L'EMPEREUR CHARLES-QUINT ET SON RÈGNE

PREMIÈRE SECTION. — LA BELGIQUE SOUS LA RÉGENCE DE MAXIMILIEN D'AUTRICHE

 

CHAPITRE III. — SUITE DES ÉVÈNEMENTS JUSQU'À LA CONCLUSION DE LA PAIX AVEC LA FRANCE ET LA PACIFICATION DÉFINITIVE DE LA FLANDRE.

 

 

La nouvelle de l'emprisonnement de Maximilien avait eu un grand retentissement au dehors ; tout le monde s'intéressait au sort de ce prince, qui montrait dans sa captivité une résignation noble et courageuse. Son fils, l'archiduc Philippe, s'était hâté de convoquer une réunion des états du pays à Malines[1]. Le roi de France, de son côté, avait ordonné des conférences pour la paix, lesquelles devaient s'ouvrir le 12 mars à Gand.

Les communes de Bruges et de Gand avaient été invitées à envoyer leurs députés à Malines, mais les Gantois refusèrent de prendre part à d'autres conférences que celles qui devaient avoir lieu dans leur ville, et rien ne put ébranler leur détermination. Les conseillers du duc Philippe, ne voulant pas les mécontenter davantage, résolurent d'envoyer eux-mêmes des députés à ces conférences, et choisirent pour l'un de ces députés monseigneur de la Gruuthuse, qui leur estoit fort agréable[2]. Les autres étaient l'abbé de Bonne-Espérance, le bàtard Antoine de Brabant, les sires de Praat et d'Hérzeele, Antoine de Fontaine et Jean de la Vacquerie. Ils arrivèrent à Gand le 12 mars, et, dès le lendemain, ils eurent, à la maison des arbalétriers, une entrevue avec les députés des états de Flandre, au nombre desquels se trouvaient les abbés de Saint-Bavon, de Saint-Pierre, d'Eenhaam et des Dunes. Dans cette réunion, maitre Guillaume De Zoutere, premier pensionnaire de Gand, développa les conclusions suivantes au nom des trois membres de Flandre : Premier, que les pays voulsissent tous se réunir en bonne amitié, vu le grand mal advenu par le désordre, et que par ce, tout fust réduit à bonne paix ; le second, qu'on messist provision à la noble personne et estat de monseigneur l'archiduc, comme il estoit bien mestier pour plusieurs considérations ; tiercement, qu'il fust advisé au gouvernement et ressource des pays pour estre conduits selon leur ancien usage, vu la perte et gast d'iceulx. Le même jour, Michel de Bellefourrière, bailli de Lens, vint déclarer, de la part de Charles VIII, que le roy leur mandoit et à tous autres des pays que qui voldroit jouyr de la paix.de l'an quatre-vingt et deux, le roy leur baillerait aide contre les empecheurs et refussants.

Les deux réunions de Malines et de Gand restèrent sans résultat. Le 26 mars 1488, une nouvelle assemblée se tint à l'hôtel de ville de Bruxelles ; les parents de la famille régnante y assistaient. Il fut donné lecture d'une communication des membres de Flandre accompagnée d'un projet d'union entre les provinces, et l'examen en fut confié à une commission composée du sire de Ravenstein, de Philippe son fils, des sires de Beveren, de Wières ; du bailli de Hainaut et. de quelques autres. Cette commission se réunit à l'hôtel de Ravenstein, et une copie de son travail fut remise à chaque député. Conformément aux conclusions de membres de Flandre, il fut décidé qu'une nouvelle assemblée aurait lieu à Gand le mercredi après Pâques, et des ambassadeurs du duc de Bretagne étant venus solliciter l'intervention des états en faveur de Maximilien, il leur fut répondu que tous désiraient s'employer avec zèle pour obtenir sa mise en liberté. Mais déjà les partisans du roi des Romains recouraient à des moyens moins pacifiques. Anvers et Malines prenaient ouvertement son parti contre les autres villes ; les troupes royales désolaient. la Flandre, et la garnison de la forteresse de Liedekerke interceptait les communications entre Bruxelles et les Flamands.

L'assemblée de Gand s'ouvrit malgré tous les obstacles, et quoique l'archiduc Philippe eût convoqué de nouveau les états à Malines, où plusieurs provinces, entre autres le Brabant, envoyèrent également des députés. Bruxelles se fit représenter à Gand par le bourgmestre Henri de Mol, le premier échevin sire Roland de Mol, le conseiller Pierre van Obberghem, Jean de Combliel, Arnoul de Scarpere et le pensionnaire Jean Vandenbecke[3]. Les délibérations ne purent commencer que le 25 avril ; elles furent des plus orageuses. Un député zélandais, le pensionnaire de Rommerswale, parlant au nom de sa province, du Brabant, du Hainaut, de Namur, et même de plusieurs villes de Flandre, prit, le premier la parole, et demanda que l'on rendit, d'abord la liberté au roi des Romains ; mais les trois membres de Flandre insistaient pour que l'on s'occupât, avant toute autre question, des trois points mis en avant en ung libel, l'union du pays, la paix de France, le gouvernement et régime de monseigneur l'archiduc. Les états qui voulaient à tout prix éviter la guerre civile, cherchaient encore le moyen de rendre le roi des Romains à la liberté, lorsqu'ils reçurent communication du projet d'accord arrêté à Bruges avec Maximilien. Ils approuvèrent ce traité, mais, avant de se séparer, ils formèrent une confédération pour interdire le passage des gens de guerre étrangers dans le pays, et introduisirent plusieurs réformes dans l'administration des finances et la direction des monnaies.

Nous avons conservé le texte du traité d'union et de confédération conclu à Gand le 1er mai par les députés de la Flandre, du Brabant, du Hainaut, de la Zélande, du Limbourg, du Luxembourg, de la Frise, de Namur, de Valenciennes, d'Anvers et de Malines[4]. Pour ce que pour la garde et conservation de toute police, gouvernement et bien public, disent les députés, rien n'est plus utile, ne chose plus nécessaire que paix, amitié et bonne union par ensemble, qui sont mères de tous biens et vertus, et cause que le service divin est augmenté, l'es tat des nobles honoré, marchandise haulte et le pays cultivé en grant repos et seureté, et pour ce qu'au contraire n'y a rien plus dommageable ne préjudiciable au bien public que discussion et confusion des règles, qui sont nourrices et mères de tous maulx, commenchement et occasion de toutes divisions, guerre et différends : au moyen de quoi les pays, villes, provinces et royaumes eschéent en grandes confusions, désolations et ruines, et souventefois sont transférés de gens en aultres, et qu'il soit ainsi que les dicts pays de pardeçà ont pris naguaires chemin de grandes charges et discussions ; en telle sorte que justice, paix, amitié, union et marchandise en ont esté deschassés et estrangés au grand desplaisir, destriment et dommaige du povre commun peuple... nous avons pour mettre et réduire en paix et bonne police les dicts pays, lesquels sont contigus les uns aux aultres et appartenant à un seigneur, fait, conclu et juré paix, union, amitié, alliance et bonne et constante intelligence entre nous à l'honneur de Dieu et prouffit de nostre très redouté seigneur et de ses pays : la dite union, en tant qu'il touche la police, durera à perpétuité et demeureront chascun desdits pays et villes en leurs loix, privilèges, usaiges et coustumes, libertés et franchises.

Divers articles du traité concernent l'oubli complet des anciennes discordes, le départ des garnisons allemandes, l'engagement réciproque de ne pas livrer passage aux hommes d'armes qui menaceraient l'une des provinces[5] confédérées, et de se protéger mutuellement contre tous ceux qui seraient hostiles à cette alliance, l'incapacité des étrangers à y remplir des fonctions publiques, l'abolition des droits de tonlieu contraires au développement des relations commerciales, l'unité d'une monnaie qui ne pourra être modifiée sans le consentement de tous les pays[6]. A l'avenir aucune guerre ne pourra être entreprise sans l'avis de tous les estats, et leur assentiment sera également nécessaire pour la faire cesser. — Les états de Liège et d'Utrecht pourront adhérer à cette alliance. — Chaque année, les états généraux se réuniront le premier octobre à Bruxelles, à Gand, à Mons, ou dans toute autre ville de Brabant, de Flandre ou de Hainaut.

Le traité devait être ratifié par le roi de France, l'évêque d'Utrecht, les ducs de Bourbon et de Clèves, les sires de Beveren et de la Gruuthuse, comme parents et amis de nostre très redouté seigneur, promettant de se joindre en ceste bonne paix qui est grande et utile. Il portait les noms d'Adrien de Rasseghem, de Jean de Gavre, de Jean de Baconaige, de Daniel d'Herzeele, de Jean de la Vacquerie, de Jean Pinnock, de Pierre de Bassevelde ; de Guillaume de Fontaine, de Jean de Claerhout, de Corneille de la Barre, de Pierre d'Herbaix, de Gauthier Van der Gracht, de Jean de Stavele, de Nicolas d'Halewyn, d'André de la Wœstyne, de Louis de Praat, d'Arnoul d'Escornay, et ceux des abbés d'Afflighem, de Saint-Bernard, de Grimberghe, de Saint-Bavon, de Saint-Pierre, d'Eenhaem, de Hautmont, de Bonne-Espérance, de Tronchiennes et de Baudeloo.

Revenons à Bruges, et rappelons ce qui s'y était passé pendant que l'on travaillait au dehors à la libération du roi des Romains. Après tant de supplices, les magistrats avaient senti le besoin de rétablir l'ordre ébranlé par ces commotions violentes. Assistés des sires de Poucke et de Rommerswale, ils avaient engagé les bourgeois et les hommes des métiers à déposer les armes et à rentrer paisiblement dans leurs foyers. Mais l'assemblée du peuple ne voulait pas se séparer avant que l'on eût fait droit aux demandes présentées par les délégués des neuf membres de la ville. Les unes se rapportaient à la confiscation des biens de Pierre Lanchals et de ses coaccusés, à de nouvelles enquêtes à faire sur le passé, à l'emploi donné aux impôts levés dans le pays du Franc, aux sommes qui avaient été destinées au curage du Zwyn, à la remise des lettres qui avaient reconstitué le Franc comme quatrième membre du pays. D'autres tendaient à l'amélioration matérielle de la situation. Il était important, disaient les députés, que l'on cherchât à rappeler les marchands des nations, et, pour atteindre ce but, il fallait autoriser les marchands anglais à vendre à Bruges, comme autrefois, leurs sacs de laine, et mettre en liberté ceux d'entre eux qui avaient été arrêtés ; prolonger la foire de Bruges, créer dans tout le pays une monnaie uniforme, et favoriser les marchands étrangers tant qu'ils se bornaient à vendre les produits de leurs pays sans les travailler, ce qui n'appartenait qu'aux habitants de la ville, conformément aux keures des métiers. Les neuf membres faisaient en même temps des vœux pour la paix. Ils demandaient qu'une ambassade solennelle fût envoyée à Charles VIII pour confirmer les traités existant avec lui. Ils exprimaient l'espoir que le roi des Romains serait disposé à une réconciliation, et protestaient de leur désir de conserver l'amitié du duc Philippe, et de le voir se rendre à Bruges au milieu d'eux, où il serait à l'abri des mauvais conseils. Cependant ils voulaient que Damme fût gardée avec soin, que l'Écluse fût sommée de se soumettre et que les trois membres du pays restassent confédérés, afin que personne ne fût jamais inquiété au sujet des assemblées de Bruges et de Gand[7].

La charte relative au quatrième membre de Flandre avait été remise, le 16 janvier précédent, par Roland de Poucke à messire Nicolas de Rommerswale, et déposée par celui-ci au château du même nom. Les magistrats l'y firent chercher, et elle fut publiquement déchirée. Un message fut adressé au sire de Chantraine, capitaine de l'Écluse, mais il y répondit d'une manière peu satisfaisante. Sur tous les autres points, il fut fait droit aux demandes des délégués des neuf membres.

C'était à la religion qu'il appartenait d'achever l'œuvre de la réconciliation. Le 4 avril, jour du vendredi saint, une chaire fut construite sur la place du marché, à l'endroit même où s'était élevé l'échafaud, et un père carme, nommé Laurent Christiaens, y prêcha la Passion. A midi, on y chanta la prose touchante que l'église a consacrée aux douleurs de la Vierge-Mère ; le peuple y assistait sous ses pavillons ou à l'ombre de ses bannières. Ces prières montant vers le ciel paraissaient une expiation du sang qui avait été versé. Enfin, la veille de Pâques, les hooftmans, les doyens et les bourgeois déposèrent les armes. Avant de se séparer ils jurèrent de s'entr'aider jusqu'à la mort, puis ils quittèrent la place du marché en chantant l'Ave Regina cœlorum et le Salve Regina. L'échafaud et le chevalet de Pierre Lanchals avaient été livrés aux flammes. Le lendemain, la solennité de Pâques fut célébrée avec une grande pompe ; l'union et la paix étaient rentrées dans les âmes.

En même temps, les avertissements et les menaces arrivaient de toutes parts aux Brugeois pour les mettre en demeure de se réconcilier avec leur prince. L'empereur Frédéric III avait écrit tout à la fois à leurs magistrats pour les rendre responsables de toutes les conséquences de la captivité du roi des Romains, à son petit-fils pour lui promettre l'appui de tous les électeurs de l'empire, aux états de Hainaut pour les assurer qu'il ne cesseroit, tant qu'il vivroit, de venger l'innocence de son sang, quand tout l'empire se devroit mouvoir, jusqu'à condigne correction des Brughelins qui espèrent, par une impétuosité, livrer et mettre tous leurs princes avec tous leurs gens à perpetuelle servitude[8]. On racontait, que les princes allemands avaient reçu l'ordre de prendre les aimes que l'évêque de Worms s'était rendu à Malines afin de veiller à ce que le jeune duc Philippe ne fût point conduit en Flandre, et que les préparatifs de guerre se multipliaient en Brabant et en Hainaut. Des ambassadeurs espagnols avaient été chargés par Ferdinand et Isabelle de seconder les efforts de l'empereur avec une flotte armée dans les ports de la Biscaye ; ils espéraient que leur zèle préparerait l'union de la jeune héritière des royaumes de Castille et d'Aragon avec le fils de Marie de Bourgogne. Enfin le pape Innocent VIII, intervenant comme père de la chrétienté, avait investi l'archevêque de Cologne des fonctions de légat et lui avait adressé un monitoire, où il menaçait, dans les termes les plus sévères, les communes de Flandre d'un interdit général, si elles ne se hâtaient de rendre la liberté au roi des Romains[9].

Des négociations s'ouvrirent entre le royal captif et les représentants des communes. Maximilien se montrait d'excellente composition. Il s'engagea à renvoyer en Allemagne toutes les troupes qu'il y avait levées, et offrit comme garants de sa fidélité à remplir ses engagements Philippe de Clèves, le duc de Bavière et le marquis de Bade. Ces propositions furent favorablement accueillies, mais les deux princes allemands hésitèrent à se porter pour otages, Philippe de Clèves, au contraire, se hâta d'écrire à Maximilien que par le grand désir qu'il avoit à sa délivrance, si plus il povoit employer que corps et biens, il le feroit de très bon cœur. Les négociations continuèrent. La solution des questions à résoudre avant la conclusion du traité fut, confiée à un conseil de vingt-quatre arbitres choisis dans les bonnes villes de Flandre, et parmi lesquels on remarquait les abbés de Saint-Savon, de Saint-Pierre, de Baudeloo, de Tronchiennes, le prévôt de Saint-Donat ; les sires d'Iseghem, d'Halewijn, de Mouscron, de Claerhout et de Becelaere.

Les délibérations se poursuivaient au milieu des bruits les plus inquiétants. Tantôt on annonçait que les hommes d'armes allemands avaient attaqué Damme, vaillamment défendue par Jacques de Vooght ; tantôt on apprenait qu'ils avaient pillé Eecloo, Maldeghem et Sainte-Croix, d'où ils avaient envoyé un héraut défier les Brugeois[10]. Le bailli Charles d'Uutkerke, l'écoutète Pierre Metteneye, chargés de les repousser, avaient abandonné le parti des communes et s'étaient retirés à Nieuport. Les alarmes s'accrurent quand on reçut une lettre du sire de Chantraine contenant la nouvelle de l'approche de l'armée réunie par les princes allemands. Le blocus du Zwyn, qui suspendait toutes les relations commerciales, faisait d'ailleurs désirer vivement la fin des négociations. On se hâta donc de conclure.

Le traité des communes flamandes avec le roi des Romains porte la date du 16 mai 1488[11]. Les communes y promettent de rendre immédiatement la liberté au roi. Celui-ci s'engage de son côté à, congédier, dans le délai de quatre jours, toutes les garnisons étrangères, sans qu'elles emmènent des prisonniers, et s'il advient, ajoute-t-il, qu'elles fassent au contraire, l'on recouvrera l'intérest de ce et le dommage sur la pension que ceux de Flandre nous ont consenty ou consentiront. Afin de faciliter le départ de ces garnisons, les trois membres de Flandre payeront, dans le délai d'un mois, la somme de vingt-cinq mille livres de quarante gros, monnoye de Flandre, la livre, à condition que si iceux gens de guerre et garnison ne sont partis dehors de tous les pays dedans lediet temps, que en ce cas lesdicts vingt-cinq mille livres seront employez au payement d'autres gens de guerre pour par la force les expulser et déchasser. Maximilien déclare quitter, abolir et pardonner à toujours la prise et detention de sa personne, ensemble tout ce qui est advenu devant ou aprez, par qui, quand, comment, ne en quelque manière que ce soit. Et les trois membres comprennent dans une semblable amnistie tous ceux qu'ils ont accusés d'actes illégaux ou de participation aux hostilités dirigées contre la Flandre.

Maximilien renonce de plus à être mainbourg de Flandre, et déclare que celui pays et comté de Flandre, durant la minorité du duc Philippe, sera régi et gouverné sous son nom par l'advis et consentement des trois états du pays, ensuyvant le contenu de l'union faicte par tout le pays. Il renonce également à porter les armes et le titre de comte de Flandre, et en considération de cet abandon, reçoit une pension de mille livres de gros. Il adhère au traité d'Arras, promet de ramener son fils en. Flandre et de protéger les marchands flamands en quelque pays qu'ils se trouvent. Enfin il s'engage à laisser comme otages le comte de Hanau, le sire de Falckenstein et messire Philippe de Clèves, afin qu'ils garantissent l'exécution du traité. Pour plus grande seureté, disait le roi des Romains, nous avons prié et requis ledict messire Philippe que en cas que nous fussions aucunement en faute de non accomplir iceux poincts, il ne nous veuille aider, et en ce cas, iceluy messire Philippe avons deschargé et deschargeons de tous sermens de fidélité et autres qu'il nous peut avoir faicts, et assistera ceux de Flandres à l'encontre de nous de tout son pouvoir et de toute sa puissance, et de ce fera ledict messire Philippe serment.

Ce jour-là même, une procession solennelle parcourut les rues de Bruges ; on y portait la chasse de Saint Donat et la relique du bois de la vraie Croix de l'église Notre-Dame ; les corps des métiers l'accompagnaient avec des torches. La procession se dirigea lentement vers l'hôtel de Jean Gros, où le roi des Romains était prisonnier depuis onze semaines : elle venait l'y chercher pour le conduire à la place du marché. Sur cette place, au lieu même où la hache du bourreau avait frappé ses amis et ses serviteurs, s'élevait un trône surmonté d'un dais magnifique. Devant le trône on avait construit un autel. Le roi s'y agenouilla en grande révérence et crainte comme il sembloit, et prêta le serment suivant :

Nous promettons de nostre franche volonté et jurons en bonne foi sur le saint sacrement cy présent, sur la sainte vraie croix, sur les évangiles de Nostre-Seigneur, sur le précieux corps de saint Donat, patron de paix, et sur le canon de la messe, de tenir, entretenir, et accomplir par effect la paix et l'alliance conclues entre nous et nos bien amés les estats et trois membres de Flandre et leurs adhérents, ensemble la concordance, union et alliance de tous les estats et pays, conclue par nostre consentement, et promettons en parole de prince et comme roy, sur nostre foy et honneur, que jamais ne viendrons au contraire en quelque manière que ce soit, deschargeons les dits de Flandre du serment qu'ils nous ont faict comme main-bourg de nostre chier et amé fils.

Les députés des états et les otages firent le même serment. Celui des otages comprenait l'engagement de aider et de faire assistance à ceux de Flandre contre les infracteurs de la dite paix, union et alliance. Pour rendre le traité plus solennel, l'évêque suffragant de Tournai bénit ceux qui l'observeraient, et prononça l'anathème contre quiconque serait assez téméraire pour l'enfreindre.

Maximilien était libre. Après un banquet dans la maison de Jean Canneel, où les députés des états dînèrent avec le roi des Romains[12], après le chant des actions de grâces dans l'église de Saint-Donat, il sortit de Bruges par la porte de Sainte-Croix. Les députés le reconduisirent à quelque distance de la ville, et reçurent de lui une dernière fois la promesse de rester fidèle à la paix. Monseigneur, lui dit Philippe de Clèves, vous estes maintenant vostre francq homme et hors de tout emprisonnement. Veuillez me dire franchement vostre intention. Est-ce vostre volonté de tenir la paix que nous avons jurée ?Beau cousin de Clèves, répondit Maximilien, le traité de la paix, tel que je l'ai promis et juré, je le veuil entretenir sans infraction[13].

L'enthousiasme était général à Bruges ; on chantait et on dansait dans toutes les rues. Tout à coup les musiciens placés au haut de la tour des Halles s'interrompirent. Ils voyaient s'élever des tourbillons de flamme et de fumée autour de Male. C'étaient les Allemands du duc de Saxe, accourus au devant du roi des Romains, qui saluaient son arrivée en incendiant les chaumières des laboureurs. Le sire de Beveren se dirigea vers Male pour savoir ce qui s'y passait. Il revint avec une lettre fort douce de Maximilien, protestant qu'il était étranger aux fureurs des Allemands. On se décida à envoyer cinquante mille florins au duc de Saxe, afin qu'il s'éloignât immédiatement ; on délivra de plus, à la demande de Maximilien, ses deux otages allemands. Le roi se retira dans la forteresse de Hulst, mais le duc de Saxe continua à camper à Male.

Cependant on ne tarda pas à apprendre que la grande armée réunie par l'empereur Frédéric III s'approchait. Elle se composait, selon les uns, de vingt mille hommes[14] ; selon d'autres, le nombre des combattants n'était pas moindre de trente-six mille[15]. Jamais de nostre temps, dit Molinet, ne de l'age de nos ancestres, ne descendit en nos quartiers telle puissance d'Allemaigne. On y remarquait confondues les milices des divers cercles de l'empire, et l'on comptait, parmi les chefs, les ducs de Brunswick, de Juliers, de Saxe, de Bavière ; l'archevêque de Cologne, le landgrave de Hesse, les marcgraves de Bade et de Brandebourg.

Le 27 mai, l'armée impériale campa à Everghem. Elle espérait que la peur pourrait lui ouvrir les portes de Gand, mais voyant que rien ne justifiait son espoir, elle s'éloigna pour dévaster Ninove et les riches campagnes qui s'étendent entre la Dendre et l'Escaut. Maximilien avait rejoint son fière à Louvain[16]. La paix de Bruges s'évanouit comme un vain songe, et la guerre recommença avec un nouvel acharnement. Le 16 juin, le roi des Romains écrivait de Deynze aux états de Hainaut, qui lui étaient dévoués : chers et bien aimés, nous avons à faire de deniers comptants pour en payer nos gens de guerre que nous avons icy au service de nostre très redouté seigneur et père monseigneur l'empereur, qui fait présentement la guerre à ceux de Gand, à sa querelle et pour le profit de nostre très cher et très aimé fils, et non pas pour nostre querelle, ni pour la paix faite à Bruges, et, à cette cause, nous a contraint, par le serment que avons fait au Saint Empire, de le servir à sa dite querelle[17].

Philippe de Clèves, resté en otage à Gand, ne se crut pas dégagé de son serment. Il écrivit, le 9 juin, au roi des Romains : Monseigneur, en l'acquit de mon serment, par double d'offenser Dieu nostre créateur, j'ay promis aux trois membres de Flandre de les aider et assister : ce que je vous signifie à très grand regret de cœur et très dolent : car en tant qu'il touche vostre noble personne, comme vostre très humble parent, je vouldroye vous faire tout service et honneur ; mais en tant qu'il touche l'observation de mon serment, je me suis obligé à Dieu, souverain roy des roys... Dieu sçait que je me trouve en danger pour vostre deslivrance, sans ma coulpe. Maximilien lui répondit, en lui reprochant de s'allier à ceux de Gand qui ont parcidevant fait tant de maux à leurs princes et comtes qu'il semble que une fois ils destruiront leur prince en corps et en biens, comme ils ont souvent entrepris de faire à ses prédécesseurs, comtes et princes. Philippe répliqua en ces termes empreints de je ne sais quelle grandeur à la fois énergique et mesurée : Mon très redouté seigneur, vous me reprochez à diffame ce que toutes gens de sain entendement me doivent attribuer à grant honneur ; car quel honneur peut estre plus à noble homme que de acquitter le serment qu'il a fait pour le bien de paix, et de préserver les pays de son seigneur moindre d'ans, contre ceux qui hostilement et sans cause envahissent, brulent et destruissent... La querelle de l'empereur n'est pas suffisante pour gaster la partie de Flandre qui est au royaume de France, ne aussi pour faire la guerre aux pauvres paysans innocents lesquels, eux fondant sur la paix si solennellement par vous jurée, s'estoient retraits en leurs maisonnettes... Rien ne me desplait tant que pour une petite couleur de querelle fondée sur une nouvelleté jamais vue, je voy ainsi destruire les seigneuries de vostre fils et rompre la paix tant solennellement faite et jurée. Mon très redouté seigneur, pardonnez-moi que si baudement. vous escrips ; ce fais non par inimitié, mais par l'affection que j'ai au bien de ces matières... Mon très redouté seigneur, si l'on ne se veut contenter de ceste mienne excuse, je offre de respondre, comme noble homme, pardevant tous les roys, princes et chevaliers[18].

Philippe de Clèves, resté à Gand, fut créé capitaine général de l'armée flamande. Philippe de Bourgogne, sire de Beveren, qui comme lui avait juré le traité du 16 mai, suivit son exemple. Les sires de la Gruuthuse, de Chantraine, d'Halewyn, de Stavele, de Lichtervelde et beaucoup d'autres vinrent aussi se ranger sous le drapeau des communes. L'ennemi était au cœur du pays. Le 8 juin, les Allemands avaient surpris Deynze pendant la nuit, et s'étaient emparés 'de Roulers bientôt après. Ils s'étaient avancés de là jusque devant Ypres, mais à la vue de la bonne contenance des bourgeois, qui avaient armé leurs remparts, ils s'étaient repliés sur Menin. Tous ces exploits étaient accompagnés de dégâts et de massacres[19].

Cependant huit cents hommes d'armes français, commandés par Louis d'Halewyn, sire de Piennes, étaient entrés à Gand. Les Allemands avaient été forcés de rentrer dans leur camp d'Everghem, et Jean de la Gruuthuse venait d'enlever un convoi important près de Termonde. Maximilien se présenta inutilement devant Damme, d'où il fut repoussé après un long et. sanglant assaut. Il s'éloigna précipitamment, abandonnant son camp et ses approvisionnements. Le frère du marquis de Bade resta parmi les morts, et les archevêques de Mayence et de Cologne abandonnèrent leurs bannières aux mains des vainqueurs[20]. Charles VIII continuait à protéger la Flandre contre les efforts de l'armée impériale. Il avait envoyé douze cents chevaux aux Gantois, et à peu près le même nombre à Bruges. Le sire de Crèvecœur, arrivé à Ypres à la tête de nouvelles forces, avait mis en déroute, avec le secours des habitants de Courtrai, les Allemands et la garnison de Lille, qui cherchait à lui barrer le passage. Dixmude et Nieuport appelèrent Philippe de Clèves ; l'ennemi évacua Bruges, et la garnison d'Audenarde resta renfermée dans ses murailles. Enfin on apprit, le 31 juillet, que l'empereur avait quitté la Flandre. Il se retira à Anvers, d'où il fit publier une déclaration pour dégrader monseigneur Philippe de Clèves de son honneur par han impérial.

Maximilien se rendit en Zélande, et y réunit une flotte composée d'un grand nombre de vaisseaux frétés dans les ports de la Baltique. Cette flotte, repoussée à Biervliet, réussit à surprendre Nieuport. De là les Allemands se dirigèrent sur Dunkerque et Saint-Orner, dont ils s'emparèrent, et portèrent la dévastation jusqu'aux portes d'Ypres et de Thourout. Pendant que cela se passait en Flandre, Maximilien cherchait à envahir le Brabant, mais il fut défait par Philippe de Clèves, et regagna Anvers à grand peine avec cinquante hommes. Une grande partie du Brabant était favorable au mouvement flamand. Bruxelles, Louvain, Tirlemont, Nivelles, Léau, Jodoigne, Aerschot, n'attendaient que l'occasion de se prononcer.

Philippe de Clèves s'était assuré des dispositions des Bruxellois par son secrétaire Olivier de Kesele ; il était du reste bien connu dans leur ville, où sa femme résidait habituellement. Le 17 septembre, il se présenta tout à coup aux portes de Bruxelles, où il fut reçu avec sa suite. Il fit son entrée par la porte de Flandre, vers le milieu de la journée. Le capitaine général était vêtu d'une manteline de drap d'or, et faisait porter devant lui sa bannière d'or à la croix de Bourgogne ; des hérauts accompagnés de trompettes et de clairons le précédaient, et il était suivi de pages. Son escorte était formée de soixante à quatre-vingts hallebardiers. Les bourgeois logèrent avec empressement les soldats français, que Philippe de Clèves avait amenés avec lui, bien qu'ils eussent toujours haï, remarque Molinet, ceux qui parlaient cette langue ; mais les classes riches et le clergé se montraient peu sympathiques à la cause flamande. De nombreuses mutations eurent lieu dans la magistrature. Le premier bourgmestre, Adrien d'Assche, dit de Grimberghe, fut remplacé comme trop favorable au roi des Romains.

Cependant l'insurrection s'étendait chaque jour. Le 23 septembre, le magistrat de Louvain annonça qu'à la demande de Philippe de Clèves, il avait publié la paix de Bruges. Ces évènements jetèrent la consternation à Anvers et clans l'entourage du roi des Romains. Le sire de Walhain reçut l'ordre d'occuper

Malines, et son frère, Corneille de Berghes, fut dirigé avec cent hommes d'armes sur Vilvorde, abandonnée par les Allemande. Maximilien lui-même s'approcha bientôt de Bruxelles à la tête d'une nombreuse cavalerie. Une partie de son avant-garde s'avança jusque sous les murs, et enleva dans les prairies voisines quelques troupeaux de moutons. Les bourgeois aussitôt garnirent les remparts, et beaucoup d'entre eux, s'abandonnant à leur ardeur inconsidérée, coururent sus à l'ennemi. Celui-ci simula une retraite précipitée et les attira dans une embuscade. Chargés brusquement par les soldats cachés dans les ravins ou derrière les haies, les Bruxellois périrent sous les coups des assaillants ou se noyèrent en voulant traverser la Senne. Ce désastre eut lieu le 12 octobre. La perte s'éleva à quatre cents hommes tués, cent noyés, et deux cents faits prisonniers ; parmi ces derniers, se trouvait le bourgmestre, sire Guillaume T'Serclaes.

Cette perte avait plongé Bruxelles dans le deuil, mais la colère succéda bientôt à la tristesse. Philippe de Clèves appela à lui les milices de la Flandre et ses auxiliaires français. Robert d'Aremberg et deux de ses neveux arrivèrent des premiers à Bruxelles, où ils furent bientôt suivis par les Flamands. Prenant alors l'offensive, les Bruxellois et leurs alliés s'emparèrent de plusieurs points fortifiés, et entre autres de Liedekerke, sur la Dendre, position des plus importantes, comme on sait, pour assurer les communications entre le Brabant et la Flandre. Genappe, dont Philippe avait été nommé châtelain l'année précédente[21], n'opposa pas de résistance, non plus que Tervueren. Nivelles s'était prononcée, et son exemple entraîna les villes de Tirlemont, Aerschot, Léau, Haelen et Jodoigne. Diest, Bois-le-Duc, le Hainaut et la Flandre française gardaient. une neutralité absolue, mais les villes d'Anvers, Malines et Lierre, embrassèrent chaudement la cause du roi. Malines, profitant des circonstances, releva la chaîne de Heffen et intercepta de nouveau la navigation de la Senne.

Forcé de se rendre en Hollande pour combattre les Hoecks qui s'étaient relevés à la voix de Bréderode, Maximilien résolut de recourir aux négociations, et les états de plusieurs provinces se réunirent à Malines. On envoya à Bruxelles l'abbé d'Afflighem, Goswin Hardinck ; les sires de Volckenstein et d'Aymeries avec le docteur Annette ils y trouvèrent les délégués de la Flandre et du Brabant. Ces derniers repoussèrent toutes les propositions qui leur furent faites et demandèrent que Maximilien abandonnât la tutelle de ses enfants à un conseil désigné par le pays, moyennant une indemnité de cent mille florins du Rhin. De guerre lasse, Maximilien partit avec son père, laissant le commandement de son armée au duc Albert de Saxe. Celui-ci conclut avec Philippe de Clèves un armistice garanti pour le Brabant par le sire de Chantraine et Henri Swaef ; cet armistice devait durer seulement du 6 au 15 novembre. La ville de Bruxelles se montrait de jour en jour plus dévouée à la cause flamande. Le 23 janvier 1489, dans une nombreuse assemblée, le capitaine de la ville, sire Everard d'Arenberg ; l'amman, sire Guillaume Estor, les échevins, le large conseil, les jurés et les centeniers, après s'être pardonné mutuellement toute offense, promirent qu'aussi longtemps que Philippe et ses alliés soutiendraient la ville, ils n'entreraient pas en négociations avec le roi sans leur consentement, et ils s'engagèrent à payer, aux frais de la commune, la rançon des bourgeois prisonniers. Le magistrat fit frapper des monnaies d'argent au nom du jeune archiduc Philippe[22].

La guerre recommença bientôt avec plus de violence que jamais, et le Brabant fut livré à toutes le horreurs des dissensions civiles[23]. Chaque parti rendait pillage pour pillage, incendie pour incendie, meurtre pour meurtre, et les bandes indisciplinées que la France et l'Allemagne vomissaient sur nos provinces, se livrant sans frein à toutes leurs fureurs, rendaient encore plus terrible cette guerre d'extermination. Les marchands, qui osaient s'exposer aux risques des voyages, voyaient leurs sauf-conduits méconnus. Les établissements religieux même n'étaient pas respectés : la chartreuse de Scheut fut plusieurs fois mise à contribution par les soldats de Philippe de Clèves, qui saccagèrent et ballèrent l'abbaye de Dilighem. S'appuyant sur la Flandre et sur le pays de Liège, ayant relié leurs communications par de nombreuses positions fortifiées, les insurgés brabançons tenaient la campagne et forçaient les nobles du parti de Maximilien à se renfermer dans leurs châteaux. Ainsi resserrés dans un étroit espace, ceux-ci se livraient à des excursions plus désastreuses pour le pays que profitables à leur prince. Sterrebeek, entre Bruxelles et Louvain, était occupée par un corps considérable de cavaliers qu'Adrien Vilain, sire de Liedekerke avait pris à sa solde. Philippe de Hornes, dans sa forteresse de Gaesbeeck, Louis d'Enghien, dans son manoir de Kestergat, Bernard d'Orley, dans ses châteaux de Facuwez, d'Askempont et. de la Folie à Écaussines-Lalaing, entretenaient des bandes armées aussi redoutables par leur soif de liutin que par leurs instincts farouches.

Mais de tous les barons, celui qui causait le plus de dommages aux Bruxellois était Henri de Witthem. De ses châteaux de Beersel, de Zittert et de Braine-l'Alleud, il désolait leur territoire par d'incessantes sorties. Aussi leurs premiers efforts se tournèrent-ils contre cet ennemi. Mais une attaque qu'ils tentèrent contre le château de Beersel ne fut pas heureuse. Après avoir vainement canonné ses épaisses murailles et livré un assaut furieux que la garnison, commandée par Philippe de Witthem, repoussa avec courage, ils durent renoncer à leur entreprise. Irrités de cet échec, ils se ruèrent sur le magnifique hôtel que la maison de Witthem possédait dans la rue des foulons[24], le saccagèrent et le détruisirent jusqu'aux fondements. De leur côté, les hommes d'armes de Wilthem, encouragés par le succès, se montrèrent plus audacieux que jamais : seuls ou réunis aux bandes sorties des autres châteaux, ils se précipitaient dans les campagnes, interceptaient les convois, et ils réussirent à établir une barrière entre le Brabant et le Hainaut, qui se renfermait de plus en plus dans sa neutralité. Décidés à en finir avec ces audacieux ennemis, trois mois après le premier siège, les Bruxellois reparurent devant Beersel, accompagnés d'une formidable artillerie venue, en grande partie, de France. L'attaque fut poussée avec tant de vigueur que la place fut obligée, au bout de peu de temps, de se rendre à discrétion. Une partie de ses défenseurs furent jetés dans les fers ; les autres, et avec eux le commandant, Guillaume de Ramilly, bourguignon de naissance, furent pendus sur la place du marché. Les vainqueurs se tournèrent alors contre le château de Braine-l'Alleud. La garnison, qui manquait de poudre, en demanda aux Hennuyers, mais ceux-ci refusèrent, en invoquant leur neutralité. Privés de ressources, les assiégés ouvrirent leurs portes, et le château fut détruit. Facuwez, Bornival, Askempont et Flessies, éprouvèrent le même sort. Seul, le château de La Folie, dans lequel s'était renfermé un chevalier de la famille de Berwaer, résista à toutes les attaques. La vengeance souilla malheureusement ces succès de la bourgeoisie, et un grand nombre de prisonniers furent encore exécutés sur la grand'place de Bruxelles[25].

Profitant du départ de Philippe de Clèves, qui s'était rendu à Cambrai pour conclure un traité avec la France, Albert de Saxe, récemment nommé gouverneur du Brabant, réunit ses forces à Vilvorde, et, après s'être emparé du château de Grimberghe le 24 janvier 1489, il livra aux flammes les bourgs d'Yssche et de Wavre le 8 mars suivant. Ensuite, à la tête d'un corps considérable de cavalerie, il ravagea les environs de Bruxelles, et mit. le feu à Assche. Telle était l'animosité des partis dans cette guerre où l'on ne faisait ni ne demandait quartier, qu'après s'être défendus avec acharnement, les habitants des villages se retiraient dans leurs églises et y périssaient consumés par les flammes, desquels, dit Molinet, furent oys les plus piteux cris et lamentations qui jamais furent faits, car ceulx qui les ouirent n'en sceuroient parler sans amertume de cœur, sans soupirer et répandre des larmes.

Philippe de Clèves n'avait pu s'opposer à la marche du général allemand, mais les Bruxellois tirèrent une sanglante vengeance des désastres qui l'avaient signalée. Ayant appris, le jour même de la destruction d'Yssche, que la garnison de Vilvorde avait rejoint l'armée royale, et que les milices malinoises qui étaient venues la remplacer, faisaient grande chère ensemble de boire et de manger, laissant les gens de la ville en nonchalloir, ils résolurent de profiter de leur négligence. Une forte troupe, dans laquelle on remarquait quelques capitaines français, quitta Bruxelles et arriva devant Vilvorde entre trois et quatre heures du matin. Elle n'éprouva aucune résistance, et les Malinois qui reposoient leur sang doucement, furent resveillés durement ; ceux qui échappèrent au massacre se réfugièrent dans le château, et les assaillants livrèrent Vilvorde au pillage et à l'incendie. La maison communale, la boucherie, la halle aux draps, le tiers de la ville furent dévorés par les flammes ; quelques jours après, les Bruxellois rentrèrent. chez eux emmenant un grand nombre de prisonniers et un immense butin chargiet sus l'eau, sus chariots et sus chevaux[26].

Le dimanche suivant, Philippe de Clèves arriva à Bruxelles à la tête d'une nombreuse infanterie et de quatre cents chevaux ; il amenait avec lui vingt-cinq serpentines, quatre courtaulx, des munitions en poudre et en pierres, et deux cent cinquante chariots de vivres destinés à ravitailler la ville, où la faim commençait à se faire sentir. Il n'y fit qu'un court séjour et se rendit à Louvain, où l'appelaient les habitants, alarmés à la nouvelle qu'Albert de Saxe venait d'enlever la ville d'Aerschot et plusieurs châteaux. Il assiégea successivement, mais sans succès, Saint-Trond et Gembloux, dans le but de couper les communications entre les provinces septentrionales, qui étaient restées dans le parti du roi, et le Hainaut, le comté de Namur et le Luxembourg, qui s'étaient enfin déclarés ouvertement hostiles à la cause flamande. Deux autres tentatives, faites sur Hal, ne réussirent pas mieux. Des bannis de Bruxelles s'y étant ménagé des intelligences, le sire de Ravenstein attaqua brusquement cette ville, le 1er mai, avec six mille soldats, parmi lesquels on comptait un corps de Bruxellois commandé par le lieutenant-amman, mais il fut repoussé et rentra à Bruxelles avec un grand nombre de blessés. Bientôt après cependant, il reparut devant Hal avec une armée de dix mille hommes, français, flamands, brabançons et liégeois, commandés par plusieurs capitaines expérimentés. Le 20 juin, après qu'une furieuse canonnade eut battu en brèche les remparts, il ordonna un assaut général. Des deux côtés on lutta avec un acharnement sans égal, et peu s'en fallut que la ville fût forcée, mais le courage opiniâtre des assiégés triompha de la furie des assaillants. Le sire de Ravenstein ordonna la retraite le 24 mai.

Ce fut la dernière entreprise de Philippe de Clèves et de ses lieutenants dans le Brabant. Réduit à l'impuissance par l'épuisement des villes, dont le commerce était anéanti, les ressources dévorées, l'exaltation à peu près éteinte et la population décimée par la peste, il se voyait en outre abandonné par la France, qui venait de traiter avec Maximilien à Francfort, comme nous le dirons bientôt. Albert de Saxe, au contraire, et le prince de Chimai, renforcés par les bandes nombreuses que l'Allemagne leur fournissait, redoublaient d'audace et d'activité. Genappe succomba la première à leurs attaques, Tirlemont fut saccagé, et le général allemand vint camper à Neeryssche, d'où il intercepta toute communication entre Louvain, Bruxelles et le Brabant wallon. Louvain ne tarda pas à lui ouvrir ses portes, et Bruxelles fut bientôt réduite à demander la paix. Avec le consentement de Philippe de Clèves, l'abbé d'Afflighem, maitre Jean Hujoel, et le pensionnaire Gérard Vandenhecke, furent députés au duc de Saxe pour traiter de la pacification de la Flandre et du Brabant. Le duc les reçut fort bien, leur fist donner les vins, mais leur répondit qu'ils parlassent pour eux seulement et laissassent les autres convenir. Il dicta ensuite ses conditions.

Les villes du quartier de Bruxelles durent reconnaître solennellement le roi des Romains pour avoué et tuteur légitime de  l'archiduc, payer une amende de deux cent mille florins de quarante gros de Flandres, restituer les domaines de la couronne, ainsi que les joyaux et, les tapisseries abandonnés à Bruxelles

au commencement de la guerre, réintégrer tous les officiers

dans leurs emplois, rouvrir aux bannis rentrée dans leurs murs, et livrer toute leur artillerie au roi pour être employée à son service. Les membres de l'ordre de la Toison d'or, ceux du conseil des finances, et tous les officiers ayant bouche en cour étaient exemptés des droits d'accises aux termes du traité.

En vertu de cet acte, qui fut approuvé par le roi et par les trois membres de la ville, Philippe de Clèves sortit de Bruxelles, le 25 août 1489, avec sa femme ; il était accompagné de cinq cents cavaliers. Douze chariots remplis d'objets précieux faisaient partie de sa suite. Des commissaires de la commune l'escortèrent jusqu'à Gand[27], où ils lui offrirent quatre mille florins du Rhin, comme témoignage de la reconnaissance des habitants. La restitution de son artillerie, qui était restée à Bruxelles, et des lettres d'obligation qu'il avait souscrites pour une somme de dix mille florins empruntée à la ville et destinée à la solde de ses troupes, fut une des clauses d'un traité proposé en 1492. Le jour même du départ de Philippe, le duc de Saxe, le prince de Chimai, le comte de Nassau, le sire de la Vère et beaucoup d'autres gentilshommes entrèrent à Bruxelles avec deux mille fantassins allemands, mais la peste les en fit bientôt sortir. Après avoir changé les magistrats, ils se dirigèrent, sur Cambrai, où devait être ratifiée la paix avec la France.

Un redoutable auxiliaire avait hâté le triomphe de la cause royale. La peste exerça toute sa furie sur un pays ruiné par la guerre et désolé par la disette. Elle se propagea à Bruxelles avec une rapidité telle qu'elle y enleva en quelques mois, suivant la relation la moins exagérée, jusqu'à quinze mille habitants[28] ; d'autres portent ce nombre à vingt-cinq, et même à trente-trois mille. Pendant quelque temps la mortalité fut si grande qu'il périssait chaque jour deux à trois cents personnes, et. dans les cimetières on entassait en une même fosse trente ou quarante cadavres. Les religieux carmes se distinguèrent, crans ces tristes circonstances, par leur courage et leur dévouement ; quatorze d'entr'eux perdirent la vie dans cette pieuse mission. On a conservé le nom d'un de ces religieux, Thierri de Munster. Quittant son couvent de Bootendael, Thierri s'établit sur la grand'place clans une cabane, où une table lui servait d'autel et où il administrait les sacrements. Non content de cela, il parcourait les rues désertes, portant partout les secours et les consolations de la religion aux malades et aux mourants. Le sacristain qui l'aidait d'abord, étant tombé victime du fléau, cet homme héroïque attacha sa lanterne à la corde qui lui servait de ceinture, et tenant une sonnette de la main gauche, le ciboire de la droite, il allait ainsi seul et, sans crainte assister les moribonds. On rapporte que la brasserie, dite le Faucon, située près du marché, dans laquelle il se retirait pendant les froides nuits de l'hiver, échappa au fléau[29]. Lorsque la peste eut cessé, la famine ramena la désolation et la mort. Enfin la récolte abondante de 1493, qui fit descendre le prix du seigle à trois sous la razière, mit fin à ces calamités[30].

Le calme fut beaucoup plus lent à renaître en Flandre, et les hostilités s'y prolongèrent longtemps encore. Des conférences pour la paix s'étaient cependant ouvertes de bonne heure à Bruxelles, et un ambassadeur portugais, Edouard de Qualéon, avait interposé sa médiation en invoquant les anciennes relations de la Flandre et du Portugal[31]. Ces négociations n'eurent d'autre résultat qu'une courte Crève. Les états de Flandre et de Brabant avaient déclaré, nous l'avons déjà dit, que jusques au dernier homme de leur pays ne souffriroient le roy avoir gouvernement ; mais se retirast en la ville de Coulongne, et qu'ils lui feroient don de cent mille florins du Rhin[32].

Pendant, que ces tristes événements se succédaient, l'archevêque de Cologne avait donné suite aux menaces du Saint-Siège et mis la Flandre en interdit, mais le pape Innocent VIII, dans une bulle du 3 novembre, déclara que le prélat avait dépassé ses pouvoirs en lançant les censures alors que le roi des Romains avait déjà été rendu à la liberté, que cette sentence n'était pas valable et que l'interdit serait immédiatement levé. Nous devons la justice à tous, disait le pape ; nous sommes tenus de venir en aide à tous ceux qui souffrent illégitimement.

Le 10 décembre 1488, un huissier du parlement de Paris lut aux halles de Bruges un mandement de Charles VIII qui citait, sur la plainte des. états de Flandre, le duc d'Autriche, l'archevêque de Cologne et leurs adhérents, à comparaître à Paris le 4 février, à peine d'une amende de cent marcs d'or. Maximilien ne répondit pas à cette sommation ; il venait de trouver au dehors un appui inespéré. L'expédition de Charles VIII en Bretagne avait réveillé la jalousie de l'Angleterre, et la bataille de Saint-Aubin du Cormier finit par rapprocher Henri VII et Maximilien[33]. Jean Ryseley et Jean Batteswel traversèrent le détroit pour traiter avec le roi des Romains[34], et le 14 février 1489 un traité de fédération fut signé à Dordrecht.

Maximilien n'avait pas tardé à suivre l'empereur Frédéric III en Allemagne, afin d'y réunir des renforts ; il avait laissé en Flandre pour ses lieutenants le duc de Saxe et le comte de Nassau. Les états de Flandre, à la vue du péril qui les menaçait, envoyèrent Philippe de Clèves en France réclamer de nouveau l'appui de Charles VIII. Ils reçurent une réponse favorable, et le sire de Ravenstein annonça, dans une assemblée des états qui se tint à Gand au mois de mars, qu'on pouvait compter sur d'importants secours en hommes d'armes et en argent. Déjà le sire de Crèvecœur avait proposé de chasser les garnisons allemandes, pourvu qu'on lui payât douze mille couronnes et qu'on lui remit quelques nobles allemands captifs à Gand, mais il attendait, pour commencer la guerre, les Bretons de la garde du roi de France. Ides communes de Flandre se plaignaient de ces retards, et elles résolurent de se charger elles-mêmes du soin d'expulser ces étrangers. Ce furent les Brugeois qui commencèrent sous les auspices du sire de la Gruuthuse, récemment délivré de sa prison de Rupelmonde. Ils sortirent de leur ville au nombre de quatre mille, sous les ordres d'Antoine de Nieuwenhove et de Georges Picavet, bourgeois de Lille, dont ils avaient fait leur écoutète par le conseil de Jean de la Gruuthuse. Ils campaient avec les Yprois près du pont de Beerst, en attendant l'arrivée des Gantois, lorsque deux ou trois mille Anglais de Calais et de Guines, commandés par lord Daubeny et lord Morley, les attaquèrent inopinément. Daniel de Praet et la garnison allemande de Nieuport se joignirent aux assaillants.. Après un combat acharné, où périt lord Morley, le camp flamand fut conquis. Plus de mille hommes restèrent sur le carreau, entre autres Antoine de Nieuwenhove. L'écoutète Georges Picavet avait été pris et ne fut relâché qu'en payant une rançon de huit cents livres de gros. Cette triste journée du 13 juin 1489 eût été plus désastreuse encore, si le sire de la Gruuthuse n'eût arrêté par son courage la poursuite des vainqueurs.

A la nouvelle de cet échec, le sire de Crèvecœur entra dans une violente colère. Il quitta Ypres sur le champ, avec vingt mille hommes et une nombreuse artillerie. Ostende lui ouvrit ses portes le 19 juin, et bientôt après le siège de Nieuport commença. L'artillerie battit les remparts en brèche ; de nombreux assauts furent tentés, mais le sire de Praet les repoussa vaillamment. La mer lui apportait chaque jour des renforts. Crèvecœur fut enfin forcé de se retirer après avoir vainement essayé de combler le havre par le sable des digues voisines, qu'il avait fait rompre : déplorable tentative qui n'eut pour résultat que de submerger une grande partie du pays. Il feignit de vouloir recommencer le siège : on travailla jour et nuit à Bruges pour préparer les ustensiles des pionniers et des mineurs. Mais arrivés près de Couckelaere, les Français reprirent le chemin de leur pays, emmenant avec eux les chevaux que les laboureurs leur avaient prêtés pour traîner leurs canons[35].

La misère en Flandre avait atteint ses dernières limites. L'industrie avait émigré vers des rivages plus tranquilles, et la mer se retirait chaque jour davantage du port, jadis si fameux de l'Écluse. Dieu, disaient les amis de Maximilien, avait vengé la captivité de ce prince, en éloignant de Bruges le flot qui lui portait ses richesses[36]. L'agriculture n'était pas plus florissante. Les campagnes étaient abandonnées, et les loups y étaient devenus très nombreux. Les digues mal entretenues ouvraient passage aux irruptions de l'Océan. Tout contribuait à rendre plus accablante une guerre dont on ne prévoyait pas le terme, lorsqu'on apprit que la Flandre avait été comprise dans les négociations entamées entre Charles VIII et le roi des Romains. Le roi de France, est-il dit dans le traité de Francfort du 22 juillet 1489[37], entend en cette matière et en toutes autres, garder l'honneur et le profit du roi des Romains, son beau-père, et n'y avoir point d'autre regard comme par expérience il le montrera, car il sait bien qu'en gardant l'amitié de son dit beau-père, il la doit préférer à toutes autres amitiés : ce qu'il lui promet en bonne foi et parole de roi de France. Il était stipulé que Philippe de Clèves ne serait point inquiété dans sa personne ni ses biens, et que les conditions d'une paix définitive se discuteraient dans des conférences tenues en France par des arbitres des deux parties.

Les arbitres désignés par Maximilien furent le comte de Nassau, Philippe de Borssele, Paul de Baenst et Philippe de Contay. Les communes flamandes avaient choisi l'abbé de Saint-Bayon, Louis de la Gruuthuse, Adrien Vilain, Jean de Nieuwenhove, Jean de Coppenolle, Gauthier van der Gracht, Corneille d'Halewyn, Jean de Stavele, Jean de Baenst et Jean de Keyt. Les conférences eurent lieu au château de Montils, plus connu sous le nom de Plessis-lez-Tours. Les désastres d'une longue guerre, les nécessités de la famine, l'espérance de voir le commerce se relever, le péril même qui résultait de l'abandon dé la France, peuvent seuls expliquer, dit M. Kervyn, la conclusion du traité du 30 octobre 1489, dont on va lire les principales conditions.

Maximilien sera réintégré comme mambourg de Flandre ; les magistrats des trois bonnes villes de Gand, de Bruges et d'Ypres iront au devant de lui sans ceinture, nu-pieds, et vêtus de noir, pour lui demander à genoux pardon des offenses commises contre lui.

Moyennant une somme de cinq cent mille livres tournois, dont les deux tiers devront être payés aux fêtes de Noël, le roi des Romains s'engage à congédier immédiatement les garnisons allemandes. Il accorde une amnistie sans réserve, confirme tous les actes de l'administration de Philippe de Clèves et de son conseil, et jure d'observer tous les anciens privilèges du pays.

Quant aux privilèges qui sont postérieurs à la mort du dernier duc de Bourgogne, toute décision est ajournée jusqu'à l'entrevue qui doit avoir lieu entre Maximilien et Charles VIII ; il en est de même de la demande formée par le roi des Romains, que le Craenenburg soit converti en chapelle expiatoire[38].

Quelque dures et humiliantes que fussent ces conditions, la Flandre vit avec joie la conclusion de la paix, au moins dans les premiers moments. Avant la fin de janvier 1490, Bruges et Ypres s'étaient soumises aux dures formalités du pardon, mais Gand cherchait des délais pour s'y soustraire. Les difficultés les plus graves commencèrent lorsqu'il fallut payer les deux tiers de l'énorme amende[39] imposée aux grandes villes plutôt qu'au reste du pays, puisque, selon un article du traité[40], elle n'atteignait que les communes qui avaient donné l'exemple de l'insurrection. Dès ce jour, la résistance devint aussi vive à Bruges qu'elle l'était déjà à Gand. De part et d'autre on restait armé, et le duc de Saxe, loin de congédier ses forces, augmentait les garnisons de Courtrai, de Damme et de Biervliet.

Philippe de Clèves s'était retiré dans le château de l'Écluse, et y attendait tranquillement les évènements, sachant bien que les Allemands n'étaient assez forts ni pour l'assiéger, ni pour l'empêcher d'arrêter les navires qui se rendaient à Bruges. Les Yprois s'étaient soumis au payement de l'amende imposée par le traité de Tours, mais leur exemple ne fut pas suivi par les habitants de Bruges. Le commerce ne se ranimait point dans les bassins de la Reye. Les Brugeois mécontents chassèrent successivement leurs deux écoutètes. Enfin ils déclarèrent qu'ils n'obéiraient qu'aux décisions prises dans l'assemblée générale des mandataires des pays de Flandre, de Brabant, de Hainaut, de Hollande et de Zélande ; ils envoyèrent des députés à l'Écluse réclamer l'appui de Philippe de Clèves.

Ce mouvement isolé éclatait dans un moment défavorable. Les Allemands dominaient à Ypres, et Philippe de Clèves venait de perdre au siège de Dordrecht la plus grande partie de ses hommes d'armes commandés par le sire de Bréderode, qui y avait été lui-même blessé mortellement. La ville de Gand, quoiqu'elle en eût, fut bientôt entraînée à imiter la soumission des Yprois. Adrien Vilain, sire de Rasseghem, se réconcilia avec le roi dans des vues d'intérêt, au dire de Molinet[41], et ouvrit les portes aux Allemands. A cette nouvelle, Philippe de Clèves le fit défier, en le traitant de parjure et le menaçant de son ressentiment. L'effet suivit de près la menace. Quelques jours s'étaient à peine écoulés lorsque le sire de Rasseghem fut attaqué, un soir qu'il se rendait à son château, près du moulin de Merlebeke, par des hommes d'armes qui le frappèrent en criant : A mort ! à mort ![42] Le lendemain, Philippe de Clèves adressa aux échevins de Gand une lettre où il se déclarait seul responsable de la mort d'Adrien Vilain[43].

Le duc Philippe répondit à l'attentat du sire de Ravenstein en interdisant toute alliance avec lui. A ce manifeste succédèrent des lettres du comte de Nassau, qui menaçait la commune de Bruges des plus grands maux, si elle ne se soumettait sans retard. Bien qu'un grand nombre d'habitants eussent pris la fuite, les vivres devenaient de plus en plus rares en cette ville, et l'on fut bientôt réduit à reprendre les négociations. Jacques Despars et d'autres députés furent envoyés à cette fin à Alost, vers le comte de Nassau. Celui-ci promit une réponse dans le délai de dix jours. Le délai n'était pas écoulé lorsque le comte entra à Damme avec de nombreux renforts envoyés du Brabant, et fit connaître de là qu'aucune modification ne pouvait être apportée au traité de Tours. Les Brugeois, quoiqu'en présence de la faim, répondirent qu'ils mourraient plutôt que de céder.

Cependant les dépenses causées par la continuation de la guerre s'étaient élevées pour Bruges seule, du 1er août au 27 octobre, à dix mille six cents livres de gros. Toutes les communications de la ville avec le dehors avaient été interceptées par le comte de Nassau, tous les convois de vivres qui se dirigeaient vers la ville affamée tombaient entre ses mains. La détresse s'accroissait avec une rapidité effrayante. Les garnisons de Damme et d'Oudenbourg, composées d'aventuriers allemands, anglais et espagnols, dévastaient tout le pays. Le feu avait été mis au célèbre château de Male, et, chaque jour, les sinistres lueurs de quelque incendie s'élevaient vers le ciel. Toutes les rues de Bruges étaient remplies d'enfants à qui la faim arrachait des cris poignants, et on voyait les pauvres tomber expirants devant les portes des boulangeries.

Il fallut se résoudre à envoyer de nouveaux députés au comte de Nassau, mais celui-ci exigea avant tout que les Brugeois renonçassent à leur alliance avec Philippe de Clèves. Quelle que fût l'horreur de leur situation, les Brugeois refusèrent : ils ne voulaient pas se séparer de l'homme qui s'était attaché lui-même à leur cause avec tant de persévérance. Philippe ne se montra pas moins généreux. Ayant appris qu'il était le seul obstacle au rétablissement de la paix, il écrivit aux Brugeois qu'il les dégageait de leur alliance et les autorisait à traiter sans lui. On élut donc de nouveaux députés le 14 novembre 1490 ; le sire de Lembeke et les prieurs des carmes et des frères-prêcheurs étaient du nombre. Ces députés se rendirent auprès du comte de Nassau, et déclarèrent, au nom de la commune de Bruges se soumettre au traité de Tours, sauf à déférer au parlement de Paris toutes les difficultés d'exécution. Ce n'était plus assez. Le comte exigea, outre une somme de trois cent mille couronnes d'or, la remise de trois cents personnes à désigner par lui pour en être fait à sa volonté.

Les négociations sont rompues de nouveau. Quelques jours plus tard, le comte de Nassau, suivi de deux mille fantassins et de douze cents reîtres, incendie Schipdale, et menace Bruges d'un assaut. Il reparaît bientôt après devant les murs de la ville et y lance des boulets. Deux fois la résistance intrépide .des Brugeois le force à s'éloigner. Le bruit de ce succès détermine Philippe de Clèves à faire percer les digues d'Houcke, pour rétablir les communications de l'Écluse et de Bruges par l'ancien canal ; un navire chargé de vivres qu'il leur envoie vient apprendre aux Brugeois qu'ils n'ont plus rien à redouter de la famine. Hélas ! ce n'était là que de vaines apparences qui devaient se dissiper bien vite, et faire place à la catastrophe finale. Le 28 novembre, Georges Picavet s'était rendu à l'Écluse avec cinq cents Brugeois montés sur des barques à rames. Ils revenaient amenant des approvisionnements considérables, lorsqu'ils furent attaqués à l'improviste, près du pont d'Oostkerke, par les Allemands du comte de Nassau. Georges Picavet, abandonné d'une partie des siens, opposa une résistance héroïque ; mais ceux qui l'accompagnaient périrent et lui-même fut fait prisonnier.

Ce désastre sema la désolation à Bruges. En vain les chefs essayèrent de prolonger la résistance : le peuple était à bout de ressources et de courage. Les bourgeois parcouraient les rues en criant : que tous ceux qui veulent le bien et la paix de la ville de Bruges nous suivent ! Des députés furent envoyés à Damme, avec mission d'accepter tout ce que le comte de Nassau exigerait. Un accord y fut signé le 29 novembre. Il portait que ceux de Bruges payeraient dans l'amende fixée par le traité de Tours, une part de quatre-vingt mille couronnes d'or ; qu'ils feraient amende honorable au comte de Nassau, et lui remettraient soixante personnes, dont il pourrait disposer à son bon plaisir.

Le 6 décembre[44], le président du conseil de Flandre, Paul de Baenst, donna lecture aux Brugeois du traité de Damme[45] ; puis il brisa le sceau d'un bulletin séparé, qui renfermait les noms des soixante bourgeois exceptés de la paix, et nomma successivement les doyens des maréchaux, des charpentiers et des tonneliers ; Jean de Ryebeke, Georges Picavet, capitaine de la ville ; Denis Metteneye et Jean Van de Keere. Le comte de Nassau tarda peu à se rendre lui-même à Bruges ; il amenait avec lui le prévôt à la verge rouge, qui devait présider aux supplices. Quatorze exécutions eurent lieu le 18 décembre : ce fut ce jour-là que périrent Georges Picavet et .le doyen des maréchaux. Les autres bourgeois exceptés de la paix avaient réussi à gagner l'Écluse.

Tandis que Bruges était livrée aux horreurs de la disette et de la guerre, Gand s'était endormi dans les loisirs faciles de la paix. D'égoïstes rivalités rendaient les Gantois insensibles à des malheurs qu'ils n'avaient que trop aidé à provoquer. Mais dés que le-comte de Nassau eut rétabli l'ordre à Bruges, il conduisit son armée à Ardenbourg, et alors les Gantois reconnurent le péril qui les menaçait. On était arrivé aux fêtes de Saint Liévin ; des enfants parcouraient la ville en chantant : Saint Liévin a dormi trop longtemps ! saint Liévin s'éveille ! Bientôt on vit les bourgeois s'assembler sur les places et dans les rues. Le grand doyen, Liévin Gooris, veut employer la force pour arrêter ce mouvement, mais il périt, et les bourgeois se rendent processionnellement avec les reliques de leur saint patron jusqu'aux portes qui conduisent vers Houthem. Le lendemain, ils rapportent la châsse au marché du vendredi, et déclarent qu'elle y restera déposée aussi longtemps que Gand sera en péril.

Cependant de nouveaux efforts se faisaient à Londres pour unir plus étroitement l'Angleterre à Maximilien. Au mois de septembre 1490, un nouveau traité d'alliance, expressément dirigé contre Charles VIII, contra Carolum Gallorum principem[46], avait été conclu, et l'ordre de la Jarretière conféré à Maximilien. Le roi de France fit une dernière tentative pour maintenir la paix. Dans les premiers jours de décembre, François de Luxembourg et Robert Gaguin furent envoyés en ambassade à la cour du roi d'Angleterre. Ils représentèrent que l'intervention de leur souverain en Flandre n'était qu'un effet de sa justice. Le peuple, disaient-ils, y était resté fidèle à Maximilien tant que celui-ci l'avait traité équitablement ; il n'avait eu recours à la justice du roi que quand il s'était vu opprimé. D'après eux Maximilien était seul coupable d'avoir excité contre lui le mécontentement et le mépris. Quant aux affaires de Bretagne, ils les présentaient comme arrangées et se bornaient à revendiquer pour le roi de France le droit de disposer, comme seigneur suzerain, de la main de l'héritière, la duchesse Anne. Henri VII fit répondre par son chancelier : Si les Flamands s'étaient adressés à votre roi comme à leur souverain seigneur, par voie de remontrance, il y eût eu en ceci quelque forme et justice ; mais c'est quelque chose d'étrange et de nouveau de voir des sujets accuser leur prince, après l'avoir retenu prisonnier et avoir mis à mort ses officiers.

Le 17 février 1491, l'évêque d'Oxford et de comte d'Ormond reçurent l'ordre d'aller porter à Charles VIII cette réponse de Henri VII. Ils ne passèrent que peu de jours en France ; car d'après ce qu'ils avaient entendu, ils ne doutaient point que Charles VIII n'eût résolu de renoncer à son mariage avec Marguerite, à laquelle il était fiancé depuis huit ans, et d'épouser lui-même Anne de Bretagne. Sans perdre de temps, c'est à dire dès le mois de mars suivant, Martin de Polheim se rendit à Rennes avec des pleins pouvoirs de Maximilien, et accepta, comme procureur de ce prince, la main de l'héritière du duché.

Charles VIII protesta contre cette union. Des hommes d'armes français s'assemblèrent de toutes parts, les uns vers les marches de la Bretagne, les autres vers celles de l'Artois. En même temps une flotte française cinglait. vers les eaux du Zwyn, sous les ordres du sire de Maraffin, avec cent cinquante mousquetaires gascons et des sommes d'argent considérables. Philippe de Clèves, que le roi des Romains venait de déclarer déchu, ainsi que le comte de Romont, du droit de siéger parmi les chevaliers de la Toison d'or, se préparait à recommencer la guerre contre les Allemands. Il essaya d'abord de les chasser de Bruges ; puis il se rendit à Gand, au mois d'août, pour procéder au renouvellement de l'échevinage. Jean et François de Coppenolle continuaient à occuper le premier rang parmi les capitaines de la ville, mais le sire de Poucke, de la maison de Baronaige, avait succédé comme grand bailli au sire de Morbeke, qui était allé rejoindre le comte de Nassau.

Biervliet avait déjà appelé les Gantois ; le sire de Lichtervelde leur avait remis son château ; Hulst était tombé en leur pouvoir ; Terneuse, fortifiée, assurait leurs communications avec le port de l'Écluse, et un avantage important obtenu sur les Allemands avait contraint le comte de Nassau à se réfugier dans les remparts de Courtrai. Mais les chances de la guerre tournèrent bientôt. Le comte de Nassau s'empara du château de Lichtervelde ; Hugues de Melun repoussa les Gantois près de Termonde, et les mit peu de jours après en déroute dans un combat où le sire de Poucke fut fait prisonnier ; enfin une surprise livra aux Allemands la forteresse si importante de Hulst, le 9 octobre 1491.

Le découragement s'accroissait parce qu'on ne voyait pas arriver les secours qu'on attendait de France. Charles VIII venait de porter de nouveau ses armes en Bretagne, où des Allemands et des Anglais avaient débarqué pour défendre Rennes. Anne de Bretagne protestait qu'elle estoit mariée au roy des Romains, qu'elle le tenon à mary et jamais n'auroit aultre ; elle songeait même à fuir loin de son duché vers les côtes de Flandre ou de Zélande. Cependant la guerre s'interrompit. Le roi de France fit un pèlerinage près de Rennes : trois jours après, il était fiancé à Anne de Bretagne, en présence du sire de Polheim, qui ne revenait pas de son étonnement, et, le 6 décembre, le mariage fut célébré à Langeais sur la Loire[47].

Pierre d'Urfé, aïeul de l'auteur de l'Astrée, fut chargé d'annoncer le mariage du roi à l'université de Paris, et de lui en exposer les motifs. Il s'efforça, dans son discours[48], de disculper Charles VIII d'avoir rompu avec Marguerite d'Autriche. Si Louis XI avait préparé cette union, c'était seulement pour deux causes : la première pour ce qu'il se voyoit sur son âge fort agrevé de diverses maladies ; la seconde par ce cuidant apaiser les guerres et rancunes lesquels avoit mené de longtemps la maison de Bourgogne contre le roy et son royaume. Or, Maximilien avait protesté contre ce projet en déclarant que les Gantois le lui avaient imposé. Il avait même pris les armes pour s'opposer à ce qu'il fût exécuté, s'alliant au duc de Bretagne et aux Anglais, anchiens ennemis de la France, jusques à prendre la ghiertière, qui est signe de merveilleuse alliance, s'emparant de Thérouanne, cherchant à surprendre Saint-Quentin, Guise et Abbeville, de telle sorte que, sans la victoire de Béthune, le royaume estoit en balance de cheir en grandes tribulations pour la division qui lors estoit. Le roi des Romains avait même menacé le roi de France que, si il ne lui renvoioit sa fille, il mènerait en son royaume telle compaignie d'Allemands qui assez forte seroit de icelle aller quérir jusques au chastel d'Amboise.

Les barons bretons avaient d'ailleurs révélé à Charles VIII plusieurs grans secrets et couverts entendements que le roy des Romains avoit conclus avec eux, et, l'avaient pressé d'arrêter ces intrigues en ne permettant point que la jeune héritière de leur duché s'alliât, comme Jean de Montfort, aux ennemis de la France. La Bretagne ne devait pas d'ailleurs, ajoutait d'Urfé, être inutile à la prospérité du royaume. C'était un beau pays, dont les impôts montaient à sept ou huit cent mille écus d'or, et qui comptait douze mille hommes d'armes, deux mille navires de guerre et plus de huit cent mille habiles marroniers[49].

Des conférences avaient lieu en ce moment à Malines pour rechercher les moyens de rétablir la paix en obtenant de Philippe de Clèves qu'il n'entravât plus la liberté de la navigation â l'Écluse, et du duc Albert de Saxe qu'il modérât ses prétentions pécuniaires. Au premier bruit du mariage de Charles VIII et d'Anne de Bretagne, les conseillers de Maximilien proposèrent de réunir contre le roi de France toutes les milices des Pays-Bas, et les capitaines allemands déclarèrent que c'était les armes à la main qu'ils iraient réclamer Marguerite. Tous les princes de l'Europe allaient se confédérer, disait-on, pour venger L'injure faite au roi des Romains, et on publia même une lettre du roi de Castille conçue en ces termes : Grâce à l'appui du Seigneur, nous sommes entrés victorieux à Grenade le 20 janvier 1491 ; nous nous préparions déjà à reprendre le glaive pour conquérir le royaume de Tunis, mais le rapt inouï et exécrable — excessivus et nefandissimus — de l'épouse du roi des Romains et la captivité de son illustre fille nous forcent à renoncer à nos desseins pour venger cet outrage, en nous alliant à nos frères les rois d'Angleterre et de Portugal[50].

Ce n'étaient là que de vaines menaces, mais des succès importants en Flandre étaient de nature à consoler le roi des Romains. Le parti de la paix se réveillait à Gand. Selon le doyen des tisserands, Hubert Luerbrouck, il valait mieux acheter une paix défavorable que de consacrer les richesses de la cité à l'entretien de la guerre. Ce propos fit naître des discussions, et un parent des Coppenolle tua le doyen des tisserands d'un coup de poignard. Jean de Schoonhove remplaça le sire de Poucke, qui avait saisi l'occasion d'une procession en l'honneur de saint Bertulphe pour s'écrier : Que ceux qui veulent la paix me suivent ! Les Gantois, conduits par le sire de Schoonhove, parvinrent à reconquérir Hulst ; ils s'emparèrent de Dixmude, le 20 janvier 1492, et de Grammont au mois de mars suivant. Cependant le parti de la paix n'était point étouffé, et les amis d'Hubert Luerbrouck conspiraient silencieusement en faveur du comte de Nassau. Déjà une porte lui avait été livrée et quinze cents reitres avaient pénétré dans la ville, lorsque les bourgeois s'éveillèrent au son du tocsin et repoussèrent les Allemands.

Un des capitaines de Gand avait pris part à ce complot ; il s'appelait Arnould Declercq, mais on le nommait habituellement Capiteyn Ploughenare, c'est à dire, Laboureur, en mémoire sans doute de son origine. Ayant reçu l'ordre un jour d'aller à Deynze attaquer les Allemands, il remontra à ses compagnons que c'était vouloir leur mort que de les envoyer ainsi combattre des ennemis supérieurs en nombre, et leur persuada de retourner à Gand. A peine y étaient-ils rentrés que Jean de Coppenolle accourt pour leur reprocher leur pusillanimité. Declercq et les siens répondent par des injures ; des injures on en vient aux mains. Clèves et Gand ! crient Coppenolle et ses partisans ; Gand ! Gand ! répondent les autres. Ceux-ci sont bientôt les plus nombreux. L'un des capitaines de la ville, Remi Hubert, tombe percé de coups ; les autres, Jean et François de Coppenolle, Gilles Van den Broucke et leurs principaux partisans sont chargés de chaînes, et périssent peu de jours après, le 16 juin 1492, par la main du bourreau. A Courtrai, Jacques Rym fut victime d'une lutte semblable.

C'était le commencement de la fin. Quatre semaines ne s'étaient point écoulées, lorsque les bourgeois de Gand se virent réduits à envoyer au duc de Saxe Adrien de Ravenschoot et Jean de la Kethule pour obtenir la paix. Le traité fut conclu à Cadzand[51], le 30 juillet 1492[52]. Les conditions en étaient moins sévères que celles qui avaient été imposées aux Brugeois. Les anciens magistrats étaient, il est vrai, soumis à une amende honorable, et le droit d'élection des métiers était modifié, mais aucune exception n'était faite au pardon général accordé aux habitants[53].

Philippe de Clèves seul ne se soumettait pas ; toutes les négociations entamées jusque là étaient restées sans effet. Le duc de Saxe résolut de profiter de la pacification de la Flandre pour réunir toutes ses forces contre le sire de Ravenstein. Comme jadis, dit Molinet, les Grégeois se mirent sus à grande puissance pour avironner la noble cité de Troye, gendarmerie se adoubba de tous costés pour subjuguer l'Écluse. En même temps, une flotte anglaise, commandée par sire Edward Poynings, vint bloquer le port. Mais les fortifications de la place, exécutées à grands frais par les princes de la maison de Bourgogne pour dominer les communes flamandes, dit M. Kervyn, offraient à leurs derniers défenseurs un asile inexpugnable. La garnison, renforcée par des mercenaires danois, repoussait les assiégeants dans toutes les tentatives de ces derniers ; plusieurs vaisseaux anglais, échoués sur le sable, avaient été livrés aux flammes[54] ; dix canons avaient été enlevés dans une attaque contre le camp de Lapscheure, et les Allemands semblaient sur le point d'être réduits à se retirer, quand un accident, pareil à celui qui amena le désastre de Gavre, déjoua toutes les prévisions. Le feu prit aux poudres des assiégés, et leur artillerie cessa de répondre aux bombardes ennemies. Philippe de Clèves, obligé de capituler, obtint les conditions les plus honorables. En promettant fidélité à Maximilien et en lui remettant la ville de l'Écluse avec le petit château, il conservait le grand château jusqu'au n'ornent où serait payée la somme de quarante mille florins, qui lui était due. On lui assurait, de plus, une pension de six mille florins, et la restitution de tous ses biens précédemment confisqués[55].

Ainsi s'acheva cette longue guerre civile qui, pendant douze ans, avait rempli la Flandre de deuil et de ruines. Les communes en sortirent affaiblies et chancelantes. Maximilien témoigna au duc de Saxe, qui avait contribué plus que personne à y mettre un terme, combien il appréciait l'étendue de ce service, en lui accordant la souveraineté héréditaire de la Frise[56]. Mais tandis que les capitaines allemands se voyaient comblés d'honneurs et de richesses, un grand nombre de familles flamandes se retiraient en France, préférant l'exil aux tristes images de la patrie humiliée et appauvrie. L'une de ces familles était celle des sires de la Gruuthuse ; une autre, celle des sires d'Halewyn. Jean de la Gruuthuse épousa en France Renée de Beuil, petite-fille de Charles VII et d'Agnès Sorel. L'on sait qu'il offrit au roi de France, pour prix de l'hospitalité reçue, la précieuse bibliothèque que son père avait réunie à Gand, à grands frais, avec le concours des artistes les plus habiles. Louis d'Halewyn, seigneur de Fiennes, combattit à côté de Charles VIII à la journée de Fornoue Louis XII le combla de ses bienfaits, et Henri III éleva ses descendants au rang de ducs et pairs.

Le 23 mai 1492, un traité de paix fut conclu à Senlis entre le roi de France et le roi des Romains. Il y était stipulé que le roi de France remettrait la princesse Marguerite aux mains de son père, de l'archiduc Philippe ou de leurs envoyés ; que le roi et la princesse se déclareraient libres de toute obligation l'un envers l'autre, et que les conventions arrêtées par le traité d'Arras en 1482 à ce sujet seraient annulées ; que le roi de France restituerait au roi des Romains les comtés de Bourgogne, d'Artois, de Charolais et de Noyon ; que le roi Charles retiendrait les villes d'Hesdin, Aire et Béthune, jusqu'à ce que l'archiduc Philippe eût atteint l'âge de vingt ans, c'est à dire, jusqu'au 25 mai 1498, et qu'il conserverait la possession des comtés de Macon, d'Auxerre et de Bar-sur-Seine aussi longtemps qu'il n'aurait pas été statué par voie juridique à qui ces domaines appartiendraient définitivement[57].

Après que cette paix eut été publiée à Valenciennes et à Senlis, les députés du roi de France amenèrent la princesse Marguerite à Saint-Quentin, puis à Cambrai. Elle fit ensuite son entrée à Valenciennes, où elle fut reçue au milieu des fêtes. Les dames françaises qui avaient été attachées à sa personne ne la quittèrent que là, après lui avoir prodigué les marques de la plus vive affection, et comblées des dons de sa munificence.

 

NOTE

Le texte du traité est dans Molinet, pages 318-334, et dans Dumont, III, p. II, pages 201 et suivantes. Nous croyons devoir le reproduire ici : Maximilien par la grace de Dieu Roy des Romains, etc., faisons sçavoir à tous présens et advenir, que pour mettre jus et parvenir à un bon traicté de paix, de tels mesus, questions, divisions et debats, qui sont advenus depuis la my-aoust ença entre nous d'une part, et les habitans de la ville de Gand. avec ceux de la ville de Bruges et Ypre adhérents desdicts de Gand, tous ensemble représentans les trois membres de Flandres, d'autre ; plusieurs communications du consentement de nous ont été faictes entre nos beaux cousins le sieur de Ravestain, messire Philippe, son filz, et le sieur de Beures (Bevere) aussy nostre conseillier, ensemble ceux des estats des pays de Brabant, Haynaut, Hollande, Zélande et Namur, d'une part, et ceux des estats de Flandres, d'autre part, si avant que par l'entre-parler d'aucuns à l'honneur de Dieu souverain roy et auteur de paix, ayants pitié et compassion des grandes pertes, du sang humain des chrestiens respandu, de l'interest, desplaisir,, et dommages, qui adviennent journellement et encore peuvent advenir à cause desdits differens et divisions, le tout au préjudice de nostre très cher et bien amé fllz Philippe, Archiduc d'Austriche et de ses pays et subjects. Nous qui, comme celuy qui avons toujours esté inclinez plus au bien du pays que autrement, avons avec les inhabitants et subjects au pays de Flandres spirituels et temporels faict une bonne, seure et stable paix, moyennant certaines réparations honorables et manifestes, que ceux de la ville de Bruges nous ont faictes soubs les poincts et conditions cy-aprez escrites. Premièrement, que les trois membres de Flandres ont promis et seront tenus de nous mettre sur nos pieds en nostre libeité, pour incontinent qu'il nous plaira retirer, où bon nous semblera, de ce laisserons en seureté et hostage dans la ville de Bruges, le sieur de Volkestain, et le comte de Hanou, et en la ville de Gand, messire Philippe de Cleves. — Item lesquelz sieurs, comte et messire Philippe jureront à la requeste de nous sur le fust de la Sainte Croix et sur les Evangiles, et aussy sur leur foy et honneur, qu'ils ne se départiront desdictes villes jusques à ce que tous les poincts et articles, contenus en cette présente paix, seront bien et leaument furnis et accomplis. — Item encore pour plus grande seureté avons prié et requis ledict messire Philippe que, en cas que nous fussions aucunement en faute de non accomplir iceux poincts, ou que aucun quel qu'il fusse en notre faveur ou autrement s'advancer d'y mettre empeschement, que en cas iceluy messire Philippe avons deschargé et deschargeons de tous serments de fidélité et autres qu'il nous peut avoir faicts, et assistera ceux de Flandres à l'encontre de nous de tout son povoir et de toute sa puissance et de ce fera ledict messire Philippe serment, et en baillera lettres auxdicts de Flandres en tel cas pertinentes. — Idem et pardessus ce avons consenty, ordonné, et commandé aux deputez des estats des Pays de Brabant, de Haynaut, de Zélande, de Namur, et des villes de Valenciennes, de Lille, de Douay, et autres présentement assemblez en la ville de Gand, qu'ils ne se départent hors de ladicte ville, mais y demeurent, et les aucuns d'eux, tant que la paix de France, les alliances d'entre les pays, et tous autres poincts concernants cette matière soyent concluds et asseurez. — Item promettons de promptement faire cesser nos gens d'armes de tous exploicts de guerre, et les faire ensemble toutes garnisons de nostre costé partir hors de Flandre en deans quatre jours après que soyons mis à délivre, et quatre jours aprez hors de tous les pays ou plutost s'il est possible, et deffendons que en deslogeant et partant, iceux gens ne bruslent, pillent, desrobent, prennent, rançonnent, ne fassent aucuns maux en iceux pays, et aussy qu'ils n'emmènent hors de Flandres nuls prisonniers, et si aucuns en ont, seront tenus de les mettre à raisonnable rançon, sans les pouvoir transporter, ny mener avec eux, et s'il advient qu'ils facent au contraire, l'on recouvrera l'interest de ce, et le dommage sur la pension que ceux de Flandres nous ont consenty ou consentiront. — Item et pareillement seront tenus lesdicts de Flandres, de faire cesser leurs gens de guerre et garnisons, et aussy partir hors desdicts pays, et garderont que d'eux ne viendra auxdicts — Item et afin que nous puissions tant plus facilement faire desloger et departir nosdicts gens de guerre, et garnisons, les estats de tous lesdicts pays par ensemble, nous ont accordez payer en de !ans un mois prochainement venant, la somme de 25 mil livres de 40 gros monnoye de Flandres la livre, à condition que si iceux gens de guerre, et garnisons ne sont partis dehors de tous les pays dedans ledict temps que en ce cas lesdicts 25 mille livres seront employez au payement d'autres gens de guerre, pour par force, si autrement faire ne se peut, les expulser et dechasser, en ensuyvant les alliances et unions faictes entre lesdicts pays. — Item en outre avons consenty, et sommes tenus de mettre incontinent toutes forteresses et chasteaux du pays et comté de Flandres, es mains des sieurs du sang au proufit de nostre filz pour en iceux estre mis tels chastelains et officiers, qu'il appartiendra selon les droicts et privilèges des pays de Flandres, par l'advis et consentement desdits trois membres. — Item avons à la très instante prière et requeste des deputez desdits estats, et aussy à la très humble supplication des bourgeois, manans et habitants de la ville de Bruges aboly, quitté et pardonné à toujours la prinse et détention de notre personne, ensemble tout ce qui est advenu devant ou aprez, par qui, quand, comment, ny en quelque manière que ce soit. — Item semblablement à la requeste que dessus avons pardonné et remis tout ce que par les trois membres de Flandres, et chacun d'eux en général ou particulier peut avoir esté faict, ou mesprins envers nous soit en adhérant au peuple de Bruges, et nous detenant en leur nom, ou nous faisant hostilité en guerre à part, ou par ensemble, en blasmant ou injuriant nous ou les nostres par faict, ou par parolles ou autrement en quelque manière que ce soit, sans que à l'occasion de ce, ny de toutes autres choses passées, nous leur puissions jamais rien demander en général, ny en particulier, en corps ni en biens, ny dedans le pays ou autrement en nulle manière et mesmement de ce qui advint en l'an 1485 et autres. — Item lesdicts de Flandres à la contemplation de nous et de ceux du sang, aussy à la requeste des députez des estats, ont anaiablement et franchement pardonné toutes offenses, injures et vilenies, qui leur ont esté faictes à cause desdictes divisions, par qui ny en quelque manière que ce soit, sans aucune exception, ny réservation aussy bien en consentant plusieurs et diverses aydes faictes sans le sceu et consentement des membres comme autrement, en le mettant totalement en oubly, comme non advenu sans aucune exception ou réservation, consentent et accordent que chacun pourra paisiblement retourner au sien, en l'estat qu'il le trouvera, sans que à cause des guerres et divisions ils puissent rien demander. — Item que tous autres lesquelz à cause et soubs ombre des dictes divisions ont esté offencez, injuriez et vilenez soit en corps, en biens, ou autrement en manière que ce soit, pardonneront semblablement le tout et le mettront hors de leur entendement sans plus le ramentevoir ny faire question. — Item si aucuns ayants eu administration de nos deniers, de nostredict fils, ou d'aucunes villes, chastelenies, terres ou pays, et d'iceux se fussent mesussé en leurdicte administration, ou que l'on trouvasse qu'ils ont appliqué aucunes sommes à leur singulier proufit, seront tenus en respondre par devant les juges et les lois où il appartiendra. — Item et si aucuns avant les divisions et sans cause ou raison, par menace, force ou puissances, par malice ou mal noise ou praticque a obtenu et applicqué à son prou fit les biens, joyaux, argent et meubles d'autru y, sera tenu semblablement en respondre là où il appartiendra. et d'attendre droict sur la restitution desdicts biens. — Item et pour certaines causes et considérations à ce nous mouvans, et mesmement pour éviter tout procez et questions au moyen de l'appellation interjectée par lesdits de Flandres estoient apparents de mouvoir, n .us avons renoncé et renonçons à la manbournie de Flandres, et avons quitté et quittons tous serments que en telle qualité ou autrement nous ont esté faicts par iceux de Flandres, et avons consenty et accordé que celuy pays et comté de Flandres, en tous ses membres désormais durant la minorité de nostre fils, sera regy et gouverné soubs son nom tant en souveraineté que autrement par l'advis des seigneurs du sang et du conseil telz que lesdicts du sang ordonneront par l'advis et consentement des trois estats de Flandres, en ensuivant le contenu de l'union faicte par tout le pays. — Item que moyennant ladicte réconciliation, lesdicts de Flandres nous ont accordé pour nostre entretenement chacun an, durant la minorité de nostredict fils, la somme de mille livres de gros, six livres monnoye de Flandres la livre, que leverons par les mains du receveur de Flandres, à deux payements, à sçavoir moictié au Nœl, et l'autre moictié à la St-Jean-Baptiste, dont le premier payement escherra au Nœl prochain venant, sans que jamais nous puissions plus rien demander, exiger ny lever en iceluy pays et comté de Flandres, et pour ce sont quittés de tous arrierages, qui nous peuvent estre deubs à cause des aydes et subventions passées, si aucunes en sont. — Item nous avons déclaré que n'en prendrons nul droict de propriété, ny autres quelconques au pays et comté de Flandres, et avons promis que doresenavant n'en porterons plus le titre ni les armes. — Item nous acceptons la paix, que le roy de France par ses lettres closes et patentes, offre aux trois membres de Flandres, et à tous autres, qui se voudroient joindre et adhérer avec eux et déclarer pour la paix de l'an 1482, et sommes contents que tous les autres pays se déclarent pour icelle paix, et confirmerons, ratifierons et tiendrons inviolablement tout ce que par mes ambassadeurs si aucuns envoyet en voulons, ou que par les ambassadeurs des estats sera faict et conclud. — Item nous avons promis de mettre la personne de nostre fils es mains desdicts du sang pour desormais estre gouverné et entretenu honorablement sur l'estat qu'on luy ordonnera, et d'estre transporté de pays en autre, par temps et par ordre ainsy que autrefois a esté consenty et avisé, ou ainsy que pour le mieux on advisera en faisant ledict estat, à l'entretenement duquel estat lesdicts pays contribueront à rate et portion. — Item nous avons promis de tenir lesdicts de Flandres quittes et indemnes envers nostredict fils, et tous autres à qui en temps advenir il pourra toucher, de telz joyaux et tapisseries, que aprez la paix de Flandres de l'an 1480 nous eusmes dehors de leurs mains appartenants à iceluy nostre fils. — Item demeureront ceux de Flandres tant en général que en particulier, en touts et quelconques leurs priviléges, franchises, libertez, coustumes et usages, ainsy et par la manière qu'ils ont esté de tout temps auparavant, sans avoir regard à ce qui peut avoir esté faict au préjudice d'iceux restituez comme cassez et de non valeur. — Item nous avons promis que jamais ne ferons ny procurerons, directement ou indirectement, chose qui puisse venir et tomber au préjudice et dommage dudict pays et comté de Flandres, ni aux marchands, ni marchandises d'iceluy, et si aucun en a esté faict par nous ou les nostres, soit par censures ecclésiastiques, ou autrement, nous ferons revocquer incontinent et mettre à néant, et si baillerons lettres de seureté à tous marchands et autres, qui le requerront, pour franchement aller et conveser marchandement et autrement en Allemaignes, et partout ailleurs, sans, pour l'occasion des choses passées, estre travaillez en corps, en biens, ny autrement en quelque manière. — Item et pour la seureté de tout ce que dict est nous jurerons sur les Saincts Evangiles, sur la Saincte vraye Croix de Dieu, sur le Canon de la messe, et sur le Sainct Sacrement, que nous observerons inviolablement et entretiendrons ce traicté de paix de poinct en poinct, sans jamais faire ou procurer estre faict rien au contraire, et nous submectons à toutes censures ecclésiastiques nonobstant les privilèges, que comme Roy des Romains puissions avoir au contraire. — Item en outre ce que dict est cy-dessus à nostre requeste seront nostre Sainct Père le Pape, monsieur l'Empereur nostre Père, les sept Princes Electeurs de l'Empire, les sieurs du sang, et des estats dudict pays au consentement desdicts de Flandres, et aussy par les Evesques d'Utrecht et de Liège, les Ducs de Cleves, de Juilliers, tenus de confirmer ladicte paix par leurs lettres patentes, et si promectons d'entrectenir ycelle sans faire ni donner assistence au contraire, et avec ce lesdicts Evesques de Liée et d'Utrecht, ensemble les Ducs de Cleves et de Juilliers promecteront et s'obligeront de ne donner passage par leurs pays ou rivieres à aucunes gens de guerre, qui voudroient venir pour porter dommage audict pays et comté de Flandres. — Item et si nous obligeons, consentons et promectons, et s'il advenoit, que Dieu ne veuille, en aucune manière, nous contrevinsions ou fissions contrevenir à cedict présent traicté, ou à aucuns poincts d'iceluy, que en ce cas sans autre declaration faire, lesdicts du sang, les seigneurs de l'ordre, estats, manans et habitans de tous lesdicts pays seront ipso facto de maintenant et pour lors quittes et absoubs de leurs serments, et aussy deschargés de toutes aydes, subventions, pensions, et autres gratuitez accordées et à accorder, et de tous arrierages ensemble lesdicts de Flandres de la pension que dessus, et les autres pays quittes de nostre subvention seront tenus d'assister, et de bailler secours auxdicts de Flandres, et deslors en avant seront gouvernez dessoubs le nom de nostredict fils le duc Philippe, par l'advis desdicts du sang, et du conseil de chaque pays, ainsy que présentement seront régis ceux de Flandres. — Item et ce présent traicté de paix sera confirmé par le Roy de France, comme le plus prochain ou hoir et héritier apparent de nostredict fils, à cause de la Royne sa compaigne nostre fille. — Item et si ledict traicté estoit enfreint par aucun, ou aucuns, il seroit puny et corrigé à l'exemple de tous autres, quelque part qu'ils soyent trouvez, et apprehendez, comme infractenrs de paix. — Item s'il advenoit cy-aprez, que Dieu ne veuille, que par aucun de nous ce présent traicté fut enfrainct en aucuns ses poincts et articles, que toutefois ledict traicté de paix demeure en sa force_et vertu, et pourra poursuyvre sans proceder par voye de faict. — Item aucun desdicts princes ou autre par delay, negligence, ou autre defaut, ne voulusse appendre ou mettre son scéel à ce présent traicté. pour ce ne sera iceluy traicté entendu, ni tenu de moindre effect, ni valeur, et soit ainsy que nous ayons compassions et pitié du povre peuple afin d'éviter iceluy de tous dangers et inconvénient qui peuvent advenir et sandre par division et guerre, avons, en l'honneur de Dieu, consenty et accordé, confirmé et approuvé, et par ces présentes signées de nostre propre main confirmons et approuvons en article de bonne foi et de prince de entretenir et faire entretenir ce présent traicté de paix en tous ses poincts et articles cy-dessus escrits, par nous accordez et promis, sans jamais faire ny souffrir faire au contraire de ladicte paix, ou aucuns des poincts et articles d'icelle, et pour le tout deuement entretenir sans enfraindre ou interruption, nous nous submectons d'encourir toutes peines et censures ecclésiastiques, nonobstant le droict et le privilége que nous avons au contraire, et s'il advenoit, que Dieu ne veuille, que nous ou autre en nostre nom fit faire quelque chose contre ny au préjudice des poincts et articles cy-dessus escripts, nous voulons, consentons et accordons, ordonnons en donnant commandement aux princes cy-dessous nommez et aussy aux gens des estats de nos pays de Brabant, Lembourg, Luxembourg, Gueldres, Zutphen, vines de Valenciennes et de Malines, que tout le secours, faveur et assistance, que possible leur sera de faire, le facent par effect à ceux de Flandres et à leurs adherents. afin que ladicte paix en tous ses poincts et articles soit de tant mieux entretenue, et ce que enfrainct pourra estre soit reparé et remis en son estat, et pour ces choses estre mieux faictes et conclues sans aucun mespris requerons que, sur ce que dict est, nos beaux cousins cy-dossous nommez, et aussy les estats des pays vouloir scéeller ces presentes de leurs sceaux avec le nostre, et sur ce consentir leurs lettres à part, absouldrons et des-chargerons aussy iceux des estats des serments qu'ils ont à nous, et ferons commandement à nostre amé et feal le Chancelier et Conseil de Brabant, nostre Gouverneur et Conseil de Luxembourg et Gueldres, de Haynaut, de Hollande, de Zélande, Namur, et tous autres justiciers et officiers et chacun d'eux qu'il appartiendra, que ladicte paix ils entretiennent, et lacent entretenir en chacun desdicts poincts et articles, sans faire ou souffrir faire au contraire en aucune manière, car ainsy nous plait-il. Et pour ce que de ces présentes l'on pourra avoir affaire en plusieurs et divers lieux l'on adjoustera foy aux Vidimus, qui en seront faicts soubs sceaux authentiques. comme aux lettres originales ; et afin que le tout demeure ferme et stable avons à cesdictes présentes lettres faict mettre et appendre nostre scéel de vérité ; et si requerons en outre nostre beau cousin le Sire de Beures, aussy nostre cousin le Sire de Ravestain, et Philippe son filz, et semblablement les Prélats, Nobles, et Villes desdicts pays de Brabant, de Luxembourg, Gueldres. Haynaut, Hollande, Zelande, Namur, Zutphen, Vallenciennes et Malines, vouloir aussy mettre et appendre leurs sceaux à cesdictes leltres. Et nous Adolph de Cleves et de la Marck, seigneur de Ravestain, Philippe de Cleves et de la Marck, seigneur de Winendale, Philippe de Bourgoigne, seigneur de Beures, Gossuyn abbé d'Aftlieghem, Martin abbé de Saint-Bernard, Marc abbé de Grimberghe, Dierick abbé de Parcq, Anthoine de Brabant, chevalier, Arnout de Hornes, seigneur de Brimeux, Guillaume de Fontaines, seigneur de Melen, Jehan de Gaures, Pierre de Herbaix, Jehan Bernaige, seigneur de Poucke chevalier, Daniel Buxoren bourguemaistre, Jehan Pinock chevalier, Michel Absolons chevalier, Philippe de Nele pensionnaire. deputez de la ville de Louvain ; — Roland de Mol chevalier, Henry de Mol bourguemaistre, Jehan de Combliel chevalier, Pierre de Obberghem, Adrien de Scapre, Jehan van Erke pensionaire, Deputez de la ville de Bruxelles ; Martin van Rede, Simon van Ghelle pensionaire, deputez de la ville de Tirlemont ; — Henry Boinch, deputé de la ville de Leeuwe ; — Walerin Stevens, deputé de la ville de Nivelle, representans tous ensemble les trois estats des pays de Brabant ; — Raphaël, Evesque de Rosence, abbé de Sainct-Bavon, Philippe abbé de Sainct-Pierre, Gerard abbé de Enain, Guillaume abbé de Baudeloo, Jehan, abbé de Dronghen, Rasse Clement de Sainct-Martin d'Ipre, Pierre Boyart, prevost de Sainct-Donat. à Bruges, Pierre van de Honte, prevost de Renay, Wautier seigneur du Fossé, Jehan Scalent, chevalier, seigneur dé Izenghien, Colart de Halewyn, chevalier, Adrien du Fossé chevalier, seigneur de Scardau, Cornille de la Barre, seigneur de Mouscron, Jehan de Clarout, seigneur de Puthem, Adrien de la Wœstyne, seigneur de Besselaere, Josse de la Porte, seigneur de Morselede, Adrien Vilain chevalier, seigneur de Rassenghien, Gerard van Hongherel, Jehan de Picq, Jacques van de Heule eschevins, Pierre Ghiselins grand doyen, Lyevin de Moor, doyen des tisserands, !deputez de la ville de Gand ; — Joes de Denbrecq bourguemaistre, Jehan van Lend, Steven van den Gheerst, Jehan Bert pensionaire, deputez de la ville de Bruges ; — Pieter de Langhe, Adrien Paulin, Guillaume de Corne, deputez de la ville d'Ipre ; — Hugue Ganthois, Jehan de Lattre, Jehan François pensionaire, deputez de la ville de Lille ; — Amé Pinchon et Jehan de la Vacquerie, deputez de la ville de Douay ; — Arnould d'Espineux chevalier, Jehan le Leu, Jehan le Maire pensionaire, deputez de la ville d'Audenaerde ; — Gerard Despilkel, deputé d'Alost, et plusieurs autres deputez de petites villes du quartier de West, representants les trois estats de Flandres ; — Guillaume abbé d'Aumont, Anthoine abbé de Bonne-Espérance, Michel des Sars chevalier, seigneur de Clenay, Izembar Piettin, Christoffle Gauthier, Servais Wandart, deputez de Haynaut ; — Anthoine de Sains Escuyer, Thomas de Karouble, Gobert Herny, deputez de Valenciennes tous ensemble representans les trois estats du pays de Haynaut ; Jehan Filz, Jacques de Middelbourg en Zelande — Louis de Praet chevalier, au nom de monsieur de Ravestain ; — Daniel de Hersewes chevalier, au nom de monsieur de Beures ; — Jehan Vierlos, messire Jehan Dinkas, messire Cornelis Boon, Thierry fils Cornille, Claes Fils Jacob, deputez de Ziriczee ; — Jehan Fils .Dierick et Pierre de Grave, deputez de la ville de Romerswale ; — Pierre Fils Simon, et Jehan Fils Gabriel, deputez de Ten -Goes ; — Guido Fils Jehan, et Henry, deputez de la ville de Ten-Tolen, tous ensemble representans les trois estats du comté et pays de Zelande ; — Jehan de l'Espinet, Louys Lodenet, et Jacques Sezillon, deputez du pays de Namur ; — Avons faict mettre nos sceaux à ces presentes lettres signées de nos mains en absence d'iceux. — Donné en la ville de Bruges, le 16e jour de mai de l'an 1488, et de nostre regne le 3e, Ainsy signé : Maximilianus, et le secretaire Hawel.

 

 

 



[1] Voici la lettre adressée à ce sujet par l'archiduc au grand bailli de Hainaut : De par l'Archiduc d'Austrice, Duc de Bourgoingne, de Brabant, de Lembourg, de Luxembourg et de Ghelres, Conte de Flandres, d'Artois, de Bourgoingne, de Haynnau, de Hollande, de Zeellande, de Namur, etc. Très chier et bien amé, nous vous tenons assez estre adverty comment, après ce que nagaires mon très redoubté seigneur et père monseigneur le roy, à la très instante prière et requeste des trois membres de nostre pays et conté de Flandres, assavoir Bruges, Yppres et le Franc, estoit allé et soy transporté en nostre ville de Bruges, pour illecques aviser les provisions nécessaires pour les frontières d'iceltuy, à l'encontre des François, et en besoignant sur ces matières et autres tendons au bien de paix, avoit mandé venir devers lui, en nostre dite ville de Bruges, tous les estaz en général de tous noz pays et seignouries de par deçà, pour par leur avis et conseil sur ce trouver quelque bon expédient, et, en ce faisant, et en attendant la journée pour ce assignée, le peuple de nostredite ville de Bruges, ne savons pourquoy, s'est mis en armes sur le marchié d'icelle, où ils ont aussi fait venir mondit seigneur et père, et l'ont fait logier, avecques eulx, en une maison sur ledit Marchié, appelé Craenenburch, où ils le détiennent bien estroittement, à son grand regret et desplaisir. Et, pour ce, très chier et bien amé, que de ceste manière de faire avons esté et sommes amèrement dou lans et desplaisans, comme bien raison est, et à quoy désirons pourveoir à nostre possible, par l'avis et conseil et d'autres noz bons, vraiz et loyaulx subjects ; à ceste cause, par l'adviz et délibération de ceulx de nostre sang et des gens du grant conseil de mondit seigneur et père et du nostre, nous sommes délibérez et concluz de mander et faire venir devers nous, en ceste nostre ville de Malines, au XXIIIIe jour de ce présent mois, tous les estaz en général de noz pays de par deçà, ce que desjà avons ordonné faire. Dont vous advertissons, et vous ordonnons, mandons et commandons expressément que, cestes veues, vous, incontinent, sans délay et à toute extrême diligence, de jour et de nuyt, mandez et faittes venir devers nous, en ceste nostredite ville de Malines, en bon et souffisant nombre, ceulx des estats de nostredit pays, conté de Haynnau, ville et seignourie de Valenciennes, ou leurs députez, en la manière accoustumée, et qu'ilz y soient audit XXIIIIe jour de ce présent mois, pour, avecques les autres des estaz de tous nosdits pays de par deçà aviser et conclure, sans retraitte, ce qui sera de faire en ceste matière, laquelle, comme povez assez entendre, requiert moulte grande célérité. Sy n'y faittes faulte, car tel est nostre plaisir. Très chier et bien amé, Nostre-Seigneur soit garde de vous. Escript en nostredite ville de Malines, le XIIIIe jour de février, l'an IIIIxx et sept. Signé au nom de mondict seigneur, présens sens de son consel. Jehan de Berghes. Lulier. — A nostre amé et féal chevalier, conseiller, chambellan et Brant bailly de Haynnau, le seigneur d'Aymeries et d'Authume. L'original de cette pièce est aux archives de l'Etat, à Mons ; elle a été publiée par M. Gachard dans les Bulletins de la Commission royale d'histoire, 2e série, tome II, pages 334-335.

[2] Molinet.

[3] Histoire de Bruxelles, t. I, p. 303.

[4] Molinet, 334-346.

[5] Nous savons bien que le mot province n'est pas exact, mais au moment où nous sommes il est assez généralement employé par les historiens. Les vieux textes emploient l'expression de pays, qui est beaucoup plus juste.

[6] Il existe, dit M. Kervyn, quelques pièces de monnaie frappées vers cette époque par les communes de Flandre avec cette exergue : Æqua libertas.

[7] Archives de la Flandre occidentale.

[8] Molinet. — Le texte de Molinet, dit M. Kervyn, n'est pas littéralement conforme à celui des archives de Mons, que M. Lacroix, ajoute-t-il, a bien voulu me communiquer.

[9] Molinet donne la traduction du monitoire et de la lettre de l'archevêque de Cologne, pages 295-305. — Dans une assemblée de notaires et de clercs, tenue dans l'église de Saint-Martin de Tours, le roi Charles VIII, par la bouche de son procureur général, maître Pierre Courtard, interjeta appel de cet acte pontifical, tant en son nom que pour ses vassaux, ses sujets et ses alliés, et spécialement pour les Brugeois, les Gantois, les Yprois et les autres habitants de la Flandre. Voir Preuves de l'histoire de Charles VIII, p 577.

[10] Le 12 mai, on cessa de sonner les heures à Saint-Donat, de peur que les ennemis, qui étaient à Sainte-Croix, n'y cherchassent le signal de leurs attaques. Acta Capit. S. Don. ; citation de M. Kervyn.

[11] Voir la note en fin de chapitre.

[12] Ce banquet coûta vingt trois livres, cinq sous, trois deniers. Comptes de la ville de Bruges ; citation de M. Kervyn.

[13] Molinet. — Relation de Christophe Gauthier et Lettre du sire d'Aymeries du 18 mai, aux Archives de Mons.

[14] Molinet.

[15] Despars.

[16] Lettre des députés du Haynaut à leurs commettants, datée de Malines le 25 mai ; Bulletins de la Commission d'Histoire, ubi supra, page 356.

[17] Bulletins, page 360. — Maximilien fut-ii parjure ? Nous n'oserions l'affirmer : le traité conclu à Bruges nous paraît radicalement nul et extorqué par la violence. Tout le prouve, et il suffit de le lire pour s'en convaincre. Que M. Kervyn nous le pardonne. N'est-ce pas une vaine distinction que celle qu'il fait, page 451 du tome V de son Histoire : Remarquez que Maximilien avait été mis en liberté avant de jurer la paix : son serment eût été nul, sans cette précaution, aux yeux des légistes ?

[18] Molinet.

[19] Multi hic assignantur combusti et captiti, unde colligo pessima fuisse tempora, dit la Chronique de Tronchiennes, citée par M. Kervyn.

[20] Celle de l'archevêque de Mayence fut placée dans l'église de Notre-Dame à Bruges.

[21] Par ordonnance du 25 novembre 1487 ; Archives de la cour des comptes, n° 135 de l'inventaire imprimé ; citation des auteurs de l'Histoire de Bruxelles. — Quelque temps auparavant, le seigneur de Beersel, l'un des plus dévoués partisans de Maximilien, ayant renoncé à l'office de châtelain de Genappe, et Philippe ayant donné à entendre que volontiers aucunes fois se tiendroit au dit lieu, lui avait succédé en vertu de lettres-patentes signées par Maximilien à Vilvorde, et avait nommé pour le remplacer en son absence Richard le Thaurengenoulx. Tarlier et Wauters, Histoire et Géographie des communes belges, canton de Genappe, page 6.

[22] Le revers de ces monnaies, qui avaient encore cours au XVIIe siècle, représentait la croix de Bourgogne, quatre lions placés entre les bras de la croix, et au milieu la lettre B avec cette inscription : Invocavi Deum adjutorem meum ; de l'autre côté, on voyait saint Michel tenant d'une main la croix, et de l'autre l'écusson de Brabant-Limbourg avec ces mots : Phs Dei grat. Dux Brab. 1488. Histoire de Bruxelles, I, 308.

[23] De vader was logea t'kint ende t'kint tegen de vader. Brab. Chronycke, ms. n° 10247, citation des auteurs de l'Histoire de Bruxelles.

[24] A l'endroit où se trouve aujourd'hui le mont de piété.

[25] Pour dédommager le sire de Beersel de tous ces désastres, le roi Maximilien lui céda successivement le droit de haute justice à Braine l'Alleud, Plancenoit, Ohain et Haute-Noucelle, (Diplôme daté d'Insprück le 10 juin 1449) ; les hommages, petits cens et péages, montant ensemble à vingt florins par an, avec renonciation à la redevance de treize muids de blé, mesure de Louvain, que payait au domaine le moulin de Mouchinpont, et à la condition d'entretenir les ponts et chemins de Sarmoulin, (diplôme de la même date) ; la haute justice à Beersel, Linckebeke, Rode, Alsemberg et Tourneppe, avec toutes les juridictions moyennes et basses, rentes et redevances du duché à Terheyden, Boesdale, Broecke sous Rhode, etc. (diplôme du 12 juin) ; le manoir de Hoylaer avec les prés, pâturages, étangs, cens, rentes, tonlieux, pour en jouir pendant vingt-quatre ans, (diplôme du 3 août). Quand l'épuisement et les ravages de la peste forcèrent la ville de Bruxelles à renoncer à la guerre funeste qui épuisait le pays, il fut stipulé dans le traité fait à Malines au mois d'août 1489, qu'elle indemniserait le seigneur de Beersel du saccagement de son hôtel, et qu'elle fonderait trois messes pour l'âme de Ramilly. Alph. Wauters, Le château de Beersel, dans le Messager des sciences historiques, 1842, page 451.

[26] Maximilien, pour indemniser la ville de Vilvorde, lui accorda différentes faveurs, et l'exempta entre autres de toute dépendance de la juridiction de Bruxelles. Histoire de Bruxelles, I, 311. C'est l'ouvrage que nous suivons dans cette partie de notre récit.

[27] C'est de Gand que Philippe adressa aux échevins d'Ypres la lettre suivante : Philippe de Clèves et de la Marke etc. Très-chiers et espéciaulx amis, nous avons receu voz lettres par ce porteur, par lesquelles requérez savoir de noz nouvelles. Sur quoy, très-chiers et espéciaulx amis, nous vous tenons assez advertis de la prinse de la ville de Thielmont, faite par noz ennemis, à l'occasion de laquelle prinse toutes les villes du pays de Brabant, excepté la ville de Brouxelles, ont esté si espœntées qu'il n'a esté possible de les povoir rasseurer ; ainçois ont fait leur traittié auxdits ennemis. Par quoy ladite ville de Brouxelles, soy voyant esseullée (isolée), avironnée de toutes parts de ses ennemis et despourveue de gens de guerre, de vivres et d'autres choses nécessaires, et, qui plus est, voyant qu'il n'estoit apparence d'aucun secours de France ou de Flandres, mais ainçois les gens de guerre qui y estoient s'en départoyent journèlement, sans qu'il feust possible de les povoir ou savoir retenir, à son grant regret et desplaisir, pour éviter plus grant inconvénient, a esté contrainte de faire semblable appoin eurent que les autres villes dudit pays de Brabant. Lequel appointement luy avons consenty faire, pour éviter sa totale ruyne et destruction, laquelle je congnoissoye estre apparente par deffault de secours, comme plusieurs foiz j'ay adverty, à quoy toutesfoiz l'on n'a lait semblant de pourveoir : moyennant lequel appointement, avons eu seurté pour nous, nostre compaigne, noz bagues et serviteurs retirer en ce pays de Flandres. Et sommes arrivez en ceste ville de Gand, à intention de vivre et mourir avec vous et autres des membres de Flandres, et de non entendre à traittié ou appointement, que n'y soyez comprins, ou du moins que premiers n'ayez fait vostre traittié : car, pour morir en la peine, ne vouldryons faire chose contre nostre sèrement fait à l'entretènement de la paix de Bruges. Très-chiers et espéciaulx amis, Nostre Seigneur soit garde de vous. Escript à Gand, le derrenier jour d'aoust. — A noz très-chiers et espéciaulx amis les advoé, eschevins et conseil de la ville d'Yppre. L'original est aux archives de la ville d'Ypres. Bulletins de la Commission royale d'histoire, 2e série, tome III, page 238.

[28] Geschiedenissen van Brussel, ms. n° 11641, f° 181 ; citation des auteurs de l'Histoire de Bruxelles.

[29] Sanderus, Chrorographia sacra Brabantiæ, t. III.

[30] Foppens, Chron. ms., f° 12 ; citation des mêmes auteurs. Voir Vita Theodorici a Monasterio, guardiani lovaniensis, e sinu latebrarum eruta, Douai, 1631, in-4°. Le frontispice offre le portrait de Thierri de Munster, gravé par Martin Baes ; ce saint religieux mourut à Louvain en 1515.

[31] Antiquam amicitiam regnorum Portugaliæ cum his patriis. Lettre ms. d'Édouard de Qualéon aux états de Flandre et de Brabant assemblés à Bruxelles, 13 décembre 1488 ; citation de M. Kervyn.

[32] Molinet.

[33] Les états généraux, assemblés à Tours en 1484, avaient confirmé le testament de Louis XI, et maintenu à madame de Beaujeu l'administration du royaume. Mécontent de cette décision, le duc d'Orléans prit les armes : mais il fut obligé de se soumettre. L'année suivante, ce prince leva de nouveau le drapeau de la révolte, et une partie des seigneurs suivirent son exemple. Le duc d'Orléans se retira en Bretagne, le comte d'Angoulême et Dunois soulevèrent quelques villes de Guyenne. Le roi et la régente se mirent à la tête d'une armée pour contraindre ces vassaux à l'obéissance. Ils pacifièrent d'abord la Guyenne, puis l'Anjou la même année. Charles VIII se porta en Picardie, et repoussa, comme nous l'avons vu, l'archiduc Maximilien, qui déjà s'était rendu maître de Térouane (1486). L'année suivante, trois armées entrèrent en Bretagne, et y obtinrent des succès mêlés de revers. En 1488, la Trémouille, que Guichardin appelle le plus grand capitaine du monde, s'empara d'Ancenis, enleva Fougères, et tailla en pièces l'armée des confédérés à la bataille de Saint-Aubin du Cormier. Le duc d'Orléans, le prince d'Orange et d'autres vassaux puissants furent faits prisonniers. Le duc de Bretagne mourut en sollicitant la paix ; il ne laissait pour héritière de son duché qu'une fille unique, la célèbre Anne de Bretagne.

[34] Super ligis, amicitiis, intelligentiis, alligantiis et confederationibus quibuscumque, Rymer, v. 2, p. 195, 198.

[35] M. Kervyn, v. 462-468.

[36] Quos Deus ab natura dein adeo punivit ut mare quod suo vado ripas civitatis alluebat, retrocesserit, nobileque emporium, quod prius celeberrimum omnium Flandriæ erat destituerit. Cuspian, p. 487 (Jean Cuspinien, premier médecin de Maximilien, autour du livre De Cæsaribus a Julio Cæsare usque ad Maximilianum primum). — Un essai fait pour introduire la mer par le polder de Sainte-Catherine n'avait pas mieux réussi que celui qui avait été tenté au polder du Zwartegat. On lit dans une charte du 30 mars 1486 (v. st.) que les trois parts des maisons estans en icelle ville de l'Escluse sont vagues, inhabitées et chéant à ruine. — Sur la misère qui régnait dans tout le pays, voyez une autre charte du 14 février 1493 (v. st.), où l'on expose que la plupart du peuple s'est rendu fugitif en divers quartiers délaissant leurs demeures avec leurs terres vagues et incultes, à l'occasion de quoy les loups et autres bêtes sauvages ont multiplié en grande multitude.

[37] Ce traité de Francfort est reproduit dans le Corps diplomatique de Dumont, tom. III, 2e partie, pages 237-239.

[38] Le traité est dans Dumont, loco citato, pages 242-244 ; il y porte la date du 1er octobre. — Nous donnons, dans le texte, l'analyse de M. Kervyn. Il y a de légères inexactitudes ; c'est pourquoi nous reproduisons une partie des conditions citées : Monseigneur le roi des Romains sera réintegré pleinement et paisiblement en la mainbournie, et tutelle de monseigneur l'archiduc son fils, comte de Flandres, et en ce nom aura plein, paisible et entier gouvernement du dit pays et comté de Flandres, et en tel état, autorité et obéissance, qu'il avoit avant le commencement des dits différends entre lui et ceux de Gand, Bruges, Ypres, et leurs adhérans. — Ceux qui depuis le commencement desdits différends ont été en loi esdites villes de Gand, Bruges et Ypres, supplieront en toute révérence et humilité, audit seigneur roi des Romains, en sa présence, ou de celui à qui ce sera de par lui commis, que le plaisir dudit seigneur soit de les recevoir en sa grace, et de leur pardonner toute l'offence qu'ils pourroient avoir faite et commise envers lui et mondit seigneur l'archiduc son fils, et diront que s'ils l'avoient à faire, ils ne le feroient jamais ; laquelle requête se fera en chacune des dites villes, ou au devant des portes d'icelles villes, ainsi que mieux plaira audit seigneur roi des Romains, et par chacune des dites lois séparement, et seront ceux qui la feront, vêtus de noir, desceints, nue-tête et à genoux. — Pour faire vuider les gens de guerre d'icelui seigneur roi des Romains hors du pays de Flandres, et pour recouvrer sa bonne grace, et aussi pour considération des grandes pertes, dommages et interest, que icelui seigneur et monseigneur l'archiduc son fils ont eus, en ce qu'ils n'ont point jouï dudit pays de Flandres durant lesdits différends, duquel pays ils n'ont cependant reçu aucuns profits, ceux d'icelui pays de Flandres paieront audit seigneur roi des Romains, la somme de trois cens mille écus d'or, de trente six sols parisis pièce, revenans à la somme de cinq-cens vingt-cinq mille livres tournois, ou à la valeur qu'ils seront paies à la monnoie ayant cours audit pays de Flandres, selon la réduction qui sera faite des monnoies par ledit seigneur roi des Romains, et les états d'icelui pays, laquelle réduction lesdits de Flandres dès à présent consentiront, dont le paiement se fera à trois ans, et à trois termes pour chacun an ; c'est à scavoir, à Noël, Pâques et Saint Jean... sauf que pour plustost faire partir lesdits gens de guerre hors d'icelui pays de Flandres, les paiemens des deux premiers termes se feront à Noël prochainement venant.

[39] Le payement, on vient de le voir, devait se faire en trois ans : il n'y avait donc à payer que les deux tiers de la somme due la première année.

[40] Voici cet article, qui n'a pas précisément le sens que lui attribue M. Kervyn : Sur le paiement de ladite somme de cinq-cens vingt-cinq mille livres, sera faite à ceux de la ville d'Ypres, touchant leur cotte et portion, telle modération et déduction, que l'on a accoutumé quand aucuns deniers sont imposés et mis sus audit pays de Flandres, et ce qui leur sera ainsi modéré et rabatu se recouvrera sur les autres villes et quartiers contribuables, à laquelle somme de cinq-cens vingt-cinq mille livres ne contribueront aucunement ceux des villes d'Oudenarde, Alost, Tenremonde, Hulst, Nieuport, Furnes, Dixmude, Dunkerque, Bergues-Bourbourg, Gravelines, Furnes-Ambacht, Bergues-Ambacht, Bourbourg-Ambacht, Loo, et Lombardize ; et au cas que ès villes qui contribueront à ladite somme, soit fait assiete par têtes, ceux desdites villes qui se seront retirés en l'obéissance dudit seigneur roi des Romains durant lesdits différends, n'y seront assis.

[41] Messire Adrien de Rassenghien, qui s'estoit allié et confédéré par serment solennel à promesse à messire Philippe de Clèves, fit son appointement au roy, favorisant pour cueillier auscuns deniers en Flandres.

[42] Non guères plaint, ne lamenté de plusieurs gens. Molinet.

[43] Chers amis et espéciaux amis, je me recommande fort à vous, Pour autant que vous et aussi d'aultres pourroient s'esmerveiller, et qu'il vous pourroit sembler estrange le faict arrivé hier en la personne de messire Adrien de Rassenghien, je vous ay bien voulu advenir de la vérité de l'événement qui est tel que, pour certaines causes et raisons me mouvantes, je l'ay fait faire, pour aultant que lui a esté la principale personne et remuant de toute la guerre et querelle passée, ayant naguères faict et machiné plusieurs et diverses choses contraires à la paix de tous, contre le repos de nostre prince naturel, son pays de Flandres, contre la ville de Gand et aussi contre ma propre personne, ce qui seroit trop prolixe à descripre à présent... Escript à l'Escluse, le XIIIe jour de juing. Duchesne, Histoire de la maison de Gand, p. 630. — Un acte d'oubli et de réconciliation fut signé, le 21 mars 1492, entre la famille d'Adrien Vilain et Philippe de Clèves. Il portait que celui-ci ferait faire un pèlerinage à Saint-Pierre de Rome et à Saint-Jacques en Galice. Note de M. Kervyn.

[44] D'autres disent le 4.

[45] Corps diplomatique de Dumont, tome III, 2e partie, page 262.

[46] Rymer, Fœdera, t. XII, pages 397 et suivantes.

[47] A 22 kilomètres N. E. de Chinon.

[48] Discours inédit de Pierre d'Urfé (Mss. de M. Goethals) ; citation de M. Kervyn.

[49] Matelots, et, par extension, pirates. Les maronniers qui par mer vont, dit un vieux manuscrit cité par Carpentier, dans le supplément au Glossaire de du Cange. On disait, dans un sens analogue, mareare et mariniarius.

[50] Ms. de la Bibliothèque royale, 17,328 ; citation de M. Kervyn.

[51] Une des îles de la Zélande, entre l'Écluse et l'île de Walcheren.

[52] M. David s'est trompé en assignant le 30 juin pour date à ce traité. Vaderlandsche Historie, t. IX, p. 143.

[53] Voir Despars, IV, 523-524.

[54] En l'Écluse estoit un maistre Siro, que l'on disoit fort expert en la science de Vulcanus, que les poètes nomment le dieu des fouldres. Ce maistre Siro délibéra de mettre en feu et en cendres les navires dudit siège. Molinet.

[55] Corps diplomatique de Dumont, ubi supra, pages 289-291. — Le traité est du 12 octobre 1492.

[56] Paulus Langius dans Pistorius, Rerum germanicarum scriptores, I, p. 882.

[57] Corps diplomatique, Dumont, pages 303-309.