HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

CHAPITRE X. — PIE IX ET LES DIVERS ÉTATS DE L'EUROPE PENDANT LA PREMIÈRE PARTIE DE SON PONTIFICAT (1846-1855).

 

 

Comme les Etats pontificaux et comme la France, les divers Etats de l'Europe, et principalement l'Italie, l'Autriche, la Prusse, la Suisse, l'Angleterre, la Hollande, la Belgique, l'Espagne, avaient été plus ou moins agités vers l'année 1848. Là aussi, le mouvement libéral s'était montré équivoque, plein de malentendus, mêlé de mal et de bien. Ce n'est qu'en l'étudiant en particulier dans chaque Etat, qu'il est possible d'en déterminer les véritables éléments, d'en discerner les propres caractères.

 

I

La situation politique de l'Italie était aussi complexe que sa situation religieuse. Le royaume de Lombardie-Vénétie, rattaché à l'Autriche, et les duchés de Parme, de Modène et de Lucques, placés sous la protection exclusive de la cour de Vienne, aussi bien que le royaume des Deux-Siciles, plus jaloux de son indépendance à l'égard de l'étranger, et que le grand-duché de Toscane, qui suivait une politique équivoque, étaient, par leurs constitutions, par leurs origines, par les princes qui les gouvernaient, ennemis-nés de la Révolution. Mais l'esprit de méfiance envers le Saint-Siège et les traditions d'ingérence dans les affaires ecclésiastiques, que Joseph II d'Autriche et Léopold II de Toscane avaient propagés à la fin du dernier siècle, leur survivaient encore dans les cours de ces divers États.

Naples n'avait pas cessé de se prévaloir des prétendus privilèges de la monarchie sicilienne, et Florence ne se résignait pas à laisser tomber en désuétude les principes proclamés au pseudo-concile de Pistoie. De pareilles inconsistances se manifestaient dans le mouvement libéral, qui, inauguré aux cris de : Vive la religion ! Vive le Christ ! et Vive Pie IX ! acceptait les inspirations du conspirateur Mazzini. Ce dernier s'appliquait à entretenir, par son langage et par ses actes, une équivoque qui ne pouvait que compromettre le Saint-Siège et profiter à la Révolution. Le royaume de Sardaigne, qui était, comme les autres Etats de la péninsule ; un Etat d'ancien régime, mais que la perspective d'une hégémonie sur l'Italie rendait presque révolutionnaire, oscillait entre les doubles tendances, politiques et religieuses, dont nous venons de parler.

Comment l'Italie pourrait-elle sortir de cette incohérence ? Le mal, quoique profond, ne paraissait pas irrémédiable. Au milieu de tant de courants divergents ou contraires, on pouvait distinguer un courant plus large, capable d'entraîner avec lui tous les autres vers un idéal commun : l'idéal d'une Italie une et constitutionnelle.

En 1846, Pie IX avait essayé de diriger ce grand courant. Il avait convié les princes italiens à rajeunir leur gouvernement, à se dessaisir d'une partie de leurs attributions pour mieux gagner la confiance de leurs peuples ; et lui-même, donnant l'exemple, avait inauguré dans ses Etats, aux applaudissements de ses sujets et du monde, le régime constitutionnel. Mais la Révolution avait, aussitôt tenté de confisquer l'œuvre, à peine commencée, du pontife. Mazzini s'était empressé de mettre en avant son programme d'une Italie une et libérée, et, n'ayant pu entraîner le pape dans son entreprise, l'avait dirigée contre lui. Ce nouveau plan avait échoué à son tour. L'évolution de l'Italie devait se faire, non pour l'Eglise, avec Pie IX, ni pour les sectes antichrétiennes, avec Mazzini, mais d'une manière équivoque, pour le Piémont, avec Victor-Emmanuel.

A ne consulter que les apparences, le jeune roi qui venait de succéder, en 1849, sur le trône de Sardaigne, au roi Charles-Albert, ne semblait pas destiné à une œuvre pareille. Les alliances de sa maison, ses traditions de famille, les circonstances de son avènement, son caractère même, semblaient l'en écarter. C'est aux plus vieilles races de l'Europe, à la maison d'Autriche, à la maison de Bourbon, que la maison de Savoie, à laquelle appartenait le nouveau roi, avait demandé, des épouses. Victor-Emmanuel était neveu du grand-duc de Toscane et de l'archiduc Rainier ; une proche parenté le liait aux Bourbons de Naples ; lui-même avait épousé une princesse autrichienne[1]. D'autre part, la dynastie de Savoie, parmi ses titres d'honneur, ne prisait rien tant que son traditionnel renom de fidélité à l'Eglise, d'orthodoxie rigoureuse et d'austère dévotion[2]. Les circonstances de l'avènement de Victor-Emmanuel semblaient elles-mêmes devoir le détourner de la politique d'aventure. Le premier jour de son règne avait été l'un des plus tragiques de l'histoire de son pays. C'est le soir même de Novare, le 23 mars 1849, dans le désarroi de la défaite, en face du camp ennemi, que, des mains de Charles-Albert partant pour l'exil, il avait recueilli un sceptre à demi brisé par la fortune. Le premier acte de son pouvoir avait été d'implorer de Radetzky un armistice et la paix. A peine échappé au péril, voudrait-il s'y rejeter ?[3] Personnellement, Victor-Emmanuel n'avait, jusque-là, manifesté aucune espèce d'ambition, hormis une seule, celle de se soustraire à l'étiquette, qui, dès cette époque, lui déplaisait, et qui, plus tard, lui fit horreur. Son éducation avait été celle d'un gentilhomme plutôt que d'un politique. Elevé loin des affaires, il n'avait été initié par aucune épreuve progressive à l'art de gouverner[4].

Telles étaient les apparences. Mais le jeune roi possédait, comme l'avenir de son règne le montra, une faculté naturelle d'intuition, qui souvent lui tint lieu d'étude ou de génie. Il comprit bien vite, dès les premiers contacts avec son peuple, que les rêves mystiques de son père Charles-Albert sur l'Italie une et libérée par le Piémont trouvaient un écho profond dans l'opinion publique. Il ne s'agissait que de les réaliser par des moyens pratiques. De tous les groupements ethniques de la péninsule, ces peuples sarde, piémontais, savoisien, que la diplomatie de Vienne avait placés sous la domination de la maison de Savoie, lui apparurent comme les plus-robustes, les plus habiles au maniement des armes, les mieux assouplis à la discipline militaire. Les liens d'obéissance qui les attachaient à la dynastie étaient solides, se confondaient avec cet amour du pays natal, si puissant parmi ces générations de pâtres, de chasseurs de la montagne et de laboureurs de la plaine. De plus, le roi se sentait entouré d'hommes d'élite. Dans l'armée, il ne tarda pas à pressentir que des hommes de guerre comme le général La Marmora et le colonel Menabrea seraient pour lui des instruments de première valeur. Dans son conseil, des diplomates comme le comte Balbo et le chevalier Massimo d'Azeglio le frappèrent par la hardiesse et la décision de leur pensée, autant que par la souplesse de leur esprit. C'étaient là des qualités que le jeune prince possédait à fond lui-même. J'aime la loyauté pour plusieurs raisons, écrivait d'Azeglio[5] ; entre autres, parce qu'elle sert souvent à tromper les autres.

De franchise et de dissimulation, de brusques attaques et de manœuvres cachées, il faudrait beaucoup user pour arriver au but convoité, pour se ménager des amis puissants, pour endormir la vigilance de ceux-ci et pour exciter l'activité de ceux-là.

Ce qui accroissait la confiance du roi de Sardaigne, c'était l'attitude, promptement discernée par lui, de la chancellerie française. Nous défendrons la frontière du Tessin comme celle du Var, écrivait, le 23 octobre 1848, le ministre des affaires étrangères de France[6]. Certaines paroles de Louis-Napoléon, prononcées, au milieu d'entretiens confidentiels, dans le même sens, avaient été aussi remarquées. On les répétait en Sardaigne, et on les amplifiait. On se souvenait que le prince avait été naguère l'ami, le complice des libéraux italiens, et l'opinion publique comptait sur lui pour entraîner la France dans une cause qui devait lui être personnelle-nient chère.

Restait la question de l'attitude à prendre à l'égard du Saint-Siège. Le roi de Naples n'ayant aucune visée de conquête ou de suprématie, et les autres princes italiens étant paralysés, soit par leur inféodation à l'Autriche, soit par leur propre faiblesse, le pape et le roi de Piémont demeuraient les seules puissances prépondérantes en Italie : le pape, avec le prestige de sa majesté religieuse ; le roi de Sardaigne, avec celui de sa puissance militaire et de ses ambitions. Ce dernier, subordonnant toute sa politique à sou projet de domination en Italie, se trouvait eu face de cette alternative : ou bien lier partie avec le pape, en l'assujettissant à ses vues, ou bien se tourner nettement contre lui. Les tentatives faites pour gagner le pape aux projets du roi de Sardaigne ayant été repoussées, Victor-Emmanuel se résigna à avoir la cour de Rome pour ennemie. Mais une telle situation n'était pas sans l'effrayer. Il s'efforça d'éviter à tout prix toute divergence d'ordre dogmatique ou disciplinaire, et de limiter le désaccord à des questions d'ordre purement politique. Tel fut le but auquel tendirent tous les efforts de sa diplomatie. Nous verrons comment la force des choses rendit ces efforts inefficaces, et comment la cour de Turin fut entraînée à des mesures nettement persécutrices.

 

II

L'opinion publique, habilement exploitée par les sociétés secrètes, l'attirait vers cette voie. Mazzini et ses adeptes avaient eu l'adresse, nous l'avons vu, d'associer aux revendications nationales de l'Italie un esprit d'opposition au Saint-Siège qui se teintait d'un vague christianisme. Il y a bientôt deux mille ans, écrivait Mazzini, qu'un grand philosophe, nommé Christ, a prêché la fraternité que cherche encore le monde. Et il ajoutait : Tous les mécontentements personnels, toutes les ambitions passées peuvent servir la cause du progrès[7]. C'était faire appel à la fois au fond de christianisme qui était dans l'âme populaire et à toutes les mauvaises passions. Cette pression occulte exercée sur l'opinion publique n'avait pas échappé au roi Charles-Albert. Elle lui avait fait écrire au prince de Metternich une étrange lettre, que ce dernier a insérée dans ses Mémoires. Il y a dans le monde, disait le roi[8], une vaste conspiration... Ce n'est pas à vous que j'entends rien apprendre à cet égard... Ce qui est certain, c'est que la position de tout roi de Sardaigne est la plus difficile de toues les positions... Elle n'est jamais libre. Cette pénible situation, le roi Charles-Albert pouvait bien se dire qu'il avait contribué à la créer. Son fils résolut d'en sortir, non point en résistant au courant populaire, ni en essayant d'en rectifier la direction, mais en l'acceptant tel quel et en lui cédant. Il se résigna à servir la cause de la Révolution, parce qu'il se flatta de travailler ainsi à ses propres affaires. Il se mit à la tête du mouvement national, dont les sociétés clandestines organisaient à heure fixe les démonstrations tapageuses[9].

Victor-Emmanuel II connaissait-il alors cette phrase des Instructions de Mazzini : Le globe terrestre est formé de grains de sable ; quiconque voudra faire en avant un seul pas doit être des nôtres[10]. En tout cas, il s'inspira de cette tactique, et n'avança dans la voie de la persécution qu'à pas comptés.

Le premier pas fut fait par la loi dite loi du Foro ou loi Siccardi.

Le terrain fut très habilement choisi. Certaines prescriptions du droit canonique soustrayaient un certain nombre de causes religieuses, et, dans certains cas, la personne même des clercs à la juridiction des tribunaux civils, pour les rendre justiciables des tribunaux ecclésiastiques. Ces prescriptions étaient tombées en désuétude dans la plupart des Etats ; mais elles étaient encore observées en Sardaigne, et le concordat du 27 mars 1841, conclu entre Grégoire XVI et le roi Charles-Albert, les avait confirmées, ainsi que certains vestiges de l'ancien droit d'asile[11]. Que cette législation fût destinée à disparaître peu à peu dans les Etats Sardes, comme dans les autres Etats européens, on pouvait le conjecturer. A mesure que la foi s'affaiblissait dans les masses, elles devenaient moins aptes à comprendre la raison de pareils privilèges ; et le scandale injustifié qui en résultait pouvait ne pas être compensé par le bien que ces privilèges procuraient à l'Eglise. Nul n'eût donc trouvé mauvais que le gouvernement des Etats Sardes entrât en pourparlers avec le Saint-Siège pour discuter loyalement la question des modifications à apporter au concordat de Charles-Albert.

On put croire que-telle était l'intention du roide Sardaigne, quand, en octobre 18/49, il députa à Portici, où le pape résidait encore, le comte Siccardi, chargé d'entamer des pourparlers concordataires. Mais la démarche parut suspecte, quand on vit l'envoyé extraordinaire du roi demander préalablement, au nom de son souverain, que l'archevêque de Turin et l'évêque d'Asti, coupables d'avoir protesté coutre les empiétements du pouvoir civil, fussent invités à quitter leurs sièges. En même temps, Victor-Emmanuel laissait la presse attaquer impunément le clergé et les instituts monastiques avec une vivacité extrême. On eût dit que le dessein du roi était de terrifier le pape au moment même où on lui proposait d'entrer en conversation diplomatique avec lui. Pie IX se méfia, et refusa l'offre de Siccardi. L'histoire a justifié cette attitude du pape : la publication de la correspondance du président du conseil sarde a révélé, depuis, qu'à l'heure même où il faisait demander au Saint-Siège de renoncer au bénéfice d'une stipulation concordataire, il écrivait : Avec le pape il faut beaucoup de formes, de salamalecs, de baisemains, mais une fermeté de fer, et surtout le fait accompli[12].

Les salamalecs et les baise-mains n'ayant pas réussi, le fait accompli ne se fit pas trop attendre. Siccardi quitta Portici en novembre 1849[13], et, trois mois après, le 25 février 1850, présenta aux Chambres un projet de loi abolissant les immunités ecclésiastiques. L'article Ier du projet portait que les causes civiles entre ecclésiastiques seuls, tant pour les actions personnelles que réelles ou mixtes, de quelque nature qu'elles fussent, ressortiraient à la juridiction civile, et l'article 2 assujettissait à la même juridiction civile toutes les causes concernant le droit de nomination active et passive aux bénéfices ecclésiastiques, ou les biens appartenant à ces derniers ou à quelque autre établissement ecclésiastique[14]. C'était, sous prétexte de mettre fin à quelques usages mal vus des populations modernes, briser, par la volonté d'un seul contractant, des stipulations synallagmatiques, et, de plus, s'arroger, sur le terrain purement ecclésiastique des nominations aux bénéfices et des biens d'Eglise, des pouvoirs manifestement usurpés. Mais les défenseurs du projet de loi devant la Chambre des députés et devant le Sénat passèrent légèrement sur ces derniers points, et s'appliquèrent surtout à railler le caractère gothique et suranné des institutions qu'il s'agissait d'abolir, invoquant l'esprit moderne et l'opposant à la routine obstinée du Saint-Siège[15].

La loi, votée par la Chambre, fut ratifiée par le Sénat le 8 avril 1850, et promulguée le 9 avril, au milieu de bruyantes manifestations. Les cris de : A bas les prêtres ! se mêlèrent à ceux de : Vive la loi Siccardi ![16]

Le souverain pontife n'avait pas attendu le vote de la loi pour faire entendre une solennelle protestation contre un acte qui violait à la fois les droits de l'Eglise et la foi due aux traités[17].

La loi votée, les évêques de Savoie et ceux du Piémont élevèrent la voix, à leur tour, contre une loi qui, disaient ils, rompant des concordats faits avec le Saint-Siège, et ne tenant aucun compte des traités les plus solennels, signés avec lui par les augustes prédécesseurs de Sa Majesté, blessait et affligeait tous ceux qui veulent vire et mourir dans l'obéissance à la foi catholique. — Peut-être, ajoutaient courageusement les évêques de Savoie, s'il s'agissait de traités conclus avec l'une des grandes puissances de l'Europe, on procéderait avec plus de réserve... Ces hautes puissances ont des moyens efficaces de se faire respecter ; mais Pie IX n'a pas d'armée, Pie IX est en exil[18].

Le cabinet sarde, toujours présidé par le marquis d'Azeglio, ne s'en tint pas là. Bientôt il réclama une nouvelle circonscription des diocèses, la suppression de certains évêchés, la sécularisation de plusieurs ordres monastiques. La cour romaine eut alors cette impression, que la cour de Turin n'avait qu'un but : acculer le Saint-Siège à des refus qu'elle constaterait bruyamment, en les présentant comme des réactions d'ancien régime contre l'esprit moderne, dont le Piémont se donnerait comme le défenseur. Un projet de loi sur le mariage civil, présenté le 12 juin 1852, provoqua de nouvelles protestations de la part de Rome. Le projet, voté par la Chambre des députés, fut rejeté par le Sénat. Mais, en cette même année 1852, des remaniements s'opéraient dans le ministère du roi Victor-Emmanuel, qui devaient avoir des conséquences historiques considérables. D'Azeglio, succombant sous un fardeau trop lourd pour ses épaules, cédait sa place au comte Balbo, lequel, après quelques semaines à peine, reculait à son tour devant l'énorme tâche que le Piémont s'était donnée en se posant, devant l'Europe, contre le pape et contre l'Autriche à la fois, comme la puissance initiatrice de l'Italie une et régénérée. Le 4 novembre 1852, date importante pour l'histoire, la présidence du ministre sarde fut confiée au comte Camille de Cavour. En le nommant, en octobre I850, ministre du commerce, le roi avait dit à ses autres ministres : Prenez garde, celui-là vous prendra tous vos portefeuilles. Certes, on n'avait pas à craindre qu'aucun fardeau ne rebutât cet homme qui, avant même d'occuper aucune situation officielle, avait pu, en dépensant une infatigable activité dans les domaines de l'agriculture, de l'industrie, des finances, du journalisme ; de l'économie sociale et de la controverse religieuse, imposer partout l'autorité d'une étonnante faculté d'assimilation et d'une volonté qui ne connaissait pas d'obstacle. Cavour allait prendre sur lui l'immense tâche de poursuivre la lutte contre la cour de Rome et la cou' de Vienne, et de travailler à faire de l'Italie une des grandes puissances de l'Europe, en l'organisant autour dû royaume de Piémont,

 

III

Agé de quarante-deux ans, Camille Benso, comte de Cavour, était alors dans la maturité de l'âge et des forces. Quiconque l'eût vu se promenant familièrement dans les rues de Turin n'eût guère deviné en lui le maître futur de l'Italie. Sa petite taille, sa myopie, son embonpoint précoce, une certaine apparence négligée et vulgaire, tout éloignait de lui les foules. Mais, à défaut des dons qui attirent, il avait les qualités qui subjuguent : la netteté des vues, la promptitude à les résoudre, l'énergie à accomplir ce qu'il avait résolu[19]. Son incroyable puissance de travail, son aptitude à tout embrasser, émerveillaient ses collègues. Lui, indifférent à l'admiration ou au blâme, ne demandait qu'à faire triompher ses vues, se donnant comme modéré et faisant appel aux complicités des pires révolutionnaires, se posant comme le chevalier d'un idéal de justice et foulant aux pieds le droit des gens, se proclamant catholique de cœur et ne craignant pas d'outrager l'Eglise dans ses institutions les plus saintes et dans ses chefs les plus vénérés. Savoyard par son père et Genevois par sa mère, issu de la famille de saint François de Sales et allié aux Clermont-Tonnerre, doué, dès son enfance, d'une insatiable curiosité, qu'il avait cherché à satisfaire par de fréquents voyages, par des enquêtes approfondies sur les hommes et sur les choses, on eût pu croire que son esprit se trouvait ballotté par les multiples influences dont il avait été comme le carrefour ; mais l'unité d'un but très nettement conçu et très obstinément poursuivi : l'indépendance italienne, mettait l'ordre et la clarté, sinon la grandeur et la vertu, dans cette riche organisation[20].

Avec Cavour la politique du Piémont se précise et s'amplifie. Prendre en mains les intérêts de l'Italie tout entière, sans paraître rien abandonner des intérêts particuliers du Piémont ; organiser et acclimater dans la Péninsule les lourdes charges des grandes nations, la conscription et les impôts écrasants, sans soulever trop de murmures ; favoriser les mouvements libéraux de l'Italie sans effaroucher les monarchies voisines ; lutter contre le Saint-Siège sans rompre avec l'Eglise : tels sont les buts que le premier ministre de Victor-Emmanuel se propose. Il les poursuivra au prix d'efforts inouïs, qui l'useront avant l'heure, mais l'impulsion donnée par lui sera si puissante, que son œuvre se poursuivra après sa mort.

Nous n'avons à étudier directement ici que le côté religieux de cette politique. Comme simple député, Cavour avait contribué à faire voter la loi du Foro ; comme président du conseil des ministres, il proposa et fit voter, le 2 mars 1855, par la Chambre des députés, et, le 22 mai, par le Sénat, la loi des couvents. Il y avait alors, dans le royaume de Sardaigne, quatre archevêchés, vingt-six évêchés, plus de six cents communautés religieuses, un nombre considérable de collégiales et de bénéfices, presque tous pourvus d'importantes dotations. L'objet de la nouvelle loi était de séculariser ou, comme on disait en Italie, d'incamérer une grande partie des biens ecclésiastiques. On laisserait vivre les ordres religieux charitables ; mais on attribuerait les biens des ordres mendiants, à une caisse du clergé, lequel, cessant désormais d'être un corps salarié par l'Etat, réaliserait la formule idéale : l'Eglise libre dans l'Etat libre[21]. Cavour ne se dissimulait pas qu'une pareille mesure répugnait à la masse de la population, attachée dans son ensemble-aux ordres religieux. Il dut lutter pendant plusieurs mois avec une ténacité qui eut enfin raison de toutes les résistances. Son projet, disait-il, n'avait aucun caractère agressif contre la religion. Economiquement très profitable à la nation, il aboutirait uniquement, au point de vue ecclésiastique, à une plus heureuse répartition des biens d'Eglise entre les membres du clergé. Le roi Victor-Emmanuel avait eu quelque répugnance à commettre cet empiétement du pouvoir civil sur les biens ecclésiastiques. La loi votée, il crut sans doute tranquilliser sa conscience en demandant que fussent exceptées de l'incamération deux chapelles que sa mère et sa femme aimaient à visiter[22]. Sous cette réserve, il sanctionna la loi spoliatrice, qui devait préluder à tant d'autres spoliations.

Trente-cinq ordres monastiques tombèrent ainsi sous la proscription. Sept mille huit cent cinquante religieux furent dépouillés. Beaucoup de ceux que la loi qualifiait de contemplatifs entretenaient des œuvres charitables, qui périrent avec eux. D'autres travaillaient avec zèle aux progrès des sciences ; ils ne furent pas épargnés. Mais la loi n'outrageait pas seulement la religion, la science et la charité ; elle violait ouvertement le droit constitutionnel du Piémont. En vain un ancien ministre du roi Charles-Albert, M. de Revel, avait-il rappelé l'article 29 du Statut : Toutes les propriétés, sans exception d'aucune sorte, sont inviolables. Le Parlement avait passé outre. Il ne fut pas même arrêté par la pensée de respecter la volonté des anciens princes de la Maison de Savoie, qui avaient voulu perpétuer la prière liturgique sur leurs tombeaux. Les religieux du monastère d'Hautecombe durent abandonner leur poste sacré[23].

Les formules de respect envers l'Eglise, prodiguées par Cavour au cours des débats, n'avaient pas trompé le Saint-Père. L'emprisonnement de l'archevêque de Turin, Mgr Franzoni, coupable d'avoir protesté contre la loi du Foro, son bannissement, prononcé le 25 septembre i 850, la destitution d'un aumônier qui avait recommandé de prier pour le courageux prélat, l'emprisonnement et le bannissement de l'archevêque de Cagliari, Mgr Marongini, pour un motif semblable en 1851, l'arrestation de plusieurs prêtres, curés ou missionnaires, arbitrairement accusés de fomenter des émeutes, les injures proférées à la Chambre des députés contre l'épiscopat[24], les circulaires de Cavour chargeant les syndics d'exercer une surveillance continuelle sur les curés[25], bien d'autres faits du même genre[26] ne laissaient aucun doute sur l'hostilité du gouvernement du Piémont à l'égard de l'Eglise.

Tandis qu'on exilait les évêques et qu'on mettait le clergé sous la surveillance de la police, toute liberté était laissée à la presse révolutionnaire et impie d'insulter le pape et les prêtres, aux émeutiers d'interrompre les prédicateurs dans les églises, aux théâtres de parodier et de ridiculiser les saints mystères ; si bien que M. Sauzet, dans le célèbre écrit qu'il publia sur le mariage, en 1853, pouvait écrire : Je ne sais quel esprit fatal a soufflé sur le Piémont. La gravure et la pierre semblent y faire assaut de scandales. La coupable tolérance du gouvernement encourageait toutes les audaces, et le député Brofferio allait jusqu'à s'écrier, en pleine Chambre : Prouvons à ces orgueilleux prélats que le peuple a aussi ses foudres et ses anathèmes[27]. Vainement le Saint-Père renouvelait ses plaintes et ses protestations[28] ; le gouvernement, après des réponses banales, passait outre.

Les grands catholiques, qui avaient rêvé naguère un mouvement de libération nationale sous les auspices de la religion, Manzoni, Pellico, étaient attristés. L'illustre auteur d'I Promessi Sposi était plus que jamais ce génie souffrant, au visage doux et triste, au regard tourné vers les regrets, qui avait frappé Lamartine[29] ; et l'auteur de Le Mie Prigioni écrivait : Je ne réponds ni aux gens qui me traitent de révolutionnaire, ni aux fanatiques du libéralisme qui me blâment de ce que je ne partage pas leurs folles illusions... Ils n'auront de moi d'autre réponse que ma conduite sans masque, sans servilité envers aucun des partis violents, et aussi chrétienne que possible[30]. Le P. Ventura, après s'être laissé quelque temps entraîner à la suite de Cavour, se rétractait noblement, et, instruit par l'expérience, rectifiait ses conceptions philosophiques et politiques. Gioberti seul, retiré des affaires publiques depuis 1849, s'avançait de plus en plus dans ses utopies libérales, traçant à Victor-Emmanuel la ligne politique à suivre pour arriver à la régénération de l'Italie ; mais les vives attaques de son dernier ouvrage, le Rinnovamento d'Italia, publié en 1851, contre le pouvoir temporel des papes, et plusieurs autres témérités, lui attiraient, le 14 janvier 1852, la mise à l'Index par le Saint-Office de tous ses écrits.

Quant à l'ensemble du clergé séculier et régulier, l'épreuve qu'il venait de traverser et la perspective d'épreuves plus grandes encore, n'avaient fait que resserrer les liens de charité qui faisaient de lui, comme aux premiers jours de l'Eglise, cor unum et anima una ; et ces sentiments étaient noblement exprimés dans la lettre que tous les supérieurs d'ordres religieux ayant des maisons dans les Etats sardes, avaient envoyée de Rome à tous les archevêques et évêques du royaume. Dans nos tribulations, disaient-ils, vous vous êtes fait le bouclier des lois portées par l'Eglise pour assurer, sous l'abri des cloîtres, les vocations monastiques.

Cette union du corps monastique et de l'épiscopat sous l'autorité suprême du pape allait devenir plus que jamais nécessaire pour faire face aux persécutions que les événements de 1850 à 1855 faisaient présager.

 

IV

Pie IX voyait avec tristesse ce mouvement national italien, qu'il avait espéré naguère dominer par sa paternelle influence, se poursuivre dans les voies de la révolution et de l'impiété. Mais la puis-sauce qui s'opposait à ce mouvement, l'empire d'Autriche, protecteur-né de l'Eglise et du Saint-Siège, ne lui ménageait pas, de son côté, les sujets de plainte.

Sans doute, l'Autriche, par sa constitution de 1848 et par son concordat de 1855, semblait vouloir abandonner définitivement les traditions joséphistes de sa bureaucratie ; mais ces mesures législatives ne modifiaient pas sensiblement les dispositions foncières de la cour de Vienne et de l'administration autrichienne ; et, de ce côté, le pape trouvait encore de graves sujets de préoccupation.

La révolution de 1848 avait eu son contre-coup en Autriche, et, comme en France, les conséquences en avaient d'abord été heureuses pour l'Eglise catholique.

A vrai dire, les émeutes révolutionnaires qui éclatèrent à Vienne et dans les provinces autrichiennes, au printemps de 1848, eurent moins pour cause la revendication de droits politiques en faveur des sujets de l'empire, que la réclamation de l'indépendance des diverses nationalités, slave, hongroise, croate, albanaise, bohémienne, qui formaient l'amalgame de l'Etat. Mais le mouvement, au moins dans ses débuts, ne fut pas moins favorable à la cause des libertés politiques, civiles et religieuses, qu'à celle des autonomies nationales. Le 10 avril 1848, l'empereur Ferdinand accordait à la Hongrie une Assemblée siégeant à Pesth, capitale nationale, l'usage officiel de la langue magyare, un suffrage élargi et, en principe, universel, l'abolition des rapports féodaux, l'égalité devant l'impôt. Le 25 avril, le souverain promulguait à Vienne une Constitution copiée sur le régime belge, établissant un parlement de deux Chambres, un suffrage indirect et censitaire[31]. La tyrannie de la vieille bureaucratie autrichienne semblait abolie à jamais.

Cette même Constitution du 25 avril 1848 supprima l'autocratie ecclésiastique de l'Etat, jusque-là liée à la bureaucratie. Elle garantit la liberté de la foi comme le libre exercice du culte ; et ce principe de l'autonomie religieuse survécut à la Constitution elle-même. En effet, il fut maintenu, même après la révocation de cette Constitution par la déclaration ministérielle du 17 mai de la même année. François-Joseph, succédant à son oncle Ferdinand, le 2 décembre 1848, n'y porta aucune atteinte. Au début de l'année suivante, le ministère Schwarzenberg invita tous les évêques dépendant de la couronne à se réunir à Vienne, pour entendre leurs propositions concernant les rapports futurs de l'Eglise et de l'Etat. Le 29 avril, vingt-neuf évêques, auxquels six autres vinrent bientôt se joindre, commencèrent leurs délibérations, et, le 15 juin, ils en transmirent le résultat au ministère. Par ordonnances des 18 et 23 avril 1850, le placet fut aboli, les relations avec Rome furent déclarées libres, ainsi que le plein exercice de l'autorité disciplinaire et du culte ; le contrôle légitime des évêques sur le haut enseignement fut garanti[32]. Le joséphisme, semblait-il, avait vécu.

La chute de Metternich n'avait pas été étrangère à cette émancipation de l'Eglise catholique. L'on put croire que ç'en était fini de cette politique à double face, qui, secrètement, en vertu des traditions joséphistes, chicanait l'action de l'Eglise, et qui, publiquement, luttait contre la Révolution[33]. Le cardinal Schwarzenberg, archevêque de Salzbourg, écrivait : Des millions de citoyens autrichiens saluent le nouvel ordre des choses, non seulement parce qu'il leur garantit plus de liberté politique, mais parce qu'il promet à l'Eglise catholique les mêmes impulsions de liberté[34].

Cette impression optimiste ne devait pas durer. Le nouvel empereur, François-Joseph, de qui le long règne devait être marqué par tant de tragiques aventures dont l'histoire doit lui faire porter la lourde responsabilité, n'était point l'homme destiné à faire régner, dans son royaume et dans l'Eglise d'Autriche, un régime de liberté. Personnellement violent, autoritaire et sensuel, d'intelligence moyenne, non sans finesse, mais saris envergure et saris élévation, il était surtout, par suite d'une éducation systématique, qui n'avait eu pour but que de lui inculquer les traditions, les manières d'agir et de penser d'une dynastie, l'homme de cette dynastie, le Habsbourg, le gardien d'un dépôt, d'un système de gouvernement dont il ne se sentait comptable qu'à Dieu, à ses ancêtres et à ses héritiers ; en somme, moins un homme qu'un personnage, moins un caractère qu'un anneau dans une chaîne[35]. Au point de vue religieux, François Joseph de Habsbourg-Lorraine, empereur d'Autriche et roi apostolique de Hongrie, multipliera les témoignages publics de sa piété et contribuera à donner une splendeur inouïe aux fêtes du congrès eucharistique de Vienne en 1912 ; mais il mourra, en 1916, sans s'être lavé de la responsabilité d'une guerre qui, suivant les paroles du pape Pie X, a ensanglanté ses cheveux blancs ; et son testament portera l'aveu public d'une inconduite qui a déshonoré son foyer jusqu'à ses derniers jours[36].

Sous son règne, les libertés publiques accordées par la Constitution de 1848 ne devaient pas longtemps subsister. Sa première proclamation annonça l'intention de réunir tous les pays de la monarchie en un grand Etat. Une Constitution, qu'il octroya, de son autorité propre, à tout l'empire, le 15 mars 1849, accordait aux citoyens la liberté personnelle et religieuse, mais mec des restrictions capitales. Elle proclamait les droits de toutes les nationalités, mais sans en établir aucune garantie[37]. Cette Constitution ne fut jamais appliquée. L'écrasement de la Hongrie, révoltée pendant l'été de 1849, ramena dans l'empire le régime du pouvoir strictement personnel, dont les deux caractères furent l'absolutisme dans le gouvernement et la germanisation dans les tendances[38].

En reprenant en bloc les traditions de sa dynastie, François-Joseph reprit celles du joséphisme. En vain, par un concordat conclu en 1855, rendit-il à l'Eglise juridiction sur l'éducation, sur le mariage, sur les actes de la vie civile qui intéressent directement la vie religieuse[39]. Les dispositions du concordat se heurtèrent aux habitudes joséphistes du clergé et aux traditions policières de la bureaucratie. Une partie du clergé séculier et régulier craignit, s'il cherchait un appui du côté du Saint-Siège contre les empiétements de l'Etat, de subir le contrôle que ses mœurs, corrompues par la richesse, rendaient particulièrement nécessaire. L'Etat, lui, redoutait qu'un clergé trop zélé pour le bien des âmes ne cessât bientôt d'être un instrument docile de la couronne et de la bureaucratie. L'esprit joséphiste continua donc de régner dans l'Eglise officielle austro-hongroise[40].

Un autre sujet de tristesse était donné au pape par l'empereur François-Joseph. Malgré les exhortations pressantes de Pie IX, les troupes impériales maintenaient toujours la Lombardie et la Vénétie sous le joug oppresseur de l'Autriche ; et l'empereur restait sous le coup des reproches sévères adressés par le souverain pontife à son prédécesseur, lorsque, dans sa lettre du 3 mai, il suppliait Sa Majesté apostolique de retirer ses armes d'une guerre qui, impuissante à conquérir les cœurs des Lombards et des Vénitiens, ne pourrait aboutir qu'à une domination sans grandeur et sans résultats heureux, puisqu'elle reposerait uniquement sur le fer[41].

Un dernier point noir obscurcissait l'horizon de la chrétienté, du côté de l'Autriche. Malgré ses défaillances et ses fautes, la monarchie des Habsbourg représentait encore le catholicisme. Or, depuis 1848, la question se posait de savoir si sa puissance n'allait pas être absorbée, dans le projet d'une nouvelle Allemagne, par la puissance grandissante de la Prusse, ou même si elle ne serait pas expulsée de la Fédération que la Prusse rêvait ; et le motif de ces projets d'absorption ou d'exclusion de l'Autriche, était précisément son catholicisme officiel. Ce que projetait déjà la monarchie des Hohenzollern, ce n'était rien de mains qu'une ligue des souverainetés protestantes faisant front au catholicisme et front à l'Autriche[42]. Catholicisme et ennemi de la Prusse, écrivait Bismarck le 20 janvier 1854, sont des termes synonymes[43]. Il était visible que, si un pareil rêve se réalisait, l'Allemagne du lendemain n'aurait ni la même configuration ni la même personnalité confessionnelle. Avec l'Autriche au sommet, le corps germanique faisait figure catholique ; amputé de l'Autriche et cherchant à Berlin son point d'appui, il prendrait l'aspect d'une paissance protestante[44].

 

V

Le péril était d'autant plus grand que ce dessein d'une Allemagne groupée autour de la Prusse et régentée par elle, était celui que poursuivaient depuis longtemps ces sociétés secrètes que nous avons vues travailler à la ruine de la foi catholique et au triomphe de la libre pensée.

Les mémoires du général Lamarque montrent que ce plan était déjà fixé en 1826[45]. Racontant l'entrevue qu'il eut, à cette date, avec le comte de B. ; il ajoute : Il a trouvé le moyen de se faire recevoir dans toutes les sociétés secrètes de l'Italie et de l'Allemagne, et il prétend que ces sociétés minent le terrain sur lequel repose l'ordre social actuel. A l'entendre, les carbonari parviendront à leur but, qui est de réunir toute l'Italie en une seule puissance. Ce désir d'union est aussi un des grands buis de la Société teutonique en Allemagne. Les nombres mystérieux de 37 et 38, qu'elle a adoptés, signifient que sur les trente-huit princes qui se partagent l'Allemagne, il n'en faut conserver qu'un, qui établira le régime constitutionnel et qui fondera la liberté. Quel est ce prince, qui doit succéder à tant d'autres, et ne faire qu'un Etat de tant d'États ? Il n'est connu que des seuls adeptes du grand cercle directeur[46].

Le secret ne devait pas être bien difficile à pénétrer pour quiconque connaissait tant soit peu l'organisation des sociétés secrètes à cette époque. Frédéric-Guillaume III et ses ministres s'étaient engagés à fond dans le Tugendbund, dont les tendances patriotiques étaient si singulièrement mélangées d'idées maçonniques ; et, depuis 1821, toute la maçonnerie allemande convergeait vers Berlin ; elle était devenue comme une branche de l'administration, conduite à un but déterminé avec la raideur de main propre à la bureaucratie prussienne[47].

En 1848, l'union de l'Allemagne fut sur le point de se réaliser. La création d'un empire prussien, qui séparât la France de la Russie, était l'objectif de lord Palmerston. Le journal maçonnique le Globe, dans son numéro du 18 août 1849, exposa le programme de nommé d'Etat anglais : démolition de l'échafaudage arbitraire et artificiel dressé par le congrès de Vienne, et reconstitution politique de l'Europe par l'érection d'un royaume allemand vigoureux dont la Prusse serait le centre[48]. L'éminent évêque de Mayence a raconté qu'ayant été, à cette époque, élu député au parlement de Francfort, un personnage de haut rang vint lui déclarer que la principale mission du parlement était d'étendre jusqu'au Mein les frontières de la Prusse, et que son devoir de député était de concourir à ce dessein. — Je suis certain maintenant, ajoute le prélat, que cet homme n'énonçait pas une opinion personnelle, mais qu'il s'était approprié la pensée d'une société secrète[49].

Si nous nous sommes un peu étendu sur cette question politique de l'hégémonie prussienne en Allemagne, c'est qu'elle devait avoir (les événements postérieurs l'ont montré) une influence considérable sur l'histoire religieuse du XIXe et du XXe siècle. Substituer la domination de la Prusse à celle de l'Autriche en Germanie, c'était substituer l'influence protestante à l'influence catholique ; et fortifier, au centre de l'Europe, l'empire allemand ainsi remanié, c'était favoriser la propagande dans le monde de la religion de Luther.

Que ce plan ait été, dès 1848, celui du roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV, c'est ce dont les documents privés et diplomatiques de cette époque, publiés depuis lors, ne permettent plus de douter. Le gouvernement de Berlin n'aura d'abord, dans sa politique intérieure, que des sourires flatteurs pour les catholiques ; il leur accordera même de vraies libertés, à tel point que l'Eglise, un moment trompée, indiquera aux divers souverains le roi de Prusse comme un exemple à suivre. Mais les faveurs accordées dans le domaine de la politique intérieure n'ont souvent été, pour les pouvoirs despotiques, que le moyen de voiler les attentats tramés par leur politique extérieure[50]. Cette dernière, par sa nature même, échappe facilement aux regards de l'opinion, qui ne s'aperçoit que trop tard de sa déception[51]. Pourtant, dès 1854, les Feuilles historico-politiques de Munich n'hésitaient pas à écrire que, partout où il y avait occasion de léser ou de maltraiter l'Eglise, on devait suspecter l'influence prussienne, l'intérêt prussien, les pensées d'hégémonie prussienne[52].

Ce serait une erreur de croire que l'exclusion définitive de l'influence catholique en Allemagne, au profit de l'influence protestante, date de l'écrasement de l'Autriche par la Prusse en 1866. Le Sadowa militaire fut précédé d'un Sadowa intellectuel. Entre son accablement à Olmuetz et son triomphe à Sadowa, écrit l'historien de l'Allemagne religieuse, la Prusse gagna sur l'Autriche, progressivement, insensiblement, sourdement, une première victoire, d'abord inaperçue des états-majors et même de beaucoup de diplomates. Cette victoire, obtenue sur les bords de l'Isar, fut la conquête morale, non plus du peuple bavarois, mais de l'intelligence bavaroise, et la formation à Munich d'un parti libéral-national nettement hostile au catholicisme et nettement hostile à l'Autriche. Ce fut là le résultat du règne de Max. Des légendes même coururent, suivant lesquelles le roi, personnellement, aurait failli donner un bruyant exemple : si Dahlmann, son ancien professeur à Gœttingue, ne l'en eût dissuadé, il se serait fait protestant. Il aurait brigué, par surcroît, l'initiation maçonnique, sans les conseils du ministre Sfordten, qui la jugeait inopportune. Enchaîné à la religion catholique par sa dignité royale, par les précédents de sa maison, par les susceptibilités de son peuple, Max prit sa revanche en s'entourant de conseillers qui tous appartenaient au protestantisme[53]. Un de ces conseillers fut le célèbre historien Henri de Sybel, qu'un écrivain dépourvu de toute sympathie envers le catholicisme n'a pas craint d'appeler un Homais du patriotisme[54]. Etre ultramontain et patriote allemand, écrivait Sybel en 1847, sont deux choses qui s'excluent[55].

En cette même année 1847, l'arrivée aux affaires de celui qui devait être le prince de Bismarck faisait entrer la question de l'hégémonie prussienne en Allemagne dans la voie des réalisations pratiques.

Othon-Edouard-Léopold de Bismarck-Schœnhausen était né à Schœnhausen, dans la Vieille Marche de Brandebourg, en 1815. A trente deux ans, il avait déjà cette attitude autoritaire, cet air roide et sec, ce regard dur, et, sous la moustache épaisse, ce pli sarcastique des lèvres, qui ne fit,  que s'accentuer avec l'Age, lorsque les succès de ses entreprises ajoutèrent, à sa physionomie une expression d'orgueil satisfait et de triomphe féroce. Le moral répondait au physique. Ses lettres, comme ses discours, abondent en images fortes, en ripostes nettes, en saillies brutales. Sceptique et cynique, il méprisait les hommes, et avait l'habitude de dire que tous étaient à vendre pourvu qu'on y mît le prix. Il affirmait avec beaucoup de Force, sa croyance en Dieu ; mais il se débarrassait facilement du fardeau de la morale. Les scrupules ne l'arrêtaient pas plus que les rancunes ; les traités n'étaient pour lui que des combinaisons momentanées, et il les jugeait épuisés aussitôt qu'il en avait tiré tous les avantages désirés[56]. Les conflits, disait-il, deviennent des questions de force. Celui qui a la force en main va de l'avant. C'est cette parole que le comte Schwerin précisa dans la formule célèbre : La force prime le droit. Chrétien à sa manière, Bismarck était, à coup sûr, plus Allemand que chrétien, et plus Prussien qu'Allemand. Il était prêt à tout subordonner à son double objectif : la domination de la Prusse sur l'Allemagne et la domination de l'Allemagne sur le monde. L'importance matérielle de la Prusse, disait-il, ne correspond pas à son importance intellectuelle... L'histoire de la Prusse depuis cent ans ne représente qu'une série d'occasions manquées. En parlant d'occasions manquées, il faisait allusion à la négligence que la Prusse aurait montrée, selon lui, à établir son hégémonie en Allemagne. Aussi, à peine arrivé au pouvoir, le vit-on aller droit au but, foncer sur ses adversaires avec une audace imperturbable. A la Diète, le représentant de l'Autriche avait des prérogatives exceptionnelles. Il avait seul, entre autres privilèges, le droit d'y fumer. Bismarck y apporte un long cigare, et ose demander du feu à l'ambassadeur autrichien. Tout Bismarck est là, dans ce mince détail. L'incident du cigare lui conquiert un prestige parmi les diplomates. Désormais, il n'est rien qu'il n'ose tenter. L'unité de l'Allemagne, a-t-il écrit dans un rapport célèbre, sera réalisée, non par des discours ni des décisions de majorité, mais par le fer et le sang, ferro et sanguine. Cette unité, en effet, se réalisera par trois guerres : par la défaite du Danemark en 1864, par l'écrasement de l'Autriche en 1866, et par la victoire remportée sur la France en 1870-1871.

 

IV

En présence de tels desseins, quelle avait été l'attitude des catholiques allemands ? La plupart d'entre eux acceptaient, volontiers, prônaient même avec enthousiasme l'idée d'une unification de l'Allemagne. Mais ils repoussaient l'idée d'une Allemagne unifiée qui aurait Berlin pour capitale et qui exclurait ou absorberait l'Autriche catholique. Le député rhénan Auguste Reichensperger se fit l'éloquent défenseur de cette conception, qui opposait à la Petite Allemagne protestante une Grande Allemagne catholique par ses éléments et par ses visées. Plus tard, une nouvelle idée se fera jour parmi les catholiques, comme plus conforme à l'état des esprits et comme plus facilement réalisable : celle d'une unité allemande fondée sur la liberté des Eglises. Mais la situation faite au catholicisme était si différente dans les diverses souverainetés, qu'elle doit être l'objet d'une étude particulière pour chacun des principaux Etats.

En Prusse, l'attitude des catholiques fut d'abord hésitante, anxieuse. D'une part, en entendant des hommes d'Etat comme Bismarck affirmer si haut l'alliance, l'identité de l'idée 'prussienne et de l'idée protestante, ils se demandaient s'ils n'allaient pas subir le sort de leurs frères belges aux Pays-Bas et de leurs frères irlandais en Angleterre. D'autre part, les libertés accordées en Prusse aux catholiques semblaient faites pour les rassurer.

Le statut de l'Eglise catholique en Prusse venait, en effet, d'être réglé par la Constitution même. L'acte constitutionnel de 1848 avait proclamé l'autonomie des Eglises. Les évêques prussiens avaient aussitôt profité de cette déclaration pour correspondre librement avec le pape et pour conférer les bénéfices ecclésiastiques de leur propre autorité. La Constitution du 5 février 1850 confirma ces libertés. L'article 12 portait que l'Eglise évangélique, l'Eglise romaine et les autres sociétés religieuses étaient libres d'organiser elles-mêmes leurs affaires. L'article 13 leur permettait de communiquer librement avec leurs chefs. L'article 15 dépouillait l'État prussien de son droit d'intervention dans les nominations ecclésiastiques.

Ces dispositions favorables à l'Eglise romaine avaient été inspirées par des vues politiques, plutôt que par un esprit de bienveillance envers le catholicisme. Elles faisaient partie d'une constitution libérale, issue, en Prusse comme ailleurs, du mouvement libéral de 1848. D'ailleurs, la Prusse, pour faire triompher son dessein de domination sur l'Allemagne, avait besoin de se concilier d'abord les sympathies du parti catholique, d'où pouvaient lui venir les oppositions les plus redoutables. Mais ces habiles calculs, que des événements postérieurs ont clairement mis à jour, n'étaient pas bien visibles. Les catholiques de Prusse, la cour de Rome elle-même purent s'y tromper.

Sans dissimulation ni réticences, l'Eglise de Prusse s'abandonna à la joie. Pie IX lui donna deux cardinaux, Diepenbrock, de Breslau, et Geissel, de Cologne. Elle assistait, surprise et reconnaissante, aux honneurs que recevait à Breslau le nonce de Vienne, Viale-Prelà, lorsqu'en novembre 1850 il portait à Diepenbrock les insignes cardinalices. Dans cette Prusse qui, si longtemps, avait repoussé, comme un messager de l'antéchrist, tout envoyé du pape, militaires et fonctionnaires s'associaient officiellement aux pompes qui fêtaient Viale-Prelà. A Berlin même, pour la première fois depuis la Réforme, une procession de Fête-Dieu, conduite par le curé Ketteler, se déroulait tout le long des Tilleuls. Le mouvement de l'Allemagne vers le catholicisme, lisait-on dans Civiltà Caltolica, est aujourd'hui si fort, que les peuples et les gouvernements cèdent à une impulsion commune, sans peut-être s'en rendre compte eux-mêmes[57]. Beaucoup des grandes œuvres charitables dont l'Allemagne catholique se glorifie datent de ces premières années de liberté : tel, par exemple, à Berlin, l'hôpital Sainte-Hedwige, fondé pour cinquante malades en 1846, et qui fut, en t851, réorganisé parle curé Ketteler dans une baisse nouvelle, et tout de suite pourvu de trois cents lits ; telle, à Munster, la Fraternité de Saint-Vincent-de-Paul, qui, dès 1849, groupait 1.300 catholiques de bonne volonté pour aviser au placement des pauvres enfants. Le seul diocèse de Cologne abrita des lazaristes dès 1851, des franciscains dès 1853. Les jésuites les avaient devancés. Leur premier noviciat s'ouvrit en Westphalie en 1850. De grandes missions s'inaugurèrent. Celles de Cologne en 1850, de Heidelberg en 1851, de Francfort en 1852, d'Augsbourg en 1853, remuaient profondément l'Allemagne religieuse[58]. De nobles esprits abjuraient le protestantisme et venaient grossir le nombre des apologistes de l'Eglise romaine. De ce nombre étaient la célèbre comtesse Ida de Hahn-Hahn, et le futur sociologue Vogelsang, qui devait fonder en Autriche l'école chrétienne sociale. Une grande association fut fondée, sous le patronage de saint Boniface, qui eut pour but de grouper les catholiques, de coordonner leurs efforts et de soutenir pécuniairement leurs œuvres d'apostolat.

En donnant la liberté à l'Eglise catholique, Frédéric-Guillaume IV ne s'était sans doute pas attendu à de tels progrès. L'Eglise protestante s'alarma. Il faut être aveugle, écrivait en 1851 la Gazette de la Weser, pour ne point voir quels périls court le protestantisme[59]. En août 1852, l'assemblée de la Société Gustave-Adolphe[60] appela l'attention des protestants sur la gravité de la situation. En septembre, le congrès protestant de Brême vota une' déclaration semblable.

Les catholiques se disaient qu'ils avaient pour eux la Constitution, et que toucher à la Constitution ce serait ameuter coutre le gouvernement tout le parti libéral ; que le roi n'oserait rien tenter de ce côté. Par suite, ils étaient amenés souvent à combattre côte à côte avec les libéraux, parfois même à se coaliser avec eux, pour défendre, contre les interprétations trop étroites des conservateurs, le texte de l'Acte qui leur avait donné la liberté. Comme le faisaient, en ce moment même, les catholiques de France dans leur campagne pour la liberté d'enseignement, les catholiques d'Allemagne, tout en réprouvant le libéralisme doctrinal, se plaçaient hardiment sur le terrain de la Constitution libérale et du droit commun[61]. Ils ne réclamaient aucun droit pour eux-mêmes qu'ils ne le réclamassent en même temps pour autrui. Auguste Reichensperger intervint plus d'une fois à la Chambre pour défendre les droits lésés des protestants[62]. Cette politique lui valut, à lui et à ses collègues catholiques de la Chambre, une vraie popularité. En 1852, le groupe des députés catholiques siégeant à la Chambre prussienne, au nombre de soixante-dix, était une puissance politique avec laquelle il fallut compter.

La Constitution était toujours leur point d'appui, leur grand argument. Ils ne songeaient pas qu'à côté du roi de Prusse, un ministre sans conscience, Bismarck, se sentirait peu gêné par un texte constitutionnel, le jour où il croirait que la raison d'Etat lui demanderait de l'enfreindre ; qu'il avait déjà élaboré sa fameuse théorie des lacunes constitutionnelles. Elle consistait à se placer habilement dans un cas qu'il présentait comme non prévu par le texte constitutionnel, et, dès lors, à le résoudre à sa guise[63].

Pour Bismarck, d'ailleurs, un principe dominait la Constitution, à savoir que l'Etat prussien était un Etat protestant. A ce titre, il n'était pas admissible qu'il laissât se former dans son sein un groupement de catholiques qui pourraient constituer un Etat dans l'Etat. La Prusse ne pouvait souffrir que 1'Eglise romaine vécût chez elle suivant ses propres lois. Au surplus, pour Bismarck, l'alliance d'un certain nombre de protestants libéraux avec la fraction catholique était impardonnable. Il conçut le plan machiavélique de compromettre, l'un par l'autre, les deux partis. Le mot d'ordre fut donné de déconsidérer auprès du peuple les protestants libéraux comme alliés aux jésuites, et de dénoncer en cour de Rome les catholiques comme compromis dans le mouvement libéral.

Ce n'étaient là que des préliminaires. Ce que Bismarck voulait, c'était la ruine complète, ou du moins l'asservissement absolu du catholicisme en Allemagne. Avec les ultramontains, disait-il, toute concession fait l'effet d'un acompte, d'un encouragement[64]... L'esprit envahisseur qui règne dans le camp catholique nous forcera à livrer une bataille rangée[65].

Frédéric-Guillaume IV finit par entrer dans ces vues. Ce prince, sincèrement opposé au rationalisme incroyant et au panthéisme hégélien, dont il redoutait les conséquences au point de vue moral, avait voulu élever, contre ces théories dangereuses, une digue efficace en reconstituant sur des bases solides le protestantisme allemand. Or, deux tendances se manifestaient parmi les théologiens de la Réforme. La théologie de conciliation ou théologie unioniste, édifiée sur les bases posées par Schleiermacher et Neander, tâchait de trouver un juste milieu entre les théologiens luthériens confessionnels et les théologiens libéraux, enclins au rationalisme. Elle travaillait à faire prévaloir ses idées par la Revue de la Science et de la Vie chrétienne, fondée en 1850. D'autre part, la théologie néo-luthérienne s'efforçait de faire prévaloir les dogmes du luthéranisme primitif, en leur donnant une forme accommodée à l'esprit du siècle. La théologie néo-luthérienne prévalait dans les universités.

Le roi de Prusse avait cherché d'abord à maintenir la paix, entre les deux partis protestants par une politique de bascule. Tantôt il donnait satisfaction au parti de la confession luthérienne par des concessions, tantôt il essayait de le restreindre. Il était fatigué de ces fluctuations, quand, en 1852, le congrès de Brême lui fit entendre brutalement que le seul vrai terrain d'union entre les protestants était la lutte contre Rome. C'était reprendre une idée chère à Bunsen, selon qui une vaste société évangélique devait s'organiser pour faire contrepoids à l'Eglise de Rome[66].

Le premier acte de la politique d'oppression contre l'Eglise catholique fut la concession à l'Eglise évangélique d'une série de faveurs budgétaires[67]. Ce fut ensuite l'entreprise de négociations occultes entre le Saint-Siège et le gouvernement prussien, dans lesquelles on faisait espérer au pape la conclusion d'un concordat. Au printemps de 1853, Manteuffel parut même vouloir mettre au service du Saint-Siège l'influence politique de la Prusse sur les autres Etats de l'Allemagne. Soit que la diplomatie romaine eût deviné le double jeu de la diplomatie prussienne[68], soit que d'autres courants eussent prévalu à Berlin, ces négociations cessèrent brusquement en 1854. Il n'y avait pas à en douter : Bismarck donnait une sorte de répétition de la comédie diplomatique qu'il jouerait plus tard comme chancelier de l'empire, et par laquelle il essaierait de susciter contre le centre un blâme du pape[69].

On peut placer à cette date de 1854 le commencement de la lutte de la Prusse contre le catholicisme, lutte destinée à devenir si retentissante sous le nom de Kulturkampf. Elle trouva les catholiques prêts à la résistance ; et cette résistance, dirigée par un homme de haute valeur, fut à la fois habile et courageuse. Jusqu'au jour où un orgueil national exagéré en altéra la fière indépendance, elle valut aux catholiques allemands l'honneur d'être proposés comme des modèles aux catholiques des autres nations.

 

VII

Dans le grand-duché de Hesse-Darmstadt, dans le duché de Nassau, dans le royaume de Wurtemberg, dans le grand-duché de Bade, la lutte avait déjà éclaté. Dans le dernier de ces Etats en particulier, elle avait atteint une tragique intensité.

Non seulement les cours de Darmstadt, de Wiesbaden, de Stuttgart et de Karlsruhe n'avaient pas suivi, en 1848, l'exemple de la Prusse, mais elles s'étaient concertées depuis 1820 pour maintenir une même politique religieuse ; et cette politique était celle d'une bureaucratie tracassière et tyrannique. Le souverain, chef suprême de l'établissement protestant, y revendiquait les mêmes attributions sur l'Eglise catholique. Le vieil esprit joséphiste y prévalait complètement.

C'est dans la Hesse-Darmstadt que s'ouvrit, en l'été de 1850, la lutte des catholiques pour la conquête de leurs libertés, sous la conduite du vaillant évêque de Mayence, Ketteler.

Né à Munster, en 1811, le baron Guillaume-Emmanuel de Ketteler avait d'abord porté l'habit brodé de conseiller référendaire à la cour de Saxe. Les persécutions exercées, de 1834 à 1838, contre les catholiques, lui firent prendre conscience de sa vocation ecclésiastique. En 1841, âgé de 30 ans, il commença ses études théologiques. Ordonné prêtre en 1844, il fut d'abord nommé vicaire à Beckum, petite ville de 4.000 habitants, puis fut chargé, en 1846, d'administrer comme curé la paroisse rurale de Hopsten, qui comptait à peine 2.000 âmes. Pendant près de quatre ans, Emmanuel de Ketteler fut le modèle des prêtres de campagne, préludant par la pratique des œuvres aux doctrines sociales dont il devait être le hardi théoricien. Les électeurs de 1848 le firent entrer au parlement de Francfort. Dans une longue Lettre ouverte à ses électeurs, il s'était montré nettement opposé à la politique centralisatrice. Tant que la famille et la commune peuvent se suffire, disait-il, on doit leur laisser leur libre autonomie. Que le peuple régisse lui-même les affaires communales : il y fera un apprentissage de la vie politique, et acquerra la capacité que donne à l'homme le sentiment de sa responsabilité. Le nouveau député alla s'asseoir à l'extrême-gauche, et demanda le plus de liberté possible pour tous, y compris les catholiques[70].

Ketteler, cependant, avait peu de confiance dans les combinaisons purement politiques. Pour lui, la question politique était primée par la question sociale, et celle-ci par la question religieuse. Ce fut la doctrine qu'il professa, en novembre et décembre 1848, dans six sermons éloquents prononcés à Mayence[71], après avoir donné sa démission de député pour se consacrer exclusivement aux fonctions de son ministère sacerdotal. Peu de temps après, Ketteler était appelé à diriger l'importante et unique paroisse catholique de Berlin, établie sous le patronage de sainte Hedwige. Il se dépensait sans compter dans la capitale de la Prusse, comme il l'avait fait dans l'humble village de Hopsten, quand le choix de Pie IX le fit monter sur le siège épiscopal de Mayence, jadis illustré par le grand apôtre de l'Allemagne, saint Boniface[72].

A peine installé, en juillet 1850, le nouvel évêque déploya, dans l'exercice de sa charge, l'activité apostolique que pouvaient faire pré-. voir ses précédents travaux. La fondation d'un grand séminaire et de retraites pastorales annuelles réveillèrent l'esprit sacerdotal, depuis longtemps assoupi. Des congrégations d'hommes et de femmes, des confréries, des associations charitables, bravant les tracasseries du joséphisme, se fondaient ici et là. Ketteler allait, d'un bout à l'autre de son diocèse, éveiller le zèle des uns, dissiper les malentendus ou les conflits des autres, soutenir tout le monde de ses conseils. Ce seigneur féodal avait, dans le premier mandement qu'il avait adressé à ses ouailles, fait devant elles le vœu de pauvreté ; et ce vœu, il le tenait ostensiblement.

Les progrès du catholicisme dans le diocèse de Mayence commençaient à soulever les protestations des protestants et à inquiéter la bureaucratie du grand-duché de liesse : Sans se préoccuper outre mesure de ces agitations et de ces inquiétudes, l'ardent prélat rêvait d'étendre son action au delà de son diocèse de Mayence. Si les souverains se concertaient pour le maintien de leur politique religieuse, pourquoi les évêques ne se fédéreraient-ils pas, de leur côté, pour la défense des droits de l'Eglise ?

Les évêques rhénans, sous la conduite de leur vénérable métropolitain, l'archevêque Vicari, de Fribourg-en-Brisgau, répondirent à son appel.

 

VIII

Hermann de Vicari, né en 1773, avait alors près de quatre-vingts ans. Tout jeune, il avait été installé dans les bureaux de la chancellerie épiscopale de Constance ; plus tard, à Fribourg, sous l'épiscopat de l'archevêque Demeter, il avait courageusement soutenu la cause du droit canonique dans la question des mariages mixtes. C'était un prêtre pieux, d'humeur douce, prompt aux élans de gaieté, plus prompt encore aux élans de charité. Sa charité n'avait aucunes bornes ; sa bonhomie n'avait aucuns dessous[73]. On eût étonné son entourage, on l'eût sans doute étonné lui-même si on lui eût prédit, au moment où il répondait à l'appel de Ketteler, que l'affaire dans laquelle il s'engageait le mènerait à jouer bientôt le rôle d'un confesseur de la foi.

En 1850, un de ses prêtres, le professeur Hirscher, avait invité la Chambre Haute de Bade à suivre l'exemple de la Prusse et à fournir à l'archevêque de Fribourg les fonds nécessaires pour la création des séminaires dont il avait besoin. La Chambre Haute l'avait applaudi ; mais la seconde Chambre, obéissant peut-être à des sollicitations gouvernementales, avait opposé une fin de non-recevoir à sa demande.

Quand, au mois de mars 1851, les évêques de la province ecclésiastique du Rhin, encouragés par un Bref que leur avait adressé Pie IX le 25 juillet 1850, se réunirent à Fribourg sous la présidence de leur métropolitain, Hermann de Vicari, ils se préoccupèrent des incidents du parlement de Bade, comme de tous les dénis de justice et de toutes les tracasseries administratives qu'ils avaient eu à subir de la part des petits Etats encadrés dans la circonscription ecclésiastique qu'ils représentaient. Le résultat de leurs délibérations fut un mémoire que chacun d'eux présenta à son gouvernement respectif, Ils demandaient qu'on les rendît maîtres de l'éducation de leurs clercs, qu'on leur permît de fonder des écoles catholiques, qu'on les laissât administrer les biens de l'Eglise sans entraves.

Onze mois après, aucun des gouvernements n'ayant donné une réponse à leur mémoire, les évêques se réunirent une seconde fois à Fribourg, et protestèrent ouvertement contre un système dont la pratique entraînerait la ruine de l'Eglise dans la province. Les Etats rhénans virent dans cette formule le début d'une lutte ouverte contre leur politique religieuse. Ils ne se trompèrent pas. Dès le mois de mai 1851, Ketteler, en vertu de l'indépendance que le droit naturel et le droit divin assurent à l'exercice de tout pouvoir purement spirituel, avait ouvert un séminaire sans demander aucune autorisation au gouvernement hessois. En mai 1852, le ministère badois ayant demandé à l'archevêque de Fribourg un service funèbre pour le grand-duc Léopold, mort protestant, Vicari refusa de célébrer le service, en alléguant des lois de l'Eglise catholique. Le gouvernement, irrité, essaya de peser sur les prêtres. Sur 800, 740 lui opposèrent le même refus que leur archevêque.

Le 5 mars 1853, les quatre gouvernements de Hesse, de Nassau, de Wurtemberg et de Bade se résolurent à répondre aux mémoires épiscopaux de 1851 et de 1852. Ils rejetaient, en bloc et en détail, toutes les demandes. Vicari répliqua à cet acte gouvernemental en signifiant au ministère badois que les évêques catholiques étaient résolus à gouverner librement leurs diocèses, à administrer librement les biens ecclésiastiques. Presque en même temps, Ketteler disposait des cures sans en référer au gouvernement de Darmstadt ; Blum, évêque de Limbourg, agissait de même sans prévenir le grand-duc de Nassau ; les évêques de Wurtemberg prenaient la même attitude.

Le grand-duc essaya de couper court au mouvement d'indépendance en promulguant, le 7 novembre 1853, un décret prescrivant qu'aucune ordonnance rendue par l'archevêque de Fribourg ne serait reconnue en aucune façon, si la publication n'en était pas expressément autorisée par lui, grand-duc de Bade, ou par un commissaire spécialement nommé par lui. Le 11 novembre, Vicari répondit en excommuniant nommément le commissaire royal, nommé Burger. Le gouvernement défendit de lire en chaire la sentence épiscopale, et essaya de terroriser le clergé et le peuple en procédant à un grand nombre d'arrestations. La population badoise, malgré l'insuffisance d'un clergé trop soumis aux influences gouvernementales, était restée très pieuse. La persécution raviva le zèle des attiédis. Chez les bons catholiques, écrivait le publiciste Alban Stolz, c'est à peu près une gloire d'avoir été emprisonné. En vain le gouvernement eut-il recours à l'une de ces habiletés basses qui déshonorent un régime. On fit dire aux jésuites qu'ils seraient épargnés s'ils blâmaient les actes de l'archevêque. Les jésuites préférèrent déserter Fribourg que déserter la cause du chef du diocèse[74]. Le vieil évêque semblait rajeuni dans la lutte. Pour répondre aux adresses que lui adressaient des catholiques de toutes nations de l'Europe[75], il trouvait des paroles clignes des Athanase, des Chrysostome et des Hilaire. Il avait des mots émus que Dœllinger ne pouvait entendre sans pleurer. Des protestants indépendants, tels que Léo et Gerlach, savaient gré à Vicari d'avoir osé dire que les choses d'Eglise ne regardent que l'Église. Un tel mouvement était de nature à effrayer le gouvernement de Bade. Il se demanda même si l'agitation religieuse n'allait pas orienter vers l'Autriche certaines populations catholiques, jadis sujettes des Habsbourg. La cour de Vienne offrait son entremise diplomatique pour apaiser le différend. Il fallait devancer une pareille entreprise. On pressentit Ketteler, qui consentit à entrer en pourparlers avec les représentants des divers Etats. Une entente aurait peut-être pu se faire en cette année 1854. Mais des entraves survinrent du côté de cette Prusse dont les catholiques invoquaient la législation ecclésiastique comme un modèle auprès des divers Etats protestants. Bismarck, qui se trouvait alors, comme représentant du roi Frédéric-Guillaume, à la diète de Francfort, plaida fortement la cause du protestantisme, qu'il représenta comme menacé par l'agitation catholique : si bien qu'il obtint non seulement la suspension des pourparlers, niais son envoi personnel à Karlsruhe et à Nassau. Quand il quitta ces deux villes, les désirs d'entente avaient fait place, dans l'esprit des deux souverains, à la volonté de poursuivre à outrance la répression de toute manifestation jugée hostile au gouvernement. Le 19 mai 1854, Vicari, accusé d'excitation à la désobéissance, fut déclaré en état d'arrestation et gardé à vue clans sa demeure. Toute communication lui fut interdite avec son clergé. Cet odieux attentat ne fit que redoubler la popularité du vieil évêque. Sans organisation concertée, les fidèles se mirent en deuil, suspendirent toute fête, toute réjouissance tant que leur évêque resterait emprisonné. Cette manifestation unanime, silencieuse et persistante, qu'on sentait venir du fond des consciences, inquiéta plus les gouvernants que ne l'eût fait une émeute bruyante et passagère. Les cours de Bade, de Nassau, de liesse et de Wurtemberg revinrent à leurs projets d'apaisement.

Un courrier du roi Guillaume de Wurtemberg d'abord, puis un envoyé du prince-régent de Bade, puis des députés de Nassau et de Hesse, se dirigèrent vers Rome en 1855. L'exemple du concordat conclu par l'Autriche en cette même année ne fut pas sans influence sur le résultat des négociations. Elles devaient aboutir, en 1857 pour le Wurtemberg, en 1859 et 1860 pour Bade et pour les autres Etats mis en conflits, à la conclusion de concordats qui, clans leurs grandes lignes, donnèrent satisfaction aux doléances épiscopales de 1851 et de 1853. La bureaucratie était vaincue ; mais les Eglises catholiques de ces divers Etats allaient voir se dresser devant elles un autre absolutisme, celui des Chambres, celui des ministères, et subir, de ce chef, des persécutions non moins douloureuses[76].

 

IX

En Suisse, de, pareilles tentatives d'oppression religieuse se heurtèrent à de pareilles résistances, et le courage de Mgr Vicari eut son pendant en celui de Mgr Marilley.

Nous avons vu comment les attaques du parti radical contre l'ancienne constitution fédérale de la Suisse avaient provoqué, en 1846, la formation d'une ligue défensive de la part des sept cantons catholiques et conservateurs de Lucerne, d'Uri, de Schwytz, d'Unterwalden, de Zug, de Fribourg et du Valais. Cette ligue avait pris le nom de Sonderbund, c'est-à-dire d'Alliance séparée.

Le 20 juillet 1847, la Diète fédérale prononça la dissolution du Sonderbund, et ordonna en même temps que les jésuites, auxquels les radicaux attribuaient l'origine de la résistance, seraient expulsés du canton de Lucerne. L'accusation portée contre la Compagnie de Jésus était injustifiée. Le duc Victor de Broglie devait peu de temps après, tout en se déclarant l'adversaire des jésuites, affirmer, devant la Chambre des pairs, après enquête, que depuis trente ans que ces religieux étaient en Suisse, il avait été absolument impossible, non pas de découvrir, mais même d'inventer, de supposer un fait quelconque dont on pût se prévaloir pour justifier leur expulsion[77]. Le 22 juillet, les sept cantons publièrent une protestation contre les mesures prises par la diète, qui leur parurent violer le pacte fédéral. Les douze cantons, formant la majorité, répondirent en levant une armée de 50.000 hommes commandés par le général Dufour, qui, le 10 novembre, fit occuper militairement le canton de Fribourg. Successivement, les sept cantons, envahis par des forces supérieures à celles dont ils pouvaient disposer, capitulèrent. Le 29 novembre, le dernier des cantons insurgés fit sa soumission. Presque partout la victoire des radicaux fut accompagnée d'odieux excès. Le 14 janvier 1848, Montalembert, interpellant, à la Chambre des pairs, le gouvernement de Louis-Philippe sur sa non-intervention dans les affaires de Suisse, s'écriait : N'avez-vous pas vu les autorités soi-disant régulières frapper tour à tour toutes les congrégations qui restaient debout, les évêques et les curés dépouillés l'un après l'autre... les Filles de saint Vincent de Paul expulsées comme des bêtes fauves, sans pensions, sans indemnité et sans pudeur ?... Est-ce tout ? Non. A l'heure qu'il est, peut-être a-t-on voté une Constitution civile du clergé calquée sur la nôtre de 1790... Mais ce n'est pas seulement à la religion catholique qu'on en veut... Le 24 novembre, un décret a interdit formellement d'exercer, dans le canton de Vaud, un autre culte que le culte soi-disant national. Et savez-vous où en est la liberté de la presse dans ce même canton de Vaud ? Elle est sous le coup de l'interdiction de publier même de simples nouvelles contraires aux intérêts nationaux. Ô patrie de la liberté ![78] Une fois de plus, les persécuteurs de l'Eglise catholique se montraient les pires ennemis de la vraie liberté.

La Constitution fédérale du 13 septembre 1848, issue de la crise que nous venons de raconter, marque une transformation notable dans le régime politique de la Suisse. Le pouvoir central y fut fortement organisé, et la puissance des cantons y fut notablement restreinte. Quant à la question religieuse, le chef du parti triomphant, Jones Fazy, épris du libéralisme américain, eût bien voulu briser l'alliance trop intime de l'Eglise dite nationale et de l'Etat, qui faisait, depuis trois siècles, du gouvernement de Genève une théocratie protestante. Mais le gros de son parti ne lui permit pas de réaliser son idée. Sans doute, un article fut inscrit clans la Constitution, qui reconnaissait la liberté des cultes en lent qu'elle ne serait pat contraire à la paix publique et au maintien de l'ordre entre les diverses confessions. Mais, si l'on se montrait libéral en théorie, on le fut peu dans la pratique. L'Ordre des jésuites fut interdit, et, en maintes occasions, le gouvernement eut recours aux procédés les plus mesquins et les plus odieux pour frapper l'Eglise catholique et ses ministres.

Le 15 août 1848, les cinq cantons qui composaient le diocèse de Genève et de Lausanne, ceux de Genève, Fribourg, Vaud, Berne et Neuchâtel, avaient conclu, sous le nom de concordat, un accord concernant les relations de l'Eglise catholique avec le pouvoir civil. Les cinq Etats se réservaient la nomination des évêques, qui devaient prêter serment d'obéissance à la Constitution et à toutes les lois de leur canton. Les candidats au sacerdoce devaient passer un examen devant une commission mixte. Le placet du gouvernement était exigé pour la postulation aux bénéfices et pour l'exercice de toute fonction épiscopale ; l'exequatur, pour toute publication venant du Saint-Siège ; et des réserves étaient faites contre l'admission des décisions du concile de Trente[79].

En publiant ce document, l'Observateur de Genève, organe des catholiques, écrivait : Partout, les catholiques doivent s'écrier : Non possumus, nous ne pouvons pas. Ils doivent ajouter, avec la même fermeté : Non volumus, nous ne voulons pas. Et, s'il faut subir la persécution, comme autrefois les martyrs, eh bien ! nous verrons[80]. Le clergé de Genève, réuni en conférence, dénonça solennellement, sous la forme d'une lettre adressée à son évêque, contre l'apparition d'un plan subversif de la constitution divine de l'Eglise[81]. Par une lettre du 18 septembre 1848, l'évêque de Lausanne et Genève, Mgr Marilley, protesta contre le seraient que la population de Fribourg allait être appelée à prêter à la Constitution. Sommé par trois fois de retirer sa protestation, le prélat déclara que, à l'exemple des apôtres, il devait obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes[82]. Le 30 septembre, le cardinal Soglia, secrétaire d'Etat de Pie IX, protesta à sou tour, au nom du pape, tout spécialement contre le droit que s'adjugeaient les cinq cantons de nommer les évêques, et contre l'obligation qu'ils prétendaient imposer aux fidèles de prêter serment à une Constitution contraire aux droits de l'Eglise[83]. Le gouvernement répliqua eu arrêtant, le 25 octobre, Mgr Marilley, en l'emmenant de Fribourg par la force et en l'internant au château de Chillon. Le Conseil d'Etat de Fribourg déclara qu'il prendrait lui-même les mesures nécessaires pour l'administration provisoire du diocèse. Mais le clergé et les fidèles ne reconnurent jamais d'autre autorité spirituelle que celle de leur évêque, qui, consolé par Pie IX, continua du fond de son exil à diriger affaires de son diocèse. En décembre 1852, les gouvernements de Genève et de Fribourg, impuissants à rompre le lien qui unissait le prélat à ses ouailles, se décidèrent à entrer en pourparlers avec Rome. Mais Pie IX ayant exigé, préalablement à toute négociation, l'élargissement de l'évêque, les autorités suisses retirèrent leur projet. Mgr Marilley ne rentra à Fribourg qu'en 1856.

D'où venait, en Suisse, cette intolérance religieuse, qui rappelait les plus mauvais jours du temps de Calvin ? Elle tenait à plusieurs causes. La Suisse, nous l'avons vu plus haut, était devenue, dès le début du XIXe siècle, le rendez-vous de nombreux adeptes des sociétés secrètes, qui y avaient forcément fait pénétrer leur esprit d'hostilité envers le catholicisme. L'influence exercée en Suisse par la philosophie de l'Allemagne, à qui les universités de Bâle, de Berne et de Zurich demandaient leurs professeurs, avait abouti, par une autre voie, à de semblables résultats. La foi chrétienne, ruinée dans ses bases, se perdait dans une anarchie où vingt sectes diverses, mormone, anabaptiste, irvingienne, darbyte, antonienne, professaient les dogmes les plus étranges, parfois les plus funestes à la société. Le besoin d'une réaction se faisait sentir. L'avènement au pouvoir du parti radical, qui combattait pour la centralisation politique, favorisa cette réaction. Mais les tendances centralisatrices, lorsqu'elles sont excessives, tournent facilement au despotisme. C'est ce qui arriva. Toutes les Eglises chrétiennes, sauf l'Eglise dite nationale, furent victimes d'une vraie persécution ; et cette persécution atteignit tout particulièrement l'Eglise catholique, en qui le radicalisme protestant vit son plus redoutable adversaire.

Cependant, à côté de ce mouvement autoritaire et persécuteur, un autre mouvement tendait à promouvoir la renaissance, ou, comme on disait alors en Suisse, le réveil religieux par des moyens tout opposés. Ce mouvement, qu'on pourrait rattacher par ses origines à l'enseignement inauguré à Genève, en 1832, par Merle d'Aubigné, et, plus loin encore, à la Société évangélique fondée en 1816 dans la même ville par des méthodistes anglais, fut surtout représenté par un noble esprit, Alexandre Vine Sans répudier jamais les principes fondamentaux du protestantisme, Vinet tenta de le régénérer de deux manières : en le libérant de ses attaches avec l'Etat et en le rattachant d'une manière plus étroite à la foi au Christ, vrai homme et vrai Dieu. On le vit, dit Saint-René Taillandier[84], attaquer le système des Eglises nationales avec autant de dignité que de vigueur ; on le vit demander la séparation du spirituel et du temporel au nom des intérêts de l'âme. — Il fut, dit Sainte-Beuve[85], le principal défenseur de la liberté religieuse à Lausanne ; il prit en main le droit de ceux qu'on persécutait. Alexandre Vinet a parlé avec un attendrissement où semble percer quelque regret, des fleurs de sainteté écloses dans l'Eglise catholique, et il s'est exprimé sur la divinité de Jésus-Christ en des termes empreints de la plus touchante émotion. Je ne comprends rien, disait-il, au Dieu vague et insaisissable du poète Lamartine. Il n'a pas de pieds que je puisse baigner de mes larmes, des genoux que je puisse embrasser, des yeux où je puisse lire ma grâce, une bouche qui puisse la prononcer. Il n'est pas un homme, et j'ai besoin d'un Dieu-homme[86].

L'influence personnelle de Vinet fut considérable. Sur deux cent cinquante ecclésiastiques qui formaient la hiérarchie de l'Eglise nationale, il en détacha cent quatre-vingts. Ils furent aussitôt remplacés dans l'Eglise qu'ils abandonnaient. Ils fondèrent alors à Lausanne une Eglise libre, qui eut son école spéciale de théologie. Mais cette via media n'était pas plus tenable que celle que Newman avait tentée en Angleterre. Dans l'espace de vingt ans, elle ne recruta pas plus de trois mille membres, et eut souvent à essuyer les hostilités du gouvernement et les railleries du peuple. Alexandre Vinet mourut en 1847, à l'âge de cinquante ans. Ses disciples, ridiculisés par leurs adversaires sous le nom de mômiers (de mômerie, grimace, dissimulation), finirent par accepter cette dénomination.

 

X

Nous venons d'écrire le nom de Newman et de faire allusion au mouvement d'Oxford. Ce dernier, bien plus puissant et bien plus profond que celui que Vinet avait créé en Suisse, se développait désormais en Angleterre comme par deux courants. Bon nombre de tractariens, suivant les traces de Newman, se dirigeaient vers le catholicisme ; d'autres, sous la conduite de Pusey. travaillaient ardemment à vivifier l'Eglise anglicane par des emprunts faits à l'Eglise romaine, espérant que leur œuvre aboutirait quelque jour à l'union des deux Eglises, mais se refusant obstinément à toute démarche individuelle vers le catholicisme.

Dans son travail d'apostolat, Newman était puissamment aidé par Wiseman, et allait bientôt recevoir l'aide, non moins précieuse, de Manning. En 1847, à la suite d'un voyage à Rome, et sur les conseils de Pie IX, il établissait en Angleterre, sous le nom d'Oratoire, et en s'inspirant des règles données par saint Philippe de Néri, une Congrégation de prêtres et de clercs, qui, en août 1848, comptait plus de quarante membres. On y remarquait deux convertis destinés à exercer une grande action sur le développement de la piété en Angleterre, Faber et Dalgairns[87].

Pendant que, sous la direction de Newman, un noyau de convertis se formait, à l'Oratoire de Birmingham[88], aux vertus religieuses et à la science ecclésiastique, Wiseman succédait, en août 1847 ; à Mgr Griffith comme provicaire du district de Londres, puis, deux ans plus tard, était nommé, en titre, vicaire apostolique. Il devenait ainsi le personnage le plus considérable de l'Eglise catholique d'Angleterre.

Une des premières préoccupations du nouveau vicaire apostolique de Londres fut de propager en Angleterre la vie religieuse. En deux ans, il fonda dix communautés dans son district[89], et il eut le bonheur de voir plusieurs convertis entrer dans les ordres religieux. Coffin entra chez les rédemptoristes ; Tickell, Edouard Purbrick et Albany Christie, chez les jésuites ; Lockhart, chez les rosminiens.

Le plus grand événement de son vicariat fut le rétablissement de la hiérarchie épiscopale en Angleterre.

Depuis le schisme d'Henri VIII, les catholiques anglais étaient soumis au régime des pays de mission, c'est-à-dire gouvernés au spirituel par des vicaires apostoliques relevant immédiatement du Saint-Siège. Le nombre de ces vicaires avait été d'abord de quatre, puis de huit. Le réveil catholique qui s'était produit en Angleterre, d'abord à la suite du bill d'émancipation de 1828, puis par la conversion de Newman et de ses compagnons, enfin par les œuvres apostoliques de Wiseman, donna lieu de penser qu'il était temps de rétablir dans la Grande-Bretagne le régime ordinaire des pays chrétiens, comprenant des circonscriptions diocésaines, gouvernées par des évêques dépendant d'un métropolitain. Des négociations avaient été entamées à cet effet en 1847 ; mais, entravées par les troubles politiques dont Roule fut le théâtre en 1848 et par l'exil du pape à Gaëte, elles n'aboutirent à une solution qu'à l'automne de 1850. Le 29 septembre de cette année, un Bref de Pie IX déclara rétablie en Angleterre la hiérarchie ecclésiastique. Elle comprendrait douze évêques et un archevêque. Wiseman recevait ce dernier titre, attaché à l'Eglise de Westminster. Le lendemain 30, le nouvel archevêque de Westminster fut nommé cardinal. Le 7 octobre, Wiseman communiqua ces nouvelles aux catholiques d'Angleterre par un mandement dans lequel son âme, toute à la joie, s'épanchait en un véritable chant de triomphe. Le grand œuvre est accompli, s'écriait-il. L'Angleterre catholique a retrouvé son orbite dans le firmament religieux. Mais, par le fait d'une interprétation que l'archevêque n'avait aucunement prévue, cet événement fut très défavorablement envisagé par l'opinion protestante d'Angleterre. On y vit une prétention du pape à gouverner l'Angleterre religieuse, le début d'une campagne qui aurait pour but de substituer des évêques catholiques aux évêques anglicans. Le Times parla de l'impudence de Pie IX. Lord John Russell, premier ministre, dénonça l'agression du pape contre le protestantisme anglais, et promit d'examiner l'état présent de la loi pour voir quelles mesures pourraient être prises contre cette usurpation de pouvoirs[90]. A son arrivée à Londres, le cardinal fut hué des pierres furent lancées dans les portières de sa voiture[91]. Ses amis furent inquiets pour sa vie.

Wiseman fit preuve, en ces circonstances, d'un grand sang-froid. En quelques jours, il rédigea un éloquent Appel au peuple anglais, qui, en un langage calme et clair, mettait les choses au point. L'irritation se calma peu à peu. Le Times déclara que la question ainsi posée méritait la plus attentive considération. Un bill, voté par le Parlement, qui frappait d'une amende de cent livres toute personne usurpant dans le Royaume-Uni le titre d'un des prétendus sièges épiscopaux, resta lettre morte.

Cette malheureuse agitation, si peu prévue des catholiques, eut, à son tour, un résultat non moins imprévu, et, cette fois-ci, heureux pour le catholicisme : ce fut la conversion de celui qui devait être le successeur de Wiseman sur le siège de Westminster, le cardinal Manning.

Henri-Edouard Manning, fils, comme Newman, d'un banquier de la Cité, était de six ans moins âgé que lui. Comme Newman, il avait été élevé dans un milieu sur lequel le catholicisme n'exerçait aucune action. Mais les tendances d'esprit des deux futurs princes de l'Eglise avaient été, dès leur jeunesse, bien différentes. Tandis que, chez Newman, toutes les énergies étaient dirigées vers le développement d'une vie intérieure toujours plus intense, la vie extérieure fut toujours, chez Manning, le but de son activité. Dès sa première jeunesse, l'objet de son ambition fut la vie politique, où il aspirait à jouer un premier rôle d'homme d'Etat. Sa devise était alors : Aut Cæsar, aut nihil. La ruine de sa fortune paternelle et quelques autres désenchantements de sa jeunesse, en le forçant à renoncer à son rêve ambitieux, ramenèrent sa pensée vers des objets plus graves. Heureusement influencé par une pieuse amie, miss Bevan, il se tourna vers la vie ecclésiastique. Chargé, en 1833, d'un poste de vicaire dans la paroisse de Lavington, il se tint en dehors des controverses relatives au mouvement tractarien, et, plus préoccupé de pratique que de doctrine, il s'appliqua, avec un zèle aussi ardent que sagement inspiré, à soulager les misères morales et matérielles de son peuple. En 1837, la mort de sa femme, qui lui fut enlevée par une maladie de consomption après quatre ans d'une union sans nuage, acheva d'orienter son âme vers la piété. Ses idées religieuses, sur les points capitaux, devinrent à peu près celles que professaient les disciples de Newman. Les liens d'intimité qui le liaient à Gladstone, le futur premier ministre, alors très mêlé au mouvement d'Oxford, favorisèrent cette orientation de sa vie. Les prières, les rites en usage dans l'Eglise catholique parlaient à son cœur. Mais ce qui l'indignait plus que tout, dans l'Eglise anglicane, c'était de la voir gouvernée par une autorité civile. Pour lui, les choses d'Eglise ne devaient relever que de l'Eglise. Les ingérences de l'Etat dans le domaine des questions religieuses, le révoltaient. Craignant de détacher ses coreligionnaires de l'Eglise établie et de favoriser l'exode vers Rome inauguré par Newman[92], il se contentait de gémir en silence. Un procès célèbre, l'affaire Gorham, dans lequel on vit le Conseil privé se prononcer, contre les autorités ecclésiastiques, en faveur d'un pasteur qui ne croyait pas à l'efficacité du baptême, acheva de lui faire perdre confiance en l'organisation de l'Eglise anglicane[93]. Le temps qui s'écoula, depuis le prononcé de l'arrêt du Conseil privé, en mars 1849, jusqu'à la fin de 1850, fut pour Manning une période de tortures atroces de conscience, une sorte d'agonie. Il hésitait à sortir d'une Eglise à laquelle l'attachaient tous ses souvenirs et en laquelle il n'avait plus foi. L'affaire dite de l'agression papale le mit en demeure æ se prononcer. Il le fit avec courage. Il fit par-devant notaire la résignation de son emploi et de son bénéfice ; puis, sortant de chez l'homme de loi, il entra dans une église catholique, et y récita, pour la première fois de sa vie, le Je vous salue, Marie. Le 6 avril 1851, Manning fit son abjuration entre les mains du jésuite Brownbill. Quelque temps après, le Times ayant annoncé son retour à l'Eglise anglicane, il répondit au journal : J'ai trouvé dans l'Eglise tout ce que je cherchais, et plus même que je n'aurais pu imaginer avant de lui appartenir[94]. A partir de ce moment, le zèle de Manning pour le catholicisme, pour ses rites, pour ses traditions et pour son chef infaillible, ne fit plus qu'augmenter jusqu'à sa mort.

Pendant trois années, de 1850 à 1853, il partagea son temps entre ses études théologiques à Rome et des prédications apostoliques en Angleterre. En 1854, le cardinal Wiseman le prit comme auxiliaire dans ses œuvres d'évangélisation et d'administration. Dès cette époque il s'occupa, sous l'inspiration du zélé prélat, de la fondation d'une communauté de prêtres séculiers, qui, placés sous la main de l'archevêque, se tiendraient prêts à entreprendre toutes les œuvres d'apostolat qu'on leur confierait. Il réalisa cette idée, en 1856, par la fondation des Oblats de Saint-Charles. Sa nomination, faite à la même époque, de prévôt du Chapitre de Westminster, en lui donnant une autorité nouvelle, lui permit d'élargir le champ de son apostolat.

Par les conversions de Newman et de Manning, l'Eglise établie d'Angleterre avait perdu les deux hommes les plus éminents de son clergé. Après leur départ, Pusey devint le personnage le plus en vue du parti. Allait-il les suivre ? Il n'en fut rien. Pusey, ne désespérant pas de revivifier l'Eglise  anglicane, continua à emprunter à l'Eglise romaine ses dévotions, ses formules de prières et ses rites. Il rétablit deux institutions qui semblaient identifiées à l'essence du catholicisme : la vie monastique et la confession. Il fit de l'Eucharistie le centre du culte. Mais on se serait trompé en voyant en son œuvre un acheminement vers la soumission à Rome. Pusey ne voulait pas entendre parler d'une telle démarche. L'Eglise d'Angleterre devait, selon lui, s'élever par elle-même à la pureté de doctrine et de culte qu'elle avait perdue. Cette transformation accomplie, ce serait le moment de négocier une union avec l'Eglise romaine. En attendant, les conversions individuelles n'étaient, à ses yeux, que des gouttes d'eau tombant sans profit dans l'océan.

Par ce seul caractère, le puseyisme, comme on l'appela, ou le ritualisme, se différenciait du mouvement tractarien. Il s'en sépara de deux autres manières. Les disciples de Pusey se recrutèrent désormais, non plus dans le monde des étudiants universitaires, mais parmi les membres du clergé paroissial. Par là même, le centre de ce mouvement, plus pratique que doctrinal, moins académique que paroissial, ne fut plus l'université d'Oxford.

Quant au mouvement tractarien, abandonné d'un côté par Newman et ses disciples, et de l'autre par Pusey et son école, il s'affaiblit rapidement et parut bientôt mort.

C'est alors que l'école libérale jugea le moment venu de s'emparer, à Oxford, de l'influence perdue par les tractariens. Elle s'y installa. Elle essaya même d'y organiser une nouvelle Eglise, qui se nomma Broad Church (Eglise large), par opposition à l'Eglise haute (High Church) et à l'Eglise basse (Low Church). Au fond, l'Eglise large désigna moins un parti délimité et organisé, ayant son Credo, qu'un état d'esprit, une tendance. Le broad churchman fut le personnage pour qui toute opinion nouvelle et hardie eut un attrait particulier. Il fit profession de puiser ses informations dans la littérature et dans la science allemandes. La plupart des opinions téméraires soutenues depuis en Angleterre sur l'interprétation de la Bible et sur la transformation des dogmes, furent défendues par des broad churchmen[95].

 

XI

Les événements religieux qui s'accomplirent dans les autres Etats de l'Europe pendant la première partie du pontificat de Pie IX, de 1846 à 1855, n'eurent pas l'importance de ceux dont la France, l'Italie, l'Autriche, la Prusse, la Suisse et l'Angleterre furent les théâtres pendant cette période. Nous devons cependant les mentionner.

Presque toute l'Europe avait subi le contre-coup de la révolution de 1848, et presque partout cette secousse avait eu pour effet d'y introduire des institutions libérales, dont l'Eglise profita ; mais, en même temps, une liberté plus grande étant laissée aux manœuvres des sectes anticatholiques, elle fut soumise, de leur part, à de plus rudes assauts.

La Constitution hollandaise de 1848 garantissait la liberté, de l'enseignement. Encouragé par les dispositions que manifestait la nouvelle législation, Pie IX jugea que le moment opportun était arrivé de reprendre des négociations, entreprises dès 1815 et plusieurs fois interrompues depuis lors, à l'effet de réorganiser la hiérarchie catholique aux Pays-Bas. En 1851, le ministère hollandais déclara ne vouloir mettre aucun obstacle à ce projet. En conséquence, Pie IX, par sa lettre apostolique du 4 mars 1853, décréta l'établissement de cinq diocèses à Utrecht, Harlem, Bois-le-Duc, Bréda et Ruremonde, et érigea ces cinq diocèses en province ecclésiastique sous l'autorité de l'archevêque d'Utrecht[96]. Mais cet acte du souverain pontife souleva tout à coup trois partis contre lui : le parti dit orthodoxe, étroitement attaché au calvinisme, et qui ne désirait rien de moins que le retour à la législation de l'ancien régime, au protestantisme religion d'Etat ; le parti dit conservateur, qui, sans aller jusqu'à une pareille prétention, craignait de voir disparaître son influence et ses privilèges ; et enfin le parti des sociétés secrètes, lesquelles, en Hollande tout spécialement, avaient presque toutes partie liée avec l'hérésie protestante. Une agitation pareille à celle qu'avait suscitée en Angleterre, trois ans plus tôt, un acte semblable de Pie IX, bouleversa le pays. Mais ces violences mêmes en compromirent le succès. Plusieurs journaux protestants s'en indignèrent, et contribuèrent à ramener la paix religieuse dans les Pays-Bas.

Le 29 août 1853, Pie IX compléta l'organisation de la hiérarchie catholique en Hollande, en excommuniant l'évêque janséniste Herman Heykamp, qui avait usurpé la juridiction du diocèse d'Utrecht, et en exhortant paternellement les schismatiques à rentrer au bercail de l'Eglise romaine[97].

La Belgique, qui s'était donné une Constitution libérale en 1830, n'eut pas à la modifier en 1848. La tentative d'une bande d'insurgés, accourue de France pour y révolutionner le pays, eut pour résultat de l'attacher davantage à son roi Léopold Ier. Les événements de 1848 eurent donc peu d'effets sur la situation de l'Eglise de Belgique. Les difficultés qu'elle rencontra, de 1847 à 1855, lui vinrent d'une autre cause, tenant exclusivement à la politique intérieure du pays.

Nous avons vu que les libéraux et les catholiques s'étaient unis, en 1830, pour la conquête de l'indépendance de la nation. Cette union, déclarée provisoire dès le début, n'avait pas survécu au triomphe de la cause nationale. Les catholiques, prenant pour programme la liberté de l'Eglise, et les libéraux adoptant pour mot d'ordre l'indépendance du pouvoir civil, s'étaient trouvés aux prises ; et bientôt s'étaient formés deux partis bien tranchés, qui, comme les whigs et les tories de l'Angleterre, devaient, jusqu'à nos jours, par une sorte de jeu de bascule, se disputer le pouvoir. Or, en 1847, un ministère libéral venait de remplacer un ministère catholique. Jusqu'à sa chute en 1855, il témoigna, par diverses mesures, de sa méfiance envers l'action de l'Eglise. Le 20 mai 1850, dans une allocution consistoriale, Pie IX crut devoir manifester publiquement sa douleur à la vue des périls qui menaçaient la religion en Belgique. La presse catholique, organisée sous la direction des évêques, soutint avec vigueur la cause de l'Eglise. En juin 1851, le souverain pontife récompensa par des distinctions honorifiques le chevalier Stas, directeur du Journal de Bruxelles, le P. Kersten, fondateur du Journal historique et littéraire de Liège, et le baron de Gerlache, connu par plusieurs publications entreprises pour la cause de la liberté religieuse.

Politiquement isolée de l'Europe depuis la chute des Bourbons, l'Espagne, sous les coups des événements de 1848, courait le risque de tomber au pouvoir des factions. Mais le gouvernement avait alors pour chef un général énergique, Narvaez, dont la main ferme sut, à l'intérieur, contenir tous les partis sans porter atteinte aux libertés publiques. A l'extérieur, il profita de l'occasion qui s'offrit à lui de renouer les rapports de l'Espagne avec la diplomatie européenne en contribuant, par l'envoi d'un contingent de troupes, au rétablissement de l'autorité du pape dans les Etats pontificaux[98]. Pie IX, dans son allocution du 20 mai 1850, donna des éloges à l'Espagne et exprima sa reconnaissance au gouvernement d'Isabelle II. L'heure était venue de reprendre, avec plus de chances de succès, des négociations entamées dès le mois de janvier 1845 entre la cour de Rome et la cour de Madrid en vue d'un concordat, et qui avaient été malheureusement interrompues. Le 16 mars 1851, une convention en quarante-six articles fut conclue à Madrid entre le nonce Brunelli et le ministre Manuel Bertran de Lis. Cette convention garantissait le maintien de la religion catholique comme religion de l'Etat, l'inviolabilité des droits des évêques, la capacité pour l'Eglise d'acquérir et le rétablissement des séminaires. En échange, le pape consentait à l'abolition des juridictions ecclésiastiques, à une nouvelle circonscription des diocèses, au maintien des anciens droits de nomination des monarques espagnols, et s'engageait à ne plus élever de réclamations à propos des biens d'Eglise déjà vendus. Ce concordat fut approuvé par les Cortés, puis ratifié, le 5 septembre 1851, par Pie IX, qui, par une circulaire du 17 mai 1852, exhorta les évêques espagnols à profiter des nouvelles dispositions concordataires pour réunir des conciles provinciaux et diocésains, pour foncier des séminaires et pour défendre avec courage la liberté de l'Église.

Malheureusement, le concordat de 1851 ne put pas longtemps être appliqué. La révolution de 1854 ramena la persécution religieuse. Dans le consistoire du 26 juillet 1855, Pie IX fut contraint d'élever de nouveau la voix contre la vente des biens d'Eglise, l'ingérence du gouvernement dans l'administration des diocèses et autres abus flagrants. Il fallut attendre l'année 1859 pour conclure un nouveau concordat, lequel ne fut pas non plus pleinement exécuté.

Pendant cette période, deux hommes remarquables, un prêtre, Jacques Balmès, et un laïque, Donoso-Cortès, marquis de Valdegamas, honorèrent particulièrement l'Eglise d'Espagne.

Jacques Balmès, né à Vieil, en Catalogue, le 28 août 1810, et mort, dans sa trente-neuvième année, le 9 juillet 1848, est à la fois un philosophe, un historien, un moraliste social et un écrivain politique. Soit que dans sa Philosophie fondamentale il combatte à la fois l'éclectisme de Cousin et le panthéisme germanique, en essayant d'adapter aux besoins du XIXe siècle la doctrine de saint Thomas[99] ; soit que, dans son Protestantisme comparé au catholicisme, il rectifie les idées de Guizot sur le mouvement général de l'humanité, en revendiquant pour le catholicisme la grande part qui lui appartient dans la formation de la civilisation moderne ; soit que, dans ses écrits d'économie sociale, il travaille à se frayer une voie sûre entre les utopies du socialisme et les impitoyables axiomes des économistes libéraux, ou que, dans le domaine de la politique, il s'efforce de préparer l'avenir sans rejeter en bloc les legs du passé : partout il apporte dans ses doctrines un esprit ouvert, pénétrant, et souvent très profond. Ses tendances le rapprochent de l'école qui reconnaît pour chefs en France Ozanam, Lacordaire et Montalembert[100]. Donoso-Cortès, marquis de Valdegamas, né le 9 mai 1809, au château de Valdegamas, dans l'Estramadure, et mort à Paris le 3 mai 1853, aborde, comme Balmès, les questions philosophiques, historiques, sociales et politiques ; mais il les considère à un point de vue qui le rapproche plutôt de son grand ami Louis Veuillot. Balmès admire dans la civilisation moderne cette admirable conscience publique que le catholicisme a lentement formée et dont bénéficient ceux-là même qui insultent l'Eglise[101] ; Donoso-Cortès professe qu'entre la civilisation moderne et le christianisme il y a un abîme insondable, un antagonisme absolu[102]. Balmès considère sans peur et même avec une véritable satisfaction cet esprit de liberté qui envahit le monde civilisé et pénètre de tous côtés comme un fleuve débordé[103] ; Donoso-Cortès, dans un discours célèbre, s'écrie : La question n'est plus entre la liberté et la dictature ; elle se trouve posée entre deux sortes de dictature : celle de l'insurrection et celle du gouvernement. A une dictature qui vient d'en bas, je préfère une dictature qui vient d'en haut ; puisqu'il faut opter entre la dictature du poignard et la dictature du sabre, mon choix est fait : je choisis celle du sabre[104].

Presque partout, d'ailleurs, en France, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, de pareilles divergences d'opinions s'accusent. Les révolutions de 1848 ont posé de redoutables problèmes, que les penseurs cherchent à résoudre, les uns en penchant vers la liberté, les autres en inclinant vers l'autorité. Ces divergences amèneront, entre catholiques, de longs conflits, qui seront le principal objet des préoccupations de Pie IX pendant la seconde partie de son pontificat.

 

 

 



[1] P. DE LA GORGE, les Origines de l'unité italienne, dans le Correspondant du 10 novembre 1893, t. CLXXIII, p. 441.

[2] P. DE LA GORGE, Correspondant du 10 novembre 1893, p. 441.

[3] P. DE LA GORGE, Correspondant du 10 novembre 1893, p. 442.

[4] P. DE LA GORGE, Correspondant du 10 novembre 1893, p. 441.

[5] MASSIMO D'AZEGLIO, Lettere inedite, p. 63.

[6] BASTIDE, la République française et l'Italie, p. 123.

[7] LUBIENSKI, Guerres et révolutions d'Italie, p. 46.

[8] METTERNICH, Mémoires, t. IX, p. 267.

[9] VAN DUERM, Vicissitudes..., p. 253.

[10] LUBIENSKI, Guerres et révolutions d'Italie, p. 46.

[11] Pii IX acta, Rome, 1858, pars prima, vol. II, p. 140-141.

[12] Massimo D'AZEGLIO, Lettere inedite, p. 53. — Mazzini écrivait, à la même époque, dans un appel au clergé : Prêtres italiens, écoutez-nous... Nous pourrions vaincre sans vous, mais nous ne le voulons pas (Cité dans l'Ami de la religion du 17 mars 1850, p. 442).

[13] Après le départ du comte Siccardi, le Saint-Père députa à Turin Mgr Charvaz, archevêque de Sébaste, pour expliquer au roi le motif de son refus. Le roi dans sa réponse, du 25 janvier, lui promit sa protection pour les deux prélats de Turin et d'Asti, et déclara que les négociations entreprises pour le concordat seraient reprises en temps opportun. Un mois plus tard, il prétendait trancher lui-même la question par un acte unilatéral, sous prétexte que le pape avait refusé obstinément un nouveau concordat. L'histoire de toutes ces négociations, appuyée sur les documents diplomatiques, a été publiée dans un mémoire qui se trouve inséré à la suite de l'allocution pontificale du 22 janvier 1855, dans les Acta Pii IX, pars prima, t. II, p. 9 et s. Ce mémoire est une source historique du plus grand intérêt.

[14] Voir le texte complet dans l'Ami de la religion du 15 avril 1850, p. 200-201.

[15] Dans son manifeste Aux prêtres italiens, Mazzini avait mis en demeure le clergé de choisir entre l'esprit de la papauté et l'esprit moderne, en lequel il feignait de voir l'esprit de l'Evangile. Entre l'Esprit de l'Evangile et la parole des papes, disait-il, êtes-vous vraiment, décidément résolus à opter ? (Ami de la religion du 17 mars 1850, p. 442).

[16] Voir les récits faits par le Risorgimento du 9 avril 1850 et par le journal officiel du gouvernement de Turin à la même date (Ami de la religion, t. CXLVII, p. 201).

[17] L'acte de protestation, adressé par le cardinal Antouelli au marquis de Spinola, chargé des affaires du Saint-Siège à Turin, est du 9 février 1850. Voir CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 91-92.

[18] Ami de la religion, t. CXLVI, p. 485, 603.

[19] P. DE LA GORCE, les Origines de l'Unité italienne, dans le Correspondant du 10 novembre 1893, p. 456-457.

[20] On s'est demandé si le célèbre homme d'Etat a été franc-maçon et si la franc-maçonnerie a joué un rôle dans la formation de l'unité italienne. On a souvent affirmé, sur la foi de CANTU (Hérétiques d'Italie, trad. Digard, t. V, p. 442) et de BALAN (Storia d'Italia, t. X, p. 394), que Cavour avait été grand-maître de la franc-maçonnerie. Les études publiées dans le Corriere della Sera du 30 octobre et du 7 novembre 1913 par Alessandro LUZIO, directeur des Archives publiques de Mantoue, semblent détruire cette légende. Si le grand artisan de l'unité italienne avait obtenu ce haut grade, les francs-maçons s'en seraient glorifiés depuis. Cavour lui-même n'aurait pas dépensé tant d'ardeur à soutenir la Société nationale, organisme assez nouveau, s'il avait pu disposer de la puissante association. D'ailleurs Cavour, qui espérait bien mourir dans le sein de l'Eglise catholique et qui s'était assuré depuis longtemps les secours spirituels du P. Giacomo, ne paraissait pas être dans des dispositions favorables à la franc-maçonnerie. Quant à la secte elle-même, il est prouvé que, de 1848 à 1860, elle ne donna pas signe de vie en Italie, ou du moins n'y exerça qu'une action très intermittente et très faible. Voir, sur ce point, les articles d'Alexandre Luzio, traduits en français dans la Revue internationale des sociétés secrètes du 20 décembre 1913, surtout p. 4905.

[21] J'ai entendu plusieurs de mes collègues, écrit Cantù, se vanter d'avoir suggéré cette formule à Cavour ; mais Cavour lui-même n'en revendiquait pas la paternité ; il dit, au contraire, qu'un écrivain illustre, dans un moment lucide, avait voulu, au moyen de cette formule, démontrer à l'Europe que la liberté avait puissamment contribué au réveil de l'esprit religieux (Actes officiels de 1860, p. 594). Il est de fait que le comte de Montalembert se plaignait que cette formule lui eût été dérobée et mise en circulation par un grand coupable (Correspondant, août 1863). On sait le jugement que d'Azeglio portait sur cette formule, et il a été démontré, par la session de juillet 1867, quel cas en faisaient les députés... Comme toutes les formules vagues, celle-ci n'a d'autre sens que celui qu'on lui donne... Elle va fort bien à ceux qui aiment à créer des situations équivoques pour en profiter (CANTU, les Hérétiques d'Italie, t. V. p. 285-286). Cf. Charles BENOIST, la Formule de Cavour : l'Eglise libre dans l'Etat libre, dans la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1905.

[22] La chapelle des Sacramentines et l'église de la Consolato, à Turin. Deux statues y marquèrent plus tard la place où les pieuses reines venaient s'agenouiller.

[23] Voir le texte de la loi dans l'Ami de la religion du 7 juin 1855, t. CLXVIII, p. 563-567.

[24] Notamment dans les séances des 22 août s849, 15 février 1850, 10 janvier 1853, etc.

[25] Citées par DUPANLOUP, la Souveraineté pontificale, ch. XVI, p. 309-310.

[26] Voir Ami de la religion, t. CLXIII, p. 420, 440, 693 ; t. CLXIV, p. 32, 445, 467, 786 ; t. CLXV, p. 1, 93, 637 ; t. CLXVI, p. 33, 169, 191, 249, 665, 703, 746.

[27] DUPANLOUP, la Souveraineté pontificale, p. 312.

[28] Notamment le 19 septembre 5852, par une lettre adressée au roi du Piémont.

[29] LAMARTINE, Harmonies poétiques, commentaire de l'Hymne au Christ.

[30] Lettre à Antoine de Latour.

[31] Histoire générale, t. XI, p. 109-115.

[32] HERGENRÖTHER, Hist. de l'Eglise, t. VII, p. 335.

[33] Depuis cinquante ans, a écrit Metternich lui-même, la situation morale de l'Autriche est celle-ci : elle est engagée dans une guerre secrète contre l'Eglise, tandis qu'elle se trouve en état de guerre ouverte contre la Révolution. METTERNICH, Mémoires, t. VII, p. 34.

[34] WOLFSGRUBER, Joseph Othmar, cardinal Rauscher..., Fribourg, Herder, 1898, p. 98.

[35] Voir René PINON, François-Joseph dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1917 ; Henry WICKAM, la Monarchie des Habsbourg, trad. F. Roz, Paris, 1914, et Louis EISENMANN, le Compromis austro-hongrois, Paris, 1904.

[36] Au lendemain de la mort de François-Joseph, les journaux ont annoncé qu'il laissait par testament un million à une ancienne actrice, Mlle Catherine Schratt.

[37] Louis EISENMANN, dans l'Hist. générale de LAVISSE et RAMBAUD, t. XI, p. 128.

[38] La langue allemande devint la langue officielle de l'empire.

[39] Voir le texte de ce concordat dans l'Ami de la Religion du 29 novembre 1855, t. CLXX, p. 424-431.

[40] R. PINON, François-Joseph dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1917, p. 63. Le concordat autrichien, composé de 36 articles, fut promulgué en consistoire par Pie IX le 3 novembre 1855, et par l'empereur d'Autriche le 5 du même mois. Pie IX, voulant tirer de ce concordat tout le bien possible, crut devoir adresser aux évêques de l'empire d'Autriche un bref, daté du 17 mars 1856, où, louant le zèle et la prudence des vénérables prélats, il les presse de mettre à profit les moyens que leur fournit la nouvelle législation pour préserver leurs diocésains des funestes doctrines du rationalisme et de l'indifférence. Mais la législation concordataire, après avoir été mal observée, fut d'abord en partie violée par des lois sur le mariage et sur les écoles, puis brutalement abrogée par les pouvoirs publics. (A. POUGEOIS, Histoire de Pie IX, t. IV, Paris, 1880, p. 62.)

[41] Ami de la Religion du 6 juin 1848, p. 661.

[42] G. GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. III, p. 18-19.

[43] Briefe Bismarcks an Leop. v. Gerlach, p. 121-124.

[44] G. GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. III, p. 14.

[45] Une lettre de l'impératrice Marie-Thérèse à sa fille, la reine de France, en 1778, et citée en 1868 dans un procès de presse fait à Darmstadt au journal Hessische Volksblaetter, ferait même remonter ce projet de dictature prussienne sur toute l'Allemagne à Frédéric II, le chef et propagateur des loges maçonniques en Allemagne, le grand correspondant des maçons de France : Tout le monde sait en Europe jusqu'à quel point on peut compter sur le roi de Prusse et quel cas on doit faire de sa parole. La France a pu s'en apercevoir dans diverses circonstances. Et voilà cependant le souverain qui a la prétention de s'ériger en protecteur et en dictateur de l'Allemagne. Ce qui est plus extraordinaire encore, c'est que les puissances ne songent pas à s'unir pour prévenir un tel malheur, dont toutes, tôt ou tard, auront à subir les conséquences funestes. Ce que je viens d'avancer concerne toutes les puissances de l'Europe L'avenir ne m'apparait pas sous un jour riant... Si l'on continue à laisser gagner du terrain à ce principe prussien, qu'auront à espérer ceux qui nous succéderont un jour ? (Cité par DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, t. II, p. 398.)

[46] Mémoires du général Lamarque, Paris, 1835, t. II, p. 4.

[47] DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, t. II, p. 400.

[48] On trouvera l'article entier du Globe dans ECKERT, la Franc-maçonnerie dans sa véritable signification, trad. Gyr, Liège, 1854, t. II, p. 246-247, et dans DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, t. II, p. 313-314.

[49] KETTELER, l'Allemagne après la guerre de 1866, trad. Belet, p. 36 et s.

[50] Au début de son règne, Napoléon III donnera satisfaction au parti conservateur eu faisant respecter la religion, la propriété et l'ordre public, tandis que sa politique extérieure sera contraire aux intérêts religieux et toujours inspirée par le sentiment qui lui avait fait signer en 1845, un projet d'unification de l'Allemagne. (Voir le document dans DESCHAMPS, op. cit., t. II, p. 401-402.) Mais la politique de l'empereur français sera moins suivie en ce sens ; elle aura d'heureux retours en arrière ; elle ne peut entrer en parallèle avec celle du roi prussien.

[51] Des hommes comme Ketteler et Diepenbrock espéraient encore en 1852 une intervention du roi de Prusse en faveur des catholiques de Bade, PFUELF, Ketteler, t. I, p. 252, note 1 ; GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. IV, p. 28.

[52] Cité par GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. III, p. 18.

[53] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. III, p. 24-25.

[54] Ernest DENIS, la Fondation de l'empire allemand, p. 132-133.

[55] GUILLAND, l'Allemagne nouvelle et ses historiens, Paris, 1900, p. 159.

[56] Ernest DENIS, Histoire générale, t. XI, p. 318.

[57] Civiltà Caltolica, 1-15 décembre 1851, p 707-709.

[58] G. GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. IV, t. III, p. 180-195.

[59] Cité par la Civiltà Caltolica, 11 août-1er septembre 1851.

[60] En 1843, la Société Gustave-Adolphe s'était fondée pour soutenir en terre catholique les petites chrétientés protestantes. Le roi de Prusse en avait accepté le protectorat.

[61] PASTOR, Reichensperger, t. I, p. 337-338, 356.

[62] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. IV, t. III, p. 246-248.

[63] C'est ainsi que la Chambre ayant manifesté son mécontentement de la politique royale par le refus du budget, Bismarck passa outre, et gouverna contre la majorité, déclarant hardiment que la Constitution n'avait pas prévu le cas où le parlement refuserait l'Etat les ressources nécessaires.

[64] BISMARCK, p. 129.

[65] BISMARCK, p. 125.

[66] Sur l'organisation du protestantisme allemand pendant le règne de Frédéric-Guillaume IV, voir HERGENRÖTHER, Hist. de l'Eglise, t. VIII, p. 66-73.

[67] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. IV, t. III, p. 255 et s.

[68] Au moment où Manteuffel faisait les avances dont nous venons de parler, Bismarck, au nom de la Prusse, dissuadait le grand-duc de Bade de s'entendre avec Rome pour une pacification religieuse.

[69] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. IV, t. III, p. 272.

[70] LIONNET, Un évêque social, Ketteler, un vol. in-12, Paris, 1905, p. 25.

[71] Voir ces discours dans DECURTINS, Œuvres choisies de Mgr Ketteler, Bâle, 1892 ; LIONNET, Un évêque social, Ketteler, p. 28-39, en donne le résumé.

[72] Voir dans GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. IV, t. IV, p. 11-12, comment Pie IX, passant outre aux volontés du chapitre de Mayence et de la cour de Hesse Darmstadt, désigna Ketteler. Cf. LIONNET, Un évêque social, Ketteler, p. 43-44.

[73] GOYAU, IV, 38.

[74] GOYAU, IV, 45.

[75] FRIEDRICH, Dœllinger, t. III, p. 135. Cf. Ami de la Religion, 1er décembre 1853, p. 521-523 ; Correspondant, 25 décembre 1853, p. 442 ; MONTALEMBERT, Œuvres, t. V, p. 239-241.

[76] Dans le récit des persécutions de l'Eglise en Allemagne, nous nous sommes beaucoup aidés, le lecteur a pu s'en apercevoir, de l'excellent ouvrage de M. Georges GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, Nous aurons souvent recours à ce même ouvrage en reprenant, plus bas, le récit des luttes religieuses en Allemagne.

[77] MONTALEMBERT, Œuvres, t. II, p. 682.

[78] MONTALEMBERT, Œuvres, t. II, p. 683-686. Ce discours de Montalembert est regardé comme un de ses plus beaux chefs d'œuvre oratoires.

[79] Voir le texte intégral du concordat dans l'Ami de la Religion du 10 septembre 1848, p. 722-723.

[80] Ami de la Religion du 10 septembre 1848, p. 722.

[81] Ami de la Religion du 1er octobre 1848, p. 1.

[82] Ami de la Religion du 6 octobre 1848, p. 50-52.

[83] Ami de la Religion du 7 novembre 1848, p. 366-368.

[84] SAINT-RENÉ TAILLANDIER, dans la Revue des Deux Mondes du 15 janvier 1864.

[85] SAINTE-BEUVE, Portraits contemporains, t. II, p. 11.

[86] A. VINET, Essais de philosophie morale et religieuse, p. 313.

[87] Les deux principaux ouvrages qui assignent à Dalgairns une place honorable parmi les auteurs spirituels, sont : La Dévotion au Sacré Cœur de Jésus, trad. franç. par Poulide, un vol. in-12, 2e édition, Paris, 1868, et la Sainte communion, trad. française de Godard, 2 vol. in-12, Paris, 1863.

[88] Le bref pontifical fixa à Birmingham le siège de la Congrégation. Plus tard une seconde maison fut fondée à Londres, d'abord sous la dépendance de celle de Birmingham, puis indépendante.

[89] Wilfrid WARD, le cardinal Wiseman, trad. Cardon, 2 vol. in-12, Paris, 1900, t. I, p. 510.

[90] Sur ces incidents, voir Wilfrid WARD, le cardinal Wiseman, t. I, p. 546 et s.

[91] Wilfrid WARD, le cardinal Wiseman, t. I, p. 569.

[92] En 1845, Newman, devenu son ami, lui ayant fait part de son abjuration, Manning lui en témoigna sa peine, ne lui cachant pas qu'à ses yeux, cette défection était un péché, ou, comme il disait ailleurs, une chute (Life of Manning, t. I, p. 309).

[93] Sur le procès Gorham, voir HEMMER, Vie du cardinal Manning, un vol. in-8°, Paris, 1898, p. 66-67.

[94] MADAURE, Hist. de la renaissance du catholicisme en Angleterre au XIXe siècle, un vol, in-8°, Paris, 1896, p. 470.

[95] Sur l'histoire du puseyisme, voir THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre au XIXe siècle, t. II, p. 37-555, 229-261.

[96] Voir cette Lettre apostolique dans CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 128-132.

[97] CHANTREL, Annales ecclésiastiques, p. 151-152. La bulle pontificale, adressée à tous les catholiques de hollande, expose la situation du schisme janséniste aux Pays-Bas.

[98] Dès le 21 décembre 1848, le gouvernement espagnol, par une note diplomatique, avait invité les Etats catholiques à délibérer sur les mesures à prendre pour garantir l'autorité du pape contre les menées révolutionnaires. Voir cette lettre dans CHANTREL, Annales, p. 62.

[99] Lui-même a écrit, au sujet de sa Philosophie fondamentale : Ceci n'est que la philosophie de saint Thomas appropriée aux besoins du XIXe siècle (A. DE BLANCHE-RAFFIN, Balmès, sa vie et ses ouvrages, un vol. in-8°, Paris, 1849, p. 299).

[100] Cf. A. LUGAN, Balmès, un vol. in-12, Paris, 1911.

[101] BALMÈS, le Protestantisme comparé au catholicisme, chap. XX.

[102] DONOSO-CORTÈS, Œuvres, trois vol. in-8°, Paris, 1862, t. I, p. 340.

[103] BALMÈS, Pie IX. Cf. P. CASANOVAS, S. J., Apologetica de Balmès, p. 305-310 ; LUGAN, Balmès, p. 105-106.

[104] DONOSO-CORTÈS, Œuvres, t. I, p. 337. Sur Donoso-Cortès, voir l'introduction à ses Œuvres par Louis VEUILLOT, t. I, p. 1-64, et MONTALEMBERT, Donoso-Cortès, dans le Correspondant du 25 août 1853,