HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

CHAPITRE XII. — DE L'ENCYCLIQUE QUANTA CURA AU CONCILE DU VATICAN (1864-1869).

 

 

Avec la bulle Unam sanctam de Boniface VIII et la bulle Unigenitus de Clément XI, l'encyclique Quanta cura de Pie IX, accompagnée du Syllabus, est un des trois actes pontificaux qui ont le plus profondément agité l'opinion publique au cours des siècles. Dans la bulle Unam sanctam, les légistes se sont plu à montrer la mainmise de la papauté sur l'autorité légitime des rois ; dans la bulle Unigenitus, les jansénistes ont prétendu voir le reniement de la primitive Eglise ; dans l'encyclique Quanta cura et le Syllabus, les libéraux du XIXe siècle ont dénoncé l'anathème jeté à la civilisation moderne et à la liberté des peuples. L'étude de ces deux derniers documents, de leur retentissement et de leurs conséquences jusqu'au concile du Vatican, fera le principal objet du présent chapitre.

 

I

Ce serait rétrécir arbitrairement l'ampleur doctrinale des documents parus le 8 décembre 1864, qu'affecter d'y voir, comme quelques-uns l'ont fait, une simple riposte à la Convention du 15 septembre 1864, ou à la publication de la Vie de Jésus, ou aux discours prononcés aux congrès de Malines. Nous savons déjà, et l'histoire prouve amplement que, de longue date, Pie IX avait songé à condamner, par une encyclique solennelle, les principales erreurs des temps modernes, et que des travaux préparatoires avaient été entrepris à ce sujet[1]. Les événements que nous venons de rappeler hâtèrent peut-être cette condamnation ; mais l'encyclique qui la porta manifeste, par sa destination comme par son contenu, qu'elle déborde les contingences de ces faits particuliers. Le souverain pontife déclare, dès le début, que les enseignements qu'il va donner s'adressent non seulement aux individus, mais encore aux nations, non seulement aux peuples, mais encore aux souverains, non minus erga singulos homines quam erga nationes, populos summosque eorum principes ; et, en parcourant la lettre pontificale, on s'aperçoit que ces enseignements concernent à la fois le mouvement intellectuel, le mouvement social et le mouvement politique du siècle.

Du mouvement intellectuel, Grégoire XVI avait condamné la tendance traditionaliste ou fidéiste, désormais disparue avec l'école de La Mennais. Pie IX, dont la sollicitude pastorale avait été mise en éveil par les doctrines philosophiques dont la Vie de Jésus avait été la manifestation la plus scandaleuse, signale et stigmatise, à l'extrême opposé, la tendance rationaliste, suivant laquelle la société humaine devrait être constituée et gouvernée sans plus tenir compte de la religion que si elle n'existait pas[2].

Dans l'ordre social, il condamne à la fois la doctrine des socialistes d'Etat, affirmant que la société domestique emprunte toute sa raison d'être au droit purement civil[3], c'est-à-dire à la législation de l'Etat, et la doctrine des économistes, enseignant, ou du moins aboutissant, par leur enseignement, à cette conséquence, que l'organisation sociale n'aurait d'autre but que d'amasser et d'accumuler des richesses[4].

Dans l'ordre politique, le pontife proscrit, d'une part, le gallicanisme des chefs d'Etat et de leurs conseillers, suivant qui les actes des pontifes romains relatifs à la religion ont besoin de la sanction des pouvoirs civils[5], et le libéralisme des démocrates, proclamant que tout citoyen a droit à la pleine liberté de manifester publiquement ses opinions, quelles qu'elles soient, par la parole, par la presse ou autrement, sans que l'autorité ecclésiastique ou civile puisse la limiter[6].

Enfin, le souverain pontife réclame pour l'Eglise le droit de se gouverner par ses propres lois et de ne permettre à personne de mettre obstacle à sa liberté. Il proteste contre l'abolition des ordres religieux, qui blesse la liberté de pratiquer publiquement les conseils évangéliques[7]. Il s'élève contre le monopole de l'enseignement mis aux mains de l'Etat, en tant qu'il a pour effet de soustraire complètement à la salutaire doctrine et à l'influence de l'Eglise l'instruction et l'éducation de la jeunesse[8]. En effet, si l'homme est libre, il n'y a rien de si mortel que de croire qu'il nous suffit du libre arbitre que nous avons reçu en naissant, sans plus avoir autre chose à demander à Dieu, c'est-à-dire qu'oubliant notre Créateur, nous osions renier sa puissance pour nous montrer libres ; et, si les rois sont indépendants dans les affaires temporelles, il est de leur intérêt, toutes les fois qu'il s'agit des affaires de Dieu, de suivre avec soin l'ordre qu'il a prescrit, et de subordonner, et non de préférer la volonté royale à celle des prêtres du Christ.

En somme, Pie IX, en promulguant l'encyclique Quanta cura, ne faisait que reprendre, comme il l'avouait lui-même, un enseignement plusieurs fois donné par ses prédécesseurs, et notamment par Grégoire XVI dans son encyclique Mirari vos. L'acte de Pie IX eut cependant un retentissement bien plus considérable que celui de Grégoire XVI. Ce fait tient à plusieurs causes.

Tout d'abord, Pie IX s'exprimait d'une manière plus vive et plus spontanée, exhalait ses plaintes en accents plus émus, formulait ses reproches en ternies plus directs. C'était moins, semblait-il, le docteur qui enseigne, que le père de famille qui, devant ses enfants, ouvre son âme navrée de douleur à l'aspect de l'horrible tempête[9], soulevée d'indignation à la vue des horribles machinations par lesquelles des hommes méchants... promettant la liberté, bien qu'esclaves de la corruption... s'efforcent de dépraver les âmes. Aussi, alors même qu'il supplie le Cœur très doux du Sauveur d'entraîner à lui les âmes par les liens de son amour, et la très aimante Mère de Dieu d'avoir pour nos misères la plus large pitié, il ne peut, comme le divin Maître, retenir sa main prête à fustiger le principe impie et absurde du naturalisme, et les hommes de mensonge qui, au nom du socialisme, cherchent à ruiner l'institution familiale, et l'insigne audace des chefs d'Etat qui conspirent contre la liberté de l'Eglise, et le délire de cette liberté de perdition qui met sa confiance dans le verbiage de la sagesse humaine.

Une seconde cause était de nature à exciter les esprits. L'encyclique Quanta cura ne se contentait pas de condamner des principes. Plus que l'encyclique Mirari vos, elle en faisait des applications. Quand elle parlait des prétentions du pouvoir civil à contrôler les actes de l'Eglise, à l'exclure des écoles publiques, quand elle faisait allusion à des campagnes de presse contre ses dogmes, elle éveillait le souvenir de faits concrets et récents. De plus, elle apparaissait au lendemain d'événements dont le monde intellectuel et politique était encore vivement ému. La façon aiguë dont venait de se poser la question romaine, les troubles suscités dans les âmes par l'apparition de la Vie de Jésus, les polémiques soulevées à l'occasion des congrès de Malines, avaient, chez les gouvernants comme parmi le peuple, dans le monde catholique comme dans le milieu libre penseur, surexcité les esprits.

Une dernière circonstance mit le comble à cette surexcitation. L'encyclique du 8 décembre était accompagnée, nous l'avons déjà constaté, d'un catalogue ou Syllabus des principales erreurs modernes. Ce catalogue contenait 80 propositions, extraites de diverses allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques. Or, de quelques-unes de ces propositions, isolées des documents d'où elles avaient été tirées, et habilement interprétées par les ennemis de l'Eglise, il semblait résulter que le pape condamnait en bloc tous les progrès de la civilisation moderne et tout particulièrement la liberté de la philosophie, l'indépendance des pouvoirs civils et la liberté de conscience des citoyens. C'étaient les conséquences que l'on prétendait déduire de la 80e, de la 14e, de la 42e et de la 15e des propositions condamnées, lesquelles étaient ainsi conçues : Prop. 80 : le pontife romain peut et doit se réconcilier et se mettre d'accord avec le progrès, avec le libéralisme et avec la civilisation moderne ; Prop. 14 : on doit s'occuper de philosophie sans tenir aucun compte de la révélation naturelle ; Prop. 42 : en cas de conflit entre les deux pouvoirs (civil et religieux), le droit civil prévaut ; Prop. 15 ; Il est libre à chaque homme d'embrasser et de professer la religion qu'il aura été amené à regarder comme vraie par les seules lumières de la raison.

 

II

Dans le milieu de la libre pensée, ce fut, suivant une énergique expression de Mgr Dupanloup, comme un abominable hallali de tous les aboyeurs de la presse contre le vieillard désarmé du Vatican[10]. Le journal le Siècle vit dans le Syllabus le suprême défi jeté au monde moderne par la papauté expirante. Le gouvernement de Napoléon III déclara l'encyclique et le Syllabus contraires aux principes sur lesquels reposait la Constitution de l'Empire[11], et déféra comme d'abus au Conseil d'Etat le cardinal archevêque de Besançon, Mgr Mathieu, et l'évêque de Moulins, Mgr de Dreux-Brezé, pour avoir fait lire l'encyclique en chaire[12].

Les catholiques se soumirent tous à l'enseignement pontifical ; mais, pour ceux qui avaient applaudi aux discours prononcés par Montalembert au congrès de Malines, l'apparition de l'encyclique, suivant l'expression de l'un d'eux, comme un coup de foudre[13], qui les déconcerta tout d'abord. Jamais, écrivait vingt-deux ans plus tard Mgr d'Hulst, je n'oublierai la surprise, l'émotion, l'inquiétude où me jeta la lecture de ce document doctrinal. Je vis clairement qu'il y avait quelque chose à changer dans ma conception de la société... Le souvenir de cette évolution intérieure sera ineffaçable dans mon âme. Commencée dans la tristesse et dans le rouble, elle s'acheva dans la joie et dans la paix. Mais, depuis lors, il m'a été impossible d'admettre que l'erreur libérale n'eût jamais existé ; car j'avais à la fois conscience et de l'avoir constatée en moi-même et de ne l'avoir pas inventée[14]. Plusieurs catholiques eurent donc à modifier leurs idées. D'autres ne souffrirent que par suite de regrettables malentendus. Mgr Dupanloup s'efforça de faire disparaître ces malentendus, en rédigeant à la hâte et en faisant paraitre, à la date du 26 janvier 1865, sous le titre de la Convention du 15 septembre et l'Encyclique du 8 décembre 1864, un commentaire des deux documents pontificaux[15]. S'appuyant sur la distinction, désormais admise par les théologiens, de la thèse et de l'hypothèse, il montra que l'encyclique donnait l'idéal d'une société complètement chrétienne, mais qu'elle laissait les fidèles libres d'agir conformément aux conditions de la société politique actuellement existante[16]. Replaçant, d'ailleurs, chaque proposition du Syllabus dans son contexte, il fit voir que le sens qui devait y être attaché était toujours juste et raisonnable.

Les journaux hostiles à l'Eglise, confondus par ces explications, s'écrièrent que l'évêque d'Orléans avait transfiguré l'encyclique[17]. Mais le pape lui-même coupa court à ce subterfuge, en écrivant, le 4 février 1865, à Mgr Dupanloup : Vous avez réprouvé ces erreurs au sens où nous les avons réprouvées nous-même[18]. Six cent trente évêques écrivirent à l'éloquent prélat pour le féliciter de son œuvre[19].

Les catholiques qui avaient signalé des doctrines suspectes clans les allocutions prononcées aux congrès de Malines, dans les articles publiés dans le Correspondant et dans l'Ami de la Religion[20], ne dissimulèrent pas leur joie de voir condamner à la fois, par le même document, la libre pensée et le libéralisme catholique[21]. S'en trouva-t-il, parmi ces derniers, qui donnèrent aux documents pontificaux des interprétations forcées, qui prêtèrent à ces pièces un caractère qu'elles n'avaient pas dans la pensée du Saint-Père ? Un théologien non suspect de tendances libérales, l'abbé Freppel, l'a prétendu dans une lettre écrite à la veille du concile du Vatican[22]. Si le futur évêque d'Angers avait en vue, en s'exprimant ainsi, quelque œuvre de polémique écrite au lendemain de l'apparition du Syllabus, il visait sans doute la brochure écrite par Veuillot sous ce titre : l'Illusion libérale, et dont le but, suivant Eugène Veuillot, était moins de réfuter l'ennemi que de prendre à partie les catholiques libéraux[23]. Le célèbre écrivain catholique pensait ainsi combler une lacune regrettable dans l'œuvre de l'évêque d'Orléans[24]. Eugène Veuillot reconnaît que le début de sa réfutation du libéralisme est absolu et sévère[25]. Le catholique libéral, disait Louis Veuillot[26], n'est ni catholique ni libéral. Sectaire, voilà son vrai nom. La brochure entière, au surplus, gardait ce ton absolu et sévère. Les rédacteurs du Correspondant et de l'Ami de la Religion, les orateurs des congrès de Malines avaient parlé des adaptations possibles de l'Eglise avec les institutions modernes. La pierre (sur laquelle l'Eglise repose), répliquait Veuillot[27], n'est pas une pierre roulante... inconsistante. Elle a son lieu, sa matière, sa forme. Tout est immuable. On avait parlé des limites posées par la nature des choses aux pouvoirs du pape et de l'Eglise, en citant en ce sens des paroles de Bossuet et de saint Bernard[28]. Bravons la fourberie des mots, s'écriait Veuillot[29]. Nous devons obéissance à l'Eglise dans les limites qu'elle a elle-même posées... Si cette obéissance est la théocratie, ceux qui en ont peur n'ont pas assez peur d'autre chose. Les écrivains que le polémiste voulait réfuter avaient blâmé l'emploi inopportun de la force contre les incrédules, prétendant que c'était là perpétuer le despotisme païen. Les chrétiens, ripostait Veuillot[30], ont pris à la société païenne ses armes pour les transformer, non pour les détruire... Comme le droit est par lui-même une force, la force, par elle-même, peut être un droit. Les catholiques libéraux avaient insisté sur l'union nécessaire du corps de l'Eglise, pris dans son ensemble, avec son chef, le pape. Veuillot admettait, au moins à titre d'hypothèse réalisable, leur séparation. Je fais une hypothèse. J'admets que nous suivions tous le courant. Je dis tous, sauf le pape, car l'hypothèse ne peut aller jusque-là. Qu'en résulterait-il ? Il y aurait une force de moins sur la terre[31].

Après avoir cité ces lignes et d'autres pareilles, le Siècle se tournait vers Mgr Dupanloup pour lui dire : Vous avez pour alliés des organes moins habiles sans doute que Votre Grandeur, mais qui ont du moins le mérite d'une rude franchise. Pie IX n'envoya pas de lettre d'approbation à l'auteur de l'Illusion libérale. Sans doute pensa-t-ii qu'il n'était pas opportun de consacrer, par son autorité suprême, des affirmations qui dépassaient celles de son encyclique et qui, au moins par leur forme, d'une vivacité voulue, ne pouvaient être présentées comme exprimant la doctrine catholique ; mais il refusa de frapper de censures quelques propositions que deux évêques lui dénoncèrent comme inexactes dans la brochure[32]. Au fond, il parut satisfait que son encyclique fût montrée comme condamnant à la fois le rationalisme libre penseur et le catholicisme libéral[33].

Des catholiques placés en dehors de toute polémique, envisagèrent les documents pontificaux sous un autre aspect. Ils les considérèrent plutôt dans leur partie positive que dans leur partie négative. Ils y virent les principes d'une doctrine sociale et d'une doctrine politique qui pouvaient ouvrir aux fils de l'Eglise un champ d'action très fécond. De ce nombre fut le courageux, catholique que nous avons vu, en 1861, protester si noblement, à la Chambre des députés, contre la politique anti-romaine du gouvernement impérial, Emile Keller[34]. Dans un volume intitulé l'Encyclique du 8 décembre 1864 et les principes de 1789, ou l'Etat, l'Eglise et la Liberté, il fit remarquer que le pape, en signalant d'une manière si précise les écueils du communisme d'une part et de l'économie politique libérale de l'autre, et en montrant que la question sociale était avant tout un problème moral, reposant sur le respect de la vérité, ouvrait à la spéculation et à l'action catholique un terrain large et sûr. M. de Mun raconte que c'est en lisant et en méditant le chapitre de cet ouvrage ayant pour titre : Vérité sociale, principe de la liberté sociale[35], qu'il eut la première intuition de l'apostolat social auquel il allait vouer sa vie. On demande, écrivait-il plus tard, quel rapport il y a entre l'Œuvre des Cercles et le Syllabus. C'est le rapport qu'il y a entre le produit et le principe, entre l'effet et la cause, entre l'enfant et la mère[36].

Au point de vue plus strictement politique, n'était-ce pas indiquer au monde une voie sûre, également éloignée du despotisme et de l'anarchie, que de lui rappeler que le droit ne consiste pas dans le fait matériel, qu'il y a d'autres forces que celles qui résident dans la matière, que l'Etat n'est pas l'origine de tous les droits, que la violation d'un serment n'est jamais licite, même quand elle est inspirée par l'amour de la patrie, que l'autorité est autre chose que la somme du nombre, et que la doctrine de l'Eglise n'est point opposée au bien et aux intérêts de la société humaine ? Tel était le sens des propositions 58, 59, 60, 39, 40, 64, du Syllabus[37].

 

III

Le gouvernement italien avait d'abord, comme le gouvernement français, prohibé la publication de l'encyclique et du Syllabus. Bientôt il revint sur cette décision. Le 8 février 1865, il donna l'exequatur aux deux documents.

Revenait-il à une politique plus conciliante ? D'aucune façon. Par la Convention du 15 septembre, la cour de Turin avait en main un acte qui ouvrait la voie à toutes ses ambitions ; elle pouvait, pour le moment, s'abstenir de toute manifestation contre l'autorité du Saint-Siège. Nous pourrons marcher lentement, disait le général La Marmora, chef du cabinet ; mais nous ne reculerons plus jamais[38]. Le but de cette marche était connu : c'était Rome capitale. Et, Rome une fois devenue la capitale du royaume d'Italie, c'en était fait du pouvoir temporel de la papauté. Privé des baïonnettes étrangères, disait le ministre des relations extérieures, Visconti-Venosta, le pouvoir temporel ne peut plus durer longtemps[39]. La Convention accordait deux ans au gouvernement français pour retirer ses troupes de Rome. Pendant ces deux ans, la diplomatie multiplia les démarches, fit des efforts suprêmes pour résoudre pacifiquement la question romaine. L'Autriche et l'Espagne reprirent le projet d'une garantie collective pour le maintien du domaine pontifical. Mais Napoléon n'entra pas dans ces vues ; il espérait toujours arriver à la solution par un double effort : effort sur le Saint-Siège pour l'amener à des concessions territoriales, effort sur le gouvernement italien pour l'empêcher de se laisser entraîner à une agression violente.

Aucune de ces tentatives n'aboutit. L'Autriche, quelles que fussent ses sympathies pour la papauté, hésitait à pousser trop loin son intervention dans l'Italie, dont elle sentait l'hostilité irréductible ; l'Espagne était trop faible pour exercer une initiative prépondérante ; et l'empereur Napoléon, dans ses tentatives, se heurtait à un double Non possumus : celui du pape, qui, à toutes les propositions, répondait qu'il n'était que le dépositaire d'une autorité qu'il avait juré de défendre jusqu'à la mort. ; et celui de Victor-Emmanuel, qui ne pouvait ni se passer de l'appui des mazziniens et des garibaldiens, ni leur faire abdiquer leurs prétentions agressives.

Pie IX, d'ailleurs, se prêtait désormais de moins en moins aux négociations diplomatiques. Une lettre très paternelle qu'il écrivit à Victor-Emmanuel au sujet des questions religieuses, obtint le retour dans leurs diocèses de trente évêques qui en avaient été éloignés, mais ne fit pas faire un pas à l'accord sur les questions fondamentales. Cet échec acheva de désabuser le pape de toute tentative nouvelle de pourparlers. Qu'avait-il obtenu dans toutes les avances faites jusqu'ici aux peuples et aux princes Affirmer ses droits et n'attendre que de Dieu la défense de ses prérogatives : telle sembla être désormais toute sa politique. A la fin de l'été de 1865, il déchargea Mgr de Mérode de ses fonctions de ministre des armes, et ne le remplaça pas. Pour les négociations diplomatiques, il s'en référa de plus en plus au cardinal Antonelli, qui proclama toujours bien haut les principes de son maître et qui n'en réalisa pas toujours exactement la pensée.

Pie IX, dont la mobilité souriante et l'aimable spontanéité contrastaient si fort avec la ténacité froide et les attitudes calculées de sou secrétaire d'Etat, conserva toujours, malgré l'âge et le malheur, ce gracieux abandon, cette bonhomie charmante et pleine de traits qui lui avaient valu tant de popularité aux débuts de son règne. Vif, aimable, plein de reparties, il avait toujours de ces mots qui sont des portraits, de ces remarques fines qui mettent les choses dans leur jour[40]. Mais, de temps en temps, le fond triste de son âme se révélait. Vous voyez, disait-il à des pèlerins, un pauvre pape, chargé dans et de malheurs[41]. C'est sans doute la dernière fois, déclarait-il, le 1er janvier 1866, aux officiers commandant le corps de troupes françaises, c'est sans doute la dernière fois que je vous bénis... A près votre départ, les ennemis de l'Eglise viendront peut-être à Roule[42]. Cette tristesse n'était pas du découragement. Je ne veux pas mourir, disait-il à l'ambassadeur d'Espagne, sans avoir fait tout mon possible pour remplir mon devoir de conscience[43]. Il ne croyait pas d'ailleurs que ce devoir de conscience consistât à négocier avec des puissances dont il se méfiait, mais à multiplier les affirmations de ses droits. Louis Veuillot traduisait bien la pensée du  pontife en écrivant : Pie IX dédaigne les menées de la politique[44]... Il n'est pas chargé de faire triompher la vérité, il est chargé de confesser cette vérité jusqu'à la mort. A toutes les suggestions, il a répondu : Non ! A toutes les menaces : Faites ![45]

Pendant les années 1865 et 1866, bien des causes avaient alimenté, dans l'âme du pontife, cette noble et fière tristesse.

En Italie, la publication faite, en novembre 1865, dans l'Unità cattolica du Martyrologe de l'épiscopat italien, venait à peine de révéler au public l'étendue des souffrances de l'Eglise[46], que le roi Victor-Emmanuel en faisait prévoir- de nouvelles en annonçant de nouveaux projets de loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat et sur la suppression des corporations religieuses[47]. Six mois plus tard, le 17 mai 1866, une loi, dite loi Crispi, du nom du député qui l'avait proposée, punissait de l'amende et de la prison quiconque, pendant la durée de la guerre contre l'Autriche, serait soupçonné de vouloir restaurer l'ancien ordre de choses ou nuire de quelque manière à l'unité de l'Italie[48]. Les termes vagues de cette loi rappelaient ceux des plus mauvaises lois révolutionnaires. La défaite des Italiens à Custozza, le 24 juin 1866, n'interrompit point la série des menées persécutrices. Le 8 juillet de la même année, la Gazette officielle du royaume d'Italie publiait un décret donnant force de loi au projet, déjà approuvé par la Chambre, qui prononçait l'abolition de tous les corps religieux et la conversion des biens du clergé[49]. Le 7 décembre, une convention était signée par les représentants de l'Italie et de la France pour le règlement de la dette pontificale[50]. Le 14, cette convention était officiellement promulguée, et le comité révolutionnaire de Rome, dans une proclamation, disait : Le jour du 14 décembre 1866 ouvre toute une ère, l'ère qui, à côté du ministère religieux, affranchi de l'impur contact d'un despotisme abhorré, verra Rome libre et florissante ![51] Le 29 du même mois, Mazzini s'écriait : Rome est le sépulcre des deux grandes religions qui ont autrefois donné la vie au monde, et Rome est le sanctuaire d'une troisième religion destinée à donner la vie au monde de l'avenir[52].

Ces manifestations n'étaient pas dues seulement à la Convention du 7 décembre, niais aussi au retrait des troupes françaises de Rome, lequel s'était opéré le 11 décembre. L'empereur Napoléon avait, il est vrai, essayé d'atténuer l'impression produite par cette mesure en constituant, pour le service du pape, une légion levée en France, encadrée dans des cadres français et qui serait enrôlée sous le drapeau pontifical. Cette légion s'organisa à Antibes : d'où le nom de légion d'Antibes, qui lui resta. Mais la façon même dont la légion d'Antibes fut organisée indiquait l'hésitation, le peu de fermeté de l'empereur[53].

Le gouvernement espagnol, qui avait, le 14 décembre 1865, malgré l'opposition du clergé, reconnu le nouveau royaume d'Italie[54], protestait de son attachement au Saint-Père et à sa souveraineté temporelle[55] ; mais il déclarait approuver la Convention du 15 septembre[56], et, par là, laissait entrevoir quelque connivence avec les gouvernements de France et d'Italie sur la question romaine.

En Allemagne, la situation prépondérante faite à la Prusse protestante par le traité de Prague, le 23 août 1866, créait un danger permanent, dont l'avenir devait révéler l'importance, et qui n'échappa point à l'attention de Pie IX. Ecrasée à Sadowa le 3 juillet précédent, l'Autriche était éliminée désormais de la confédération germanique, et se dépouillait de la Vénétie au profit de l'Italie. La maison des Hohenzollern allait désormais prétendre faire la loi en Allemagne. La Prusse de Bismarck, avec son organisation militaire formidable, allait devenir menaçante pour l'Europe entière. Et cet agrandissement d'une puissance luthérienne se produisait au moment même où l'Italie voyait croître à la fois son étendue territoriale et son hostilité envers la papauté, et où la France, seule protectrice officielle du pouvoir temporel, se trouvait amoindrie devant l'Europe par le rôle effacé, presque servile, qu'elle avait joué dans la dernière guerre.

Au surplus, la catholique Autriche oubliait elle-même ses vieilles traditions, pour s'en tenir, dans bien des circonstances, à la nies-quine politique de Joseph II. Au lendemain de Sadowa, le Conseil municipal de Vienne ne retrouvait son énergie que pour empêcher les jésuites, expulsés de la Vénétie, de venir se réfugier dans la capitale autrichienne[57].

En Russie, deux ukases impériaux, l'un du 4 novembre 1866, l'autre du 5 janvier 1867, anéantissaient toutes les espérances qu'on avait pu concevoir au sujet d'une amélioration de la situation religieuse. Le premier ukase décidait que dorénavant les affaires du culte romain rentreraient dans le ressort des administrations impériales[58], et le second prononçait l'absorption définitive et complète du royaume de Pologne dans l'empire russe[59].

Vers la fin de l'année 1865, le 15 novembre, un grand meeting, tenu à Londres, avait lancé l'idée de l'union de l'Eglise anglicane avec l'Eglise russe, et, le. 4 février 1866, le prince Orloff, ministre de Russie en Belgique, se déclarait favorable à un tel projet[60]. Trois mois plus tard, un autre meeting se réunissait pour aviser aux moyens de supprimer, dans le culte, tout ce qui n'était pas conforme aux principes de la Réforme[61]. Le Parlement lui-même croyait devoir sévir contre les rites jugés trop empreints de catholicisme, et, dans cette vue, dénonçait les pratiques des ritualistes[62].

 

IV

Un danger plus général et plus radical, s'attaquant à la fois aux principes surnaturels dont l'Eglise catholique a la garde, et aux principes naturels sans lesquels il n'est pas de nation libre et prospère, menaçait l'Europe civilisée.

Après le socialisme sentimental de Saint-Simon et le socialisme politique de Louis Blanc, le communisme révolutionnaire venait de se formuler avec Karl Marx et Lassalle. Son but état  de grouper les prolétaires de tous les pays pour établir la collectivité des instruments de travail. La Révolution de 1789 avait dépossédé les nobles ; le temps était venu de déposséder les bourgeois ; et, pour cette œuvre, les travailleurs ne devaient chercher aucun appui au dehors. L'émancipation de la classe ouvrière, disaient-ils, doit être conquise par la classe ouvrière elle-même[63]. Ce que nous voulons renverser, déclarait un de leurs chefs, ce n'est pas seulement le tyran, c'est la tyrannie. Nous ne voulons plus de gouvernement, car les gouvernements nous écrasent d'impôts ; nous ne voulons plus de religion, car la religion étouffe les intelligences[64]. Ni Dieu ni maître : telle pouvait être déjà la devise de la nouvelle école socialiste[65].

Le communisme s'organisa par l'Association internationale des travailleurs, dont la première idée fut émise en 1862, à l'Exposition universelle de Londres, et qui tint son premier congrès à Genève eu 1866[66]. Au banquet qui termina ce congrès, on acclama Garibaldi[67]. Mazzini, dans une réunion tenue en 1864, avait essayé de mettre l'Association au service de sa cause[68]. Elle avait en vue un champ d'action plus vaste, que lui proposait Karl Marx[69].

On pense bien que les attaques ne manquèrent pas de se produire contre une théorie si radicalement subversive. Mais avec Lassalle et Marx, on avait affaire à de redoutables adversaires. Lassalle, brillant écrivain, avait, dans son principal ouvrage, Capital et travail, réfuté avec une verve caustique les thèses de l'Economie libérale ; et Marx, dans son œuvre indigeste, mais puissante, Du Capital, aux allures scientifiques, au raisonnement serré, écartant a priori tout argument moral ou religieux, se plaçant sur le seul terrain des faits palpables et visibles, des faits positifs dûment constatés, prétendait donner sa doctrine comme une déduction nécessaire, partant légitime, de la structure de la société et des lois essentielles du monde.

Or, en 1864, parut un ouvrage qui, s'appuyant uniquement sur l'étude des faits et des lois générales scientifiquement observés, concluait à la restauration de la société sur les bases traditionnelles du respect de la religion, de la famille et de la propriété, Cet ouvrage avait pour titre : la Réforme sociale en France, déduite de l'observation des peuples européens. Son auteur, Frédéric Le Play, ingénieur des mines, membre du Conseil d'Etat, ancien commissaire général de l'Exposition universelle de Paris en 1855, avait recueilli les éléments de son œuvre au cours de nombreux voyages accomplis en Angleterre, en Belgique, dans les Etats Scandinaves, en Allemagne, en Russie, en Turquie, en Italie, en Espagne et dans l'Asie centrale. Sa méthode avait consisté à rejeter a priori, par un doute méthodique analogue à celui de Descartes, tous les systèmes théoriques des écoles sociales, et à observer impartialement les conditions dans lesquelles vivaient les nations, les familles, les sociétés libres et prospères[70].

Portant d'abord tout spécialement son attention sur les classes ouvrières, dont les conditions de vie l'avaient préoccupé dès sa première enfance[71], il avait publié en 1855, sous ce titre : les Ouvriers européens, des monographies de familles ouvrières observées dans les milieux les plus divers. Peu de temps après, il fondait la Société d'économie sociale, appelée à continuer son immense tâche. Lui-même, par la publication de plusieurs autres ouvrages, entre autres de la Paix sociale en 1871, de la Réforme en Europe en 1876, de la Question sociale en 1879 et de la Constitution essentielle de l'humanité en 1881, devait exprimer la synthèse philosophique de ses travaux. Mais sa doctrine se trouvait déjà exposée, en ses éléments fondamentaux, dans la Réforme sociale. L'apparition de l'ouvrage attira l'attention des esprits réfléchis. Sainte-Beuve salua en Frédéric Le Play, un Bonald rajeuni, progressif et scientifique. Montalembert écrivit : Je n'hésite pas à dire que Le Play a fait le livre le plus original, le plus courageux et, sous tous les rapports, le plus fort de ce siècle[72]. Courageux, Frédéric Le Play l'était certes, non seulement en se plaçant hardiment sur le terrain de l'observation scientifique, choisi par les nouveaux théoriciens du socialisme, mais encore en dénonçant, au nom de cette méthode, les principes les plus universellement, admis depuis la Révolution de 1789, les idées répandues par Jean-Jacques Rousseau sous l'ancien régime, les faux dogmes, comme il les appelait, de la perfection originelle, de Providentielle et du droit perpétuel à la révolte, en proclamant la nécessité du respect de la famille, des autorités sociales, politiques et religieuses, en un mot du Décalogue éternel[73].

En 1867, l'empereur Napoléon, ayant conçu le projet d'organiser à Paris une Exposition universelle, chargea de cette organisation Frédéric Le Play. L'auteur de la Réforme sociale profita de la tâche qui lui était confiée pour faire prévaloir, dans cette œuvre, avec toute la discrétion commandée par les circonstances, ses idées les plus chères. Grâce à lui, l'Exposition universelle de 1867, qui réunit à Paris la plupart des produits de l'activité humaine et y attira la plupart des souverains, ne fut pas seulement l'expression de l'état social du monde au milieu du me siècle ; elle contribua au progrès de l'économie sociale la plus saine par deux institutions : l'organisation d'un groupe comprenant les objets destinés à l'amélioration matérielle et morale des travailleurs, et la création d'un ordre de récompenses en faveur des personnes et des institutions assurant le bien-être et la bonne harmonie de ceux qui collaborent aux mêmes travaux[74].

Certes, dans cette immense exhibition des produits du monde entier et dans ce va-et-vient des habitants de toutes les nations, les tares de la société moderne apparurent. Si les entretiens que purent avoir entre eux les souverains de l'Europe, réunis dans la capitale de la France, servirent à éviter certains conflits, plus d'un point noir, suivant l'expression de Napoléon III, vint assombrir l'horizon[75]. En voyant les peuples très absorbés par des soucis de prospérité matérielle, Victor-Emmanuel et Garibaldi purent se dire que l'esprit chevaleresque des croisades était mort, et qu'ils pourraient impunément franchir les frontières du Domaine de saint Pierre. On raconte que Bismarck, en sortant d'un opéra-bouffe[76], dans lequel les minuties de la discipline militaire étaient ridiculisées, crut y voir le prélude d'une décadence irrémédiable de la France et peut-être de toutes les nations de l'Europe au profit de l'Allemagne. Les uns et les autres jugeaient trop superficiellement leur siècle. Les envahisseurs du territoire pontifical ne parviendraient à la Ville Eternelle qu'en passant sur le corps de nouveaux croisés, réunis de tous les points du globe pour la défense du pape ; et le jour où la Prusse, confiante en l'invincibilité de son organisation militaire, voudrait imposer son hégémonie au monde, c'est le monde entier qu'elle verrait, un demi-siècle plus tard, se dresser contre elle pour la défense de la vraie civilisation. Le symbole du vrai danger qui menaçait alors le monde, était dans cette colossale pièce d'artillerie, sortie des usines Krupp, qui, par ses dimensions, attira si vivement les regards des curieux spectateurs. Les esprits réfléchis y virent, à bon droit, l'insolent défi d'un peuple qui, en restaurant le culte païen de la force, ne préparait rien de moins qu'une renaissance de l'antique barbarie.

 

V

La vue des grandes manifestations industrielles, scientifiques et artistiques dont l'Exposition universelle de Paris avait été l'occasion, suggérait aux catholiques l'idée d'une autre réunion, plus solennelle et plus importante, à laquelle des représentants du monde entier seraient convoqués, pour s'occuper, non plus des intérêts temporels de l'humanité, mais de ses destinées éternelles. Le 6 décembre i864, deux jours avant de publier l'encyclique Quanta cura, Pie IX s'était ouvert, devant quelques membres du Sacré Collège, de son intention de convoquer un concile œcuménique. Depuis le concile de Trente, c'est-à-dire depuis trois siècles, l'Eglise n'avait plus tenu une pareille assemblée. Jamais elle n'avait laissé s'écouler, entre deux conciles généraux, un si long intervalle.

Au commencement du mois de mars 1865, une commission de cinq cardinaux avait été instituée pour discuter certaines questions préliminaires. Vers la fin de ce mois, trente-cinq évêques du rite latin avaient été invités à faire parvenir à la commission cardinalice un résumé des points de dogme et de discipline qu'ils désireraient voir traités dans l'assemblée. Au début de l'année suivante, une pareille invitation avait été adressée aux évêques chi rite oriental. Les uns et les autres avaient répondu à l'appel fait à leurs lumières[77].

Les résultats de ces enquêtes ne furent pas communiqués au public ; mais l'opinion catholique ne pouvait pas se désintéresser de cette grande entreprise. Le pape Paul III avait écrit, en convoquant le concile de Trente, que dans les grands périls de la chrétienté, il n'y avait pas de meilleur remède qu'un concile œcuménique[78]. Au IVe siècle, en pleine crise arienne, le concile de Nicée avait proclamé l'absolue égalité des trois Personnes divines et l'absolue Divinité du Christ ; au XVIe siècle, au milieu de la révolution protestante, le concile de Trente avait défini les conditions de la justification de l'homme par la grâce divine ; au XIXe siècle, en face de l'erreur révolutionnaire, non moins envahissante et non moins redoutable que l'hérésie protestante, on pressentait que l'épiscopat allait relever la notion de l'autorité dans l'Eglise et dans la personne du pape. Le 3 juin 1867, la Civiltà cattolica prit l'initiative d'un mouvement en faveur de l'infaillibilité pontificale, proposant aux catholiques de se lier par un vœu à la profession publique et à la défense de cette croyance[79].

Cependant la Révolution, justifiant par ses actes les alarmes des catholiques, dirigeait contre le pape ses plus violentes attaques. Dans le courant du mois de juin 1867, le Comité insurrectionnel de Rome faisait circuler la proclamation suivante : Romains, la révolution qu'accomplira l'Italie ne peut avoir son complet développement qu'à Rome ; elle ne peut triompher qu'au Capitole[80], Le 21 juin, le maréchal' Niel se plaignit qu'un certain nombre de soldats de la légion romaine, désertant honteusement le drapeau (pontifical) qu'ils avaient librement choisi, abandonnaient leurs chefs pour suivre de misérables embaucheurs étrangers[81]. Les grandes fêtes célébrées, le 29 juin 1867, à Rome, à l'occasion du dix-huitième centenaire du martyre des apôtres saint Pierre et saint Paul, les ovations dont le pontife fut l'objet ce jour-là, ne firent qu'exaspérer la haine des ennemis de la papauté[82]. Le 19 juillet, Garibaldi, haranguant la foule à Pistoia, s'écria : Rome doit être à nous ![83] Le 28, le gouvernement français fit déclarer par le Moniteur qu'il s'en remettait au gouvernement de Florence[84] du soin de protéger la frontière pontificale[85]. Cette déclaration fut un nouveau sujet d'inquiétude pour les catholiques. Le 31, l'évêque d'Orléans jeta un cri d'alarme. Je suis inquiet, s'écria-t-il ; je ne crois guère à la bonne foi italienne ; puis-je oublier l'expédition de Garibaldi en Sicile, les désaveux et les comédies de M. de Cavour ?[86] Le 12 septembre, le troisième congrès de Malines déclara, en clôturant ses délibérations, qu'il voyait, dans l'occupation des Etats de l'Eglise, non seulement un crime sacrilège, mais aussi un préjudice très grave porté au droit, à la liberté et au bien-être de toute la chrétienté[87]. La semaine précédente, le conspirateur Mazzini avait refusé d'assister à un congrès dit de la paix que tenaient à Genève plusieurs de ses amis libres penseurs, rangés autour de Garibaldi, parce que, disait-il, il ne pouvait renoncer à la guerre contre l'Eglise et la papauté[88]. Le 8 octobre, le journal organe du ministre Rattazzi, déclara que la solution de la question romaine était devenue une nécessité, que le moment était arrivé où, à tous risques et périls, il fallait trancher le nœud gordien[89]. Le 19 octobre Garibaldi, profitant des embarras d'une crise ministérielle, quitta l'île de Caprera, qui lui avait été assignée pour résidence, et aborda sur le continent. Le 21, il lança, de Florence, une proclamation pleine de violences[90]. Quelques jours après, il franchit, sans rencontrer de résistance, le cordon de troupes piémontaises placées sur la frontière, et fit envahir par ses soldats, en plusieurs points, les Etats de l'Eglise. Sa tactique était d'attirer l'armée pontificale hors de la ville de Rome, qui resterait ainsi dépourvue de défenseurs, et d'y susciter aussitôt une révolution. Effectivement, dans la nuit du 22 octobre, dans plusieurs quartiers de la ville à la fois, des bandes d'insurgés attaquent les postes et les casernes, tentent de pénétrer au Capitole pour y sonner la cloche d'alarme ; mais partout les soldats pontificaux restés dans Rome, zouaves, carabiniers et gendarmes, repoussent victorieusement les émeutiers.

Cependant le bruit se répand que Garibaldi s'avance vers Rome. Le danger est grave, en effet. Heureusement, l'héroïque résistance que trois cents légionnaires opposent au condottiere à Monte-Rotondo, entrave sa marche, met dans son armée un trouble qui le déconcerte. Il s'attarde près de deux jours à délibérer, et laisse le temps aux troupes françaises de le devancer à Rome.

La France en effet venait de se décider à intervenir. Le premier article de la Convention de Septembre, portant que l'Italie s'engageait à empêcher, même par la force, toute violation du territoire pontifical, n'était-il pas ouvertement violé ? Le 30 octobre, les soldats pontificaux postés sur les hauteurs du Janicule entendirent un bruit de clairons et de tambours. C'était l'arrivée de l'avant-garde française. Elle fut bientôt suivie de deux divisions, commandées par le général de Failly.

C'était le salut. Le général Kanzler, commandant en chef des troupes pontificales, dans un entretien avec Failly, fit prévaloir son plan stratégique, aussi hardi que prudent : aller aux bandes garibaldiennes et les écraser promptement. C'était le moyen le plus sûr de localiser la lutte, d'empêcher un conflit dans lequel quatre armées, animées de vues diverses et mal définies, pouvaient se trouver étrangement impliquées : l'armée de Garibaldi, celle de Victor-Emmanuel, celle de Napoléon III et celle de Pie IX. L'armée papale, appuyée par une partie de l'armée française. se dirigea vers les troupes révolutionnaires, qu'elle rencontra, le 3 novembre, campées dans une position habilement choisie, sur un plateau défendu par de nombreux accidents de terrain, et où deux anciens châteaux, celui de Mentana et celui de Monte Rotondo, jouaient le rôle de véritables forteresses.

Les zouaves réclamèrent l'honneur de marcher les premiers à l'assaut, et s'emparèrent des premiers mamelons, dans un élan où s'illustra le lieutenant-colonel de Charette. La. vigoureuse intervention des troupes françaises acheva la déroute des garibaldiens, qui laissèrent sur le champ de bataille un millier d'hommes, blessés ou tués, et quinze cents prisonniers valides. Ceux qui échappèrent furent arrêtés à la frontière et désarmés. L'armée révolutionnaire n'existait plus.

La bataille de Mentana avait sauvé Rome ; mais elle avait ravivé le conflit entre Napoléon III et Victor-Emmanuel. A la parole du général de Failly : Nos chassepots[91] font fait merveille, le roi d'Italie ripostait : Ces chassepots ont brisé mon cœur de roi ; et, quand, le 5 décembre suivant, le ministre français Rouher, voulait sceller l'alliance de son gouvernement avec les catholiques, s'écria : Jamais l'Italie ne s'emparera de Rome ; jamais la France ne le supportera, Victor-Emmanuel murmura : Nous lui ferons voir son jamais.

Le 1er janvier 1868, Pie IX bénit la France, son empereur et son armée, qu'il remercia d'être venue avec tant d'empressement au secours de la papauté[92] ; mais l'Italie demanda à la France l'évacuation de Rome par les troupes françaises dans le délai de deux mois[93]. En ne craignant pas de s'aliéner le roi Victor-Emmanuel pour soutenir le pape et la foi des traités, l'empereur des Français méritait la reconnaissance des catholiques ; mais, en entrant en conflit avec l'Italie après l'avoir aidée à devenir une puissance redoutable, il se préparait des difficultés que seul un dévouement absolu au Saint-Siège, fondé sur une foi catholique profonde, lui aurait permis du surmonter. Or, l'âme indécise et flottante de celui qui représentait alors la fille aînée de l'Eglise, ne possédait pas un tel sentiment.

L'empereur d'Autriche, roi apostolique de Hongrie[94], ne dormait pas us de satisfaction au Saint-Père. Au cours des années 1867 et 1868, la Chambre des Députés et la Chambre des Seigneurs votèrent, sur la proposition du gouvernement autrichien, une série de lois dites confessionnelles, qui annulaient, sans en faire mention, les principales clauses du concordat de 1855. L'une d'elles instituait le mariage civil ; une autre mettait l'enseignement public et privé sous la direction de l'Etat ; une autre réglementait les relations entre les membres des diverses confessions religieuses et le droit de changer de religion[95]. En vain, le 28 septembre 1867, au moment où ces lois avaient été présentées aux Chambres, les évêques autrichiens avaient-ils protesté contre elles par une lettre adressée à l'empereur[96]. Faisant remarquer quo ces lois étaient destinées à régir une nation catholique, ils terminaient leur missive par ces graves paroles : Plus on proclame hautement que la volonté du peuple est l'unique source du droit, moins on respecte les vœux et les convictions de la très grande majorité... Sire, il s'agit non seulement de l'Eglise catholique, mais encore du christianisme... Les évêques soussignés, vos fidèles sujets, sont profondément convaincus qu'en prenant en main la défense des droits de l'Eglise, ils combattent pour Dieu, pour votre trône et pour votre peuple[97]. L'empereur autrichien passa outre. Les lois anticoncordataires furent promulguées la 25 mai 1868. En rendant compte des débats, commencés le 19 mars, l'Univers écrivit : Le libéralisme va plus loin en Autriche que dans les autres Etats de l'Europe[98]. Le 16 décembre, le premier ministre de la cour de Vienne, le baron de Beust, écrivait à l'ambassadeur d'Autriche à Rome : Nous ne cédons pas à des tendances antireligieuses. Nous constatons seulement la nécessité de mettre les rapports de l'Eglise et de l'Etat eu harmonie avec les institutions nouvelles dont l'Autriche est dotée[99].

La catholique Espagne, gouvernée par le maréchal Serrano, président du gouvernement provisoire, supprimait, le 18 octobre 1868, tous les monastères, couvents et autres maisons de religieux, et déclarait leurs biens propriétés de l'Etat[100]. En Suisse, le Conseil d'Etat de Genève refusait à Mgr Mermillod son titre d'évêque, sous prétexte qu'il lui avait été conféré directement par le pape sans participation de l'Etat[101]. Le clergé irlandais se plaignait plus amèrement que jamais de la pénible situation faite à l'Irlande catholique par le gouvernement anglais[102]. En Russie, l'Anse d'amnistie rendu à la date du 17-29 mai 1867 excluait de tette mesure générale les ecclésiastiques[103].

Ces mesures de défiance des gouvernements à l'égard de l'Eglise n'étaient-elles pas déterminées, au moins en partie, par une action des sectes antichrétiennes Le fait est que la franc-maçonnerie et la Société internationale des travailleurs s'agitaient fiévreusement. Garibaldi écrivait au Conseil suprême de Palerme qu'il fallait se hâter de faire une Rome maçonnique, que l'unité maçonnique entraînerait l'unité de l'Italie[104] ; et l'Internationale proposait de faire une révolution contre l'ordre social tout entier[105].

Sans doute, les militants du catholicisme devenaient plus ardents que jamais. En Allemagne, les Stimmen an Maria Laach attaquaient, avec une extrême vivacité, les libertés modernes ; et un orateur du congrès de Trèves n'hésitait pas à proclamer que le Syllabus était le plus grand acte du siècle, peut-être de tous les siècles[106]. En France, l'Univers, réapparaissant le 16 avril 1867, déclarait, dans son programme, par la plume de Louis Veuillot, qu'il ne reconnaissait pas d'autre architecte social que le Vicaire de Jésus-Christ, et prenait pour devise cette parole, attribuée à un Père de l'Eglise : Le Christ est la solution de toutes les difficultés. Nous voulons, disait Veuillot, travailler à discuter l'exactitude impérissable de cette parole inspirée ?[107]

Mais, à un extrême opposé, en Allemagne, le docteur Dœllinger proposait aux protestants une base d'entente dans laquelle il n'était pas question de la souveraineté temporelle du pape ; il prétendait même que les vexations dont souffrait le pontife étaient de nature à l'éclairer[108] ; et, en France, le P. Hyacinthe, prédicateur de Notre-Dame, écrivait à un journal démocratique qu'il tenait à séparer sa cause de celle de certains catholiques qui regrettaient l'Inquisition et les dragonnades[109].

Tant d'agitations, tant de controverses faisaient désirer à tous la prompte réunion d'un concile universel, dont l'autorité, s'imposant à l'Eglise entière, la rendrait plus calme et plus forte pour combattre efficacement ses ennemis. Aussi le monde catholique accueillit-il avec un grand sentiment de joie la bulle Æterni Patris, par laquelle, le 29 juin 1868, le Pape Pie IX convoqua les évêques du monde entier à se réunir en concile, le 8 décembre 1869, au Vatican[110].

 

 

 



[1] Le document qui paraît avoir servi de point de départ à l'encyclique Quanta cura et au Syllabus est une lettre pastorale publiée le 23 juillet 1860 par Mgr Gerbe, évêque de Perpignan. On a souvent écrit que la forme définitive donnée au Syllabus est due au cardinal Bilio. Le commandeur J.-B. de Rossi, interrogé par nous à ce sujet en 188i, au moment de la mort du savant cardinal, se croyait en mesure de donner un démenti formel à cette information. Le cardinal Bilio lui avait déclaré que toute sa coopération à la rédaction du document pontifical avait été d'en avoir pris connaissance avant sa publication et d'en avoir fait retrancher quatre ou cinq propositions. Sur les origines du Syllabus, voir Pierre HOURAT, le Syllabus, étude documentaire, 3 vol. in-18, Paris, collection Science et religion. Sur la participation de Louis Veuillot à la rédaction du Syllabus, voir Eugène VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, p. 493.

[2] DENZINGER-BANNWART, n. 1689.

[3] DENZINGER-BANNWART, n. 1694.

[4] DENZINGER-BANNWART, n. 1691.

[5] DENZINGER-BANNWART, n. 1697.

[6] DENZINGER-BANNWART, n. 1690.

[7] DENZINGER-BANNWART, n. 1692.

[8] DENZINGER-BANNWART, n. 1695.

[9] À l'exemple de la plupart des historiens, nous donnons, de l'encyclique, la traduction contemporaine de l'apparition du document, celle qui a été donnée tant par les catholiques que par les libres penseurs.

[10] LAGRANGE, Vie de Mgr Dupanloup, t. II, p. 450.

[11] CHANTREL, Annales, p. 569.

[12] CHANTREL, Annales, p. 573-574.

[13] Expression de l'abbé de Broglie, citée par Mgr BAUDRILLART dans le Correspondant du 25 mars 1902. Cf. Revue pratique d'apologétique du 15 novembre 1907.

[14] Mgr D'HULST, le Droit chrétien et le Droit moderne, préface, p. 14-15. Cf. Mgr BAUDRILLART, Vie de Mgr d'Hulst, 2 vol. in-8°, Paris, 1914, t. II, p. 8.

[15] On trouvera ce commentaire dans les Nouvelles Œuvres choisies de Mgr DUPANLOUP, t. IV. Voir dans LAGRANGE, Vie de Mgr Dupanloup, t. II, p. 456 et s., les intéressants détails de la composition, de la publication et de l'extraordinaire diffusion de cet ouvrage.

[16] A titre d'hypothèses, avaient écrit les Pères de la Compagnie de Jésus rédacteurs de la Civiltà cattolica, les libertés modernes peuvent titre légitimes, et les catholiques peuvent les aimer et les défendre (Civiltà cattolica du 17 octobre 1863).

[17] LAGRANGE, Vie de Mgr Dupanloup, t. II, p. 465.

[18] LAGRANGE, Vie de Mgr Dupanloup, t. II, p. 474.

[19] LAGRANGE, Vie de Mgr Dupanloup, t. II, p. 473.

[20] Depuis le mois de novembre 1855, la direction du journal était passée aux mains d'un jeune prêtre, l'abbé A. Sisson, attaché à la rédaction en 1854 sur les conseils de Mgr Dupanloup. L'influence de l'évêque d'Orléans y était prédominante (Dict. d'hist. et de géogr. ecclés., au mot Ami de la religion, t. II, col. 1229).

[21] Cardinal PIE, Œuvres, t. V, p. 436 ; Eugène VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, p. 497.

[22] Voir la lettre de l'abbé Freppel dans LECANUET, l'Eglise de France sous la troisième République, t. I, p. 326, et dans NICOL, Mgr Bécel, p. 146.

[23] E. VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, p. 500.

[24] E. VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, p. 416.

[25] E. VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, p. 501.

[26] Louis VEUILLOT, l'Illusion libérale, ch. IV, 3° édition, Paris, 1866, p. 23-24.

[27] Louis VEUILLOT, l'Illusion libérale, p. 34.

[28] BOSSUET, Sermon sur l'unité de l'Eglise, Œuvres, édit. Lebel, t. XV, p. 532, 533-535 ; saint BERNARD, De Consideratione, l. III, cap. IV. n. 17 (Cf. n. 15 ; epist. 238, n. 2, 6 ; epist. 255, n. 2. S. BERNARDI Opera, édit Gaume, t. I, pars prima, col. 1050, 1051, 500, 502, 538.

[29] Louis VEUILLOT, l'Illusion libérale, p. 45.

[30] Louis VEUILLOT, l'Illusion libérale, p. 68, 69.

[31] Louis VEUILLOT, l'Illusion libérale, p. 74.

[32] Eugène VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, 503.

[33] Eugène VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, 503.

[34] E. KELLER, l'Encyclique du 8 décembre..., un vol. in-12, 2e édition, Paris, 1866, p. 268-290.

[35] A. DE MUN, Ma vocation sociale, p. 13.

[36] Association catholique, année 1882, I, p. 246, Cf. Mgr D'HULST, le Droit chrétien et le Droit moderne, un vol. in-12, Paris, 1886, p. 7-8.

[37] Les théologiens se sont demandé quelle est l'autorité doctrinale du Syllabus. Quelques-uns, considérant que le document n'est point signé du pape, sont allés jusqu'à lui refuser le caractère d'acte du Saint-Siège. Cette opinion doit être écartée. Le cardinal Antonelli a envoyé le Syllabus aux évêques au nom du pape. Pie IX et ses successeurs ont toujours considéré le Syllabus comme un acte du Saint-Siège. Léon XIII, en particulier, le considère comme tel, lorsque, dans son encyclique Immortale Dei, il en cite les propositions 19, 34, 40 et 79 (Voir BOUDINHON, dans la Revue catholique des Eglises, de mars 1905). Mais le Syllabus est-il un acte ex cathedra ? L'opinion qui soutient l'affirmative s'appuie : 1° sur le fait que ce catalogue d'erreurs fait corps avec l'encyclique Quanta cura, laquelle s'adressant au monde catholique pour condamner des erreurs, a les caractères d'un acte ex cathedra ; 2° sur le fait que l'Eglise entière a accepté l'autorité doctrinale du Syllabus, soit qu'elle l'ait considéré comme faisant corps avec l'encyclique, soit qu'elle l'ait regardé comme un acte du magistère ordinaire du pape. Parmi ceux qui ont mis en doute le caractère ex cathedra du Syllabus, on peut citer : le P. Newman, de l'Oratoire, lequel, ayant écrit, le 12 mai 1879, dans une lettre publique au duc de Norfolk : Le Syllabus n'a pas de force dogmatique, été créé cardinal peu de temps après par Léon XIII ; Mgr Fessier, évêque de Saint-Hippolyte en Autriche et secrétaire général du concile du Vatican, qui a présenté la même thèse comme probable dans son livre la Vraie et la Fausse Infaillibilité, (trad franc., un vol. in-12, Paris, 1873, p. 132-135) ; et le savant canoniste de Angelis, professeur au collège de l'Apollinaire. Le principal argument de ces auteurs est celui-ci : Pour qu'une collection, même faite sur l'ordre du pape, ait une autorité spéciale comme collection, il ne suffit pas que cette collection ait été faite par l'ordre du pape ou acceptée comme authentique par le peuple chrétien ; il faut, suivant la doctrine acceptée par tous les canonistes, que le pape l'ait faite sienne ou par sa signature ou par son sceau ou par une déclaration formelle. Ainsi les Décrétales collectionnées, sur l'ordre du pape, par saint Raymond de Pennafort, n'ont eu une autorité propre que par la Constitution Rex pacificus de Grégoire IX, qui a approuvé expressément la collection ; au contraire le vile Livre des Décrétales, bien que rédigé par l'ordre du pape, n'a pas d'autorité propre. Il en est de inhale du décret de Gratien, qui a été unanimement accepté comme texte officiel dans les écoles, mais qu'aucun pape n'a fait sien par un acte exprès. Tel est, dit on, le cas du Syllabus. Il a bien été rédigé et envoyé par l'ordre du pape, comme le VIIe Livre des Décrétales ; il a été reçu et accepté par lise, comme le décret de Gratien ; mais, n'ayant été ni signé, ni scellé, ni approuvé expressément comme son acte propre, par Pie IX, il ne peut avoir d'autorité propre Les propositions dont il se compose ont tout juste l'autorité des documents d'où elles sont extraites, comme elles ont tout juste le sens que leur donne le contexte de ces documents. Le R. P. Chourin cite, à propos du Syllabus, une parole qu'aurait prononcée le pape Pie X, dans une audience particulière accordée à M. Charles A Briggs. Voici les paroles de M. Briggs: The Holy Father himself assured me that it (the Syllabus of Pius IX) did not come under the category of infaillibility (Ch. BRIGGS, The Papal Commission and the Pentateuch, London, 1906. p 9). (L. CHOUPIN, Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du Saint-Siège, in-vol, Paris, 1907, p 122). Au fond, la controverse dont nous venons de parler a moins d'importance pratique qu'il ne le semblerait au premier abord ; car ceux qui défendent le caractère ex cathedra du Syllabus concèdent que chaque proposition doit être prise dans le sens donné par la pièce d'où elle est extraite ; et ceux qui refusent de reconnaître au Syllabus la même autorité qu'à l'encyclique, sont bien forcés d'admettre que cette dernière contient tous les principes des assertions données par le Syllabus. — On a publié divers commentaires du Syllabus. Nous n'en connaissons pas de plus sûr que le simple Recueil des allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques des souverains pontifes cités dans l'encyclique et le Syllabus du 8 décembre 1864, un vol. in-8°, Paris, 1865 Ce volume contient le texte latin et la traduction française de l'encyclique, du Syllabus et de tous les autres documents.

[38] Parlamento italiano, 1864, p. 3728.

[39] Parlamento italiano, 1864, p. 3790.

[40] Louis VEUILLOT, Pie IX.

[41] P. DE LA GORCE, Hist. du second empire, t. V, p. 252.

[42] P. DE LA GORCE, Hist. du second empire, t. V, 253.

[43] P. DE LA GORCE, Hist. du second empire, p. 249.

[44] Louis VEUILLOT, le Parfum de Rome, t. II, livre XII, ch. XVIII, p. 435.

[45] Louis VEUILLOT, le Parfum de Rome, t. II, livre XII, ch. XVIII, p. 434.

[46] Voir ce Martyrologe dans CHANTREL, Annales, p. 602, 606.

[47] CHANTREL, Annales, p. 606.

[48] CHANTREL, Annales, p. 640.

[49] CHANTREL, Annales, p. 644.

[50] CHANTREL, Annales, p. 675, 676.

[51] CHANTREL, Annales, p. 677.

[52] CHANTREL, Annales, p. 688.

[53][53] Il faut, écrivait le souverain, accroître la légion (elle compta d'abord mille hommes) ; mais il faut l'augmenter peu à peu et sans bruit. Voir Maréchal RANDON, Mémoires, t. II, p. 118, 125 ; RASTOUL, Vie du maréchal Randon, p. 278.

[54] CHANTREL, Annales, p. 587, 589.

[55] CHANTREL, Annales, p. 615.

[56] CHANTREL, Annales, p. 628.

[57] CHANTREL, Annales, p. 645, 647.

[58] CHANTREL, Annales, p. 673.

[59] CHANTREL, Annales, p. 486.

[60] CHANTREL, Annales, p. 622.

[61] CHANTREL, Annales, p. 551.

[62] CHANTREL, Annales, p. 550 et s.

[63] Déclaration du Congrès de Genève en 1866. C. SEIGNOBOS, Hist. politique de l'Europe contemporaine, p. 692.

[64] Dupont, président du Congrès de Bruxelles en 1868. Cf. DE LA GORCE, Hist. du second Empire, t. V, p. 433.

[65] Sur les doctrines de cette école et sur ses relations avec la franc-maçonnerie, voir DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, t. II, p. 548, 555.

[66] Voir E. LAMY, le Second Empire et les ouvriers.

[67] Annales du congrès de Genève, Genève, 1866.

[68] C. SEIGNOBOS, Hist. politique de l'Europe contemporaine, p. 692.

[69] Plus tard, à côté du mouvement purement marxiste, appelé aussi mouvement intégral, révolutionnaire ou libertaire, on verra se dessiner, dans l'Internationale, le mouvement possibiliste qualifié parfois d'évolutif, de politique ou de modéré ; mais le but sera toujours le même le renversement total de la religion et de la société.

[70] Voir LAVELEYE, le Socialisme contemporain, 10e édit., Paris, 1896 ; WINTERER, le Socialisme international, Paris, 1890.

[71] Jules LACOINTA, F. LE PLAY, dans le Correspondant du 25 avril 1882, t. CXXVII, p. 215.

[72] Cité par E. DEMOLINS, F. Le Play, dans le Correspondant du 10 décembre 1879, t. CXVII, p. 870.

[73] Sur F. Le Play, voir : Ch. DE RIBBE, Le Play d'après sa correspondance ; Paul RIBOT, Exposé critique des doctrines de M. Le Play, Paris, 1882 ; DELAIRE, Le Play et la science sociale, dans la Nouvelle Revue du 15 février 1896 ; H. RAMIÈRE, S. J., l'École de la réforme sociale, dans les Etudes de mai et juin 1873 ; Emm. DE CURZON, Frédéric Le Play, sa méthode, sa doctrine, son œuvre, un vol.in-12, Paris, 1899.

[74] Sur l'Exposition de 1867, voir DE LA GORGE, Hist. du second Empire, t. V, p. 149, 241.

[75] DE LA GORGE, Hist. du second Empire, t. V, 238.

[76] La grande-duchesse de Gerolstein.

[77] Sur ces préliminaires du concile, voir Th. GRANDERATH, S. J., Histoire du concile du Vatican, traduction française, 5 vol. in-8°, Bruxelles, 1907-1913.

[78] Paul III, dans sa bulle Initio nostri.

[79] CHANTREL, Annales, p. 560-561.

[80] CHANTREL, Annales, p. 564.

[81] CHANTREL, Annales, p. 566.

[82] CHANTREL, Annales, p. 81 et suivantes.

[83] CHANTREL, Annales, p. 602.

[84] Depuis la convention du 15 septembre, et en vertu d'un article de cette convention, la capitale de l'Italie avait été fixée à Florence.

[85] CHANTREL, Annales, p. 606.

[86] CHANTREL, Annales, p. 607.

[87] CHANTREL, Annales, p. 636.

[88] CHANTREL, Annales, p. 638.

[89] CHANTREL, Annales, p. 660.

[90] CHANTREL, Annales, p. 679.

[91] Nom donné à des fusils d'invention récente, ainsi appelés du nom de leur inventeur.

[92] CHANTREL, Annales, p. 718.

[93] CHANTREL, Annales, p. 741.

[94] Le 8 juin 1867, l'empereur François-Joseph avait été couronné roi de Hongrie.

[95] CHANTREL, Annales, p. 460 et suivantes.

[96] Voir cette lettre dans CHANTREL, Annales, p. 460-466.

[97] CHANTREL, Annales, p. 465, 466.

[98] Univers du 30 mars 1868, cité par CHANTREL, p. 476.

[99] Univers du 30 mars 1868, cité par CHANTREL, p. 713.

[100] Univers du 30 mars 1868, cité par CHANTREL, p. 836, 837. Cf. p. 457.

[101] Univers du 30 mars 1868, cité par CHANTREL, p. 826, 827.

[102] Voir l'exposé des griefs des catholiques irlandais dans une déclaration du clergé, datée du 23 décembre 1867, Univers du 30 mars 1868, cité par CHANTREL, p. 721,726.

[103] Univers du 30 mars 1868, cité par CHANTREL, p. 558, 559.

[104] Univers du 30 mars 1868, cité par CHANTREL, p. 566.

[105] Univers du 30 mars 1868, cité par CHANTREL, p. 838.

[106] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. IV, p. 268, 269.

[107] CHANTREL, Annales, p. 641.

[108] Vexatio dabit intellectum, écrivait-il à Gladstone (FRIEDRICH, Dœllinger, t. III, p. 269).

[109] CHANTREL, Annales, p. 840.

[110] CHANTREL, Annales, p. 804, 806.