L'EMPEREUR CHARLES-QUINT ET SON RÈGNE

DEUXIÈME SECTION. — RÈGNE DE PHILIPPE LE BEAU - 1494-1506

 

CHAPITRE UNIQUE.

 

 

L'empereur Frédéric III était mort le 4 août 1493, après un règne de cinquante-quatre ans, et son fils Maximilien avait été appelé à lui succéder. Après avoir pris possession du trône impérial, ce prince revint en Belgique pour y faire inaugurer l'archiduc Philippe, appelé d'abord, à cause de son jeune âge, Croit-Conseil, et auquel ses avantages physiques firent donner ensuite le nom de Philippe le Beau. L'archiduc fut reçu à Louvain, comme duc de Brabant, le 9 septembre 1494[1] ; à Anvers, comme marquis du Saint-Empire, le 5 octobre ; à Gand, en qualité de comte de Flandre, le 26 décembre, et ainsi il se passa près d'une année avant qu'il fit son entrée solennelle à Bruxelles. Il arriva en cette ville le jour de Sainte-Marie-Madelaine, 22 juillet 1495, accompagné du prince de Chialai, des sires de Berghes, de Molembais, de Beersel et d'autres chevaliers de la Toison d'or. Le magistrat alla le recevoir hors de la porte de Malines — ou de Schaerbeek —, et à cette occasion, les bouchers habitués comme braconniers, ayant cors, trompes, chiens en laisse par couples, avoient mené un cerf, lequel fut chassé honnestement hors la dite porte. De riches tapisseries étaient tendues dans toutes les rues par lesquelles devait passer le cortège, et les carrefours d'icelles notablement aornés d'histoires, jusques au nombre de trente-cinq, fondées sur les livres de Moyse, fort bien appropriées à la venue et réception de mondit seigneur et décorées des armes et blasons, tant de luy comme de madame Marguerite. Le 6 septembre, il y eut de grandes joutes dans le parc, et la ville offrit ensuite un banquet au prince et à sa suite[2].

Philippe arrivait au pouvoir dans un moment difficile. Le pays avait beaucoup souffert, tant par les guerres du dehors que par les discordes civiles ; de sourds mécontentements agitaient les esprits ; les finances étaient ruinées, et les grandes communes, endettées, ne pouvaient venir au secours du gouvernement ; le commerce était languissant ; les grandes industries chômaient, privées de matières premières, et déjà la draperie touchait à sa décadence. L'archiduc se trouvait donc entouré de mille écueils, où sa jeunesse et son inexpérience semblaient devoir le faire échouer. Mais le pays lui portait affection. Il était né en Belgique, et il sortait du sang des anciens princes. Sa mère avait été plainte et regrettée ; lui-même plaisait au peuple par les grâces de son âge et par les espérances qu'il n'avait pas encore eu le temps de démentir. On cherchait dans ses premières actions d'heureux présages pour l'avenir ; on racontait que, dès sa tendre enfance, se sentant frappé du plat de l'épée par le sire de Ravenstein, qui lui conférait l'ordre de la Toison d'or, il avait tiré bravement son poignard comme pour se défendre. L'amour de la nation lui tint lieu de force et de sagesse. Les esprits se calmèrent, l'ordre se rétablit, les obstacles s'aplanirent d'eux-mêmes. Jamais, dit un historien, exemple plus frappant n'avait montré combien ces fières populations, si âpres à lutter contre un maitre, avaient de douceur et de soumission pour le souverain qu'elles pouvaient chérir[3].

Un double mariage unit l'archiduc et sa sœur Marguerite à Jeanne d'Espagne et à son frère don Juan, le fils et l'héritier de Ferdinand d'Aragon et d'Isabelle de Castille. Jusque là, les deux nations, espagnole et flamande, séparées par terre et par mer, avaient eu peu de relations ensemble. L'empereur Maximilien et le roi d'Aragon avaient ménagé cette alliance en vue de protéger mutuellement leurs états contre les empiètements de la France.

Une floue royale amena l'infante Jeanne en Zélande. L'archiduc, qui revenait d'Allemagne, rejoignit l'infante à Lierre, le mariage y fut célébré, le 18 octobre 1496, sans beaucoup d'appareil[4]. Mais des fêtes splendides furent données à Bruxelles, où les nouveaux époux firent leur entrée le 9 janvier suivant. La flotte espagnole était restée à l'ancre dans les ports de la Zélande. L'archiduc, après toutes ces fêtes, conduisit sa sœur à Middelbourg. Elle s'y embarqua avec une suite nombreuse. Le flotte qui la portait en Espagne essuya une rude tempête, et fut jetée sur les côtes d'Angleterre. Le roi Henri VII fit un magnifique accueil à la jeune princesse, et la retint trois semaines en Angleterre. Elle débarqua enfin à Santander en Biscaye, d'où elle fut conduite à Burgas. Le mariage fut célébré, en cette dernière ville, avec une pompe toute royale.

La Belgique se réjouissait encore de cette brillante lorsqu'on apprit la mort de don Juan, décédé dans l'année même de son mariage, à rage de seize ans. Le brillant héritage qui l'attendait fut dévolu alors à sa sœur aînée, Isabelle, reine de Portugal. Mais cette princesse mourut elle-même en 1498, et son fils unique, élevé à Grenade avec tous les soins imaginables, allait, être enlevé aussi moins de deux ans après. C'est ainsi que l'archiduc Philippe allait devenir l'héritier présomptif des royaumes d'Aragon et de Castille.

Le 30 novembre 1498, l'archiduchesse Jeanne donna le jour à une fille, qui naquit à Bruxelles et fut appelée Éléonore. C'était le premier fruit de l'union de nos princes, et le baptême se fit avec beaucoup d'éclat à Sainte-Gudule. L'église était tendue de riches tapisseries d'or et de soie, représentant des scènes de la Passion et l'histoire de Gédéon. Dans la nef, entourée d'une magnifique galerie, estoit un petit parc tout vestu de fin drap d'or, et par dessus un pavillon de samis vert. Au milieu se trouvaient les fonts, et un autel s'élevant à quelque distance. Les rues, depuis le palais jusqu'à l'église, étaient ornées avec luxe ; des chœurs d'enfants accoustrés comme angels et pastoureaux chantoient mélodieusement. Huit cents bourgeois, vêtus de rouge et portant des torches, se tenaient sur le passage du cortège, qui sortit du palais vers cinq heures du soir. Des serviteurs de la ville, au nombre de vingt, un bâton blanc à la main, ouvraient la marche ; ils étaient suivis par les membres du magistrat et du conseil de la ville, qui formaient un cortège de cent-vingt à cent quarante personnes. Venaient ensuite le clergé des paroisses, les chanceliers de Bourgogne et de Brabant, les prélats et les seigneurs de la cour, marchant deux à deux avec des flambeaux. Suivaient les trompettes ayant leurs instruments enveloppés sans faire manière de jouer ; les hérauts tenant leurs robes d'ailnes sur les bras ; messire Hugues de Melun, le sire du Fayt, le comte de Nassau et le prince de Chimai portant les vases et les ornements précieux, qui devaient servira la sainte cérémonie. Marguerite d'York, veuve de Charles le Téméraire, tenait l'enfant entre ses bras, ayant à sa droite le marquis de Bade, représentant de l'empereur, et, à sa gauche, l'ambassadeur d'Espagne ; derrière elle on remarquait Antoine de Bourgogne, la douairière de Ravenstein, la princesse Beatrix de Portugal, et un grand nombre de dames et de demoiselles. L'évêque de Cambrai baptisa l'enfant. Le marquis de Bade parrain au nom de l'empereur, donna un joyau estimé la valeur de deux mille écus ; madame la grande offrit un tableau fort riche, accoustré d'ymages valissant mille escus, et madame de Ravenstein un autre joyau de riche value. Au retour, le cortège suivit le même ordre, mais les trompettes sonnaient, et les hérauts avaient endossé leurs cottes d'armes ; la duchesse douairière, tenant encore l'enfant, était dans une chaise à porteurs. Pour mémoire dudit baptisement, furent rués et abandonnés au peuple deux sachets pleins de pattars[5].

Charles VIII était mort, le 7 avril 1498, au château d'Amboise. Il n'était âgé que de vingt-huit ans. Aucun des quatre fils qu'il' avait eus de son mariage avec Anne de Bretagne ne lui ayant survécu, la première branche des Valois s'éteignit avec lui. Il étoit si bon, dit Commines, qu'il n'était point possible de voir meilleure créature. Louis XII, qui lui succéda, descendait de ce malheureux duc d'Orléans, fils de Charles V, que Jean sans Peur avait fait assassiner au coin de la rue Barbette. Il avait des droits sur trois couronnes : celle de France, en vertu de la loi salique ; celle de Naples, comme succession de la maison d'Anjou[6], et celle du Milanais, par son aïeule Valentine Visconti. Sa jeunesse turbulente s'était consumée dans les guerres civiles nées des réactions féodales. Il inaugura noblement son règne par une mesure profondément politique, l'amnistie de tous ceux qui, sous l'administration de madame de Beaujeu, l'avaient combattu ou emprisonné[7]. Le roi de France, disait-il, ne doit pas venger les injures du duc d'Orléans.

Par le traité de Paris du 2 août 1498[8], l'archiduc Philippe confirma celui de Senlis, et s'engagea à ne faire aucune poursuite, pendant sa vie et celle du roi de France, pour recouvrer le duché de Bourgogne. Cet engagement contraria vivement l'empereur Maximilien. Il pressa son fils de ne point tenir une promesse imprudente, et de reconquérir les domaines dont la France s'était frauduleusement emparée. La ville de Bruxelles était entrée dans les vues de l'empereur. Désignée par Louis XII comme une des huit villes qui devaient garantir l'exécution du traité, elle hésita longtemps, et le magistrat ne s'exécuta qu'après plusieurs lettres de rappel. Les états généraux furent convoqués au sujet de ce traité par l'archiduc, et demandèrent à consulter leurs commettants. Maximilien leur avait adressé une lettre où il rappelait tous ses griefs contre la France, et engageait les états à épouser sa querelle. Tant que le roi de France, disait-il, ne rendra à notre fils l'archiduc sesdits pays, nous ne serons avec lui en bonne paix, union et amitié. Les états se réunirent de nouveau à Bruxelles au mois de février 1499, et, après une longue délibération à l'hôtel de ville, ils se rendirent au palais pour prier Philippe d'exécuter le traité, par la considération que ses peuples n'étaient pas en état de supporter le fardeau de la guerre.

Le 24 février 1500, naquit, au palais de la cour — Prinsenhoff — à Gand[9], un enfant qui, sous le nom de Charles Quint, devait laisser un nom immortel dans l'histoire. Le troisième jour après sa naissance, il fut baptisé dans l'église de Saint-Jean, aujourd'hui église de Saint-Bavon. Le nom de Charles lui fut donné en mémoire de son bisaïeul, Charles de Téméraire[10]. Maximilien décerna à son petit-fils le titre de duc de Luxembourg, qu'avaient porté plusieurs empereurs d'Allemagne. Le clergé, la cour, le peuple rivalisèrent de magnificence et d'inventions ingénieuses pour témoigner leur joie. On remarquait surtout une galerie en cordage qui allait de la tour de Saint-Nicolas jusqu'à la tour du beffroi, espèce de pont aérien, où l'on se promenait la nuit aux flambeaux. Les bateliers de Gand avaient construit un vaisseau gigantesque décoré de tapisseries, avec des agrès tout dorés, et sur lequel un orchestre faisait entendre de merveilleux concerts. Les riches cadeaux vinrent de tous côtés au nouveau-né. Un casque d'or et d'argent surmonté d'un phénix d'or lui fut offert par le prince Charles de Croy, l'un de ses parrains, une épée par le marquis de Berg, second parrain, et deux bassins d'or remplis de pierres précieuses furent donnés, l'un par Marguerite d'York, l'autre par Marguerite d'Autriche, récemment revenue d'Espagne, ses deux marraines. La ville de Gand avait fait faire pour le prince né dans ses murs un petit navire d'argent massif pesant cinquante livres, et les prélats de Flandre lui firent hommage d'un beau volume de l'Ancien et du Nouveau Testament avec ces mots : scrutamini scripturas. Des pièces d'or et d'argent furent répandues à trois reprises parmi la foule, la première fois par l'archiduc, la seconde par le magistrat, la troisième par un riche marchand d'étoffes de soie.

Le 15 mai 1500, Jeanne fit une entrée solennelle à Bruxelles avec son fils Charles. L'année suivante, la veille de Saint-Antoine, l'archiduc tint en cette ville un chapitre de la Toison d'or. L'église des carmes, où eut lieu la cérémonie, était ornée de tapisseries représentant l'histoire de Troie et la Passion du Sauveur ; dans le chœur étaient placées les armoiries des chevaliers de l'ordre. Le premier jour, l'évêque de Cambrai, chancelier de l'ordre, tous les officiers vêtus de velours cramoisi, et les chevaliers portant chapperons à boulet, selon la mode de la primitive institution, se rendirent du palais au couvent des carmes, pour y assister aux vêpres. Le lendemain, ils y entendirent une messe solennelle célébrée par l'évêque de Salisbury, et, après l'offrande, l'archiduc créa plusieurs chevaliers. Le troisième et dernier jour, après un grand dîner donné au palais, et au lever duquel fut semé argent et crié largesse, il fut procédé à la nomination de trois nouveaux hérauts, qui reçurent les noms de Famenne, Louvain et Ostrevant. Dans la soirée, monseigneur l'archiduc, lui quatrième de sa bande contre aultres quatre, fut armé de toutes pièces ; firent ensemble un tournet à manière de danse entrelacée comme la haie, et battirent très bien l'un l'autre, tellement que le prévost de Mons, fort empesché à les regarder, eut de sa chaisne trois ou quatre chaisnons emportés. En continuant la reste, en ladite salle de Coberghe (Caudenberg), fut semée de savelon, et furent illecq faits certains lices de l'un boult à l'autre, et joustes frites sur petits courtaulx dont la hauteur n'excédoit quatorze palmes et de courtes lances à rochets. La jouste fut fière, fort longue et bien exécutée. Monseigneur l'archiduc y rompy plusieurs lances ; un gentilhomme nommé Rolet y gagna le prix[11].

La mère du jeune prince venait de faire ses relevailles, quand la mort de son neveu don Michel la rendit héritière présomptive des couronnes de Castille et d'Aragon. L'archiduc résolut sur le champ de se rendre en Espagne avec sa femme, et commença les apprêts d'un voyage, qu'il voulait faire avec une pompe toute royale. Des sommes considérables furent absorbées par ces préparatifs, qui prirent beaucoup de temps. Indépendamment d'une aide de cent mille livres que lui accordèrent les états généraux, et d'un don gratuit. de vingt-cinq mille écus qu'ils y ajoutèrent pour témoigner leur reconnaissance au prince d'avoir apaisé les démêlés de son père avec la France, il fallut encore contracter de nombreux emprunts sur le domaine. La naissance d'une fille retarda le voyage. Cette princesse, appelée Isabelle, naquit à Bruxelles le 27 juillet 1502[12] ; elle devint plus tard la femme de Christiern II, roi de Danemark. Vers le même temps, Marguerite d'Autriche s'unit en mariage au duc de Savoie Philibert II[13].

Pendant ces délais, le nouveau roi de France faisait toute sorte de propositions plus avantageuses les unes que les autres à la maison d'Autriche. Louis XII venait de s'emparer du Milanais, et il aspirait à en obtenir l'investiture de l'empereur[14]. Les ouvertures faites par lui à l'archiduc avaient été accueillies avec empressement, parce que l'alliance de la France était un gage de sécurité pour les Pays-Bas, durant l'absence de leur souverain. Une promesse de mariage entre le jeune duc de Luxembourg et la princesse Claude de France, fille de Louis XII, fut signée à Lyon le 10 août 1501. A défaut d'enfants mâles issus du roi et de la reine, la jeune princesse devait apporter à son époux le duché de Bretagne, du chef de sa mère[15], et éventuellement le duché du Milanais, du chef de son père. La dot était si magnifique que l'empereur Maximilien ne vit qu'un leurre dans ce traité, et blâma son fils de l'avoir conclu. Mais Louis XII n'hésita pas à acheter son adhésion par de nouvelles concessions. Le traité de Trente du 18 octobre suivant, en confirmant les arrangements de Lyon, stipula que l'héritier de la couronne de France épouserait une fille de Philippe le Beau, régla, au profit de Maximilien, les intérêts des deux parties en Hongrie, en Bohême et en Italie, et scella leur alliance contre les Turcs[16].

Le moment était enfin arrivé de partir pour l'Espagne. Louis XII avait fait inviter l'archiduc à passer par la France. Cette offre avait été accueillie par les conseillers de Philippe de deux façons fort diverses. Les uns rappelaient les longs et sanglants démêlés entre les maisons de France et de Bourgogne, l'instabilité des alliances contractées entre elles, et les efforts faits par la France pour s'emparer de nos provinces ; les autres pensaient qu'il n'y avait rien à redouter du roi de France, qui estoit aliéné à la vengeance, et ne désiroit si ardemment voir leur prince que pour l'entretenir en ses bonnes alliances et amitié et pour induire l'empereur à le déclarer duc de Milan. Ces derniers l'emportèrent, et Philippe informa de son départ les états généraux réunis à Bruxelles. Ils ne devoient pas, disait-il, avoir souci de sa personne, car il y avoit postes établies pour apporter de ses nouvelles. Il leur apprit ensuite qu'il avait conféré la lieutenance générale du pays au comte Engelbert de Nassau, assisté d'un conseil composé du chancelier de Bourgogne, Thomas de Plaine, sire de Maigny ; de l'évêque de Liège, Jean de Horne ; des sires de Zevenbergen, de Beersel et de Chièvres, tous anciens ministres de Maximilien et rompus aux affaires. Confiant dans l'attachement des habitants de Malines à sa famille, il choisit leur ville pour la résidence de ses enfants, qu'il plaça sous la garde de la duchesse douairière de Bourgogne, de la dame de Ravenstein et du grand chancelier.

Les archiducs quittèrent Bruxelles le 4 novembre 1502 ; ils étaient accompagnés d'une suite brillante et nombreuse. Ils s'arrêtèrent quelque temps à Paris, où l'on vit l'archiduc siéger au parlement comme premier pair de France. Le roi les reçut ensuite à Blois, où se succédèrent les fêtes, les chasses et les tournis. Le 12 décembre, à la suite d'une messe célébrée par l'évêque de Cambrai, Louis X11 et l'archiduc, tant en son nom qu'en celui de son père, dont il avait reçu les pouvoirs, jurèrent l'exécution du traité de Trente. Nos princes ne quittèrent la France qu'à la fin du mois de janvier, après avoir été accueillis partout avec les plus grands honneurs. Le 28 janvier, ils étaient à Fontarabie. On leur fit une réception magnifique, et les fêtes et les réjouissances ne cessèrent plus sur toute leur route. Ils traversèrent successivement Victoria, Burgas, Valladolid, Ségovie, Madrid, et arrivèrent enfin le 7 mai à Tolède. Les prélats, seigneurs et députés des villes y avaient été convoqués pour prêter serment aux héritiers de la couronne. La cérémonie s'accomplit, le dimanche 22 mai, en la cathédrale de cette antique métropole de la Castille. Outre l'archevêque de Séville qui officiait, on remarquait, dans l'assistance, l'archevêque de Tolède, les évêques de Valence, Osma, Cordoue, Salamanque, Jaën, Malaga, Calahorra, Ciudad-Rodrigo ; et, parmi les membres de la noblesse, les ducs de l'Infantado, d'Albe, de Béjar, d'Albuquerque, et le marquis de Villéna[17].

Bien que le voyage de l'archiduc n'eût pas été vu de très-bon œil dans les Pays-Bas, rien d'abord ne révéla ce mécontentement, et les premiers mois de son absence ne furent marqués que par des négociations avec l'Angleterre. Des conventions très importantes pour le droit maritime avait été arrêtées à Londres quelques années auparavant ; elles sont connues sous le nom de grand traité de l'entrecours[18]. Un nouveau traité conclu à Anvers, le 19 juin 1502, confirma toutes ces conventions. Entre autres dispositions, elles admettaient les sujets des Pays-Bas à pêcher sur les côtes d'Angleterre, les et habitants des deux pays à trafiquer en toute liberté. Une clause interdisait la confiscation des navires naufragés sur les côtes, quand même il n'y resterait en vie ni un homme, ni une femme, ni un enfant, ni un chien, ni un chat ou un coq[19].

Mais lorsqu'on vit l'absence de Philippe se prolonger, l'inquiétude et l'agitation s'éveillèrent. Il y avait d'ailleurs des sujets réels d'alarmes. Des troubles du caractère le plus grave désolaient la Frise ; l'attitude de la Gueldre n'avait pas cessé d'être hostile ; enfin une interruption du commerce dans les mers dut Nord semblait imminente. Ces circonstances avaient amené un renchérissement des grains, et on avait cru devoir en prohiber l'exportation. Par une coïncidence fâcheuse, une tempête désola nos côtes dans les premiers jours de novembre. Une portion des digues d'Ostende fut emportée, et l'inondation étendit ses. ravages jusqu'aux environs de Bruges.

L'archiduc fut averti par le comte. de Nassau que les états. menaçaient d'arrêter le payement des derniers termes de l'aide accordée pour son voyage, et il résolut de quitter l'Espagne sur le champ. Quoi qu'on fit pour le retenir, il partit le 29 décembre, et y laissa sa femme, qui mit au monde, le 10 mars 1503, à Alcala de Hénarès, son second fils Ferdinand. Cette pauvre princesse n'avait jamais eu l'esprit très ferme ; ce brusque départ acheva de troubler sa raison.

Son beau-père Ferdinand, alors brouillé avec Louis XJI pour la possession du royaume dè Naples, avait voulu dissuader l'archiduc de repasser par la France, mais n'y avait pas réussi. Philippe crut toutefois devoir réclamer des otages pour la sûreté de sa personne. Malgré cette défiance, le roi de France le reçut de la façon la plus cordiale, et de nouvelles négociations s'ouvrirent à Lyon. L'archiduc s'étant porté arbitre entre la France et l'Espagne, une convention fut signée le 5 avril 1503. Les deux rois, en considération de l'union arrêtée entre Charles de Luxembourg et la princesse Claude de France, abandonnaient aux futurs époux leurs droits respectifs sur le royaume de Naples, mais en conservaient la garde et l'administration jusqu'à ce que ceux-ci fussent en âge de contracter mariage. Gonsalve de Cordoue, le grand capitaine, qui commandait en Italie pour Ferdinand, ne tint nul compte du traité[20]. Il battit les Français à Semirama le 21 avril, à Cérignoles quelques jours plus tard, et les chassa du royaume de Naples[21].

Pendant que l'archiduc négociait en France, l'empereur Maximilien vint aux Pays-Bas, et fut reçu à Bruxelles en grande cérémonie. Il demanda aux états généraux un don gratuit de cent mille florins d'or, en récompense des grandes peines et labeurs qu'il avoit eus et soutenus depuis le commencement de son premier advènement, ès pays de par deçà, pour la garde et deffense d'iceux et de la personne de son très-cher et très-aimé fils, dont jusques à oires, ajoutait-il, avons esté petitement recompensé[22]. Les états s'excusèrent : Leur seigneur naturel, c'est ainsi qu'ils s'exprimaient, est hors desdits pays, et, en retournant par deçà, luy conviendra passer par plusieurs pays, terres et seignouries èsquels luy polroit advenir dangier et péril de sa personne, lequel cas advenant (que Dieu ne veuille), seroient tenus d'y remédier et obvier, et, à ce moyen, leur conviendroit avoir et soustenir de grans frais : pour lesquelles causes ils ne pourroient, pour le présent, accorder ledit ayde. L'empereur fut très mortifié de ce refus. Dans une lettre au bourgmestre et aux échevins de Bruges, il leur disait, après avoir rapporté les paroles que nous venons de transcrire : De laquelle response nous nous sommes fort esmerveillé, considéré ce que dit est, mesmement que la poursuyte et demande que faisons est plus que raisonnable, et n'est point icelle excuse légitime, mais faicte à voulenté, car si tel inconvénient advenoit — que Dieu ne veuille —, nous serions toujours prests d'employer à ce nos corps et biens, et beaucoup plus que eulx tous, et d'aull.re part, que estions et sommes délibérés d'employer ladite somme de cent mille florins à la croix, pour le bien, augmentation de l'honneur et utilité de nostredit fils. La détresse de Maximilien était si grande en ce moment, qu'il était obligé de solliciter, dans la même lettre, des magistrats brugeois, un prêt de deux cents livres. Il y a, dans cet abaissement de la majesté impériale, quelque chose de tout à fait caractéristique. Et pour ce, chiers et bien amés, que sommes venu par deçà, non point pour nostre singulier prouffit, mais en intention de faire à nostredit fils un bon plaisir et ayde, en délaissant et mettant en arrière, pour ce faire, tous et quels-conques nos affaires, tant du saint empire que de nostre maison d'Austriche, qui ne sont point petits, au moyen de quoy il a esté et est à nous nécessaire de soustenir, frayer et despendre de grandes sommes de deniers, une partie desquelles nous convient, outre celles que nous avons apportées avec nous, recouvrer et emprunter particulièrement de nos bons et loyaulx subjets et serviteurs de par deçà : à celle cause, vous requérons que, pour le grand bien, honneur et prouffit de nostredit fils et de vous aussi, comme ses bons et vrays subjets, vous nous veuillez prester la somme de deux cens livres de quarante gros la livre ; ce que pourrez bien faire, attendu que ladite somme n'est fort grande ne excessive, et nous vous ferons bailler d'icelle somme seurté souffisante de nous, et l'obligation de nostre trésorier général Balthazar Wolf, pour estre remboursés et satisfais de ladite somme en dedans la Saint-Michel prouchain venant, temps de feste d'Anvers. En quoy faisant, vous serez cause, avec çe que nous ferez un très-grant service, que les affaires de par deça de nostredit fils seront très-fort avancés. Et nous advertissez et escripvez incontinent se ainsi faire le voulez[23].

L'empereur avait aussi demandé aux états généraux quelques serpentines pour la défense de la place de Battenbourg, sur la rive droite de la Meuse, à une petite distance de Nimègue, promettant de faire rendre, au lieu des dites serpentines, du cuivre de plus grande valeur que icelles ne sont. Les états ne se montrèrent pas plus accommodants sur ce point que sur le précédent, comme nous l'apprend le langage irrité de Maximilien : Vous nous avez fait requerre que nous ne voulsissions aucune chose entreprendre en Gheldres, et que voulsissions mettre la chose en delay jusques à la venue de nostre fils : et après qu'il seroit arrivé, et que aurions conclu et délibéré avec lui sur le fait dudit pays de Gheldres, fust pour la paix ou guerre, vous vous y emploieriez pour nostredit fils en toutes choses que seront de droit et de raison. — En ce qui touche la matière de Gheldres, nous savons bien le, droit que nostredit fils y a, pet vous aussi le sçavez bien, se vous le voulez croire et entendre, et n'est point de nécessité de disputer sur ce plus avant avec vous, comme vous nous mettez en avant le droit de la raison, car vous n'estes point sur ce le juge, ains estes tenus d'ensuyr le vray juge, assavoir le souverain seigneur dudit pays de Gheldres, lequel nous sommes ; et se nous nous acquittons, selon Dieu, raison et équité, envers nostredit fils, pour lui faire ravoir sondit pays de Gheldres, vous ne vous devez ingérer et ne vous appartient point d'avoir ne prendre sur ce aucune cognoissance ou declaration[24].

Maximilien venait de quitter la Belgique et l'archiduc était sur le point d'y rentrer, lorsqu'ils eurent ensemble une entrevue à Insprück. L'archiduc reprit immédiatement la route des Pays-Bas, et, le 15 novembre, dès le premier moment de son arrivée, il convoqua les états généraux il leur demanda une aide de quatre cent quarante-quatre mille livres destinée à payer les frais de son voyage, ce que les états accordèrent sans difficulté. Il prit ensuite diverses mesures d'ordre intérieur, parmi lesquelles il faut citer particulièrement l'ordonnance du 21 janvier 1504, qui fixa définitivement le siège dif grand conseil à Malines. Charles le Téméraire, on s'en souvient, l'y avait placé en 1473, mais depuis l'année 1477, cette institution était redevenue ambulatoire, comme du temps de Philippe le Bon, et elle tenait habituellement ses séances dans la résidence même du prince. Aux termes de l'ordonnance de l'archiduc, les membres du grand, conseil étaient tenus de résider à Malines, à l'exception du chancelier sire de Maigny, de l'évêque d'Arras, du grand prévôt d'Utrecht, de maître Gérard de Plaine, conseillers, et des quatre maîtres des requêtes, qui devaient suivre le prince partout où il se transporterait. Ils étaient au nombre de quatorze, savoir, cinq conseillers clercs et neuf laïques, plus un président destiné à remplacer le chancelier absent. Le grand conseil avait la connoissance et judicature en cas de ressort des causes d'appel de plusieurs nos pays, dit l'ordonnance, et en première instance des causes dépendans de nostre hauteur et autorité. Il tenait ses séances en la maison de la ville de Malines, où se souloit tenir le parlement[25], tous les jours non fériés, le matin, en hiver, de huit à onze heures, en été, de sept à dix heures, et l'après-dîner, en tout temps, de trois à cinq heures. La distinction établie entre les membres résidants et non résidants donna naissance au conseil intime, appelé aussi conseil privé[26].

Le 26 novembre 1504, Isabelle de Castille mourut d'hydropisie, à cinquante-quatre ans, dans la ville de Medina del Campo, après avoir déclaré son héritière la princesse Jeanne, sa fille, Doña Joanna, comme on l'appelait au delà des Pyrénées. Le règne d'Isabelle sera à jamais célèbre par la réunion des Espagnes sous le même sceptre, et par la découverte de l'Amérique, qui soumit à la domination espagnole de si vastes territoires dans le nouveau monde. Les obsèques célébrées en l'église de Sainte-Gudule, le 15 janvier 1505, furent dignes de cette grande princesse. La nef et les cinquante-trois autels de ce beau monument étaient tendus de drap noir avec des croix en damas blanc. Devant le chœur, qui était garni de velours de la même couleur, on avait dressé un autel couvert de drap d'or, sur lequel furent déposés les joyaux de la chapelle de l'archiduc, un morceau de la vraie croix, trois ou quatre images[27] et quatre chandeliers portant, chacun un cierge d'une livre et demie. En face de cet autel était le cénotaphe, aussi couvert de drap d'or, autour duquel brûlaient huit cents cierges ; deux anges planaient au-dessus soutenant une couronne. Trois cents hommes, en habits de deuil, ouvraient la marche du cortège ; ils étaient suivis par le clergé séculier et régulier, les magistrats, les métiers, les dignitaires et les nobles de la cour, tous encapuchonnés et précédés par leurs hérauts. Un palefroi, couvert d'une housse de velours traînant jusqu'à terre, portait sur la selle une couronne d'or ; il était conduit par un poursuivant aux armes d'Espagne. Le duc de Clèves et le prince de Chimai marchaient des deux côtés, et, derrière eux, les rois d'armes de Galice, de Grenade, de Castille et de Léon, portant les pièces de harnachement. Venait ensuite le roi d'armes Toison d'or précédant l'archiduc. Les ambassadeurs des princes étrangers et les darnes de la cour formaient la fin du cortège. A la grand'messe, chantée par l'évoque d'Arras, un religieux dominicain prononça l'oraison funèbre. La messe achevée, Toison d'or cria : Très haute, très excellente, très puissante et très catholique ! et un autre héraut répondit : Elle est morte de très vertueuse et très louable mémoire. Ces paroles furent répétées trois fois, et, à la dernière, Toison d'or jeta sa verge, et, s'avançant vers le cénotaphe, il en enleva la couronne qu'il alla déposer sur l'autel. Après un moment de silence, il s'écria : Vivent don Philippe et dame Jeanne, par la grâce de Dieu, roi et reine de Castille, de Léon et de Grenade ! se dirigeant ensuite vers l'archiduc, il lui dit : Sire, la coustume et l'usage impérial et royal veullent que ostez vostre chapperon, car à roy n'appartient plus avant le porter. Le premier chambellan ayant enlevé le chapperon de l'archiduc, Toison d'or alla prendre une épée sur l'autel, et revenant vers Philippe : Sire, dit-il à haute voix, ceste épée vous appartient pour justice maintenir, vos royaulmes et subjects deffendre. Philippe s'agenouilla, prit l'épée et la tint quelque temps levée ; les rois et les hérauts d'armes changèrent de costume, et le cortège reprit le chemin du palais, au bruit des fanfares et des acclamations de la foule. Après les funérailles vinrent les fêtes, et jamais il n'y en eut de plus splendides ni de plus animées[28]. Mais au milieu de l'allégresse générale, quelques esprits sages se montraient soucieux de l'avenir. Il y a plutôt là de quoi pleurer, disaient-ils, car cet évènement va priver le pays de la présence de ses souverains, qui deviendront pour lui des étrangers[29].

Peu de jours après ces cérémonies, les états généraux furent saisis d'une demande de quatre cent mille philippus d'or. Cette aide, destinée partie au prochain voyage des archiducs en Espagne pour y recueillir la succession de la feue reine, partie aux frais de la guerre dont la Gueldre était le théâtre en ce moment, fut accordée, non toutefois sans de grandes difficultés. Cette guerre de Gueldre était le résultat d'un ensemble de faits, au sujet desquels nous devons quelques explications au lecteur. Ce n'est pas la première fois qu'il est parlé, dans cette histoire, des tristes démêlés qui agitèrent si longtemps ce pays. On a vu précédemment comment Charles le Téméraire était entré en possession du duché de Gueldre et du comté de Zutphen par suite d'une donation du vieux duc Arnoul[30]. On a vu aussi comment Adolphe, le fils dénaturé de ce malheureux vieillard, après être parvenu à sortir de sa prison, vint périr dans une tentative des Flamands sur Tournai[31]. Charles d'Egmont[32], fils de ce dernier, dépouillé de l'héritage de sa famille, parut d'abord accepter son sort avec résignation, mais il devint plus tard un instrument aux mains de la France. Charles VIII le renvoya, en 1491, dans la Gueldre à la tête de mille chevaux, et il y fut reçu avec enthousiasme par les habitants. L'absence de Maximilien, occupé en Allemagne et en Hongrie, la guerre des Hoecks et des Kabelliauves, qui retenait en Hollande son lieutenant Albert de Saxe, favorisèrent les premières tentatives du jeune prince, mais ces succès furent bientôt suivis de graves revers. Albert de Saxe fondit sur le pays à la tête d'une armée justement appelée la grande verge, s'empara des principales villes et força Charles d'Egmont à chercher un refuge en Lorraine. La querelle fut alors soumise à la diète de l'empire, qui se prononça en faveur de la maison d'Autriche (1497). Les habitants refusèrent de se soumettre à cette décision, et Charles revint dans la Gueldre, où son arrivée fut le signal d'une prise d'armes générale. Mêlée de chances diverses, interrompue par des armistices presque aussitôt rompus que signés, compliquée de soulèvements en Frise et dans l'évêché d'Utrecht, cette guerre, entretenue par l'intervention de la France, dura jusqu'en 1499. L'épuisement des parties belligérantes amena la conclusion d'une trêve, qui devait être rompue à la première occasion favorable.

Philippe le Beau crut avoir trouvé cette occasion dans ses relations amicales avec Louis XII. Il commença par interdire tout commerce entre les Pays-Bas et la Gueldre, ce qui fut d'autant plus sensible aux habitants qu'ils tiraient presque toutes leurs subsistances du Brabant et de la Hollande. Puis, en même temps que l'empereur Maximilien défendait aux états d'Allemagne, sous peine d'être mis au ban de l'empire, de prêter aide et assistance à Charles d'Egmont, une flotte, croisant dans le Zuiderzée, bloqua l'embouchure de l'Issel et de l'Eem. Enfin le duc de Clèves envahit le comté de Zutphen ; le prince d'Anhalt, lieutenant de Maximilien, investit Bommel, et les capitaines des Pays-Bas, franchissant la Meuse, mirent les contrées voisines à feu et à sang. L'approche de l'hiver força les assaillants à évacuer le pays, en ne laissant que quelques troupes autour de Bommel. Les habitants prirent alors l'offensive à leur tour, mais une défaite qu'ils essuyèrent dans la mairie de Bois-le-Duc, arrêta leur entreprise.

Les choses en étaient là, lorsque Philippe, à la suite de la mort de la reine Isabelle, demanda aux états le subside dont nous parlions tout à l'heure. Dès le retour du printemps, il réunit ses forces et se dirigea vers la Gueldre, après avoir demandé des prières publiques pour que Dieu, par sa bonté, voulsist dompter ses rebelles ennemis de Gheldres et les inspirer et induire à recongnoistre leur tort. Philippe passa la Meuse à Grave, et marcha vers Nimègue ; il repoussa d'abord quelques sorties de la garnison et s'empara de trois châteaux des environs ; ensuite, par une diversion habile, il leva tout à coup son camp, entra dans le pays de Clèves, franchit le Rhin sans obstacle et investit Arnhem.

La ville d'Arnhem, réputée la clef de la basse Gueldre, avait une nombreuse garnison. L'attaque. poussée avec vigueur, fut repoussée vaillamment par les assiégés. Une redoute qui défendait les abords de la place, fut prise et reprise après des combats acharnés. Mais enfin les munitions manquèrent, et il fallut demander à. capituler. Les assiégés subirent de dures conditions. Il était stipulé que le vainqueur entrerait par la brèche, s'il le voulait, et que les habitants livreraient leurs armes et prêteraient serment de fidélité. La prise d'Arnhem (5 juillet 1505) entraina bien vite la reddition des autres villes. Harderwyk, Elburg, Doesburg subirent coup sur coup le joug du vainqueur. Philippe, traversant la Weluwe, marcha sur Hattem, mais la forteresse en était réputée inexpugnable, et il se contenta d'y laisser quelques troupes pour la réduire. Il franchit ensuite l'Yssel près de Zutphen, qui demanda à parlementer. Ses lieutenants n'étaient pas moins actifs. Une division, passant la Meuse près de Bommel, avait resserré le blocus de cette place et ravagé tout le Bommelerwaard. Il ne resta bientôt plus à Charles d'Egmont que les quartiers de Ruremonde et de Nimègue.

Ce prince comprit sa situation. Il demanda un sauf-conduit par l'entremise de l'évêque d'Utrecht, et vint trouver Philippe au château de Rosendael. A la suite de cette entrevue, les commissaires des deux princes signèrent, le 27 juillet, une trêve de deux ans, qui laissait indécise les prétentions de Charles d'Egmont. Celui-ci s'obligeait à livrer Bommel, Tiel, le château de Hattem, et à accompagner par honneur Philippe en Espagne, ce qui n'était autre chose qu'une captivité déguisée sous un nom moins humiliant[33]. La trêve fut immédiatement publiée, et Philippe, traitant déjà la Gueldre comme un état qui lui appartenait, en conféra le gouvernement au comte Jean de Nassau[34].

Trois mois avaient suffi pour obtenir ces importants résultats malheureusement l'attitude de ses voisins et la situation de ses affaires en Espagne étaient de nature à créer à Philippe de nouveaux soucis. Les relations avec la France, si cordiales naguère, avaient fini par se refroidir. Mais il faut tenir le lecteur au courant des faits qui venaient de se passer dans ce pays. Anne de Bretagne avait perdu ses deux fils, et toute son ambition s'était concentrée sur sa fille Claude, l'épouse future de Charles de Luxembourg. Le duc de Valois[35], héritier présomptif du trône, était l'objet de sa jalousie. Elle fit si bien que, par un traité secret conclu à Blois le 22 septembre 1504, il fut convenu que, si Louis XII mourait sans hoirs mâles, la Bourgogne et ses dépendances seraient restituées à Charles de Luxembourg, en raison de son mariage avec Claude ; que, de plus, celle-ci lui apporterait en dot Gènes, le comté d'Asti, le duché de Milan et lui transporterait la Bretagne du chef de sa mère. A ces stipulations en étaient jointes d'autres, également onéreuses pour la France. Ce traité constituait, de la part de Louis XII, une véritable trahison envers son royaume, et le cardinal d'Amboise[36] avait raison de dire que de pareils engagements étaient radicalement nuls, parce qu'on ne pouvait, sans le consentement de la nation, disposer d'une portion aussi considérable du territoire. Louis XII lui-même comprit bientôt tout ce qu'il y avait eu d'excessif dans ces arrangements ; il y renonça, et arrêta le mariage de Claude avec le duc de Valois. Cette renonciation aux traités antérieurs fut suivie d'un changement complet dans la conduite du roi de France, et ses sentiments hostiles ne tardèrent pas à se montrer. Un sergent royal chargé d'exploits de justice en Flandre y avait été l'objet de mauvais traitements. Le roi demanda impérieusement satisfaction, et ne l'obtenant point assez promptement, il fit ajourner Philippe, par un arrêt du parlement, à comparoir en personne, pour entendre prononcer la saisie des comtés de Flandre, d'Artois et de Charolais, et leur mise en mains du roi jusqu'à ce que satisfaction lui eût été donnée sur tous les griefs.

Philippe, pressé de partir pour l'Espagne et voulant avant tout assurer la sécurité des Pays-Bas en son absence, s'empressa d'envoyer une ambassade en France. Il demandait à Louis XII s'il avoit d'autres causes de mécontentement que celte-ci, attendu qu'elle ne sembloit pas de nature à si soudainement faire telles protestations et département de leurs grandes amitiés et traités. C'estoit, du reste, chose qui n'estoit point du gibier ni de la vocation du roy, et il n'y avoit pas lieu d'estre de ce chef noté de désobéissance ni d'aucune pertinacité. Néanmoins, ajoutèrent les ambassadeurs, fidèle à son alliance avec un prince pour lequel son affection est telle qu'il lui a toujours communiqué ses affaires comme à son propre frère, et voulant, en qualité de vassal, l'honorer, le servir et garder sa souveraineté, nostre maistre a ordonné à sa chancellerie, aux conseils de Malines et de Flandre, d'y prendre soigneuse garde.

A ces protestations d'amitié on répondit en France par d'étranges prétentions. Les ministres français réclamèrent la régale[37] sur les évêchés de Flandre comme droit inhérent à la couronne et fondé sur des titres remontant à l'année 1249 A l'objection qu'il y avait une lacune de cent, onze ans durant lesquels il n'existait aucune trace de l'exercice de ce droit, ils répondirent qu'en icelluy temps il y avoit eu aulcuns rois en France qui n'estoient pas trop bien pourvus de sens, mais que droit de souveraineté ne se prescrivoit point. Ils élevèrent une autre prétention. Ils réclamèrent le pays de Waes, la seigneurie de Rupelmonde et le comté d'Ostrevant comme appartenances de la Flandre et devant, par conséquent, entre tenus sous hommage de la couronne, puisque l'Escaut estoit la vraie limite entre la France et l'empire. Philippe crut qu'il fallait gagner du temps. Ses ambassadeurs signèrent, le 25 octobre 1505, un accord par lequel il cédait sur la régale au sujet de l'évêché de Tournai, et obtenait une surséance de six mois pour plaider devant le parlement de Paris la question de l'hommage prétendu pour le pays de Waes, la seigneurie de Rupelmonde et le comté d'Ostrevant. Il eut soin de protester immédiatement contre l'injustice qui lui étoit faite, et contre une convention qu'il avoit du conclure pour éviter la guerre et la perdition de ses royaumes de Castille, de Léon et de Grenade.

Philippe put alors tourner toute son attention vers ses affaires d Espagne, où de grandes difficultés l'attendaient. Six semaines avant sa mort, Isabelle avait institué son mari Ferdinand unique régent de Castille, en cas d'absence ou d'incapacité de Jeanne, jusqu'à ce que son petit-fils Charles eût atteint l'âge de vingt ans, et avait enlevé ainsi à son gendre Philippe toute participation à la régence. Ferdinand s'était empressé de faire proclamer Jeanne reine de Castille, sans faire mention de Philippe, et s'était mis en possession du gouvernement avec l'assentiment des états du royaume[38]. Philippe et Jeanne avaient été invités ensuite à se rendre en Espagne, afin que la nation pût s'assurer si sa nouvelle souveraine était en effet incapable de gouverner.

Dans ces circonstances, la noblesse de Castille, qui s'était flattée, dit un historien espagnol, de pouvoir faire plus librement ce qu'elle voudrait sous le nouveau règne de l'archiduc, prit ouvertement parti pour Philippe. S'étant réunie à Valladolid, le 12 février 1505, sous la présidence du duc de Najera et du marquis de Villéna, elle envoya un message à l'archiduc pour l'engager à se rendre au plus tôt dans son royaume de Castille. Ce royaume, disait le message, lui appartenait du chef de sa femme, et ni la feue reine par son testament, ni les états par leur délibération, n'avaient pu porter atteinte à son droit. Le message se terminait par la déclaration que presque tous les grands de Castille étaient dévoués à son service[39]. Cette attitude de la noblesse détermina Ferdinand à chercher un appui au dehors. Il se réconcilia avec Louis XII, et, par un traité signé à Blois le 12 octobre, le roi de France lui accorda la main de sa nièce Germaine de Foix, et assigna pour dot à cette princesse la portion du royaume de Naples précédemment assurée à Charles et à Claude de France. Les deux rois se promettaient, en outre, une assistance mutuelle contre tous leurs ennemis indistinctement.

Cette situation était fort grave, et une rupture violente entre l'archiduc et son beau-père paraissait imminente. Cette triste prévision ne se réalisa pourtant pas, grâce à l'heureuse influence exercée par l'illustre cardinal Ximenès de Cisneros, une des plus hautes figures historiques et certainement la plus pure de cette époque[40]. Ce grand ministre avait eu toute la confiance de la pieuse reine Isabelle. La mort de la reine, bien loin de diminuer le crédit de Ximenès, l'accrut de l'importance que chaque parti mettait à se l'attacher. La prépondérance incontestée qu'il avait acquise le rendit comme arbitre entre le roi Ferdinand et l'archiduc Philippe. Choisi par les deux princes pour médiateur, le prélat chercha tous les moyens de les concilier, et, ce qui est, fort rare, il conserva la confiance de l'un et de l'autre. Un accord fut conclu, et l'on convint que l'autorité serait exercée en Castille conjointement au nom de Jeanne, de Philippe et de Ferdinand, et que les deux princes se partageraient, par portions égales, les revenus de la couronne.

A la faveur de cette convention, Philippe acheva ses préparatifs, et fut bientôt en mesure d'aller prendre possession de l'héritage échu à sa femme. Il dut attendre toutefois le rétablissement de Jeanne, qui venait de donner naissance à une deuxième fille. La princesse Marie naquit à Bruxelles, le 15 septembre 1505, et, fut baptisée, le 20, dans l'église du Sablon. D'après un récit du temps, la foule était si grande à cette cérémonie, que l'évêque d'Arras, qui officiait, eut sa crosse rompue en trois morceaux. Cette enfant eut l'empereur pour parrain, et pour marraines la dame de Ravenstein et mademoiselle de Nassau. Aussitôt après les relevailles, les états généraux, réunis à Malines le 4 novembre, reçurent l'annonce officielle du prochain départ des nouveaux souverains, et une demande de continuation des aides pour un terme de quatre années. Cette demande accordée, Philippe partit le 17 novembre pour Middelbourg, où le retinrent, encore quelque temps l'achèvement de ses préparatifs et l'arrangement définitif des affaires du pays. Les évènements, qui se passaient à Liège au moment où nous sommes, devaient naturellement aussi attirer son intention.

Un an à peine s'était passé après la paix conclue entre l'évêque de Liège Jean de Horne et Guillaume de la Mark, dit le sanglier des Ardennes, lorsque celui-ci tomba victime d'un lâche et odieux guet-apens. La plus grande cordialité semblait avoir succédé aux anciennes animosités, et l'on se prodiguait de part et d'autre les marques du plus vif attachement. Le 29 juin 1485, La Marck et l'évêque avaient dîné ensemble chez l'abbé de Saint-Trond[41] ; les deux frères du prélat, Jacques, comte de Horne, et Frédéric, comte de Montigni, assistaient au festin. Dans l'après-dîner, les deux frères de l'évêque firent amener leurs chevaux pour gagner Louvain ; l'évêque et La Marck voulurent les accompagner jusqu'à une certaine distance par courtoisie. Quand on fut arrivé au bois de Heers, La Marck se vit tout à coup entouré par une bande de soldats placés en embuscade, la mèche allumée sur le bassinet, et Montigni, s'approchant, le déclara son prisonnier et lui exhiba un ordre écrit de l'archiduc Maximilien. — Où me conduisez-vous ? dit La Marck. — A Maëstricht, répondit-on. — C'est donc à la mort, ajouta-t-il. Il ne l'avait que trop bien prévu. Le lendemain de bonne heure, l'échafaud était dressé sur la place Saint-Servais. Au moment où La Marck y montait, il aperçut l'évêque à un balcon dans la foule des spectateurs ; il lui reprocha à haute voix sa perfidie, et prédit que la tête qui allait tomber saignerait longtemps. Il ôta ensuite son manteau, puis, relevant sa longue barbe, il en couvrit son visage, et tendit sa tête au bourreau, qui l'abattit d'un seul coup.

Son frère, Évrard de la Marck, se chargea d'accomplir sa prédiction. Il entreprit contre l'évêque une guerre à outrance, dans laquelle il fut secondé par les chefs du parti démocratique, notamment par Gui de Manne, célèbre factieux, d'abord favori de la populace, puis son tyran, puis sa victime, comme tant d'autres, dit M. de Gerlache. Cette guerre horrible dura sept uns. La misère était au comble dans les villes et dans les campagnes ; le sang avait coulé à flots ; il n'y avait plus ni repos ni sûreté pour personne. Le clergé, les états tentèrent en vain pendant longtemps d'amener une réconciliation entre les parties. Enfin, après bien de pourparlers, on convint d'une entrevue qui devait avoir lieu dans la plaine de Haccourt, entre Liège et Maëstricht. Au mois de juillet 1492, l'évêque, à la tête de sa noblesse et sans armes, s'avança au devant d'Évrard et de Robert de la Marck, sire de Sedan et frère d'Évrard. Dès qu'il les aperçut, il descendit de cheval, et s'adressant au comte Évrard, d'une voix tremblante, il lui cria par deux fois de suite : Je vous prie, seigneur Évrard, de me pardonner la mort de votre frère Guillaume. Comme Évrard ne répondait rien, il reprit en pleurant : Seigneur Évrard, pardonnez-moi la mort de votre frère, je vous en conjure par la passion et la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ. Alors Évrard commençant aussi à pleurer et à sangloter, répondit : Vous me demandez pardon de la mort de mon frère au nom d'un Dieu mort pour nous tous, eh bien, je vous l'accorde. Il lui tendit la main, et ils s'embrassèrent à plusieurs reprises. A partir de ce moment, la paix fut rétablie. Cette paix est connue sous le nom de paix de Donchery[42], du lieu où s'étaient tenues les conférences préliminaires.

La principauté de Liège goûta enfin un peu de repos après ces affreuses commotions. Jean de Horne, depuis sa réconciliation avec le chef de la maison de la Marck, habita presque continuellement Maëstricht ou Curange[43]. Le peuple suffirait de cet éloignement du prince, et l'accusait de ne venir à Liège que pour demander de l'argent. Les états finirent, le 11 décembre 1505, par lui refuser ouvertement les subsides qu'il exigeait d'eux[44]. Ce refus aggrava une maladie dont il était atteint, et il expira quelques jours après. Philippe et Maximilien firent tous leurs efforts, mais en vain, pour faire élire à sa place Jacques de Croy, évêque de Cambrai. Le 30 décembre, Érard de la Marck, fils du sire de Sedan et neveu du Sanglier des Ardennes, fut choisi à la pluralité des suffrages. Il fallait aux Liégeois, dit l'historien cité plus haut, un homme qui, en respectant leurs vieilles franchises auxquelles ils tenaient avec une invincible obstination, sût contenir les méchants et les factieux, défendre hautement sa propre autorité, et faire régner au-dessus de tous la justice et les lois. Cet homme ils le trouvèrent dans Érard de la Marck[45].

Pendant son séjour à Middelbourg, Philippe tint en cette ville le dix-septième chapitre de l'ordre de la Toison d'or. Le 27 décembre, il annonça à ses peuples des Pays-Bas qu'il avait conclu avec son beau-père certain appointement, moyennant lequel il pourroit faire beaucoup plus franchement et plus joyeusement son voyage en Espagne. Il nomma Guillaume de Croy, sire de Chièvres, lieutenant général de tous ses pays, et lui adjoignit un conseil composé du sire de Maigny, grand chancelier, de l'évêque d'Arras, Nicolas de Ruttere ; du prince de Chimai, et des sires de Fiennes et de Sempy. Enfin, le 10 janvier 1506, après avoir fait son testament, il s'embarqua à Flessingue. La flotte, qui comptait quarante-trois voiles et quinze à seize mille matelots, eut à peine pris la mer que le gros temps l'obligea à rentrer dans le port qu'elle venait de quitter. Arrivée en vue des côtes d'Espagne, elle fut assaillie par une nouvelle tempête, repoussée au loin et dispersée. Le vaisseau royal désemparé erra à l'aventure au milieu d'une brume épaisse, et après les plus grands efforts pour éviter les brisants de la côte, se réfugia dans le havre de Hampton avec trois autres navires. Philippe et Jeanne descendirent à terre, et furent accueillis par le roi Henri VII avec les plus grands honneurs. Pendant les trois mois qu'ils passèrent successivement à Windsor et à Londres, chaque jour fut marqué par de nouvelles fêtes. La politique, du reste, n'était pas étrangère à ces fêtes Par un traité signé à Windsor, les deux princes se promirent amitié, ligue, confédération et paix, sur mer et sur terre, ainsi que l'extradition des rebelles, des traîtres et des fugitifs, de quelque rang, état et condition qu'ils fussent[46]. Par un autre traité du même jour, Philippe promit la main de son fils Charles à la princesse Marie, fille cadette de Henri VII, avec un dédit de deux cent cinquante mille couronnes d'or, dont cinquante mille devaient être garanties par quinze seigneurs et douze des principales villes des Pays-Bas. C'étaient là les représailles dont il usait envers la France. Cet engagement fut souscrit plus tard[47] par les comtes de Chimai, de Nassau, d'Egmont et de Buren ; les sires de Fiennes, de Berghes, de Chièvres, de Ville, de Rœulx et de Beersel ; le baron de Lalaing, Philibert, seigneur de Vere ; Jean Sauvage, seigneur d'Escaubecq, président de Flandre ; Philippe Hanneton, premier secrétaire et audiencier, et par les villes de Bruxelles, Anvers, Bruges, Ypres, Courtrai, Nieuport, Dordrecht, Leyde, Amsterdam, Middelbourg, Ziericzée et Malines. Par lettres du 7 juin 1508, l'empereur promit à la ville de Bruxelles de la décharger de cette caution, en cas de rupture du traité[48]. Comme on le verra plus loin, lors de la paix de Cambrai, ce dédit fut mis à la charge de la France, qui ne le paya jamais.

Ce fut également pendant ces trois mois que furent.jetées les bases d'un nouveau traité de commerce, lequel fut définitivement conclu à Westminster le 15 mai suivant, trois semaines après le départ de Philippe. On voulait éviter les querelles et les difficultés que l'établissement de droits nouveaux avait soulevées entre les habitants et les marchands des deux pays d'une part, et les officiers des deux souverains d'autre part. Les saisies et les' jugements contradictoires de ces derniers avaient produit, depuis trois ans, une abstention presque complète de relations commerciales entre l'Angleterre et les Pays-Bas. Le traité arrêtait toutes les poursuites commencées, et autorisait le commerce et le séjour libre sur les mers, les fleuves et les rivières des deux pays. Il permettait aux Anglais d'importer leurs draps dans les Pays-Bas, mais en leur interdisant de les vendre en détail dans les villes de la Flandre, de les y faire teindre, tondre ou préparer par des ouvriers flamands[49] ; exemptait les navires anglais en destination pour Anvers du payement des droits de tonlieu établis postérieurement à Philippe le Bon[50] ; leur accordait liberté entière de se rendre aux foires qui se tenaient dans nos provinces, avec assurance que, sous aucun prétexte, leurs marchandises ne seraient surtaxées, ni leurs marchands soumis à une exaction, mais recevraient au contraire toute aide et assistance des autorités locales, enfin d'importer ou d'exporter les quantités d'or et d'argent nécessaires à leurs opérations. De son côté, Henri VII permettait aux marchands des Pays-Bas d'acheter à Calais les laines et autres marchandises anglaises, en payant les droits fixés par les tarifs. Ce traité fut mal accueilli en Belgique. Le silence gardé par le traité à l'égard de la pêche sur les côtes d'Angleterre, avait été considéré comme une interdiction de cette pèche, et il fallut qu'une disposition additionnelle et expresse autorisât les pêcheurs des Pays-Bas à continuer de s'y livrer comme par le passé. Mais ce qui excita surtout le mécontentement fut la concession qui exemptait les Anglais des péages, auxquels étaient soumis les nationaux eux-mêmes. Les populations flamandes ne se trompèrent pas sur ces faveurs accordées aux étrangers, et donnèrent le nom de mauvais entre-cours, intercursus malus, au traité qui les consacrait[51].

Cependant les vaisseaux égarés s'étaient successivement ralliés, et la flotte avait été renforcée de quelques navires venus des Pays-Bas. Philippe put alors prendre congé du monarque anglais, et s'embarqua à Falmouth, avec sa femme, le 23 avril. Arrivé, le 26 à la Corogne, il écrivit le même jour, au conseil des Pays-Bas, pour Le rassurer au sujet du maintien de la paix. Il était tout disposé, disait-il, à entrer en arrangement avec son beau-père. Dans une lettre adressée, à la même époque, à son ambassadeur en France, il montrait les mêmes dispositions. Le roi d'Aragon et moi, c'est ainsi qu'il s'exprimait, nous avons le plus grand désir d'une entrevue amicale, et nos sentiments sont on ne peut meilleurs. Les faits ne répondirent pas entièrement à ces espérances pacifiques. Poussé sans doute par la noblesse castillane qui s'était empressée de se rendre auprès de lui, Philippe sembla vouloir éviter à tout prix cette entrevue avec Ferdinand, qu'il désirait naguère. Il persistait à exiger que son beau-père sortit de la Castille. Il avait surpris une lettre de sa femme, où la malheureuse princesse priait Ferdinand de ne point abandonner le royaume qu'elle tenait de sa mère, et où elle lui donnait, en qualité d'héritière, plein pouvoir pour l'administrer, protestant que, si elle retournait en Castille, elle gouvernerait entièrement d'après les conseils paternels. Philippe, furieux, avait éloigné aussitôt de la cour les dames et les seigneurs espagnols qui entouraient la princesse, et, après leur arrivée en Espagne, il ne lui permit pas même de voir son père, et fit tout ce qui était en lui pour faire prononcer son interdiction. Ximenès intervint au milieu de ces tristes débats. Il avait toute la confiance de Ferdinand, et Philippe lui témoignait les plus grands égards. Ce grand pacificateur parvint à ménager entre les princes un nouvel accommodement, qui fut accepté par Ferdinand le 27 juin, et par Philippe, le 29. Ferdinand reconnaissait que sa fille était incapable de gouverner, et promettait son appui à Philippe chargé seul du gouvernement[52]. Il partit immédiatement pour ses états d'Aragon, après s'être séparé de son-gendre dans les meilleurs termes.

Ximenès ne se sépara plus de Philippe, et il seconda les efforts de ce prince pour faire déclarer Jeanne sa femme incapable de régner. L'état mental de la malheureuse princesse semblait rendre cette triste mesure nécessaire, mais les Cortès réunies à Valladolid s'y refusèrent absolument. Elles se contentèrent de prêter le serment ordinaire d'hommage à la reine Jeanne, comme à leur señora natural, à Philippe son époux, et au prince Charles, leur héritier présomptif. Philippe prit alors les rênes du gouvernement, mais il ne les tint pas longtemps. Les historiens lui reprochent de s'être laissé entraîner par ses favoris espagnols et flamands aux plus folles prodigalités. Ce fut à la suite d'une fête qu'il avait acceptée chez l'un d'eux que survint la catastrophe qui mit fin à ses jours. Voici comment le fait, est raconté par un écrivain de notre temps, qui a puisé son récit aux meilleures sources[53].

Philippe avait donné à don Juan Manuel[54], outre beaucoup d'autres places, celle de gouverneur de Burgos, et il accepta un festin splendide offert par le favori en témoignage de sa reconnaissance. Cette fête se passa dans la joie et la gaieté, et, au sortir de table, le roi voulant, après un repas un peu extraordinaire, se donner plus de mouvement que de coutume, fit longtemps caracoler son cheval dans le manège, et passa de là au jeu de paume, qu'il aimait extrêmement, et auquel il se livra cette fois pendant longtemps aussi et avec beaucoup d'efforts. Ces exercices violents l'ayant fort réchauffé, il but avec précipitation un verre d'eau froide, ce qui sans doute lui donna la fièvre dont il fut atteint le soir même. C'était, le 19 septembre 1506. Le mal parut d'abord sans gravité, mais il augmenta avec une rapidité étonnante par suite d'un traitement défectueux et du défaut de soins. Un seul de ses médecins, Louis Marlian de Milan, jugea que l'état du roi offrait du danger ; tous les autres n'y attachèrent aucune importance. Ximenès avait envoyé auprès du malade son propre médecin, le docteur Yanguas. Celui-ci ne vit d'espoir que dans une saignée, mais les médecins flamands s'y opposèrent vivement, prétendant connaître mieux que l'Espagnol le tempérament du prince et la nature de la maladie. Yanguas éconduit déclara à Ximénès qu'il considérait le roi comme perdu sans retour. Cette triste prévision n'était que trop fondée. Le 25 septembre, Philippe mourut à Burgos, cinq mois après son arrivée en Espagne, et âgé seulement de vingt-huit ans[55].

Quoique du côté de l'esprit, dit l'écrivain cité plus haut, la nature ne l'eût pas traité en marâtre, Philippe le Beau était trop adonné aux plaisirs de la vie, beaucoup trop ardent et trop inconstant pour devenir jamais un grand roi[56]. Ce jugement nous parait bien sévère ; il est un peu trop, nous paraît-il, le reflet de l'opinion dominante chez les Espagnols, qui ne pouvaient pardonner au prince belge sa qualité d'étranger. Voici le portrait qu6 nous a laissé de Philippe un Italien qui l'avait vu de près, l'ambassadeur vénitien Vincent Quirini : Le roi Philippe était beau de corps, vigoureux et bien portant, apte à jouter, adroit aux exercices du cheval, soigneux et vigilant à la guerre, supportant facilement toute espèce de fatigue. Il était naturellement bon, magnifique, libéral, affable, bienveillant, et si familier avec tout le monde qu'il oubliait parfois le decorum royal. Il aimait la justice et s'appliquait à la faire observer. Il était religieux et n'avait qu'une parole quand il promettait. Il était doué enfin d'une rare intelligence, apprenait avec facilité les choses les plus ardues ; mais il n'était ni prompt dans les réponses, ni résolu dans l'exécution : toujours il se rapportait à l'avis de son conseil, dans lequel il avait une grande confiance, étant naturellement enclin à se laisser persuader par les personnes qu'il aimait (2)[57].

L'infortunée Jeanne, dominée par un amour opiniâtre, quels que fussent les torts de son mari, ne s'était pas éloignée un instant du lit de douleur où il expira. Après la mort de Philippe, elle resta près du cadavre, et malgré son état de grossesse avancée, malgré les prières des grands de la cour et de Ximenès lui-même, elle ne consentit pas à s'en arracher. A la réception de la fatale nouvelle, l'illustre cardinal s'était enfermé dans sa chapelle domestique ; il se rendit auprès de la reine, après s'être fortifié lui-même dans la prière. il lui parla d'abord longuement du malheur qui venait de la frapper ; et ce ne fut qu'après l'avoir laissée se rassasier de sa douleur, qu'il essaya de verser quelques gouttes de consolation dans son âme désolée.

Le jour même du décès et la nuit suivante, le corps du prince fut exposé sur un lit magnifique, dans une des grandes salles du palais. Il avait un habit de brocard doublé d'hermine, la tête couverte d'un bonnet garni de perles et de diamants, sur la poitrine une croix très-riche ornée de pierres précieuses, aux pieds des brodequins et des souliers à la flamande. Au point du jour, le cadavre fut ouvert par deux chirurgiens, embaumé et entouré de bandelettes comme une momie. Il fut mis ensuite dans un double cercueil de bois et de plomb, et déposé provisoirement dans le couvent des chartreux de Miraflores, près de Burgos, pour être ensuite, conformément aux dernières dispositions de Philippe lui-même, transporté à Grenade à côté du tombeau d'isabelle. Le fils de Marie de Bourgogne avait légué son cœur à la Flandre, à la terre maternelle, pour laquelle ce cœur avait toujours battu de son vivant.

En attendant la décision définitive des Cortès, Ximenès fut élu par les grands du royaume pour administrer provisoirement la Castille, de concert avec le grand connétable, le grand amiral, les ducs de Najara et de l'Infantado, l'ambassadeur de l'empereur, Andrea del Burgo, et le sire de Vere, un des seigneurs flamands qui avaient fait partie de la cour du roi défunt. Ximenès, qui avait la présidence de ce conseil de régence, s'empressa d'écrire à Ferdinand sur le point de partir pour l'Italie, dans l'espoir que sa lettre le trouverait encore à Barcelone. Le cardinal lui disait que Philippe venait d'être enlevé par une mort imprévue, et que le peu d'union qui régnait entre les grands, laissait les affaires dans une indécision dangereuse ; que la reine était entièrement faible d'esprit, plongée dans le deuil et la douleur, et que, si le souvenir d'un royaume qu'il avait tant aimé, et sa tendresse pour une fille inconsolable avaient quelque empire sur lui, il devait perdre de vue, pour le moment, les affaires d'Italie, qui n'avaient rien d'urgent d'ailleurs, et revenir sans retard en Castille. Ximenès ajoutait qu'il espérait que la grande âme du roi oublierait les injures reçues, que, dans l'instant actuel, rien de pareil n'était à craindre, et qu'il nourrissait la confiance de pouvoir remettre entre ses mains un royaume aussi tranquille qu'il l'avait été sous Isabelle. La lettre arriva trop tard. Ferdinand venait de quitter la côte d'Espagne et il avait abordé à Portofino dans l'état de Gènes, lorsqu'il fut rejoint, le 6 octobre 1506, par le courrier qui lui avait été dépêché.

Revenons en Belgique, où la situation avait pris un caractère assez alarmant depuis le départ de Philippe le Beau. Louis XII avait informé le sire de Chièvres, lieutenant général, que vu les instances des états de son royaume, d'accord avec les états de. Bretagne, de l'avis de son conseil et des princes du sang, il avait. arrêté le mariage de la princesse Claude sa fille avec le duc d'Angoulême. Cette résolution il l'avait prise, ajoutait-il, par des raisons trop longues à déduire, sans avoir égard ni s'arrêter à ce que, par ci-devant, quelque traité avoit esté fait entre lui et son frère et cousin le roi de Castille touchant le mariage de sa fille avec son cousin le duc de Luxembourg, ce qui fut pour aucunes considérations qu'il avoit alors et qui de présent cessoient. De Chièvres envoya à son maitre la lettre du roi, et chargea cinq docteurs de Louvain d'examiner juridiquement les questions soulevées par la rupture des conventions matrimoniales. Pour lui, pressentant des difficultés prochaines avec la France, et peu rassuré du côté de la Gueldre, il dirigea -sur les points les plus menacés le peu de troupes dont il disposait et en leva de nouvelles. Il chercha ensuite à se créer des ressources au dehors.

Robert II de la Marck, sire de Sedan, semblait vouloir marcher sur les traces de son oncle, le sanglier des Ardennes. Dévoué aux intérêts français, il ravageoit toutes les terres de l'empereur et autres ses voisins, y faisant de grands maux, ny plus ny moins qu'un sanglier ravageant les bleds et les vignes des pauvres et bonnes gens. Émule et ami de François de Sickingen et des autres aventuriers allemands célèbres dans l'histoire militaire de cette époque, il avait levé et formé les bandes des lansquenets qui remplacèrent les Suisses dans les armées de Charles XII, et sa seigneurie s'était hérissée de châteaux-forts occupés par des soldats aguerris, entièrement dévoués à un chef qui tolérait tous les pillages, et dont l'habileté était aussi incontestable que la valeur. Le lieutenant général, profitant d'un moment de mécontentement de Robert de la Marck, essaya de le détacher de la France, et conclut avec lui un traité de neutralité le 6 juin 1506[58].

Les hostilités ne tardèrent pas à recommencer avec la Gueldre. Charles d'Egmont avait fait ostensiblement ses préparatifs pour accompagner Philippe le Beau en Espagne, comme il s'y était engagé, mais tout-à-coup il s'était échappé de Bruxelles et était rentré en Gueldre. Dès son arrivée, il s'était mis à lever des troupes et à fortifier les villes dont il était resté en possession. Il répandait le bruit que le roi de France s'était engagé à le soutenir, et accusait le roy de Castille ou ses lieutenants d'avoir conspiré pour le ruer jus, destruire et mettre hors de son pays. Ce fut le signal d'une prise d'armes générale. Les Gueldrois s'emparèrent d'abord de quelques places de peu d'importance dans leur pays, et bientôt étendirent leurs courses jusqu'en Hollande et dans la Campine.

Les représailles ne se firent pas attendre. Le lieutenant général, recourant aux emprunts et aux engagères, était parvenu à réunir trois mille hommes de pied et quatre bandes d'ordonnances formant un effectif de deux mille chevaux. A. la tête de cette petite armée, le nouveau gouverneur de la Gueldre, Philippe de Bourgogne, ravagea la Weluve, pendant que le sire d'Ysselstein pénétrait dans le Tielerwaart. Déroutés par l'impétuosité de l'attaque, les Gueldrois se retirèrent dans leurs places fortes, et Philippe de Bourgogne, maitre de la campagne, investit Wageningen. Ces premiers succès firent naître chez le lieutenant général l'espoir d'accabler Charles d'Egmont avant qu'il fût secouru. Le duc de Clèves lui envoya trois cents chevaux et quatre cents fantassins ; le Brabant, Namur, la Flandre, le Hainaut lui fournirent aussi de nombreux contingents.

Charles d'Egmont paraissait sur le point de succomber, mais la France ne l'entendait pas ainsi. Louis XII, levant le masque, déclara avoir bonne cause d'empescher que monsieur de Gueldre, son serviteur et son parent, ne fust détruit ; il vouloit garder son amitié, car il ne savon comment cela iroit avec le roy de Castille, qui faisoit journellement de grandes alliances avec les anciens ennemis de la France, ni avec le roy des Romains. Il n'entendoit pas du reste contrevenir aux trêves pour les pays appartenant au roy Philippe ; il les laisseroit en paix, mais il croyoit que ce prince n'avoit rien en Gueldre. Des concentrations de troupes eurent lieu immédiatement en Picardie et en Champagne, et les Français se préparèrent ouvertement à prendre part aux hostilités dans la Gueldre.

Devant ces menaces, le lieutenant général déploya beaucoup d'énergie et d'activité. Il renforça les garnisons des frontières, pressa les levées et ordonna un armement général. Il était prescrit à tous les habitants âgés de plus de dix-huit ans et de moins de soixante sous peine de désobéissance, de se mettre sus armés et embastonnés, bien et en point de demi-corsets, hautbergeons, brigandines, picques de quinze pieds de long et plus, arbalestes, couleuvrines et aultres basions, et eux ainsi mis se tenir prets pour eux tirer sous tels capitaines qu'il leur seroit désigné. Les nobles et les autres possesseurs de fiefs reçurent l'ordre de fournir des combattants à pied et à cheval, en raison de leurs revenus, et s'il y avait excuse valable, d'y suppléer par une contribution pécuniaire. Pour empêcher que l'armée de Gueldre ne fût prise entre deux feux, de Chièvres enjoignit à Philippe de Bourgogne de lever le siège de Wageningen à l'approche des Français, de distribuer son infanterie dans les villes, et de repasser la Meuse avec sa cavalerie pour garder les passages.

A la nouvelle de ces évènements, Philippe le Beau se conduisit avec plus de calme et d'énergie que l'on ne l'eût attendu de son caractère. Il écrivit d'Espagne à Charles d'Egmont qu'il sçauroit bien le chastier, et que ne avoit ami ny allié que l'en sceut garder ni garantir. Se tournant ensuite du côté de la France, il disait, dans une lettre du 24 juillet, au cardinal d'Amboise : Je ne puis assez m'esmerveiller s'il est vray que le roy qui jusqu'ici s'est tenu pour mon frère, veuille ayder messire de Gheldres en son tort contre moy, et l'assister à faire la guerre à mes pays ; quoi que Fon m'en dise, ce me seroit chose forte à croire. Ma volonté n'est envers luy changée, et il me déplairoit plus que chose du monde quand il faudroit que changement y fust. Toutefois, si l'on me court sus pour vouloir me deffendre contre celluy qui a rompu le traité avec moi, sans doute je n'ay le cœur si lasche, ni les parents ny les biens de ce monde si petits que je ne les employasse, et la vie avec, avant que de me laisser outrager en chose où j'ai si bon droit. Deussé-je y faire mesler la part que je puis avoir en la chrestienneté, que je tiens estre la plus grande, je vous en escrips ouvertement, vous priant à ce remédier, comme bien est en vous de faire. Je proteste icy, devant Dieu, que ce sera malgré moi s'il faut que j'ai guerre contre le roy de France ; mais, ce venant, je remets tous les maux qui en la chrestienneté en adviendroient, sur sa conscience et sur la vostre. Le cardinal répondit en reprochant à Philippe de vouloir destruire totalement le duc de Gheldres pour entreprendre ensuite autre chose sur la France, attendu que, depuis son départ de Flandres, il avoit fait des alliances contraires à ses traités, et que, de son côté, Maximilien n'avoit cessé de pratiquer en Italie tout plein de choses hostiles[59].

La position des Pays-Bas était d'autant plus critique qu'il fallait préparer la guerre au nord et au midi, dans un moment où toutes les ressources du trésor étaient épuisées. On était, arrivé à supprimer les gages des pensionnaires de la maison du prince, et les troupes étaient prêtes à se débander faute de solde. Le conseil de Castille, à qui le lieutenant général avait. demandé directement des secours pécuniaires, répondit d'une manière évasive. Henri VII, qui avait promis un corps auxiliaire de sept à huit mille hommes, subordonnait l'envoi de ce corps à la ratification des derniers traités, et surtout à la conclusion de son mariage avec Marguerite d'Autriche. Cette princesse était veuve de Philibert de Savoie[60], et le projet d'un nouveau mariage entre elle et le roi d'Angleterre avait été mis sur le tapis à Windsor par Henri VII et Philippe le Beau. Ce dernier et l'empereur Maximilien ne négligèrent rien pour déterminer la princesse à cette quatrième union. Mais Marguerite s'y refusait absolument, disant que par trois fois son père et son frère avoient contracté d'elle, dont elle s'en estoit mal trouvée. Enfin Robert de la Marck venait de se raccommoder avec la France, et au lieu d'un allié douteux c'était un ennemi redoutable qu'on avait devant soi.

On recommença à négocier avec la France et avec Charles d'Egmont, et il y eut ainsi un moment de répit. Mais tout à coup Robert de la Marck passa la Meuse, près de Givet, à la tête de ses hommes d'armes et de quelques enseignes de lansquenets, auxquels se joignirent une foule d'aventuriers français et liégeois. Traversant sans obstacle le pays de Liège et de la Hesbaie, il se jeta brusquement sur la Campine, ravagea toute la contrée et mit le feu à la ville de Turnhout. Malgré les difficultés d'une pareille situation, le lieutenant général ne perdit pas courage. Sur le bruit que les Français se dirigeaient vers le Rhin avec deux mille chevaux pour secourir Wageningen, il résolut de se porter à leur rencontre, comptant que Dieu aideroit au bon droit. Mais il fallait de l'argent à tout prix. Malheureusement les états généraux, convoqués à Malines le 22 août, accueillirent ses propositions avec une extrême froideur, et s'ajournèrent sans rien décider. Le pays languissait dans une sorte de torpeur et paraissait résigné à sa ruine, lorsque la nouvelle inattendue de la mort de Philippe le Beau vint le tirer de son sommeil et conjurer tous les dangers.

 

 

 



[1] Philippe le Beau ne voulut reconnaître aucune des concessions faites par sa mère. Il prit pour base de sa joyeuse-entrée celle de Philippe le Bon avec toutes les additions que ce prince y avait faites. Edm. Poullet, Histoire de la joyeuse-entrée du Brabant, p. 287.

[2] Histoire de Bruxelles, I, 315.

[3] M. Moke, Histoire de la Belgique, tome II, page 76.

[4] Ce fut l'évêque de Cambrai, Henri de Berghes, qui bénit le mariage. Ce prélat était également recommandable par l'étendue de ses connaissances et par ses grandes vertus. Il ne négligea rien pour répandre l'instruction dans le diocèse qu'il administra pendant vingt-deux ans (1480-1502). Sa vie, dit un vieil historien, est une perle sans tache. Si vous regardez ses mains, vous les verrez ouvertes pour le soulagement des pauvres et affligés ; si vous désirez marquer sa constance, vous verrez une colonne de diamant inébranlable à toutes les secousses et saillies des ennemis de l'estat.

[5] Les auteurs de l'Histoire de Bruxelles d'après Molinet, I, p. 319.

[6] C'étaient ces droits, légués par les derniers princes d'Anjou à sa famille, qui avaient conduit Charles VIII en Italie. On sait qu'il fit la conquête du royaume de Naples en cinq mois (1495), mais qu'il perdit ses nouveaux états plus vite encore qu'il ne les avait conquis. Une coalition des princes italiens le força de sortir d'Italie la même année. Attaqué à son retour près de Fornoue par 40.000 confédérés, Charles les battit avec 9.000 hommes, et réussit à rentrer en France.

[7] Il avait été enfermé trois ans à Bourges après là bataille de Saint-Aubin, où il avait été fait prisonnier (1488).

[8] Corps diplomatique, ubi supra, 396-397.

[9] Il reste à peine quelques traces de l'ancienne Cour des Princes à Gand. Voir une notice pleine d'intérêt de M. Van Lokeren, dans le Messager des sciences historiques, année 1841, pages 36-52.

[10] Une lettre de Maximilien à sa fille, que l'on conserve aux archives de Lille, mais qui est presque entièrement détruite, fait connaitre, au sujet du nom de Charles donné au jeune prince, une particularité curieuse. Voici le passage : Vous me advertissez aussi, par vosdites lettres, comment marynne de mon josne filz Charles, et la diligence que avez fait affin qu'il eust porté mon nom : dont vous..... toutesvoyes, j'ay moult agréable le nom qu'il a, pour..... que je porte à feu mon très-chier seigneur le beau-père le duc Chartes de Bourgoingne. (Registre aux lettres missives de 1480 à 1500.) M. Gachard, Bulletins de la commission d'histoire, 2e série, t. III, p. 295.

[11] Molinet.

[12] Les auteurs de l'Histoire de Bruxelles la nomment Élisabeth, et la font naître le 17 juillet.

[13] Voir dans Dumont, Corps diplomatique, tome IV, ire partie, page 15, le Contract de mariage de Philibert, duc de Savoye, avec Marguerite d'Autriche, fait à Bruxelles le 20 septembre 1501.

[14] Louis XII avait fait alliance avec le duc de Savoie et les Suisses, et avait conduit lui-même son armée jusqu'à Lyon. Cette armée, confiée au maréchal Trivulce, passa les Alpes et fit la conquête du Milanais en dix jours, sans être obligée de livrer une bataille. Le roi entra à Milan le 6 octobre 1499. Mais la faction de Ludovic Sforce, usurpateur du duché, reprit bientôt de l'ascendant. Louis XII envoya contre lui une seconde armée sous les ordres de Louis de la Trémoille, et Sforce, ayant été abandonné par les Suisses qu'il soudoyait, fut fait prisonnier le 10 avril 1500, amené en France et renfermé étroitement à Loches, où il mourut en 1510.

[15] Louis XII avait épousé, en 1476, la princesse Jeanne, fille de Louis XI et de Charlotte de Savoie. Après son avènement au trône, il fit annuler son mariage, qui n'avait pas été libre, disait-il, avec cette princesse vertueuse, mais disgraciée de la nature. Il s'unit ensuite à la veuve de son prédécesseur, Anne de Bretagne. Jeanne se retira à Bourges, s'y consacra entièrement aux exercices de la piété la plus édifiante et d'une charité sans bornes. Elle fonda, en 1500, l'ordre des annonciades ou religieuses de l'annonciation de la Sainte Vierge. Elle a été canonisée, en 1738, par le pape Clément XII.

[16] Corps diplomatique, tome IV, 1re partie, pages 15-18.

[17] Ferreras, Histoire générale d'Espagne, traduite par d'Hermilly, tome VIII, page 220.

[18] Tractatus pacis et commercii inter Henricum VII regem Angliæ Philippum ducem Austriæ et Burgundiæ conclusus Londini die 24 februarii 1495 (v. st.), dans Rymer, Fœdera, t. XII, p. 578.

[19] M. Henne, Histoire de la Belgique sous le règne de Charles V, ouvrage plein d'ailleurs de recherches savantes que nous utilisons souvent dans cette partie de notre récit, traduit : interdisait la confiscation, s'il y restait en vie un homme, un chien, etc. Le texte latin montrera que nous avons rendu exactement : Item conventum, concordatum et conclusum est quod, quotienscunque contigerit aliquam navem partium prœdietarum, bonis et mercandisis oneratam, per fortunam, tempestatem maris vel alio casu quocunque tangere terram e naufragium facere, periclitari aut alio modo quocunque perire prope portus, limites aut conteras, vel in portubus, limitibus aut costeris alterius partis, licet in ipsa nave non remaneat vir, mulier, puer, catus, canis vel gallus vivens, bona tamen et mercandisie qualiacumque, quæ ad terram applicahunt vel aliter salvari aut recuperari continget, non propter hoc dicentur confiscata nec pro confiscatis reputabuntur...

[20] Ce traité, dit Varillas, ne servit qu'à amuser les François, tandis que les Espagnols se préparoient à les chasser entièrement du royaume de Naples. A peine fut-il signé qu'ils mirent la main à l'œuvre pour cela. Le roi d'Espagne s'excusa sur ce que l'archiduc, son beau-fils, avoit passé son pouvoir : ce qui fâcha si fort l'archiduc, qu'il retourna à Lyon, où il fit voir ses instructions publiques et secrètes, et prouva qu'il n'avoit fait que ce qu'elles portoient. Histoire de Louis XII, liv. II.

[21] Charles VIII avait conquis et perdu le royaume de Naples en une année (1495) ; Louis XII le conquit de nouveau conjointement avec Ferdinand, en 1501, sur Frédéric d'Aragon. Louis XII donna en dédommagement à celui-ci le duché d'Anjou/ avec trente mille ducats. Ce fut quand il s'agit de partager leur conquête que les deux vainqueurs se brouillèrent. — Gonsalve de Cordoue, Gonzalo Hernandez y Aguilar, surnommé le grand capitaine, né en 1443 à Montilla, près de Cordoue, se signala d'abord par ses exploits contre les Maures, et leur enleva Grenade (1492). Appelé ensuite par les Vénitiens, il força les Turcs à lever le siège de Zante. En 1501, il fut placé par le roi Ferdinand à la tête d'une expédition dans le royaume de Naples, battit les Français à Barletta et à Semirama, et remporta une victoire complète à Cerignola (Cérignoles), dans la Pouille, sur le duc de Nemours, qui y périt. Enfin, après une foule d'autres avantages obtenus sur les Français et sur les Napolitains, il assura à l'Espagne la possession du royaume de Naples, dont il fut nommé connétable. Il mourut dans la disgrâce à Grenade le 2 décembre 1515. Le grand capitaine était aussi généreux que brave. On grava sur sa tombe, dans le chœur de l'église des hiéronymites de Grenade : Gonzales Fernando a Corduba, Gallorum ac Turcarum terrori.

[22] Lettres datées d'Anvers, le 14 février 1502 (v. st.) à révérends Pères en Dieu, nos très-chiers et féaulx et chiers et bien amés, les prélats, nobles et autres représentans les estats de nos pays, estans présentement assemblés en nostre, ville de Malines. — L'original est aux Archives du royaume, papiers d'état. — Bulletins de la commission d'histoire, 2e série, t. III, p. 299-300.

[23] Cette lettre est écrite d'Anvers, le XVIIIe jour de mars, l'an XVe et deux, avec cette suscription : à nos chiers et bien ornez les bourgmaistres, eschevins et conseil de nostre ville de Bruges. M. Gachard l'a publiée d'après une copie du temps, dans les registres de la ville de Bruges. Bulletins, endroit cité, pages 301-303.

[24] Cette réponse de Maximilien aux états est datée d'Anvers, le 25 février 1502 (v. st.) ; elle se trouve à la suite d'une lettre adressée au magistrat de Namur, le 15 mars suivant, avec cette suscription : A nos chiers et bien amez les maire, eschevins et conseil de nostre ville de Namur. Analectes belgiques de M. Gachard, pages 260-264.

[25] C'était le premier nom de l'institution.

[26] Le texte original de l'ordonnance est en français ; il se trouve dans les Placards de Brabant, tome IV, page 328, Mireus l'a traduite en latin et insérée dans ses Opera diplomatica, t. II, page 1044.

[27] Statues. Nos statuaires alors s'appelaient modestement tailleurs d'images.

[28] Histoire de Bruxelles, tome Ier, p. 321, d'après Monnet.

[29] Histoire de Bruxelles, tome Ier, p. 321. On met ces paroles dans la bouche du vieux chancelier Stradio, en se fondant sur une chronique ms. de Foppens.

[30] Voir notre Histoire, tome VII, pages 619-623.

[31] Voir notre Histoire, tome VII, page 772.

[32] Sa famille formait une branche de la maison d'Egmont et Arkel, et elle en avait repris le nom après avoir été dépouillée de la Gueldre.

[33] Le texte de la convention est dans Molinet, v. 255-260.

[34] Henne, la Belgique sous le règne de Charles-Quint, tome ter, pages 16-21.

[35] Ce prince, plus tard roi sous le nom de François Ier, était fils de Charles d'Orléans, comte d'Angoulême, et de Louise de Savoie, et arrière-petit-fils de Valentine de Milan.

[36] L'un des plus grands et surtout des meilleurs ministres qu'ait eus la France. Il était né, en 1460, au Château de Chaumont-sur-Loire, d'une maison illustre, et il mourut à Lyon, le 25 mai 1518, pleuré du roi Louis XII, dont il avait été vingt-sept ans l'ami, et adoré des Français.

[37] Le droit de régale, que revendiquaient les rois de France, comprenait le pouvoir de toucher les revenus des évêchés vacants, et de nommer de plein droit, pleno jure, c'est-à-dire, comme l'évêque lui-même, durant la vacance, aux places et aux bénéfices ecclésiastiques, sauf les cures.

[38] Les Cortès de corte, cour. L'origine des Cortès est aussi ancienne que celle de la monarchie espagnole, mais elles ne se composèrent d'abord que des prélats et des seigneurs ; la bourgeoisie y fut admise au XIe siècle. Leur autorité, très grande d'abord, surtout en Aragon, diminua peu à peu devant les accroissements du pouvoir royal, depuis la réunion de la Castille et de l'Aragon par le mariage d'Isabelle et de Ferdinand, et plus encore depuis le règne de Charles-Quint. A cette époque, les Cortès, révoltées sous la conduite de Jean de Padilla, furent vaincues à Villalar (1522). Ces assemblées cessèrent dès lors d'être convoquées, ou ne le furent que pour recevoir les ordres absolus du souverain.

[39] Ferreras, Histoire générale d'Espagne, tome VIII, page 274.

[40] François Ximenès de Cisneros, né en 1437, successivement professeur de droit à l'université de Salamanque, religieux franciscain, archevêque de Tolède et cardinal, mourut en 1517. Ximenès professait, au milieu des grandeurs, la piété la plus vraie et la plus austère. Il avait un courage à toute épreuve, une connaissance profonde des hommes et des choses, l'esprit le plus vaste, le dévouement le plus profond à ces princes. Savant lui-même, il fit beaucoup pour les lettres : il fonda l'université d'Alcala, et publia à ses frais la célèbre bible polyglotte qui porte le nom de cette ville.

[41] Antoine de Berghes, frère de l'évêque de Cambrai. Devenu abbé de Saint-Bertin en 1493, il y continua la Chronique de Saint-Trond commencée par l'abbé Rodolphe, et imprimée dans le Spicilegium de dom Lue d'Achery sous le titre de Gesta abbatum Trudonensium ordinis Sancti Banedicti. Antoine de Berghes avait aussi écrit une histoire de l'ordre de la Toison d'or qui ne se retrouve plus.

[42] Ville forte du département des Ardennes, sur la Meuse, à 5 kilomètres à l'ouest de Sedan.

[43] A trois quarts de lieue de Hasselt, sur le Démer, Gérard, comte de Looz, y bâtit un château en 1178, et y transporta sa cour de judicature, qui fut appelée par la suite la salle de Curange.

[44] On se plaignait, dit Foullon, finem petendi non esse, rationes expensi non dari, jus non servari ; tribunalibus potius corrigendis quam tributis exigendis studendum.

[45] M. de Gerlache, Histoire de Liège, page 326.

[46] Corps diplomatique, ubi supra, page 76.

[47] Le 15 mai 1507.

[48] Roodt Privilegie Boeck. — Registre des chartes de la chambre des comptes, n° VI, f° 222 ; citation des auteurs de l'Histoire de Bruxelles.

[49] Corps diplomatique, p. 84.

[50] Corps diplomatique, p. 84. Or le grand conseil de Malines, par sentence du 11 octobre 1504, venait de déclarer que Philippe le Beau, en qualité de comte de Zélande, avait droit de lever les tonlieux accoutumés.

[51] E. Van Bruyssel, Histoire du commerce et de la marine en Belgique, tome II, page 245.

[52] Voir des détails très intéressants dans C. J. Héfélé, Le Cardinal Ximenès et les affaires religieuses en Espagne à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe, chapitre XV passim.

[53] Le docteur Héfélé cité plus haut. — La principale de ces sources est l'ouvrage de Pierre Martire d'Anghiera, témoin oculaire de la plupart des faits qu'il rapporte. Voir Opus epistolarum Petri Martyris Angierii Mediotanensis, 1530, in-folio, réimprimé par les Elzévirs en 1670.

[54] Ce don Juan Manuel avait été au service de Ferdinand. Brouillé ensuite avec son souverain, il se réfugia dans les Pays-Bas et s'acquit la faveur de Philippe le Beau, dont il dirigea les conseils avec l'instinct de la vengeance.

[55] Il y eut quelques soupçons d'empoisonnement. Ces soupçons, démentis par les médecins qui procédèrent à l'embaumement, ne reposaient sur aucun fait ou indice positif ; ils n'en ont pas moins été reproduits et aggravés dans ces derniers temps. — Les aucuns disoient qu'il avoit esté empoisonné ; mais les médecins jurèrent que non. Et fut regardé et visité par tout, où il fut trouvé net et sain, si non qu'il avoit du sancg foity (figé) à l'entour du cœur. Chronique de la maison de Bourgogne par Robert Macquereau ; édit. Buchon, page 15.

[56] Mariana a ainsi dépeint le jeune roi : Eo fine vitam clausit Philippus rex, vix regni inchoati primis fructibus delibatis. Ætatis brevitas effecit ne diu talera principem praestaret, qualem eximia indoles polliceri videbatur... Statura corporis justa fuit, facies candida rubraque, barba rara brevisque, labium inferius porrectum cum gratia (la lèvre autrichienne), oculi mediocres, promissa caesaries, universi corporis habitus cum venustate decorus atque amabilis. Animus ingens, sed facilis : qui nisi cautio adsit et modus, in perniciem vertitur aulicorum abusu pravitateque. Otio luxurioso oblectabatur, a negotiis abhorrens, eoque intimorum libidimi et imperio semper obnoxius. Id unum fama accusavit. De rebus Hispaniœ, lib. XXVIII.

[57] Relazioni dans M. Gachard, Monuments de la diplomatie vénitienne, parmi les Mémoires de l'Académie royale, tome XXVII, in-4°. — Quirini avait rempli, en 1505, une mission auprès de l'empereur Maximilien, Il fut envoyé ensuite vers Philippe le Beau, auprès duquel il séjourna dix mois aux Pays-Bas. Il accompagna ce prince à son second voyage en Espagne, resta en Angleterre pendant tout le temps que l'archiduc y fut retenu, et débarqua avec lui, le 26 avril 1506, au port de la Corogne. Il fut encore, pendant trois mois, à la suite du nouveau roi de Castille. Forcarini, Della letteratura veneziana, vante son érudition variée et étendue : uomo di varia e pellegrina erudizione.

[58] M. Henne, ouvrage cité, tome Ier, page 36.

[59] Lettres de Louis XII et du cardinal d'Amboise, I, 56-60.

[60] Philibert II, surnommé le Beau, mourut au Pont-d'Ain, le 10 septembre 1504. Marguerite lui érigea un superbe mausolée dans l'église de Brou, près de Bourg en Bresse. Cette église, élevée par les soins de l'illustre princesse, est elle-même un magnifique monument, dont nous parlerons ailleurs.