HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

CHAPITRE XIII. — LE CONCILE DU VATICAN (1869-1870).

 

 

Les graves périls que pouvaient faire courir à la papauté et à l'Eglise la sourde hostilité des puissances, les menées des sectes antichrétiennes et les vives controverses soulevées entre catholiques, n'avaient pas échappé à la sollicitude du souverain pontife. Dans un concile, disait Pie IX, il y a d'ordinaire trois périodes : celle du diable, celle des hommes et celle de Dieu. On était en pleine période du diable ; celle des hommes allait arriver bientôt ; celle de Dieu devait triompher la dernière, mais elle se préparait déjà.

 

I

Les souverains pontifes, en condamnant les sociétés secrètes révolutionnaires, les avaient souvent considérées comme des œuvres de l'esprit du mal[1] ; Pie IX, dans un Bref du 26 octobre 1865, avait appelé la franc-maçonnerie la synagogue de Satan[2].

Un double caractère avait marqué, depuis l'apparition de la Vie de Jésus, le mouvement anticatholique : c'était d'abord une orientation de ce mouvement vers l'athéisme et l'anarchie ; c'était, de plus, sa solidarité croissante avec la franc-maçonnerie. Renan avait parlé avec une irrévérence blasphématoire de ces bons vieux mots : Dieu, Providence, âme, immortalité, que la philosophie interpréterait dans des sens de plus en plus raffinés. Il voulait dire : de plus en plus favorables à l'athéisme. Peu de temps avant lui, un écrivain qui s'adressait plus spécialement au monde des travailleurs, mais qui, par l'originalité paradoxale de sa pensée et la rigueur apparente de sa dialectique, devait s'imposer aux classes cultivées, Pierre Joseph Proudhon, s'était brutalement déclaré non seulement athée, mais anti-théiste. Dieu, c'est le mal ; la propriété, c'est le vol : telles étaient ses devises. Or Proudhon se proclamait ouvertement franc-maçon[3]. Le jour de sa réception dans. la franc-maçonnerie, à la question qui lui fut posée : Que doit l'homme à Dieu et à ses semblables ? il répondit : Justice à tous les hommes et guerre à Dieu.

Comme Renan, Proudhon semble avoir subi l'influence de la philosophie allemande[4]. Celle-ci d'ailleurs, par les ouvrages de Wirchow, de Moleschott, de Vogt et de Büchner, traduits en toutes les langues en même temps que ceux de Kant, de Hegel et de Feuerbach, avait propagé le plus pur matérialisme. Pendant quinze ans, l'idéalisme dissolvant des uns et l'athéisme brutal des autres avaient fait leur œuvre[5]. En 1866, Mgr Dupanloup avait jeté un cri d'alarme dans une éloquente brochure, l'Athéisme et le péril social. Deux ans plus tard, Montalembert, dans un de ses derniers écrits, faisait entrevoir aux catholiques un développement de sensualisme, de matérialisme et d'athéisme, dont le dix-huitième siècle n'avait point offert d'exemple[6].

Dans sa brochure, l'évêque d'Orléans ne séparait pas la propagande antireligieuse et antisociale de la propagande maçonnique. Et, effectivement, les plus ardents adeptes de l'athéisme et de l'anarchie sortaient des loges maçonniques ou s'y faisaient agréger. Ferry, qui s'écriait, dans son programme électoral de 1869 : Il n'y a que deux partis : le parti clérical et celui de la liberté ; Léon Gambetta, qui, à la même époque, se proclamait disciple de Proudhon : Arthur Ranc et Georges Clemenceau, qui se rangeaient autour de Blanqui, l'auteur fameux de la formule Ni Dieu ni Maître, raillaient le spiritualisme des vétérans de 1848, et cherchaient à faire prévaloir dans les loges leur radicalisme politique et religieux[7]. Ils saluaient d'ailleurs avec enthousiasme un mouvement analogue dans le protestantisme. Ferdinan Buisson voyait, dans le christianisme libéral qui se constituait à Neuchâtel en Suisse, une religion laïque, sans dogme, sans morale et sans prêtres, dégagée du christianisme traditionnel[8], et Edgar Quinet disait de l'Unitarisme américain de Channing : S'il conserve encore une ombre de l'antiquité chrétienne, il donne la main à la philosophie la plus hardie[9].

Il n'est pas étonnant que l'annonce d'un concile œcuménique ait mis en profond émoi les loges maçonniques. Le 8 juillet 1869, à l'assemblée générale du Grand-Orient de France, le F. Colfavru proposa de convoquer une assemblée extraordinaire de francs-maçons, pour proclamer, en face du concile œcuménique, les grands principes du droit humain universel[10]. Il s'agissait de répondre au Syllabus par une affirmation solennelle de principes, qui servirait, à l'avenir, de drapeau à la maçonnerie[11]. Un membre du Parlement italien, Joseph Ricciardi, écrivit une lettre à tous les libres penseurs de toutes les nations, pour les inviter à se réunir, le 8 décembre 1869, à Naples[12]. Parmi les adhésions, on remarqua celles de Garibaldi et de Victor Hugo. Non content de convoquer un anti-concile à Naples, le comité d'organisation prépara, dans les principales villes de l'Italie, des manifestations contre le concile du Vatican, lesquelles, disait-on, seraient en même temps des manifestations en faveur de l'unité nationale[13].

Malgré cet appel au patriotisme italien, l'anti-concile de Naples, et les manifestations populaires qui devaient l'accompagner, eurent un échec complet, Les organisateurs ne s'entendirent ni sur la méthode de propagande ni sur le programme de l'anti-concile. Tandis qu'un groupe de francs maçons, ayant pour chef le libre penseur Regnard, voulait déclarer que l'idée de Dieu est la source de tout despotisme et de toute iniquité[14], d'autres, plus circonspects et peut-être plus habiles, voulaient, à la suite de Ricciardi, se contenter de proclamer la liberté de la raison en face de l'autorité religieuse et la solidarité des peuples en face de l'alliance des princes et des prêtres. Trois réunions eurent lieu, les 9, 10 et 16 décembre. Celle du 10 fut l'occasion de clameurs si subversives, que la police déclara l'assemblée dissoute, parce qu'on était sorti du domaine de la philosophie pour entrer dans celui du socialisme[15] ; et, à la réunion du 16, le vacarme fut si violent, que le propriétaire de la salle refusa de recevoir désormais les congressistes. Ils ne purent trouver d'autre local pour se réunir, et la grandiose assemblée projetée finit dans le ridicule[16].

 

Dans le schisme et l'hérésie, l'Eglise a souvent vu aussi l'œuvre du démon ; mais elle n'a jamais oublié que ceux qui adorent le Christ n'ont pas rompu tout lien avec elle ; elle les appelle des frères séparés. Pie IX résolut d'inviter au concile leurs représentants hiérarchiques.

Le 8 septembre 1868, il écrivit aux évêques schismatiques du rite oriental, pour les inviter à venir assister au concile[17]. Puissiez-vous vous y rendre, disait le pontife, comme vos prédécesseurs se sont rendus au second concile de Lyon et au concile de Florence, pour que cesse enfin le schisme[18]. Quelques jours après, le 13 septembre, Pie IX adressa une lettre aux protestants, ou plutôt, d'une manière plus générale, à tous ceux qui, portant le nom de chrétiens, n'étaient pas en communion avec l'Eglise romaine. Un père, disait le pape, n'abandonne jamais ses enfants, lors même que ceux-ci l'ont abandonné. Puis, rappelant les signes de la vraie Eglise, il opposait à la stabilité de l'Eglise de Rome l'instabilité des autres sociétés chrétiennes. Il adjurait enfin tous les chrétiens de profiter de l'occasion que leur offrait le futur concile pour revenir dans le sein de cette Eglise dont leurs aïeux avaient jadis fait partie[19].

A Rome, on ne se laissait pas aller à des espérances exagérées sur le succès de ces invitations.

Pour ce qui concerne les soixante-dix millions de chrétiens qui, sous les noms de Coptes, de Jacobites, de Nestoriens, d'Arméniens, de Grecs et de Russes, constituaient le groupe des Eglises orientales non unies, le patriarche de Jérusalem, Mgr Valerga, préalablement consulté par le préfet de la Propagande, avait fait prévoir une réponse négative. Quelle fut l'impression produite, dans la masse des fidèles et parmi le clergé, par l'appel du pontife romain ? Il est difficile de le savoir. Beaucoup, sans doute, ignorèrent l'existence de la lettre pontificale. On sait pourtant que des évêques jacobites, au reçu de l'invitation du pape, crurent se conformer au désir de leurs peuples en répondant : Nous voulons bien aller au concile de Rome, si notre patriarche y consent. Mais le patriarche n'y consentit pas. Si le pape veut un concile, dit-il, qu'il vienne le tenir ici[20]. L'autocratie jalouse des patriarches, qui craignaient de voir diminuer leur autorité, le caractère trop strictement national donné à la religion dans les pays orientaux, les préjugés traditionnels contre Rome, et, pour ce qui concerne plus spécialement l'Eglise russe, le despotisme césarien qui pesait sur elle comme un cauchemar : tels furent les obstacles que rencontra l'invitation pontificale. En vain Pie IX déclara-t-il qu'il se chargerait des frais de voyage et de séjour, que les patriarches et évêques recevraient tous les honneurs dus à leur rang, qu'on mettrait à leur disposition des interprètes et qu'ils jouiraient d'une entière liberté de parole : nul prélat ne se rendit à l'appel. Les uns ne donnèrent aucune raison de leur refus, comme cet évêque syrien-jacobite de Jérusalem, qui lut la lettre, puis la déposa sur son bureau en se contentant de répondre : Bien[21]. D'autres, tels que le patriarche grec de Constantinople, prétendirent qu'ils croyaient bien à l'infaillibilité des conciles œcuméniques, mais qu'à leurs yeux de tels conciles étaient viciés par le fait seul que le pape n'y prenait pas rang comme un simple patriarche, égal aux autres. C'était, par un simple sophisme facile à réfuter, préjuger précisément la question à résoudre. En somme, les fins de non-recevoir opposées à l'invitation de Pie IX par les Eglises orientales non unies, doivent être attribuées au despotisme de leurs chefs religieux et civils.

L'opposition que l'appel du pape rencontra dans les Eglises protestantes fut de nature diverse. Aussi bien l'organisation de ces Eglises était-elle moins uniforme.

En Allemagne, un protestant qui devait plus tard abjurer l'hérésie, Reinhold Baumstark, écrivit une brochure en faveur du concile, dans lequel il voyait le moyen de réaliser l'union entre tous les fidèles du Christ[22]. Mais sa voix pacifique se perdit au milieu des clameurs hostiles de ses compatriotes luthériens. Le 20 octobre 1868, le nonce de Munich écrivait au cardinal Antonelli : La lettre du pape a suscité les articles les plus violents dans la presse protestante... Ces articles tendent à représenter cet acte paternel du Saint-Père comme une insulte et un défi, comme une sollicitation mal déguisée à retourner à la corruption du moyen âge et à la domination universelle des papes[23]. Le sentiment national, si étrangement exalté et perverti, se joignait à l'esprit hérétique, dans cette irritation de l'opinion publique. Le peuple allemand était, encore frémissant des fêtes grandioses célébrées à Worms, le 18 juin de cette même année, à propos de l'érection d'une statue colossale de Luther. Au moment où le roi de Prusse, Guillaume Ier, était apparu, entouré d'un brillant état-major, les cris de Luther ! Luther ! avaient été subitement couverts par ceux de Hourrah au roi Guillaume ! Hourrah à la Prusse ! Un groupe de manifestants avait même escaladé la tribune royale, et crié de là : Hourrah à l'empereur d'Allemagne ! Et le roi de Prusse avait visiblement salué d'un geste approbateur, à ce cri significatif. Ce fut au pied même du monument de Luther que le congrès de la Fédération générale protestante (protestantenverein) voulut rédiger une réponse au pontife romain. Nous, protestants, disaient-ils, assemblés aujourd'hui à Worms, au pied du monument de Luther, nous plaçant sur le terrain commun à tous de l'esprit chrétien, du patriotisme allemand et de la civilisation... nous protestons publiquement contre les prétendues lettres apostoliques du 13 septembre 1868... et nous repoussons avec énergie... toute prétention hiérarchique, toute autorité dogmatique, qui seraient pour nous comme autant de ponts destinés à nous mener à Rome[24].

En France, le représentant le plus noble de l'Eglise réformée, Guizot, s'honora en prononçant, dans une réunion, les paroles suivantes : Pie IX a fait preuve d'une admirable sagesse en convoquant cette grande assemblée, d'où sortira peut-être le salut du monde, car nos sociétés sont bien malades ; mais aux grands maux, les grands remèdes[25]. D'autres protestants, tels qu'Edmond de Pressensé, ne voyant dans la réunion du concile que le prélude de la consécration du Syllabus, et dans le Syllabus que l'asservissement absolu de la conscience[26], s'unirent à la campagne de la presse libre penseuse pour protester contre l'entreprise de Pie IX.

C'est en Angleterre, comme il était facile de le prévoir, que la lettre pontificale trouva les échos les plus sympathiques. Le mouvement d'Oxford avait habitué les esprits à l'idée d'une union des Eglises. Un professeur de Cambridge, Gérard Cobb, avait publié un ouvrage en ce sens, intitulé : le Baiser de paix ; il fit paraître un second livre ayant pour titre : Quelques mots sur la réunion et le futur concile de Rome. Un autre protestant, David Urquhart, dédiait au pape un ouvrage intitulé : Appel d'un protestant au pape pour le rétablissement du droit des nations, et provoquait parmi ses coreligionnaires l'envoi au souverain pontife d'une requête où on le suppliait de prendre en main, à l'occasion du futur concile, la cause du droit des gens[27]. Parmi les ritualistes, un certain nombre de pasteurs et de laïques, entre autres l'évêque écossais de Brechin, Forbes, résidant à Dundee, étaient très disposés à répondre aux avances de l'Eglise romaine. N'ayant pas d'objection contre l'œcuménicité du concile qui venait d'être convoqué par le pape, irrités de l'hostilité des pouvoirs civils à leur égard, persuadés d'ailleurs que, du moment que l'Eglise anglicane ne serait plus Eglise d'Etat en Irlande, les jours de l'Eglise anglicane comme Eglise d'Etat en Angleterre étaient comptés ; et, voyant par là se briser un des liens qui faisaient leur cohésion et leur force morale, ils se tournaient vers home avec confiance. Au mois de février 1869, un anglican ritualiste, John Stuart, archiviste général d'Ecosse, qui était en rapports scientifiques avec les Bollandistes de Bruxelles, mit l'évêque Forbes en relations avec le Bollandiste Victor de Buck, lequel avait publié, peu de temps auparavant, dans les Etudes des Pères de la Compagnie de Jésus, plusieurs articles empreints de sympathie pour le mouvement puseyiste[28]. Le savant jésuite n'était pas seulement un grand érudit ; il avait aussi la réputation d'un homme de haute doctrine ; le P. Général de la Compagnie de Jésus l'avait nommé, le mois précédent, sou théologien au concile général[29]. Mais, dès les premières lettres échangées avec le prélat anglican, le jésuite s'aperçut qu'un homme multipliait les obstacles à l'entente. Cet homme était Pusey. Forbes concertait avec lui ses réponses. Or Pusey ajoutait sans cesse aux premières objections soumises par l'évêque écossais, des objections nouvelles. Il se montrait blessé de ce que les évêques anglicans n'avaient pas été personnellement invités comme ceux des Eglises orientales non unies ; plus blessé encore d'être traité comme un hérétique. Il avouait cependant ne pas admettre certains points du dogme catholique relatifs à la transsubstantiation et à l'autorité du pape. Quant au concile, sous prétexte que les évêques anglicans n'y avaient pas été personnellement convoqués, il niait son œcuménicité. Pusey arrête tout, écrivait le P. de Buck[30] ; et un ritualiste de Cambridge, en faisant savoir au Père jésuite que Pusey élevait toutes les difficultés imaginables pour empêcher qu'on ne fit rien par rapport au concile, ajoutait : Parlez-moi de l'infaillibilité du Saint-Siège ! Ce n'est rien eu comparaison de la nécessité de faire abandon absolu de foi, de raison et de toute chose entre les mains du grand docteur Pusey en personne,  qui règne comme chef suprême parmi nous, anglicans[31]. Tel fut le premier obstacle aux négociations. Il s'en rencontra un second. Le P. de Buck, ne se croyant pas autorisé à traiter l'affaire en personne, avait décidé de la mettre entre les mains de Mgr Dupanloup, intermédiaire volontiers accepté par les anglicans[32] ; mais le cardinal Bilio exigeait que les négociations fussent conduites par Mgr Manning, avec qui les ritualistes ne voulaient traiter à aucun prix. Bref, le P. de Buck s'étant rendu à Rome, la Congrégation du Saint-Office, par une décision du 15 novembre 1869, lui enjoignit de rompre ses pourparlers avec les anglicans[33].

La lettre pontificale ne reçut pas un meilleur accueil parmi les protestants de Suisse, de Hollande, d'Autriche et d'Amérique[34], et les négociations en restèrent là, négativement résolues.

Une autre question, non moins délicate, était celle de la représentation, à l'assemblée œcuménique, des princes catholiques. Depuis le concile de Nicée, où l'empereur Constantin avait occupé une place d'honneur, les empereurs et les rois chrétiens avaient pris part, soit par eux-mêmes, soit par un ambassadeur, à tous les conciles généraux. Mais les rapports de l'Eglise et des Etats se trouvaient si profondément changés depuis la chute de la Chrétienté, qu'on se représentait difficilement un souverain moderne mêlé dans la salle des délibérations au corps épiscopal. Après mûr examen de la question par la Congrégation préparatoire du concile, il fut décidé que les princes catholiques pourraient assister aux sessions solennelles, mais qu'ils ne seraient pas invités à prendre part aux délibérations. Le cardinal Antonelli fut chargé d'expliquer aux représentants du corps diplomatique que le Saint-Père n'avait nullement l'intention de tenir les princes à l'écart, mais que, à cause de l'impossibilité de convoquer indistinctement tous les souverains de la catholicité, l'un d'eux étant sous le coup d'une excommunication, ii se bornait à demander, en termes généraux, leur concours bienveillant[35].

Cette décision parut d'abord satisfaire les esprits appartenant aux partis les plus opposés. Le 10 juillet 1868, un député libéral, Emile Ollivier, disait à la Chambre des députés : Messieurs, je ne connais pas, depuis 1789, d'événement aussi considérable ; c'est la séparation de l'Eglise et de l'Etat opérée par le pape lui-même. L'Eglise, pour la première fois, dit aux pouvoirs laïques : Je veux être, je veux agir en dehors de vous et sans vous. J'ai une vie propre, que je tiens de mon origine divine. Cette vie me suffit ; je ne vous demande rien que le droit de nie régir à ma guise. Messieurs, je trouve ce langage d'une audace imposante ; il me frappe de respect et d'admiration[36]. Le lendemain, on put lire dans le journal l'Univers, sous la signature de Louis Veuillot, les lignes suivantes : On entrevoit l'organisation chrétienne et catholique de la démocratie. Sur les débris des empires infidèles, on voit renaître plus nombreuse la multitude des nations, égales entre elles, libres, formant une confédération universelle dans l'unité de la foi, sous la présidence du pontife romain, également protégé et protecteur de tout le monde ; un peuple saint, comme il y a eu un saint empire. Et cette démocratie baptisée et sacrée fera ce que les monarchies n'ont pas su ou n'ont pas voulu faire : elle abolira partout les idoles, elle fera régner éternellement le Christ[37].

Ces perspectives optimistes furent loin de se réaliser, Une agitation diplomatique, organisée en vue du concile,- ne tarda pas à se produire. Le promoteur de cette agitation fut un docteur allemand dont le nom reviendra plusieurs fois au cours de cette histoire, le docteur Dœllinger, professeur à Munich. Blessé, dit-ou, de n'avoir point été choisi pour faire partie d'une des commissions préparatoires du concile[38], il devait entretenir, hors du concile, une agitation incessante. Sa première démarche fut de suggérer au prince Clovis de Hohenlohe, ministre de Bavière, l'idée d'intervenir auprès des divers cabinets européens pour les mettre eu garde contre le péril dont les menaçait le futur concile. Il ne s'agissait de rien de moins, disait-il, que de déclarer les propositions du Syllabus dogmes de foi, c'est-à-dire d'y proclamer l'absolue sujétion des Etats à l'autorité du pontife de Rome. Effectivement, sur les sollicitations pressantes de Dœllinger, le prince de Hohenlohe communiqua, le 9 avril 1869, à tous les cabinets de l'Europe une dépêche conçue en ce sens, et leur soumit l'idée d'une conférence internationale eu vue de conjurer le danger.

Le résultat voulu ne fut pas complètement atteint, La conférence projetée n'eut pas lieu. Bismarck déclara qu'une intervention des puissances dans les affaires de l'Eglise catholique lui paraîtrait se rattacher à un état de choses à jamais disparu. 11 ajouta cependant que la curie romaine rencontrerait de sa part une énergique résistance du jour où elle se permettrait des empiétements sur le temporel. Le prince de la Tour d'Auvergne, ministre des affaires étrangères en France, déclara, de son côté, que l'empereur était disposé à juger les actes du concile dans un esprit large et libéral, mais qu'il 'était résolu à défendre avec énergie, s'il en était malheureusement besoin, les droits dont la confiance de la nation française l'avait rendu dépositaire.

Cette attitude d'expectative menaçante fut à peu près celle de tous les cabinets européens[39].

 

II

Dans le monde catholique, l'annonce d'un concile universel avait d'abord excité une joie unanime. D'innombrables évêques de tous pays parlèrent à leurs troupeaux de la future assemblée. On remarqua spécialement une très belle lettre de Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans[40], qui eut un grand nombre d'éditions, et fut, au lendemain de sa publication, traduite en allemand, en espagnol, en anglais, en italien, en polonais, en hongrois et en flamand[41].

Mais cet accord universel ne pouvait durer longtemps. Les grandes polémiques soulevées naguère à propos du journal l'Avenir, de la campagne pour la liberté d'enseignement, de la question des classiques, de tant d'autres questions philosophiques, sociales et politiques, n'avaient pas disparu sans laisser, dans les esprits des combattants, des irritations prêtes à se transformer en nouvelles controverses. Les encycliques Mirari vos et Quanta cura avaient pu faire l'unité dans la foi et dans la discipline ; elles avaient laissé subsister la diversité des tendances. Un Veuillot, un Manning n'envisageaient pas les questions au même point de vue qu'un Dupanloup ou un Newman. Or, ce qui les distinguait les uns et les autres, c'était, avec un égal désir de servir l'Eglise, une ardeur clans la lutte, une impétuosité dans l'attaque et dans la riposte, que de récents combats contre l'incrédulité avaient avivées, et qui allaient malheureusement se dépenser eu querelles intestines. Toutes les questions controversées, d'ailleurs, n'avaient pas été résolues par les dernières décisions pontificales. Le programme du concile allait en soulever de nouvelles, de plus brûlantes encore. Ce que Pie IX avait appelé la période de lutte contre les puissances infernales était à peu près fini ; mais la période des luttes suscitées par les passions, les malentendus et les incompréhensions réciproques des hommes, allait s'ouvrir.

La publication dans la Civiltà cattolica d'une correspondance anonyme, qui fut-regardée comme un manifeste des ultramontains, la controverse qui s'éleva en Allemagne entre le Dr Dœllinger et le Dr Hergenröther, l'apparition d'un livre de Mgr Maret sur le Concile et la paix religieuse, la publication dans le Correspondant d'un article où l'on vit le programme des libéraux, et l'entrée en campagne de Mgr Dupanloup par la publication d'une brochure intitulée : Observations sur la controverse soulevée relativement à la définition de l'infaillibilité : tels furent les principaux incidents de cette période de luttes.

Le 6 février 1869, la Civiltà cattolica, revue italienne rédigée par des Pères de la Compagnie de Jésus, publia, sur le futur concile, une longue correspondance française, dans laquelle on lisait : Nul n'ignore que les catholiques de France sont malheureusement divisés en deux parts : les uns simplement catholiques, les autres qui se disent catholiques libéraux... Les catholiques proprement dits... croient que le futur concile sera fort court, et ressemblera, sous ce rapport, au concile de Chalcédoine... en sorte que la minorité, si éloquente qu'elle puisse être, ne pourra fournir une longue opposition. Au point de vue dogmatique, les catholiques désirent la proclamation, par le futur concile œcuménique, des doctrines du Syllabus... Ils accueilleraient avec bonheur la proclamation par le futur concile de l'infaillibilité dogmatique du souverain pontife... On ne se dissimule pas que le pape, par un sentiment d'auguste réserve, ne voudra peut-être pas prendre lui-même l'initiative de la proposer... Mais on espère que l'explosion unanime de l'Esprit-Saint, par la bouche des Pères du futur concile œcuménique, la définira par acclamation[42].

L'apparition de l'article de la Civiltà eut un immense retentissement et souleva les protestations les plus vives. De quel droit, disait-on, la feuille romaine, ayant à parler de deux fractions de catholiques qui font également profession de soumission à l'Eglise et au Saint-Siège, se permet-elle d'appeler les uns, à l'exclusion des autres, les catholiques proprement dits ? Au surplus, la manière dont s'exprimait l'auteur de l'article lorsqu'il parlait des désirs des catholiques proprement dits, ne donnait-elle pas à ses vœux des allures de sommation ? Enfin, les objets de ces vœux, si impérativement formulés, étaient-ils bien dans l'esprit de l'Eglise ? En souhaitant que le concile fût fort court, et même que les votes se fissent par acclamation, oubliait-on que, si Bellarmin et autres théologiens ont rejeté le concile de Constance définissant la supériorité du concile (sur le pape), c'est précisément parce que ce décret a été porté sans discussion suffisante ?[43] Avait-on bien réfléchi que l'Esprit-Saint n'inspire pas l'Eglise, mais l'assiste, et que, si Dieu, qui mène tout, devait vouloir que quelque chose fût défini par le concile sur l'infaillibilité du pape, cette définition devrait se faire, non par acclamation ou avec précipitation, mais après mûre considération de l'opportunité, du fond et de la forme ?[44]

Dans un article du 17 avril 1869, la Civiltà se défendit d'avoir osé fixer la durée du concile et de l'avoir extrêmement limitée, afin de rendre ainsi impossible un examen approfondi des questions. — Il faudrait pour cela, ajoutait-elle, que nous ne connaissions pas même les premiers éléments de la théologie[45]. La Revue romaine déclarait d'ailleurs qu'en accueillant la correspondance incriminée elle n'avait pas entendu faire sien tout ce qu'elle contenait[46]. Mais ces explications n'amenèrent point la paix. Les esprits étaient irrités. Une polémique s'engagea, au cours de laquelle le journal allemand Allgemeine Zeitung, avec une acrimonie insolente, et le journal le Français, avec une modération relative, maintinrent leurs accusations contre la Civiltà cattolica. La feuille allemande n'hésita pas à rendre responsables de ce qu'elle appelait un attentat aux droits de l'Eglise, la Compagnie de Jésus, la cour de Rome, le souverain pontife lui-même. On n'exagère pas, disait-elle[47], en supposant que les idées de la Civiltà concordent avec celles du Chef suprême et des autres têtes de la cour de Rome.

On sut plus tard que l'auteur des violents articles publiés sous le voile de l'anonymat dans l'Allgemeine Zeitung était le docteur Ignace von Dœllinger, professeur à la Faculté de théologie de Munich. Entre Ignace von Dœllinger et Félicité de La Mennais, certains points de ressemblance sont frappants. Dœllinger avait jadis pris une part insigne au réveil de l'Allemagne catholique ; il avait lutté, comme publiciste et comme parlementaire, contre le despotisme religieux de l'Etat. Il avait figuré en 1848 parmi les fossoyeurs du joséphisme ; et, dans ce temps-là, on lui avait fait un renom d'ultramontain, qu'il avait accepté[48].

L'université de Munich vénérait eu lui une gloire ; et l'histoire ecclésiastique, un maître. Il avait des disciples enthousiastes. Depuis vingt-cinq ans, dit un historien allemand de la théologie[49], on le tenait pour un des premiers théologiens de l'Allemagne. Il avait conscience de sa valeur, de sa renommée, de son ascendant, et peut-être en exagérait-il la puissance. Sa parole était vive, colorée, nerveuse, tranchante. Un de ses contemporains l'a dépeint en ces termes : Sa tête est forte, grave ; l'œil a la limpidité froide et la pénétration impassible du collectionneur d'idées et de faits ; le rictus ironique de la lèvre exclut toute passion, si ce n'est celle du savoir[50]. Ce savoir était immense. Dœllinger était, avant tout, un savant. Ce titre semblait tout dominer chez lui, même, osons le dire, car ce fut l'impression de ceux qui l'approchèrent, celui de prêtre. Sa formation théologique était incomplète. Il n'avait jamais bien compris le rôle du magistère de l'Eglise, et se faisait une idée fausse de la fonction du théologien. Dans un discours fameux, prononcé en 1863, au congrès scientifique de Munich, il s'était écrié : De même qu'au temps des Juifs, à côté du sacerdoce, il y avait le prophétisme, de même dans l'Eglise, à côté du pouvoir ordinaire, il y a un pouvoir extraordinaire, qui est l'opinion publique. Par elle, la science théologique exerce l'influence qui lui revient et à laquelle, à la longue, rien ne résiste[51]. Comme La Mennais, Dœllinger rêvait d'un accord entre l'Eglise et les idées modernes. Entouré de protestants, le rapprochement des Eglises obsédait sa pensée. Il s'y intéressait comme catholique, a-t-on dit, et plus encore peut-être comme Allemand[52]. — En 1850, à l'assemblée catholique de Linz, il avait tracé l'architecture d'une Eglise nationale allemande, qui, dans la vaste unité romaine, aurait sa vie propre, son organisation propre, ses conciles, sa littérature, et dont l'institution serait une première étape vers la réunion des confessions chrétiennes[53].

Vers la fin de 1869, Dœllinger, de plus en plus confiant en la puissance victorieuse de sa science, résolut de réunir en un petit volume les cinq articles parus dans l'Allgemeine Zeitung. Je rassemble, écrivait-il le 29 novembre[54], les témoignages, les explications nécessaires pour décider définitivement la question de l'infaillibilité. Le volume parut sous ce titre : le Pape et le Concile, et sous le pseudonyme de Janus. L'auteur ne se contentait pas de dire, comme l'avait fait le rédacteur du Français, que la proclamation de l'infaillibilité du pape lui paraissait inopportune ; il attaquait à fond la thèse elle-même. Il allait plus loin encore, et soutenait que le concile, quoi qu'il décidât, n'aurait aucune autorité, parce qu'il ne serait pas libre. Peut-on en effet, disait-il, appeler libre une assemblée d'hommes à qui on fait un devoir de conscience, juré sur l'honneur, de considérer comme but principal de leurs efforts le maintien et l'accroissement de la puissance du pape ? Une réunion d'hommes qui vivent dans l'effroi d'attirer sur eux le déplaisir de la curie, qui redoutent les entraves que Rome peut apporter à l'exercice de leurs fonctions ?[55]

Un docteur d'une érudition égale à celle de Dœllinger, et d'une science théologique de meilleur aloi, le futur cardinal Hergenröther, prit la plume, et, dans un ouvrage qu'il appela l'Anti-Janus, soumit le pamphlet à une critique sévère, convainquit son auteur d'avoir plus d'une fois altéré les textes, de les avoir plus souvent arbitrairement choisis et systématiquement groupés, enfin d'en avoir tiré des conclusions fantaisistes par des procédés où la logique était terriblement malmenée. Un prêtre allemand déjà révolté, et qui devait plus tard se séparer de l'Eglise par une complète apostasie, Frohschammer, fit subir à l'œuvre de Dœllinger une critique en un sens plus terrible. Il démontra sans peine que Janus, s'il voulait être conséquent avec ses principes, devait aller plus loin, nier non seulement l'infaillibilité du pape, mais celle de l'Eglise, par suite se séparer d'elle et abandonner la foi chrétienne.

Pendant que les diverses phases de cette discussion se déroulaient en Allemagne, une controverse avait surgi en France, à propos d'un ouvrage publié en septembre 1869 par le doyen de la Faculté de théologie de Paris, Mgr Maret, évêque in partibus de Suva. Le livre avait pour titre : Du Concile général et de la paix religieuse[56].

L'auteur, se plaçant sur un autre terrain que le journal le Français, lequel ne combattait que l'opportunité de la définition de l'infaillibilité pontificale, et que le Dr Dœllinger, lequel battait en brèche la thèse même de l'infaillibilité, prétendait ne combattre que la doctrine de ce qu'il appelait l'infaillibilité personnelle et séparée. L'infaillibilité pontificale, disait-il[57], peut être entendue de diverses manières. Celle qui semble prévaloir dans l'école qui appelle de ses vœux la définition conciliaire, est la plus absolue de toutes. Dans ce système, l'infaillibilité dogmatique est un privilège entièrement et exclusivement personnel au pontife : c'est-à-dire un privilège dru pontife enseignant seul et sans aucun concours nécessaire de l'épiscopat. Ainsi entendue, l'infaillibilité est identique à la monarchie pure, indivisible, absolue du pontife romain.

L'auteur résumait sa propre doctrine dans les lignes suivantes : Le pape est, de droit divin, le chef suprême de l'Eglise ; les évêques, de droit divin, participent, sous son autorité, au gouvernement de la société religieuse. La souveraineté spirituelle est donc composée de deux éléments essentiels : l'un principal, la papauté ; l'autre subordonné, l'épiscopat. L'infaillibilité, qui forme le plus haut attribut de la souveraineté spirituelle, est nécessairement aussi composée des éléments essentiels de la souveraineté[58]... Cette doctrine me paraît facilement conciliable avec les doctrines les plus modérées de l'école qui porte le nom d'ultramontaine. L'infaillibilité n'y est pas niée, niais ramenée à sa vraie nature[59]. En dehors de cette thèse principale, l'évêque de Sura préconisait la tenue périodique des conciles généraux, et disait que, sans se porter solidaire de toutes les doctrines qualifiées de gallicanes, sans se porter solidaire d'aucune assemblée, d'aucune déclaration, et en professant tout le respect qui est dû aux décisions et bulles de Sixte IV, d'Alexandre VII, de Clément XI et de Pie VI, le gallicanisme théologique, le gallicanisme de l'épiscopat français lui paraissait contenir un fond de vérité éternelle et nécessaire[60]. Prévoyant qu'on l'accuserait de discuter publiquement une des questions qui allaient être soumises aux délibérations conciliaires, il se prévalait de son titre d'évêque, de la liberté qui lui semblait devoir appartenir à la préparation du concile comme à ses débats, et du fait que plusieurs de ses collègues avaient déjà porté la question devant le public[61].

L'ouvrage, par lui-même, touchait à des questions brûlantes ; mais la querelle qu'il souleva fut surtout envenimée par la presse. Plusieurs mois avant l'apparition du livre, le Figaro, l'Indépendance belge, plusieurs autres feuilles avaient, répandu à son sujet les bruits les plus fantaisistes. L'auteur, disait-on, s'était préalablement concerté avec l'empereur ; il n'était, d'ailleurs, que le porte-voix d'un groupe important d'évêques.

Le livre, ajoutait-on, est déjà traduit en latin et dans les principales langues européennes ; et pourtant, ni l'ambassadeur d'Espagne, ni le nonce apostolique, ni les jésuites eux-mêmes n'avaient pu se procurer la moindre feuille d'épreuves. Rien de tout cela n'était vrai. Mais l'agitation produite par ces bruits était à son comble quand l'ouvrage fut mis en vente. Les esprits les plus calmes s'échauffèrent. Dans l'Univers, Louis Veuillot s'autorisa précisément du bruit qui s'était fait jusque-là pour élever la voix avec plus de liberté.

Mgr Maret jette son livre dans le public : c'est sans doute pour qu'on le lise ; il doit vouloir qu'on l'apprécie, il doit souffrir qu'on l'accuse ! Mgr Pie, évêque de Poitiers, Mgr Doney, évêque de Montauban, Mgr Plantier, évêque de Nîmes, Mgr Delalle, évêque de Rodez, et Mgr Manning, archevêque de Westminster, se croyant visés dans les opinions combattues par Mgr Maret, critiquèrent vivement son collyre. La presse religieuse s'en mêla. Le Correspondant et le Français ripostèrent à l'Univers.

En ayant l'air de n'attaquer que l'infaillibilité personnelle et séparée du pape, disaient les uns, c'est à son magistère suprême qu'on en veut. — Singulière façon, répliquaient les autres, d'honorer la tête de l'Eglise, que de la séparer de son corps[62].

Au milieu de ces disputes, l'évêque de Sura dut intervenir plusieurs fois. A maintes reprises, il n'hésita pas à déclarer que, quelle que fût la décision du concile, la soumission lui serait douce. Il devait tenir parole, et déclarer plus tard, en un langage d'une grande élévation, qu'il reprenait tout ce qui, dans ses œuvres, se trouverait en désaccord avec la définition conciliaire de l'infaillibilité[63].

Mais le chef français de l'école à laquelle s'attaquaient la Civiltà et l'Univers n'était pas Mgr Maret ; aux yeux de tous, partisans et adversaires ; c'était Mgr Dupanloup. Depuis son intervention décisive dans la campagne menée pour la conquête de la liberté d'enseignement, la situation de Mgr Dupanloup n'avait cessé de grandir. Ses luttes pour l'indépendance du pouvoir temporel du Saint-Siège lui avaient valu les plus chaudes félicitations de Pie IX. D'extraordinaires qualités d'intelligence, dit le P. Granderath[64], un savoir singulièrement profond, n'étaient pas les seules raisons de sa prééminence ; ce qui dominait en lui et le caractérisait, c'était une activité sans relâche. Après avoir été l'inspirateur de l'Ami de la religion et du Journal des Villes et des Campagnes, il avait fondé, au commencement de l'année 1868, le journal le Français[65] ; et les rédacteurs du Correspondant avaient habituellement recours à ses conseils. Dans les articles du Français, qui répliquèrent à la correspondance française de la Civiltà, amis et adversaires avaient reconnu sa plume[66] ; dans une sorte de manifeste que publia, le 10 octobre 1869, le Correspondant, on vit son inspiration[67]. En un langage très élevé, sous des formes prudentes au dire des uns, habiles au jugement des autres, l'auteur de l'article exprimait ses espérances relativement au futur concile. Il ne pouvait se figurer que la convocation des Etats généraux de l'Eglise pût aboutir à la proclamation d'une monarchie despotique. Une telle issue serait également contraire aux lois de l'histoire et aux traditions de l'Eglise. L'auteur espérait que les évêques, bien loin de consacrer certaines propositions absolues, dont le sens mal saisi avait troublé l'Eglise, s'attacheraient à les expliquer ou à les écarter.

Ce manifeste souleva de nouvelles polémiques. Louis Veuillot l'attaqua vivement dans l'Univers[68]. Mgr Pie blâma ce langage d'une suffisance hautaine[69]. Toute la presse religieuse de France, d'Italie, d'Allemagne et d'Angleterre s'en occupa[70].

L'agitation redoubla quand, le 11 novembre 1869, Mgr Dupanloup, en son propre nom, intervint publiquement dans la polémique par une brochure sous forme de lettre écrite à son clergé et portant ce titre : Observations sur la controverse soulevée relativement à la définition de l'infaillibilité.

Le biographe de l'évêque d'Orléans, qui était alors son familier, raconte qu'avant de faire cette publication, le prélat s'était livré le plus rude combat[71]. Jamais on ne l'avait vu si perplexe. Parmi les amis qu'il consulta, les uns, en particulier le comte de Falloux[72], le conjurèrent de garder sa situation intacte pour les débats du concile. D'autres l'engagèrent à aller de l'avant. Il écouta ces derniers conseils. L'avenir montra que la voie indiquée par le comte de Falloux eût été la plus sage. Cette intervention dans la mêlée, au point d'irritation où en étaient alors les esprits, compromit l'autorité de l'évêque d'Orléans dans le concile, souleva contre lui des polémiques qui l'irritèrent. Lui qui, dans la campagne pour la liberté de l'enseignement, avait été un agent si merveilleux de conciliation, un négociateur si habile et si heureux, ne put pas jouer le même rôle dans l'assemblée des évêques. Mgr Dupanloup s'est noyé, disait à M. Icard, le 28 novembre 1869, l'ancien évêque de Luçon, Mgr Baillès, en rencontrant à Rome le directeur du Séminaire de Saint-Sulpice[73] ; et ce dernier, théologien de l'archevêque de Sens, constatait, dès son arrivée à Rome, que l'évêque d'Orléans, par la publication de sa lettre et par la situation troublée qui en était résultée, avait perdu à jamais et l'ascendant que son talent et sa piété lui eussent pu donner sur ses collègues, et le calme même dont il aurait eu personnellement besoin dans ses discours et ses démarches[74].

L'écrit de Mgr Dupanloup exposait les principales raisons qu'on pouvait faire valoir, selon lui, contre l'opportunité d'une définition de l'infaillibilité pontificale. Or, parmi ces objections, il en était qui portaient sur le fond même de la question, sur les difficultés que rencontraient certains esprits à concilier l'infaillibilité du pape avec certains faits historiques ; et ces objections étaient présentées sous une forme si vive, si saisissante, qu'on y trouva prétexte à l'accuser d'attaquer la doctrine elle-même[75]. A. tout le moins pouvait- on dire qu'une pareille lettre pastorale révélait le polémiste plus que le pasteur des âmes.

Le 18 novembre, Louis Veuillot écrivit dans l'Univers : Cette lettre donne une tête épiscopale à cette prise d'armes... L'opposition a désormais son chef. Là fut le malheur. L'évêque d'Orléans arriva à Rome avec la renommée d'un chef de parti, d'un chef d'opposition[76]. Il n'était pas permis d'oublier cependant que, dans la lettre d'adieux qu'il adressait à ses fidèles, le prélat avait écrit que, obéissant, et obéissant jusqu'à la mort, il adhérerait fidèlement aux décisions du chef de l'Eglise et du concile, quelles que fussent ces décisions, conformes ou contraires à sa pensée particulière[77].

A mesure que la date fixée pour la réunion de l'assemblée approchait, des voix pacificatrices se faisaient entendre. Le 28 octobre 1869, l'archevêque de Paris, Mgr Darboy, publia une Lettre pastorale, dans laquelle, après avoir brièvement exposé la nature des conciles œcuméniques, il cherchait à calmer les inquiétudes excitées par certaines rumeurs malveillantes[78]. Le 1er novembre, Mgr Manning, archevêque de Westminster, conviait à son tour les fidèles de son diocèse à attendre avec confiance les décisions du futur concile[79]. Quelques jours après, le rédacteur en chef du Correspondant, Léon Lavedan, écrivait : Le respect, le devoir, la confiance nous imposent à l'envi le silence et la paix : c'est la Trêve de Dieu[80].

Les esprits étaient encore trop excités pour conclure une trêve durable. D'ailleurs, comme à Trente, comme à Nicée, de nouveaux sujets de divergences allaient surgir Au sein même des débats conciliaires. Mais désormais, au milieu des agitations des hommes, l'Esprit-Saint, planant au-dessus de l'assemblée œcuménique par sa divine assistance, allait réaliser l'œuvre de Dieu.

 

III

Le 8 décembre 1869, après une journée d'abstinence et de jeune, que le Saint-Père avait prescrite à l'univers catholique, le XIXe concile général de l'Eglise catholique s'ouvrit à Rome[81]. Plus de sept cents évêques, abbés et généraux d'ordres[82], prirent place dans la salle conciliaire, disposée dans le bras gauche de la croix latine que forme la basilique de Saint-Pierre. Dans cette vaste enceinte, large de 23 mètres sur 47 mètres de long, toutes les nations étaient représentées : les jeunes Eglises d'Amérique à côté de celles de la vieille Europe ; l'Eglise latine avec ses pasteurs revêtus de la chape blanche et portant, suivant les prescriptions liturgiques, une mitre de simple lin, et Eglise orientale, avec ses prélats ha billés de somptueuses tuniques et coiffés de riches tiares. Les évêques missionnaires aux vêtements simples et pauvres, les évêques réguliers, unissant aux insignes de leur prélature les livrées de leur profession religieuse, les abbés et les généraux d'ordres, étaient facilement reconnaissables[83].

Unis dans la même foi et soumis à un même chef, ces représentants de toutes les civilisations et de toutes les races ne différaient pas moins entre eux par leurs habitudes nationales que par leurs costumes. Les évêques orientaux, élus par le clergé et par le peuple, et sacrés par des patriarches, qui eux-mêmes prenaient le gouvernement de leurs patriarcats avant d'avoir reçu la confirmation de leur autorité par le pape, étaient, on le savait à Rome, d'autant plus jaloux de leur pouvoir, de leur indépendance, de leurs coutumes nationales, qu'ils comptaient parmi leurs fidèles un bon nombre de schismatiques récemment convertis dont ils tenaient à ménager les susceptibilités. On n'ignorait pas, non plus, au Vatican que les évêques des Etats-Unis croyaient devoir garder à l'égard de leurs peuples des ménagements semblables ; que, dans cette pensée, ils avaient parlé le moins possible du Syllabus ; que plusieurs apporteraient, sans doute, dans les délibérations, les habitudes démocratiques de leur pays. L'épiscopat slave et hongrois n'inspirait aucune crainte relativement à l'orthodoxie ; mais des évêques comme celui de Diakovar, Mgr Strossmayer, chefs de peuples en même temps que pasteurs des âmes, à la manière des grands évêques du Ve siècle, pouvaient apporter à l'assemblée des initiatives gênantes pour le bon ordre général. Parmi les prélats allemands, n'avait-on pas à craindre

de rencontrer quelques esprits imbus des témérités disciplinaires et doctrinales de Dœllinger ? Quant aux évêques français, ils arrivaient à Rome, nettement divisés en trois partis, dont les polémiques, amplifiées par la presse, étaient encore retentissantes.

En de pareilles conjonctures on comprend que le souverain pontife, ayant à décider l'importante question du règlement du concile, se soit demandé s'il était prudent de le laisser élaborer, suivant les usages constants des précédentes assemblées conciliaires, par le concile lui-même. On pouvait légitimement redouter que cette élaboration ne devint l'occasion de malentendus pénibles et, par là même, de discussions interminables. D'autre part, imposer à l'assemblée, contrairement aux traditions constantes de l'Eglise, un règlement tout fait, pouvait susciter de vifs mécontentements. Après avoir mûrement pesé le pour et le contre, Pie IX se décida pour ce dernier parti[84]. Le règlement du concile, préparé par la Commission préparatoire sous la direction de Pie IX, fut porté à la connaissance des Pères dans la séance présynodale du 2 décembre, par l'acte connu sous le nom de Lettre Multiplices[85].

L'émoi fut grand. Le pape, en vue de simplifier et d'accélérer les délibérations du concile, avait accentué le caractère centralisateur du règlement. D'après sa Lettre apostolique, en effet : 1° le droit de proposer une question au concile appartiendrait exclusivement au Saint-Siège ; les Pères étaient autorisés cependant à faire des motions, mais à la condition de les faire privatim, en leur propre nom, et après une communication préalable à une congrégation nommée par le pape ; 2° les projets, élaborés depuis deux ans par des commissions de théologiens, seraient d'abord proposés aux congrégations générales qui précéderaient les sessions ; ces congrégations générales auraient pour présidents les cardinaux de Luca, Bilio, de Reisach, Bizzarri et Capalti, directement désignés par le pape ; 3° le pape, informé par les congrégations, aurait le droit exclusif de décider si les propositions émanant des évêques devaient être soumises aux délibérations ou définitivement rejetées.

Ceux des évêques que l'article de la Civiltà avait troublés, virent dans ce règlement la confirmation de leurs anxiétés. N'y avait-il pas dans ces mesures l'indice, d'une méfiance à l'égard de l'épiscopat, d'un désir de faire prévaloir un programme fixé d'avance en obstruant d'une manière systématique, en étouffant, pour ainsi dire, les délibérations du concile Le langage des journaux qui se faisaient les plus ardents défenseurs du Saint-Siège semblait justifier ces craintes. Quand le pape proclamera la définition de l'infaillibilité..., écrivait Louis Veuillot dans l'Univers du 4 décembre[86]. Les déclarations formelles de Pie IX vinrent calmer ces appréhensions. Dans une audience accordée le 4 décembre à quinze évêques, il leur donna l'assurance que sa seule intention avait été de mettre de l'ordre dès le commencement, et qu'il voulait qu'ils fussent tous libres[87]. De fait, on allait bientôt constater que toute liberté était laissée aux orateurs d'exposer leurs opinions. Le pape se refusa énergiquement à une modification immédiate du règlement ; mais, vers la fin du mois de décembre, il fit savoir aux évêques, d'une manière officieuse, que, malgré la lettre des prescriptions pontificales, il leur serait permis de travailler par groupes à la rédaction de leurs propositions[88]. Vers la fin de janvier, il déclara qu'une interprétation large du règlement serait appliquée suivant les circonstances[89], et, le 20 février 1870, il y apporta, de sa propre initiative, en s'inspirant des nécessités révélées par l'expérience, d'importants changements[90]. Le nouvel acte pontifical proclamait hautement le principe de la pleine liberté de discussion, integram eam discussionum libertatem qua Ecclesiæ catholicæ episcopos decet, permettant seulement au président de mettre aux voix, sur la proposition de dix Pères, la clôture de la discussion lorsque celle-ci se prolongerait outre mesure. Le droit (l'amendement sur les projets ou schémas proposés par le Saint-Siège, était officiellement reconnu et réglementé. Le droit de réponse aux orateurs, le mode de votation dans les scrutins étaient aussi l'objet de dispositions spéciales. Le nouveau règlement ne fut pas à l'abri de toute réclamation. Plusieurs évêques demandèrent qu'il fût spécifié que les décisions du concile seraient prises, suivant un usage qui leur paraissait traditionnel, à l'unanimité morale et non, comme semblait le dire l'acte de Pie IX, à la majorité numérique. Mais les Présidents ayant donné l'assurance que les nouvelles prescriptions seraient appliquées dans l'esprit le plus bienveillant à l'égard des Pères du concile[91], l'agitation se calma peu à peu.

Deux autres documents pontificaux, après avoir soulevé d'abord dés émotions semblables, furent finalement reconnus dictés par la sagesse et par un vrai sentiment des opportunités. Nous voulons parler de la bulle Apostolicæ Sedis, du 12 octobre 1869, renouvelant à fond la législation des censures, et de la Constitution apostolique du 4 décembre, réglant l'élection du souverain pontife pour le cas où le Saint-Siège deviendrait vacant pendant la durée du concile œcuménique.

L'idée de codifier et de simplifier le droit pénal de l'Eglise était d'une opportunité manifeste. Les textes édictant les différentes censures : excommunications, suspenses et interdits, censures réservées ou non réservées, censures latæ ou ferendæ sententiæ, se trouvaient dispersés un peu partout, dans les Décrétales, dans les canons des conciles, dans les bulles pontificales, dans les décrets dis Congrégations romaines, où l'on avait grand'peine à les retrouver. Mais il parut étrange à quelques évêques qu'une affaire de cette nature, intéressant l'épiscopat aussi bien que le Saint-Siège, fût traitée et résolue sous les yeux du concile et sans sa participation. D'autres se rendirent compte qu'un pareil travail convenait mieux à une commission peu nombreuse, comme celle à qui le Saint-Père avait confié la préparation de la bulle, qu'à une immense assemblée, sollicitée par des questions d'une plus grande importance. On faisait à la bulle un autre reproche. Parmi les innovations qu'elle apportait au droit pénal, elle considérait comme excommuniés tous les magistrats, tous les législateurs qui obligeraient les clercs à comparaitre devant les tribunaux-séculiers[92]. En présence d'un texte aussi précis, les législateurs et les magistrats catholiques de tous les Etats se trouvaient mis en demeure de renoncer à leur office ou de regarder la bulle comme non avenue. L'ambassadeur de France eut, à ce sujet, deux entretiens avec le cardinal Antonelli. Dans le premier de ces entretiens, le secrétaire d'Etat du Saint-Siège, pris au dépourvu, déclara ne pas connaître suffisamment le document pontifical pour se prononcer. Au cours d'une seconde visite que lui fit le représentant de la France, le cardinal déclara que la disposition dont il s'agissait ne concernait pas les Etats concordataires[93]. Cette réponse calma les susceptibilités des gouvernements comme celles de l'épiscopat.

Toutes ces questions, agitées en divers sens, avaient mis à jour les tendances différentes qui divisaient les Pères du concile. Ces tendances s'accusèrent par divers groupements extra-conciliaires. En dehors des réunions déterminées par la nationalité, telles que les réunions des évêques d'Espagne, des Etats-Unis et du Canada[94], on distingua bientôt quatre centres principaux. Cette dissociation fut surtout la conséquence de l'attitude prise par les prélats au sujet de la question de l'infaillibilité pontificale. Les partisans d'une définition immédiate de l'infaillibilité, les infaillibilistes, qui aimèrent aussi à se donner le nom d'ultramontains, se groupèrent autour de Mgr Dechamps, archevêque de Malines. Mgr Manning, archevêque de Westminster, le cardinal Cullen, archevêque de Dublin, Mgr Pie, de Poitiers, Mgr Plantier, de Nîmes, Mgr Rœss, de Strasbourg, Mgr Martin, de Paderborn, Mgr Senestrey, de Ratisbonne, Mgr Spalding, de Baltimore, et Mgr Mermillod, vicaire apostolique de Genève, furent les principaux représentants de cette réunion. Les évêques opposés à la définition immédiate de l'infaillibilité formèrent d'abord plusieurs groupes. On les voit désignés dans les documents contemporains par le nom d'anti-définitionnistes ou d'anti-infaillibilistes. Leurs adversaires les appelèrent souvent les libéraux, les gallicans, ou encore les opposants[95]. Veuillot créa, à propos de ceux qui, sans mer l'infaillibilité, contestaient l'opportunité de sa définition, le mot d'opportuniste, qui depuis a passé dans la langue politique[96]. Les Français qui suivaient cette ligne se réunirent chez le cardinal Mathieu, archevêque de Besançon. Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, et Mgr Darboy, archevêque de Paris, furent les membres les plus influents de ce groupe. Presque tous acceptaient le dogme de l'autorité infaillible du pape, mais ne croyaient pas opportun de le définir, au moins immédiatement. Les opposants allemands, qui allaient généralement plus loin que les Français et dont quelques-uns mettaient en doute la doctrine même de l'infaillibilité pontificale, reconnaissaient pour président le cardinal Schwarzenberg, archevêque de Prague. Les plus marquants parmi eux étaient Mgr Héfélé, évêque de Rottenbourg, Mgr Haynald, archevêque de Colocza, Mgr Rauscher, archevêque de Vienne, Mgr Strossmayer, évêque de Diakovar[97]. Un quatrième groupe, fut qualifié de groupe du tiers parti, parce que, moins vivement opposé à la définition que les amis de Mgr Dupanloup et du cardinal Schwarzenberg, il la poursuivait avec moins d'ardeur que les amis de Mgr Dechamps. Il était présidé par le cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen, et comptait parmi ses membres Mgr Guibert, archevêque de Tours, Mgr Lavigerie, archevêque d'Alger, Mgr Bernadou, archevêque de Sens, Mgr Forcade, évêque de Nevers[98].

Il était indispensable de signaler, avant d'aborder le récit des débats conciliaires, l'existence et les tendances de ces quatre groupes,. car ils représentaient exactement les quatre mouvements d'idées dont le monde catholique était alors le théâtre. Tandis, en effet, que, hors du concile, les uns défendaient le dogme de l'infaillibilité pontificale et la définition immédiate avec une ardeur telle, qu'ils semblaient parfois oublier le droit divin des évêques et vouloir étouffer leurs délibérations ; tandis que d'autres soutenaient l'inopportunité d'une définition avec de tels arguments, qu'ils donnaient parfois à douter de leur croyance à la doctrine elle-même ; des chrétiens, moins nombreux peut-être, ou- plutôt qui paraissaient l'être moins parce qu'ils étaient moins bruyants et moins agités, avaient confiance que, par l'assistance de l'Esprit-Saint, les Pères réunis au Vatican sauraient trouver, pour définir le magistère suprême du chef de l'Eglise, la formule sereine qui proclamerait l'autorité absolue du pape sans paraître absorber en elle celle des évêques, la parole lumineuse et calme qui éclairerait, sans les aigrir, nos frères séparés. A ce résultat, par la grâce de Dieu, tous collaborèrent, les uns en faisant ressortir avec force le caractère absolu du dogme, les autres en rappelant à propos la maternelle sollicitude de l'Eglise, toujours attentive à dispenser son enseignement sous la forme la mieux adaptée aux besoins des âmes.

 

IV

Parmi les prélats éminents que nous venons d'énumérer, plusieurs nous sont connus déjà : Mgr Dupanloup, par le rôle décisif qu'il avait rempli dans la campagne pour la liberté de l'enseignement et par plusieurs des œuvres de son apostolat ; Mgr Manning, par l'éclat de sa conversion et par la haute situation qu'il avait aussitôt occupée dans l'Eglise catholique d'Angleterre ; Mgr Guibert, par la grande sagesse dont il avait fait preuve au milieu de controverses délicates. Sur un théâtre plus élevé, tous trois allaient déployer, le premier dans le groupe des opposants, le second dans celui des infaillibilistes, le troisième dans le tiers parti, leurs éminentes qualités. Mais, à côté d'eux, et dans chacun de ces trois groupes, Mgr Dechamps de Malines, Mgr Pie de Poitiers, Mgr Héfélé de Rottenbourg, Mgr Strossmayer de Diakovar, Mgr Darboy de Paris, Mgr de Bonnechose de Rouen et Mgr Mathieu de Besançon, devaient exercer une telle action sur la marche des délibérations conciliaires, que l'histoire a le devoir de retracer, ne fût-ce que par quelques traits fugitifs, leurs physionomies caractéristiques.

Frère du ministre belge Adolphe Dechamps, qui avait pris une part active aux congrès de Malines, un n'ornent disciple de La Mennais, puis prêtre, religieux rédemptoriste, évêque de Namur en 1865, archevêque de Malines en 1867, Mgr Auguste-Victor Dechamps était depuis longtemps connu par l'ardeur de son patriotisme, par la vivacité conquérante de son zèle apostolique, par la puissante originalité de ses doctrines apologétiques[99]. Unissant, ainsi qu'il disait, le fait interne et le fait externe, il soutenait : 1° que l'étude attentive de l'homme tel qu'il est, fournit une preuve absolue de la nécessité de la révélation chrétienne ; 2° que la tradition vivante de l'Eglise catholique constitue par elle-même une preuve absolue de la vérité de cette même révélation[100]. La première de ces propositions l'avait fait taxer de baïanisme ; la seconde l'avait fait soupçonner de fidéisme. Mais le concile du Vatican devait le venger de cette double accusation en déclarant 1° que du fait que Dieu a appelé l'homme à une fin surnaturelle, il résulte que la révélation lui est absolument nécessaire[101], et 2° que l'Eglise est, par elle-même, un témoignage irréfragable de sa divine mission[102]. Dès que la question de l'infaillibilité du pape fut posée, Mgr Dechamps en prit la défense. Il y voyait la réponse péremptoire à l'erreur gallicane, qu'il avait combattue dès sa première jeunesse dans les journaux libéraux et ultramontains de Belgique[103]. Mgr Dupanloup lui répondit, en s'excusant de contredire son saint ami, et une vive polémique s'ensuivit entre les deux prélats[104].

Parmi les membres du groupe qu'il présidait, Mgr Dechamps n'avait pas d'auxiliaire plus actif dans sa campagne pour la définition de l'infaillibilité, que Mgr Pie, évêque de Poitiers. D'une naissance très humble, né d'un cordonnier de village et d'une humble fille du peuple, mais d'une dignité de manières qui se révélait dans la gravité de sa physionomie et dans son port majestueux, Mgr Pie professait, en politique, le culte de la monarchie des Bourbons, et, dans les controverses religieuses, les idées les plus favorables au papi par rapport aux évêques, à l'Eglise par rapport à la société civile, à la révélation par rapport à la raison. Il avait combattu avec une égale énergie la politique de Napoléon III, les idées de Mgr Dupanloup et les doctrines de Victor Cousin[105].

Au concile, l'archevêque de Malines et l'évêque de Poitiers rencontraient en Mgr Héfélé, évêque de Rottenbourg, en Mgr Strossmayer, évêque de Sirmium, et en Mgr Darboy, archevêque de Paris, de redoutables adversaires. Héfélé représentait surtout la science. Mgr Héfélé, écrivait Emile Ollivier[106], est un esprit vigoureux, qui frappe sur les faits comme un forgeron sur son enclume. D'un savoir prodigieux, à la fois naïf et fin, il a, sous son extérieur plein de rondeur et plutôt rude, un liant fort propre à la conciliation. Bien avant la réunion du concile, le pape avait eu recours à sa science inépuisable, particulièrement informée sur les questions conciliaires[107].

Mgr Strossmayer, évêque de Diakovar, vicaire apostolique de Serbie, représentait l'éloquence, une éloquence sans apprêt, mats d'une puissance singulière. Il ne se donna jamais comme un théologien ni comme un philosophe, mais comme un tacticien de l'apostolat catholique. Si j'ai combattu résolument le projet de définition du dogme de l'infaillibilité, disait-il plus tard, ce n'est pas que j'eusse, comme Dœllinger ou Héfélé, la n'oindre objection théologique contre ce dogme ; ce n'est pas que j'eusse peur, comme Dupanloup, de provoquer inutilement et d'irriter ce qu'on appelle l'esprit moderne. Non ; je ne me plaçais qu'à un point de vue, qui a dirigé ma vie, le développement de la nation slave, qui est à sa période de formation, et que j'avais peur de voir gênée par une centralisation excessive[108]. Ce développement de la race slave avait, dans son esprit, une portée religieuse considérable. Il devait, selon lui, préparer la paix religieuse, l'union des Eglises. Sa bourgade de Diakovar lui apparaissait comme le trait d'union de l'Occident et de l'Orient, comme le rendez-vous de trois religions : la romaine, l'orthodoxe russe et l'islamique. Strossmayer était en relations suivies avec le philosophe russe Soloviev et avec le barnabite romain Tondini. Ce grand seigneur, qui avait fondé un musée avec ses propres tableaux et bâti une cathédrale avec le produit de la vente d'une partie de ses forêts, était aussi en correspondance avec le ministre Gladstone et le prince Michel de Serbie, qui traitaient avec lui comme avec une puissance. Au concile, presque toujours en opposition avec la majorité de l'assemblée, il se fera toujours écouter par elle, tant sou éloquence sera naturelle, prenante, toujours adaptée. Après avoir condensé ses idées en quelques notes, il improvisera ses discours dans un latin des plus purs[109]. Audacieux, souple, ému, spirituel, dit Emile Ollivier[110], Mgr Strossmayer est toujours éblouissant.

Mgr Darboy représentait, dans l'opposition, la diplomatie. La pénétration et la sérénité, la fierté douce, avec un air d'insinuation qui captivait, voilà, — écrit un homme d'Etat bien placé pour connaître l'archevêque de Paris, — ce qu'on lisait sur le visage de Mgr Darboy. Pieux, régulier, très dévoué à ses devoirs épiscopaux, il tenait toutefois plus de Richelieu que de saint Vincent de Paul. Son âme puissante animait un corps frêle, qu'elle faisait ployer ; mais il apportait dans sou commerce quelque chose d'aisé, d'entrant, d'enchanteur à quoi on ne résistait pas... L'empereur, à qui il inspirait une confiance entière, suivait volontiers ses indications sur les matières ecclésiastiques[111].

Le cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen, et le cardinal Mathieu, archevêque de Besançon, étaient des esprits de moindre envergure que ceux dont nous venons de parler. Mais, moins en vue par leurs talents, ils exercèrent, sur les deux groupes dont ils eurent la directioa, et, par là même, sur le concile tout entier, une influence très efficace. Le cardinal de Bonnechose avait porté la toge du magistrat avant de revêtir les livrées du sacerdoce ; prêtre, il avait exercé pendant cinq ans, à Rome, les fonctions de supérieur de Saint-Louis des Français. Il avait gardé, de sa première profession, le culte de la justice, le sens des affaires, le goût des exposés méthodiques et clairs. L'archevêque de Besançon, pesant de corps et délié d'esprit, possédait, dans les discussions, un avantage trop rare parmi ses compatriotes : il maniait la langue latine avec une dextérité et une élégance qui ne lui laissaient rien à envier à Mgr Strossmayer. Les deux cardinaux français avaient donné au Saint-Siège des preuves éclatantes de leur dévouement : le cardinal de Bonnechose, en défendant courageusement au Sénat le pouvoir temporel du pape ; le cardinal Mathieu, en encourant, en 1865, une déclaration d'abus pour avoir publié en chaire l'encyclique Quanta cura. Ni l'un ni l'autre cependant n'éveillaient les suspicions du gouvernement français, qui connaissait leurs habitudes de discrétion et de prudence. Ils s'étaient, l'un et l'autre, donné pour tache de contrebalancer ce qu'il y aurait de trop vif dans les manifestations des partis extrêmes et de soutenir dans l'assemblée la cause de la modération[112].

 

Par ce seul fait, que le classement des partis s'était effectué sur la question de l'infaillibilité du pape, on pouvait prévoir quel serait l'objet principal des délibérations conciliaires ; mais le programme soumis à l'assemblée était très vaste. L'Index schematum qui fut distribué aux Pères du concile[113] comprenait une double série de questions dogmatiques et de questions disciplinaires. Les questions dogmatiques avaient trait, soit aux erreurs modernes dérivant du matérialisme, du rationalisme et du panthéisme, soit aux attaques dirigées contre l'Eglise, son organisation et ses droits. Les questions disciplinaires se rapportaient soit aux personnes ecclésiastiques : évêques, chanoines, curés, religieux, etc. ; soit aux institutions et aux œuvres ecclésiastiques : séminaires, cérémonies liturgiques, administration des sacrements, catéchisme, prédication, missions, rites orientaux, etc. L'article 7 du règlement prescrivait aux Pères de commencer par des questions dogmatiques ; ils pourraient, dans la suite, délibérer, à leur gré, sur le dogme ou sur la discipline. Les Pères choisirent, pour servir d'objet à leurs premières discussions, le projet ou schéma sur la Doctrine catholique contre les erreurs multiples dérivées du rationalisme[114]. Ils devaient ensuite discuter sur plusieurs questions disciplinaires concernant les évêques, les synodes, les vicaires généraux, les vacances de sièges épiscopaux, la vie des clercs, la rédaction d'un catéchisme universel, et enfin aborder le schéma dogmatique de la constitution de l'Eglise par la question de l'infaillibilité pontificale. Cette dernière question venait à peine d'être tranchée par une définition solennelle, quand les débuts de la guerre franco-allemande et l'invasion du territoire pontifical par les troupes italiennes vinrent troubler, puis interrompre les travaux du concile.

Les débats conciliaires comprirent donc trois périodes : la discussion de la première Constitution dogmatique, une série de discussions sur diverses questions disciplinaires, et la discussion sur la deuxième Constitution dogmatique[115].

Les débats qui s'engagèrent sur le premier schéma dogmatique, de doctrina catholica, donnèrent d'abord l'impression d'une confusion extrême. Du 28 décembre 1869 au 10 janvier 1870, au cours de six congrégations générales, trente-cinq Pères appartenant aux nationalités les plus diverses prirent la parole, et vingt-quatre d'entre eux demandèrent, avec plus ou moins de vivacité, le renvoi du projet à une commission pour qu'il y fût remanié. On lui reprochait de ressembler à un traité de professeur plutôt qu'à un exposé doctrinal de concile. On blâmait l'obscurité de sa rédaction, la raideur et la dureté de ses expressions. Mgr Connolly, archevêque d'Halifax, critiqua tout le schéma, fond et forme, et demanda qu'il fût, non pas corrigé, mais enterré. Dimittatur, dit-il, non ad corrigendum, sed ad sepeliendum. Mgr Strossmayer se déclara profondément étonné que le texte proposé, au lieu de porter en tête, comme les décrets du concile de Trente, les mots : Sacrosancta Synodus decernit, le saint concile décrète, portât les mots : Pius, episcopus, servus servorum Dei, sacro approbante concilio : Pie, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, avec l'approbation du saint concile. Pour la véhémence de sa protestation sur ce point, il se vit interrompre[116] par le président du concile. En dehors de l'assemblée, quelques théologiens expliquaient leur opposition au schéma en disant qu'ils y voyaient une œuvre des jésuites ayant pour but de faire adopter par le concile les idées de la Civiltà cattolica[117]. D'autres, parmi lesquels se trouvaient même des jésuites, résumaient leurs impressions en déclarant l'œuvre trop germanique[118]. Le principal rédacteur du schéma était, en effet, un jésuite allemand, le P. Franzelin.

Jean-Baptiste Franzelin, né en 1816, à Altino, dans le Tyrol, était professeur de théologie dogmatique au Collège romain depuis 1851. Ses élèves admiraient l'étendue de sa science, et ses ouvras le mettent au tout premier rang des théologiens du XIXe siècle. Mais la clarté de son enseignement n'égalait pas toujours la profondeur de son érudition et de sa pénétration philosophique[119]. En vain essaya t-il de défendre sa rédaction devant la députation du concile[120]. Celle-ci fut unanime pour demander la refonte du schéma, qui, cette fois-ci, fut confiée à trois Pères du concile : Mgr Dechamps, de Malines, Mgr Pie, de Poitiers, et Mgr Martin, de Paderborn.

Le nouveau projet, revenu devant l'assemblée, le 14 mars 1870, sous le titre de schéma de fide catholica, y reçut un accueil très favorable. Les rédacteurs avaient tenu compte de vœux exprimés par leurs collègues. Le style était simple et limpide, l'exposition brève et méthodique[121]. Les débats commencèrent sous la présidence du cardinal de Angelis, qui venait d'être promu à cette fonction par le pape, en remplacement du cardinal de Reisach, récemment décédé. De nombreux amendements furent proposés sur des points de détail, et remis à la commission, qui les examina avec soin, puis les proposa au vote de l'assemblée. Les Pères pouvaient formuler leurs votes de trois manières : par un simple placet, par un simple non placet ou par un placet juxta modum, c'est-à-dire conditionnel. Dans ce dernier cas, ils remettaient par écrit leurs observations ou amendements. Le vote sur l'ensemble du schéma de fide eut lieu le 12 avril. Cinq cent quatre-vingt-dix-huit Pères étaient présents. Cinq cent quinze donnèrent un simple placet ; quatre-vingt-trois, placet juxta modum ; il n'y eut aucun non placet. La commission recueillit les observations annexées aux placet juxta modum, et en tint compte pour le remaniement du texte, lequel revint à l'assemblée le 23 avril. Cette fois- ci, les Pères devaient voter en choisissant L'une des deux formules, placet ou non placet. Toute explication était interdite. Le 24, le projet de fiole, depuis connu sous le nom de Constitution de fide catholica ou de Constitution Dei Filius, fut voté, en séance publique, à l'unanimité des voix. Tous les Pères, depuis le cardinal le plus élevé en dignité jusqu'au dernier des supérieurs d'ordre, vinrent, à l'appel de leur nom, émettre leur vote. Il n'y eut pas un seul non placet. Ce fut, dit l'un d'entre eux[122], comme un défilé du monde entier venant rendre témoignage de la foi de l'univers catholique.

L'importance de la Constitution Dei Filius, a écrit le cardinal Manning[123], ne peut être exagérée. C'est l'affirmation la plus large et la plus hardie de l'ordre surnaturel et spirituel qui ait jamais été jusqu'à présent jetée à la face du monde, de ce monde qui est maintenant plus que jamais plongé dans les sens et alourdi par le matérialisme. Elle vise à la fois, ainsi que le déclare son préambule, le grand nombre de ceux qui se sont jetés dans les abîmes du panthéisme, du matérialisme et de l'athéisme, et les croyants dont le sens catholique s'est amoindri. A l'incrédulité contemporaine, confondant Dieu avec le monde quand elle ne le nie pas tout à fait, refusant en tout cas de croire à toute intervention divine dans l'humanité et en particulier à la révélation, niant enfin la possibilité de la foi ou tout au moins la subordonnant à la raison, le concile oppose, en quatre chapitres différents, un résumé solide et lumineux de la doctrine catholique : 1° sur Dieu, 2° sur la révélation, 3° sur la foi, 4° sur les rapports de la foi avec la raison. Dans le premier de ces chapitres, il proclame l'existence d'un Dieu personnel, libre, créateur de toutes choses et absolument indépendant des choses matérielles et spirituelles qu'il a créées. Le second chapitre affirme l'existence de deux ordres de vérités : l'ordre de la nature, accessible aux facultés de connaissance que possède l'homme, et l'ordre du surnaturel, qui ne peut être connu que par une révélation divine. Le troisième chapitre traite de la foi ; il enseigne à voir, dans l'acte de foi, un acte de raison et un acte de liberté, un acte de l'homme et un acte de Dieu ; et il montre comment l'Eglise, gardienne du dépôt de la foi, porte en elle-même la garantie de son infaillible véracité. Le quatrième chapitre, enfin, ayant en vue d'une part la tendance fidéiste, et de l'autre la tendance rationaliste, délimite les deux domaines de la raison et de la foi, et rappelle qu'un désaccord apparent entre la science et la religion ne peut venir que d'une erreur sur la doctrine de celle-ci ou d'une idée fausse sur les conclusions de celle-là[124].

Ainsi s'acheva la première phase du concile du Vatican. Commencée au milieu de divisions et de difficultés qui semblaient irréductibles, elle s'était terminée par un vote unanime. Les appréhensions de ceux qui avaient paru craindre, au début, un étouffement systématique de la discussion, s'étaient bientôt dissipées. Deux cents prélats environ y avaient parlé avec une liberté telle, que plus d'un membre de rassemblée, même parmi les plus jaloux de leur indépendance, se plaignait de la tolérance excessive des présidents. Les premières discussions, conduites sur un thème souvent mal rédigé, avaient semblé d'abord n'accumuler que des nuages, mais, peu à peu, de ces nuages s'étaient dégagées les formules sereines et lumineuses d'une des plus belles Constitutions conciliaires. Au milieu des discussions des hommes, qui donc aurait pu méconnaître l'action souveraine de l'Esprit de Dieu.

 

V

Avant la clôture de cette première discussion, une seconde phase s'était ouverte. Pendant que la commission conciliaire préparait une seconde rédaction du schéma dogmatique, les Pères, usant de la faculté que leur donnait le règlement, avaient choisi comme objet de leurs délibérations deux projets de constitution disciplinaire : le schéma sur les évêques, les synodes et les vicaires généraux, et le schéma sur la vacance des sièges épiscopaux.

Les discussions avaient commencé le 14 janvier. Plus encore que dans les débats soulevés sur les questions dogmatiques, de très vives divergences avaient éclaté parmi les Pères. C'était à prévoir. Les vérités à croire sont les mêmes dans l'univers entier ; mais les règles disciplinaires, devant s'adapter aux besoins particuliers des divers pays, sont nécessairement différentes.

Les premières observations qui furent présentées contre le schéma de episcopis ne furent pas cependant inspirées par des préoccupations d'intérêt local ou national, mais par cette impression, si obsédante chez quelques Pères, que la curie romaine avait un parti pris de méfiance à l'égard de l'épiscopat. Le cardinal Schwarzenberg et Mgr Strossmayer exprimèrent le vœu qu'avant de s'occuper de réformer les évêques, le concile du Vatican, suivant les traditions de plusieurs conciles, en particulier du cinquième concile de Latran, fit un décret sur le collège des cardinaux, sur la curie et sur les congrégations romaines. On devait d'autant plus, disaient-ils, s'en occuper dans l'assemblée actuelle, que les congrégations créées par Sixte-Quint avaient reçu leur forme après le dernier concile. Des vœux, on le savait, avaient été déposés à ce sujet. En ce qui concerne les évêques, pourquoi ne parler que de leurs devoirs ? N'y avait-il rien à dire de leurs droits et de leur dignité, de leur élection et de leur promotion ? Mgr Strossmayer avait été, suivant son habitude, particulièrement vif dans la discussion. A Mgr de Dreux-Brézé, lui faisant remarquer que le collège des cardinaux avait un père, le pape, et que ce père saurait bien lui imposer une réforme le jour où cette réforme serait nécessaire, l'évêque de Diakovar avait répondu : Si nous avons tous un père, qui est le pape, nous avons tous une mère, qui est l'Eglise. Au surplus, l'Eglise universelle, authentiquement représentée par ses évêques, n'avait-elle pas le droit de demander que le collège des cardinaux fût, lui aussi, comme le demandait le concile de Trente, une représentation de toutes les nations chrétiennes[125] ? Le cardinal di Pietro répondit, avec animation, aux deux préopinants. C'était, selon lui, faire une injure gratuite aux cardinaux actuels, si dignes, si austères dans leur vie, si assidus à leurs travaux, que de les comparer aux fastueux princes de l'Eglise du XVIe siècle. Avoir l'air de rééditer la parole de Barthélemy des Martyrs, demander pour les illustrissimes cardinaux une illustrissime réforme, était un anachronisme de tous points injustifié. Il ne s'opposait pas d'ailleurs à ce qu'on écartât du schéma quelques mots dont la note était un peu dure pour les évêques. La suppression de ces mots fut le principal résultat de la discussion qui venait de s'engager.

Les nombreuses observations suggérées à divers Pères par des nécessités locales, par des mœurs particulières, eurent d'abord l'inconvénient de déranger des conceptions toutes faites, des idées simplistes, de donner même comme une impression d'inconsistance ou d'illogisme dans la discipline ecclésiastique ; mais elles eurent l'inappréciable avantage de faire connaître à Rome ces nécessités locales, ces mœurs particulières, et, par là, d'empêcher, comme le remarque un historien du concile, qu'on n'essayât désormais d'établir des lois générales quand la diversité des coutumes ne les comportait pas[126]. Parmi les discours qui furent prononcés à ce sujet, il faut mentionner celui de Mgr Audu, patriarche de Babylone, du rite chaldéen. Le vénérable prélat, manifestement effrayé à la pensée qu'on allait appliquer à l'Orient et à l'Occident une discipline uniforme, supplia le concile de n'en rien faire. Il s'attacha à montrer qu'entre l'Eglise occidentale et l'Eglise orientale il existait des différences plus profondes que les Pères ne pouvaient l'imaginer. Je vous en supplie, s'écria-t-il, n'essayez pas de traiter un malade, à peine sorti de convalescence, comme un guerrier vigoureux. Nous sommes malades de l'insuffisante formation de notre clergé, de l'inexpérience de beaucoup de nouveaux convertis sortant à peine de la secte nestorienne, du petit nombre et de la dispersion de nos églises, de l'oppression des mahométans, du contact avec les schismatiques. De plus, nos populations ont un attachement, peut-être excessif, mais qui demande à être ménagé, pour leurs vieilles coutumes, pour leurs anciennes traditions. Je ne m'oppose pas à la réforme de nos Eglises, je la demande ; mais j'estime que le moyen le plus sûr de l'opérer est de procéder par des synodes nationaux. Je prie le pape et le concile de nous fixer une date et un lieu de réunion. Nous ferons choix des canons disciplinaires qui peuvent convenir à nos Eglises, nous les combinerons avec nos anciennes lois, et nous soumettrons ensuite à l'examen des Pères notre droit canonique ainsi élaboré. Il était difficile de contester la sagesse de pareilles observations. Mais Pie IX, pour affirmer son droit direct sur les Eglises orientales, manda le patriarche chaldéen, et lui ordonna de consacrer sans retard deux prêtres que lui, pape, venait de désigner pour deux évêchés vacants de Chaldée. Le patriarche oriental se soumit ; mais cet incident détermina, entre la cour romaine et les évêques orientaux, une tension qui persista jusqu'à la fin du concile[127].

Après l'examen des deux projets disciplinaires sur les évêques et la vacance des sièges épiscopaux, Je concile aborda la discussion de deux autres projets sur la vie des clercs et sur la rédaction d'un catéchisme universel. Les nouveaux débats se déroulèrent avec des incidents analogues à ceux qui avaient marqué la première délibération. On y entendit Mgr Martin, de Paderborn, toujours ardent à défendre les traditions romaines et toujours en garde contre le gallicanisme ; Mgr Dupanloup, d'Orléans, parfois trop prompt à la riposte ; Mgr de Langalerie, de Belley, à la parole pleine d'onction ; Mgr Guibert, de Tours, toujours maître de son discours, simple, ferme et modéré ; Mgr Vérot, de Savannah, trop souvent obligé de revenir sur une expression qui avait dépassé ou trahi sa pensée ; le cardinal Mathieu, de Besançon, et Mgr Strossmayer, de Diakovar, ces deux rivaux dans l'art de manier la langue latine, le premier avec sa modération calculée, le second avec son audace voulue. Ils parlèrent de la vie commune des prêtres, du célibat ecclésiastique, du bréviaire romain, des avantages et des inconvénients d'un catéchisme uniforme pour toute la chrétienté.

Chose étrange 1 Sur des sujets qui auraient semblé ne donner lieu qu'à un échange d'observations calmes et pacifiques, le. débat s'animait ; les esprits s'échauffaient. En discutant sur le régime des séminaires ou sur le costume des clercs, les orateurs et l'assemblée semblaient avoir constamment en vue des questions plus générales et plus passionnantes. Les uns paraissaient sans cesse redouter un attentat contre les droits du pape ; les autres, un empiétement contre les prérogatives de l'épiscopat. D'autres, voyant les écueils de ces deux préoccupations excessives, demandaient à Dieu la grâce de ne jamais séparer dans leur cœur l'amour de l'Eglise de l'amour de son chef suprême[128]. Au fond, la question de l'infaillibilité du pape, qui n'avait pas encore paru à l'ordre du jour, dominait de plus en plus, dans le concile et au dehors, toutes les autres questions. Elle était discutée dans la presse, où elle devenait l'objet de brochures retentissantes[129]. Une longue polémique, engagée, au début de 1870, entre le P. Gratry, de l'Oratoire, et Mgr Dechamps, au sujet de la prétendue hérésie du pape Honorius, passionnait l'opinion. Un article paru le 24 février dans le Moniteur universel sous ce titre : La situation des choses à Rome, envenima la querelle. Dans l'Allgemeine Zeitung et dans la Gazette d'Augsbourg, Dœllinger attaquait violemment la doctrine même de l'infaillibilité[130]. Héfélé et Ketteler, dans des brochures et dans des articles de revue, renouvelaient les critiques de Mgr Maret contre l'infaillibilité personnelle et séparée. Gustave Janicot, dans la Gazette de France, insérait et commentait les lettres du P. Gratry contre l'infaillibilité absorbante[131]. Pendant ce temps-là, l'Univers organisait des pétitions pour demander la proclamation immédiate de l'infaillibilité, et Louis Veuillot englobait les anti-définitionnistes et les anti-opportonistes, comme il disait, dans la même raillerie méprisante. Un jour, écrivait-il[132], je sentis chez moi une odeur de suie qui m'inquiéta... J'appelai le fumiste... Le feu était aux poutres et se mit à flamber. Nous reconnûmes l'opportunité de l'éteindre. J'ai conté là l'histoire du dix-neuvième concile œcuménique. Assurément, je ne dirai pas que M. Janicot et les autres chevaliers de l'inopportunité soient des poutres ! Mais M. Gratry, de l'Académie et de l'Oratoire, M. Dœllinger, de la Faculté et de la bourgeoisie de Munich, Mgr Maret, de l'épiscopat et de la Sorbonne, et d'autres que je m'abstiens de nommer, sont au moins des poutrelles, et l'on avouera qu'elles flambent. Voilà l'opportunité. Ces lignes paraissaient dans l'Univers du 14 février 1870. Quelques jours après, le 28 février, Montalembert ripostait à Louis Veuillot sur un ton non moins vif. Il s'élevait contre ces théologiens laïcs de l'absolutisme, qui ont commencé par faire litière de toutes nos libertés devant Napoléon III, pour venir ensuite immoler la justice et la vérité, la raison et l'histoire, en holocauste à l'idole qu'ils se sont érigée au Vatican[133]. Jamais, disait-il, grâce au ciel, je n'ai pensé, dit ou écrit rien de favorable à l'infaillibilité personnelle et séparée du pape, telle qu'on veut nous l'imposer[134]. Le ton, de plus en pins acerbe, de ces discussions de presse accroissait chaque jour l'ardeur des deux partis. A Rome, malgré la sage défense de Pie IX, qui avait interdit toute impression dans la ville d'écrits sur le concile, l'agitation gagnait le peuple romain. Toutes les fois que Pie IX paraissait en public, une foule l'accueillait par les cris de : Vive le Pape infaillible ! A la porte d'entrée du concile, des curieux se tenaient, parmi lesquels on remarquait la sœur et les filles d'un journaliste français, épiant le passage des prélats, et donnant à chacun sa note[135]. On se répétait les boutades de l'évêque de Tulle. Les sages selon le monde, disait Mgr Berteaud, auraient peut-être trouvé aussi qu'il n'était pas opportun que le Fils de Dieu naquit dans une étable. Cela devait choquer beaucoup les idées du siècle. Sur un ton plus tragique, Mgr Wicart, évêque de Laval, écrivait à ses diocésains : Devant Dieu, prêt à paraître à son jugement, je déclare que j'aimerais mieux tomber mort sur-le-champ que de suivre l'évêque d'Orléans dans les voies où il marche aujourd'hui[136].

Le pape recommandait le calme ; mais il envoyait ses félicitations aux écrivains qui défendaient l'infaillibilité, aux fidèles qui faisaient parvenir des adresses pour la définition[137]. Ces interventions furent considérées par quelques-uns comme une pression officielle qui pouvait altérer la liberté de l'assemblée. Le 20 février, le ministre français des affaires étrangères, M. Daru, adressa des observations sur ce point au cardinal Antonelli. Le 6 avril, un document d'une portée plus considérable, un Memorandum fut envoyé par le même ministre à toutes les puissances, les conviant à faire respecter par le concile les droits et les libertés de la société civile[138]. Cet acte diplomatique détermina dans l'Europe entière une agitation extrême, niais ne rit qu'exciter le zèle des partisans de l'infaillibilité. Après tout, avait-on tant à craindre des puissances du monde ? On saurait bien se pas :,er de leur appui. Au lendemain d'une manifestation populaire en l'honneur du pape, Louis Veuillot écrivait de Rome : LE PAPE ET LE PEUPLE ! Je crois, moi, que ces mots sont visiblement écrits sur la porte du concile du Vatican, et que cette porte est l'entrée d'un monde nouveau, ou plutôt qu'elle est un arc de triomphe sur la toute retrouvée du genre humain[139].

Décidément, puisque la question de l'infaillibilité soulevait tant de passions en dehors du concile, n'était-il pas urgent de la résoudre sans retard ? Le tiers parti, qui avait paru incliner d'abord vers les partisans de l'inopportunité, se tournait maintenant vers les défenseurs de l'opportunité. On disait, en parlant des premiers : Quod inopportunum dixerunt, necessarium fecerunt : ils ont rendu nécessaire la définition qu'ils ont déclarée inopportune[140]. Les postulats émis par les Pères pour demander l'urgence d'une discussion sur l'infaillibilité se couvrirent de quatre cent quatre-vingts signatures[141], tandis que le postulatum sollicitant un délai ne réunissait guère que cent trente-sept adhésions. Dès lors, l'issue de la délibération apparut à tous comme certaine, car le nombre des Pères opposés en principe à la doctrine de l'infaillibilité était minime[142]. La question porterait uniquement sur les termes d'une définition qui ne faisait désormais plus de doute.

 

VI

La rédaction de la formule dogmatique définissant l'infaillibilité pontificale a passé par plusieurs phases qu'il nous parait important d'étudier.

Dès le mois de janvier 1870, Mgr Spalding, archevêque de Baltimore, rédigea et fit signer par cinq évêques américains une motion demandant, non point la définition directe de l'infaillibilité, qui effaroucherait les gouvernements, dont la Mauvaise foi des ennemis de l'Eglise chercherait à faire un épouvantail aux peuples, et qu'un certain nombre d'évêques, pour des raisons diverses, s'abstiendraient de voter, mais une définition indirecte. Cette définition indirecte se formulerait simplement par la proclamation de certaines propositions déjà universellement admises dans l'Eglise et d'où découlerai t immédiatement et clairement l'infaillibilité du pape. On condamnerait, par exemple : 1° la prétention d'en appeler du pape à un concile ; 2° celle de se contenter d'une obéissance externe à l'autorité du pape ; 3° l'opinion soutenant que le pape, en condamnant une proposition, peut se tromper sur sa vraie signification. Le grand avantage d'un tel procédé serait, disaient les signataires, qu'il réunirait, non pas seulement la majorité des Pères, mais une unanimité morale écrasante, fermant la bouche à tous les fauteurs de révolte[143].

Les avantages du procédé suggéré par la note des cinq évêques américains étaient réels ; mais il parut à un certain nombre de Pères que les formules proposées laisseraient encore quelque marge aux équivoques[144]. Le 15 février, Mgr Manning, qui, depuis quelque temps, au dire d'un témoin, travaillait nuit et jour à procurer l'heureuse issue de cette grave affaire[145], proposa de porter anathème contre quiconque soutiendrait que les décrets portés en matière de foi et de mœurs par le pontife romain, agissant comme Pasteur et Docteur suprême de l'Eglise universelle, sont réformables[146]. Le 6 mars, la commission chargée de la rédaction du schéma De Ecclesia y ajouta un chapitre intitulé : Romanum pontificem in rebus fidei et morum definiendis errare non posse[147]. Ce projet ne devait pas avoir plus de suite que les précédents, mais pour des raisons étrangères à sa rédaction. Le schéma De Ecclesia auquel il avait été adjoint, et qui avait été distribué aux Pères le 21 janvier, fut, par un abus de confiance, communiqué aux journaux et souleva une opposition violente des gouvernements. De fait, ce projet touchait aux questions les plus brûlantes. En ses quinze chapitres il traitait des droits de l'Eglise dans ses rapports avec la société civile, des droits de la société civile dans ses rapports avec l'Eglise, du pouvoir temporel du Saint-Siège, de la formule : Hors de l'Eglise point de salut, etc. Ses vingt et un canons fulminaient, en formules brèves, l'anathème contre ceux qui contesteraient les doctrines contenues dans le schéma[148]. Dès que la vérité de ces textes fut hors de conteste, dit Emile Ollivier, une clameur de désapprobation s'éleva dans la presse de l'Europe entière[149]. Plusieurs gouvernements se préparèrent à résister positivement au concile, et en avisèrent le cardinal Antonelli, secrétaire d'Etat du Saint-Siège[150]. Décidément la question de l'infaillibilité du pape était moins irritante, au moins pour les gouvernements, que la plupart de celles que proposait le fameux schéma. Cette considération, jointe à des arguments plus directs[151], ne fut pas sans influence sur la décision qui fut prise, d'introduire le schéma De romano pontifice avant le schéma De Ecclesia.

 

VII

Cette décision fut des plus heureuses. Si elle n'eût pas été prise en temps opportun, les Pères, bientôt obligés de se disperser par suite d'événements que nous aurons à raconter, se fussent trouvés dans cette alternative : ou de laisser irrésolue une question qui agitait profondément l'assemblée, l'opinion publique et les Etats ; ou de la résoudre précipitamment, dans des conditions qui n'eussent pas suffisamment garanti l'autorité morale, peut-être même la valeur dogmatique de leur définition.

La discussion et le vote du schéma De romano pontifice se firent, au contraire, dans les conditions de la liberté la plus large. On y entendit, écrit un des membres de l'assemblée[152], quatre-vingts évêques ; et, parmi ceux-ci, près de la moitié appartenait à ce que les journaux appelaient l'opposition, tandis que la proportion des membres de l'opposition dans le concile n'était pas de plus d'un sixième. On n'en entendit pas moins de trois sur six. L'expérience des discussions précédentes avait, d'ailleurs, permis d'améliorer le règlement, ou, du moins, d'en élargir l'interprétation. Ainsi, le sujet à traiter était imprimé et remis à chaque évêque, et une période de huit ou dix jours était accordée pour les observations qu'on pouvait désirer de faire par écrit. Ces observations étaient soigneusement examinées par une commission de vingt-quatre Pères. Si on les trouvait justes, elles étaient admises, soit pour modifier soit pour réformer le schéma primitif. Le texte ainsi amendé était soumis à la discussion générale, dans laquelle chaque évêque du concile avait le droit de parler librement, et les débats duraient aussi longtemps qu'il plaisait à un évêque de s'inscrire pour parler. La seule limite à cette discussion consistait dans le pouvoir qu'avaient les présidents, sur la demande de dix évêques, de consulter le concile sur la clôture de la discussion[153].

Les débats s'ouvrirent le 13 mai par un rapport de Mgr Pie[154]. Ce rapport, tantôt lu, tantôt improvisé, exposait les raisons qui avaient fait placer en tête de la Constitution de l'Eglise la doctrine de la primauté du pape. Il expliquait ensuite comment cette primauté comportait essentiellement deux prérogatives : un pouvoir suprême dans le gouvernement, une autorité infaillible dans l'enseignement. Pour prévenir des malentendus sur la question la plus brûlante qui se rencontrait dans le schéma, l'orateur déclara avec netteté que, dans l'intention de la commission qui présentait le présent texte, 1° le privilège de l'infaillibilité ne s'appliquait nullement au pape en tant que personne privée, et 2° le pape et l'Eglise ne pouvaient pas être séparés l'un de l'autre, Loin de nous, s'écria-t-il, cette gratuite, fantastique et injurieuse image d'une tête séparée de son corps ![155]

Les débats généraux sur le schéma se prolongèrent pendant près de trois semaines. La doctrine de l'infaillibilité pontificale y fut attaquée principalement par Mgr Héfélé, qui s'appuya surtout, pour la contester, sur la condamnation du pape Honorius par le VIe concile œcuménique, et par Mgr Strossmayer. qui invoqua tout particulièrement la désobéissance de saint Cyprien au pape saint Etienne dans la controverse baptismale. Il fut répondu au premier que le pape Honorius n'avait pas été condamné pour avoir enseigné l'hérésie, mais pour n'avoir pas résisté à l'hérésie comme le devoir de sa charge le lui commandait. Au second, il fut rappelé que le pape saint Etienne n'avait publié aucun décret dogmatique contre saint Cyprien, et que celui-ci n'avait jamais résisté à un décret ayant à ses yeux le caractère d'une définition de foi. L'inopportunité de la définition fut soutenue, entre autres, par Mgr Clifford, évêque de Clifton, par Mgr Rivet, évêque de Dijon, par le cardinal Schwarzenberg, archevêque de Prague, par Mgr Greith, évêque de Saint-Gall, et par Mgr Darboy, archevêque de Paris[156]. Certains arguments de ce dernier, présentés contre l'opportunité, parurent attaquer la doctrine elle-même. Les uns et les autres prétendirent que la définition de l'infaillibilité pourrait écarter définitivement de l'Eglise les populations protestantes et schismatiques, et même amener l'apostasie de certains catholiques. Une telle crainte fut trouvée exagérée par la plupart des Pères, dont Mgr Dechamps et Mgr Manning furent les plus éloquents interprètes. Le scandale d'ailleurs, si scandale il y avait, était déjà fait, et ce n'était pas le simple retard apporté à la définition du dogme qui pouvait le faire cesser.

Cette discussion générale, où quelques vivacités de parole, inévitables en un tel débat, furent relevées, eut le très appréciable résultat de faire disparaître certains malentendus regrettables. Les infaillibilistes ayant souvent employé, en défendant leur thèse, les expressions d'infaillibilité personnelle et d'infaillibilité séparée, leurs adversaires, anti-infaillibilistes ou anti-opportunistes, leur reprochaient de soutenir ainsi une doctrine ou fausse ou tout au moins équivoque, et de vouloir, par là même, proclamer un dogme nouveau, sinon quant au fond, au moins dans ses termes. En effet, disaient-ils, la doctrine traditionnelle, lorsqu'elle parle de l'infaillibilité du pape, la rattache à la fonction plutôt qu'à la personne, et l'entend du pape uni à l'Eglise dont il est la tête, et non séparé d'elle. Mgr Dechamps, au nom de la commission, vint déclarer que, si l'infaillibilité du pape peut être dite personnelle, en ce sens qu'elle lui appartient exclusivement et d'une manière incommunicable, il est vrai de dire qu'elle est attachée à sa fonction, puisqu'elle ne lui appartient qu'en tant que pasteur et docteur de l'Eglise. D'autre part, si elle peut être dite séparée parce qu'elle n'a pas besoin de l'assentiment de l'Eglise pour s'exercer, elle n'est point séparée en ce sens qu'on suppose réalisable l'hypothèse d'un pape et d'une Eglise formant deux êtres non reliés entre eux. Ma tête, disait à ce propos Mgr Gastaldi, évêque de Saluces, ma tête n'a pas besoin de bras pour y voir, pour entendre et pour parler ; cependant, c'est parce qu'elle est unie au corps qu'elle fait tout cela ; séparée, elle serait sans vie[157]. De ces considérations et de quelques autres remarques, Mgr Dechamps concluait que l'infaillibilité du pape, telle qu'on votait la définir, n'était aucunement présentée comme une infaillibilité absolue, mais comme une infaillibilité nettement limitée ; et enfin que, dans ces conditions, il n'était pas possible de voir dans le schéma proposé la volonté d'introduire un dogme nouveau.

Ces explications, cette heureuse mise au point firent tomber bien des oppositions. Pourtant un petit nombre d'évêques, à la tête desquels se trouvaient Mgr Strossmayer et Mgr Dupanloup, persistaient à demander un sursis à la définition. Mgr Strossmayer pensait toujours que ses populations slaves, avec leur esprit trop simpliste, ne pourraient pas suffisamment comprendre et par conséquent ne pourraient pas supporter la définition projetée. Quant à Mgr Dupanloup, Emile Ollivier n'a pas craint de dire que, s'il n'avait pas eu Louis Veuillot devant lui, il se serait rangé parmi les infaillibilistes les plus ardents, comme il s'était rangé parmi les plus ardents défenseurs du pouvoir temporel du pape[158]. Cette assertion est moins paradoxale qu'elle ne le paraît au premier abord. Non point que l'évêque d'Orléans, comme l'ajoute Ollivier[159], ne combattît l'infaillibilité que par haine de Louis Veuillot, son plus ardent promoteur ; mais il connaissait, il s'exagérait peut-être l'influence exercée par le rédacteur en chef de F Univers sur certains membres de l'épiscopat[160], et il craignit, jusqu'à la fin, que cette influence n'eût pour résultat de faire prévaloir une de ces formules de haut relief dont le puissant journaliste avait l'heureux don, mais qui lui eussent paru malencontreusement placées dans une définition dogmatique[161].

 

VIII

La Constitution proposée avait un proœmium ou préambule et quatre chapitres. La discussion du préambule et des deux premiers chapitres fut rapidement conduite. Elle s'acheva en deux congrégations générales, qui se tinrent les 6 et 7 juin.

Le troisième chapitre arrêta plus longtemps l'assemblée. Il avait pour objet la primauté du pontife romain, se manifestant principalement par une autorité immédiate du Saint-Père sur tous les diocèses et par une juridiction suprême et en dernier ressort en toute cause, non seulement d'ordre dogmatique ou moral, mais encore d'ordre judiciaire et administratif. La question du pouvoir immédiat du pape sur les diocèses du monde entier divisa vivement l'assemblée. Parmi les canonistes auxquels les Pères avaient coutume de recourir au cours des débats, on remarquait surtout le docteur italien Mgr Vecchiotti, conseiller d'Etat auprès du Saint-Père, et le directeur du Séminaire de Saint-Sulpice, M. Icardinal Ce dernier soutenait énergiquement la doctrine du pouvoir ordinaire, que le premier contestait avec force. Vecchiotti prétendait que la rencontre de cette puissance immédiate du pape avec la puissance spéciale de l'évêque diocésain était de nature à créer la confusion et le désordre dans l'Eglise. Son contradicteur lui faisait remarquer : 1° qu'il ne s'agissait pas de deux puissances égales et concurrentes, mais de deux puissances subordonnées ; 2° qu'il ne pouvait s'agir, pour le pape, que d'une intervention passagère dans le gouvernement d'un diocèse, et non pas d'une substitution de son pouvoir à celui de l'évêque, d'une absorption de la juridiction épiscopale par la juridiction pontificale, ce qui serait alors un pouvoir ad destructionem, non ad ædificationem, suivant la doctrine de saint Paul ; 3° que, dans le cours des siècles, les papes avaient agi comme possédant ce droit, et qu'un grand bien en était résulté pour l'Eglise[162]. Cette dernière opinion, défendue au concile par Mgr Desprez, Mgr Freppel et Mgr Dechamps, triompha, malgré les objections présentées par Mgr Dupanloup et par Mgr Haynald. Un vif incident se produisit au milieu de la discussion. Plusieurs évêques de la majorité, entre autres Mgr Valerga, patriarche de Jérusalem, avaient, à propos du gallicanisme, violemment attaqué l'Eglise de France et l'autorité de Bossuet. Mgr Mathieu et Mgr Dupanloup répliquèrent avec une éloquence pleine d'émotion, rappelant les témoignages de dévouement donnés au Saint-Siège par le clergé français, les éloges que lui avaient décernés Innocent III, Benoît XIV, Pie VI et Pie VII, et ce grand témoignage du sang qu'il avait su donner dans la tourmente de 1793. Mgr Valerga remonta à l'ambon pour déclarer qu'il n'y avait eu, dans ses paroles, aucune pensée de malveillance, qu'il n'identifiait pas le gallicanisme avec l'épiscopat français, et termina son discours en s'écriant : Vive à jamais la noble Eglise de France ![163] L'incident était clos.

Le 15 juin 1870, commença, pour se terminer au 14 juillet, la discussion du quatrième chapitre, consacré à la question de l'infaillibilité du pape. Les débats, longtemps redoutés, sur cette question brûlante, furent ardents, mais graves et relativement paisibles. Les interventions étrangères, dont le cardinal Antonelli s'était effrayé[164], ne se produisirent pas. Le gouvernement français, sollicité d'intervenir par Mgr Darboy, archevêque de Paris[165], et par le P. Gratry, rejeta ces ouvertures. Nous n'hésitâmes pas, écrit Emile Ollivier[166]. Lorsque la majorité avait essayé de nous tirer à elle par le désaveu du memorandum, nous lui avions répondu : Non, nous ne prenons parti pour personne. Nous adressâmes la même réponse à la minorité[167].

Cent dix-huit orateurs s'étaient fait inscrire pour prendre la parole sur le quatrième chapitre[168]. Mais, au cours des discussions précédentes, la lumière s'était faite peu à peu. Pour moi, écrit le cardinal Manning[169], je puis déclarer en conscience que tous les arguments généraux avaient été épuisés depuis longtemps. On avait, en outre, tellement anticipé sur la discussion spéciale des détails, que pendant plusieurs jours on n'entendit rien de nouveau. La répétition devenait fastidieuse. De plus, les chaleurs étaient accablantes. Soixante et un Pères renoncèrent à leur droit de parler.

Les amendements présentés par les orateurs eurent cependant d'heureuses conséquences. La commission, après en avoir pris connaissance, présenta, cinq jours plus tard, un texte notablement amélioré. Au titre primitif : De romani pontificis infallibilitate, elle avait substitué celui-ci : De romani pontificis infallibili magisterio, afin de bien marquer qu'on entendait parler d'une assistance accordée à la fonction, au magistère. Elle avait, de plus, introduit la formule cum ex cathedra loquitur, formule qui avait l'avantage d'être traditionnelle, car elle était en usage dans les écoles théologiques[170]. En troisième lieu, elle avait qualifié le privilège d'infaillibilité de charisma, ce qui éveillait l'idée d'une grâce gratis data, c'est-à-dire donnée pour le bénéfice des autres, et non d'une grâce gratum faciens, c'est-à-dire qui sanctifie celui qui en est l'objet, et qui aurait pu suggérer l'idée d'impeccabilité dans celui à qui elle aurait été attribuée. Enfin, le savant rapporteur, Mgr Gasser, évêque de

Brixen, expliquait que l'infaillibilité du pape, telle qu'on proposait de la définir, n'avait pour objet, comme l'infaillibilité de l'Eglise, que la conservation et l'explication du dépôt de la foi révélée. Cette dernière remarque était de nature à rassurer ceux qui s'effarouchaient à la pensée de voir le pape proclamer des dogmes nouveaux[171].

Les Pères du concile, réunis en congrégation générale le 11 juillet, adhérèrent à peu près unanimement à presque toutes les propositions du rapporteur. Le même jour, la commission rédigea le schéma corrigé, qui fut proposé, le 13 juillet, aux votes de l'assemblée.

Six cent un Pères étaient présents. Quatre cent cinquante et un votèrent placet ; quatre-vingt-huit, non placet ; soixante-deux, placet juxta modum[172].

Quoique, d'après le règlement du concile, l'unanimité morale ne fût pas nécessaire, elle parut cependant très désirable. Pour l'obtenir, les présidents du concile, d'accord avec la commission, se déclarèrent prêts à céder, autant que possible, aux vœux de la minorité. On accorda à celle-ci la suppression de deux textes de saint Irénée et de saint Augustin, qui, séparés de leur contexte, auraient pu être compris dans un sens inexact[173] ; mais on refusa à une députation, composée de NN. SS. Darboy, Ginoulhiac, Simor, Scherr, Rivet et Ketteler, l'insertion d'un membre de phrase dans lequel il serait fait mention de l'assentiment de l'Eglise à la définition ex cathedra. Bien plus : afin d'éviter toute équivoque sur la signification de ce refus, la formule fut rédigée par le rapporteur de la manière suivante : Hujusmodi de finitiones romani pontificis irreformabiles esse ex sese, non autem ex consensu Ecclesiæ[174]. Ces deux modifications furent, le 16 juillet, soumises au scrutin. La première fut acceptée par presque toute l'assemblée ; la seconde, à une très grande majorité[175].

La rédaction définitive du schéma se trouvait ainsi fixée.

Il ne restait plus qu'à la soumettre au vote de l'assemblée, dont les membres n'avaient plus de choix qu'entre l'acceptation et le refus. D'après les usages, ce vote devait être renvoyé au dimanche suivant, en session publique. La nouvelle du grave conflit qui venait d'éclater entre la France et la Prusse détermina les Pères à avancer cette date. La session publique fut fixée au surlendemain, 18 juillet. Le président de l'assemblée lut ensuite un monitum du Saint-Père déclarant que les Pères qui auraient des raisons de s'absenter, soit pour des motifs de santé, soit pour des motifs d'affaires, pourraient retourner dans leur diocèse jusqu'au 11 novembre, fête de saint Martin, à la seule condition de prévenir de leur départ le secrétaire du concile[176].

Qu'allaient faire les membres de la minorité Laissons la parole à l'un de ces prélats. La veille du jour où le schéma de l'infaillibilité devait être lu en séance générale, raconte Mgr Dupont des Loges, évêque de Metz, nous nous réunîmes, les évêques de la minorité, pour examiner la conduite à tenir. Notre avis fut de dire : Non placet. Mgr Dupanloup arriva en retard. On lui fit connaître la résolution prise. Il nous dit qu'il ne pouvait se rendre à notre manière de voir : que nous ne pouvions pas dire placet, on ne nous croirait pas ; que nous ne pouvions pas dire non placet, le monde catholique ne nous comprendrait pas et peut-être se scandaliserait ; qu'il fallait s'abstenir. Son avis prévalut[177]. Une lettre au Saint-Père fut aussitôt rédigée et signée par les cinquante-cinq évêques adhérant à la décision. La lettre, conçue en termes respectueux, annonçait au pape que, pour ne pas avoir la douleur de dire, en face de leur Père, dans une question qui le touchait de si près : non placet, ils allaient retourner dans leurs diocèses[178]. Plusieurs quittèrent Rome le soir même.

Le lendemain, 18 juillet, à neuf heures du matin, la session publique eut lieu, suivant le cérémonial ordinaire, dans la grande salle du concile. Au moment du vote, un orage, qui grondait sourdement sur Rome depuis le matin, éclata subitement. Les placet des Pères, dit un témoin protestant, luttaient avec l'ouragan, au milieu du grondement du tonnerre, à la lueur des éclairs, éclatant à toutes les fenêtres, illuminant le dôme et toutes les coupoles de Saint-Pierre... Ceci dura sans interruption pendant une heure et demie. Jamais je n'ai assisté à une scène plus grandiose et d'un effet plus saisissant[179]. Cinq cent trente-cinq Pères étaient présents. On entendit seulement deux non placet. Ce furent ceux de Mgr Riccio, évêque de Cajazzo, dans les Deux-Siciles, et de Mgr Fitzgerald, évêque de Little-Rock, dans les Etats-Unis. Ces deux prélats n'avaient pas assisté à la réunion des évêques de la minorité, et on avait oublié de leur faire connaître la décision prise. Ils se soumirent l'un et l'autre aussitôt après la définition du dogme. On rapporte qu'au moment où le pape sanctionna de son autorité suprême la Constitution dogmatique, un grand calme se produisit dans l'atmosphère, et qu'un brillant rayon de soleil illumina le visage du pontife. C'était le symbole de l'œuvre entière du concile, qui s'était ouvert et poursuivi au milieu de tant d'orages, et qui se terminait dans la lumière et dans la paix.

Le lendemain, 19 juillet 1870, le chargé d'affaires de France à Berlin portait à lu chancellerie une déclaration de guerre à la Prusse. Le 2 août, l'empereur Napoléon III déclara que, la guerre qui venait de s'ouvrir réclamant toutes les forces de la France, il était disposé à retirer ses troupes de Rome.

Or, déclare l'historien allemand du concile du Vatican[180], c'est grâce à la protection armée de la France que le concile avait pu durer jusque-là. On avait désormais tout à craindre de la violence des troupes révolutionnaires et de la complicité de la cour de Florence.

On espéra un moment, à Rome, que l'Autriche prendrait dans la Ville sainte le poste d'honneur abandonné par Napoléon III ; mais on apprit bientôt qu'au contraire le comte de Beust, premier ministre de l'empire austro-hongrois, proposait à l'empereur des Français de faire l'abandon de Rome à la monarchie de Savoie[181]. Le roi de Prusse, sur qui quelques catholiques italiens avaient aussi compté[182], informait Victor-Emmanuel que les sympathies de la Prusse pour la personne du Saint-Père avaient leurs bornes naturelles dans les bons rapports entre la Prusse et l'Italie[183]. Après la bataille de Sedan, qui, le 2 septembre 1870, décida du sort de Napoléon III[184] et fit prévoir la victoire de la Prusse, Victor-Emmanuel n'hésita plus. Le 7 septembre, son ministre des affaires étrangères, Visconti-Venosta, fit savoir aux puissances étrangères que Sa Majesté le roi prenait, en face de l'Europe, la responsabilité du maintien de l'ordre dans la péninsule et de la sauvegarde du Saint-Siège[185]. On savait ce qu'il fallait entendre par une pareille formule. Le 10 septembre, le roi lui-même écrivit directement au Saint-Père : Je vois l'inéluctable nécessité que mes troupes, déjà préposées à la garde des frontières, s'avancent et occupent les positions qui seront indispensables à la sécurité de Votre Sainteté et au maintien de l'ordre[186]. On dit que Pie IX, à la réception de la lettre du roi, s'écria : Belle parole, ma brutti fatti, Belles paroles, mais vilaines actions. Il répondit au souverain que sa lettre n'était pas digne d'un fils affectueux, et qu'il remettait sa cause entre les mains de Dieu[187]. Le 11 septembre, 60.000 hommes de troupe pénétrèrent dans les Etats de l'Eglise. Surpris par cette attaque imprévue, les soldats du pape se replièrent sur Rome et Civita-Vecchia. Le général italien Bixio marcha sur cette dernière ville, tandis que le général Cadorna s'avançait vers Rome. Le 16 septembre, Civita-Vecchia se rendit. Le lendemain, l'investissement de Rome commença. Le pape avait à sa disposition environ 10.000 combattants, résolus à se défendre jusqu'à la mort, brûlant de venger à Rome le guet-apens de Castelfidardo. L'ambassadeur prussien, M. d'Arnim, vint engager le pape à consentir à l'occupation de Rome. Il se heurta à un non possumus absolu. Le 20 septembre, de cinq heures du matin à dix heures, l'artillerie piémontaise battit les vieux remparts, et lança ses projectiles sur la ville. La première brèche fut pratiquée auprès de la Porta Pia. L'assaut allait se donner, quand le drapeau blanc flotta sur les murs et au Château Saint-Ange. Pie IX, voulant éviter une trop grande effusion de sang, venait de donner l'ordre de cesser la résistance. Dans la capitulation, il fut expressément stipulé que la cité léonine resterait au Saint-Père : mais dès le lendemain, Pie IX, en présence de troubles graves, dut se résigner à y laisser pénétrer les troupes italiennes. La ruine du pouvoir temporel était complète. On ne laissa au pape que le Vatican et ses jardins. Messieurs, dit Pie IX en s'adressant au corps diplomatique réuni autour de lui, vous êtes témoins que je cède à la violence ; à partir de ce moment, le pape est prisonnier de Victor-Emmanuel.

Qu'allait devenir le concile ? Le 20 octobre, le lendemain de la publication du décret royal qui changeait le patrimoine de saint Pierre en province romaine, parut la bulle de prorogation du concile. Nous avons décidé, disait le pape, de remettre la continuation des séances à une époque ultérieure. Nous déclarons le concile suspendu, suppliant Dieu, maître et vengeur de son Eglise, de rendre au plus tôt à sa fidèle épouse la paix avec la liberté[188].

 

IX

Les définitions votées au concile, et en particulier celle de l'infaillibilité pontificale, dans les formules auxquelles avaient finalement abouti les délibérations des Pères, sous l'assistance de l'Esprit-Saint, ne faisaient, en somme, que reproduire l'enseignement traditionnel de l'Eglise. Il était facile de s'en convaincre par une étude calme et impartiale des textes adoptés. Mais les agitations des peuples et des Etats avaient été si grandes, tant de préjugés, tant d'interprétations tendancieuses avaient été mis en circulation, qu'on pouvait craindre de voir le vrai sens des décisions conciliaires obscurci par la passion ou par la mauvaise foi.

Pour éclairer l'opinion, le secrétaire général du concile, Mgr Fessler, évêque de Saint Hippolyte, en Autriche, publia, sous ce titre : la Vraie et la Fausse Infaillibilité des Papes, une brochure, aussitôt honorée d'un Bref approbatif de Pie IX. Il y établissait avec netteté : 1° que le concile du Vatican, dans ses définitions, n'avait fait autre chose que de fixer et de préciser, suivant ses expressions, une tradition remontant à l'origine de la foi chrétienne[189] ; 2° que l'infaillibilité du pape définie par le concile n'est attachée qu'à sa fonction de docteur suprême de l'Eglise universelle, et non à celles de prêtre suprême, de juge suprême et de suprême législateur[190] ; 3° que, même dans les décrets dogmatiques, tout n'est pas article de foi, et qu'il ne faut pas considérer comme tel ce qui n'est mentionné qu'en passant ou ce qui ne sert que d'introduction ou de considérants[191] ; 4° qu'en disant que les définitions promulguées par le pape sont irréformables par elles-mêmes, et non en vertu du consentement de l'Eglise, on ne veut dire en aucune façon que le pape puisse jamais décider quelque chose de contraire à la tradition ou qu'il puisse se mettre en opposition avec tous les autres évêques[192] ; 5° qu'en somme la théologie rencontre un petit nombre de jugements ex cathedra ou de décisions infaillibles des papes dans l'histoire de l'Eglise[193] ; 6° enfin que le domaine de l'infaillibilité du pape, loin de dépendre de sa volonté arbitraire, se trouve nettement limité et qu'il est impossible, par exemple, que ce domaine s'étende à des matières juridiques, lesquelles ne sont point contenues dans la révélation divine[194].

Non content d'approuver et de recommander la brochure de Mgr Fessler, Pie IX voulut rassurer lui-même les chefs d'Etat au sujet de la portée attribuée par quelques publicistes à la définition de l'infaillibilité. C'est une erreur pernicieuse, déclara-t-il, de représenter l'infaillibilité comme renfermant le droit de déposer les souverains... La mauvaise foi seule peut confondre des objets si divers, comme si un jugement infaillible porté sur une vérité révélée avait quelque analogie avec un droit que les papes, sollicités par le vœu des peuples, ont dû exercer quand le bien général le demandait !...[195]

Tous les évêques opposants, sans exception aucune, se soumirent humblement aux décisions du concile du Vatican. Les plus remarquées de ces soumissions furent celles de Mgr Dupanloup, de Mgr Darboy, de Mgr Maret, de Mgr Strossmayer, de Mgr Héfélé. Parmi les catholiques libéraux de quelque renom, remarque Mgr Cecconi[196], pas un seul ne refusa de s'incliner devant l'oracle du Saint-Esprit 2. Dœllinger en Allemagne et M. Loyson en France, qui s'étaient ouvertement mis en révolte avant le concile, ne furent suivis par aucun disciple de marque. M. Loyson essaya de fonder à Paris une Eglise française, qui se discrédita de plus en plus. Dœllinger, qui parait avoir, un moment, rêvé de jouer le rôle d'un Luther, mourut isolé. De hauts personnages, Mgr Fessler, le cardinal de Hohenlohe, Mgr hardi, Mgr Dupanloup, l'abbé Duchesne, tentèrent de le ramener à des sentiments d'humble soumission. Dœllinger reçut leurs visites et leurs lettres avec politesse, sans récrimination, mais aussi sans leur laisser d'espérance[197]. Il mourut subitement, peut-être sans avoir eu le temps de se reconnaître, en tout cas sans avoir rétracté ses erreurs. A. côté de lui, quelques professeurs moins célèbres, Friedrich et Sepp, de l'université de Munich, Hilgers et Reusch, de Bonn, Reinkens, de Breslau, Schulte, de Prague, prétendirent fonder une Eglise de Vieux Catholiques, que les gouvernements d'Allemagne favorisèrent à l'envi. Dœllinger dédaigna d'assister au congrès qu'ils tinrent à Cologne en 1872, fraternisant avec les Anglicans, les Russes et le franc-maçon Bluntschli ; il refusa également de prendre part au conciliabule qu'ils organisèrent à Constance, du 12 au 14 septembre 1873, où ils adhérèrent aux principes de la Réforme luthérienne. Malgré la science de ses organisateurs, malgré l'appui des trônes, le vieux-catholicisme allemand n'a pas témoigné plus de vitalité que l'Église française. L'opinion publique ne s'est jamais occupée de l'un et de l'autre que pour les dédaigner ou les ridiculiser.

En revanche, les gouvernements manifestèrent généralement leur hostilité envers les décisions promulguées par le concile du Vatican. La France, qui, au lendemain de la guerre, avait élu une assemblée dont la majorité était favorable au catholicisme, n'eut pas une attitude hostile ; mais la Prusse affecta de regarder comme catholiques les dissidents ; et l'Autriche-Hongrie protesta contre le dogme de l'infaillibilité en dénonçant son concordat. La plupart des Etats allemands interdirent la publication des décrets du concile. Le Portugal en fit autant. Plusieurs cantons suisses prirent une attitude nettement opposée au catholicisme ; le Conseil fédéral élabora une réglementation nouvelle des rapports entre l'Eglise et l'Etat. Mgr Lachat, évêque de Bâle, et Mgr Mermillod, évêque coadjuteur de Genève, reconnus comme zélés défenseurs de l'infaillibilité pontificale, furent expulsés du territoire helvétique. En Angleterre, l'ancien premier ministre, Gladstone prétendit démontrer, dans une brochure retentissante, que l'infaillibilité du pape ne menaçait pas seulement les consciences des individus, mais encore l'Etat, car, disait-il, ce dogme peut mettre, à chaque instant, le sujet d'une nation dans la nécessité de sacrifier son loyalisme au bon plaisir du pape[198].

Cette grande agitation s'apaisa. Elle n'eut jamais de prise sur la masse des catholiques. Elle ne pouvait en avoir. Personne, a écrit un homme d'Etat non croyant, personne n'admettra que des hommes qui croient à la révélation, à la divinité de Jésus-Christ, à l'infaillibilité de l'Eglise, qui n'ont contesté aucune des décisions doctrinales rendues par les papes depuis dix-huit siècles, se séparent de la communion dans laquelle ils ont vécu, parce qu'une infaillibilité dont ils ne contestent ni la nécessité ni la puissance sera expliquée par l'assistance divine au lieu de l'être par l'assentiment, même tacite, des évêques ![199] Quant à l'autorité du concile, les divers reproches dont il avait été l'objet n'avaient pas supporté l'examen de sang-froid du lendemain[200]. La liberté y avait été-entière ; et pouvait on supposer, dans le vote sur l'infaillibilité, donné le 18 juillet 1870, une unanimité morale plus écrasante. Depuis cette date, a écrit le cardinal Manning[201], une multitude d'événements se sont précipités vers leur accomplissement. L'Empire français a disparu. Rome a été occupée par les armées d'Italie. La paix de l'Europe a été rompue. L'Eglise pourra souffrir. Mais, à Rome ou en exil, le chef de l'Eglise sera ce que le concile du Vatican a déclaré qu'il est. Il se peut que la réunion des conciles œcuméniques soit rendue temporairement impossible, que l'administration ordinaire de l'Eglise devienne à peine praticable... Le chef infaillible d'une Eglise infaillible ne sera jamais soumis à la souveraineté d'un homme. La barque de l'Eglise est munie de ses provisions pour les temps à venir.

 

 

 



[1] Sur les diverses condamnations portées contre les sociétés secrètes par Clément XIII, Pie VI, Pie VII, Léon XII, Pie VIII et Grégoire XVI, voir l'allocution Multiplices de Pie IX, prononcée le 25 septembre 1865 (Acta Pii IX, t. IV, p. 23 et s.), et Dict. apol. de la foi cathol., au mot franc-maçonnerie, t. II, col. 127.

[2] Bref Ex epistola adressé à Mgr Darboy à l'occasion des obsèques du maréchal Magnan.

[3] Voir PROUDHON, De la justice dans la Révolution et dans l'Eglise, t. II, p. 212.

[4] Sur la dépendance de Proudhon par rapport à Hegel, voir LANSON, Hist. de la littérature française, 7e édition, p 902.

[5] La philosophie de Comte et celle de Littré avaient aussi beaucoup contribué à cette évolution.

[6] Correspondant du 25 mai 1868.

[7] Sur ce mouvement et son alliance avec la franc-maçonnerie, voir WEILL, Histoire du parti républicain. Gambetta est reçu franc-maçon en 1869 (TOURNIER, Gambetta franc-maçon, p. 143). C'est sous le patronage de la franc-maçonnerie que se fonde la Ligue de l'enseignement, présidée par Jean Macé.

[8] Voir F. BUISSON, l'Enseignement de l'histoire sainte, Genève, 1869.

[9] E. QUINET, le Livre de l'exilé, p. 538, 568, etc.

[10] Voir le compte rendu officiel in extenso de l'assemblée dans CECCONI, Hist. du Concile du Vatican, trad. Bonhomme, 4 vol. in-8°, Paris, 1887, t. IV, p. 1-1 I.

[11] CECCONI, Hist. du Concile du Vatican, t. IV, p. 2.

[12] GRANDERATH, Hist. du Concile du Vatican, trad. française, 3 vol. in-8°, Bruxelles, 1907, t. I, p. 419 ; Collectio lacensis, t. VII, col. 1254-1256.

[13] CECCONI, t. IV, p. 35-36.

[14] Collectio lacensis, t. VII, col. 1258 et s.

[15] CECCONI, t. II, p. 407.

[16] Les documents relatifs à l'anti-concile de Naples se trouvent dans un vol. in-8 de 448 pages publié à Paris, au Grand Orient, et intitulé : Enquête maçonnique à propos du convent extraordinaire du 8 décembre 1869, et dans la Revue bimensuelle la Chaine d'union. Cecconi, dans son tome IV, a donné des extraits de ces publications.

[17] Voir la bulle dans CECCONI, t. I, p. 387, 390.

[18] CECCONI, t. I, p. 390, 394. Pie IX, à l'occasion du concile, exhortait les protestants à l'union ; mais il n'invitait pas leurs évêques à assister à l'assemblée, parce que, dans la plupart des Eglises protestantes, l'invalidité des ordinations n'était pas douteuse, et que, même chez les Anglicans, la validité des pouvoirs épiscopaux était très discutable.

[19] Collectio lacensis, t. VII, col. 1110, 1111.

[20] CECCONI, t. II, p. 75-76.

[21] CECCONI, t. II, p. 76, note 1.

[22] GRANDERATH, t. I, p. 395.

[23] CECCONI, II, 165-166.

[24] CECCONI, II, 223-224.

[25] GRANDERATH, I, 395 ; Revue du monde catholique, 1869, t. I, p. 299.

[26] E. de PRESSENSÉ, le Concile du Vatican, un vol. in-12, 2e édition, Paris, 1879, p 197. L'Alliance évangélique demanda des prières à ses adhérents au moment où Rome allait mettre le sceau à son œuvre... en condamnant les progrès et les libertés sans lesquelles la société moderne ne subsisterait plus. (CECCONI, III, 151.)

[27] Voir les documents dans CECCONI, IV, 689-693.

[28] Voir Etudes, année 1866, t. IX, p. 132 et s. ; p. 261 et s. ; p 378 et s. ; t. XI, p. 398 et s. ; année 1868, t. I, p. 54 et s. De petits articles, signés M. N. O., étaient aussi du P. Victor de Buck.

[29] Les détails donnés ci-dessus sont empruntés à la correspondance inédite du P. Victor de Buck avec Mgr Dupanloup, correspondance conservée aux Archives du séminaire de Saint-Sulpice, notamment aux lettres écrites par le P. de Buck le 30 janvier 1869 et le 9 mars 1869.

[30] V. DE BUCK, Lettre du 29 juillet 1869, adressée à Mgr Dupanloup.

[31] V. DE BUCK, Lettre du 29 juillet 1869, adressée à Mgr Dupanloup.

[32] Voir ses lettres passim.

[33] Feria 4a, die 17a novembris 1869, EE. DD. decreverunt quod, per medium Rev. P. Generatis Societatis Jesu, sub secreto Sancti Officii, scribatur opportune P. de Buck, ut ab incœpto conciliationis tractatu cum nonnullis heterodoxis anglicanis omnino desistat (CECCONI, t. II, p. 293, note 3). Cecconi (ibid., p. 294, 296) conjecture que le motif de l'interdiction prononcée par le Saint-Office aurait été le suivant : on aurait craint que les négociations entreprises avec le parti unioniste, parti peu nombreux, puisque, sur 18.000 ecclésiastiques anglicans, il n'en comptait pas plus de 400, et parti détesté par l'Eglise établie, ne compromissent le mouvement général de l'Eglise d'Angleterre vers l'Eglise romaine. Les raisons ci-dessus exposées, d'après la correspondance inédite du P. de Buck avec Mgr Dupanloup, nous paraissent plus vraisemblables. Les membres du Saint-Office furent sans doute guidés par le peu d'espoir qu'ils avaient en la réussite des négociations et peut-être aussi par le peu de confiance que leur inspirait le négociateur proposé. Mgr Dupanloup venait en effet de publier, le 11 novembre, à propos du concile et de l'infaillibilité pontificale, une lettre dont à Rome on s'était beaucoup ému.

[34] GRANDERATH, II, 393-459.

[35] E. OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, 2 vol. in-12, Paris, 1879, t. I, p. 508.

[36] Moniteur universel du 11 juillet 1868 ; E. OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, t. I, p. 401.

[37] Univers du 11 juillet 1868 ; Louis VEUILLOT, Rome pendant le concile, éd de 1872, t. I, p. LXV-LXVI.

[38] Le 8 décembre 1868, il écrivait à l'évêque d'Orléans : Vous me demandez si on m'a invité à Rome pour prendre part aux travaux préparatoires. Je réponds que non... Depuis quelques années, je suis tombé en disgrâce... On me regarde à Rome comme un homme trop peu ultramontain, et vous savez que cela ne se pardonne pas. Cette lettre se terminait par cette phrase, qui pouvait déjà faire craindre une défection : Ce n'est pas sans un sentiment d'admiration méfié d'envie que je vous contemple... résolu de défendre tout ce qui sera décidé à Rome. (Lettre inédite, Arch. du séminaire de Saint-Sulpice.)

[39] Ces incidents diplomatiques ont été largement exposés par Emile OLLIVIER dans son ouvrage l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, ch. V, t. I, p. 403 536. De curieux documents ont été publiés par Emile OLLIVIER dans ce chapitre ; mais les appréciations de l'auteur donnent lieu à bien des réserves.

[40] Lettre sur le futur concile œcuménique, brochure de 64 pages in-8°, Paris, 1868.

[41] GRANDERATH, Hist. du concile du Vatican, t. I, p. 169. Cette lettre, écrivait le P. Victor de Buck, est probablement le meilleur écrit qui ait paru dans ce siècle. Voilà comment il faut parler de l'Eglise. (Lettre inédite du P. V. de Buck, du 23 novembre 1869, Archives du Séminaire de Saint-Sulpice.)

[42] Collectio lacensis, t. VII, col. 1155-1157. Voir le texte italien ibid., col. 1158-1162.

[43] Lettre inédite du P. Victor de Buck à Mgr Dupanloup.

[44] V. DE BUCK, Lettre à Mgr Dupanloup, du 27 avril 1870 (Arch. du Sém. St-Sulpice.)

[45] CECCONI, III, 283. Voir le texte italien dans la Collectio lacensis, VII, col. 1171- 1172. — Théologiens et jésuites, les rédacteurs de la Civiltà ne pouvaient, en effet, oublier la doctrine si magistralement exposée par Bellarmin : Patres in conciliis debent rem ipsam quarere, id est, conclusiones investigare, disputando, legendo, cogitando. Unde Actor. 15 legimus in primo concilio magnam conquisitionem fuisse factam. Idem testatur de Nicœno concilio Ruffinos, lib. X, cap. 5 Hist. Eccles., quocirca Actor. 15 dicunt Patres concilii : Visum est Spiritui Sancto et nobis, id est Spiritu Sancto nostram industriam et diligentiam adjuvante. At Scriptores sacri soli Deo tribuunt ea quæ scribunt, ac propterea tam sæpe repetebant prophetæ illud : dicit Dominus. (BELLARMIN, Controversia generalis de conciliis, lib. II, cap. XII.) On ne pouvait s'attendre à de pareilles précisions de la part d'un laïque. Louis Veuillot, confondant la révéla ion, l'inspiration et l'assistance, écrivait ironiquement : Le Correspondant veut que l'on discute et que le Saint-Esprit prenne le temps de se former une opinion. (Univers du 7 novembre 1869). Il est à remarquer qu'au cénacle aucune discussion ne précéda l'invasion de l'Esprit-Saint (Univers du 21 novembre 1869).

[46] Nè vale il dire cite avendo ammessa nel nostro periodico la corrispondenza, avevamo con ció fatto nostro proprio tutta ció che quivi si scrive. Collectio lacensis, t. VII, 1170.

[47] Cité par GRANDERATH, I, 205. Il est inutile de faire remarquer combien de pareilles accusations étaient gratuites. Les adversaires de la Civiltà n'étaient pas dans le vrai quand ils l'accusaient d'avoir soulevé la première des questions irritantes à propos du futur concile. Dès 1867, plusieurs articles anonymes de l'Allgemeine Zeitung et de la Neue Freie Presse avaient abordé les mêmes questions, accusant Manning, par exemple, de se donner à la théorie de l'infaillibilité avec le zèle ardent d'un converti. (GRANDERATH, I, 211.) Friedrich n'est donc pas excusable lorsqu'il prétend que la curie romaine a soulevé délibérément une polémique sur l'infaillibilité parce qu'elle avait besoin qu'on attaquât cette doctrine pour pouvoir dire qu'elle était contrainte d'en proposer la définition. (FRIEDRICH, Geschichte des Vatikan Konzil, t. II, p. 3). Tout ce qu'on peut dire, avec le P. Granderath, c'est que, sans aucun doute, la correspondance française de la Revue romaine a notablement accentué le mouvement hostile au concile (GRANDERATH, I, 213.) Quel était l'auteur de la fameuse correspondance ? Ni Granderath, ni Cecconi, ni Emile Ollivier, ni aucun historien, à notre connaissance, ne l'a nommé. Dans une lettre inédite, adressée le 20 juillet 1869 à Mgr Dupanloup, le P. Victor de Buck écrit le nom de l'abbé Darras, l'auteur d'une Histoire de l'Église alors très répandue, mais très critiquée par les Bollandistes. Le P. de Buck, en relation au moins indirecte avec le P. Piccirillo, directeur de la Civiltà (lettre du 15 avril 1869, et avec plusieurs autres jésuites de Rome, était à même d'être bien renseigné. Sur les origines de cette lettre et sa publication dans la Revue des Pères Jésuites, voir GRANDERATH, I, 199-212 ; CECCONI, II, 354-374.

[48] G. GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. IV, p. 240.

[49] K. WERNER, Geschichte der Kalholichten Theologie seit dem Trieuter Konzil, p. 470.

[50] Emile OLLIVIER, op. cit., t. I, p. 425.

[51] Cité par GRANDERATH, I, 209.

[52] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. IV, 242.

[53] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. IV, 241. Plusieurs manifestations inspirées par un esprit non moins téméraire furent faites en Allemagne sous forme de manifestes (GRANDERATH, t. I, p. 245 et s.). Citons seulement l'adresse d'un certain nombre de catholiques de Bade, publiée par le Journal des Débats du 2 juillet 1869.

[54] Lettre inédite (Arch. Sém. St-Sulpice). La suite de la lettre respire une telle fatuité scientifique et caractérise si bien le malheureux professeur allemand, qu'elle est à citer : Mes citations des éditions, volumes, pages, seront si exactes, si scrupuleuses, que chacun pourra (les) vérifier tout de suite. Si on peut persuader à un certain nombre d'évêques d'entrer sérieusement dans la discussion... la victoire de la vérité est presque assurée.

[55] Le Pape et le Concile, par JANUS, trad. GIRAUD-TEULON, un vol. in-12, Paris, 1869. On a quelquefois prétendu que Mgr Dupanloup faisait cause commune avec Dœllinger. La correspondance de ce dernier, aussi bien que les écrits de l'évêque d'Orléans, dément cette assertion trop absolue. Voir les lettres de Dœllinger publiées par la Revue internationale de théologie, 1899, p. 236, 238. Cf. GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. IV, t. IV, 344.

[56] Paris, 2 vol. in-8. Un troisième volume était annoncé.

[57] Du Concile général, t. III, p. 389 et s.

[58] Du Concile général, t. I, p. XVIII.

[59] Du Concile général, t. I, p. XXVI.

[60] Du Concile général, t. I, p. XXVI.

[61] Du Concile général, t. I, p. XVIII.

[62] Mgr Manning, dans un mandement publié au mois d'octobre, avait, en parlant du pape infaillible, employé l'expression apart from, séparément des évêques : ce qui pouvait, au pied de la lettre, s'entendre de deux laçons : sans les évêques, sans leur concours direct ; ou bien contre les évêques, en opposition possible avec les évêques ; et c'était dans ce dernier sens que l'Univers avait paru interpréter l'expression anglaise.

[63] GRANDERATH, t. I, p. 313. — Voir BAZIN, Vie de Mgr Maret, 2 vol. in-8°, Paris, 1891.

[64] GRANDERATH, Hist. du Concile du Vatican, t. I, p. 331.

[65] LAGRANGE, Vie de Mgr Dupanloup, t. III, p. 128.

[66] Je vous félicite de tout mon cœur des articles du Français, lui écrivait, à la date du 15 avril 1869, le P. Victor de Buck. Ils ont voyagé dans la plupart de nos maisons et ont reçu l'approbation universelle. (Lettre inédite, Arch. S.-S.)

[67] L'auteur de l'article parait avoir été le prince Albert de Broglie ; mais, étant donné l'importance du sujet traité et les relations habituelles des rédacteurs do la Revue avec l'évêque d'Orléans, il est vraisemblable que l'article ne fut pas publié sans l'assentiment de Mgr Dupanloup.

[68] Collectio lacensis, t. VII, col. 1980, 128.

[69] Collectio lacensis, t. VII, col. 1276 et s.

[70] Les principaux journaux religieux de France étaient alors : l'Univers, dirigé par Louis Veuillot ; le Monde, dirigé par Taconet ; l'Union, journal de Sébastien Laurentie ; la Gazette de France, de Gustave Janicot ; le Français, de François Beslay. On peut y ajouter le Moniteur universel, de Paul Dalloz, à qui Rouher venait de retirer, à la fin de 1868, le caractère de journal officiel. Les principales publications périodiques des catholiques italiens étaient la Civiltà cattolica de Rome et l'Unità cattolica de Milan. En Allemagne, le journal catholique le plus important en 1869 était le Volkszeitung de Cologne, dont le ton répondait à celui du Français et du Correspondant, tandis que la Doxau Zeitung de Munich se rattachait aux idées de l'Univers. Deux journaux catholiques de Vienne, le Wolksfreund et le Vaterland, avaient peu d'abonnés. En Angleterre, le principal journal catholique était le Tablet, organe du cardinal Manning. Le Weekly Register, plus modéré, était inspiré par Mgr Capel.

[71] LAGRANGE, op. cit., t. III, p. 144.

[72] Lettre de Falloux à Montalembert, du 31 octobre 1869. (Arch. de Saint-Sulpice.) Le prince Albert de Broglie écrit à l'évêque d'Orléans : Je garderais de l'écrit ce qui est pacifique ; j'enlèverais ce qui est militant. (Lettre du 5 novembre 1869, Arch. de St-Sulpice). Augustin Cochin donne un avis semblable. Mgr Dupanloup paraît n'être entré dans la polémique qu'à son corps défendant. Le 17 septembre 1869, il écrit dans son journal intime : Apparition du livre de Mgr Taret. Complication des plus fâcheuses ; peut être calamité. Je m'étais fait un eldorado d'un concile de charité, de zèle, d'amour. Et voilà que tout à coup, par cette imprudence absolument aveugle, en apparaît un de querelles affreuses. En novembre, les querelles affreuses étant ouvertes, l'évêque d'Orléans crut qu'il était de son devoir d'y prendre part.

[73] ICARD, Journal de mon voyage et de mon séjour à Rome, p. 10 (Archives du Séminaire de Saint-Sulpice).

[74] ICARD, Journal de mon voyage et de mon séjour à Rome, p. 1, 2, 3, 8, 9, 10, 11, 13, 25 et passim.

[75] Des anti-infaillibilistes, comme lord Acton, avaient la même interprétation. (Lettre inédite du 9 février 1870.)

[76] Le 21 novembre 1869, Mgr Dupanloup communiqua à son clergé un écrit véhément, intitulé : Avertissement à M. Louis Veuillot. L'évêque d'Orléans accusait le rédacteur en chef de l'Univers d'usurpations sur l'épiscopat, d'intrusions perpétuelles dans ses plus graves et plus délicates affaires. Dans l'Univers du 22 novembre, Veuillot répondit : Nous dirons le moins possible, ne voulant pas risquer de perdre tous les avantages que nous fait un adversaire trop irrité.

[77] Lettre pastorale du 10 décembre 1869. La lettre pastorale aux fidèles, datée du 10, et la lettre pastorale au clergé, datée où ils parurent en même temps.

[78] CECCONI, t. IV, p. 392 et suivantes.

[79] CECCONI, t. IV, p. 206 et suivantes.

[80] CECCONI, t. IV, p. 678.

[81] Ou le XXe (KRAUS, Hist. de l'Eglise, t. III, p. 382), pour ceux qui considèrent comme un concile œcuménique l'assemblée réunie à Pise, en 1409, pour mettre fin au schisme d'Occident par l'élection d'un pape (Hist. Gén. de l'Eglise, t. V). Les huit premiers conciles avaient été tenus en Orient ; ce sont les conciles de Nicée I en 325, de Constantinople en 381, d'Ephèse en 431, de Chalcédoine en 451, de Constantinople II en 553, de Constantinople III en 680, de Nicée lI en 787, et de Constantinople IV en 869. Les onze conciles suivants avaient été tenus en Occident : ce sont les conciles de Latran I en 1123, de Latran II en 1139, de Latran III en 1179, de Latran IV en 1215, de Lyon I en 1245, de Lyon II en 1274, de Vienne en 1311-1312, de Florence en 1438, de Latran V en 1512-1517, de Trente en 1545-1553, du Vatican en 1869.

[82] Il n'est pas possible d'indiquer à une unité près, le nombre des Pères présents à la première session (FESSLER, secrétaire du concile, das Vatikanische Konzilium, 2e édit., Vienne, 1871, p. 13 et s.). D'après l'opinion commune, à Nicée on avait compté 300 Pères ; à Constantinople, 186 ; à Ephèse, plus de 250 ; à Chalcédoine, 520 suivant les uns, 630 suivant les autres ; à Constantinople II, 165 ; à Constantinople III, 170 ; à Nicée II, 367 ; au Latran I, de 300 à 400 ; au Latran II, 1.000 ; au Latran III, plus de 300 ; au Latran IV, environ 1.300 ; à Lyon I, environ 300 ; à Lyon II, près de 1.600 ; à Florence, de 200 à 400 ; au Latran V, 120 ; à Trente, 213. Ces calculs sont conjecturaux. Trois conciles ont été plus nombreux que le concile du Vatican : le second de Lyon, le second et le quatrième de Latran. Mais il faut remarquer que ces trois conciles avaient admis à leurs délibérations un grand nombre de personnages qui n'étaient point évêques.

[83] On vit arriver, au temps fixé, les évêques de la Californie, du Mexique, du Brésil, du Pérou, du Chili, de la Nouvelle-Grenade, des Philippines et de l'Australie ; les vicaires apostoliques des Indes Orientales, de Siam, du Tonkin, de la Chine et du Japon. (FESSLER, le Concile du Vatican, trad. COSQUIN, 1 vol., Paris, 1377, p, 21).

[84] Pour justifier le droit que s'arrogeait le pape d'imposer un règlement au concile il n'est nullement nécessaire de le fonder, avec HINSCHIUS (das Kirchenrecht der Katoliken., III, 652), sur cette idée fausse que le concile n'est qu'un conseil du pape. Ce droit, très compatible avec le pouvoir législatif et judiciaire de l'assemblée œcuménique, est impliqué dans la plénitude de puissance dévolue au souverain pontife.

[85] Collectio lacensis, t. VII, p. 17 et s.

[86] VEUILLOT, Rome pendant le concile, t. I, p. 7.

[87] ICARD, Journal, p. 25, 26.

[88] ICARD, Journal, p. 67.

[89] ICARD, Journal, p. 151.

[90] CECCONI, t. I, p. 434 et s.

[91] CECCONI, t. I, p. 227.

[92] Voir Dict. de Théol. de VACANT, à l'article Apostolicæ Sedis.

[93] ICARD, Journal, p. 57 ; Emile OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au Concile du Vatican, t. I, p. 531.

[94] ICARD, Journal, p. 34.

[95] Les prélats ainsi appelés protestèrent toujours contre cette dénomination. Ils qualifièrent à leur tour leurs adversaires d'opposants à l'épiscopat, et se donnèrent le nom de modérés. Mais ces qualifications ne prévalurent pas. Finalement ils acceptèrent celle de membres de la Minorité.

[96] C'est dans l'Univers du 12 janvier 1869 que Louis Veuillot employa pour la première fois ce mot d'opportuniste ou plutôt de non-opportuniste, en ajoutant : Je vous demande pardon du mot. (L. VEUILLOT, Rome pendant le concile, t. I, p. 104.)

[97] Mgr Strossmayer, évêque titulaire de Bosnie, de Sirmium et de Diakovar, avait sa résidence ordinaire à Diakovar ou Diakovo. D'où le titre d'évêque de Diakovar qu'on lui donnait communément.

[98] D'autres réunions furent ébauchées, qui n'eurent pas la même importance que celles que nous venons d'énumérer. Vers la fin de janvier 1870, Mgr Spalding, archevêque de Baltimore, essaya, dans un dessein d'union, d'organiser un tiers parti, dont le programme serait la définition équivalente de l'infaillibilité, sans employer ce mot même. (ICARD, Journal, p. 152-153.) D'autre part, Mgr Dupanloup et Mgr Darboy tentèrent d'organiser une commission internationale ayant pour but de régulariser l'action des divers groupes opposants. Mais le cardinal Mathieu et le cardinal de Bonnechose ayant refusé d'entrer dans cette voie, ce projet n'eut pas le succès qu'on s'était promis. (ICARD, Journal, p. 76, OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au Concile du Vatican, t. II, p. 7.) Ces deux derniers cardinaux auraient patronné un autre projet : celui de réunir en un seul groupe les évêques français. Le cardinal Antonelli, au nom du pape, s'y opposa ; et, en présence de cette opposition, le projet n'eut pas de suite. (ICARD, Journal, p. 39, 50, 58-59.)

[99] P. SAINTRAIN, Vie du cardinal Dechamps, archevêque de Malines, un vol in-8°, Tournai, 1884.

[100] Voir DECHAMPS, Lettres théologiques sur la démonstration de la foi, p.96 et s.

[101] DENZINGER-BANNWART, n. 1786.

[102] DENZINGER-BANNWART, n. 1794.

[103] L'Emancipation et le Journal des Flandres, où il signait A.-V. D. disciple de Lamennais. Auguste-Victor Dechamps avait alors moins de vingt ans.

[104] GRANDERATH, op. cit., I, 351-355 ; II, 84, 379-393.

[105] Voir BAUNARD, Hist. du cardinal Pie, 2 vol. in-8°, Paris.

[106] E. OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au Concile du Vatican, t. I, p 425.

[107] GRANDERATH, I, 88, 92, 468, 481 et s., 490 et s., 494, 496 et s., 502 et s. Le chef d'œuvre d'Héfélé est son Histoire des conciles, traduite en français par l'abbé Delarc, puis par Dom Leclercq.

[108] Correspondant du 25 avril 1905, p. 268 et s.

[109] Il y avait une raison, disait-il avec esprit en 1905, pour que je ne m'entendisse pas, au concile, avec la majorité des évêques : ils parlaient un si mauvais latin ! (Correspondant du 25 avril 1905, p 270.)

[110] E. OLLIVIER, t. II. p. 12.

[111] E. OLLIVIER, t. I, p. 416-418. Voir cardinal FOULON, Vie de Mgr Darboy, 1 vol. in-8°, Paris, 1880.

[112] Voir Mgr BESSON, Vie du cardinal de Bonnechose, 2 vol. in-12, Paris, 1887. Vie du cardinal Mathieu, 2 vol. in-12, Paris, 1882.

[113] Index schematum quæ a theologis et ecclesiastici juris consultis præparata fuerunt (Collectio lacensis, VII, col. 505-506.)

[114] Schema constitutionis dogmaticæ de doctrina catholica contra multiplices errores ex rationalismo derivatos. (Collectio lacensis, t. VII, col. 507-553.)

[115] Ces trois périodes, nettement distinctes dans leur ensemble, ne sont pas strictement séparées dans l'ordre chronologique. Les débats sur les constitutions disciplinaires ont commencé alors que les délibérations sur la première constitution dogmatique n'étaient pas achevées ; et les délibérations sur la deuxième constitution dogmatique se sont ouvertes avant la fin des débats sur les constitutions disciplinaires. Pour la commodité de l'exposition, nous traiterons séparément des trois phases.

[116] Le coup de sonnette fut donné par le président de Luca, et l'observation fut faite par le président Capalti. De Luca, dit Granderath, était un homme réservé, un peu timide. Capalti prit la parole à sa place. Hist. du concile du Vatican, t. II, p. 124, n. 2.

[117] Mgr Vecchiotti pense que ce sont les jésuites qui ont arrangé ce schéma pour faire passer dans le concile les idées qu'ils soutiennent dans la Civiltà cattolica. (ICARD, Journal, p. 52.) Mgr Vecchiotti, conseiller d'Etat à Rome, était l'auteur d'un traité fort connu de droit canonique, les Institutiones canonicæ, publiées à Turin en 1869. Ce traité avait été vivement attaqué par un jésuite, le P. Bouix. Mgr Vecchiotti avait aussi été chargé de plusieurs missions diplomatiques par le Saint-Siège.

[118] Le P. Matignon n'est pas plus satisfait du schéma que nous, écrit M. Icardinal Il convient que ce sont des Pères de la Compagnie qui ont travaillé à sa rédaction... mais il ajoute que c'est leur œuvre personnelle, œuvre trop germanique. (ICARD, Journal, p. 77.)

[119] Sur Franzelin, voir HURTER, Nomenclator litterarius, t. V. p. 1507-1510 ; Dict. de théol. de VACANT, t. VI, col. 765-767 ; Louis TESTE, Préface au conclave, un vol. in-12, Paris, 1877, p. 273-279. — D'après le P. Matignon, le P. Franzelin aurait été aidé, dans son travail, par un autre Père allemand, le P. Schneider. (ICARD, Journal, p. 77.)

[120] Collectio lacensis, VII, 1647 et s.

[121] GRANDERATH, t. II, 2e partie, p. 44.

[122] KETTELER, dans le Katholik de 1870, t. I, p. 529. — Strossmayer seul n'assista pas à la session publique du 24. Il se plaignait de ce qu'on n'avait pas tenu compte de ses réserves. Son placet juxta modum du 12 avril portait ces mots : Salvis conciliorum œcumenicorum juribus.

[123] MANNING, Hist. du concile œcuménique du Vatican, trad. Chantrel, un vol. in-8° Paris, 1871, p. 60.

[124] Voir le savant commentaire de cette Constitution dans VACANT, Etudes théologiques sur les Constitutions du Concile du Vatican, 3 vol. in 8°, Paris, 1895.

[125] Voici les paroles du concile de Trente : Quos (cardinales), SS. Romanos Pontifex ex omnibus Christianitatis nationibus, quantum commode fieri poterit, assumat (Sess. XXIV, de Reform., cap. I).

[126] GRANDERATH, t. II, p. 209.

[127] Mgr Audu acceptera toutes les décisions du concile du Vatican. Dans la suite, de nouvelles difficultés surgiront entre le Saint-Siège et lui ; mais il n'ira jamais jusqu'au schisme ; il résistera même avec énergie à des tentatives de schisme qui se produiront dans son Eglise, et, après sa mort, Léon XIII louera son zèle et sa piété (S. S LEONIS XIII, Acta, t. I, p. 199.)

[128] C'est la prière que fait souvent M. Icard et qu'il mentionne à plusieurs reprises dans son Journal.

[129] Ces querelles avaient souvent pour point de départ, dans la presse anticatholique, la méconnaissance absolue du dogme discuté. Et cette méconnaissance a malheureusement persisté, même après la définition du dogme. On croit rêver en lisant dans l'Histoire de France populaire d'Henri MARTIN (t. VII, p. 139) L'infaillibilité du pape a pour conséquence logique, avec la suppression de tous les anciens droits de l'épiscopat et la souveraineté directe du pape sur tous les diocèses, le renouvellement des maximes les plus exorbitantes de la théocratie... Ceci implique la revendication du pouvoir indirect sur le temporel et la condamnation du libéralisme et de la civilisation moderne.

[130] Qui affirme aujourd'hui l'infaillibilité ? C'est un pape... D'ailleurs, derrière le pape, il y a les jésuites. Ce sont les jésuites qui, depuis plusieurs années, préparent la définition du prétendu dogme. (Gazette d'Augsbourg du 21 janvier 1879.)

[131] La presse royaliste quotidienne était alors représentée à Paris par trois principaux journaux. L'Union, dirigée par Pierre-Sébastien Laurencie, défendait énergiquement la doctrine de l'infaillibilité du pape ; la Gazette de France, sous la direction de Gustave Janicot, donnait sa publicité aux objections du P. Gratry et de Montalembert ; le Français, plus modéré, avec François Beslay et Paul Thureau-Dangin, suivait les idées de Mgr Dupanloup et n'attaquait que l'opportunité de la définition.

[132] L. VEUILLOT, Rome pendant le concile, t I, p. 213-214.

[133] Collectio lacensis, VII, 1386.

[134] Collectio lacensis, VII, 1385. Il paraît que la lettre de Montalembert impressionna le pape au plus haut degré. Pie IX se la fit lire jusqu'à, trois fois de suite, l'écoutant les yeux fermés ; puis il la relut lui-même.

[135] Sur les indications de la tante, les petites-nièces adressaient un sourire aux bons et faisaient une grimace aux méchants.

[136] Cité par OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, II, 65.

[137] GRANDERATH, t. II, Ire partie, p. 374.

[138] OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, II, 101. Il est certain que des lettres écrites par Mgr Darboy aux chefs du gouvernement français les avaient renseignés sur l'agitation extérieure du concile. Mais d'autres indiscrétions, autrement importantes, commises par des employés inférieurs, ouvriers imprimeurs, brocheurs, etc. avaient mis les ambassadeurs au courant des documents les plus secrets. Le 9 février 1870, M. Icard écrit : Mgr Vecchiotti me dit que le secret du concile est si mal gardé, que souvent il a vu des ministres des divers Etats (et il me cita entre autres Odo Russel), qui lui ont raconté à lui, dans tous les détails, ce qui se passait et se disait dans les congrégations. (ICARD, Journal, p. 188.) Sir Odo Russel, plus tard lord Ampthill, chargé d'affaires à Rome pour l'Angleterre, était d'ailleurs, quoique anglican, favorable à la cause de la majorité. Il était très lié d'amitié avec Mgr Manning. On sut, dans la suite, que Pie IX avait délié l'archevêque de Westminster de son serment do secret relativement à sir Russel, afin que celui-ci pût rectifier, auprès du corps diplomatique, les informations tendancieuses venues d'autre part. Plusieurs autres prélats de la majorité furent, parait-il, également relevés de leur serment pour des motifs analogues. Voir, à ce sujet, HEMMER, Vie du cardinal Manning, un vol. in-8°, Paris, 1898, p. 213-215 ; GRANDERATH, t. II, 2e partie, p. 367 et s.

[139] L. VEUILLOT, Rome et le Concile, t. I, p. 14.

[140] Cette parole est généralement attribuée à Mgr Cousseau, évêque d'Angoulême. Mais il paraîtrait que le prélat n'aurait tait que traduire en une élégante formule latine une parole de Veuillot. Voir, sur ce point, un article d'Eugène Veuillot dans l'Univers et le Monde du 13 décembre 1897, et G. BARBIER, Mgr Sauvé, 2 vol. in-8°, Laval et Paris, 1898, t. II, p 181-182.

[141] C'est le chiffre donné par les calculs de GRANDERATH, t. II, 1re partie, p. 179.

[142] On n'en comptait pas plus de cinq, assure le cardinal Manning (The true story of Vatican concil, p. 99). Voir, sur ce point, GRANDERATH, t. II, 1re partie, p. 333-341.

[143] Coll. lacensis, VII, 938-940 ; GRANDERATH, t. II, 1re partie, p. 180-182.

[144] Il me semble, écrit M. Icard, que le schéma présenté à l'examen des Pères du concile renferme tout cela, et le dit mieux. ICARD, Journal, 153.

[145] GRANDERATH, t. II, 1re partie, p. 173.

[146] GRANDERATH, t. II, 1re partie, p. 183 ; Coll. lacensis, VII, p. 952.

[147] GRANDERATH, t. III, 1re partie, p. 7.

[148] GRANDERATH, t. III, 1re partie, p. 320. Voir le texte du schéma dans Coll. lacensis, VII, col. 567 et s.

[149] OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, t. II, p. 100.

[150] L'émoi de ce dernier fut tel que, redoutant de graves complications diplomatiques, il empêcha Mgr de Dreux-Brezé, évêque de Moulins, de présenter à la députation du concile un projet qu'il jugeait capable d'irriter les gouvernements. On lit dans le Journal de M. Icard, à la date du 21 mars 1870 : Le cardinal Antonelli, qui jusqu'à présent s'était peu mêlé des affaires du concile, a arrêté, comme fort imprudent, le projet que patronnait l'évêque de Moulins. Il a insisté sur la nécessité de ne procéder qu'avec une grande circonspection.

[151] Voir ces divers arguments dans MANNING, Hist. du concile du Vatican, trad. Chantrel, un vol. in-8°, Paris, 1871, p. 62-65.

[152] MANNING, Hist. du concile du Vatican, p. 38.

[153] MANNING, Hist. du concile du Vatican, p. 36-37.

[154] Coll. lacensis, VII, col. 790 et s.

[155] Coll. lacensis, VII, col. 300.

[156] Mgr Clifford et Mgr Rivet, évêque de Dijon, demandaient qu'il fût sursis à la définition par égard pour l'opinion catholique, qui n'était pas préparée à ce dogme et que l'Eglise avait pour règle de ne pas heurter inutilement. Mgr Schwarzenbger, et Mgr Greith exprimaient la crainte de voir les gouvernements s'insurger contre Rome et former peut-être des Eglises nationales. (GRANDERATH, t. III, 1re partie, p. 267-271.)

[157] GRANDERATH, t. III, 1re partie, p. 279.

[158] E. OLLIVIER, l'Empire libéral, t. XIII, p. 125-126. On sait que, dans ses écrits antérieurs au concile, Mgr Dupanloup avait toujours nettement professé l'infaillibilité du pape.

[159] E. OLLIVIER, l'Empire libéral, t. XIII, p. 125-126.

[160] L'autre jour, — je tiens le fait de l'évêque de Vannes, à qui le mot fut dit,M. Veuillot étant entré dans le salon du séminaire français, un évêque vénérable par son âge dit à Mgr Bécel : a Il est des nôtres, et nous sommes siens. (ICARD, Journal, p. 70.) Sans doute, dans l'esprit du vénérable prélat, ce mot avait un sens très avouable. Mais de telles paroles, rapportées à l'évêque d'Orléans, excitaient en lui un sentiment de susceptibilité hiérarchique dont le principe était également fort respectable.

[161] Est-il besoin de rappeler que l'assistance de l'Esprit Saint ne garantit à l'Eglise que l'exemption de toute erreur, et ne suggère pas nécessairement la formule la plus heureuse ? Celle ci est le fruit ordinaire de la sagesse et de la réflexion.

[162] Dans son Journal, M. Icard revient souvent sur cette question de la juridiction immédiate du pape, soit pour raconter ses discussions avec Mgr Vecchiotti, soit pour rappeler les efforts tentés par lui pour convertir à sa thèse Mgr Darboy (ICARD, Journal, p. 144, 163, 207-208 et passim.)

[163] GRANDERATH, t. III, 1re partie, p. 394-399.

[164] 27 mars 1870. Ce matin, M. Combes m'a rapporté ce que lui avait dit, avant hier, le secrétaire de l'Académie impériale, comme le tenant du cardinal di Pietro. Le cardinal Antonelli, sérieusement préoccupé des conséquences que peut avoir une définition dans les circonstances présentes, a réuni un certain nombre de cardinaux qu'il consulte souvent pour les affaires politiques. Il a été convenu entre eux qu'ils iraient voir le Saint-Père pour le prier instamment d'écarter du concile la question fameuse. Le pape n'a pas du tout accueilli leurs observations. Il leur a dit : J'ai la Sainte Vierge pour moi ; j'irai en avant. (ICARD, Journal, p. 298.)

[165] Voir la lettre de Mgr Darboy, dans OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, t. II, p. 236-238.

[166] OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, t. II, p. 238.

[167] Voir la lettre de Mgr Darboy, dans OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, t. II, p. 236-238.

[168] GRANDERATH, t. III, 2e partie, p. 89.

[169] MANNING, Hist. du concile du Vatican, p. 39.

[170] C'est celle qu'emploie couramment Bellarmin dans son traité De Romano Pontifice.

[171] Le rapport de Mgr Gasser occupe, dans la Collectio lacensis, 34 colonnes entières (Coll. lac., col. 388-422). Le P. GRANDERATH en donne un résumé dans son Hist. du concile du Vatican, t. III, 2e partie, p. 92-116.

[172] Ces soixante-deux votes conditionnels n'appartenaient pas tous à la minorité. La moitié avait été émise par des prélats qui demandaient plus de vigueur dans les formules.

[173] Coll. lacensis, VII, col. 473 et s.

[174] Ces définitions du pontife romain sont irréformables par elles-mêmes, non en vertu du consentement de l'Eglise.

[175] GRANDERATH, t. III, 2e partie, p. 126. On voit combien est fausse l'accusation portée par Friedrich et rapportée par E. DE PRESSENSÉ (le Concile du Vatican, un vol. in-12, 2e édition, Paris, 1879, p. 316. — Cf. OLLIVIER, op. cit., t. II, p 337.) Dans des vues de pacification, on avait aussi retranché la condamnation expresse de la doctrine qui attribue au pape une part prépondérante, mais non la plénitude de la puissance suprême. Mais Mgr Freppel, qui avait fait admettre cette formule, insista, et obtint la réinsertion dans le texte de ces mots : aut eum habere tantum potiores partes, non vero totem plenitudinem hujus supremæ potestatis. Par là on coupait court à certains subterfuges du gallicanisme, dont on avait trouvé des traces dans l'ouvrage de Mgr Maret. Voir CORNUT, Mgr Freppel d'après des documents authentiques et inédits, un vol, in-8°, Paris, 1893, p. 166.

[176] Coll. lacensis, col. 761.

[177] Ce récit de Mgr Dupont des Loges, fait à M. l'abbé Bourdon, chanoine de Rennes, a été publié par M. BRANCHEREAU dans une note du Journal intime de Mgr Dupanloup, un vol. in-12, Paris, 1902, p. 311.

[178] Voir la lettre dans E. OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, t. II, p. 344-346.

[179] Cité par BRUGÈRE, Tableau de l'histoire et de la littérature de l'Eglise, p. 1175-1176.

[180] GRANDERATH, t. III, 2e partie, p. 180.

[181] E. OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, t. II, p. 473-473. H. D'HIDEVILLE, les Piémontais à Rome, ch. VIII.

[182] ROTHAN, l'Allemagne et l'Italie, Paris, 1884, t. II, p. 84.

[183] CADORNA, la Liberazione di Roma, Turin, 1889, p. 361.

[184] Avant sa chute, vers la fin du mois d'août, Napoléon III aurait envoyé à Florence le prince Jérôme, chargé d'obtenir des secours de l'Italie moyennant la promesse de ne point s'opposer à la prise de Rome. (CADORNA, la Liberazione di Roma, p. 52 ; VAN DUERM, Vicissitudes politiques du pouvoir temporel des papes, p. 403.)

[185] VAN DUERM, p. 405.

[186] VAN DUERM, p. 408.

[187] VAN DUERM, p. 409-410.

[188] Coll. lacensis, VII, col. 497 et s.

[189] FESSLER, la Vraie et la Fausse Infaillibilité, trad. Cosquin, un vol., Paris, 1873, p. 41 et passim.

[190] FESSLER, la Vraie et la Fausse Infaillibilité, p. 63.

[191] FESSLER, la Vraie et la Fausse Infaillibilité, p. 67-68.

[192] FESSLER, la Vraie et la Fausse Infaillibilité, p. 70.

[193] FESSLER, la Vraie et la Fausse Infaillibilité, p. 78.

[194] FESSLER, la Vraie et la Fausse Infaillibilité, p. 78. — Des explications semblables, également approuvées par un Bref de Pie IX, furent données en juin 1871 dans une Instruction pastorale collective des évêques suisses. Cette Instruction est reproduite dans l'ouvrage de Mgr Fessler. — Dans sa brochure, Mgr Fessler semble limiter l'infaillibilité du pape aux vérités révélées. Si telle est la pensée de l'éminent théologien, il y aurait là une erreur. L'infaillibilité pontificale s'étend aux vérités connexes avec la révélation et à certains faits tellement liés à l'enseignement des vérités révélées qu'on les a appelés des faits dogmatiques. Par exemple, l'existence de l'âme, sa spiritualité, sou immortalité, son libre-arbitre, sont des vérités non révélées, mais elles sont tellement connexes à la foi que les nier serait saper par la base toute révélation et toute religion ; le fait que l'Augustinus contient des hérésies est un fait dogmatique. Voir, sur ce sujet, CHOUPIN, Valeur des décisions du Saint-Siège, p. 14-18, et DUMAS dans les Etudes de mars 1876.

[195] Allocution du 20 juillet 1871, citée par E. OLLIVIER, op. cit., II, 374 ; (GRANDERATH, t. III, 2e partie, p. 362 ; Voce della Verità du 22 juillet 1871. Pie IX explique ici le pouvoir indirect des papes du moyen âge sur les souverains, suivant une théorie exposée par M. GOSSELIN, prêtre de Saint-Sulpice, dans son ouvrage Pouvoirs des papes sur les souverains au moyen âge, un vol. in-8°, Paris, 1839 et 1845. Cette théorie a été parfois contestée. Le pape Pie IX lui donne ici l'appui de son autorité.

[196] CECCONI, Hist. du concile du Vatican, t. II, l. III, ch. VI, n. 15, n. 487.

[197] Dans une lettre inédite à Mgr Dupanloup, Dœllinger énumère plusieurs de ces démarches. Il le fait avec une sécheresse où perce quelque amertume, mais qui reste correcte. La lettre se termine brusquement, sans aucune formule de salutation. (Archives de Saint Sulpice.)

[198] GLADSTONE, les Décrets du Vatican et leur effet sur la fidélité que les citoyens doivent à l'Etat.

[199] E. OLLIVIER, op. cit., t, II, p. 396.

[200] E. OLLIVIER, op. cit., t, II, p. 396.

[201] MANNING, Hist. du concile du Vatican, p. 187-190.