HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

CHAPITRE VIII. — LÉON XIII ET LE MOUVEMENT INTELLECTUEL.

 

 

Les préoccupations d'un pape se portent forcément sur toutes les choses humaines. Quel est le développement social, industriel, politique, scientifique, artistique, dont on peut dire qu'il n'intéressera pas, d'un moment à l'autre, par certain côté, le développement religieux de l'humanité, celui de l'Eglise catholique ! A ce point de vue, l'histoire d'un pontificat a tout l'intérêt d'une histoire de la civilisation générale à un stade de son évolution. Mais quand le Chef suprême de l'Eglise est, par lui-même, un esprit encyclopédique, quand il s'est donné précisément pour but de montrer que l'action du catholicisme favorise le mouvement de la civilisation dans toutes les branches de son activité, cet intérêt redouble. Tel est le cas du pape Léon XIII. Dès son avènement au souverain pouvoir, il ne s'est pas contenté de jeter un regard sur tous les grands Etats chrétiens pour se mettre en relation avec eux, sur tous les schismes et sur toutes les hérésies pour les ramener à l'unité, sur toutes les régions du globe privées des lumières de la vérité religieuse pour les faire évangéliser ; il n'est pas un domaine de la culture générale qu'il n'ait exploré, sur lequel il ne se soit au moins fait renseigner par des gens compétents et à propos duquel il n'ait voulu donner des directions. Il a entendu faire plus encore : esquisser une synthèse de cette culture générale, en prenant pour guide le maître incomparable qui avait réalisé une synthèse pareille au XIIIe siècle, saint Thomas d'Aquin. L'enseignement du pontife cependant n'est point tellement didactique, qu'il néglige de s'adapter aux circonstances du moment où il est donné la synthèse dont je viens de parler en est l'âme, elle n'en constitue pas la charpente. Les encycliques sur le socialisme, sur la condition des ouvriers, sur le mariage chrétien, sur la liberté, sur les études bibliques, sont des directions pratiques, répondant à des besoins actuels, de vrais actes de gouvernement, en même temps que des expositions doctrinales. Nous n'en altérerons pas le caractère en les présentant dans leur ordre chronologique.

 

I

L'idée générale et inspiratrice de l'enseignement de Léon XIII est, en effet, celle-ci : que la doctrine de saint Thomas, conçue, non point comme un cadre étroit et exclusif, mais comme un organisme vivant, susceptible de s'enrichir de la pensée de tous les docteurs et de tous les Pères, capable d'harmoniser les spéculations de la théologie rationnelle avec les données des sciences positives, porte en elle de quoi éclairer, vivifier et stimuler la raison et la foi, les sciences profanes et les sciences sacrées, la philosophie et la théologie, le sensible et l'intelligible, le réel et l'idéal, l'expérience du passé et les découvertes de l'avenir, l'oraison et l'action[1].

Est-il besoin de faire remarquer combien une pareille idée était actuelle, se produisant au moment où la philosophie du XIXe siècle, avide elle-même de synthèse, cherchant un principe qui gouvernât à la fois l'idéal et le réel, l'individuel et le social, aspirait, suivant l'expression d'un perspicace historien de cette philosophie, à devenir une doctrine des valeurs et de la vérité pratique, autant qu'une doctrine de l'existence des choses et de la vérité théorique, à procurer le perfectionnement des volontés comme à ouvrir le monde aux possibilités de l'avenir[2]. Seulement, cette synthèse unifiante et vivifiante, que les disciples de Hegel cherchaient en vain dans les nébulosités d'une métaphysique abstraite de toute réalité, tels disciples français de Descartes dans le trompe-l'œil des idées claires, tels autres dans un vague inconscient, Léon XIII la montrait dans la doctrine lumineuse, toujours antique et toujours jeune, qui unissait aux richesses de la pensée profane, exprimée par le plus grand philosophe de la Grèce, les trésors de la pensée évangélique, développée par l'Eglise catholique.

Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de remarquer, au cours de cette histoire de l'Eglise, que les premières encycliques des papes révélaient souvent leur programme de gouvernement. Dans l'encyclique Quod Apostolici, que Léon XIII publia le 28 décembre 1878, on peut trouver les principales idées de son enseignement doctrinal[3]. Cette encyclique, déterminée par des faits contingents, les attentats dont l'empereur d'Allemagne, le roi d'Espagne et le roi d'Italie venaient d'être l'objet, était dirigée contre le socialisme. Mais le Saint-Père, au cours de l'exposé et de la réfutation qu'il présentait des erreurs socialistes, en indiquait la cause profonde, signalait les maux principaux qui en découlaient, et montrait comment la doctrine catholique remédierait à chacun de ces maux. La cause profonde, il la montrait dans ce rationalisme athée, plus impie que le paganisme lui-même, qui voulait édifier des théories et constituer des organisations- politiques et sociales en se passant de l'idée de Dieu. Les effets, il les faisait voir dans la fausse idée de liberté, confondue avec une licence effrénée, affranchie de tout respect de la justice et du droit, dans l'oubli des saintes lois du mariage, dans le mépris de la puissance paternelle, dans l'esprit de suspicion nourri contre 1'Eglise par les princes et les rois, et, conséquemment, dans l'esprit de révolte des peuples contre ces mêmes rois et ces mêmes princes ; dans le mépris des préceptes divins de la justice et de la charité par les patrons et les propriétaires, et, par une suite logique, dans l'insubordination des travailleurs contre les propriétaires et les patrons ; finalement, dans la propagation effrayante, en tous pays, des sociétés secrètes, foyers de propagande de toutes ces erreurs. Toutes les encycliques postérieures étaient en germe dans cette première lettre pontificale : l'encyclique Æterni Patris, de 1879, sur la saine philosophie, l'encyclique Arcanum, de 1880, sur le mariage chrétien, l'encyclique Diuturnum sur le gouvernement civil, l'encyclique Humanum genus, de 1884, sur la franc-maçonnerie, l'encyclique Immortale Dei, de 1885, sur la constitution des Etats, l'encyclique Libertas, de 1888, sur la liberté humaine, l'encyclique Sapientiæ humanæ, de 1890, sur les devoirs du citoyen. La lettre du 18 août 1893 sur les études historiques et l'encyclique du 18 novembre de la même année sur les études bibliques, eurent un but plus méthodologique que proprement doctrinal, mais elles complétèrent heureusement cet exposé magistral d'une doctrine si admirablement adaptée aux nécessités des temps actuels[4].

L'encyclique Æterni Patris, sur la philosophie chrétienne, publiée le il août 1879, répondait sans doute aux nécessités actuelles de l'époque où elle parut, mais il faut dire, en même temps, qu'elle venait à son heure, comme la pierre angulaire de l'enseignement de Léon XIII.

Par suite du malheureux discrédit dans lequel, pour diverses causes exposées plus haut[5], était tombée la doctrine scolastique, les écoles catholiques, les séminaires eux-mêmes et les scolasticats des ordres religieux, sauf de rares exceptions, n'avaient longtemps opposé au matérialisme, au panthéisme et au subjectivisme des temps modernes, qu'un vague éclectisme, dont la forme scolastique dissimulait mal un spiritualisme d'inspiration cartésienne, spiritualisme presque aussi ruineux pour le dogme que pouvaient l'être les négations matérialistes, plus dangereux peut-être, parce qu'il était plus subtil, plus séduisant et plus élevé[6]. Plusieurs esprits pénétrants avaient, au XIXe siècle, entrevu la faiblesse de cette position philosophique, mais ils n'avaient su y substituer que des théories personnelles non moins périlleuses, telles que le traditionalisme fidéiste d'un Bonald ou d'un La Mennais, l'ontologisme d'un Ubaghs ou d'un Rosmini, le criticisme semi-hégélien d'un Günther ou d'un Hermès. Sans doute, des esprits mieux avisés, Balmès en Espagne, Gratry en France, Kleutgen en Allemagne, Sanseverino, Cornoldi, Liberatore et Zigliara en Italie, s'étaient retournés vers saint Thomas ; l'ordre dominicain n'avait jamais oublié le Maître qui est sa plus grande gloire ; et les jésuites n'avaient point répudié l'article de leur Règle qui leur enjoint de prendre pour base de leur enseignement la doctrine du docteur angélique ; des centres d'études s'étaient même formés à Pérouse, à Naples, à Bologne, où les doctrines scolastiques étaient en honneur ; mais ce mouvement de retour vers la philosophie traditionnelle n'était ni général, ni puissant, ni même compris de la même façon par ceux qui s'en faisaient les promoteurs. Les professeurs de l'Université grégorienne, à la suite de leur plus célèbre représentant, le P. Tongiorgi, et un bon nombre de ceux de l'Université de Louvain, se trouvaient souvent en désaccord avec tel et tel autre défenseur des doctrines thomistes, et des polémiques s'élevaient entre eux, qui ne le cédaient en rien à ces vives discussions des écoles du XVIe siècle dont on s'était tant ému au concile de Trente.

Par son éducation, par les tendances de son tempérament, et, osons le dire, puisque nous écrivons l'histoire en croyant, par une grâce d'état providentielle, Léon XIII se sentait vivement porté à seconder la renaissance de la philosophie scolastique et en particulier de la philosophie thomiste. Ce qu'il aimait en elle, c'était d'abord cet esprit de sagesse et de mesure, qui, suivant l'expression du savant historien de la Philosophie médiévale, la porte à chercher toutes ses solutions dans un juste milieu entre les extrêmes, son souci de l'harmonie, son besoin de l'unité, qui est la paix de l'esprit, cette modération, en un mot, qui éclate dans son réalisme, son dynamisme, son idéologie, sa théorie de l'union de l'âme et du corps, sa conciliation du devoir et du bonheur, sa notion à la fois objective et subjective du beau[7]. Très préoccupé des problèmes politiques et sociaux, Léon XIII trouvait aussi dans cette doctrine, sur la vraie nature de la liberté, si mal comprise par les masses, sur la vraie fonction de la propriété et de l'autorité, si mal entendue par les classes dirigeantes, des principes lumineux et pacifiants. Enfin, cette doctrine avait fait ses preuves à l'apogée de son développement, au XIIIe siècle, elle avait été l'âme d'une civilisation aussi parfaite, aussi foncièrement chrétienne que les mœurs de l'époque le permettaient. Des œuvres comme celles de Dante montraient quelle avait été son emprise sur la culture générale ; une science historique récente en trouvait l'influence dans les peintures, la sculpture, les arts et les mœurs de l'époque. Les conditions de la société moderne étaient-elles si profondément modifiées, que la philosophie chrétienne n'y pût point renouveler ces merveilles ? Le contraire paraissait bien évident. Déjà Balmès, Gratry, Lacordaire, Ventura et plus d'un philosophe profane avaient apprécié la profondeur et la largeur de vues de saint Thomas sur les questions sociales et politiques[8], et, pour ce qui concernait les sciences de la nature, Léon XIII constatait avec satisfaction que plusieurs docteurs des sciences physiques, hommes de grand renom, témoignaient publiquement que, entre les conclusions certaines de la physique moderne et les principes philosophiques de l'Ecole, il n'existait en réalité aucune contradiction[9].

Léon XIII, qui, jeune encore, avait obtenu, au Collège romain, de grands succès dans les sciences philosophiques[10], et qui, plus tard, à Pérouse, aidé par son frère, Joseph Pecci, ouvrier de la première heure dans le mouvement thomiste, avait réorganisé puissamment les études philosophiques[11], n'eut rien de plus à cœur, une fois élevé au trône pontifical, que de réaliser la même œuvre dans le monde entier. Par son encyclique du 4 août 1879, après avoir fortement motivé son jugement sur des considérations philosophiques, théologiques et historiques, il demandait aux maîtres chrétiens, particulièrement à ceux qui élevaient la jeunesse pour le service de l'Eglise, de donner à leurs élèves le pain vivifiant et robuste de la doctrine thomiste, afin de les habituer de bonne heure à défendre la religion avec sagesse et vigueur. Ses conseils, au surplus, n'avaient rien d'étroitement exclusif. En recommandant l'étude de la doctrine thomiste, il ne séparait pas de l'angélique saint Thomas le séraphique saint Bonaventure, qui, comme son émule, avait su, par son talent incomparable, son zèle assidu, ses grands travaux et ses veilles, cultiver la théologie scolastique et l'enrichir. Le pape déclarait aussi que, si les docteurs scolastiques avaient parfois montré trop de subtilité en certaines questions, s'ils enseignaient des choses qui ne se trouvaient pas d'accord avec les doctrines certaines des temps postérieurs, enfin s'ils soutenaient des opinions improbables à quelque titre que ce fût, il n'avait nullement l'intention de proposer ces choses à l'imitation de notre temps.

Chez un pontife appliqué, comme l'était Léon XIII, à faire tout converger en vue de l'action, cette importante encyclique ne pouvait être que le signal de mesures pratiques et sagement combinées. Le bref proclamant saint Thomas d'Aquin patron de toutes les universités, académies, collèges et écoles catholiques ; la fondation à Rome d'une Académie destinée à défendre et à expliquer la doctrine du saint Docteur ; l'entreprise d'une édition monumentale de ses œuvres, enrichies des commentaires les plus estimés qui en ont été faits ; les encouragements et les subsides donnés aux universités de Louvain, de Fribourg, de Lille, de Washington, pour y promouvoir l'enseignement thomiste dans des conditions lui permettant de lutter avec avantage contre les doctrines plus ou moins suspectes subventionnées par les divers Etats ; la mission spéciale confiée à Mgr Mercier, le futur cardinal, d'annexer à l'université de Louvain un séminaire spécialement organisé pour la formation philosophique des jeunes clercs ; enfin le bref Gravissime nos, du 30 décembre 1892, adressé à la Compagnie de Jésus, et précisant d'une manière aussi large que ferme, comment les religieux de cette Compagnie peuvent concilier leurs propres règles avec les directions du Saint-Siège : tels furent les principaux actes du pontife, qui, confirmés depuis par des décisions de ses successeurs, Pie X et Benoit XV, suscitèrent parmi le clergé et les laïques un renouveau salutaire dans les études philosophiques. Le renouvellement des études à la Minerve et à l'Université grégorienne, une organisation nouvelle des travaux philosophiques à l'université de Louvain, la place prise par la philosophie scolastique dans les diverses universités catholiques et dans les séminaires du monde entier, la fondation de revues spéciales destinées à soutenir le mouvement ; telles que la Revue néo-scolastique et la Revue thomiste en France, et la Scienza e Fede en Italie, attestèrent l'efficacité de l'impulsion donnée par l'encyclique Æterni Patris.

Si l'on considère, disait cette même encyclique, les conditions critiques du temps où nous vivons, on découvrira sans peine que la cause des maux qui nous oppriment, comme de ceux qui nous menacent, remonte aux opinions erronées que des écoles philosophiques ont fait pénétrer dans un grand nombre d'esprits.

Les maux dont parlait le Saint-Père atteignaient l'ordre politique et social tout entier, et Léon XIII allait bientôt les analyser pour les guérir ; mais il crut d'abord devoir porter son attention sur ceux qui s'attaquaient à cette institution primordiale qu'on a appelée à juste titre l'élément constitutif, la cellule de la société publique, la famille. Tel fut l'objet de l'encyclique Arcanum, publiée le 14 février 1880. Cette encyclique ne promulgue aucun dogme nouveau, aucune nouvelle règle de discipline ; elle se contente de sanctionner de l'autorité suprême du Saint-Siège les doctrines communément enseignées par les théologiens, notamment celle de l'inséparabilité qui existe, de droit divin, entre le contrat de mariage et le sacrement ; mais cet enseignement est donné avec une élévation de vues, une sérénité insinuante et douce, qui gagnent l'adhésion du cœur en même temps que la conviction de l'esprit. Léon XIII, en effet, considérant le mariage dans les grands devoirs qu'il comporte, dans la délicatesse des sentiments qu'il suppose, dans la place incomparable qu'il occupe au milieu des sociétés humaines, dans les suites bienfaisantes ou nuisibles qu'il entraîne pour les générations à venir, montre avec combien de raison les peuples l'ont toujours uni avec la religion et avec les choses saintes. En l'élevant à la dignité de sacrement, le Christ n'a donc pas fait autre chose que de consacrer ce caractère essentiellement religieux du contrat qui est à la base de toute société bien organisée ; et quand les papes ont défendu la sainteté du mariage contre un Henri VIII, centre un Napoléon Ier, loin de voir dans leur intervention un empiétement illégitime, il faut les considérer comme ayant bien mérité de l'humanité. Raisonner autrement, ce serait avoir une conception naturaliste de la société humaine, ce serait revenir à la pire forme du paganisme décadent.

Le 29 juin de l'année suivante, le souverain pontife, élargissant sa perspective, démasque et condamne la conception naturaliste de la société politique. C'est l'objet de son encyclique Diuturnum, vraie charte politico-religieuse des gouvernants catholiques, comme l'encyclique précédente est la charte des chefs de famille. Le Saint-Père déclare nettement qu'il n'a pas l'intention de se prononcer sur les diverses formes de gouvernement, que rien ne s'oppose à ce que le gouvernement d'un seul ou de plusieurs soit approuvé par l'Eglise, pourvu qu'il soit juste et appliqué à procurer l'utilité commune, que ceux qui doivent gouverner peuvent, en certains cas, être choisis par la volonté et le jugement de la multitude, sans que la doctrine catholique y fasse obstacle. Mais qu'on ne l'oublie pas : par ce choix, c'est le prince qui se trouve désigné, ce ne sont pas les droits du principat qui lui sont conférés ; on ne délègue pas le commandement, on établi par qui il sera exercé. Nul homme n'a le droit de commander à un autre homme, si ce n'est au nom de Dieu. C'est la doctrine des saintes Lettres[12] ; c'est la doctrine que le Christ lui-même a enseignée en termes exprès[13]. Tout pouvoir légitimement établi et justement exercé doit, du reste, être considéré comme venant de Dieu, être obéi en conscience comme venant de Dieu, car Dieu, auteur de la nature de l'homme, est l'auteur de tout ce qu'exige le développement de cette nature, donc de la société, où l'homme doit vivre, et de l'autorité, qui met l'ordre et l'harmonie dans cette société. La seule raison qui puisse motiver un refus d'obéissance, c'est une opposition manifeste entre l'ordre du gouvernant et le droit naturel ou divin ; dans ce cas, dit Léon XIII, l'autorité des princes est sans valeur ; car elle est nulle là où manque la justice. — Ainsi, conclut le pontife, l'honneur et la sécurité des princes, comme le repos et le salut des Etats, sont sauvegardés ; et, d'autre part, on pourvoit aussi excellemment à la dignité des citoyens, à qui l'on permet de garder, dans l'obéissance même, cette fierté qui convient à l'excellence de l'homme.

Mais, pendant qu'il expose si magistralement ces vérités, Léon XIII n'oublie pas que les théories naturalistes qu'il dénonce sont enseignées, sous des formes très captieuses, par une société qui prétend travailler au bien de l'humanité, de la liberté, des droits des individus et des peuples ; cette société, c'est la franc-maçonnerie, avec toutes les sectes qui s'en rapprochent. La condamnation de ces sociétés fait l'objet de l'encyclique Humanum Genus du 20 avril 1884. Sans doute, déclare le Saint-Père, toujours prêt à faire la part d'une équitable indulgence envers les hommes alors qu'il dénonce le plus impitoyablement les erreurs, sans doute, parmi les adeptes de ces associations, il s'en trouve beaucoup qui ignorent le vrai but des sectes. Parmi celles-ci, il en est aussi peut-être qui n'approuvent pas certaines conséquences extrêmes de leurs principes ou qui n'osent les appliquer. Mais, ces réserves nécessaires une fois faites, le Saint-Père démasque et condamne avec force ces sociétés, qui ne parlent que de leur zèle pour le progrès, et de leur amour pour le pauvre peuple, et qui, enchaînant leurs adeptes par des liens secrets, par des serments terribles, ne peuvent aboutir qu'à faire des caractères d'hypocrite et des âmes d'esclave. En même temps qu'elles flattent les peuples, ces sociétés ne manquent pas de s'insinuer dans la faveur des princes, de prendre la défense de leurs prérogatives contre les prétendus empiétements de l'Eglise ; mais, par le fait même qu'elles suppriment le respect de l'Eglise et de toute religion, elles ébranlent les fondements des Etats ; aussi ne craignent-elles pas de chasser les princes toutes les fois que ceux-ci paraissent user de leur pouvoir autrement que la secte ne l'exige. Car, il n'y a pas à s'y tromper, la secte a une doctrine ; et cette doctrine, qui cherche en vain à se dissimuler, dans certains pays, sous des formes religieuses, n'est autre que le naturalisme athée, destructeur de toute religion et de toute morale.

Jusqu'ici, soit qu'il enseigne le dogme, soit qu'il condamne l'erreur, Léon XIII s'est, principalement proposé de mettre en relief les grands principes et les grandes règles. Dans une série de Lettres et d'allocutions subséquentes, il s'attachera à déterminer l'application de ces principes et de ces règles. L'encyclique Immortale Dei exposera quels sont les droits et les devoirs des Etats en présence des droits de l'Eglise ; les encycliques Libertas et Sapientiæ christianæ, quels sont les droits et les devoirs des citoyens en face des droits des Etats ; et les encycliques Satis cognitum, Divinum illud munus, Tametsi futura et Miræ caritatis, s'élevant plus haut, jusqu'aux conceptions les plus sublimes de la théologie, étudieront l'Eglise elle-même, dans l'admirable unité de son organisation divine, dans ses rapports avec l'Esprit saint qui l'assiste et avec le Christ Rédempteur dont elle continue l'action à travers les siècles, dans le mystère adorable de l'Eucharistie, qui est son centre adorable.

L'encyclique Immortale Dei est du 19 novembre 1885. Léon XIII N établit que Dieu a divisé le gouvernement du genre humain entre deux puissances, l'une préposée aux choses divines, l'autre aux choses humaines, que chacune est suprême dans son domaine, qu'il est utile toutefois, pour assurer à chacun des deux pouvoirs la liberté de ses mouvements sans périls de conflits, que les chefs des Etats et le pontife romain se mettent d'accord par des traités appelés concordats. Le pontife fait voir l'harmonie, la grandeur de cette théorie chrétienne, l'oppose aux rêveries politiques des novateurs, énumère les conséquences pratiques de l'une et de l'autre, et fait évanouir par là bien des préjugés que le gallicanisme, le joséphisme, parfois même les exagérations d'un ultramontanisme inconsidéré[14], avaient enracinés dans bien des esprits.

L'encyclique Libertas, du 20 juin 1888, définit la nature de la liberté, examine ses rapports avec les lois divines et humaines, l'étudie dans l'individu et dans le corps social, montre, chemin faisant, ce qu'il y a de légitime et ce qu'il peut y avoir de faux dans ce qu'on appelle la liberté de la conscience, la liberté des cultes, la liberté de la parole et de la presse, la liberté de l'enseignement ; par là même, elle dissipe les équivoques trop longtemps entretenues dans les esprits par les théories décevantes d'un faux libéralisme.

Le 10 janvier 1890, l'encyclique Sapientiæ christianæ complète heureusement les enseignements de l'encyclique Libertas, en énumérant et en expliquant les principaux devoirs du citoyen. Le naturalisme, qu'on décore souvent du nom de positivisme, en ne tenant aucun compte de l'âme et de Dieu, en professant en même temps que la société est la fin de l'homme, et non pas l'homme la fin de la société, propage l'oubli des biens surnaturels et rabaisse la dignité humaine. Le chrétien sait faire le départ des biens de ce monde et des biens de l'autre vie ; il rend à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Il sait, quand il le faut, obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Avant tout, il sauvegarde sa foi, il défend l'Eglise, il aime et sert sa patrie jusqu'au sacrifice de son sang, il garde la concorde arec ses frères, il se préserve à la fois d'une prudence de la chair, qui est une forme de la lâcheté ou de l'indifférence, et d'un faux zèle, qui, devançant les autorités légitimes au lieu de les suivre, renverse l'ordre et n'est qu'une forme de l'égoïsme ou de la présomption. Enfin, il ne sacrifie jamais, les uns aux autres, les devoirs sociaux, les devoirs de famille et les devoirs individuels, mais les harmonise suivant les lois divines et humaines et les inspirations d'une conscience prudemment formée.

D'autres encycliques, des lettres publiques et privées, des allocutions et des entretiens particuliers du pontife, commentent, expliquent ces solennelles instructions, qui n'édifient pas seulement les catholiques, qui excitent l'admiration de tous les esprits élevés. En lisant ce long document, écrit une feuille protestante, la Saturday Review, à propos de l'encyclique Libertas, on n'y découvre pas une idée qui ne puisse être accueillie par tous les chrétiens sincères... En un temps où la foi est si cruellement éprouvée, il est consolant de lire cette encyclique pleine de dignité, exempte de toute parole d'amertume. Cette voix auguste, s'élevant au milieu des désordres régnants, impose le respect ; espérons qu'elle obtiendra l'obéissance.

Mais, en tenant un langage capable de toucher les cœurs des non-catholiques, Léon XIII, ne l'oublions pas, n'a qu'un but : dissiper leurs préventions, afin de les attirer au centre de l'unité religieuse, de la vérité intégrale et vivifiante : ses dernières encycliques, toutes consacrées à faire connaître et à glorifier les grandeurs, la beauté, la sainteté de l'Eglise catholique, mettent cette intention du pontife dans son plein jour.

Le 29 juin 1896, il publie l'encyclique Satis cognitum sur l'unité de l'Eglise. Nous avons déjà eu l'occasion de mentionner cette lumineuse, encyclique, suggérée au souverain pontife par les pourparlers engagés au sujet de l'union des Eglises. C'est tout un traité doctrinal, se prêtant mal à l'analyse, et qui doit être lu dans son texte. Léon XIII l'adresse, non seulement aux fidèles, mais à tous ceux qui ont en horreur l'impiété et qui confessent Jésus-Christ comme Fils de Dieu et Sauveur. Par la gravité calme de son style, ce document produit, chez les catholiques comme chez les chrétiens dissidents, une impression profonde ; et si, en écartant toute idée chimérique d'une sorte d'Eglise fédérative, elle fait évanouir le rêve de quelques-uns, elle sert la cause d'une union solide, en plaçant la question sur son vrai terrain, qui est l'adhésion pleine et entière au Siège de Rome, centre de l'unité catholique.

Mais le Saint-Père, après avoir mis bien en évidence le caractère extérieur et visible de la vraie Eglise, ne veut pas que l'on oublie son élément intérieur et invisible, ce souffle vivificateur de l'Esprit, qui, en même temps qu'il confère à l'Eglise ses prérogatives incommunicables d'unité, de sainteté, d'apostolicité et de catholicité, agit dans les âmes individuelles pour les conduire au salut. Le 15 mai 1897, dans son encyclique Divinum illud, il déclare que, voyant s'approcher le terme de sa vie, il éprouve, plus vivement que jamais, le désir de recommander à l'Esprit saint, qui est amour vivifiant, l'œuvre de son apostolat, et, par là même, de rappeler aux âmes fidèles la présence, les dons surnaturels, les influences merveilleuses de cet Esprit d'amour dans l'Eglise en général et dans chaque âme en particulier.

Le 1er novembre 1900, aux derniers jours de ce XIXe siècle, si fécond en découvertes scientifiques et en progrès industriels, mais si troublé dans l'ordre intellectuel et moral, social et politique, à la veille d'un siècle nouveau, où l'on pressent des mouvements d'idées prodigieux et des évolutions de peuples gigantesques, Léon XIII adresse au monde une nouvelle encyclique sur celui que l'Ecriture appelle le Roi immortel et invisible des siècles. L'encyclique Tametsi futura sur le Christ Rédempteur permet au pontife de revenir sur des concepts qui lui sont chers et, familiers, de montrer, encore une fois, avec une pénétrante onction, que le salut social, comme le salut individuel, ainsi que le vrai bonheur de l'humanité, ne peuvent se trouver que dans la soumission au Christ Rédempteur et à son Eglise[15].

Enfin, le 28 mai 1902, près de paraître devant Dieu, le Saint-Père couronne son œuvre dogmatique par une encyclique pleine d'onction sur le mystère qui est, suivant son expression, l'âme de l'Eglise, l'Eucharistie. Jetant un regard sur tous les maux qui, pendant son long pontificat, ont excité sa sollicitude, et. sur tous les efforts qui ont été tentés, de part et d'autre, pour les guérir, le pontife s'écrie : Si nous recherchons sérieusement les causes des maux présents, nous verrons qu'ils découlent de ce que la charité des hommes entre eux s'est ralentie en même temps que se refroidissait leur amour pour Dieu... De là, entre les diverses classes de citoyens, des troubles et de fréquents conflits : l'arrogance, la dureté et les fraudes, chez les puissants ; chez les petits, la misère, l'envie et, les divisions. Le pontife rappelle ensuite que le Christ, en instituant l'auguste sacrement de l'Eucharistie, a voulu précisément exciter l'amour envers Dieu, et, par le fait même, réchauffer l'affection mutuelle envers les hommes. — Le mystère de l'Eucharistie, dit-il, est comme l'âme de l'Église... C'est là que l'Eglise puise et possède toute sa vertu et toute sa gloire, tous les trésors des grâces divines et tous les biens. Il termine en exhortant vivement les prêtres, que le Christ Rédempteur a chargés de dispenser les mystères de son corps et de son sang, à promouvoir de toutes leurs forces la dévotion à la très sainte. Eucharistie.

Nous n'avons pu, dans ce rapide exposé, que donner l'idée essentielle de chacune de ces encycliques. Mais il nous semble que ce pâle résumé suffit à justifier le titre de théologien donné à Léon XIII. On l'a dit justement, à l'accent que dégage chacun de ces documents, on sent que, si c'est le Docteur suprême qui enseigne, c'est le théologien qui tient la plume[16].

Si l'on tient à caractériser la théologie de Léon XIII, on peut dire, avec l'historien de la théologie au me siècle, qu'elle procède à la fois de la scolastique et de la positive. Il cherche manifestement à unir les deux méthodes dans une fusion harmonieuse... Il commente tour à tour l'Ecriture et les Pères[17]. Très souvent il fait appel à l'histoire, qu'il cite avec précision, mais quand il s'en réfère aux théologiens, c'est avant tout à l'Ange de l'école, à saint Thomas d'Aquin, qu'il a recours.

Un tel pontife était donc plus autorisé que tout autre, semble-t-il, après avoir encouragé l'étude de la théologie scoln3tique dans saint Thomas, à promouvoir les progrès des études historiques et scripturaires. Nous aurons bientôt à revenir sur les deux documents pontificaux qui réalisèrent ce but. Contentons-nous, pour le moment, de constater qu'ils ne laissèrent aucun doute sur le vrai sens de l'encyclique Æterni Patris, sur la manière dont le Saint-Père entendait recommander la philosophie scolastique. L'étude que le Saint-Père encourageait ne pouvait être une étude fermée à toute investigation scientifique. Les règles qu'il donnera sur la discipline des sciences scripturaires et historiques indiqueront le cas qu'il fait des sciences positives et la place qu'il leur accorde dans l'ensemble des études sacrées.

 

II

L'impulsion donnée par Léon XIII aux sciences religieuses n'a pas été vaine. On ne peut songer à donner ici autre chose qu'une simple esquisse dia développement des études théologiques, scripturaires, philosophiques, historiques, littéraires et artistiques, sous son pontificat ; mais omettre d'en parler ou en faire une mention trop rapide, serait enlever à l'œuvre du pontife un des éléments auxquels il attacha lui-même, et fort justement, la plus grande importance.

On a souvent donné, comme une caractéristique du moyen âge, ce fait, que les sciences y étaient hiérarchisées en dépendance de la théologie, science suprême, comme tous les Etats chrétiens y étaient organisés en dépendance du pape, pontife universel ; mais là où l'on se trompe, c'est lorsqu'on prétend opposer diamétralement, sur ce terrain, le XIXe siècle au XIIIe. Au milieu du XIXe siècle, un penseur hostile au christianisme, mais indépendant, J.-J. Proudhon écrit : Il est surprenant qu'au fond de notre politique, nous trouvions toujours la théologie. Quelques années plus tard, ce n'est plus seulement au fond de la politique, c'est au fond de toute étude sérieuse de philosophie, d'histoire, d'économie sociale, de littérature et d'art, que les esprits les plus sincères avouent rencontrer à leur tour, pour en défendre ou pour en combattre les conclusions, la théologie. L'idée religieuse que, dans la première partie du siècle, Chateaubriand a proposée à l'imagination et au cœur de l'homme, Joseph de Maistre à la raison, Félicité de La Mennais à la volonté, se précise. L'éloquence de Lacordaire et la verve de Veuillot en ont prolongé le retentissement jusque dans les milieux les plus indifférents naguère ; les débats soulevés à propos du gallicanisme, du libéralisme et du rationalisme, de l'encyclique Quanta cura, du Syllabus et du concile du Vatican, ont initié le grand public à des questions de pure dogmatique ; l'avènement d'un pape se donnant pour programme de montrer l'accord des principes de l'Eglise catholique avec ceux d'une vraie civilisation, a provoqué une curiosité sympathique. Les esprits cultivés du monde laïque sont prêts à s'intéresser aux écrits d'apologétique, de controverse et d'ascétisme ; parmi les ecclésiastiques, beaucoup se passionneront pour les théories les plus métaphysiques de la théologie pure, pour les problèmes les plus subtils de la critique scripturaire et de l'érudition patristique.

Ce mouvement est général. Il se manifeste, d'une manière ou d'une autre, chez toutes les nations. En France, les travaux de Mgr d'Hulst et de l'abbé de Broglie ont une inspiration apologétique. Le premier, esprit ferme et souple, pénétrant et lucide, travailleur infatigable, ne se refuse à aucune des tâches multiples qui s'offrent à son zèle. Soit qu'il groupe, autour de la chaire de Notre-Dame, où il accomplit pour la morale l'œuvre que le P. Monsabré a réalisée pour le dogme, un auditoire de savants et de lettrés ; soit qu'il défende, dans des écrits et des discours de circonstance, le retour à une philosophie scolastique sagement ouverte et progressive ; soit qu'il organise à l'Institut catholique de Paris un enseignement dont les résultats s'imposent au monde savant ; soit qu'il prenne l'initiative de réunir, en dépit d'obstacles de toutes sortes, les savants catholiques les plus éminents en des congrès scientifiques internationaux, il n'a qu'un but : réaliser, dans le domaine intellectuel, la pensée de Léon XIII, en mettant en plein jour le rôle de l'Eglise et de sa doctrine dans la marche de la vraie civilisation[18]. Le second, l'abbé de Broglie, dévoré d'un zèle non moins profond dans son inspiration, plus ardent dans ses manifestations extérieures, capable d'aborder toutes les provinces du savoir humain en philosophe, en mathématicien, en historien, en exégète et en théologien, est, comme son éminent émule et ami Mgr d'Hulst, prématurément enlevé à la science catholique, mais, dans l'espace de dix-sept ans, et à travers les occupations d'un ministère actif, il publie onze volumes, livre à l'impression un grand nombre d'articles et de mémoires, en écrit un nombre plus grand encore, si bien que ses œuvres manuscrites, réunies à celles qu'il a données au public, formeraient au moins vingt volumes sur les sujets les plus divers, reliés entre eux par l'unité d'une pensée directrice, la défense de la foi[19]. Un mot de lui résume bien cette idée directrice. Un jour, raconte son biographe, comme il visitait au Louvre, avec un ami, les antiquités égyptiennes et assyriennes, il s'arrête tout à coup, et, comme se parlant à lui-même : A tous ces monuments, s'écrie-t-il, la grande question que l'on se pose est toujours la même : Que dites-vous de Jésus, qu'on appelle Christ ?[20]

A côté de ces deux grands représentants de la doctrine catholique, Le chanoine le chanoine Jules Didiot, qui, dans sa Logique surnaturelle subjective et dans sa Logique surnaturelle objective, entreprend, avec quelques vues hasardées et une science éprouvée, un exposé nouveau des vérités catholiques ; M. Brugère, professeur d'apologétique au séminaire de Saint-Sulpice, qui incorpore dans son enseignement, plein de science et de vie, les vues les plus pénétrantes de Pascal, de Newman et du cardinal Dechamps ; l'abbé Jaugey, qui met au jour, avec la collaboration de nombreux savants catholiques, un Dictionnaire apologétique, un peu hâtif dans certaines parties, mais quine demandera qu'à être remanié par un autre maitre pour devenir une œuvre de la plus haute valeur ; l'abbé Vacant, qui met en train une entreprise beaucoup plus considérable, ce Dictionnaire de théologie, qui sera un monument scientifique de premier ordre ; l'abbé Vigouroux, qui verra, avant de mourir, l'achèvement de son Dictionnaire, non moins remarquable, de la Bible ; l'abbé Vacandard, l'abbé Boudinhon, l'abbé Batiffol, qui feront le jour sur plusieurs questions doctrinales importantes, et l'abbé Tanquerey, qui réussira à donner le résumé précis de tous ces travaux dans un manuel classique : tous ces auteurs, plusieurs autres, dont les noms pourraient allonger cette liste, des revues nouvelles, dont les principales sont : l'Ami du clergé, la Controverse, la Science catholique, l'Université catholique, la Revue biblique, la Revue thomiste, la Revue du clergé français, etc. témoignent du renouveau théologique qui se manifeste en France sous le pontificat de Léon XIII.

L'Allemagne, si malheureuse lorsqu'elle a tenté de renouveler la spéculation théologique avec Hermés, Günther, Bander et Dœllinger, donne, sous Léon XIII, des œuvres d'une très grande valeur eu se renfermant dans son domaine propre, les études positives. Le volumineux Manuel de théologie dogmatique du docteur Scheeben, achevé par Atzberger, la Théologie dogmatique d'Heinrich, continuée par Gutberlet, la Theologia moralis du P. Lehmkuhl, la Theologia dogmatica et le Nomenclator literarius theologiæ du P. Hurter, le Repertorium de Gla, l'édition refondue du Kirchenlexikon, publiée en 1882 par l'élite des savants catholiques de l'Allemagne, des revues parmi lesquelles les Stimmen aus Maria-Laach, la Zeitschrift für Katolische Theologie, et Natur und Glaub, méritent une mention spéciale, font honneur aux catholiques d'un pays, capable de fournir à la science la contribution la plus précieuse, quand il sait se borner à mettre en valeur les dons spéciaux que la Providence lui a départis.

En Belgique, la science catholique a son foyer dans l'Université de Louvain, sur laquelle nous aurons à revenir en parlant du renouveau philosophique. Sur le terrain proprement théologique, les travaux de ses professeurs, de 'ses anciens élèves, de plusieurs autres savants qui suivent son impulsion, paraissent ou sont soigneusement analysés dans la Revue catholique, la Revue d'histoire ecclésiastique et la Revue néo-scolastique[21].

L'Espagne est le pays catholique qui semble d'abord le moins profiter de l'impulsion donnée par Léon XIII. Dans une encyclique spéciale adressée à l'épiscopat espagnol, en octobre 1893, le souverain pontife, constatant ce fait, l'attribue à l'insuffisance des ressources dont dispose le clergé, et surtout à la disparition des anciennes universités espagnoles, jadis si célèbres. L'intervention pontificale et la fondation à Rome d'un collège spécial destiné à recevoir les clercs espagnols désirant fréquenter les universités romaines, relève le niveau des études théologiques, qui d'ailleurs n'ont jamais cessé de donner des preuves de vitalité, soit dans les travaux spéciaux du chanoine Sanchez, du P. Mendine et du P. Casajoana, soit dans les études publiées par deux remarquables revues : Ciudad de Dios et Razon y Fé.

L'Angleterre catholique, éveillée à la science par les travaux de Newman, de Manning et de Wiseman, stimulée par les efforts des universités protestantes de Cambridge et d'Oxford, la Suisse, fière de sa jeune université de Fribourg, l'Amérique, où les écoles d'enseignement supérieur se multiplient, donnent à Léon XIII des promesses que l'avenir réalisera.

Mais, dans ces pays, où le contact perpétuel des catholiques avec les protestants porte les théologiens à tout envisager du point de vue de la controverse et de l'apologétique, c'est vers les études bibliques, patristiques et historiques que se sentent portés la plupart des défenseurs de la foi. Il en est tout autrement à Rome. Là, plus que partout ailleurs, la théologie pure fleurit. Elle y est représentée, à la Minerve, par l'enseignement des Frères Prêcheurs, qui commentent la Somme de saint Thomas d'Aquin avec cette sécurité de doctrine que donne une tradition ininterrompue de respect filial et d'études attentives, et, au Collège romain, par des Pères de la Compagnie de Jésus, dont les plus remarqués sont le P. Mazzella et le P. Billot, tous deux destinés à recevoir, comme couronnement de leurs travaux, la pourpre cardinalice. Clair, méthodique, donnant une large part à l'exposition des thèses, et se plaisant à y renfermer la réfutation des objections, la solution des controverses, le P. Mazzella se garde des vues originales, ne se hasarde pas dans les chemins non frayés. Il ne vise qu'à une vulgarisation savante, et il obtient pleinement son but. Autant que son prédécesseur, plus encore peut-être, le P. Billot fait profession de suivre pas à pas la doctrine de l'Ange de l'école. Il le fera même avec tant d'ardeur, qu'on lui reprochera de sacrifier à un culte trop exclusif des vieux commentateurs de saint Thomas d'Aquin les doctrines traditionnelles de la Compagnie de Jésus. De fait, il ne craindra pas de s'écarter de Suarez, de De Lugo, de Franzelin, toutes les fois qu'il pensera que ces maîtres ont mal compris la doctrine authentique de saint Thomas[22].

L'autorité théologique dont nous venons de parler n'a pas eu seulement pour résultat d'appeler l'attention d'un public plus nombreux sur la philosophie des données de la foi ; elle a notablement contribué au progrès de la science théologique, et plusieurs questions lui doivent d'avoir été élucidées plus complètement qu'elles ne l'avaient été jusque-là. On peut citer parmi les thèses auxquelles la théologie de la fin du XIXe siècle a apporté un surcroît de lumière ou qu'elle a encouragées sous un nouveau jour : la question du concours des arguments internes avec les preuves externes, introduites dans le traité De vera religione par M. Brugère, d'après Newman et Dechamps ; celle de la certitude morale, afférente au même traité et sur laquelle M. Brugère s'est si admirablement rencontré avec M. Ollé-Laprune[23] ; celle du magistère ordinaire de l'Eglise, approfondie, d'après le texte du concile du Vatican, par. M. l'abbé Vacant[24] ; l'ensemble des problèmes se rattachant à l'élévation surnaturelle de l'homme, à sa chute, à sa surnaturelle réparation, et à la grâce en général, si fouillées, au cours du dernier quart du XIXe siècle et pendant les premières années du XXe siècle, par les abbés Cros[25], de Broglie[26] et Bellamy[27], par les P. Matignon[28], Jovène[29] et Terrien[30] en France, par le P. Borgianelli[31] et le cardinal Alimonda[32] en Italie, par les docteurs Schätzler[33] et Scheeben[34] en Allemagne ; les questions relatives à la théologie mariale, et particulièrement celle de l'Immaculée Conception[35] et de l'Assomption[36].

Sur la plupart de ces questions, et sur plusieurs autres dont nous aurons bientôt à parler, les progrès de la théologie ont été puissamment aidés par la rénovation des études philosophiques, historiques et scripturaires.

L'encyclique Æterni Patris, en faisant prévaloir, dans les séminaires et dans les universités catholiques, la philosophie traditionnelle dont saint Thomas est le principal représentant, a fait disparaître de l'enseignement théologique nombre d'arguments et d'explications peu sûres, tirées des systèmes cartésien, leibnizien, traditionaliste et ontologiste. Par elle, un esprit de juste mesure et de bon sens pénètre dans les spéculations métaphysiques. La théorie scolastique du composé humain, substituée au système du dualisme cartésien, donne à la morale des assises plus réelles et plus solides. Le Stagirite, qu'on prend désormais pour guide, n'a pas les grands coups d'aile de Platon, mais sa marche est plus sûre, et le christianisme est là pour compléter les lacunes de son rationalisme païen.

Aussi les directions du Saint-Siège ne rencontrent-elles aucune opposition notable dans l'opinion catholique. Tous les grands séminaires, sans exception, donnent un enseignement conforme à la doctrine de saint Thomas. M. Vallet, prêtre de Saint-Sulpice, résume, adapte et clarifie le cours de philosophie de Sanseverino en un manuel dont Léon XIII loue la précision, la belle ordonnance et la largeur. Ce manuel est bientôt adopté dans la plupart des diocèses pour l'enseignement des jeunes clercs. Les universités catholiques qui n'ont pas encore de faculté de philosophie, s'empressent d'en organiser. A Rome, Léon XIII choisit lui-même les professeurs qu'il juge les plus capables d'imprimer à l'enseignement philosophique une direction purement thomiste. Il fait entrer le P. Cornoldi au collège romain, le P. Zigliara à la Minerve, Mgr Lorenzelli et Mgr Satolli à la Propagande, Mgr Talamo à l'Apollinaire. A Paris, un an avant la publication de l'encyclique, le R. P. Bayonne, des Frères Prêcheurs, avait déjà fait de son enseignement une sorte d'introduction à l'étude de saint Thomas. En 1881, Mgr d'Hulst le remplace, et donne, avec une rare maîtrise de pensée et un succès grandissant, un cours public employé à la défense de la philosophie traditionnelle en face des erreurs contemporaines. Les universités d'Angers, de Lyon, de Toulouse, de Lille, n'apportent pas un moindre zèle dans cette œuvre de restauration de la philosophie catholique. En Belgique, l'Institut supérieur de philosophie de Louvain, sous l'intelligente et active direction de Mgr Mercier ; en Allemagne la Goerresgesellschaft ; en Suisse, l'université catholique de Fribourg ; en Autriche, la Leogeselschaft ; en Espagne, en Hollande, en Amérique, partout en un mot, les savants catholiques suivent avec empressement le mot d'ordre du souverain pontife.

De nombreux travaux, qu'il serait long d'énumérer, sont le fruit de ce retour à la philosophie thomiste. Parmi ceux-ci, il convient de mettre au premier rang les ouvrages de l'éminent Président de l'Institut supérieur de philosophie de Louvain, Mgr Mercier[37], et la Revue néo-scolastique, dont il est l'âme. Ces remarquables publications, par leur haute valeur de pensée, par leur rigoureuse information expérimentale, scientifique et historique, ont pour résultat d'imposer au respect sympathique des savants du monde entier la philosophie de l'Ecole. Ils font la preuve, en effet, que rien, ni dans les progrès des sciences positives les plus récentes, ni dans les spéculations métaphysiques les plus hardies, n'a ébranlé les principes fondamentaux de ce thomisme prudemment élargi et sagement progressif qu'a recommandé Léon XIII. Les autorités universitaires permettent à un professeur de l'Institut catholique de Paris, M. Gardair, d'ouvrir à la Sorbonne un cours libre sur la philosophie de saint Thomas d'Aquin ; des professeurs de l'Etat, dans leurs manuels classiques, ne craindront pas d'indiquer, en tète de leurs références, la Somme de l'Ange de l'école. Neuf ans après la mort de Léon XIII, le professeur de philosophie à la Faculté d'Aix, M. Maurice Blondel, obtiendra, du Ministère de l'Instruction publique, l'inscription, au programme officiel des auteurs de la licence philosophique, de textes de saint Thomas, notamment des 57 premiers chapitres du livre III de la Somme contre les Gentils. Plus tard, la Faculté de Grenoble fera, à son tour, inscrire dans son programme des textes de la Somme théologique. Des cours publics de nos universités officielles feront aussi place à la philosophie scolastique. M. Picavet, en Sorbonne, se spécialisera dans cette étude. A Aix, M. Blondel consacrera deux fois son cours public à l'étude de la philosophie thomiste, d'abord considérée en elle-même, puis confrontée avec la philosophie cartésienne et avec d'autres doctrines modernes. M. Gilson, à Lille, abordera également plusieurs questions relatives à la scolastique.

De ce rapprochement heureux qui se produit alors entre les fidèles les plus dociles de l'Eglise et les esprits les plus élevés du monde universitaire, un éminent philosophe chrétien, M. Léon 011éLaprune, maître de conférences à l'Ecole normale supérieure, de 1875 à 1898, doit être regardé comme le principal promoteur. Initié par ses fonctions mêmes, par le milieu intellectuel dans lequel il vit, à toutes les nuances de la pensée philosophique contemporaine, mais porté par son tempérament et par tous ses goûts vers tout ce qui est noble, harmonieux et mesuré, il s'est pénétré de la pensée la plus intime du philosophe de Stagire en préparant sa thèse de doctorat sur la Morale d'Aristote. Un prêtre, pour lequel il professe la plus affectueuse vénération, le P. Gratry, lui a d'ailleurs montré le complément de la philosophie aristotélicienne dans la Somme de saint Thomas d'Aquin. Ce n'est point cependant en se fondant expressément sur la doctrine de l'un ou de l'autre de ces grands maîtres, pas plus qu'en s'appuyant sur la pensée de tout autre chef d'école, qu'il philosophera devant ses élèves ou qu'il composera des ouvrages pour le grand public. Aller au vrai avec toute son âme, suivant une devise qu'il emprunte à Platon, chercher dans son âme propre ce qu'il y a d'essentiel en toute âme humaine, dégager cet essentiel, non pas d'une pensée pure, ou d'un sentiment, ou d'une volonté, mais de toute une vie ; l'éprouver dans la pratique autant que dans la dialectique : telle est sa méthode. Et la conclusion qu'il dégage de cette étude, devant ses élèves attentifs, avec une sincérité sereine qui impose, c'est que toute âme, considérée dans le mouvement de sa vie totale, est, suivant le mot de Tertullien, naturellement chrétienne, ou, tout au moins, qu'elle offre, en dehors de la croyance et de la pratique chrétienne, on ne sait quoi d'inachevé, qui déconcerte. Cette parole loyale, marquée de l'émotion que communique autour de lui un homme.qui a toujours plus cherché à vivre sa pensée qu'à penser sa vie, arrive à ses auditeurs au moment précis où d'autres maîtres, non moins écoutés, les Ravaisson, les Lachelier, les Boutroux, leur dénoncent la faillite de ce rationalisme abstrait, de ce scientisme déterministe qui ont été comme l'Evangile de la génération précédente[38]. Elle leur parvient à l'instant même où un pape, s'imposant au monde par la hauteur et par l'ampleur de ses vues, lui propose comme objet d'études la doctrine du plus grave représentant de la pensée antique, épurée par l'esprit du plus pur christianisme.

Un des disciples les plus aimés de M. Ollé-Laprune se fait l'interprète des pensées suscitées par le Maître. Dans une thèse de doctorat qui obtient un grand retentissement, il étudie, à son tour, l'Action humaine, passe en revue, à ce propos, toutes les doctrines que le inonde moderne a mises au jour pour expliquer le problème humain, et arrive à conclure que l'action de l'homme passe l'homme, que tout l'effort de sa raison, c'est de voir qu'il ne peut, qu'il ne doit pas s'y tenir[39], en d'autres termes, que, autant toute religion naturelle est artificielle, autant l'attente d'une religion est naturelle[40].

Des théologiens rapprocheront cette conclusion du fameux texte dans lequel saint Thomas, après avoir constaté l'impuissance des sciences humaines et des biens créés à satisfaire les aspirations de l'homme vers le bonheur, conclut en affirmant le désir naturel qu'a l'homme de s'élever à Dieu par la religion[41]. Sans doute, le sens de ce dernier texte et son accord avec la doctrine de l'Action sont vivement contestés ; sans doute, la thèse dont il s'agit contient des lacunes, et quelques équivoques dont des disciples aventureux abuseront et que l'auteur ne fera nulle difficulté de reconnaître[42] ; mais l'ouvrage en lui-même, cette enquête d'une pensée qui n'a de cesse qu'à la condition de s'achever dans la foi chrétienne et catholique[43] — c'est en ces termes que le cardinal Mercier croit pouvoir définir la thèse de l'Action —, reste comme un apport considérable fourni à l'apologétique contemporaine, et, dans son ensemble, demeure à l'abri de toute suspicion d'hétérodoxie[44].

Le 21 janvier 1895, un contact plus explicite et moins contesté entre la philosophie scolastique et la philosophie universitaire, se produit à Rome même.

M. Ollé-Laprune, faisant un séjour dans la Ville Eternelle, était entré, en qualité de simple auditeur, dans la salle où le R. P. Lepidi, des Frères Prêcheurs, commentait le Docteur angélique. Le savant professeur de la Minerve, averti de la présence de l'illustre philosophe chrétien, l'invite à monter dans sa chaire. M. Ollé-Laprune, se rendant à l'invitation, en profite pour rendre hommage à la saine philosophie enseignée par les fils de saint Dominique, et, après un rapide tableau des écueils que l'encontre la jeunesse actuelle dans l'ordre de la pensée et de l'action, il indique, comme sauvegarde contre ces écueils, des principes dont il emprunte la formule à saint Thomas d'Aquin[45].

Mais on fausserait la pensée de Léon XIII si l'on se bornait à parler, à propos de ses directions intellectuelles, de la restauration de la théologie par le retour à la scolastique. Sa lettre sur les études historiques, son encyclique sur les études scripturaires, les encouragements qu'il donne, de plusieurs manières, aux sciences, aux lettres et aux arts, révèlent en lui une pensée plus large.

 

III

Les directions de Léon XIII, adaptées à la fois, comme tous les actes de son pontificat, aux besoins permanents de l'Eglise et à ses nécessités actuelles, arrivent à leur heure. Le XIXe siècle a été jusque-là et continue d'être le siècle des plus précieuses découvertes dans le domaine de l'histoire ecclésiastique. La plus importante de toutes est celle de la Didakè ou Doctrine des douze apôtres, publiée en 1883. C'est, sans contredit, le document le plus ancien, le plus rapproché des écrits apostoliques, que nous possédions. Reproduction de l'enseignement des premiers prédicateurs, il donne, sur les cérémonies usitées dans la primitive Eglise pour l'administration du baptême, la fraction du pain et la confession des péchés, des renseignements précieux, dont les théologiens se hâtent de profiter. Parmi les autres documents mis au jour ou étudiés vers la fin du me siècle, il faut citer d'innombrables textes patristiques, conciliaires, épigraphiques, liturgiques, dont se sont enrichis : le Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum, en cours de publication à Vienne depuis 1866 ; les Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Litteratur, commencés à Leipzig en 1882 ; les Texts and Studies, contributions to biblical and patristical literature, entrepris à Cambridge en 1891 ; la Patrologia syriaca de Mgr Graffin, publiée à Paris en 1894 ; les Eléments d'archéologie chrétienne, donnés au public en 1900 et 1903 par M. Marucchi, diverses publications importantes de MM. J.-B. de Rossi, Armellini, Pératé et Paul Allard, de Mgr Wilpert, enfin plusieurs articles remarquables du Dictionnaire de théologie de Vacant, du Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie de Dom Cabrol.

A l'aide de ces précieux documents, les savants révisent avec soin les conclusions actuelles de la science. Armellini réfute l'opinion du P. Marchi, croyant trouver des confessionnaux dans certains sièges de la catacombe ostrienne[46] ; J.-B. de Rossi trouve un admirable symbolisme de l'Eucharistie dans la célèbre épitaphe d'Abercius, découverte en 1883 et surnommée par lui la reine des inscriptions chrétiennes ; Mgr Wilpert fait voir un pareil symbolisme dans les peintures de la Capella greca[47] ; J.-B. de Rossi, l'abbé Duchesne, le P. de Smedt prouvent que la venue de saint Pierre à Rome repose sur des témoignages d'une autorité indiscutable ; M. l'abbé Boudinhon, M. l'abbé Vacandard, M. l'abbé Batiffol, le R. P. Harent, réfutent les opinions émises par le protestant Henry-Charles Lea sur le pouvoir des clés et spécialement sur la confession auriculaire[48] ; Mgr Duchesne, Mgr Batiffol, le P. de Smedt et M. Michiels élucident les problèmes qui se posent à propos des origines de l'épiscopat[49] ; et, s'appuyant sur l'ensemble des travaux patristiques étudiés à l'occasion de tous ces problèmes, Mgr Mignot, le R. P. de la Barre, plusieurs autres théologiens renouvellent l'importante question, déjà abordée par Newman, du développement du dogme[50].

Les historiens, en faisant remonter leurs investigations jusqu'aux premiers siècles, les théologiens, en appuyant leurs doctrines sur la parole de Dieu, touchent souvent à la Bible. Mais quelle est précisément l'autorité, la portée d'un texte scripturaire ? Dans quelle mesure l'inspiration garantit-elle sa vérité scientifique et historique ? Autant de questions que se posent les savants catholiques. Pendant toute la première moitié du XIXe siècle, les apologistes du christianisme ont vécu dans la paisible possession du Livre divin, considéré comme autorité historique et même scientifique. Aussi les attaques, soit du côté de la géologie, soit du côté de l'histoire, n'ont guère paru les émouvoir[51]. En 1848, Mgr Gousset écrivait[52] : Que nous oppose-t-on ? Quel est celui des systèmes dirigés contre la Genèse qui n'ait été victorieusement réfuté ? Mais voici que les rationalistes, profitant de la quiétude excessive des catholiques, essayent d'exploiter, contre l'autorité des Livres saints, les découvertes les plus récentes. La Bible, disent-ils, peut-elle avoir une autorité scientifique, si la géologie, la paléontologie, les sciences naturelles et physiques démentent ses assertions les plus formelles, si le monde est mille fois plus ancien qu'elle ne le dit, si l'ordre des apparitions des espèces ne coïncide pas avec Ge qu'elle affirme, si l'universalité du déluge, qu'elle donne comme certaine, soulève les difficultés scientifiques les plus graves, si le système astronomique qu'elle suppose est en contradiction avec les conclusions les plus certaines de la science moderne ? Et l'autorité historique des Livres saints est-elle elle-même à l'abri de toute contestation, s'il est prouvé que le Pentateuque n'est pas une histoire composée par Moïse, mais une compilation tardive et anonyme, partie historique et partie légendaire, remontant au VIIIe siècle environ avant l'ère chrétienne, si les livres de Judith, de Tobie et d'Esther sont des romans pieux et pas autre chose, si la seconde partie d'Isaïe n'a rien à voir avec Isaïe, si le livre de Daniel n'a pas été écrit pendant la captivité, mais à une époque bien postérieure ?[53] Sans doute, ce sont là des questions sur lesquelles la critique rationaliste apporte beaucoup plus d'hypothèses ingénieuses, voire d'affirmations gratuites, que de démonstrations scientifiques. Sans doute, plusieurs de ces objections sont vieilles et ont été déjà réfutées. Malgré tout, quand l'Allemand Strauss, avec son érudition pesante mais riche, quand le Français Renan, avec la magie de son style prestigieux, rajeunissent ces objections, les accumulent, font profession de rapporter loyalement les réponses qu'elles ont provoquées, mais amoindrissant, ridiculisant celles-ci, multipliant, grossissant démesurément celles-là, plus d'un catholique se trouble. Les uns veulent maintenir dans toute leur rigueur les solutions traditionnelles ; mais, mal préparés à combattre sur un terrain malheureusement abandonné par eux, ils y trébuchent, s'obstinant à défendre des positions insoutenables, qui, d'ailleurs, ne touchent pas à la foi, et ils s'acquièrent la réputation de manquer de science ; d'autres, plus hardis, se montrent prêts à embrasser trop facilement les solutions négatives ou les doutes proposés par la nouvelle critique, et ils se rendent suspects de ne pas assez tenir compte des enseignements de la foi. Un savant orientaliste catholique, François Lenormant, lance l'idée d'une restriction dans le champ de l'inspiration biblique[54] ; sans se prononcer d'une manière aussi générale, le cardinal Newman émet l'idée que l'inspiration ne garantit pas la vérité des assertions de peu d'importance, ne touchant pas au dogme ou à la morale, et dites en passant, des obiter dicta[55] ; le chanoine Bartolo admet, pour certaines parties de la Bible, une sorte d'inspiration inférieure qui n'exclut pas l'erreur[56] ; le chanoine Didiot se demande si Dieu a réellement préservé les historiens sacrés de toute inexactitude en fait d'histoire naturelle et civile[57] ; et Mgr d'Hulst croit pouvoir écrire qu'aujourd'hui tout nous invite â baser notre apologétique sur le Nouveau Testament à l'exclusion de l'Ancien, parce que les conceptions nouvelles introduites dans l'histoire de l'ancien Orient ne permettent plus à la révélation mosaïque de se défendre elle-même et toute seule. — Contre l'économie traditionnelle de cette révélation, dit-il, des objections ont surgi, dont aucune n'est décisive, mais dont l'ensemble impressionne beaucoup d'esprits[58]. En parlant ainsi, l'éminent recteur se place surtout sur le terrain de la pratique, et n'entend nullement préjuger la question de la vérité des assertions bibliques. Mais son langage étonne bon nombre de théologiens et paraît suspect à plusieurs d'entre eux[59].

Léon XIII suit avec attention ces études, ces polémiques, dont il saisit l'importance majeure. Il consulte les théologiens, les exégètes les plus autorisés, il étudie les mémoires que ceux-ci lui font parvenir, et, le 18 novembre 1893, il publie l'encyclique Providentissimus Deus sur les études bibliques.

Cette encyclique, écrit le R. P. Brucker[60], nous dirige sûrement entre les deux écueils de l'exégèse qui peuvent compromettre au même degré l'honneur de nos saints Livres : un conservatisme excessif et la témérité.

Le pontife s'attache à montrer avec force que l'idée d'inspiration exclut nécessairement l'idée d'erreur. Rien de ce qui est inspiré ne peut être faux. Tant s'en faut, dit-il, qu'aucune erreur puisse s'attacher à l'inspiration divine, que, non seulement celle-ci, par elle-même, exclut toute erreur, mais encore l'exclut et y répugne aussi nécessairement que nécessairement Dieu, souveraine vérité, ne peut être l'auteur d'aucune erreur. Or, le concile de Trente a déjà défini que les Livres saints que nous tenons comme canoniques ont été écrits sous l'inspiration du Saint-Esprit.

Mais, ce principe une fois posé, le Saint-Père en précise le sens et la portée.

1° Il fait remarquer que les copistes et les éditeurs, dans la transcription des manuscrits, ont pu commettre quelques erreurs... qu'il peut arriver ainsi que la vraie signification d'un passage reste douteuse. Et l'on a fait justement remarquer que cette double observation enlève toute force à un très grand nombre d'objections contre la vérité historique de la Bible[61], que les exégètes catholiques, surtout en France, par un sentiment louable en soi, n'ont peut-être pas employé autant qu'ils le pouvaient, ce moyen si simple et souvent si légitime[62], de résoudre certains problèmes, par exemple ceux qui concernent les nombres primitifs des généalogies patriarcales, la conciliation de la chronologie biblique des premiers âges avec les chronologies profanes des Hindous, des Chinois, des Egyptiens, des Chaldéens et même les chronologies préhistoriques dans ce qu'elles ont de raisonnable et de sérieusement motivé[63].

2° Pour ce qui concerne plus spécialement l'accord de la Bible avec les sciences naturelles, le Saint-Père, se référant à une formule employée par saint Thomas d'Aquin, rappelle que l'auteur inspiré n'a jamais pour but de nous enseigner les sciences, ne s'attache pas même à parler un langage scientifique, mais s'exprime en décrivant simplement les apparences sensibles, ea secutus est quæ sensibiliter apparent[64]. Par là le Saint-Père ne donne aucun appui à certains apologistes, souvent fort distingués, tels que l'abbé Moigno, pour lesquels il ne suffisait pas que la Bible fût exempte de toute erreur. Ils croyaient qu'elle contenait déjà plus ou moins explicitement les plus hautes découvertes dont se glorifient les savants modernes[65]. Mais l'encyclique ne favorise pas davantage l'opinion des esprits téméraires, prétendant que les écrivains inspirés avaient dû nécessairement, pour être compris de leurs contemporains, dire et croire des choses inexactes. Le texte se contente de dire qu'ils se sont conformés aux façons de parler de leur temps, et nous permet de croire que, lorsque les écrivains sacrés ont clairement enseigné des vérités scientifiques à peu près inconnues de l'antiquité païenne, telles que la formation de l'univers par degrés et en diverses époques, l'apparition successive des habitants de la terre selon l'ordre ascendant de leur perfection relative, l'unité d'espèce et d'origine du genre humain, ils ont été surnaturellement éclairés.

3° Quoi qu'on en ait dit, il ne ressort pas de l'encyclique que la même règle qui vient d'être établie pour la vérité scientifique doit être suivie en ce qui concerne la vérité historique[66]. Mais, suivant l'interprétation des exégètes les plus conservateurs, le pape, en réprouvant les Théories rationalistes d'après lesquelles les récits de l'histoire sainte ne sont que des fables enfantines ou des histoires menteuses, ne condamne pas directement les commentateurs et les apologistes qui, tout en admettant l'inspiration de toute la Bible, révoquent en doute l'intention proprement historique de certains livres ou de certaines parties de livres historiques[67], et il est conforme aux directions de l'encyclique de chercher, même dans les passages et les livres donnés comme historiques, à élucider les difficultés qui s'y rencontrent par une étude des lois du langage populaire, qui souvent n'est vrai que par approximation et ne prétend pas à toute la ligueur du langage précis que nous attendons maintenant d'un historien[68]. Enfin, il est bon d'observer que l'interprétation historique n'est pas tout à fait la même chose que l'interprétation littérale[69], et que le Saint-Père, s'appuyant sur une règle donnée par saint Augustin[70], se contente de recommander de s'attacher au sens littéral, à moins qu'on n'ait quelque raison qui empêche de s'y tenir ou qui rende nécessaire de l'abandonner.

4° Léon XIII, renouvelant et précisant une règle déjà donnée par le concile de Trente, déclare que l'interprétation de la sainte Ecriture doit toujours être faite, en ce qui concerne la foi et les mœurs, suivant l'interprétation commune des Pères de l'Eglise. D'où l'on peut conclure logiquement que l'exégète conserve toute sa liberté 1° lorsque, en matière de foi et de mœurs, les Pères sont divisés, 2° en dehors des matières de foi et de mœurs, lors même que les Pères se prononceraient unanimement dans le même sens. Le Saint-Père ajoute encore que, même en cas d'unanimité des Pères sur une question touchant la foi ou les mœurs, il ne faut pas croire que la route soit fermée à l'exégète, et qu'il ne peut pas, pour un motif raisonnable, aller plus loin dans ses recherches et dans ses explications. Toutefois, il ne faudrait pas conclure de ces règles, dit Léon XIII, que l'inspiration divine ne s'étend qu'aux vérités concernant la foi et les mœurs, car il faut chercher surtout ce qu'a dit Dieu, et non pas examiner le motif pour lequel il a parlé ainsi.

5° Il importe beaucoup de bien examiner ce que les sciences, naturelles ou historiques, affirment, et ce que l'Ecriture enseigne. Que de difficultés n'ont surgi que parce qu'on a opposé entre elles des affirmations mal comprises de la science et des affirmations mal comprises de la Bible Qu'on étudie donc avec un soin tout particulier les sciences naturelles, l'histoire, les langues et les mœurs orientales ; et par là se trouveront résolues beaucoup de prétendues difficultés.

L'encyclique Providentissimus, en fixant ainsi les règles de l'interprétation scripturaire dans des limites qui sauvegardent à la fois le respect du Livre divin et les droits légitimes de la critique, a été le point de départ d'un rajeunissement des arguments théologiques. Que l'on compare les manuels scolaires de théologie du milieu du siècle avec ceux de la fin du siècle, tels que les dernières éditions de Hurter et de Tanquerey, et l'on touchera du doigt les progrès qui ont été faits dans le maniement de la preuve scripturaire en théologie. Deux écoles cependant sont toujours restées en présence :'celle des conservateurs, qui, sans nier les droits de la critique, se préoccupent surtout de défendre, contre ses hardiesses, l'élément divin de la Bible ; et l'école des progressistes, qui, attentifs aux lumières que peut fournir l'étude du milieu humain dans lequel le Livre a été composé, cherchent à les faire prévaloir contre les interprétations trop timidement traditionnelles de l'école opposée. Quelques partisans de la première école poussent parfois l'amour de la tradition jusqu'à fermer les yeux sur les résultats les mieux acquis de la science : Il existe encore, écrit le R. P. Prat[71], de la Cie de Jésus, un certain nombre de théologiens manifestement trop étrangers à l'esprit et à la méthode scientifiques, réfractaires à tout progrès considéré par eux comme une nouveauté dangereuse, rebelles à toute expression du vrai qui s'écarterait des formules stéréotypées. Le R. P. Lagrange, de l'Ordre de Saint-Dominique, définit, de son côté, les doctrines de l'école progressiste dans les termes suivants : Dieu, disent les partisans de cette école, enseigne tout ce qui est enseigné dans la Bible ; mais il n'y enseigne rien que ce qui est enseigné par l'écrivain sacré, et ce dernier n'y enseigne rien que ce qu'il veut enseigner... Et c'est seulement en étudiant le sens des termes. le caractère des propositions et le genre littéraire des livres que nous pouvons connaître la pensée et l'intention de l'auteur[72]. Mais comment déterminer et le genre littéraire des livres et le caractère des propositions et le sens des termes ? Plusieurs vont jusqu'à dénier tout caractère historique à certains livres ou à certaines parties de livres communément regardés comme historiques, comme Job, Judith, Esther, Tobie, Jonas, les onze premiers chapitres de la Genèse. D'autres paraissent s'écarter trop de la tradition dans l'interprétation de certaines propositions, de certains termes de la sainte Ecriture. Ces opinions hasardées leur valent deux avertissements successifs de Léon XIII : l'un dans sa lettre au Ministre général des franciscains, du 25 novembre 1898 ; l'autre dans sa lettre au clergé de France, du 9 septembre 1899[73].

 

IV

En traitant la question biblique, Léon XIII a rencontré le prétendu conflit que certains savants modernes ont dénoncé entre la science et la religion. Hippolyte Taine l'a naguère exposé en termes énergiques, qui ont frappé l'opinion[74] ; et comme, d'après une théorie venue d'Allemagne, vulgarisée en France par Renan[75] et par Berthelot, c'est la science qui doit régenter le monde et même procurer le parfait bonheur de l'humanité, quelques catholiques se sont troublés à la pensée des ravages qu'un tel préjugé peut causer dans la société contemporaine. Leur trouble est d'autant plus explicable, que le préjugé a gagné, non seulement le corps des spécialistes en sciences naturelles, mais les littérateurs et les poètes les plus en vogue. Sans parler de Zola, qui émet la prétention de faire œuvre de science en écrivant ses romans malsains, ce sont de purs artistes, comme Leconte de Lisle, des poètes à l'âme délicate et tendre, comme Sully-Prudhomme, qui s'efforcent d'imiter les attitudes du savant. Reprenant un mot de Sainte-Beuve en un sens plus radical que ne le faisait l'auteur des Lundis, on prétend borner le rôle des lettres et des arts à faire l'histoire naturelle des hommes, lesquels, mus par un invincible déterminisme, ne sont vraiment, comme l'a dit un philosophe, que des théorèmes en marche.

Mais de telles prétentions sont trop manifestement exagérées, pour ne pas provoquer une réaction. Cette réaction s'est déjà produite, et si véhémente, qu'elle est en voie de dépasser les justes bornes. Un philosophe parti du déterminisme matérialiste, Herbert Spencer, s'est contenté de dire, en une image d'ailleurs fort saisissante, que la sphère de la science, en s'élargissant, ne fait que multiplier ses points de contact avec l'inconnaissable ; et l'inconnaissable, c'est cet immense océan pour lequel, selon un autre docteur du matérialisme, l'homme n'a ni boussole ni barque. Un savant dont l'autorité s'impose au monde entier, Pasteur, en prononçant, le 27 avril 1882, son discours de réception à l'Académie française, déclare que par la notion de l'infini, le surnaturel est au fond des cœurs. Mais la protestation va plus loin. Le 1er janvier 1895, dans un article retentissant, le directeur de la Revue des Deux Mondes, M. Brunetière, dénonce la faillite de la science. Ni les sciences naturelles ne nous ont rien dévoilé de nos origines, encore moins de nos destinées, ni les sciences philologiques et exégétiques n'ont rien établi qui explique naturellement la religion, dont le mystère subsiste. La science ne contredit pas la foi, elle ne peut pas la contredire, car, ajoute M. Brunetière, on ne démontre pas la divinité du Christ, on l'affirme ou on la nie, on y croit ou on n'y croit pas, comme à l'immortalité de l'âme, comme à l'existence de Dieu. Dans ces dernières paroles, Mgr d'Hulst dénonce une proposition fidéiste, et, dans les précédentes, une défiance exagérée des disciplines scientifiques, qui, maintenues dans leur domaine, peuvent et doivent servir la morale et la religion. Des réactions plus hardies se produiront encore contre le culte de la science ou scientisme, car on ira jusqu'à mettre en doute la vérité de toutes les lois scientifiques sans exception, à n'y voir que des symboles commodes pour l'explication ou pour l'exposition des phénomènes de la nature.

Léon XIII n'ignore pas ces fluctuations d'esprit. Attentif à prémunir les fidèles contre les exagérations qui pourraient se produire en un sens ou dans l'autre, il ne cesse, dans ses encycliques, chaque fois que l'occasion s'en présente, de recommander la culture des sciences et d'en préciser la vraie portée. Dans son encyclique Æterni Patris, il déclare qu'il est dans l'ordre de la divine Providence que, pour rappeler le peuple à la foi et au salut, on recherche le concours de la science humaine. Dans sa Lettre au clergé de France, il recommande, comme nécessaire, l'étude des sciences naturelles. Mais il veut que cette étude se fasse avec mesure et dans de sages proportions.

D'ailleurs, à la lumière de ses enseignements généraux, des savants catholiques donnent l'exemple de ce culte de la science humaine, dans la mesure et les proportions qu'il convient. Un ancien élève de l'Ecole polytechnique, d'abord officier de marine, puis entré dans les ordres, l'abbé Paul de Broglie, publie, en 1881, sous ce titre, Le Positivisme et la science expérimentale, deux forts volumes, où il démontre, à l'encontre des positivistes, qu'en réalité, la science expérimentale, sous peine de ne saisir que des apparences, et parce qu'elle étreint l'être réel, est déjà toute pénétrée de métaphysique ; que, par la conscience ou l'observation, elle atteint des substances, des causes, des fins, et ainsi les plus hautes réalités ontologiques. Deux autres savants catholiques français, en se plaçant uniquement sur le terrain de la science, achèveront de réfuter le positivisme athée. M. Duhem, professeur à l'Université de Bordeaux, prenant directement à partie le mécanisme physique de M. Marcellin Berthelot, démontrera qu'il y a dans la nature, et particulièrement dans les objets que la physique étudie, des choses irréductibles à la pure quantité, et que la science elle-même nous ramène à ce dualisme hylémorphique, à cette théorie de la matière et de la forme qu'ont professée Aristote et saint Thomas. M. Albert de Lapparent, professeur à l'Institut catholique de Paris ; étudiant la géologie avec une compétence à laquelle les savants du monde entier rendent hommage, viendra, à son tour, déclarer que ses études scientifiques le conduisent à l'affirmation de Dieu. Après avoir décrit, avec un éclat sans pareil, ce qu'il appelle les phases de l'épopée géologique, il écrit[76] : Il reste à choisir, pour expliquer d'aussi remarquables enchaînements, entre le hasard et l'intention providentielle. Pour nous, héritier de cette suite de dispositions, et pénétré du désir d'exprimer notre reconnaissance à quelqu'un qui puisse l'accueillir, on trouvera sans doute naturel que le hasard ne nous suffise pas. En Angleterre M. Georges Mivart[77], aux Etats-Unis le R. P. Zahm[78], se maintenant toujours systématiquement sur le terrain de la science, réfutent également l'évolutionnisme athée. En Belgique, la rencontre de la science avec la métaphysique se fait plutôt sur le terrain de la philosophie. Dans un célèbre Rapport sur les études supérieures de philosophie, présenté au congrès de Malines de 1891, Mgr Mercier, regrettant que les catholiques se soient jusque-là trop facilement résignés au rôle secondaire d'adeptes de la science, aient trop peu visé à rassembler et à façonner les matériaux qui doivent servir à former la synthèse rajeunie de la science et de la philosophie chrétienne[79], les invite à cultiver la science pure, cherchée pour elle-même, sans but professionnel, sans but apologétique direct, à en être les patients analystes, dont ensuite la philosophie complétera l'œuvre dans un élan de synthèse[80]. Le plan du savant prélat se réalise en 1893, quand ses propres élèves, les fils immédiats de sa pensée, M. Nys, M. de Wulf, M. Thiéry, M. Deploige, sont assez nombreux, assez experts, pour pouvoir occuper eux-mêmes, autour du maître, les chaires de l'Institut de philosophie[81], et pour créer un organe de leur œuvre collective, la Revue néo-scolastique.

D'autres savants, sans prendre part aux discussions métaphysiques et religieuses, parce que l'objet de leurs études s'y prête moins, montrent, par leur vie, que la science n'est point pour eux un obstacle aux croyances chrétiennes. Parmi les mathématiciens, le Français Charles Hermite, dont M. Painlevé dira, au lendemain de sa mort, qu'il était une des gloires les plus pures de la science française[82], et l'Allemand Karl Weierstrass, dont on a dit que sa puissance créatrice n'eut d'égale que sa modestie[83], sont des catholiques pratiquants ; et Henri Poincaré, le prince des géomètres, s'il meurt sans avoir atteint la foi, vers laquelle il a paru s'acheminer, repousse du moins toute conclusion athée, se déclarant arrêté devant le mystère de l'origine du monde[84]. Parmi les astronomes, l'Italien Respighi, les Autrichiens Littrov et Kreil, l'Allemand Bessel, l'Anglais Huggins, les Suisses Wolf et Gautier, les Français Roche, Mouchez, Radau et Bouquet de la Grye, sont des croyants convaincus[85].

En présence d'un pareil mouvement scientifique parmi les catholiques, un projet, conçu par un professeur de l'Institut catholique de Toulouse, le chanoine Duilhé de Saint-Projet, reçoit en 1885 l'adhésion d'un grand nombre de savants français, et entre dans la voie des réalisations pratiques aussitôt que Mgr d'Hulst en prend la direction : c'est celui de réunir périodiquement les savants catholiques du monde entier en des congrès internationaux. Le projet rencontre pourtant de sérieux obstacles. Tandis que les organes de la libre pensée, du Temps à la Lanterne, du Siècle à la République française, raillent l'entreprise et essayent d'en décourager les adhérents par les plus fâcheux pronostics, des journaux catholiques émettent des craintes au nom de l'orthodoxie. Ces congrès ne vont-ils pas aborder les questions les plus délicates du dogme ? Et ne risquent-ils pas de le faire à la manière d'un parlement ? Ne seront-ils pas tentés d'empiéter sur le rôle des conciles ? Tout au moins, ne feront-ils pas naître, d'un bout à l'autre de la chrétienté, des courants dangereux, qu'on aura bien de la peine à maîtriser ? Ainsi parle l'Univers.

Mais Léon XIII, après avoir fait une enquête sérieuse et prescrit certaines précautions, déclare, par un bref du 20 mai 1887, approuver l'entreprise. Deux congrès ont lieu à Paris en 1888 et en 1891 ; un troisième congrès se tient à Bruxelles en 1894 ; un quatrième à Fribourg en Suisse en 1897 ; un cinquième à Munich en 1900. On a pu y signaler, dans certaines séances, notamment dans la section exégétique du congrès de Fribourg, des incidents regrettables, semblant justifier les craintes dont l'Univers s'était fait l'interprète. Mais ces incidents, très rares, n'ont eu aucune répercussion notable, et l'œuvre parait bien, dans son ensemble, avoir justifié les espérances de ses promoteurs : elle a été l'occasion de la publication d'importants travaux ; elle a rapproché et encouragé de nombreux savants, jusque-là trop isolés ; elle a été une manifestation éclatante de l'union qui peut et doit exister entre la science et la foi[86].

 

V

Dans cette encyclique Æterni Patris, à laquelle, en une magistrale étude sur l'œuvre doctrinale de Léon XIII, Mgr Dadolle rattache avec raison tout l'enseignement de ce pontife[87], le Saint-Père ne sépare pas le vrai du beau. Il sait que, si les actes procèdent des idées, celles-ci rayonnent par la beauté de la forme, et que la loi de notre nature est d'aller du visible à l'invisible. Autant de raisons de recommander les études littéraires[88]. C'est ce qu'il fait directement dans une lettre publique adressée au cardinal Parocchi. La vérité illuminée par l'éclat du langage, déclare-t-il, pénètre plus facilement les esprits et s'en empare plus fortement. Il y a là une certaine similitude avec le culte extérieur de Dieu, qui a cette grande utilité d'élever l'esprit et la pensée des choses sensibles à la Divinité elle-même. Dans sa lettre du 8 septembre 1899 au clergé de France, le Saint-Père revient sur cette recommandation, car, dit-il, c'est le propre des belles-lettres de développer dans les jeunes âmes tous les germes de vie intellectuelle et morale, de donner au langage l'élégance et la distinction ; et Léon XIII a le bonheur d'assister à une vraie renaissance de l'art et de la littérature catholiques.

En apparence, il est vrai, le spectacle donné par le mouvement littéraire vers la fin du dix-neuvième siècle, le mouvement fin de siècle, comme on l'appelle, est tout contraire. Au fait, y a-t-il même un grand courant d'art et de littérature ? Ne se croirait-on pas plutôt en présence d'une décadence et d'une désagrégation ? Pour ne parler que de la France, qui est, du reste, le centre de l'activité littéraire mondiale, à côté de quelques survivants du Parnasse, comme Sully-Prudhomme et Leconte de Lisle, du romantisme, comme Barbey d'Aurevilly, et du classicisme, comme Louis Veuillot, on est, parmi les jeunes, symboliste, impressionniste, égotiste, essayiste, occidentaliste, roman, décadent, déliquescent, tolstoïsant, wagnérisant, ibsénien, mallarmien, mystique et... mystificateur. Malgré tout, M. Lanson me paraît avoir raison de dire, dans son Histoire de la littérature française, que, dans ce fracas fumeux de doctrines, un mouvement sérieux se dessine ; j'ajouterais qu'un élément religieux s'en dégage.

En 1883, M. Melchior de Vogüé, dans la première de ses études sur le roman russe, se fait l'interprète d'un élan d'idéalisme élevé. En 1889, M. Paul Bourget, dans sa Lettre au jeune homme d'aujourd'hui, qui fait la préface du Disciple, fait appel aux maximes de l'Evangile, et cette profession de foi, dont le retentissement est immense, est comme une seconde étape. En 1890, un jeune artiste, d'un esprit très indépendant, M. Maurice Denis, propose cette définition de l'art : L'art est la sanctification de la nature[89]. Il veut dire sans doute que l'art n'obtient la plénitude de sa perfection que lorsqu'il considère les choses de la nature dans leurs relations avec les réalités suprasensibles et religieuses qui les unissent à Dieu, que lorsqu'il atteint ce dedans mystérieux des êtres qui les unit entre eux et les harmonise, en les suspendant tous à l'infinie Beauté, à l'infinie Vérité et à l'infinie Bonté. Mais, arrivé là, l'art est pleinement catholique. Un jésuite, le Père Charles Clair, puis un dominicain, le Père Ollivier, réunissent, dans la Société de Saint-Jean, un groupe de jeunes gens épris d'art, parmi lesquels on remarque, à côté de Maurice Denis, Aman Jean, Ernest Laurent, Dulac, Paul-Hippolyte Flandrin ; et un jeune Frère Prêcheur, le Père Janvier, leur enseigne le dogme chrétien sous la forme du plus pur thomisme. Ces artistes y voisinent avec des poètes[90], des romanciers et des critiques.

Or, de-ci, de-là, des écoles les plus diverses, l'inspiration catholique émerge. L'école naturaliste donne au catholicisme Joris-Kart Huysmans ; celle des parnassiens, Paul Verlaine et François Coppée. Les symbolistes ont Wizewa, Le Cardonnel et Paul Claudel ; les psychologues, Bourget ; les critiques, Brunetière ; les polémistes, Drumont. Le roman-feuilleton a déjà donné à l'Eglise Paul Féval, et le félibrige, Frédéric Mistral[91]. Ernest Hello, mort en 1885, devient tout à coup, vers 1890, l'objet d'une ardente admiration parmi les jeunes littérateurs ; tout comme Louis Veuillot, dont Jules Lemaitre célèbre, en 1893, le talent littéraire, et dont se réclament très haut, en exagérant ses défauts et en rétrécissant sa doctrine, Jules Barbey d'Aurevilly et Léon Bloy.

 

VI

Sans doute, Léon XIII n'a pas protégé les beaux-arts à la manière d'un Nicolas V, d'un Jules II et d'un Léon X. Il a fait mieux : il a protégé, encouragé, développé une grande forme synthétique d'art et de poésie, où les catholiques dont je viens de parler n'ont pas hésité à reconnaître la plus pure expression de la beauté rêvée par eux : je veux parler de la liturgie catholique.

Au moment où le rêve d'un art total hantait l'imagination germanique d'un Richard Wagner, et séduisait tant de jeunes esprits français, quelques catholiques leur rappelèrent à propos que la liturgie avait réalisé ce rêve depuis des siècles et qu'elle pourrait, en se développant, le réaliser plus parfaitement encore.

Frères de la poésie, avait écrit Chateaubriand[92], les beaux-arts se sont attachés aux pas de la religion chrétienne. Ils la reconnurent pour leur mère aussitôt qu'elle parut au monde. Ils lui prêtèrent leur charme terrestre ; elle leur donna sa divinité. La musique nota ses chants ; la peinture la représenta dans ses douloureux triomphes ; la sculpture se plut à rêver avec elle sur les tombeaux ; et l'architecture lui bâtit des temples sublimes et mystérieux comme sa pensée.

Or, la grande œuvre de restauration liturgique, commencée sous le pontificat de Pie IX, accentua son développement sous Léon XIII.

Les ouvrages de Dom Guéranger ont révélé les magnificences des rites catholiques ; la publication, en 1889, des Origines du culte chrétien, par M. l'abbé Duchesne, en fait connaître la vénérable antiquité. Les monographies données par Xavier Kraus en Allemagne, par Rohault de Fleury et par l'abbé de Conny en France, en analysent les principales beautés. Viollet-le-Duc, dans ses écrits et dans des restaurations monumentales qui ne sont pas à l'abri de toute critique, mais dont l'ensemble conquiert et mérite l'admiration universelle, aide à reconstituer les temples destinés à être le cadre de cette antique liturgie. La réédition, en 1895, par Joris-Karl Huysmans et par M. l'abbé Vigourel d'un petit livre injustement oublié, mais bientôt répandu à 100.000 exemplaires, le Petit Catéchisme liturgique de l'abbé Dutillet, en explique les moindres détails, en montre les beautés aux simples fidèles. En 1898, la publication par Huysmans de la Cathédrale en fait connaître le grave et gracieux symbolisme aux gens du monde. Léon Gautier, en 1886, s'attache plus particulièrement à étudier la profonde poésie de ses chants dans son Histoire de la Poésie liturgique au moyen âge. Un pur artiste, Ruskin, s'en inspire en cherchant à établir les lois de l'esthétique.

L'attention se porte surtout sur le chant liturgique. En 1880, l'apparition d'un ouvrage capital, les Mélodies grégoriennes, par Dom Pothier, a particulièrement fixé l'attention sur ce chant. Les mélodies grégoriennes, nées dans l'Eglise de Rome au confluent naturel de l'art juif, grec et romain[93], fixées par un pape que sa forte culture intellectuelle et artistique a admirablement préparé à cette œuvre, saint Grégoire le Grand, ont été providentiellement propagées dans l'Europe chrétienne par Charlemagne. Elles ont eu leur pleine efflorescence au treizième siècle, alors précisément que s'élevaient ces admirables cathédrales gothiques, dont la beauté n'est plus contestée, alors que florissait cette philosophie chrétienne que Léon XIII travaille à restaurer. Mais de ce chant traditionnel, comme de la philosophie traditionnelle, le quinzième siècle a vu la décadence ; les siècles suivants, l'oubli presque complet. On se rend compte que sa restauration par Dom Pothier, fruit de douze ans clé travaux, est définitive. Un congrès de chant liturgique, tenu à Arezzo, en Italie, en 1882, émet le vœu que dans toutes les églises les livres choraux aient dorénavant la plus grande conformité possible avec l'antique tradition, La Congrégation des Rites promulgue, le 6 juillet 1894, un Règlement pour le chant liturgique conforme à ces vœux.

Pendant ce temps-là, dans les monastères des bénédictins, des prémontrés, des chanoines réguliers de l'Immaculée-Conception, et dans un grand nombre de séminaires, en particulier dans le séminaire de Saint-Sulpice, les méthodes du chant grégorien traditionnel sont appliquées. Elles s'introduisent dans plusieurs paroisses. Des fidèles de plus en plus nombreux en apprécient la mélodie grave et pieuse, admirablement adaptée aux paroles de l'Eglise, aux mouvements de joie, de confiance, d'humilité et d'amour que ces paroles expriment.

L'influence de la mélodie grégorienne déborde même les limites de l'enceinte sacrée. De même que, jadis, les chants des trouvères et des troubadours s'étaient apparentés aux séquences de la liturgie du moyen âge, une renaissance artistique ramène, dans la musique profane, les formes d'autrefois. Sous l'influence de Niedermeyer et d'Ortigue, le renouveau des tonalités médiévales fait école. Les versets d'orgue de Guilmant et de Gigout épousent ces tonalités ; et les rythmes eux-mêmes, les formes de cet art antique revêtent les œuvres d'un Vincent d'Indy et d'un Debussy[94].

 

 

 



[1] R. P. Edmond BOUVY, des Augustins de l'Assomption, dans la Revue Augustinienne d'août 1903 et dans les Questions actuelles du 12 septembre 1903, p. 138.

[2] Victor DELBOS, dans la Revue de métaphysique et de morale, t. XXIV (1917), n° 1, p. 12.

[3] Nous avons parlé plus haut, chapitre premier, de l'encyclique Inscrutabili, du 21 avril 1878, où le Saint-Père exposait au vif les maux dont souffrait la société et présentait l'Eglise comme ayant le secret de les guérir.

[4] Le R. P. de Scorraille, de la Compagnie de Jésus, écrivait, dans les Etudes religieuses de janvier 1888 : L'histoire qui, dans la personne d'Urbain II, a glorifié le pape des croisades militaires, glorifiera demain, dans la personne du pontife d'aujourd'hui, le grand pape de la croisade intellectuelle... Possédant à un haut degré, outre l'autorité qui lui vient de sa mission, l'élévation de l'esprit, la grande culture intellectuelle, l'amour passionné des sciences et le goût des belles-lettres, en un mot, l'estime de tout ce qui embellit noblement la vie humaine et sert aux légitimes progrès des sociétés, il semble avoir été créé exprès pour cette fin d'un siècle incrédule et frivole, mais toujours avide de lumière.

[5] Voir Histoire générale de l'Eglise, t. V et VI, passim.

[6] FONSEGRIVE, l'Evolution des idées dans la France contemporaine, un vol. Paris, 1917, p. 105. Voir le développement et la preuve de cette assertion, ibid., p. 106.

[7] DE WULF, Hist. de la philosophie médiévale, 4e édition, Louvain, 1912, p. 354. Cf. J. MARITAIN, Eléments de philosophie. Introduction générale, un vol. in-8°, Paris, 1920, p. 60-65 et passim.

[8] Cf. Charles JOURDAIN, la Philosophie de saint Thomas, 2 vol. in-8°, Paris, 1858 ; HAURÉAU, Hist. de la philosophie scolastique, 3 vol. in-8°, Paris, 1872-1881 ; et plusieurs articles d'HAURÉAU dans le Dict. des sc. phil. de FRANCK, 2e édit., 1875.

[9] Encyclique Æterni Patris.

[10] T'SERCLAES, t. II, p. 36 et s.

[11] T'SERCLAES, t. II, p. 147 et s.

[12] Prov., VIII, 15-16 ; Sap., VI, 3, 4 ; Eccl., XVII, 147.

[13] Joan., XIX, 11.

[14] Par exemple celui de La Mennais.

[15] T'SERCLAES, III, 387-388.

[16] BELLAMY, la Théologie catholique au XIXe siècle, un vol. in-8°, Paris, p. 170.

[17] BELLAMY, la Théologie catholique au XIXe siècle, p. 170.

[18] Voir A. BAUDRILLART, Vie de Mgr d'Hulst, 2 vol. in-8°, Paris, 1912-1914.

[19] Mgr d'HULST, dans le Correspondant du 25 mai 1895.

[20] A. LARGENT, Vie de l'abbé de Broglie, un vol. in-8°, Paris, 1900.

[21] Pour plus de détails, voir l'article Belgique de J.-T. LAMY, dans le Dict. de théol. cath., t. II, col. 536-558.

[22] Pour ne prendre qu'un exemple, dans les questions brûlantes de la science et de la prédestination divines, il s'écartera résolument de Molina et des molinistes ; il repoussera la théorie par laquelle Dieu verrait les futuribles soit en eux-mêmes, soit dans leurs causes secondes ; il admettra que le terme de cette connaissance est en Dieu lui-même. Est-ce à dire qu'il embrasse, tel quel, le système des thomistes ? Aucunement ; car le docte professeur juge inadmissible, inconciliable avec l'existence de la liberté humaine, la théorie qui supposerait que Dieu voit nos actes en lui-même en tant que cause efficiente et déterminante ; il croit satisfaire à toutes les exigences en admettant que Dieu voit ces actes en lui-même comme cause exemplaire, c'est-à-dire dans les idées divines elles-mêmes, et, conclusion plus originale encore, il croit rester fidèle, en enseignant cette doctrine, à saint Thomas à la fois et à Molina. Des solutions non moins personnelles sont données par le P. Billot sur la prédestination, sur la causalité des sacrements, sur les éléments de la grâce sacramentelle ; le tout, en un style ferme, net, et décisif ; mais il est juste de noter que ni les arguments de l'éminent auteur ni le ton ferme de ses conclusions n'ont convaincu tous ses lecteurs. Si des jésuites lui ont reproché d'abandonner des doctrines traditionnelles dans la compagnie de Jésus, des dominicains ont refusé de voir en lui un interprète toujours fidèle de la pensée de saint Thomas ; d'autres ont regretté de ne pas trouver dans ses thèses la riche érudition patristique et biblique des Franzelin et des Hurler ; tous ont reconnu en lui un dialecticien puissant et un métaphysicien de haute valeur.

[23] Voir OLLÉ-LAPRUNE, la Certitude morale, t. I, p. 13.

[24] VACANT, le Magistère ordinaire de l'Eglise et ses organes, un vol. in-12, Paris, 1887. Ce travail a été grandement utilisé par son auteur dans ses Etudes théologiques sur le Concile du Vatican, t. II, p. 89 et s.

[25] CROS, Etudes sur l'ordre naturel et surnaturel, un vol., Paris. La première édition avait paru en 1861.

[26] P. DE BROGLIE, Conférences sur la vie surnaturelle, 3 vol. in-18, Paris, 1889.

[27] BELLAMY, la Vie surnaturelle, un vol. in-8, Paris, 1891.

[28] P. MATIGNON, la Question du surnaturel, un vol. in-12. La première édition remonte à 1861.

[29] JOVÈNE, De vita deiformi, 2 vol, in-8°, polygraphiés, Paris, 1881.

[30] TERRIEN, la Grâce et la Gloire, un vol. in-8°, Paris, 1897.

[31] BORGIANELLI, Il sopranaturale, Rome, 1864.

[32] ALIMONDA, Il sopranaturale nell'uomo, 4 vol. s. d.

[33] SCHÄTZLER, Natur und Uebernatur, Mayence, 1865.

[34] SCHEEBEN, Natur und Gnade, Mayence, 1861.

[35] Cf. BELLAMY, la Théologie catholique au XIXe siècle, p. 268-275, et DUBOSQ DE PESQUIDOUX, l'Immaculée-Conception, Histoire d'un dogme, 2 vol. in-8°, Paris, 1898.

[36] Dom RENAUDIN, De la définition dogmatique de l'Assomption, un vol. Angers, 1900. Cf. BELLAMY, la Vie surnaturelle, p. 275-281.

[37] Dans le Cours de philosophie publié par l'Institut supérieur de philosophie de Louvain, la Logique, la Métaphysique générale, la Critériologie et la Psychologie sont l'œuvre de Mgr Mercier. Un même esprit anime les travaux de l'Institut et l'enseignement de ses éminents représentants, MM. de Wulf, Thiéry, Deploige, Nys, Balthasar, Michottez, Noël, Defourny, etc.

[38] C'est aussi le moment où les historiens des religions les plus dégagés de tout dogmatisme, comme Auguste Sabatier, proclament qu'une religion naturelle n'est ni religieuse ni naturelle.

[39] M. BLONDEL, l'Action, un vol. in-8°, Paris, 1893, p. 388.

[40] Voir l'exposé et la critique de la doctrine de l'Action dans le Diction. apol. de la foi catholique, au mot Immanence, par les RR. PP. Auguste et Albert VALENSIN, S. J.

[41] Summ. theol., Ia IIac, q. III, a. 8. Dans un article publié par la Revue de philosophie du R. P. Peillaube, 1er septembre 1906, M. l'abbé Mallet s'attache à montrer que les idées directrices et essentielles de M. Blondel peuvent être exprimées en pur langage de l'Ecole ; et dans la revue bruxelloise le Vanneur, des 1er mai et 15 juin 1914, le R. P. Scheuer, S. J., professeur à l'Université de Louvain, répondant à des critiques adressées à l'auteur de l'Action par un de ses confrères, écrit : Il se pourrait qu'au point de vue strictement thomiste, M. Blondel eût l'avantage sur son contradicteur. Dans le Vocabulaire de la Société française de philosophie (un vol. in-8°, chez Armand Colin, Paris), au mot Immanence, M. Blondel se réfère expressément à saint Thomas et à cette affirmation que saint Thomas énonce, sans restriction aucune, puisque c'est à propos même de l'ordre surnaturel qu'il la formule : nihil potest ordinari in finem aliquem, nisi prœexistat in ipso quœdam proportio ad finem (Quæst. disput. XIV, De veritate, II).

[42] Voir M. BLONDEL, Lettre au Directeur de la Revue du clergé français. (Rev. du cl. fr. du 15 juillet 1913, p. 246-247).

[43] Revue néo-scolastique d'août 1913.

[44] Mgr Bonnefoy, archevêque d'Aix, veut bien nous autoriser à rendre publique une lettre qu'il a adressée, le 8 août 1917, à M. Maurice Blondel. En voici quelques lignes : En décembre 1912, reçu en audience par Sa Sainteté Pie X, je pris occasion de lui parler de vous et de lui faire savoir combien vous étiez douloureusement affecté par la suspicion dont quelques apologistes avaient couvert votre enseignement philosophique... J'allais poursuivre, quand le Saint-Père me donna la joie, pour vous et pour moi, de l'entendre me dire : Je suis sûr de son orthodoxie. Je vous charge de le lui dire.

[45] Un religieux dominicain, auditeur de M. Ollé-Laprune dans cette circonstance, veut bien me communiquer les notes prises par lui séance tenante. Vous êtes heureux, dit le conférencier improvisé, d'être à une école où l'on vous enseigne une saine théologie, une saine philosophie... On ne sait plus s'attacher aux principes. Le mot de Leibniz est toujours vrai : nous manquons encore plus de raison que de religion.

On pourrait ramener à deux principes les tendances qui-se manifestent parmi les penseurs de notre époque.

Les uns sont trop humbles, mais humbles dans le mauvais sens. Ils se découragent. Ils se défient de la raison humaine. Ils sont agnostiques, ce n'est pas là de l'humilité, c'est de la pusillanimité.

C'est un autre excès que d'oublier que, dans l'ordre intellectuel, comme dans tous les ordres, nous avons tout reçu. Il faut savoir accepter les données de l'esprit. Les rationalistes se flattent de tout tirer d'eux-mêmes. Singulière rencontre ! Ce sont souvent les mêmes esprits qui tombent dans les deux excès à la fois.

Le vrai savant doit accepter les données. Il ne se fait pas, comme disait Aristote, κοσμοποιός ; il n'est pas subjectiviste.

Il y aurait à noter encore une autre disposition d'esprit. On se réfugie dans une sorte de mysticisme, dans un mysticisme sans objet, sans Dieu, sans foi précise.

Pour lutter contre ces tendances funestes, il nous faut une philosophie solide. Mais quels doivent être les points de ralliement ? Ils se résument en un seul : Dieu, dit saint Thomas, a voulu qu'il y eût des causes secondes, des êtres créés qui eussent une véritable activité, non propter defectum virtutis ; sed propter abundantiam bonitatis. C'est le privilège de l'homme d'être, à sa manière, sui juris ; mais c'est en même temps pour lui un devoir de travailler sous la dépendance de Dieu et de devenir ainsi, selon la parole de saint Paul, coopérateur de Dieu, Dei cooperatores minus.

[46] ARMELLINI, Cimiteri cristiani, Roma, 1893, p. 286.

[47] WILPERT, Fractio panis, un vol. in-4°, Paris, 1896.

[48] Voir un résumé de la question dans VACANDARD, la Pénitence publique dans l'Eglise primitive et la Confession sacramentelle dans l'Eglise primitive, deux volumes de la collection Science et religion.

[49] BATIFFOL, Etudes d'hist. et de théol. positive, étude sur la Hiérarchie primitive.

[50] Mgr MIGNOT, l'Evolutionnisme religieux, dans le Correspondant du 10 avril 1897 ; P. de la BARRE, la Vie du dogme catholique, un vol. in-12, Paris.

[51] BELLAMY, la Théologie catholique au XIXe siècle, p. 75.

[52] Mgr GOUSSET, Théologie dogmatique, un vol. in-8°, Paris, 1848, p. 104.

[53] BELLAMY, la Théologie catholique au XIXe siècle, un vol. in-8°, Paris, p. 76.

[54] F. LENORMANT, les Origines de l'histoire d'après la Bible, Paris, 1830, t. I, p. VII.

[55] NEWMAN, dans le Nineteench Century de février 1884, traduit dans le Correspondant du 25 mai de la même année.

[56] BARTOLO, les Critères théologiques, trad. franc., Paris, 1889, p. 243-258.

[57] DIDIOT, Logique surn. subj., Lille, 1891, p. 103.

[58] Mgr d'HULST, la Question biblique, une brochure in-8°, Paris, 1893.

[59] Sur les études et les controverses bibliques avant l'encyclique Providentissimus Deus, voir BELLAMY, la Théologie catholique au XIXe siècle, ch. IV, p. 71-100.

[60] Etudes d'avril 1894, p. 550.

[61] Etudes d'août 1894, p. 622.

[62] Etudes d'août 1894, p. 627.

[63] Etudes d'août 1894, p. 322-323.

[64] Summa theol., Ia p., q. LXX, a. I, ad 3.

[65] Etudes d'avril 1894, p. 552.

[66] Gazette de France, citée dans les Etudes d'août 1894, p. 639-640.

[67] R. P. BRUCKER, dans les Etudes d'août 1894, p. 637-638.

[68] LEVESQUE, dans la Revue biblique de juillet 1895, p. 325.

[69] Etudes d'août 1894, p. 638.

[70] De Gen, ad litt., L. VIII, c. 7, 13.

[71] P. PRAT, Progrès et tradition en exégèse, dans les Etudes du 5 novembre 1902, p. 310.

[72] P. LAGRANGE, l'Inspiration et les exigences de la critique, dans la Revue biblique, 1896, p. 506-507.

[73] N. S.-P. le Pape Benoît XV, dans son encyclique Spiritus Paraclitus, du 15 septembre 1920, met en garde les exégètes contre l'abus des interprétations faites d'après la considération des genres littéraires et des citations implicites : (Quidam) nimis facile ad citationes quas vocant implicitas vel ad narrationes specie tenus historicas confugiunt, aut genera quœdam litterarum in libris sacris inveniri contendunt.

[74] Article paru dans la Revue des Deux Mondes du 1er juin 1881, inséré plus tard dans les Origines de la France contemporaine, édition in-8°, t. VI, édition in-12, t. XI, p. 171 et s.

[75] Dans l'Avenir de la science, Renan, traduisant une pensée des Hæckel, enseigne que la tâche de l'avenir sera d'organiser scientifiquement l'humanité.

[76] A. de LAPPARENT, Science et apologétique, p. 212.

[77] Le monde et la science, trad. SECOND, un vol. in-12, Paris, 1897.

[78] Science catholique et savants catholiques, trad. française, un vol. in-i2, Paris, 1894.

[79] MERCIER, Rapport sur les études supérieures de philosophie, p. 76.

[80] G. GOYAU, le Cardinal Mercier, un vol. in-12, Paris, 1918, p. 40.

[81] G. GOYAU, le Cardinal Mercier, p. 41.

[82] Dans la Nature, du 2 février 1901, p. 110.

[83] M. d'OCAGNE, dans la Revue des Questions scientifiques, t. XLII, 1907, p. 493.

[84] BIGOURDAN, Ann. Bur. long. pour 1913, notice D, 23.

[85] Voir A. EYMIEU, la Part des croyants dans les progrès de la science, un vol. in-8°, Paris, 1920.

[86] Voir une histoire détaillée de ces congrès dans BAUDRILLART, Vie de Mgr d'Hulst, t. I, p. 529-563.

[87] P. DADOLLE, l'Œuvre doctrinale de Léon XIII, dans le Correspondant du 10 novembre 1886, p. 331-406.

[88] P. DADOLLE, l'Œuvre doctrinale de Léon XIII, Correspondant du 10 novembre 1886, p. 404.

[89] M. DENIS, dans Art et Critique d'août 1890.

[90] Revue des Jeunes, du 10 novembre 1918, p. 522.

[91] Les sentiments religieux de Frédéric Mistral ne peuvent faire de doute pour personne. C'est lui qui rédigea ces fameux Statuts du Félibrige, beaux comme un poème, dont l'article II est ainsi conçu : Le Félibrige est gai, amical, fraternel, plein de franchise et de simplicité. Son pain est la bonté, son vin est la beauté, et son chemin la vérité. Il a le soleil pour foyer, tire sa science de l'amour, et met en Dieu son espérance. Le chef des félibres ne borna pas sa foi à une vague religiosité : Il affirma toujours ses convictions chrétiennes. À un de ses jeunes disciples, qui lui rappelait le succès de ses œuvres, il répondait : Effectivement, l'invocation au Christ que j'ai placée en tête de ma Mirèio m'a porté bonheur. Il fut, de plus, un grand admirateur du pape Léon XIII. Vers 1880, il fit au jeune disciple dont je viens de parler, la confidence d'un de ses rêves : faire une œuvre si purement catholique d'inspiration et d'exécution, qu'elle pût obtenir l'agrément et la bénédiction du Saint-Père. Vers la fin de l'année 1883, il crut avoir réalisé ce rave, en achevant son poème de Nerto, histoire d'une âme dont l'exquise pureté triomphe des embûches du démon. Le 4 mars 1884, il écrivit au même jeune disciple, devenu prêtre et résidant alors à Rome : Nerto va paraitre. C'est un poème très catholique, sous son écorce légère. Vous me direz, quand vous l'aurez lu, si je puis l'offrir à Sa Sainteté Léon XIII, et vous pourrez vous-même être le messager. Quelques semaines après, l'heureux messager put constater que Léon XIII connaissait déjà et appréciait le poète national de la Provence, qu'il se proposait même, malgré 'ses absorbantes occupations, de lire le poème ; et, plus tard, à Maillane, il fut témoin de l'émotion religieuse que causait au grand poète le récit de l'entrevue et la bénédiction pontificale donnée à cette occasion.

[92] CHATEAUBRIAND, Génie du christianisme, IIIe partie, livre Ier, ch. I.

[93] A. VIGOUREL, Catéchisme du chant ecclésiastique, imprimé en appendice du Petit catéchisme liturgique de DUTILLET.

[94] AMÉDÉE GASTOUÉ, l'Art Grégorien, un vol. in-12, Paris, 1911, p. 198.