HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

CHAPITRE III. — LÉON XIII ET LA FRANCE.

 

 

La première bénédiction de Léon XIII avait été pour la France. Aussitôt après son élection, quand le Sacré-Collège eut présenté ses hommages au nouveau pape suivant l'usage traditionnel, le cardinal Guibert, archevêque de Paris, se leva au milieu de l'auguste assemblée, et demanda au pontife de daigner bénir, en sa personne, le diocèse de Paris et la France tout entière. Léon XIII accéda avec empressement à ce désir, ajoutant qu'il aimait beaucoup la France, dont il connaissait le dévouement à l'Eglise et le grand cœur[1].

C'est à des Français que le nouveau pape adressa son premier discours. Une délégation des universités catholiques de France s'était mise en route pour Rome au lendemain du conclave. Le 23 février 1878, Léon XIII, la recevant en audience particulière, prononça, devant ces représentants de l'élite intellectuelle de notre pays, les paroles suivantes : La France, en dépit de ses malheurs, reste toujours digne d'elle-même. Elle montre qu'elle n'a pas oublié sa vocation... Aujourd'hui, hélas ! elle a perdu une partie de sa puissance. Affaiblie par la division des partis, elle est empêchée de donner libre essor à ses nobles instincts... Mais sa générosité ne saurait rester sans récompense : Dieu bénira une nation capable des plus nobles sacrifices, et l'histoire écrira encore de belles pages sur les Gesta Dei per Francos[2].

Toute la politique de Léon XIII envers la France est en germe dans ces premières déclarations : mettre fin à la division des partis, pour permettre à la France de reprendre son rôle traditionnel de champion de l'Eglise.

Mais comment réaliser ce programme ? Il semble que le cardinal Guibert, archevêque de Paris, avait exprimé la pensée dominante du pape, quand, dans un mandement, daté du 10 février et qui avait attiré l'attention de la France entière, il avait convié les catholiques à s'élever au-dessus de toutes les questions purement politiques, et même de toutes les questions religieuses secondaires, pour défendre avant tout l'idée de Dieu et le Décalogue. Si nous interrogeons l'histoire des siècles passés, disait-il, nous voyons la lutte s'établir sur quelque point particulier de doctrine. Le dogme de la Très Sainte Trinité, l'Incarnation du Fils de Dieu, la Présence réelle de Notre-Seigneur dans la sainte Eucharistie, l'autorité de l'Eglise et l'interprétation des saintes Ecritures ont été successivement attaqués par les hérésies dans le cours des siècles. Aujourd'hui une négation absolue voudrait effacer de la société le nom même de Dieu, souverain Créateur et Rémunérateur. Or, la science sociale vient s'unir à l'enseignement de nos écoles de théologie pour proclamer que l'idée de Dieu et la notion de ses commandements sont nécessairement à la base et au sommet de toute société... Pouvons-nous demeurer inertes et indifférents dans cette guerre déclarée contre Dieu ? En posant cette question, nous ne nous adressons pas seulement aux chrétiens les plus fervents et les plus fidèles... Nous vous convions tous, vous qui n'avez pas renié et qui ne voulez pas renier votre baptême, à conjurer le péril social et à sauver vos âmes en vous rattachant à l'Eglise votre mère... La question religieuse, telle que nous venons de l'exposer, est au-dessus des questions de l'ordre temporel et politique... L'Eglise laisse à l'arbitre des peuples et des souverains les formes du gouvernement, les lois qui régissent les intérêts temporels. Sa mission est d'enseigner et de maintenir les vérités religieuses qui sont le fondement nécessaire de tout ordre social... Si donc vous entendez, par le mot si souvent répété de sécularisation de la société, que les formes politiques et administratives d'une nation peuvent varier avec le cours des siècles, que les rapports accidentels de l'Eglise et de l'Etat peuvent se modifier, nous n'y contredirons pas... Mais si vous entendez séculariser la société en y effaçant le nom, l'idée de Dieu et de Jésus-Christ... l'Eglise ne cessera de vous dire, avec la douleur et l'autorité d'une mère, que c'est une tentative sacrilège et insensée[3].

Il y avait donc plein accord entre le nouveau pape et le prélat éminent qui, par l'autorité de son caractère comme par l'importance du siège qu'il occupait, semblait représenter le clergé de France. D'autre part, les chefs des partis politiques jusque-là hostiles à l'Eglise, paraissaient désarmer. Le 20 février, Gambetta avait écrit : On a nommé le nouveau pape. Le nom de Léon XIII qu'il a pris, me semble du meilleur augure. Je salue cet événement plein de promesses... S'il ne meurt pas trop tôt, nous pouvons espérer un mariage de raison avec l'Eglise[4]. L'un des derniers survivants du saint-simonisme, Isaac Péreire, se réjouissait à la pensée de voir le chef suprême de l'Eglise catholique diriger les réformes sociales nécessaires à la démocratie[5].

Mais des difficultés de tout genre n'allaient pas tarder à surgir.

 

I

Les graves conflits que nous allons avoir à raconter eussent-ils pu être évités par une autre attitude, plus conciliante ou plus ferme, que celle qu'adopta Léon XIII ? Laissons aux historiens de l'avenir le soin de répondre à cette question. Contentons-nous de constater qu'en 1878, en France, de graves divergences, politiques et doctrinales, séparaient toujours, non seulement les hommes d'Eglise des hommes du siècle, mais, dans l'Eglise même, les deux fractions généralement désignées sous les noms de parti ultramontain et de parti libéral.

Ces divergences s'étaient manifestées à la fois dans les actes des pouvoirs publics et dans les mouvements de l'opinion.

La série d'événements désignée sous le nom de crise du 16 mai en avait été la manifestation la plus éclatante. Deux formules en avaient marqué la signification : le cri de guerre poussé par Gambetta à la séance parlementaire du 4 mai 1877 : Le cléricalisme, voilà l'ennemi ![6], et la devise donnée par le tribun aux masses populaires en vue des élections du 14 octobre : La république aux républicains ! La victoire du parti de Gambetta au 14 octobre avait paru assurer le triomphe de ces deux mots d'ordre ; la démission du maréchal de Mac-Mahon, le 30 janvier 1879, devait consommer l'échec de la double cause du catholicisme et de la monarchie.

Sans doute, Gambetta, désormais maître du pouvoir, entendait gouverner suivant les maximes d'un prudent opportunisme, sérier les questions, pratiquer la politique des résultats, et voulait tenter de résoudre les questions religieuses au moyen de pourparlers avec la cour pontificale ; mais le mouvement d'opinion qui l'avait porté au pouvoir, les sociétés auxquelles il avait donné son adhésion, les passions auxquelles il avait fait appel, ses tendances personnelles et ses propres doctrines, devaient le pousser toujours en avant dans sa lutte contre l'Eglise.

D'autre part, le parti politiquement vaincu à la journée du 14 octobre 1877 n'avait pas la cohésion voulue pour tenter une réaction immédiatement efficace.

Le parti monarchique, composé des anciens légitimistes et des orléanistes, n'avait pas vu disparaître toute défiance entre ces deux éléments, naguère si hostiles ; et ce parti lui-même ne coïncidait point parfaitement avec celui des défenseurs de la cause catholique. Autour de M. Etienne Lamy, un certain nombre de catholiques dévoués s'étaient nettement ralliés à la République. D'autres semblaient prêts à renoncer à toute tentative de restauration monarchique pour défendre leur foi sur le terrain constitutionnel. Chose plus grave : l'échec électoral et parlementaire des catholiques avait rallumé entre eux de vieilles querelles. L'Univers attribuait l'insuccès au libéralisme de ceux qui avaient pria la tête du mouvement catholique. Nous avons accepté des conducteurs qui ont rougi de nous, écrivait, le 17 octobre, Louis Veuillot[7]... Nous ne souffrons pas de la défaite, mais de la honte. — Les ministres n'ont guère vaincu, disait, le lendemain, Eugène Veuillot, que là où l'influence cléricale, qu'ils ne dédaignaient pas, tout en la désavouant, s'est exercée au profit de leurs candidats. Les cléricaux ne doivent plus donner leur concours à ces habiles gens[8]. Le Constitutionnel raillait amèrement ces polémiques : L'Univers met la corde au cou des pauvres ministres, écrivait-il, maintenant qu'ils sont, pour ainsi dire, gisants à terre[9]. Mais le Correspondant, qui reflétait les idées des ministres tombés, n'abandonnait rien de ses doctrines. Après avoir cité, dans son numéro du 25 octobre, cette parole de Manning : Si les catholiques anglais arrivaient demain au pouvoir, ils ne fermeraient pas un temple, pas une école protestante, la revue ajoutait : L'Eglise, qui a défendu dans tous les siècles l'indépendance de la conscience chrétienne, sans craindre la persécution, ni même le martyre, peut dire avec le poète :

Libertà vo cercando ! ch'è si cara,

Come sa chi per lei vita rifiuta[10].

Peu de temps après, un jeune dominicain, en qui Montalembert avait salué de bonne heure l'héritier de Lacordaire[11], le P. Didon, faisant une allusion plus directe aux événements du 14 octobre et du 30 janvier, écrivait : Il s'est produit, au plus grand détriment de la paix, une triste et fatale conjoncture... Les catholiques militants se sont trouvés presque tous, en politique, appartenir aux partis déchus... On ne dira jamais les confusions déplorables qu'a engendrées cette singulière coïncidence... Où donc a-t-on fait la preuve que le catholicisme ne pouvait vivre avec la société moderne ? Et de quel droit la République rejetterait-elle des républicains par le seul fait qu'ils sont des croyants ? Mettant en cause l'autorité de Léon XIII lui-même, l'audacieux moine ajoutait : La Constitution belge est-elle une hérésie ? Alors, pourquoi les catholiques lui prêtent-ils le serment ? Si elle n'est pas hérétique, si Léon XIII en recommande le respect aux catholiques, qui donc oserait condamner ceux qui acceptent ce régime de liberté ?[12]

Combien ces récriminations réciproques pouvaient affaiblir la cause du catholicisme, il est facile de le comprendre. Elles encourageaient par ailleurs l'audace de ceux qui s'appelaient ouvertement les anticléricaux.

Il est vrai que des divergences de doctrine et de méthode divisaient aussi ces derniers. Entre les intransigeants, qui suivaient Floquet et Clemenceau, et les opportunistes, qui marchaient derrière Gambetta, les passes d'armes étaient fréquentes ; mais une puissante association, la franc-maçonnerie, mettait à leur disposition sa hiérarchie savante, ses cadres tout prêts et ses habitudes de discipline[13]. — En face du clergé, écrit M. Hanotaux[14], (se trouvait) une organisation occulte et puissante, celle de la franc-maçonnerie, très active, très mêlée au siècle et s'attachant avec passion au problème de l'instruction laïque. Le rite écossais comptait parmi ses membres Brisson, Ranc et Floquet ; Gambetta appartenait à la franc-maçonnerie depuis 1869, époque à laquelle la loge la Réforme de Marseille lui avait conféré le grade d'apprenti[15]. Quand il fut au pouvoir, Gambetta s'entoura de francs-maçons[16] ; et la Ligue de l'enseignement, fondée le 15 octobre 1866 par le franc-maçon Jules placé sous les auspices de la puissante société, devint l'inspiratrice de la plupart des mesures qui furent prises pour écarter des écoles l'influence catholique. Dès le lendemain des élections du 15 octobre 1877, les préfets et les conseillers municipaux qui appartenaient à la secte, s'appliquèrent à remplacer partout les instituteurs congréganistes par des instituteurs laïques[17]. Le 24 septembre 1878, dans un banquet donné par le Grand-Orient, un franc-maçon, le Grand-Maître Bourland, s'exprima en ces termes : Que Rome, que l'ultramontanisme, que, l'ignorance, que tout ce qui en dérive, succombe, périsse à jamais par le développement de l'éducation qui conduit à la morale, et par le développement de l'instruction qui conduit au développement complet de l'intelligence !Ces paroles, dit le Monde maçonnique[18], furent accueillies par des applaudissements unanimes.

La franc-maçonnerie se recrutait plutôt parmi les hommes politiques que parmi les philosophes et les littérateurs. Beaucoup cependant de ces derniers secondaient à leur manière, plus ou moins consciemment, la campagne anticatholique de la puissante association. Sans doute, ni tous les philosophes, ni tous les littérateurs n'avaient les mêmes points de départ. Au déterminisme radical de Taine[19], Renouvier opposait une doctrine non moins radicale de la liberté[20] ; le réalisme brutal et tout extérieur de Zola contrastait avec le moralisme visionnaire[21] de Dumas fils. Mais Taine, en réduisant toute psychologie, toute morale et toute religion aux lois purement mécaniques de la nature ; Renouvier, en refusant absolument au catholicisme le bénéfice de l'universelle liberté sous le prétexte que le catholicisme était l'ennemi-né de la liberté ; Zola, par son fatalisme prétendu scientifique qui fermait toute issue vers le sentiment religieux[22] ; Dumas, par un idéalisme prétendu chrétien qui n'était qu'une déformation du christianisme[23], ne faisaient que rajeunir, parfois en l'aggravant, ce qu'il y avait de plus dangereux dans le positivisme de Comte, dans le moralisme de Kant, dans le scepticisme malsain de Renan.

Est-ce à dire que tout besoin religieux, que tout respect de l'Eglise catholique fût absent de la société française en 1878, de la pensée des écrivains que nous venons de citer, et des tendances de la foule qui lisait leurs ouvrages ? Ce serait une erreur de le penser. Dans le domaine de la politique, nous avons vu Gambetta aspirer à une entente avec le Chef de l'Eglise catholique. Sur le terrain de la philosophie, Taine, en étudiant, en 1878, la Révolution française, commençait à entrevoir dans le christianisme ce qu'il appellerait plus tard[24] la grande paire d'ailes indispensables pour soulever l'homme au-dessus de ses horizons bornés ; Littré, en voulant se maintenir obstinément dans le domaine des faits physiquement observables, avouait avec mélancolie qu'il se sentait comme dans une île enveloppée par un océan, pour lequel nous n'avons ni barque ni voiles. Le poète-philosophe Sully-Prudhomme, après avoir fait profession de la même doctrine et de la même méthode[25], jetait un cri d'une pareille angoisse. Parlant de l'homme du XIXe siècle, il s'écriait :

Après avoir tout adoré,

Jusqu'à la brute sa servante,

Sa solitude l'épouvante,

Son Dieu lui demeure ignoré ;

Et, sous l'Infini qui l'accable,

Prosterné désespérément,

Il songe au silence alarmant

De l'univers inexplicable[26].

Certains mots de Renouvier faisaient prévoir l'évolution de sa pensée, qui, vers la fin de sa vie, l'a montré tout près de reconnaître qu'en dehors de l'idée religieuse il est à peu près impossible de donner au peuple une éducation morale[27]. A côté des foules qui lisaient Zola et Dumas fils, d'autres foules se pressaient vers les sanctuaires de la piété nationale, si bien que le plus réaliste des romanciers se croyait bientôt tenu, pour donner un tableau complet de la société contemporaine, de décrire les pèlerinages de Lourdes.

Telle était la situation religieuse de la France au moment de l'avènement de Léon XIII. Elle faisait prévoir de pénibles luttes, mais elle pouvait faire espérer de grandes victoires.

 

II

Les vraies luttes ne devaient commencer qu'en 1879, après la trêve de l'Exposition universelle de 1878 ; mais au cours de cette année de 1878 elles eurent un prélude significatif : la célébration du centenaire de Voltaire.

L'auteur de l'Essai sur les mœurs et de la Pucelle étant mort en 1778, les chefs du mouvement libre penseur décidèrent de célébrer solennellement son centenaire. Sur un mot d'ordre du Grand-Orient, avec l'appui des Loges, une souscription s'ouvrit dans toute la France[28]. Le conseil municipal de Paris se chargea d'organiser les fêtes. Le but des organisateurs fut nettement affiché. Le sens de la manifestation devait être ouvertement anticatholique et rationaliste. Le centenaire de Voltaire littérateur, écrivait le Bien public[29], n'aurait rien signifié du tout ; le centenaire de celui qui a dit Ecrasons l'Infâme, sera au contraire une éclatante manifestation. Du sein de l'épiscopat, du fond de toutes les consciences catholiques, un cri de protestation s'éleva. L'évêque d'Orléans, retrouvant, au milieu d'une maladie d'épuisement, son ardeur et ses forces d'autrefois, se fit l'éloquent interprète de la réprobation unanime des vrais chrétiens, de tous les esprits religieux ou simplement honnêtes. En quelques jours, il rédigea et fit paraître dans le journal la Défense ces dix Lettres au conseil municipal de Paris, dont le cardinal Guibert devait dire : Elles sont le Rosbach de Voltaire. En des pages vibrantes, alertes, lumineuses, il montra dans Voltaire, non seulement l'ennemi du catholicisme, mais le destructeur de toute religion, de toute morale et de tout ordre social, le bas flatteur de la Prusse et de son plus fameux représentant Frédéric II, le vil insulteur de la France et de sa plus pure gloire Jeanne d'Arc. Peu de temps après, accablé par les travaux excessifs que lui avait coûtés sa vaillante campagne, l'évêque d'Orléans rendait son âme à Dieu en embrassant pieusement son crucifix[30]. Mais ses efforts avaient porté fruit. L'opinion publique, mieux éclairée, ne fit pas à la manifestation impie l'écho favorable qu'avaient escompté ses organisateurs, et le gouvernement lui-même, après s'être montré d'abord plutôt sympathique au projet, finit par le désavouer en une déclaration publique[31].

Par ce simple épisode, se trouvait confirmée cette vérité, que, si les pouvoirs publics et la grande presse, inspirés par la franc-maçonnerie, étaient prêts aux agressions les plus brutales et aux négations doctrinales les plus absolues, il ne paraissait pas impossible d'agir, par des campagnes sagement et vigoureusement conduites, et sur l'opinion publique et sur le gouvernement lui-même ; d'amener celle-là à une appréciation plus saine des vérités religieuses, d'arrêter celui-ci dans la voie de la persécution. Telle parait du moins avoir été la leçon que dégagea Léon XIII de l'événement. Dans son allocution du 31 mai 1878, après avoir gémi sur les honneurs immérités rendus en France à l'homme sans morale et sans dignité qui s'était fait l'insulteur de la foi et de son divin Auteur Jésus-Christ, il s'était réjoui de voir, sous l'impulsion des évêques et de la presse catholique, unanimement unis, un cri de désapprobation et d'indignation s'élever de toutes les parties du territoire français[32]. Le plan du pontife paraît, à partir de cette époque, s'être mieux précisé ; reprendre avec vigueur toutes les condamnations de ses prédécesseurs contre la secte maçonnique, renouveler toutes les affirmations doctrinales de Pie IX ; mais, en même temps, reconstituer l'union si malheureusement rompue entre les catholiques français ; mettre fin à leurs querelles religieuses en présentant sous leur vrai jour les doctrines de l'encyclique Quanta cura et du Syllabus ; faire cesser leurs divisions politiques, en les conviant à se placer tous sur le terrain constitutionnel pour y combattre les mauvaises lois et pour y travailler avec fruit aux œuvres de réforme sociale. L'encyclique Humanum Genus contre la franc-maçonnerie, les encycliques Immortale Dei, Libertas et De conditione opificum, et tous les actes constituant ce qu'on a appelé la politique du ralliement, paraissent n'avoir eu, dans la pensée de Léon XIII, pas d'autre but.

Mais, pendant que le souverain pontife concevait ce plan de conduite, la franc-maçonnerie, de son côté, élaborait le sien.

Depuis 1876, la puissante société avait abandonné son vague déisme traditionnel pour professer ouvertement le positivisme[33]. Nous nous proposons, avait dit Gambetta, d'appliquer le positivisme à l'ordre politique et social[34]. Le positivisme, c'était la négation de Dieu, de l'âme, de la vie future ; c'était, par conséquent, sinon l'élimination violente, tout au moins l'abstraction faite de ces vérités dans l'ordre politique et social ; et ce devait être fatalement la lutte ouverte contre tous ceux qui voudraient faire entrer la considération de ces vérités dans la structure de la société. L'élimination de l'enseignement religieux dans les écoles, la rupture du concordat, l'expulsion des congrégations religieuses les plus militantes : ces trois principales conséquences furent indiquées dans un discours fameux que le célèbre tribun prononça, le 18 septembre 1878, dans la ville de Romans. J'ai le droit, s'écria-t-il, de dénoncer le péril que fait courir à la société française l'accroissement de l'esprit non seulement clérical, mais vaticanesque, monastique, congréganiste et syllabique... Le péril social, le voilà ! Et son discours-programme indiqua clairement les trois objectifs qu'il se proposait d'attaquer dans sa campagne : 1° les congrégations religieuses, milice multicolore dont la patrie ne repose plus que sur la dernière des sept collines de Rome ; 2° l'enseignement chrétien, qui tronque l'histoire et fausse l'esprit français ; et 3° l'Eglise catholique, qu'il importe de faire rentrer dans le droit commun.

Aucun catholique ne se fit illusion sur l'importance de ce discours de Romans, prononcé, au milieu de l'enthousiasme populaire, dans une tournée triomphale, où l'orateur avait marché d'ovations en ovations, effaçant par son prestige tous les hommes politiques de son temps, ou plutôt les subjuguant tous, républicains radicaux et républicains conservateurs, sous son autorité croissante. A la veille du discours de Romans, un des chefs les plus avancés du parti radical, Alfred baquet, avait déclaré, dans une lettre, applaudir d'avance au programme du tribun. A l'issue même du discours, sur l'estrade de Romans, une autre notabilité du même parti salua l'orateur comme le chef de toutes les gauches. Les modérés, de leur côté, osèrent à peine élever quelques timides protestations. Le discours de Romans est un acte décisif, écrivit le Correspondant[35]... Ce ne sont pas seulement les radicaux qui le louent et le préconisent... Les amis du ministère, les hommes qui célébraient la veille, sur la tombe de M. Thiers, son bon sens et ses sages maximes, trouvent à peine à faire dans ce discours de Romans, les uns une objection, une restriction, les autres, deux.

Malheureusement, tandis que tous les partis républicains semblaient ainsi s'unir, les catholiques se divisèrent. Les uns, dont Mgr Freppel se fit l'éloquent interprète, arborèrent fièrement le drapeau de la contre-révolution[36]. Mais ceux dont le Correspondant et l'Union de l'Ouest étaient les organes, refusèrent d'adopter une pareille devise. Parce que nos adversaires commettent des excès, écrivit le Correspondant[37], ce ne serait pas une raison d'exagérer nos principes... Le mot de contre-révolution est un mot mal défini, gros de malentendus... Donnons à chacune des réparations à obtenir leur vrai nom, et ne leur imposons pas un nom de guerre provocateur, qui confond dans une obscurité déplorable ce qu'on doit conserver et ce qu'on doit combattre.

Léon XIII vit le péril. Dans une allocution prononcée le 22 février 1879, il recommanda aux journalistes chrétiens d'user d'un langage digne et mesuré, de s'appliquer par-dessus tout, selon l'avertissement de l'Apôtre, à n'avoir pas de schismes parmi eux, à se tenir parfaitement dans le même sentiment et dans le même esprit, adhérant de cœur aux doctrines et aux décisions de l'Eglise catholique[38].

 

III

Au moment où le Saint-Père faisait entendre cet appel à la presse catholique, le gouvernement de la France avait changé de main. Le 30 janvier 1879, le maréchal de Mac-Mahon, jugeant que sa situation était devenue impossible, avait donné sa démission de Président de la République, et avait été immédiatement remplacé par l'avocat Jules Grévy. Léon Gambetta avait été l'un des premiers à se présenter pour rendre hommage au nouveau Président, et l'on assure qu'il l'embrassa avec effusion[39]. Le lendemain, le journal la Révolution écrivit[40] : Ce qui s'est accompli hier est plus que le remplacement d'un homme par un autre. C'est l'inauguration d'un gouvernement nouveau. C'est une révolution légale. L'anticléricalisme allait tenir, pour vingt ans au moins, le gouvernail de la France.

Ce n'est pas que le nouveau chef du gouvernement de la France fût un disciple de Gambetta. Jules Grévy, dit M. Hanotaux[41], avait M. Gambetta en détestation... Il ne jugeait favorablement en lui ni le caractère, ni l'action, ni même l'éloquence. Mais, âgé de soixante-douze ans, homme froid, prudent, calculateur, ami de la paix à tout prix, le nouveau président redoutait le puissant tribun. Il devait accepter et signer tous les décrets anticléricaux que ce dernier lui imposerait.

Le choix fait par Jules Grévy de l'avocat Jules Ferry comme ministre de l'instruction publique, fut significatif. Le nouveau ministre avait quarante-sept ans. Il fut le ministre éminent de la combinaison. Entouré de trois collègues protestants, Waddington, Freycinet et Le Royer, il se sentait à l'aise, lui, le libre-penseur, résolu à faire sentir au troupeau clérical la dent du légiste et du positiviste. A l'instruction publique, on lui confiait le département des âmes[42].

Le nouveau ministre ouvrit sa campagne avec un plan préconçu[43]. Ce plan était celui de la franc-maçonnerie, à laquelle il appartenait depuis 1875, et de la Ligue de l'enseignement, dirigée par le franc-maçon Jean Macé. Ce fait est désormais hors de toute contestation possible. M. Hanotaux le constate en ces termes : Deux institutions actives et puissantes, la franc-maçonnerie et la Ligue de l'enseignement, avaient préparé les esprits aux solutions les plus énergiques et les plus fortes. M. Jules Ferry était, au pouvoir, le représentant de ces doctrines. Il apportait, à les réaliser, sa vigueur, sa rudesse, sa logique réaliste : ce fut là sa force[44]. Comme Gambetta, Jules Ferry professait hautement la doctrine positiviste[45].

Le 15 mars 1879, le ministre de l'instruction publique déposa sur le bureau de la Chambre des députés deux projets de loi : le premier, sur le conseil supérieur de l'instruction publique et les conseils académiques, le second sur la liberté de l'enseignement. Le but visible de ces projets était de restreindre l'influence de l'Eglise dans l'enseignement par diverses mesures habilement imaginées. Mais l'attention se porta surtout sur l'article 7 du second projet, qui était ainsi conçu : Nul n'est admis à diriger un établissement d'enseignement public ou privé, de quelque ordre qu'il soit, ni à y donner l'enseignement, s'il appartient à une congrégation non autorisée. L'exposé des motifs soulignait le sens et la portée de cet article dans les termes suivants : La liberté d'enseigner n'existe pas pour les étrangers. Pourquoi serait-elle reconnue aux affiliés d'un ordre essentiellement étranger par le caractère de ses doctrines, la nature et le but de ses statuts, la résidence et l'autorité de ses chefs ? Telle est la portée de la disposition nouvelle que nous avons jugé opportun d'introduire dans la loi. Il n'y avait pas à s'y tromper : ce-qui était visé dans l'article 7 c'était le premier objectif de la campagne maçonnique : la destruction des congrégations religieuses.

Ni en France, ni à l'étranger, ni parmi les catholiques, ni parmi les ennemis du catholicisme, on ne se fit d'illusion sur le caractère de la lutte qui allait s'engager. Le projet de loi Ferry, écrivit la Gazette de l'Allemagne du Nord, peut être considéré comme la déclaration de guerre officielle du gouvernement actuel à l'ultramontanisme français. Dès la présentation des projets de loi, la Ligue de l'enseignement se met en campagne, et son président, Jean Macé, reçoit de Jules Ferry la lettre suivante : Je sais que vos sociétés d'instruction populaire ont contribué pour une large part à éveiller dans nos populations l'amour de l'instruction... Je ne suis donc pas étonné de les retrouver debout pour soutenir le gouvernement dans son œuvre[46]. Les loges multiplient les conférences en faveur des projets de loi. A Marseille, dans la loge de la Parfaite Sincérité, le F... Gambini s'écrie : Le F... Ferry poursuit une œuvre essentiellement maçonnique. Il nous appartient à nous, maçons, de le soutenir dans l'accomplissement de sa mission[47].

D'autre part, les catholiques, se conformant à la parole du pape, font face à l'ennemi, unis, disciplinés, comme on ne les a pas vus depuis les premières luttes pour la conquête de la liberté d'enseignement. Ultramontains et libéraux, légitimistes, orléanistes, impérialistes et républicains catholiques, oublient tout ce qui les divise pour défendre la liberté des congrégations enseignantes.

L'Univers et la Défense ont le même langage. Les cardinaux Guibert et de Bonnechose parlent comme Mgr Freppel et Mgr Pie. On remarque particulièrement l'attitude courageuse que prend un jeune député républicain catholique, M. Etienne Lamy, qui se sépare nettement, dans la discussion des nouveaux projets, de la majorité dont il fait partie et dans laquelle son talent et son caractère semblaient lui réserver un brillant avenir. Dans la séance du 26 juin, il prononce, (levant ses collègues de la Chambre des députés, saisie malgré elle par la hauteur de sa pensée et la vivacité de son éloquence, un vigoureux réquisitoire contre les nouveaux projets de loi, en particulier contre le fameux article 7. Se plaçant sur le terrain des libertés proclamées et promises par le parti républicain, il s'élève contre la proscription des congrégations religieuses, au nom de ces proclama-lions et de ces promesses cent fois répétées, au nom de la justice. au nom des droits sacrés de la famille et de l'individu, que le projet de loi foule aux pieds, au nom de la paix publique qu'il trouble à fond, au nom des intérêts bien entendus de la République, qu'il compromet, au nom de la Patrie, qu'il déshonore[48].

Le 9 juillet, l'article 7 est voté à la Chambre par 333 voix contre 16i, et l'ensemble de la loi sur l'enseignement supérieur par 347 voix contre 147. Mais l'opinion publique est remuée. En attendant le vote du Sénat, des esprits vraiment libéraux se prononcent contre la loi de proscription. Le franc-maçon positiviste Littré[49] dans la Revue Positiviste, le rationaliste Vacherot dans la Revue des Deux Mondes[50], le pasteur protestant Bersier dans une lettre publique au ministre des cultes[51], le jurisconsulte Edouard de Laboulaye dans une brochure spéciale[52], Jules Simon dans un rapport éloquent présenté à la Chambre haute, montrent l'injustice, l'inefficacité, le caractère impolitique de la loi proposée. Finalement, le 15 mars 1880, après de très longues discussions, le Sénat vote, dans son ensemble, le projet de loi proposé, mais en supprimant l'article 7. La Chambre accepte le projet tel qu'il est revenu du Sénat, et le Président de la République promulgue la nouvelle loi le 18 mars 1880[53]. Cette loi modifie la loi de 1875 en supprimant les jurys mixtes et en réservant à l'enseignement public le nom d'Université.

 

IV

Ce résultat ne satisfaisait pas les sectaires du parti républicain. Le 10 mars, la République française, journal inspiré par Gambetta, prévoyant le rejet définitif de l'article 7, disait : La question va renaître, plus impérieuse et plus urgente. Dans le duel engagé entre la démocratie et le cléricalisme, ce n'est pas la démocratie qui sera vaincue, nous en faisons le serment[54]. En soutenant l'article 7 devant le Sénat, M. de Freycinet, président du conseil, avait dit : Si cet article est repoussé, le gouvernement devra appliquer les lois existantes. Le sens de ces paroles était clair pour qui se souvenait que, devant la Chambre, pour justifier l'article 7, Jules Ferry avait rappelé les lois portées contre les congrégations religieuses par l'Ancien Régime et par la Révolution. Le 29 mars, le Journal officiel publiait, à la suite d'un court rapport adressé au Président de la République par les ministres de la justice et des cultes, cieux décrets, dont le premier prononçait la dissolution de la Compagnie de Jésus, et dont le second accordait un délai de trois mois à toute communauté ou congrégation non autorisée pour obtenir la vérification et l'approbation de ses statuts[55].

Le Président de la République, Jules Grévy, dans ses considérants, invoquait les fameux arrêts du Parlement de Paris rendus contre les jésuites, en août 1762, en novembre 1764, en mai 1767 et en mai 1777, les lois révolutionnaires des 13-19 février 1790 et du 18 août 1792, l'article II du Concordat, le décret-loi impérial du 3 messidor an XII, la loi du 24 mai 1825, celle du 2 avril 1834, le décret-loi du 11 janvier 1852. L'Ancien Régime, la Révolution, le Consulat, le premier Empire, la Restauration, la monarchie de Juillet et le gouvernement de Napoléon-Bonaparte, étaient successivement évoqués, comme témoins d'une prétendue tradition nationale ; mais on oubliait de dire que plusieurs de ces lois étaient contradictoires, que d'autres étaient depuis longtemps tombées en désuétude, qu'aucune d'elles n'avait été complètement appliquée.

A l'apparition de ces décrets, l'émotion fut profonde. Huit à neuf mille religieux, près de cent mille religieuses[56], se voyaient atteints dans leurs droits primordiaux : la liberté de domicile et de cohabitation, la propriété, l'exercice de leur profession, la pratique des œuvres de bienfaisance. L'Eglise se trouvait frappée au cœur, et des jurisconsultes éminents allaient bientôt montrer que les principes les plus certains du droit étaient violés. L'épiscopat de France se leva tout entier pour solidariser sa cause avec celle des religieux proscrits. Nous tenons à l'Église par les mêmes liens de foi, d'amour et de dévouement, écrivit, le 10 avril, Mgr Bernadou, archevêque de Sens. Le nonce, Mgr Czacki, remit à M. de Freycinet une note du pape, protestant, au nom de la justice et de la religion, contre des mesures manifestement persécutrices ; Léon XIII lui-même, recevant, le 31 mars, M. Desprez, ambassadeur de France, lui dit : Nous sommes affligé d'apprendre que l'on songe à frapper les congrégations religieuses... Notre cœur ressentirait une douleur profonde de devoir élever la voix pour protester en leur faveur. M. Keller, dans une émouvante brochure, énuméra les enfants que les congrégations instruisaient, les orphelins qu'elles élevaient, les pauvres, les vieillards et les infirmes qu'elles assistaient[57]. Un éminent avocat, M. Rousse, dans une consultation juridique, qui réunit, en moins de deux mois, 2.000 adhésions de ses collègues, démontra que le gouvernement, en s'engageant dans la voie qu'il venait de prendre, avait le double tort : i° de s'appuyer sur des textes de lois depuis longtemps périmés, et 2° de prétendre faire exécuter par la voie administrative et par conséquent soumettre à la juridiction administrative, des mesures ressortissant, par leur nature même et par la loi, à la compétence exclusive des tribunaux ordinaires[58]. A la Chambre, M. Etienne Lamy interpella vigoureusement les deux ministres de la justice et des cultes sur cette question. Vous donnerez à penser, leur dit-il, que, voulant expulser les ordres religieux, vous avez cherché des lois ; mais que, n'étant pas sûrs des lois, vous avez voulu être sûrs des juges.

Mais, en même temps, la franc-maçonnerie, dans les conciliabules de ses loges, dans des manifestations publiques fréquemment renouvelées, exerçait sur les masses populaires, et, par là même, sur les pouvoirs publics, une pression, qui finit par triompher de toutes les raisons juridiques qu'on avait fait valoir contre les fameux décrets du 2q mars. Au congrès de la Ligue d'enseignement, tenu en 1882, M. Jean Macé put s'écrier : Si l'opinion publique a fini par être la plus forte, une part en revient assurément à ceux qui l'ont stimulée, harcelée, fouettée, passez-moi le mot, jusqu'au jour de la victoire[59].

Si, en parlant du jour de la victoire, le fondateur de la Ligue de l'enseignement faisait allusion à la journée du 29 juin 1880, où le gouvernement, sans avoir recours à aucune mesure judiciaire, fit procéder, par les préfets et les commissaires de police, manu militari, à l'expulsion brutale de plusieurs milliers de religieux, arrachés à leur demeure, atteints dans l'inviolabilité de leur domicile, de leurs biens et de la liberté de leurs personnes, il se flattait d'une besogne qui faisait peu d'honneur au gouvernement français. Un journal étranger et protestant, le Times, écrivait, au soir de la fameuse journée La dispersion des jésuites est un acte de despotisme. Si la République fait revivre les lois qui violent la liberté personnelle, elle ne représente que la substitution de la tyrannie de la multitude à la tyrannie d'un individu. Le préfet de police qui, à Paris, dut présider à l'expulsion des religieux, M. Andrieux, a exprimé, dans ses Souvenirs, le dégoût que lui causa sa mission. Il fallait, écrit-il[60], pousser à la rue des prêtres sans défense. Leur attitude de prière, leurs physionomies, méditatives et résignées, et jusqu'à la bénédiction donnée en sortant aux fidèles agenouillés, contrastaient péniblement avec l'emploi de la force publique. Il n'était pas nécessaire d'avoir la foi catholique pour éprouver l'impression que je décris ; et, quelles que fussent leurs croyances particulières, ce n'était pas pour de pareilles besognes que de vieux soldats avaient revêtu l'uniforme de gardiens de la paix. De hauts fonctionnaires furent frappés pour avoir manifesté leur sympathie aux victimes des décrets. L'héroïque général de Sonis fut mis en disponibilité[61]. L'éminent professeur de l'Ecole normale supérieure, M. Ollé-Laprune, vit son traitement temporairement supprimé[62]. Toutes ces mesures étaient d'autant plus odieuses, qu'elles coïncidaient avec l'amnistie accordée aux anciens membres de la Commune de Paris. Dans son rapport au ministre de l'intérieur, le préfet de police releva cette fâcheuse coïncidence[63]. Le Standard la signala à ses lecteurs : Ces deux faits, pris ensemble, paraissent si outrageusement inconséquents, que nous ne pouvons approuver ni l'un ni l'autre[64].

Au surplus, en dehors de Jules Ferry, qui avait attaché son nom, son amour-propre à l'article 7, et qui voulait à tout prix en faire triompher l'idée de quelque manière, les membres du gouvernement paraissaient se rendre compte du caractère odieux des mesures dont ils prenaient la responsabilité. M. Grévy avait, trois jours durant, refusé de signer les décrets[65]. M. de Freycinet s'était déclaré opposé à l'article 7, ne l'avait défendu au Sénat que par des considérations d'ordre parlementaire[66], et se déclarait prêt à négocier avec Rome à propos des religieux. M. Gambetta lui-même ne s'était laissé entraîner dans l'aventure qu'à son corps défendant. Il ne s'abusait pas sur les conséquences des décrets, dit M. Andrieux... mais il était député de Belleville ; ses principaux sous-ordres représentaient les populations des grands centres ouvriers ; il redoutait que ces grands centres n'échappassent à son influence, et ne pouvant, sans cesser d'être un homme d'Etat, flatter les rêveries sociales dont se bercent les travailleurs de l'atelier, il cherchait à retenir leurs sympathies et leur confiance par l'affirmation d'une politique résolument hostile à l'influence du clergé[67].

M. Andrieux eût pu ajouter que M. Gambetta avait surtout à compter avec la franc-maçonnerie, dont il était membre. Le célèbre tribun se souvenait sans doute que, l'année précédente, M. Jules Simon, pour s'être prononcé contre l'article 7, avait été l'objet de sévères admonestations de la part des loges[68], que M. de Freycinet, trouvé trop tiède, était surveillé et menacé par l'implacable société ; et il ne voulait pas s'exposer à l'abandon de ceux qui avaient tout fait et de qui il pouvait encore tout espérer pour la satisfaction de ses ambitions politiques.

Celui que le parti républicain considérait comme son vrai chef se contenta d'approuver les négociations secrètes que M. de Freycinet, autorisé par le président Grévy, engagea, en août 1880, avec la cour de Rome. De ces négociations nous avons deux principaux indices dans un discours prononcé le 20 août, à Montauban, par le président du conseil, et dans une lettre adressée le 21 août par Léon XIII aux cardinaux Guibert et de Bonnechose. Nous avons dissous la Compagnie de Jésus, disait M. de Freycinet. Quant aux autres congrégations, nous nous réglerons à leur égard sur les nécessités que fera naître leur attitude. — Nous ne trouvons pas de difficultés, écrivait Léon XIII, à ce que les congrégations religieuses, en la forme et par la voie qui seront jugées les plus convenables, déclarent qu'elles ne sont animées d'aucun esprit d'hostilité envers le gouvernement. Mais la franc-maçonnerie veillait. Aussitôt qu'elle eut vent des pourparlers engagés par le président du conseil avec le pape, elle décréta la chute du ministère. Le Moniteur universel du 22 septembre raconta dans les termes suivants, sans être démenti, les circonstances de cette chute : On parlait samedi à un des maçons du convent[69] des négociations que M. de Freycinet avait eues avec la cour du Vatican au sujet de la déclaration des congrégations. Si le président du conseil a négocié avec le pape, répond celui-ci, M. de Freycinet sortira du ministère. Le lendemain, ainsi que le membre de la secte l'avait affirmé, M. de Freycinet donnait sa démission[70]. D'autre part, un certain nombre d'évêques et de supérieurs de congrégations, ne se plaçant pas au même point de vue que le Saint-Père, hésitaient à signer la déclaration proposée, ou déclaraient ne pouvoir obéir que la mort dans l'âme. Ces hésitations des catholiques, s'ajoutant à l'opposition violente de la franc-maçonnerie, contribuèrent peut-être pour une part à l'échec de la démarche de Léon XIII. Mais celle-ci avait eu néanmoins deux résultats : 1° elle avait divisé les persécuteurs en les démasquant, car, à partir de ce moment, M. Grévy et M. de Freycinet d'une part, M. Ferry et M. Constans de l'autre, se firent la guerre, tandis que Gambetta, fidèle à sa politique opportuniste, essayait de tenir un juste milieu ; 2° le pape, en donnant un gage public de sa modération, en affirmant son désir de vivre en paix avec tous, désarmait ceux qui représentaient l'Eglise catholique comme une institution essentiellement combative, systématiquement hostile aux gouvernements modernes, esclave d'un parti politique irréductible et violent[71].

Cependant les religieux, atteints dans leurs droits de citoyens français, s'appuyant sur les conclusions de la consultation juridique dont nous avons parlé, avaient porté leurs plaintes devant les tribunaux. Du 1er juillet au 5 novembre 1880, cinquante-deux décisions judiciaires, en dépit des déclinatoires du gouvernement réclamant la juridiction administrative, se prononcèrent pour la compétence des tribunaux ordinaires. Six décisions seulement furent pour l'incompétence ; et tout faisait prévoir des condamnations sévères frappant les violateurs du domicile et de la propriété. La haine des sectaires allait-elle être mise en échec par la fière indépendance de la magistrature française[72] ? La loi française a institué, pour trancher les questions de conflits d'attribution, un tribunal spécial, désigné sous le nom de tribunal des conflits. C'est à ce tribunal que le ministre de la justice, M. Cazot, en appela, et, par une initiative qui n'était pas contraire à la loi, mais qui était inouïe dans les annales judiciaires et que la plus simple délicatesse semblait réprouver, il demanda, lui, qui avait contresigné les décrets du 29 mars, et qui avait fait connaître publiquement son opinion Ma Chambre sur les revendications des religieux, à présider en personne le tribunal qui allait souverainement se prononcer sur l'illégalité de ce même décret, sur la légitimité de ces mêmes revendications. Par quatre voix contre trois, c'est-à-dire grâce à la voix du ministre signataire des décrets, le tribunal se prononça pour l'incompétence des tribunaux judiciaires et donna gain de cause au gouvernement[73]. Les congrégations durent se soumettre ; leurs maisons furent fermées, au moins en droit ; car des ecclésiastiques, des laïcs, dévoués aux religieux expulsés, reprirent la direction de ces maisons et tâchèrent d'y maintenir l'ancien esprit. Plusieurs d'entre eux furent, dans la suite, poursuivis devant les tribunaux pour tentative de reconstitution d'une congrégation non autorisée ; plusieurs furent condamnés, mais la patience des catholiques ne se lassa point, et un certain nombre.de maisons de ce genre, épiées, tracassées de mille manières, purent continuer, malgré tout, quelques-unes des œuvres entreprises par les religieux expulsés.

Les congrégations autorisées n'échappèrent pas elles-mêmes à la persécution. Sous prétexte de les faire rentrer dans le droit commun, et en présentant la prétendue accumulation indéfinie de leurs biens comme un péril grave pour la République, le gouvernement fit voter par les Chambres une loi qui les soumettait à un droit dit d'accroissement, sur le revenu, calculé d'office à 5 % par an, de tous leurs biens mobiliers et immobiliers. Par ces biens mobiliers et immobiliers, la jurisprudence, conformément au texte rigoureux de la loi, devait entendre, non seulement les terres cultivables, les rentes sur l'Etat, dont le revenu réel était manifestement inférieur, mais les lits occupés par les infirmes, les bancs où s'asseyaient les écoliers non payants, la vaisselle où mangeaient les pauvres[74]. Un pareil impôt était doublement injuste, parce que, d'une part, il était établi sur un revenu arbitrairement fixé et notablement supérieur au revenu réel, et que, d'autre part, il s'ajoutait à l'impôt de mainmorte, déjà payé par les congrégations autorisées et qui, de l'aveu des meilleurs jurisconsultes, devait les mettre à l'abri de toute autre contribution[75].

 

V

La première étape de la campagne persécutrice était franchie, et les résultats en paraissaient définitivement assurés. Les troupes d'élite de l'Eglise étaient mises hors de combat : les congrégations non autorisées étaient dispersées ; et les congrégations autorisées se trouvaient accablées de lourds impôts, qui devaient fatalement amener leur ruine.

Mais les œuvres des unes et des autres pouvaient leur survivre, particulièrement celle de l'éducation de la jeunesse, que la franc-maçonnerie méditait depuis longtemps d'arracher à l'Eglise. Les Chambres françaises, poussées par les loges, réalisèrent cette entreprise de destruction par quatre lois successives : la loi du 20 juin 1880, dite loi Camille Sée, sur les lycées de filles ; deux lois du 16 juin 1881, l'une sur la gratuité de l'enseignement primaire dans les écoles publiques, l'autre sur les titres de capacité pour le même enseignement ; enfin la loi sur la neutralité dans l'enseignement primaire, qui, mise en discussion le 4 décembre 1880, fut promulguée le 29 mars 1882.

Depuis longtemps les positivistes de la franc-maçonnerie songeaient à s'emparer de l'éducation des femmes. En 1864, à Anvers, le F... Arnould disait, dans une réunion maçonnique : Il faut refaire l'enseignement des femmes... Un enseignement scientifique, purement scientifique... les conduirait à écarter les hypothèses révélées et les rêves arbitraires des religions contraires à toute conception positive[76]. — En Allemagne et en Belgique, de nombreuses écoles de femmes athées avaient été organisées[77]. En France, on en avait créé un certain nombre à Paris dans les dernières années de l'empire sous le nom d'écoles professionnelles[78]. Mais tant que ces entreprises demeurèrent des entreprises privées, la masse n'afflua pas. Ce que voulait la maçonnerie, c'était un enseignement d'Etat pour les jeunes filles, semblable à celui des collèges et des lycées[79]. Celui qui tient la femme tient tout, s'écriait M. Jules Ferry, le 10 avril 1870, dans un banquet[80]. Vers la fin de 1878, le moment lui parut venu de donner suite à une proposition de loi sur l'enseignement secondaire des jeunes filles, que le député Camille Sée avait déposée un an auparavant, le 28 octobre 1877.

M. Camille Sée, israélite et franc-maçon[81], reprenait, dans son Exposé des motifs, la théorie de la secte, et dissimulait mal le but de la loi qu'il proposait : Tant que l'éducation des femmes finira avec l'instruction primaire, disait-il, il sera presque impossible de vaincre les préjugés, la superstition, la routine[82]. Le texte de la loi était tout aussi perfide. L'article 4 réglait que l'enseignement religieux serait donné au gré des parents, dans l'intérieur de l'établissement aux élèves internes. Mais l'externat était le type prévu par la loi, et, dans les externats, l'enseignement religieux était entièrement supprimé. Le projet, adopté par la Chambre en première lecture, en décembre 1879, fut voté par le Sénat le 10 décembre 1880, par 164 voix contre 121, et promulgué le 21 décembre. Il fut complété, le 26 juillet 1881, par la loi qui instituait l'Ecole normale supérieure de Sèvres, destinée à former des maîtresses pour les lycées de jeunes filles. La troisième République, écrivit Jules Ferry, n'aura pas laissé d'œuvre plus grosse de conséquences que cette réforme. Mais, quelques années plus tard, en octobre 1886, le journal de Gambetta, La République française, faisait tristement les constatations suivantes : Ces lycées réussiront-ils ?... On peut craindre que, d'ici à dix ans, les lycées de jeunes filles ne nous donnent pas mal de bas bleus, sans compter les oratrices de réunions publiques, deux classes de citoyennes dont le commerce est parfois épineux[83].

Ajoutons que, grâce aux efforts des catholiques, le but poursuivi par les orateurs de la loi ne fut qu'imparfaitement atteint. Stimulé par l'attaque, l'enseignement féminin se fortifia chez les catholiques et contribua à former une génération de solides chrétiennes[84].

La loi sur les titres de capacité de l'enseignement primaire, votée le 16 juin 1881, ouvrait un champ plus vaste. Sous le prétexte de relever le niveau de l'enseignement primaire, elle avait pour but de le soustraire à l'influence de M. Debidour n'hésite pas à reconnaître son caractère éminemment anticlérical[85]. On remarqua que tous les membres de la commission nommée pour étudier le projet étaient francs-maçons[86]. Cette loi supprimait toutes les équivalences qui, d'après la loi de 1850, pouvaient tenir lieu du certificat de capacité. Parmi ces équivalences étaient des lettres d'obédience données aux maîtres congréganistes par leurs supérieurs. Les auteurs de la loi pensèrent sans doute que les instituteurs et les institutrices appartenant à des congrégations religieuses n'oseraient ou ne voudraient pas se soumettre à l'examen d'un jury laïque et universitaire. Mais leur espoir fut trompé. Les professeurs titulaires et adjoints d'écoles primaires et de salles d'asile, dont on avait escompté la méfiance ou la timidité, se présentèrent hardiment aux examens imposés, conquirent sans peine les certificats exigés et même des grades supérieurs ; et, quelque temps après, des juges impartiaux constatèrent dans les écoles congréganistes, au lieu d'une décadence, un sensible progrès.

La loi sur la gratuité de l'instruction primaire, promulguée le même jour que la loi sur les titres de capacité, tendait, par une autre voie, au même but : ruiner l'enseignement congréganiste. Par la gratuité absolue, disait le rapporteur de la loi, M. Paul Bert, les écoles congréganistes perdront beaucoup de leur prestige. On espérait que les parents pauvres, attirés par l'appât de la gratuité, déserteraient les écoles catholiques payantes pour les écoles publiques laïcisées. Mais Mgr Freppel, dans un remarquable discours, prononcé le 15 juillet 1880 devant la Chambre des députés, montra un autre côté de la question. Il y a, dit-il, une gratuité vraie, réelle, effective, celle qui consiste à ne rien payer du tout, ni directement, ni indirectement. Cette gratuité, la seule véritable, l'Eglise catholique l'a toujours recommandée et pratiquée. Elle était assurée autrefois par des libéralités de toutes sortes, par des legs, des dons, des fondations particulières, sans qu'il en coûtât rien ni aux élèves ni à leurs parents... Mais la gratuité absolue que vous préparez n'est qu'un leurre et une fiction... Jusqu'à présent, les familles pauvres, les familles peu aisées, ne payaient rien ; elles payeront désormais leur part proportionnelle de l'impôt destiné à remplacer les dix-huit millions de rétributions scolaires que les familles riches étaient seules à payer... De sorte que vous arriverez à ce résultat étrange que, sous prétexte de gratuité absolue, l'école aura cessé d'être gratuite pour les pauvres, et que les riches seuls auront bénéficié d'une mesure qu'ils ne réclamaient en aucune façon... Un pauvre qui voudra envoyer son enfant à l'école libre, comme c'est son droit, paiera pour le riche qui envoie son enfant à l'école publique !Cette gratuité est un mensonge révolutionnaire, disait l'Univers[87]. Les pères de famille ne paieront plus, il est vrai, vingt sous au maître d'école, mais ils paieront trois francs au percepteur, sous forme d'impôts et de surtaxes. Mais, pour les libres penseurs qui soutenaient le projet de loi, cette question était secondaire. L'essentiel était d'obtenir le dépeuplement des écoles libres. La loi sur la gratuité, comme la loi sur les titres de capacité dans l'enseignement primaire, était une loi éminemment anticléricale.

Plus directement anticléricale fut la loi, présentée par Jules Ferry et dont la discussion s'engagea à la Chambre, le 4 décembre 1880, sur la neutralité de l'enseignement primaire. Les deux premiers articles étaient ainsi conçus : Article Ier. L'instruction religieuse ne sera plus donnée dans les écoles primaires publiques des divers ordres... Les enfants pourront, au gré de leurs parents, aller recevoir, en dehors des bâtiments scolaires, l'enseignement religieux de la bouche des ministres des différents cultes. Article II. Sont abrogées les dispositions des articles 18 et 44 de la loi des 15 et 27 mars 1850, en ce qu'ils donnent aux ministres des cultes un droit d'inspection, de surveillance et de direction dans les écoles primaires publiques et privées et dans les salles d'asile. Les articles suivants déclaraient l'instruction primaire obligatoire, et déterminaient les sanctions légales de cette obligation.

Mgr Freppel, qui, dans les discussions relatives aux lois scolaires, se révéla dialecticien et orateur parlementaire d'une singulière puissance, fit toucher du doigt aux députés le caractère trompeur du grand mot de neutralité sous lequel on cachait un esprit sectaire. Ne pas parler de Dieu à l'enfant pendant sept ans, disait-il, alors qu'on l'instruit six heures par jour, c'est lui faire accroire positivement que Dieu n'existe pas ou qu'on n'a nul besoin de s'occuper de lui ; expliquer à l'enfant les devoirs de l'homme envers lui-même et envers ses semblables et garder un silence profond sur les devoirs de l'homme envers Dieu, c'est lui insinuer clairement que ces devoirs n'existent pas ou qu'ils n'ont aucune importance... Votre école neutre, que vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas, deviendra logiquement, forcément, l'école athée, l'école sans Dieu... Elle créera dans les esprits une agitation dont vous ne pouvez pas calculer les conséquences... N'assumez pas devant Dieu et-devant les hommes une aussi lourde responsabilité. La réponse de Jules Ferry fut équivoque. Son positivisme le portait à écarter nettement toute, hypothèse métaphysique, y compris l'immortalité de l'âme et l'existence de Dieu ; son sens politique lui fit déclarer, pour ménager l'opinion publique, qu'il ne voulait éliminer de l'école aucun réconfort moral, qu'il vînt des croyances idéalistes, spiritualistes et même théologiques. L'évêque d'Angers essaya en vain d'obtenir une réponse plus précise, le ministre ne lui répondit pas, et, le 25 décembre 1880, la Chambre, à la majorité de 351 voix contre 152, adopta l'ensemble du projet. Durant cette vigile de Noël, remarqua l'Univers[88], tandis que les peuples chrétiens entouraient la crèche de l'Enfant divin, la Chambre française, plus cruelle que le vieil Hérode, a consommé son attentat contre la foi de nos petits enfants.

Pendant l'année 1881, et les trois premiers mois de l'année 1882, le projet fut, au Sénat, l'objet d'ardentes discussions. La loi fut votée dans son ensemble le 23 mars 1882, par 179 voix contre 108, et promulguée le 29 au Journal officiel. Depuis lors, les interprétations du parti qui la fit voter ont donné raison à l'appréciation de Mgr Freppel, qui écrivait à M. Aulard : Je suis d'avis qu'il ne faut plus recommander à l'instituteur cette chose impraticable et indéfinissable qu'on nomme la neutralité scolaire... Ne disons plus : nous ne voulons pas détruire la religion ; disons : nous voulons détruire la religion[89]. — L'école sans Dieu est l'école contre Dieu, avait dit M. Marcel Sembat, nous n'y pouvons rien[90]. Résolument, tyranniquement au besoin, avait déclaré M. Jaurès, la République doit substituer à l'enseignement chrétien un enseignement rationaliste, matérialiste[91]. Il est juste de dire qu'un certain nombre de républicains, et non des moindres par la dignité de vie et le talent, avaient pris une autre attitude. Dès le début de la discussion, M. Jules Simon avait fait écho aux paroles sévères de l'évêque d'Angers. Il n'y a pas d'école neutre, avait-il dit au Sénat, parce qu'il n'y a pas d'instituteur qui n'ait une opinion religieuse ou philosophique. S'il n'en a pas, il est en dehors de l'humanité ; c'est un idiot ou un monstre. S'il en a une, et qu'il la cache pour sauver ses appointements, c'est le dernier des lâches[92].

 

VI

A côté de l'éloquent évêque d'Angers, de vaillants catholiques, Ni. Keller et M. de Carayon-Latour à la Chambre, M. Chesnelong et M. Lucien Brun au Sénat, avaient défendu pied à pied les droits de la conscience religieuse. En dehors du Parlement, les évêques et la presse catholique avaient aussi mené une campagne énergique pour éclairer l'opinion et pour préparer la résistance. Malheureusement, l'union complète, indissoluble sur le terrain des principes, lorsqu'il s'agissait de flétrir le sectarisme des lois scolaires, ne se retrouvait plus sur le terrain de la pratique, quand il était question d'établir un plan de défense, de rédiger un programme d'action. Avec l'Univers, l'Union, la Gazette de France et un grand nombre de journaux de province, quelques prélats étaient d'avis de résister nettement à la loi, de conseiller, bien plus, d'ordonner aux fidèles la désobéissance à des prescriptions injustes, contraires à la conscience religieuse, d'exclure de la première communion solennelle les enfants qui fréquenteraient l'école laïque, de refuser à leurs parents les sacrements. Abstenez-vous, écrivait l'Univers[93]. Tout concours que les catholiques donneront à la loi tournera contre eux. D'accord avec le Monde, le Français, la Défense et le Moniteur universel, la plupart des évêques reculaient devant ces mesures radicales. Réussiraient-elles ? Si les parents nous résistent, disaient-ils, et il y a quatre-vingts chances sur cent que l'ensemble ne nous suivra point, que ferons-nous ? La situation sera d'autant plus grave, que le gouvernement, momentanément embarrassé par cette sorte de grève, en fera retomber aussitôt la faute sur nous. Tout cela nous conduira à la persécution violente et à la ruine de nos œuvres par la séparation de l'Eglise et de l'Etat : Est-il à propos d'assumer la responsabilité de pareilles conséquences ? Attendons au moins un mot d'ordre du souverain pontife.

Ce mot d'ordre, au gré de quelques-uns, tardait à se faire entendre. Léon XIII était, en ce moment, très préoccupé de trois projets de loi présentés à la Chambre des députés. En novembre 1881, un député radical, M. Boysset, avait proposé l'abolition pure et simple du Concordat de 1801. Quelques jours plus tard, un autre député, M Jules Roche, avait présenté une proposition, plus étudiée et plus radicale, sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat et la sécularisation des biens ecclésiastiques. En février 1882, un troisième projet, sur l'exercice du culte catholique en France, œuvre de M. Paul Bert, semblait devoir être le complément des deux autres, en établissant la subordination du culte et de l'organisation de l'Eglise catholique à l'Etat. Il paraissait bien, en effet, que le parti qui dominait à la Chambre ne voulait séparer l'Eglise de l'Etat que pour l'asservir. Ce dessein apparut avec plus d'évidence, quand on vit la commission nommée par la Chambre pour étudier les trois projets, écarter provisoirement ceux de MM. Boysset et Jules Roche, pour s'arrêter au seul projet de M. Paul Bert. Elle estimait que la séparation, prononcée sans délai, serait prématurée, dangereuse pour la cause de la libre pensée, qu'il importait d'abord de dépouiller et de désarmer l'Eglise, que le projet de Paul Bert, suivant un mot de son auteur, pouvait servir excellemment de préliminaires à la séparation. Sérier les questions, procéder lentement mais sûrement : n'était-ce pas là toute la politique de l'opportunisme, prêchée par Gambetta ?

C'étaient précisément ce but et cette tactique qui effrayaient l'esprit perspicace de Léon XIII ; et c'était la crainte de ne pas être suivi par l'ensemble de la population dans une campagne ostensiblement militante, qui le faisait hésiter à la conseiller. Le gouvernement ne réussirait-il pas à persuader aux masses que cette campagne était inspirée par une hostilité contre les institutions actuelles, à la représenter comme une campagne politique, organisée par un parti politique ? L'illusion serait d'autant plus facile, que les chefs qui poussaient aux mesures radicales, les journaux qui les prônaient, étaient à peu près tous ardents monarchistes. Toute la politique du successeur de Pie IX avait été jusqu'alors, nous l'avons vu, de persuader aux princes et aux peuples que l'Eglise n'était point pour eux un adversaire, mais un auxiliaire en tout ce qui regarde 10 progrès politique, social, intellectuel, de faire tomber tous les préjugés qui avaient pu se produire à cet égard. Etait-ce le moment de rompre brusquement avec cette politique ? Le devoir n'était-il pas au contraire de la pousser jusqu'au bout ? Si l'on ne parvenait pas à conjurer le péril d'une persécution violente, ne pouvait-on pas espérer de l'atténuer, d'en retarder l'échéance, de diviser les adversaires de l'Eglise, d'en éclairer quelques-uns, de mettre les autres pleinement dans leur tort, sinon aux yeux des contemporains, au moins à ceux de la postérité ? Si, en mettant les choses au pire, on ne pouvait rien obtenir pour le présent, ne pourrait-on pas travailler efficacement pour l'avenir ?

Au fond, à examiner froidement les choses, sans parti pris, il semble bien que ce qu'on a appelé la politique du ralliement, politique qui va commencer à se dessiner au milieu même des agitations que nous venons de décrire, n'a pas eu d'autre inspiration que celle que nous venons d'essayer d'analyser. Il ne paraît pas que Léon XIII, en 1883 et 1884, ait eu aucune inclination marquée vers le régime républicain, de préférence au régime monarchique. Le contraire nous paraît même indiscutable[94]. Le successeur de Pie IX nous semble n'avoir eu d'autre idée (la suite de cette histoire le montrera mieux) que de dégager l'Eglise de tout parti politique, en maintenant son action propre sur le terrain constitutionnel, suivant la doctrine si explicitement exprimée par le pape Grégoire XVI, dans sa remarquable bulle du 7 août 1831 : Sollicitudo Ecclesiarum.

C'est dans cet esprit que, le 12 mai 1883, Léon XIII écrivit au Président de la République française. Le Saint-Père commençait par rappeler au Président cette active bienveillance pour le peuple français qui avait toujours réglé l'attitude du Siège apostolique. — Dans votre impartialité et dans votre pénétration, ajoutait le pontife, vous en aurez vous-même trouvé des preuves indubitables dans les attentions délicates que le Saint-Siège a toujours eues pour le gouvernement de votre patrie. Puis il exprimait le vœu que les représentants de la Fille aînée de l'Eglise ne voudraient point perdre cette union et cette homogénéité des citoyens qui a fait la vitalité et la grandeur de la France, et obliger l'histoire à proclamer que l'œuvre inconsidérée d'un jour a détruit dans ce pays le travail grandiose des siècles. M. Jules Grévy répondit : Votre Sainteté se plaint avec juste raison des passions antireligieuses. Mais ces passions, que je réprouve, peut-on méconnaître qu'elles sont nées principalement de l'attitude hostile d'une partie du clergé à l'égard de la République ?... Si Votre Sainteté daignait le maintenir dans cette neutralité politique, qui est la grande et sage pensée de son pontificat, elle nous ferait faire un pas décisif vers un apaisement désirable. Certes, une pareille lettre ne pouvait faire oublier au Saint-Père cette action perfide des sectes qu'il avait si souvent dénoncée, mais Léon XIII y vit le témoignage d'une bonne volonté personnelle, dont l'attitude du Président en plus d'une circonstance lui parut prouver la sincérité, et, sans lui faire illusion sur les résultats immédiats qui pouvaient couronner ses efforts, elle le confirma dans l'Orientation de sa politique.

 

VII

Cette politique, le nonce apostolique qui représentait le Saint-Siège à Paris depuis 1879, Mgr Czacki, en avait déjà préparé les bases.

La personne et la mission de Mgr Vladimir Czacki, archevêque de Salamine, représentant diplomatique du Saint-Siège en France du mois d'octobre 1879 au mois de septembre 1882, ont suscité parmi ses contemporains des appréciations bien divergentes. Le recul du temps permet aujourd'hui de parler de lui avec la calme impartialité de l'histoire. Descendant d'une noble famille de la Pologne hongroise, Vladimir Czacki avait, pendant sa jeunesse laïque, beaucoup fréquenté la société parisienne, où il avait compté parmi ses amis intimes Henri Lasserre, le futur miraculé et historien de Notre-Dame de Lourdes, et Charles de Freycinet, le futur président du conseil des ministres de la République française. A voir son corps débile, chétif, commandé par une âme dont la distinction et l'intelligence se manifestaient par la finesse des lèvres et la vivacité du regard, on pensait instinctivement au mot de Mme de Châtenay sur Joubert : C'est une âme qui a rencontré par hasard un corps, et qui s'en tire comme elle peut[95]. Dès le début de son pontificat, Léon XIII avait compris qu'il trouverait en Mgr Czacki un instrument fidèle de ses vues diplomatiques. Il l'avait aussitôt fait le confident de ses projets, et chargé de négociations délicates auprès du comte de Bismarck[96]. Le prélat y avait fait preuve d'une telle souplesse dans ses démarches et d'une telle conformité de vues avec son souverain, que celui-ci n'hésita pas à le charger en France d'une mission dont les difficultés ne le céderaient pas à celles que le pontife avait rencontrées en Allemagne. Quand, au mois d'octobre 1879, Mgr Czacki fut désigné pour occuper la nonciature de Paris, notre ambassadeur à Rome, le marquis de Gabriac, écrivit à son ministre : C'est un véritable cadeau que, dans sa pensée, le Saint-Père fait à la France, en se séparant d'un homme qui possède sa confiance intime et en nous le donnant... Le nouveau nonce a les intentions les plus larges... Les violents seuls auront le droit de le haïr[97].

Ceux que l'ambassadeur de France appelait les violents étaient ceux qui, de parti pris, se refusaient à toute tentative de conciliation avec le gouvernement, qu'ils le fissent au nom des principes catholiques, comme les rédacteurs de l'Univers, ou au nom de leurs convictions politiques, comme ceux de la Gazette de France et de l'Union. On pouvait dire que le comte de Chambord représentait les uns et les autres. C'est à lui, en la personne de ses deux représentants les plus autorisés, le marquis de Dreux-Brézé et le comte de Blacas, que le nonce s'adressa, dès les premiers jours qui suivirent son arrivée à Paris. Il leur représenta que, tous les anciens partis paraissant définitivement vaincus par les républicains, qu'aucun espoir de restauration monarchique ne subsistant plus, l'heure semblait venue de poursuivre sur le terrain constitutionnel le triomphe des intérêts religieux. La réponse du comte de Chambord ne se fit pas longtemps attendre : Je croyais, répondit-il, que l'Eglise défendait le suicide[98]. Peu de temps après, Mgr Czacki chargeait un diplomate, M. des Michels, de remettre à M. Gambetta une lettre où étaient précisées les conditions auxquelles le clergé français pourrait adhérer à la République. Le chef du parti républicain ne se montra pas plus accommodant que le prétendant au trône : Au prix qu'ils y veulent mettre, dit-il, c'est trop cher[99].

On comprend l'effet produit sur les esprits par cette double démarche et par ce double insuccès. Mais le nonce ne se découragea pas. Aux catholiques qui lui reprochaient amèrement ses relations avec le Président de la République et les chefs du parti républicain, il répondait : Puis-je faire autrement ? Je suis comme un dompteur qui veut apprivoiser des bêtes sauvages ; il faut que je les caresse continuellement[100]. Et il conférait tour à tour avec Jules Grévy, Freycinet, Ferry, Constans, Gambetta. Paul Bert fut le seul des hommes politiques que le nonce ne consentit jamais à voir. Il s'efforçait de les désarmer à force de bons procédés, d'effacer leurs préventions à force d'explications conciliantes. Il défendait pied à pied les droits de l'Eglise menacés, tantôt faisant des concessions pour empêcher une rupture, tantôt menaçant d'une rupture pour obtenir une concession[101]. Les résultats pratiques et immédiats ne furent point nuls, mais ils furent maigres. Ni les lois scolaires, ni la spoliation des religieux, ni l'expulsion des religieuses des hôpitaux civils, ni la suppression des aumôniers dans ces mêmes hôpitaux, ni la loi autorisant le divorce, ne furent empêchées[102]. Deux résultats positifs furent obtenus : pendant les trois ans de sa nonciature, Mgr Czacki parvint à faire nommer aux sièges épiscopaux vacants des évêques d'une irréprochable dignité[103] ; et, pendant ce temps, il eut conscience de faire persévéramment écarter par le gouvernement la question de la rupture du concordat. Ces deux résultats lui paraissaient compenser tous ses déboires et les violentes attaques de ceux que sa politique froissait dans leurs convictions[104]. Il parait bien que tel était aussi le sentiment de Léon XIII.

D'autre part, un parti républicain catholique s'ébaucha. Jusque-là les républicains catholiques n'étaient que des individualités. La plus éminente de ces individualités était M. Etienne Lamy, que nous avons vu se séparer si courageusement de ses amis politiques sur les questions religieuses. En novembre 1882, un journal hebdomadaire parut, ayant pour titre le Républicain catholique, avec l'approbation de Mgr Guilbert, évêque de Gap. En même temps, le pape et son entourage encourageaient vivement l'évêque de Sura[105], Mgr Maret, à composer un grand ouvrage, qui devait, après avoir réfuté les principales erreurs contemporaines, exposer, dans un esprit de pacification, la doctrine catholique. Le livre parut en février 1884, sous ce titre : La vérité catholique et la paix religieuse. Abordant, après l'étude des plus hautes doctrines dogmatiques, le domaine des questions d'actualité, le prélat se prononçait énergiquement pour le maintien du concordat et pour la lutte sur le terrain constitutionnel. Ne voit-on pas, disait-il, que, dans les élections, le peuple donne raison à la République ?... La force principale des ennemis de l'Eglise consiste dans un préjugé fortement enraciné, qui représente le clergé comme essentiellement lié à l'ancien régime et même au moyen âge... Préservons-nous avec le plus grand soin de tout ce qui pourrait donner à ce préjugé une apparence de raison. Quelques journaux protestèrent avec force contre ces dernières lignes. Il est faux, riposta l'Univers, que ce peuple s'attache à ce régime pourri... La République s'en va de tous côtés, laissant échapper partout l'honneur, la liberté, l'ordre, la sécurité, la fortune du pays. Mais l'ouvrage fut loué, dans son ensemble, par le Gaulois, le Soleil, le Clairon et le Pays, comme par le Temps, les Débats et le Figaro[106]. Le Moniteur de Rome et l'Osservatore romano en firent l'éloge[107]. De nombreux évêques envoyèrent à l'auteur des lettres de félicitation. Le livre fut lu par un certain nombre de personnages politiques,  qui en témoignèrent beaucoup de satisfaction ; et les hommes qui travaillaient à l'organisation du nouveau groupe de catholiques purent espérer le succès de leur entreprise.

 

VIII

Sur ces entrefaites, plusieurs graves événements vinrent modifier la situation générale des partis politiques. Le 1er janvier 1883, le chef incontesté du parti républicain, Gambetta, disparaissait par une mort tragique ; le 7 avril de la même année, c'était le tour de l'écrivain le plus influent parmi les catholiques, de Louis Veuillot ; quatre mois après, le 24 août, le comte de Chambord emportait dans la tombé ses invincibles espérances. Si l'on songe que la mort prématurée du prince impérial, en 1879, avait privé de leur chef les impérialistes, c'étaient tous les partis qui se trouvaient à la fois découronnés et affaiblis.

N'était-ce pas le moment, pour les catholiques, de s'organiser fortement, en dehors de tout parti ? Pour les y encourager, Léon XIII adressa, le 8 février 1884, aux évêques de France l'encyclique Nobilissima Gallorum gens, dans laquelle, après avoir rappelé, les attentats commis par les ennemis de l'Eglise, ses propres efforts et ceux de son nonce apostolique pour les conjurer ou pour en atténuer les résultats, enfin les promesses faites par les pouvoirs publics- d'examiner ses réclamations dans un esprit d'équité, il suppliait les chefs de l'Eglise de France de tout faire pour obtenir l'accord des volontés et la conformité d'action. Nos adversaires, disait-il[108], ne désirent rien tant que les dissensions entre les catholiques... Si, pour obtenir l'union, il est parfois nécessaire de renoncer à son sentiment et à son jugement particulier, qu'on le fasse volontiers et eu vue du bien commun... Que chacun préfère l'intérêt de tous à son propre avantage. Les cardinaux Guibert, Desprez et Caverot, se faisant les interprètes de l'épiscopat français, répondirent au Saint-Père : La responsabilité de la crise actuelle ne saurait être imputée au clergé, qui n'a jamais fait d'opposition au régime politique établi en France. Nous aimons à espérer que la parole du Vicaire de Jésus-Christ fera naître dans les esprits les plus prévenus des réflexions salutaires... Quant à nous, évêques, nous serons les premiers à suivre les conseils qui nous viennent de si haut[109].

Malheureusement l'encyclique ne rencontra pas dans la presse catholique la même docilité. Plusieurs journaux continuaient, sous prétexte de défendre les principes, à combattre toute tentative d'apaisement. En vain Léon XIII affirmait-il, avec autant de force que son prédécesseur, la doctrine intégrale ; en vain multipliait-il ses condamnations de la franc-maçonnerie[110] ; en vain écrivait-il, le 27 juin 1884, à Mgr Dabert, évêque de Périgueux : La base essentielle de l'harmonie qui doit régner entre les fidèles, doit être cherchée dans le Syllabus de notre prédécesseur et dans nos précédentes encycliques ; des journalistes continuaient à mettre des entraves à cette harmonie si désirée. Le ti novembre 1884, le Saint-Père se décida à intervenir par un bref adressé à son nouveau nonce, Mgr di Rende : La responsabilité des divisions actuelles, disait le pape, revient, pour la plus grande part, aux écrivains, notamment aux journalistes... Si l'action de la presse devait aboutir à rendre plus difficile aux évêques l'accomplissement de leur mission, l'œuvre d'une pareille presse ne serait pas seulement stérile pour le bien, elle serait, par plus d'un côté, grandement nuisible.

Comprenons bien l'attitude de Léon XIII, à cette heure de son pontificat. Jusqu'ici, il a hautement revendiqué, pour lui et pour son nonce, le droit de négocier avec le gouvernement de la France en se plaçant sur le terrain constitutionnel, suivant la pratique traditionnelle de l'Eglise si bien exposée par Grégoire XVI ; mais jamais encore il n'a commandé ni conseillé formellement aux catholiques de France de le suivre sur ce terrain. Les démarches de son nonce en 1879 ont été plutôt un coup de sonde tenté auprès des chefs du parti royaliste, qu'un mot d'ordre officiel donné aux catholiques français. A ceux-ci il se contente de demander l'union.

Comment cette union va-telle se réaliser ? Après la mort du chef de la branche aînée des Bourbons, le Saint-Père a eu quelque espoir de la voir s'établir sur le terrain royaliste[111]. Cet espoir ne s'est point encore réalisé. Le Saint-Père va, dès lors, suivre d'un œil attentif et vigilant toutes les tentatives faites dans le sens de ses conseils : la Ligue de la Contre-Révolution d'Eugène Veuillot, l'Union catholique d'Albert de Mun, l'Union royaliste de M. de Cazenove de Pradines, l'Union conservatrice de M. Chesnelong, la Coalition boulangiste où prendront place plusieurs catholiques notables. Son intervention personnelle, au milieu de ces essais, tous infructueux, se bornera à faciliter l'union, soit parmi les catholiques, soit entre l'Eglise et l'Etat, par la publication d'une encyclique pacifiante, l'encyclique Immortale Dei, du 19 novembre 1885. Cependant, la franc-maçonnerie, profitant du défaut d'organisation des catholiques, renouvelle ses menées, poursuit la laïcisation du corps enseignant, fait voter la loi scolaire du 30 octobre 1886 et la loi du 15 juillet 1889, qui soumet au service militaire les élèves ecclésiastiques. C'est alors qu'une idée dont M. Raoul-Duval s'est fait l'interprète en novembre 1886, entre dans la voie des réalisations pratiques : c'est celle du ralliement des conservateurs à la République. M. Jacques Piou fonde, à la Chambre, le groupe de la droite constitutionnelle. Le marquis de Castellane, le comte de Mun, le vicomte de Gontaut-Biron, se prononcent, plus ou moins explicitement, dans le même sens. Le parti républicain paraît heureusement influencé par cette attitude. M. Spuller entreprend dans la République française une campagne en faveur de l'apaisement. Le Temps, les Débats et la Paix se prononcent pour la paix d'une manière plus catégorique encore. M. Méline, M. de Freycinet, M. Ferry lui-même, font entendre des paroles de conciliation. C'est alors que le pape Léon XIII, après avoir consulté le cardinal Rampolla, son secrétaire d'Etat, le cardinal Place, archevêque de Rennes, Mgr Ferrata, ancien auditeur de la nonciature à Paris, et quelques autres personnages, se décide, au mois d'octobre 1890, à demander au cardinal Lavigerie une démarche solennelle : l'invitation adressée au clergé et à tous les catholiques de France de se rallier au gouvernement de la République pour en améliorer plus facilement la législation. L'immense retentissement qu'a eu cette démarche, les vives polémiques qu'elle a soulevées, demandent que nous arrêtions particulièrement notre attention sur les événements qui l'ont préparée, sur les circonstances qui l'ont accompagnée, sur les conséquences qui en sont résultées.

 

IX

Le premier essai d'un parti essentiellement catholique fut la Ligue de la Contre-Révolution.

Le 28 août 1884, on lisait dans l'Univers : Un souverain chrétien doit admettre la thèse chrétienne dans toute son intégrité... M. le comte de Paris a-t-il la conception nette des droits de la religion ?... On peut être assuré qu'autour de Philippe VII la troupe des faux sages réclamera à grand bruit le maintien de la Révolution, revue et corrigée dans une certaine mesure[112]. Le rédacteur en chef du grand journal catholique, M. Eugène Veuillot, pensa que le plus sûr moyen de prévenir le malheur redouté serait de ressusciter la fameuse Ligue qui, trois cents ans plus tût, en face d'un péril semblable, s'était fondée pour ramener le roi Henri III dans le droit chemin. Il importe, disait la feuille ultramontaine[113], que le prince n'écarte pas des fonctions publiques les catholiques complets, qu'il soit vraiment le successeur de Charlemagne, de saint Louis... et du grand roi qui n'a pas régné. Et, pour qu'il n'y eût pas d'équivoque sur les revendications de la Ligue, on l'intitula la Ligue de la Contre-Révolution. Mais quel en serait le chef ? Eugène Veuillot, qui venait de succéder à son frère dans la direction de l'Univers, était un écrivain de valeur, au style net, précis et incisif ; mais il avait été personnellement trop mêlé aux polémiques les plus irritantes, pour espérer pouvoir rallier autour de son nom d'autres catholiques que ceux qui suivaient la ligne particulière de son journal. Le titre même de la Ligue de la Contre-Révolution avait aussitôt soulevé les critiques du Français, du Correspondant, de la Défense et du Monde. D'ailleurs, nul n'ignorait que, lorsque le pape avait blâmé les écarts de la polémique de la presse catholique, c'était le journal des Veuillot qui avait surtout été visé. Au surplus, dans l'article même où il exposait le but et le programme de sa Ligue, le fougueux et sincère journaliste ne craignait pas d'exprimer, avec une rudesse qui touchait presque à l'irrespect, son sentiment sur la politique du pape régnant. En d'autres temps, disait-il[114], un légat du pape eût pu prendre la tête du mouvement... Mais le souverain pontife ménage le gouvernement violateur des lois de l'Eglise. Dans ces conditions, quelles chances de succès pouvait avoir la Ligue projetée ? L'Univers, après avoir évoqué un chef dominant les foules, pour les mener à la croisade contre la franc-maçonnerie, concluait en disant : Il nous manque un O'Connell[115].

O'Connell ! ne pouvait-on pas espérer le voir ressusciter, en quelque sorte, en la personne du brillant officier qui, douze ans plus tôt, avait fondé, dans les conjonctures tragiques racontées plus haut, l'Œuvre des cercles d'ouvriers, dont l'éloquence s'était, depuis lors, merveilleusement fortifiée, élargie et enrichie par l'étude, l'expérience des hommes et des choses, les contradictions mêmes de ses adversaires ; et qui, depuis 1876, avait pris une place si éclatante à la tribune parlementaire, le comte Albert de Mun ? Issu de la vieille noblesse, ayant son écusson dans la salle des Croisades à Versailles, il pouvait, plus que tout autre, parler à l'antique aristocratie. Voué au bien de la classe ouvrière, il aurait qualité pour s'adresser au peuple. Catholique avant tout, ayant pris, dès le début de son apostolat, le Syllabus pour programme, il ne serait suspect à personne de biaiser avec la discipline ou de ménager l'hérésie. Le comte Albert de Mun avait toutes ces qualités. Agé de 43 ans, de haute taille, l'air distingué, imposant, jusqu'à paraître un peu fier, doué d'une voix sonore, profonde et souple, l'ancien officier de cuirassiers possédait tous les dons de l'orateur dont l'attitude impose et dont la parole saisit. Mais Dieu lui avait-i donné les qualités du chef de parti, qui met son éloquence au service d'une tactique, qui ne travaille pas moins à se concilier des partisans et à déjouer les plans de ses ennemis par des manœuvres savantes ou hardies, qu'à subjuguer un auditoire par sa parole et par son geste ? Certes, le rôle politique d'Albert de Mun devait être grand. D'un chef, a écrit de lui, au lendemain de sa mort, un juge éclairé et sympathique à sa personne, d'un chef, il posséda tout le prestige extérieur et beaucoup des plus hautes parties. Mais, faute de qualités moins brillantes : opiniâtreté souple, longue prévoyance et bonhomie clairvoyante, il ne pouvait être ni un Windthorst ni un O'Connell[116]. Un Windthorst, un O'Connell auraient-ils pu eux-mêmes vaincre les obstacles qui s'opposaient, en France, de 1884 à 1890, à la formation d'un grand parti catholique ?

Albert de Mun crut que le devoir lui commandait de tenter cette œuvre difficile. Quand cette âme noble et généreuse croyait entendre la voix du devoir, elle était prête à tout affronter, sans mesurer les difficultés de la tâche. Le 6 septembre 1885, dans une lettre publique adressée à l'amiral Gicquel des Touches, il fit connaître son but et l'esprit de son entreprise. Le fondateur des Cercles catholiques d'ouvriers pensait que l'union devait se faire sur le terrain social. Les luttes sociales, disait-il, sont la fatalité de notre temps ; désormais elles domineront toutes les questions politiques, et c'est elles qui décideront de la destinée des nations. De nombreuses adhésions arrivèrent aussitôt au nouveau chef. On remarqua celle de M. de Belcastel : L'action catholique est nécessaire, parce qu'aucun parti politique isolé ne peut, ni aujourd'hui ni de longtemps encore, faire lui-même l'unité morale. La politique d'ailleurs ne prend qu'une part de l'homme, la foi prend l'homme tout entier. Le nouveau parti abandonna le nom de Ligue de la Contre-Révolution et prit celui d'Union catholique. Dans une seconde lettre, datée du 1er novembre 1885, M. de Mun fit connaître son organisation et son programme. L'Union catholique aurait son centre à Paris, des représentants dans chaque département, dans chaque arrondissement et dans chaque commune. Il ouvrirait une souscription permanente, organiserait des congrès spéciaux, userait de tous les moyens autorisés par la loi pour étendre son influence. L'Osservatore romano de Rome, les grands journaux catholiques d'Allemagne, d'Autriche, d'Angleterre, de Belgique, applaudirent à la constitution d'un parti qui allait jouer en France un rôle analogue à celui du Centre catholique dans l'empire allemand.

Cependant, on remarquait la froideur avec laquelle la Défense, le Correspondant et le Monde accueillaient la nouvelle entreprise. On avait noté, dans la première lettre du comte de Mun, une phrase dans laquelle le nouveau chef de parti se proposait toujours, comme principal objectif, de combattre la Révolution, qui, depuis un siècle, abusait le peuple par des promesses chimériques. La froideur des mêmes journaux augmenta quand on vit le comité central de l'Union catholique s'installer aux bureaux mêmes de la Ligue de la Contre-Révolution, quand l'Univers en organisa la propagande en disant : C'est une contribution de guerre que nous sollicitons[117]. Cette œuvre sociale devenait donc une œuvre de guerre, et de guerre, non plus seulement contre les institutions actuelles, mais contre toutes les institutions qui s'étaient succédé depuis un siècle ! Si ce but pouvait se justifier d'une certaine manière aux yeux des catholiques bien informés, ne risquait-il pas d'être très mal compris par les masses, à qui il serait facile de montrer le nouveau parti comme essayant de rétablir par la violence l'Ancien Régime ? D'autre part, les royalistes envisageaient avec amertume cette fusion de leur parti dans une Union, où ils voyaient plutôt un dissolvant qu'une force nouvelle. Des hommes éminemment respectables, tels que M. Chesnelong et M. Keller, refusaient nettement d'en faire partie. On s'explique par là que le Saint-Père, tenu au courant des difficultés croissantes que rencontrait l'entreprise, ait demandé à son fondateur de l'abandonner. Le 9 novembre 1885, le comte de Mun, par une lettre communiquée aux journaux, déclara renoncer à son pro-j et.

Le parti monarchique triompha. Le 18 octobre, M. de Cazenove de Pradines avait écrit[118] : Que parle-t-on de créer un parti catholique ? Ce parti existe depuis longtemps, et il a fait ses preuves : c'est le parti royaliste. Son programme ? Précipiter la chute de la République, hâter le retour de la monarchie. Toute la question est là. Mgr d'Hulst, dans le Monde, se rangea au même avis. La Gazette de France, le Français lui-même, y firent écho. Mgr Freppel se prononça dans le même sens. L'Union royaliste fut fondée. Mais elle rie parvint pas à se développer. La presse maçonnique exploita méchamment certaines phrases inconsidérées et inexactes, écrites par les catholiques au cours de la polémique. Essayer de cacher son but, avait écrit M. de Cazenove de Pradines[119], c'est presque toujours peine perdue. L'insinuation était fausse de tous points. Ni Eugène Veuillot dans sa Ligue, ni Albert de Mun dans son projet d'Union, n'avaient essayé de dissimuler un but caché. Les tactiques avaient pu être imprudentes ; elles avaient été aussi franches que courageuses.

Leurs échecs successifs devaient-ils avoir pour conséquence de faire renaître, avec l'hostilité du gouvernement, les vieilles querelles qu'on avait cherché à apaiser ? Le moment fixé par les élections générales approchait. Treize des principaux représentants catholiques du Parlement, laissant de côté la question constitutionnelle, adressèrent un vibrant appel au pays, dénonçant les projets impies et antisociaux des sectaires, et suppliant les catholiques de chasser de la Chambre ces ennemis de toute foi et de tout droit[120]. L'appel des Treize, comme on l'appela, offrit la base d'un nouveau groupement. Un député impérialiste, M. Paul de Cassagnac, proposa de lui donner le nom d'Union conservatrice. Le nouveau parti, comprenant des conservateurs de toute opinion, mena la campagne, moins contre la République que contre les lois scolaires, la situation imposée aux congrégations et certaines lois ou mesures générales jugées perturbatrices de l'ordre social. M. Chesnelong fut le représentant le plus actif et le plus écoulé du nouveau groupement, dont les campagnes, secondées par divers événements, tels que les nombreuses catastrophes financières qui agitèrent la France au cours des années 1884 et 1885, la politique coloniale de Jules Ferry, la chute retentissante de ce ministre à la date du 30 mars 1885, le désarroi momentané qui s'ensuivit dans le parti républicain, contribuèrent au résultat des élections des et 18 octobre 1885, qui envoyèrent à la Chambre, au premier tour 176 conservateurs contre 129 républicains, au second tour, 200 opportunistes, 180 radicaux et 202 conservateurs : trois groupes à peu près égaux, de telle sorte que les conservateurs, s'ils savaient rester unis, pourraient jouer dans la nouvelle Chambre le rôle du centre catholique au Reichstag, renverser à volonté les opportunistes en s'unissant aux radicaux, débusquer les radicaux en faisant alliance avec les opportunistes.

Ce fut le moment que choisit Léon XIII pour publier, à la date du 19 novembre 1885, une encyclique à laquelle il travaillait depuis longtemps, et dans laquelle il se proposait de pacifier les esprits par l'exposé calme et lumineux des doctrines qui faisaient le principal sujet de leurs dissensions. Nous voulons parler de l'encyclique Immortale Dei sur la constitution chrétienne des Etats. Le document pontifical, rédigé en un style à la fois majestueux, élégant et sobre, se résumait en ces trois propositions, dont tout le reste n'était que le développement et la preuve : 1° Le droit de commander n'est par lui-même lié nécessairement à aucune forme de gouvernement. Par là, le Saint-Père interdisait à n'importe quel parti politique le droit absolu de s'adjuger le monopole de la défense de l'Eglise et de la société. 2° Dieu a divisé le gouvernement du genre humain entre deux puissances, l'une préposée aux choses divines, l'autre aux choses humaines ; et chacune d'elles est suprême en son genre, agit librement dans les limites qui lui sont déterminées. Par cette seconde proposition, le pape se proposait à la fois de répondre aux récriminations des hommes d'Etat trop susceptibles, qui redoutaient les empiétements du spirituel sur le temporel, et de régler le langage de certains catholiques trop ardents, portés à exagérer les droits de l'Eglise sur les pouvoirs civils. 3° Si l'Eglise juge qu'il n'est pas permis de mettre les divers cultes sur le même pied légal que la vraie religion, elle ne condamne pas pour cela les chefs d'Etat qui, en vue d'un bien à atteindre ou d'un mal à empêcher, tolèrent dans la pratique que ces divers cultes aient chacun leur place dans l'Etat. Par là, le pontife entendait dirimer l'éternelle discussion du libéralisme, dans laquelle les intransigeants semblaient vouloir régler la pratique par des principes abstraits, tandis que les libéraux paraissaient donner une portée absolue à des règles légitimées par des circonstances de fait.

Les commentaires de l'encyclique, publiés par Mgr Lavigerie dans un mandement spécial, par Mgr Meignan dans sa brochure Léon XIII pacificateur, et surtout par Mgr d'Hulst dans son étude Le droit chrétien et le droit moderne, contribuèrent beaucoup à en répandre et à en faire accepter la doctrine. Si elle ne mit pas complètement fin aux divisions que le pape avait en vue, elle parvint à dissiper bien des malentendus.

 

X

L'encyclique Immortale Dei fut lue attentivement par les hommes d'Etat et par les publicistes qui s'occupaient des questions religieuses. Elle éclaira bon nombre d'esprits sincères, et désarma plus d'un sectaire passionné. La lecture des journaux de l'époque en donne la preuve. Mais son heureuse influence ne pouvait atteindre directement les politiciens sectaires de la Chambre, qui, vexés des progrès de l'opinion conservatrice, essayèrent à leur tour de resserrer leurs rangs par ce qu'ils appelèrent la concentration républicaine. Il n'est pas téméraire de faire remonter au lendemain des élections législatives de 1885 les sentiments exprimés quelque temps après par le président du Grand-Orient de France, M. Colfavru : Il ne faut pas oublier que nous sommes deux cents députés francs-maçons à la Chambre, que nous sommes l'ennemi du cléricalisme et celui que l'Eglise craint le plus... Nous sommes aussi aujourd'hui les plus actifs alliés de la République radicale[121].

La succession de Jules Ferry au ministère de l'instruction publique et des cultes fut confiée au franc-maçon René Goblet[122], qui avait naguère fait montre de quelque modération, mais qui bientôt mérita d'être appelé le plus rageur et le plus cassant des ministres[123]. Un de ses premiers actes fut, sous prétexte de réaliser des économies prévues par la dernière loi de finances, de supprimer 2.000 vicariats, sans consulter les évêques, sur le simple avis des préfets. Il reprit ensuite le projet de loi sur la laïcité de l'enseignement primaire, qui dormait au Sénat depuis 1884, en fit comme sa chose, en défendit le texte contre tous les amendements des républicains modérés, et, debout sur la brèche pendant plus de deux mois, le soutint presque seul, avec une ardeur et une ténacité qui lui valurent les ovations de la gauche, contre les assauts des meilleurs orateurs de la droite, Mgr Freppel, M. de Mun, M. Chesnelong, M. Buffet, et contre un orateur de la gauche, M. Jules Simon, qui prononça à ce sujet un de ses plus admirables discours. La loi Goblet, comme on l'appela, fut promulguée le 30 octobre 1886. Désormais l'enseignement, dans les écoles publiques de tout ordre, quel que fût le désir de la municipalité ou des parents, devait être confié à un personnel exclusivement laïque ; les congréganistes seraient dorénavant soumis au service militaire, et les prêtres ne pourraient plus faire partie des commissions municipales scolaires. La presse vraiment libérale de tous les partis blâma sévèrement cette loi, qui frappait d'ostracisme toute une catégorie de personnes par le seul fait de leur caractère religieux. C'est une loi autoritaire et jacobine, avait déclaré le Journal des Débats au cours de la discussion[124] ; et la Revue des Deux Mondes avait dit : C'est assurément la plus audacieuse mainmise de l'Etat sur la jeunesse du pays, par un enseignement officiel né d'un esprit de parti et de secte[125]. Le ministre Goblet pressa aussi la discussion d'un projet de loi sur le service militaire des ecclésiastiques, qui, déposé en 1881, ne fut définitivement voté que le 15 juillet 1889. Le but des sectaires, avoué par quelques-uns d'entre eux, était d'entraver, de ruiner par là les vocations sacerdotales.

Grâce aux efforts des catholiques, ni la loi scolaire de 1886 ni la loi militaire de 1889 n'atteignirent les objectifs que leurs auteurs s'étaient proposés. Presque partout, en face de l'école publique laïcisée, s'éleva, par la générosité des fidèles, l'école libre. On a compté que, pendant dix-huit ans, de 1880 à 1898, 7.154 écoles élémentaires et 1.557 écoles maternelles furent ouvertes par les catholiques. Ces écoles renfermèrent à la fois 1.500.000 enfants, tandis que l'Etat, avec tous les secours de son budget et l'intimidation de ses fonctionnaires, n'augmenta sa clientèle que d'environ 40.000 élèves[126]. Quant aux vocations ecclésiastiques, sous l'influence de la loi militaire, elles subirent, de 1889 à 1894, un fléchissement qui les fit descendre de 4.700 à 3.311 ; mais elles se relevèrent, de 1895 à 1899, à 4.681, c'est-à-dire à peu près au chiffre de l'année précédant la loi militaire. Il en fut de même pour les congrégations religieuses[127].

Au milieu des ruines accumulées par ses ennemis, l'Eglise de France attestait sa puissante vitalité. D'autre part, ses persécuteurs se déconsidéraient par les violences de leurs procédés ou parles scandales de leur conduite. Le drame de Châteauvillain, où, le 8 avril 1886, par les ordres de M. Goblet, des gendarmes déchargèrent leurs armes sur des fidèles réunis dans une chapelle privée, souleva un cri d'indignation générale. Les trafics de fonctions publiques et de décorations, dont le gendre du Président Grévy, M. Wilson, se rendit coupable, en s'ébruitant tout à coup au mois d'octobre 1887, rendirent très impopulaire le chef du gouvernement. L'apparition, au mois d'avril 1886, de deux volumes retentissants d'Edouard Drumont, la France Juive, qui révélaient, entre autres méfaits, la collaboration du monde juif et judaïsant à l'œuvre de la franc-maçonnerie, fut aussi un événement considérable, qui, malgré les exagérations et les partis pris incontestables de l'auteur, mit sous los yeux de plusieurs milliers de lecteurs, une plaie très réelle de la société française, et convainquit les pouvoirs publics de l'avoir aggravée au lieu de la guérir.

En se détournant, si lentement et si timidement que ce fût, du monde officiel et persécuteur, l'opinion publique se tournait plus aisément vers le chef auguste de l'Eglise persécutée. Le jubilé sacerdotal de Léon XIII, célébré en 1888, souleva l'enthousiasme des catholiques de France et ne laissa pas indifférents ceux qui étaient étrangers à nos croyances. Le chef même du gouvernement français, le Président Carnot, chargea l'ambassadeur de France, M. de Béhaine, de présenter ses vœux au souverain pontife. Peu de temps après ces fêtes jubilaires, le 20 juin 1888, l'apparition de l'encyclique Libellas, qui développait et complétait, en un langage d'une grande élévation, les enseignements de l'encyclique Immortale Dei, contribua encore, même dans le monde des incroyants, à augmenter la respectueuse considération dont était entouré le pape Léon XIII.

Tandis que ce grand courant de sympathie favorisait l'accord des catholiques entre eux et faisait augurer une accalmie dans la persécution, un singulier épisode faillit entraîner une partie des fidèles dans une aventure. Nous voulons parler de la coalition boulangiste.

Le 7 janvier 1886, M. de Freycinet, chargé de former un nouveau cabinet, avait appelé au ministère de la guerre un général de 48 ans, le plus jeune divisionnaire de l'armée française, le général Boulanger, Le nouveau ministre était surtout connu par son anticléricalisme de parade et son républicanisme bruyant. Mais son arrivée au pouvoir coïncidait avec une des crises les plus graves que le régime républicain eût traversées jusqu'alors. Cette crise s'aggrava. Les mesures de persécution prises contre l'enseignement catholique, en maintenant en alarme les familles chrétiennes, la succession de nombreux désastres financiers, en jetant la perturbation dans l'épargne publique, les scandales de l'affaire Wilson et de plusieurs affaires similaires, en révélant à tous la corruption du monde gouvernemental et parlementaire, soulevaient un mécontentement général, qui, par delà les hommes au pouvoir, atteignait le régime lui-même. Le brillant ministre de la guerre, par ses qualités extérieures, par certaines initiatives démocratiques, par plusieurs démonstrations patriotiques retentissantes, était bientôt devenu l'homme le plus populaire de Paris et de la France. Depuis Bonaparte, nul n'avait été plus célébré par l'image et par la chanson. En mars 1888, on le vit profiter de cette incroyable popularité, pour se jeter hardiment dans la politique. Il se posa comme le redresseur de tous les torts, comme le défenseur de tous les droits lésés. Eugène Veuillot écrivit : Le boulangisme cesse d'être une farce et devient une force. Un programme élaboré par quelques amis du général, Naquet, Laguerre et Rochefort, rallia des mécontents de tous les partis. Le programme tenait en trois mots : Appel au peuple, dissolution et révision. Le comte de Paris, malgré les avis de quelques serviteurs fidèles, tels que Mgr d'Hulst, le duc d'Audiffret, M. Cochin, adopta le programme boulangiste. Mgr Freppel consentit à revoir un discours que devait prononcer Alfred Naquet. Boulanger promit la pacification religieuse. M. de Mun écrivit : Prenons la tête du mouvement, montrons au pays que nous ne craignons pas de lui faire appel[128]. L'Univers et la Croix soutinrent la candidature du général aux élections. Oui, écrivit Veuillot[129], ce régime est vraiment l'ennemi. Nous devons non seulement applaudir à sa chute, mais encore la précipiter. Cependant l'épiscopat, dans son ensemble, observa la plus grande réserve. Léon XIII, sollicité par des amis du général, par le général lui-même, répondit qu'il avait pour principe de rester en dehors des luttes de parti à l'étranger[130], et ne dit pas un mot qui pût être interprété comme un encouragement donné à la campagne boulangiste.

Nous n'avons pas à raconter les divers incidents de cette équipée, car tel est le nom que mérite cet épisode de l'histoire politique contemporaine : la vaste propagande organisée par la Ligue des patriotes, l'imposante manifestation de la gare de Lyon, où le générai refusa de marcher sur l'Elysée, sa disgrâce, son éloignement à Clermont-Ferrand, ses intrigues, sa mise en non-activité par retrait d'emploi, ses campagnes électorales de plus en plus triomphantes, son second refus, le 27 janvier 1889, de marcher sur le palais de la présidence ; puis, tout à coup, le 1er avril 1889, à la menace d'un procès de haute trahison devant la haute Cour, sa honteuse fuite à Bruxelles, qui lui fait perdre, en un jour, tout son prestige, sa condamnation par défaut, le 14 août, à la déportation dans une enceinte fortifiée, et son suicide à Ixelles en 1891. La trace de Boulanger s'effaça, suivant les expressions d'un journal du temps, comme le sillage d'un navire disparu en mer. Mais le résultat de l'aventure fut un discrédit jeté sur la coalition hétérogène qui avait soutenu le prétendant à la dictature. Cet échec détermina beaucoup de catholiques à tenter un accord avec le régime triomphant ; et le pape lui-même fut, plus que jamais, incliné à les prier tous de renoncer à une opposition anticonstitutionnelle, qui n'aboutissait qu'à des désastres[131].

 

XI

Plusieurs hommes politiques, jusque-là appliqués au triomphe de la monarchie, s'étaient déjà rangés spontanément à la tactique dont Léon XIII avait depuis longtemps l'idée bien arrêtée.

Le 6 novembre 1886, un député appartenant au groupe impérialiste, M. Raoul Duval, avait, dans un discours sensationnel, supplié ses collègues de la droite de se rallier à la République ; et, comme on lui demandait, de ce côté de la Chambre, de quelle République il voulait parler : De la République tout simplement, avait-il répondu. Elle n'appartient à aucun ; elle est à tout le monde ; elle est à moi, elle est à vous, si vous y voulez prendre votre place. Quelques semaines plus tard, le 1er décembre, le marquis de Castellane, ancien membre royaliste de l'Assemblée nationale, publia dans la Nouvelle Revue un manifeste conçu dans le même sens. Les appels de M. Raoul Duval et du marquis de Castellane trouvèrent peu d'échos dans l'Assemblée ; l'Univers du 10 novembre traita d'hybrides, de chimériques, de déclassés les cinq ou six députés qui se mirent à leur suite[132] ; mais l'opinion publique fut saisie de la question ; et les deux hommes politiques déclarèrent que c'était elle surtout qu'ils avaient voulu atteindre.

Les élections de 1889, où les conservateurs et les radicaux furent battus, et où les républicains modérés obtinrent une assez forte majorité, furent le point de départ d'une trêve aux luttes religieuses, qui favorisa les progrès de l'idée du ralliement à la République. Le 21 novembre 1889, à l'occasion de la rentrée des Chambres, M. Tirard, président du conseil, dans sa -déclaration ministérielle, prononça les paroles suivantes : La France, par ces dernières élections, a surtout manifesté la résolution d'entrer dans une ère définitive d'apaisement.

Le principal disciple de Gambetta, l'héritier de sa politique, M. Spuller, fit paraître dans la République française une série d'articles en faveur de la pacification et de la bonne entente avec l'Église catholique. Le président Carnot, dans ses voyages à travers la France, se montra courtois, aimable envers le clergé. Les ministres, M. de Freycinet, M. Constans, M. Ferry lui-même, se prononcèrent pour une politique de conciliation. En présence de cette attitude nouvelle, bien des préventions tombèrent. Vers la fin d'octobre 1889, M. de Mun, dans une conversation importante avec un représentant du Pall Mall Gazette, reconnaissait déjà que le nombre des opposants irréductibles à la République diminuait, et il approuvait cette tactique. Le 10 novembre, le Correspondant publia un article du vicomte de Gontaut-Biron, ancien ambassadeur, soutenant la nécessité d'offrir une trêve aux républicains modérés, de rechercher avec eux un modus vivendi.

Le 10 janvier 1890, le Saint-Père fit paraître l'encyclique Sapientiæ dans laquelle il enseignait de nouveau que l'Eglise n'est opposée à aucune forme de gouvernement. Le 7 février suivant, l'Univers, par la plume de M. Pierre Veuillot, se prononça nettement pour le ralliement à la République. Il serait très bon, disait-il, de rétablir la monarchie, certes, si nous le pouvions ! Mais puisque nous ne le pouvons pas C'est l'évidence même, ce pays veut la République... N'y a-t-il pas une expérience à tenter ?[133] Un député de la Haute-Garonne, après avoir fait campagne avec les monarchistes, M. Jacques Piou, s'était déjà concerté avec quelques-uns de ses collègues de la nouvelle Chambre, pour former un groupe dont le programme serait de défendre les droits de l'Eglise et de la conservation sociale en se plaçant sur le terrain constitutionnel, en acceptant la République sans arrière-pensée. MM. de Moustiers, de Jouffroy d'Abbans, Hély d'Oissel et de Montsaulnin, furent, avec M. Pion, les premiers membres du nouveau groupe, qui prit le nom de Droite constitutionnelle. L'Union catholique elle-même, dont les principaux membres, MM. Chesnelong, Keller et Lucien Brun, avaient toujours manifesté une grande défiance envers le gouvernement, se prononçait, par l'organe de son président, le comte Guyot de Salins, pour une politique de conciliation[134] ; et l'Univers, organe officieux du groupement, proposait de confier sa direction à un comité central composé de catholiques choisis dans toutes les nuances[135].

Un prélat, un prince de l'Eglise, qui s'était révélé depuis longtemps comme un grand homme d'action, le cardinal Lavigerie, suivait ce mouvement d'opinion avec une attention soutenue. Dans une lettre pastorale commentant la dernière encyclique de Léon XIII, il déclara que l'heure lui semblait venue de tirer des enseignements pontificaux des conclusions pratiques pour la constitution en France d'une union catholique[136]. Cette lettre ayant trouvé bon accueil parmi un bon nombre d'hommes politiques de diverses nuances, il crut que le moment était venu de presser Rome de parler. Le 5 mars 1890, il écrivit au secrétaire particulier de Léon XIII, Mgr Boccali, pour prier, par son intermédiaire, le Saint-Père d'agir par un coup décisif, car le mouvement vers la conciliation ne faisait, disait-il, que s'accentuer. C'est, je crois, ajoutait-il, l'occasion de ne pas laisser refroidir le fer, pendant qu'il est chaud... Tout semble prêt ; il ne faut pas laisser échapper l'occasion.

Léon XIII, nous l'avons vu, avait déjà nettement déclaré qu'il avait pour principe de rester en dehors des luttes de parti à l'étranger. Son projet, nettement arrêté, était de laisser un Français prendre l'initiative et la responsabilité personnelle du ralliement à la République. Rien ne lui serait plus agréable qu'une pareille décision de la part des catholiques ; mais il croyait plus conforme à son rôle de Pasteur suprême, de se borner à favoriser ce mouvement, à l'encourager, à l'aider, plutôt que de le promouvoir personnellement. Mgr Boccali répondit au cardinal Lavigerie que le pape ne désirait rien plus que cette union, si vivement recommandée par lui, et que, de sa part, il ne manquerait pas à aider à la réalisation de ce but[137].

Plusieurs évêques français écrivirent au pape dans le même sens que le cardinal Lavigerie. Tout ce que pouvait faire Léon XIII, pour rester fidèle à sa tactique, c'était de désigner nommément, parmi les évêques de France qui désiraient le ralliement, celui qui donnerait publiquement le mot d'ordre aux catholiques. Après avoir songé à Mgr Isoard, évêque d'Annecy, à Mgr Perraud, évêque d'Autun, à Mgr Meignan, archevêque de Tours, le souverain pontife fixa son choix sur le cardinal Lavigerie.

 

Du 10 au 14 octobre, l'archevêque d'Alger eut plusieurs longues conférences avec Léon XIII. C'est dans ces entrevues que fut discuté et arrêté, au moins en principe, tout ce qui devait se faire en vue du ralliement des catholiques à la République. Il est donc certain que le pape autorisa, au moins en substance, les graves paroles que le cardinal devait prononcer le 12 novembre suivant et qui soulevèrent de si grandes tempêtes[138].

 

XII

Rentré à Alger le 27 octobre 1890, le cardinal Lavigerie se demandait sous quelle forma et à quelle occasion ii prononcerait les paroles décisives dont le sens avait été arrêté à Rome. L'invitation qui lui fut adressée, de présider, le 12 novembre, un banquet donné en l'honneur de l'escadre de la Méditerranée, venue en rade d'Alger, lui parut une circonstance providentielle. A la fin du repas, après avoir bu à la Marine française, si noblement représentée, il ajouta, d'une voix ferme : Plaise à Dieu que l'union qui se montre ici parmi nous, en présence de l'étranger qui nous entoure, règne bientôt entre tous les fils d'une même patrie !... Sans doute, cette union ne nous demande de renoncer ni au souvenir des gloires du passé, ni aux sentiments de fidélité et de reconnaissance qui honorent tous les hommes. Mais quand la volonté d'un peuple s'est nettement affirmée, que la forme d'un gouvernement n'a rien en soi de contraire, comme le proclamait dernièrement Léon XIII, aux principes qui seuls peuvent faire vivre les nations chrétiennes et civilisées... le moment vient de déclarer enfin l'épreuve faite, et, pour mettre un terme à nos divisions, de sacrifier tout ce que l'honneur et la conscience permettent, ordonnent à chacun de sacrifier pour le bien de la patrie[139].

Le toast du 12 novembre 1890 fut un événement. Les journaux catholiques avant tout, l'Univers, la Croix et le Monde, acceptèrent docilement le mot d'ordre. Que dit au fond ce toast d'une forme si chaude ? écrivit Eugène Veuillot[140]. Il dit que le clergé français, se conformant aux enseignements de l'Eglise, n'est pas foncièrement hostile au régime républicain... Dame ! il n'est pas tentant de se rallier avec cette plénitude au régime que personnifient aujourd'hui MM. Constans, de Freycinet, Rouvier, Guyot, Carnot, que pourra personnifier de nouveau demain M. Jules Ferry. Mais, si la République agit bien, nous sommes prêts à l'en féliciter, sans nous laisser arrêter par la crainte de la consolider en la félicitant. — Catholiques et patriotes avant tout, écrivit M. Levé dans le Monde[141], nous croyons qu'on doit toujours subordonner les considérations de parti aux intérêts de la religion et de la patrie, et, dans l'humble mesure de nos forces, nous avons constamment travaillé à cette union patriotique que le cardinal Lavigerie recommande avec une si grande élévation de sentiments. Les organes du ministère et ceux d'une république modérée, la République française, le Journal des Débats, le Temps, la Liberté, firent aux vibrantes déclarations du cardinal un chaleureux accueil. Mais ces déclarations furent vivement attaquées par les feuilles radicales, telles que la Justice, le Rappel et la Lanterne, et parles journaux royalistes, la Gazette de France, le Gaulois, le Moniteur, qui dirent plus ou moins vivement, mais très nettement, qu'ils tiendraient le langage du cardinal pour non avenu. Les organes impérialistes, la Patrie et le Petit Caporal, se contentèrent de faire des réserves. Le journal de M. Paul de Cassagnac, l'Autorité, qui di fendait également la cause impérialiste et la cause royaliste, parce qu'il était avant tout antirépublicain, alla jusqu'aux insultes. Il qualifia l'acte de l'archevêque d'Alger d'acte de politique puérile, de divagation générale, de capitulation sans condition de la religion chrétienne devant la franc-maçonnerie, d'invitation à baiser les pieds des bourreaux[142]. Le comte de Vanssay, secrétaire du comte de Chambord, publia dans la Gazette de France une lettre confidentielle que, le 25 août 1874, l'archevêque d'Alger avait écrite au prince pour le presser d'en finir avec la République, fût-ce par un coup d'Etat[143]. Le cardinal répliqua : Oui, j'ai été légitimiste et légitimiste militant. Et aujourd'hui me voici devenu républicain par la même raison que j'étais légitimiste hier, l'intérêt bien compris de l'Eglise de France.

En somme, l'union n'était pas faite parmi les catholiques ; elle n'était pas même faite dans l'épiscopat. Une douzaine d'évêques, à la suite de Mgr Isoard et de Mgr Fuzet, déclarèrent nettement accepter la forme républicaine. D'autres, se rangeant derrière Mgr Freppel, ne dissimulèrent pas leurs préférences pour la monarchie. La grande majorité supplia le souverain pontife d'intervenir, et lui suggéra respectueusement une formule plus adoucie que celle du toast d'Alger : affranchir l'Église de France de la tutelle des anciens partis. Léon XIII, ému par la vivacité des polémiques suscitées par les déclarations du cardinal Lavigerie, recommanda d'abord le silence aux journaux qui recevaient les inspirations du Vatican[144] ; il fit connaître ensuite au cardinal Lavigerie son désir que l'autorité du Saint-Siège ne fût pas invoquée à propos de l'adhésion au gouvernement de la République française[145] ; tout ce qu'on pouvait recommander actuellement aux catholiques au nom du pape, c'était de se mettre en dehors des anciens partis pour se placer uniquement sur le terrain religieux[146]. Entre temps, le Saint-Père, recevant en audience les évêques qui faisaient leurs voyages ad limina, encourageait ceux qui adhéraient à la forme républicaine, et demandait aux autres de ne faire aucun acte d'hostilité envers le gouvernement[147]. En agissant ainsi, Léon XIII restait fidèle à sa pensée première. Il avait eu pour but l'union des catholiques ; pour l'obtenir, il refusait de faire sienne une formule qui avait momentanément troublé cette union. Il avait, d'ailleurs, désiré voir les évêques adhérer à la République ; les moyens qu'il prenait étaient destinés à les amener peu à peu à cette détermination. Le 30 mars 1891, un des évêques les plus fermement attachés à la cause de la monarchie, Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, semblait s'orienter lui-même vers la voie indiquée par le Saint-Père, lorsqu'il écrivait : Quand un régime politique a perdu tout appui dans les intelligences, toute racine dans les cœurs, quand il s'écroule lui-même, ceux à qui ce régime était cher sont bien obligés de lui adresser un éternel adieu. Mais en le voyant disparaître et sombrer dans les flots du passé, ils le saluent encore avec la main, comme un capitaine, avant de s'attacher à une épave, salue son navire perdu, qu'une dernière vague va couvrir et rouler dans l'abîme.

 

XIII

Nouveaux En somme, le coup de théâtre du toast d'Alger avait secoué l'opinion, forcé les catholiques à prendre conscience des entraves que mettaient à leur action religieuse leurs divisions politiques et une opposition trop systématique au gouvernement établi ; mais, cet effet produit, il apparaissait bien qu'une attitude trop combative à l'égard des monarchistes ne ferait que déplacer les difficultés. A quoi bon tenter de faire la paix avec les pouvoirs publics, si, par là même, on allumait la guerre entre les catholiques ? Léon XIII fit savoir au cardinal Lavigerie que le moment était venu, après ce que Son Eminence venait de faire, de garder jusqu'à nouvel ordre, c'est-à-dire jusqu'à l'apaisement des esprits, un grand silence, beaucoup de réserve et une extrême prudence[148]. Pour cette phase nouvelle de la politique pontificale, il fallait un homme nouveau. Il parut à un grand nombre de catholiques français que le cardinal Richard, archevêque de Paris, pouvait être cet homme.

Associé au gouvernement du diocèse de Paris, comme coadjuteur du cardinal Guibert, depuis 1875, archevêque de Paris depuis 1886, Mgr Richard, créé cardinal par Léon XIII le 24 mai 1889, jouissait, parmi les fidèles de son diocèse comme auprès de ses frères dans l'épiscopat, d'une universelle vénération. En le présentant à ses diocésains en 1875, le cardinal Guibert avait écrit : Vous le verrez assidu à la prière, appliqué au travail, sensible aux souffrances des pauvres, n'oubliant jamais le caractère de paternité inhérent au gouvernement ecclésiastique, attaché du fond de ses entrailles à la sainte Eglise romaine, à la personne comme aux prérogatives du Vicaire de Jésus-Christ. Le cardinal Richard avait pleinement réalisé cette prophétie. L'Eglise de Paris avait vu passer sur son siège des orateurs plus éloquents, des docteurs plus profonds, des diplomates plus habiles. Le cardinal Richard n'avait ambitionné aucun de ces titres, il avait voulu seulement être un évêque, un saint évêque, et l'on put dire sur sa tombe qu'on n'avait jamais pu lui reprocher d'être sorti de son rôle d'évêque, ou d'avoir manqué à la dignité de son caractère épiscopal[149]. Attaché par les traditions de sa famille et par ses tendances personnelles aux opinions monarchiques, il avait cependant écrit, dans une Lettre pastorale sur le centenaire de 1789 : La cité de Dieu ne repousse pas plus les formes démocratiques des sociétés modernes que les formes monarchiques ou aristocratiques des autres siècles ou des autres contrées. Elle admet l'usage légitime des libertés civiles. Le 2 mars 1891, sollicité par plusieurs personnages importants, il publia une Lettre sous ce titre : Réponse à d'éminents catholiques qui nous ont consulté sur leur devoir social dans les circonstances actuelles. Dans cette Lettre, il rappelait que l'Eglise ne condamne aucune des formes diverses de gouvernement, de même qu'elle ne s'asservit à aucun parti. La question, ajoutait-il, est plus haute que toutes les questions politiques. Il s'agit de savoir si la France restera chrétienne ou si elle cessera de l'être, si l'Eglise sera vaincue par les sectes ou si elle en triomphera. Apportons un loyal concours aux affaires publiques, mais demandons que les sectes antichrétiennes n'aient-pas la prétention de faire d'un ensemble de lois antireligieuses la constitution de la République[150].

Cette Lettre produisit une impression considérable. La plupart des évêques français exprimèrent au cardinal Richard leur approbation. Le cardinal Lavigerie lui-même lui envoya son adhésion. Aucune note discordante ne se produisit parmi l'épiscopat et le clergé. La formule proposée laissait plus de latitude que celle de l'archevêque d'Alger. On ne disait plus : Sortez des anciens partis et adhérez à la République ; mais : Laissez là les questions de parti, et unissez-vous sur le terrain des revendications religieuses. Malheureusement cette latitude même allait permettre à certains hommes politiques de reprendre leurs anciennes positions.

Quelques semaines après la publication de cette Lettre, une nouvelle société, l'Union de la France chrétienne, se fondait sous les auspices de l'archevêque de Paris, avec la bénédiction de Léon XIII. Le comité central était présidé par M. Chesnelong, et comprenait des représentants de l'Univers, de la Croix, du Monde et de la Défense. A la suite de sa première séance, qui eut lieu le 19 juin, il publia une déclaration demandant le concours des honnêtes gens de tous les partis. De cet appel, plusieurs conclurent qu'ils pouvaient continuer à combattre pour leur propre parti. L'Univers déclara qu'il comprenait bien que la cause catholique cessât d'être liée jusqu'à l'absorption aux monarchistes ses amis, mais que ce n'était pas pour la lier au parti des républicains ses ennemis[151]. La Gazette de France alla plus loin, et se crut autorisée à refuser son adhésion à la République. L'Autorité vit même dans la Lettre du cardinal une invitation à la combattre. Le chef du diocèse de Paris n'invitait-il pas à la lutte contre les sectes antichrétiennes ? Et la République était-elle autre chose que la conjuration organisée de toutes ces sectes ? Ces appréciations divergentes n'étaient pas faites pour exciter le dévouement des catholiques à la nouvelle société. D'autre part, les non-catholiques la considéraient avec méfiance. Les fondateurs de l'Union de la France chrétienne, lisait-on dans le Matin du 3 septembre 1891, ne réussiront pas, parce qu'ils personnifient, aux yeux du vulgaire, le royalisme et le cléricalisme unis, et que le parti, de quelque nom qu'il s'appelle, qui traîne ces deux boulets, n'arrivera jamais premier dans la course électorale. La désagrégation de l'Union se faisait à la fois par la droite et par la gauche. Les dissidents de droite, ou bien. reprenaient, comme la Gazette de France et l'Autorité, leurs attitudes combatives contre le gouvernement républicain, ou bien adhéraient, à la suite de Mgr Fava, au Parti catholique. Les dissidents de gauche grossissaient le groupe de M. Piou à la Chambre, se rangeaient autour de M. Jules Bonjean pour fonder l'Association catholique française, autour de M. Gaston David pour constituer la Ligue populaire pour la revendication des libertés publiques. Décidément le programme modéré du cardinal Richard ne donnait pas plus de résultats que l'appel vibrant du cardinal Lavigerie.

Cependant des feuilles nouvelles se fondaient, pleines de jeunesse et d'élan, sur le terrain de l'acceptation franche et loyale de la République. C'étaient à Paris, à côté de l'Observateur français et de la Concorde, l'Avenir national, en province, la Liberté des Hautes-Alpes, la Liberté catholique de Toulouse. Des feuilles naguère légitimistes, orléanistes, impérialistes, s'adaptaient aux idées nouvelles, au régime comme la France nouvelle à Paris, le Bien Public à Dijon, l'Express républicain, à Lyon, le Messager du Midi à Montpellier. Le P. Maumus, dans son livre, La République et la politique de l'Eglise, et l'abbé Méric, dans son étude sur le Clergé et les temps nouveaux, donnaient la même note. Léon XIII jugea que le moment était venu pour lui d'intervenir personnellement, de préciser et de compléter, par un document officiel, le programme du ralliement au gouvernement républicain. Dans son Encyclique aux Français du 16 février 1892, que, par une exception délicate, il rédigea en langue française, le Saint-Père, après avoir dénoncé avec énergie le vaste complot formé par les sectaires pour anéantir le christianisme en France, après avoir reconnu que, depuis quelques années, la législation de la République française était hostile à la religion, posait la distinction célèbre entre les Pouvoirs établis et la législation, et conviait ardemment les catholiques à cesser toute opposition systématique aux pouvoirs établis, pour combattre de toutes leurs forces, par tous les moyens honnêtes et légaux, la législation. L'adhésion pratique à la République, conciliable avec les préférences intimes de chacun, auxquelles le Saint-Père ne voulait s'opposer en aucune manière, lui paraissait commandée, non seulement par l'indispensable union des catholiques entre eux, par besoin d'une meilleure coordination de leurs efforts dans la défense des intérêts religieux, par la nécessité de faire tomber certains préjugés populaires, mais encore par des raisons générales tirées de l'ordre social. Un mois plus tard, le 12 mars 1892, une adresse ayant été envoyée à Rome par M. Chesnelong au nom de la vingt et unième Assemblée des catholiques, le cardinal Rampolla répondit, au nom du Saint-Père, que la bénédiction apostolique était accordée aux catholiques de l'Assemblée, dans la ferme confiance qu'ils suivraient la conduite indiquée par le pape, en se plaçant sue le terrain constitutionnel. Les directeurs de l'Union de la France chrétienne comprirent qu'ils n'avaient plus qu'à dissoudre leur société ; ils déclarèrent que le terrain de la neutralité, qu'ils avaient choisi, ne paraissant plus répondre aux désirs du Saint-Père, ils croyaient remplir leur devoir en se séparant.

 

XIV

De tous les groupes d'action politique et religieuse récemment formés en vue de répondre aux nécessités des temps présents, celui qui bénéficiait le plus des dernières instructions pontificales, c'était évidemment le groupe de la Droite constitutionnelle, fondé par M. Piou. La personnalité de M. Piou, celle de ses deux principaux lieutenants, M. Etienne Lamy, venu à lui des bancs de la gauche républicaine, et M. Albert de Mun, qui venait de quitter, par esprit de discipline et d'obéissance au pape, les bancs de la droite monarchique, ajoutaient leur prestige aux gages d'avenir que possédait le jeune groupement. M. Lamy a tracé de M. Piou le portrait suivant : Courageux, mais d'un courage semblable aux poudres lentes, plus confiant en la continuité des efforts qu'en la violence des coups, lié par ses amitiés, ses origines, toutes les servitudes mondaines, aux monarchistes, autant qu'attiré à la République par sa raison, M. Piou, quand il conçut le projet d'agir sur les conservateurs, se promit avant tout de ne jamais leur devenir suspect... Il allait et venait, de ses idées à ses troupes, résigné à l'apparence d'un double jeu, et résolu à retarder par sa conduite sur ses désirs, jusqu'au jour di il aurait converti à ses désirs ses amis. De M. Lamy lui-même, on lisait dans l'Univers, en 1893, l'esquisse qui suit : Ce n'est pas le tribun aux grands gestes, aux éclats tonitruants, c'est le véritable orateur parlementaire, distingué, courtois, maître de lui-même, sachant ce qu'il veut dire, le disant sobrement, fortement, avec une énergie de pensée qui n'a d'égale que la correction impeccable de la forme[152]. Nous connaissons déjà M. de Mun. A côté de M. Piou et de M. Lamy, qui débattaient surtout la question politique, M. de Mun traitait de préférence la question sociale. Dans un discours prononcé. au Congrès catholique de Toulouse, le fondateur des Cercles catholiques d'ouvriers expliquait ainsi son orientation vers le groupe fondé par M. Piou : Il ne faut pas laisser croire que l'Église est un gendarme en soutane, qui se jette contre le peuple au-devant et dans l'intérêt du capital ; il faut au contraire qu'il sache qu'elle agit dans l'intérêt et pour la défense des faibles. Quand le peuple saura cela, nos efforts seront près d'aboutir.

Tandis qu'en ce noble langage et avec cette auteur de vue, M. Piou, M. Lamy, M. de Mun, suivaient les directions indiquées par le pape, des publicistes, des hommes politiques, les attaquaient vivement et faisaient remonter leurs attaques jusqu'à la personne du souverain pontife. La Gazette de France, l'Autorité, la Libre Parole, qui venait de naître[153], n'hésitaient pas à dire que le pape était mai informé, que du reste il dépassait ses droits. M. Emile Ollivier, dans une série d'articles très regrettables, osait lui prêter la politique de Machiavel. Nous refusons notre adhésion à la forme prétendue légale, écrivait M. de Cassagnac[154] ; nous rejetons à la boite aux ordures et le fond et la forme, l'un valant l'autre. Il est vrai que, du côté opposé, les exagérations n'étaient pas moins regrettables. Dans l'Ami du clergé, M. l'abbé Perriot soutenait qu'en demandant le ralliement, Léon XIII avait parlé ex cathedra, qu'il était infaillible lorsque descendant des principes, il appliquait la solution à un cas déterminé, et décidait que les catholiques français étaient actuellement tenus d'accepter la République[155]. L'Ami du clergé était la revue la plus lue dans les presbytères. Un certain nombre de prêtres en conclurent qu'ils devaient interroger leurs pénitents sur le péché de non-adhésion à la République, et refuser l'absolution aux réfractaires obstinés[156]. De telles exagérations, de telles inexactitudes doctrinales ne faisaient qu'exaspérer les monarchistes récalcitrants. Léon XIII crut devoir, une fois de plus, intervenir, pour mettre les choses au point. Dans une lettre du 3 août 1893, adressée au cardinal Lecot, archevêque de Bordeaux, il qualifia son appel au ralliement de simple exhortation pleine de bienveillance et de paternelle affection, ayant pour but de persuader aux citoyens français d'oublier les vieilles querelles en reconnaissant loyalement la Constitution de leur pays telle qu'elle était établie, et condamna ceux qui s'arrogeaient le droit de parler au nom de l'Eglise. La lettre visait surtout les opposants au ralliement, mais elle atteignait aussi, dans la généralité de ses termes, ceux qui exagéraient ou qui faussaient la portée obligatoire de ses directions.

Les élections législatives eurent lieu le 20 août 1893. Elles envoyèrent à la Chambre une majorité de 311 républicains modérés, contre 264 opposants, radicaux ou conservateurs. Le résultat fut la constitution d'un ministère modéré homogène, le ministère Casimir-Périer-Spuller, qui, se séparant nettement, dès le début, des radicaux, déclara solennellement, le 3 mars 1894, par la bouche de M. Spuller, aux applaudissements du centre et de la droite, que le temps était venu de faire prévaloir, dans la politique générale, un esprit nouveau, d'inaugurer, en matière religieuse, un' véritable esprit de tolérance éclairée, humaine, supérieure, d'apporter dans l'étude des questions qui touchent à la religion, une inspiration d'humanité, de justice et de charité sociale, de reconnaître enfin, dans le pape actuel, un homme qui mérite les plus grands respects, parce qu'il est investi de la plus haute autorité morale.

Les grands espoirs fondés sur la politique du ralliement allaient-ils se réaliser tout à coup Il ne parait pas que Léon XIII se soit fait l'illusion que plusieurs catholiques lui ont attribuée. Il avait toujours, dans ses entretiens particuliers, qualifié sa politique de politique à longue échéance. Il y avait encore trop de passions sectaires à côté des hommes d'Etat qui, avec une sincérité qu'il n'y a pas lieu de mettre en doute, se proposaient d'ouvrir une ère d'apaisement ; il y avait encore trop de germes de division parmi les catholiques pour leur permettre de profiter des ouvertures pacifiques qui leur étaient faites. Les trois chefs qui avaient pris le mot d'ordre de Léon XIII, M. Piou, M. Lamy et M. de Mun, étaient restés sur le champ de bataille ; et leur échec était dû à l'opposition ou au peu de zèle qu'avaient montré à leur égard un certain nombre de membres des anciens partis. Au lendemain des élections, ces dissidents, dont la défaite n'avait pas été moins retentissante dans les circonscriptions électorales où ils s'étaient présentés et qui pouvaient aussi attribuer leur insuccès à la froideur ou à l'opposition des catholiques républicains, manifestèrent leur mécontentement avec une amertume qui n'épargna point le pape lui-même. Ils parlèrent des vieux renards du Vatican, de la coalition de Rome et du Grand-Orient. Edouard Drumont demanda où étaient les chevaliers français capables de manier le gantelet de fer avec lequel Nogaret souffleta Boniface VIII[157]. Des divergences de vues, se traduisant, ici par des scissions ouvertes, là par des remaniements subits de rédaction, ailleurs par des hésitations qui paralysaient le zèle, se produisirent au sein même de la presse qui s'était placée sur le terrain purement catholique. Le 1er juillet 1893, deux rédacteurs de l'Univers, M. Arthur Loth et M. Auguste Roussel, fondèrent le journal la Vérité, avec lequel M. Eugène Veuillot engagea aussitôt une polémique souvent aigre ou violente. Peu de temps après, l'entrée au journal le Monde de quelques jeunes collaborateurs très ardents dans le sens du ralliement, devait aboutir à une réorganisation complète du journal en 1895. La Croix avait bien dit, par la plume de son rédacteur en chef, le R. P. Picard : Le pape nous demande d'accepter la République, acceptons-la[158]. Mais cette acceptation, faite par pure obéissance, avait été bien froide. Quelques mois plus tard, le Supérieur général des Augustins de l'Assomption répondait au Saint-Père, lui demandant ce qu'il pensait de la politique du ralliement : Très Saint-Père, je n'en augure rien de bon[159]. Parmi ceux qui défendaient avec le plus d'ardeur cette politique, il s'en trouvait, d'ailleurs, qui n'avaient pas la sagesse des trois chefs éminents dont nous avons parlé. La farouche intransigeance qu'ils mettaient à prôner l'obéissance au pape devenait suspecte quand on se rappelait la désinvolture avec laquelle ils avaient critiqué naguère le Syllabus, l'encyclique Quanta cura, tous les actes pontificaux en général, la hardiesse qu'ils avaient apportée dans la défense des prérogatives de la société civile contre celles de l'Eglise, des droits de la conscience individuelle contre ceux de l'autorité[160].

 

XV

Un incident accusa ces malheureuses divisions intérieures, les exaspéra, les mit au grand jour, les révéla aux sectaires, toujours à l'affût de ce qui pouvait affaiblir les catholiques et favoriser leurs projets, et ne fut peut-être pas sans quelque influence sur la reprise de l'offensive anticléricale qui se déchaîna peu après. Je veux parler des discussions pénibles qui s'élevèrent à propos du droit d'abonnement.

Qu'était-ce que ce droit d'abonnement ? Une modification du droit d'accroissement, dans le seul but, disait-on, d'en rendre l'évaluation plus certaine et la perception plus facile. Nous avons vu qu'une loi de 1884 avait assujetti les congrégations religieuses reconnues par la loi à des taxes exorbitantes, dites droit d'accroissement, exigibles à partir du 1er décembre 1885. Mais ce nouvel impôt, superposé aux impôts de droit commun et à l'impôt spécial de mainmorte, que payaient déjà ces congrégations, leur avait paru tellement injuste dans son principe, tellement odieux dans ses dispositions, qu'elles avaient opposé aux réclamations du fisc une résistance énergique, les unes par un refus renouvelé à chaque sommation, les autres par des recours aux tribunaux. Après dix ans de luttes, l'Etat, lassé de tant d'oppositions, résolut de modifier la malheureuse loi. Pour rendre la perception de l'impôt plus facile, le législateur transforma le droit d'accroissement à percevoir à la mort de chaque religieux, en un droit annuel d'abonnement, fixé suivant une moyenne calculée des décès. Pour enlever à la perception ses caractères les plus odieux, il en exempta les biens affectés à des œuvres charitables ou patriotiques, et substitua à la déclaration multiple, qui amenait des exagérations monstrueuses, la déclaration unique. Mais la loi du 16 avril 1895 prétendit atteindre, outre les congrégations reconnues, les congrégations non reconnues elles-mêmes.

Quelle allait être l'attitude des congrégations religieuses en présence de la nouvelle loi ? La situation des unes et des autres n'était pas la même. Toutes étaient décidées à la résistance ; mais cette résistance pouvait difficilement prendre la même forme. La plupart, on peut dire l'unanimité des congrégations non reconnues, avaient eu soin, dès l'origine de la persécution fiscale, de régulariser leurs titres de propriété, de s'organiser sous des formes légales. Pour éviter les impôts injustes dont on les menaçait, les unes avaient cédé leur avoir à des sociétés anonymes, les autres avaient renouvelé leurs statuts et éliminé les clauses d'adjonction et de réversion, les autres avaient fait passer leurs biens entre les mains d'un ou de plusieurs propriétaires individuels, laïques ou religieux. La résistance, pour ces congrégations, ne pouvait consister qu'à plaider devant les tribunaux, en se plaçant sur le terrain de la légalité. C'était la résistance légale ou judiciaire. Telle fut l'attitude des jésuites, des dominicains, des franciscains, etc. Pour les congrégations reconnues, la situation était plus difficile. Celles-ci n'avaient pas eu la faculté de changer le régime de leurs biens, de manière à pouvoir dire au fisc, lorsqu'il se présenterait à elle : La nouvelle loi ne nous concerne pas. Mais quelques-unes d'entre elles crurent trouver avantage à opposer également au fisc une résistance judiciaire. Elles résolurent d'engager des procès, de plaider, par exemple, pour revendiquer comme propriété particulière telle ou telle portion des biens saisis, pour les conserver entre les mains d'un comité de rachat, etc. Ces procès, s'ils ne leur donnaient pas gain de cause, saisiraient du moins l'opinion, leur permettraient, en tout cas, de gagner du temps. D'autres congrégations, ne trouvant pas, dans l'organisation de leurs propriétés, cette ressource, furent touchées par les considérations de certains jurisconsultes catholiques[161], qui conseillèrent vivement à leurs supérieurs de n'engager de procès que dans les cas où ils auraient quelques chances de gain, car la perte de ces procès et le refus de payer entraîneraient la saisie immédiate de leurs biens, la ruine de leurs œuvres. Etait-ce à propos de s'exposer à un tel péril, dans l'espoir très problématique de soulever l'opinion en leur faveur ? Ne pouvait-on pas espérer de plus sérieux résultats d'une campagne de presse et de tribune, qui pourrait aboutir à une transformation de la loi ? S'en tenir à cette forme de résistance, qu'on appela résistance parlementaire, parut plus opportun à cinq congrégations reconnues : celles des Pères du Saint-Esprit, des Prêtres de Saint-Lazare, des Prêtres de Saint-Sulpice, des Prêtres des Missions étrangères et des Frères des Ecoles chrétiennes. Il leur sembla aussi qu'elle était conforme aux directions générales du Saint -Siège, recommandant de se placer autant que possible sur le terrain de la légalité, en évitant tout ce qui pourrait avoir l'apparence d'une opposition systématique ou violente contre le gouvernement.

Au fond, cette diversité de tactique dans la résistance, adoptée par les congrégations, paraissait justifiée par les situations différentes de chacune d'elles, et semblait conciliable avec un accord moral complet. Le Saint-Père, consulté, répondit que le Saint-Siège entendait laisser pleine liberté aux supérieurs des congrégations d'adopter la conduite qu'ils jugeraient la plus convenable à la défense de leurs intérêts[162].

Mais quand cette Lettre pontificale fut publiée, un certain nombre de religieux, d'écrivains laïques, d'hommes politiques, avaient déjà rêvé d'organiser une résistance générale avec un plan commun d'action. Un comité de religieux se réunit à Paris, rue des Fossés-Saint-Jacques, et décida, malgré la protestation de plusieurs de ses membres, que, puisque toutes les congrégations étaient décidées à la résistance, un mode uniforme de résistance leur serait indiqué[163]. Ce mode, qualifié de résistance passive, consisterait à refuser les paiements de l'impôt et à subir toutes les conséquences de ce refus. Après tout, écrivit un religieux, si l'on songe à la situation du pape et à la réserve qu'elle lui impose... on peut voir... sous la liberté laissée, en dépit de tout, un secret désir qu'on résiste[164]. Une pareille interprétation de la parole du pape parut bien arbitraire, voire même assez irrévérencieuse, à plusieurs esprits sages et pondérés.

Les raisons qu'avaient fait valoir les diverses congrégations pour adopter des tactiques particulières subsistaient, et le texte comme l'esprit de la réponse pontificale leur paraissaient nettement favorables à cette diversité d'action. Malheureusement la presse et la politique se mêlèrent à cette affaire, qui réveilla toutes les vieilles disputes entre intransigeants et libéraux, entre monarchistes et ralliés. Il faut lire les journaux de l'époque pour se rendre compte de l'incendie terrible allumé par cette question du droit d'abonnement. L'Univers et la Vérité, le Monde et la Croix entamèrent des polémiques fort vives. La Libre Parole se montra particulièrement violente contre les cinq congrégations décidées à payer l'impôt pour éviter la ruine certaine de leurs œuvres. Cette animation pénétra malheureusement dans le comité lui-même. Le R. P. de Scorraille, de la Compagnie de Jésus, ayant, dans un mémoire sur la Religion et le fisc, laissé entrevoir que peut-être il faudrait payer, un éclat de rire accueillit cette proposition. Résistance oratoire, s'écria-t-on[165]. Le R. P. du Lac, de la même Compagnie, ayant proposé d'avoir, pour décider de questions absolument différentes, deux centres de réunion, l'une pour les reconnus, l'autre pour les non-reconnus, sa proposition fut rejetée[166]. Les conséquences de pareils procédés étaient faciles à prévoir. Après la clôture des débats, un membre de la Compagnie de Jésus qui y avait pris part et qui y avait défendu la tactique de la diversité dans la résistance, le R. P. Prélot, directeur des Etudes, écrivit au président de ce comité : Vous vouliez, dans de très louables intentions, et dans l'espérance d'opposer un rempart inexpugnable aux entreprises du gouvernement, établir l'uniformité matérielle des congrégations ; vous avez détruit leur union morale. A force de vouloir rétrécir le champ de bataille, en prohibant toutes les armes à l'exception d'une seule, vous avez paralysé la plupart des volontés ; pire que cela, non seulement vous vous êtes privés d'un concours précieux, vous avez transformé vos auxiliaires naturels en ennemis ; en décrétant que toute résistance autre que la résistance passive n'était que lâcheté et pusillanimité, vous avez blessé ceux qui devaient faire cause commune avec vous : triste condition, n'est-il pas vrai ? pour les luttes présentes et futures ![167]

En effet, cette obligation d'une résistance passive, uniformément imposée par le comité à toutes les congrégations religieuses, en dehors des directions du pape, contrairement même, ce nous semble, à ces directions, avait en outre le double vice d'être à la fois injuste et funeste : injuste, parce qu'elle plaçait les reconnus et les non-reconnus dans des conditions toutes différentes, ceux-ci pouvant facilement échapper à l'impôt par des voies légales, ceux-là réduits à se laisser spolier, sans recours légal possible ; funeste, parce que, outre la ruine immédiate, désormais inévitable, à laquelle elle exposait de nombreuses œuvres, cette tactique mettait la division entre les congrégations religieuses, et était de nature à ameuter l'opinion publique contre les congrégations reconnues, représentées désormais comme pusillanimes et lâches.

Le caractère injuste et funeste de ces conséquences devint, d'ailleurs, si manifeste, qu'on vit plusieurs des religieux qui avaient prôné la résistance passive avec le plus d'ardeur, recourir, pour défendre leurs biens menacés, à la résistance judiciaire.

 

XVI

Heureusement, tandis que l'action catholique, telle que le pape Léon XIII avait voulu l'organiser, s'affaiblissait sur le terrain politique par ces luttes intestines, elle réalisait, d'autre part, dans le monde intellectuel le plus élevé, de précieuses conquêtes. Deux hommes éminents, d'origines et de tempéraments divers, venus, pour ainsi dire, des deux points les plus opposés de l'horizon, M. Ferdinand Brunetière et M. Léon Ollé-Laprune, furent les promoteurs principaux de ce progrès. L'apparition, en janvier 1895, dans la Revue des Deux Mondes, de l'article de M. Brunetière intitulé Après une visite au Vatican, et la publication, en mai de la même année, de l'étude de M. Ollé-Laprune, Ce qu'on va chercher à Rome, sont deux événements qui ont leur place dans l'histoire de l'Eglise de France sous le pontificat de Léon XIII.

Parti du positivisme le plus radical et de l'évolutionnisme le plus absolu, uniquement appliqué d'abord à l'étude de la littérature, puis saisi peu à peu par celle des problèmes sociaux, profondément influencé par le génie de Bossuet, qu'il admire par-dessus tous les écrivains anciens et modernes, Brunetière se voit logiquement entraîné de l'étude des questions sociales à celle des questions morales, et de l'étude des questions morales à celle des questions religieuses. La lecture des encycliques de Léon XIII lui fait faire un pas de plus, en lui révélant que l'Eglise catholique n'a pas seulement en elle le ferment moral capable de dompter les passions humaines et le système de gouvernement capable d'organiser les rapports sociaux des hommes entre eux, mais qu'elle a le pouvoir, tout en restant fidèle à ses dogmes immuables, de développer, de comprendre, de diriger sans les déformer tous les mouvements de la vie historique de l'humanité. Le pape ne vient-il pas de reconnaître la légitimité de la forme républicaine et démocratique, de revendiquer pour les travailleurs le droit de se mettre à l'abri de toute misère imméritée ? M. Brunetière, en développant ces idées dans la Revue célèbre dont il est le directeur et qui atteint les esprits les plus cultivés de la France et des deux mondes, les force à discuter la grande question religieuse, telle qu'elle se pose à la fin du me siècle. Son influence personnelle est, d'ailleurs, immense. Professeur de littérature à l'Ecole normale supérieure, il s'impose à tous par sa vigueur, par son éloquence, par la liberté de ses aperçus. Un de ses élèves, et non pas des plus dociles, écrira au moment de sa mort : Il forma pendant vingt ans tous les professeurs de France. Ceux qui secouaient son joug en gardaient quand même l'empreinte... Qu'ils le sachent ou non, tous les hommes de ce temps qui font usage de leur cerveau, doivent quelque chose à Ferdinand Brunetière[168].

C'est pareillement à l'Ecole normale supérieure qu'enseigne M. Léon Ollé-Laprune.

Initié dès son enfance à la foi et à la piété chrétienne par un enseignement très solide et des exemples très purs[169], et n'ayant jamais séparé son œuvre de sa vie[170], Léon Ollé-Laprune, dès son premier ouvrage, s'était affirmé catholique. En 1898, un jeune écrivain ayant cru pouvoir proposer comme terrain d'entente entre les hommes un vague effort moral, M. Ollé-Laprune était intervenu avec décision, et avait consacré un vigoureux ouvrage, les Sources de la paix intellectuelle, à démontrer que la paix véritable ne saurait être obtenue par l'effacement des idées et des personnes, mais seulement par l'action des caractères les plus fermes s'appuyant sur la doctrine la plus précise et la plus complète[171]. Mais ce catholique, si intransigeant sur le dogme et sur la morale, avait toujours eu l'horreur de l'esprit de coterie, de secte et de parti... Il avait eu le courage le plus rare, celui de ne jamais redouter la lumière et la justice, de quelque vêtement qu'elles fussent recouvertes[172]. La pensée de Léon XIII, telle qu'il l'avait connue dans ses premières encycliques, avait conquis son admiration. Une audience qu'il obtint du Saint-Père dans les premiers jours de l'année 1895, lui inspira l'article qui parut dans la Quinzaine, sous ce titre : Ce qu'on va chercher à Rome, puis trois articles que publia la Réforme sociale, intitulés : Attention et courage. Il constatait, lui aussi, comme Brunetière, que l'Église apporte à la société un principe d'affermissement[173], mais il reconnaissait en même temps que le mot progressiste, que les radicaux accaparaient, sortait de leurs mains[174], que les mots catholique et républicain ne semblaient plus hurler d'être accouplés ensemble[175]. Or l'influence d'Ollé-Laprune, pour s'exercer par d'autres dons naturels que ceux de Brunetière, n'était pas moins grande. Elle était certainement plus profonde, plus durable, plus féconde et plus sûre. L'action de M. Ollé-Laprune, a écrit M. Boutroux, ne s'exerça pas uniquement dans l'Université et dans le monde... Sans le chercher, il exerça une remarquable influence sur Faction religieuse dans la société. Il se Nit invité à prendre la parole au grand séminaire de Chartres, au grand séminaire de Saint-Sulpice, à monter dans la chaire du collège romain de la Minerve. Les jeunes universitaires qui, en 1894, entrèrent dans la rédaction du Monde, ceux qui, en 1896, collaborèrent à la Quinzaine, étaient presque tous ses disciples ; les jeunes gens qui, eu 1893, fondèrent la Crypte, et, peu après, le Sillon, s'inspirèrent de ses doctrines, et prirent pour devise la parole par laquelle il aimait à résumer toute sa méthode : Aller à la vérité avec toute son âme. Par Georges Goyau, Victor Delbos, Maurice Blondel, Bernard et Jean Brunhes, Gabriel Audiat, Victor Giraud, Louis Arnould et tant  d'autres, la pensée d'Ollé-Laprune, sa manière, à la fois très ferme et très souple, d'entendre le catholicisme, allaient se propager dans le monde.

 

XVII

Est-ce à dire que les jeunes catholiques dont nous venons de par :er surent toujours se garder, dans leurs campagnes ardentes, de toute exagération, de toute imprudence, de toute erreur ? On ne pouvait l'espérer. Tandis qu'ils se frayaient des voies nouvelles vers des objectifs encore inexplorés, plus d'une fois, avertis par leur propre expérience, ou par les observations d'amis plus sages, ou par celles du souverain pontife lui-même, ils se virent obligés de rectifier leurs tactiques ou leurs idées. Ajoutons que leur route fut souvent obstruée par des esprits chagrins ou malveillants, mal inspirés par la routine, par les préjugés, par une incompréhension systématique de leur tâche. Le Monde, alors dirigé par l'abbé Naudet, ne résista pas à cette double cause de ruine. Comme il avait soutenu la cause de la résistance judiciaire et parlementaire, le public, attentif au côté superficiel des choses, se laissa influencer par les accusations de lâcheté, par les qualifications de soumissionnistes, qui furent jetées à la face des rédacteurs du journal ; les désabonnements se multiplièrent, et la feuille catholique succomba. L'Univers et la Vérité, en se combattant, s'affaiblirent l'un l'autre. La division s'introduisit, à propos de questions analogues, dans l'œuvre des Cercles catholiques d'ouvriers. Son fondateur, le comte de Mun, ayant soutenu le gouvernement dans la discussion d'une loi contre les anarchistes, M. l'abbé Maignen, des Frères de Saint-Vincent-de-Paul, directeur du cercle d'ouvriers de Montparnasse, berceau de l'œuvre, écrivit dans la Libre Parole : Nous sommes de ceux qui n'ont pas le droit d'oublier ce qu'ils doivent à M. de Mun ; mais nous ne pouvons oublier non plus qu'il nous devait de ne pas descendre si bas[176]. Le jour même où parut dans la Libre Parole la lettre de M. Maignen, le Supérieur général des Frères de Saint-Vincent-de-Paul lui retira la direction du cercle de Montparnasse. L'incident produisit une grande émotion ; et l'on put dès lors remarquer, dans la pieuse et très méritante Société, des ferments de désagrégation qui devaient, vingt ans plus tard, amener une lamentable catastrophe.

En présence de ces divisions, la franc-maçonnerie redoubla d'audace. Les membres modérés du gouvernement se sentirent débordés. Ils cédèrent aux injonctions de la secte.

La fin de l'année 1895, on l'a plusieurs fois remarqué, divise l'histoire de la politique religieuse de la troisième République en deux périodes très distinctes. Avant cette date, la franc-maçonnerie se défendait, au moins publiquement, de faire de l'anticléricalisme, ou même de faire de la politique ; l'opposition à peu près unanime des catholiques au gouvernement pouvait servir de prétexte aux francs-maçons pour dire qu'en combattant l'Eglise, ils faisaient simplement actes de citoyens dévoués aux institutions actuelles de leur pays. Mais lorsque les directions de Léon XIII eurent augmenté le nombre des catholiques adhérant au régime républicain, lorsque les déclarations de M. Spuller sur l'esprit nouveau eurent assuré à ceux-ci une place dans le parti, la maçonnerie eut l'impression que son alliance de fait avec le gouvernement républicain allait être compromise, qu'une de ses grandes forces allait lui échapper. De là, les vœux multipliés qu'on la vit adresser aux pouvoirs établis, les intrigues qu'elle poursuivit pour pousser ses adeptes au pouvoir, les sommations qu'elle adressa aux ministres qui parurent s'écarter de son programme, les audacieux compliments par lesquels elle essaya de s'attacher les hommes du pouvoir qu'elle crut susceptibles d'être gagnés par ce moyen. D'autre part, poussés par un sentiment analogue, les hommes à esprit sectaire qui détenaient l'autorité, en vue de se défendre contre les nouveaux venus que le ralliement de Léon XIII et l'esprit nouveau de Spuller amenaient à la République, éprouvèrent le besoin de se lier plus étroitement à la franc-maçonnerie. Vers la fin de l'année 1895, à la suite d'un congrès des Loges de l'Est, une brochure circula, ayant pour titre : Nécessité de refaire à l'image de l'unité maçonnique l'unité du parti républicain et d'emprunter à la doctrine maçonnique lès idées directrices qui permettent de grouper dans une action commune les éléments du parti républicain[177]. A partir de ce moment, ce fut une idée courante que l'idée républicaine implique une doctrine, et que cette doctrine s'exprime par le mot de laïcisme ou d'anticléricalisme. Par cette tactique, les républicains sectaires qui détenaient le pouvoir espéraient obtenir un triple résultat : 1° mettre un obstacle infranchissable à l'entrée des catholiques dans le parti républicain et à leur participation au pouvoir ; 2° les présenter de plus en plus au peuple comme des hommes systématiquement opposés aux institutions modernes, à la volonté populaire ; 3° enfin ruiner par là même les œuvres de bienfaisance sociale que beaucoup de catholiques, encouragés par Léon XIII, venaient d'entreprendre et par lesquelles ils commençaient d'exercer une influence sérieuse sur les populations ouvrières et agricoles.

Le triomphe de cette tactique fut marqué par l'arrivée au pouvoir, le 1er novembre 1895, du ministère Léon Bourgeois. Subitement, la maçonnerie escaladait le Capitole. M. Léon Bourgeois était au pouvoir avec sept de ses Frères[178], et devait déclarer, deux ans plus tard, dans une loge, que s'il avait tenu alors à marcher de l'avant, c'était parce qu'il savait devoir être suivi par tous les maçons de France. L'installation de M. Félix Faure à l'Elysée en 1895 avait été, à certains égards, une défaite de la faction maçonnique ; mais, dit M. Georges Goyau[179], la maçonnerie, par un acte de haute politique, transforma sa défaite en victoire. Elle retrouva, dans le passé de M. Félix Faure, certains liens d'initiation contractés au Havre, en 1865, à la Loge l'Aménité, et le souvenir de conférences qu'il avait faites plus tard dans cette loge... M. Bourgeois sut organiser, autour des voyages de M. Félix Faure, de vraies mobilisations maçonniques.

Mais si grande que fût l'activité maçonnique du président du conseil, si grave que fût cette sorte d'accaparement du Président de la République par la secte, le grand danger n'était pas là. Il n'était pas même dans la manifestation que venait de faire la maçonnerie en acclamant comme Président du Grand-Orient de France le citoyen Lucipia, ancien membre de la Commune, jadis condamné au bagne pour complicité dans l'assassinat des dominicains d'Arcueil, lequel déclara que bien que ses cheveux eussent blanchi, il serait le même si les circonstances redevenaient les mêmes[180]. Le péril était dans l'arrivée au pouvoir, comme ministre de l'instruction publique, d'un sénateur à peu près inconnu jusque-là, et qui devait, dans la suite, symboliser la lutte violente contre l'Eglise, M. Emile Combes. D'intelligence commune, d'une éloquence dépourvue de tout éclat, d'un aspect extérieur dénué de tout prestige, ii n'avait rien dans ses antécédents qui fût capable d'attirer sur lui l'attention publique, mais ses frères en maçonnerie avaient sans doute eu l'occasion d'apprécier son dévouement docile, entier, obstiné à la secte, car ils disaient de lui : Il étonnera par la hardiesse de ses vues et par le radicalisme de ses réformes[181].

Sans être jamais entré dans les ordres, M. Combes avait d'abord porté l'habit ecclésiastique, et, pendant cette période, soutenu devant la Faculté de Rennes, une thèse de doctorat d'un mérite très ordinaire, sur la Psychologie de saint Thomas d'Aquin. Puis, subitement, il avait abandonné à la fois et l'habit ecclésiastique et toute pratique religieuse, était venu à Paris, où on l'avait vu successivement étudiant en médecine, expéditionnaire dans un ministère, publiciste défendant la cause impériale jusqu'à la chute de l'empire, soutenant les idées conservatrices sous l'Assemblée nationale, bataillant pour l'opportunisme au temps de l'apogée de Gambetta, pour le boulangisme au moment où un nouveau Bonaparte semblait se lever sur la France, et finalement embrassant avec ardeur les idées les plus avancées du radicalisme. Au demeurant, homme austère, qui saura, au milieu de scandales financiers de tout genre, garder un bon renom de probité. Ceux qui l'ont approché assurent même que la foi religieuse n'a jamais été morte chez lui et que les violences de ses paroles et de ses actes n'ont peut-être été que les efforts répétés d'une volonté cherchant à étouffer de vieux remords sans cesse renaissants. Maire de la ville de Pons, dans la Charente-Inférieure, depuis 1875, conseiller général de son canton depuis la même époque, il avait été élu sénateur, le dernier de la liste républicaine, le 25 janvier 1885. Il comptait alors cinquante ans. De 1885 à 1895, rien ne l'avait mis en évidence dans le palais du Luxembourg. Il n'en avait pas été de même sans doute dans les loges maçonniques, où l'on paraît avoir fondé sur lui de grands espoirs. Ces espoirs ne furent pas trompés. A partir de 1896, Emile Combes va incarner le sectarisme le plus étroit et le plus cynique. Au pouvoir, il prendra les allures d'un dictateur ; momentanément supplanté, il s'imposera à ses remplaçants comme un conseiller indispensable ; dans toutes les spoliations, dans toutes les persécutions qui se succéderont de 1896 à 1906 et qui auront pour couronnement la séparation brutale de l'Eglise et de l'Etat, on trouvera sa main ou son inspiration ; il subordonnera tout à la lutte contre l'Eglise catholique ; et, le jour où les forces socialistes lui paraîtront un appoint nécessaire dans cette lutte, il fera alliance avec le socialisme.

De telles campagnes n'iront pas sans graves inconvénients pour le régime qui les favorise. La corruption parlementaire et gouvernementale, accompagnement naturel du sectarisme antireligieux et du favoritisme maçonnique, se révéleront dans des scandales financiers dont le plus retentissant sera celui du Panama.

En présence d'un régime si persécuteur et si corrompu, les catholiques s'étaient énergiquement ressaisis. Leur défense et leur propagande même s'affirmèrent dans des congrès, dans des œuvres de presse, dans des organisations politiques et dans des initiatives sociales, qui témoignèrent chez eux d'une puissante vitalité. Malheureusement leur action se trouva plusieurs fois entravée par des dissensions intérieures, par des imprudences, par des erreurs de tactique et de doctrine qui compromirent son plein succès. La première de ces entraves leur vint de leurs divisions politiques. Deux partis s'offraient à eux : s'attacher plus que jamais à la politique du ralliement indiquée par le pape, empêcher la franc-maçonnerie de confisquer le gouvernement à son profit, la débusquer des positions conquises et s'y faire une place ; ou bien, considérant l'alliance de la République avec la franc-maçonnerie comme une chose indestructible, combattre sans merci l'une et l'autre. L'Univers et le Monde, séparément jusqu'au milieu de 1896, puis, fondus ensemble à partir du 28 juillet de cette année, soutinrent la première politique ; Paul de Cassagnac, dans l'Autorité, fut le représentant le plus fougueux de la seconde : durant toute la période dont nous nous occupons, il ne cessa de faire retentir le cri volontairement passionné dont il fit sa devise : Tuons la Gueuse. Entre temps, une regrettable mystification dans laquelle se laissèrent entraîner un certain nombre de catholiques, l'affaire Diana Vaughan, contribua à les déconcerter dans leurs campagnes. L'erreur de l'américanisme, que Léon XIII fut obligé de condamner publiquement, compromit plusieurs de leurs chefs, jeta la perturbation dans leurs rangs. Enfin, une autre affaire, qui ne fut au début qu'un scandale particulier, et qui prit peu à peu des proportions formidables, l'affaire Dreyfus, vint troubler les hommes de tous les partis, détacher les uns du bloc maçonnique, ébranler les autres dans leur fidélité à la discipline catholique ; si bien que, quoique cette affaire n'ait jamais eu un caractère proprement religieux, il est impossible, à cause de ses répercussions, de la passer entièrement sous silence dans cette histoire de l'Eglise.

 

XVIII

La déclaration ministérielle lue devant la Chambre, le 4 novembre 1895, par M. Léon Bourgeois, faisait déjà pressentir l'œuvre funeste que le nouveau cabinet avait le projet de réaliser. Un projet de loi sur les associations y était présenté comme un prélude à la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Le ministre, d'ailleurs, avouait nettement que, si le gouvernement avait résolu de limiter son effort, c'était uniquement en vue de le rendre plus efficace. Cette déclaration, accueillie par la droite et le centre avec la plus grande froideur, fut frénétiquement applaudie par l'extrême gauche. Le lendemain, le Temps la caractérisa exactement en y signalant un mélange de radicalisme outrancier et d'opportunisme relatif. Peu de temps après, dans un discours prononcé à Lyon, le Président du Conseil répudiait sans ambages la politique du ralliement, en d'autres termes, proclamait la politique d'exclusion, comme le faisait remarquer le Correspondant, lequel ajoutait : C'est la première fois peut-être, depuis les jours de la Révolution, qu'un gouvernement se défend avec cette ardeur de faire de la conciliation... M. Bourgeois n'a qu'une peur, c'est qu'on ne fasse des amis nouveaux à la République. Et la Revue catholique rappelait à ce propos la parole prononcée par M. de Serre sous la Restauration : On commence par exclure, et l'on finit par proscrire[182].

Le Président du Conseil, M. Léon Bourgeois, se recommandait à la majorité de la Chambre par un passé administratif, parlementaire et ministériel, qui avait mis en relief sa culture intellectuelle, plus étendue que profonde, ses capacités variées, s'imposant beaucoup plus par une assurance imperturbable que par une compétence réelle, et surtout son insatiable ambition. Celle-ci l'avait fait passer, rapidement et sans heurt, du centre gauche à l'opportunisme, de l'opportunisme au radicalisme et à l'anticléricalisme le plus déclaré. Le succès électoral qu'il avait remporté, le 26 février 1888, sur le général Boulanger, et le choix que fit de lui, peu de temps après, M. Floquet comme sous-secrétaire d'Etat au ministère de l'intérieur, l'avaient mis en évidence. La franc-maçonnerie, dont il faisait partie[183], trouvait en lui un instrument dont la souplesse convenait merveilleusement à la variété de ses tactiques. On lui reprochait bien, parfois, d'être plus hardi dans ses paroles que dans ses actes. M. Jaurès devait dire un jour de lui : M. Bourgeois s'arrête et tourne court au moment de l'action. Mais n'avait-il pas, à côté de lui, pour suppléer à cette lacune, la persévérance laborieuse et obstinée de son collaborateur, M. Emile Combes ?

On vit bientôt que le nouveau cabinet ne repoussait les alliés de droite que pour s'appuyer plus fortement sur ceux de gauche, n'excluait l'Eglise que pour s'associer étroitement à la franc-maçonnerie. Le 1er février, un des ministres, M. Mesureur, présidant une fête du Grand-Orient, disait : Je suis sûr que les huit ou neuf membres du cabinet qui sont francs-maçons, regretteront profondément de n'être pas ce soir parmi nous. Quelques jours après, le ministre des finances, voulant faire appliquer avec rigueur les taxes imposées aux congrégations, appelait à la Direction générale de l'Enregistrement un haut dignitaire de la maçonnerie, M. Fernand Faure. Le 2 mars, au banquet de la fête solsticiale d'hiver, les Frères maçons se félicitaient de la grande place occupée par la franc-maçonnerie dans les conseils du gouvernement. Au cours d'un voyage présidentiel fait par M. Félix Faure dans le Midi, pendant la première quinzaine de ce mois de mars, M. Desmons, sénateur du Gard, s'appliqua à mettre en évidence toutes les loges maçonniques des villes visitées par le premier magistrat de la République, et celui-ci répondit qu'il avait pu, comme maçon lui-même, apprécier et aimer la maçonnerie[184].

Les résultats pratiques de cette union des pouvoirs publics avec la fameuse société secrète ne se firent pas attendre. En février 1896, M. Combes, ministre de l'instruction publique et des cultes, cherchait à terroriser le clergé, suspendant le traitement d'un grand nombre de curés sans indiquer même le motif de ces mesures, prétendant exiger des évêques le déplacement des prêtres de leurs diocèses, ceux-ci fussent-ils légalement inamovibles. En même temps, il présentait à la Chambre un projet de loi excluant les membres du clergé du Conseil supérieur de l'instruction publique ; et une feuille peu suspecte, le Temps, faisait entendre que l'exclusion proposée par le ministre n'était qu'une basse concession à la franc-maçonnerie. M. Combes a eu peur, disait ce journal, s'il se montrait seulement équitable et libéral, de paraître abandonner la politique anticléricale, qui, lorsqu'elle est injuste, comme dans le cas présent, est la plus sotte des politiques.

La feuille libérale était bien modérée en n'attribuant à M. Combes et à ses collègues du ministère qu'un sentiment de peur à l'égard de la secte anticléricale. Leurs vrais sentiments, ceux d'une haine implacable envers le catholicisme et d'un dévouement sans mesure au triomphe de la maçonnerie, ne devaient pas tarder à se manifester sans ambages. En mars 1896, M. Combes, présidant à Beauvais la cérémonie de la pose de la première pierre d'un lycée, déclarait que dans un temps où les vieilles croyances, plus ou moins absurdes, tendaient à disparaître, les principes de la morale se réfugiaient dans les loges ; et, le mois suivant, M. Guieysse, ministre des colonies, remplissant par intérim les fonctions de ministre des cultes, s'écriait : Appuyés par un courant d'opinion publique, nous essayerons, mes collègues et moi, d'appliquer tous les principes de la franc-maçonnerie[185]. Pouvait-on affirmer d'une manière plus nette la volonté du gouvernement de reconnaître à la franc-maçonnerie un caractère officiel, d'en faire une sorte de religion d'Etat ?

Il n'y avait donc pas à se faire illusion. Le succès momentané d'une pareille politique allait justifier pleinement le mot de Mgr Gouthe Soulard, archevêque d'Aix : Nous ne sommes pas en République, nous sommes en franc-maçonnerie. Le but poursuivi par ceux qui se faisaient les exécuteurs des desseins de la secte était désormais bien évident. Ce qu'ils projetaient de ruiner, c'était toute l'œuvre de restauration religieuse accomplie en France par l'Eglise depuis la Révolution : en particulier le Concordat de 1801, qui lui avait donné la paix, et la loi de 1850, qui lui avait donné la liberté d'enseignement ; ce qu'ils rêvaient de reconstituer, c'était ce qu'il y avait eu de plus funeste dans l'œuvre révolutionnaire, l'impiété rationaliste. M. Émile Combes devait attacher tristement son nom à ce double attentat. Après en avoir formulé brutalement le programme comme ministre, il allait y travailler sourdement pendant plusieurs années en tant que simple sénateur, puis enfin, en qualité de Président du Conseil, en précipiter la consommation, avec une violence, un mépris de la justice et des droits les plus sacrés qui révolteraient toutes les consciences honnêtes.

L'entreprise n'allait pas sans difficultés. Réorganisée par le concordat et par toutes les mesures de justice et de bienveillance que les divers gouvernements avaient prises en sa faveur, fortifiée par ses nombreuses œuvres d'enseignement, de piété et de charité qui s'étaient progressivement développées dans son sein, l'Eglise catholique de France, ravivée encore dans sa foi par les dures épreuves de la guerre de 1870 et par les manifestations de ses croyances que le gouvernement de l'Assemblée nationale de 1871 avait favorisées, témoignait en 1896, en face de l'hostilité déclarée des pouvoirs publics, d'une vitalité incontestable. A la date du 6 janvier de cette année-là, le cardinal Richard, archevêque de Paris, pouvait écrire dans un mandement : Nous ne sommes pas étonné de voir l'élite de la nation conserver l'usage de la prière dans les circonstances diverses où se manifeste la vie d'un peuple. La Cour suprême maintient les traditions de la magistrature française en inaugurant chaque année ses travaux par la messe célébrée dans la Sainte-Chapelle. L'Institut de France, fêtant, il y a quelques semaines, le centième anniversaire de sa fondation, a voulu qu'un acte religieux consacrât cet anniversaire. Nous avons déjà vu, les années précédentes, les maîtres de la science et de la littérature se réunir autour de l'autel, aux centenaires de l'Ecole polytechnique et de l'Ecole normale. L'année dernière, quand nos soldats partirent, aux acclamations du pays, pour l'expédition de Madagascar, la foule se pressa aux prières prescrites pour le succès de nos armes... L'âme de la France est chrétienne, et voilà encore pourquoi, à l'annonce que le souverain pontife avait décerné à Jeanne d'Arc les premiers titres d'honneur accordés par l'Eglise à ceux de ses enfants qu'elle se prépare à placer sur les autels, la France s'est émue, et partout, dans nos cités comme dans nos bourgades, des fêtes religieuses et patriotiques ont été célébrées avec enthousiasme en l'honneur de la Libératrice de la patrie[186].

La cynique déclaration de guerre faite au catholicisme par le ministère, ne put que fortifier de tels sentiments, qu'ouvrir les yeux des plus endormis. Après de tels aveux, disait le Correspondant[187], il ne se trouvera plus de sceptiques parmi les conservateurs... On commence l'œuvre de destruction en s'attaquant à l'Eglise ; on la continuera en frappant les institutions sociales. Aussi les premières mesures d'hostilité prises contre les catholiques rencontrèrent-elles une vive résistance. Quand, en avril 1896, le ministre de la marine, M. Lockroy, fit savoir aux chefs des escadres et aux commandants des ports que dorénavant le deuil traditionnel que prenait la marine au jour du Vendredi Saint serait supprimé dans tous les ports de France, à moins d'une autorisation spéciale accordée sur une demande motivée, la tentative se retourna contre son auteur. Le mouvement de protestation se produisit sous la forme de demandes unanimes. Le ministre dut transformer en mesure générale la permission qu'il s'était flatté de rendre exceptionnelle[188]. Il avait cru abolir la célébration du Vendredi Saint, écrivit un journal catholique ; il l'a consacrée.

 

XIX

La chute du cabinet Bourgeois, le 23 avril 1896, et son remplacement par le cabinet Méline, le 29 avril, sembla inaugurer une période d'accalmie dans la lutte religieuse. M. Jules Méline, député des Vosges, à qui ses adversaires politiques reprochaient d'avoir été élu membre de la Commune de Paris en mars 1871, mais qui n'avait point accepté ce mandat, avait, depuis quelques années, donné des preuves de sa modération. Au moment où l'on discutait les lois relatives à l'enseignement primaire, il avait, dans un discours, déclaré accepter que le prêtre pût entrer, à certains jours, dans l'école publique, pour y donner l'enseignement religieux. Il avait surtout défendu les intérêts de l'agriculture avec un zèle passionné, et son nom était devenu, pour les populations rurales, comme le symbole de la protection du travail agricole national. Au milieu de ses collègues, il s'était acquis le renom d'un homme laborieux, ami de l'ordre et de la paix.

La déclaration ministérielle dont M. Méline donna lecture à la Chambre en prenant possession du pouvoir, annonça une ère d'apaisement. Peu de temps après, le duc d'Orléans répondait à ce manifeste en conseillant à ses partisans de collaborer hardiment avec tous ceux qui travailleraient pour la défense des libertés publiques, des croyances religieuses et de la société. Un peu plus tard, Mgr Ferrata, nonce en France, promu cardinal par Léon XIII, ouvrait la voie, de son côté, à une collaboration entre l'Eglise et le gouvernement, en disant au Président de la République, dans son allocution : Pour élever l'âme d'un peuple, pour y entretenir le sentiment du devoir, on n'a jamais trouvé un idéal plus sûrement et plus universellement efficace que celui que la religion nous propose. Le Correspondant, se faisant l'interprète de l'opinion royaliste et de l'opinion catholique, écrivait : Le moment serait bien choisi pour inaugurer en France ce qui était, avant leur avènement, le programme des républicains... Quelle rafraîchissante nouveauté pour tout le monde que la promulgation et l'application de cette vérité banale : la France aux Français, c'est-à-dire les bienfaits de la liberté, de l'égalité, de l'équité, de la sécurité pour tous, sans distinction d'opinion ! L'insuffisance d'une morale sans Dieu a été mise à nu. D'autre part, les conservateurs, les catholiques, ont mieux reconnu, dans l'épreuve, l'état du monde où ils sont appelés à vivre, les conditions de lutte qu'ils doivent accepter sous peine de renoncer à la victoire, même à la défensive[189].

Les catholiques profitaient de l'accalmie pour développer leurs œuvres d'enseignement, de piété, de prosélytisme. L'année 1896 fut une année très féconde pour l'action catholique. A la fin de cette année, le rapporteur du budget de l'instruction publique, M. Bouge, reconnaissait que la proportion des élèves de l'enseignement secondaire était dans les établissements de l'Etat de 47 pour 100, et de 46 pour 100 dans les établissements catholiques. Or, il n'y avait pas de boursiers dans ces derniers établissements, tandis que, suivant les calculs du même rapporteur, il y avait dans les lycées 6.369 boursiers sur 53.107 élèves, et dans les collèges 12.117 sur 30.000, c'est-à-dire près de la moitié. Dans l'enseignement primaire, les progrès des établissements religieux étaient semblables. Les pèlerinages aux Lieux saints, organisés par le R. P. Picard, supérieur général des Assomptionnistes, et encouragés par un bref de Léon XIII du 16 avril 1896, entraînaient des foules vers les pays sanctifiés par la présence du Sauveur. Une puissante propagande, organisée en vue de faire déclarer la fête de Jeanne d'Arc fête nationale de la France, gagnait chaque jour du terrain dans l'opinion. Le Saint-Père bénissait le projet de réunir à Reims, du 20 au 25 octobre, un grand congrès, sous le titre de premier congrès national catholique.

Mais M. Méline avait malheureusement jadis, comme M. Félix Faure, donné son nom à la franc-maçonnerie, et, comme le Président de la République, il n'avait jamais résilié ses engagements. Notre Méline, disait la Revue maçonnique d'avril 1896, en parlant du nouveau Président du Conseil[190]. La secte ne manqua pas d'exploiter cette situation.

Il est difficile de suivre les manœuvres d'une société dont le secret est une des premières lois. Dans les entraves qui furent mises aux bonnes volontés de M. Félix Faure et de M. Méline, dans les pressions qui s'exercèrent sur eux dans le sens de l'anticléricalisme, dans les intrigues auxquelles furent mêlés le parti radical avec M. Bourgeois, le parti socialiste avec M. Jaurès, quelle part faut-il faire aux ambitions personnelles, aux rivalités des partis ou à l'influence des loges ? Nous ne croyons pas que l'histoire puisse jamais répondre à cette question. Ce que l'on constate, c'est que, n'étant plus chargé du gouvernement, M. Bourgeois ne cesse pas de se mêler aux affaires de l'Etat. Il s'en occupe plus que jamais. Il se met à la tête d'un comité, dit comité des dix-huit, qui prétend prendre en mains la défense du suffrage universel. Les radicaux le reconnaissent comme leur chef ; puis, à la suite d'une campagne dans laquelle il s'est efforcé d'aigrir les rapports entre la Chambre et le Sénat, les socialistes l'acclament. Alors, il se croit assez fort pour sommer le ministère de convoquer le Congrès. Un moment, on se demande s'il n'aspire pas à reprendre le rôle du général Boulanger. Quand Félix Faure voyage, on crie sur son passage : Vive Bourgeois ! Mais l'ancien président du Conseil n'est pas de taille à soutenir le poids d'une pareille popularité. Son prestige pâlit bientôt devant celui d'un jeune chef, plus éloquent, plus audacieux, non moins fécond en ressources dans la manœuvre parlementaire et dans l'agitation populaire, M. Jean Jaurès. Avec un accent de tribun, dont M. Bourgeois est incapable d'égaler la puissance, M. Jean Jaurès s'écrie : Au point où en est venu le parti socialiste, il faut être avec lui ou contre lui. Résolument, M. Méline et ses collaborateurs se prononcent contre le parti socialiste. Mais, attaqué de front par M. Jaurès, sourdement harcelé par M. Bourgeois, le ministère aura-t-il la force de soutenir la lutte ? Le prestige du gouvernement, celui du régime républicain lui-même est si affaibli devant l'opinion, depuis les scandales financiers dont l'affaire du Panama a été l'épisode le plus retentissant ! Tout, d'ailleurs, n'est pas encore tiré au clair dans les louches trafics dont on rend le gouvernement responsable. Les journaux de l'opposition, tant socialiste que conservatrice, demandent ce qu'est devenue l'enquête sur les chemins de fer du Sud, où en est l'affaire Arton[191], ce que fait la magistrature nouvelle pour réparer les défaillances de l'ancienne, quelles mesures a prises le ministère pour la soustraire aux ingérences de la politique[192].

On a crié en pleine Chambre : A bas le Sénat ! Que sera-ce si, un jour, le Président du Sénat laisse crier : A bas la Chambre ! ou si, dans l'une ou l'autre Chambre, ce cri s'élève : A bas le Président de la République ! Les hommes avisés du parti républicain s'effraient. M. Ranc écrit : Quel succès pour la réaction, quel danger de mort pour la République, si, devant le pays, devant le suffrage universel, on réussit à poser la question en ces termes : ou collectivisme, ou conservatisme ! Le parti républicain n'a plus que deux terrains où il lui soit possible de reconstituer son unité : le terrain socialiste, où M. Jaurès le convie, mais où M. Méline, redoutant le collectivisme, refuse de le suivre, et le terrain de l'anticléricalisme, où la maçonnerie l'invite. Sans doute, des négociations se poursuivirent, dont l'histoire découvrira difficilement le fil ; mais, dès le mois de septembre 1896, le gouvernement et les Chambres semblent, suivant les expressions d'un publiciste, mus par un ressort mécanique dont ils ne sont pas maîtres. Les fermetures d'écoles congréganistes, les suspensions de traitement des curés, se multiplient. M. Méline se croit obligé de venir déclarer, devant la Chambre, que le cabinet dont il est le chef a fait beaucoup plus pour la laïcisation des écoles que le ministère Bourgeois[193]. La nomination d'un grand nombre de préfets sectaires semble aussi dictée par le besoin de donner des gages aux haines anticléricales. En juillet 1896, l'érection d'une statue de Jules Ferry à Saint-Dié, les obsèques de M. Spuller, sont des occasions de glorifier les lois scolaires. Au mois d'octobre, les orateurs du congrès catholique de Reims ont beau se placer nettement sur le terrain constitutionnel, le gouvernement en prend prétexte pour interdire aux évêques toute réunion publique dans leurs évêchés. Quand l'empereur de Russie, dans la visite triomphale qu'il fait à la capitale de la France, manifeste hautement son respect pour la religion et pour les autorités ecclésiastiques, va prier à Notre-Dame et présente ses hommages au cardinal-archevêque, le Président Félix Faure affecte de s'abstenir de toute manifestation religieuse. Forte de son empire sur les pouvoirs publics, la franc-maçonnerie devient insolente. Le Président de la République ayant dit, avec beaucoup de discrétion, à propos de Jeanne d'Arc, que devant cette admirable figure, tous les ressentiments disparaissent, la secte s'irrite, voit dans ces paroles un vœu pour l'institution d'une fête nationale sous le vocable de l'héroïne d'Orléans, et le franc-maçon Monteil, dans la loge de la Clémente amitié, proteste contre une fête qui, si elle s'établissait, serait forcément cléricale et ferait concurrence à celle du 14 juillet. Au mois de septembre 1897, un député de Seine-et-Oise, M. Gustave-Adolphe Hubbard, dont la valeur personnelle ne s'impose pas à ses collègues de la Chambre, mais dont l'activité maçonnique est infatigable, présente audacieusement la franc-maçonnerie comme une Contre-église, dont les dogmes et les rites régénéreront le monde.

Cependant, les représentants officiels de l'Eglise, fidèles aux directions données par Léon XIII, ne cessent de faire aux pouvoirs publics des offres de paix sur le terrain du respect des droits des consciences. Au congrès de Reims, le cardinal Perraud l'a rappelé avec une autorité nouvelle : Les Français, a-t-il dit, acceptent les institutions démocratiques, mais à la condition qu'elles soient une vérité, res publica, la chose de tout le monde, sans qu'il y ait des proscripteurs et des parias. Le 8 mai 1897, le Président de la République et ses ministres s'étant rendus au service funèbre célébré pour les victimes de l'incendie du Bazar de la Charité, le cardinal Richard, archevêque de Paris, écrit à M. Félix Faure : Je ne puis laisser passer cette grande journée sans vous prier d'agréer l'expression de ma vive reconnaissance... La cérémonie de Notre-Dame, j'en ai la confiance, marquera une date : celle de l'union de tous, dans le dévouement à la patrie. Malheureusement, tous les catholiques n'observent pas cette mesure dans leur langage. Tandis que la Vérité, oubliant l'avertissement du Saint-Père, qui lui a reproché de créer une atmosphère de défiance, de contrecarrer le mouvement concordant des bonnes volontés[194], continue à combattre, au nom du catholicisme, les candidats républicains ; des ralliés, non moins indociles aux explications données par Léon XIII, continuent à dénoncer le péché de monarchie. A propos de l'élection de l'abbé Gayraud à Quimper, de jeunes abbés déclarent que son concurrent, le comte de Blois, par le seul fait qu'il est royaliste, n'est plus un bon chrétien. Un journal de Versailles, l'Action catholique, écrit : Laissons de côté les monarchistes, que le pape déclare rebelles, et demandons de préférence aux républicains, même libres penseurs, leur coopération pour triompher de la persécution maçonnique. Le Correspondant relève ces exagérations, et il se demande si la démocratie chrétienne, ainsi entendue, ne mériterait pas le nom de démagogie prétendue chrétienne.

Le Saint-Père fait tout au monde pour ramener les esprits dans les voies de la sagesse et de la modération. Le 26 mars 1897, il a écrit à Mgr Mathieu, archevêque de Toulouse : Nous n'avons jamais, voulu rien ajouter ni aux appréciations des grands docteurs sur la valeur des diverses formes de gouvernement, ni à la doctrine catholique et aux traditions de ce Siège apostolique sur le devoir d'obéissance aux pouvoirs constitués... Loin de nous ingérer dans des questions d'ordre temporel débattues parmi vous, notre ambition était est et sera de contribuer au bien moral et au bonheur de la France. En février 1898, deux religieux universellement vénérés, le R. P. Wyart, abbé de la Trappe de Sept-Fonts, et le R. P. Picard, Supérieur général des Augustins de l'Assomption, sans être chargés d'une mission officielle proprement dite, parcourent la France conformément au désir de Léon XIII, et font connaître au clergé français, quand ils en ont l'occasion, la vraie portée des instructions pontificales. Le 18 avril, en vue des élections générales législatives, fixées au mois de mai, M. Etienne Lamy, dans un grand discours-programme, parle au nom des catholiques ralliés : Républicains, dit-il, ou venus à la République par amour de la France, nous nous sommes unis... Nous sommes prêts aux alliances, mais non pas aux capitulations... A ceux qui voudraient se servir de nous sans nous servir, nous disons : Où ne seront pas la liberté et la justice, ne sera pas notre concours. A ceux qui nous donneront cette liberté et cette justice, nous promettons le plus reconnaissant, le plus fidèle et le plus passionné concours pour le service de la patrie.

Ces nobles paroles retentissent utilement dans la France chrétienne. Le 8 mai, les candidats catholiques entament une vigoureuse offensive aux élections. M. Piou triomphe à Saint-Gaudens. M. de Mun et M. Gayraud sont élus sans concurrents. Le groupe conservateur s'est accru. Malheureusement, deux incidents regrettables viennent compromettre ce premier succès. M. Barthou, ministre de l'intérieur, rompant tout à coup avec la politique modérée du Président du Conseil M. Méline, déclare, dans un discours retentissant, la guerre aux perfides qui n'entreraient dans la République que pour en chasser l'esprit républicain, et définit cet esprit républicain en proclamant l'intangibilité des lois scolaires et militaires. A ce mot d'ordre, la concentration républicaine se reconstitue sur le terrain de l'anticléricalisme. Les catholiques gardent toutefois encore l'espoir d'avoir pour eux les républicains.modérés, de la nuance Méline, irrités de ce qu'ils appellent la trahison de M. Barthou. Une tactique malheureuse vient les priver de cet espoir. Une organisation catholique alors puissante, le comité Justice-Egalité, qui reçoit l'inspiration du R. P. Adéodat, assomptionniste, déclare que ses adhérents doivent refuser leurs voix à tout candidat qui ne se déclarera pas publiquement opposé aux lois militaire et scolaire. La plupart des républicains sur l'appui desquels on peut espérer, quoique intimement décidés à suivre une politique d'apaisement, refusent de faire une déclaration publique, qui leur aliénerait une partie des électeurs de gauche. Bref, au scrutin de ballottage, qui a lieu le 22 mai 1898, les candidats anticléricaux triomphent dans la plupart des circonscriptions électorales. Leur nombre s'accroît à tel point, que, le 14 juin, ils se trouvent assez puissants pour faire adopter, à 49 voix de majorité, une motion condamnant tout gouvernement qui accepterait le concours de la droite. Ce vote est dirigé contre le ministère Méline, qui donne sa démission le 15 juin 1898, et est remplacé, le 28 du même mois, par un cabinet dont le président est M. Henri Brisson.

 

XX

M. Henri Brisson avait déjà à son actif une longue carrière politique. Successivement avocat, journaliste, adjoint au maire de Paris en 1870, député de la Seine en 1871, appelé peu de temps après à la présidence du groupe de l'Union républicaine, puis à la présidence de la Chambre, à la présidence du conseil des ministres, qu'il occupa du 6 avril 1885 au 25 décembre 1886, derechef à la présidence de la Chambre des députés, plusieurs fois candidat, mais candidat toujours malheureux, à la présidence de la République, M. Brisson, affilié à la franc-maçonnerie depuis ses débuts dans la vie politique, paraissait avoir simultanément effectué, dans la mystérieuse société, une pareille ascension vers les honneurs. Quoi qu'il en soit, à l'heure où le Président de la République lui confia le soin de constituer un ministère, en Juin 1898, il était universellement connu comme le type achevé du franc-maçon. Son physique même prévenait contre lui. M. Bourgeois avait été plus remuant et plus habile, M. Combes serait plus violent, nul ne devait se montrer plus étroit, plus systématique et plus sec. Ses amis vantaient son austérité proverbiale ; ses ennemis le caricaturaient fort irrévérencieusement sous la forme d'un ordonnateur de pompes funèbres ; ses auditeurs, aux lugubres cadences de sa voix, se reportaient aux vieux mélodrames de 1848 ; les catholiques se souvenaient que plusieurs des plus odieuses attaques contre l'Eglise étaient venues de lui. Sa première présidence du Conseil, en 1885-1886, avait été marquée par la désaffectation de l'église Sainte-Geneviève. Au cours de sa dernière présidence de la Chambre, le 18 mai 1897, à propos de la catastrophe du Bazar de la Charité et d'une allocution prononcée à ce sujet par le P. Ollivier dans l'église de Notre-Dame, il avait, de cette voix sombre qu'on eût dit empruntée aux rites ténébreux de la secte, ouvert la séance par une sortie brutale contre Dieu et contre la doctrine catholique de l'expiation.

Au moment où, eu la personne de M. Henri Brisson, la franc-maçonnerie montait, en France, au sommet du pouvoir, il n'est pas inutile d'essayer de préciser, autant que la chose est réalisable en pareille matière, les vraies forces et l'influence de la fameuse société. Trois principaux incidents venaient d'émouvoir vivement l'attention publique à son sujet : 1° le grand congrès maçonnique tenu à La Haye en 1896, auquel avait répondu du 26 au 30 septembre de la même année, le congrès international antimaçonnique de Trente ; 2° l'immense mystification connue sous le nom d'affaire Diana Vaughan, et due à un prétendu converti, Léo Taxil ; 3° les ingérences de la société dans le retentissant procès qui, sous le nom d'affaire Dreyfus, passionnait l'opinion depuis 1894.

Quelques semaines avant que M. Brisson prît le pouvoir, la Revue des Deux Mondes[195] faisait le tableau suivant de la franc-maçonnerie en France : Vénérables et surveillants, experts et tuileurs, maîtres et compagnons, frères de tout grade s'échelonnant sur les trente-trois degrés symboliques, ils sont en tout, dans l'armée du Grand-Orient, 17.000 environ[196]. Joignez-y, peut-être, 7.000 maçons des autres rites. Cette armée compte, en 1898, 364 cantonnements, dont 286 sont directement rattachés au Grand-Orient, et dont 78 relèvent immédiatement de la maçonnerie écossaise ; on les désigne sous le nom de loges ou d'ateliers ; ce sont les points d'occupation du territoire, les points d'attache de l'action... En fait, jusqu'en 1895, la classe ouvrière a été à peu près proscrite des loges et le convent a eu, auprès des socialistes, la réputation d'un club bourgeois. La maçonnerie a réparé ce désagrément en élisant, en 1895, M. Lucipia, et en ouvrant ses loges parisiennes toutes grandes aux conférences socialistes de MM. Fournière, Sembat, Viviani, tous maçons... En 1897, M. Maréchaux a marqué la nécessité d'attirer à la maçonnerie les compagnonnages et les groupes de libre pensée[197]... Les délégués, à chaque mois de septembre, votent un budget de 101.000 à 103.000 francs ; là-dessus plus de 74.000 francs sont fournis par les loges, qui donnent au Grand-Orient à peu près le sixième de leurs recettes[198]. Or 7.300 francs seulement, sur les recettes du Grand-Orient, sont affectés aux dépenses philanthropiques... Si on laisse de côté les 14.000 francs consacrés au loyer du Grand-Orient, nous rencontrons des dépenses de personnel, de bureaucratie, d'imprimés, d'affranchissements, d'indemnités de voyage, bref d'organisation et de propagande maçonnique, qui s'élèvent à environ 67.000 francs. Or ces dépenses, de près ou de loin, touchent à la politique. Les ressources personnelles de la maçonnerie lui servent donc surtout à s'ériger en pouvoir public[199]... En juin 1895, tous les députés maçons ont été convoqués rue Cadet, chambrés deux heures durant, et M. Blatin a constaté chez eux une grande fidélité pour la doctrine maçonnique... En 1897, on s'est préoccupé d'avoir prise sur les candidats, et le programme anticlérical et radical des loges parisiennes leur a été imposé comme un minimum[200]. Aussi n'est-ce point un paradoxe de soutenir que la maçonnerie est plus adéquatement représentée dans notre Parlement que ne le sont les collèges électoraux[201]. Enfin, il y a, dans le budget du Grand-Orient, un chapitre des relations extérieures. Une organisation internationale, sise rue Cadet, se concerte avec la maçonnerie universelle ; et le programme maçonnique universel se poursuit avec plus d'ensemble que jamais, grâce à la création des congrès maçonniques internationaux. Le premier s'est tenu à Paris en 1889, le second à Anvers en 1894, le troisième à La Haye en 1896.

Ce fut pour répondre à ces congrès et pour se défendre contre ces agitations, que des catholiques prirent, en 1896, l'initiative d'un congrès international catholique contre la franc-maçonnerie, qui se réunirait dans la ville de Trente. Le Saint-Père, dans une audience du 16 août[202] et par un Bref du 2 septembre de cette année, exprima au comité central du congrès un vif désir qu'au moins l'épiscopat des régions limitrophes et les principales notabilités de la laïcité catholique des diverses nations y prissent la part active que réclamait l'importance de l'œuvre.

Le congrès, présidé par le prince de Lœwenstein, compta parmi ses membres un prince de l'Eglise, le cardinal Haller, archevêque de Salzbourg, et quatorze évêques, presque tous italiens. On évalua à 1.500 le nombre des prêtres et laïques qui y prirent part. Cent cinquante délégués environ y représentèrent la France, l'Autriche, l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal, la Belgique, la Hollande et l'Amérique.

L'Univers du 5 octobre 1896 résumait en ces termes les principales résolutions votées par l'assemblée : 1° Avant de combattre la franc-maçonnerie, il faut la connaître et la faire connaître ; on n'y parviendra que par une étude sérieuse de son but, de sa doctrine et de ses manœuvres ; 2° l'étude, même avec la prière, n'est qu'un premier pas ; il faut agir sur le peuple par tous les moyens possibles : conférences, propagande de livres et brochures antimaçonniques, etc. ; 3° la décision la plus grave est celle qui organise fortement l'action collective sous la direction du pape, des évêques et du clergé ; ce qui nous a nui jusqu'à présent, surtout en France, disent les congressistes, c'est le défaut de discipline et peut-être aussi la multiplicité d'œuvres diverses ; 4° enfin le congrès recommande instamment aux comités supérieurs, régionaux et locaux, de se mettre en garde contre certains francs-maçons soi-disant convertis, qui ne cherchent qu'à tromper la crédulité des catholiques en leur racontant de prétendus secrets, et à s'infiltrer parmi eux pour renseigner ceux qui restent toujours leurs chefs[203].

Ce dernier avis, si grave, venait à son heure. Depuis plus de trois ans, d'étranges révélations étaient publiées et répandues à profusion parmi le public catholique, par le moyen de publications diverses dont les auteurs restaient à peu près inconnus : le Diable au XIXe siècle, les Mémoires d'une ex-palladiste, le 33e Crispi. A la vérité, la seule lecture des extravagantes et bizarres aventures racontées dans ces publications, les avaient rendues suspectes aux esprits sains et avertis. On y racontait la fantastique histoire d'un Frère Minutatim, ainsi nommé parce qu'il se mettait en pièces à volonté et se reconstituait de même[204] ; celle d'une table tournante, changée en crocodile ailé, qui jouait une mélodie sur le piano en tournant vers les auditeurs des regards expressifs qui les mettaient mal à l'aise[205]. On y décrivait le laboratoire infernal de Gibraltar, où les démons dirigeaient la fabrication de leurs engins ensorcelés, cultivaient les microbes qui leur permettraient de répandre à leur gré sur la terre la peste et le choléra. On y disait que, pour avoir mal parlé de la mystérieuse ex-palladiste, le F... Bordone, ancien chef d'état-major de Garibaldi, avait vu sa tête se retourner subitement à l'envers, le visage fixé du côté du des[206]. Des anecdotes plus répugnantes offensaient la pudeur autant que le bon sens. Mais l'héroïne de ces invraisemblables fantasmagories, Miss Diana Vaughan, était représentée comme un modèle si achevé de toutes les vertus, comme une victime si touchante de toutes les perfidies et de toutes les trahisons I Elle était si pathétique dans ses récits, si affirmative dans ses dires ! Les catholiques de bon sens, qui hochaient la tête à la lecture de ces grossières élucubrations, furent souvent soupçonnés de manquer d'esprit surnaturel, de se laisser gagner par l'esprit rationaliste du siècle. De courageux écrivains, le R. P. Portalié, de la Compagnie de Jésus, dans les Etudes, M. Eugène Tavernier dans l'Univers, dénoncèrent l'imposture. Mais M. le chanoine Mustel, dans la Semaine religieuse de Coutances, M. l'abbé de Bessonies, dans la Franc-maçonnerie démasquée, soutinrent énergiquement l'authenticité et la véracité de ces romans à la Ponson du Terrail, tout aussi invraisemblables dans leurs aventures et bien plus révoltants par leur objet que ceux du fameux feuilletoniste populaire.

Bientôt il fut avéré que les principaux auteurs de ces récits étaient un certain docteur Hacks, auteur d'ouvrages impies et scandaleux, un certain Margiotta, justiciable des tribunaux italiens, et que l'entreprise était commanditée par un certain Jogand-Pagès, qui, sous le nom de Léo Taxil, avait d'abord mené d'infâmes campagnes contre la religion, puis s'était dit catholique, et, sans abandonner sa femme, restée à la tête d'une librairie anticléricale, avait multiplié, chez divers éditeurs catholiques, de prétendues révélations sur la franc-maçonnerie. Léo Taxil avait eu l'audace de se présenter au Congrès de Trente, d'y soutenir la vérité de toutes ses fables, l'existence de la mystérieuse héroïne et toute l'odieuse littérature dont nous venons de parler. Diana Vaughan, ancienne grande dignitaire de la franc-maçonnerie, jadis fiancée au démon Asmodée, aujourd'hui en butte aux persécutions de mille légions de démons et de toute l'armée maçonnique, était, dit-on, obligée de prendre les précautions les plus minutieuses pour cacher sa retraite ; et Léo Taxil, sommé au congrès de donner des preuves de l'existence de la fameuse ex-palladiste, s'était contenté d'affirmer avec, serment qu'il l'avait vue de ses yeux. L'abbé de Bessonies déclara qu'il avait, de l'existence de Diana Vaughan, des preuves absolument convaincantes, qu'il ne lui était pas permis de rendre publiques[207].

Le 19 avril 1897, l'imposture eut son dénouement. Acculé dans ses derniers retranchements, Gabriel Jogand-Pagès, dit Léo Taxil, promit enfin de confondre ses accusateurs dans une séance publique. Au milieu d'un public nombreux, venu, dans des sentiments divers, pour entendre ses explications, il se présenta dans la grande salle de la Société de Géographie de Paris, et, avec une impudence incroyable, il déclara que toutes ses publications asti-maçonniques, y compris l'histoire de la prétendue Diana Vaughan, n'étaient qu'une immense mystification imaginée par lui de toutes pièces, que toute sa vie d'apparence chrétienne, depuis sa conversion jusqu'à la séance présente, n'avait été qu'une comédie. L'imposteur avait eu soin de se faire accompagner par des agents de police, qui protégèrent sa retraite.

Toute cette entreprise avait-elle été exécutée par la franc-maçonnerie au service d'une spéculation éhontée ? Le mercantilisme d'un homme dénué de tout sens moral suffit-il à l'expliquer ? Il est hors de doute que la franc-maçonnerie en bénéficia. Une pareille aventure fit planer le doute sur les documents authentiques apportés contre les manœuvres de la secte, parce qu'on les avait mêlés aux fables d'un faussaire. Les catholiques trop prompts à confondre le mystérieux avec le fantastique, le surnaturel avec l'extravagant, durent regretter de n'avoir pas suivi le sage conseil que leur avait donné le congrès de Trente : Se mettre en garde contre certains francs-maçons, prétendus convertis, qui ne cherchent qu'à tromper la crédulité des fidèles.

 

XXI

Au moment où se dénouait à Paris l'affaire Diana Vaughan, une autre affaire, qui, dans son origine, semblait devoir rester totalement étrangère à la franc-maçonnerie d'une part, à l'Eglise catholique de l'autre, venait de prendre de telles proportions, qu'on se demandait si elle n'allait pas déchaîner une guerre religieuse.

L'affaire était, en elle-même, des plus banales. En 1894, dans un service du ministère de la guerre, des disparitions de documents s'étaient produites à plusieurs reprises. Une enquête judiciaire fut faite, et aboutit à l'arrestation du capitaine Alfred Dreyfus, qui, le 22 décembre 1894, fut condamné, par le premier conseil de guerre du gouvernement militaire de Paris, à la peine de la déportation, pour avoir entretenu des intelligences avec une puissance étrangère, pour lui avoir livré les notes et documents renfermés dans un bordereau nettement spécifié.

Mais Alfred Dreyfus était israélite. N'était-il pas victime de ce mouvement antisémite qu'Edouard Drumont avait créé, qu'il menait, depuis lors, avec tant d'ardeur, qu'il avait fait pénétrer dans l'armée, et qui y comptait un nombre d'adeptes de plus en plus grand ? Alfred Dreyfus avait été condamné par un conseil de guerre ; mais les officiers qui l'avaient jugé étaient-ils bien qualifiés pour se prononcer sur la question capitale qui leur avait été soumise et de laquelle dépendait le sort de l'accusé, à savoir l'authenticité du fameux bordereau ? Dreyfus en récusait énergiquement la paternité, et certains indices faisaient soupçonner qu'il fût l'œuvre du principal accusateur, d'un certain commandant Esterhazy, dont les antécédents n'étaient pas à l'abri de tout reproche. Des spécialistes seuls, rompus à la critique des documents, semblaient devoir être capables de trancher une question si grave, de laquelle dépendaient la liberté et l'honneur d'un officier jusque-là considéré comme un homme probe et un patriote. Des savants, des universitaires se joignirent aux coreligionnaires et aux amis du capitaine condamné, pour faire valoir ces raisons dans la presse, pour organiser un mouvement en faveur de la révision du procès.

A ces arguments, s'en ajoutaient d'autres, d'ordre juridique. Des irrégularités avaient été commises par les juges du conseil de guerre. Ils avaient pris communication de pièces que ni l'accusé ni son conseil n'avaient connues, ni pu, par conséquent, discuter. Des contradictions avaient été relevées dans les dépositions des experts. Enfin, la découverte d'un faux commis par le colonel Henry, et la constatation faite de l'identité du papier du fameux bordereau avec le papier pelure dont le commandant Esterhazy se servait dans sa correspondance, constituaient des faits nouveaux, réunissant toutes les conditions requises pour donner lieu à une révision du procès.

La cour de Cassation adopta ces raisons, cassa le jugement du premier conseil de guerre, et renvoya le capitaine Dreyfus devant un nouveau conseil, siégeant à Rennes. Cette décision fut trouvée sage par un bon nombre d'esprits modérés parmi les catholiques. Il faut avoir l'impartialité de le dire, écrivait, dans le Correspondant, un ancien magistrat, dans les documents de l'enquête édifiée par la Cour de cassation, on ne saurait trouver une preuve décisive de la trahison de Dreyfus. Cette enquête n'a pas plus établi sa culpabilité qu'elle n'a démontré son innocence. Il faut le reconnaître également : il y eut des fautes commises par la justice militaire... Au surplus, en matière criminelle, n'est-ce pas toujours du côté favorable à l'accusé que doit pencher la balance ? Ce n'est pas judaïquement qu'on applique les lois répressives. De même que l'arrêt de la Cour suprême nous paraît conforme au texte de la loi nouvelle sur la révision des procès criminels[208], il s'est justement inspiré de son esprit[209]. Le journal l'Univers tenait à peu près le même langage. Lorsque le conseil de guerre de Rennes, dans sa pleine et entière indépendance, aura prononcé son jugement, déclara le Président de la République, le pays tout entier devra s'incliner, car il n'est pas de société qui puisse vivre sans le respect des décisions de la justice[210].

Les catholiques devaient, dans leur ensemble, se conformer strictement à cette règle de conduite, et accepter purement et simplement le jugement du 9 septembre 1899, déclarant de nouveau la culpabilité du capitaine Dreyfus. Il ne devait pas en être de même d'un grand nombre de ceux qui soutenaient énergiquement la cause de l'innocence de l'accusé. Le conseil de guerre de Rennes croit-il que nous nous inclinerons devant son inepte sentence ? s'écriera M. Yves Guyot. La Petite République fulminera contre l'horrible sentence de mensonge et de meurtre, et M. Emile Zola publiera, à propos du procès, de copieux et violents pamphlets. On essayera de ruiner le jugement du second conseil de guerre, comme celui du premier, comme celui de tout tribunal militaire, parce qu'il émane d'une autorité militaire, d'une autorité dont le principe est de ne pas se déjuger, d'une autorité dont la règle est de se prononcer sans examen critique ; et, plus tard, on dira la même chose de tout tribunal, même civil, parce que tout magistrat, en somme, comme tout militaire, comme tout ecclésiastique, est d'une caste, qui n'est pas indépendante, qui agit par préjugés et partis pris, qui, actuellement, est dominée par le courant de l'antisémitisme. Quelques-uns iront plus loin. Ma raison à moi, s'écriera M. J. Jaurès, ne s'incline que devant des preuves. On s'arrogera le droit de contrôler par soi-même, individuellement, la sentence du tribunal. Au fond, une nouvelle phase de l'affaire s'ouvrira : ce ne sera plus la lutte pour ou contre un homme, ce sera la lutte pour ou contre les trois institutions séculaires de toute société : le clergé, la magistrature et l'armée ; ce sera la lutte entre l'individualisme et l'ordre social.

Dans ces conditions, un déplacement sensible s'opérera dans les partis. Tel qui hésitait à se prononcer pour ou contre le capitaine Dreyfus, n'hésitera pas à se ranger résolument contre le parti qui le soutient au moyen de principes qu'il jugera dissolvants de toute société. Ce sera le cas de la plupart des catholiques. Quelques-uns d'entre eux, il est vrai, organisés dans un Comité catholique pour la défense du droit, refuseront de faire cette évolution. On comptera parmi les membres et les adhérents de ce comité des laïques hautement croyants et pratiquants, quelques prêtres, un vicaire général, un respectable religieux. Mais ces catholiques constitueront une exception.

Les francs-maçons prendront prétexte de cette situation, dont eux et leurs amis sont les premiers responsables, pour attaquer violemment le catholicisme. Déjà, le 23 juillet 1898, un congrès des loges de la région parisienne, en adressant aux FF... Brisson et Delpech l'expression de sa sympathie, leur demandait d'agir avec la plus grande énergie envers ceux qui conspiraient contre la République, contre la justice et contre la liberté[211]. Au convent du 19 septembre 1898, la loge Tolérance avait dénoncé le scandale d'un innocent condamné pour le crime d'un autre et maintenu au bagne parce que le parti jésuite l'exigeait[212]. Au convent de septembre 1899, M. René Renoult, au nom du Conseil de l'Ordre, traitera le conseil de guerre de Rennes de tribunal spécial dominé par la plus navrante aberration de la solidarité militariste et réclamera du ministère l'anéantissement de la conjuration cléricale, militariste, césarienne et monarchiste[213]. On pourrait multiplier les citations de documents semblables.

Le 11 janvier 1899, M. de Mun, dans une lettre adressée au Times, avait noblement protesté contre de pareilles assertions. Il n'est pas juste de dire, écrivait-il, que l'affaire Dreyfus ait été, depuis son origine jusqu'à ses dernières conséquences, le fruit d'une machination antisémitique. Le contraire serait bien plutôt exact. La vérité est, en effet, que l'affaire Dreyfus a été, chez nous, la circonstance déterminante qui a transformé brusquement l'antisémitisme en mouvement populaire, précisément par la campagne odieuse, dont elle a été l'occasion ou le prétexte, contre les chefs de notre armée nationale, avec la complicité des juifs, ou, du moins, sans protestation de leur part : là est l'explication de l'impétuosité avec laquelle le sentiment public a fait explosion... Pour le plus grand nombre des catholiques français, le jugement prononcé par le conseil de guerre, confirmé par tous les ministres qui en ont connu les motifs, est décisif, jusqu'à preuve évidente d'une erreur judiciaire ; ils n'admettent pas que, sans cette preuve irrécusable, on ait le droit de jeter le trouble dans la nation et le soupçon sur lés juges militaires, et ils sont profondément irrités par les attaques violentes dont l'armée est l'objet depuis un an, de la part des principaux partisans de la révision du procès[214].

On ne pouvait plus exactement exposer la situation prise par les catholiques dans cette malheureuse affaire. Mais les francs-maçons continuèrent à exagérer quelques paroles violentes de certains polémistes catholiques, à généraliser ces cas exceptionnels, à tenter d'en faire retomber la responsabilité sur l'ensemble des catholiques, sur l'Eglise catholique elle-même, et à en prendre prétexte pour susciter contre elle de nouvelles persécutions.

 

XXII

En somme, le résultat de tous ces événements avait été de resserrer les liens qui unissaient la franc-maçonnerie aux hommes qui venaient de prendre en main le gouvernement de la France. Mais, malgré l'appui que lui prêtait la puissante société, le nouveau Président du Conseil ne se faisait pas illusion sur les difficultés qu'il allait rencontrer. Dans la Chambre, il trouvait, en face de lui, trois groupes nouveaux : le groupe nationaliste, le groupe antisémite et le groupe des ralliés. Le groupe nationaliste avait pour chef M. Paul Déroulède, dont l'éloquence chaude, généreuse, intrépide, dépassait l'enceinte parlementaire, réveillait dans l'âme populaire les vieilles fibres nationales et réussissait même parfois à faire vibrer l'âme endurcie des politiciens. Le groupe antisémite se rangeait naturellement autour d'Edouard Drumont. On ne pouvait encore prévoir si la parole du fondateur de la Libre Parole, nouveau venu au Parlement, y exercerait la même puissance que sa plume acérée et vigoureuse, mais on savait- quel prestige il avait acquis à son nom, et l'on ne pouvait oublier que l'antisémitisme avait déjà fortement agité le Parlement de Berlin, qu'il avait bouleversé, l'année précédente, celui de Vienne. Le groupe des ralliés, grossi de nouvelles recrues, reconnaissait toujours pour chef M. Piou, et pouvait aussi compter sur la parole éloquente de M. de Mun : celui-là, doué d'une parole aisée, noble, élégante, précise et de tous les dons d'un parlementaire de race ; celui-ci, moins apte à la stratégie oratoire, mais capable, à un moment donné, de suspendre à ses lèvres une assemblée délibérante, de faire passer en elle le divin frisson qui fait fondre les haines, les rancunes et les partis pris en une admiration unanime. En dehors du Parlement, l'opposition que pouvait rencontrer le cabinet était plus redoutable encore. Malgré les efforts tentés par les juifs, les francs-maçons et les hommes du gouvernement, malgré la création d'une presse vouée à la défense du capitaine Dreyfus, la masse du pays paraissait profondément nationaliste. La Ligue de la patrie française, fondée pour y propager les idées favorables à la défense de l'armée, y avait trouvé de profonds échos ; et son action, combinée avec celle des antisémites d'une part, des catholiques de l'autre, qui combattaient à peu près les mêmes ennemis, grandissait de jour en jour. Quant au parti dreyfusiste, comme on l'appelait, il comptait surtout, en dehors de ceux que dominait la politique, des savants, des littérateurs, des intellectuels, ainsi qu'on les qualifia, qui eurent peu d'action sur la foule.

Fidèle à la tactique de la franc-maçonnerie, qui est de cacher son vrai but, et de s'abriter, autant que possible, sous des formules vagues, humanitaires, susceptibles d'émouvoir les masses et de faciliter aux politiciens les plus louches combinaisons, M. Brisson se plaça sur le terrain que lui indiquait le congrès des loges parisiennes dans son adresse du 29 juillet 1898 : agir avec la plus grande énergie envers ceux qui conspirent contre la République, contre la justice et contre la liberté. En d'autres termes, il prit parti pour la cause dreyfusiste. Mais ce terrain parut bientôt peu solide. Le ministre de la guerre, M. Cavaignac, s'étant énergiquement prononcé contre les détracteurs de l'armée, était particulièrement acclamé par le peuple. Dans un discours prononcé à la Chambre, il affirma la culpabilité du capitaine Dreyfus. L'homogénéité du ministère était rompue. La démission de M. Cavaignac, donnée le 3 août 1898, ne 'établit pas la confiance dont M. Brisson avait besoin pour gouverner. Le Président du conseil se vit réduit, pour conserver le pouvoir, à s'appuyer sur les socialistes et sur les anticléricaux, ou du moins à leur laisser carte blanche pour les motions les plus avancées. Pour satisfaire les premiers, un projet d'impôt sur le revenu fut élaboré ; pour donner des gages aux derniers, un ami du ministère, M. Trouillot, fit émettre par son conseil général k vœu que nul ne pût être admis dans les grandes écoles ou dans les fonctions publiques s'il n'avait pas passé les trois dernières années de ses études dans un établissement de l'Etat ; et un autre de ses partisans, M. Henry Maret, annonça, dans un discours, son intention d'abattre les trois obstacles à tout progrès : le juge, le prêtre et le soldat. Dans des régions plus basses, la haine anticléricale prenait des formes plus grossières : Propageons autour de nous l'inutilité et surtout la malfaisance du dogme de toutes les religions, disait la Ligue de la libre pensée de Grenoble. Comme nos aînés, les sans-culottes de la grande Révolution, écrasons ces nids de vermine, ces réceptacles d'obscurantisme. Nous ne trouverons jamais de potences assez hautes pour y pendre les suppôts de toute la radicaille cléricafarde[215]. Cette Ligue de la libre pensée dépendait d'une loge maçonnique de Grenoble.

Décidément, le gouvernement lâchait la bride à toutes les passions anticatholiques, et la franc-maçonnerie jetait bas le masque.

D'où lui venait cette audace ? D'où tenait-elle une si grande force ? Dans un article publié par l'Echo de Paris et inséré plus tard dans une brochure spéciale, M. Jules Lemaître, Président de la Ligue de la patrie française, crut pouvoir répondre à cette question. La franc-maçonnerie est devenue forte, écrivit-il, premièrement par la faute d'une grande partie des catholiques et de ceux qu'on appelle les conservateurs. Ç'a été, de leur part, une lourde erreur de ne point se rallier, et tout de suite, au régime républicain... Le catholicisme n'est nullement d'essence monarchique. Sa morale s'accorde le mieux du monde avec la conception d'une République démocratique, soucieuse de justice et imprégnée de charité... Cette erreur d'une fraction considérable des catholiques a eu des suites funestes. Elle a permis aux francs-maçons de se donner comme les défenseurs attitrés de la République, de la déclarer continuellement menacée pour avoir l'occasion de la sauver. Ils l'ont faite leur bien, l'ont façonnée à leur image, et ils ont créé une orthodoxie républicaine étroite, jalouse, aussi intolérante et persécutrice que l'orthodoxie de l'inquisition[216].

La cause indiquée par le Président de la Ligue de la patrie française a pu exercer une influence sur l'attitude des francs-maçons, mais il paraît exagéré de la placer au premier rang. Quoi qu'il en soit, Léon XIII ne jugea point à propos de renouveler à cette occasion ses appels au ralliement. Mais, infatigable pacificateur, toujours fidèle à cette politique à longue portée qu'il avait adoptée au début de son pontificat, et à laquelle il resterait fidèle jusqu'à sa mort, il fit un acte qui révélait la confiance persévérante qu'il gardait à la France, et qui, aux yeux des hommes sérieux et réfléchis, mit en pleine évidence l'injustice et le mauvais vouloir de ceux qui gouvernaient alors notre pays.

Tandis que les déclarations des membres et des amis du gouvernement français annonçaient une recrudescence de persécution envers les catholiques, l'influence française se trouva gravement menacée en Orient. Profitant de ce fait, que l'alliance russe nous liait les mains, la Porte ottomane, excitée par l'Allemagne, avait noué une intrigue pour accréditer au Vatican une légation directe, qui aurait réduit notre protectorat des catholiques du Levant à être désormais sans objet. Elle ne nous épargnait, en attendant, aucune preuve de mauvais vouloir. Après un an de réclamations, elle n'avait pas encore rendu aux élèves de la Faculté de Beyrouth, qui avaient reçu leur science et leurs diplômes de maîtres venus de France, le titre officiel de médecins dans l'étendue de l'empire. Des voix s'élevèrent, dans l'entourage même de Léon XIII, pour lui conseiller d'abandonner cette France incrédule qui persécutait l'Eglise du Christ, et de se tourner plutôt vers cet empire germanique, qui, en ce moment même, permettait à un congrès catholique allemand d'émettre un vœu pour le rétablissement du pouvoir temporel du Saint-Siège. Le Saint-Père n'écouta point ces voix. Derrière les sectaires sans foi ni loi qui gouvernaient momentanément notre pays, il sentit battre le cœur de la vieille France, capable de se soulever de nouveau, comme autrefois, pour la cause de l'Eglise et du Christ ; et, dans une lettre du 20 août 1898, adressée au cardinal Langénieux, archevêque de Reims, il consacra définitivement le protectorat catholique de la France en Orient. La France, déclara t-il, a, en Orient, une mission à part, que la Providence lui a confiée : noble mission, qui a été consacrée, non seulement par une pratique séculaire, mais aussi par des traités internationaux, ainsi que l'a reconnu, de nos jours, notre Congrégation de la Propagande par sa déclaration du 22 mai 1888.

C'était la première fois qu'un souverain pontife affirmait, dans un document personnel et public, le droit de la France. C'était là un fait considérable, et M. Georges Goyau put écrire en vérité dans le Figaro : On ne pourra plus à l'avenir scruter les fondements de notre protectorat sans rappeler cette Lettre. Elle complète, avec une opportunité féconde, la série des documents sur lesquels il s'appuyait... Les papes précédents acceptaient notre protectorat comme un fait ; Léon XIII considère que ce fait est la consécration d'un droit ; et, afin que le fait se perpétue, il reconnaît le droit. Telle est la valeur de l'acte de Léon XIII, et telle en est la nouveauté.

Quelque temps après, le 8 octobre de la même année, le Saint-Père, recevant des pèlerins français venus à Rome sous la conduite de M. Léon Harmel, tint à leur rappeler sa lettre du 22 mai : Oui, leur dit-il, nous avons confirmé les déclarations antérieures du Saint-Siège sur votre patronat traditionnel en Orient. Puis, comme il s'adressait à un pèlerinage composé d'ouvriers chrétiens, et que M. Léon Harmel, en lui présentant ce groupe de travailleurs, le lui avait montré comme le germe d'une démocratie chrétienne, qui, conçue et entendue dans son vrai sens catholique, ramènerait dans le sein de l'Eglise les foules que le socialisme révolutionnaire en avait éloignées, Léon XIII ouvrit son âme à cette grande espérance. Si la démocratie, dit-il, s'inspire aux enseignements de la raison éclairée par la foi ; si, se tenant en garde contre de fallacieuses et subversives théories, elle accepte, avec une religieuse résignation et comme un fait nécessaire, la diversité des classes et des conditions ; si elle ne perd pas de vue les règles de cette charité surhumaine que Jésus-Christ a déclarée être la note caractéristique des siens ; si, en un mot, la démocratie veut être chrétienne, elle donnera à votre patrie un avenir de paix, de prospérité et de bonheur.

Quelques jours après cette audience, le 19 octobre, s'ouvrit à Lyon un congrès de la démocratie chrétienne. Les principaux orateurs furent M. Godefroid Kurth, professeur à l'Université de Liège, M. le chanoine Dehon, M. Carton de Wiart, le futur ministre de la justice en Belgique. M. Pierre Veuillot écrivit, à ce propos, dans l'Univers : Il faut donc accepter, sans réticences, ni regrets stériles et suspects, mais loyalement, de plein cœur, la démocratie... Si le pape nous dit de travailler à faire la démocratie chrétienne, c'est que la démocratie peut le devenir. Le Vicaire de Jésus-Christ n'engage pas les catholiques dans une voie sans issue. L'Association catholique, organe des cercles, dirigée par le marquis de la Tour, du Pin et le comte de Mun, déclara accepter avec un religieux empressement les encouragements et les avertissements partis du Vatican, et insista sur le soin que devrait mettre le parti de la démocratie chrétienne à s'entourer d'un bon renom.

Cette fois encore, par delà un gouvernement sectaire, le Saint-Père cherchait à parler au peuple de France, qu'il savait capable de reprendre les gestes de Dieu : Gesta Dei per Francos. Si les politiciens se montrèrent froids à ces avances faites à notre pays, ai plusieurs d'entre eux s'en irritèrent, l'opinion générale en parut favorablement impressionnée. Quelque temps après, un avis du Conseil d'Etat ayant déclaré que le clergé n'avait aucun droit légal à faire dans les églises des quêtes au profit des pauvres, le Temps lui-même protesta, déclarant que, l'exercice de la charité étant prescrit par les croyances religieuses, c'était la pratique même de la religion que l'on prétendait entraver. Le gouvernement comprit la maladresse de cet excès de zèle, et s'empressa d'affirmer qu'il ne s'était agi que d'un avis, dont il n'avait nul dessein de se prévaloir.

Le cabinet Brisson survécut peu de temps à cette déclaration. Le 25 octobre 1898, il fut renversé parla Chambre, à la grande joie des catholiques. Le 10 novembre, on put lire dans le Correspondant : Le ministère Brisson a. représenté, sous la forme la plus répugnante, le pire dans le mauvais. Il est né de la haine, a vécu de la fraude et est mort du mépris. Le Journal des Débats, sous une forme plus modérée, n'avait pas été Moins sévère. On lisait dans son numéro du 28 octobre : Le cabinet Brisson est exclu du pouvoir parce qu'il n'aurait jamais dû y être.

Le cabinet Charles Dupuy, qui fut constitué le 1er novembre 1898, et qui, au milieu de troubles politiques fréquents et au prix de plusieurs remaniements ministériels, tint le pouvoir jusqu'au 12 juin 1899, marqua un mouvement d'arrêt dans la persécution religieuse. La franc-maçonnerie ne cessa pas de s'agiter. La Ligue de l'enseignement entreprit une campagne pour l'abrogation de la loi Falloux. Un groupe sénatorial, dont M. Alfred Rambaud fut le plus important personnage, proposa de remanier la législation en vigueur, afin de restreindre l'accès des grandes écoles de l'Etat pour les élèves des collèges congréganistes. Un député, M. Levraut, déposa un projet de loi interdisant aux membres du clergé, tant séculier que régulier, la direction de tout établissement d'enseignement primaire ou secondaire. Mais le jour où s'engagea, à la Chambre des députés, le débat sur la liberté d'enseignement, ces projets rencontrèrent peu de sympathies. M. Millerand, membre important du parti radical-socialiste, se prononça nettement contre le projet Levraut, déclara qu'il ne voulait point passer pour exclusivement anticatholique, et qu'il voyait une solution plus loyale de toutes ces questions religieuses dans la séparation de l'Église et de l'Etat. Quant au Président du Conseil, il vint déclarer, au nom du gouvernement, qu'il repoussait à la fois le projet Levraut et la solution indiquée par M. Millerand. L'étude sévère d'une loi sur les associations lui parut le moyen le plus efficace de mettre fin à tous les conflits soulevés. M. de Mun félicita, non sans quelque ironie, M. Charles Dupuy de son intervention. Je me permets, dit-il, de féliciter M. le Président du Conseil d'avoir posé la question sur un terrain où je suis très heureux de la voir transportée. Sa promesse a le double mérite de répondre à une préoccupation constante du pays, et de nous rajeunir les uns et les autres, car je ne compte plus les Présidents du Conseil qui nous ont solennellement promis à cette tribune l'étude sincère d'une loi sur les associations.

Le vote qui, le 22 novembre 1898, termina cette importante discussion, fut une victoire pour la liberté religieuse, et témoigna du progrès accompli en ce sens depuis vingt ans. Le 9 juillet 1879, l'article 7 avait été voté, à la Chambre, par 333 voix contre 144, et l'ensemble du projet de loi, qui avait pour but de supprimer l'enseignement libre, avait réuni 347 suffrages contre 143. Le 22 novembre 1898, une proposition identique était repoussée à plus de Go voix de majorité.

Trois jours avant ce vote, le 19 novembre, M. Ferdinand Brunetière, directeur de la Revue des Deux Mondes, avait prononcé à Besançon, dans une assemblée de jeunes gens catholiques présidée par Mgr Fulbert Petit, un important discours sur le Besoin de croire. Les conclusions de l'orateur, sans être encore franchement catholiques, laissaient entrevoir son adhésion prochaine au catholicisme : Je me dois, disait-il, et je vous dois, avant tout, d'être sincère... La volonté n'est pas la maîtresse absolue du mouvement qui s'opère à l'intérieur d'une âme. Vous remarquerez que ma dernière conférence avait des conclusions beaucoup plus vagues. La prochaine fois, je vous en donnerai, je l'espère, de plus dogmatiques.

A partir de ce moment, l'importante revue que dirigeait l'illustre académicien, fit une part de plus en plus large aux questions religieuses et les étudia avec une impartialité plus sympathique. Dans le monde intellectuel, comme dans le monde politique, l'esprit sectaire semblait perdre du terrain ; et, de ce bienfaisant résultat, il n'était pas téméraire d'attribuer la principale cause à l'esprit largement pacificateur du pape Léon XIII.

Mais, nous avons eu déjà l'occasion de le constater, le Saint-Père ne permit jamais que l'on pût confondre cet esprit évangélique de pacification avec le moindre abandon de la doctrine et de la discipline traditionnelles de l'Eglise. Au moment même où il exerçait, par la noble largeur de son esprit, une si grande influence sur les âmes droites et honnêtes de toutes les opinions, Léon XIII se vit obligé de donner un grave avertissement à des catholiques, qui lui parurent trop accorder à la conciliation et glisser vers ces erreurs libérales que l'Eglise avait plusieurs fois condamnées. Nous voulons parler de son intervention dans la crise dite de l'américanisme.

Vers le milieu de l'année 1898, M. l'abbé Klein, professeur à l'Institut catholique de Paris, publia, en la faisant précéder d'une Introduction, la traduction d'une Vie du P. Heckel, fondateur des Paulistes américains, par le P. Elliott, de la même Compagnie. Cette publication obtint un très grand succès. La version française eut en France un retentissement incomparablement plus grand que ne l'avait eu la biographie anglaise publiée en Amérique. Dans l'Ami du clergé du 23 octobre, M. le chanoine Perriot, connu pour son attachement aux doctrines romaines, s'exprimait ainsi : L'ensemble du ministère du P. Hecker a été incontestablement très fructueux. Assurément, toutes ses méthodes ne réussiraient pas n'importe où ; mais, après tout, nous aurions mauvaise grâce, nous Européens, à trouver blâmable qu'on pense et qu'on agisse dans le Nouveau Monde autrement que chez nous, tant que l'accord subsiste sur les points essentiels de la doctrine.

Mais cet accord sur les points essentiels de la doctrine subsistait-il véritablement ? M l'abbé Maignen, dans son livre : Le Père Hecker est-il un saint ? le nia absolument. Il crut voir, sinon dans le texte anglais, au moins dans la traduction française de l'ouvrage et dans l'introduction qui l'accompagnait, de graves erreurs doctrinales et disciplinaires. On reprocha, non sans raison, à l'abbé Maignen d'exagérer ces erreurs, et d'attribuer, d'une manière générale, aux catholiques américains des opinions que ceux-ci n'avaient jamais professées. Des polémiques assez vives s'ensuivirent, dans lesquelles s'engagèrent le Correspondant, les Etudes, la Quinzaine, la Revue du clergé français, l'Univers, la Vérité. Nous n'avons pas à les rapporter ici.

Au début de l'année 1899, le Saint-Père jugea que le moment était venu d'intervenir. Par une lettre du 22 janvier, adressée au cardinal Gibbons, archevêque de Baltimore, il signala les erreurs contre lesquelles il lui paraissait nécessaire de mettre en garde certains fidèles, très impressionné par la vie du P. Hecker et surtout par les traductions et les commentaires de cette vie faits en langue étrangère. Parmi ces erreurs, Léon XIII notait : 1° la tendance à taire certains articles de doctrine ou à les atténuer, au point de ne plus leur laisser leur sens traditionnel, en vue de ramener plus facilement les dissidents à la foi catholique ; 2° le désir de restreindre la puissance et la vigilance de l'autorité dans l'Eglise, pour permettre à chaque fidèle de développer plus librement son initiative et son activité ; 3° le rejet de toute direction extérieure comme superflue à ceux qu'inspire le Saint-Esprit par un secret instinct ; 4° le dédain des vœux prononcés dans les ordres religieux, considérés comme convenant seulement aux âmes faibles ; 5° le mépris des vertus dites passives, telles que l'obéissance et l'humilité, lesquelles devraient faire place aux vertus qualifiées d'actives, comme le courage, l'initiative et le zèle.

A la suite de la publication de cette lettre, Mgr Ireland, archevêque de Saint-Paul de Minnesota, dont les américanistes avaient invoqué l'autorité, s'empressa d'écrire au Saint-Père Avec toute l'énergie de mon âme, je répudie et condamne, sans exception et littéralement, toutes ces opinions fausses et dangereuses auxquelles, comme la Lettre le dit, certaines personnes attribuent le nom d'américanisme. Je les répudie et les condamne avec d'autant plus d'empressement et de joie de cœur, que jamais, pour un instant, ma foi catholique ne m'a permis d'ouvrir mon âme à de pareilles extravagances[217].

Rome avait parlé ; la cause était finie. Mais, pendant que se poursuivaient entre catholiques les regrettables controverses soulevées par cette question de l'américanisme, pendant qu'elles réveillaient les vieilles querelles, à peine apaisées, qui avaient naguère si péniblement divisé les ultramontains et les libéraux, la franc-maçonnerie n'était pas restée inactive. Depuis le rejet du projet Levraut, elle n'avait cessé, par une propagande méthodique, d'agir sur le parlement, sur le pouvoir exécutif et sur l'opinion. Son but, nous l'avons déjà vu, était de ruiner toute l'œuvre de restauration religieuse accomplie en France depuis la Révolution, particulièrement le concordat de 1801 et la loi sur l'enseignement de 1850. Elle décida de commencer la campagne par l'abrogation de cette dernière loi ; l'abolition du concordat couronnerait ensuite son œuvre de destruction : M. Waldeck-Rousseau allait se charger d'exécuter la première partie de son dessein ; M. Emile Combes entreprendrait de faire réussir la seconde.

 

XXIII

Au cours des événements que nous venons de raconter, le Président de la République française, M. Félix Faure, était mort subitement, le 16 février 1899, et avait été remplacé, le 18 du même mois, par M. Emile Loubet, sénateur de la Drôme. Le nouveau chef du gouvernement appartenait au parti républicain modéré. S'il avait voté le fameux article 7 du projet Ferry, il avait repoussé la séparation de l'Eglise et de l'Etat, et s'était prononcé contre le socialisme. Mais il arrivait au pouvoir porté par des influences radicales, et ce parrainage semblait devoir influer sur sa future attitude. Quelques jours après son élection, M. Louis Joubert[218] écrivait dans le Correspondant : Cet homme, d'allures si pacifiques, paraît destiné à une vie bien tourmentée[219]. M. Emile Loubet devait sanctionner deux des lois qui ont porté les plus rudes coups à l'Eglise catholique : la loi du 1er juillet 1901 sur les associations, et la loi du 9 décembre 1905 abrogeant le concordat de 1801.

Après la chute du cabinet Dupuy, M. Loubet confia le soin de former un nouveau ministère à M. Waldeck-Rousseau. Le 22 juin 1899, M. Waldeck-Rousseau prit le pouvoir, s'adjoignant, comme ministre de l'instruction publique, M. Leygues.

Celui qui devait livrer à l'Eglise de France et aux meilleures institutions de notre pays l'assaut le plus redoutable qu'elles eussent essuyé depuis vingt ans, celui dont M. Emile Combes, en poursuivant avec la dernière brutalité son œuvre de sectaire, devait dire : Je ne fais que suivre la route que m'a ouverte M. Waldeck-Rousseau, était né et avait grandi à Nantes, dans un milieu familial profondément honnête, solidement chrétien, dont le principal caractère était, dans la tenue comme dans les idées, une modération correcte et distinguée.

De ce milieu, M. Pierre-Marie Waldeck-Rousseau devait garder toute sa vie les apparences extérieures, impeccable dans sa mise, précis dans sa parole, d'un ton posé, tranquille et sûr dans son débit. En se mettant à la tête d'une coalition manifestement dirigée contre l'armée, la magistrature et le clergé, il déclarera faire simplement œuvre de défense républicaine en lâchant la bride aux passions socialistes, il prétendra entreprendre une œuvre d'union ; en essayant de frapper à mort les congrégations religieuses, il jurera qu'il n'a pas d'autre objectif que de réprimer les audaces de quelques jésuites et de quelques assomptionnistes turbulents.

Faut-il le qualifier d'hypocrite ? Il ne semble pas que le jugement de l'histoire doive aller jusque-là : Cet homme paraît avoir été la victime d'un obscurcissement progressif du sens moral. Son caractère peu profond, la profession d'avocat telle qu'il la comprit, et la politique opportuniste telle que Gambetta la lui enseigna, l'amenèrent peu à peu à un indifférentisme pratique, à un oubli des grands principes religieux et moraux, dont il est peut-être revenu à ses derniers jours, mais qui, pendant qu'il était au pouvoir, caractérisèrent la plupart de ses actes.

Avocat à Nantes, avocat habile et brillant, on le vit prendre plaisir à faire triompher les causes les plus ardues, les plus rémunératrices en renommée, sinon en intérêts pécuniaires. Initié au pouvoir sous les auspices de Gambetta, puis de Jules Ferry, il trouva, chez l'un comme chez l'autre, cette politique opportuniste, dont le caractère essentiel était de n'avoir ni principe ni doctrine, et que Gambetta avait fondée sur les ruines de l'idéalisme républicain. En 1899, il prenait la direction des affaires au moment où une grande partie des défenseurs du capitaine Dreyfus venaient de transformer leur plainte primitive en une sorte de machine de guerre dirigée contre les institutions fondamentales de la France. Vit-il simplement dans cette affaire, comme l'a dit M. Albert Vandal, une grande cause à plaider ? Ou bien y découvrit-il une force, contre laquelle il craignit de se heurter ? Les deux sentiments ont pu inspirer sa conduite. Il se mit hardiment à la tête du parti. Il alla plus loin. Lui qui, dans tant de discours, avait jadis essayé de mettre l'opinion en garde contre le péril démagogique, il ne craignit pas de donner des gages au parti socialiste dans ses éléments les plus révolutionnaires. Le jour où le gouvernement inaugura, sur la place de la Nation, le groupe du Triomphe de la République, il laissa les sections socialistes, précédées chacune d'un drapeau rouge, défiler devant la tribune ministérielle en criant : Vive la Sociale. Ce que M. Clémenceau appela plus tard le Bloc républicain, était fondé.

Ce ne fut pas seulement un bloc de partisans, ce fut aussi un bloc de doctrines ; et ce bloc de doctrines, ce fut la franc-maçonnerie qui le fournit. Je l'avoue, écrivait, quelques années plus tard, un collègue au Parlement de M. Waldeck-Rousseau, M. Jules Delafosse, je l'avoue, j'ai refusé longtemps de croire à la franc-maçonnerie considérée comme un des grands rouages de l'Etat... J'ai dû me rendre aux preuves... La franc-maçonnerie a été le conseil secret de la campagne exterminative menée contre le catholicisme. Elle a dominé le Parlement, comme elle a inspiré les ministres. Cependant son action était plutôt soupçonnée que reconnue. Elle a soulevé le masque à l'avènement de M. Waldeck-Rousseau. Le Président du Conseil n'était pas franc-maçon. Mais la franc-maçonnerie, qui était l'âme de sa majorité et de son gouvernement, n'en a pas moins exercé sur lui sa contagieuse influence ; elle l'a même quelque peu conquis à sa mentalité[220].

Le premier objectif de la franc-maçonnerie, vers la fin du dernier siècle, était, nous l'avons déjà dit, l'abolition de la liberté d'enseignement et la guerre aux congrégations religieuses, particulièrement aux congrégations enseignantes. Ce premier objectif fut à peu près atteint sous le ministère de M. Waldeck-Rousseau. M. Prache, député de Paris, dans son rapport très documenté sur la franc-maçonnerie, fait à la 11e Commission des pétitions, s'exprime ainsi[221] : Nous pouvons assister en détail, à l'aide des publications des loges, à la préparation par la maçonnerie de deux projets de loi : 1° celui qui concerne ce que la maçonnerie appelle l'abrogation de la loi Falloux, pour donner mieux le change à l'opinion sur ses desseins, mais ce qu'il faut appeler l'abolition du principe républicain de la liberté d'enseignement ; 2° le projet de loi qui concerne les associations.

La campagne projetée contre l'enseignement religieux fut engagée et menée avec beaucoup d'habileté, ou, pour parler plus exactement, avec beaucoup de perfidie. Pour assurer le succès de la campagne, il fallait commencer par discréditer devant l'opinion les hommes et les œuvres qu'on voulait détruire. On n'y manqua pas, et l'on employa, pour y réussir, tous les moyens, légitimes ou non.

Le 8 février 1899, le cadavre d'un enfant de douze ans avait été découvert dans une école tenue par les Frères des Ecoles chrétiennes de Lille. Une instruction judiciaire, précipitamment engagée, illégalement conduite, avait inculpé du meurtre un religieux de cette école, le Frère Flamidien. Des arrêts fortement motivés de la Cour de Douai devaient, plus tard, constater les illégalités flagrantes de l'instruction judiciaire, et proclamer l'innocence de l'accusé. Mais les sectes antichrétiennes mobilisèrent à cette occasion, pour nous servir des expressions d'un éminent prélat, le ban et l'arrière-ban de leurs troupes. Elles entrèrent toutes en ligne, la presse au premier rang, donnant comme un seul homme, ne répugnant à aucunes armes, même aux moins propres[222], mettant en jeu tout ce qui pourrait contribuer à soulever le peuple, à l'armer d'indignation, de dégoût et d'horreur contre la plus populaire et la plus répandue des congrégations enseignantes, contre ces Frères des Ecoles chrétiennes, qui, au nombre de 17.000, dans 2.000 communautés, élevaient alors plus de 325.000 élèves disséminés dans le monde[223]. Même après la mise en liberté de l'accusé, le nom de Flamidien fut longtemps jeté comme une injure, par la populace, à la face des prêtres et des religieux. On essaya d'en faire le synonyme de tout ce qu'il y a de plus honteux.

Des calomnies non moins odieuses étaient dirigées, en même temps, contre une congrégation de femmes des plus méritantes, celle du Bon-Pasteur d'Angers. On leur reprochait d'exercer, dans leur orphelinat, des exploitations contraires à l'humanité et à la loi, de faire subir à leurs orphelines des traitements atroces et odieux. Par là on espérait jeter le discrédit sur un Institut qui, comptant à peine 70 années d'existence, possédait déjà près de 7.000 religieuses, exerçant, dans 221 maisons situées dans les cinq parties du monde, à peu près tous les genres d'apostolat, dont bénéficiaient 47.385 enfants ou jeunes filles. Des enquêtes, conduites par le gouvernement lui-même, firent tomber la plupart de ces calomnies, et plusieurs députés catholiques en firent pleinement justice à la Chambre ; mais les bruits odieux avaient circulé dans la foule, et y avaient laissé, comme d'habitude, de vagues défiances[224].

Les jésuites ne pouvaient être oubliés. M. Yves Guyot, dans le Siècle, cherchait à ressusciter les vieilles querelles des Provinciales. Les jésuites, disait le journal, n'ont pas cessé d'être mêlés à toutes les agitations qui ont eu pour objet de renverser la République parlementaire, libérale et laïque[225]. Tandis que M. Waldeck-Rousseau faisait gracier le capitaine Dreyfus par le Président de la République, la presse anticatholique affectait de réclamer, comme complément logique de cette mesure, l'expulsion des jésuites, promoteurs, disait-on, de l'odieux procès. Et M. de Mun avait beau faire observer, dans une lettre publique à M. Waldeck-Rousseau, que pas un seul des accusateurs du capitaine n'avait été élevé par les Pères de la Compagnie de Jésus, qu'on n'en comptait pas un seul parmi ses juges de 1894, qu'il n'y en avait qu'un seul parmi ceux de 1899 et que la voix publique le désignait précisément comme l'un des deux qui avaient voté son acquittement, que parmi les soixante témoins, six seulement étaient anciens élèves des jésuites, et que parmi ces six, trois avaient déposé en faveur de l'accusé[226], la calomnie faisait son chemin.

Dans le procès intenté devant la Haute Cour à des nationalistes comme M. Déroulède, et à des royalistes comme M. Buffet, on prétendait encore trouver les religieux. Au moins cherchait-on à donner au public l'impression que le gouvernement était menacé de partout par des conspirateurs mystérieux, et qu'il fallait faire des exemples. J'affirme, s'écriait le Président du Conseil, que nous avons trouvé la conspiration partout ! Et M. de Mun, de lui répondre : Non ! Vous n'avez pas trouvé la conspiration chez ceux que vous voulez frapper par vos projets de loi ; ce sont ces projets de loi qui circonscrivent votre politique gouvernementale[227].

 

XXIV

Parmi les projets de loi dont parlait l'éminent député catholique, le principal, le plus redoutable était le projet de loi sur le contrat d'association, que M. Waldeck-Rousseau déposa sur le bureau de la Chambre vers le milieu du mois de novembre 1899[228].

A la vérité, le mot de Congrégation n'était pas écrit dans le texte du projet, et il fallait être juriste exercé pour y trouver une tentative de persécution. L'habile rédacteur s'était contenté de glisser dans deux des articles proposés, l'article 2 et l'article 13, quelques mots perfides. L'article 2 déclarait nulle et de nul effet toute association... emportant renonciation aux droits qui ne sont pas dans le commerce, et l'article 13 soumettait à l'autorisation préalable du Conseil d'Etat toute association fondée entre Français et étrangers, ou dont le siège ou la direction seraient fixés à l'étranger ou confiés à des étrangers. Pour un lecteur superficiel et non prévenu, le premier de ces articles paraissait viser simplement des gens qui auraient renoncé à trafiquer de quelque chose, comme si cela eût été d'un mauvais exemple ; et le second de ces articles semblait, à première vue, dicté par une pure considération de défense nationale. En réalité, dans l'esprit du législateur (les suites de la discussion vont le montrer avec évidence), par les droits qui ne sont pas dans le commerce les tribunaux devaient entendre les vœux religieux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, car, dans son interprétation, ces vœux emportaient la renonciation au droit de se marier, au droit de posséder, au droit de disposer librement de son activité, droits naturels, imprescriptibles et inaliénables. En se plaçant même au point de vue strictement juridique, l'interprétation était contestable, car, ainsi que devait le faire remarquer M. Pion, les vœux religieux ne sont pas des contrats, mais de simples engagements de conscience que la loi n'a ni à reconnaître ni à sanctionner[229]. Aussi bien, la formule serait-elle modifiée plus tard. Quant à l'article 13, sous sa forme patriotique, il était plus perfide encore, car on pouvait l'appliquer non seulement aux religieux, mais à tout le clergé, mais à tous les catholiques, l'Eglise catholique formant une société d'hommes dont le siège et la direction sont fixés à l'étranger, puisque son siège est à Rome et que son chef est le pape. D'ailleurs l'article 2 lui-même pouvait être appliqué à tous les clercs engagés dans les ordres majeurs, prêtres, diacres et sous-diacres. M. le comte d'Haussonville, dans une conférence donnée le 9 janvier 1901, avait donc le droit de dire : Que le projet de loi sur le droit d'association n'eût en réalité pour but que de détruire les congrégations religieuses, il me sera aisé de le montrer[230], et M. de Mun était autorisé à opposer à M. Waldeck-Rousseau, l'apostrophe que, bien à tort, Victor Hugo avait cru pouvoir adresser aux auteurs de la loi de 1850 : Votre loi est une loi qui a un masque. Elle dit une chose, et elle en fait une autre. C'est une pensée d'asservissement qui prend les allures de la liberté.

Le projet, soumis à une commission et longuement remanié par elle, ne devait venir en discussion devant la Chambre que le 15 janvier 1901. Mais, pendant cet intervalle, la franc-maçonnerie et ses agents ne devaient pas rester inactifs. Un général qui médite un grand assaut, ne se préoccupe pas seulement de la troupe qu'il a devant lui. Atteindre les réserves de l'ennemi, empêcher ses approvisionnements, le terroriser de toute manière, le sonder çà et là par des coups de mains rapides et imprévus : tels sont les moyens suggérés par une habile stratégie. Aucun d'eux ne fut négligé par ceux qui avaient juré de ruiner l'Eglise catholique en France. Les projets de loi de M. Waldeck-Rousseau sur les actes privés des évêques et sur les ministres du culte en général, celui de M. Brisson sur la sécularisation des biens des religieux, le procès des assomptionnistes, les mesures administratives prises à l'égard des lazaristes et à propos de plusieurs manifestations religieuses, des campagnes de presse et de conférences publiques contre le concordat de 1801, furent les principales manifestations du plan maçonnique, exécutées sous les auspices ou par la propre initiative du gouvernement.

Ce fut M. Léon Bourgeois, l'ancien Président du Conseil, qui, le 10 janvier 1900, lança le cri de guerre, en lui donnant la forme d'un cri d'alarme. Dans une réunion organisée au Palais-Royal, il représenta la République comme menacée par une redoutable coalition de royalistes, d'impérialistes, de césariens et de républicains de la nuance de M. Méline : coalition sans nom, qui essaye de mettre sur son drapeau le mot patrie, mais qui obéit à une même inspiration, le cléricalisme. Oui, s'écria-t-il, c'est lui qui est l'ennemi, il faut bien le répéter, le mot de Gambetta est toujours vrai. Le cléricalisme est toujours l'ennemi. Il l'est aujourd'hui plus que jamais. Et, dans l'affaire Dreyfus, dans les complots attribués aux royalistes, dans l'organisation de la Ligue de la patrie française, dans les oppositions mêmes des républicains modérés, l'orateur affecta de voir l'ingérence cléricale. Cette ingérence cléricale, il la montra active, entreprenante, pourvue de puissants moyens d'action, dans les congrégations religieuses, et en particulier dans une congrégation plus remuante que toutes les autres, celle des assomptionnistes. Il y a peu de jours, dit-il, je regardais une carte publiée récemment sur la situation de la propriété mobilière des congrégations... Si vous examinez cette carte, vous serez véritablement effrayés... Est-ce pour la prière ou pour la charité que ces grosses ressources sont accumulées ? Allez le demander à cette caisse des assomptionnistes, dont je ne dirai rien, parce qu'un procès est engagé. Demandez-le aux Croix, à cette propagande forcenée qui se fait à l'aide d'énormes sommes d'argent... Toute cette puissance est consacrée à une même œuvre : elle est employée à détruire la République.

Tout était faux dans ce venimeux réquisitoire : et la prétendue coalition de toutes les oppositions gouvernementales sous l'inspiration du cléricalisme, et l'imaginaire opulence des congrégations. La plupart de leurs biens, arbitrairement majorés, consistaient en églises, chapelles, hôpitaux, orphelinats, établissements d'éducation, dont la valeur serait un jour à peu près absorbée par les frais de liquidation. Quant à la conspiration des assomptionnistes contre les institutions républicaines, elle était inventée de toutes pièces.

Si les premiers coups étaient dirigés contre la congrégation des Pères Augustins de l'Assomption, c'est que cette société, fondée en 1850 par le R. P. d'Alzon, avait, en un demi-siècle, atteint lès proportions d'une congrégation de premier ordre, rempli des œuvres de son zèle, non seulement la France, mais le monde entier. Le fondateur de cette famille religieuse, ancien disciple de La Mennais, avait, en répudiant les erreurs de son maitre, conservé dans son âme et fait pénétrer parmi les siens, cette ardeur généreuse, cette activité passionnée et hardie, que l'hôte de la Chênaie aimait à cultiver dans les âmes de ceux qui se groupaient autour de lui. Tout jeune, il s'était lancé, avec le zèle d'un apôtre et l'élan chevaleresque d'un gentilhomme, dans la lutte pour la liberté d'enseignement, et avait créé une revue pour la défendre. Plusieurs déjà trouvaient parfois sa fougue intempérante. Insoucieux de ces critiques, il avait pris à son compte et élevé à un haut degré de renommée un collège moribond, et y avait trouvé ses premiers collaborateurs. A peine né, l'ordre fondé par lui, pénétré de son esprit, s'était ramifié en alumnats, petites-sœurs et tiers ordre, irradié en œuvres d'enseignement, de missions et de prières. Douze ans après sa mort, un de ses fils spirituels, le R. P. Vincent de Paul Bailly, héritier de la hardiesse de son zèle, avait résolu d'entreprendre une œuvre d'apostolat populaire par la presse. Le premier numéro du journal quotidien La Croix avait paru le 16 juin 1883. Le succès de la nouvelle feuille avait été rapide. Au bout de quinze jours, la Croix avait cinq mille abonnés ; dix mois après, elle en comptait 30.000 ; quelques années plus tard, près de 300.000. Le journal se donnait comme purement catholique, sans attaches politiques d'aucune sorte. C'était, du reste, la voie que le R. P. d'Alzon avait tracée à ses religieux et à leurs œuvres dès 1850, comme il ressort des documents concernant les origines de la congrégation[231]. Au lendemain de l'encyclique recommandant aux catholiques la politique du ralliement, la Croix avait écrit : Le pape veut l'union, soyons unis comme il le veut ; il nous dit d'accepter la République, acceptons-la, et combattons résolument les lois mauvaises. Poussons tous les catholiques, royalistes, impérialistes, républicains, à unir leurs efforts pour essayer loyalement d'établir en France une République chrétienne[232].

Que, dans ses vigoureuses campagnes, la jeune feuille eût toujours gardé la juste mesure, on a pu le contester. Le biographe assomptionniste du R. P. Bailly rapporte qu'un jour Mme Loubet se plaignit au nonce apostolique, Mgr Lorenzelli, parce que la Croix avait appelé le Président de la République Panama Ier. Elle ne s'était pas attendue, disait-elle, à lire une injure pareille sous l'image de Notre-Seigneur crucifié[233]. Le même auteur rappelle qu'en l'automne de 1899, le Saint-Père, recevant en audience le R. P. Bailly, lui fit beaucoup d'éloges de la Croix, mais ajouta : Il ne faut pas toujours crier : Dreyfus ! Dreyfus !... Et puis, il faut dire quelquefois du bien de M. Loubet[234]. Malgré tout, l'œuvre accomplie par la Croix avait grandement servi la cause de l'Eglise. Autour du petit journal quotidien, un grand nombre de publications hebdomadaires, mensuelles, trimestrielles, annuelles, étaient venues s'adjoindre : les Questions actuelles, le Laboureur, la Croix du dimanche, les Bonnes lectures, les Contemporains, Mon almanach, le Noël, les Echos d'Orient, le Mois littéraire et pittoresque, l'Annuaire pontifical catholique, etc.[235] Parmi les autres œuvres entreprises par les Pères de l'Assomption, une mention spéciale est due aux Pèlerinages nationaux, organisés par le R. P. Picard, qui amenèrent à Lourdes, à Paray-le-Monial, à Jérusalem, des foules immenses. Les pèlerinages de Jérusalem prirent le nom de Croisades de pénitence. De 1883 à 1910, on n'en compta pas moins de quarante-quatre ; et, de l'aveu des consuls de France et des autorités les plus compétentes, ces pèlerinages obtinrent, en dehors du réveil de la foi et de la piété, ce double résultat, fort appréciable, d'augmenter le prestige de la France en Orient et de provoquer, entre les catholiques et les chrétiens dits orthodoxes, un rapprochement jusque-là inconnu. L'importance prise par la congrégation des Pères de l'Assomption expliquait les animosités des hommes du gouvernement à son égard. Ainsi que le rappelait M. Léon Bourgeois dans son discours du 10 janvier 1900, un procès était engagé contre eux à cette époque.

Le biographe du R. P. Bailly raconte que, vers la fin d'octobre de 1899, Mgr Lorenzelli, nonce apostolique, eut avec le Président du Conseil, M. Waldeck-Rousseau, une entrevue, dans laquelle celui-ci lui déclara que, à cause du Parlement, très indisposé contre les congrégations religieuses, il allait être obligé d'agir contre une d'entre elles, celle des assomptionnistes, mais que, par les mesures qu'il allait prendre, il espérait sauver les autres congrégations. Peut-être même pourrait-il se dispenser de présenter la loi sur les associations. Les assomptionnistes seraient ainsi le paratonnerre qui préserverait l'Eglise en France. Quand le nonce rapporta cette conversation au R. P. Picard, Supérieur général des Pères de l'Assomption, ce dernier lui répondit : On veut nous détruire parce que nous sommes la seule digue en France qui puisse arrêter le torrent. Quand nous aurons disparu, M. Waldeck-Rousseau, à l'instigation de la franc-maçonnerie, présentera la loi d'association, qui sera la ruine de toute vie religieuse[236].

Trois jours après, le 11 novembre 1899, toutes les maisons de l'Assomption, dans toute l'étendue du territoire, furent, à la même heure, 8 heures du matin, soumises à de minutieuses perquisitions, aux fins de constater et de prouver que les assomptionnistes étaient des membres d'une association de plus de vingt personnes, en contravention de l'article 291 du code pénal. C'était la première fois depuis 1810, date de la promulgation du code pénal, que cet article était appliqué aux congrégations religieuses, car la doctrine et la jurisprudence, d'accord en ce point, avaient constamment tenu qu'elles n'étaient point visées par cet article, 1° par le fait qu'elles avaient été toujours régies par une sorte de statut personnel, qui les mettait à part de toute législation générale, 2° en vertu de la disposition finale de l'article 291 lui-même, qui déclarait non comprises au nombre des personnes indiquées, celles domiciliées dans la maison où l'association se réunit. Une célèbre consultation, rédigée en 1843 par M. de Vatimesnil, et une seconde consultation, non moins fameuse, signée, en 1880, par M. Rousse et M. Demolombe, avaient fortement établi cette thèse juridique.

Cependant la presse gouvernementale menait une bruyante campagne contre ceux qu'elle appelait les moines ligueurs, les moines marchands, et le procureur de la République, M. Bulot, prétendait faire prévaloir la doctrine rendant les religieux justiciables de l'article 291 du Code pénal. Un procès retentissant s'ensuivit. Après cinq jours de débats, le tribunal condamna les prévenus chacun à 16 francs d'amende et déclara dissoute l'association connue sous le nom de congrégation des Pères Augustins de l'Assomption[237]. Un arrêt de la Cour d'appel de Paris confirma, le 6 mars 1900, la décision des premiers juges[238].

La presse religieuse fut unanime à protester coutre ce jugement. Le cardinal Richard, archevêque de Paris, et l'épiscopat français dans son ensemble témoignèrent, à cette occasion, leur sympathie aux religieux persécutés. Le gouvernement priva de leur indemnité concordataire tous les évêques qui se permirent de protester publiquement. La Croix ouvrit une souscription pour la leur rendre. Au bout de quelques jours, la souscription avait quadruplé le traitement de ces prélats. Le vaillant journal, qui publiait chaque jour les lettres de sympathie qu'on lui adressait, gagnait à tout ce bruit un énorme regain de popularité.

Le Président du Conseil se plaignit à Rome, par voie diplomatique, de cette agitation religieuse croissante, et demanda au pape d'y mettre fin, lui faisant entendre que la Chambre, irritée, voterait des aggravations à la loi proposée sur les associations. Effectivement, M. Henri Brisson avait déjà rédigé un projet de loi en ce sens. Léon XIII se contenta de déclarer que, tout en comprenant les sympathies des catholiques pour les Pères de l'Assomption, il jugerait dangereuse toute manifestation qui revêtirait un caractère politique. Puis il invita les assomptionnistes, pour le bien de la paix et en vue d'éviter un plus grand mal, à s'abstenir désormais de prendre part à la rédaction de la Croix. Le journal, passé en d'autres mains, amies des Pères, garda le même esprit, et continua ses vaillantes campagnes. Quant aux autres publications et œuvres diverses des Pères de l'Assomption, le Saint-Père leur laissa pleine liberté de les continuer, et, malgré les entraves qu'elles rencontrèrent de la part des pouvoirs publics, elles ne cessèrent de témoigner de leur vitalité[239].

 

XXV

Malgré tout, il n'y avait pas à se le dissimuler, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 6 mars 1900, en déclarant que la congrégation des assomptionnistes tombait sous le coup de l'article 291 du code pénal, inaugurait une jurisprudence qui rendait susceptibles des mêmes poursuites et des mêmes sanctions toutes les congrégations religieuses non autorisées. Le projet de loi présenté à la Chambre, au cours du procès, par M. Brisson aggravait la menace. Il attribuait purement et simplement à l'Etat tous les biens possédés par lesdites congrégations[240]. M. Waldeck-Rousseau, s'appuyant sur les incidents auxquels avaient donné lieu la poursuite et la condamnation des assomptionnistes, c'est-à-dire sur les témoignages de sympathie que leur avaient adressés un grand nombre d'évêques et de prêtres, proposait une loi ayant pour but de compléter les dispositions du code pénal relatives à la répression des troubles apportés à l'ordre public par les ministres des cultes. Le 10 avril 1900, M. Dulau, député des Landes, présenta à la Chambre un rapport plein de fiel sur ce projet[241]. Le lendemain, le Président du Conseil vint déclarer au Parlement que, si considérable que fût l'œuvre de sécularisation accomplie jusque-là, si importants que fussent le projet proposé la veille et ce projet de loi sur les associations, qu'une commission remaniait avec soin, toutes ces mesures avaient besoin d'être complétées par l'adoption d'un projet exigeant un stage de trois années dans l'Université pour quiconque aspirerait à occuper des fonctions publiques. Par là seulement on assurerait au pays une paix morale reconquise sur les entreprises des moines ligueurs et des moines d'affaires, par là seulement on reprendrait une tradition républicaine qui, pendant un demi-siècle, de 1801 à 1850, avait donné, disait-il, grâce au régime scolaire qu'on allait ressusciter, la génération la plus forte et la plus libérale que mentionnât l'histoire scientifique, littéraire et philosophique du XIXe siècle[242].

Plusieurs écrivains relevèrent ce qu'il y avait d'inexact dans cette dernière assertion, et M. de Mun, dans une lettre vigoureuse adressée à M. Waldeck-Rousseau, fit ressortir le caractère tyrannique du projet que venait de prôner si chaudement le Président du Conseil. Ce que vous demandez, lui disait-il, ce n'est pas, comme tous les gouvernements en ont le droit et le devoir, que tous les agents de la puissance publique servent l'Etat avec loyauté et fidélité. Vous savez à merveille que là-dessus, ceux dont vous voulez vous défaire sont invulnérables. Ce que vous voulez, ce n'est pas la loyauté de la conduite, c'est la servitude de l'esprit... Vous voulez qu'au dedans du cœur, on ait de la République, de la Constitution, des lois et du gouvernement, la même idée que vous-même et vos amis. Vous exigez davantage : qu'on ait, sur les principes fondamentaux de la société, sur la morale et sur l'histoire qui leur servent de base, les mêmes conceptions que les vôtres[243]. Et le député catholique rappelait au chef du gouvernement la forte parole de Montesquieu[244] : Il y a deux sortes de tyrannies : une réelle, qui consiste dans la violence du gouvernement ; et une d'opinion, qui se fait sentir lorsque ceux qui gouvernent établissent des choses qui choquent la manière de penser d'une nation. Faisant l'application de ces principes, M. de Mun ajoutait[245] : D'après la dernière statistique, celle que la commission de l'enseignement a fait dresser, il y a actuellement 143 établissements secondaires congréganistes, qui comptent un total de 31.357 élèves. De telle sorte que, grâce à vous, près de 32.000 jeunes gens vont être lycéens malgré eux et malgré leur famille. Après cela, vous direz sans rire que vous ne portez aucune atteinte à la liberté des parents, et mou honorable collègue, M. Dumont, s'écriera : C'est la liberté de l'enfant que nous voulons protéger.

La liberté de l'enfant ! Ce n'était point elle seule qui était en cause ; c'était aussi, et M. de Mun insistait sur cette seconde considération, sa vraie formation morale, sa vraie éducation. Car le moment où l'on voulait appliquer ce régime du stage scolaire dans l'Université, c'était précisément celui où les maîtres les plus autorisés de l'Université venaient de déclarer, au cours d'une longue enquête parlementaire, l'insuffisance des lycées dans l'œuvre de l'éducation proprement dite : Nous sommes tout simplement incapables de donner l'éducation, avait dit M. Gréard, vice-recteur de l'Académie de Paris. Nos proviseurs n'en n'ont ni le temps, ni le goût, ni l'aptitude. Les professeurs ne se croient pas tenus de s'en occuper, et les répétiteurs s'en dispensent. Le régime du lycée ne forme pas suffisamment le caractère, avait déclaré M. Boutroux. Tous, concluait M. de Mun[246], tous depuis les plus illustres : membres de l'Institut, comme M. Lavisse, M. Brunetière, M. Berthelot ; anciens ministres, comme M. Rambaud, M. Poincaré, M. Léon Bourgeois ; jusqu'aux plus modestes fonctionnaires de lycée ou de collège, ont ouvert devant la commission ce grand procès ; et je ne sais rien de plus frappant. de plus saisissant, que le spectacle de cet effort universel, de plus poignant aussi quand on songe quel en est l'objet sacré.

Aussi bien, cet assaut général contre des institutions qui n'intéressaient pas seulement l'Eglise catholique, mais la morale individuelle et sociale, mais les principes les plus élémentaires de la liberté civile et du droit, commençait à révolter les hommes modérés du vieux parti républicain ; d'autant plus que les déclarations anticléricales qui retentissaient au Parlement encourageaient les fonctionnaires de l'ordre administratif et judiciaire aux pires mesures d'arbitraire contre les catholiques. Ici, c'était un maire qui, contre le vœu unanime d'une population, supprimait une procession traditionnelle ; là, c'était un magistrat municipal qui s'arrogeait le droit d'interdire le port du costume ecclésiastique, d'empêcher le clergé de prendre part aux funérailles, de poursuivre des prêtres coupables d'avoir prêché une mission dans une église ou d'avoir arboré un drapeau du Sacré Cœur[247]. Un des plus anciens et des plus dévoués serviteurs de la République, M. de Marcère, prononça à Lyon, le 18 février 1900, un discours vigoureux contre les mesures attentatoires à la liberté d'enseignement. L'unité morale de la nation ! s'écria-t-il. Mais si notre unité morale a reçu des atteintes violentes dans ces derniers temps, est-ce la liberté qu'il faut accuser ? N'est-ce pas plutôt le vent d'exclusivisme et de proscription qui souffle sur les hauteurs ?... La tyrannie ne peut pas se perpétuer chez nous sous couleur de République. La tyrannie est d'abord une sottise, premier tort en France. Elle est, de plus, un insupportable fardeau[248]. Le 12 mars de la même année, un autre membre de la majorité républicaine, M. Aynard, nommé rapporteur de la commission de l'enseignement, se prononça énergiquement pour le rejet de la loi sur le stage scolaire. Le projet, dit-il, de nul effet pour son but apparent, serait de la plus grande puissance pour son but caché : il ne changerait pas l'esprit du plus mince employé, mais il découronnerait l'enseignement libre... Ce projet n'est qu'une conception mesquine de l'esprit de secte ; il ne pourrait aboutir qu'à la désunion nationale[249]. Vers la même époque, le groupe entier des progressistes se prononçait dans le même sens. Son président, M. Krantz, ancien ministre, déclarait, en son nom, mettre son honneur à combattre une politique de représailles et de haine[250]. Peu de temps après, le 26 juillet 1900, le ministre de l'instruction publique lui-même, M. Leygues, se voyait obligé de renoncer aux formules combatives. Dans un discours prononcé à la Sorbonne, à l'occasion de la distribution des prix du concours général, il n'avait d'invectives que contre l'esprit d'intolérance. L'intolérance ? disait-il, notre pays la méprise et la hait, parce qu'elle abaisse et déshonore les peuples[251].

Du fond du Vatican, Léon XIII prêtait une oreille attentive à toutes ces paroles et cherchait à y voir les préludes de cette œuvre de pacification dans la vérité, qui avait été tout le but de son pontificat. Dans sa Lettre apostolique du 20 juin 1891, il avait écrit : Ce siècle, qui marche à sa fin, ne pourrait-il pas transmettre au genre humain, comme un héritage, quelque gage de concorde, l'espérance des grands bienfaits que donnerait l'unité de la foi chrétienne. Aux derniers jours de l'année 1900, ces espoirs étaient-ils près de se réaliser ? La situation religieuse de la France semblait bien exprimer celle de tous les Etats. Partout les gouvernements étaient plutôt hostiles à l'Eglise catholique ; partout leur hostilité trouvait de faciles appuis dans les classes populaires, que l'instabilité du régime du travail rendait accessibles aux suggestions révolutionnaires, et dans une faible partie des classes moyennes, que la franc-maçonnerie avait embrigadée ; mais partout l'ensemble des fidèles, décidément guéris des erreurs jansénistes, gallicanes et libérales, se groupait autour du pape, dont le concile du Vatican avait mis désormais l'autorité suprême au-dessus de toute contestation ; et partout on voyait des esprits réfléchis, philosophes, politiques ou savants, désabusés des mensonges et des utopies révolutionnaires, se tourner vers le catholicisme avec sympathie. Le 1er novembre 1900, le souverain pontife, dans une encyclique qu'il intitula Du Christ Rédempteur, exprima le vœu que la confiance dans le Rédempteur du monde fût le legs du siècle finissant à celui qui allait s'ouvrir. Il demanda qu'en embrassant du regard toutes les nations de la terre, le Crucifié se souvînt de la divine promesse : Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi. Il ne dissimula pas cependant ses graves appréhensions en face de tant de causes de maux invétérés, qui affligeaient les individus et les sociétés. Le XXe siècle devait justifier à la fois ces espérances et ces craintes. Les premiers jours de l'année 1901 allaient voir se renouveler une lutte qui prenait de plus en plus un caractère religieux, où les adversaires allaient se grouper suivant leurs sentiments d'amour ou de haine à l'égard de l'Eglise catholique.

 

XXVI

Le projet de loi de M. Waldeck-Rousseau suries associations, remanié et aggravé parla Commission parlementaire à laquelle il avait été confié, devait venir en discussion vers le milieu du mois de janvier 1901[252]. Le Saint-Père pressentait qu'il allait être l'occasion d'un débat décisif dans les Chambres françaises. Il crut que le moment était venu pour lui d'élever la voix, au nom de l'Eglise catholique, au nom de la justice, au nom des intérêts de la France, de faire un appel suprême aux sentiments d'équité qu'il voulait supposer toujours vivants dans le cœur de ceux qui tenaient en mains les destinées de notre pays. Jamais son langage n'avait été plus noble et plus ému. Au milieu des consolations que nous a procurées l'année sainte du Jubilé, disait-il dans une lettre adressée au cardinal-archevêque de Paris et datée du 23 décembre 1900, nous avons éprouvé une amère tristesse en apprenant les dangers qui menacent les congrégations religieuses en France... Les promesses religieuses, faites librement et spontanément après avoir été mûries par les réflexions du noviciat, ont été regardées et respectées par tous les siècles comme des choses sacrées, sources des plus rares vertus... Partout où l'Eglise s'est trouvée en possession de sa liberté, partout où a été respecté le droit naturel de tout citoyen de choisir le genre de vie qu'il estime le plus conforme à ses goûts et à son perfectionnement moral, partout aussi les ordres religieux ont surgi comme une production spontanée du sol catholique, et les évêques les ont considérés à bon droit comme des auxiliaires précieux du saint ministère... La disparition de ces champions de la charité chrétienne causerait au pays d'irréparables dommages. A une société où fermentent tant d'éléments de trouble, il faut de grands exemples d'abnégation, d'amour et de désintéressement... D'ailleurs c'est sur l'action laborieuse, patiente, infatigable de ces religieux, qu'est principalement fondé le protectorat de la France, que les gouvernements successifs de ce pays ont tous été jaloux de lui conserver et que nous-même nous avons affirmé publiquement... Nous devons enfin faire observer que frapper les congrégations religieuses, ce serait s'éloigner, à leur détriment, de ces principes démocratiques de liberté et d'égalité qui forment actuellement la base du droit constitutionnel en France... Nous voulons compter sur l'équitable impartialité des hommes qui président aux destinées de la France et sur la droiture et le bon sens qui distinguent le peuple français... Depuis le commencement de notre pontificat, nous n'avons omis aucun effort pour réaliser en France une œuvre de pacification, qui lui aurait procuré d'incalculables avantages, non-seulement dans l'ordre religieux, mais encore dans l'ordre civil et politique... Nous éprouverions une extrême douleur si, arrivé au soir de notre vie, nous nous trouvions frustré du prix de nos sollicitudes paternelles et condamné il voir dans le pays que nous aimons les passions et les partis lutter avec un nouvel acharnement.

Le 15 janvier 1901, la discussion du projet de loi s'ouvrit à la Chambre des députés. Le premier qui l'attaqua fut un républicain de la veille, M. Renault-Morlière, qui lui reprocha de violer à la fois le principe de la liberté et les intérêts de la paix sociale. Le principe de la liberté, admis dans notre droit public, ne permet pas à la loi, dit-il, de s'ingérer d'aucune manière dans les vœux de religion. La loi ne le peut pas. Le voudrait-elle, qu'elle n'en aurait pas le droit. Il s'agit là du for intérieur, du domaine de la conscience, et aucun législateur n'a le droit de pénétrer dans ce domaine. L'orateur démontra ensuite que la paix sociale n'était pas moins blessée que la liberté dans la disposition de la loi qui donnait un effet rétroactif à ses sanctions. Comment ! s'écria-t-il, voilà des contrats, qui ont été passés sous l'empire, sur la foi d'une autre législation, et vous allez détruire ces contrats en vertu d'une disposition nouvelle qui ne pouvait être prévue ! L'effet rétroactif que vous donnez à cette loi, c'est l'ébranlement de toutes les fortunes, c'est l'ébranlement du crédit public. Ah ! je sais bien que les congrégations ne vous semblent dignes d'aucune pitié. Mais prenez garde ! Quand on viole les principes en faveur des uns ou des autres, Il faut craindre qu'un jour les principes ne se vengent !

Ce discours eut pour résultat d'obliger les partisans de la loi à se démasquer complètement. M. Viviani vint déclarer, en leur nom, que leur vrai but était d'atteindre, dans leur essence, non seulement les congrégations religieuses, mais l'Eglise catholique elle-même, mais tout pouvoir spirituel qui prétendrait disputer à l'Etat laïque le gouvernement des consciences. Nous ne sommes pas seulement, dit-il, face à face avec des congrégations ardentes et belliqueuses ; nous sommes face à face avec l'Eglise catholique, avec cette Eglise catholique qui leur sert de rempart légal et officiel, avec cette Eglise catholique qui devrait être beaucoup plus modeste dans les revendications de la liberté. Ne l'oublions pas : au-dessus de ce combat d'un jour, au-dessus de cette loi qui passe, se rencontre, une fois de plus, ce conflit formidable où le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel essaient, en s'arrachant les consciences, de garder jusqu'au bout la direction de l'humanité. M. Jacques Piou, M. Albert de Mun, M. Ribot, M. Lerolle, M. Lasies, M. l'abbé Gayraud, M. l'abbé Lemire, M. Cuneo d'Ornano, M. Paul Beauregard et plusieurs autres orateurs de la droite et du centre, firent valoir avec beaucoup d'éloquence, de science juridique et de bon sens, les arguments que le Saint-Père avait indiqués dans sa lettre au cardinal Richard. Mais rien ne put ébranler dans son parti pris la majorité de la Chambre. Le 29 mai, par 303 voix contre 224, elle vota l'ensemble de la loi. Le 11 juin, la discussion reprit au Sénat, où la cause de l'Eglise, du droit et de la vraie liberté fut défendue par MM. de Lamarzelle, de Cuverville, de Marcère, Mézières et Tillaye. Le projet revint, avec quelques modifications de pure forme, à la Chambre des députés, qui l'adopta définitivement le 28 juin 1901.

La Constitution accordait au Président de la République le droit de provoquer une nouvelle discussion. M. Loubet, qui, dans plusieurs circonstances, avait fait montre d'un esprit modéré, allait-il, en présence de cette loi de spoliation et de haine, faire usage de son droit ? L'amiral de Cuverville l'en supplia, au nom du patriotisme. Mais le premier magistrat de la République resta sourd à cette supplication. Le 1er juillet, il apposa sa signature au bas du texte de la loi, qui fut promulguée le lendemain, 2 juillet, au Journal officiel.

Le texte primitif, proposé par M. Waldeck-Rousseau, avait été, nous l'avons dit, profondément modifié. Les formules captieuses dans lesquelles l'habile avocat avait voulu envelopper les congrégations, sans les nommer, avaient disparu. Les ingénieux artifices. par lesquels il avait voulu dissimuler la passion antireligieuse qui l'inspirait sous la forme de principes juridiques, avaient été abandonnés. L'article 13 disait nettement qu'aucune congrégation religieuse ne pourrait se former sans une autorisation donnée par une loi qui déterminerait les conditions de son fonctionnement, et que sa dissolution pouvait être prononcée par décret rendu en conseil des ministres. L'article 14 portait des sanctions sévères contre tout membre d'une congrégation non autorisée qui ouvrirait un établissement d'enseignement, soit par lui-même, soit par personne interposée. L'article 18 réglait la liquidation des biens des congrégations actuellement existantes qui n'auraient pas, dans le délai de trois mois, justifié qu'elles avaient fait les diligences nécessaires pour se conformer aux prescriptions de la loi[253].

Cette loi, qui portait toujours le titre de loi sur le contrat d'association, était, en somme, le décret de mort porté contre les congrégations religieuses. Fondait-elle au moins la liberté des associations en général ? Au moment du vote final, M. Renault-Morlière lui avait reproché, en dehors de ses mesures tyranniques dirigées contre toute liberté religieuse, de s'être inspirée d'un sentiment général de défiance à l'égard du droit d'association. Dans un article très documenté de la Revue politique et parlementaire, M. Eugène Rostand avait fait la même constatation. Que fait la loi pour l'association laïque ? disait-il. Rien ou presque rien. L'association laïque reste soumise à la tutelle administrative la plus étroite. On fait semblant de lui donner la liberté ; et on lui refuse, en même temps, ce qui est la condition essentielle de la liberté : des ressources pour agir[254]. Cette loi, qui violait ainsi la liberté de tous les citoyens en même temps que celle des religieux, portait en outre, en elle-même, le germe d'une loi plus générale, plus grave, plus hostile à l'Eglise, dont elle semblait le prélude. Au lendemain de sa promulgation, un des religieux qui avaient le plus vigoureusement défendu par la plume les droits de l'Eglise contre les entreprises gouvernementales, le R. P. Prélot, de la Compagnie de Jésus, directeur des Etudes, écrivait : Parmi les fruits amers de la loi des associations, il en est un sur lequel il faut insister. On a dit : Après tout, il ne s'agit que de quelques moines. Il ne s'agit que de quelques moines ! Ce serait déjà beaucoup, car, en la personne de chacun de ces moines, les droits de tous sont foulés aux pieds. Mais la loi de haine porte plus loin. Les chefs du radicalisme ont déclaré qu'elle serait la préface et la préparation de l'abolition du concordat. Derrière les congrégations religieuses, la loi impie a donc visé, de l'aveu de nos ennemis, le clergé séculier comme le clergé régulier, tout l'établissement catholique ; et il n'est pas chimérique d'entrevoir dans l'avenir le jour où, le concordat étant dénoncé, cette loi des associations servira de statut religieux à la France[255].

 

XXVII

Lors même que les promoteurs de la loi sur les associations ne l'eussent point conçue comme le prélude d'une rupture avec l'Eglise, la force des choses allait les pousser vers cette issue. D'une part, la hiérarchie catholique se prononcerait pour la cause des congrégations avec une telle unanimité, qu'on ne pourrait poursuivre la loi votée contre celles-ci sans se mettre en guerre contre celle-là. D'autre part, la franc-maçonnerie, enhardie par le succès du grand coup qui venait d'être porté contre l'Eglise, presserait l'exécution du plan général élaboré dans ses loges, et qui avait pour but la destruction du catholicisme dans tous ses organes et dans tous ses moyens d'action.

Le pape ne voulut être devancé par personne dans l'expression de sa sympathie pour les religieux persécutés et dans la condamnation de la loi sectaire. Par une lettre datée du 29 juin 1901, il loua ces vaillantes phalanges religieuses qui, suivant non seulement les directions, mais encore les moindres désirs du Vicaire de Jésus-Christ, avaient entrepris tant d'œuvres d'utilité chrétienne et sociale, bravé même, sur les plages les plus inhospitalières, la souffrance et la mort. Puis, rappelant qu'il avait essayé de tous les moyens pour écarter des congrégations une persécution indigne, pour épargner à la France des malheurs aussi grands qu'immérités, il déclara réprouver, comme contraire au droit évangélique et au droit naturel, la loi qui venait d'être votée. Sa douleur, ajouta-t-il, était d'autant plus vive que la dissolution des ordres religieux lui apparaissait comme une manœuvre habile pour réaliser un dessein préconçu, celui de pousser les nations catholiques dans la voie de l'apostasie et de la rupture avec Jésus-Christ. Une grande consolation lui restait cependant, disait-il : c'était de voir, parmi les hommes du monde distingués par leur situation et par leur connaissance des nécessités sociales, un bon nombre d'esprits droits et impartiaux se lever pour louer les œuvres des religieux, pour défendre leurs droits inviolables de citoyens et leur liberté encore plus inviolable de catholiques[256].

En ces dernières paroles, le Saint-Père faisait allusion aux manifestations récentes et particulièrement significatives de quelques personnages notoirement attachés aux institutions modernes ou même totalement étrangers aux croyances catholiques. Au Parlement on avait vu M. Renault-Morlière, M. Paul Beauregard, M. Ribot, M. de Marcère, M. Tillaye, défendre énergiquement la cause des congrégations religieuses. M. Jules Lemaitre, parlant comme président de la Ligue de la patrie française, disait : Je défends les congrégations, non par sympathie, mais par devoir, par amour de la justice, et à cause de l'écœurement que me donnent la bassesse et l'hypocrisie de leurs adversaires. Ces paroles étaient prononcées en janvier 1901. Un mois plus tard, M. Viviani ayant déclaré à la Chambre que les congrégations ne menaçaient pas seulement la société par leurs agissements personnels, mais par la propagation de la foi, M. Brunetière, non encore converti au catholicisme, glorifiait la foi catholique, dans l'intégrité de ses dogmes et dans la totalité de ses organes, comme la grande bienfaitrice du genre humain[257]. En juillet 1901, le groupe parlementaire des républicains progressistes adressait aux électeurs un manifeste où on lisait : En matière religieuse, nous ne sommes pas des cléricaux, mais nous sommes respectueux de toutes les religions, considérant les guerres religieuses comme un fléau pour un pays et une cause permanente d'affaiblissement national. C'est dans cet esprit que nous aurions voulu trancher la question des congrégations. Le 5 du même mois, M. Jacques Piou, parlant au nom du Comité d'action libérale, s'écriait : Qu'on le veuille ou non, la France est aujourd'hui divisée en deux camps : d'un côté, tous les violents, tous les jacobins, tous les sectaires, appuyés sur les collectivistes ; de l'autre, tous les patriotes, tous les indépendants, tous les libéraux, tous les modérés, appuyés sur les conservateurs.

Deux partis s'offraient à M. Waldeck-Rousseau. Un véritable homme d'Etat, sachant sacrifier une popularité momentanée à une renommée solide, ayant assez de force pour repousser les exigences d'une minorité bruyante et agitée et pour servir les intérêts généraux de la nation, se fût tourné vers les conservateurs et les modérés, leur eût donné des gages de son libéralisme dans une interprétation bienveillante de la loi du 1er juillet ; et, eût-il succombé sous les attaques des anticléricaux unis aux collectivistes, se serait réservé, avec la conscience d'avoir travaillé pour le bien de la nation, la sympathie de la masse des honnêtes gens, qui, en un jour de crise, eussent peut-être recouru à lui avec confiance comme à un chef éprouvé. M. Waldeck-Rousseau, malgré ses apparences d'énergie et même de raideur, n'était pas un homme de cette trempe. On a dit que la comparaison du roseau peint en fer ne s'était jamais mieux appliquée qu'à sa personne. Il préféra céder à l'impulsion des sectaires et des violents. Les élections générales législatives approchaient. La franc-maçonnerie et le parti collectiviste pouvaient, dans cette circonstance, devenir de puissants appuis ou de redoutables obstacles : M. Waldeck-Rousseau les voulut pour appuis. Un règlement d'administration publique du 17 août 1901, puis, peu de temps après, une circulaire du ministre de la justice, aggravèrent notablement la situation des religieux menacés. Ainsi, bien que la date du 3 octobre 1901 fût fixée aux congrégations pour demander une autorisation légale, bien qu'il fût loisible, par conséquent, aux congréganistes de se disperser avant cette date et d'échapper ainsi personnellement aux dispositions pénales de la loi, il ne leur était pas permis de liquider et de partager leur patrimoine avant leur dispersion ; ce patrimoine tombait entre les mains du fisc, qui se chargerait, disait la circulaire ministérielle, d'en disposer au mieux des droits des congréganistes et des tiers donateurs. En outre, toute congrégation ne pouvait solliciter l'autorisation de l'Etat qu'à la condition préalable de se soumettre à la juridiction de l'ordinaire. Par là, disait cyniquement le journal la Lanterne, est résumé l'esprit de la loi, telle qu'elle fut conçue par le Président du Conseil. Sa préoccupation dominante fut de placer les congrégations qui se feront autoriser sous la juridiction directe de l'évêque, considéré comme fonctionnaire de l'Etat. C'est donc, à parler franc, une loi de police que nous enregistrons aujourd'hui[258]. Un jurisconsulte catholique, dans une consultation intitulée : Simples réflexions sur une circulaire ministérielle, releva facilement l'illégalité de pareils actes[259]. Le journal le Temps lui-même apprécia de la manière suivante le règlement d'administration publique : Le gouvernement a jugé sans doute sa loi imparfaite. Il y a vu des fissures. Le Conseil d'Etat a déféré aux intentions du pouvoir ; il a réparé les oublis. En matière législative, il existe donc ainsi, grâce au Conseil d'Etat, ce que les peintres appellent des repentirs... Ce n'est pas là une doctrine libérale, une doctrine républicaine[260]. L'Univers, comme on pouvait s'y attendre, parla du Règlement en termes plus énergiques : Il consolide les nœuds, dit- il, graisse les ressorts, bouche les fissures. Aujourd'hui l'appareil est prêt et mordra sans grincer[261].

Les chefs des partis socialistes les plus avancés ne ménagèrent pas au Président du Conseil leurs félicitations. Depuis longtemps, ils faisaient miroiter aux yeux des ouvriers le prétendu milliard des congrégations, qui serait employé intégralement, disait-on, à l'amélioration du sort de la population ouvrière. Les chefs du socialisme au Palais-Bourbon, dit un journal du temps, rendent à M. Waldeck-Rousseau un culte farouche. Le Vieux de la Montagne n'eut jamais autour de lui une garde de séides plus dévoués. Il ouvre les voies toutes grandes à l'invasion socialiste, et, lorsqu'il promet à leurs appétits le milliard des congrégations, l'un des meneurs les plus fameux du parti. M. Maxence Roides, peut, en toute justice, lm adresser cet hommage : Il ne me déplaît pas de voir M. Waldeck Rousseau, adversaire déclaré du socialisme, faire brèche dans le droit du propriétaire et parler de liquidation. Il pose les prémisses ; nous saurons dégager la conclusion.

Le Président du Conseil ne se contenta pas de flatter les passions des socialistes et d'obéir aux injonctions des francs-maçons. Il essaya de diviser les catholiques, de séparer la cause du clergé régulier de celle du clergé séculier, de combler même ce dernier d'éloges hypocrites. Le 12 janvier 1902, dans un discours prononcé à Saint-Etienne, il disait : Au commencement du siècle, on a jugé que le clergé séculier suffisait à assurer complètement l'exercice du culte. Il ne mérite pas aujourd'hui d'éveiller moins de confiance. L'Etat trouve en lui les garanties que donne une hiérarchie soumise à son contrôle, une nationalité certaine, dont le sentiment n'est pas moins vif, j'en suis assuré, chez le prêtre que chez le citoyen, et, si la loi actuelle est en effet dirigée contre ceux que j'ai appelés les moines ligueurs et les moines d'affaires, non seulement elle n'est point une menace pour lui, mais elle constitue une garantie qui commence déjà d'être comprise[262].

Les élections étaient fixées au 27 avril et au 11 mai 1902. Le 14 février, M. Waldeck-Rousseau donna un nouveau gage aux anticléricaux en déclarant que le gouvernement ne s'opposerait pas à une proposition de M. Brisson, demandant l'abrogation de la loi Falloux sur la liberté d'enseignement[263]. Le Président du Conseil devenait de plus en plus prisonnier de la franc-maçonnerie. Le 6 mars, un courageux député de Paris, M. Prache, porta un coup droit à la fameuse société et au gouvernement lui-même, en déposant un rapport fort documenté sur les loges maçonniques, dont la conclusion était de demander, au nom de l'égalité, l'application de la loi du 1er juillet 1901 et de toutes autres dispositions de lois de droit commun aux associations maçonniques[264]. Ce rapport, qui ne devait avoir aucune suite législative ou judiciaire, ne fut pas sans agiter vivement l'opinion. La Ligue de la patrie française le fit éditer et distribuer à un grand nombre d'exemplaires. M. Waldeck-Rousseau n'était pas lui-même sans préoccupations à ce sujet. Il n'avait jamais, nous l'avons dit, été agrégé à aucune loge, et il ne voyait pas sans crainte la franc-maçonnerie, autrefois composée en majeure partie de bourgeois égoïstement et matériellement conservateurs, ouvrir ses portes aux pires perturbateurs de l'ordre se sial. Des hommes comme Cyvoct, Sébastien Faure et Charles Malato, étaient francs-maçons et discouraient dans les loges ; et, lorsqu'il fut question, au convent de 1902, de les exclure, on décida qu'il ne faudrait pas enlever à l'association maçonnique cette force dont elle jouissait dans le pays[265].

Le 2 mai 1902, le Président du Conseil adressa à tous les préfets et communiqua à la presse une circulaire menaçant de punir par des sanctions sévères toute ingérence du clergé dans les futures élections[266]. Cette menace prouvait au moins que M. Waldeck-Rousseau n'était pas aussi convaincu qu'il en avait l'air, d'avoir rendu service au clergé séculier en dispersant les congrégations religieuses.

Bref, les élections des 27 avril et 11 mai 1902 furent un vrai succès pour le gouvernement. La Chambre nouvelle lui apportait une majorité à la fois plus forte et plus servile que celle dont il avait disposé jusque-là. Mais tout à coup, au milieu même de son triomphe, M. Waldeck-Rousseau résigna le pouvoir. Il ne tenait qu'à lui d'y rester. Il préféra se retirer. Il donna pour raison de sa retraite le besoin de prendre un peu de repos, et la raison était bonne, car il souffrait déjà du mal qui devait l'emporter deux ans plus tard. Mais à la raison de santé s'en ajoutait une autre, plus décisive encore. M. Waldeck-Rousseau ne voulait pas être l'exécuteur de la loi qu'il avait fait voter. Il prévoyait apparemment ce qu'elle comportait, non seulement de difficultés, mais d'abus, de violences et de scélératesses, et il lui répugnait d'attacher cette marque infamante à ses épaules. Il se contenta, dit-on, de désigner M. Combes au choix du chef de l'Etat, comme l'homme qui convenait le mieux à cette besogne[267].

 

XXVIII

Tombé du pouvoir avec le ministère Bourgeois, le 23 avril 1893. M. Emile Combes était, depuis lors, resté dans l'ombre. Le choix que venait faire de lui M. Waldeck-Rousseau, alors à l'apogée de sa renommée, lui conquit aussitôt la faveur parlementaire. Quant à lui, comme confus de la disproportion manifeste qui existait, en science juridique et en éloquence, entre sa personnalité et celle du brillant homme d'Etat dont il prenait la place, il prit d'abord une attitude réservée. Il attend, disaient ceux qui connaissaient la mesure de sa valeur, une besogne qui ne soit pas au-dessus de son niveau. La besogne que lui avait laissée M. Waldeck-Rousseau était bien à sa taille. Pour exécuter sans hésitation et sans faiblesse une loi qui violait les droits les plus sacrés de l'Eglise catholique et de la conscience religieuse. il fallait seulement nourrir en son cœur une haine vigoureuse et tenace envers le catholicisme ; pour passer outre aux objections juridiques des gens de loi, aux anathèmes des gens d'Eglise, aux scrupules de conscience des agents d'exécution, il suffisait d'être brutal ; pour se maintenir solidement au pouvoir tout le temps nécessaire à l'accomplissement d'une œuvre pareille, il suffisait de se montrer l'instrument docile de la franc-maçonnerie. M. Emile Combes réunissait en lui toutes ces conditions. Il pouvait se passer de celles qui font le grand orateur et le grand politique.

Le 10 et le 12 juin[268], le nouveau Président du Conseil, répondant à une interpellation sur la politique générale du gouvernement, qualifia sa politique religieuse en l'appelant une guerre à la théocratie ; guerre incessante, qu'il était décidé à poursuivre jusqu'au désarmement complet de l'ennemi ; guerre aux congrégations, sans se laisser arrêter par des interprétations juridiques qui altéraient la véritable portée de la loi de 1901 ; guerre au clergé séculier, coupable d'être descendu dans l'arène électorale aux dernières élections ; guerre à l'enseignement catholique, foyer de conspirations contre les libertés civiles et politiques. Après cette déclaration de guerre, qui lui aliénait les catholiques et les vrais libéraux du Parlement, M. Combes fit au parti socialiste les avances les plus généreuses. Il promit l'impôt sur le revenu, la constitution d'une caisse de retraites ouvrières, plus de garanties au travail, la réduction du service militaire à deux ans et la mise en harmonie de notre justice militaire avec les principes du droit moderne. Le groupe socialiste de la Chambre profita aussitôt de ces concessions pour accentuer ses exigences. Son interprète le plus éloquent et le plus habile, M. Jean Jaurès, prenant immédiatement la parole après le Président du Conseil, demanda hardiment : l'abolition du salariat par la transformation de la propriété capitaliste en propriété collective, la réduction du service militaire à deux ans comme une étape vers le système des milices, et, pour ce qui concernait la question religieuse, l'identification de la cause de la République avec la cause de la laïcité.

M. Waldeck-Rousseau venait de quitter le pouvoir avec l'impression pénible d'y avoir été le prisonnier de la franc-maçonnerie et du socialisme. En le prenant, M. Combes dut se rendre compte que son rôle se bornerait à en être l'humble serviteur. Il se mit à l'œuvre sans tarder.

Les décisions judiciaires rendues jusqu'alors en application de la loi du 1er juillet 1901, n'avaient pas donné aux partisans de la loi toutes les satisfactions qu'ils en attendaient. Cinq jésuites ayant été traduits devant la justice pour avoir célébré publiquement la messe, prêché et confessé en vertu des pouvoirs qu'ils tenaient de la Compagnie de Jésus, avaient été acquittés par le tribunal de Reims[269]. Les tribunaux de Saint-Etienne, de Saint-Omer, de Montbrison, de Troyes, de Chambéry, avaient rendu des décisions pareilles en présence de causes analogues[270]. Dès le lendemain de l'avènement du ministère Combes, la jurisprudence devint plus sévère. Le 12 juin, la Cour d'appel de Lyon condamnait à 16 francs d'amende et à la dispersion immédiate onze Petites-Sœurs de l'Assomption, considérées comme formant une association illicite[271]. Le 17 juillet, le tribunal de Lille prononçait un jugement identique à l'égard du P. Rollin, ancien membre de la congrégation dissoute de la Compagnie de Jésus, alléguant que le prévenu en prêchant dans une église de Toulouse, avait usé des attributions qu'il tenait de cette congrégation, que l'œuvre de ladite congrégation était néfaste et incompatible avec les intérêts généraux du pays, que d'ailleurs, ce ne serait point tenir compte de la volonté manifeste du législateur que d'admettre que les seules modifications d'apparences de vie et productions de banales attestations épiscopales ou autres puissent permettre aux congrégations dissoutes de continuer leur œuvre en éludant la loi[272].

Sans doute, la modification de la jurisprudence dans le sens de la sévérité ne fut pas absolue. Le 22 juillet, la cour d'appel de Paris rendait, dans une cause semblable, une sentence d'acquittement. Mais en plusieurs endroits, on put constater, sous l'influence du nouveau gouvernement, un fléchissement de la magistrature.

En matière administrative, le Président du Conseil, qui s'était attribué les départements de l'intérieur et des cultes, avait ses coudées plus franches. Le 27 juin 1902, un décret prononça la fermeture de 135 écoles privées. La légalité de ce décret fut vivement contestée, le 4 juillet, au moyen d'arguments de très haute valeur, au sein du Parlement[273]. Le Président du Conseil répondit en demandant à la majorité républicaine de la Chambre d'approuver la conduite du gouvernement, et, malgré les protestations de M. Denys Cochin et de M. Ribot, qualifiant son procédé de coup d'Etat, de tactique jacobine, se déclara suffisamment couvert par un ordre de jour de confiance voté par l'assemblée ; puis, quelques jours après, le 15 juillet, redoublant d'audace, il généralisa sa mesure, demandant aux préfets d'enjoindre aux directrices d'écoles congréganistes n'ayant pas demandé l'autorisation, de fermer leurs établissements dans un délai de huit jours[274]. Les établissements visés étaient au nombre de plusieurs milliers. Les notes officieuses ont oscillé entre 3.000 et 6.000. Le cardinal Richard, archevêque de Paris, dans une éloquente lettre de protestation qu'il écrivit à ce sujet au Président de la République, estima ce nombre à 3.000 environ. L'éminent prélat fit en vain valoir les raisons tirées de l'intérêt de la paix sociale, de la volonté manifeste des familles, de la liberté sainement entendue[275] ; en vain la grande majorité de l'épiscopat français donna-t-elle son adhésion à la lettre de l'archevêque de Paris ; en vain un ancien ministre de la République, M. Jules Roche, dans une savante consultation qui obtint l'adhésion des membres les plus éminents du barreau, démontra-t-il l'illégalité de la mesure ministérielle[276]. M. Combes passa outre aux arguments juridiques des avocats comme aux raisons morales des évêques : des décrets, rendus en conseil des ministres, prononcèrent la fermeture de plusieurs écoles dont les titulaires congréganistes avaient refusé de se retirer[277].

En même temps, le ministre de l'instruction publique, M. Chaumié, inaugurait, dans l'enseignement secondaire, un nouveau programme, dû à l'initiative de son prédécesseur, M. Leygues, et d'où devait émaner, disait-il, une idée morale de la plus haute portée, l'idée de solidarité[278]. Mais l'application de ce programme soulevait de toutes parts des protestations très vives[279]. Une impulsion particulière était aussi donnée, pour combattre l'influence des patronages catholiques, aux œuvres postscolaires laïques. Un rapport de M. Edouard Petit, inséré au Journal officiel du 1er août 1902, comptait, à cette date, 43.034 cours d'adolescents ou adultes, 1.393 patronages laïques, 7.200 groupements postscolaires réunissant près de 600.000 jeunes gens, et estimait les dépenses nécessitées par ces œuvres à la somme totale de cinq millions 90.000 francs[280]. Les charges incombant au gouvernement p6ur l'entretien et le développement de l'enseignement primaire n'étaient pas moins considérables. Dans un rapport inséré au Journal officiel du 8 juin 1902, M. Leygues, ancien ministre, rappelait que la loi de finances du 25 février 1901 avait autorisé la répartition d'une somme de 6 millions de francs pour l'appropriation, l'agrandissement et les répa7 rations des maisons d'écoles. Mais la fermeture de plusieurs milliers d'écoles congréganistes obligerait l'Etat à dépasser de beaucoup cette somme, laquelle d'ailleurs ne comprenait pas le montant des traitements des professeurs et des pensions de retraite[281].

Au mois d'octobre 1902, la Chambre des députés consacra les trois premières séances de sa session extraordinaire à la discussion de plusieurs interpellations sur la dispersion des congrégations et sur les fermetures d'écoles. MM. Aynard, de Mun, Georges Berry, Charles Benoist, Lefas, vinrent successivement flétrir l'iniquité, l'illégalité et la brutalité des mesures gouvernementales contre la liberté de l'enseignement et de l'association, contre le droit de propriété. Dans de pareilles circonstances, M. Emile Combes dédaignait, d'ordinaire de discuter. Il trouvait plus commode d'affirmer arbitrairement des griefs imaginaires, de diffamer, d'insulter, ou, plus simplement, de faire appel à la loi du nombre, d'invoquer simplement la force. En l'espèce, ce fut la tactique qu'il employa. Dans la séance du 17 octobre, il affirma, aux applaudissements de l'extrême gauche, qu'il avait le droit, non seulement de fermer les écoles, mais encore-de mettre, de sa propre autorité, les scellés sur les établissements fermés. Puis il adjura la majorité de poursuivre jusqu'au bout son œuvre de haine, puisqu'elle avait pour elle la force. La majorité ayant clos le débat par un vote de confiance, le soir même M. Combes présenta un projet de loi aggravant considérablement la loi du 1er juillet 1901. Ce projet rendait passibles d'une amende de 16 à 500 francs et d'un emprisonnement de six jours à un an tous ceux qui auraient favorisé l'organisation ou le fonctionnement d'un établissement congréganiste, de quelque nature que ce fût, non légalement autorisé[282].

En présence d'un gouvernement si peu soucieux d'équité ; de justice, de légalité, la situation des congrégations menacées donnait lieu à bien des anxiétés. Pour certaines d'entre elles, que le Président du Conseil avait eues particulièrement en vue, et dont il rejetterait sans aucun doute toute demande d'autorisation, aucune hésitation n'était possible. Telle était la Compagnie de Jésus. Le 1er octobre 1901, les quatre Provinciaux de la Compagnie en France communiquèrent à la presse une lettre dans laquelle ils disaient : Loin de nous la pensée de condamner ceux de nos frères dans la vie religieuse qui croiront prendre un autre parti que nous. Nous savons combien la délibération est pleine d'angoisse. Forcés de choisir entre deux maux, tous deux très graves, entre les ruines de toutes sortes qui vont suivre l'abstention, et, d'autre part, l'atteinte profonde portée par la loi aux prérogatives de l'Eglise non moins qu'aux libertés individuelles, l'hésitation s'explique, et le souverain pontife lui-même, sous certaines réserves, a laissé aux congrégations la faculté de se déterminer. Pour nous... nous avouons ne pas trouver de formule de conciliation... et nous aimons à croire que personne parmi ceux que n'aveugle point l'esprit de parti ne verra dans notre conduite un acte d'insubordination ou de révolte[283].

Cinquante-neuf congrégations d'hommes, ne se faisant aucune illusion sur les entraves que pouvait rencontrer leur démarche, mais croyant devoir tout faire pour conserver leurs œuvres d'enseignement, de zèle ou de charité, avaient formulé leur demande d'autorisation. Le 2 novembre 1902, M. Combes déposa à la Chambre un projet de loi opposant un refus à 54 congrégations, et au Sénat quatre projets de loi concernant l'acceptation partielle des demandes d'autorisation faites par les Pères Blancs, les Pères des Missions africaines de Lyon, les Trappistes, les Cisterciens de Lérins et les frères de Saint-Jean de Dieu. Pour les Salésiens de Don Bosco, le gouvernement s'en rapportait à la sagesse du Sénat[284]. Ces projets de loi étaient, d'ailleurs, accompagnés de rapports conçus en termes irrespectueux, injurieux même pour les congrégations dont il s'agissait.

Plus violents encore et plus haineux furent les termes du rapport que présenta à la Chambre, le 25 février 1903, M. Rabier, au nom de la Commission parlementaire. Passant successivement en revue, suivant la classification précédemment adoptée par le ministre des cultes, les congrégations enseignantes, les congrégations prédicantes, comme il les appela, et la congrégation contemplative des Chartreux, il déclara que c'était un devoir pour le Parlement de ruiner l'enseignement funeste des premières, de mettre fin aux exhibitions scandaleuses et au fanatisme des secondes, d'empêcher la congrégation internationale des Chartreux de donner au monde le scandale de son mystère, de ses dépenses occultes et d'une organisation soustraite à toute autorité française[285]. Le 18 mars, la Chambre refusa, par 300 voix contre 257, l'autorisation demandée par les 25 congrégations enseignantes ; 11.763 religieux se trouvèrent ainsi frappés d'incapacité d'enseigner, au mépris de tous les principes de la liberté civile. Le 24, un vote pareil de la Chambre atteignit les 28 congrégations prédicantes qui avaient formulé une demande d'autorisation. Cette décision atteignit 2.942 religieux. Quatre jours après, la demande des Chartreux essuyait le même refus. Le déni de justice était flagrant. Après avoir imposé aux congrégations, comme condition d'existence, l'obtention d'un placet législatif, on leur refusait en bloc ce placet. Avec une tyrannie inqualifiable, une effronterie sans pareille, qui révolta le sens des esprits vraiment libéraux, des juristes soucieux de justice et d'équité, on leur refusa, parce qu'elles étaient des congrégations, une autorisation préalable à laquelle on ne les avait soumises que parce qu'elles étaient des congrégations. A bout d'arguments, M. E mile Combes avait été acculé par ses adversaires à cette seule réponse : J'exécute la volonté du pays ; j'exécute la volonté de la majorité de sa représentation. A quoi M. Denys Cochin avait répondu avec esprit et à propos : Votre argument se réduit à ceci : Nous sommes trois, vous êtes deux ; donc vous n'avez qu'à vous soumettre à notre bon plaisir.

La guerre faite aux congrégations ne représentait pas même cette volonté générale que la Déclaration des droits de l'homme avait proclamée être la source des lois. Le 211 mars, M. Lasies, député du Gers, avait essayé de se placer sur ce terrain de la volonté nationale, en proposant de soumettre la, question des congrégations religieuses à un referendum communal, bien plus significatif, disait-il, que la majorité parlementaire, qui ne représentait ni la majorité du pays, ni la majorité des votants, ni même toujours la majorité de ses mandants directs, parce que la question religieuse n'avait pas été nettement posée dans les manifestes électoraux, parce que surtout la majorité parlementaire subissait des influences personnelles, plus ou moins occultes, étrangères aux intentions dis électeurs. Il y a en France, disait-il[286], 11 millions d'électeurs inscrits. Messieurs de la Majorité, qui déclarez sans cesse que le pays a parlé par votre bouche, savez-vous combien vous représentez de suffrages ? Exactement 2.600.000. La voilà, la volonté de la nation. Ce sont 2.600.000 électeurs qui font la loi à 11 millions.

 

XXIX

Au fond, les votes de la Chambre dans les questions religieuses représentaient surtout la volonté maçonnique. M. Cochin l'avait déclaré en face à la majorité au cours des derniers débats[287]. Quelques mois auparavant, M. Brunetière l'avait dit à sa manière dans la Revue des Deux Mondes[288]. Avant eux, M. de Mun et M. Prache l'avaient reproché à M. Waldeck-Rousseau.

Les uns et les autres avaient, du reste, facilement déjoué la tactique hypocrite du gouvernement, qui prétendait toujours, en proscrivant les congrégations, respecter et même servir l'Eglise catholique dans sa hiérarchie authentique et traditionnelle. Le gouvernement lui-même venait de se donner un éclatant démenti. Soixante-quatorze évêques, ayant adressé aux Chambres une pétition en faveur des congrégations religieuses[289], avaient été déférés au Conseil d'Etat pour y être décrétés d'abus[290].

L'incident vaut d'être raconté avec quelques détails.

Depuis longtemps le pape Léon XIII avait exprimé le désir de voir l'épiscopat français affirmer son unité de vues dans une manifestation unanime. En 1902, Mgr Fulbert Petit, archevêque de Besançon, pensa que la persécution violente menée contre les congrégations religieuses pouvait fournir une occasion favorable à une pareille manifestation. On proposerait à tous les évêques de France de signer une protestation, aussi ferme que digne, contre les mesures prises par le gouvernement à l'égard des religieux. Le prélat fit part de son idée à deux de ses collègues : Mgr Chapon, évêque de Nice, et Mgr Bardel, évêque de Séez.

Vers le commencement du mois d'août 1902, les trois prélats se réunirent à Séez. Ils y eurent, pendant deux jours, plusieurs Conférences, à la suite desquelles ils se mirent d'accord sur le texte d'une déclaration, dont on proposerait la signature à tous les membres de l'épiscopat. Le cardinal Lecot, mis au courant, se chargea d'obtenir l'assentiment des cardinaux français.

Il importait que les démarches sé fissent aussi rapidement que possible et à l'insu du gouvernement. En moins de deux mois, sans que le moindre éveil eût été donné au ministère de l'intérieur ou à la direction des cultes, plus de soixante signatures furent réunies par les soins des trois prélats. Une indiscrétion mit alors le document entre les mains du directeur d'un grand journal du matin, qui le publia. Mais cette divulgation sensationnelle eut précisément pour effet de décider l'adhésion de quelques hésitants, lesquels n'eussent désormais oser refuser de se joindre à une manifestation si éclatante de leurs collègues. Le nombre des signataires s'éleva à soixante-quatorze. Depuis le Concordat de ll80t, aucune pétition n'avait réuni un nombre égal de signatures épiscopales.

Léon XIII, qu'on avait jugé à propos de ne pas tenir au courant de l'affaire, pour ne pas compromettre sa haute autorité dans ces démarches, et parce que sort assentiment ne pouvait faire le moindre doute, manifesta, dès qu'il eut connaissance du document, son entière approbation. C'est ainsi, dit-il au cardinal Lecot, que j'aurais parlé, que j'ai parlé moi-même.

Quelque temps après, l'archevêque de Besançon, l'évêque de Nice et l'évêque de Séez étaient privés de leur traitement ; et il était évident que les trois prélats, en agissant comme ils l'avaient fait, avaient renoncé par là même à toute promotion ultérieure. Le Saint-Père fut particulièrement touché de cette abnégation, et exprima son sentiment à ce sujet. Quant aux trois évêques, ils purent se dire que, grâce à eux, il n'était plus permis de prétendre, comme on le murmurait parfois à l'étranger, que l'épiscopat de France était incapable d'une démarche unanime, ni de soutenir, comme les chefs du gouvernement français s'obstinaient à le répéter, que de sourdes rivalités mettraient en opposition le clergé régulier et le clergé séculier : c'était pour protester contre l'exécution de mesures prises contre les congrégations religieuses, que l'épiscopat de France tout entier venait de se lever.

Les hommes du pouvoir ne purent contenir leur irritation, et entrèrent dans la voie des représailles. Le 21 octobre, M. Combes déféra comme d'abus au Conseil d'Etat la pétition adressée par l'épiscopat aux sénateurs et députés en faveur de la demande d'autorisation des congrégations religieuses. Le 23 janvier 1903. le général André, ministre de la guerre, déclara, du haut de la tribune, aux applaudissements de la gauche, qu'il avait résolu d'interdire aux soldats la fréquentation des cercles catholiques[291]. Au début de l'année 1903, des conseils de préfecture avaient essayé de soumettre à la taxe dite droit des pauvres les cérémonies du culte, les assimilant aux représentations théâtrales[292]. Des prêtres furent privés de leur traitement pour avoir fait prêcher dans leurs églises des prédicateurs considérés comme religieux non autorisés[293]. Une circulaire de M. Vallé, garde des sceaux, mit en garde les procureurs généraux contre les membres des congrégations dispersées qui invoqueraient une prétendue sécularisation[294]. Des bandes de libres penseurs envahissaient bruyamment les églises où se faisaient entendre d'anciens religieux, et le gouvernement se montrait peu disposé à réprimer ces troubles. Le ministre de la justice, M. Chaumié, présentait un projet de loi modifiant profondément, dans le sens de la restriction de la liberté des catholiques, la loi Falloux[295], et M. Brisson en proposait l'abrogation pure et simple[296]. M. Combes, par des déclarations violentes et répétées, favorisait tous ces projets. En fait, le Concordat, que le gouvernement se plaisait à invoquer quand une de ses prescriptions favorisait ses prétentions abusives, était quotidiennement violé dans son esprit comme dans sa lettre.

Dans la séance parlementaire du 21 mars 1903, M. Combes déclara qu'à son avis, le Concordat de 1801 n'était pas garanti par des sanctions assez efficaces, que la question se poserait peut-être bientôt entre deux termes : maintien ou dénonciation du Concordat ; que, pour lui, il n'accepterait jamais, dans la nomination des évêques, la fameuse formule nobis nominavit[297], que la curie romaine voulait imposer au gouvernement ; qu'il voyait en jeu, dans cette question, l'indépendance du pouvoir civil dans l'action légitime et nécessaire que le Concordat lui attribue. Le 20 mai, le Président du Conseil revint, avec un ton de menace, sur cette question de l'abrogation du Concordat. Il se plaignit de nouveau de l'insuffisance des moyens de répression mis aux mains de l'Etat, et, essayant de rendre les catholiques responsables de la mesure qu'il faisait entrevoir, il ajouta : Messieurs, la logique aidant, si le spectacle (des agissements du clergé) dure encore, l'opinion publique inclinera forcément à conclure que le Concordat de 1801 a fait son temps[298].

Dans la même séance, M. Hubbard, député des Basses-Alpes, déposa sur le bureau de l'assemblée l'ordre du jour suivant : La Chambre, résolue à poursuivre une politique de complète liberté de conscience, invite le gouvernement à dénoncer le Concordat.

Ces déclarations, ces menaces, furent pour le pape Léon XIII, déjà atteint de la maladie qui devait l'emporter deux mois plus tard, l'occasion d'une douleur profonde. Contrairement à l'opinion de quelques catholiques, estimant que le régime de la séparation serait un moindre mal que celui d'un Concordat systématiquement appliqué contre l'Eglise[299], le Saint-Père pensait que la séparation de l'Eglise et de l'Etat, votée sous l'influence des gouvernants actuels de la France, ne serait, comme il l'avait dit dans une récente encyclique, que le prélude de mesures spoliatrices et violentes, qui mettraient les catholiques français hors du droit commun[300]. L'opinion du souverain pontife était, d'ailleurs, partagée par les principaux chefs laïques des catholiques français. Dans un vieux pays chrétien comme le nôtre, avait écrit le comte de Mun[301], pays pénétré jusqu'aux moelles par les influences chrétiennes, l'Etat ne saurait ignorer l'Eglise ; s'il refuse de s'entendre avec elle, il faudra nécessairement qu'il la persécute. Et M. Etienne Lamy : Par la séparation, la puissance publique sera employée à détruire l'Eglise. Ce n'est pas un genre de vie qu'on prépare à l'Eglise, c'est un genre de mort[302]. On comprend donc que Léon XIII, si pénibles que fussent pour son cœur les odieuses interprétations du Concordat faites par les ennemis de l'Eglise, n'ait pas accédé au désir de ceux qui lui conseillaient de rappeler le nonce et de dénoncer la convention de 180r. Au moment même où le souverain pontife agonisait, dans un article daté du 10 juillet 1903, un religieux de la Compagnie de Jésus écrivait dans les Etudes : A mesure que l'on examinera de près les propositions déposées au Parlement en vue de provoquer la séparation de l'Eglise et de l'Etat, il apparaîtra, je pense, aux yeux de tous les hommes de bon sens, quels graves et multiples problèmes politiques, sociaux, religieux et économiques, soulève la rupture du Concordat. Cette considération devrait suffire pour faire comprendre à tous que le souverain pontife est tenu de laisser au gouvernement français la responsabilité d'aussi lourdes et incertaines conséquences[303].

On a parfois, au temps de Léon XIII et après sa mort, émis à son sujet une critique plus générale. On a prétendu rendre responsable, non seulement de la rupture du Concordat et des conditions injustes dans lesquelles s'est faite cette rupture, mais de la plupart des actes de persécution qui ont abouti à cette suprême injustice ; toute la politique française du pontife. Si les ennemis de l'Eglise ont si facilement triomphé d'elle, a-t-on dit, c'est parce que le Saint-Père, en se prononçant pour le ralliement à la République, 1° a abjuré le principe monarchique du droit divin[304], et par là lâché la bride aux passions révolutionnaires, et 2° a paralysé en même temps l'action des catholiques militants, qu'il a obligés à professer les principes républicains abhorrés par eux et à s'allier aux ennemis de leur religion[305]. Laissons le soin de réfuter ces accusations à l'éminent directeur de la Civiltà cattolica, le R. P. Brandi : Rien n'est plus faux d'abord, écrit le savant religieux, que de représenter le pape Léon XIII comme un adversaire des monarchies existantes. Qu'a-t-il donc demandé aux catholiques français ? Pas autre chose que de se soumettre loyalement au pouvoir public constitué et de ne pas tenter de le renverser. Il est d'ailleurs prouvé que le Saint-Siège n'a pas cessé et ne cessera pas de prêter son appui aux monarchies d'Europe. L'Espagne et le Portugal en rendent témoignage. Si l'on veut sincèrement rechercher la véritable cause du progrès des idées subversives de tout ordre qui agitent le monde, il n'est pas difficile de se convaincre que ce progrès est dû, non à la conduite du pape à l'égard de la France, mais souvent à la conduite des monarchies à l'égard de l'Eglise et du Saint-Siège[306]. Il n'est pas moins inexact de prétendre que le pape a paralysé le zèle des catholiques militants en les forçant à s'allier aux ennemis de leur religion. Le pontife a affirmé, continue le P. Brandi, que son but, en demandant aux Français d'accepter la forme de gouvernement existant actuellement, était de mettre fin aux divisions qui enlevaient aux forces conservatrices du pays l'union et la concorde, si nécessaires pour la défense religieuse[307]. Léon XIII a condamné, avec l'épiscopat français, la République maçonnique, qui, comme telle, s'efforce de détruire en France de fond en comble l'édifice religieux. Il a dénoncé dans la franc-maçonnerie une vaste conjuration constituée pour faire la guerre à l'Eglise. Il a montré le danger et la honte d'être soumis à une ténébreuse minorité vivant de la haine religieuse[308].

Le directeur de la Civiltà conclut en qualifiant les accusations qu'il vient de réfuter, d'offenses gratuites à la dignité et à la droiture du Chef de l'Eglise, et de contradictions évidentes à la vérité des faits[309].

 

 

 



[1] Semaine religieuse de Paris du 2 mars 1878, p. 307 ; O'REILLY et BRIN, Vie de Léon XIII, p. 346-347.

[2] Semaine religieuse de Paris du 9 mars 1878, p. 369.

[3] Semaine religieuse de Paris du 9 mars 1878, p, 357 et s.

[4] G. HANOTAUX, Hist. de la France contemporaine, in-8°, t. IV, Paris, 1908, p. 252.

[5] Isaac PEREIRE, la Question religieuse, un vol. in-8°, Paris, 1878.

[6] Gambetta n'inventait pas cette formule ; il l'empruntait à un journaliste, Alphonse Peyrat. Que fallait-il d'ailleurs entendre par ce mot de cléricalisme ? Un maçon, professeur de Faculté, s'exprimait ainsi : La distinction entre le catholicisme et le cléricalisme est purement officielle, subtile, pour les besoins de la tribune ; mais ici, en loge, disons-le hautement pour la vérité, le catholicisme et le cléricalisme ne font qu'un. (Cité par Jules LEMAITRE, la Franc-Maçonnerie, brochure in-12 de 108 pages, Paris, 1899).

[7] Univers du 17 octobre 1877.

[8] Univers du 18 octobre 1877.

[9] Constitutionnel du 17 octobre 1879.

[10] Je vais cherchant la liberté si chère, comme le savent ceux qui dédaignent la vie par amour pour elle (DANTE, Purgatoire).

[11] LECANUET, Montalembert, t. III, p. 456.

[12] P. DUDON, Indissolubilité et divorce, préface, p. XIX-XXI. Rapprocher de cette controverse celle qui s'éleva, entre le Correspondant et l'Union de l'Ouest d'une part, l'Association catholique et l'Univers de l'autre, à propos du mot d'ordre donné par le comte de Mun à l'œuvre des Cercles catholiques : la contre-révolution. Voir Correspondant du 15 septembre 1878 et A. DE MUN, Discours, 5 vol. in-8°, Paris, 1888, Questions sociales, t. I, p. 292 et s., Questions politiques, t. II, discours prononcé le 16 novembre 1878.

[13] G. DESDEVISES DU DEZERT, l'Eglise et l'Etat en France, 2 vol. in-8°, Paris, 1908, t. II, p. 194. Cf. TOURNIER, Gambetta franc-maçon.

[14] HANOTAUX, Histoire contemporaine, t. II, p. 525.

[15] Voir WEILL, Histoire du parti républicain en France, un vol. in-8°, Paris, 1900.

[16] Les 17 et 19 mai 1879, le journal le Français publia, sans soulever aucune réclamation, une longue liste d'hommes politiques engagés dans la franc-maçonnerie. Cette liste a été reproduite et complétée par le R. P. DESCHAMPS, dans son ouvrage les Sociétés secrètes et la société, 4e édition, t. II, p. 446-457. M. Claudio JANNET a donné un supplément à cette liste au tome III du même ouvrage, p. 406-43a. Sur l'influence de la maçonnerie à l'époque de la crise du 16 mai, voir dans DESCHAMPS, op. cit., t. II, le § 14 : la dictature gambettiste et les élections de 1876-1877, p. 436-443. Cf. le Français du 30 mars 1878.

[17] DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la Société, t. II, p. 469. Cf. Ibid., p. 443-446, 457-475.

[18] Le monde maçonnique de novembre 1878, p. 346.

[19] Hippolyte Taine (1828-1893) avait surtout exprimé ses idées dans les Philosophes français du XIXe siècle, en 1856 ; les Essais de critique et d'histoire, en 1857 ; l'Histoire de la littérature anglaise, en 1864 ; la Philosophie de l'art, en 1865 ; l'Intelligence, en 1870 ; l'Ancien Régime, en 1876, et la Révolution, t. I, en 1878.

[20] Charles Renouvier (1815-1903) avait publié, entre autres ouvrages, un Manuel de philosophie moderne, en 1842 ; un Manuel républicain de l'homme et du citoyen, en 1848 ; des Essais de critique générale en 1854 ; la Science de la morale en 1869 ; une traduction de la Psychologie, de Hume, en 1878. Depuis 1872, il avait dirigé, avec M. Pillon, la Critique philosophique.

[21] Le mot est de M. LANSON, Hist. de la littérature française, 7e édition, p. 1052. Alexandre Dumas fils (1824-1895) avait publié un certain nombre d'études morales, de drames et de romans, dont les principaux sont : la Dame aux Camélias (1852), les Idées de Mme Aubray (1867), plusieurs Lettres sur les choses du jour (1871), l'Homme-Femme (1872), la Femme de Claude (1873), l'Etrangère (1876).

[22] Emile Zola (1840-1902) avait publié en 1877 l'Assommoir.

[23] Voir sa préface à une brochure mystique, le Retour au Christ, en 1874, et les préfaces insérées dans son Théâtre complet, dont la deuxième édition parut en 1877.

[24] TAINE, les Origines de la France contemporaine, 22e édition, t. XI, p. 146.

[25] Notamment dans le poème de Justice, paru en 1878.

[26] SULLY-PRUDHOMME, le Prisme.

[27] G. FONSEGRIVE, l'Evolution des idées dans la France contemporaine, un vol. in-12, Paris, 1917, p. 116.

[28] LECANUET, l'Eglise de France sous la troisième République, t. II, 2e édition, p. 10.

[29] Le Bien public du 18 février 1878.

[30] LAGRANGE, Vie de Mgr Dupanloup, t. III, p. 474. Sur l'attitude générale de Mgr Dupanloup dans ses diverses polémiques, voir l'ouvrage de M. l'abbé CHAPON (aujourd'hui Mgr CHAPON, évêque de Nice), Mgr Dupanloup et la liberté, un vol. in-12, Paris, 1889.

[31] LAGRANGE, Vie de Mgr Dupanloup, t. III, p. 466.

[32] Semaine religieuse de Paris du 8 juin 1878, p. 949.

[33] Cette transformation ne fut officiellement consacrée qu'en 1881, par la refonte de l'article 1er de la Société. Cet article était ainsi conçu : La franc-maçonnerie... a pour principe l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et la solidarité humaine. Elle regarde la liberté de conscience comme un droit propre à chape homme et n'exclut personne pour ses croyances. En 1884, la Société, confirmant une évolution commencée en 1870 et consommée en 1876, supprime ce texte et y substitue le suivant : La franc-maçonnerie, considérant les conceptions métaphysiques comme étant du domaine exclusif de l'appréciation individuelle de ses membres, se refuse à toute affirmation dogmatique. Voir Jules LEMAITRE, op, cit., p. 58. — C'est en 1877, le 5 mai, que, pour la première fois, un groupe de révolutionnaires, réunis dans la Salle des Ecoles, rue d'Arras, rédige un vœu pour l'expulsion des jésuites. Cette manifestation se produit à la suite de scènes tumultueuses soulevées au cours de M. Saint-René Taillandier, lequel a cru devoir déclarer que les hommes de 93 n'ont souvent été que les renégats de 89.

[34] Cité par LECANUET, l'Eglise de France sous la troisième République, t. II, p. 190.

[35] Correspondant du 25 septembre 1878, p. 1137-1138.

[36] Mgr FREPPEL, Lettre à M. Gambetta en réponse au discours de Romans, dans ses Œuvres polémiques, t. I.

[37] Correspondant du 25 septembre 1878, p. 1142.

[38] CHAMARD, op. cit., p. 774.

[39] HANOTAUX, Hist. de la France contemporaine, t. IV, p. 431. Cf. BARDOUX, Jules Grévy.

[40] La Révolution du 31 janvier 1879.

[41] HANOTAUX, Hist. de la France contemporaine, t. IV, p. 441.

[42] HANOTAUX, Hist. de la France contemporaine, t. IV, p. 447.

[43] HANOTAUX, Hist. de la France contemporaine, p. 454. Cf. DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la Société, t. I, l. I, ch. II, § 13, et t. II, l. II, ch. XII, § 8.

[44] HANOTAUX, Hist. de la France contemporaine, t. IV, p. 453-454.

[45] DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la Société, t. II, p. 476.

[46] Cité par l'Univers du 26 avril 1879. Cf. DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la Société, t. II, p. 477. La lettre de Jules Ferry est du 31 mai 1879.

[47] La Chaîne d'union, journal de la maçonnerie universelle, mai 1879, p. 217. Voir d'autres citations dans DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la Société, t. II, p. 478 et s.

[48] Annales du Sénat et de la Chambre des députés, session de 1879, t. VII, p. 149 et s.

[49] M. Littré avait été initié à la franc-maçonnerie en même temps que Jules Ferry (DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la Société, t. II, p. 478). Sur sa fin chrétienne, voir Correspondant du 25 septembre 1920.

[50] Revue des Deux Mondes, du 1er novembre 1879.

[51] Voir cette lettre dans ANDRIEUX, Souvenirs d'un préfet de police, 2. vol. Paris, 1885, t. I, p. 211-212.

[52] E. DE LABOULAYE, la Liberté d'enseignement et les projets de loi de M. Ferry, un vol. in-8°, Paris, 1880.

[53] L. GRIMAUD, Histoire de la liberté d'enseignement en France, un vol. in-8°, Paris, 1898, p. 521-552.

[54] République française du 10 mars 1880.

[55] Voici les dispositifs des deux décrets : I. La société non autorisée dite de Jésus, devra, dans un délai de trois mois, se dissoudre et évacuer ses établissements. Ce délai sera prolongé jusqu'au 31 août pour les maisons d'enseignement. — II. Toute congrégation ou communauté non autorisée est tenue, dans le délai de trois mois, de demander l'autorisation, en soumettant au gouvernement ses statuts, ses règlements, le nombre de ses membres, etc. On devra indiquer si l'Association s'étend à l'étranger, ou si elle est renfermée dans le territoire de la République. Pour les congrégations d'hommes, il sera statué par une loi ; pour les congrégations de femmes, par une loi ou par un décret du Conseil d'Etat. On trouvera le texte complet des deux décrets, avec leurs considérants et le rapport qui les précède, dans la Semaine religieuse de Paris du 3 avril 1880. p. 622-627.

[56] C'est le chiffre donné par M. Jules AUFFRAY, dans sa brochure, les Expulsés devant les tribunaux, préface, p. III.

[57] E. KELLER, les Congrégations religieuses en France, un vol. in-12, Paris, 1880.

[58] Voir le texte de la Consultation de Me Rousse dans l'Univers du mois de juin 1880.

[59] Cité par DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la Société, t. II, p. 422.        

[60] L. ANDRIEUX, Souvenirs d'un préfet de police, 2 vol. in-12, Paris, 1885, t. I, p. 229.

[61] BAUNARD, le Général de Sonis, un vol. in-8°, Paris, 29e édition, 1891, p. 509.

[62] Les élèves de M. Ollé-Laprune, par l'organe de M. Jean Jaurès, protestèrent hautement contre la mesure prise à l'égard de leur maître. Voir, sur cet incident, le récit de M. Georges GOYAU dans la préface de la Vitalité chrétienne, p. XXIII-XXV, et une lettre de M. Ollé-Laprune au R. P. Ramière, publiée dans les Etudes du 5 mars 1898.

[63] L. ANDRIEUX, Souvenirs d'un préfet de police, t. I, p. 233-234.

[64] Standard du 1er juillet 1880. Sur l'exécution des décrets, voir LECANUET, op. cit., t. II, p. 62-65 et 81-89. Pour ce qui concerne plus spécialement leur exécution à Paris, voir ANDRIEUX, Souvenirs d'un préfet de police, p. 215-233.

[65] Mgr BESSON, dans la Vie du cardinal de Bonnechose, dit par erreur : trois semaines.

[66] ANDRIEUX, Souvenirs d'un préfet de police, t. I, p. 213.

[67] ANDRIEUX, Souvenirs d'un préfet de police, t. I, p. 320-321.

[68] Journal de la franc-maçonnerie belge, 11e jour du 11e mois de l'année 5879 (1879). Cf. DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la Société, t. II, p. 481.

[69] Un convent du Grand-Orient se tenait à Paris vers le milieu de septembre 1880.

[70] Moniteur universel du 22 septembre 1880 ; DESCHAMPS, II, 488.

[71] Voir PAGUELLE DE FOLLENAY, Vie du cardinal Guibert, 2 vol. in-8°, Paris, 1826, t. II, p. 666-668.

[72] Tandis que la magistrature assise montrait cette indépendance, la magistrature debout avait une attitude non moins digne. Près de 400 magistrats ou fonctionnaires de tout ordre donnèrent leur démission plutôt que de participer à l'exécution des décrets. On compta parmi eux 20 procureurs de la République, 15 avocats généraux, deux procureurs généraux : M. Francisque Rive à Douai, et M. Félix Clappier à Grenoble, un avocat général à la Cour de Cassation, M. Lacointa. Voir G. BARCILON, le Livre d'or de la magistrature, un vol. in-8°, Avignon et Paris.

[73] Sur la manière dont furent posées et résolues les questions juridiques devant le tribunal des conflits à cette occasion, voir GRIMAUD, Hist. de la liberté d'enseignement, p. 554-560, et l'ouvrage de J. AUFFRAY et L. DE CROUSAZ-CRÉTET, les Expulsés devant les tribunaux, un vol. in-8°, Paris, 1881.

[74] VAREILLES-SOMMIÈRES, Des personnes morales, un vol. in-8°, Paris, 1902, p. 455-456.

[75] Ainsi, une obligation nominative de chemin de fer, rapportant alors 14 fr. 30 par an, était censée rapporter 23 francs. Une école gratuite, un hôpital, un orphelinat, étaient censés rapporter 5 % de la valeur de l'immeuble occupé.

[76] DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la Société, II, 484-485.

[77] Voir des détails très précis, sur l'organisation de l'enseignement maçonnique des femmes en Allemagne, dans PACHTLER, Der Gœtze der Humanitœt, p. 415-421, 695-700.

[78] Voir le Siècle du 20 novembre 1867.

[79] DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la Société, II, 485.

[80] LECANUET, l'Eglise de France sous la troisième République, t. II, p. 103.

[81] Le R. P. DESCHAMPS (Les Sociétés secrètes et la Société, t. II, p. 485, note 1) le confond avec son beau-père, le Dr Germain Sée.

[82] La loi Camille Sée, documents, rapports et discours, un vol. in-8°, Paris, Hetzel, p. 25.

[83] Voir, sur ce sujet : E. LAMY, la Femme de demain, un vol. in-12, Paris 1901 ; L. LEBRESSAN (R. P. LESCŒUR), l'Etat mère de famille, Paris, 1903 ; F. GIBON, les Lycées de filles en 1887, Paris, 1887 ; M. D'HERBELOT, les Lycées de filles, ce qu'ils valent, ce qu'ils coûtent, Paris, 1892 ; HEUZEY, l'Education de nos filles par l'Etat, dans la Correspondant du 25 juin 1901 ; O. GRÉARD, Education et instruction, un vol. in-12, Paris, 1887 ; Mlle Gabrielle RÉVAL (Mme LOGEROT), les Sévriennes (1900), Un lycée de filles (1901), les Lycéennes (1903).

[84] Voir E. LAMY, la Femme chrétienne et française. Cf. Bulletin de l'Institut Catholique de Paris du 25 oct. 1916, p. 174 et s.

[85] DEBIDOUR, Histoire des rapports de l'Eglise et de l'Etat en France, un vol. in-8°, Paris, 1898, p. 276.

[86] LECANUET, l'Eglise de France sous la troisième République, t. II, p. 111.

[87] Univers du 19 mai 1881.

[88] Univers du 26 décembre 1886.

[89] Cité par M. DE MUN dans le Gaulois du 21 décembre 1909.

[90] Cité par M. DE MUN dans le Gaulois du 21 décembre 1909.

[91] Cité par G. GOYAU, l'Ecole d'aujourd'hui, t. II, p. 13, 15.

[92] Journal officiel de juillet 1881.

[93] Univers du 10 avril 1882.

[94] Résidant à Rome en 1883 et 1884, nous avons acquis cette conviction par diverses sources d'information, particulièrement par un entretien très significatif de Léon XIII avec Mgr Soubiranne, évêque de Belley, entretien dont le prélat voulut bien nous faire le récit au sortir de l'audience pontificale.

[95] Pensée de Joubert, 6e édition, 2 vol. in-12, Paris, 1874, t. II, p. 6.

[96] G. GOYAU, Bismarck et l'Eglise, 4 vol. in-12, Paris, 1913, t. III, p. X, 9, 40, 42, 109, 110, 136, 137 ; t. IV, p. 54.

[97] Arch. des Affaires Etrangères, Rome, 1066, lettre du 23 septembre 1879.

[98] DE DREUX-BRÉZÉ, Notes et souvenirs, p. 169, 183.

[99] DEBIDOUR, Hist. des rapports de l'Église et de l'Etat..., t. I, p. 232.

[100] J. TOURNIER, le Cardinal Lavigerie et son action politique, un vol. in-8°, Paris, 1913, p. 118. — Ceux qui se montraient si sévères envers le nonce au nom de l'intransigeance, étaient-ils eux-mêmes à l'abri de toute critique ? Je me souviens, écrit Edouard Drumont, d'une jolie conversation du nonce Czacki avec Ignotus (pseudonyme de M. Félix Platel dans le Figaro) : Les catholiques de l'aristocratie, disait Czacki, me reprochent amèrement de ne pas casser les vitres ; ils arrivent tous chez moi pleins d'indignation ; et, le soir, je vois ces chrétiens désolés parader dans les salons juifs, jouer la comédie ou prendre part à des fêtes ridicules. Que voulez-vous faire avec ces gens là ? (ED. DRUMONT, le Testament d'un antisémite, p. 242.)

[101] LECANUET, II, 172.

[102] Sur ces diverses lois et sur d'autres mesures persécutrices, voir LECANUET, t. II, p. 197-214.

[103] Dix-neuf sièges furent vacants pendant cette période. Une seule nomination put être critiquée, celle de Mgr Bellot des Minières à l'évêché de Poitiers. Toutefois cet évêque a été très calomnié, et une enquête attentive a formellement démenti les accusations odieuses portées contre lui par E. DRUMONT dans le Testament d'un antisémite, p. 249-250.

[104] Voir des spécimens de ces attaques dans le Gaulois du 23 août et du 26 septembre 1882.

[105] G. BAZIN, Vie de Mgr Maret, 3 vol. in 8°, Paris, 1891, t. III, p. 460.

[106] BAZIN, Vie de Mgr Maret, III, 482.

[107] BAZIN, Vie de Mgr Maret, III, p. 485-487.

[108] LEONIS XIII Acta, t. IV, p. 20.

[109] Lettre du 25 février 1884.

[110] L'encyclique Humanum genus, publiée le 20 juin 1884, constituait un des plus vigoureux actes d'accusation qui aient été dressés contre la secte maçonnique.

[111] Pauvre Chambord ! disait, en 1884, à Mgr Soubiranne, évêque de Belley, le pape Léon XIII. Je le lui avais bien dit !... Avec plus de souplesse, il eût pu faire l'union entre les catholiques de France et même entre tous les honnêtes gens. Puis le Saint-Père avait exprimé l'espoir de voir le comte de Paris accomplir l'œuvre que le prince défunt n'avait pas su réaliser. L'auteur du présent livre tient ce propos de la bouche de Mgr Soubiranne lui-même.

[112] Univers du 28 août 1884.

[113] Univers du 28 août 1884.

[114] Univers du 28 août 1884.

[115] Univers du 28 août 1884.

[116] Léonce DE GRANDMAISON, le Comte Albert de Mun, dans les Etudes d'octobre-novembre-décembre 1914, t. CXLI, p. 49.

[117] Univers du 17 septembre 1885.

[118] Espérance du peuple du 18 octobre 1885.

[119] Espérance du peuple du 18 octobre 1885.

[120] L'appel des Treize était signé par MM. Baudon, de Bélizal, Benoit d'Azy, Lucien Brun, Chesnelong, Gicquel des Touches, Kolb Bernard, Keller, de La Bassetière, de Lanjuinais, de Mackau, de Mun, et de Ravignan.

[121] Journal le Voltaire d'avril 1887.

[122] D'après l'annuaire du Grand-Orient, M. Goblet, député de la Seine, demeurant rue de Chaillot, n° 83, a été initié aux rites maçonniques en 1882.

[123] Correspondant du 25 janvier 1886, p. 379.

[124] Journal des Débats du 3 mai 1886.

[125] Revue des Deux Mondes du 1er mai 1885.

[126] Rapport présenté par M. Fontaine de Resbecq, ch. X.

[127] Mgr BAUNARD, Un siècle de l'Eglise de France, un vol. in-8°, Paris, 1900, p. 342.

[128] Lettre du 24 avril 1888.

[129] Univers du 25 avril 1888.

[130] Cette parole a été citée par le Temps du 15 septembre 1890.

[131] Mgr BAUDRILLART, Vie de Mgr d'Hulst, 2 Vol. in-8°, Paris, 1914, t. II, p. 266.

[132] Univers du 10 novembre 1886.

[133] Univers du 7 février 1890.

[134] TOURNIER, le Cardinal Lavigerie, p. 279.

[135] Univers du 28 février 1890.

[136] TOURNIER, le Cardinal Lavigerie, p. 278.

[137] TOURNIER, le Cardinal Lavigerie, p. 282.

[138] Il nous semble que les faits que nous venons de raconter suffisent à éclairer la controverse qui s'est élevée sur le point de savoir si le pape avait simplement autorisé ou formellement imposé les déclarations du cardinal Lavigerie sur le ralliement. Mgr Baunard, dans un article publié par la Revue des sciences ecclésiastiques de juillet-août 1913, a rapporté les paroles suivantes que lui aurait dites Léon XIII lui-même : Pour sa déclaration d'adhésion à la République, ce n'est pas une mission que je donnai au cardinal Lavigerie, mais une permission et un encouragement... Je lui fis, en outre, la recommandation de ne pas engager à fond le Saint-Siège dans une action que l'Eminence mènerait par elle-même, dans le temps et l'occasion qui se présenteraient et de la manière que je laissai à son choix. Il n'en est pas moins vrai que, parmi les divers prélats dont il avait été question pour cette démarche, Léon XIII avait positivement fait choix de l'archevêque d'Alger, lequel, du reste, s'était suffisamment désigné lui-même par ses démarches antérieures. C'est en ce sens qu'on peut dire que Léon XIII l'avait chargé d'une mission. Et ce fait explique certaines paroles du cardinal, qui, bien entendues, ne contredisent pas celles de Léon XIII : Le pape désire que ce soit moi (TOURNIER, p. 284) ; je ne laisserai pas croire que j'ai pris cette initiative sans qu'elle ait été demandée et même imposée pour le fond des choses (ibid., p. 300). Pour expliquer plus à fond les apparentes divergences qui subsistent entre les déclarations du pape et celles du cardinal, peut-être faut-il, avec Mgr Baudrillart, noter qu'au moment de la conversation de Léon XIII avec Mgr Baunard, les affaires du ralliement allaient déjà mal, et que le paie était pris entre le souci de la vérité et celui de décharger le Saint-Siège d'une responsabilité excessive. (Mgr BAUDRILLART, Vie de Mgr d'Hulst, t. II, p. 296-297.)

[139] Voir le texte complet du toast dans les Questions actuelles du 20 novembre 1890, et dans tous les journaux du temps.

[140] Univers du 16 novembre 1890.

[141] Le Monde du 16 novembre 1890.

[142] L'Autorité des 16, 22 et 26 novembre 1890.

[143] Voir cette lettre dans les Questions actuelles du 20 décembre 1890, p. 331-333.

[144] TOURNIER, le Cardinal Lavigerie, p. 297.

[145] TOURNIER, le Cardinal Lavigerie, p. 298.

[146] TOURNIER, le Cardinal Lavigerie, p. 305.

[147] TOURNIER, le Cardinal Lavigerie, p. 304-305.

[148] TOURNIER, le Cardinal Lavigerie, p. 298.

[149] Cardinal LECOT, Oraison funèbre du cardinal Richard, dans la Semaine Religieuse de Paris du 11 avril 1908, p. 665.

[150] Questions actuelles du 5 mars 1891, p. 130-135.

[151] Univers du 27 mars 1891.

[152] François DESCOTTES, dans l'Univers du 25 mars 1893.

[153] La Libre Parole avait paru en mars 1892.

[154] L'Autorité du 13 mars 1892.

[155] Ami du Clergé du 7 juillet 1892, p. 417-423.

[156] DE CHEYSSAC (Dom BESSE), le Ralliement, p. 97.

[157] Voir la Libre Parole, le Soleil, la Gazette de France et l'Alerte des 22, 23 et 24 août 1893.

[158] La Croix du 25 mai 1892.

[159] Biographie du R. P. Vincent de Paul Bailly, dans les Questions actuelles du 2 août 1913, p. 203.

[160] R. P. JANVIER, l'Action intellectuelle et politique de Léon XIII en France, p. 120-126.

[161] MM. Louchet, Sabatier, Chauffard, David, Delamarre.

[162] Lettre du 24 août 1895 à Mgr Coullié, archevêque de Lyon.

[163] Le prétendu accord se fit donc sur une fâcheuse équivoque. J'étais présent, écrit au président du comité le R. P. Prélot, de la Compagnie de Jésus, j'étais présent quand vous avez posé la question : Etes-vous pour la résistance Sous cette forme, la question avait le tort de rester dans le vague et de prêter, dans la réponse, à plus d'une équivoque. (Archives du Séminaire de Saint-Sulpice.)

[164] R. P. DE SCORRAILLE, dans les Etudes du 14 octobre 1895, p. 322.

[165] Vous rappelez-vous l'accueil qui fut fait à la brochure du P. de Scorraille ?... On éclata de rire : Résistance oratoire, s'écriait-on avec dédain. (R. P. PRÉLOT, Lettre inédite, Arch. de S. S.)

[166] R. P. PRÉLOT, Lettre inédite, Arch. de S. S.

[167] Archives de Saint-Sulpice.

[168] Gustave TÉRY, dans le Matin du 10 décembre 1906, cité par FONSEGRIVE, l'Évolution des idées dans la France contemporaine, un vol. in-8°, Paris, 1917, p. 93.

[169] E. BOUTROUX, Notice sur la vie et les œuvres de M. Léon Ollé-Laprune, Paris, 1905, p. 3.

[170] G. GOYAU, dans la Préface à la Vitalité chrétienne d'OLLÉ-LAPRUNE, p. VIII.

[171] E. BOUTROUX, Notice sur la vie et les œuvres de M. Léon Ollé-Laprune, p. 27.

[172] M. BLONDEL, Léon Ollé-Laprune, Paris, 1899, p. 49-50.

[173] OLLÉ-LAPRUNE, la Vitalité chrétienne, p. 262.

[174] OLLÉ-LAPRUNE, la Vitalité chrétienne, p. 306.

[175] OLLÉ-LAPRUNE, la Vitalité chrétienne, p. 306.

[176] Questions actuelles du 11 août 1894. Dans la Libre Parole, Edouard Drumont avait déjà accusé le comte de Mun d'être affolé de louanges comme une vieille coquette, faux comme un jeton, et l'avait appelé Tartufe.

[177] Brochure publiée à Saint-Etienne, imprimerie du Stéphanois, 1895.

[178] G. GOYAU, la Franc-maçonnerie en France, un vol. in-12, Paris, 1899, p. 54. Cette brochure reproduit, en l'amplifiant, un article paru dans la Revue des Deux Mondes du 1er mai 1898 et composé d'après des documents authentiques fournis par M. Prache, député de la Seine.

[179] G. GOYAU, la Franc-maçonnerie en France, p. 58-59.

[180] Bulletin du Grand-Orient, août-septembre 1895, p. 370-376.

[181] Correspondant, t. CCXVIII, p. 702.

[182] Correspondant du 25 janvier 1896, p. 391.

[183] Il était, au moins depuis 1890, membre de la loge la Sincérité.

[184] Tous ces détails sur les relations du gouvernement avec la franc-maçonnerie sont relatés dans les journaux de l'époque. On les trouvera, par exemple, dans le Tableau des événements du mois des Etudes de l'année 1896.

[185] Correspondant du 25 avril 1896, p. 389.

[186] Semaine Religieuse de Paris du 18 janvier 1896, p. 79-80.

[187] Correspondant du 25 avril 1896, p. 389.

[188] Etudes du 1er mai 1896, p. 171.

[189] Correspondant du 10 septembre 1896.

[190] Revue maçonnique d'avril 1896, p. 79.

[191] Correspondant du 25 avril 1896, p. 337-388.

[192] Correspondant du 25 avril 1896, p. 386.

[193] Il en a laïcisé douze par mois, tandis que le ministère Bourgeois n'en avait sécularisé que neuf.

[194] Lettre du cardinal Rampolla, 30 janvier 1895.

[195] L'article parut le 1er mai 1898. Il avait pour auteur M. Georges Goyau, qui empruntait la plupart de ses renseignements à la riche collection de documents authentiques réunie par M. Prache, député de la Seine. L'étude de M. GOYAU a été revue, augmentée et publiée en brochure sous ce titre : la Franc-Maçonnerie en France, Paris, 1899.

[196] Compte rendu du Grand-Orient, 19-24 sept. 1898, p. 107.

[197] C. R. G.-O., 19-24 sept. 1898, p. 278.

[198] Bulletin du Grand-Orient de novembre-décembre 1885, p. 561.

[199] G. GOYAU, la Franc-Maçonnerie en France, p. 70, 78-79, 82-83.

[200] C. R. G.-O., 20-27 sept. 1897, p. 225 et s.

[201] G. GOYAU, la Franc-Maçonnerie en France, p. 96, 97, 98.

[202] Unità cattolica du 19 août 1896.

[203] Univers du 5 octobre 1896.

[204] Mémoires d'une ex-palladiste, p. 214.

[205] Le Diable au XIXe siècle, t. I, p. 619.

[206] Le Diable au XIXe siècle, t. I, p. 719.

[207] M. l'abbé de Bessonies nous a, plus tard, déclaré personnellement quelles étaient ces prétendues preuves. Il avait plusieurs fois reçu d'assez larges aumônes de la part de Diana Vaughan, qui lui demandait le secret le plus absolu à ce sujet. Ces aumônes étaient la plupart du temps destinées à aider des malades pauvres à faire le pèlerinage de Lourdes. L'excellent abbé de Bessonies attribuait à la vertu d'humilité ce qui n'était qu'une habileté suprême du signataire des lettres de Diana Vaughan, Léo Taxil, lequel s'assurait ainsi le témoignage d'un bon prêtre, et récupérait facilement, par la vente de ses publications, les sommes avancées en aumônes. La bonne foi de M. le chanoine Mustel avait été trompée par des procédés analogues.

[208] Loi du 8 juin 1895, modifiant le chapitre III du livre III du Code d'instruction criminelle.

[209] Correspondant du 10 août 1899, p. 423.

[210] Discours prononcé par le Président de la République en recevant le conseil d'arrondissement de Rambouillet. Voir le Figaro du 25 août 1899.

[211] Jules LEMAITRE, la Franc-Maçonnerie, brochure de 108 pages-in-12, Paris, 1899, p. 61.

[212] Jules LEMAITRE, la Franc-Maçonnerie, p. 61.

[213] Compte rendu du convent, septembre-octobre 1899, p. 12, 356. Cité par M. PRACHE, député de Paris, dans son ouvrage : Pétition contre la franc-maçonnerie, un vol. in-12 de 266 pages, Paris, 1902, p. 151-152. On trouvera dans cette étude une très riche documentation sur la franc-maçonnerie.

[214] Questions actuelles du 21 janvier 1899, p. 158.

[215] Cité par le Correspondant du 25 août 1898, p. 827-828.

[216] Jules LEMAITRE, la Franc-Maçonnerie, p. 93-94.

[217] Sur les polémiques soulevées à propos de l'américanisme, voir E. COPPINGER, la Polémique française sur la vie du P. Hecker, brochure de 84 pages in-8°, Paris, 1898.

[218] Pseudonyme de M. Léon Lavedan.

[219] Correspondant du 25 février 1899.

[220] Jules DELAFOSSE, dans le Correspondant du 10 février 1907, p. 431-433.

[221] L. PRACHE, la Pétition contre la franc-maçonnerie, p. 60.

[222] Mgr BAUNARD, discours prononcé à l'Université catholique de Lille, le 7 août 1899.

[223] Mgr BAUNARD, discours prononcé à l'Université catholique de Lille, le 7 août 1899.

[224] Voir Questions actuelles, t. LI, p. 258 et s., 263 et s., 282 et s.

[225] Cité par A. DE MUN, la Loi des suspects, un vol. in-12, Paris, 1900, p. 237-238.

[226] A. DE MUN, la Loi des suspects, p. 48-49.

[227] A. DE MUN, la Loi des suspects, p. 24.

[228] Voir l'exposé des motifs et le texte intégral du projet dans les Questions actuelles, t. LI, p. 174 et s.

[229] M. Piou, discours prononcé le 8 mai 1900, dans les Questions actuelles, t. LI, p. 108.

[230] Questions actuelles, t. LVII, p. 140.

[231] Notes et documents pour servir à l'histoire du T. R. P. d'Alzon et de ses œuvres, t. IV, p. 315. Cf. Questions actuelles, t. CXV, p. 164.

[232] La Croix du 25 mai 1892.

[233] Questions actuelles, t. CXV, p. 215.

[234] Questions actuelles, t. CXV, p. 216.

[235] Voir l'énumération complète de ces publications dans les Questions actuelles, t. CXV, p. 264-285.

[236] Questions actuelles, t. CXV, p. 217-218. L'auteur ajoute en note : Il a été affirmé depuis lors par les personnes les plus sérieuses que l'initiative des poursuites remontait à M. Waldeck-Rousseau, lequel avait surtout en en vue la revanche de Dreyfus.

[237] Questions actuelles, t. LII, p. 400-401.

[238] Questions actuelles, t. LIII, p. 175-177.

[239] On a parfois dit qu'en cette occasion le Pape Léon XIII demanda aux Pères de l'Assomption l'abandon de leurs œuvres. Le R. P. Yves de la Brière, en un article nécrologique sur le P. Bailly, publié dans les Etudes du 5 janvier 1913, dit que les assomptionnistes reçurent l'ordre de quitter la Croix et les œuvres de la Bonne Presse. Le Saint-Père les pria seulement de ne plus prendre part à la rédaction du journal la Croix, et leur laissa toute liberté pour les autres œuvres et publications de la Bonne Presse. Voir Questions actuelles, t. CXV, p. 221.

[240] Voir le projet et son Exposé des motifs dans les Questions actuelles, t. LIII, p. 150-156.

[241] Voir dans les Questions actuelles, t. LIII, p. 194-222, le Rapport de M. Dulau.

[242] Questions actuelles, t. LIII, p. 233-237.

[243] A. DE MUN, la Loi des suspects, p. 123-124.

[244] MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, l. XIX, ch. III, De la tyrannie.

[245] A. DE MUN, la Loi des suspects, p. 95-96.

[246] A. DE MUN, la Loi des suspects, p. 101-102.

[247] Questions actuelles, t. LIV, p. 43, 111 ; t. LVI, p. 22, 144, 194, 330 ; t. LVIII, p. 123.

[248] Questions actuelles, t. LII, p. 407-408.

[249] Questions actuelles, t. LII, p. 79-80.

[250] Questions actuelles, t. LIII, p. 57.

[251] Questions actuelles, t. LV, p. 123.

[252] Voir dans les Etudes du 10 juillet 1901, p. 262-284, le texte de la commission, mis en regard du texte déposé en novembre 1899 par le gouvernement.

[253] Voir le texte complet de la loi dans les Questions actuelles, t. LIX, p. 297-302.

[254] Revue politique et parlementaire de mai 1901.

[255] R. P. PRÉLOT, la Mort des congrégations, dans les Etudes, t. LXXXVII, p. 747.

[256] Questions actuelles, t. LIX, p. 258-264.

[257] Discours prononcé à Tours, le 23 février 1901, Questions actuelles, t. LVIII, p. 236 et s.

[258] Voir le Règlement d'administration publique dans les Questions actuelles, t. LX, p. 34-47, et la circulaire ministérielle, ibid., p. 226-233.

[259] Questions actuelles, t. LX, p. 234-236.

[260] Questions actuelles, t. LX, p. 48.

[261] Questions actuelles, t. LX, p. 34.

[262] Questions actuelles, t. LXII, p. 85.

[263] Questions actuelles, t. LXII, p. 228, 230.

[264] Questions actuelles, t. LXII, p. 370-372.

[265] Compte rendu du convent de 1902, p. 169. Cf. Dict. apol. de la foi catholique, au mot franc-maçonnerie, col. 117.

[266] Questions actuelles, t. LXIII, p. 258.

[267] Jules DELAFOSSE, M. Waldeck-Rousseau et son œuvre, dans le Correspondant du 10 février 1907, p. 439.

[268] Le cabinet Combes avait été institué le 7 juin. Il était ainsi composé : Intérieur et Cultes, M. Combes ; Justice, M. Vallé ; Finances, M. Bouvier ; Guerre, le général André ; Marine, M. Camille Pelletan ; Instruction publique. M. Chaumié ; Commerce, M Trouillot ; Travaux publics, M. Maruéjoul ; Agriculture, M. Mougeot ; Affaires étrangères, M. Delcassé ; Colonies, M. Doumergue.

[269] Questions actuelles, t. LXIV, p. 60-62.

[270] Questions actuelles, t. LXIV, p. 62, 148, 151.

[271] Questions actuelles, t. LXIV, p. 250-254.

[272] Questions actuelles, t. LXIV, p. 315-317.

[273] Questions actuelles, t. LXIV, p. 258-281.

[274] Questions actuelles, t. LXV, p. 2-3.

[275] Questions actuelles, t. LXV, p. 5-7.

[276] Questions actuelles, t. LXV, p. 15-21.

[277] Questions actuelles, t. LXV, p. 4.

[278] Questions actuelles, t. LXIV, p. 361.

[279] Questions actuelles, t. LXIV, p. 362-368 ; t. LXV, p. 23-30, 40-60.

[280] Questions actuelles, t. LXV, p. 126.

[281] Questions actuelles, t. LXIV, p. 302 et s., 344 et s., 368 et s.

[282] Questions actuelles, t. LXVI, p. 29-30.

[283] Questions actuelles, t. LX, p. 236-239.

[284] Sur ces demandes d'autorisation, voir Questions actuelles, t. LXVI, p 226-240, 253-273.

[285] Questions actuelles, t. LXVII, p. 258-274.

[286] Journal officiel du 24 mars 1903, p. 1270.

[287] Journal officiel du 17 mars 1903, p. 1187.

[288] Revue des Deux Mondes du 15 décembre 1902, p. 953.

[289] Questions actuelles, t. LXVI, p. 2 et s.

[290] Questions actuelles, t. LXVI, p. 66 et s.

[291] Questions actuelles, t. LXVII, p. 126-127.

[292] Questions actuelles, t. LXVII, p. 314-315.

[293] M Valadier, curé d'Aubervilliers, fut privé de son traitement, le 13 mai 1903, pour avoir fait prêcher M. l'abbé Coubé.

[294] Circulaire du 14 mai 1903.

[295] Questions actuelles, t. LXVIII, p. 300 et s.

[296] Questions actuelles, t. LXVIII, p. 308-309.

[297] La question du nobis nominavit s'était déjà présentée dans les relations diplomatiques de la France avec le Saint-Siège. Voici en quoi elle consiste. L'article 4 du Concordat de 1801 avait décidé que le chef du gouvernement français nommerait les évêques et que le pape leur conférerait l'institution canonique. Or, dans la réalité de la convention de 180i, comme dans celle de 1516, il était bien entendu que l'institution canonique n'était pas soumise à la nomination, qu'elle restait toujours libre, en d'autre termes que la nomination n'était qu'une présentation, qu'une proposition de noms. Pour bien préciser cette signification, la curie romaine avait, le 22 septembre 1871, dans la bulle d'institution canonique de Mgr Nouvel, évêque de Quimper, inséré le mot prœsentare. Le gouvernement de M. Thiers protesta. Le cardinal Antonelli déclara que le mot prœsentare n'avait pas été mis là pour éluder le Concordat, et l'incident fut clos. Plus tard, dans la bulle du 6 mai.1872, qui instituait l'évêque de Saint-Denis, la curie se contenta, toujours dans la même intention, d'insérer, avant le verbe nominare, le simple pronom nobis. Nobis nominavit donnait bien le sens de proposer un nom. Le mot nobis causa quelque ombrage à la commission provisoire qui remplaçait le Conseil d'Etat. Mais le Président de la République ne s'arrêta pas à ce scrupule, et déclara, dans soit décret du 27 septembre 1872, que la formule nobis nominavit était employée dans un sens qui ne pouvait préjudicier en rien au droit du pouvoir civil. Telle était la question dont M. Combes cherchait à faire le prétexte d'une nouvelle querelle. Voir, sur ce sujet, l'Osservatore romano du 23 janvier 1904 et Emile OLLIVIER, Nouveau manuel de droit ecclésiastique. Troisième République, LXX : Du prœsentare dans les bulles d'institution canonique pour les évêchés, p. 446.

[298] Emile OLLIVIER, Nouveau manuel de droit ecclésiastique, t. LXIX, p. 29.

[299] Par exemple Mgr d'Hulst. Voir sa Vie par Mgr BAUDRILLART, t. II, p. 421.

[300] Encyclique du 16 février 1892.

[301] A. DE MUN, les Congrégations religieuses devant la Chambre. Conclusion.

[302] E. LAMY, la Séparation de l'Eglise et de l'Etat, dans la Revue des Deux Mondes du 15 janvier 1887.

[303] P. DUDON, dans les Etudes du 10 juillet 1903, p. 196.

[304] Contemporary Review d'octobre 1903, p. 665.

[305] Contemporary Review d'octobre 1903, p. 463.

[306] R. P. BRANDI, S. J., la Politique de Léon XIII, trad. française de M. VETTER, une br. in-12, Paris, 1903, p. 70-71.

[307] R. P. BRANDI, S. J., la Politique de Léon XIII, p. 75-76.

[308] R. P. BRANDI, S. J., la Politique de Léon XIII, p. 75.

[309] R. P. BRANDI, S. J., la Politique de Léon XIII, p. 76.