, dans le texte qu'il donne des vers du chancelier, les mots incidisse ligno. Or, on lit indidisse ligno dans toutes les éditions des œuvres de Morus que nous avons consultées. Pierre Ægidius, dit M. Michiels, ne tenait pas non plus à la main une lettre de Thomas Morus, mais une lettre destinée au chancelier. Ceci est encore complètement inexact. Gillis tenait positivement une lettre de Morus, attendu que celui-ci redemande sa lettre à la fin de sa missive du 6 octobre 1517, afin de pouvoir la placer à côté du tableau, pour montrer avec quelle dextérité Metsys avait contrefait son écriture. M. Van Even a raison. Voici la missive en question, elle achève l'éloge de Metsys et c'est pour ce motif que nous la donnons ici. Mi Petre, cum omnia mirifice Quintinus noster expressit, tum mirificum inprimis falsarium videtur prœstare posse : nam ita inscriptionem literarum ad te mearum imitatus est, ut ne ipse quidem iterum possem itidem. Quare nisi aut ille in satura aliquem usum aut tu in tuum eam servas epistolam, remitte rogo ad me, duplicabit miraculum opposita cum tabula : sin aut periit, aut vobis usui erit, ego experiar meœ manus imitatorem ipse rursus imitaris.

Reprenons notre courte notice. Grâce à son travail. Metsys était arrivé à l'aisance. Outre sa première demeure de la rue des Tanneurs, il possédait, rue du Jardin des Arbalétriers, deux belles maisons avec jardins. Il finit par se fixer dans rime de ces dernières, la mit sous la protection de saint Quentin et plaça dans la façade l'image de son patron, forgée en fer et polychromée. On voyait a l'intérieur des fresques de sa main. Le grand artiste mourut le 16 septembre 1530 et reçut la sépulture au pied du portail de l'église de Notre-Darne. Une dalle en pierre bleue, portant en relief l'écusson de la confrérie de Saint-Luc, rappelait sa mémoire par cette simple inscription :

Sepulture van Mr Quinten Matsys in symen tyl grofsmit

en daer naer famews schilder werd sterf anno 1529.

Le style et la date erronée de cette inscription prouvent que la pierre avait été placée assez longtemps après la mort de Metsys Plus tard encore, un admirateur de Metsys. Corneille van der Geest, lui érigea un antre monument. Dans une ogive du contrefort gauche de la tour de Notre-Dame, il fit poser un médaillon en marbre blanc, représentant le buste de l'artiste, avec cette double inscription :

Quintino Metsys

Connubialis amor

incomparabilis

de mulcibre

artis

fecit Apellem.

pictori.

Admiratrix grataque

posteritas

anno post obitum

sæculari

M. DC. XXIX posuit.

 

NOTE 5

On a souvent induit de cet abandon des traditions de notre première école flamande que le séjour de Rome et l'étude des œuvres de l'école italienne était plutôt nuisible que favorable à nos jeunes artistes ; aux lauréats de nos concours. L'académie d'Anvers a émis formellement cette opinion dans un document officiel de l'année 1846. J'aime à citer à ce propos les observations suivantes et pleines de sens d'un de nos premiers critiques d'art : Lorsqu'on étudie, dit M Alvin, dans le passé, l'influence que les voyages de nos artistes en liane ont exercée, chez nous, sur le développement de la peinture, on est surtout frappé de ce fait significatif : notre première école, si originale, celle des Van Eyck et de leurs continuateurs, s'arrête brusquement après Quentin Metsys et Van Orley ; elle prend alors une direction tonte nouvelle qui n'est autre que la voie tracée par les grands maîtres italiens. Michel-Ange et Raphaël C'est ainsi que Michel Coxie, Frans Floris, Martin Devos, Otto Vénius abandonnent la tradition flamande, qui n'est reprise, après une transformation radicale, que grâce au génie extraordinaire de Rubens. Un pareil fait a pu sembler à beaucoup de bons esprits un avertissement qui devait détourner les artistes belges de l'étude de ces écoles rivales. élude qui ne serait propre qu'à corrompre ou à absorber leur propre originalité. Cette conclusion n'est permise qu'à l'observateur superficiel, à celui qui ne creuse pas assez la question pour découvrir les causes vraies du phénomène qu'on signale. Ce qui est arrivé au XVIe siècle se reproduirait encore aujourd'hui, sous l'action des mêmes causes. Ainsi, par exemple, si au lieu d'envoyer nos lauréats à Borne, où il n'y a plus d'école vivante. on leur commandait de séjourner soit à Paris, soit à Munich, soit à Dusseldorf, à l'école des beaux-arts, ou dans l'atelier de quelque artiste en renom, ce que le lauréat pourrait avoir en lui du sentiment de l'originalité flamande serait, comme autrefois, en danger de se corrompre et de se perdre. C'est que, bien loin qu'il se réchauffât à la fécondante influence de l'étude d'une école contemplée dans son ensemble. il sentirait toute sa spontanéité se glacer sous la compression tyrannique d'un maitre lui imposant ses doctrines et ses procédés personnels ; car la parole et l'exemple du maitre sont bien plus impératifs que l'enseignement muet des plus illustres morts. Quand les artistes que j'ai cités tout à l'heure sont allés en Italie, ils ont trouvé l'école dans toute l'activité de la vie ; les uns ont vu Raphaël et Michel-Ange et se sont en quelque sorte attelés à leur char, abdiquant leur propre personnalité, cédant à l'impulsion de ces grands génies qui les dominaient de trop haut pour qu'ils pussent concevoir seulement la pensée de se soustraire à leur empire. D'autres n'y ont rencontré que les continuateurs de ces colosses ; mais le mouvement était donné. — Au contraire quand Rubens et Van Dyck séjournèrent en Italie, aucun maitre n'y brillait qui fût de taille à les dominer. Ils n'ont trouvé que des écoles mortes à étudier et ils les ont étudiées avec un succès et un avantage qui sont devenus le plus puissant argument eu faveur de ce genre d'enseignement. Rubens, s'inspirant tour à tour de Léonard de Vinci, de Raphaël, de Michel-Ange, de Titien, de Véronèse et du Corrège, s'est assimilé toutes celles des qualités de ces grands maîtres qui étaient sympathiques à sa propre nature. It a plus emprunté à l'Italie qu'aucun autre peintre flamand avant lui et pourtant il est resté lui-même. il est resté flamand, que dis-je ? il a ressuscité l'école flamande, absorbée, depuis plus d'un siècle, par l'imitation exagérée et mal comprise. Bulletins de l'Académie royale de Belgique, 2e série, tome III, pages 118-419.

 

NOTE 6

Henri de Bles, ou met de Bles, est connu en Italie sous le nom de Civetta, hibou, à cause de l'oiseau qui figure en forme de monogramme dans ses tableaux. M. Alfred Michiels l'appelle Henri à la Houppe ; c'est la traduction littérale de Henri met de bles. Selon Van Mander, une touffe de cheveux blancs placée sur le devant de la tête lui avait fait donner ce surnom. Parlant de sa naissance. Croonendael, le chroniqueur du comté de Namur, s'exprime ainsi : D'icelle (Bouvigne) naquit Henricus Blesius, excellent painctre mesure au faict des paysages. Il séjourna longtemps en Italie et Lanzi lui accorde une place honorable dans l'histoire de la peinture italienne. Les musées d'Italie, de Suisse et d'Allemagne renferment un assez grand nombre d'œuvres de ce peintre et un particulier de Dinant possède une de ses meilleures productions. M Siret, dans la Biographie nationale, s'étend assez longuement sur Henri de Bles. L'autorité qui s'attache à son jugement nous engage à reproduire ce passage : De Bles est après Patenier et avec lui, le créateur et le père du paysage dans nos contrées. Il est assez naturel que ces fils des pittoresques rivages de la Meuse se soient sentis inspirés par la belle nature qu'ils avaient sous les yeux. que leur âme, portée naturellement à la poésie, ait guidé leur main, quand celle-ci a essayé de rendre ses impressions sur la toile. Mais combien ne fallait-il pas alors de génie pour en arriver au degré que De files sut atteindre ! Tout était à créer ou à modifier ; les lois de la perspective peu étudiées, la couleur fausse où le bleu domine, cette nature conventionnelle où la minutie du détail détruit toute la grandeur de l'ensemble ; il fallait, au milieu de ces éléments antipoétiques, se frayer une route et atteindre un but qui satisfit aux exigences d'un génie enthousiaste de la nature. — De Bles y parvint presque toujours ; il étagea avec art ses différents plans, il adopta un coloris plus vrai et, s'il resta un peu tributaire de la miniature appliquée au tableau, il eut assez d'habileté pour ne pas nuire à l'ampleur de la conception Il faut, pour le juger impartialement, oublier nos progrès, nos procédés actuels, s'identifier à la rêverie du peintre, voir et peut-être se souvenir avec lui. Alors ce site aimé, cette rustique chaumière, ce ruisseau qui coule sur les cailloux blancs, tous ces accessoires qu'il aime à reproduire, se revêtent d'un charme profond ; alors on est mieux disposé à admirer ce talent créateur qui ne s'arrête pas toujours au paisible moulin alimenté par le ruisseau, mais qui nous décrit avec sou pinceau les montagnes, les rochers, la grande rivière, les vieux châteaux. dont les légendes ont sans doute bercé son enfance. On peut lui reprocher un feuillage parfois trop noir, des teintes grises ou bistrées un peu tristes, mais, par coutre, il est visible qu'il avait l'intelligence des masses, point capital pour le paysagiste. De plus ses compositions sont animées, nous dirions presque éclairées par des horizons lumineux du plus bel effet. Certes De Elles était né paysagiste ; toutefois il ne le fut pas exclusivement. Après avoir orné ses paysages de petites scènes animées, incorrectement dessinées, mais spirituellement touchées, il aborda aussi la peinture d'histoire dans le genre de Jean de Mabuse ; comme lui, il fut raide et anguleux, et, en voyant ces essais d'imitation, on se prend à regretter ses jolis tableaux des premiers temps ; nous disons des premiers temps parce que, bien évidemment, l'œuvre de De Bles se partage en trois genres, sinon en trois époques. Le paysage proprement dit où les petites scènes ne sont que l'accessoire : c'est là où il fut le meilleur, le plus original ; on y retrouve les sites de son pays natal et on voit qu'aucune influence étrangère n'a encore agi sur lui. Plus tard la figure joue un rôle important, les sites changent d'aspect, le talent du peintre n'y gagne guère. Enfin la figure devient l'objet-principal.. de la composition ; il réussit parfois à trouver des types attrayants, mais souvent il reste trivial, sans caractère, raide, anguleux, emprunté, et, loin de marquer un progrès dans sa carrière, cette étape fut un pas rétrograde... Dans sa seconde édition de l'Histoire de la peinture flamande, M. Alfred Michiels professe la plus haute admiration pour Henri à la Houppe, comme il l'appelle. C'est pour lui le principal élève de Memlinc ; c'est à peine même s'il ne l'élève pas au dessus de son maître. M. Michiels est convaincu que le fameux triptyque du musée de Bruges, où est figuré le baptême du Christ, a le peintre de Bouvigne pour auteur. , dit-il, son talent de paysagiste apparaît en pleine lumière avec tous ses avantages. La scène frappe l'attention, captive les regards, avant qu'on songe aux acteurs... Le fleuve qui serpente sur ce tableau est la Meuse, signalée par ses roches calcaires ; la prétendue Jérusalem nous offre l'image de Bouvigne, reconnaissable au clocher de sa principale église, tel qu'il existe encore, et le puissant château grimpé sur une éminence est le manoir de Crèvecœur, dont on visite journellement les ruines. En finissant sa longue étude sur notre peintre, M. Michiels s'applaudit du résultat auquel il se croit arrivé et s'écrie avec enthousiasme : Ainsi, après trois cents ans d'injustice et d'oubli, j'ai pu évoquer de son tombeau ce grand peintre méconnu. C'est à nous plus qu'à personne d'ajouter modestement avec le poète : Non nostrum inter vos tantas componere lites.

 

NOTE 7

M. Van Hasselt, Splendeurs de l'art en Belgique, pages 404-405. Nous ne savons où M. Van Hasselt a trouvé cette désignation du lieu de la mort de notre peintre ; on convient assez généralement qu'on l'ignore ; quelques-uns le font mourir à Liège. — On trouvera dans l'Histoire de la peinture au pays de Liège, par M. Helbig, pages 110-120, une description très intéressante des œuvres encore existantes de Henri Bles. Nous empruntons à cet écrivain si consciencieux et si compétent quelques détails sur deux de ces œuvres, qui offrent un intérêt particulier à nos lecteurs ; il les a extraits lui-même, en les vérifiant, d'une notice de M. Al. Bequet, insérée dans les Annales de la société archéologique de Namur. — Un colporteur dépouillé par des singes. Au premier plan on remarque, à gauche, une forêt de haute futaie ; la lumière se joue sous les grands arbres, où l'on aperçoit une troupe de singes grotesquement affublés qui dansent en rond sur le gazon. Un colporteur est endormi au pied d'un gros arbre qui occupe au bord du cadre toute la hauteur du tableau. Sa hotte est placée à côté de lui ; un singe allonge le bras pour en tirer le restant du contenu. Une foule d'objets de toilette sont déjà éparpillés sur le sol ; des singes s'en sont emparés et s'en amusent avec cet air narquois et malin que nous leur connaissons. Deux d'entre eux ont saisi le pauvre chien du colporteur et s'occupent, avec le plus grand sérieux, de leur chasse favorite. Au milieu de ce tableau arrive, en courant, un personnage, sans doute le compagnon du colporteur, qui s'arrache les cheveux de désespoir en apercevant cette scène de désordre. Le reste du premier plan est occupé par un terrain raviné, semé encore, çà et là, de quelques singes. Un grand arbre dans le coin du tableau, à droite, le termine de ce côté. — Au second plan, à gauche, les hautes montagnes sont découpées de la façon la plus bizarre ; ainsi on voit, indépendamment de nombreuses cavernes, des blocs de rochers placés horizontalement sur d'autres à la façon des dolmens druidiques. Un roc élevé est couronné d'un château fortifié. Un ruisseau, au bord duquel s'étendent de vertes prairies plantées d'arbres, coule aussi au second plan. Sur ce ruisseau est un moulin et, sur le chemin qui y conduit, on voit quelques figures très petites, un mendiant, un homme avec une brouette. — Le premier plan de ce plateau est très largement peint, mais dans un ton bistre trop uniforme. La forêt est charmante ; dans cette végétation, tout respire la vie ; on sent le soleil percer le feuillage et, si ces arbres sont peints avec une finesse extrême, l'artiste a su éviter les détails minutieux. Les rochers de Bles pèchent, avons-nous dit, par leur bizarrerie ; c'est là le côté faible du peintre ; il a plus consulté son imagination que la nature ; certains de ces rochers sont néanmoins d'une grande justesse de ton. — Dans le trou du gros arbre, au pied duquel repose le colporteur, on voit la chouette qui est le monogramme du peintre. Un singe guette une seconde chouette placée à terre sous l'abri d'une grosse pierre. — Bois, Galerie royale de Dresde. M Helbig, parlant de ce tableau dans son texte, ajoute : Selon Van Mander, certains contemporains croyaient voir dans ce tableau une satire contre le pape et prétendaient reconnaître dans les singes les disciples de Luther dépouillant le Saint Siège du prestige de son autorité et de ses prérogatives. Dans l'opinion de Van Mander, toutefois, c'est là une interprétation qui n'existait pas dans la pensée du peintre. Et en note : Van Mander ne se trompe point. La scène comique formant le sujet du tableau de H. Bles n'appartient pas entièrement à l'imagination du peintre et elle a été inventée longtemps avant l'époque de Luther. Dans une sorte de pantomime jouée à Bruges pour égayer les fêtes célébrées à l'occasion du mariage du duc Charles le Téméraire avec Marguerite d'Angleterre, au mois de mai 1468, cette scène fut mise en action. En voici le récit, suivant un document contemporain : Item, y ot fait la forme et figure d'une grosse thour, toutte de charpenterie, qui estoit de XLVI piez de hault, et de grosseur à l'avenant, couverte de teille painte et de machonnerie d'argent, et escalle d'azur, et les fenestrés, vitraux et les pomeaulx tout doré d'or, la cappe richement estoffée d'or et d'azur, ayans bannières sur chacune tenestre armoriés... et sur l'allée de pourtour d'icelle, avoit six habiles compaignons, habilliez comme singes, qui trouvèrent un merchier endormi sur ledit pourthour emprès sa mercherie, qu'il avoit là mise avant pour vendre emprès la porte, qu'ilz dérobèrent et lui prinrent primes, miroirs, aiguillettes, huves et semblable, et en firent plusieurs singeries, et l'un print la nuite et tambourin dudit merchier et joua, et adont les autres se prinrent tous à danser la morisque sur et au long dudit pourthour. Les Ducs de Bourgogne, par M. le comte de la Borde, tome II, page 327. — Paysage où se trouvent représentées différentes scènes de la parabole du samaritain. — A gauche, une forêt qui se termine au bord du cadre par un gros arbre creux ; un terrain raviné et semé de blocs de rochers, enfin un grand chemin qui se dirige vers un village, tel est l'aspect général du premier plan. Plus loin, nous trouvons les motifs favoris de Bles, le ruisseau, le moulin et le sentier qui va se perdre sous les grands arbres du verger qui l'entoure. Ces arbres, parfaitement groupés, recouvrent une colline qui s'étend jusqu'à un village situé à droite dans le tableau. Au sommet de la colline s'élève un haut rocher aux formes bizarres ; il est couronné de constructions d'un aspect un peu étrange : c'est la ville sainte ; elle semble inaccessible ; des défenses nombreuses en rendent l'approche très difficile. L'artiste s'est plu à en hérisser le chemin, qui s'aperçoit au milieu des roches, d'obstacles de toute sorte ; tantôt c'est un pont jeté sur des précipices, tantôt il faut gravir des échelles, pénétrer dans des gorges, passer sous des portes défendues d'une façon formidable. Quelques petits personnages semblent néanmoins lutter contre toutes ces difficultés du chemin. Au fond du tableau, on aperçoit une large rivière ; elle coule d'abord entre des collines peu élevées, semées de quelques habitations, puis les rives se rétrécissent. le fleuve serpente entre de hauts rochers et, tout dans le fond, une petite ville fortifiée, dominée par un château-fort, dessine sa pittoresque silhouette dans l'horizon vaporeux du tableau. Il est impossible de ne pas reconnaître ici le caractère, l'aspect général de Bouvignes. — Différents épisodes de la parabole du Samaritain animent ce paysage, en formant pour ainsi dire une triple image. Au premier plan, le bon Samaritain verse le baume sur les blessures du voyageur étendu sur le sol et dépouillé de ses vêtements. A gauche, sous les arbres de la forêt, on voit deux soldats armés portant les dépouilles du voyageur ; puis le prêtre et le lévite qui s'éloignent. Un grand nombre d'animaux peuplent, en outre, la forêt : ce sont des licornes, des hippopotames, des ours, etc. On aperçoit dans le grand chemin le bon Samaritain emmenant le blessé sur sa mule ; il se dirige vers le village. Là se trouve le troisième épisode : il a déposé le voyageur dans une hôtellerie sur la place et il fait, avant de s'éloigner, ses dernières recommandations à l'aubergiste. D'autres petites figures animent encore ça et là le paysage. — On retrouve dans ce tableau les mêmes qualités et les mêmes défauts que dans les autres, c'est à dire un grand sentiment de poésie dans certaines parties, une perspective parfaitement comprise, des arbres bien groupés. D'un autre côté, ce sont toujours les rochers bizarres de Bles et une verdure trop noire. Mais ici un défaut plus important frappe de prime-abord : ce défaut est le manque d'unité, la multiplicité des scènes, des détails, sans lien entre eux. Il semble, en effet, que l'on trouverait trois ou quatre jolis paysages en découpant ce grand panneau. — Bois, collection de M. Perpète Henri, à Dinant.

 

NOTE 8

Une de ces œuvres, appartenant à la ville de Malines, a été exposée en 1861. Voici la description qu'en a faite M. le chanoine Van Drivai, dans le catalogue déjà cité : Manuscrit sur parchemin, grand in-folio de 113 feuillets, renfermant des messes de Pierre de la Rue, maitre de chapelle de Marguerite. Il est orné de plusieurs miniatures. La première se trouve au quatrième feuillet (H. 0,199 ; L. 0,17). Elle représente l'empereur Maximilien, assis sur un trône, tenant un sceptre de la main droite et un glaive de la gauche ; contre un des montants du trône est suspendu son écusson armorié. Au dessus du dais se trouve l'aigle double nimbé portant sur la poitrine un écusson de gueules à la fasce d'argent ; au dessus de sa tête la couronne impériale ; à droite, une main tenant une branche de lis et, à gauche, une autre tenant un glaive élevé ; dessous, une banderole portant la légende : svb vmbra tvarie protege nos. Au pied du trône, à droite, est assis sur un siège à haut dossier Philippe le Beau et, vis-à-vis de lui, Marguerite d'Autriche ; entre eux, un chien couché à terre. Dans l'avant-plan, à droite, se trouvent debout un pape, un cardinal et un évêque ; au dessus d'eux une banderole qui porte : Dñe refvgium factus es nobis n generatione in generationem ; à gauche, un négociant, un militaire, un agriculteur et une banderole où l'on lit : respice dite in servos tvos et in opera tva dirige filios eorvm. Entre ces deux groupes se trouvent trois filles assises à terre. Le fond est formé par un mur au delà duquel on voit un paysage avec quelques arbres. Les bordures de cette page et de celle en face sont ornées de feuillage, de fleurs, d'oiseaux, de papillons, etc., sur un fond alternativement or et laque. On remarque en outre quatre petites miniatures ornées d'écussons. 2° Le dix-neuvième feuillet est orné d'une miniature (H. 0,19, L. 0,156) représentant la Résurrection. Le Christ revêtu d'un manteau rouge et tenant une croix à oriflamme flottante lève la droite pour bénir. Quatre soldats se trouvent endormis devant la porte scellée du tombeau pratiqué dans le flanc d'une montagne ; deux autres, réveillés, sont saisis de frayeur. Dans le lointain, on voit le temple de Jérusalem et les trois Marie qui viennent au sépulcre. Cette page offre en outre une petite miniature représentant un monstre à tête humaine ; la bordure est sur fond d'or. La page en face est ornée d'une miniature (H. 0,98, L. 0,102) représentant l'empereur à genoux devant un prie-Dieu. La bordure est ornée de rinceaux en or sur fond laque autour desquels sont roulées trois banderoles portant chacune la devise : halt mas in allen dingen. Cette page offre en outre deux belles lettrines. — 3° Le trente-septième feuillet offre une représentation (H. 0,192, L. 0,152) de l'Immaculée Conception de la Sainte-Vierge. Sainte Anne est assise sur un trône d'une grande richesse ; la petite figure nimbée de Marie Immaculée paraît, les mains jointes, dans une gloire sur son sein maternel. Le Père Éternel la bénit du haut du ciel. De chaque côté du trône, derrière le mur qui forme le fond, on voit un roi debout et plus loin un paysage avec arbres. La bordure offre des fleurs, des oiseaux, des papillons, etc., sur fond d'or. La même page est ornée d'une lettrine et d'une seconde miniature (H. 0,032, L. 0,31) représentant les papes saint Léon, Alexandre V et Sixte IV, vus à mi-corps en vêlements de chef de l'Église, la tiare sur la tête et la croix à double traverse à la main droite. Ils tiennent chacun un parchemin sur lequel on lit ce qu'ils ont écrit sur la Conception Immaculée de la Sainte-Vierge. A travers les baies du cloître dans lequel ces papes se trouvent, on voit un paysage accidenté parsemé d'arbres et d'édifices, un château, une ferme et une église. Sur la page en face se trouvent trois petites miniatures d'un caractère semblable représentant saint Grégoire le Grand, Nicolas IV et Innocent V, ainsi qu'une bordure à fond d'or. Contre un trumeau du cloître se trouve une pendule. — 4° Le cinquante-deuxième feuillet est orné d'une représentation (H. 0,181, L. 0,13) de l'Annonciation d'une beauté rare. La bordure de cette page et la suivante à fond d'or, offrent chacune des rinceaux de fleurs avec des banderoles portant ces mots : ave maria gracia plena et ecce ancilla domini fiat michi secvndvm verbvm tvvm. Cette page et la suivante offrent encore trois lettrines. — 5° Les feuillets 66, 84 et 98 offrent quatorze lettrines d'un dessin fantastique d'une autre main ; la dernière de celles-ci porte la signature Jacques Scoon. Au haut du feuillet 99 on lit : missa quinq. vocum supra alleluya. Petrus de—L—g—Rue. — La reliure primitive de ce beau manuscrit, en cuir estampé, conserve ses coins, charnières et clous protecteurs. Vers 1500. H. 0,67 L. 0,46.

 

NOTE 9

Ce célèbre compositeur naquit à Mons, en 1520. Dans le manuscrit original des Annales du Hainaut par Vinchant, on lit ce passage publié par Delmotte : L'an 1520, fut né en la ville de Mons, Orland dit Lassus (ce fust en cet an que Charles V fut couronné empereur à Aix-la-Chapelle) ; il fut de son temps le prince et phénix des musiciens, d'où vient ce verse :

Hic ille Orlandus Lassus qui recreat orbem.

Il fut né donc en la rue dicte Gerlande à l'issue de la maison portant l'enseigne de la Noire Teste. Il fut enfant de chœur en l'église de Saint-Nicolas de la rue de Havrecq. Après que son père fut par sentence judicielle contraint de porter en son col un pendant de fausses monnoies et avec iceluy faire trois pourmaines publiquement à l'entour d'un hour dressé pour avoir esté convaincu d'estre faux monoyer, ledit Orland qui s'appeloit Roland De Lattre changea de nom et de surnom, s'appellant Orland de Lassus, et ainsy quitta le pays et s'en alla en Italie avec Ferdinand de Gonzague qui suivoit le party du roy de Sicile, etc. Gonzague, général au service de Charles-Quint, emmena le jeune musicien à Milan. Celui-ci le suivit ensuite en Sicile, où il acheva de s'instruire dans son art. A dix-huit ans, il s'attacha à Constantin Castriotto, qui le conduisit de nouveau à Naples. Dans cette ville, De Lattre entra chez le marquis de la Terza et y demeura environ trois années. En 1541 il se rendit à Rome, où le cardinal archevêque de Florence l'accueillit avec bienveillance et le logea dans son palais pendant six mois. Après ce temps, De Lattre obtint la place de maître de chapelle à l'église Saint-Jean de Latran. Ce fait est constaté par les registres de cette église, dont l'abbé Baini a donné un extrait dans la note 109 de son livre sur la vie et les ouvrages de Pierluigi de Palestrina. Il fallait, observe M. Fétis, que le mérite du musicien de Mons fût déjà bien remarquable pour qu'une place de cette importance fût confiée à un jeune homme de vingt-un ans, à Rome, alors la première ville du monde pour la musique et qui renfermait dans son sein des compositeurs de premier ordre pour l'église. — Depuis deux ans, Lassus (car c'est désormais sous ce nom que l'artiste est connu) remplissait ces fonctions à Saint-Jean de Latran, lorsqu'il apprit, en 1543, qu'une maladie grave menaçait les jours de ses parents. Le désir de les voir et de les embrasser une dernière fois l'emporta sur toute autre considération : il quitta Rome et se rendit à Mons en toute hâte ; mais lors - qu'il y arriva, ceux qu'il y venait chercher n'étaient plus. Le lieu de sa naissance ne pouvait avoir désormais pour lui que de tristes souvenirs ; il s'en éloigna bientôt et visita l'Angleterre et la France, puis il alla s'établir à Anvers et y demeura deux ans. Il paraît qu'il y fut maître de chapelle de Notre-Dame ; toutefois le fait n'est pas prouvé ; on sait seulement qu'il y composa plusieurs ouvrages qui étendirent sa réputation. Les quatorze ans qui s'écoulèrent entre son départ de Rome en 1543 et son entrée au service de l'électeur de Bavière en 1557, forment l'époque la moins connue de sa vie. — En 1557 donc, Albert V, dit le Généreux, invita Lassus à se rendre à sa cour, en lui offrant des avantages considérables. L'artiste accepta et, moins d'un an après son arrivée à Munich, il devint l'époux de Regina Weckinger, fille d'honneur de la duchesse de Bavière. En 1562, le duc Albert le nomma directeur de sa chapelle, la meilleure qui existât alors en Europe, soit par le nombre des musiciens, soit par leur mérite. — Les plus grandes compositions de Lassus, au nombre desquelles on remarque ses Psaumes de la pénitence et ses Magnificat, sont de cette belle époque de sa vie (1560 à 1575). La renommée s'attachait alors à son nom. En Allemagne, en France, en Angleterre et dans les Pays-Bas, on lui décerna le titre de prince des musiciens. Les princes, les rois les plus puissants le recherchaient et lui faisaient les offres les plus séduisantes. Le 7 décembre 1570, l'empereur Maximilien II, alors à la diète de Spire, accorda de son propre mouvement à Lassus des lettres de noblesse. Grégoire XIII, le 6 avril 1571, le fit chevalier de l'éperon d'or. La même année, Lassus fit un voyage à Paris, où Charles IX l'accueillit avec une grande distinction et lui fit de riches présents. — Parvenu à l'âge de 67 ans, Lassus se sentit fatigué ; il se déchargea d'une partie de ses fonctions et commença dès lors à passer une partie de l'année dans sa terre de Meinsing sur l'Amber. Ses facultés mentales s'affaiblirent peu à peu, une profonde mélancolie s'empara de lui et il succomba, selon l'opinion la plus probable, en l'année 1595. Lassus fut inhumé dans le cimetière de l'église des franciscains à Munich ; on lui érigea un superbe tombeau en marbre rouge, orné de bas-reliefs représentant d'un côté le tombeau du Christ avec les saintes femmes ; de l'autre les armoiries de Lassus, lui-même, sa femme, ses enfants et petits-enfants agenouillés. On lit sur le marbre l'épitaphe suivante :

Orlandi cineres, eheu ! modo dolce loquentes

Nunc mutos, eheu ! flebitis urna premit.

Lasse sont fiendo Charites tua funera Lasse,

Principibus multum, chareque Cœsaribus.

Beigica quem tellus genitrix dedit ingeniorum,

Ingeniorum altrix Boïa fovit humus.

Corporis exuvias eadem quoque Boïa texit,

Post lustra ac hyemes sena bis acta duas.

Robors, saxa, feras Orpheus, at hic Orphea traxit,

Harmoniœque duces percutit harrnonià.

Nunc quia complevit totum concentibus orbem,

Victor cum superis certat apud superos.

Peu de noms d'artistes ont eu autant de retentissement que celui de Lassus ; il n'en est point qui ait été plus connu non seulement des musiciens, mais des gens du monde et même du peuple. On a dit de lui :

Hic ille est Lassus lassum qui recreat orbem,

Discordemque sua copulat harmonia.

Et ces vers ne sont point une vaine flatterie, selon M. Fétis. Adrien Leroy, qui connaissait l'art et qui en parlait bien, disait de lui dans la préface de son traité de musique (imprimé en 1583) : Ce grand maître et suprême ouvrier, l'excellente et docte veine duquel pourrait seule servir de loi et de reigle à la musique, attendu que les admirables inventions, ingénieuses dispositions, douceur agréable, propreté nayve, nayveté propre, traits signalés, liberté hardie, et plaisante harmonie de sa composition fournissent assés de sujets pour recevoir sa musique, comme patron et exemplaire, sur lequel on se peut seurement arrêter. — M. Fétis donne la longue liste des éditions des œuvres de Lassus ; elles se succédèrent avec une rapidité qui indique clairement le prompt débit qu'elles obtenaient. Les motets de ce compositeur étaient encore publiés par les Ballard en 1677. De nos jours même, on en a fait de nouvelles publications. Une si vaste renommée, des succès si universels, si soutenus, offriraient des preuves irrécusables du mérite de Lassus, lors même que nous ne posséderions pas aujourd'hui d'autres moyens pour nous éclairer sur la valeur de ses œuvres. L'examen attentif des productions de Lassus nous démontre, dit M. Fétis, que ces éloges étaient mérités. F. J. Fétis, Biographie des musiciens, au mot Lassus. La liste sommaire des œuvres de ce grand homme, dit ailleurs M. Fétis, suffit pour faire connaître sa prodigieuse facilité de production : on y trouve cinquante et une messes à quatre, cinq, six et huit voix ; sept cent quatre-vingts motets ; trente-quatre hymnes ; cent quatre-vingts Magnificat ; l'œuvre immortelle des sept Psaumes de la pénitence et une multitude d'antiennes, litanies, psaumes et lamentations ; trois cent soixante et onze chansons françaises, à trois, quatre et cinq voix ; deux cent et trente-trois madrigaux italiens à quatre, cinq et six parties ; environ cent chansons allemandes et latines, des villanelles et d'autres petites pièces. Bulletins de l'académie royale, 1re série, t. X, p. 391-392.

 

 

 



[1] L'étendue de la matière nous a obligé de diviser le chapitre VI.

[2] La suette, sudor anglicus, morbus sudortficus, ephemera anglica pestilens, parut pour la première fois en Angleterre, l'an 1483, et se développa d'abord dans le pays de Galles, d'où elle s'étendit dans d'autres parties du pays, mais surtout à Londres. Elle ravagea ce royaume pendant environ septante ans, mais à divers intervalles, notamment en 1483, 1485, 1506, 1518, 1528 et 1551. En cette dernière année elle sévit avec tant de fureur qu'on assure qu'il mourait plus de cent vingt personnes par jour à Westminster seulement En France, elle reparut plusieurs fois aussi, surtout en Picardie, mais avec des modifications dans les symptômes et avec beaucoup moins de gravité. On l'a revue en Allemagne, en 1648, 1715, 1732, 1742 ; en Hollande, en 1666 ; en Piémont, en 1755 ; dans le Languedoc, en 1782.

[3] Onze cents habitants avaient succombé, dans cette ville, en vingt-deux jours. A Dantzig, il mourut trois mille personnes.

[4] Fisen.

[5] Geschiedenis van Antwerpen. — Un savant médecin belge, M. C. Broeckx, a écrit une Notice sur Jacques Van den Kasteele et sur la suette qui régna épidémiquement à Anvers au mois de septembre 1529. Anvers 1849, in-8°.

[6] C. De Smet, Histoire de la religion catholique en Brabant.

[7] Azevedo.

[8] Au regard des amendes faictes et ordonnées par la loy et consaulx de la ville de Malines sur les tisserans et foulons illecq, à savoir quiconque soit tisseran ou foulon porte sur luy ou tient en sa maison aucunes armures à pointes, le doit amender de deux moutons d'or à chacune fois que l'on les peut trouver. Compte de Jean Van den Daele.

[9] Lettre de Marguerite à Charles-Quint, du 21 octobre 1529. Reg, Correspondance, f° 253. Citation de M. Henne.

[10] Cette aide avait dû être réduite de moitié, la ville de Mons et les prélats du Hainaut ayant refusé d'y prendre part. Desdits nobles et petites villes de Haynaut ; pour ung accord par eulx fait en février XXX, de XXm livres, saulf la ville de Mons, quelque devoir que on ait sceu faire devers, n'y ont voulu consentir, ni pareillement les preslatz, icy pour la porcion desdits nobles et villes escheu à la Saint-Jehan et Noël XXX, XXm livres. Revenus et dépenses de Charles-Quint.

[11] Reg. Hérésies et Inquisitions, f° 650. Citation de M. Henne.

[12] Placards de Flandre, t. I, 88-102.

[13] Placards de Flandre, t. I, 103.

[14] L'Église catholique fut la première à gémir de ces maux et de ces scandales ; depuis longtemps ses membres les plus éclairés et les plus zélés aspiraient à en trouver le remède. Il y avoit plusieurs siècles, écrit Bossuet, qu'on désiroit la réformation de la discipline ecclésiastique. Qui me donnera, disoit saint Bernard, que je voye avant de mourir l'Église de Dieu comme elle étoit dans les premiers jours ! Si ce saint homme a eu quelque chose à regretter, ç'a été de n'avoir pas vu un changement si heureux. Il a gémi toute sa vie des maux de l'Église. Il n'a cessé d'en avertir les peuples, le clergé, les évêques, les papes mêmes. Histoire des variations des églises protestantes, liv. Ier.— Hélas, oui, quand le sel de la terre s'est affadi, il n'est plus bon, selon la parole de l'évangile, qu'à être jeté dehors et foulé aux pieds ; corruptio optimi pessima, dit à son tour la sagesse des nations. Un grand pape, un grand homme, saint Grégoire, a écrit ces paroles redoutables à l'adresse des membres indignes du sacerdoce. C'est d'une plume catholique aussi, mais officielle et, on peut le croire, prévenue jusqu'à un certain point, que sont sorties les lignes suivantes, citées par M. Henne, et qui flétrissent comme un fer brûlant, la portion indigne du clergé des Pays-Bas à cette époque : Trouvant que la principale cause de toutes les erreurs est l'insuffisance des curés et autres qui, pour cejourd'hui, ont charge d'âmes... ; que un curé, pour bien régir le peuple qui lui est commis, doit avoir nécessairement trois qualités, sans lesquelles est impossible qu'il satisfasse à son état : être de bon tige, afin de avoir prudence, expérience et discrétion ; être de bonne vie et conversation ; afin que le peuple prenne exemple ; être lettré et docte... Et combien que les curés dussent être qualifiés comme dessus, toutefois peu de tels s'en trouvent, au grand regret de sa majesté et confusion du peuple, car pour la plupart il sont jeunes gens légers, inexpérimentés et indiscrets ; les autres sont lubriques, donnés à ébriété et autres vices notoires et manifestes, en qui la commune ne voit que mauvais exemple.... Les autres sont si ignorans et si indoctes, que à grand' peine savent lire leurs heures ou chanter messe, de sorte que souvent l'on voit que leurs paroissiens sont plus clercs et doctes que ne sont leurs curés pasteurs, et sont journellement repris ceux qui devroient reprendre les autres. — Davantage les curés propriétaires pour la plupart ne résident sur les lieux, mais en sont dispensés par les évêques ; et commettent, en leur absence, gens pouvant leur rapporter de grosses sommes, ne regardant ni au salut des âmes, ni à ce que les cures soient bien desservies, mais seulement au plus offrant et dernier enchérisseur. Aussi aujourd'hui les curés sont tellement chargés et hypothéqués de pensions et réserves des fruits, qu'il ne leur est possible de vivre sans faire tort aux pauvres paroissiens, lesquels étant simples gens et mal édifiés de la qualité, vie déshonnête, excès et abus de leurs curés, et présumant que en un ort (Ort, tors. Désagréable, insupportable. G. Guiart. — Sale, horrible. Chron. des ducs de Normandie. Du Cange, Glossaire français édit. Henschel) et sale vaisseau si précieuse relique que le saint sacrement du corps de notre Créateur et Rédempteur Jesu Christ ne se voudroit loger, en sont scandalisés et tombent en grosses erreurs, tellement que da ce procède l'erreur des sacramentaires, anabaptistes et autres. Articles conçus par le conseil privé, sur l'ordre de la reine gouvernante, pour servir d'instruction aux prélats et évêques des divers diocèses, dans la réforme que les progrès de l'hérésie mal combattue nécessitent parmi le clergé. Reg. sur le fait des hérésies et Inquisitions, f° 513. Cette pièce parait remonter à l'administration de Marie de Hongrie, qui succéda à Marguerite, et qui a été accusée de porter une secrète prédilection aux nouvelles doctrines (Dictionnaire encycl. de la théologie catholique des docteurs Wetzer et De Welte, trad. franç., tome IV, pag. 240). Heureusement le remède tant désiré n'était plus éloigné. Le concile de Trente allait opposer à ces maux affreux une digue efficace, panser ces plaies saignantes, et opérer la réforme, la vraie réforme, celle-là qu'appelaient depuis longtemps les cœurs catholiques et les membres les plus respectables de la hiérarchie ecclésiastique.

[15] L'intention des communes, oui ; celle des luthériens ne tendait qu'à remplacer le pouvoir ancien par leur pouvoir à eux, tout aussi despotique, et non moins avide d'argent et d'honneurs.

[16] M. Henne, ouvrage cité, t. IV, p. 324. — Malgré son animosité protestante, M. Henne, qui voit trop souvent les faits isolés plus que les principes, est de si bonne foi, que, la plupart du temps, c'est dans ses propres pages qu'on trouve la meilleure réponse à ses attaques contre le catholicisme.

[17] M. de Gerlache.

[18] Chez les annonciades, la supérieure s'appelait par humilité mère ancelle, d'ancilla, servante. — Cet ordre avait été institué à Bourges en 1500 par sainte Jeanne de Valais, fille de Louis XI et femme répudiée de Louis XII.

[19] Lettre du comte d'Hoogstraeten à Charles-Quint, du 28 novembre 1530, M Gachard, Documents concernant l'histoire de la Belgique, I, 291.

A maistre Jocqueu Roland, maistre Denys Van Liewarde, maistre Corneille Rembold et maistre Pierre Van Dieghem, docteurs médecins résidens audit Malines, pour leurs peines qu'ils ont eues et prinses d'avoir faict leur devoir alentour de madite feue dame, à chacun X philippus. Compte de la veuve et des hoirs de J. de Marnix.

[20] A maistre Jehan Van Heetvelde et maistre Adam Roquaert, docteurs médecins, résidens à Louvain, pour estre venus à toute diligence, le XXVIe jour de novembre anno XXX, dez ledit Louvain au lieu de Malines, vers madite feue dame, pour la panser et traicter de leur art à cause de la griefve maladie où elle estoit constituée, ce qu'ils ont fait de leur pouvoir, et sont demeurés devers elle jusques a tant qu'elle eust rendu l'esprit à Dieu notre rédempteur, chacun XVI philippus d'or. Compte de la veuve et des hoirs de J. de Marnix.

[21] La somme de huit philippus d'or de xxv sols pièce, pour icelle somme distribuer aux noires sœurs de la ville de Malines, en faveur de la peine par elles prinse alentour de madite feue dame en sa maladie. Compte de la veuve et des hoirs de J. de Marnix.

[22] Archives du royaume.— Cette lettre a été publiée par M. Gachard. Analectes belgiques, I, 378.

[23] Lettre du comte d'Hoogstraeten à Charles-Quint.

[24] Lettre de l'archevêque de Palerme et du comte d'Hoogstraeten Charles-Quint, du 8 décembre 1533. M. Gachard, Documents, I, 296.

[25] Marguerite avait légué, avec son cœur, aux annonciades de Bruges, dont le couvent avait été fondé par elle, sa coupe d'argent, sa cuillière et un médaillon de même métal, et de plus un évangile de saint Jean doré et enluminé, avec son chapelet d'une valeur inestimable. Ce chapelet était orné de douze agates, sur la plus grande desquelles étaient gravées les vertus de la Sainte-Vierge, et qui avait été portée par la sainte institutrice de l'ordre ; les autres pierres étaient entremêlées de petits grains d'or, et à l'extrémité pendait un cœur d'or. Ce legs était accompagné du portrait de Marguerite peint sur bois par Bernard Van Orley, et de deux lettres touchantes adressées à la mère Ancelle. — L'église des annonciades, située hors la porte des Anes, fut déniche en 1578, par ordre du magistrat, qui craignait de la voir tomber entre les mains des gueux. Les religieuses se retirèrent à Bruges dans une maison appelée Fluheelhof, emportant avec elles le précieux dépôt confié à leur affection et à leur reconnaissance. — En 1531, Charles-Quint avait fait construire, dans leur église, un somptueux monument en albàtre, décoré de statuettes d'or. Ce monument, unique dans son genre, fut horriblement mutilé par les iconoclastes. En 1714, on le replaça dans l'église du nouveau couvent ; on y ajouta un pavement de marbre noir et blanc, et un groupe représentant l'annonciation de la Sainte-Vierge, devant laquelle était agenouillée, sur un prie-Dieu, madame Marguerite ayant en main son livre d'heures ; derrière elle se tenait debout sa patronne la bienheureuse Marguerite, et à ses côtés ses dames d'honneur portant les blasons de l'Empire, de la Bourgogne et de la Castille. Les débris de l'ancien monument avaient servi de matériaux à ces figures. Au milieu de la niche qui avait reçu le pieux dépôt était peint un cœur dans un miroir, avec une inscription en langue flamande. — Dans la même niche, on lisait une autre inscription, toujours en langue flamande.

[26] L'empereur fit placer dans ce temple l'inscription suivante : D. O. M. — illustrissimae Margaretæ, — archiducissæ Austriæ, invictissimi Maximiliani imperatoris natæ, — ac principis Hispaniarum primo, — deinde ducis Sabaudiæ relictæ, — harum inferiorum regionum gubernatrici, — Carolus Quintus Cæsar Augustus, amitæ posuit. — La paroisse des S. Pierre et S. Paul ayant été transférée, en 1777, dans l'église des Jésuites, on y transporta aussi les entrailles de la princesse. L'urne qui les contenait était fortement endommagée : on la renferma dans un coffret de chêne, et elle fut déposée, le 28 octobre 1778, vers six heures du soir, sous les dalles du chœur, entre la première marche du maître autel et le mur latéral de l'évangile. Le procès-verbal de la translation se trouve à la Bibliothèque de Bourgogne, coté n° 15, 865 ; il porte les signatures suivantes : Jean Henri, cardinal archevêque de Malines, de Fierland, de Stassart de Noirmont et H. Diu. — Dans la séance de la classe des lettres de l'Académie royale du 4 février 1861, M. Gachard a entretenu ses confrères d'un ouvrage du comte E. de Quinsonas intitulé : Matériaux pour servir à l'histoire de Marguerite d'Autriche, duchesse de Savoie, régente des Pays-Bas ; Paris, 1860, 3 vol. in-8°. — Dans la cours de cette lecture, M. Gachard rappelle que le cardinal et les autres signataires du procès-verbal de translation, avaient exprimé le désir que le gouvernement fit attacher au mur du chœur des ci-devant jésuites, du côté de l'évangile, une grande plaque de marbre blanc ornée, dans laquelle on ferait tailler, en grandes lettres dorées, telle épitaphe qu'on trouverait convenable. Le prince Charles de Lorraine avait recommandé au conseil privé, continue M. Gachard, de faire former et de lui soumettre le projet d'épitaphe. Le président de Fierlant s'occupa, de son côté, du même projet ; il écrivait, le 30 octobre 1778, au ministre plénipotentiaire, prince de Starhemberg : J'ai donné à un dessinateur d'ici une idée pour la forme de l'épitaphe, que je soumettrai à l'approbation de Votre Altesse, dès que le dessin sera achevé, et que j'y pourrai joindre le devis. — Quel fut le résultat, dit toujours M. Gachard : des ordres du gouverneur général et des conceptions du président du grand conseil ? c'est vainement que j'ai compulsé, pour le savoir, la suite des actes du conseil privé et de la correspondance du président de Fierlant avec le prince de Starhemberg. Le silence de ces documents me fait supposer que des choses d'un intérêt d'actualité plus grand, selon l'expression consacrée aujourd'hui, firent perdre de vue l'épitaphe de Marguerite d'Autriche. — Cette conjecture est confirmée par ce que je lis dans l'ouvrage de M. de Quinsonas : Sur les indications précises de M. le chanoine Schœffer, dit-il, nous avons fini par retrouver, dans la nouvelle église de Saint-Pierre et Saint-Paul, à gauche du maitreautel, une modeste croix de Malte, très fruste par suite du passage de la sacristie, gravée en creux et à peine reconnaissable, sur un des carreaux de marbre qui forme le dallage. Elle indique l'emplacement de la boîte de plomb qui contient les restes de Marguerite. — Voilà donc, dans sa bonne ville (c'est toujours M. de Quinsonas qui parle), voilà le seul souvenir religieux constatant l'existence des dépouilles mortelles de très-haute et très-redoutable madame la régente des Pays-Bas, douairière de Savoie, duchesse et comtesse de Bourgogne, dame de Malines et autres lieux !... Mais la mémoire impérissable de la bonne duchesse n'est point effacée comme cette petite croix si humble, devenue si imperceptible, et sur laquelle l'étranger, au souvenir de la vertu et des grandeurs, vient s'agenouiller justement ému de tant de simplicité ! — Avouons le, dit en terminant M. Gachard, ces réflexions d'un écrivain français renferment un reproche, et un reproche mérité, à l'adresse de notre pays. Elles nous avertissent qu'il serait temps, après plus de trois quarts de siècle, de réparer l'oubli dans lequel ont été laissés les restes d'une grande princesse, en mettant à exécution l'idée conçue en 1777, ou tout autre plan qui répondit à la même pensée. Bulletin de l'Académie royale, 2e série, tome XI, pages 232 et suivantes.

[27] Voir, pour les dépenses de ces funérailles, le compte de la veuve et des hoirs de Jean de Marnix cité par M. Henne. Entre autres détails, on lit qu'il fût consumé 5.737 livres de cire à cette cérémonie.

[28] A Henri-Corneille Aprippa, docteur en deux droits, conseiller et indiciaire de l'empereur notre sir, la somme de douze livres, en faveur de ce qu'il méritoit à faire et composer certaines épitaphes et aultres escripts, qu'il a emprins faire pour servir à l'obsèque et à l'honneur et mémoire perpétuelle de madite feue dame. Compte cité. Henri-Corneille Agrippa de Nettesheim, né à Cologne le 11 septembre 1486, fut d'abord secrétaire de l'empereur Maximilien Ier ; il servit ensuite dans les armées de ce prince. Son inconstance lui fit quitter le métier des armes pour le droit et la médecine, entre lesquels il se partagea. Sa plume hardie lui suscita bien des querelles. copie et sceptique, après avoir passé une partie de sa vie en prison, il mourut dans un hôpital en 1534 ou 1535. Il a écrit, entre autres choses, le livre fameux De incertitudine et vanitate scientiarum et artium. Anvers et Paris, 1531.

[29] Il fit remettre cent écus d'or au comte de Bronchorst, cent phi-lippus d'or à messire Jacques de Dombourg, et quatre-vingts carolus d'or à maistre Charles Quey. Ibid. — On lit dans les Bulletins de l'Académie royale, XXVIe année (1857) ce qui suit : Variétés historiques, par M. Gachard. Les derniers moments de Marguerite d'Autriche. — Le 2 décembre dernier, une cérémonie imposante avait lieu à l'une des extrémités de la France, près de la petite ville de Bourg en Bresse, ancienne possession de la maison de Savoie, aujourd'hui chef-lieu du département de l'Ain. Les restes de Marguerite d'Autriche, tante de Charles-Quint, de son second mari, Philibert le Beau, duc de Savoie, et de la mère de ce prince, Marguerite de Bourbon, qu'un caveau de l'église de Brou renfermait depuis plus de trois siècles, avaient été récemment examinés et reconnus. Par l'effet des injures du temps et d'une négligence peu excusable, les cercueils des deux illustres femmes étant tombés en poussière, leurs débris s'étaient mêlés avec les ossements : des mains intelligentes venaient de remettre chacune des pièces de leurs corps à sa place naturelle. Les trois corps avaient été ensuite déposés dans des cercueils provisoires en bois. Le 1er décembre, ces cercueils furent extraits du caveau, et placés sous un catafalque dressé dans l'église. Le 2, en présence de l'évêque du diocèse, du préfet du département, d'un commissaire spécial de S. M. Victor Emmanuel, roi de Sardaigne, et d'une foule immense accourue de tous les environs, ils furent portés processionnellement et en grande pompe, dans le caveau ouvrant sur la droite du chœur, pour y rester jusqu'à ce que celui où ils reposèrent si longtemps soit restauré et disposé d'une manière définitive. — Il est fâcheux, comme l'écrivait dernièrement à l'un de nos journaux un homme que ses sentiments patriotiques distinguent à l'égal de sa naissance (M. le comte Félix de Mérode), il est fâcheux que la Belgique n'ait pas été représentée à la cérémonie du 2 décembre. Elle y avait droit. La princesse à la mémoire de laquelle on rendait cet éclatant hommage était belge : belge par le sang dont elle était issue, aussi bien que par le lieu où elle avait vu le jour ; elle avait passé dans nos provinces la plus grande partie de sa vie ; elle les avait gouvernées avec gloire durant vingt-quatre ans ; elle y avait rendu le dernier soupir. Il y a plus : cette magnifique église de Brou, l'une des merveilles de la France, qui recevait ce jour-là, en quelque sorte, une consécration nouvelle, les provinces belges avaient puissamment contribué à son érection ; elles y avaient contribué par leurs subsides, et par les architectes, les sculpteurs, les peintres flamands, dont l'auguste veuve du duc Philibert s'était plu à réclamer le concours. — M. Gachard s'occupe ensuite des détails publiés par les journaux de Bourg sur la mort de Marguerite d'Autriche. D'après leur récit, le 15 du mois de novembre 1530, et le matin avant que de se lever, Marguerite demanda à boire à l'une de ses demoiselles, Madeleine de Rochester, qui, lui obéissant aussitôt, lui apporta à boire dans une tasse de cristal ; mais, en la reprenant, elle la laissa tomber malheureusement au devant du lit, où elle se cassa en plusieurs pièces. La demoiselle ne manqua pas de les ramasser le plus soigneusement qu'elle put, mais elle ne s'avisa pas de chercher dans les pantoufles de la princesse. Ce défaut d'attention fut cause de sa mort ; car cette princesse s'étant levée quelques heures après, et ayant mis les pieds nus dans ses pantoufles, et fait quelques pas pour s'approcher du feu, un petit fragment fort aigu de la tasse cassée lui entra dans le pied... la blessure jeta très peu de sang, mais, peu de jours après, sentant une grande douleur en cet endroit et la jambe enflammée, elle fit appeler ses médecins qui jugèrent que la gangrène y était et qu'on ne pouvait la guérir qu'en lui coupant au moins le pied. La conclusion en fut prise, et l'exécution résolue. La princesse se prépara avec une fermeté héroïque à cette opération terrible et reçut les sacrements avec une piété très édifiante. Le 30, jour fixé pour l'opération, étant venu, comme les médecins voulurent lui en épargner la douleur, ils lui causèrent la mort en lui donnant une si forte dose d'opium qu'ils l'endormirent d'un sommeil qui n'est pas encore fini et ne finira qu'à la résurrection de tous les morts. — M. Gachard n'a pas de peine à montrer que ce récit, tiré d'un manuscrit reposant aux archives du département de l'Ain, est purement romanesque.

[30] Dumont, IV, 1re partie, 90-93.

[31] Dumont, IV, 2e partie, 73.

[32] Relation de l'ambassadeur vénitien Nicolas Tripolo.

[33] Lettre du 30 novembre 1530. — M. Henne, ouvrage cité, IV, 351.

[34] Qu'on me permette de citer ici un passage d'un discours académique de M. de Stassart : La vie de Marguerite d'Autriche est une nouvelle réfutation de cette absurde maxime de quelques esprits étroits : qu'on concilie mat les lettres et les arts arec les affaires. Les lettres et les arts ! cette princesse ne se contentait pas de les protéger, elle les cultivait elle-même avec succès. Ses vers ne sont pas inférieurs à ceux de Jean Molinet, son poète en titre. Cela ne l'empêcha point de mériter une place à côté des plus grands hommes d'état qu'ait produits la Belgique. Ce fut elle qu'on vit, en 1508, au congrès de Cambrai, dit le judicieux historien Gaillard, préparer l'abaissement des orgueilleux Vénitiens enrichis des dépouilles de toute l'Europe, et rassembler contre eux, dans une ligue étonnante, une foule de princes dont les caractères étaient incompatibles et les intérêts opposés. Elle égara la sagesse de Louis XII, elle éblouit le cardinal d'Amboise, elle entraîna tous les autres. Jamais affaire si difficile ni si compliquée n'avait été conduite avec tant d'art et de, secret. Toute l'Europe s'étonna par la suite d'avoir été un instrument aveugle dans la main d'une femme habile qui, sous prétexte de châtier les Vénitiens, n'avait voulu en effet que servir son père et se venger de la France en l'engageant dans un labyrinthe inextricable. Quelque flatteur que soit cet éloge, je préfère au triomphe des ruses diplomatiques les droits que Marguerite s'est acquis à la reconnaissance des Belges par une administration ferme, éclairée, et par l'impulsion qu'elle a su donner aux institutions utiles. Discours prononcé à la séance publique de la classe des lettres, le 15 décembre 1841. Bulletins de l'Académie, t. VIII, 2e partie, page 561. — Il y aurait beaucoup à dire, nous l'avons déjà vu, et nous le verrons encore tout à l'heure, sur les droits, que selon M. de Stassart, l'administration de Marguerite lui aurait acquis à la reconnaissance des Belges.

[35] Une perfidie n'effarouchait pas Marguerite. Ainsi, en 1512, elle écrivait à Maximilien au sujet des Allemands au service de France : Monseigneur, qui pourrait tant faire que iceulx piétons retournassent en leurs maisons ou que ils feissent aux François quelques mauvais services au besoin, ce serait un grand bien pour vos amys et pour vous et vos successeurs. Lettres de Louis XII, IV, 7. Note de M. Henne.

[36] Son père lui-même se plaignit fréquemment du ton amer, de la rudesse de ses rèponses aux observations qu'il lui adressait. Voir Correspondance. Id.

[37] Relation de G. Contarini, 64. Id.

[38] Altmeyer, Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas ; sa vie, sa politique et sa cour.

[39] Les comptes de ses dépenses, cités très en détail par M. Henne, sont remplis de particularités curieuses sur l'intérieur du palais de Marguerite, Nous nous contenterons de reproduire ici l'ordonnance du 1er mars 1525, par laquelle la gouvernante avait réglé elle-même le service de sa table. Madame aura pour son disner quatre pains de bouche et pour ses assiettes (c'étaient des pains qui servaient d'assiettes) six pains bis. Madame d'Hoogstraeten, qui mangera avec elle, un pain de bouche et une assiette de pain bis ; deux lots de vin et deux lots de cervoise, et si crue de vin il y a, elle se prendra à discrétion des mains d'hostel servans. — Au disner, une pièce de bœuf réalle pesant environ seize livres ; ung muteau (jarret) pour le bouillon de madame, d'environ huit livres ; un haut côté de mouton bouilli ; un chapon bouilli ou une bonne poule, ou deux poulets en ce lieu ; un membre de mouton rôti ; un autre pour hachis ou carbonnades ; une pièce de veau ou chevreau ; cochons, agneaux ou oisons pour le gros rost ; et entend madame que quand elle sera servie de une desdites pièces de gros rost, elle ne sera pas servie de l'autre. Et pour le menu rost, une pièce de perdrix, deux lapins ou un canin, ou si ce n'est, six poulets et six pigeons ; trippes, saucisses, pieds de veau et de bœuf, de mouton, de porc ; légumes ; un grand pâté de veau et de mouton ; et les dimanche, mardi et jeudi, de petits pâtés ; lundi et mercredi, de grands pâtés comme dessert ; ris formenté ou autre chose en ce lieu ; fruits, oublies et fromages, selon les saisons, et une pièce de mouton pour le déjeûner. — Pour le souper, quatre pains de bouche, six assiettes ; à madame d'Hoogstraeten, un pain de bouche et une assiette ; vin d'ordinaire, deux lots ; cervoise, deux lots ; et si crue il y a, elle se prendra comme dessus. Une épaule ou gigot de mouton rôti ; une longe de veau ou de chevreau, si l'on en trouve ; un chapon rôti ; deux perdrix ; quatre poussins ; un cornil ou levreau et quatre pigeons ; et pour bouilli deux poulets et deux pigeons, et quelquefois des perdrix, faisans, hérons et patus, selon qu'ils se trouveront ; en outre, chapon ou bonne poule, ou six poulets pour mettre en pâté ; pieds de bœuf, oreilles de porc et autres menus services. Fruits, oublies, fromages, selon la saison ; quant au lard à larder et potaigier pour le disner et souper pour fournir un pâté, fricasseries et autres menuités, pourra monter par jour, par extension à quatorze livres — Madame aura pour chacune de ses collations qui se prendront le jour, trois pains de bouche, deux lots de vin et trois de cervoise ; et ne pourront les valets de chambre prendre vin de crue pour la chambre, sans l'enseigne de madame d'Hoogstraeten, sous peine d'être renvoyés, et semblablement le sommelier qui l'aura délivré sans ladite enseigne. Et se apportera toujours le vin d'après-diner, entre deux et trois heures, en la chambre de madame, pour donner à boire aux seigneurs et dames qui auront soif. Item, ès jours de jeûne, madame ne veut avoir pour ses collations que deux tasses de confiture suffisamment garnies. Extrait d'un ms. de la bibliothèque royale de La Haye, dans M. de Reiffenberg, Histoire des ducs de Bourgogne de M. de Barante, Appendices, X, 255.

[40] Marguerite hélas ! en cela aussi était de son siècle, et n'avait guère le droit de jeter la première pierre aux autres ; elle devait plutôt être indulgente pour un mal dont elle se sentait atteinte elle-même, non ignara mali.

[41] Altmeyer, travail cité.

[42] Massé, connu sous le nom de Christianus Massceus Cameracensis, naquit au village de Warneton, le 13 mai 1469. Il était prêtre de la congrégation des hiéronymites, et il enseigna à Gand. Il est auteur d'une chronique estimée en vingt livres, depuis le commencement du monde jusqu'en 1540, et de quatre calendriers, égyptien, hébreu, macédonien, romain. On lui doit aussi une grammaire latine, qui rivalisa avec celle de Despautère. Jacques de Croy, évêque de Cambrai, l'attira en cette ville, où il mourut en 1546.

[43] Jean Lemaire des Belges né, vers 1473, à Bavai, après avoir exercé la charge de clerc des finances du roi Louis XII, passa, en 1503, au service de Marguerite d'Autriche. Il mourut en 1548, après une vieillesse pauvre et éprouvée. La langue et la poésie française lui ont quelques obligations. Il a remarqué le premier que la césure du vers ne doit jamais tomber sur un e muet. Marot et Ronsard ont profité de ses avis. Il était encore au service de Marguerite quand il publia ses Illustrations de Gaule et singularités de Troye, avec la couronne margaritique et plusieurs autres œuvres, production curieuse et inspirée au poète par notre princesse. Il écrivit aussi, sous la même inspiration, le Triomphe de l'amant verd, en l'honneur d'un perroquet chéri de Marguerite. Marot le cite très honorablement et l'appelle :

Jean Le Maire Belgeois

Qui eut l'esprit d'Homère le Grégeois.

[44] Jean Molinet naquit à Desvres dans le Boulonnais, vers la fin de la première moitié du XVe siècle. Il passa une partie de sa vie à Valenciennes, val doux et fleuri ; il fut bibliothécaire de Marguerite. Mort à Valenciennes, en 1507, il fut enterré dans l'église de la Salle-le-Comte, à côté de Chastellain, objet de l'admiration de sa vie entière. On a de lui des chroniques, restées longtemps inédites, mais publiées enfin par M. Buchon. Ceux qui aiment notre histoire, dit Nélis, traduit par Lesbroussart, et qui veulent s'assurer de la vérité des faits, ne manqueront pas de comparer les sages et lumineuses narrations de Molinet avec celles de Philippe de Commines, historien à la fois plein de mérite et de génie, mais quelquefois un peu trop prévenu contre nos souverains. En fait de poésie, il nous a laissé la Récollection des merveilles advenues en nostre temps, commencée par très-élégant orateur, messire George Chastellain, et continuée par maistre Jéhan. Molinet. C'est une chronique en vers, dont toutes les stances commencent par les mots : j'ay veu. Molinet aiguisait assez bien l'épigramme ; on cite de lui cette épitaphe de Charles le Téméraire :

Cy-gist sans paour le hardy conquérant,

Le champion grand triomphe quérant,

Qui de régner avoit tel appétit,

Que s'il eust vécu en prospérant,

Ce monde grant lui estoit trop petit.

[45] Altmeyer, ouvrage cité.

[46] Guicciardin, Description du Pays-Bas, page 236.

[47] Pour le deffrayement d'un prince de Moscovites, à Malines, les xxvii, xxviii et xxixme jours de décembre xxiiij, de ses gens et chevaulx, et de l'ambassadeur de l'empereur estant avecq eulx, LXXXI livres, XIX sols. Archives du Conseil d'état et de l'Audience, p. 67, f. 529. Citation de M. Altmeyer.

[48] Azevedo.

[49] A maistre Pannemaeker, maistre tapissier, résidant à Bruxelles, la somme de viije livres de xL gros, à bon compte, de ce que madite dame lui pourra devoir, à cause de certaines pièces de riches tapisseries qu'il a accordé avec elle de faire de telle ou meilleure estoffe que celle que desjà elle a eue de luy, le tout selon les promesses, conditions et charges, au long déclarées au marché sur ce fait le premier jour de septembre XVe et XX, et pour fil d'or et d'argent bien exquis par lui acheté et employé en ladite tapisserie. Compte de J. de Marnix.

Au même, la somme de vjc iiijxx xvl, et pour sa parpaie de XIXe iiijxx xvl, à quoi monte l'achat que madame a fait avecq luy de deux esquisses pièces de tapisserie faictes de fil d'or et de soie, contenant icelle tapisserie ensemble nit aulnes et demie, en laquelle est l'histoire, en assez grands personnaiges, comment Notre-Seigneur Jhesus Christ est au Jardin d'Olives, priant Dieu son père, et comment il porte la croix pour y recepvoir mort et passion, lesquelles deux pièces de riche tapisserie madite dame a retenues devers elle en ses mains, le premier jour de septembre XVc XX. Ibid.

[50] A maistre Bernard d'Ourley, painctre de madame, résidant à Bruxelles, la somme de quarante philippus d'or de cinquante gros, monnoie de Flandre le philippus, que deue lui estoit pour semblable somme, que madicte dame lui a accordé prendre et avoir d'elle, pour payement des painctures cy après déclarées que aultrement, lesquelles il lui a vendues et livrées en ses mains pour les pris et ainsi que s'en suit : assavoir, pour ung beau tableau où est paincte et figurée la remembrance de Marie et Marte, X philippus, lequel madicte dame a envoyé au cloistre et couvent des Sept-Douleurs-Notre-Dame, hors la porte des A sues lez Bruges, auquel icelle dame en a fait don ; — pour ung autre tableau, auquel madicte dame a fait faire une painture au vif à son noble plesir, X philippus, pour d'icelluy faire don et présent à l'empereur son nepveu ; — pour une belle painture faicte à la remembrance du Sainct Souaire sur taffetas blancq, laquelle elle a retenue pour X philippus ; — et autres X philippus, desquels madicte dame a fait don audit maistre Bernard, oultre et par-dessus les dits achatz d'icelles paintures et marché par elle faict avec luy, et ce en faveur d'aucuns aggréables services qu'il a faiz à icelle dame, desquels elle ne veut icy auculne déclaration. Compte de J. de Marnix.

[51] Compte de J. de Marnix, passim.

[52] Compte de J. de Marnix, passim.

[53] Nicolas Everardi, leur père, né en Zélande, fut un des meilleurs jurisconsultes de son temps. Après avoir fait de bonnes études à Louvain, il y fut créé docteur en droit en 1493, et y professa cette science pendant quelque temps. Plus tard, il devint conseiller de la cour suprême de justice, à Malines, et enfin président de la haute cour de justice de Hollande et de Zélande, à La Haye. Il est auteur de Topica juris, sive loci argumentorum legales, Louvain, 1516, et de Consilia sive responsa juris, ibid., 1534. Les productions de ses trois fils ont été réunies sous ce titre : Trium fratrum belgarum pœmata et effigies, Leyde, 1612. Jean Second, le plus remarquable des trois, avait adopté ce nom pour se distinguer d'un oncle ou d'un frère plus âgé. Né à La Haye, le 10 novembre 1511, il mourut à Tournai, le 24 septembre 1536, n'ayant pas encore 25 ans. Il a laissé des odes, des élégies, des épigrammes, des sylves, mais il a surtout excellé dans le genre érotique.

[54] Appelé aussi Remacle d'Ardennes, Remaclus Arduennas, né à Florennes en 1480, mort en 1524 ; il était entré, vers 1517, au conseil privé de Marguerite, après avoir pris le grade de docteur in utroque jure à Paris. Remacle passa pour un des meilleurs poètes de son temps ; il a laissé des épigrammes (epigrammatum libri tres,1507), un drame (Palamedes, fabula et carmen sacrum, 1512), et d'autres poésies. Voici quelques vers de lui :

Observatissimo patrono Petro Grypho

Super aegritudine, Remacli Epicedion.

Siccine jurasti semper, Fortuna, gravare

Immeritum ? Sic me cladibus usque premes ?

Siccine spirabunt venti in contraria semper,

Incumbetque meæ naufraga scylla rati ?

Semper Threïceis obnoxia vita procellis

Pura ignorabit laetior ire die ?

[55] Né vers 1480 au village de ce nom, il prit l'habit monastique à l'abbaye de Saint-Laurent à Liège. C'était un religieux très instruit, très versé dans les belles lettres, et dont Érasme faisait le plus grand cas (Voir sa correspondance, tome III des œuvres) ; Chapeauville le qualifie d'orator et poeta insignis. Il s'adonna également à la peinture et orna de plusieurs de ses tableaux la chapelle de Saint-Denis, dans l'église de son monastère. M. L. Polain, Biographie nationale.

[56] De kunst van rhetoriken in aile sorten en sneeden van diehten, in aile dat de konst van pœzyen competeert ende aencleeft, door M. Castelyn, Rotterdam, -1616. — Dans le même volume : Historie van Pyramus en Thisbe, alles in dichte gestelt door Matthys de Casteleyn ; De Baladera van Doornyckt ; Diverse liedekens, enz.

[57] Elle portait le nom de Den goddelyken en weerdigen naem Jhesu metten balsem blomme (le divin et révéré nom de Jésus avec la fleur du baumier), mais elle est communément connue sous le nom de Jhesus met den batsern bloeme, Jésus au baumier.

[58] Verhandeling over de Nederlansche dichtkunst in Belgie, parmi les Mémoires couronnés par l'Académie, t. XIV.

[59] Hadrianus Barlandus, Historia nunc primum in lucem edita. Cologne, 1603.

[60] M. Gachard, Analectes belgiques.

[61] Anecdota bruxellensia, et Wauters, Histoire des environs de Bruxelles.

[62] Azevedo.

[63] Histoire de Bruxelles.

[64] Les poésies d'Anna Byns ont été publiées pour la première fois sous ce titre : Dis is en scoon ende suverlye bœcsken, in houdende met scoone constige Refereinen, vol schrifturen ende doctrinen van diverche materienna utwisen der regelen, als hier in register navolgen, seer wel gemaect van de eersame ende engeniose maecht Anna Biins, st4btilie retorijclie, refuterende in de warachticheijd aile dese dolingen ende grote abusgen cornende wt de vermadelide luterice secte. De welcke niet alleene van allen doctoren ende universitejten, maer ooc van der Keyserlycke Maiestegt rechtverdelyc gecondenineert is. Tantwerpen, Jacob van Liesvelt, M. CCCCC. XXVIII, den IX dach in oostenaent. Ce recueil a été souvent réimprimé. La plupart des pièces qu'il contient constituent une protestation ardente contre les maux provoqués par le fougueux réformateur, l'apostasie, l'impiété, la licence des mœurs, le luxe effréné, la guerre civile. Toute cette véhémence, dit M. Snellaert dans la Biographie nationale, se dégage en un style correct, harmonieux et poétique. Anna Byns reste supérieure aux autres poètes de son temps, par l'expression, la verve, la pureté de la langue, si fortement altérée pourtant depuis la domination de la maison de Bourgogne. Le caractère dominant de ses écrits lui suscita beaucoup d'inimitiés même de la part de ses proches ; elle s'en consola assez facilement, comme on le voit dans le refrain : ls Got met my, wie zal eny schaden ? où elle dit entre autres :

Vervolghen my myn naeste, tzyn doude gewenten,

Ten is van gisteren niet of van heden ;

Want van mynder ieucht zy noyt anders en deden

Danse altyt quaet van my hebben gesprochen.

C'était sans doute à cause de ces tracasseries qu'elle avait pris pour devise les mots : eneer suers dan sœts, plus d'amertume que de douceur. — Quand Anna Byns, dit encore M. Snellaert, n'est pas animée de ce sentiment vengeur, elle devient douce, aimante et rêveuse ; pour s'en convaincre, il suffit de lire le recueil intitulé : le Rossignol spirituel, ouvrage formé de cinquante poèmes extraits de ses œuvres complètes. Ce recueil fut probablement publié pour la première fois dans la seconde moitié du XVIe siècle, quoiqu'on n'en connaisse qu'une seule édition de date postérieure, et portant pour titre : Den gheestelycken Nachtegael, oft diversche Refereynen van de welvermaerde maghet Anna Byns, eertyts van haer wtghegheven tot profyt ende stichtinghe van aile menschen nu tot behœft der jonckheydt oversien ende verbetert. T Antwerpen, by Hieronymus Verdussen, in de Cammerstrate, in den Rooden Leeuw, 1623, in-12.

[65] Didier ou Désiré Érasme naquit à Rotterdam en 1467, fit de brillantes études à Deventer, puis à Paris, et fut reçu docteur en théologie à Bologne en 1506. Il enseigna le grec à Oxford et à Cambridge, et refusa 4e diriger le collège de France fondé par François Ier. En 1521, il se fixa à Bâle, auprès de l'imprimeur Froben, son ami. En 1529, il se retira à Fribourg en Brisgau, pour échapper aux persécutions dont le menaçaient les réformateurs, y demeura six ans, et revint mourir à Bâle dans de touchants sentiments de piété. Il a écrit beaucoup ; ses ouvrages sont pleins d'esprit et d'une latinité très pure. Hardi et caustique, il attaqua souvent les moines et des abus qu'il exagérait, mais d'intention, au moins, il resta fidèle au dogme, combattit Luther et conserva l'unité de la foi. La meilleure édition de ses œuvres est celle de Leyde, 1703-1706, 10 vol. in-folio. Sa ville natale lui a érigé une statue.

[66] Jean-Louis Vivès, né en 1492, professa les belles-lettres à Louvain, fut appelé en Angleterre par Henri VIII, qui lui fit une part dans l'éducation de sa fille Marie et le nomma professeur au collège Corpus Christi, à Oxford. Mais ayant osé désapprouver le divorce de ce prince avec Catherine d'Aragon, il fut destitué et mis en prison. Il en sortit au bout de six mois, quitta l'Angleterre et se retira à Bruges, où il se maria et où il mourut en 15/10. Vives a beaucoup écrit. Ses œuvres, publiées à Bale en premier lieu, ont été réimprimées avec luxe, dans sa ville natale, au siècle dernier. C'était un esprit et un caractère admirable. Profondément attaché à la foi catholique qu'il professa et défendit avec courage, il fut en même temps un des plus constants et des plus éclairés propagateurs des saines doctrines et des bonnes méthodes dans l'enseignement. Personne n'a allié, à un degré supérieur ni peut-être aussi élevé, l'esprit de sage conservation et de solide progrès. L'auteur de cette Histoire a écrit sur la vie et les écrits de Vives un mémoire, qui se trouve parmi les publications de l'Académie. Ce modeste travail remonte à plus de quarante ans. L'auteur fut accusé alors, dans un recueil périodique, de professer un enthousiasme un peu juvénile pour l'écrivain espagnol. Il croit que ce reproche n'était pas fondé. Son admiration pour Vives, plus réfléchie peut-être, n'est pas moindre aujourd'hui qu'alors ; et aujourd'hui comme alors, il pense que tout esprit impartial, qui en abordera la lecture, ne tardera pas à partager son avis. — Voici, sur Vives, le jugement d'un des meilleurs penseurs de notre temps, l'Espagnol Balmès. Après avoir cité, au sujet des limites de l'esprit humain, un passage de Vivès (de Concordia et Discordia), d'un des plus grands hommes, dit-il, du XVIe siècle, Balmès continue : Ainsi pensait ce grand homme, qui à une vaste érudition dans les choses sacrées et profanes, avait joint des méditations profondes sur l'intelligence humaine elle-même, cet homme qui suivait d'un œil observateur la marche des sciences, et s'était proposé, comme ses écrits en font foi, de les régénérer. Je regrette de ne pouvoir copier tout au long ses paroles, ainsi que celle de son immortel ouvrage (su obra immortal) sur la décadence des arts et des sciences, et sur la manière de les enseigner. Le Protestantisme comparé au Catholicisme dans ses rapports avec la civilisation européenne, tome Ier, note 8.

[67] Le Père Van Iseghem a écrit la Biographie de Thierry Martens d'Alost, premier imprimeur de la Belgique, Malines, 1852.

[68] Hadrianus Barlandus, Adriaen Van Barlandt, né le 28 octobre 1487, à Barlandt, près de la petite ville de Gœs ou Gousa en Zélande, après avoir pris à vingt-quatre ans le titre de maître ès arts, donna des leçons privées pendant plus de neuf ans dans les principaux collèges de Louvain, sans titre officiel, mais avec un succès marqué. Après avoir inauguré l'enseignement du latin au collège des Trois Langues, il fut appelé à Afflighem pour diriger les études de Charles de Croy, administrateur de cette abbaye. Il revint ensuite à Louvain et occupa la place honorable de professeur d'éloquence, rhetor publicus ; il y mourut vers l'an 1512. Barland contribua beaucoup au mouvement littéraire imprimé à l'université ; il forma d'excellents élèves, et publia des livres d'histoire et de nombreux opuscules consacrés à l'étude de l'art oratoire et de la bonne latinité. Érasme a fait son éloge en ces termes : Vir nullo fuco, sincerus et amicus, prompta quadam ac pura nec inamœna sermonis facilitate prœditus.

[69] Martin Dorp, Dorpius, théologien et humaniste, Hollandais, mort en 1525, esprit singulièrement remarquable. Il enseigna la théologie au collège du Saint-Esprit. Grand partisan de l'hébreu, il s'éleva avec vivacité contre l'enseignement usité de son temps dans les écoles. Parlant de la grammaire, de la philologie, et tout en recommandant le soin de la forme, il recommande bien plus encore celui du fond ; la philologie pour lui est chose sérieuse. Voici comment il s'exprime dans un discours prononcé le 15 octobre 1513 devant toute l'université : neque ego, viri clarissimi, de umbra loquar eloquentiæ, quæ philologia dicitur, garrula, obstrepera, verborum dumtaxat fundidatrix maxima, nulla habens sententiarum fulcimina, nullum rationum pondus, nullos nervos, nullum inventionis ingenium. Les titres seuls de quelques uns de ses écrits disent assez avec quelle étendue et quelle élévation d'esprit Dorpius envisageait les études sacrées.

[70] Pierre Gillis, Ægidius, d'Anvers, fut l'éditeur des lettres latines d'Ange Politien ; c'est à lui que Thomas Morus dédia son Utopie.

[71] Nous ne nous exprimerions pas d'une façon aussi absolue et aussi méprisante au sujet du latin du moyen-âge. Il y a des distinctions à faire. Le latin des grands scolastiques n'est pas le latin classique, sans doute, c'est un autre latin, une transformation, non une corruption. Qui oserait dire de la langue de Saint Thomas et de l'imitation que c'est un latin barbare ? Le latin des scolastiques est admirable de précision et de logique ; il n'a pas peu contribué à donner à la langue française ce qu'elle a de caractéristique sous ce rapport.

[72] Rutgerius Rescius, Rutger Ressen, de Maeseyck, Dryopolitanus, comme il se surnommait lui-même, mort à Louvain, le 2 octobre 1545, professa pendant vingt-cinq ans les lettres grecques. Érasme a fait de lui ce magnifiue éloge : doctior an inveniri potest nescio ; certe diligentiorem et moribus puriorem vix invenias. Après la retraite de Thierri Martens, Rescius se mit à la tête d'une imprimerie bien organisée. Il fournit ses ateliers de types fort élégants,'gravés en Allemagne pour les trois langues hébraïque, grecque et latine. Dans une dédicace remarquable de son édition des Mémoires sur Socrate par Xénophon, premier ouvrage grec qu'il publia dans sa propre imprimerie, il déclare que, dans le vaste champ des auteurs grecs, il s'efforcera d'abord de choisir les meilleurs, ensuite de les imprimer aussi correctement que possible.

[73] Matthieu Adrianus (ou Hadrianus), né en Espagne, avait été élevé dans le judaïsme. Il était chevalier du Christ, et avait pris le grade de docteur en médecine à Heidelberg, quand il vint se fixer en Belgique vers 1516. Il donna longtemps des leçons privées d'hébreu à Louvain, avant de professer la langue sainte au collège des Trois Langues. Érasme, parlant du début de son enseignement dans cette institution, s'en montre très satisfait. Dans une lettre à Budé, du mois d'octobre 1517, il le désignait comme hujus ætatis, omnium judicio, doctissimus. Cet étranger ne conserva pas longtemps sa position au collège ; il quitta Louvain vers le milieu de l'année 1519.

[74] Érasme, Epistolæ, I, 909.

[75] Lettre d'Érasme, datée de Fribourg le 28 mars 1531. Epistolæ, II, 1387.

[76] Le fondateur avait été un mécène généreux pour Érasme. Parlant de la lutte qu'il soutenait contre les ennemis du collège, celui-ci écrivait à un parent de Jérôme Busleyden : Non meum ago negotium, sed impense faveo memoriœ benignissimi patroni, et amici incomparabilis. Faveo publicœ temporum nostrorum felicitati, cui et ipse, pro mea virili, tantum vigiliarum impendi, atque etiamnum impendo. Lettre à Egidius Busleyden, datée de Louvain le 18 octobre 1518. Epistolæ, I, 353.

[77] Mémoire sur le collège des Trois Langues à Louvain, parmi les Mémoires couronnés de l'Académie, 1856, in-4°, page 69.

[78] Mémoire sur le collège des Trois Langues à Louvain, page 290.

[79] Mémoire sur le collège des Trois Langues à Louvain, page 290.

[80] Histoire de la littérature, traduction française, t. I, p. 275.

[81] De Straseele, près de Bailleul.

[82] M. Neve, ouvrage cité, page 337.

[83] Enchiridion radicum, sive dictionum hebraïcarum ex Joanne Reuchlino. Redegimus in enchiridion, dit-il lui-même, primitiva vocabula, sive radices hebraïcarum dictionum. Excerpsimus hæc in rem vestram, ne sine his frustra in hac sacra lingua perdiscenda sudaretis... Nos compendio apud vos utimur, ut cito percipiatis quæ discenda erunt, et percepta fideliter teneatis.

[84] Valère André, un de ses successeurs dans la chaire du collège des Trois Langues lui a consacré cet éloge : Joannes quidem Campensis, qualis quantusque vir fuerit, a scriptis ώς έξ όνύχων λέοντα, licet æstimare ; nam et Venetiis publice docuit, et eruditionis gratia a Leone X, Pont. Max., magno illo ingeniorum æstimatore in urbem evocatus, benigne exceptus est, ac habitus liberaliter.

[85] Lovanii, apud Theodoricum Martinum, anno MDXXVIII, mense Junio.

[86] Psalynorum omnium juxta hebraïcam veritatem paraphrastica interpretatio, auctore Joanne Campensi, publico, cum nasceretur et absolveretur, Lovaniensi hebraïcarum literarum professore, Noriberge, 1532, in-16.

[87] Succinctissima et quantum hebraïca phrasis permittit, ad literam proxime accedens Paraphrasis in concionem Salomonis Ecclesiastæ, Ap. Claudium Chevallonium, Parisiis, 1532.

[88] Cette Tabula in grammaticen hebrœam consistait, dit M. Neve, en tableaux contenant les éléments de l'hébreu, les formes du discours et surtout les paradigmes de la conjugaison. Son but était de faire découvrir le mécanisme de la langue d'un seul coup d'œil et comme dans un miroir.

[89] M. Neve, ouvrage cité, page 314. — Cleynaerts s'étend sur ce résultat de son enseignement de l'hébreu dans une épître placée en tête de l'édition des Dialogues de Saint-Jean Chrysostôme, imprimée par Rescius le18 novembre 1529. On peut lire cette pièce intéressante à la fin de l'ouvrage cité du P. Van Iseghem, p. 341-342.

[90] M. Neve, article Cleynaerts dans la Biographie nationale.

[91] M. Neve, article Cleynaerts dans la Biographie nationale.

[92] M. Neve, Relation d'un voyageur chrétien sur la ville de Fez et ses écoles au XVIe siècle, dans le Messager des sciences historiques, année 1845.

[93] Elles furent écrites pour la plupart à ses amis et à ses anciens maîtres de Belgique, de 1532 à 1542, pendant son séjour en Espagne, en Portugal et en Afrique. Le premier recueil en parut sous ce titre Nicolai Clenardi Peregrinationum ac de rebus machometicis epistolœ elegantissimœ, Lovanii, apud Petrum Phalesium, 1540. Un recueil plus complet fut publié un peu plus tard par les soins du botaniste Charles de l'Écluse, ou Clusius, d'Arras, qui avait copié une nouvelle série de lettres à Grenade et à Salamanque : Nicolai Clenardi Epistolarum libri II, quorum posterior jam primum in lucem prodit, Antverpiæ, ex officina Christ. Plantini, 1566.

[94] En terminant, dit M. Néve à la fin de l'article cité de la Biographie nationale, cette courte notice consacrée à un des philologues distingués du XVIe siècle, nous nous croyons autorisé à répéter la promesse de composer un jour une monographie détaillée sur les études et les leçons, les vues et les voyages du spirituel philologue de Diest, une des illustrations de sa ville natale. Nous formons des vœux pour l'accomplissement prochain de cette promesse. Nul n'est mieux préparé à un pareil travail que le laborieux professeur auquel nous sommes redevables de tant de travaux marqués au coin d'un savoir aussi profond que varié et étendu.

[95] Dans la préface de la Polyglotte, s'adressant aux lecteurs : In primis... duobus Lovaniensis gymnasii luminibus, ac toti rei literariæ addictissimis ingentes habeant gratias.

[96] Meditationes grœcanicæ in artem grammaticam, Louvain, juillet 1531. Cet ouvrage renferme le texte de l'épître de saint Basile à saint Grégoire de Nazianze sur la vie dans la solitude, suivi de l'interprétation de chaque passage et d'une analyse très détaillée des formes grammaticales. On y trouve, selon M. Neve, la méthode rigoureuse que Cleynaerts conseillait de mettre dans l'explication des auteurs anciens. Il n'imposait point de théories, il ne formulait pas de règles abstraites pour les jeunes humanistes, avant que la richesse de la langue leur fût suffisamment connue.

[97] Compendium græcæ grammatices, perspicua brevitate complectens quidquid est octo partium orationis. Le travail d'Amerotius, dit M. Neve, est une œuvre toute pratique, élaborée en vue des besoins de la jeunesse. Il est assez volumineux pour comprendre beaucoup d'exemples, dont le texte grec est toujours accompagné d'une version latine dans la ligne suivante. Il renferme un exposé détaillé des règles qui concernent les formes grammaticales, spécialement les désinences et les contractions, et donne la preuve que l'auteur avait poussé fort loin l'analyse de tous les faits de grammaire. Non seulement Amerotius avait éclairci les irrégularités et les anomalies des formes grecques, à l'aide de tableaux ; mais il avait dressé des paradigmes fort étendus pour présenter d'un coup d'œil le système de la conjugaison. Nous ne balançons pas à affirmer qu'il est peu de livres de grammaire qui l'emportent sur celui d'Amerotius. Il est conçu suivant les procédés de la logique occidentale, et il se distingue ainsi, au point de vue de la méthode et de l'application, des grammaires calquées sur les traités des réfugiés grecs Théodore Gaza et Constantin Lascaris. M. Neve ajoute en note : Les bibliophiles sont tenus de faire honneur à Thierri Martens des difficultés qu'il a vaincues dans son art, en exécutant avec une précision et une netteté surprenante les paradigmes et tableaux très compliqués que renferme la grammaire d'Amerotius. — Ce second professeur de grec au collège des Trois Langues (1545-1566) avait habité tout jeune le collège du Lis, où son application attira l'attention d'Érasme, qui en parle avec éloge. Epistolæ, I, 667.

[98] Syntaxis linguæ græcæ, ea potissimum complectens quæ a latinis dissentiunt ; auctore Joanne Vanennio Mechliniensi. Venundantur Lovanii a Bartholomeo Gravio sub sole aureo. On lit au dernier feuillet : Lovanii, ex officina Rutgeri Rescii anno MDXXXII. Sexto idus augusti. Sumptu ejusdem ac Bartholomei Gravii. — Dans la dédicace l'auteur dit : commisimus ea prælo Rescii nostri, son ami donc et probablement son conseiller. — Varennius mourut septuagénaire à Lierre en 1536.

[99] La première édition remonte à 1514 ; elle fut réimprimée plusieurs fois. Une édition revue parut, en 1551, à Louvain, sous ce titre : Περί προσωδιών, id est, de accentibus Grœcorum libellus, jam denuo recognitus, multisque in lotis restitutus ; ex offic. Barthol. Gravii.

[100] Restauratio linguæ latinæ, per D. Georgium Haluini, Antverpiæ, 1533. M. Polain a retrouvé un exemplaire de cette production extrêmement rare, et l'a décrit dans le Bulletin du bibliophile de Techener, Paris, 1834, n° 8.

[101] Jean Despautère, de Ninove, sorti de la pédagogie du Château (Castrum) maitre-ès-arts à la promotion de l'an 1501, enseigna la rhétorique au collège du Lis, et y mit en pratique de nouveaux procédés qui donnaient à ses ouvrages de grammaire une complète supériorité sur tous les livres alors connus. La première édition de ses Commentarii grammatici est de Paris, 1537, in-folio. Despautère était mort à Comines, en 1520, avant d'en avoir publié la collection complète.

[102] Goclen était né à Mengerichausen en Westphalie ; il fut chanoine de l'église de Notre-Dame à Anvers, sans obligation de résidence. L'autorité de son enseignement le fit recevoir, le 28 février 1524, dans le conseil de l'université, comme représentant de la faculté des arts. A sa mort, le 25 janvier 1539, il eut les honneurs d'une oraison funèbre, que prononça son successeur P. Nannius. Voici quelques traits de son éloge en vers par Alardus d'Amsterdam, humaniste et théologien célèbre.

Conradus jacet hic Goclenius, alter Erasmus

Ingenio, lingua, moribus atque fide.

Hunc lugete virum græcæ charitesque latinæ.

Et decus amissurn, buslidiana domus.

Ille scholarum auxit pomœria lata Lovanî ;

Traxit eo omnigenum millia multa virum.

Érasme écrivait de lui : Conradus Gochlenius, vir acri judicio, doctrina minime triviali, industria indefatigabili, animo excelso, moribus mira comitate ac jucunditate conditis, fide certissima, reruni etiam communium prudentia valens quæ fere solet in studiorum cultoribus desiderari. Epistolæ, I, 667.

[103] Pierre Nanninek naquit en 1500 à Alkmaar, ville maritime du nord de la Hollande. Après avoir fait à Louvain son cours de philosophie, il dirigea un collège dans son lieu natal pendant plusieurs années. Revenu à Louvain vers 1535, il donna d'abord des leçons privées et se fit connaître par ses premières traductions du grec en latin. Jugé à l'unanimité le plus digne de succéder à Goclenius, il prit possession de sa chaire, le 1er février 1539, par un discours sur l'art poétique d'Horace, Son tempérament, naturellement sain et robuste, fut brisé de bonne heure par les fatigues de l'étude ; il succomba à une fièvre opiniàtre le 21 juillet 1557. Cornelius Valerius, qu'il avait désigné pour son successeur, prononça son oraison funèbre.

[104] De Leeuwarden en Frise. Né en 1527, il mourut à Cologne en 1597. Après avoir fait d'excellentes études à l'université, il suppléa Thierri de Langhe, professeur de langue grecque au collège des Trois Langues, et y expliqua Pindare. Il est auteur d'un recueil de discours, orationes quinque de utilitate multiplici linguæ grœece, Basileæ, apud J. Oporinum, 1566.

[105] Joannes Boschius Brabantinus. Il avait donné des preuves de son savoir dans les lettres grecques et latines, mais comme il possédait le grade de licencié en médecine, il fit aussi à Ingolstadt des leçons de médecine et d'histoire naturelle. On a de lui un discours de optimo medico et medieine auctoribus. Il fut recteur en 1561, et mourut, en 1585, après vingt-cinq années de professorat, laissant une grande réputation de savoir et d'éloquence.

[106] Opera, t. V. En dédiant ces hymnes à la fille de Morus, Marguerite Roper, Bâle, décembre 1521, Érasme disait à cette femme lettrée que Jésus serait désormais le véritable Apollon de ses études.

[107] Prudentii inter christianos facundissimi pœtce carmina quœdam selecta. Le texte original de l'épitre citée ici a été traduit par le Père Van Iseghenn, et se trouve dans la Biographie de Thierry Martens, p. 156.

[108] Mémoire cité sur la vie et les écrits de L. Vivès, p. 23, p. 90 et suiv., p. 101 et suivantes.

[109] De ratione studii puerilis. Epistola II.

[110] Ozanam a très bien dit dans ses Documents sur l'histoire littéraire de l'Italie, p. 28 : On a poussé trop loin le contraste, on a trop élargi l'abîme entre le moyen-âge et la renaissance. Il ne fallait pas méconnaître ce qu'il y avait de paganisme littéraire dans ces temps, où l'on attribue à la foi chrétienne l'empire absolu des esprits et des consciences. — Comment oublier ou comment justifier, ajoute avec raison M. Neve, les hardiesses mythologiques des troubadours, le cynisme des trouvères (dans les fabliaux, par exemple), le culte de la nature dans le roman de la Rose ?

[111] M. Neve, Mémoire sur le Collège des Trois Langues, pages 308-312.

[112] J. J. De Smet, Note sur quelques particularités relatives à Corneille Scepperus, vice-chancelier du roi de Danemark, Christian II, dans les Bulletins de l'Académie, t. X, 2e partie, 67-74.

[113] M. Altmeyer a analysé plusieurs ouvrages de Scheppere dans son Histoire des relations commerciales et diplomatiques des Pays-Bas avec le nord de l'Europe.

[114] Village de la Flandre orientale, à mi-chemin entre Gand et Audenarde.

[115] Voir l'épitaphe qu'on lit encore sur sa tombe et qui n'est pas sans importance historique.

[116] L'empereur Maximilien II disait de lui, de Scheppere et de Rym de Gand, qui résidèrent également à Constantinople : Les ambassadeurs flamands sont presque les seuls dont les négociations aient été utiles à l'empire d'Allemagne.

[117] Les deux premières, où Busbecq rend compte de son premier voyage, furent publiées sans sa permission sous ce titre : Itinera Constantinopolitanum et Amasianum, et de re militari contra Turcas instituenda consilium, Anvers, 1582. Les quatre lettres parurent ensemble à Paris en 1589 : Legationis Turcicæ Epistolæ. Elles ont été traduites et souvent réimprimées.

[118] Epistolæ ad Rudolphum II imperatorum e Gallia scriptæ, Louvain, 1630.

[119] Biographie universelle (Michaud).

[120] Entre autres un manuscrit de Dioscorides exécuté par Julienne Anicia, fille d'Anicius Olybrius, qui occupa le trône impérial au VIe siècle.

[121] Par lettres patentes du 30 septembre 1600, entérinées à la chambre des comptes à Lille, le 17 avril 1602, en faveur de Charles d'Ydeghem, chevalier, seigneur de Bousbeke et de Wiese, grand bailli d'Ypres. Cette seigneurie était située dans la châtellenie de Lille.

[122] Né en 1450, mort en 1520. Il avait pratiqué onze ans comme avocat, quand il fut compris par Charles-le-Téméraire dans la composition du personnel du grand conseil de Malines. La mort du fondateur ayant fait suspendre les séances de cette cour, Wieland passa comme conseiller au conseil de sa province, et en devint président en 1488. Son ouvrage capital est le traité, rédigé en flamand, des justices, droits et coutumes des cours féodales de Flandre et des autres cours qui y ressortissent, tractaet van de leenrechten nae de hoven van Vlae deren, mitsgaders de diensten daertœ staende : vergad,ert by meester Philips Wielant, president in de camer van de staede in Vlaenderen ; Anvers, 1547. Ce traité présente un grand intérêt pour la connaissance de l'ancien droit, de la langue flamande, de l'histoire et de la géographie.

[123] Jacques Meyer ou de Meyer naquit en 1401 à Vleter, village près de Bailleul, d'où, selon l'usage du temps, il prit le surnom de Baliolanus. Après s'être rendu habile dans les langues anciennes, il alla faire à Paris ses cours de philosophie et de théologie. De retour en Flandre, il embrassa l'état ecclésiastique et ouvrit à Ypres une école qui acquit bientôt une grande célébrité. On l'engagea à transporter son école à Bruges, et pour l'y déterminer on lui donna une chapellenie de l'église de Saint-Donatien. Malgré les succès qu'il continuait à obtenir dans t'enseignement, il y renonça pour occuper la cure de Blankenberg, où il mourut au mois de février 1552. Sa chronique, continuée par son neveu, a été publiée à Anvers en 1561 sous le titre de Cominentarii ou annales renon llandrieuruen. Meyer s'était arrêté à l'an 1278 ; son neveu étendit l'œuvre jusqu'en 1476. C'est un ouvrage très important et vraiment capital pour l'histoire de la Flandre ; l'auteur n'épargna ni recherches, ni voyages pour le perfectionner. La première édition, qui parut à Nuremberg en 1534, portait un permis d'imprimer de l'empereur avec cette restriction, qu'il est bon de se rappeler : Pourvu toutefois que le suppliant, en faisant taire ladite impression, ensuivra les corrections et changemens faicts audit livre par lesdits de notre conseil en Flandres, et qu'il obmettra l'insertion des privilèges d'aucunes villes et communautés particulières dont audit volume est faicte mention, à peine de perdre l'effect des actes.

[124] Jurisconsulte et juge à Rhodes, vers l'an 1530. On lui doit Epistola de expugnatione Rhodi, et Belli Rhodii historice libri III.

[125] Président du conseil provincial de Frise, né vers 1484, mort à Leeuwarden à la fin de l'année 1527. Les statuten van Vriesland, écrits de sa main, sont déposés, encore en manuscrit, à la cour de Frise. Bertolf avait écrit, aussi en flamand, in populari lingua belgica, un traité de pratique judiciaire, mis à la portée du peuple, qui fut fort estimé de son temps, et qui faisait encore autorité en 1542, époque où l'empereur le recommandait officiellement.

[126] Marc Van Vaernewyck naquit à Gand, vers 1500, d'une des familles les plus anciennes et les plus considérées de la ville. Après avoir étudié à fond les matières théologiques, il se donna tout entier aux travaux historiques. Non content de posséder tout ce que les livres ou autres documents déjà publiés pouvaient lui fournir, il n'épargna ni peines ni dépenses pour ajouter à ses connaissances. Ses contemporains l'estimaient grandement, et son Histone van Belgis, qui parut pour la première fois du vivant de l'auteur en 1565, compta au moins cinq réimpressions au XVIe et au XVIIe siècle. Le titre en est long, mais curieux : Die Historie van Belgis, die men anders namen mach, den spiegel der Nederlandscher Outlheydt, waer inne men sien mach, als in eenen claeren spieget, veel wonclerlyeke geschiedenissen, die tan aile ouden tyden, over al die wereldt geschieolt syn : maer besondee in die Neolerlanden, als syn Vlaenderen, Brabandt, Hollandt, Zeelandi. Vrieslandt, Gelre, Gulick, Cleve, Westphalen, Hennegouwe, Artoys eue diergelycke. Oock van Ingheland, Schotlandt, Vrancrycke, Duytschlandt, ende andere Landen, ende Natien, daer 't te passe commen sal, seer lustich, vremdt, ende wonderlyek om lesen, om de ongehoorder ondtheydi ville, by geen Historiographen, ofte Chronickeurs in liehte gebrœht. L'ouvrage est dédié à Servaes Vaes, abbé d'Éverbode, et se termine par ces deux vers naïfs :

Desen Bœck bedancht met reverentie

Den discreten Leser van syn patientie.

Quant à la valeur au moins relative de l'ouvrage, dit M. Parisot dans la seconde édition de la Biographie universelle (Michaud), il est clair, par le nombre même des éditions, tant en ces derniers temps qu'au XVIIe siècle, que les compatriotes de Vaernewyck en ont porté un jugement favorable, et peut-être ne faut-il pas accepter sans appel te jugement de Paquot, qui, dans ses Mémoires littéraires, ne veut y voir, pour le fond et pour la forme, qu'un vrai fatras. Nous devons reconnaître, il est vrai, que comme écrivain, soit pour l'ordre, soit pour sa diction, Vaernewyck laisse à désirer. Mais sa simplicité, que Paquot appelle le style dont une vieille de village entretient ses voisines, est un gage de sa parfaite sincérité, même quand il raconte des fables absurdes, qui, certes, valent en tant que légendes ou qu'opinions ; et l'on trouve chez lui quantité de faits, les uns qu'on rechercherait en vain ailleurs, les autres qui corroborent ce qui semblait douteux ne venant que d'une autorité.

[127] Réimprimé à Bruges en 1850.

[128] Frère de Mathieu, qui professa le droit à Iéna et à Wittemberg. Jacques avait été, pendant vingt-cinq ans, pensionnaire de sa ville natale, lorsqu'il la quitta par suite de son attachement à la réforme, et se retira, en 1567, à Dillenbourg, où il publia, en français et en flamand, sa Description de l'estat, succès et occurences advenues aux Pays-Bas au faict de la religion.

[129] Publiés par la Commission royale d'histoire dans le Recueil des voyages de nos souverains, édité par M. Gachard.

[130] M. Henne fait précéder l'énumération de nos savants théologiens de cette phrase : La théologie, cette science respectable par son objet, mais stationnaire de sa nature, fut étudiée alors avec une ardeur que réveillaient les luttes de la réforme. Nous en demandons pardon à l'auteur, la théologie n'est pas une science stationnaire de sa nature. La vérité révélée sur laquelle elle exerce son activité est un fonds inépuisable de lumière et de doctrine, et cette activité est un moyen de progrès et de très grand progrès, comme l'a si bien montré un de nos grands maîtres catholiques, Vincent de Lérins. La nature aussi, en elle-même, est immuable : cela empêche-t-il le progrès des sciences naturelles, et n'est-ce pas là surtout que le progrès est sensible et continuel ? La théologie, du reste, offre un immense champ aux recherches des savants dans ses rapports avec la société, avec les mœurs, avec le droit, avec les arts, avec tous les aspects de la vie humaine et sociale. La théologie morale, le droit canonique, l'histoire ecclésiastique, l'archéologie sacrée sont des branches importantes de la science, et tiennent une place considérable dans son histoire et dans la biographie des savants.

[131] Il avait bâti une vaste maison à Utrecht, dans le même dessein, parait-il. Il avait, du reste, conservé beaucoup d'attachement pour sa ville natale, et il écrivait en 1517 : Etiamsi summus pontifex essem. domum ædificare vellem, et in Trajecto residere. Il y a dans ces paroles une sorte de pressentiment, qu'on ne peut s'empêcher de remarquer.

[132] Vondel a fait allusion à cette modeste épitaphe dans les vers suivants :

Daar hij (Adriaan), door 't noodloth krijgt het hoogste ampt op aarde ;

Des Paus driedubble kroon van heil, van magt en waarde ;

Sij deugt, godvrugtigheid en ootmœd was soo groot

Dat hem niet meerder als dit groot bestier verdroot.

[133] On lit sur le marbre cette inscription : Hadrianus VI. pont. max. ex Trajecto inter. Germaniæ urbe qui dum rerum human. maxime aversatur splendorem ultro a procerib. ob incomparabilem sacrar. scientiam ac prope divinam castissimi animi moderationem Carole V. Ces. aug. præceptor eccle. Dertunensi antistes sacri senatus patribus collega Hispaniar. regnis præses Reipub. deniq. christ. divinitus pontifex absens adscitus vix. ann. LXIIII. men. VI. dies XIII decessit XVIII kl. octobris anno a partu virg. MDXXIII. pontif. sui anno VI. Wilhelmus Enckenvoirt illius benignitate et auspiciis ss. Jo. et Pauli presb. card dertusensis faciundum cur.

[134] Il y a plusieurs variantes de cette exclamation, qui n'est peut-être qu'un de ces mots prêtés à plaisir à de grands personnages : Proh ! idola barbarorum ! ou bien Idola gentium, ou encore Idola antiquorum.

[135] M. Neve, Mémoire sur le Collège des Trois Langues, pages 74-75.

[136] Mgr de Ram, Disquisitio historica de iis quæ contra Lutherum Lovanienses theologi egerunt anno MDXIX, dans les Mémoires de l'Académie, tome XVI.

[137] Voici cette épitaphe placée sur sa tombe derrière le maître-autel de la collégiale de Saint-Pierre : Venerabilis vir D. et M. Jacobus Latomus, hujus ecclesiœ S. Petri canonicus, Artium et S. Theol. Professor clarissimus, qui heereses contra catholicam fidem suo tempore grassantes doctrinâ et libris editis profligavit. Vir sanè multœ eruditionis, pietatis ac modestiœ, hic sepultus est.

[138] J'aime à citer ces lignes où Latomus, calomnié à cet égard, montre si bien qu'il sait parfaitement distinguer entre les lettres, qu'il estime, et l'abus que trop de gens en faisaient à cette époque. Dans le prologue de son livre de Primatu romani pontificis adversus Lutherum, Latomus s'adresse en ces termes à un de ses élèves : Me traducunt quasi linguarum et bonarum artium hostem, hoc pacto apud liberaliter eruditos mihi moventes invidiam. Tu mihi testis es, et omnes qui me penitus noverunt, quantum melioribus studiis faveam, quantoque conatu semper separaverim causam Lutheri et Lutheranorum a causa linguarum et bonarum artium : sunt enim lingua, bonæ literæ et eloquentia res bonis et matis, catholicis et hœreticis communes.

[139] Érasme le nomme virum eruditionis minime aspernandæ, trium linguarum peritia clarum, et musis amœnioribus devotum. Operum tom. III, pars Ia, p. 67.

[140] L'inscription suivante se lisait autrefois dans la bibliothèque du collège ; elle résume la vie de cet homme célèbre : Bibliotheca D. Ruardi Tapperi ab Euchusia, artium magistri, sacrai theologia professoris celeberrimi, ecclesiœ collegiatœ D. Petri annos plus minus XXIV decani, necnon et hujus academiae florentissime cancellarii quondam dignissimi. Qui ut in vivis viva voce, et incomparabili eruditione, theologice studiosos annos XXXIX instruxit, ita mortuus iisdem, hac instructissima bibliotheca relicta, etiamnum prodesse voluit. — Vir sane immortali perpetuaque memoria dignus, non de theologia dumtaxat, sed et de republica christiana meritus optime. Vixit ale non suis commodis, sed ecclesim Christi : cujus nomine continuis se laboribus confecit, malorum odiis multisque periculis exposuit, seipsum denique curis et molestiis exhausit. Latere siquidem non potuit, quantumcumque dignitates refugerit. — Hujus operam atque industriam sæpe Carolus V imperator, sæpe Hispaniarum rex Philippus, nonnumquam pontifex ipse requisivit. Huic repurgandœ ab heresibus patrice provincia demandata. In hac quam strentie se gesserit, quamque ei cordi res illa fuerit, testari possunt ecclesiœ proceres ; testabuntur, dum steterit christiana religio, Expositiones articulorum lovaniensium, ut magma cum labore, ita cum singulari lande et omnium expectatione in lucem editœ. — Hic edicto reginœ Mariœ, harum regionum moderatricis, Lovanio ad Tridentinum accitus, e Belgio facile primum locum obtinens, concilium non modo plurimum exornavit, sed et strenue promovit. hi quo quantum fidei catholicœ atque orthodoxe ardorem declararit, noverunt qui ei adstipulati sunt, sanctissimi doctissimique patres. — Tandem œtatis, pietatis ac sapientiœ fastigium adeptus, vere Christo sponsœque ejus Ecclesiœ est immortuus, Nam gravissimorum, quibus Hispaniarum rex distinebatur, negotiorum causa Bruxellam Lovanio evocatus, frustratis omnium bonorum suspiriis, vitae ac molestiis tinem imponens. misso facto Hispan. rege, lubens in supremi Dei regis œterni senatum subvectus est, anno 159 martii die II, ætatis vero suæ anno LXXI, pauperibus omnium bonorum suorum bœredibus institutis.

[141] Ils ont été réunis et publiés à Cologne typis Birckmannicis 1582, fol.

[142] Mgr de Ram, qui en cite quelque chose, ne peut s'empêcher de s'écrier : Quis est tam ferreus, ut æquo animo audiat hœc in Ruardum Tapperum, doctrines et moribus spectatissimum, prolata ?

[143] Rien de plus intéressant que la candeur avec laquelle Driedo s'explique lui-même à ce sujet : Omnem laborem meum, omne studium, omnem operam atque diligentiam non eo conferebam quo debebam, ut aliis prodessem et christianis moribus assuescerem, proficeremque de die in diem in charitate domini nostri Jesu. Et ideo arefactum erat cor meum... Putabam me consummatum esse theologum, et in sacris literis nihil mihi deesse, dum hisce in rebus, quœ varie vel in ntramque partem disputari possunt, de habitibus, de virtutum morahum connexione ac distinctionibus, de animorum potentiis et id genus aliis, qua per ingenium in philosophicis rebus eruditum probabiliter defendi possunt, videbar sufficere mihi. Pulabam cursus in studiis meis nihil esse periculi, si non gloriam vanam, si non favorem humanum, si denique non temporale lucrum aut commodum constituerem mihi sudoris mei Ruffen ; videbarque mihi attigisse scopum, si res ipsas intellig.erem ad fruendum earumdem rerum veritatibus, quibus nihil mihi jucundius, nihil gratins videhatur. Super quibus dum observantissimus meus in theologicis studiis prteceptor Adrianus, qui me in (ilium eruditionis susceperat, et præsidens mihi pileum magisterii in theologia imposuit anno a nativitate Domini 1512, die 17 mensis augusti, (qui et usque in tempus ferme illud Lovanii resederat, totius academiœ lumen et decus, postea illius nominis pontifex sextus), me interdum admonuisset, ut hisce in rebus ne quiet nimis, paululum retraxi animuin, nimis tum in rebus philosophicis studiosum, non quod ignoraverim philosophiam utcunque decere talem œtatem juvenilem, que liberalium artium studiis occupata, interim non solummodo a carnis illecebris sese ablactat atque avellit, verum et instrumenta quœtlam proticiendi in sacratissima theologia sibi prœparat, sed quod intellexerim tales esse artes, quas usque ad tempus discere oporteat, et ridiculum esse penitus velle immorari illis, quibus uti oportet tamquam sacrœ theologiœ famulis atque ancillis. Prologue du livre de Captivitate et Redemptione generis humani. — Érasme a écrit quelque part qu'il avait toujours eu une sympathie spéciale pour Jean Driedo, parce que, dans la dispute, ce docteur se montrait savant et sans passions, Opp. t. III, page 537. Mais il faut l'écouter lui-même : Non dubito futuros qui meam diligentiam et laborem sint cavillaturi. Veniam obsecro, si quem ignorans offenderim ; sciens neminem taxavi, neminem designavi nominatim, nisi sit quem oportet innotuisse cœterip, ut evitetur sermo illius, qui veluti cancer serpit, cui et ex animo cupio saniorem mentem, non desperans interim de reversione illius in rectam fidem. adjuvans ilium (Lutherum) orationibus, si tamen dignus sim orare, et orans exaudiri.

[144] Sa tombe, creusée devant l'autel du très saint sacrement, était surmontée de cette épitaphe : Venerabilis vir D. Joannes Driedo, a Turnhout, dum vixit, hujus eccleshe pastor, D. Petri Lovaniensis canonicus, artium et s. theologiœ professor eeleberrimus, qui hœreses contra cathol. fidem ingrassantes multis doctissimis libris a se scriptis et editis profligavit. Vir sane multijugæ eruditionis et pietatis, humanitatis ac modestiœ singularis, obiit atque hic sepultus est, ann. a nativitate Domini MDXXXV IV menais augusti. Orate pro eo.

[145] Ses ouvrages ont été réunis en quatre volumes in-folio, et publiés à Louvain en 1572, après avoir été édités plus tût partiellement. Richard Simon, dans son Histoire critique, s'exprime ainsi au sujet de l'ouvrage de Driedo de Scripturis et Dogmatibus ecclesiasticis libri IV : J'ai été surpris de trouver dans cet ouvrage tant d'érudition et tant de jugement, surtout dans le second livre où l'auteur traite des versions et des différentes explications sur la Bible. Le même critique ajoute : Il semble que les évêques assemblés dans le concile de Trente l'aient suivi dans tout ce qu'ils ont décidé sur l'autorité de la Vulgate.

[146] On lisait cette épitaphe sur sa tombe :

Scilicet eximiis inhiat mors undique rebus,

Quicquid et excelsum est occidit ante diem.

Hoc si quando alias, nunc heu dolor ! experimento

Gymnasium didicit Lovaniense gravi.

Unus erat, solusque adeo venerandus Athensis,

lIand alium posses cui reperire parem.

Divinæ legis, Dii ! qua integritate professor,

Magna theologican primaque fama scholie.

Hoc sine nil quondam secretorum arbitrio agebat

Margaris, Anglorum regibus orta atavis.

[147] Le recueil, publié, comme suite à celui d'Adrien VI, par Thierry Martens, en 1518, est intitulé : Excellentissimi viri, artium itidem el sacrce theologiœ professoris eruditissirni M. Joannis Briardi Athensis, ejusdem academice vice cancellarii quœstiones quodlibeticce, cum aliis nonnullis ejusdem. Il fut réimprimé plusieurs fois, avec le principal ouvrage, dans le cours du même siècle.

[148] Theologos Lovanienses candides et humanos experior, atque in his prœcipue Joannem Athensem, hujus academiœ cancellarium, virum incomparabili doctrina, raraque prœditum humanitate. Epist. ad Cuthbertum Tunstallum, Opera, t. III, p. 288.

[149] Omnibus laudatissimus et tamen nunquam satis laudatus. Epist. ad Martinum Dorpium.

[150] M. Neve, article Briard dans la Biographie nationale.

[151] Après la mort de son adversaire, Érasme composa, pour se venger, l'épitaphe suivante, en forme d'épigramme :

Hic jacet Egmundus, telluris inutile pondus :

Dilexit rabiem, non habeat requiem.

A cette épitaphe satirique les religieux opposèrent la suivante, qui fut inscrite sur le monument de leur confrère :

Hic jacet Egmundus, qui cloctor in arte profundus,

Quem tremit hœreticus, dum promit eximius.

Quid fort sarcasmo ? stylus est consuetus Erasmo.

Viventem timuit : post obitum impetiit.

Maxima viventem devincere palma fuisset.

Ducere cum exanimi prœlia, quale probrum !

M. Reusens, article Barchem de Egmunda, dans la Biographie nationale.

[152] Mgr de Ram, Acta anno 1519 contra Lutherum. Erat Eustachius ordinis Dominicanorum alunmus. Hic inter Belgas primus, vel e primis saltem, stylum in Lutherum strinxit.... Nemo ergo mirabitur si theologus ille dicatur linguas et bonas literas admodum hostilis prosecutus : enimvero crimen capitale habebatur Dominicanorun ordini annumerari et Luthero adversari. — Parlant de d'Egmond, Mgr de Ram dit aussi : Eam culpam (quod linguas et bonas literas odio haberet et ab ornai ingenii cultura esset alienus) à Nicolao Egmundano amovere, non foret plane arduum ; politiores enim literas non oderat, hoc unum timebat cavebatque ne sub specioso bonarum literarum pallio errores aut hereses per Belgiurn spargerentur, prout hac tempestate in aliis lotis factum est. Ibid.

[153] Voici ce que dit de Dorpius Barland, dans sa Chronique des ducs de Brabant : Mire pœtarum omnium fabulas tenebat ; oratorum et historiarum libros omnes excusserat ; dialecticorum argutias callebat ; physices arcana pervestigaverat. In sacris literis nihil tam arduum et difficile de quo non subtiliter et accurate disputaverit. Quam latinus et elegans, planeque romanus illi sermo ! quanta divinorum eruditio ! solebam ego officii causa nunnumquam adire, ac fere porneridianis bonis, nunquam non studentem ac libris immussantem inveni. Sereno cœlo descendebat mecum in pomariuna quod œdibus adjectum habebat ; nec ullus interim, dum ambulatur, nisi de literis et recte instituenda juventute illi sermo erat, non ignaro id œtatis veluti totius relique vite raci fundamenta. Quid de singulari ejus dicam innocentia ? Neminem sciens læsit unquam. Nulli hominum invidit. Nihil, quod non sanctum et honestum esset, appetivit.

[154] Dorpius fut inhumé à l'entrée du cloître de la chartreuse de Lou-vain. Voici l'épitaphe que lui fit Érasme :

Martinus ubi terras reliquit Dorpius,

Suum orba partum flet parens Holandia ;

Theologus ordo luget extinctum decus ;

Tristes Camænæ, candidis cum Gratiis,

Tantum patronum lacrymis desiderant ;

Lovaniensis omnis opplorans schola

Sidus suum requirit. O mors, inquiens.

Crudelis, atrox, sœva, iniqua et invida.

Itane, ante tempus floridam arborera secans.

Tot dotibus, tot spebus orbas omnium

Suspensa vota ? Premite luctus impios :

Non periit ille, vivit, ac dotes suas

Nunc tuto habet, subductus œvo pessimo.

Sors nostra fienda est, gratulandum est Dorpio.

Hæc terra servat mentis hospitium piæ.

Corpusculum, quod ad canorœ buccinæ

Vocem, refundens optima reddet fide.

On attribue à Vivès cette autre épitaphe de Dorpius :

Quicumque properas, viator.

siste ;

exiguam morulam poscimus

tuane magis causa au nostra,

ubi hæc cognoveris,

censeto.

Martinum Dorpium, Batavum,

Mors superum ministra,

mortalibus eripuit,

immortalibus reddidit.

Sic vixit ut terra esset eo indigna ;

Sic mortuus est

ut cœlum videretur ilium terris invidere.

Animam tulit Deus,

carnem morbus,

ossa nobis ad solatium relicta.

Amicis talem mortem precamur,

inimicis talem vitam.

In rem tuam mature nunc propera,

vale et vive.

[155] Ex bilinguibus hic omnes trilingues reddimur... Dorpius hebraicæ factionis dux est. Videbis brevi novum sœculum hic exoriri. Lettre d'Érasme à P. Babirius, 6 mars 1518.

[156] Réflexion de Paquot dans ses notes aux Fasti academici de Valère André, ms. de la Bibliothèque royale. Paquot renvoie au discours d'ouverture de Dorpius et à ses leçons sur saint Paul, Antverpiæ, 1519.

[157] M. Neve, Mémoire cité, pages 113-116.

[158] Oratio Martini Dorpii theologi de laudibus sigillatim cujusque disciplinarum ac amœnissimi Lovanii Academiœque Lovaniensis, dicta kalendis octobribus, anno M. CCCCC. XIII. in frequentissimo totius Academiæ conventu, quum post æstivas studiorum ferias docendi auctiendique officia publice renovanda indicerentur. Ce discours a été imprimé vers la fin de l'an 1513, à Louvain, chez Th. Martens, vol. in-4°, 32 feuilles.

[159] Mémoire cité, ibid.

[160] Voir note 1 à la fin du chapitre

[161] M. Neve, Mémoire cité, pages 117-121.

[162] Ubi conviciis contenditur, nulli certe est inferior Lutherus, dit avec éminemment de raison Mgr de Ram.

[163] Librum quendam fratris Martini Lutheri, doctoris, ut dicitur, universitatis wittembergensis, qui prima furie nabis visus fuit scandalosus et Christi ecclesia noxius. — La censure se termine par cette formule : Acta fuerunt hec Lovanii, Leodiensis diœcesis, in ecclesia collegiata S. Petri Lovaniensis, in loto capitulari inferiori, ibidem, sub anno a nativitate Domini 1519, Indictione vil, mensis novembris die 7, inter nonam et decimam horas ante meridiem, pontificatus ss. in Christo patris ac domine Leonis divina providentia papæ X anno septimo. De mandato dominorum meorum, decani et aliorum magistrorum facultatis sacre theologie universalis studii Lovaniensis, Joannes Van Hoft notarius. — Six mois plus tard, le 15 juin 1520, le pape Léon X proscrivait l'hérésie nouvelle par la célèbre bulle Exurge Domine, judica causam tuam. Sans parler du fond, on ne peut assez admirer la majesté et l'élégance de langage qui règnent dans ce monument. Érasme lui-même, se demande un écrivain récent, Érasme, qui passa longtemps pour avoir hérité de tous les trésors de la parole latine, a-t-il jamais jeté dans ses écrits autant de richesses et d'harmonie, cadencé aussi musicalement sa période et reflété l'antiquité avec autant de charme que le cardinal Ascolti dans cette bulle contre Luther ? — La censure des théologiens de Louvain fut publiée avec une lettre d'encouragement d'Adrien VI, alors cardinal et évêque de Tortose, ainsi que la condamnation des mêmes doctrines par la faculté théologique de Cologne, sous ce titre : Epistota Ren. Dm. card. Dertusen. ad facultatem theologiæ Lovaniensem. Ejusdem facultatis candemnatio, qua condemnatter doctrina Martini Lutheri, doctoris theologiæ universitatis Witterbergh. Condemnatio facultatis theologie Coloniens. adversus ejusdem Martini doctrinam. Excusum Lovanii apud Theodorium Martinum Alostensem. An. MDXX. Mensis februarii. In-4°.

[164] Responsio Martini Lutheri ad articulas quos magistri nostri Lovanienses et Colonienses, ex resolutionibus et propositionibus de indulgentiis et assertionibus earum excerpserunt, ac veluti hæreticos damnaverunt. Wittenbergæ, et ensuite Selestadii, anno 1520 in-4°.

[165] Si l'on trouvait étrange cette qualification, je m'appuierais de quelques lignes d'un écrivain de notre temps, remarquable surtout par la rectitude du jugement et l'esprit d'observation. Je demande à qui mieux qu'à Luther peuvent s'appliquer ces considérations de Balmès sur le fanatisme ? Il y a dans l'histoire de l'esprit humain un fait universel et constant : c'est son inclination prononcée à imaginer des systèmes dans lesquels la réalité des choses est complètement mise de côté.. Sous l'empire du système, esprit y moule tous les faits ; il y ajuste toutes les réflexions. Ce qui n'était d'abord qu'une pensée dévoyée devient un germe d'où naissent de vastes corps de doctrines. Et si cette pensée a pris naissance dans une tête ardente qui reçoive l'impulsion d'un cœur plein de feu, la chaleur provoque la fermentation, la fermentation enfante le fanatisme, propagateur de tous les délires. Le danger s'accroit singulièrement quand le nouveau système porte sur des matières religieuses, ou y tient par des rapports immédiats. Les extravagances d'un esprit abusé se transforment alors en inspirations du ciel, la fièvre du délire en flamme divine, la manie de se singulariser en vocation extraordinaire. L'orgueil ne pouvant souffrir d'opposition, s'emporte contre tout ce qu'il trouve établi ; il insulte l'autorité, il attaque toutes les institutions, il méprise les personnes, il couvre la plus grossière violence du manteau du zèle et l'ambition du nom d'apostolat. Dupe de lui-même plutôt qu'imposteur, le misérable maniaque en vient quelquefois jusqu'à se persuader profondément que ses doctrines sont vraies et qu'il a entendu la parole du ciel. Le Protestantisme comparé au Catholicisme, t. I, c. VII.

[166] Histoire des variations, l. VI, n° 36.

[167] Eo tempore quo hast agebantur contra Lutherum, in gynmasio liliensi surnma cum laude (docebat) Petrus Curtius. Facundia omnibus præstare videbatur ; in publicis concionibus, quas in ecclesia D. Petri latine et vernacule per alternas vices habere solebat, id agebat, ut omnes intelligerent quam gracia damna religioni et patrie pararent novæ istæ opiniones ex Gerrnania ad Belgii nostri oras allatæ. — Mgr de Ram, ubi supra.

[168] M. Reusens, Biographie nationale. — M. De Leyn a écrit une Esquisse biographique de Curtius.

[169] Cardinal Pitra, Études sur la collection des Actes des Saints.

[170] On lisait sur ce monument détruit par la Révolution l'inscription suivante :

D. O. M

R. D. Ludovico Blosio linjus monasterii abbati XXXIV,

nobili Bleœnsium sanguine, religiosa vita. asceticis libris.

monasticœ disciplinœ restauratione domi forisque clarissimo.

Cum annis a morte LXV sub vicino sepulchri sui lapine

jacuisset, Antonius abbas XXXVII monachique lætienses

dulcissimo patri suo, translatis huc venerandis ejus ossibus

ac honorificentius reconditis, piæ gratitudinis et venerationis

ergo æternœ posterorum memoriaa hoc monumentum anno

salutis M. DC. XXXI. posuerunt. Rexit annis XXXV, vixit LIX.

[171] L'un des principaux écrits ascétiques du vénérable abbé est intitulé : Speculum monachorum a Dacryano, ordinis S. Benedicti abbate, conscriptum. Ce traité, dans lequel l'auteur se cache sous le pseudonyme de Dacrynnus du grec δακρύων (pleurant), fut publié à Louvain, en 1538, chez l'imprimeur Barthélemi Gravius. Il a été traduit plusieurs fois en français, notamment par l'abbé F. de la Mennais, sous ce titre Le Guide spirituel, ou le miroir des âmes religieuses.

[172] On trouve dans l'Hagiographie nationale de Mgr de Ram, tome Ier, pages 93-99, une notice des écrits du vénérable Louis de Blois. — Sous le portrait du vénérable abbé dans Foppens, on lit ces beaux vers :

Galba Bernardo, Francisco Roma triumphat,

Baetica non unurn tollit in astra virum.

Relligionis opes magno non invidet orbi

Quas habet in Blosio Lætia læta suo.

[173] M. Reusens, Biographie nationale, article Blois (Louis de).

[174] La grande anatomie de Vésale, De corporis humani fabrica libri VII, sortit des presses de Jean Oporino de Bâle, pour la première fois, en 1543. Une seconde édition, augmentée et corrigée par l'auteur, parut aussi à Bâle en 1555. L'ouvrage fut plusieurs fois réimprimé depuis, à Venise en 1604, à Lyon en 1652, et ailleurs. De toutes les éditions des ouvrages de Vésale la plus exacte et la plus complète est celle qui a été donnée à Leyde, en 1725, par Herman Boerhaave et Herman Sigefred Albinus ; là se trouvent rassemblés tous les ouvrages de l'auteur, en deux volumes in-folio avec figures.

[175] Studio ac religione ductus, dit Foppens.

[176] Portal, Histoire de l'anatomie, cité par Hallam, Histoire de la littérature de l'Europe pendant les XVe, XVIe et XVIIe siècles, trad. de l'anglais par A. Borghers, tome I, page 466.

[177] M. Burgrave a publié des Études sur la vie et les écrits de Vésale. Voir Reiffenberg, article Vésale dans la Biographie universelle (Michaud), 2e édition.

[178] Van Vlierden appartenait à une famille patricienne de cette ville. Il a publié, chez Froben à Bâle, en 1544, une épître (epistola), où il traite le sujet intéressant medicum non corpori solum, verum etiam animœ suppetias dare. On a aussi de lui des conclusiones medicas Bononiæ disputatas, et anno 1543 excusas.

[179] On a de lui une lettre écrite à Matthioli (Epistolarum medicinalium lib. III), où il l'entretient de quelques plantes, de plantis quibusdam, qu'il avait envoyées de Constantinople à ce médecin célèbre.

[180] Multa scripsit, dit Foppens, in quibus eruditionis firmitas, judicii acrimonia, ingenii felicitas elucet. Parmi ces écrits, on remarque des commentaires sur les trois livres de Galien de temperamentis, sur les aphorismes d'Hippocrate, sur Celse, etc. On a aussi de lui un ouvrage posthume, intitulé : Methodus brevissima absolutissimaque medicinœ universœ ; Leyde, 1592.

[181] Jacques Bogaert, né vers 1440, mourut le 17 juillet 1520. Son père Adam, né à Dordrecht, avait enseigné trente-six ans dans la faculté des arts et dans celle de médecine. Un petit monument consacré à la mémoire de Jacques Bogaert dans l'église de Saint-Pierre, à Louvain, nous apprend qu'il enseigna trente-six ans la médecine comme son père. Ce petit monument est un des plus curieux spécimens de la sculpture belge au commencement du XVIe siècle. Il a, en outre, un intérêt archéologique tout particulier, parce qu'il représente en couleurs Jacques Bogaert, revêtu du costume rectoral de l'époque. Jacques Bogaert laissa un fils qui professa la médecine comme son père et son aïeul, mais qui renonça à sa chaire, après trois ans de profession, pour embrasser la règle de Saint-François. Ce dernier a écrit un travail intitulé : De arthritidis prœservatione et curatione. Biographie nationale, article de M. P. J. Van Beneden.

[182] Ce livre parut à Bâle en 1546 sous ce titre : Paulus Ægineta a Joanne Guintero latine conversus, a Remberto Dodonœo ad græcum textum accurate collatus ac recensitus.

[183] Belgique horticole, t. I, p. 10.

[184] Imprimé à Anvers, en 1548, sous le titre de Cosmographica in astronomiam et geographiam isagoge, et réimprimé plus tard à Anvers et à Leyde avec des additions et des corrections.

[185] Non quod lauqem ac gloriam mihi hinc aliquam postulem, sed ut nostris invertis et studiis aliquo etiam modo stirpium herbarumque cognitio et simplicis (simplicium ?) medicinæ studium promoveatur, dit-il dans une autre publication.

[186] Il était intitulé : Trium priorum de stirpium historia commentariorum imagines. La seconde partie des planches parut quelques années plus tard.

[187] Histoire des plantes, composée en flamand par R. Dodoens, et traduite en français par Charles de l'Escluse. Anvers, 1557, folio.

[188] C'est ainsi qu'il mit successivement au jour a) Historia frumentorum, leguminum, palustrium et aquatilium herbarum, 1565 ; b) Florum coronarierum et odoratarum nonnullarum herbarum historia, 1568 ; c) Purgantium radicum, convolvulorum et deletariarum herbarum torica, 1574 ; d) Historia vitis, vinique et stirpium nonnullarum aliarum, 1580.

[189] Stirpium historiæ pemptades sex, sive libri triginta. Antv., Christoph Plantinus, 1583, fol. Réimprimée en 1606 et en 1614.

[190] Historia rei herbariæ, cité par Hallam, ubi supra, page 343.

[191] Son fils, du même nom, et médecin comme lui, lui fit ériger un monument avec cette épitaphe :

D. O. M.

Remberto Dodonæo Mechliniensi

Maximiliani Il et Rudolphi II imperatorum

medico et consiliario ;

cujus in re astronomica, herbaria, medica

eruditio scriptis inclaruit ;

qui jam senex in academia lugdunensi apud Batavos

publicus medicinæ professor,

feliciter obiit anno M. D. LXXXV, ad VI idus martii,

ætatis suas LXVIII,

Rembertus Dodonœus, filius, M. P.

A propos du feliciter de cette inscription, Paquot fait cette remarque : Nous aurions plus de sujet de croire que sa mort a été heureuse, s'il n'eut point enseigné dans une académie qui veut que tous ses professeurs soient calvinistes, du moins extérieurement. Cette note pourrait faire croire à une apostasie de Dodoens. On n'en a point de preuve et le fait d'avoir enseigné à Leyde ne l'établit pas suffisamment. Quelques années plus tard, Juste-Lipse enseigna aussi à Leyde et l'on n'a pas plus de droit de l'accuser d'apostasie. Tout ce qu'on put exiger d'eux ce fut de ne pas faire profession extérieure du catholicisme.

[192] Comme on le voit, la longue carrière du grand botaniste belge embrasse presque tout le XVIe siècle. Nous avons cru devoir le placer dans cette première période à cause de l'influence qu'il exerça, dès ses débuts, sur les progrès de la science dont il est considéré, à juste titre, comme l'un des premiers maîtres et des plus puissants promoteurs.

[193] Voici son épitaphe, telle que nous la trouvons dans Foppens :

D. O. M. S.

Gerardo Mercatori

Flandro, Rupelmontano,

Juliacensium provincia oriusdo,

Domestico Caroli Imp. Rom.

Guilielmi P. ac Joannis Guilielmi F.

Juliacensium, Clivensium, etc.

Ducum cosmographo,

Mathematicorum sui temporis

Facile principi :

Qui globis artificiosis, radio dimensis,

Cœlum ac terram, interius et exterius,

Qua licuit, demonstravit ;

A varia doctrina laudato ;

Virtute, quod caput est,

Et integritate vitæ,

Et omni morum comitate claro,

Heredes patri B. M. dolentes

Et eruditorum studiosa cohors

Amico pos.

Editus in lucem fuit III. Non. Martii

H. VI. A. M. CCCCC. XII.

Excessit e vivis IV. Non. Decembr.

H. XI. A. M. D. XCIV.

[194] La première de ces cartes fut publiée en 1569, mais le principe même de la méthode ne fut compris qu'en 1599, époque où, selon Hallam, Édouard Wrigth l'expliqua dans sa Correction des erreurs dans la navigation.

[195] Tabulæ geographicœ ad mentem Ptolemaei restitutæ et emendatæ, Cologne, 1578, in-fol.

[196] Mathematicorum sui temporis facile princeps, ac geographorum nostri sæculi coryphæus.

[197] M. Weiss, dans la Biographie universelle (Michaud).

[198] Voici cette remarquable inscription :

Abrahami Ortelii,

Quem urbs urbium Antverpia

edidit,

Rex regum Philippus geographum

habuit,

Monumentum hic vides.

Brevis terra eum capit,

Qui ipse orbem terrarum cepit,

Stilo et tabulis illustravit,

Sed mente contempsit,

Qua cœlum et alta suspexit.

Constans adversum spes aut metus,

Amicitiæ cultor, candore, fide, officiis :

Quietis cultor, sine lite, uxore, prole,

Vitam habuit quale alius votum.

Ut nunc quoque eterna ei quies sit

Votis fave lector.

Obiit IIII. kal. julii, anno M. D. XCIIX.

Vixit ann. LXXI, mens. II. dies IIXX.

Colii ex sorore nepotes B. M. pos.

 

In sarcophago.

Piæ memoriæ sacr.

Abrahamo Ortelio,

Antverpiano,

Geographo regio,

Fratri carissimo,

Anna Ortelia cœlebs

Celibi H. M. F. M. D. XCVIII.

Hæc meta laborum.

[199] Anvers, 1570, in-folio.

[200] M. de Macedo, Notice sur les travaux géographiques d'Ortelius, dans les Annales des voyages, publiées par Malte-Brun, t, II, p.184-192.

[201] Anvers, 1578, in-4°. L'auteur revit cet ouvrage, l'augmenta et en publia une nouvelle édition sous ce titre : Thesaurus geographicus, ibid., 1596, in-fol. Le Thesaurus a été savamment commenté par Lucas Holstenius.

[202] M. de Macedo, ubi supra.

[203] Nous ne partageons pas tout-à-fait l'enthousiasme de M. Henne pour les chefs-d'œuvre de la Renaissance ; nous ne nions cependant pas non plus ce qu'offrent de remarquable et de digne même d'admiration, à certains égards, les œuvres nombreuses que vit naître la Belgique à cette époque. Nous aurons plus loin l'occasion de nous expliquer à ce sujet.

[204] Frère de Marguerite, mort à Bruxelles deux jours après sa naissance. Voir notre Histoire, tome VII, page 806. — A Adrien Nonnon, résidant à Dynant, maistre des pierres de marbres estant lez Dynant, la somme de trente-trois livres six sols huit deniers, pour le tiers de cent livres, à quoy madame a fait convenir et appointer avecq Iuy par maistre Loys de Bodegem, maistre masson, résidant à Bruxelles, pour une belle sépulture de marbre noir, qu'il doit faire et poser aunleur de l'esglise de Cauberghe audit Bruxelles, au lieu et place où François monseigneur, frère de madite dame, est inhumé. Compte de J. de Marnix, 1525.

[205] M. Henne, Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, tome V, pages 66-67.

[206] Ou plutôt de Pierre Appelmann. Voir notre Histoire, VII, 816 ; voir aussi l'article de M. le chevalier L. de Burbure, dans la Biographie nationale.

[207] Voir notre Histoire, VII, 821.

[208] Construit sur les plans de Henri Van Pede, architecte de la ville de Bruxelles. Cet architecte a eu évidemment en vue de reproduire les plus belles parties des hôtels de ville de Louvain et de Bruxelles, mais avec les modifications que le goût du temps avait fait subir à l'architecture. Ainsi la forme générale et le système d'ornementation de l'hôtel de ville de Louvain se retrouvent dans les trois façades de l'hôtel de ville d'Audenarde ; la galerie du rez-de-chaussée et la tour rappellent aussi le portique et la tour de l'hôtel de ville de Bruxelles, mais la tour, selon M. Schayes, n'est qu'une imitation informe et lourde de celle si gracieuse et si svelte de Bruxelles. Histoire de l'architecture en Belgique, II, 280.

[209] Charmante construction, dit M. Schayes, remarquable par l'originalité et la richesse de son ornementation ; type parfait du style ogival parvenu à sa dernière période. Histoire de l'architecture en Belgique, II, 231.

[210] Charles-Quint fit commencer alors, pour cette cour de justice, un vaste palais sur l'emplacement de l'ancienne halle. Ce fut au célèbre architecte malinois Bombant Kelderman qu'il en confia la direction et, si les plans de cet artiste, qui sont encore conservés à Malines, avaient été exécutés en entier, ce monument eût égalé en étendue et en magnificence l'hôtel de ville de Gand, avec lequel il aurait eu une assez grande ressemblance. Mais ce projet ne reçut qu'un commencement d'exécution. On remarque encore quelques débris informes de ce palais à l'angle et au côté latéral gauche de la halle, ainsi que dans la cour de ce vieux bâtiment. Histoire de l'architecture en Belgique, II, p. 299.

[211] Les deux hôtels très remarquables des comtes de Nassau et d'Hoogstraeten existaient encore à la fin du siècle dernier. La nouvelle appropriation donnée au XIXe siècle à l'hôtel d'Hoogstraeten, qui sert aujourd'hui de petit séminaire, en a dénaturé toutes les formes anciennes. Schayes, ouvrage cité, II, 331.

[212] Voir notre Histoire, VII, 817.

[213] Le chœur de l'église de Saint-Léonard, à Léau, appartient au style ogival primaire. Ce que cette partie de l'église présente de vraiment curieux, d'unique dans nos églises de style ogival, dit M Schayes, c'est une galerie semblable à celles que l'on désigne comme un type particulier aux églises romanes ou byzantines des bords du Rhin et de la Meuse. Ici la galerie se compose d'arceaux en ogive trilobée s'appuyant sur des colonnettes cylindriques. Endroit cité, pages 159-161. — Quant au tabernacle mentionné dans le texte, c'est réellement un des chefs-d'œuvre de la Renaissance en Belgique. Ce gracieux monument est en pierre ; il est orné de figurines et de bas-reliefs sculptés avec une rare finesse de ciseau et représentant diverses scènes de l'histoire sainte. C'est peut-être une des productions les plus pures de style que la Belgique ait conservées de cette époque. Splendeurs de l'art en Belgique, page 257.

[214] L'abbaye de Tongerloo était un véritable musée auquel, depuis le XVe siècle, tous les meilleurs artistes flamands avaient fourni des ouvrages. On y voyait des tableaux de nos plus grands peintres et des productions de nos plus célèbres sculpteurs. L'église possédait un tabernacle que les deux savants voyageurs bénédictins ont proclamé la plus belle chose qu'on puisse voir, et qui était à lui seul un entassement de chefs-d'œuvre, c'est à dire une aiguille composée de cinq cents statues de marbre et d'albâtre. Ou y voyait aussi une répétition de la Cène de Léonard de Vinci, peinte sur toile par cet artiste célèbre pour le roi d'Angleterre Henri VIII. Splendeurs de l'art en Belgique, page 300.

[215] Bâtie en 1530. Les bas-reliefs de la charmante façade en brique et en pierre représentent les armes de Charles-Quint et des sujets relatifs à la navigation.

[216] J. Helbig, Histoire de la peinture au pays de Liège, page 125. — Érard de la Marck fit jeter les fondements du palais épiscopal de Liège en 1508 ; la construction ne fut terminée que trente-deux ans après. Charles-Quint fut tellement frappé de sa beauté, assure-t-on, qu'il le considérait comme le plus magnifique palais de la chrétienté entière. On peut avancer, selon M. Schayes, que c'est un des plus beaux monuments civils de style ogival qui existent ou aient existé en Europe.

[217] Né à Bruxelles vers 1470, mort en 1510. Il signait, dit M. Alph. Wauters, Lowyck Van Boghem, évidemment par contraction pour Van Bodeghem, du nom d'un village (Bodeghem ou Beughem St-Martin) voisin de Bruxelles, d'où sa famille était sans doute originaire. M. Baux, architecte du département de l'Ain, dans ses Recherches historiques et archéologiques sur l'église de Brou, Bourg, 1841, a restitué à notre grand artiste l'honneur d'avoir construit ce temple magnifique que d'autres écrivains français attribuaient à Jean Perréal, de Paris. Le voyageur qui a visité Bruges, Anvers, etc., reconnaît sur le champ, dit M. Baux, la parenté de l'église de Brou avec les constructions de style flamand. Les pièces officielles confirment pleinement l'opinion de M. Baux. Si les riches tombeaux de Marguerite d'Autriche et de son époux, le duc Philibert de Savoie, avec les ornements qui les surchargent, sont dus à l'habile ciseau de Conrad Meyt, ce fut Van Bodeghem qui en conçut le dessin. Il s'occupa également des splendides vitraux qui garnissent les vastes fenêtres de la basilique. C'est donc à juste titre qu'on revendique pour Van Bodeghem l'honneur d'avoir élevé ce temple, l'une des merveilles de la France orientale. Biographie nationale.

[218] M. Henne, ouvrage cité, tome V, page 74. — Il est inutile de dire que nous sommes loin de faire nôtre un jugement exprimé d'une façon si acerbe et tout au moins, pour le fond, fort exagéré.

[219] Voir notre Histoire, tome VIII, pages 214-221.

[220] On lit dans le livre IX, chap. XXXIV de l'Historia Lovaniensium de Molanus, Memoria aliquot pictorurn lovaniensium : Quintinus Mesius. primum faber fuit, qui malleo contudit eam molem, qua fons baptismatis ad S. Petrum clauditur, quod artifices fabri admirantur. — Deinde in tantum sub Rogerio (Van der Weyden) in excellentem magistrum profecit, ut ob artificium tandem Antverpiam freqnenter evocatus commigrarit.

[221] Splendeurs de l'art en Belgique, page 277.

[222] M. Moke, Splendeurs de l'art en Belgique, page 280.

[223] Voir note 2 à la fin du chapitre.

[224] Splendeurs de l'art en Belgique.

[225] Voir note 3 à la fin du chapitre.

[226] Parlant du triptyque d'Anvers, M. Moke fait cette remarque : Deux boulines apparaissent dans l'eloignement, assis au bord de la, route de Jérusalem ; l'un mange avec avidité un morceau de pain, l'autre défait son soulier qui le blesse : tous deux appartiennent à la peinture de genre.

[227] Voir note 4 à la fin du chapitre

[228] M. Moke, Splendeurs de l'art en Belgique, page 284.

[229] M. Moke, Splendeurs de l'art en Belgique, page 225.

[230] Son nom de famille était Jean Gossart ; il était né vers 1470.

[231] Malbodius, sive Mabusius, ad Præmonstratenses in summo altari depinxit per tria lustra annunciationem beata Mariæ, quæ anno 1560 (lisez 1568) fulmine cum ecclesia periit. Molanus, Historiæ Lovanieusium lib. IX, c. XXXIV. Molanus parle de Mabuse à propos du peintre louvaniste Henri Van der Heiden, qui avait épousé sa fille : Uxorem habuit, dit-il, filiam Joannis Mabusii, pictoris longe famosissimi.

[232] Annales provinciales de Zélande, volume intitulé : Register perpetueel der stat Rumerswaal, f° 173.

[233] Le Christ chez Simon, de Mabuse, que possède le musée de Bruxelles, est, au jugement de M. Édouard Fétis, un des tableaux les plus précieux que nous ait laissés ce maitre. — Mabuse, dit-il, visita l'Italie, mais il sut, tout en profitant de ses nouvelles études, conserver sa personnalité. Ce qu'on ne se lasse pas d'admirer dans cette composition, c'est l'architecture de la vaste salle où se passe la scène. L'artiste a déployé une incroyable richesse dans la luxueuse ornementation de ces murs et de ces rampes, sur lesquels le ciseau d'un habile sculpteur semble avoir épuisé toute sa science. Les deux volets sont dignes du sujet principal. Celui de gauche représente la Madeleine portée au ciel par des anges ; saint Bernard est en prière sur le devant. On voit sur l'autre volet la résurrection de Lazare. Tout est d'un grand et beau sentiment dans la figure du ressuscité. Les costumes singuliers que portent plusieurs des personnages présents au miracle, sont traités avec une exquise délicatesse. Splendeurs de l'art en Belgique, pages 175-176.

[234] Splendeurs de l'art en Belgique, pages 285-286. — On a un portrait de Mabuse, sous lequel on lit la date de sa mort : Fuit Hanno patria Malbodiensis et anno 1524 Obiit Antwerpiœ 1e octobris 1532, in cathedrali œde sepultus. — On lit dans les comptes des dépenses de Marguerite d'Autriche, année 1523 : A Jehan Gossart, dit de Maubeuge, paintre, la somme de quarante livres du prix de quarante gros, monnoie de Flandres, la livre, pour semblable somme que madame luy a ordonné prendre et avoir d'elle, pour son salaire des peines et labeurs qu'il a eus et prins, pendant l'espace de quinze jours entiers, à avoir peint et racoustées plusieurs riches et exquises pièces de pointure estant en son cabinet de cette ville de Malines.

[235] Voire note 5 en fin du chapitre.

[236] Splendeurs de l'art en Belgique, pages 287-288. — Écoutons aussi M. Édouard Fétis appréciant, dans le même ouvrage, pages 173-174, les œuvres de Van Orley existant à Bruxelles. Bernard Van Orley fut un des premiers peintres flamands qui se rendirent en Italie, animés du désir d'approcher de ces grands maîtres des écoles de Florence et de Rome dont la renommée publiait partout les glorieux efforts. Raphaël le reçut, comme on sait, au nombre de ses élèves et le fit Même, s'il faut eu croire des écrivains du temps, participer à ses travaux. Ce qui prouve l'estime que l'auteur de la Transfiguration accordait aux talents de Van Orley, c'est que, lorsqu'il envoya en Flandre les cartons des tapisseries qui devaient y être faites pour Léon X, il le chargea d'en diriger l'exécution concurremment avec Michel Van Coxie. De retour dans sa patrie, Bernard Van Orley y répandit la connaissance et le goût du style italien. Beaucoup d'artistes allèrent, à son exemple, étudier au delà des Alpes ; mais la plupart imiteront Michel-Ange et Van Orley demeura, en quelque sorte, avec Michel Van Coxie, le seul dépositaire des traditions de l'école romaine. Il y a du Raphaël dans son tableau du Christ mort entouré de la Vierge, de la Madeleine, de saint Jean et d'autres saints personnages (au musée). La disposition générale de la scène, l'expression et les attitudes des personnages, l'arrangement des draperies l'ensemble de l'exécution, toutes les parties de cette œuvre enfin rappellent la première manière de l'élève du Pérugin. On reconnaît seulement le peintre flamand aux compositions accessoires qui complètent le triptyque de Van Orley. Sur les deux volets sont rangés les membres de la famille qui a fait à l'artiste la commande du tableau. On voit à gauche le père et sept jeunes gens sous l'invocation de saint Jean-Baptiste ; à droite, la mère et cinq jeunes filles sous l'invocation de sainte Marguerite. Les têtes des jeunes filles sont d'un charmant caractère et pleines de naïveté. Le sujet principal est peint sur un fond d'or moucheté de noir. — Nous avons moins d'estime pour la Sainte-Famille du même maître, parce que l'imitation de la manière de Raphaël y est servile et que rien ne révèle son origine flamande. — Bruxelles possédait autrefois un assez grand nombre de tableaux de Van Orley. Nommé par Marguerite d'Autriche peintre de la cour aux gages de cinq livres huit sols, l'habile artiste exécuta pour cette princesse plusieurs compositions importantes. Il fit jusqu'a neuf portraits de la tille de Maximilien et peignit également la plupart des personnes de sa cour. Les deux tableaux du musée et un troisième qui se trouve à l'hospice du béguinage sont les seuls ouvrages de Van Orley qui avaient été conserves par sa ville natale Ce dernier a été sauvé comme par miracle d'une perte presque certaine II était depuis longtemps attaché aux murailles du vieil hospice et couvert d'une couche de badigeon sous lequel il avait presque complètement disparu. Le bâtiment où il se trouvait devait être démoli ; on le relégua dans le coin d'une cour, en plein air. L'eau du ciel ayant fait disparaître une partie de l'enduit étendu sur toute la surface du panneau, on vit apparaître l'œuvre du maitre. Le tableau sauvé par cet heureux hasard fut reconnu pour être de Van Orley. L'hospice du béquillage l'a fait restaurer avec soin. Il a pour sujet la Mort de la Vierge. — M. Michiels a élevé des doutes sur l'attribution de ce dernier tableau à Van Orley Voici quelques mots de cet écrivain sur le jugement dernier de l'église Saint-Jacques à Anvers : Ce retable possède encore toute sa fraîcheur primitive. La couleur fine, intense, bien conservée a tout le charme de l'ancienne école. Les nus témoignent d'une grande science anatomique, révèlent un grand talent de dessinateur. M. Michiels ne voit pas, comme M. Moke, un imitateur exclusif de Raphaël dans Van Orley. Il l'imite bien moins, dit-il, que son rival Michel-Ange. C'est la même hyperbole, la même recherche de postures difficiles. — Van Orley mourut à Bruxelles le 6 janvier 1512. La rapidité avec laquelle il travaillait l'avait fait surnommer par ses compatriotes Potlepel, Cuiller à pot.

[237] On a peu de renseignements sur la vie de Joachim Patinier ou Patinir. Né à Dinant vers l'an 1485, il obtint, en 1515, le titre de franc-maitre dans la corporation de Saint-Luc, à Anvers. Albert Dürer, qui le nomme un bon paysagiste, se lia avec lui en Belgique et dessina son portrait. Patenier rn nirut jeune, ce qui explique la rareté de ses ouvrages. Selon Van Mander, ce peintre avait une façon de traiter le paysage fine et délicate ; il pointillait ingénieusement les arbres et savait animer ses campagnes eu y dessinant des figures très bien exécutées. On recherchait ses tableaux non seulement dans le pays, mais ou les transportait au dehors, où ils se vendaient parfaitement. Ce qui lui assigne un rang distingué dans l'histoire de l'art, c'est qu'on le regarde comme le premier qui fit du paysage l'élément principal de ses œuvres. Le tableau de ce peintre. signé de son nom (Opvs. Joachim. D. Patinier), que renferme le musée d'Anvers, ne charme point le regard. La Fuite en Égypte est l'épisode qui sert de motif au paysage. Les dimensions restreintes des personnages leur enlèvent toute importance ; une idole tombe de sa colonne à l'approche de la sainte famille.

[238] Voir note 6 à la fin du chapitre.

[239] Voir note 7 à la fin du chapitre.

[240] Dominique Lampson, né à Bruges l'an 1532. Il était attaché à la maison du cardinal Pole, avec lequel il demeura assez longtemps en Angleterre. Celui-ci étant mort en 1558, Lampson revint en Belgique et se fixa pour le reste de ses jours à Liège. Il était savant, poète latin distingué, grand amateur des beaux-arts et, à la suite de ses relations avec Lambert Lombard, il devint peintre. On voit encore de lui un tableau représentant le Calvaire, dans l'église de Saint-Quentin, à Hasselt. C'est une composition savante, où l'érudition du peintre se fait remarquer des le titre de la croix, écrit en hébreu, en grec et en latin. Il a publié : Lamberti Lombardi apud Eburones pictoris celeberrimi vita ; Bruges, Hub. Goltzius, 1565. On lui doit aussi : Elogia in effigies pictorum celebrium Germaniœ inferioris carmina ; Anvers, 1572.

[241] M. Helbig, ouvrage cité, pages 122-123.

[242] André Mantegna, peintre célèbre, né à Padoue en 1430, mort en 1506. Il eut pour maître le Squarcione, dont il adopta d'abord complètement les principes et la manière. Plus d'une fois il parvint à s'approprier la noblesse et la grandeur de l'art antique ; mais, d'autres fois, ses personnages avaient la raideur immobile des statues qu'il copiait. Jacques Bellini étant venu habiter Padoue, son sentiment chrétien, sa manière plus moderne séduisirent Mantegna. Jean Bellini, dont il devint le beau-frère, acheva de l'entraîner dans les routes du progrès. Le Louvre possède de ce peintre deux toiles, qui montrent les deux formes de son talent ; Dresde en a plusieurs. — Le pape Innocent VIII employa Mantegna aux travaux d'art qu'il faisait exécuter à Rome. La manière dont il comprit son rôle de souverain pontife vis-à-vis des diverses branches de l'art est, dit M. Rio, le plus beau côté de son règne et, en même temps, le plus incompréhensible ; car le paganisme avait successivement envahi presque toutes les avenues qui conduisaient au sanctuaire ; il semblait extrêmement difficile de l'empêcher de pénétrer jusqu'au sanctuaire même. C'est cependant ce que fit Innocent VIII. Ce pape encourageait volontiers les travaux qui avaient pour but de remettre en honneur et en lumière les monuments enfouis du génie grec ou romain ; mais quand il s'agissait de la déco ration des églises, il ne se montrait pas moins orthodoxe que les plus sévères d'entre ses prédécesseurs. Son goût pour les produits du gracieux pinceau de Pinturicchio donna à ce dernier une vogue qui ne se démentit pas pendant toute la durée de ce pontificat... Innocent fit encore un autre choix qui met encore plus hors de doute son orthodoxie esthétique. Pendant qu'il étudiait à l'université de Padoue, il avait vu l'admiration qu'excitaient les ouvrages de Mantegna et il l'avait peut-être partagée. C'était un vieux souvenir ; mais, soit que ses impressions eussent été renouvelées par des voyages postérieurs, soit qu'il voulût imiter ses prédécesseurs et adjoindre, comme eux, à un artiste richement doué du côté de l'inspiration, un autre artiste dont la science profonde pût faire équilibre aux tendances mystiques du premier, il résolut de les faire travailler l'un et l'autre à la décoration du Vatican. Mantegna était alors le peintre le plus savant qu'il y eût en Italie, après Léonard de Vinci. Il était naturaliste à la manière de Victor Pisanello, de Piero della Francesca et de Luca Signorelli ; c'est à dire que son naturalisme n'avait rien de vulgaire ; mais il était plus versé qu'aucun d'eux dans le symbolisme de l'art chrétien et il avait pénétré beaucoup plus avant dans les mystères de l'art antique. Il possédait surtout une intelligence rare des antiquités romaines, et ses fameux triomphes, que tout le monde connaît, prouvent que ses études historiques n'étaient pas superficielles. De l'Art chrétien, tome II, pages 106-108. Les triomphes, dont parle M. Rio, sont une suite de tableaux représentant le Triomphe de César. C'est son chef d'œuvre. On les conserve aujourd'hui avec le plus grand soin au château d'Hamptoncourt, en Angleterre. Mantegna, célèbre aussi pour les perfectionnements qu'il apporta dans l'art de la gravure, les a gravés lui-même en neuf planches in-folio.

[243] De l'Art chrétien, tome II, pages 126-127.

[244] Splendeurs de l'art en Belgique, page 406. — On me pardonnera d'avoir remplacé l'expression de société théocratique dont se sert M. Van Hasselt par celle qu'on lit à la fin de l'alinéa. La théocratie, on l'avouera, n'a rien à faire ici, pas plus pour la pensée que pour la langue.

[245] M. Henne, Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, tome V, pages 81-82.

[246] C'est le membre le plus célèbre d'une famille de peintres, parmi lesquels on compta plusieurs hommes de talent. Van Cleef, dit M. Siret, fut le meilleur coloriste de son époque et mérite, sous ce rapport, d'être comparé aux grands artistes vénitiens ; sa manière distinguée, son dessin ferme et savant l'ont fait aussi parfois comparer à Holbein. Il ne reste que peu d'œuvres de Van Cleef. Une des plus belles, Saint Côme et Saint Damien, se voit à l'église de Notre-Dame à Anvers. A Gand, il y a de lui un Jugement dernier, une Cène et le Rachat des esclaves. Biographie nationale.

[247] Simon Beninc ou Bening était à la fois dessinateur, enlumineur et miniaturiste. Guicciardin, Vasari et Sanderus en font de grands éloges. Simon Bening, dit le dernier, était un miniaturiste et un peintre renommé ; il avait une fille, Liévine, très habile aussi dans ces deux spécialités de l'art. Au nombre des productions de cet artiste est rangée une œuvre capitale, conservée au Musée britannique, à Londres. C'est l'Arbre généalogique de la maison souveraine de Portugal, commencé en 1530, par ordre de l'infant Dom Fernando, et resté inachevé au décès de ce prince, en 1534. La généalogie est établie sur onze feuilles de parchemin in-folio maximo et comprend une série de miniatures, des plus splendides et des plus parfaites qu'ait produites l'art du miniaturiste au XVIe siècle. Ces précieuses miniatures, dont on peut signaler encore les bordures en arabesques et les motifs architecturaux, sont arrivées au Musée britannique sous le nom de Benninc ; leur authenticité et leur attribution paraissent hors de doute. Edm. De Busscher, Biographie nationale.

[248] Peintre d'architecture, de ruines, d'histoire, etc., né à Bruges, très probablement en 1495. Blondeel débuta par être maçon, mais c'était un maçon fort instruit. En effet il était extraordinairement habile à dresser les plans d'architecture ; il les dessinait avec science, avec talent, et c'est en voyant les résultats qu'il obtenait, qu'il eut l'idée de se servir du pinceau. Bientôt le succès l'engagea à s'essayer dans plusieurs genres : à ses vues d'architecture, il joignit l'histoire, le paysage avec ruines, les effets de lumière traduits par des incendies nocturnes ; enfin c'est assurément celui de nos vieux peintres qui aborda le plus de genres différents. Il existe à Bruges quelques œuvres de Lancelot Blondeel qui permettent d'analyser son talent. Ce qui le caractérise c'est un mélange du vieux et naïf style flamand et de celui de la renaissance italienne, mélange qui produit le plus souvent des effets peu agréables ; les figures sont presque toujours maniérées, le ton des chairs est froid, le sentiment manque de profondeur et d'élévation ; d'autre part, les œuvres de Blondeel sont exécutées avec un pinceau fin et soigné ; des détails d'architecture très grandioses les accompagnent ; ils sont hardis de dessin, dorés, mais ils témoignent souvent d'une grande bizarrerie d'invention. L'académie de Bruges possède de Blondeel un Saint Lue peignant la Vierge, entouré de beaux ornements en style de la renaissance. Le même sujet, augmenté du personnage de saint Éloi, se trouve à la cathédrale de Saint- Sauveur. Dans l'église de Saint-Jacques, on voit le Martyre des saints Côme et Damien, tableau d'autel peint en 1523 pour la corporation des chirurgiens-barbiers. Là les ornements d'architecture en or et noir forment la partie importante de l'œuvre divisée en trois volas ou compartiments. Toute la légende des deux saints se déroule en divers épisodes. Berlin possède, dans son musée, deux compositions de Blondeel. L'une a pour sujet le Dernier jugement, tableau d'autel à volets : sur le volet de droite, le ciel symbolisé par un beau jardin oà sont représentées les sept œuvres de miséricorde ; sur le volet de gauche, l'enfer, où sont punis les sept péchés capitaux. Le second tableau de Berlin nous montre la Vierge avec l'enfant, assise sur un trône très richement orné. Vasari vante beaucoup le talent avec lequel Blondeel représentait les incendies pendant la nuit ; mais nous ne pouvons vérifier l'exactitude de cette assertion, car il n'existe plus une seule composition de ce genre. Ad. Siret. Ibidem.

[249] A Gand, dit M. Alfred Michiels, une famille distinguée préservait du flot envahissant de la mode les traditions flamandes. Elle exerçait l'art de peindre depuis les débuts du quinzième siècle. Sur la liste des francs-maîtres figure, dès l'an 1414, un certain Nicaise Hoorenbault, puis se présentent Servais Hoorenbault, admis en 1450, son fils Orner, reçu en 1454, élu juré en 1475, doyen en 1484, Étienne Hoorenbault, Liévin, François et douze autres individus portant le même nom patronymique. Le membre le plus illustre de la famille est Gérard ; le plus ancien renseignement qui le concerne date de l'an 1510. La commune de Gand utilisa son talent et Marguerite d'Autriche le chargea de peindre le portrait du roi de Danemark, Christiern II, puis d'enluminer des livres d'heures. Plus tard, il passa en Angleterre et fut peintre en titre de la cour de Henri VIII.

[250] Né à Anvers, vers 1515. Il fut élève de Lombard, dont il s'appropria la manière et n'abandonna jamais le style. Frans Floris forma lui-même un grand nombre d'élèves. Vasari l'exalte beaucoup. Le musée d'Anvers possède de lui une grande toile, la Chute des anges rebelles. Frans Floris, selon M. Moke, y déploie une science du dessin égale à la hardiesse de sa pensée et s'y fait un jeu de vaincre les difficultés de toute espèce qu'il semble multiplier à plaisir. Un autre caractère distingue plusieurs de ses compositions religieuses : c'est une majesté douce et une simplicité de lignes où l'on reconnait l'influence de l'art antique. Mais autant Floris appartient sous ce rapport à l'école italienne, autant il s'en écarte pour le coloris : là il reprend sa place parmi les peintres flamands et il exagère presque les qualités qui leur sont propres ; ses teintes sont brillantes, ses carnations d'une transparence excessive et ses tableaux si faiblement empâtés que ses couleurs paraissent avoir la légèreté d'un souffle. Il essayait donc de réunir à la noblesse du style italien la magie de couleur de nos vieux maîtres. C'était un but glorieux, mais qui ne pouvait être atteint que par un puissant génie : il réussit du moins à en approcher. Splendeurs de l'art en Belgique, pages 289-290.

[251] Voir notre Histoire, tome VII, pages 848-849.

[252] Citons ici une page intéressante de Guicciardin : En la peinture encore se sont trouvées en ce pays des femmes excellentes, et surtout en œuvres menues et subtiles, presque jusques à surpasser la foi de ceux qui en ont ouï parler : desquelles nous en nommerons seulement trois : la première fut Suzanne, sœur de Lucas Hurembout, excellente ès œuvres menues ; mais surtout fut-elle si parfaite à enluminer qu'Henry, huitième du nom, roy d'Angleterre, l'attira avec grands dons et riche pension en son royaume, où elle a vescu longtemps, et favorie et caressée en court ; et où enfin elle mourut et riche et honorée. La seconde estoit Claire Skeisers, native de Gand, excellente et à peindre et à enluminer, laquelle vesquit jusqu'à l'âge de quatre-vingt ans en virginité perpétuelle. La troisième estoit Anne, fille de maistre Segher, qui estoit médecin fameux, natif de Breda et citoyen d'Anvers : laquelle Anne, ayant vescu vertueusement et dévotement, conservant aussi sa virginité, est décédée naguère. — Albert Dürer, dans son voyage, parle ainsi de Suzanne Hoorenbault, qu'il vit à Anvers : Maître Gérard, l'enlumineur, a une fille âgée de dix-huit ans, qui se nomme Suzanne ; elle a exécuté une petite image du Sauveur, que j'ai payée un florin. C'est une merveille qu'une femme puisse faire aussi bien. Reliquien von Albrecht Dürer, page 133, citation de M. Alfred Michiels.

[253] Splendeurs de l'art en Belgique, pages 51-52.

[254] Belgique monumentale, tome I, pages 260-261.

[255] Notre hésitation était fondée : ces lignes allaient être imprimées, quand nous avons appris que M. Alphonse Wauters a prouvé que cette œuvre magistrale est due à Corneille De Vriendt, plus connu sous le nom de Floris. M. Wauters a publié le contrat passé le 13 août 1550 entre l'artiste et messire Martin de Wilre, seigneur d'Oplinter, pour la construction du magnifique tabernacle. L'acte repose aux archives de Léau. Voir Bulletin de l'Académie, 2e série, tom. XXVI, page 354 et suivantes.

[256] C'est la seule mention, à notre connaissance, que l'on trouve de ce grand artiste ; nous recommandons son nom aux explorateurs de nos archives, car il y a là à combler une lacune vraiment regrettable.

[257] M. Van Hasselt, Splendeurs de l'art en Belgique, pages 260-262.

[258] Splendeurs de l'art en Belgique, pages 133-134.

[259] Belgique monumentale, tome I, pages 237-238. — Le lecteur ne verra pas sans intérêt la description que fait de ce monument M. Van Even, dans son Louvain monumental, page 226 : Les stalles de Sainte-Gertrude, entièrement exécutées en bois de chêne, peuvent passer pour les plus remarquables du pays. Elles se composent de deux boiseries qui s'étalent Le long des murailles du chœur. Chaque boiserie est divisée en quatorze compartiments par des colonnettes cylindriques, surmontées de niches garnies de statuettes. Chaque compartiment est décoré d'un bas-relief représentant une scène de la vie du Sauveur. La série de ces sculptures commence à gauche en entrant dans le chœur et se termine de l'autre côté par la Résurrection. Une naïveté extrême règne dans ces petits tableaux sculptés qui présentent tous le caractère du style de Quentin Metsys... Les niches qui abritent les bas-reliefs sont ornées d'une profusion d'arceaux, de nervures et de festons d'ogives. Au bas se trouve une double rangée de stalles ornées de sculptures. Les accoudoirs en sont garnis de petites statuettes représentant les personnages illustres de l'Ancien Testament, tandis que les miséricordes ou sellettes mobiles portent des bas-reliefs offrant des scènes de la vie de saint Augustin et de sainte Gertrude. Les stalles sont terminées par des niches à jour garnies des statues des Pères de l'Église. Les parties inférieures en sont ornées de grands bas-reliefs, représentant des scènes de la Bible. Sur les extrémités de l'avant-corps et aux deux entrées, au milieu de chaque rangée, se trouvent des sujets en statuettes de la vie de la Sainte Vierge d'une exécution fort remarquable. Les bas-reliefs des hauts dossiers ou lambris, les clochetons, des colonnettes, les figures des accoudoirs et les scènes des sellettes font de ces stalles l'une des œuvres les plus remarquables de la dernière époque de l'art ogival. Elles furent exécutées sous l'abbé Pierre Was, qui obtint la crosse en 1526. Le sculpteur a représenté ce prélat dans le bas-relief figurant la Résurrection. Il est à genoux sur un prie-Dieu, orné de ses armoiries. Derrière lui se trouve saint Pierre, son patron. On ignore le nom de l'auteur des stalles. Peu d'artistes ont possédé au même point le sentiment de l'harmonie. Sou œuvre brille surtout par la justesse de ses proportions et la pureté de son dessin. Les stalles si vantées de l'église de Winchester ne sont pas plus riches, plus fouillées, n'ont pas plus de clochetons et de dentelles, ne révèlent pas plus de talent que celles de Sainte-Gertrude à Louvain.

[260] Nous en parlons plus bas.

[261] A travers l'exposition de l'art ancien au pays de Liège, par Joseph Demarteau, Liège, 1881.

[262] Jacques Du Broeucq, le Vieux, né au commencement du XVIe siècle, mort le 13 septembre 1584. Il avait voyagé en Italie ; il fut nommé, à son retour, architecte et tailleur d'images de Marie de Hongrie. Du Broeucq fut chargé par cette princesse de tracer les plans du palais de Binche et du château de Mariemont, deux édifices qui furent livrés aux flammes, en 1551, par ordre du roi de France Henri II. En 1539, dit M. Van der Meersch, dans la Biographie nationale, il donna à Jean de Hennin, comte de Boussu, le plan du château dudit lieu et présida à l'exécution des travaux. Ces constructions eurent le sort des précédentes, mais leurs ruines donnent une idée de leur ancienne splendeur. Avant ce désastre, ce château, en ce qui concernait ses ornements intérieurs, passait pour le plus riche des Pays-Bas. Orné de statues et de tableaux des grands maîtres, il attirait les jeunes artistes que leurs faibles ressources empêchaient d'aller étudier les monuments de l'Italie. L'architecture, à la fois élégante et sévère, était regardée comme un chef-d'œuvre de goût et de style. Au centre se trouvait une rotonde dite salon d'Apollon ; on admirait dans la galerie du château une statue d'Hercule, en argent massif, de six pieds de haut, due à Chevrier, statuaire d'Orléans. Cette statue, offerte en 1540 par les Parisiens à Charles-Quint lorsqu'il passa par la capitale de France pour se rendre à Gand, fut cédée par ce monarque au comte de Boussu. — On peut considérer, continue le même écrivain, Jacques Du Brœucq comme le restaurateur (?) de la sculpture dans les Pays-Bas ; une grande quantité d'objets remarquables sont dus à son habile ciseau. En 1535, il fut chargé, par le chapitre noble de Sainte-Waudru, de la décoration intérieure de la basilique, travaux qui, dans la suite, servirent de modèles, notamment l'autel en marbre de Saint-Barthélemy, orné de statues et de bas-reliefs, et celui de Sainte-Madeleine, décoré avec le même goût. Le premier de ces deux autels a disparu ; le second, placé dans la quatrième chapelle à gauche du chœur, est composé d'un retable en style de la renaissance, orné des statuettes des quatre évangélistes et d'une statue de la Madeleine, de grandeur naturelle, le tout en marbre. Cette œuvre passe pour un des morceaux les plus achevés de l'artiste. On lui doit encore la décoration en marbre du jubé de la même église. Ce chef-d'œuvre, l'un des plus remarquables que possédait la Belgique, fut détruit, en 1797, après l'invasion française, mais a été reproduit en gravure d'après le dessin original de 1535. La face antérieure était ornée de sept statues et de six grands bas-reliefs en marbre. Les statues représentaient les quatre vertus cardinales et les trois vertus théologales. Quant aux bas-reliefs, c'étaient des scènes de l'Ancien Testament. La face postérieure était ornée de trois statues représentant Jésus-Christ, Moïse, David, et de trois bas-reliefs, la Résurrection, l'Ascension, la Descente du Saint-Esprit sur les apôtres. Tous ouvrages d'une exécution finie et énergique.

[263] Jean Bologne ou de Bologne naquit, en 1524 ou 1529, à Douai, selon Vasari qui l'avait beaucoup connu ; à Gand, d'après Fiorillo. Il fut placé en apprentissage à Mons, chez le maître dont nous venons de parler. Du Broeucq découvrit bientôt les rares facultés de son élève et les développa. A vingt ans, Bologne se dirigea vers la terre classique des arts, où l'attiraient ses aspirations. Arrivé à Rome, il alla droit au plus illustre des artistes vivants, à Michel-Ange, dont il devint le disciple et auprès duquel il travailla pendant deux années. Après cela il n'avait plus rien à apprendre, sa réputation était faite et il alla se fixer à Florence, où les travaux lui arrivèrent de tous côtés ; les princes de l'Europe voulaient à l'envi posséder une de ses œuvres. Il passa aussi quelques années à Bologne, d'où il a pris son nom. Il y construisit une fontaine sur la Piazza Maggiore ou de San Petronio. Ce monument fut commandé à Jean Bologne par saint Charles Borromée, alors légat à Bologne. C'est sans contredit une des plus belles fontaines de l'Italie. Un grand Neptune en bronze, haut de six brasses, domine la composition ; il est admirable, plein de caractère et d'élévation, mais on lui reproche un certain manque de naturel, défaut qui se remarque dans plusieurs œuvres de notre artiste. Cet ouvrage fut achevé en 1563. Rentré à Florence, Bologne fut accueilli par un gentilhomme, ami des arts. Bernardo Vecchietti, qui lui prodigua les encouragements. La reconnaissance de Bologne se traduisit par les dessins magnifiques sur lesquels fut construit le palais Vecchietti, un des monuments de son génie.

[264] Ph. Baert, Mémoires sur les sculpteurs et architectes des Pays-Bas, dans les Bulletins de la Commission royale d'histoire, 1re série, t. XV, page 539. C'est à cette époque de sa vie que se rapporte aussi le beau Mercure ne reposant que sur un pied, et que l'on voit au musée de l'Uffizi, à Florence. Cette statue est très connue, grâce aux nombreuses reproductions qu'on en a faites. Bologne était d'une fécondité extraordinaire. Une innombrable quantité de ses productions ornent encore les diverses cités d'Italie. Sa gloire est une de nos gloires artistiques les plus incontestables. Lui-même du reste demeura fidèle au souvenir de sa patrie. Un souvenir touchant nous reste des sentiments qui l'animaient envers ses compatriotes. A l'église des annonciades de Florence, il acquit une chapelle qu'il dota, la destinant non seulement à sa sépulture, mais encore à celle de tous les artistes flamands qui mourraient en cette ville. C'est là que se trouve son tombeau, sur lequel on lit : Jean Bologna, un Belge, noble nourrisson de la famille princière de Médicis, chevalier de l'ordre du Christ, célèbre pour la sculpture et l'architecture, renommé pour sa vertu, éminent de mœurs et de piété, a élevé cette chapelle à Dieu, dans l'année 1600, comme un lieu de sépulture, tant pour lui que pour tous les Belges qui professent le même art. Notre compatriote avait été anobli par l'empereur ; la maison où il demeurait à Florence lui avait été donnée par son souverain. Il mourut pleuré de tous, laissant une école célèbre et un grand nombre d'élèves distingués.

[265] Jean de Heere ou Dheere, le Vieux, avait reçu le surnom de Jan Mynheere, sobriquet qui n'avait rien de méprisant. Sur la pierre tombale du mausolée de la reine Isabelle, morte au château de Zwynaerde, en 1526, était couchée la statue de la princesse, en marbre blanc. Cette statue avait été exécutée vers 1529 ; Jean Mabuse avait peint l'épitaphe ornementée. Le monument fut détruit par les iconoclastes en 1568. Ce fut pour la célébration du XXXIIIe et dernier chapitre général de l'ordre de la Toison d'or que De Heere conçut et exécuta, dans l'église collégiale de Saint-Jean-Baptiste (depuis Saint-Davon), à Gand, un jubé en bois, à colonnes, avec ornements taillés et des peintures emblématiques, œuvre de son fils Luc De Heere, qui peignit aussi les riches écussons armoriés des chevaliers de l'ordre. Ed. De Busscher, Biographie nationale.

[266] Van Vaernewyck, Spiegel der Nederi. oudtheyt. Citation de M. Henne.

[267] Cette décoration du jubé de Tournai consistait en trois statues et douze bas-reliefs. Ph. Baert, Ibid., p. 49. — Les bas-reliefs existent encore. Ils sont du style florentin le plus pur, dit M. le général Renard dans la Belgique monumentale, II, 59, et méritent de fixer les regards des artistes et des statuaires. — Dans la langue de l'art, les grotesques sont des figures bizarres et chargées, dans lesquelles la nature est outrée et contrefaite.

[268] Né à Anvers vers 1520. Ph. Baert rapporte son épitaphe :

Wie rust hier door de doodt subject ?

'T is Paludanus, beeldsnyder gepresen

In 't leven, ouwt L jaeren perfect,

Slerft den II mert, soo elck mach lesen ;

Godt wil door Christum syn saligheyt wesen.

M. D. LXXIX.

[269] Ce monument fut renversé en 1580. M. Visschers, Iets over Jacob Jorgelinck. Citation de M. Henne.

[270] Histoire de Bruxelles, III, 383.

[271] A Conrad Meyt, tailleur d'ymaiges de madame, la somme da xt livres, de laquelle somme madite dame luy a fait don, tant pour achester ung cheval pour aller au couvent de Brouz lez Bourg en Bresse, où elle l'a nnuères envolé pour aucunes ses affaires que pour fournir aux frais et despens qu'il luy conviendra faire auxdits voyages. Compte de J. de Marnix, de 1524. — A Conrad Meyt, tailleur d'ymayges, la somme de vingt-deux livres, pour avoir faict une ymaige de bois de la représentation de feu monsieur le duc de Savoye, mary de madicte dame, auquel ouvrage il a vacqué ung ang, et aussi faict peindre et colorer ladite ymaige. Ibid., compte de 1526. — A Conrad Meyt, tailleur d'ymayges de madame, la somme de neuf livres, pour une ymayge de bois qu'il a faict et taillé de Notre Seigneur en figure de jardinier. — A luy, la somme de cent livres, pour un tiers d'un de ses gaiges de iijc livres dudit pris, à quoy madame a convenu et accordé avec luy pour iij ans durant, moyennant que durant lesdits iij ans il luy rendra faictes et parfaites certaines sépultures de marbre blanc qu'il a promis de luy faire et poser en son couvent de Brouz lez Bourg en Bresse. Ibid. — A Conrad Meyt, jadis tailleur d'ymayges de feue madame, la somme de cent livres, que, par ordonnance de la majesté de l'empereur et suivant ses lettres patentes datées du xxie jour de mars xvc trente et l'advis de messieurs les exécuteurs du testament, luy a délivré et baillé en faveur et pour le récompenser des services par luy faits à icelle feue dame pendant le temps qu'il a esté et demeuré avec elle en son service et jusques à l'heure de son trépas. Compte de la veuve et des hoirs de J. de Marnix.

Il existe aux archives de la préfecture du Doubs un traité du 23 janvier 1521, conclu avec Conrad Mai, Flamand, et J. Il Mariani, Florentin, mitres sculpteurs, pour l'érection d'un mausolée du prince Philibert, dans l'église des cordeliers de Lons-le-Saulnier, moyennant la somme de 10.000 francs. M. Duvernay, Annotations de Lois Gollut, 1612, note 3.

[272] A Guinot de Beaulgrant, tailleur d'ymayges, demeurant à Malines, la somme de trente livres, sur et à bon compte de la somme de ijc x livres, à quoy madite dame a convenu et appoincté avecq luy pour une sépulture de marbre blanc et noir, qu'il promet faire et poser en l'église de Cauberghes, à Bruxelles, déans la sainct Jehan prochaine venant en ung an, pour feu monsieur François, frère de madicte dame, qui sera une figure couchant de la longueur d'un enfant de xvii mois, ou selon que la pierre le pourra porter, ung coussin soubz la teste et un lyon au pied, et accoustré en linge comme il est au patron, et aux quatre coings de ladite tombe à chacun ung enffant assis de telle longueur que le marbre pourra pourter. — Nouvel à compte de 30 livres. Compte de J. de Marnix, de 1526. — Cet artiste, longtemps oublié en Belgique, dit M. De Busscher dans la Biographie nationale, est l'auteur de trois œuvres capitales. En 1526, il exécuta le mausolée de l'archiduc François d'Autriche, fils de Maximilien 1er et de Marie de Bourgogne. Ce monument a disparu en 1773, lors de la démolition de l'église que remplace le temple actuel de la place royale. En 1530, il fournit toute la partie en marbre noir et blanc de l'admirable cheminée construite à cette époque dans la salle d'assemblée des magistrats du Franc à Bruges. Les deux faisceaux de colonnes, ornées de fleurons et surmontées de riches chapiteaux, qui soutiennent le manteau de l'âtre, sont reliés par une frise à bas-reliefs en albâtre, représentant quatre épisodes de l'histoire de la chaste Suzanne. Les bas-reliefs sont séparés par des colonnettes ; sur les chapiteaux sont placés quatre petits génies. L'artiste y travailla pendant deux ans. Le couronnement sculptural, en bois, de cette cheminée monumentale, dont la réputation est aujourd'hui européenne, est dû à d'autres statuaires belges d'un remarquable talent. Les documents de l'époque les nomment Herman Gloesencamp, Roger De Smet et Adrien Prasch. On en attribue le dessin à Lancelot Blondeel, peintre de Bruges. — Guyot de Beaugrant s'expatria peu de temps après et se rendit en Espagne. En 1533, il entreprit à Bilbao, dans le Guipuscoa, un magnifique retable pour l'église de Saint-Jacques. Le dessin de son projet avait été agréé par le magistrat municipal et le prix stipulé dans une convention conclue entre l'artiste et les mandataires de la cité basque. En 1513, il fut fait quelques changements à ce projet et l'on convint que l'artiste placerait au sommet du retable un groupe représentant la cinquième station de la passion du Rédempteur : Simon le Cyrénéen aidant le Sauveur à porter sa croix. J. A. C. Bermudez, dans son Dictionnaire historique des beaux-arts en Espagne, cite avec éloge ce retable de Bilbao : La sculpture, dit-il, en est traitée avec intelligence, les statues excellentes d'attitudes et parfaitement drapées. Il constate d'un acte de 1551 que Jean de Beaugrant, frère et disciple de Guyot de Beaugrant, reçut au nom de sa belle-sœur, alors veuve, des mains du majordome de l'église paroissiale de Saint-Jacques, à Bilbao, trente mille cinq cents maravédis, pour libérer la ville des cinq cent quarante-six écus d'or dont elle était encore redevable au sculpteur flamand, sur la somme de huit cents écus, prix du retable.

[273] Alexandre Colin ou Colyns naquit à Malines en 1527 ou 1529. H quitta sa patrie en 1558, appelé à Insprück par Ferdinand Ier, qui lui confia l'exécution des bas-reliefs du monument consacré à la mémoire de son aïeul l'empereur Maximilien Ier. Il commença son vaste travail la même année et mit la dernière main au vingt-quatrième bas-relief, huit ans après, en 1566. Ces sculptures, de la plus grande finesse d'exécution et d'une rare pureté de dessin, forment d'admirables compositions. Sur le sarcophage s'élève la statue de l'empereur, coulée en bronze, en 1582, par Ludovic del Duca ; le même maître est l'auteur des figures allégoriques placées aux angles. Le monument élevé au centre de l'église porte l'inscription suivante : Alexander Colinus Mechliniensis sculpsit a° MDLX VI. Après l'achèvement de cette œuvre, Colin fut retenu à la cour où l'empereur Ferdinand et son fils l'honorèrent chacun du titre de leur premier sculpteur. L'archiduc Ferdinand chargea Colin du monument funéraire qu'il se réservait à lui-même et de celui qui devait recouvrir les restes de Philippine Welzer, sa femme. Dans ces deux tombeaux qui ornent également l'église de Sainte-Croix, à Insprück, l'artiste manifeste de nouveau sa supériorité tant comme sculpteur que comme dessinateur ; l'expression des statues représentant les princes défunts est surtout d'une vérité frappante. La tombe de Jean Nas, évêque et ministre de Ferdinand, érigée dans l'église des jésuites, à Insprück, est également comptée au nombre des meilleurs ouvrages du maître. Le tombeau de Colin lui-même, fait sans doute sur ses plans, est orné d'une statue de Lazare ressuscité sortie de son ciseau. Dans le château de Wotkenstein, à Trotzbourg, on voit quelques ouvrages moins importants de notre sculpteur, mais aussi d'un grand mérite. — En Belgique, on ne connaît d'autre œuvre de Colin que la tête et les mains du géant de Malines. Avant d'entreprendre un travail, ce maitre avait l'habitude de le faire d'abord en cire, puis en bois, de là il. le reproduisait en peinture ; enfin, satisfait et maître de son sujet, il entamait la sculpture définitive. Emm. Neeffs, dans la Biographie nationale.

[274] Voici ce que nous apprend P. Baert sur cet artiste : Rombaut de Dryvere naquit à Malines ; il florissait en 1540 ; il a fait le tabernacle de l'église de l'abbaye de Tongerloo, ordre de Prémontré, dans le Brabant. Ce monument a la forme d'une pyramide et a 50 pieds de hauteur ; sa décoration consiste en colonnes, en figures de différentes grandeurs, en bas-reliefs d'albâtre délicatement travaillés, qui représentent des sujets du Vieux et du Nouveau Testament. — Arnoud Streyers, treizième abbé de cette maison, a fait exécuter ce tabernacle, qui fut achevé en 15t7, après huit années de travail. Sanderus en parle en ces termes : Opus vere heroicum et quod inter miracula Belgii merito possit numerari, loto enim Belgio simile non reperias. — Il est placé à la droite du maitre-autel, selon l'usage du XVIe siècle, où communément le Saint Sacrement n'étoit pas conservé au maître-autel, dans les Pays-Bas. Mémoires cités, page 541.

[275] Albert de Brulle, sculpteur, né à Anvers, s'expatria de bonne heure et se dirigea vers l'Italie ; il s'établit à Venise, où il florissait, dit M. Siret, vers le milieu du XVIe siècle. Il y sculpta les belles boiseries du chœur de Saint-Jacques-le-Majeur. Ce travail remarquable est enrichi de figures et de bas-reliefs, représentant des scènes de la vie de saint Benoît. Biographie nationale.

[276] M. Polain, Liège pittoresque, 218.

[277] Je cite ce nom sur la foi de M. Henne, qui, contrairement à son habitude, n'indique point où il l'a pris et sur lequel je n'ai trouvé moi-même aucun renseignement.

[278] A propos de typographie, nous devons au moins une mention à l'illustre imprimeur Daniel Bomberg, né à Anvers dans la seconde moitié du XIVe siècle, mort à Venise en 1549. Les services rendus par lui aux lettres hébraïques ont immortalisé son nom, dit Foppens. Bomberg fit paraître à Venise, en 1517, la première édition de sa Bible en hébreu. La même année, il publia sa grande Bible rabbinique. En 1520, il commença l'impression du Talmud de Babylone, en douze volumes in-folio. Il réimprima trois fois cet immense recueil, et chaque édition lui coûta cent mille écus. Biographie nationale, article de M. Thonissen.

[279] Éd. Fétis, Splendeurs de l'art en Belgique, pages 148-151.

[280] Voir note 8 à la fin du chapitre.

[281] L'art de la gravure et principalement de la gravure en creux (glyptique) était connu des anciens ; mais ce ne fut qu'au XVe siècle qu'on imagina de tirer des épreuves des planches gravées sur métal. On en attribue l'invention à Maso Finiguerra (1452). — La gravure à l'eau forte est due, suivant les Italiens, à Fr. Mazzuoli, dit le Parmésan ; suivant les Allemands à Albert Dürer. S'il faut en croire un homme compétent, au lieu d'attribuer cette invention à l'un de ceux à qui on en a voulu faire honneur, on peut assurer qu'elle est due à Wenceslas d'Olumutz, dont il existe au British Museum une gravure extrêmement curieuse, représentant une figure allégorique et satirique, avec la date de 1496, pièce que je crois unique, dit cet écrivain, et qui a échappé aux recherches de MM. de Heinecke, de Murr et de Bartsch ; elle est extrêmement curieuse, puisque par sa date elle montre une antériorité de dix-neuf ans sur les gravures d'Albert Dürer, dont la plus ancienne porte l'année 1515, et que celles du Parmesan sont encore plus récentes, ce peintre n'étant né qu'en 1503. Duchesne aîné, Encyclopédie moderne, édit. Didot, au mot gravure.

[282] On peut dire que les Flamands et les Hollandais n'ont inventé aucun genre de gravure ; mais que, dans le beau siècle de l'art, ils ont porté la véritable gravure à son plus haut point de perfection. A. L. Millin, Dictionnaire des beaux-arts, au mot gravure dans les Pays-Bas. — Le nom belge le plus digne d'être cité dans la première période de l'histoire de la gravure en taille douce, nous parait être celui de Jérôme Cock ou Kock, né à Anvers en 1509 ou 1510, mort dans cette ville le 3 octobre 1570. Fils de franc-maître, il fut admis en 1545 dans la gilde de Saint-Luc, mais il abandonna bientôt la peinture pour se consacrer exclusivement à la gravure et au commerce des estampes qui l'enrichit. Artiste laborieux, son œuvre compte plus de deux cents planches, gravées d'après les maitres de l'Italie, des Pays-Bas et d'après ses propres dessins. Il fit d'excellents élèves, parmi lesquels se distinguèrent Jean Collaert et Corneille Cort. Il traita avec un égal talent l'histoire sacrée et profane, le paysage, les vues de ruines et de monuments, les perspectives topographiques et même le portrait. Dans ce dernier genre, on peut citer ses Effigies pictorum celebritim Germaniae inferioris (1572) suite de vingt-quatre portraits des peintres des Pays-Bas, in-folio, avec des vers élogieux de Dominique Lampsonius. De ces portraits les uns ne portent point de signature, les autres sont marqués des initiales de Jean Wiericx. Cette suite fut éditée par la veuve de Jérôme Cock. Vasari, dans la vie de Marc-Antoine Raimondi, parle avec éloge de Cock. en citant ses gravures d'après Heemskerck, Breugel, Bos, Frans Floris. Edm. De Busscher, Biographie nationale.

[283] Hubert Goltzius, né à Venloo en 1526, mort en 1587, montra de bonne heure une vive passion pour les lettres, les antiquités et particulièrement les médailles. Il eut la réputation du premier numismate de son temps ; il dessinait et gravait lui-même. Ses ouvrages sont nombreux, mais ne sont consultés qu'avec défiance : on l'accuse d'y avoir introduit un grand nombre de médailles suspectes, altéré des légendes dans d'autres qui existent, enfin supposé des noms de villes et de peuples tout à fait inconnus.

[284] M. Henne, V, 97, d'après M. Octave Delepierre.

[285] On le croit né à Bavai ; d'autres lui assignent Termonde pour lieu de naissance.

[286] Ronsard le nomme Hennuyer de nation ; M. Henne le fait naître à Berchem-lez-Anvers, sous le nom de Josse Van den Bemden.

[287] Une controverse s'est élevée à ce sujet dans ces dernières années ; elle a pris un caractère personnel et passionné peu digne du sujet, ce qui nous dispense d'en parler ici.

[288] Voir notre Histoire, tome VII, pages 863-865.

[289] Alla musica paiono esser nati, nella quale si trovano compositori eccellentissimi. M. Gachard, Relations des ambassadeurs vénitiens sur Charles-Quint et Philippe II, p. 79.

[290] Quirini avait représenté Venise auprès de Philippe-le-Beau en 1505 et 1506. Voici sa phrase entière, où il vante aussi nos toiles et nos tapisseries : In detto paese tre cose sono di somma eccellenza tele sottilissime e belle in copia in Olanda ; tappezerie bellissime in figure in Brabante ; la terza è la musica, la quale certamente si pué dire che sia perfetta. M. Gachard, les Monuments de la Diplomatie vénitienne. Dans les Mémoires de l'Académie, tome XXVII, in-4°, page 61.

[291] Agricola, élève d'Ockeghem, dût naître, dit M. Fétis par une induction tirée d'un document de l'époque et de quelques circonstances d'alors, vers 1466, et mourir en 1526 ou 1527. On possède peu de renseignements sur cet artiste, qui fut, dit toujours M. Fétis, au nombre des musiciens belges les plus célèbres de la fin du XVe siècle et du commencement du XVIe. Une pièce insérée dans un recueil de motets qui est fort rare, intitulée : Epitaphium Alex. Agricolœ symphonistœ regis Castilliœ Philippi, dans laquelle la Musique en pleurs répond à des questions sur la perte d'Agricola, est à peu près tout ce qui nous le fait connaître. La voici :

Musica quid defles ? Periit mea cura decusque.

Estne Alexander ? Is meus Agricola.

Dic age, qualis erat ? Clarus vocum manuumque.

Quis locus hune rapuit ? Valdoletanus ager.

Quis Belgam hune traxit ? Magnus rex ipse Philippus.

Quo morbo interiit ? Febre furente obiit.

Ætas quo fuerat ? Jam sexagesimus annus.

Sol ubi tune stabat ? Virginio in capite.

La question : Quis Belgam hune traxit nous apprend qu'il était né dans nos provinces. Le dialogue nous apprend aussi son habileté comme chantre et exécutant, clarus vocum manuumque. Ce fut ce double talent qui lui valut d'entrer au service de Philippe-le-Beau et, quand Philippe et Jeanne allèrent, en 1506, prendre possession de leur royaume de Castille, Agricola les suivit comme faisant partie de leur maison. Les comptes du voyage et les états des gages de la maison des officiers de ce prince font plusieurs fois mention d'Agricola, qui mourut à Valladolid, comme nous l'apprend encore la pièce citée. Parmi les œuvres nombreuses de cet artiste, on distingue un livre de cinq messes intitulé : Missae Alexandri Agricolœ, publié à Venise en 1504, par Peteucci. Dans un manuscrit rapporté d'Italie, ajoute M. Fétis, et qui m'a été communiqué, se trouvaient, parmi des œuvres des XVe et XVIe siècles, plusieurs compositions d'Alexandre Agricola. Je les ai mises en partition pour me former une opinion sur le mérite de ce maître, et j'ai acquis la conviction qu'il fut un des musiciens les plus remarquables de la période de l'histoire de l'art à laquelle il appartient. L'acquisition que j'ai faite depuis peu de l'un des rares exemplaires des Messes d'Agricola, publiées à Venise en 1504, m'a confirmé dans la haute opinion que j'avais conçue de la science musicale de l'artiste flamand. F. J. Fétis, Biographie nationale.

[292] Nous avons reproduit plus haut la description d'un manuscrit enluminé contenant des Messes de Pierre de la Rue. — Ce musicien-compositeur était né en Picardie, contrée qui faisait alors partie de nos provinces. Il était élève de Jean Ockeghem et il avait embrassé l'état ecclésiastique. Dès 1485, il faisait partie de la chapelle des ducs de Bourgogne. En 1501, Pierre de la Rue était en possession d'une prébende à Courtrai ; il parait l'avoir échangée plus tard contre une autre de l'église de Saint-Aubin à Namur. Il fit partie de la maison des ducs sous les gouvernements successifs de Marie de Bourgogne, de Philippe-le-Beau et de Marguerite d'Autriche ; il fut surtout en faveur auprès de cette dernière princesse, dont il devint le compositeur favori. L'époque de sa mort est inconnue. La première publication qui contienne de ses œuvres est due à l'inventeur de la typographie musicale par caractères mobiles, Ottavio Petrucci de Fossombrone. De la Rue a composé un très grand nombre de messes. Ses œuvres avaient été transcrites vers 1530, par ordre de Marguerite d'Autriche, en plusieurs volumes richement ornés. Un de ces volumes en vélin in-folio, contenant six messes à cinq voix et une à quatre, appartient à la Bibliothèque royale de Bruxelles ; il avait primitivement été destiné à la chapelle de Jean III, roi de Portugal ; le portrait du roi et celui de la reine sa femme, non pas sœur, mais nièce de Marguerite, y figurent avec leurs armoiries. Alph. Groovaerts, Biographie nationale.

[293] Adrien Willaert, un des plus célèbres musiciens belges du XVIe siècle, fondateur de l'école de Venise, naquit à Bruges vers 1490, suivant les renseignements que Zarlino, son élève, nous a conservés dans ses écrits. Après avoir achevé dans sa patrie ses humanités, il se rendit à Paris pour y suivre les cours de droit de l'université, mais son penchant pour la musique lui fit abandonner cette étude et Jean Mouton devint son maître dans cet art. On croit qu'il revint ensuite à Bruges et qu'il y écrivit ses premières compositions. Quoi qu'il en soit, car le fait n'est pas prouvé, Zarlino nous apprend que Willaert arriva à Rome en 1516, sous le pontificat de Léon X, et qu'il entendit le 15 août, fête de l'Assomption, non sans étonnement et sans réclamation, exécuter, sous le nom de Josquin Deprés, le motet de sa composition Verbum banuen et suave. Bientôt après, il quitta la capitale du monde chrétien pour entrer au service de Louis II, roi de Hongrie et de Bohème, en qualité de maître de chapelle. Après la mort de ce prince, tué à la bataille de Mohacz le 29 août 1526, Willaert se rendit à Venise, où la place de maître de la chapelle ducale de Saint-Marc lui fut accordée le 12 décembre 1527. Il y acquit bientôt une grande réputation par ses compositions et par les élèves distingués qu'il forma. Le vieil artiste mourut à Venise vers la fin de septembre 1563 et eut pour successeur son élève Cyprien de Rose. Adrien Willaert, dit M. Fétis, fut comme la plupart des maîtres de son temps, plus habile dans l'art d'écrire qu'homme de génie et inventeur de mélodies ; cependant on trouve quelques madrigaux dans sa Musica nova qui ne sont dépourvus ni de douceur ni d'élégance. Zarlino lui attribue l'invention de la musique à plusieurs chœurs, avec la réunion des basses à l'unisson dans les ensembles de ces chœurs. Mes recherches à Venise pour retrouver quelques fragments de ces compositions, ajoute M. Fétis, ont été infructueuses : ce que les archives de Saint-Marc renfermaient d'intéressant en monuments de ce genre a disparu sans retour. M. Fétis énumère ensuite ce qu'il a pu recueillir des œuvres publiées par Willaert et fait connaître quelques compositions manuscrites conservées à la bibliothèque de Cambrai et à celle du Conservatoire de Paris. Biographie des musiciens, article Willaert, Adrien.

[294] Cet Ave Maria a été exécuté, rappelle M. Henne, au premier des concerts historiques organisés par le savant directeur du conservatoire de Bruxelles, M. Fétis, au bénéfice des incendiés du grand théâtre de cette ville, le 24 février 1855.

[295] Thomas Créquillon ou Cricquellion, musicien-compositeur, naquit aux environs de Gand, au commencement du XVIe siècle. Successivement chanoine à Namur jusqu'en 1552 et à Termonde jusqu'en 1555, il obtint et conserva une prébende à l'église de Béthune jusqu'en 1557, année qui fut probablement celle de sa mort. Il avait enseigné la musique à Ratisbonne et avait été chargé, paraît-il, de certaines fonctions musicales à Notre-Darne d'Anvers. Plus tard il fit partie de la grande chapelle de Charles-Quint à Madrid, et le titre d'un de ses ouvrages nous le montre avec la qualité de maître de chapelle de ce monarque. Créquillon est compté parmi les plus célèbres contrepointistes ; avec Nicolas Gombert et Jacques Clément non papa, il eut la gloire d'occuper le premier rang parmi les musiciens contemporains. Tous les trois, dit M. Fétis, ont exercé une puissante influence sur l'art de leur temps et devinrent les modèles des artistes contemporains ; tous les trois ont eu aussi une remarquable fécondité dans leurs productions. Créquillon a écrit une énorme quantité de messes, motets, chansons françaises à quatre, cinq et six voix. Ses œuvres ont été éditées à Venise, à Anvers et plus généralement à Louvain. Aug. Vander Meersch, Biographie nationale.

[296] On ne connaît ni le nom de famille ni le lieu de naissance de ce musicien flamand qui, vers le milieu du XVIe siècle, faisait partie de la chapelle du duc de Bavière, à Munich. En examinant le paragraphe relatif à Anselme le Flamand, dans la Pratica di Musica de Zacconi, M. Fétis se demande si, comme l'a dit l'auteur italien, c'est à Anselme que revient l'honneur d'avoir le premier complété la gamme moderne, en ajoutant la septième syllabe de solmisation aux six premières de l'hexacorde de Gui d'Arezzo et en la nommant si. M. Fétis laisse la question indécise. Chev. L. de Burbure, Biographie nationale.

[297] Josquin ou Josse Baston habitait Anvers vers le milieu du XVIe siècle ; c'est du moins là que furent publiées ses premières œuvres. Le prénom de ce maître semble indiquer, dit M. de Burbure, une origine flamande, et il se pourrait que Baston ne fût que la traduction française de Vanderstock. Guicciardin parle de lui comme d'un des meilleurs musiciens de son époque, et ses ouvrages, qui sont nombreux, attestent en effet un talent distingué. On ignore complètement les circonstances de la carrière de Josquin Baston.

[298] Ce compositeur, né vers 1520, fut chanoine de l'église cathédrale de Cambrai et maître des enfants de chœur. Il était considéré comme un des musiciens les plus expérimentés et des compositeurs les plus habiles des Pays-Bas. Bonmarché fut maître de la chapelle royale de Philippe II, à la recommandation de Marguerite de Parme. Il composa plusieurs messes et des motets qui sont conservés en manuscrit dans la bibliothèque de J. F. Fétis, Biographie des musiciens.

[299] Né à Ypres dans la première moitié du XVIe siècle, Jacques de Keerle fut successivement chanoine de la cathédrale de Cambrai, directeur du chœur de cette église, enfin maître de la chapelle de l'empereur Rodolphe II. Il excellait surtout dans la musique d'église. Ses premières compositions furent imprimées à Venise, de 1562 à 1571. Parmi elles on remarque : Preces speciales pro salubri concilii generalis successu, Venetiis, 1569, in-4°. On conserve encore de lui, dans la chapelle pontificale à Rome, quelques messes manuscrites. Ibid.

[300] Voir note 9 en fin du chapitre.