HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

CHAPITRE XIV. — DU CONCILE DU VATICAN À LA MORT DE PIE IX (1870-1878).

 

 

L'invasion de Rome, le 20 septembre 1870, n'était que le début d'une série d'épreuves dont le pape Pie IX allait cruellement souffrir jusqu'à sa mort. Ces épreuves lui vinrent surtout de l'Italie, de la France, de l'Allemagne, de la Suisse, de l'Autriche, de l'Espagne et de l'Angleterre.

 

I

Le jour même où les troupes piémontaises avaient franchi la brèche de la Porta Pia, le cardinal Antonelli remettait aux membres du corps diplomatique une note par laquelle Pie IX, déclarant vaine, nulle et de nulle valeur, l'usurpation dont il était victime, rendait responsable de cette indigne et sacrilège spoliation le roi d'Italie et sou gouvernement[1].

Mais, cette protestation solennelle une fois faite, le Secrétaire d'Etat du Saint-Siège jugea prudent de pourvoir aux moyens d'assurer la sécurité. du pape. Dans la capitulation signée par le général Kanzler, il avait été stipulé que la Cité léonine resterait au Saint-Père. Dès le lendemain, le cardinal Antonelli avisa le baron Blanc[2], alors secrétaire du ministre des affaires étrangères Visconti-Venosta, qu'il désirait l'entretenir au Vatican. Là, il lui déclara que, la Cité léonine étant devenue le rendez-vous de tous les malfaiteurs, et aucune autorité n'y subsistant plus, il priait le général Cadorna d'y établir, comme dans le reste de Rome, des postes de police et un service régulier d'administration militaire. Le cardinal spécifia que cette demande émanait de l'initiative du Saint-Père, uniquement inspiré par le désir d'éviter des violences et des malheurs aux populations qui habitaient ce quartier de la Ville Eternelle. Il fut d'ailleurs entendu entre les deux négociateurs que la question concernant cette partie de Rome ne devait être préjugée ni théoriquement ni pratiquement. Telles furent les conditions dans lesquelles le gouvernement italien occupa immédiatement le territoire qu'il avait respecté jusqu'alors[3].

D'ailleurs, ce n'était pas sans une répugnance intime que Victor-Emmanuel s'était vu conduit à pénétrer de force dans la capitale du monde catholique. Il savait que cet acte plongerait dans la plus cruelle angoisse le cœur de deux pieuses princesses qui le touchaient de très près. Jusqu'au dernier moment, il avait espéré que Pie IX laisserait entrer librement les troupes italiennes sur le territoire pontifical[4]. Le Non possumus de Pie IX le déconcerta. Pourtant il passa outre. Il croyait avoir besoin des révolutionnaires pour réaliser l'œuvre de sa vie, l'unité italienne ; et le parti de la Révolution lui imposait la guerre au Saint-Siège jusqu'à la prise de Rome. Roma o morte (Rome ou la mort) était le cri des bandes garibaldiennes. Le malheureux souverain aurait pu réfléchir cependant qu'en cédant sur ce point à l'exigence de ses alliés il se faisait leur serviteur. Le jour où le gouvernement sera à Rome, écrivait en 1866 Massimo d'Azeglio, Mazzini et les siens seront les maîtres.

La prévision du perspicace homme d'Etat se réalisa. Victor-Emmanuel ne sut plus se dégager désormais des chaînes qu'il s'était données. Pour pallier la flagrante injustice de l'invasion du territoire pontifical, une-junte, formée à Rome sous la protection de l'armée piémontaise, convoqua les électeurs de la Ville éternelle et de tout l'Etat pontifical à voter, par oui ou par non, le 2 octobre, sur la question suivante Voulez-vous votre union au royaume d'Italie sous le gouvernement monarchique constitutionnel de Victor-Emmanuel II et de ses successeurs ? Les catholiques fidèles au pape s'étant abstenus, et les agents du gouvernement ayant admis au vote, sous le nom d'émigrés, un grand nombre d'étrangers, attirés de différentes provinces et munis de cartes de leurs préfets ou sous-préfets, la majorité des oui fut écrasante. Rome donna 46.785 oui contre 47 non ; et tout l'Etat pontifical, 133.681 votes favorables à l'annexion, contre 1.507 contraires. La fiction de ce plébiscite apparut quatre mois plus tard, lorsque 27.161 Romains, majeurs et jouissant de leurs droits civils, affirmèrent, par leurs signatures dûment légalisées, malgré la pression du gouvernement nouveau, qu'ils demeuraient fidèles à l'autorité du Pape[5]. Mais déjà, dès le 4 octobre, le roi d'Italie, profitant du plébiscite, avait promulgué le décret suivant : Art. Ier. — Rome et les provinces romaines font partie intégrante du royaume d'Italie. — Art. 2. Le souverain pontife conserve la dignité, l'inviolabilité et toutes les prérogatives du souverain. Le 18 octobre, le ministre des affaires étrangères, Visconti-Venosta, adressa aux gouvernements une circulaire ayant pour but de les rassurer sur le sort fait à la papauté par la suppression de son pouvoir temporel[6].

Dans une lettre du 8 novembre 1870, le cardinal Antonelli protesta vivement contre les affirmations de cette circulaire. Il rappelait aux représentants du Saint-Siège auprès des cours étrangères, pour qu'ils en informassent les gouvernements auprès desquels ils étaient accrédités, les principales mesures prises par le gouvernement de Florence contre la liberté de l'Eglise : la suppression de tous les ordres religieux, l'incarcération[7], les entraves imposées à l'épiscopat, l'enrôlement des jeunes clercs dans les armées, l'emprisonnement des ecclésiastiques refusant d'obéir à des lois condamnées par leur conscience, les obstacles apportés l'exercice du culte, l'enseignement des doctrines les plus impies dans les chaires universitaires, la liberté laissée à la diffusion de journaux, de gravures, d'écrits de toute sorte, déversant le mépris sur le pape et sur la religion catholique[8].

Ce n'était pas, dit-on, sans une appréhension visible que le roi Victor-Emmanuel apposait sa signature à ces lois persécutrices ; mais la façon dont il envisageait ses devoirs de souverain constitutionnel ne lui permettait pas de refuser sa sanction aux lois votées par les Chambres[9]. Son émotion fut surtout poignante lorsqu'il eut sous les yeux la fameuse encyclique du 1er novembre, par laquelle Pie IX prononçait, contre tous ceux qui avaient perpétré l'invasion, l'usurpation, l'occupation du domaine pontifical, et contre tous les mandants, aides et conseillers de ces actes, l'excommunication majeure et toutes autres censures et peines édictées par les saints canons[10].

L'angoisse du roi fut à son comble quand, peu de temps après, il fut question de transférer la cour de Florence au palais du Quirinal. Victor-Emmanuel, dit un historien bien informé, éprouvait une appréhension invincible à fixer sa demeure dans la Ville éternelle[11]. Mais, une fois de plus, il dut céder. Le 5 novembre, une foule tumultueuse, convoquée par des meneurs révolutionnaires, parcourut les rues de Rome eu criant : Nous voulons le Quirinal ! Le Conseil des ministres était d'avis d'annexer le Quirinal au domaine royal. Victor-Emmanuel hésita avant de sanctionner ce double attentat contre la souveraineté du pape. Rome, la Ville sainte, faisait peur à ce soldat... Il appela à lui un ancien conseiller du roi Charles-Albert, un des plus fidèles serviteurs de la Maison de Savoie. Il lui déclara qu'il voulait abdiquer. Il le chargea même de rédiger l'acte d'abdication. Le lendemain, l'acte d'abdication fut apporté au palais Pitti, à Florence ; mais celui qui avait été chargé de le rédiger ne put arriver jusqu'au roi. De nouvelles influences avaient triomphé des hésitations du prince[12]. On lui persuada qu'eu quittant le trône dans un moment aussi difficile, il compromettrait l'œuvre entière à laquelle il avait consacré sa vie. La Maison de Savoie croyait avoir besoin de l'alliance de la Révolution pour réaliser l'œuvre de l'unité italienne, et l'Eglise devait payer les frais de cette alliance. Le 5 décembre, en ouvrant la session du Parlement, le roi d'Italie prononça ces paroles : Avec Rome capitale, j'accomplis mes promesses, et j'achève l'entreprise commencée par mon père il y a vingt-cinq ans. Le 31 décembre, il fit à Rome une entrée triomphale, et s'installa au Quirinal.

Les catholiques n'avaient pas attendu ce dernier attentat pour élever la voix en faveur de leur Père commun. La plupart des évêques firent parvenir au Pontife des adresses, des lettres collectives, pour lui exprimer leur douloureuse indignation. Des assemblées de protestation se réunirent à Vienne, à Fulda, à Malines. Mais les grands Etats de l'Europe gardèrent le silence. La France était absorbée par sa lutte contre la Prusse. Parmi les autres Etats, les uns invoquèrent le principe de non-intervention pour rester inactifs et muets devant le fait accompli ; d'autres prirent une altitude expectante, qui parut inspirée par la peur des sectes antichrétiennes, sinon par une complicité secrète avec elles. Un seul Etat fit entendre une énergique protestation : ce fut une petite République d'Amérique, la République de l'Equateur. Lei 8 janvier 1871, on lisait dans le Journal officiel de Quito : Le gouvernement de l'Equateur, malgré sa faiblesse et la distance énorme qui le sépare du Vieux Monde, proteste devant Dieu et devant les hommes, au nom de la justice outragée, au nom de la population catholique de l'Equateur, contre l'inique invasion de Rome[13]. L'homme d'Etat qui avait inspiré cette protestation, Garcia Moreno, devait, quatre ans plus tard, tomber sous le fer d'un conjuré ; sa dernière parole fut celle d'un héros chrétien : Dios no muere ! s'écria-t-il. Dieu ne meurt pas !

On se demanda, à certaine heure, si la République française n'allait pas marcher sur les traces de la République de l'Equateur. Le gouvernement italien le crut, ou feignit de le croire. L'Assemblée élue le 8 février 1871 était certainement l'Assemblée la plus favorable à la cause religieuse, que la France eût possédée depuis un siècle et demi, et peut-être, a-t-on dit, dans tout le cours de son histoire. Elle n'avait point de majorité légitimiste, orléaniste ou républicaine ; mais elle avait une majorité nettement catholique. Ce caractère fut si marqué que des écrivains tendancieux ont pu dire, dans un esprit de malveillance à l'égard des catholiques français, qu'au lendemain de la guerre ils avaient oublié l'œuvre du relèvement de leur pays pour ne songer qu'à la restauration du pouvoir temporel du pape. L'assertion est doublement injuste. Les catholiques français, patriotes pendant la guerre, ne le furent pas moins après la défaite ; et si Jules Favre, ministre des affaires étrangères, avait fait savoir à Pie IX que la France serait, heureuse de le recevoir dans l'île de Corse, il avait, en même temps, félicité Victor-Emmanuel de l'heureux événement qui délivrait Rome[14]. Mais le roi d'Italie n'ignorait pas que les fidèles, dans un cantique devenu très populaire, demandaient à Dieu de sauver Rome et la France. Il savait que les journaux catholiques français reprochaient amèrement au gouvernement italien d'avoir profité des malheurs de leur pays pour s'emparer des Etats pontificaux. Il avait vu le gouvernement français lui-même témoigner sa reconnaissance à Pie IX d'avoir été le seul souverain qui s'intéressât publiquement aux malheurs de la Fille aînée de l'Eglise[15]. Il se souvenait qu'un des membres les plus influents du Parlement français, Adolphe Thiers, avait toujours regardé le pouvoir temporel comme nécessaire à l'indépendance du Saint-Père[16]. Le roi d'Italie pensa que le moment était venu de rassurer les catholiques, ou du moins les puissances, sur la situation faite au pape. Il présenta aux Chambres, fit voter et sanctionna, le 13 mai 1871, la loi dite des garanties, par laquelle l'État italien reconnaissait l'inviolabilité de la personne du pape et sa qualité de souverain, lui concédait la jouissance des palais du Vatican, du Latran, de la chancellerie et de la villa de Castel-Gandolfo, garantissait la liberté des conclaves et des conciles, renonçait à tout contrôle sur les affaires ecclésiastiques et assurait à la cour pontificale une dotation annuelle de 3.225.000 fr. La loi était muette sur les débris de souveraineté promis par la capitulation de Rome sur la Cité léonine[17].

Le pape n'accepta point cette loi. Aucun gouvernement ne la reconnut. Faite par le Parlement italien, en dehors d'un concours quelconque soit du pape, qu'elle prétendait traiter en roi, soit des autres puissances, cette loi n'avait aucun des caractères d'un contrat synallagmatique. C'était un acte unilatéral, un règlement que le vainqueur prétendait imposer au vaincu. Il n'avait ni la forme d'un concordat, ni même celle d'un traité de paix, d'une capitulation. C'était un expédient, dont un homme d'Etat italien a été obligé d'avouer le vrai caractère. Il fallait, a écrit M. Minghetti[18], ôter aux esprits sincères la crainte que l'Italie, en allant à Rome, ne voulût toucher à l'indépendance spirituelle du chef de la religion catholique. Il fallait encore mettre à néant cet autre soupçon, que le gouvernement italien pût un jour se servir de la papauté comme d'un instrument pour ses vues politiques. Ce but a-t-il été atteint ? Ecoutons ce que disait, en 1879, Emile Olivier[19] : La loi des garanties n'a rassuré personne. Le conseil d'Etat, a-t-on dit, l'a déclarée partie intégrante de l'ordre constitutionnel. Quelle valeur a une déclaration de ce genre ? Qui empêchera un nouveau ministère d'obtenir une déclaration contraire, ou qui obligera les députés à en tenir compte ? L'indépendance du chef de la religion catholique est à la discrétion d'une voix de majorité dans un parlement italien... L'abolition de la loi des garanties est précisément le mot d'ordre du parti garibaldien... En même temps que les attaques contre les garanties se multiplient, la conduite du gouvernement devient plus âpre. Depuis qu'il est à Rome, au lieu de ménager le pape, ii ne cesse d'être provocateur. Sans parler du misérable sort fait aux congrégations religieuses, le droit d'exequatur, réservé au gouvernement, ne devient-il pas la négation du droit de libre nomination reconnu au pape ? Emile Ollivier fait ici allusion aux nombreuses expulsions de congrégations religieuses, à leur dispersion et à leur spoliation. Pendant les dix-huit premiers mois de l'occupation de Rome, trente-deux couvents furent expropriés[20].

En même temps, sous prétexte que las catholiques de France préparaient l'avènement du comte de Chambord, et que celui-ci annonçait qu'un de ses premiers soins serait de restaurer le pouvoir temporel[21], le roi Victor-Emmanuel s'écartait de la France et se tournait vers l'Allemagne. Ses envoyés se rencontrèrent à Gastein avec Bismarck et de Beust, et y jetèrent les bases de la Triple Alliance. En février 1872, le prince Frédéric-Charles séjournait à Rome, chassait avec la famille roule, se répandait en propos agressifs contre la France. Ne sommes-nous pas derrière vous ? disait-il à Visconti-Venosta. Si l'Italie était attaquée par la France, elle serait soutenue par l'Allemagne[22].

Le 12 avril 1872, Pie IX, répondant à une adresse des catholiques italiens, s'exprimait ainsi : Chaque jour aggrave l'affliction que nous ont apportée les événements du 20 septembre 1870 ; et chaque jour les conséquences funestes de cet attentat apparaissent plus cruelles. Le lendemain, 13 avril, recevant, dans la salle du Consistoire, quatre cents étrangers, venus de France, d'Autriche, d'Allemagne, d'Angleterre, d'Espagne, d'Italie, de Portugal, de Belgique et d'Amérique, il eut un mot pour chacun de ces pays, et l'ou remarqua l'accent de tristesse du pontife quand il parla de l'Italie, de la pauvre Italie ; son accent de profonde émotion quand il parla de la France, ce pays habité par tant d'âmes généreuses, cette France féconde en tant et tant de bonnes et saintes œuvres qu'il serait trop long de les énumérer[23]. A la fin du mois de novembre 1872, à l'occasion de la présentation d'un nouveau projet de loi coutre les ordres religieux et de l'érection d'un temple protestant à Rome, le pontife renouvela ses plaintes[24]. De 1873 à 1876, de nouveaux attentats provoquèrent de sa part de nouvelles protestations. En janvier 1877, la Chambre italienne ayant voté une loi édictant des poursuites et des peines contre les prêtres qui, par leurs discours ou par la propagation des écrits pontificaux, continueraient à offenser les institutions de l'État, Pie IX, entré dans sa 85° année, et sentant fléchir ses forces, voulut faire entendre au monde une protestation suprême. Nous manquons, s'écria-t-il[25], de toute la liberté nécessaire, tant que nous sommes sous le joug des dominateurs... Que les fidèles se servent des moyens que les lois de chaque pays mettent à leur disposition, pour agir avec empressement auprès de ceux qui gouvernent. Ces paroles provoquèrent, dans le monde entier, un mouvement de pétitions, d'adresses, de motions dont plusieurs gouvernements s'émurent[26]. Le ministre italien, Mancini, auteur du projet de loi, essaya de le justifier par une circulaire[27]. Mais le gouvernement recula devant cette protestation universelle des catholiques. Le 12 mai 1877, le Sénat rejeta le projet de loi, que Victor-Emmanuel avait déclaré refuser de sanctionner. On dit que !a pieuse princesse Clotilde, effrayée de la rapidité avec laquelle son malheureux père se laissait entraîner sur la pente révolutionnaire, avait joint, en cette circonstance, sa voix suppliante à celle du monde catholique. Dieu, aurait-elle dit au roi son père, pourrait ne plus laisser une heure à votre repentir. Quelques mois après, le 9 janvier 1878, le roi Victor-Emmanuel comparaissait devant le tribunal de Dieu. Par une singulière ironie du sort, le ministre Crispi, celui dont Mazzini avait dit qu'il serait le dernier ministre de la monarchie italienne, celui qui avait voué à la papauté une haine implacable, était chargé d'annoncer au peuple italien que le roi d'Italie était mort au palais du Quirinal, muni des sacrements de l'Eglise[28].

 

II

Dans toutes ces épreuves de la papauté, quelle avait. été la part de responsabilité des gouvernements de la France ?

Le gouvernement autrichien ayant, le 20 juillet 1870, suggéré au gouvernement français l'idée d'une entente qui aurait pour but de livrer Rome aux Italiens[29], le garde des sceaux du gouvernement impérial, Emile Ollivier, avait aussitôt déclaré cette idée pitoyable et impraticable[30], et Napoléon III s'était pleinement rangé à l'appréciation de son ministre[31]. Le gouvernement pontifical fut néanmoins informé que, la France ayant besoin de toutes ses forces dans la guerre qu'elle avait à soutenir contre la Prusse, l'empereur se voyait dans la nécessité de retirer ses troupes de Civita-Vecchia. Etait-ce là le vrai motif ? Dans une dépêche adressée le 31 juillet par le ministre français des affaires étrangères à son ambassadeur à Rome, M. de Banne-ville, un autre motif était invoqué. Assurément, disait la dépêche, ce n'est pas par une nécessité stratégique que nous évacuons l'Etat romain... Mais la nécessité politique est évidente... Nous devons nous concilier les bonnes intentions du cabinet italien[32].

De cette politique de Napoléon III on pouvait dire, une fois de plus, qu'elle était au moins équivoque. Beaucoup de catholiques la jugèrent avec plus de sévérité, quelques-uns murmurèrent les mots de lâcheté et de sacrilège. Louis Veuillot, envisageant les éventualités de la guerre, écrivit : Nous avons une belle armée et de belles forteresses ; mais si nous abandonnons Rome, et si Dieu se demande à quoi lui sert la France...[33]

Pie IX se montra vivement affligé de l'attitude du gouvernement français ; mais sa tristesse ne l'empêcha point de s'intéresser au sort de la France. Le 13 novembre 1870, il écrivit au roi de Prusse pour le conjurer d'arrêter l'effusion du sang chrétien[34]. Je ne passe pas un seul jour, disait-il, sans prier Dieu pour la France, dont l'image se présente sans cesse à mon esprit[35]. Le pontife suivait avec anxiété les terribles péripéties. d'une guerre qui venait de mettre aux prises le pays qui s'était toujours montré le plus ardent défenseur de l'hérésie et la nation qui restait, malgré tout, la Fille aînée de l'Eglise : les défaites de Wissembourg, de Forbach, de Reischoffen et de Sedan ; la chute de l'empire au 4 septembre 1870 ; les capitulations successives de Strasbourg et de Metz.

Ce fut avec des larmes d'attendrissement qu'il apprit comment, le 2 décembre, ses zouaves pontificaux, autorisés à se battre pour la France sous le commandement de leur colonel, M. de Charette, avaient teint de leur sang et illustré de leur gloire le plateau de Loigny. Ils s'étaient élancés contre l'envahisseur, le drapeau du Sacré-Cœur déployé, aux cris de : Vive la France ! Vive Pie IX ![36]

Malgré la résistance héroïque des Français, l'armée allemande, préparée de longue main à la lutte, faisait fléchir toutes les armées qu'on lui opposait. Vers le nord, Faidherbe battait en retraite. A l'est, Bourbaki se dirigeait vers la frontière suisse. A l'ouest, l'armée de la Loire, commandée par Chanzy, se repliait devant les forces supérieures des armées du grand-duc de Mecklembourg et du prince Frédéric-Charles. Le i i janvier, les armées allemandes faisaient leur entrée au Mans.

Au milieu de ces tristes conjonctures, le 17 janvier 1871, des enfants de la paroisse de Pontmain, au diocèse de Laval, aperçurent dans les airs une grande dame, le front ceint d'une couronne d'or, et, à ses pieds, l'inscription suivante : Dieu vous exaucera en peu de temps ; mon Fils se laisse toucher[37]. Onze jours plus tard, le 28 janvier, les armées belligérantes concluaient un armistice et signaient les préliminaires de la paix.

Aux désastres de la guerre contre l'étranger succédèrent malheureusement, en France, les horreurs de la guerre civile. On a longuement discuté sur les causes de la Commune de Paris. On a attribué cette explosion de fureur révolutionnaire à l'accumulation de la population ouvrière dans Paris, aux longues souffrances du siège, à l'armement formidable imprudemment concédé à la garde nationale. Les vraies causes de cette sanglante insurrection sont d'ordre moral et religieux. Lorsque les idées antireligieuses ont répandu le vertige dans les esprits, disait en 1865 Mgr Darboy[38], il ne faut qu'un des mille accidents dont l'existence des peuples est remplie pour que tout un ensemble d'institutions s'abîme dans un suprême écroulement. Mgr Pie ne pensait pas autrement quand il voyait dans les atrocités commises par la Commune de Paris un effrayant commentaire des condamnations portées contre le naturalisme révolutionnaire par le concile du Vatican[39].

On a dit avec raison qu'au point de vue religieux, le seul qui doive nous occuper ici, la Commune a été une véritable saturnale d'impiété[40]. La confiscation de tous les biens dits de mainmorte[41] ; la fermeture immédiate et brutale des églises de Paris[42] ; le fameux décret des otages, publié le 5 avril, ordonnant l'arrestation de toute personne prévenue de complicité avec le gouvernement de Versailles et l'exécution de trois otages désignés par le sort à la nouvelle de toute exécution d'un prisonnier de la Commune ; la terrible exécution de cet odieux décret ; le massacre de Mgr Darboy et de ses compagnons le 2 mai, du P. Captier et de ses frères dominicains le 25 mai, du P. Olivaint et de quarante-sept autres victimes, religieux, prêtres séculiers et laïques, les 26 et 27 mai : tels furent les principaux attentats de la Commune. L'union déjà réalisée par une chrétienne soumission entre les partisans de l'infaillibilité et les opposants, fut scellée dans le sang des uns et des autres.

Les terribles événements de la Commune, venant s'ajouter aux sanglantes leçons de la guerre, furent le point de départ d'un renouveau dans les œuvres catholiques de la France. Deux vaillants officiers, le capitaine d'état major René de la Tour du Pin et le lieutenant de dragons Albert de Mun[43], ayant dû prendre part, après la guerre, à la répression de la Commune, trouvèrent, dans les scènes sanglantes qu'ils eurent sous les yeux, l'inspiration de se dévouer désormais au relèvement des classes populaires. L'œuvre des Cercles ouvriers naquit de cette inspiration[44].

Au mois de janvier 1871, pendant les plus mauvais jours de l'invasion prussienne, quelques Français avaient fait le vœu de contribuer, selon leurs moyens, à l'érection, à Paris, d'une église dédiée au Sacré-Cœur[45]. Le 27 octobre suivant, Mgr Guibert, qui venait de remplacer Mgr Darboy sur le siège de Paris, encouragea l'œuvre, désignée désormais sous le vocable de Vœu national au Sacré-Cœur de Jésus[46]. Le 24 juillet 1873, sur la proposition du ministre des cultes Jules Simon, l'Assemblée nationale, par 389 voix contre 146, déclara d'utilité publique la construction d'une église à Montmartre. L'archevêque de Paris dédia le nouveau temple au Cœur de Jésus, et fit graver au frontispice du monument l'inscription suivante : Sacratissimo Cordi Christi Jesu, Gallia pœnitens et devota, Au Sacré-Cœur de Jésus, la France pénitente et dévouée. Aux pèlerinages que les catholiques multipliaient à Lourdes, à Chartres, à Paray-le-Monial, à la Saiette, à Pontmain, vinrent s'ajouter désormais les pèlerinages à Montmartre.

La loi du 12 juillet 1875 sur la liberté de l'enseignement supérieur vint couronner, en quelque sorte, le grand mouvement catholique suscité par les événements de 1870 et 1871.

Le premier projet de loi sur là liberté de l'enseignement supérieur fut déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 31 juillet 1871. Les travaux urgents qui s'imposèrent au Parlement retardèrent la discussion de ce projet jusqu'au mois de décembre 1871. Les débats furent brillants et acharnés. Tous les catholiques avaient pris part à la campagne ; mais, comme en 1850 dans la question de l'enseignement secondaire, ils ne s'étaient pas placés exactement au même point de vue. L'encyclique Quanta cura et le concile du Vatican avaient fait l'unité dans la doctrine, mais n'avaient pas pu faire disparaître la diversité des tendances. Louis Veuillot, souffrant, ne put point, prendre une part très active dans la bataille : il y intervint cependant pour écrire : Je n'ai pas demandé la liberté aux libéraux au nom de leur principe. Je l'ai demandée et je la demande parce que c'est mon droit. Et ce droit, je ne le tiens pas d'eux, mais de mon baptême, qui m'a fait digne et capable de liberté[47]. Le P. d'Alzon ressuscita la Revue de l'enseignement chrétien, qui parut portant en épigraphe ce cri de guerre, dirigé contre l'Université : Delenda Carthago. Mgr Dupanloup déploya dans la lutte cette activité, cette tactique, cette habileté dans la discussion par lesquelles, en 1850, il avait réussi à rassurer les partis modérés de la gauche. Comme il avait jadis gagné Thiers à sa cause, il gagna au nouveau projet le libéral Edouard Laboulaye. Sous la République de 1848, il avait invoqué le danger du socialisme ; sous la République de 1870, au lendemain de nos désastres, il se plaça sur le terrain du patriotisme. Tout le monde, après la guerre, constatait les lacunes de l'instruction publique en France, là faiblesse de l'enseignement supérieur, le besoin d'un renouveau scientifique ; il affirma que la liberté seule, avec la concurrence, pourrait donner aux Facultés l'élan nécessaire[48]. Le projet de loi, très vivement combattu par Challemel-Lacour et Jules Ferry, fut adopté, le 12 juillet 1875, à cinquante voix de majorité.

L'enseignement supérieur était déclaré libre. Les départements, les communes et les diocèses pourraient ouvrir librement des cours et des Facultés. Pour la collation des grades, on avait fini par s'entendre sur une transaction : les étudiants des universités libres auraient le choix de se présenter, pour leurs examens, devant les Facultés de l'Etat, ou devant un jury mixte, composé par moitié de professeurs de l'Etat et de professeurs des Universités libres. Les jurys mixtes devaient être plus tard supprimés.

Au cours des débats sur cette importante question, de très vives attaques avaient été dirigées par la gauche contre le catholicisme. L'opposition anticléricale, en effet, n'était point morte, et profitait de toutes les faiblesses du mouvement catholique. La première faiblesse de ce mouvement était dans la persistance des deux tendances, libérale et autoritaire, dont nous venons de parler. La seconde faiblesse des catholiques était dans leur division en plusieurs partis politiques. De diverses tentatives de restauration monarchique, faites de 1871 à 1874, ils étaient sortis plus divisés que jamais en légitimistes, orléanistes, impérialistes et républicains. Enfin les manifestations qu'ils avaient faites en faveur du pouvoir temporel du pape, quelques exagérations de langage des journalistes, quelques acclamations peut-être imprudentes des foules, exploitées par la mauvaise foi de la presse hostile, les faisaient passer, aux yeux de certaines gens ; pour les provocateurs téméraires d'une nouvelle guerre, pleine de risques. Les comités libres penseurs fondèrent de nouveaux journaux. Le franc-maçon Jean Macé, directeur de la Ligue de l'enseignement, poursuivit, par la publication de nombreuses brochures, sa campagne pour l'idée républicaine et laïque. Gambetta se proclama le commis-voyageur de l'anticléricalisme. La République française, fondée par Gambetta, le Dix-neuvième siècle, dirigé par About et Sarcey, le Rappel, avec Vacquerie et Lockroy, dénonçaient chaque jour les prétendus abus de pouvoir des prêtres. Charles Renouvier, dans la Critique philosophique, attaquait les principes catholiques. Renan recouvrait sa chaire au Collège de France. On s'efforçait d'identifier, dans l'esprit des masses, le catholicisme avec la conspiration contre le gouvernement établi, la République avec la libre pensée. La Chambre élue en 1876 eut une majorité républicaine et anticléricale. En vain le maréchal de Mac-Mahon, président de la République, essaya, en s'appuyant sur le Sénat, de résister à la Chambre. Le 4 mai, la Chambre, constatant que les menées ultramontaines constituaient une violation flagrante des lois de l'Etat invita le gouvernement à user des moyens légaux dont il disposait. Le 16 mai, le maréchal manifesta son intention de résister à la Chambre par la nomination d'un ministère conservateur. La gauchi feignit de voir clans cet acte une inspiration cléricale. C'est un coup des prêtres ! s'écria Gambetta ; c'est le ministère des curés ! Un flot de journaux, de brochures, de libelles, propagés par la franc-maçonnerie, répandit cette idée dans les milieux populaires, et les gagna en partie. La grande masse des citoyens, — écrivait dans son journal intime le cardinal de Bonnechose, — s'imagine que le triomphe du gouvernement actuel amènerait le despotisme et la guerre étrangère[49].

Aussi les élections des 14-28 octobre 1877 donnèrent-elles une forte majorité à la gauche. On put prévoir dès lors que la Chambre triompherait tôt ou tard du Sénat et du Président. Tout sera prêt alors, écrivait le Rappel[50], pour aborder les grandes réformes. Les grandes réformes, c'était la lutte ouverte contre le catholicisme sous la direction d'un homme dont l'influence ne cessait de grandir, Léon Gambetta.

 

III

Pendant la dernière des crises que nous venons de raconter, vers le milieu du mois de septembre 1877, Pie IX, recevant des pèlerins français, avait terminé son allocution paternelle par cette prière : Ô mon Dieu, je vous recommande la France ![51] Mais la France n'était pas le plus grand objet de ses anxiétés. De 1870 à 1877, l'Allemagne, menée par Bismarck, avait dirigé contre le catholicisme des attaques non moins violentes et plus redoutables que celles que méditait Gambetta.

On raconte que le terrible chancelier, recevant à Reims, le 10 septembre 1870, le député Werlé, ancien maire de cette ville, lui avait dit : Les races latines ont fait leur temps... Un seul élément de force leur reste, c'est la religion ; quand nous aurons eu raison du catholicisme, elles ne tarderont pas à disparaître[52]. Le moyen le plus sûr d'avoir raison du catholicisme dans les nations latines, c'était de le poursuivre partout, même chez les nations germaniques. On le poursuivit en Allemagne. La tactique employée pendant la guerre franco-allemande fut très captieuse. Si l'on parvenait à faire croire que les prêtres catholiques souhaitaient la défaite de l'Allemagne, puis à établir d'autre part que les victoires allemandes étaient des victoires du protestantisme, ce serait l'affaire de quelques votes, ensuite, pour mettre les catholiques hors la loi. On épia donc les propos des curés ; et les espions, fatigués, finirent par en inventer : on disait qu'ils faisaient prier pour les victoires des Français[53]. D'autre part, d'audacieuses questions étaient posées : allemand et protestant, welche et catholique, devenaient des termes synonymes[54]. Quand, en 1870, les catholiques d'Allemagne organisèrent des pèlerinages à Beuron, à Fulda, à Rome même, Bismarck manifesta son mécontentement[55]. Quand, vers la fin de cette même aimée, la soixantaine de catholiques élus au Landtag prussien, se constitua en groupe dénommé Centre, parti de la Constitution, bien que les chefs de ce groupe, les deux frères Reichensperger et Savigny, fussent de loyaux serviteurs de la monarchie, la Gazette générale d'Augsbourg écrivit : Une bataille perdue sur la Loire serait un moindre malheur[56]. Pour mieux combattre le catholicisme, Bismarck eut un moment l'idée d'organiser en Eglise nationale le Vieux-catholicisme ; mais il ne tarda pas à se convaincre qu'il n'y avait pas là une vraie force. Le peuple ne se laissa jamais entraîner dans ce courant ; le Vieux-catholicisme ne fut jamais qu'une Eglise de professeurs ; Bismarck, avec son sens politique, se dit qu'en fait de mouvement religieux, trois cents paysans vivant leur foi comptaient plus que douze professeurs pérorant dans leurs chaires.

Bref, au lendemain même de la victoire de la Prusse sur la Fiance, au lendemain du rétablissement de l'empire d'Allemagne au profit de Guillaume ter, Bismarck songeait au Kulturkampf. Dès l'année 1871, écrit le baron de Beust dans ses Mémoires, le prince de Bismarck m'a annoncé (à Gastein), jusque dans les moindres détails, le Kulturkampf.

Que faut-il entendre par ce mot de Kulturkampf, qui va résonner dans toutes les discussions soulevées à propos de la politique intérieure de l'Allemagne ? Cette expression de combat pour la culture ou de combat pour la civilisation, Kulturkampf, ne précise pas assez de quoi il s'agit. On arrive à une plus grande précision en se souvenant que, pour Bismarck, tout le mouvement du monde se ramène à deux cultures ou civilisations : la culture germanique, qui s'inspire de Luther, et la culture latine, qui dérive du catholicisme romain. Le Kulturkampf est donc le grand duel du germanisme contre le romanisme[57].

Ce fut un journal modéré de Berlin, la Kreuz-Zeitung, qui donna le signal de l'attaque dans un article à grand retentissement, le 22 juin 1871. On sut, plus tard, que Bismarck avait fourni les idées de l'article, en avait même corrigé les épreuves[58].

Les actes suivirent de près les paroles. Le 8 juillet 1871, fut supprimée, par voie administrative, la section catholique au ministère des cultes. Ce premier pas fait, les mesures de violence se succédèrent rapidement. La première loi persécutrice fut votée par le Reichstag. Elle permettait aux tribunaux de condamner à la peine de la prison ou de la forteresse les prêtres qui abuseraient de la chaire pour mettre en danger la paix publique[59]. Sous cette formule, la voie la plus large était ouverte à l'arbitraire.

La seconde loi persécutrice  émana du Landtag prussien. Mais Bismarck, en la présentant, entendait bien qu'elle devînt une loi pour l'Allemagne entière. Cette loi avait pour objet l'organisation scolaire. Après la création de l'Empire, il s'agissait de dresser les esprits dans récole, comme on dressait les corps clans la caserne. Le 19 novembre 1871, le ministre déposa sur le bureau de la Chambre un projet de loi qui rendait l'Etat maître absolu de l'école. L'Etat s'arrogeait le droit d'enseigner le catéchisme aussi bien que le calcul et l'orthographe[60]. La loi fut votée le 11 mars 1872, après une discussion des plus mouvementées. Elle fut l'occasion du premier grand duel oratoire entre le chancelier de fer et un député hanovrien jusque-là peu connu en dehors de sa petite patrie, Louis Windthorst.

Celui qu'on appelait déjà la petite Excellence était tout petit de taille. Avec son crâne énorme, ses petits yeux fouilleurs et sa figure coupée en deux par une large bouche, que le moindre accès de rire écarquillait encore, on eût dit une caricature vivante détachée de quelque dessin de Callot. Né, le 17 janvier 1812, en terre saxonne, d'un paysan-avocat, qui se livrait à la fois au travail des champs et à la jurisprudence, Louis Windthorst avait d'abord exercé, comme sou père, la profession d'avocat. En 1837, les persécutions exercées contre l'illustre archevêque de Cologne l'avaient profondément indigné ; le machiavélisme de la bureaucratie prussienne, dont il fut le témoin, laissa en lui des souvenirs qui l'obsédèrent toute sa vie. Entré au parlement de Hanovre en 1848, il y avait pris aussitôt une place importante. En 1851, le roi lui confia le ministère de la justice. En 1870, il crut d'abord, comme Ketteler, que la défaite de la France favoriserait le développement du catholicisme en Allemagne. Sa désillusion fut profonde. Il ne cessa pas d'aimer sa patrie allemande ; mais, entré au Landtag, il y devint bientôt un des orateurs les plus actifs de ce Centre catholique, qui se proposait, tout en restant sur le terrain constitutionnel, de défendre l'Eglise contre tout empiétement du pouvoir civil.

Celui qui devait être bientôt le chef incontesté du Centre catholique au Reichstag n'avait rien de l'éloquence ample et sonore qu'on admirait alors en France chez un Montalembert et un Berryer. Ce n'était pas, non plus, le logicien rigide, déduisant d'un principe solidement établi des conséquences rigoureusement enchaînées. Plus discuteur qu'orateur, plus tacticien que dialecticien, ses interventions dans un débat étaient des manœuvres. On craignait ses bons mots, ses ripostes spirituelles, ses allusions touchant le point sensible. Il fut un des plus grands interrupteurs du parlement germanique ; mais ses adversaires l'interrompaient le moins possible ; ils savaient qu'au lieu de le déconcerter, ils exciteraient au contraire l'âpreté de ses ripostes[61].

Dès ce premier grand débat, Windthorst se révéla avec toutes ses qualités de verve et de merveilleux à-propos. Le matérialiste Virchow, le juriste Gneist, le radical Lasker et le ministre sectaire Falk venaient de s'efforcer de prouver que toutes les fractions du parlement devaient se coaliser pour défendre l'Etat contre les entreprises d'un ennemi extérieur, de l'Eglise. L'Etat, les intérêts de l'Etat, la défense de l'Etat : tels étaient les mots qui revenaient sans cesse sur les lèvres des orateurs. Windthorst, de sa petite voix grêle, mais qu'on sentait implacable, demanda importunément : Cet Etat, sur quel principe repose-t-il ? Est-ce sur le principe monarchique, jusqu'ici respecté ? Est-ce sur un principe inverse, dernièrement découvert par le chancelier ? C'était faire comme une trouée dans la majorité si péniblement composée par Bismarck ; c'était même opposer Bismarck au roi lui-même. Le député hanovrien continua son discours, plein d'allusions pénibles, de personnalités lointainement visées. On dit qu'à l'entendre, le chancelier faillit perdre l'assurance dont il se départait si rarement. Quand il se leva pour répondre, ce fut pour se dérober par l'outrage, par l'invective violente, excessive, aux indiscrètes questions du député catholique. Il déclara que le clergé avait plus à cœur les intérêts de la religion catholique que le développement de l'empire allemand ; il essaya de brouiller Windthorst avec le Centre, en le présentant comme un orateur compromettant. Bref, la loi fut votée avec une majorité de 52 voix ; mais Bismarck comprit qu'il avait désormais à lutter contre une puissance qui, à chaque empiétement sur les droits de l'Eglise catholique, se dresserait devant lui.

Le 15 mai 1872, ce fut en plein Reichstag que Bismarck dut, encore une fois, se mesurer avec Windthorst. Comme au Landtag prussien, les députés catholiques du Reichstag, parlement de l'empire, s'étaient réunis en un groupe dénommé Centre, et le député de Hanovre y avait conquis bientôt la première place. Un projet de loi demandait que les jésuites fussent expulsés de toute l'Allemagne. Suivant sa tactique, Windthorst démasqua le but secret du chancelier. Je vois votre dessein, s'écria-t-il. Vous avez essayé de fonder, avec Dœllinger, une Eglise nationale. Vous avez échoué, mais pour reprendre un projet plus odieux : vous voulez détacher les catholiques allemands de l'obéissance au Saint-Siège pour les soumettre au knout de votre police. Les démocrates et quelques progressistes votèrent avec le Centre ; mais la loi qui exilait les jésuites fut adoptée par 183 voix contre 101 et publiée le 4 juillet 1872[62].

Combien Windthorst avait vu juste, les événements ne tardèrent pas à le montrer. En 1872, Bismarck préparait déjà cette Constitution civile du clergé d'Allemagne, si tristement fameuse, sous le nom de Lois de Mai. On a su, depuis, que le chancelier de fer avait été puissamment aidé dans cette préparation par la franc-maçonnerie C'était un maçon très fidèle et très pratiquant, dit Georges Goyau, que Guillaume Ier ; un maçon même qui, s'il faut en croire Bismarck, protégeait volontiers, dans leur carrière de fonctionnaires, certains de ses frères[63]. Tout indique que le ministre Falk, principal auteur des Lois de Mai, fut, dans sa campagne, le porte-voix des loges et l'exécuteur de leurs desseins. D'ailleurs la presse maçonnique d'Allemagne n'a pas craint de s'en faire gloire. Nous croyons, écrivait, à la date du 25 octobre 1873, le Herault Rhenan, pouvoir légitimement affirmer que c'est l'esprit de la franc-maçonnerie qui, dans le dernier procès qui s'instruit contre l'ultramontanisme, a prononcé sa sentence[64]. Quelques jours après, la Freimaurer Zeitung, à la suite d'un échange de lettres entre le pape Pie IX et l'empereur Guillaume, publiait les lignes suivantes[65] : Quand sont ainsi en présence deux antagonistes : l'empereur, qui, en sa qualité de franc-maçon, estime et protège l'Ordre, et le pape, qui le maudit, la franc-maçonnerie doit se mettre du côté où elle est comprise et aimée.

Les lois dites de Mai, ainsi nommées parce qu'elles furent presque toutes votées en mai 1873, en mai 1874 et en mai 1875, ont été justement comparées, dans leur ensemble, à la Constitution civile du clergé votée en 1790 par l'Assemblée constituante française. Les quatre lois publiées le 15 mai 1873 étaient relatives à l'éducation du clergé, à la discipline ecclésiastique, à l'intervention de l'Etat dans la nomination de tous les curés. En vain fit-on remarquer que ces lois étaient en contradiction formelle avec deux articles de la Constitution : l'article 15, qui reconnaissait aux Eglises évangélique et catholique romaine le droit de s'administrer elles-mêmes, et l'article 18, qui leur reconnaissait également le droit de nomination et de confirmation aux emplois ecclésiastiques. Le chancelier répondit avec insolence que les articles 15 et 18 de la Constitution ne consacraient pas une liberté fondamentale, mais seulement un modus vivendi, octroyé à l'Eglise par l'Etat, et que celui-ci restait maitre de modifier à sa guise[66]. En 1874, les lois du 11 mai 1873 furent complétées par trois nouvelles lois, votées les 4, 20 et 21 mai. Une loi du 4 mai, dite loi du bannissement, permettait aux tribunaux de condamner à la prison et même à l'exil les prêtres destitués de leurs fonctions par le gouvernement s'ils exerçaient dés fonctions ecclésiastiques. La loi du 20 mai attribuait, à l'Etat des droits exorbitants sur les évêchés catholiques vacants. Celle du 21 mai réglait d'une manière arbitraire et tyrannique la nomination des clercs[67]. Enfin, en 1875, une loi du 22 avril, supprimant les traitements ecclésiastiques en Prusse, et une loi du 31 mai, ordonnant la dispersion de tons les ordres religieux, sauf ceux qui étaient voués aux soins des malades, et donnant même au roi le droit de supprimer ces derniers par voie d'ordonnance spéciale, vinrent mettre le comble à la persécution.

Au cours des discussions de ces diverses lois, les chefs du Centre, Windthorst en particulier, quoique certains du vote fuel, avaient défendu pied à pied les droits de l'Église. Je le sais, s'écriait Windthorst, au milieu des débats des lois de mai 1873, plusieurs d'entre vous désireraient bien nous voir, nous, catholiques, employer des moyens illégaux de résistance. Eh bien ! nous ne les emploierons pas. Mais il y a une résistance passive, pleinement justifiée. Celle-là, nous devons la pratiquer, nous le voulons ; et, contre elle, tôt ou tard, se briseront tous vos projets. — Vous voulez nous enlever nos prêtres, disait-il en 1874, et vous croyez pouvoir nous en envoyer de faux. Quelle erreur est la vôtre ! Voulez-vous contrarier nos sentiments Soit ! Mais vous n'arracherez pas la foi de nos irises. Prenez nos églises ; nous prierons chez nous ! Chassez nos prêtres ; nous prierons tout seuls !

L'attitude des catholiques répondit à ce fier langage. Dans un élan admirable, fidèles et clergé, résolus à ne pas se laisser absorber par le protestantisme, décidèrent de résister jusqu'au martyre. Sur des milliers de prêtres, une douzaine à peu près se résignèrent à devenir curés d'Etat. Quant au peuple, la persécution réveilla et aviva sa foi. L'épiscopat et le clergé regardèrent les lois de mai comme non avenues, et opposèrent un non possumus formel aux prétentions de l'État. Le résultat ne se fit pas attendre. Tous les séminaires furent fermés ; les couvents, de même. Des évêques furent jetés en prison. Le 3 février 1873, l'archevêque de Posen, le cardinal Ledochowski, fut arrêté brutalement et subit une dure détention de plus de deux ans. Le 7 mars, l'évêque de Trèves, le vénérable Mgr Eberhardt, prit le même chemin, et eut la gloire de mourir sur le grabat misérable d'une prison, à la suite de mauvais traitements. Le 31 mars, ce fut le tour de l'archevêque de Cologne, Mgr Melchers, qui ne sortit des mains du geôlier que pour prendre le chemin de l'exil. La résistance, calme et froide, exaspérait le gouvernement. Les évêques restèrent inébranlables, comme les confesseurs de la foi des premiers temps du christianisme. L'évêque auxiliaire de Posen, Mgr Janiszewski, avait pris en main l'administration du diocèse lorsque le cardinal Ledochowski fut enlevé à son troupeau. Il fut arrêté le 27 juillet. Huit jours après, l'évêque de Paderborn fut également jeté en prison. Puis, le 18 mars 1874, le même sort échut à celui de Munster, et, le 19 Octobre, à l'évêque auxiliaire de Gnesen, Mgr Cybichowski. Des centaines de prêtres furent emprisonnés, bannis, spoliés, réduits à la famine et à la misère. La persécution violente dura au delà de sept ans. Elle produisit l'effet opposé à celui qu'attendaient ses promoteurs. Elle trempa les catholiques allemands, et fut le ciment qui donna au Centre cette cohésion par laquelle il devint, malgré ses éléments disparates, le parti le plus puissant du Reichstag. Lors des élections de 1871, les catholiques avaient envoyé 57 députés au parlement. A la fin du Kulturkampf, Windthorst disposait d'une armée triple. Il s'était produit en Allemagne ce phénomène étrange, que la proportion des députés catholiques était supérieure à celle de la population catholique[68].

Le prince chancelier s'avisa que son ministre des cultes avait fait décidément trop de zèle. Le 3 juillet 1879, le trop fameux Falk dut donner sa démission. D'autre part, le gouvernement prussien se sentait envahi par le socialisme ; il avait besoin de nouveaux appuis. Dans un discours célèbre, Bismarck s'écria : La lutte civilisatrice m'a privé du secours naturel du parti conservateur... Mais je ne tiens pas les conflits pour des institutions durables. Les conflits cessent dès qu'on a commencé à se connaître dans des travaux communs[69]. Ce n'était pas la fin du Kulturkampf, mais c'était le prélude d'une paix relative.

 

IV

S'il est un fait aujourd'hui prouvé avec évidence par l'histoire, c'est que Bismarck, en poursuivant le Kulturkampf en Allemagne, ne perdit jamais de vue l'œuvre d'un Kulturkampf international. Ce fut lui, écrit l'historien de l'Allemagne religieuse, ce fut lui seul qui fit effort, à certaines heures, pour acclimater dans l'Europe entière l'idée d'une guerre universelle contre Rome, et pour imposer cette idée aux diverses souverainetés[70]. Nulle part, le plan du chancelier ne se réalisa plus complètement qu'en Suisse. Il y a, en effet, plus qu'une coïncidence entre les lois de mai édictées à Berlin et la guerre déclarée aux catholiques par les gouvernements de Berne et de Genève. Personne ne s'y est mépris[71].

Par la vaillance légendaire avec laquelle ses fils ont défendu l'indépendance de leur pays contre l'étranger, et par leur attachement passionné aux libertés civiles et politiques, la Suisse mérite son renom de terre classique de la liberté ; mais, sur le terrain religieux, nulle part, depuis Calvin, le protestantisme ne s'est montré plus intolérant. Le pacte fédéral de 1815, en stipulant, de la manière la plus formelle, le respect des institutions catholiques, semblait avoir mis fin à ces traditions de tyrannie religieuse. Nous avons vu, plus haut, comment, dès 1819, la vieille animosité huguenote se réveilla. En 1870, après la victoire de la Prusse, qui fut considérée comme celle du protestantisme sur le catholicisme, et sous des influences germaniques dont il est facile de trouver les traces, l'esprit de persécution se déchaîna. A Genève, on était prêt. Le plan de campagne avait été élaboré à loisir. Le 23 octobre 1871, le gouvernement annonça au Grand Conseil, c'est-à-dire à la Chambre des députés, le prochain dépôt d'un projet de loi sur les fabriques, lequel aurait pour résultat, disait-il, de démocratiser l'Eglise catholique[72]. Ce fut à cette occasion que Carteret, président du Conseil d'Etat, autrement dit, chef du pouvoir exécutif, prononça la fameuse phrase : Ce qu'il nous faut, c'est que l'Eglise catholique s'en aille avec le bâton et la besace. En arrivant au pouvoir, cet homme avait déclaré qu'il avait un mandat, celui de combattre les agitations confessionnelles. Quand on se rappelle que la Suisse était, depuis le commencement du siècle, le rendez-vous des sociétés secrètes, on conjecture, avec de grandes probabilités, d'où pouvait lui venir son mandat ; et quand on étudie ses formules, on conclut avec certitude qu'il les tenait de l'Allemagne.

Les premiers coups furent portés contre les congrégations religieuses. Une loi du 3 février 1872 les astreignit à demander l'autorisation de l'Etat. Quelques mois après, le 29 juin 1872, le gouvernement prenait un arrêté d'expulsion contre les Frères des Ecoles chrétiennes, interdisait l'enseignement aux Filles de la Charité, et défendait à toutes les communautés religieuses de s'adjoindre de nouveaux membres.

Ces premières mesures n'étaient que le prélude d'un exploit plus retentissant.

Le 25 septembre 1864, Pie IX, déjà restaurateur de la hiérarchie catholique en Angleterre et en Hollande, et désirant compléter son œuvre par la résurrection du siège de saint François de Sales, avait nommé, comme auxiliaire à Mgr Marilley pour le canton de Genève, un jeune prêtre, déjà connu par son zèle, déjà célèbre par les sermons qu'il avait donnés à Turin, à Vienne, à Paris et à Rome. Il s'appelait Gaspard Mermillod. Il était né d'une humble et chrétienne famille, dans la petite ville de Carouge, aux environs de Genève, et avait exercé dans cette dernière ville, de 1847 à 1857, les fonctions de vicaire de la paroisse Notre-Dame ; de 1857 à 1864, celles d'administrateur de la même paroisse. En lui conférant le caractère sacré de l'épiscopat, le souverain pontife lui avait adressé ces paroles : Allez, montez sur le siège de saint François de Sales ; allez vers cette Genève qui n'a pas craint de s'appeler la Rome protestante, et convertissez-la[73].

Une pareille exhortation avait causé une vive émotion parmi les protestants de la Suisse et du monde entier. Le triangle protestant, Berlin, Londres, Genève, déjà mis en péril à Londres par le mouvement d'Oxford, allait-il subir un nouvel assaut à Genève ? Le nouveau prélat n'était pas seulement un orateur éloquent ; c'était un homme d'action, un militant, ses ennemis disaient : un combatif. Dès le début de son ministère, pendant la période de sou vicariat à Notre-Daine de Genève, il s'était occupé activement d'œuvres de presse, et s'y était montré polémiste infatigable. En 1851, il s'était agrégé à un groupe de prêtres, constitués en association, pour évangéliser le canton de Genève. Eu 1852, il fonda une revue mensuelle, les Annales catholiques de Genève, destinée surtout à la controverse avec les protestants[74]. En même temps, il parcourait les grandes villes de l'Europe, quêtant pour ses œuvres, et revenant à Genève, pour y bâtir, avec le produit de ses quêtes, des églises et des écoles. En 1867, il créa à Genève un journal hebdomadaire, devenu depuis quotidien, le Courrier de Genève, en vue de stimuler les catholiques dans la lutte. Après la prise de Rome, au 20 septembre 1870, il fut un des premiers à flétrir l'entrée des troupes piémontaises dans la Ville éternelle. Pie IX est prisonnier au Vatican, s'écriait-il[75], et l'Europe se tait !... Aurions-nous cru que notre siècle si fier verrait de telles ignominies ? Pendant la guerre franco-allemande, il organisa, avec le concours de plusieurs publicistes catholiques de divers pays, la Correspondance de Genève, qui, pendant plus de deux ans qu'elle vécut, fut l'organe international le plus répandu pour le défense du Saint-Siège.

Le nouveau prélat ne dissimulait pas, du reste, ses grands projets. Il le faisait même avec une ardeur que d'aucuns trouvaient intempestive. Le 30 octobre 1864, en prenant possession de l'église de Notre-Dame, s'était écrié : Je vais marcher sur des charbons ardents ; mais il est dans ma nature d'aimer les situations nettes et claires... Le Saint-Père pouvait d'un seul coup créer un évêché de Genève, relever de fait l'ancien diocèse. Il le pouvait en vertu des traités de 1815 ; il le pouvait en vertu des lois fédérales et cantonales qui garantissent la liberté des cultes. C'est par ménagement que Pie IX n'a créé qu'un évêque auxiliaire... Je suis sans traitement, sans évêché ; mais quand je n'aurai plus rien à donner, je prendrai le bâton de pèlerin, j'irai mendier dans les grandes cathédrales de l'Europe[76]. Le même jour, tous les curés du canton lisaient en chaire une Lettre pastorale au sujet des élections des députés au Grand Conseil.

La promotion de l'abbé Mermillod à l'épiscopat avait été notifiée officiellement au Conseil d'Etat, qui l'avait enregistrée sans protestation ; et, pendant sept ans, les autorités de la République helvétique ne soulevèrent aucune objection contre le nouvel état de choses. Mais l'irritation produite dans les milieux protestants par l'activité incessante de Mgr Mermillod grandissait visiblement. Au mois de juin 1872, le prélat ayant pourvu à une cure de campagne et notifié cette nomination au gouvernement, celui-ci affecta de ne tenir aucun compte de cette notification, et s'adressa directement à l'évêque titulaire, Mgr Marilley, qui résidait toujours à Fribourg. On lui demanda si la nomination avait été faite par son ordre on du moins avec son agrément. Mgr Marilley ne vit pas le piège. Le prélat — pourquoi ne pas le dire ? — gardait dans un recoin de son cœur une goutte d'amertume pour le démembrement de son diocèse. Il eut le tort de le laisser voir aux magistrats de Genève. Il leur déclara que, sur la demande du souverain pontife, il s'était déchargé sur Mgr Mermillod de toute l'administration spirituelle des catholiques de leur canton. Au surplus, il ne voyait pas de difficultés à la nomination faite par son auxiliaire.

Cette lettre, interprétée par la malveillance, devenait, aux mains du Conseil d'Etat et de son chef, la preuve manifeste des menées souterraines de la curie et de Mgr Mermillod. C'était bien l'évêché de Genève que l'on voulait rétablir à la sourdine. Tout était permis pour réprimer un tel attentat. Le 30 août, un acte du gouvernement enjoignait à Mgr Mermillod de s'abstenir de toute fonction épiscopale. Quelques jours après, un arrêté du Conseil d'Etat destituait le prélat de ses fonctions de curé et de vicaire général ; un autre arrêté interdisait aux prêtres du canton toute relation hiérarchique avec lui. C'était la guerre ouverte qui commençait[77]. Mgr Agnozzi, nonce du Saint-Siège à Berne, proposa vainement au Conseil d'Etat de Genève d'engager des pourparlers en vue d'un accord. Le souverain pontife se décida alors à soumettre la chrétienté de Genève au régime des pays infidèles en nommant Mgr Mermillod vicaire apostolique. Ce fut l'objet d'un Bref du r6 janvier 1873.

A cette nouvelle, le président Carteret entre en fureur. Il fait sommer, une seconde fois, Mgr Mermillod de renoncer à toute fonction ecclésiastique, et, sur le refus de l'évêque, le 11 février 1873, il le fait arrêter par la police, qui le saisit dans son appartement, le jette dans un fiacre et le conduit à la frontière. Un décret du Conseil d'Etat lui interdit de remettre le pied sur le territoire suisse[78].

Mgr Mermillod établit sa demeure dans ce village de Ferney que le séjour de Voltaire a rendu fameux. Il y passa dix ans. S'il ne pouvait aller à Genève, Genève allait à lui. D'ailleurs, rien ne l'empêchait de faire le tour du territoire confié à sa sollicitude pastorale. Le canton de Genève, formé de deux bandes étroites le long de la pointe du Léman et ensuite du Rhône, est comme un coin enfoncé dans la terre de France. Sans sortir de la terre française, le vicaire apostolique pouvait apercevoir tous les clochers, faire entendre sa voix aux populations accourues à la frontière sur son passage, administrer la confirmation, en un mot remplir un ministère que la persécution rendait plus éclatant et plus fructueux[79].

Qu'allait faire le Conseil d'Etat pour se venger Au Reichstag allemand, le ministre Falk venait de déposer, le 8 janvier 1873, ses fameux projets de lois persécutrices. Le présidant Carteret ne trouva rien de mieux à faire que de marcher sur ses traces. La République suisse, — écrivit peu de temps après le journal français le Temps, — pouvait imiter le système de sa grande sœur de l'Atlantique ; elle a préféré imiter l'Allemagne et faire des lois de combat. Le 19 février, le Grand Conseil vota un projet de réorganisation de l'Eglise catholique. Le 30 mai, la Suisse eut sa Loi de réorganisation de l'Eglise catholique, comme la France avait eu sa Constitution civile du clergé, comme l'Allemagne avait ses Lois de mai, comme l'Autriche allait avoir ses Lois confessionnelles. Suivant la tactique ordinaire, les articles 1 et 2 garantissaient la liberté de conscience et le libre exercice du culte. Mais l'article 6 déclarait qu'il appartenait au Grand Conseil de supprimer des cures ou d'en créer de nouvelles ; l'article 19, que la surveillance de la vie religieuse et du service divin était du ressort des Conseils de paroisse ; les articles 25 et 26, que pour faire partie du clergé, le prêtre catholique devrait le demander au Conseil exécutif. Les articles 29 à 33 réglaient l'élection du curé par l'assemblée paroissiale à la majorité des voix, et l'article 48 soumettait tous les mandements et ordonnances de l'autorité supérieure ecclésiastique au placet de l'État[80].

Pour cette Eglise catholique nationale, il fallait des prêtres. A l'honneur du clergé de Genève, il ne se produisit pas dans ses rangs une seule défection. On fit appel aux apostats du dehors. L'ancien carme Loyson se présenta, le 12 octobre 1873, aux suffrages des électeurs pour la cure de Genève, et y fut élu, avec deux coadjuteurs ; mais, moins d'un an après, ne pouvant supporter l'encombrante tutelle du comité laïque qui prétendait, conformément à la loi, surveiller son administration, le malheureux intrus se démit de sa charge, en déclarant, le 4 août 1874, que l'Eglise prétendue libérale et catholique de Genève ne lui paraissait ni libérale en politique ni catholique en religion. Des intrus de moindre valeur se contentèrent des conditions qui leur furent faites.

Pour l'Eglise catholique nationale, il fallait des édifices religieux. La loi nouvelle avait déclaré que tout édifice religieux appartiendrait de droit au culte salarié par l'Etat. En conséquence, le gouvernement mit la main sur toutes les églises, chapelles et presbytères catholiques. En plusieurs endroits, les fidèles spoliés protestèrent. Beaucoup d'entre eux furent condamnés à l'amende ou à la prison.

Ni le clergé, en effet, ni les fidèles, puissamment encouragés par leur premier pasteur, ne se laissaient abattre par la persécution. Ils se réunissaient dans des hangars, dans des granges, qu'ils transformaient eu chapelles. Par une. singulière ironie, où l'on se plut à voir la main de la Providence, le temple maçonnique de Genève ayant été mis en vente par ordre de justice, des catholiques en firent l'acquisition, et le lieu de réunion des loges devint l'église du Sacré-Cœur.

Bref, en 1879, l'Eglise catholique nationale était en pleine décadence[81], et le catholicisme témoignait à Genève d'une puissante vitalité. Si Bismarck avait compté sur le succès du schisme en Suisse pour consolider son œuvre en Allemagne, il dut se trouver singulièrement déçu[82].

 

V

Dans son projet de Kulturkampf international, le chancelier allemand n'avait pas seulement cherché des auxiliaires en Suisse ; il avait escompté le concours de l'Autriche. Au cours de sa lutte contre l'Eglise, il n'avait pas eu jusque-là de meilleur auxiliaire que son collègue autrichien, le chancelier de Beust. En plein concile, au moment où le schéma de Ecclesia, comprenant la définition de l'infaillibilité pontificale, était mis en délibération, le premier ministre de l'empereur François-Joseph avait protesté avec une brutalité hautaine qui faisait prévoir les pires violences. L'attitude prise par une minorité imposante, — disait-il, le 10 février 1871, dans une dépêche au comte de Trauttmansdorff, — minorité parmi laquelle nous voyons avec une vive satisfaction figurer les noms les plus illustres de l'épiscopat austro-hongrois, nous permettait de croire à un résultat final plus conforme à nos vœux... Le gouvernement impérial et royal se réserve la faculté d'interdire la publication de tout acte lésant la majesté de la loi, et toute personne enfreignant une pareille défense serait responsable de sa conduite devant la justice du pays... Veuillez rappeler à Mgr le cardinal secrétaire d'Etat les principes de l'application desquels Sa Majesté impériale, royale et apostolique ne saurait dévier[83].

Cette lettre n'était pas une vaine menace. Après la définition de l'infaillibilité, les ministres de Sa Majesté déclarèrent que le pape infaillible n'était pas le pape avec lequel l'Autriche avait conclu un concordat, et que les évêques ne seraient plus désormais les prélats auxquels le concordat avait accordé certains droits. En conséquence de cette déclaration, qui fut insérée dans la Gazette officielle de Vienne, l'empereur adressa au ministre des cultes la lettre suivante : Cher ministre Stremayr, comme la convention conclue à Vienne le 18 août 1855 avec Sa Sainteté le pape Pie IX a été frappée de caducité par suite de la récente déclaration du Saint-Siège, je vous engage à préparer les projets de loi qui seront nécessaires en vue de régler les rapports de l'Eglise catholique avec mon empire, conformément aux lois fondamentales et eu égard aux conditions indiquées par l'histoire. Vienne, le 30 juillet 1870. — François-Joseph.

Cette dénonciation du concordat n'apporta pas, il est vrai, une modification bien accentuée à la situation des catholiques dans l'empire d'Autriche. Depuis longtemps les clauses du concordat favorables à l'Eglise étaient à peu près lettre morte.

Après l'attentat du 20 septembre 1870 contre la souveraineté temporelle du pape, les évêques autrichiens tentèrent d'amener un revirement de la politique de la cour de Vienne, en faisant appel aux sentiments religieux publiquement professés par l'empereur. Ils lui firent parvenir une Adresse, dans laquelle ils le supplièrent de prendre l'initiative d'une démarche auprès des Etats européens, en vue d'exiger du gouvernement italien au moins de sérieuses garanties d'indépendance pour le Saint-Siège. François-Joseph, en sa qualité de souverain constitutionnel, ne crut pas pouvoir répondre lui-même à cette Adresse ; il laissa ce soin à son premier ministre, et M. de Beust fit savoir aux évêques que le gouvernement n'agréait pas leur demande, aucun changement ne pouvant avoir lieu dans sa politique.

En octobre 1871, la municipalité de Vienne ayant concédé l'usage d'une chapelle publique à un prêtre insoumis, Louis Anton, qui faisait profession de vieux-catholicisme, le cardinal Rauscher, archevêque de Vienne, adressa une réclamation au ministre des cultes Jirecek. Celui-ci répondit, une première fois, que la concession faite par la municipalité viennoise de la chapelle Saint-Sauveur n'était pas contraire aux lois fondamentales de l'empire ; puis, sur les instances du cardinal, que, le conflit dont il s'agissait étant de nature purement ecclésiastique, le gouvernement n'avait pas qualité pour prendre une décision. Le cardinal déjoua aussitôt ce sophisme. Je n'avais point prié Votre Excellence, répliqua-t-il[84], de décider la question, mais bien de défendre l'Eglise catholique contre une usurpation manifestement injuste... Louis Anton n'a jamais été autorisé par l'autorité ecclésiastique à accomplir les actes du ministère sacré dans le diocèse de Vienne ; et le gouvernement sait très bien qu'il ne pourrait conférer lui-même une pareille autorisation. Est-ce que dorénavant une poignée de factieux, rien qu'en prenant le titre de société religieuse, pourra s'emparer des églises et des presbytères et en chasser les légitimes possesseurs ? Le ministre refusa de se rendre à ces raisons ; mais un interdit, jeté par l'archevêque sur la chapelle Saint-Sauveur, fut obéi par les fidèles et mit fin au scandale.

La suppression de deux évêchés de Dalmatie, ceux de Sebenico et de Cattaro, demandée par le Reichsrath vers la fin de l'année 1871, fut un nouvel attentat contre les droits évidents de l'autorité ecclésiastique. L'archevêque de Zara, dans un long mémoire publié le 211 mars 1872, démontra sans peine que la suppression d'un diocèse ne pouvait avoir lieu que par l'autorité du Saint-Siège, et que les motifs mis eu avant pour cette suppression étaient vains. Cette fois-ci, l'empereur se rendit aux raisons invoquées par le prélat et promit de ne pas donner suite à la mesure sollicitée par le parlement.

Le rapprochement qui se produisit, en 1872, entre la cour de Vienne et la cour du Quirinal fut aussi une douloureuse surprise pour les catholiques. Non seulement l'empereur François-Joseph accréditait un ambassadeur auprès du roi Victor-Emmanuel, mais il chargeait son représentant, le comte de Wimpffen, d'un riche cadeau qui, dans la circonstance, paraissait une félicitation donnée à l'usurpateur sacrilège de Rome[85].

Les coups les plus funestes que l'Eglise eut à subir dans l'empire d'Autriche lui furent portés par les lois et les règlements scolaires. La simple énumération de ces dispositions légales suffira à faire comprendre la gravité du mal.

Le 16 janvier 1869, le ministre de l'instruction publique, Hosner, considérant que l'éducation du clergé n'est pas une chose indifférente pour l'Etat, avait soumis au contrôle du gouvernement les certificats d'études fournis par les petits séminaires diocésains[86]. Le let mars 1869, une ordonnance du même ministre avait enlevé aux évêques la surveillance des écoles catholiques et l'avait confiée à des inspecteurs nominés par les gouverneurs des provinces[87]. Les évêques ne conservaient plus désormais que la surveillance de l'instruction religieuse. En présence de la situation qui lui était faite, l'épiscopat autrichien, d'un commun accord, décida que le clergé accepterait la part que lui laissait la nouvelle législation dans l'école aussi longtemps que ces écoles resteraient fidèles à l'esprit chrétien, mais s'en retirerait avec éclat aussitôt qu'elles deviendraient hostiles[88]. Cette ferme protestation n'arrêta pas la haine sectaire du ministre Hosner, qui, dans les séances des 21, 22 et 23 avril, fit discuter et voter par le Reichsrath autrichien une loi plus tyrannique que toutes celles qui l'avaient précédée. S'appuyant sur ce prétendu principe, que l'éducation de la jeunesse appartient exclusivement à l'Etat, il limitait et réglementait l'action de l'Église, même dans l'instruction religieuse. Le temps fixé à l'enseignement de la religion était réduit ; les prêtres ne pouvaient se mettre en rapport avec les directeurs d'école que par l'entremise d'inspecteurs nommés par l'Etat ; ils étaient rigoureusement écartés des écoles normales[89]. Le lendemain même du vote de cette loi, l'empereur François-Joseph, ouvrant la diète de Hongrie, ne se montra pas encore satisfait. Il regretta que le corps enseignant fût dans une situation déplorable par suite de la révolution qui avait chassé les professeurs allemands ; il dit que la mission de la Diète hongroise était de rompre avec les traditions du passé contraires au progrès que réclamaient les temps actuels[90]. Le 5 juin suivant, Mgr Rudigier, évêque de Linz, poursuivi et arrêté pour avoir protesté contre les lois scolaires dans une Lettre pastorale ; fut condamné à quinze jours de prison. L'empereur, en présence de l'agitation que soulevait ce jugement parmi-le peuple, fit grâce au prélat[91] ; mais l'esprit sectaire poursuivit son œuvre.

Le 27 juillet 1873, il s'attaqua aux Universités. Ces vénérables institutions, œuvres de l'Eglise, fondées par elle avec ses propres deniers, furent mises aux mains de l'Etat. Les évêques furent exclus de la part qu'ils avaient dans leur administration, et des Facultés de théologie protestante y furent admises sur le même pied que les. Facultés de théologie catholique, bien plus, avec une faveur qu'on ne chercha pas à dissimuler. Dans la Chambre des Seigneurs, le cardinal Rauscher fit entendre une éloquente protestation. Séculariser les Universités, s'écria-t-il, c'est déchirer les meilleurs vêtements de l'Autriche, qui tomberont en lambeaux à la première crise européenne[92]. Mais le venin joséphiste avait trop profondément pénétré dans les traditions de la cour de Vienne peur qu'elle pût se rendre à ses justes observations. Le 5 mars 1874, ce fut tout un remaniement, de fond en comble, de la législation civile ecclésiastique qui fut présenté aux Chambres par le cabinet impérial. L'article 1er déclarait que les prescriptions religieuses n'avaient de vigueur que dans les limites des lois de l'Etat. Les autres articles, réglementant l'action de l'Eglise dans un grand nombre de ses actes plus ou moins importants, parfois d'un intérêt insignifiant par rapport à l'Etat, étaient des corollaires de ce principe. On appela cette série de prescriptions, les lois confessionnelles. Les évêques autrichiens ayant formulé d'énergiques réclamations, Pie IX, par une lettre du 25 avril 1871, les félicita d'avoir combattu les principes détestables de ces lois. L'année suivante, le pontife avait encore sur le cœur la peine que lui avait causée l'attitude de celui qui se donnait toujours, dans ses actes officiels, les titres de Majesté impériale, royale et apostolique. Dans une allocution du ii mars 1875, le pape parla de ces gouvernements catholiques qui dépassent les gouvernements protestants dans la honteuse carrière de l'oppression religieuse. — Dieu, ajouta-t-il[93], criera au persécuteur protestant : Tu as péché et gravement péché. Mais au persécuteur catholique, il dira : Tu as péché plus gravement encore : majus peccatum habes.

 

VI

Ces paroles, visant directement l'Autriche, atteignaient un autre pays catholique, l'Espagne.

Le gouvernement provisoire constitué en Espagne sous la présidence du maréchal Serrano à la suite de la révolution de septembre 1868, avait promis la liberté des cultes, comme un besoin péremptoire de l'époque, comme une mesure de sûreté contre des éventualités difficiles, comme un moyen offert au catholicisme de se fortifier dans la lutte. Telles étaient, en effet, les expressions employées dans la proclamation du 25 octobre.de cette année[94]. Les premiers résultats de cette proclamation furent des scènes de troubles et de violences, qui se produisirent aux cris de : Mort au pape ! Mort aux prêtres let qui faillirent amener l'incendie du palais de la nonciature à Madrid[95]. Au cours des discussions sur la Constitution, qui eurent lieu en avril et mai 1869, plusieurs députés libres penseurs firent entendre des discours pleins de blasphèmes et d'outrages contre le catholicisme[96]. La proclamation de la liberté des cultes par la Constitution du 6 juin 1869 ne fit qu'aggraver la situation. On eût dit que, par ces mots de liberté des cultes, le peuple n'entendait que la liberté d'outrager l'Eglise catholique.

Cette même Constitution, qui réglait d'une manière si malheureuse les questions religieuses, prononçait le rétablissement de la monarchie. Quelle allait être cette monarchie ! Si la France ne se fût opposée à la combinaison qui appelait un Hohenzollern sur le trône d'Espagne, le royaume eût été gouverné par un lieutenant du prince de Bismarck. Au milieu de la guerre franco-allemande, le gouvernement provisoire de Madrid se retourna vers la maison de Savoie, dont les troupes venaient d'entrer à Rome, et proposa le second fils de Victor-Emmanuel, qui, élu en novembre 1870 par les Cortés, prit le nom d'Amédée Ier. Dans une circulaire adressée au corps diplomatique par le ministre d'Etat du nouveau roi, il était dit que le nouveau gouvernement désirerait fort établir avec le Saint-Siège des relations aussi cordiales que celles qui existaient entre le Saint-Père et les nations qui ont réalisé des réformes civiles pareilles aux récentes réformes de la nation espagnole[97]. Une déclaration aussi vague ne pouvait ramener la paix religieuse. Le 18 juin 1871, à l'occasion des fêtes célébrées par les catholiques de Madrid en l'honneur du pape, qui venait d'atteindre la vingt-cinquième année de son pontificat, des bandes tumultueuses parcoururent la ville en criant : Mort au pape I Mort au pape et Vive la liberté I Quelques jours plus tard, au cours d'une interpellation faite à la Chambre par un député catholique, un des ministres, Martos, déclara que les encycliques du souverain pontife avaient besoin, pour être publiées en Espagne, de l'exequatur royal. Peu de temps après, un décret du 11 janvier 1872 déclarait que l'Etat ne reconnaîtrait plus désormais aucun effet civil et légal aux actes religieux et tout spécialement au mariage canonique[98] : Le 25 mars, une cédule royale statuait que toute dispense, tout indult et généralement toute grâce apostolique ne pourraient être obtenus que par l'intermédiaire d'une agence générale dépendant du ministre d'Etat[99].

Entre temps, l'Etat, manquant à ses engagements les plus formels et à ses obligations les mieux établies, négligeait, sous prétexte d'embarras financiers, de payer au clergé les traitements fixés par la Constitution du 6 juin 1869. Voici bientôt deux ans et demi, disait une Adresse de l'épiscopat espagnol datée du 22 octobre 1872[100], que le clergé n'a pas reçu un centime de ce qui lui est dû. L'abdication du roi Amédée, et la proclamation de la République espagnole par la Chambre, le 11 février 1873, aggravèrent la situation. Un certain nombre de catholiques espagnols mirent leur espoir dans le triomphe du prétendant Don Carlos, qui, en prenant les armes pour la conquête du trône, avait dit : Ma mission est de combattre la Révolution, et je la tuerai. Les libéraux d'Espagne lui opposèrent le fils d'Isabelle, qui prit le nom d'Alphonse XII. Ce fut ce dernier qui l'emporta. Pie IX, sollicité de part et d'autre d'intervenir, s'était contenté de répondre qu'il donnait bien des bénédictions apostoliques, mais non des bénédictions politiques. Alphonse XII Laugura son règne par plusieurs mesures favorables à l'Eglise. Il ordonna de rendre aux autorités ecclésiastiques les archives, les bibliothèques et les objets d'art dont l'Etat s'était emparé, à l'exception de quelques objets d'art ou manuscrits précieux, qui furent attribués à des établissements publics. Il rétablit en grande partie la dotation du clergé et annula les dispositions les plus fâcheuses du décret du 20 juin 1870 relatif au mariage religieux[101].

Les dispositions sévères de la loi du 29 juin 1875 contre les carlistes irritèrent vivement les catholiques espagnols, car plusieurs de leurs chefs se trouvèrent atteints par ces mesures. Le roi Alphonse chercha à en atténuer l'effet en montrant que le but visé par la législation était uniquement politique. Il insista auprès du Saint-Père Pour obtenir l'envoi d'un nonce à Madrid[102] ; et le nonce, Mgr Simeoni, énergiquement secondé par l'épiscopat, agit si bien que le gouvernement espagnol renonça à admettre sur le même pied les sectes dissidentes de la religion catholique et la religion catholique elle-même[103].

La Constitution de 1876 proclama le catholicisme religion d'Etat, en maintenant toutefois la liberté de conscience, et imposa d'une manière générale le respect dû à la morale chrétienne. Autour de cette Constitution, le gouvernement d'Alphonse XII finit par grouper une sérieuse majorité. Le 1er mars 1876, Don Carlos avait solennellement déposé les armes. Son drapeau, disait-il[104], resterait plié, jusqu'à ce que Dieu fixât l'heure suprême de la rédemption de l'Espagne catholique et monarchique. Peu à peu l'épiscopat et le clergé, dans leur ensemble, allaient se rallier à la cause d'Alphonse XII.

 

VII

Comme l'Espagne catholique, la protestante Angleterre, au lendemain du concile du Vatican, avait pris une attitude d'abord hostile à l'Eglise, mais qui se modifia peu à peu dans la suite en un sens moins défavorable.

L'irritation produite dans la Haute-Eglise d'Angleterre par la définition du dogme de l'infaillibilité se manifesta d'abord par le titre de docteur de l'Université d'Oxford conféré à Dœllinger, puis par la participation de deux évêques anglicans et d'un certain nombre de clergymen au congrès tenu en 1872 à Cologne par les Vieux-catholiques[105]. Dans les sphères gouvernementales, le mécontentement déterminé par le mouvement de renaissance de l'Eglise catholique s'était traduit, le 29 mars 1870, par l'adoption au Parlement d'une motion invitant les pouvoirs publics à faire une enquête sur l'organisation intérieure des institutions monastiques et sur l'origine de leurs propriétés. Sur la proposition de Gladstone, les Chambres britanniques atténuèrent, par un vote du 2 mai, cette décision trop dure, et statuèrent que l'enquête serait faite exclusivement sur les sources des biens monastiques, et non sur leur discipline intérieure ; mais même avec cette restriction, la mesure parut tyrannique aux catholiques[106]. D'autres mesures analogues furent prises, au cours de la même année[107]. Les catholiques, désormais formés à la vie publique, organisèrent alors des agitations légales. En novembre 1871, tous les évêques irlandais, qui avaient beaucoup à souffrir de l'ingérence des agents du gouvernement dans leurs écoles, réclamèrent, dans une lettre pastorale commune : 1° l'indépendance absolue de l'enseignement religieux dans les écoles primaires catholiques, 2° la participation des écoles secondaires.aux allocations gouvernementales, jusque-là réservées aux écoles protestantes ou neutres, et 3° l'autorisation de fonder une Université catholique on tout au moins des collèges catholiques annexés aux Universités de l'Etat et jouissant des mêmes droits que les autres collèges[108]. Le 16 juillet 1872, en Angleterre, la jeune Catholic Union organisa à Londres, sous la présidence du duc de Norfolk, un grand meeting laïque, pour protester contre la conduite des gouvernements italien et allemand, qui venaient, le premier de fermer à Rome les maisons religieuses, le second d'expulser les jésuites d'Allemagne[109]. Le 2 janvier 1873, Mgr Vaughan, récemment élu évêque de Salford, posa les bases d'une association qui permettrait aux catholiques d'exercer une action politique efficace, non point en vue de changer la forme du gouvernement ou de modifier les lois administratives ou financières, toutes choses indifférentes au dogme catholique et sur lesquelles un fidèle est libre de voter, à son gré, avec les libéraux ou avec les conservateurs, mais en vue de défendre, par tous les moyens légaux, les libertés religieuses, en particulier la liberté de l'éducation catholique des enfants de famille catholique[110].

Cette agitation, menée avec autant de sagesse que de fermeté, ne fut pas stérile. On peut lui attribuer la décision par laquelle le Parlement déclara, le 30 juillet 1872, maintenir un agent diplomatique auprès du Saint-Siège[111] ; et la proposition d'un bill par lequel Gladstone faisait droit à une partie des revendications des catholiques irlandais. Ce bill, d'ailleurs, ne fut pas adopté par le Parlement britannique. Il échoua, le 11 mars 1873, n'ayant obtenu que 284 voix favorables contre 287 voix défavorables[112]. La conversion au catholicisme, en septembre 1874, du marquis de Ripon, l'un des membres les plus écoutés du Parlement anglais, eut une grande influence sur le mouvement catholique en Angleterre[113]. Pie IX se réjouissait grandement de ces progrès. Je respecte ce peuple anglais, disait-il, en janvier 1872, au prince de Galles, parce qu'il est plus réellement religieux dans le cœur et dans la conduite que beaucoup qui se disent catholiques. Lorsque, quelque jour, il reviendra au bercail, avec quelle joie nous souhaiterons la bienvenue à ce troupeau, qui est égaré, mais non perdu ![114] Pie IX avait inauguré son pontificat en rétablissant la hiérarchie catholique en Angleterre ; il voulut, en l'année 1878, qui fut la dernière de son règne, rendre les mêmes honneurs au royaume d'Ecosse. Il signa, le 28 janvier, un décret de la Congrégation de la Propagande, rétablissant les deux anciens archevêchés de Glasgow et d'Edimbourg et les quatre évêchés d'Aberdeen, de Dunkeld, de Galloway et d'Argyll. Mais la mort empêcha Pie IX de consacrer et de proclamer ces créations. Cette tâche était réservée à son successeur ; Léon XIII, qui s'en acquitta le 28 mars suivant[115].

Pie IX avait quitté ce monde le 7 février. Très affaibli par l'âge, il avait encore tenu un consistoire le 28 décembre ; puis il s'était alité. Depuis, la maladie n'avait fait qu'empirer. Ses dernières paroles furent celles-ci : In domum Domini ibimus : Nous irons dans la maison du Seigneur. Il était entré dans sa quatre-vingt-sixième année, et avait occupé la chaire de saint Pierre trente et un ans. Successeur du prince des apôtres, il avait dépassé les années de Pierre, et son pontificat n'avait pas été seulement le plus long de l'histoire ; par les grands événements qui l'avaient rempli, il en avait été l'un des plus mémorables.

 

 

 



[1] VAN DUERM, Vicissitudes politiques..., p. 418-420.

[2] Le baron Blanc, originaire de la Savoie, avait été d'abord avocat à Chambéry, puis attaché au cabinet particulier du comte de Cavour. Il devait, dans la suite, être appelé aux fonctions d'ambassadeur à Constantinople et à Londres, et devenir enfin ministre des affaires étrangères.

[3] Les négociations qui eurent lieu à cette occasion entre le cardinal Antonelli et le baron Blanc portèrent sur bien d'autres points. On y parla d'un modus vivendi temporaire entre les deux pouvoirs résidant à lierne. Les détails de ces pourparlers se trouvent dans une collection de documents diplomatiques éditée en 1895 par le baron Blanc, tirée à un petit nombre d'exemplaires et ne se rencontrant point dans le commerce. Ces documents ont été reproduits en grande partie et complètement analysés par M. François CARRY, dans un article du Correspondant paru le 19 novembre 1895 et intitulé : Le Vatican et le Quirinal d'après des documents nouveaux.

[4] Correspondant du 10 décembre 1895, t, CLXXXI, p. 782.

[5] Voir E. RENDU, la Lettre du pape et l'Italie officielle, p. 64.

[6] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 427.

[7] C'est ainsi que les Italiens appelaient les spoliations de biens d'Eglise, qu'ailleurs on a qualifiées de laïcisations ou de désaffectations.

[8] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 428-430.

[9] Comte CONESTABILE, le Roi Victor-Emmanuel, dans le Correspondant du 15 janvier 1878, p. 200.

[10] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 436 ; Acta Pii noni, t. V, p. 263-278 ; Correspondant, t. CX, p. 206.

[11] Comte CONESTABILE, dans le Correspondant, t. CX, p. 206.

[12] Comte CONESTABILE, dans le Correspondant, t. CX, p. 206.

[13] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 438-439.

[14] LECANUET, L'Eglise de France sous la troisième République, t. I, p. 89. Je crois, écrivait encore Jules Favre, que si vous n'allez pas à Rome, la ville tombera au pouvoir d'agitateurs dangereux. J'aime mieux vous y voir. Mais il est bien entendu que la France ne vous donne aucun consentement. BEAUFORT, Hist. de l'invasion des Etats pontificaux, p. 486.

[15] Telle était l'expression employée dans une dépêche officielle adressée au cabinet italien. Gambetta, en la lisant, dit à M. de Chaudordy : Expédiez-la, mais il est inutile de la publier. (Ernest DAUDET, Hist. diplomatique de l'alliance franco-russe, p. 52.)

[16] Voir l'opinion très nette de Thiers au Moniteur dans le compte rendu des séances des 14 et 16 avril 1865.

[17] Voir le texte intégral de la Loi des Garanties dans CHANTREL, p. 502-504.

[18] MINGHETTI, De l'Eglise et de l'Etat, trad. E. de Laveleye, p. 54.

[19] E. OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, t. II, p. 478-480.

[20] Voir la liste de ces couvents et leur nouvelle affectation dans CHANTREL, p. 587-588.

[21] Le 8 mai 1871, le comte de Chambord, dans un de ses manifestes, écrivait : On dit que l'indépendance de la papauté m'est chère... On dit vrai. Et, le 31 juillet suivant, Louis Veuillot écrivait dans l'Univers : La vingt-cinquième année de Pie IX est une merveille, qui en annonce une autre, celle de sa délivrance par le Roi très chrétien.

[22] Voir les curieuses correspondances de l'Univers à ce sujet (fin février 1872). Cf. LECANUET, L'Eglise de France sous la troisième République, t. I, p. 159

[23] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 632-633. C'est dans cette allocution que se trouvait ce passage, si commenté par la presse : Je prie pour que certains partis, exagérés de part et d'autre, disparaissent pour jamais. Il y a un parti qui redoute trop l'influence du pape. Il y a un autre parti, opposé à celui-ci, lequel oublie totalement les lois de la charité. En lisant ce passage de l'allocution, Louis Veuillot s'écria : Voilà une bénédiction qui entre en cassant les vitres ! Et il écrivit dans son journal : Notre affaire à nous est d'obéir... Si donc le Juge estime que notre œuvre ne peut plus recevoir de nous le caractère que réclame l'intérêt de l'Eglise, nous disparaitrons. Quelques semaines plus tard, répondant à une lettre du rédacteur en chef de l'Univers, Pie IX lui déclara que, tout en regrettant chez lui quelques excès de zèle, il l'engageait à continuer le combat. (Voir François VEUILLOT, Louis Veuillot, un vol., Paris, 1913, p. 131-132.)

[24] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 714-718

[25] Allocution du 12 mars 1877, CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 582 et s.

[26] C'est à cette occasion que Gambetta prononça, le 4 mai 1877, sa fameuse formule : Le cléricalisme, voilà l'ennemi.

[27] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 589-590.

[28] Sur les derniers moments et la mort de Victor-Emmanuel, voir CHANTREL, Annales ecclésiastiques, au 9 janvier 1878, p. 691-698.

[29] Voir la dépêche dans CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 393.

[30] F. OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, t. II, p. 474.

[31] F. OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, t. II, p. 474.

[32] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 394.

[33] François VEUILLOT, Louis Veuillot, p. 119.

[34] LECANUET, L'Eglise de France sous la troisième République, t. I, p. 90.

[35] LECANUET, L'Eglise de France sous la troisième République, t. I, p. 90.

[36] Voir BAUNARD, Vie du général de Sonis, p. 347-357.

[37] Lettre pastorale publiée le 2 février 1872, par Mgr Wicart, évêque de Laval.

[38] Mgr FOULON, Vie de Mgr Darboy, p. 339.

[39] Cardinal PIE, Œuvres, t. VII, p. 197.

[40] LECANUET, L'Eglise de France sous la troisième République, p. 98.

[41] Journal officiel de la Commune, 2 avril 1871, p. 133.

[42] Maxime DU CAMP, les Convulsions de Paris, t. III, p. 317 ; FONTOULIEU, les Eglises de Paris sous la Commune, un vol., Paris, 1873 ; LECANUET, op. cit., p. 100-105.

[43] Peu de temps après, capitaine de cuirassiers.

[44] A. DE MUN, Ma vocation sociale.

[45] BAUNARD, Hist. du cardinal Pie, t. II, p. 438.

[46] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 669-670.

[47] François VEUILLOT, Louis Veuillot, p. 143.

[48] G. WEILL, Hist. du catholicisme libéral en France, p. 196. Les deux principaux organes des catholiques qui se plaçaient sur le même terrain que Mgr Dupanloup, étaient le Correspondant et le Bulletin de la Société générale d'éducation.

[49] Mgr BESSON, Vie du cardinal de Bonnechose, t. II, p. 234.

[50] Le Rappel du 24 décembre 1877.

[51] Univers du 13 septembre 1877.

[52] Mme Edmond ADAM, Après l'abandon de la revanche, Paris, 1910, p. 396. Cf. DIANCOURT, les Allemands à Reims, Reims, 1884.

[53] G. GOYAU, Bismarck et l'Eglise, t. I, p. 69.

[54] G. GOYAU, Bismarck et l'Eglise, t. I, p. 71.

[55] G. GOYAU, Bismarck et l'Eglise, t. I, p. 41-42.

[56] G. GOYAU, Bismarck et l'Eglise, t. I, p. 80.

[57] Parfois, il est vrai le Kulturkampf- paraîtra être la lutte contre le parti du Centre, ou la lutte contre la Constitution de 1850 ; mais on s'aperçoit bien qu'au fond tout se ramène à la lutte contre le romanisme.

[58] KANNENGIESER, Catholiques allemands, un vol. in-12, Paris, 1892, p. 25.

[59] Voir la loi dans CHANTREL, p. 596 ; GOYAU, Bismarck et l'Eglise, t. I, p. 209. Cette loi est connue en Allemagne sous le nom de paragraphe de la chaire.

[60] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 615-618.

[61] Guizot, qui l'avait observé, disait : C'est le premier discuteur de notre époque.

[62] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 649-658.

[63] G. GOYAU, Bismarck et l'Eglise, t. I, p. 116. Cf. KOHUT, Die Hohenzollern und die Freimaurerei, Berlin, 1909, p. 125 189 ; BISMARCK, Geidrescken und Trinnerangen, t. I, p. 204, trad. française, t. I, p. 261-264.

[64] Cité par DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, t. II, p. 413.

[65] Cité par DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, t. II, p. 414.

[66] Discours de Bismarck du 10 mars 1873. Sur les lois de mai de 1873, voir GOYAU, Bismarck et l'Eglise, t. I, p. 308-408. Voir un résumé de ces lois dans CHANTREL, p. 274.

[67] Voir les textes complets de ces lois dans CHANTREL, p. 274-278. On trouvera le texte de toutes les lois de mai dans LEFEBVRE DE BÉHAINE, Léon XIII et Bismarck, Paris, 1899, p. 227-249.

[68] A. KANNENGIESER, Catholiques allemands, p. 30-32. — Les catholiques, d'ailleurs, n'avaient pas été seuls à s'alarmer. Les protestants croyants, notamment les conservateurs, s'étaient aperçus que, derrière le catholicisme, c'était le christianisme tout entier qui était visé. Que furent, en effet, la campagne contre l'école confessionnelle et la campagne en faveur du mariage civil, sinon deux tentatives, réussies du reste, contre le confessionnalisme, protestant ou catholique, et par conséquent contre le christianisme lui-même ? Les pasteurs luthériens, déclarait Bismarck, le 1er janvier 1872, ne valent pas mieux que les catholiques. C'est donc très justement que le député protestant Bruel dénonça, à propos des lois sur l'inspection scolaire, le danger qu'elles faisaient courir à l'une et l'autre confession. C'est une loi païenne, déclara-t-il tout net ; elle répond à l'idée païenne de l'Etat-Dieu... Chrétien, Bismarck l'était à sa manière, qui ne voulait pas être gênée par Dieu, mais fortifiée par lui pour le service de l'État. Autant dire que le christianisme prenait, chez le chancelier, la ferme du germanisme. (Paul GAULTIER, le Germanisme contre le Christianisme, dans le Correspondant du 25 mai 1917, p. 738.

[69] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 798-799.

[70] G. GOYAU, Bismarck et l'Eglise, t. I. p. 22, cf. Paul GAULTIER, Correspondant du 25 mai 1917, p. 738.

[71] P. J. BURNICHON, dans les Etudes du 20 février 1868, p. 437.

[72] BURNICHON, dans les Etudes du 20 février 1868, p. 442.

[73] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 681.

[74] DOM GROSPELLIER, Introduction aux œuvres du cardinal Mermillod, p. 10.

[75] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 682.

[76] D'AGRIGENTÉ, le cardinal Mermillod, un vol. in-8°, Paris, 1893, p. 28-29.

[77] P. BURNICHON, S. J., dans les Etudes, t. LXXIV, p. 446-447.

[78] Voir les détails de cette arrestation et de cette expulsion, dans CHANTREL, Annales ecclésiastiques, 777-778.

[79] BURNICHON, Etudes, t. LXXIV, p. 449.

[80] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 30.

[81] Voir Revue des Deux Mondes, 1879. t. XXXVI, p. 705.

[82] On trouvera plusieurs documents intéressants sur la question, dans un ouvrage anonyme intitulé Histoire de la persécution religieuse à Genève, Essai d'un schisme d'Etat, un vol. in-12, Paris, Lecoffre, 1878. Cf. P.-V. MARCHAL, les Réformateurs de Genève, brochure de 64 pages, in-8°, Lyon, 1876.

[83] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 281-282.

[84] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 588-589.

[85] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 637.

[86] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 26.

[87] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 72.

[88] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 79.

[89] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 111.

[90] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 113.

[91] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 147.

[92] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 754.

[93] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 134.

[94] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 33.

[95] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 37.

[96] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 101, 119.

[97] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 489.

[98] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 599-601.

[99] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 601.

[100] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 697.

[101] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 299.

[102] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 330.

[103] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 509.

[104] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 401.

[105] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. III, p. 149-150.

[106] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 310.

[107] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 310.

[108] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 603-606.

[109] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 661.

[110] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 724.

[111] Au moment du concile, Odo Russel, secrétaire de légation à la cour de Naples, avait été envoyé à Rome pour y remplir une mission temporaire auprès du Vatican. Il était resté après le concile, et avait été remplacé plus tard par un autre diplomate. C'est cette situation de fait que le Parlement régularisa en 1872.

[112] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 767-771.

[113] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 205.

[114] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 608.

[115] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p.715.