HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

CHAPITRE XI. — DE LA BULLE INEFABILIS À L'ENCYCLIQUE QUANTA CURA (1854-1864).

 

 

Le monde, dont l'attention s'arrête souvent aux événements extérieurs, n'avait guère vu, jusque-là, en Pie IX, que le chef d'État. Jusqu'à l'exil de Gaëte, ceux qui penchaient vers les solutions libérales des problèmes politiques avaient loué sa générosité à répondre aux aspirations populaires. A partir de l'exil de Gaëte, ce fut le tour de ceux qui inclinaient vers les solutions autoritaires, de l'admirer pour le courage qu'il manifestait dans la défense des droits de Dieu et du Saint-Siège[1]. Seuls les témoins de sa vie intime et quelques esprits pénétrants, en parlant de Pie IX, considéraient avant tout ce qu'il y avait, dans l'âme du nouveau pape, de foi profonde et d'ardente piété. De ce nombre était Jacques Balmès. La question du changement de la politique romaine, disait-il peu de temps avant sa mort[2], est la plus grave, la plus difficile qui soit au monde ; mais je ne m'en inquiète guère... Pie IX est, avant tout, un homme d'oraison. Voilà pourquoi je suis sans crainte sur le succès final. Que peut la Révolution contre un homme uni à Dieu ?

 

I

Dès son enfance, celui qui devait être le pape Pie IX s'était fait remarquer par une tendre dévotion envers la Sainte Vierge. Chassé de Rome par la Révolution, à peine arrivé au lieu de son exil, il conçut l'idée, pour conjurer les fléaux qui menaçaient l'Eglise et la société, de ranimer le culte des fidèles envers la Reine du ciel. Nous avons la ferme espérance, écrivit-il dans une encyclique du 2 février 1849, que la Vierge pleine de grâce et de suavité écartera de nous, par son instante et toute-puissante protection auprès de Dieu, les cruelles angoisses dont nous souffrons... apaisera les effroyables tempêtes dont l'Eglise est assaillie de toutes parts[3].

Le moyen le plus propre à obtenir une rénovation de piété envers la Vierge Marie lui parut être la proclamation du dogme de son Immaculée Conception. Il demanda à tous les évêques de l'univers de recueillir dans leurs diocèses les traditions touchant la croyance à la conception immaculée de la Vierge.

Les âmes pieuses comprirent seules la portée de la nouvelle encyclique. La plupart des hommes politiques, qui avaient donné une grande attention aux réformes administratives de Pie IX, sourirent ou dédaignèrent de s'occuper de cet acte. Il avait dans la pensée du souverain pontife, et il devait avoir dans l'histoire de son pontificat une importance considérable. Jusque-là, Pie IX, sans rien abandonner des dogmes catholiques et sans rien céder des droits du Saint-Siège, avait voulu montrer que l'Eglise était prête à répondre à toutes les aspirations légitimes des temps modernes : la preuve était faite, et l'échec de ses généreuses entreprises ne pouvait être attribuée qu'à la mauvaise volonté des sectes révolutionnaires ; il allait désormais chercher, avant tout, le salut de l'Eglise et de la société dans la restauration des vérités doctrinales et de l'autorité disciplinaire dont Dieu lui avait confié le dépôt.

Ou peut dire que cette phase nouvelle de son pontificat s'ouvrit le 8 décembre 1854, lorsque, après avoir invoqué le témoignage d'une tradition antique et universelle, il définit, en vertu de l'autorité des saints apôtres Pierre et Paul et de la sienne propre, que la Bienheureuse Vierge Marie avait été préservée de toute tache du péché originel dès le premier instant de sa conception, et déclara séparé de l'unité de l'Eglise quiconque oserait avoir une croyance contraire à cette définition[4]. En réalité, au fond de ce grand acte, il y avait autre chose que la confirmation d'une dévotion traditionnelle de l'Eglise. En déclarant que, seule, la Mère de Dieu avait été affranchie de la souillure originelle, le pontife affirmait, une fois de plus, contre l'orgueil du siècle, l'existence, trop généralement oubliée, d'une déchéance universelle de l'humanité. En proclamant que le Fils de Dieu, en s'incarnant, n'avait pu emprunter qu'une chair toute pure, il maintenait très haut, même dans sa nature humaine, la dignité de l'Homme-Dieu. En offrant aux hommages des hommes une créature absolument pure, bien que pétrie du même limon que nous, il rappelait à tous la merveilleuse puissance de la grâce divine. Enfin Pie IX, en imposant à tous les, fidèles, sous peine d'anathème, en vertu de son autorité propre, le dogme nouveau, affirmait son autorité souveraine dans l'ordre de l'enseignement et préludait à la proclamation de l'infaillibilité pontificale. A partir de ce moment, les préoccupations d'ordre extérieur, les conflits avec les puissances se rencontreront souvent dans la vie de Pie IX ; mais le souci de la restauration de la vérité doctrinale et de l'autorité disciplinaire dominera toutes ses autres sollicitudes.

La Bulle proclamant le dogme de l'Immaculée Conception était à peine publiée, que le pape invita la commission formée pour la préparation de ladite Bulle, à commencer des études relatives à la condamnation des principales erreurs modernes[5].

L'idée de réunir en une sorte de tableau les erreurs du temps et d'infliger à chacune d'elles la condamnation convenable paraît avoir été émise pour la première fois en 1849, au concile provincial de Spolète, par l'archevêque de Pérouse, Joachim Pecci[6]. Trois ans plus tard, au mois de mai 1852, le cardinal Fornari avait, sur l'ordre de Pie IX, secrètement communiqué aux membres les plus en vue de l'épiscopat et à quelques laïques éminents un projet de recueil ou syllabus, contenant vingt-huit propositions et répondant aux désirs du concile de Spolète[7]. Examiner les réponses faites à la lettre du cardinal Fornari et approfondir davantage cette importante question de la condamnation des erreurs modernes telle était la tâche dévolue à la commission pontificale. Le projet de Pie IX devait aboutir, en 1864, à la promulgation de l'encyclique Quanta cura et du Syllabus.

 

II

Pendant ces dix ans d'intervalle, les erreurs modernes vont peu à peu se démasquer. La politique d'opposition au Saint-Siège, dirigée par Cavour, aboutira à l'invasion des Etats pontificaux par les troupes de Garibaldi ; et le rationalisme nébuleux de la philosophie allemande, à la Vie de Jésus d'Ernest Renan.

La politique de Cavour avait inauguré une nouvelle forme de l'opposition des Etats à l'égard du Saint-Siège. Jusque-là, les papes avaient eu à lutter, soit contre des puissances nettement hostiles à l'Eglise, qui la persécutaient ouvertement, soit contre des pouvoirs catholiques, qui, sous prétexte de la protéger, essayaient de la dominer. Cavour se défendait à la fois de combattre l'Eglise et de s'immiscer dans ses affaires ; mais c'était à la condition que l'Eglise n'intervînt d'aucune sorte et sous aucun prétexte, fût-ce pour le bien spirituel des âmes, dans les affaires de l'Etat. Tel était le sens qu'il donnait à la devise qu'il adopta plus tard : l'Eglise libre dans l'Etat libre. C'était l'introduction de la thèse libérale dans les relations diplomatiques des Etats avec l'Eglise.

La politique religieuse de Cavour eut deux autres caractères. Bien qu'ayant pour point de départ et pour but final un intérêt strictement national, elle eut l'ambition d'entraîner dans son mouvement tous les Etats de l'Europe ; et, tout en voulant se maintenir sur un terrain conservateur et catholique, elle eut la prétention de capter à son profit les forces révolutionnaires : tâche ardue entre toutes, gageure irréalisable, mais devant laquelle ne recula pas l'audace de Cavour.

Souple autant qu'obstiné, patient autant que résolu, Cavour poursuivit l'exécution de son plan avec méthode.

Le petit Etat sarde, simple parcelle de la mosaïque italienne, n'avait aucune voix dans le concert des grandes puissances européennes. La première chose à faire était de lui donner cette voix. En 1853, le conflit soulevé par la France en Orient contre la Russie à propos de la question des Lieux Saints, parut à l'homme d'Etat l'occasion favorable d'une intervention par laquelle le Piémont se hausserait jusqu'à la politique générale des grands Etats. Par le traité du 20 janvier 1855, qui admettait le Piémont à prendre part à la guerre comme allié de la France et de l'Angleterre, la chancellerie de Turin prenait, pour ainsi dire, sa carte d'entrée au congrès de la paix. Cavour eut le talent de faire comprendre ce point de vue à l'armée de 15.000 hommes qu'il dirigea vers la Crimée. Dans la boue des tranchées de Sébastopol, ils eurent conscience qu'avec cette boue se faisait l'Italie. On le comprit mieux quand, au congrès de Paris, en 1856, on vit la question de l'Italie introduite dans les délibérations des puissances et plaidée, au nom du Piémont, par Cavour lui-même. Jusqu'à ce moment, l'habile homme d'Etat avait joué de souplesse et d'astuce. Admis à prendre la parole au même titre que les représentants de la Russie, de l'Autriche, de l'Angleterre et de la France, et fort de l'appui de ces deux dernières puissances, il fut hardi. Il déroula, dans ses grandes lignes, tout son plan. Il ne se contenta pas de signaler comme anormale l'agglomération des Etats de la Péninsule, et de montrer, d'un ton violent, le Piémont menacé par l'extension de l'Autriche ; il soumit au comte Walewski et à lord Clarendon, ministres de France et d'Angleterre, une note verbale exposant que le pape était impuissant à gouverner ses Etats ; qu'une séparation, au moins administrative, de Rome d'avec ses Légations[8], s'imposait. A la suite d'une délibération des membres du Congrès, saisis des motions de Cavour par les représentants de la France et de l'Angleterre, le 22e protocole du traité de Paris fut consacré à ce qu'on appela la question italienne. L'appellation était trop étroite. C'était la question romaine elle-même, intéressant au premier chef la catholicité tout entière, qui venait d'être posée[9].

On le vit bien à l'émotion générale qui suivit les délibérations du Congrès. Cavour eut beau déclarer qu'il n'était pas prétrophobe, qu'il était prêt à donner à l'Eglise une liberté plus grande que celle dont elle jouissait, que son seul objectif était de séparer le domaine temporel du domaine spirituel, l'État de l'Eglise[10] ; tandis que le vieux Metternich écrivait que la position prise par la cour de Turin faisait vibrer ses nerfs par des sortes d'impulsions galvaniques[11], Victor-Emmanuel était comme effrayé de l'audace de son ministre[12]. Effectivement, le congrès de 1856 fut le point de départ d'une campagne de pamphlets, de calomnies, d'outrages de toutes sortes, où les traités de 1815, la puissance autrichienne, le pouvoir temporel de la papauté, l'influence des prêtres, mêlés et confondus sans raison, étaient vilipendés par des folliculaires sans scrupules. L'évêque de Poitiers, Mgr Pie, avec cette ardente spontanéité et ce dévouement passionné à la Chaire romaine, aux doctrines romaines, aux intérêts romains, qui fut la caractéristique de sa carrière épiscopale, fit entendre des protestations indignées, qui, par delà les agitateurs de bas étage, visèrent directement les Etats, qu'il rendait responsables de l'agitation. Les gouvernements rationalistes, disait il, ne sauraient rien édifier de solide et de durable ; et, pour être retardé, leur châtiment n'en est pas moins inévitable[13]. Le gouvernement français prit l'admonition pour lui et prépara des représailles[14]. Mais les catholiques militants, dont l'Univers était l'organe, acclamèrent l'évêque de Poitiers comme leur chef ecclésiastique. Par sa science théologique, par son attachement inflexible à la tradition et par l'intrépidité de son zèle, l'évêque de Poitiers était le docteur indiqué du groupe de catholiques dont Louis Veuillot se faisait le vigoureux interprète.

 

III

Cavour cependant poursuivait lentement et sûrement son œuvre. Après avoir gagné à sa cause le monde de la diplomatie, il travaillait à maîtriser à son profit les forces révolutionnaires.

Parmi les hommes qui avaient compris la portée des décisions prises au congrès de Paris relativement à l'Italie et au Piémont, était un disciple de Mazzini, Giuseppe La Farina, esprit ardent, épris de politique militante, mais chez qui, comme chez beaucoup de ses compatriotes, l'ardeur de la passion ne nuisait aucunement à la vue claire des situations réelles et des possibilités pratiques. Sincèrement attaché à son maître, mais plus profondément dévoué aux doctrines mazziniennes, il comprit que celles-ci couraient les chances d'un plus grand succès en se liant à la fortune du Piémont et de Cavour. Celui-ci consentirait-il à s'en servir ? La Farina supposa le ministre trop intelligent pour négliger une pareille force. Il ne se trompait point. Une entrevue, qui eut lieu, le 12 septembre 1856, entre le conspirateur et l'homme d'Etat, suffit à les mettre d'accord. Le résultat de leurs conférences fut la fondation d'une Société nationale italienne, association à la fois publique et secrète : publique en Sardaigne, où son dévouement à la cause du Piémont et de son roi devait faciliter son recrutement et son action, mais secrète à l'étranger, de peur d'éveiller des susceptibilités nationales ou de provoquer les répressions des pouvoirs publics. Sa composition fut très diverse : des avocats, des hommes de lettres s'y rencontrèrent avec des artisans et des ouvriers. Partant, l'action de ses membres fut très variée : tandis que l'homme du peuple propageait la doctrine de la rénovation de l'Italie parmi ses camarades d'atelier, des poètes, des artistes, des romanciers exaltaient la patrie italienne, et des savants recueillaient patiemment tous les vieux textes qui pouvaient servir à la glorification de la cause nationale. Naturellement, la grande majorité des associés appartenait aux sectes révolutionnaires ; les idées de Mazzini formaient le fond de leur profession de foi ; et, s'ils désiraient l'unité italienne avec autant de passion que le ministre Cavour, pour eux le pouvoir temporel de la papauté était le grand obstacle à la réalisation de cette unité. Ni Victor-Emmanuel ni Cavour ne pouvaient songer à modifier sur ce point les idées de leurs nouveaux collaborateurs. Il fallait les accepter tels quels, ou se passer d'eux. On ne pouvait se passer de leur aide ; mi les accepta avec leurs idées. Ainsi se réalisa la prédiction de Mazzini : Le Piémont entrera dans la voie de nos doctrines par la perspective de la couronne d'Italie. La personne du fameux conspirateur avait été éliminée comme compromettante ; mais son plan triomphait.

Désireux de faire servir à son entreprise toutes les forces qu'il pourrait avoir sous la main, sans trop regarder à leur valeur morale, Cavour ne pouvait négliger l'étrange condottiere qui, depuis 1848, emplissait l'Italie du tapage de sa renommée, Giuseppe Garibaldi. Né à Nice en 1807, successivement marin piémontais, conspirateur à Gênes pour le compte de Mazzini, professeur de mathématiques en France, capitaine de frégate au service du bey de Tunis, chef de bandes révolutionnaires en Amérique, il était venu, en 1848, mettre son épée au service de Charles-Albert pour combattre l'Autriche. En 1849, après l'abandon de Rome par le pape et la proclamation de la République romaine, Garibaldi avait été chargé par Mazzini de défendre la Ville éternelle contre l'armée française du général Oudinot. Obligé de licencier ses troupes, mais ne pouvant se résoudre l'inaction, il était retourné en Amérique, s'y était livré à des entreprises industrielles, et, finalement, pressentant un réveil de l'agitation révolutionnaire en Italie, y était revenu en 1854 avec un prestige de mystérieux aventurier. Martial et grotesque, revêtu, par-dessus la chemise rouge, du poncho américain, coiffé d'un large sombrero, ce singulier condottiere avait l'aspect d'un héros de foire aussi bien que d'un héros de roman. Son courage était réel. Il le poussait même parfois jusqu'à la — témérité la plus folle. Par là il s'imposait aux foules, qu'il attirait aussi par les étrangetés de son attitude, par les vivacités de sa parole et par son imperturbable jactance. Son affiliation à toutes les sectes révolutionnaires avait étendu le cercle de ses relations. Il affectait l'illuminisme. Exagérant les formules de Mazzini, il invoquait le Christ en criant : Sus au pape, et n'était jamais plus fier que lorsqu'il pouvait s'entourer, dans ses manifestations anticléricales, de quelques religieux apostats revêtus du froc de leur Institut.

Tel était l'homme avec lequel le comte Cavour s'aboucha pour la première fois vers la fin de l'année 1857, sans se dissimuler qu'un pareil auxiliaire lui susciterait peut-être autant de difficultés qu'il lui apporterait de secours ; mais il se proposait d'aplanir les unes en profitant des autres.

Ces difficultés, d'ailleurs, lui paraissaient peut-être minimes à côté de celles qu'il pouvait pressentir, soit du côté des puissances, soit de la part des sectes dirigées par Mazzini, soit de la part des catholiques italiens et du pape lui-même. Parmi les, puissances, au fond, la France seule inquiétait Cavour. La Russie était bien loin ; la Prusse, bien isolée encore ; et l'Angleterre, assez, ignorante des choses italiennes. L'empereur des Français avait sans doute un passé de carbonaro qui pouvait le rendre sympathique à l'œuvre de l'unité italienne, fût-elle aidée par un Garibaldi[15] ; mais, depuis son avènement au pouvoir, il cherchait manifestement à se concilier les sympathies des catholiques. Il avait été question d'un remaniement des Articles organiques. Sans doute, l'ensemble des catholiques français n'avait pas la candide confiance de Mgr de Ségur, lequel, voyant Napoléon devenir, comme il disait, de plus en plus papiste, écrivait à Mgr Pie : Restaurateur de la religion en France, le prince le sera, par contre-coup, dans toute l'Europe[16]. Mais le seul souci de ne pas s'aliéner la portion la plus compacte du parti conservateur pouvait suffire à rendre l'empereur hostile à toute entreprise menaçante pour la tranquillité du Saint-Siège. Avec une sollicitude anxieuse et une persévérance obstinée, dont sa correspondance porte les témoignages, Cavour s'appliqua à combattre, dans l'esprit de l'empereur, tout ce qui. pouvait le préoccuper fâcheusement dans l'entreprise piémontaise[17]. La tâche était d'autant plus difficile, qu'il fallait, d'autre part, apaiser Mazzini, lequel profitait alors du mécontentement populaire provoqué par une récente levée d'impôts, pour donner une vitalité nouvelle à son parti. Quant au clergé italien, s'il était en grande partie favorable à un mouvement national, il était surtout sensible à toute attaque, à toute menace dirigée contre le pape. Dans son allocution Probe memineritis du 22 janvier 1855, Pie IX s'était plaint de la hardiesse avec laquelle le roi de Sardaigne ne craignait pas de violer l'indépendance de l'Eglise et de faire les injures les plus graves à l'autorité suprême du Saint-Siège[18] ; et le voyage triomphal fait par le souverain pontife, au cours de l'année 1857, à Bologne et dans plusieurs autres villes de l'Italie[19], prouvait bien que les plaintes du Saint-Père éveillaient des échos profonds de sympathie parmi le clergé et les fidèles de l'Italie. La publication faite en cette même année, le 19 mars 1857, par un journal anglais, le Daily. News, d'un important mémoire de l'ambassadeur français à Rome, M. de Raynéval, mémoire très favorable à Pie IX, très défavorable aux Italiens, et jusque-là tenu secret, était capable d'étendre aux catholiques du monde entier les sentiments manifestés par les catholiques d'Italie. Là peut-être, dans ce mouvement d'opinion qui pouvait à la fois paralyser l'action de la Sardaigne et encourager Napoléon dans' sa politique favorable au Saint-Siège, était le plus grand obstacle aux projets dé Cavour. Ce dernier avait beau affecter le calme et le sang-froid, déclarer qu'il n'était ni inquiet ni troublé ; éprouvait le besoin de masquer sa politique religieuse sous le couvert d'une politique purement nationale et de' raviver la popularité de son souverain. Dans ces vues, il détermina le roi à faire une tournée' dans ses Etats, et provoqua sur son passage l'es acclamations de son peuple. Mais les efforts qu'il prodiguait en sens ne faisaient qu'accuser ses appréhensions.

Un tragique événement vint tout à coup, en déterminant l'attitude de l'empereur des Français, mettre fin aux anxiétés de l'homme d'Etat piémontais.

 

IV

Le 14 janvier 1858, à huit heures et demie du soir, au moment où, l'empereur et l'impératrice, en voiture de gala, débouchaient de la rue Le Peletier, pour se rendre à l'Opéra ; trois bombes ; jetées dans la direction des souverains, criblèrent de leurs débris la voiture impériale et atteignirent plus de cent cinquante personnes, dont huit succombèrent. L'empereur et l'impératrice avaient été préservés. Une enquête prouva que les. auteurs de l'attentat étaient quatre Italiens : Orsini, Pieri, Gomez et Rudio, et que le complot avait été organisé par Orsini. Ce dernier, originaire des États romains, avait, dès sa jeunesse, en 1845, été condamné aux galères à vie pour conspiration contre le gouvernement de Grégoire XVI. Amnistié l'année suivante par Pie IX, il n'avait pas tardé à se faire remarquer parmi les plus ardents agitateurs du parti révolutionnaire. Condamné de nouveau, à plusieurs reprises, il avait réussi à s'évader, et avait erré à travers l'Europe, propageant autour de lui les idées les plus subversives. Les sociétés secrètes paraissent l'avoir compté au nombre de leurs plus dévoués affidés. Un mois après l'attentat, Orsini subissait la peine des régicides. Mais, avant de mourir, il lui fut permis de faire lire, en pleine cour d'assises, par son avocat, Jules Favre, une lettre à l'empereur, qui se terminait par ces mots : J'adjure Votre Majesté de rendre à l'Italie son indépendance... Que Votre Majesté se rappelle que les Italiens, versèrent avec joie leur sang pour Napoléon le Grand... Qu'Elle se rappelle que, tant que l'Italie ne sera pas indépendante, la tranquillité de l'Europe et celle de Votre Majesté ne seront qu'une chimère... Peu après, le préfet de police, Pietri, alla trouver le condamné dans son cachot, et obtint de lui qu'il écrivît une seconde lettre, pour engager ses amis politiques à renoncer aux moyens violents, tels que l'assassinat, et leur faire entendre que l'affranchissement de l'Italie était à ce prix. Orsini écrivit la lettre, puis, payant sa dette, monta sur l'échafaud, où il mourut en criant : Vive la France ! C'était le 13 mars 1858. Le 31 mars, la Gazette officielle du Piémont publiait en bonne place les deux lettres d'Orsini en déclarant les tenir d'une source sûre. Les historiens modernes de l'Italie prétendent savoir que cette source sûre n'était autre que le cabinet de l'empereur Napoléon III[20].

Ces tragiques événements eurent une double répercussion sur la politique intérieure et extérieure de l'empire français. A l'intérieur, ils marquèrent le début d'une série de mesures répressives, caractéristiques d'un gouvernement absolu le ministère de l'intérieur fut confié à un général connu pour sa rigueur, Espinasse ; la France tut divisée en cinq grands commandements militaires, comme si elle eût été en état de siège ; plus de deux mille républicains furent arrêtés ; et plus de trois cents, déportés au fond de l'Algérie. En même temps, la politique extérieure de l'empereur, relativement au mouvement italien, s'orienta subitement vers les plans de Cavour. Les Italiens, en célébrant la mémoire d'Orsini comme celle d'un nouveau Guillaume Tell[21], ne s'y trompèrent pas. Le conspirateur avait-il, comme on l'a prétendu, rappelé à l'empereur des Français d'anciens serments faits par lui alors qu'il était carbonaro ? On n'a pu donner de cette assertion aucune preuve précise. Ce qui parait certain, c'est qu'en ce moment la Révolution, suivant l'expression d'un historien favorable aux idées révolutionnaires[22], venait de ressaisir Napoléon III.

La mystérieuse négociation qui aboutit à l'accord secret de Plombières, entre l'empereur et Cavour, le 21 juillet 1858, fut le premier pas dans la voie de la nouvelle politique. Il y fut décidé que la France aiderait le Piémont à expulser les Autrichiens de l'Italie et à se constituer en Etat riche et puissant en s'adjoignant Parme, la Lombardie, la Vénétie et les Légations elles-mêmes. Ou essayerait de faire accepter au pape la perte de ses provinces en lui conférant le titre de président de la Confédération italienne. Il n'était pas besoin d'être prophète pour s'apercevoir que ces clauses n'étaient qu'un minimum, dont le Piémont et les sectes révolutionnaires ne pourraient se contenter. La presse française elle-même, secrètement sollicitée par Napoléon de préparer l'opinion à son évolution politique, dépassa bientôt les bornes de la Convention de Plombières. La Patrie, dont les attaches gouvernementales étaient connues, se contenta de demander la guerre contre l'Autriche ; mais la Presse, dirigée par Georges Guéroult, un protégé du prince Napoléon, et le Siècle, dont le directeur Havin recevait des communications directes de la cour, se firent les défenseurs de la révolution italienne. Le Moniteur lui-même, organe officiel de l'empire, publia des articles d'Edmond About, où la politique pontificale était vivement attaquée et discréditée. Ces articles furent bientôt réunis en un volume dont Napoléon lut, dit-on, les épreuves. Plusieurs familiers de l'empereur avaient fourni des renseignements à l'auteur du livre[23]. Le rédacteur en chef de l'Univers tint vaillamment tête à l'orage ; mais il essaya vainement d'intervenir directement auprès de l'empereur pour obtenir de lui la cessation de l'odieuse campagne. Quelques bonnes promesses du souverain furent aussitôt démenties par les faits[24]. D'ailleurs, en cette même année 1858, un nouvel incident, l'affaire Mortara, servait de prétexte à une recrudescence inouïe d'attaques dirigées contre le pouvoir pontifical.

Vers 1854, un enfant juif de Bologne, alors Etat de l'Eglise, avait été baptisé in extremis par une servante chrétienne. En 1858, Pie IX, informé de l'événement, ordonna que, conformément à la loi civile pontificale et à la loi canonique[25], l'enfant chrétien fût élevé dans la foi chrétienne, et, pour cela, séparé de sa famille et placé dans un couvent. Ses parents pourraient le voir, mais sans qu'il leur fût permis d'exercer sur lui une influence religieuse dans le sens du judaïsme. Dès que la presse hostile à l'Eglise fut au courant de ce fait, ce fut un tollé général contre les lois surannées du gouvernement pontifical, contre l'oppression du droit naturel par le droit théologique. Depuis longtemps les ennemis du pouvoir temporel n'avaient pas trouvé terrain plus propice à leurs attaques. Presque seul dans la presse catholique, l'Univers prit nettement et dès le premier instant la défense de l'acte du pape et de toutes ses conséquences possibles ; des lois de l'Etat pontifical dans toute la lettre de leur teneur[26]. Quittant le terrain de la défensive pour aborder celui de l'offensive, Veuillot rappela qu'il y avait d'autres Mortara en Europe, dont les défenseurs actuels de l'autorité paternelle ne s'étaient pas occupés : c'étaient ces orphelins de soldats irlandais morts en Crimée, que l'Angleterre faisait élever dans des institutions protestantes ; d'autres droits paternels plus outrageusement violés : c'étaient ceux de ces pères de famille que la loi suédoise déclarait déchus de leur autorité par le seul fait qu'ils embrassaient le catholicisme. Ces ripostes ne manquaient pas d'à-propos ; mais elles ne purent pas couvrir le bruit immense que la presse quotidienne, les revues, les théâtres, les réunions publiques, les images populaires entretinrent pendant plusieurs mois en Italie, en France, en Angleterre, dans l'Europe entière.

L'opinion publique n'était pas encore calmée à ce sujet, quand, le 4 février 1859, parut à Paris une brochure anonyme, intitulée Napoléon et l'Italie. La question romaine et la question Italienne y étaient abordées et envisagées dans toute leur ampleur. Le gouvernement pontifical y était représenté comme ayant un besoin urgent de rénovation, d'adaptation à l'esprit moderne, et le pape comme incapable de réaliser cette rénovation. Les autres princes d'Italie y étaient dépeints comme également impuissants, soit du fait de leur assujettissement à l'Autriche, soit du fait de leur isolement. Le salut de l'Italie, suivant l'auteur de la brochure, ne pouvait lui venir que pal son unification, réalisée en vertu du principe des nationalités. Le chef de la dynastie napoléonienne avait jadis nettement proclamé ce principe, lorsque, en ceignant la couronne d'Italie, il s'était écrié : J'ai toujours eu l'intention de créer libre et indépendante la nationalité italienne. L'empereur Napoléon Ier, ajoutait le publiciste anonyme, a cru devoir conquérir les peuples pour les affranchir ; Napoléon III veut les affranchir sans les conquérir. On eut plus tard la certitude que la brochure avait été écrite par un serviteur dévoué du second empire, M. de la Guéronnière, sous l'inspiration de l'empereur Napoléon III lui-même.

Le projet exposé dans la brochure n'était qu'une application de la politique générale du souverain des Français. En 1815, le prince Metternich avait prétendu assurer la paix définitive de l'Europe par le seul principe de l'équilibre, sans tenir compte des nationalités. En 1859, Napoléon III prétendait la régénérer par le seul principe des nationalités, sans tenir compte de l'équilibre. Généreux et utopiste, il rêvait la constitution d'une Italie libérée, d'une Allemagne unifiée, d'une Pologne indépendante, d'une Irlande autonome Par suite de ces remaniements, l'Autriche, la Russie et l'Angleterre seraient affaiblies, tandis que la France obtiendrait, pour prix de son concours, la Savoie, le Luxembourg, peut-être la rive gauche du Rhin[27]. L'avenir devait montrer l'effondrement de cette politique. L'alliance contractée avec l'Angleterre pour la guerre de Crimée avait déjà fait abandonner à l'empereur la cause de l'Irlande ; la crainte d'une coalition de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse l'empêcherait d'intervenir en faveur de la Pologne ; et quand la politique napoléonienne semblerait réussir, ce serait pis encore : les mouvements unitaires de l'Italie et de l'Allemagne allaient nous susciter de redoutables voisins sur nos frontières de l'est, sans affaiblir les autres puissances.

Pour ce qui concerne la politique religieuse, l'empereur Napoléon, ayant eu l'avantage d'apprécier la solidité de l'appui que lui avaient prête les catholiques, tenait à ne pas les froisser, et n'aurait voulu ni déposséder le pape de son domaine temporel ni donner à l'Italie Rome comme capitale. Une constitution libérale, calquée sur celle de 1848, et la cession des Romagnes au Piémont, auraient satisfait sa politique. En cela, il allait moins loin dans ses prétentions que son allié Cavour, lequel ne reculait pas devant l'idée de Rouie capitale de l'Italie unifiée sous l'hégémonie du Piémont. Cavour, à son tour, repoussait énergiquement l'idée d'une agression violente du patrimoine de saint Pierre, agression qui, pensait-il, briserait l'harmonie de ses rapports avec la France, donnerait trop d'élan au parti révolutionnaire et blesserait en outre ses sentiments intimes, qu'il professait être ceux d'un catholique respectueux du chef de la chrétienté. Mais Garibaldi et sa secte étaient décidés à ne reculer devant aucun attentat ; et, quand les chefs d'un mouvement ont fait une fois appel aux passions populaires, ce sont toujours les partis les plus violents qui l'emportent. Du projet de la réforme de l'État pontifical et de l'unité de l'Italie à celui de Rome capitale, puis à celui de la spoliation du souverain pontife, la marche allait être rapide : les plus hésitants seraient amenés à dire, avec le roi Victor-Emmanuel : Nous irons jusqu'au bout, Andremo al fondo.

 

V

Quelles que fussent leurs divergences sur la conduite ultérieure de la campagne qui allait commencer, Napoléon III, Cavour et Garibaldi étaient d'accord sur l'acte qui devait l'inaugurer : la déclaration de guerre à l'Autriche. Le 1er janvier 1859, aux Tuileries, l'empereur, recevant le corps diplomatique, avait dit au baron de Hübner, ambassadeur d'Autriche : Je regrette que nos relations avec votre gouvernement ne soient pas aussi bonnes que par le passé. Le 10 janvier, Victor-Emmanuel, ouvrant la session parlementaire, avait fait la déclaration suivante : Si nous respectons les traités, nous ne sommes pas insensible au cri de douleur de notre peuple. Le 30 janvier, le mariage du prince Jérôme Napoléon, cousin de l'empereur des Français, avec la princesse Clotilde, fille du roi de Sardaigne, avait scellé l'alliance des deux Etats. Cavour passa l'hiver à mettre l'armée sarde sur le pied de guerre ; Garibaldi, à rassembler des corps francs. Le 23 avril, l'Autriche, se sentant menacée, somma la Sardaigne de désarmer dans le délai de trois jours. Le 26, Cavour repoussa l'ultimatum de la cour de Vienne, et dit : Alea jacta est : Nous avons fait de l'histoire. La campagne qui allait entraîner si loin la politique piémontaise, était engagée.

Ce n'est pas ici le lieu de raconter les brillantes actions militaires qui, en deux mois, du 10 mai au 11 juillet 1859, conduisirent les armées française et sarde aux portes de Venise. Les deux grandes étapes de cette marche victorieuse furent la bataille de Magenta, où, le 4 juin, la garde impériale et le général de Mac-Mahon, depuis maréchal et duc de Magenta, se couvrirent de gloire ; et la bataille de Solferino, où, le 24 juin, i50.000 soldats de l'armée franco-piémontaise mirent en déroute 220.000 Autrichiens. L'armée vaincue se retira dans le fameux quadrilatère formé par les places fortes de Peschiera, Mantoue, Vérone et Legnago, prête à livrer la bataille décisive d'où sortirait la liberté de l'Italie ou la soumission de l'Autriche.

Tout à coup on apprit que l'empereur Napoléon, chef de l'armée franco-piémontaise, et l'empereur François-Joseph, clans une entrevue à Villafranca, avaient conclu, le 11 mai, un armistice et arrêté les bases de la paix. Napoléon III expliqua plus tard, dans un discours prononcé à Saint-Cloud, les raisons de cette brusque démarche. Averti par les agents diplomatiques de la Russie que la Prusse se préparait à venir au secours de l'Autriche, il n'avait pas cru que l'armée dont il avait le commandement fût capable de soutenir la lutte à la fois sur l'Adige et sur le Rhin, et il avait cru plus prudent de traiter avec l'ennemi. Quant aux clauses consenties à Villafranca, que le traité de Zürich devait ratifier le 10 novembre suivant, l'empereur les notifia au pape, le i4 juillet, en ces termes : Très Saint-Père, je viens de conclure la paix avec l'empereur d'Autriche aux conditions suivantes : 1° les deux empereurs s'efforceront de constituer une fédération italienne sous la présidence du Saint-Père ; 2° la Lombardie est cédée au Piémont ; 3° les souverains dépossédés rentreront dans leurs Etats ; 4° les deux empereurs demanderont au Saint-Père d'introduire dans ses Etats les réformes nécessaires ; 5° la Vénétie, quoique restant sous le sceptre de l'Autriche, fera partie de la confédération italienne ; 6° une amnistie pleine et entière sera accordée à ceux qui ont pris part aux derniers événements[28]...

Cette paix ne contenta personne. On raconte que Pie IX, à la lecture de la lettre impériale, s'écria : C'est beau : le doge soulevant ou apaisant d'un geste les flots de l'Adriatique ! Mais je ne veux pas de cette fédération ni de ce gouvernement laïque[29]. Il comprenait que la présidence qu'on lui offrait ne serait qu'honoraire, et que la présidence effective de la confédération appartiendrait au Piémont. De son côté, l'opinion française fut défavorable au traité. Nous vivions tous alors, a écrit Emile Ollivier, sur l'idée de la puissance irrésistible de l'armée française... Aucune qualification blessante ne fut épargnée à l'empereur, parce qu'il avait douté que nos soldats pussent victorieusement soutenir le choc des Autrichiens sur l'Adige, des Prussiens sur le Rhin. Mais si en France on fut déçu, en Italie on fut désespéré. Cavour abandonna les affaires, presque fou de douleur. On se crut au lendemain d'un nouveau Novare[30]. Ce qui avait pu être proposé en 18/18 paraissait plus acceptable en 1859. L'idée de l'Italie unifiée sous la direction officiellement proclamée du Piémont, et non sous son influence cachée, avait, grâce à Cavour, fait son chemin, conquis les esprits des politiques, gagné les masses. Jusque-là, il y avait eu des sectes, des divisions, des fédéralistes, des républicains, des monarchistes ; de ce moment, il n'y eut que des unitaires ; par un coup de baguette, ce qui n'avait été jusque-là que la croyance d'une poignée de sectaires devint le mot d'ordre d'une nation. Sur toutes les lèvres, en Piémont comme en Toscane et dans les duchés, un cri unanime s'éleva : Unité ![31]

Les actes accompagnaient les paroles. Les Etats de Florence, de Parme et de Modène votaient la déchéance de leurs ducs et se mettaient sous la protection du Piémont. Les Romagnes elles-mêmes se soulevaient et se ralliaient aux trois autres Etats de l'Italie centrale. Victor Emmanuel n'osa pas accepter personnellement la dictature qu'on lui offrait. Pour ménager l'empereur Napoléon et pour respecter la lettre du traité de Villafranca, il s'arrêta à une de ces combinaisons auxquelles la politique italienne a souvent recours : un prince de la maison de Savoie, le prince de Carignan, accepterait, dans le seul but de maintenir l'ordre, menacé par les menées de Garibaldi, la régence des quatre Etats, réunis sous le nom d'Emilie ; encore n'exercerait-il cette régence que par un mandataire, le chevalier Buoncompagni. C'était réduire au minimum d'apparence une prise de possession qu'on voulait solide et définitive[32].

En somme, par toutes ces agitations, par toutes ces combinaisons, les clauses de Villafranca s'effritaient. Trois des Etats que l'empereur des Français avait voulu maintenir avaient disparu ; l'Etat pontifical, qu'il avait prétendu sauvegarder, se démembrait, et ce premier démembrement paraissait une menace de ruine totale. Le 26 septembre 1859, le pape protesta contre ceux qui, soutenus par des conseils, par des secours de toute sorte venus du dehors, élevaient le drapeau de la défection et de la rébellion dans ses Etats[33]. Le 29, Mgr Pie, évêque de Poitiers[34], le 30, Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans[35], puis, à leur suite, un grand nombre d'évêques du monde entier[36], dénoncèrent à leur tour, dans des mandements, dans des lettres publiques, les injustices et les violences dont le chef de l'Eglise venait d'être l'objet.

Le 11 octobre 1859, l'empereur, traversant la ville de Bordeaux, dut entendre, de la bouche du prélat qui occupait le siège archiépiscopal de cette ville, une protestation qui ; par les circonstances au milieu desquelles elle se produisit, fut plus retentissante encore. L'opinion publique, avertie qu'à la réception des autorités officielles, des discours allaient être prononcés, attendait impatiemment les paroles que ferait entendre le chef de l'important diocèse de Bordeaux, Mgr Donnet.

C'est une singulière figure que celle du cardinal Ferdinand Donnet, archevêque de Bordeaux. Les légendes, les fictions, les mystifications étranges dont il plut à ce prince de l'Eglise d'agrémenter son existence quotidienne, défrayeront longtemps les conversations du clergé bordelais. On eût dit que sa nature puissante, se trouvant à l'étroit dans le domaine du réel, avait besoin de déborder dans l'imaginaire. Mais les singularités de sa vie entretinrent sa popularité sans nuire à son prestige. Pendant quarante-huit ans d'épiscopat, trente ans de cardinalat, les constructions d'églises, les manifestations du culte, le recrutement des vocations sacerdotales, furent les objets constants de son zèle infatigable. Il eut le sens avisé des situations, des opportunités, et, plus d'une lois, celui des interventions courageuses. Pour le diocèse de Bordeaux, qui se glorifie d'avoir vu passer sur son siège métropolitain plusieurs princes de l'Eglise d'un mérite éminent, le cardinal Donnet est resté, par excellence, le cardinal.

Appelé à haranguer le prince, le prélat commença par le louer de ses récentes victoires. Il le félicita ensuite d'avoir rendu au Vicaire de Jésus-Christ sa ville, son peuple et l'intégrité de sa puissance temporelle. Il lui souhaita enfin de rester fidèle à cette politique chrétienne. — Nous prions, s'écria-t-il, avec une confiance qui s'obstine, avec une espérance que n'ont pu décourager des événements déplorables, de sacrilèges violences. Le motif de cet espoir, dont la réalisation semble aujourd'hui si difficile, après Dieu, c'est vous, Sire, qui avez dit ces paroles mémorables : La souveraineté temporelle du chef vénérable de l'Eglise est intimement liée à l'éclat du catholicisme comme à la liberté et à l'indépendance de l'Italie[37]. L'empereur, visiblement embarrassé, répondit que le gouvernement qui avait rappelé le Saint-Père sur son trône ne pouvait lui faire entendre que des conseils imposés par un sincère et respectueux dévouement à ses intérêts[38].

Deux mois plus tard, le 22 décembre 1859, paraissait une brochure que tout le monde attribua, dès sa publication, à la même inspiration et à la même rédaction que la brochure de février intitulée Napoléon III et l'Italie. L'œuvre nouvelle avait pour titre : Le Pape et le Congrès. Elle avait été effectivement inspirée par Napoléons III lui-même et rédigée par M. de la Guéronnière[39]. Avec un mélange singulier de formules respectueuses et de hautaine pitié, l'auteur conseillait au pape de réduire son domaine à la ville de Rome et à la campagne voisine. Le pontife gouvernerait ainsi sa petite famille en père. Etait-il capable, du reste, d'administrer une nation ? Bref, l'auteur prétendait, comme on l'a dit, réduire le Saint-Père à la vigne de Naboth, sans réprimer chez ses voisins les convoitises d'Achab[40].

La publication de cette brochure, dont le retentissement fut immense, marquait une date dans la politique religieuse du second empire. Le 1er janvier 1860, Pie IX, recevant le général de Goyon et les officiers du corps d'occupation, exprima l'espoir que l'empereur condamnerait les principes contenus dans la brochure, qu'il qualifia de monument insigne d'hypocrisie[41]. Napoléon, dans une lettre au pape, qu'il data du 31 décembre, mais qui ne fut publiée que le 11 janvier suivant, exposa, en termes empreints de respect, qu'il s'était trouvé impuissant à arrêter l'établissement du nouveau régime et laissa entendre que, si le pape consentait à faire le sacrifice des Romagnes, le reste de l'État pontifical lui serait garanti. C'était abandonner à la fois le ton hautain de la brochure et une partie de ses prétentions[42]. Pie IX répondit qu'il ne pouvait pas céder ce qui appartenait, non pas à lui, mais à tous les catholiques ; que, d'ailleurs, cette concession serait un stimulant pour les perturbateurs des autres parties de ses Etats[43].

A partir de ce moment, tous les catholiques qui s'étaient ralliés à l'empire se séparèrent nettement de sa politique. Le parti ultramontain, dont l'Univers était l'organe, le fit en invoquant avant tout les droits imprescriptibles de la papauté ; les catholiques libéraux, tels que Dupanloup et Falloux, protestèrent avec une véhémence non moins forte, mais en s'appliquant davantage à faire valoir, dans la politique romaine de Napoléon III, avec la violation des droits de l'Eglise, celle des principes du droit public et de la paix du monde. Thiers, Guizot, Saint-Marc-Girardin, Villemain, invoquant à la fois les principes du droit public et les périls de ce principe des nationalités qui inspirait la politique de l'empire, se prononcèrent nettement pour le maintien du pouvoir temporel du pape[44]. En revanche, le Siècle, le Constitutionnel applaudissaient chaudement à l'évolution politique que venait d'effectuer l'empereur.

La situation du gouvernement français devenait difficile. Il chercha à atténuer les difficultés en supprimant, le 29 janvier 1860, le journal l'Univers et en faisant recommander à toute la presse, par le Moniteur, la modération, dans l'intérêt de la paix et de la religion. Mais l'Univers disparu, tous ses rédacteurs, sauf Louis et Eugène Veuillot, se retrouvèrent dans le journal le Monde[45], qui le remplaça, et Louis Veuillot employa les sept années d'interruption de l'Univers à écrire sept volumes, six brochures et nombre d'articles de Revue où ses talents de polémiste et d'écrivain se manifestèrent sous une foi me nouvelle. On m'a enterré journaliste, disait-il ; je repousse brochurier. D'ailleurs, à côté du journal le Monde, l'Ami de la religion, devenu quotidien depuis le mois de mars 1859, et le Correspondant, continuaient à défendre énergiquement les droits de l'Eglise et du Saint-Père. Sous la direction des deux chefs de l'épiscopat, Mgr Pie et Mgr Dupanloup, Melchior du Lac, Aubineau, Jules Gondon, Louis de Carné, Augustin Cochin, Henri et Charles de Lacombe, Poujoulat, Falloux, Foisset, tant d'autres encore, combattaient vaillamment sur la brèche[46]. La lutte était loin d'être finie. Un surcroît d'activité allait s'imposer, au contraire. Vers la fin de janvier, le coude de Cavour était rentré aux affaires en qualité de premier ministre, et le journal officieux de Turin, l'Opinione, avait annoncé ce retour dans les termes suivants : Le premier ministère de Cavour signifiait indépendance ; le second signifie annexion. De quelle annexion s'agissait-il ? Tout pouvait faire craindre une annexion qui n'épargnerait pas le domaine pontifical, pas même la ville de Rome.

 

VI

Bientôt on apprit que Garibaldi s'agitait.

Dans sa retraite, Cavour n'avait jamais perdu de vue, avait même souvent aidé de ses conseils la politique italienne ; et Garibaldi, momentanément mis à l'écart, n'avait cessé d'entretenir l'ardeur de ses partisans. Dans une proclamation adressée le 24 décembre 1859 aux étudiants de Pise, il les conviait, au nom des maximes sublimes du Christ, à détruire le chancre de la papauté. Il avait, du reste, dés paroles habiles sur le roi, pieux et généreux, donné par Dieu aux Italiens comme un ange rédempteur, et sur la France, puissante alliée, qui a souri à l'Italie avec le sang précieux de ses valeureux fils[47].

Napoléon III, dont la politique était aussi hésitante dans la pratique qu'elle était aventureuse dans ses conceptions, essaya d'enrayer le mouvement par la proposition d'une nouvelle combinaison : les Romagnes seraient gouvernées par Victor-Emmanuel, mais en qualité de vicaire du pape et moyennant le payement d'un tribut au Saint-Siège[48]. Ce plan ayant été rejeté, comme il était facile de le prévoir, et l'empereur faisant mine de contrecarrer d'une autre manière les projets du Piémont, Cavour ne s'effraya pas. Dans quelques jours, disait-il, nous recevrons de France, sur tout cela, une sorte d'ultimatum à l'eau de rose. — L'empereur montre les dents, disait un autre Italien ; mais ce sont des dents artificielles. Comme conclusion de tous ces pourparlers, le 24 mars 1860, le représentant de la France, Benedetti, et le comte de Cavour signèrent à Turin un traité par lequel l'Italie cédait à la France le comté de Nice et la Savoie, sous la condition d'une ratification de cette cession par le suffrage populaire. Le mois suivant, le vote des habitants de ces contrées ratifia le traité. On dit qu'en signant l'acte qui détachait de l'Italie le berceau de la dynastie de son pays, Cavour eut un instant d'émotion. Mais il reprit aussitôt sa sérénité. Cette cession était, au fond, comme une sorte de paiement qui dispensait de la gratitude et autoriserait peut-être de nouvelles entreprises[49]. En se retirant, le ministre sarde souligna la signification du traité. S'approchant du chargé d'affaires de France, M. de Talleyrand[50], il lui glissa ces mots à demi-voix : Eh bien, monsieur le baron, désormais nous voilà complices.

Un corps de troupes françaises était toujours à Rome, officiellement chargé de défendre, contre toute attaque, les Etats pontificaux. Mais d'abord la protection n'était que partielle : très efficace à Rome et dans l'ancien patrimoine de saint Pierre, elle ne couvrait ni matériellement ni même moralement les territoires situés au delà de l'Apennin... Puis, le protecteur s'autorisait de ses services pour donner ses avis, pour conseiller des réformes... En outre, les Français avaient une manière à eux de soutenir le pouvoir pontifical ; ils ne manquaient aucune occasion de témoigner leur respect à Pie IX ; mais, avec une affectation très marquée, ils séparaient le pontife de son entourage... Le Saint-Père et ses conseillers étaient trop fins pour ne Las sentir ces nuances[51]. Il était visible que le gouvernement pontifical ne jouirait d'une entière indépendance que lorsqu'il pourrait disposer, d'une part, d'un budget suffisant à son entretien et à sa défense, d'autre part, d'une armée entièrement soumise à son commandement. Ces deux besoins furent satisfaits par la fondation du Denier de Saint-Pierre et par la création du corps des Volontaires pontificaux.

Dès l'année 1849, lors de l'exil de Pie IX à Gaète, des catholiques de diverses nations s'étaient spontanément empressés de venir, par leurs offrandes, au secours du pontife spolié. En 1850, un catholique belge, le professeur Feije rappela, dans une Revue hollandaise[52], comment jadis, du VIIIe au XVIe siècle, les princes chrétiens avaient demandé à chaque maison du royaume, tout au moins à chaque membre de la noblesse, sous le nom de Denier de Saint-Pierre, une contribution annuelle destinée à subvenir aux besoins de l'Eglise et du pape[53]. Dans cet article et dans plusieurs discours, l'éminent catholique fit voir quel grand spectacle les fidèles donneraient au monde en offrant à leur Père commun, sous les seules iris-pirations de leur foi et de leur amour, le tribut qu'ils lui fournissaient autrefois en obéissant aux ordres de leurs princes. Cet appel fut entendu. Des quêtes, des souscriptions furent organisées en Belgique pour subvenir aux besoins du souverain pontife. Un jugement du tribunal de Mons. à la date du 2 juillet 1860, et un arrêt confirmatif de la cour de Bruxelles, rendu le Io août suivant, condamnèrent les organisateurs de ces quêtes et de ces souscriptions, comme faites en violation de l'arrêté royal du 22 septembre 1823 sur le délit de mendicité[54]. Mais un nouvel arrêt de la cour de Bruxelles, daté du 9 mars 1861, déclara que l'arrêté royal invoqué précédemment n'était pas applicable en l'espèce[55]. Entre temps, le cardinal Antonelli, secrétaire d'Etat du Saint-Siège, par une lettre du 6 octobre 1860, adressée au cardinal Wiseman, avait fait savoir au monde catholique que le Saint-Père, qui ne voudrait jamais accepter aucune offre d'argent de la part d'un gouvernement quelconque, à telles ou telles conditions, verrait cependant volontiers les fidèles du monde catholique lui venir en aide avec leur Denier[56]. En conséquence de cette lettre, le cardinal Wiseman, se souvenant que les catholiques d'Angleterre avaient jadis tenu à honneur de ne céder à personne la première place dans leur dévouement au Siège apostolique, invita le clergé du diocèse de Westminster à organiser des meetings et des comités, nomma un trésorier de la caisse du Denier de Saint-Pierre[57]. Le 23 octobre 1860, dans l'Ami de la religion, l'abbé Sisson fit un pressant appel aux catholiques de France[58]. Louis Veuillot, alors privé du droit d'écrire clans un journal, ne put mener une campagne de presse ; mais Mlle Elise Veuillot, Mesdames Eugène Veuillot, Emile Lafont et Léon Aubineau, sœur et femmes des principaux rédacteurs de l'Univers, déployèrent un tel zèle au profit du Denier de Saint-Pierre, que Pie IX voulut les en féliciter publiquement[59]. Le gouvernement français refusa à l'Œuvre la faculté de se constituer en association légale ; mais il n'osa pas interdire les quêtes dans les églises ; quant aux souscriptions faites à domicile, elles échappaient à son contrôle. En Italie, le journal catholique l'Armonia recueillait périodiquement des sommes considérables. L'Irlande et la Pologne, du sein de leur pauvreté, rivalisèrent avec les pays les plus riches. A Dublin, on vit une quête produire, en un jour, plus de deux cent mille francs[60].

Les catholiques ne se bornaient pas à donner à Pie IX le tribut de leur or ; ils lui offraient celui de leur sang. Presque chaque paquebot amenait à Rome des volontaires français, belges, irlandais, espagnols, hollandais. Puisque l'armée assaillante devenait de plus en plus, sous le commandement de Garibaldi, l'armée cosmopolite de la Révolution, celle de Pie IX devait être celle du catholicisme international. Au printemps de i860, Pie IX confia le soin d'organiser cette armée à un prélat aussi énergique que pieux, ancien officier de l'armée belge et de l'armée française, Mgr Xavier de Mérode ; et le soin de la commander à un général français, héros des campagnes d'Algérie, Louis de Lamoricière.

Le titre de ministre des armes, conféré par Pie IX à Mgr de Mérode, lui donnait, dans les circonstances où l'on se trouvait, une autorité exceptionnelle dans l'Etat pontifical, à côté de celle du Secrétaire d'Etat, Antonelli. L'influence de ce dernier n'avait été, jusque-là contrebalancée par aucune autre ; elle se trouva tout-à-coup limitée. Antonelli passait pour favoriser les opinions des catholiques intransigeants et autoritaires ; Mérode, beau-frère de Montalembert, était lié par des relations de famille et d'amitié avec les chefs du mouvement libéral. On reprochait au Secrétaire d'Etat une habileté qui côtoyait la dissimulation ; le défaut le plus saillant du ministre des armes était un excès de sincérité, allant parfois jusqu'à la, rudesse. Le souple Italien et le robuste Franco-belge se trouvèrent plus d'une fois en conflit ; mais tous les deux témoignèrent d'un pareil attachement à la personne et à la cause du pape. Pie IX accorda à l'un et à l'autre une égale confiance. Antonelli lui en imposait par son expérience, par son savoir-faire, par sa connaissance raffinée des hommes et des choses dans les relations diplomatiques ; Mérode, malgré ses brusqueries et ses maladresses, lui plaisait par sa franchise, par la spontanéité de son cœur et de son esprit, par son dévouement sans réserve.

Pour le commandement de sa nouvelle armée, Pie IX agréa que Mgr de Mérode fît appel à l'un de ses compagnons d'armes sur la terre africaine, le général de Lamoricière.

Louis Juchault de Lamoricière, né à Nantes en 1806, s'était déjà conquis, sur les champs de bataille et dans les luttes de la politique, une glorieuse renommée. Les guerres d'Afrique avaient révélé ses brillantes qualités militaires. Acclamé, après son retour en France, comme un des chefs du parti républicain conservateur, il avait, aux journées de Juin, brisé l'effort révolutionnaire. Exilé, au coup d'Etat de 1851, par le prince Napoléon, qui redoutait son influence, il était rentré en France, mais sans reprendre du service. Son épée était disponible. Longtemps éloigné des pratiques de la religion, séduit qu'il était alors, comme tant d'hommes de son temps, par les sophismes des rêveurs qui prêchaient une vague rénovation sociale, il avait récemment retrouvé la foi de son enfance, et l'affirmait avec courage devant ses anciens amis. Quelques mois auparavant, M. de Corcelles, ancien ambassadeur de France à Rome, ayant parlé devant lui de la cause pontificale : C'est une cause, avait-il dit, pour laquelle il serait beau de mourir. Quand, le 3 mars 1860, Mgr de Mérode vint le trouver en Picardie pour lui transmettre la proposition de Pie IX, il ne se dissimula pas les difficultés de l'entreprise. Le courage, écrivit-il à un ami, ne me manquera pas ; mais j'attends la récompense là-haut plus qu'ici-bas[61].

Parti de son château de Prouzel le 19 mars, il arriva à Rome le 3 avril, et déclara au Saint-Père qu'à la seule condition de ne jamais avoir à servir contre la France, il se mettait à son entière disposition. Sa première proclamation aux troupes indiqua bien dans quel esprit il comprenait sa mission. La Révolution, disait-il, comme autrefois l'Islamisme, menace aujourd'hui l'Europe. Aujourd'hui, comme autrefois, la cause de la papauté est la cause de la civilisation et de la liberté du monde.

La tâche confiée au général ne demandait pas moins les qualités de l'organisateur que celles du combattant. L'armée pontificale comprenait sept à huit mille hommes à peine, mal vêtus, mal équipés, médiocrement commandés... Point de matériel de guerre, ou tellement démodé qu'il n'eût plus convenu qu'à un musée[62]. Avec cette activité infatigable, que l'Algérie et la France avaient admirée tour à tour, Lamoricière organise, il crée, il améliore, il développe. Sous sa puissante impulsion, le matériel est renouvelé, les cadres se reforment, les services se régularisent[63]. Lamoricière fait appel aux jeunes catholiques de France, à ses anciens compagnons d'armes. Blumenstihl, Quatrebarbes, Pimodan, Becdelièvre, Chevigné, Charette viennent le rejoindre.

Pendant ce temps-là, Garibaldi, alors à Turin, recrutait, de son côté, des volontaires pour une mystérieuse expédition. Allait-il envahir les Marches ? On le craignit un moment. On apprit bientôt qu'il se dirigeait vers le royaume des Deux-Siciles. Suivant un témoignage digne de foi, Cavour, ayant connu le projet, l'approuva chaleureusement, C'est bien, dit-il[64] ; il faut commencer par le sud pour remonter vers le nord. Soyez sûr que, quand l'heure sera venue, je ne le céderai en audace à personne. Officiellement, le premier ministre de Victor-Emmanuel désavoua l'expédition[65]. Bientôt Marsala, Palerme tombèrent aux mains de l'aventurier. En présence du péril, le roi François Ier de Naples faisant appel à un ministère libéral, fit prévoir une alliance avec le Piémont, puis, changeant de tactique, se tourna vers la Russie, l'Autriche, la Prusse, la France, l'Angleterre, appelant l'attention de ces puissances sur le péril d'un agrandissement excessif du Piémont[66]. Ne trouvant aucun écho favorable dans ces puissances, se sentant abandonné, trahi, dans Naples même, et jusque dans son entourage, par suite d intrigues auxquelles Cavour n'était, dit-on, pas étranger, le 6 septembre 1860, le roi de Naples s'embarqua, avec sa famille, sur un navire espagnol à destination de Gaëte, au milieu d'un peuple sympathique, mais silencieux, dont le respect craintif n'osait se manifester par aucun signe extérieur. Le lendemain, sans coup férir, Garibaldi, devançant son armée avec quelques compagnons, prit possession de Naples[67].

 

VI

La popularité de Garibaldi était déjà très grande. Ce coup de force, ce bonheur inouï dans l'audace, fit de lui, aux yeux des masses, une sorte de héros mystérieux, surhumain. Il fut l'Imprenable, l'Invulnérable, le Libérateur providentiel, au talisman invincible. Le prestige du vainqueur des Deux Siciles gagna même des hommes de la haute société. Le baron Ricasoli écrivait[68] : Notre Garibaldi doit être le roi. Garibaldi était en voie de personnifier, aux yeux de l'opinion, plus que Victor-Emmanuel, plus que Cavour lui-même, ce mouvement du Risorgimento dont le nom seul faisait tressaillir les italiens. Fort d'un tel ascendant, qu'allait-il faire ? Envahir les Marches, suivant son plan primitif ? Se diriger vers le nord, suivant la formule de Cavour, c'est-à-dire vers l'Etat romain, après avoir triomphé dans le sud ? Tout le faisait prévoir. Mais alors tout le plan de Cavour n'allait-il pas être renversé ? L'homme d'Etat avait voulu capter les forces révolutionnaires au profit de la dynastie de Savoie ; le condottiere avait toutes les chances, en continuant sa marche triomphante, de capter, au contraire, la puissance de cette dynastie au profit de la Révolution. Pour un homme aussi peu scrupuleux sur le choix des moyens que l'était Cavour, un moyen se présentait de parer au danger : on n'avait pu devancer Garibaldi à Naples, il fallait le devancer à Rome. Le parti de Cavour fut aussitôt pris en ce sens ; et, chose étonnante, qui donne une idée de l'état d'esprit de cette époque, quelques patriotes italiens, de nuance conservatrice et catholique, semblèrent se résigner à cette extrémité. Que voulez-vous, disait le comte Pasolini[69], ancien ministre de Pie IX ; je comprends maintenant qu'il ne reste plus à Cavour que d'envahir les Marches. Il semblait que ce fût là le seul moyen de ne pas perdre tout le fruit du mouvement national.

Un obstacle, pourtant, se présentait. Les troupes françaises étaient toujours dans l'Etat romain, placées là pour sa défense. Mais Napoléon III parait avoir été vaincu, à son tour, par le raisonnement qui avait décidé Cavour. Des mystères planent encore sur l'entretien que l'empereur des Français eut, le 28 août 1860, à Chambéry, avec le ministre italien Farini et le général Cialdini. Si Napoléon ne dit pas la parole célèbre : Fate presto, Faites vite, qui lui a été attribuée[70], elle semble bien exprimer le fond de sa pensée, telle que ses actes subséquents la révèlent. Un grave historien a cru pouvoir écrire, à propos de l'attitude de Napoléon dans cette affaire : Je ne sais si le mot de complicité serait trop dur ; mais le mot de faiblesse serait certainement trop doux[71].

Il fallait un prétexte à l'invasion. Cavour invoqua les armements du pape, ces corps pontificaux, composés de gens de toute nation, de toute langue, de toute religion (?) : ce qui offensait profondément la conscience publique de l'Italie et de l'Europe[72]. Il demanda, par la voie d'un ultimatum, le désarmement immédiat des nouvelles troupes du. Saint-Siège. La sagacité d'Antonelli vit le piège. On voulait provoquer une réponse violente de la chancellerie romaine, laquelle donnerait lieu à un casus belli. La réponse de l'habile Secrétaire d'Etat de Pie IX fut calme, correcte, diplomatiquement irréprochable. Mais avant qu'elle fût parvenue à sa destination, les troupes sardes, pressées de devancer l'armée garibaldienne, avaient franchi la frontière.

Lamoricière ne pouvait se dissimuler que, malgré ses efforts, l'armement et l'organisation de l'armée qu'il avait à commander se trouvaient dans un état d'infériorité notable. Je suis, disait-il à son ami Quatrebarbes, dans la position d'un homme qui aurait à se battre à cinquante pas avec un pistolet contre un adversaire armé d'une carabine[73]. De plus, se fiant à des déclarations formelles que lui avait fait parvenir le cardinal Antonelli, il avait cru, jusqu'au dernier moment, 1° que le Piémont n'interviendrait pas dans la campagne, 2° que la France s'opposerait à l'invasion, même contre les troupes sardes[74]. En conséquence, le général, ne s'attendant qu'à des soulèvements partiels et à une agression de bandes garibaldiennes, avait dispersé ses troupes sur tout le territoire pontifical. L'invasion de l'Etat sur toute la largeur de la frontière piémontaise, le prenait au dépourvu. Une seule tactique était possible : rassembler sur un point toutes les troupes disponibles, et tâcher de percer les lignes piémontaises, pour aller se réfugier à Ancône. Cette ville était, après Rome, à peu près la seule qui pût être efficacement défendue, au moins pendant un certain temps. On y prolongerait la défense jusqu'à l'arrivée des renforts français. Car, fort des assurances que lui avait transmises Antonelli, Lamoricière comptait toujours sur le secours de la France.

Le corps de troupe rassemblé pour réaliser ce plan rencontra l'ennemi, près de Notre-Dame de Lorette, à Castelfidardo, les 7 septembre 1860. Le choc parut inévitable pour le lendemain.

Les troupes piémontaises occupaient les collines qui descendent du mamelon de Castelfidardo vers la plaine. Leur artillerie menaçait les pentes de tous côtés. Les deux principaux centres de résistance étaient deux fermes, puissamment fortifiées et situées à six cents mètres en arrière l'une de l'autre[75]. L'armée était commandée par le général Cialdini, qui disposait de 45.000 hommes et de nombreux canons rayés. L'armée pontificale comptait 5.600 hommes tout au plus, et ne disposait que d'une artillerie d'ancien modèle.

A quatre heures du matin, les soldats du pape, avec leurs deux généraux en tête, Lamoricière et Pimodan, se préparèrent à la bataille en assistant à la messe dans la sainte chapelle de Lorette. A huit heures, Pimodan s'élança sur les deux fermes, suivant la consigne qu'il avait reçue. La première, quoique chaudement défendue, fut enlevée ; mais les troupes sardes eurent le temps de se masser fortement autour de la seconde. Arrivée à cinquante pas de son objectif, la troupe d'attaque fut décimée par une fusillade très nourrie. La supériorité du nombre et de la position était tellement écrasante du côté des Piémontais, que l'issue du combat ne put alors faire de doute. Mais les volontaires pontificaux voulurent du moins, en perdant la bataille, sauver l'honneur. On les vit, après un mouvement en arrière, faire tout à coup volte-face, attendre l'ennemi à quinze pas, décharger sur lui un feu bien dirigé, puis charger à la baïonnette avec un tel élan, que l'adversaire, déconcerté de tant d'audace, recula à son tour de deux cents pas. La mort de Pimodan décida de l'issue du combat. Lamoricière, toujours calme au milieu du désordre inévitable qui suivit cette perte, essaya de diriger la retraite, devenue inévitable ; puis, croyant tout perdu, il résolut d'exécuter, avec quarante-cinq chevaux et une centaine de fantassins seulement, le projet qu'il avait voulu réaliser avec toute son armée. Il traversa les lignes ennemies, étonnées de son audace, et parvint à Ancône à cinq heures du soir, laissant la colline de Castelfidardo et les champs environnants couverts de blessés[76].

L'arrivée de Lamoricière et de sa petite troupe portait à 4.200 le nombre des soldats valides, capables de défendre la ville. C'était peu pour une place dont les ouvrages de défense avaient sept kilomètres de développement et qui se trouva bientôt assaillie, du côté de la terre par l'armée de Cialdini, du côté de la mer par une flotte de onze gros navires portant plus de 400 pièces d'artillerie. C'était toujours le combat de l'homme qui se bat, à cinquante pas, avec un pistolet, contre un adversaire armé d'une carabine.

Le 18, le feu fut ouvert par les canons de la flotte ; le 22, le blocus du port fut réalisé. Lamoricière attendait avec anxiété l'arrivée de l'armée française. Si Goyon n'a pas perdu de temps, disait-il, il doit être en marche[77]. La garnison perdait chaque jour de 20 à 80 hommes. Le 28, les frégates piémontaises commencèrent un combat à outrance. Un grand nombre de canonniers furent tués ; beaucoup de pièces furent démontées ; les murs s'écroulaient, et leur chute agrandissait les embrasures. Une brèche de 50o mètres fut ouverte au corps de la place, offrant à l'ennemi la facilité de débarquer sur le quai et de prendre la ville d'assaut. Lamoricière fit arborer le drapeau blanc sur la citadelle[78]. La capitulation fut signée le 29 à 2 heures du soir. La petite armée pontificale n'existait plus. Les Marches et l'Ombrie furent occupées par l'armée piémontaise.

A peu de temps de là, le 15 février 1861, parut une brochure intitulée : La France, Rome et l'Italie. Elle avait pour auteur Arthur de la Guéronnière, dont la plume avait déjà écrit deux brochures retentissantes : Napoléon III et l'Italie, le Pape et le Congrès. On osait y soutenir que l'auteur responsable des récentes catastrophes n'était pas le comte de Cavour, mais le pape, qui, par son entêtement à ne pas obtempérer aux désirs de son peuple et aux invitations des puissances, avait causé tout le mal. L'opinion publique vit, dans cette brochure, œuvre d'un homme qui s'était fait plusieurs fois l'interprète de Napoléon III, une nouvelle manifestation de la pensée impériale[79]. On rapprocha de l'étrange assertion de cet écrit la singulière inertie des troupes que l'empereur avait destinées à la défense de la papauté. Dans une lettre pastorale datée du 22 février, Mgr Pie, évêque de Poitiers, écrivit ces paroles, où tout le monde vit une allusion à l'attitude de Napoléon Pilate pouvait sauver le Christ, et sans Pilate on ne pouvait mettre le Christ à mort... Lave tes mains, ô Pilate ; déclare-toi innocent de la mort du Christ[80]. Déféré comme d'abus au Conseil d'Etat, le prélat déclara qu'il avait voulu faire non pas le tableau de ce qui était, mais le tableau de ce qui serait si les conclusions que la presse prêtait à la brochure, mais que la brochure repoussait, finissaient par se réaliser[81]. Malgré cette défense, le 21 avril, le Conseil d'Etat déclara l'abus.

Pendant que le procès de l'évêque de Poitiers était en instance, un jeune laïque, un député, avait, du haut de la tribune, porté une accusation plus directe et non moins courageuse contre le souverain. Emile Keller, qui devait plus tard tenir une place d'honneur parmi les bons serviteurs de l'Eglise, et de la France, était alors un inconnu. Quand il prit la parole, le 13 mars 1861, à la Chambre des députés, son discours commença au milieu de l'indifférence générale. Mais, peu à peu, le récit vivant, entrecoupé de fortes réflexions, qu'il fit des événements politiques et religieux-de l'année précédente, captiva l'attention de ses collègues. On pouvait arrêter le Piémont, s'écria-t-il ; seulement, il fallait le vouloir... La Révolution, incarnée dans Orsini, voilà ce qui a fait reculer la France. L'audace inouïe de ces paroles fut encore dépassée, s'il était possible, quand l'orateur, employant le discours direct, ajouta : Vous avez reculé devant Garibaldi, en même temps que vous vous disiez son plus grand ennemi ; vous avez envoyé à la fois une aide au Piémont et de la charpie au roi de Naples ; vous avez fait écrire dans lés mêmes pages l'inviolabilité du Saint-Père et la déchéance du Saint-Père. Dites donc ce que vous êtes. Par la voix du ministre Billault, le gouvernement essaya de répondre, mais ne put sortir de l'équivoque.

Au fond, toujours rêveur et chimérique, Napoléon poursuivait l'idée de se faire l'agent d'une conciliation entre la papauté et l'Italie sur la base des faits accomplis. Cette idée donne la clé de toutes les négociations diplomatiques qui se poursuivirent, de 1861 à 1864, entre la cour de Paris d'une part, la cour de Turin de l'autre, et qui aboutirent à la célèbre convention du 15 septembre 1864.

Le 20 mai 1862, l'empereur écrivait à son ministre des affaires étrangères, Thouvenel : Ma politique a toujours été la même vis-à-vis de l'Italie : seconder les aspirations nationales, engager le pape à en devenir le soutien plutôt que l'adversaire ; en un mot, consacrer l'alliance de la religion avec la liberté[82]. Conformément à ces directions, le ministre écrivait au marquis de La Valette, ambassadeur français à Rome : Toute combinaison reposant sur une autre base territoriale que le statu quo ne saurait aujourd'hui être soutenue... Le Saint-Père pourrait réserver ses droits dans la forme qu'il jugerait convenable... L'Italie, de son côté, aurait à renoncer à ses prétentions sur Rome[83]. Thouvenel, dans l'intimité, appelait un pareil projet le rêve d'un mariage impossible[84]. Il fallait être aveuglé, comme l'était l'esprit de Napoléon, par les nuées d'une idéologie sans contact avec les réalités, pour ne pas voir qu'au point où en étaient venues les choses, ni le pape ne sanctionnerait les violentes injustices dont il venait d'être victime, ni le roi d'Italie ne s'arrêterait, autrement que par la force, dans le mouvement qui poussait le Piémont vers Rome. Le 24 juin 1862, le marquis de La Valette apprit à son gouvernement l'échec complet de toutes les' démarches qu'il avait faites auprès du Saint-Siège pour faire agréer les propositions impériales[85]. Quant au roi d'Italie, s'il se décida à arrêter à Aspromonte, le 29 août, la marche de l'armée garibaldienne, ce fut uniquement pour empêcher le condottiere d'agir prématurément et de lui ravir l'honneur de l'expédition qu'il projetait de faire lui-même. Une dépêche envoyée, le 10 septembre 1862, aux agents diplomatiques de l'Italie par le général Durando, ministre des affaires étrangères, ne laissa aucun doute à ce sujet. La nation tout entière, disait le ministre, réclame sa capitale. Elle n'a résisté naguère à l'élan inconsidéré de Garibaldi que parce qu'elle est convaincue que le gouvernement du roi saura remplir le mandat qu'il a reçu du parlement à l'égard de Rome[86]. Malgré tout, obstiné dans son rêve, Napoléon cherchait toujours la formule transactionnelle qui satisferait à la fois l'indépendance du pape et les prétendus droits de l'Italie. Après bien des combinaisons infructueuses, les diplomates de Paris et de Turin aboutirent enfin à la fameuse Convention du 15 septembre 1864 entre la France et l'Italie. En voici le texte :

Art. I. — L'Italie s'engage à ne pas attaquer le territoire actuel du Saint-Père, et à empêcher, même par la force, toute attaque venant de l'extérieur contre ledit territoire.

Art. II. — La France retirera ses troupes des Etats pontificaux graduellement et à mesure que l'armée du Saint–Père sera organisée. L'évacuation devra néanmoins être accomplie dans le délai de deux ans.

Art. III. — Le gouvernement italien s'interdit toute réclamation contre l'organisation d'une armée papale, composée même de volontaires étrangers, suffisante pour maintenir l'autorité du Saint-Père et la tranquillité, tant à l'intérieur que sur la frontière de ses Etats, pourvu que cette force ne puisse dégénérer en moyen d'attaque contre le gouvernement italien.

Art. IV. — L'Italie se déclare prête à entrer en arrangement pour prendre à sa charge une part proportionnelle de la dette des anciens Etats de l'Eglise.

Art. V. — La présente convention sera ratifiée, et les ratifications en seront échangées dans le délai de quinze jours, ou plus tôt, si faire se peut.

Nous verrons bientôt con ment cette convention, au lieu d'assurer la paix, ne fit que déchaîner la guerre.

 

VIII

Aux yeux de tous les catholiques, le traité franco-italien parut exprimer, suivant les expressions d'un historien, l'abandon à échéance fixe du pouvoir temporel et de la papauté[87] par la France. Mais il est juste de constater que cette politique d'abandon n'était pas le propre du gouvernement français. L'Autriche, qui se glorifiait toujours de continuer les traditions du Saint-Empire, et dont l'empereur aimait à se proclamer le protecteur-né du Saint-Siège, avait, comme la France, l'ai' des promesses, pris des engagements envers le pape, mais ne les avait pas tenus. Au moment de l'invasion du territoire pontifical par l'armée piémontaise, des troupes autrichiennes étaient massées, le long du Mincio, sur le pied de guerre. Il suffisait d'un ordre impérial pour les lancer sur le territoire sarde. Cet ordre fut signé par l'empereur ; mais, deux heures plus tard, il était rapporté. Devant les observations de ses ministres et de ses principaux généraux, consultés par lui, qui lui rappelèrent les vides de son armée, qui lui montrèrent les blessures de Magenta et de Solferino saignant encore, qui lui firent entrevoir la France passant de nouveau les Alpes et la révolution se déchaînant sur son pays, le monarque recula. Sa flotte continua à demeurer à l'ancre, dans le port de Trieste, d'où elle put entendre, quelques jours après, le bombardement d'Ancône ; et l'armée du Mincio s'immobilisa frémissante dans son quadrilatère, en attendant que l'unité italienne, devenue une réalité, se coalisât avec la Prusse pour l'expulser[88].

Les puissances signataires des traités de Vienne, qui avaient juré d'intervenir à main armée contre quiconque essayerait de briser l'équilibre établi par elles, restèrent immobiles. La Russie contempla, sans rien dire, la catastrophe[89]. L'Angleterre, par l'organe de ses premiers ministres, Palmerston et Russell, avait, dès le début, rivalisé avec la France pour encourager les projets d'unification de l'Italie, et, par là même, l'agression contre les Etats de l'Eglise. Quant à la Prusse, pressentant que l'unité italienne, faite autour de la dynastie de Savoie, serait le prélude de l'unité allemande, réalisée autour de la dynastie des Hohenzollern, elle avait suivi les événements avec sympathie. Comme jadis le démembrement de la Pologne, l'invasion du domaine pontifical était le péché de l'Europe entière.

Presque partout, du reste, en Europe, l'Eglise avait à subir des persécutions ou des tracasseries de la part des Etats.

Ajoutant à ses agressions dans l'ordre temporel des empiétements dans l'ordre spirituel, le roi d'Italie, par un décret du 16 mars 1863, soumettait à l'exequatur royal toute provision ecclésiastique venant d'une autorité non résidant dans le royaume, et un grand nombre d'actes concernant les bénéfices, les legs pieux, les aliénations de biens d'Eglise, les dispenses d'empêchement de mariage : les dispenses de vœux monastiques et autres questions analogues[90]. L'année suivante, le 12 juillet 1864, une ordonnance royale exigeait le placet, dans le royaume d'Italie, pour tous rescrits ou décrets des Ordinaires diocésains portant nomination de curés ou de vicaires, ou renfermant des dispositions sur les biens ecclésiastiques[91].

En France, Napoléon III, inquiet de l'opposition que sa politique italienne avait soulevée parmi les catholiques, crut pouvoir la désarmer en lâchant la bride à la presse irréligieuse. Celle-ci, à partir de 1860, redoubla d'attaques contre le clergé et contre l'Eglise en général[92]. L'empereur ne se contenta pas de cette persécution indirecte. Le 8 mars 1861, son ministre de la justice, M. Delangle, enjoignit aux procureurs généraux de poursuivre, en vertu des articles 201 et 204 du Code pénal, c'est-à-dire en les rendant passibles d'emprisonnement ou de bannissement, les membres du clergé catholique qui, dans l'exercice de leurs fonctions, critiqueraient la politique du gouvernement[93]. Enfin, par plusieurs actes de la fin de l'année 1861 et du début de l'année 1862, le gouvernement impérial s'attaqua aux laïques eux-mêmes, dans leurs œuvres de charité et d'apostolat, notamment dans la plus florissante de ces œuvres : celle des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul. Les Conférences furent mises en demeure, ou bien d'accepter un président nommé par décret impérial, ou bien de n'avoir plus de liens entre elles[94]. Deux autres faits très significatifs affligèrent profondément les catholiques au cours du mois de janvier 1862. Le 11 de ce mois, un décret impérial nomma professeur au Collège de France Ernest Renan, qui venait de donner scandale de son apostasie, et, le même jour, un second décret institua le maréchal Magnan grand-maître du Grand-Orient de France[95].

L'Espagne, qui avait été si agitée jusqu'en 1859, et dont les troubles allaient renaître en 1866, jouit, dans l'intervalle de ces deux dates, d'une période de calme qui permit à l'Eglise catholique de s'y développer. Mais la campagne menée de 1861 à 1865 pour obtenir de la reine Isabelle la reconnaissance du royaume d'Italie, et la réussite de cette campagne en 1865, furent une cause de peine pour les catholiques, car le but des agitateurs ne visait pas moins la question romaine et pontificale que la question italienne proprement dite.

En Portugal, un décret royal, du 5 mars 1861, prononçant la dissolution des communautés de Filles de la Charité et déclarant leurs biens incorporés au domaine national[96], fut le prélude d'autres mesures atteignant toutes les congrégations religieuses[97].

En Suisse, le retour d'exil de Mgr Marilley, en 1856, n'avait pas mis fin aux mesures persécutrices. Le 22 juillet, toute juridiction étrangère fut supprimée sur le territoire helvétique. Le gouvernement s'immisçait dans la direction des séminaires et des couvents, et donnait au clergé de nombreux sujets de plainte. Les tribunaux de Suède continuaient à sévir, par les peines de l'exil et de la perte des droits civils, contre les personnes convaincues d'avoir embrassé le catholicisme[98]. En Allemagne, les Chambres du royaume de Wurtemberg refusaient, en 1861, de sanctionner un concordat conclu entre le roi et le Saint-Siège[99].

Le monde slave offrait à l'Eglise des sujets d'espérance et d'appréhension.

Dans le mouvement qui porta les Bulgares, vers le milieu du XIXe siècle, à réclamer leur indépendance religieuse vis-à-vis du Phanar, il y eut une minorité influente qui tourna les regards vers Rome et lança l'idée de l'union avec l'Eglise catholique. Dès 1860, à Constantinople, les délégués de deux mille d'entre eux se déclarèrent catholiques. Le 21 janvier 1861, Pie IX confirma cet acte, et, le 8 avril suivant, il consacra lui-même le premier archevêque uniate de la Bulgarie, Mgr Sokolski, un vieil archimandrite ignorant, que le gouvernement turc reconnut officiellement le ter juin de la même année. Tous ces événements déterminèrent de nombreuses conversions ; en quelques années, on compta 60.000 abjurations. Malheureusement pour le catholicisme, la Russie veillait. Le 18 juin 186r, Mgr Sokolski disparut subitement sur un bateau russe, qui l'emmena à Odessa, d'où il fut dirigé sur un lieu inconnu. On n'a jamais su exactement s'il fallait voir en lui un complice ou une victime des manœuvres moscovites ; mais la première version paraît plus vraisemblable. Ce coup inattendu ralentit le mouvement de conversions. En 1862, on donna à Sokolski un successeur dans la personne de Raphaël Popof, qui gouverna les Bulgares catholiques jusqu'en 1883. A cette date, Rome créa une nouvelle organisation ecclésiastique. Il y eut à Constantinople un administrateur apostolique, avec le titre d'archevêque, et deux vicaires apostoliques, celui de Macédoine, avec résidence à Salonique, et celui de Thrace, avec résidence à Andrinople[100].

Les agissements de la cour de Russie dans cette affaire, montraient, une fois de plus, combien le Saint-Siège avait été bien inspiré, lorsque, ni en 1772, tandis que Catherine II promettait solennellement la liberté aux catholiques, ni en 1815, tandis qu'Alexandre Ier se faisait le chef de la Sainte-Alliance contre la Révolution, elle ne s'était fiée sans réserve aux promesses de l'empire des tsars. Au fond, ceux-ci ne se considérèrent jamais comme liés par de tels engagements ni envers les nations dont ils se faisaient les protecteurs, ni envers les catholiques ruthènes de leurs Etats, ni envers ceux de Pologne. Le principe de la raison d'Etat, qui, sous les gouvernements absolus, sert trop souvent à couvrir les caprices du despotisme, leur- commandait, disaient-ils, cette manière d'agir. En 1854, le tsar Nicolas prit prétexte de quelques mesures vexatoires prises par la Porte ottomane contre ses coreligionnaires, pour organiser une persécution formidable contre tous ceux de ses sujets qui n'appartenaient pas à la religion orthodoxe. Musulmans, luthériens, juifs et catholiques furent confondus dans les mêmes mesures vexatoires. Il prétendait, en agissant ainsi, reprendre simplement l'œuvre de russification chère à Catherine II et momentanément abandonnée par Paul Ier. Il épura le clergé, en y introduisant le plus possible d'individus gagnés à ses projets. Plusieurs d'entre eux passèrent au schisme. Mais ils n'y entraînèrent pas les peuples, qui refusèrent d'imiter la honteuse défection de leurs chefs et montrèrent une admirable fidélité à leurs croyances. La prison, le knout et la Sibérie firent des milliers de martyrs. Après l'avènement d'Alexandre II, qui monta sur le trône en 1855 et manifesta aussitôt le désir de poursuivre le plan de son père, Pie IX, par plusieurs actes, du 9 avril 1855, du 30 janvier et du 7 septembre 1856, exposa les plaintes du Saint-Siège. Des déclarations vagues, des mesures inefficaces, furent les seuls résultats de ces démarches. Le diocèse de Chelm restait comme le dernier asile des uniates ruthènes. Le tsar y envoya, en qualité de professeurs du séminaire, des clercs formés dans des universités schismatiques. Lorsque, le 31 janvier 1859, Pie IX renouvela ses doléances, l'empereur se contenta de lui répondre, en termes généraux, qu'il veillait aux intérêts des catholiques romains[101].

Vers 1856, au moment même où sévissait la persécution russe contre l'Eglise ruthène, la cour de Saint-Pétersbourg sembla vouloir adopter une politique plus douce envers les catholiques de Pologne. Ou eut bientôt l'explication de cette attitude. Le tsar craignait que le traité de paix qui réglerait la question d'Orient n'abordât la question polonaise. Le traité de Paris fut muet sur ce point. Alexandre reprit alors son ancienne tactique. Le 7 janvier 1857, il permit, par un oukase, de réparer les églises en ruines ou même d'en bâtir dans' les lieux où il en manquait ; mais, en pratique, le gouvernement s'arrangea de manière à entraver ou même à annuler les concessions faites aux catholiques, et, plus d'une fois, les matériaux préparés par eux pour la construction d'une église furent confisqués et donnés à un pope[102]. Le 12 novembre 1859, un rescrit interdit, sous peine d'expulsion immédiate, à tout prêtre catholique d'admettre à aucun acte religieux personne autre que ses propres paroissiens[103]. C'était interdire absolument tout acte de prosélytisme de la part des prêtres, toute conversion de la part des schismatiques. En 1860, le R. P. Lescœur définissait ainsi l'état de la Pologne sous le régime russe : Absorption politique complète, absorption religieuse graduelle, mais inévitable, voilà la situation[104]. En 1861, l'archevêque de Varsovie, Antoine Fialkowski, étant mort, et le Chapitre ayant élu un vicaire capitulaire qui déplaisait au gouvernement, le nouvel élu fut emprisonné, et défense fut faite au Chapitre de s'adresser au pape. La troupe, à cette occasion, envahit plusieurs églises, pour terroriser les populations.

Celles-ci, étroitement surveillées par une police nombreuse, se groupaient autour de la noblesse du pays, laquelle, résidant en ses domaines, était restée très attachée à la cause de l'indépendance nationale, et avait son centre de ralliement dans une société agronomique siégeant à Varsovie. Pendant ce temps, les émigrés polonais essayaient de soulever l'Europe pour leur cause. Les nobles, réfugiés pour la plupart à Paris, autour du prince Czartoryski, comptaient sur l'intervention des gouvernements catholiques ; des étudiants et des ouvriers, entrés dans les partis démocratiques, comptaient sur le mouvement révolutionnaire. Ce dernier élément, il faut le reconnaître, ne fut jamais prédominant[105]. L'élément catholique caractérisa toujours, dans son ensemble, l'insurrection polonaise.

Elle éclata brusquement en janvier 1863. Les autorités russes, sous prétexte de recrutement, avaient convoqué, puis arrêté les principaux jeunes gens soupçonnés de nationalisme. Plusieurs parvinrent à s'échapper ; d'autres, soupçonnant un piège, ne répondirent pas à l'appel. Ils se réfugièrent dans les bois, et s'y organisèrent en bandes armées, qui apparaissaient brusquement, livraient de petits combats, puis disparaissaient dans les forêts, se cachaient dans les campagnes, protégés par la complicité des paysans. La lutte ne put avoir le même caractère qu'en 1831 ; alors que la Pologne jouissait d'une armée régulière. Le gouvernement russe avait dissous la Société agronomique ; mais celle-ci, avant de disparaître, avait constitué à Varsovie un comité secret, qui dirigea toutes les opérations et que la police ne put jamais découvrir. Une armée de 200.000 hommes ne pouvait avoir raison de ces bandes d'insurgés dont le total n'atteignait pas 8.000. Alexandre II, très perplexe, oscilla entre deux politiques. Tantôt il essayait, par des concessions libérales, de gagner les populations polonaises ; tantôt il avait recours à la répression rigoureuse.

Les Polonais, de leur côté, comprenaient que la victoire finirait par appartenir au nombre et à la force de leurs ennemis, si l'Europe ne venait pas à leur secours. Mais la France, l'Autriche et l'Angleterre se bornèrent à des manifestations platoniques[106] ; quant à la Prusse, dont la politique était gouvernée par Bismarck, elle aida le gouvernement russe à écraser la Pologne, en signant une convention secrète qui fermait la frontière aux insurgés. Le Landtag accusa même Bismarck d'avoir livré des réfugiés polonais au gouvernement moscovite[107]. Le sort de la Pologne était dès lors décidé. Le vainqueur abusa de sa forcé matérielle, en donnant à la répression un caractère féroce et implacable dont la religion catholique eut surtout à souffrir. L'archevêque Felinski fut déporté à Iaroslav. Défense fut faite à son clergé de correspondre avec lui. Des prêtres furent emprisonnés et mis à mort sous la seule inculpation d'avoir apporté les secours de la religion à des Polonais blessés dans les combats. De lourdes contributions furent imposées au clergé. Plusieurs couvents furent convertis en casernes. Beaucoup d'églises furent saccagées. La Lithuanie, qui, transformée en département russe, avait demandé sa réunion au royaume de Pologne et avait soutenu les insurgés, fut soumise aux mêmes mesures de terreur que la Pologne. Le général Mouraviev, qui fut chargé de diriger cette guerre de destruction, en rapporta le surnom de bourreau de Vilna ; mais les patriotes russes l'acclamèrent à son retour, et décidèrent même la fondation d'une fête annuelle pour commémorer l'écrasement de la nationalité polonaise.

La voix du pape seule vengea la cause de la justice et de la religion. Le 24 avril 1864, Pie IX, célébrant, dans la chapelle de la Propagande, la fête d'un martyr capucin, Fidèle de Sigmaringen, s'écria tout à coup : Non ! je ne veux pas être forcé de m'écrier un jour, en présence du Juge éternel : Vae mihi quia tacui, malheur à moi parce que je me suis tu 1 Le sang des faibles et des innocents crie vengeance... Je me sens inspiré de condamner un potentat dont je ne tais le nom en ce moment que pour le nommer dans un autre discours... Il persécute et massacre les prêtres. Il relègue les évêques au fond de son empire. Insensé ! il ignore qu'un évêque, sur son siège ou dans les catacombes, est toujours le même, et que son caractère est indélébile. Et que personne ne dise qu'en m'élevant contre le potentat du Nord, je fomente la révolution européenne. Je sais bien distinguer la révolution socialiste du droit et de la liberté raisonnable, et, si je proteste contre lui, c'est pour soulager ma conscience[108].

En prononçant ces paroles, disait un témoin oculaire, le souverain pontife était sublime à voir. Une sainte colère empourprait son front, sa voix tonnait, et il semblait, de son bras étendu, lancer une foudre invisible[109].

 

IX

L'année 1863 avait donné au Père commun des fidèles un autre grand sujet de tristesse. Les Etats de l'Europe, qui avaient assisté, impassibles ou favorables, à l'invasion du domaine pontifical et à. l'écrasement de la Pologne catholique, avaient laissé se propager sans entraves un écrit blasphématoire, qui renouvelait, en l'adaptant à la mentalité des temps modernes, l'hérésie d'Arius. Cet écrit, qui avait pour titre Vie de Jésus et pour auteur un professeur au Collège de France, Ernest Renan, avait vu le jour à Paris ; mais il exprimait un mouvement d'idées qui, né en Allemagne, avait influencé plus ou moins la pensée européenne.

En 1835, un Allemand, Henri Heine, terminant une étude intitulée De Kant à Hegel, écrivait : Ne riez pas de ces conseils, quoiqu'ils viennent d'un rêveur, qui vous invite à vous défier des kantistes, des fichtéens, des philosophes de la nature... La pensée précède l'action, comme l'éclair le tonnerre. Le tonnerre allemand n'est pas très leste, et vient en roulant un peu lentement ; mais il viendra, et quand vous entendrez un craquement comme jamais craquement ne s'est fait encore entendre dans l'histoire du monde, sachez que le tonnerre allemand aura enfin touché le but[110]. Nous n'avons ici à parler que de la malfaisante influence exercée par l'Allemagne, au milieu du XIXe siècle, sur la philosophie religieuse.

Kant, en voulant réduire l'enseignement évangélique à la morale de l'impératif catégorique, et toute la loi surnaturelle du christianisme à la loi naturelle du devoir[111] ; Hegel, en professant l'identité du réel et de l'idéal dans un perpétuel devenir[112] ; les disciples de ce dernier, en se représentant Dieu comme le spectre de la conscience humaine[113], avaient créé un mouvement d'idées qui, par son vague même, par ses équivoques, par ses formules religieuses enveloppant une doctrine de stricte autonomie individuelle, était de nature à troubler profondément les âmes. Mais la forme même de ces doctrines ne leur permettait guère de franchir le cercle restreint du public universitaire de la nébuleuse Allemagne. A. deux reprises différentes déjà, des Français avaient essayé de traduire en une langue plus claire et, par là même, avaient commencé à populariser la nouvelle philosophie germanique. Victor Cousin, en 1817, avait fait entrer dans son système, au moins en partie, la théorie kantienne de la connaissance, et, en 1828, Edgar Quinet, dans une étude sur Herder, avait invoqué et glorifié l'idéalisme créateur de l'Allemagne. Mais l'initiation philosophique tentée par Cousin était incomplète, et l'œuvre de Quinet n'était qu'un appel éloquent. D'ailleurs, l'un et l'autre mêlaient aux doctrines d'outre-Rhin des doctrines qui leur étaient propres. Le véritable vulgarisateur en France, et, par là-même, dans le monde entier, de la philosophie allemande, exposée sinon dans toutes les parties de son enseignement technique, au moins dans l'inspiration générale de ses doctrines et de sa méthode, fut un écrivain dénué de toute philosophie personnelle, mais singulièrement souple, nuancé, délié, captieux clans sa pensée comme dans son style : l'auteur de la Vie de Jésus, Ernest Renan[114]. Breton par son père, il appartenait, nous dit-il, à ces races de rêve[115] dont l'imagination vive et fine aime à se créer un monde aérien[116] ; mais, Gascon par sa mère, il se comparait plaisamment, et très exactement d'ailleurs, à l'animal de la fable dont les deux natures formaient un amas de contradictions, l'une étant sans cesse occupée à démolir l'autre, la première riant quand la seconde pleurait[117].

Né à Tréguier le 27 février 1828, élevé dans un milieu profondément chrétien, le jeune Breton s'était d'abord dirigé du côté de l'état ecclésiastique. Il avait commencé ses études classiques au petit séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, à Paris, sous la direction de l'abbé Dupanloup, puis était entré, à l'âge de dix-neuf ans, au séminaire de Saint-Sulpice. Il devait, plus tard, rendre hommage à la vertu et à la science des maîtres qu'il y rencontra. Il ne tarda pas cependant à y perdre la foi. J'appris l'allemand et l'hébreu, dit-il ; cela changea tout[118]... La philosophie allemande commençait à être connue, et me fascinait étrangement[119]... Un éternel fieri, une métamorphose sans fin me sembla la loi du monde[120]. Dans d'autres passages de ses écrits, Renan a déclaré que la perte de la foi avait été chez lui la conséquence de ses études critiques plutôt que celle de ses lectures de philosophie allemande. Cette assertion est démentie par le témoignage formel d'un de ses condisciples[121] et par ses propres écrits. Le jeune séminariste était au début de ses études philosophiques, et n'avait pas encore abordé l'étude de l'hébreu, quand, présumant que sa sœur Henriette allait faire un voyage en Allemagne, il la chargeait de faire un pèlerinage à Kœnigsberg, au tombeau de Kant[122].

Après trois ans de séminaire, et avant de prendre les engagements définitifs du sous-diaconat, Renan, voulant, suivant ses propres expressions, quitter un intérieur qui ne pouvait plus être qu'un mensonge[123], abandonna l'état ecclésiastique, et se livra aux études orientales. Son incrédulité, son hostilité contre l'Eglise se manifestèrent d'abord en des écrits pleins de fiel. Ses premiers manifestes, écrit Saint-René Taillandier, exhalaient une vive amertume. Il y avait dans sa pensée, dans son langage, une verdeur singulièrement Apre, parfois même des traces de violence. Dès le lendemain de la révolution de Février, irrité de voir l'église catholique s'associer aux émotions de ces jours orageux et jouer un rôle dans les fêtes et dans les cérémonies populaires, il dénonçait avec une vivacité extrême l'hypocrisie du libéralisme clérical. A propos des grands travaux de l'exégèse allemande, s'il rencontrait sur sa route un écrivain violent, il le jugeait avec une sympathie inattendue. Il écrivait sans hésiter des phrases comme celles-ci : Les temples matériels du Jésus réel s'écrouleront ; les tabernacles où l'on croit tenir sa chair et son sang seront brisés ; déjà le toit est percé à jour, et l'eau du ciel vient mouiller la face du croyant agenouillé[124].

L'ouvrage que Renan publia en 1863, sous le titre de Vie de Jésus, avait des allures plus calmes. L'incrédulité de l'auteur s'était-elle tempérée ? Nullement. Sa négation n'était pas moins radicale ; elle était plus dangereuse. Il avait beau déclarer dès sa préface et répéter dans sa conclusion que Jésus est l'honneur commun de ce qui porte un cœur d'homme[125], qu'il a fondé la religion absolue[126], que pour se faire adorer comme il l'a été, il faut qu'il ait été adorable[127], qu'il est permis d'appeler divine sa sublime personne[128] ; sous cette apparente sérénité, où perçait une ironie hautaine, toute l'œuvre reposait sur deux partis pris philosophiques qu'il avait puisés, le premier chez Kant, et le second chez Hegel, à savoir : 1° que toute révélation est d'avance condamnée par la philosophie, car elle serait une dérogation aux lois générales de la nature ; et qui dit au-dessus ou en dehors des lois de la nature dans l'ordre des faits, dit une contradiction[129] ; 2° que tout est en voie de se faire, même Dieu. Sur ces principes, la pensée et la phrase de l'historien, ou plutôt de l'artiste, du dilettante, se jouent, se nuancent, s'opposent, se contredisent, essayent de se concilier en des formules ambiguës, sonores et chantantes, où l'auteur se plaît à faire résonner le carillon qu'il prétend avoir reçu, comme un don inné, de la nature. Est-il matérialiste ou idéaliste ? On ne sait, car, s'il admet que le monde est le règne de la mécanique, il professe qu'une conscience obscure pousse le possible à exister. Est-il athée ou déiste ? On l'ignore, car si Dieu n'est pas encore, il sera peut être un jour. Sa méthode d'exégèse est-elle naturaliste comme celle de Paulus, mythique à la manière de Strauss ? Cela dépend ; car il est prêt à adopter l'explication la plus commode, la plus poétique, ou la plus pittoresque, peu lui importe, pourvu que le surnaturel soit exclu. Finalement, est-il religieux ? Il répond lui-même : oui et non ; car ce disciple de la pensée allemande semble avoir pris pour devise le distique de Schiller : Quelle religion je professe ? Aucune de celles que tu nommes. — Pourquoi aucune ?Par religion.

Le scandale produit par l'apparition de la Vie de Jésus fut immense. De nombreuses éditions se succédèrent en 1863. En 1864, une édition populaire fut publiée, dont 50.000 exemplaires furent vendus en peu de temps. Après les classes cultivées, les masses populaires furent atteintes par le venin. Les impies se réjouirent ; les vrais croyants s'affligèrent. Sans doute il se trouva, parmi ceux qui ne partageaient pas la foi chrétienne, des esprits élevés qui sentirent l'inconvenance d'un tel écrit ; mais il se rencontra aussi nombre de chrétiens frivoles à qui les grâces du style, le charme des peintures, la molle séduction d'une pensée flottante, firent illusion sur le caractère du livre[130].

Les prêtres en chaire, les évêques dans leurs mandements, les écrivains catholiques dans des articles de journal et des brochures[131], signalèrent aux fidèles et réfutèrent l'œuvre sacrilège, que la Congrégation de l'Index ne tarda pas à condamner[132]. La protestation la plus véhémente fut celle de Mgr Pie, évêque de Poitiers, qui, non content de flétrir, lui, successeur de saint Hilaire, les blasphèmes du nouvel Arius[133], fit tomber une part de la responsabilité du scandale sur les pouvoirs publics[134]. La Revue des Deux Mondes, le Journal des Débats, le Constitutionnel, l'Opinion nationale, le Temps, les grands corps savants et le pouvoir lui-même s'indignèrent de ce ton d'inquisiteur, de cet appel au bras séculier, de cet auto-da-fé, comme ils dirent, qui n'était plus de notre âge[135].

D'autres catholiques voulurent élever, de leur côté, une protestation non moins absolue, non moins vive, mais en se plaçant uniquement sur le terrain du respect des consciences et de la liberté de l'Eglise. Ils se donnèrent rendez-vous à Malines, pour un congrès, qui se tiendrait du 18 au 22 août 1863. Il fut expressément arrêté que l'on ne discuterait pas sur les formes du gouvernement, l'Eglise les acceptant toutes[136]. On se proposait d'ailleurs, non pas seulement de faire entendre une protestation solennelle, mais de créer, suivant les expressions des organisateurs du congrès, un foyer de lumière, de charité et d'amour, où viendrait se consolider la sainte alliance des fils de l'Eglise[137].

Le principal orateur du congrès fut le comte de Montalembert, qui, voulant se placer nettement sur le terrain autrefois défini par Mgr Parisis d'après la conduite des catholiques belges, essaya d'exposer la tactique par laquelle les catholiques, après avoir conquis la liberté de l'enseignement, entendaient conquérir toutes les libertés religieuses. A Dieu ne plaise, déclara-t-il, que je prétende discuter un dogme, dresser un formulaire, inventer ou corriger une théologie !... Je ne professe pas une théorie absolue, mais une doctrine pratique, tirée de la leçon des événements ; je n'entends pas transformer en une question d'orthodoxie une question de conduite[138]. Cette réserve faite, l'orateur ne faisait pas difficulté de déclarer que, si les catholiques étaient partout, excepté en Belgique, inférieurs à leurs adversaires dans la vie publique, c'est que beaucoup d'entre eux étaient encore, par le cœur et par l'esprit, de l'ancien régime, c'est-à-dire du régime qui n'admettait ni l'égalité civile, ni la liberté politique, ni la liberté de conscience[139]. L'Eglise, s'écriait-il, ne peut être libre qu'au sein de la liberté générale[140]... L'inquisiteur espagnol disant à l'hérétique : La vérité ou la mort, m'est aussi odieux que le terroriste français disant à mon grand-père : La liberté, la fraternité ou la mort[141]. Est-il besoin d'ajouter, remarquait-il, que la liberté religieuse, telle que je l'invoque, ne saurait être illimitée, pas plus qu'aucune liberté, pas plus, d'ailleurs, qu'aucune autorité ?[142]

Strictement prise dans ses termes, la doctrine exposée par Montalembert ne contredisait pas l'encyclique Mirari vos. Mais le ton ardent, un peu âpre, presque provoquant, avec lequel elle était présentée, les allusions non équivoques à l'attitude du journal l'Univers, nettement accusé de déloyauté[143], et le titre même sous lequel furent publiés les deux discours, l'Eglise libre dans l'Etat libre, titre qui rappelait la fameuse devise de Cavour, l'agresseur du territoire pontifical, rendirent gravement suspectes, aux yeux d'un bon nombre de catholiques, les déclarations de Montalembert[144]. On y vit la résurrection du libéralisme condamné. L'illustre orateur s'abstint d'assister au second congrès de Malines, tenu en 1864, où les deux principaux orateurs furent Mgr Dupanloup et le P. Félix. L'évêque d'Orléans, au témoignage d'Eugène Veuillot, sut garder assez de mesure pour qu'on ne fût pas forcé de le reprendre[145], et le célèbre prédicateur jésuite se contenta de dire que l'Eglise, après avoir résisté à la persécution comme à la protection des rois, saurait bien s'accommoder de leur tolérance ; il en donnait comme preuves la Grande-Bretagne, où chaque degré ascendant de la liberté publique mesure le progrès croissant de la vie catholique, et l'Amérique, où cinquante nouveaux diocèses, fondés en moins de cinquante ans, montrent, à ceux qui savent voir et comprendre, comment la liberté nous tue[146].

Une brochure intitulée l'Erreur libre dans l'Etat libre attaqua vivement les discours de Montalembert, qui furent en outre dénoncés à l'Index[147]. Pie IX, après quelque hésitation, s'abstint d'un blâme public, et se contenta de faire témoigner à l'orateur catholique son mécontentement par une lettre confidentielle du cardinal Antonelli.

Ainsi, vers le milieu de l'année 1864, non seulement l'Eglise venait d'être odieusement attaquée dans la puissance temporelle de son Chef suprême et dans les plus essentiels de ses enseignements dogmatiques ; mais ses enfants eux-mêmes, les plus zélés de ses défenseurs, se retrouvaient divisés comme ils l'avaient été en 1831 et en 1850. Pie IX, qui, depuis 1862, se préoccupait de faire dresser un catalogue des erreurs modernes pour y attacher les censures convenables, crut le moment venu de faire entendre au monde catholique une parole émanant de son autorité souveraine. Il réalisa ce projet en publiant, le 8 décembre 1864, son encyclique Quanta cura, qui parvint aux évêques de la chrétienté, accompagnée d'un catalogue ou Syllabus des principales erreurs du siècle.

 

 

 



[1] Parmi ceux qui avaient particulièrement loué Pie IX de ses efforts pour réconcilier la liberté avec le pouvoir, on peut citer Balmès, dans son livre sur Pie IX, qui fut son dernier ouvrage et comme son testament (Voir BLANCHE-RAFFIN, Jacques Balmès, p. 105-109, 286-291). Parmi ceux qui attaquèrent les tendances libérales du pape, il faut mentionner Crétineau-Joly (Voir MAYNARD, J. Crétineau-Joly, p. 316, 402 et surtout p. 386-387). Crétineau-Joly, dans son Histoire du Sonderbund, publiée en 1850, à propos de la politique de Pie IX dans les affaires de Suisse, reprenait toute l'histoire de son pontificat, dont il faisait une peinture insultante. Il le représentait comme un esprit faible, amoureux de popularité, se laissant réduire d'ovation en ovation, c'est-à-dire de chute en chute, à ne plus même disposer de sa volonté et condamner à un rôle plus digne d'un héros de roman que du Vicaire de Jésus-Christ (MAYNARD, Crétineau-Joly, un vol. in-8°, Paris, 1875, p. 387).

[2] A. DE BLANCHE-RAFFIN, Jacques Balmès, p. 104-107.

[3] CHANTREL, Annales, p. 69-71.

[4] DENZINGER-BANNWART, n. 1641. Voir le texte complet de la bulle du 8 décembre 1854, dite bulle Ineffabilis, dans les Acta Pii IX.

[5] Nous savons, dit le P. Schrader, et il est prouvé que la commission établie pour étudier la question de l'Immaculée Conception de la Vierge, fut, son travail terminé, transformée en commission chargée de rechercher les erreurs de notre temps. (R. P. SCHRADER, S. J., De theologia generalim, p 137.)

[6] Sinquii errores... veluti sub uno oculorum intuitu... nominatim recenseantur (Collectio lacensis, VI, p. 743).

[7] Eugène VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, p. 493-494.

[8] Afin de faciliter l'intelligence des faits qui vont être racontés, nous croyons utile de donner ici la division des Etats pontificaux, telle qu'elle avait été établie le 20 novembre 1850. Elle comprenait l'arrondissement de Rome et quatre Légations. L'arrondissement de Rome se composait de la Ville éternelle, de sa banlieue, des provinces de Viterbe, d'Orvieto et de Civita-Vecchia. La première Légation, connue sous le nom de Romagnes, renfermait les provinces de Bologne, Ravenne, Forli et Ferrare. La seconde Légation, désignée sous le nom de Marches, était formée des provinces d'Urbino, Pesaro, Macerata-Loreto, Ancône, Fermo, Ascoli, Camerino. La troisième se composait des provinces de Rieti, Spolète et Pérouse ; et la quatrième, de celles de Velletri, Frosinone et Bénévent. — Dans certains documents, on désigne sous le nom de Légations les Romagnes seules.

[9] Cf. Correspondant du 25 juillet 1856 ; DESCHAMPS, op. cit., t. II, p. 333.

[10] CAVOUR, Lettere, t. II, p. 453.

[11] METTERNICH, Mémoires, t. XIII, p. 394.

[12] CAVOUR, Lettere, t. II, p. 453.

[13] BAUNARD, Hist. du cardinal Pie, t. I, p. 634. Cf. Cardinal PIE, Œuvres, t. II, p. 514, et surtout l'Instruction synodale sur Rome considérée comme siège de la papauté, Œuvres, t. II, p. 466-536.

[14] BAUNARD, Hist. du cardinal Pie, t. I, p. 634.

[15] Un cousin de l'empereur, le prince Lucien Murat, avait été élu, en janvier 1852, un mois après le coup d'Etat du 2 décembre, Grand-Maître de la franc-maçonnerie. C'est lui qui acheta le fameux immeuble de la rue Cadet.

[16] BAUNARD, Hist. du cardinal Pie, t. I, p. 395. Cf. Marquis DE SÉGUR, Souvenirs et récits d'un frère, t. I, ch. IX et XI.

[17] CAVOUR, Lettere edite e inedite, t. II, p. 484, 492, 605 ; t, VI, p. 69, 100.

[18] Recueil des allocutions, encycliques, etc., citées dans le Syllabus, un vol. in-8°, Paris, 1865, p. 347.

[19] Sur ce voyage, voir CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 258, 281-286.

[20] BIANCHI, Storia documentata, t. VII, p. 403-404 ; CAVOUR, Lettere, t. II, p. 540-541.

[21] Souvenirs de la marquise D'AZEGLIO, p. 352.

[22] DEBIDOUR, dans l'Hist. générale de LAVISSE et RAMBAUD, t. XI, p. 157.

[23] Voir Journal des Goncourt, t. I, p. 277.

[24] Le compte rendu de l'audience accordée à Louis Veuillot par Napoléon III a été publié, treize ans plus tard, dans le tome VI des Mélanges.

[25] Plusieurs décisions de tribunaux ecclésiastiques et une décision du Ive concile de Tolède, du 5 décembre 633, avaient déclaré que les fils et filles des juifs, baptisée in extremis ou en cas d'abandon de leurs parents (ce sont les deux cas où le baptême peut leur être conféré sans le consentement de leur famille), devaient être séparés de leur milieu juif et élevés dans des couvents par de bons chrétiens et de bonnes chrétiennes (MANSI, Concil., t. X, p. 634 ; HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des conciles, t. III, p. 274). Benoît XIV, en rappelant ces décisions, les explique, en disant que le droit naturel du père de famille n'est pas supprimé, mais qu'il est primé par le devoir qu'a la société religieuse de veiller sur l'éducation de ses membres (BENOÎT XIV, Bullarium, t. II, p. 85-109). Telle est la raison que développent les théologiens et les canonistes (Cf. card. BILLOT, De Ecclesiæ sacramentis, Rome, 1893. t. I, p. 242-244). Mais Benoît XIV remarque que, dès son époque, la mesure proposée pour assurer l'éducation chrétienne de l'enfant chrétien paraissait dure, et que selon plusieurs canonistes, l'enfant pouvait être laissé aux parents si ceux-ci s'engageaient sous caution à le rendre quand il aurait atteint l'âge convenable, et, en attendant, à ne lui rien enseigner contre la foi catholique. Des théologiens plus récents ont enseigné que la séparation ne doit pas être faite là où les lois civiles s'y opposent (MARC, Institutiones, pars III, tr. II, cap. in, n. 1473, Rome, 1887, p. 48), ou quand le pouvoir séculier est hostile (LEHMKUHL, Theologia moralis, Fribourg, 1896, t. II, p. 61, n. 81). D'une manière plus générale, le cardinal Billot enseigne qu'il vaut mieux ne pas enlever à ses parents l'enfant juif baptisé quand, pour vouloir écarter le danger d'une apostasie, on causerait un plus grand mal ou on empêcherait un plus grand bien, car tel est, dit-il, la règle générale de la prudence. In iis circumstantiis in quibus majus malum secum traheret, vel majus bonum impediret, præstat illud impedire, juxta generale prudentiæ dictamen (BILLOT, De Ecclesiœ sacramentis, Rome, 1893, t. I, p. 243. L'éminent théologien ajoute : Permisit tamen divina Providencia ut ipsis nostris temporibus quædam exempta darentar, tum in manifestationem sanditatis et efficaciæ sacramenti, tum in attestalionem juris atque officii quod habet Ecclesia apud baptizatos (BILLOT, loc. cit.).

[26] La polémique soutenue par Veuillot dans l'Univers n'occupe pas moins de 316 pages de ses Mélanges. On peut voir aussi une défense de l'autorité pontificale en cette affaire dans la Civiltà cattolica, ser. III, vol. XII, p. 385 et s., Il piccolo neofito Edgardo Mortara.

[27] Voir A. LEROY-BEAULIEU, Un empereur, un roi, un pape, Paris, 1879.

[28] Voir le texte in extenso de la lettre dans Emile OLLIVIER, qui l'a publiée le premier dans son ouvrage l'Église et l'Etat au concile du Vatican, t. II, p. 455-456.

[29] E. OLLIVIER, l'Église et l'Etat au concile du Vatican, t. II, p. 457.

[30] E. OLLIVIER, l'Église et l'Etat au concile du Vatican, t. II, p. 453-454.

[31] E. OLLIVIER, l'Église et l'Etat au concile du Vatican, t. II, p. 459.

[32] P. DE LA GORCE, Hist. du second empire, t. III, p. 158-162.

[33] CHANTREL, Annales, p. 359.

[34] CHANTREL, p. 360-362.

[35] CHANTREL, p. 363-366.

[36] CHANTREL, Annales, p. 366 et s.

[37] CHANTREL, Annales, p. 369.

[38] CHANTREL, p. 370.

[39] Plusieurs personnages de la cour ayant interrogé l'empereur sur l'origine de la brochure : Ce n'est pas moi, répondit le souverain, qui l'ai rédigée, niais j'en approuve toutes les idées. (Lettre de lord Cowley à lord John Russel, 25 décembre 1859, The life of the Prince Consort, by Th. MARTIN, t. V, p. 4.)

[40] P. DE LA GORCE, Hist. du second empire, t. III, p. 176.

[41] CHANTREL, p. 385.

[42] Voir la lettre dans le Moniteur du 11 janvier 1860.

[43] CHANTREL, p. 389.

[44] Cf. VILLEMAIN, la France, l'empire et la papauté, Paris, 1860. Voir dans G. VAUTHIER, Villemain, un vol. in-12, Paris, 1913, p. 193-195, la lettre adressée à Villemain par le comte de Chambord au sujet de cet écrit.

[45] Sur la suppression de l'Univers et la fondation du Monde, voir Eugène VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, p. 308-379.

[46] La plupart de ces polémistes, aussi bien que les libéraux non catholiques qui, tels que Thiers, s'étaient prononcés contre la politique italienne de Napoléon condamnaient également la violation du domaine temporel de la papauté et l'unité italienne. Presque seul, le P. Lacordaire, dans sa brochure De la liberté de l'Eglise et de l'Italie, parue le 25 février 1860, faisait entendre une note sensiblement différente. Affirmons-le, disait-il, le domaine temporel de la papauté, à le considérer dans son essence et dans son histoire, n'a rien d'incompatible avec la nationalité et la liberté de l'Italie (LACORDAIRE, Œuvres, édit. Poussielgue, t. VII, p. 314). L'écrit sur la Liberté de l'Eglise et l'Italie, dit Foisset, fit une sensation très vive. Douze mille exemplaires sert écouleront en moins de quinze jours. L'impression première, à Rome même, fut favorable (FOISSET, Vie de Lacordaire, t. II, p. 388).

[47] CHANTREL, p. 387.

[48] FALLOUX, Mémoires, t. II, p. 308.

[49] P. DE LA GORCE, Hist. du second empire, t. III, p. 250.

[50] En manière de protestation contre la politique italienne, Napoléon III avait retiré son ambassadeur à Turin et l'avait remplacé par un chargé d'affaires. Cavour eût pu dire que c'était là une protestation à l'eau de rose.

[51] P. DE LA GORCE, t. III, p. 360-361.

[52] De Katholick, t. XIX, p. 69 et s.

[53] Sur l'ancien Denier de Saint Pierre, voir le Dict. de théologie de WETZER et WELTE, au mot Denier de Saint-Pierre ; au même mot, le Dict. d'archéologie de Dom CABROL, t. III, col. 585-587. Cf. Revue catholique de Louvain, t. XVIII, p. 39 et s.

[54] Revue catholique de Louvain, t. XVIII, p. 585-594.

[55] Revue catholique de Louvain, t. XIX, p. 218-222.

[56] Ami de la religion du 15 novembre 1860, p. 383-384.

[57] Ami de la religion du 15 novembre 1860, p. 384.

[58] Ami de la religion du 23 octobre 1860, t. VII (nouvelle série), p. 181.

[59] Bref du 5 mai 1860. Voir Eugène VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, p. 388.

[60] Par l'encyclique Sæpe venerabiles fratres, du 5 août 1875, Pie IX donna à l'œuvre du Denier de Saint Pierre une consécration officielle. Voir C. DAUX, Denier de Saint-Pierre, ses origines, ses raisons, ses convenances, un vol. in-12, Paris, 1907.

[61] P. DE LA GORCE, t. III, p. 367. Sur Lamoricière, voir Emile KELLER, Vie du général Lamoricière.

[62] DE LA GORCE, t. III, p. 369.

[63] FREPPEL, Discours prononcé à l'inauguration du monument de Lamoricière, Œuvres de Mgr FREPPEL, t. VII, p. 200.

[64] Discours de M. Sirtori à la Chambre italienne, le 19 juin 1863 (Parlemento italiano, 1863, p. 214).

[65] Gazzetta officiale, n° 118, 18 mai 1860.

[66] DE LA GORCE, t. III, p. 394.

[67] Garibaldi était parti avec une troupe composée d'environ un millier d'hommes. D'où le nom d'expédition des mille, qui fut donné à la campagne.

[68] RICASOLI, Lettere e documenti, t. V, p. 161.

[69] PASOLINI, Memorie, raccolte da suo figlio, p. 626.

[70] Sur cette entrevue de Chambéry, voir P. DE LA GORCE, t. III, p. 406-410, et VILLEFRANCHE (Pie IX, 2e édition, Lyon, 1876, p. 188), qui déclare tenir de témoins bien informés certains détails très importants de l'entretien.

[71] DE LA GORCE, t. III, p. 408.

[72] DE LA GORCE, t. III, p. 410.

[73] Sur l'armement et l'organisation de l'armée pontificale, voir dans Eugène VEUILLOT, le Piémont dans les Etats de l'Eglise, documents et commentaires, un vol. in-12, Paris, 1861, le Rapport du général Lamoricière sur les opérations de l'armée pontificale dans les Marches et l'Ombrie, p. 482-484. Ce rapport a paru en brochure en 1861, à Paris, chez Douniol ; mais cette brochure est rare. Nous le citerons d'après la pagination qu'il occupe dans l'ouvrage d'Eugène Veuillot.

[74] Voir des déclarations formelles faites en ce sens dans LAMORICIÈRE, Rapport..., p 482, 486, 488, 493. Le duc de Gramont écrivait au consul d'Ancône : L'empereur a écrit que, si les troupes sardes pénètrent sur le territoire pontifical. il sera forcé de s'y opposer (Ibid., p. 493). Comment la perspicacité d'Antonelli s'est-elle trouvée en défaut dans de si graves circonstances ?

[75] Voir une description détaillée du champ de bataille dans Lamoricière, Rapport, p. 497-498.

[76] A côté du général de Pimodan, étaient tombés pour la défense du pape : Arthur de Chalus, Joseph Guérin, Félix de Montravel, Alfred de la Barre de Nanteuil, Alphonse Ménard, tant d'autres, dont les oraisons funèbres de Mgr Pie et de Mgr Dupanloup ont célébré l'héroïsme. Voir Mgr PIE, Œuvres, t. IV, p. 44-70 ; DUPANLOUP, Œuvres choisies, t. I, p. 181-226 ; VEUILLOT, le Piémont dans les Etats de l'Eglise, p. 146 et s. Cf. comte de SÉGUR, les Martyrs de Castelfidardo, un vol. in-12, Paris, 1860.

[77] Le général de Goyon était, on le sait déjà, le chef des troupes françaises destinées à protéger l'Etat pontifical.

[78] LAMORICIÈRE, Rapport, p. 508-525.

[79] A en croire Thouvenel, l'empereur n'aurait été pour rien dans la brochure ; l'inspiration en appartiendrait au comte de Persigny. (THOUVENEL, le Secret de l'empereur, t. I, p. 432).

[80] BAUNARD, Histoire du cardinal Pie, t. II, p. 116.

[81] BAUNARD, Histoire du cardinal Pie, t. II, p. 125.

[82] Moniteur du 25 septembre 1862.

[83] Moniteur du 25 septembre 1862.

[84] THOUVENEL, le Secret de l'empereur, t. II, p. 303. Lettre au duc de Gramont du 24 mai 1862.

[85] THOUVENEL, le Secret de l'empereur, t. II, p. 303.

[86] Jules ZELLER, Année historique, Ve année, 14.

[87] Mgr BESSON, Xavier de Mérode, p. 226.

[88] VILLEFRANCHE, Pie IX, p. 195.

[89] L'antipathie qui lui était commune avec l'Autriche à l'égard du principe des nationalités, le respect qu'elle professait pour l'ancien droit européen et pour les traites menacés, tout semblait faire un devoir à la Russie de prendre parti contre l'unité italienne, mais la logique de l'intérêt et des passions l'emporta sur la logique des principes. On la vit, par ses manœuvres, fournir aux révolutionnaires l'appoint qui leur manquait (LESCŒUR, l'Eglise catholique en Pologne, p. 216).

[90] Voir le texte complet du décret dans CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 522-524.

[91] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 548.

[92] Voir DE LA GORGE, Hist. du second empire, t. IV, livre XXIV ; WEISS, Hist. du parti républicain en France, un vol. in-8°, Paris, 1900.

[93] CHANTREL, p. 450

[94] Circulaire de Persigny du 6 octobre 1861 (CHANTREL, p. 459). Cf. CHANTREL, p. 406, 479-480.

[95] CHANTREL, p. 470.

[96] CHANTREL, p. 486.

[97] CHANTREL, p. 487-488, 495-496 ; 524.

[98] CHANTREL, p. 299.

[99] CHANTREL, p. 454.

[100] R. JANIN, dans les Echos d'Orient de septembre-octobre 1915, p. 521. Cf. S. VAILHÉ, au mot Bulgarie dans le Dictionnaire de théologie de VACANT-MANGENOT, t. II, col. 1228-1231.

[101] Voir E. LIKOWSKI, Histoire de l'union de l'Eglise ruthène, Posen, 1880 ; traduit en français, un vol., Paris, Lethielleux, sans date ; PIERLING, la Russie et le Saint-Siège, t. III, Paris, 1901 ; LESCŒUR, l'Eglise catholique et le gouvernement russe, Paris, 1903.

[102] Voir les faits cités par LESCŒUR, l'Eglise catholique et le gouvernement russe, p. 220-223.

[103] LESCŒUR, l'Eglise catholique et le gouvernement russe, p. 225-226.

[104] LESCŒUR, l'Eglise catholique et le gouvernement russe, p. 243.

[105] Cessez de donner à votre lutte héroïque un caractère religieux, écrivait Garibaldi aux Polonais, car vous écartez ainsi de vous les sympathies (Cité par le Correspondant du 25 mai 1864, p. 10).

[106] Trois fois, en avril, juin et août 1863, la France, l'Autriche et l'Angleterre firent une démarche collective en faveur de la Pologne ; mais, comme ces puissances ne laissaient pas entendre qu'elles appuieraient leurs réclamations par des actes, la Russie se contenta de répondre qu'elle ne se tenait pas pour liée par les traités de1815 pour le gouvernement de la Pologne, qu'elle se contentait de réprimer une insurrection révolutionnaire. Voir MONTALEMBERT, le Pape et la Pologne dans le Correspondant du 25 mai 1864, p. 9-17.

[107] SEIGNOBOS, Hist. politique de l'Europe contemporaine, un vol. in-8°, Paris, 1897, p. 571.

[108] Correspondant du 25 mai 1864, p. 17-18.

[109] Correspondant du 25 mai 1864, p. 17-18. — Sur les événements de Pologne en 1863, voir MONTALEMBERT, l'Insurrection polonaise, Paris, 1863 ; LESCŒUR, l'Eglise catholique et le gouvernement russe, Paris, 1903 ; PIERLING, la Russie et le Saint-Siège, t. III, Paris, 1901 ; MONTALEMBERT, le Pape et la Pologne, dans le Correspondant du 25 mai 1864, p. 1-41.

[110] HEINE, De l'Allemagne, 2 vol, in-12, Paris, édition de 1865, t. I, p. 182.

[111] RUTSSEN, Kant, un vol. in-8°, Paris, 1905, p. 353. Cf. KANT, De la religion considérée dans les limites de la raison.

[112] Ch. RENOUVIER, Philosophie analytique de l'histoire, Paris, 1897, t. IV, p. 19. — E. HELLO, M. Renan, l'Allemagne et l'athéisme au XIXe siècle, Paris, 1859, p. 89.

[113] SAINT-RENÉ TAILLANDIER, Hist. et phil. religieuse, Paris, 1859, p. 20.

[114] RENAN, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, p. 20.

[115] RENAN, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, p. 40.

[116] RENAN, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, p. 73.

[117] RENAN, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, p. 145.

[118] RENAN, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, p. 263. Il y a ici un mot de trop. Ernest Renan perdit la foi avant d'avoir étudié l'hébreu. Voir COGNAT, M. Renan hier et aujourd'hui, 2e édition, p. 112.

[119] RENAN, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, p. 740.

[120] RENAN, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, p. 742.

[121] Abbé COGNAT, M. Renan hier et aujourd'hui, un vol. in-8°, Paris, 1886, 2e édition, p. 31, 112. Cf. VIGOUROUX, Mélanges bibliques, un vol. in-12, 2e édition, Paris, 1888, p. 532, note 3. Les Souvenirs de Renan doivent toujours être contrôlés par ceux de l'abbé Cognat, son condisciple de séminaire.

[122] J'aime beaucoup la manière de tes penseurs allemands. Si tu vas jamais à Kœnigsberg, je te charge d'un pèlerinage au tombeau de Kant. (Lettre du 15 septembre 1842.) (ERNEST RENAN-HENRIETTE RENAN, Lettres intimes, un vol. in-8°, Paris, 1896, p. 97). La sœur aînée de Renan, Henriette, institutrice en Pologne, avait déjà perdu la foi, et, comme on le voit, c'est elle qui poussait son jeune frère, séminariste, à étudier les penseurs allemands. C'est elle, plus tard, qui le décida à quitter l'état ecclésiastique et flatta son orgueil en lui faisant entrevoir une grande situation scientifique. Voir les Lettres intimes, passim.

[123] Lettre du 12 novembre 1845 (COGNAT, p. 189).

[124] SAINT-RENÉ TAILLANDIER, Histoire et philosophie religieuse, p. 2.

[125] RENAN, Vie de Jésus, 10e édition, p. LIV.

[126] RENAN, Vie de Jésus, p. 446.

[127] RENAN, Vie de Jésus, p. 447.

[128] RENAN, Vie de Jésus, p. 457.

[129] Ce n'est pas que Renan n'emploie plusieurs fois le mot de révélation ; mais il l'entend dans un sens tout différent (Vie de Jésus, introduction, p. LIX.)

[130] Mgr D'HULST, M. Renan, dans le Correspondant du 25 octobre 1892, p. 205.

[131] Louis Veuillot, alors empêché d'écrire dans un journal, opposa à la Vie de Jésus une Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, celui de tous ses écrits qui fait le plus d'honneur à son caractère et à sa foi (A. NICOLAS, l'Art de croire, 3e édition, 2 vol. in-8°, 1867, t. II, p. 240). Cf. Eugène VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, p. 471-482.

[132] Décret du 24 août 1863.

[133] J'occupe le siège d'Hilaire, et voici Arius (Discours synodal du 25 août 1863. BAUNARD, Hist. du cardinal Pie, t. II, p. 198.)

[134] Jugez à quels temps nous sommes arrivés, pour que, dans une nation catholique, un homme, non le premier venu, mais un homme public, comblé d'honneurs insignes, soutenu de l'argent des contribuables, bien plus encore, occupant d'office une des chaires académiques les plus éminentes, ait pu néanmoins, sans réclamation d'aucune autorité, avec l'applaudissement de la foule des journalistes, avec d'autres encouragements encore, écrire, publier et répandre partout un livra d'une telle impiété. (BAUNARD, Hist. du cardinal Pie, t. II, p. 199.)

[135] BAUNARD, Hist. du cardinal Pie, t. II, p. 199-200.

[136] Eugène VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, p. 485.

[137] Compte rendu officiel de l'assemblée, introduction, p. III.

[138] MONTALEMBERT, l'Eglise libre dans l'Etat libre, discours prononcés au congrès catholique de Malines, une brochure in-8°, Paris, 1863, p. 93. On trouvera aussi les discours de Montalembert dans le Correspondant de 1863, tomes LIX et LX, et dans le Journal de Bruxelles des 25 et 26 août 1863.

[139] MONTALEMBERT, l'Eglise libre dans l'Etat libre, p. 10-11.

[140] MONTALEMBERT, l'Eglise libre dans l'Etat libre, p. 23.

[141] MONTALEMBERT, l'Eglise libre dans l'Etat libre, p. 135.

[142] MONTALEMBERT, l'Eglise libre dans l'Etat libre, p 92.

[143] Si la bonne foi était bannie du monde, disait notre roi Jean, elle devrait se retrouver sur les lèvres du roi de France. Messieurs, pour la défense de notre foi, soyons tous des rois de France... N'imitons jamais ceux qui, en France, sous Louis-Philippe et sous la République, demandaient la liberté comme en Belgique, et, dès qu'ils se sont crus les pins forts, ou, ce qui revient au même, les amis du plus fort, n'ont point hésité à dire : La liberté n'est bonne que pour nous, car nous seuls nous avons la vérité. (MONTALEMBERT, l'Eglise libre dans l'Etat libre, p. 137.) Au bas de la page qui contenait ce passage, Montalembert renvoyait à plusieurs articles de l'Univers.

[144] Quelques-uns même crurent pouvoir découvrir un argument contre le pouvoir temporel des papes dans une phrase de Montalembert, protestant contre cette horrible confusion des deux pouvoirs qui est l'idéal de toutes les tyrannies. (MONTALEMBERT, l'Eglise libre dans l'Etat libre, p. 102.) L'orateur, qui avait toujours si ardemment pris la défense du pouvoir temporel du Saint-Siège, ainsi que ses amis, Mgr Dupanloup et M. de Falloux, protesta avec indignation contre cette accusation (Ibid., p. 102-105, en note). — Sur une inscription du château de la Roche en Brény, commémorant l'engagement pris, en 1862, par Dupanloup, Falloux, Foisset, Montalembert et Albert de Broglie, de combattre pour l'Eglise libre dans la patrie libre, voir deux interprétations différentes, données, d'une part, par LECANUET (Montalembert, III, 330-333) et par LAGRANGE (Vie de Mgr Dupanloup, II, 395) ; d'autre part, par Eugène VEUILLOT (Louis Veuillot, III, 487492) et par l'abbé Jules MOREL (Somme contre le catholicisme libéral, 2 vol. in 8, Paris, 1877, t. II, p. 445 544).

[145] E. VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, p. 497.

[146] Correspondant du 25 septembre 1864, t. LXIII, p. 245.

[147] E. VEUILLOT, Louis Veuillot, t. III, p. 486.