HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

CHAPITRE VIII. — PIE IX ET LES ÉTATS PONTIFICAUX (1846-1849).

 

 

Grégoire XVI, élu au lendemain d'une grande commotion européenne, était mort au moment où un nouveau cataclysme, plus profond et plus violent, se préparait. La révolution de 1830 avait fait triompher le parlementarisme, donné la prépondérance aux classes bourgeoises, et semblait avoir trouvé sa fin dans de simples remaniements politiques ; la révolution de 1848 devait intéresser directement les classes populaires, et tendre à une complète réorganisation sociale. Depuis quelque temps, en effet, une fermentation sourde, ne se manifestant par aucun fait précis, par aucune formule bien définie, mais très perceptible dans sa signification générale, agitait la France, l'Allemagne, la Belgique, et surtout l'Italie. Or, chose étrange, les catholiques de toutes nuances, que la chute des Bourbons avait épouvantés, considéraient avec une visible sérénité la perspective d'un avenir qui ferait plus de place aux peuples qu'aux rois, et inaugurerait une ère de plus grande liberté politique. Quelques jours après la mort de Grégoire XVI, le Correspondant écrivait[1] : Il est plus important aujourd'hui de s'entendre avec les peuples qu'avec les princes. Dans le numéro du 10 juin 1846 de l'Univers, Louis Veuillot disait[2] : Le pontife dont nous pleurons en ce moment la perte sera plus illustre encore par les grandes choses préparées sous son règne que par celles qu'il a faites... La postérité reconnaissante fera remonter jusqu'à lui le triomphe désormais certain de la liberté catholique. L'organe des légitimistes lui-même, la Quotidienne, faisait des vœux afin que la souveraineté clémente et pacifique du Saint-Siège subsistât longtemps pour l'ordre du monde et pour la liberté des peuples[3]. Nulle part les aspirations libérales ne s'étaient plus audacieusement affirmées qu'en Italie, où le Primato de l'abbé Gioberti, les Speranze d'Italia du comte Balbo et les Casi di Romagna du marquis d'Azeglio avaient montré l'idéal d'une confédération italienne dont le pape, devenu libéral et patriote, serait la tête, et le roi de Piémont le bras ; et, au moment de partir pour le conclave, un membre du Sacré-Collège, le cardinal Mastaï-Ferretti, évêque d'Imola, avait prié un de ses diocésains de lui donner ces trois ouvrages, pour faire hommage, disait-il, de ces beaux livres au nouveau pape[4].

 

I

Dans les masses populaires l'effervescence libérale gardait moins de mesure. Ce fut pour l'empêcher d'aller à des excès, ce fut aussi pour empêcher la pression des grandes puissances de s'exercer sur la prochaine élection, que les cardinaux italiens s'empressèrent de fixer la réunion du conclave au dimanche 14 juin, sans attendre l'arrivée de leurs collègues étrangers. A en croire certaines rumeurs, qui n'étaient peut-être que l'expression de certains désirs, le conclave devait être long. Une lutte ardente allait s'engager, disait-on, entre le cardinal Lambruschini, représenté, à tort ou à raison, comme le candidat du parti absolutiste, et le cardinal Gizzi, que soutiendrait le parti libéral ou modéré[5]. D'autres prétendaient que le conflit qui diviserait le Sacré-Collège s'élèverait entre ce qu'on appelait le parti génois, dirigé par Lambruschini, et le parti romain, qui suivait les inspirations de Bernetti[6]. Ces débats permettraient, espérait-on, aux agitations révolutionnaires de se produire dans l'Etat romain, et aux puissances d'intervenir pour peser sur les votes des cardinaux. Aucune de ces hypothèses ne se réalisa. Après avoir, dans un premier scrutin, donné dix-sept voix[7] au dernier secrétaire d'Etat de Grégoire XVI, comme un témoignage de déférence et d'estime, les cardinaux, dans trois autres scrutins, concentrèrent de plus en plus leurs suffrages sur le cardinal Mastaï-Ferretti, dont le nom, proposé par le cardinal Altieri, évêque d'Albano, avait aussitôt rallié un grand nombre de voix. Le conclave avait duré deux jours seulement.

Le nouveau pape, qui, en souvenir de Pie VII, son prédécesseur sur le siège d'Imola, déclara prendre le nom de Pie IX, était à peine âgé de 54 ans. Jean-Marie Mastaï-Ferretti, de la famille des comtes Mastaï, était né à Sinigaglia, dans la Marche d'Ancône, le 13 mai 1792. Quelque lien de parenté lointaine le rattachait au pape Pie VII, mais on ne l'avait jamais vu mêlé aux grandes affaires de la politique. Le peuple de Rome ne le connaissait pas ; et son nom, proclamé par le cardinal diacre, le 17 juin, du haut du balcon du Quirinal, n'éveilla d'abord dans la foule que l'étonnement[8]. Mais lorsque le nouveau pontife apparut à son tour pour donner sa première bénédiction à son peuple de Rome et au monde, urbi et orbi, la douce et majestueuse beauté de sa physionomie, la puissance harmonieuse de sa voix, une impression de bonté émanant de toute sa personne, lui valurent aussitôt les acclamations chaleureuses de tous. Le peuple sut bientôt que cette instinctive sympathie ne l'avait pas trompé. On se raconta la vie du nouveau pape : son enfance pieuse auprès d'une sainte mère ; son premier élan vers la vie ecclésiastique, entravé par une terrible maladie, l'épilepsie ; sa promotion au sacerdoce à l'âge de trente et un ans ; son premier ministère dans un humble refuge d'enfants pauvres, bien connu à Rome sous le nom de Tata Giovanni (père Jean) ; la mission lointaine qui lui avait été confiée en 1823, par le pape Léon XII, dans le Nouveau Monde, pour régler, avec les républiques qui venaient de secouer le joug de l'Espagne, les nouveaux rapports du clergé et de l'Etat ; sa courte et bienfaisante administration du grand hospice Saint-Michel de Rome ; son épiscopat à Spolète, au milieu des troubles politiques de 1831 et 1832, où sa bonté et sa charité avaient désarmé quatre mille insurgés prêta à piller la ville ; puis enfin ses multiples œuvres d'assistance dans l'évêché plus important d'Imola. Lei catholiques fervents se réjouissaient de l'avènement d'un pape dont l'âme était pleine de la plus pure charité évangélique ; et les révolutionnaires eux-mêmes, à une époque et dans un pays où l'idée de révolution, pleine d'équivoques, se couvrait d'une teinte religieuse et chrétienne, ne se défendaient pas d'acclamer un pape qui jadis avait accueilli leurs frères de Spolète avec des paroles de bonté et de paix. Quelques-uns ajoutaient que, par les traditions de sa famille et par ses sentiments personnels, Pie IX n'était point hostile aux tendances libérales ; qu'un de ses frères s'était trouvé compromis dans les insurrections de 1831[9] ; que, tout au moins, il n'était ni moine ni étranger, et que, né sur le territoire qu'il allait gouverner, il saurait prendre en main la cause de l'indépendance nationale[10]. Le résultat de toutes ces impressions, de tous ces souvenirs, de tous ces raisonnements, fut un enthousiasme général. Rien peut-être, écrit Louis Veuillot[11], n'égala jamais l'hosanna des premiers jours de ce règne. Le monde eut comme un éblouissement de tendresse.

Ce qui paraît incontestable, c'est que le nouveau pape, sans avoir jamais fait jusque-là œuvre politique, se rattachait nettement, par ses personnelles sympathies autant que par ses antécédents de famille, à ce qu'on appelait alors l'école nationale. Entre l'école révolutionnaire, qui, pour arriver à son but, l'affranchissement de l'Italie, était décidée à passer sur toutes les lois et sur tous les devoirs, à sacrifier le pouvoir temporel des papes et à réaliser l'unification de l'Italie par la démocratie, et l'école conservatrice, baptisée du surnom d'allemande ou tedesca, qui cherchait le mot d'ordre en Autriche, se prononçait pour le statu quo de tout ce qui avait été réglé par les traités de Vienne, et se flattait d'arrêter tout mouvement contraire par la force des armes, une troisième école s'était formée en Italie, dont les racines étaient profondes parmi le peuple. On l'appelait généralement l'école nationale. Elle prétendait rejeter la tutelle des étrangers et réclamer l'autonomie de l'Italie, en respectant les droits de l'Eglise, et sans entraver en rien l'exercice des pouvoirs établis. Autant, dit un historien, Pie IX s'écartait de l'école révolutionnaire, autant l'éducation qu'il avait reçue et ses aspirations personnelles le rapprochaient de l'école nationale. Il était vraiment Italien et patriote dans la bonne acception de ce mot... Il n'ignorait pas d'ailleurs qu'une opposition aveugle aux tendances d'une époque constitue presque toujours, pour celui qui gouverne, un danger réel et peut amener des catastrophes. Avant donc que les vœux de ses sujets ne devinssent des exigences, Pie IX se résolut à faire à temps des concessions volontaires au progrès matériel, à l'exercice de la liberté politique, à l'association plus directe et plus intime du peuple au gouvernement de l'Etat[12].

Grégoire XVI, nous l'avons vu, avait réalisé, dans l'ordre administratif, judiciaire et financier, comme dans l'ordre artistique et scientifique, des réformes notables. Mais, dans son esprit, ces réformes n'étaient que les préludes d'améliorations plus importantes ; et, dans l'opinion publique, elles avaient avivé le désir de nouvelles modifications, telles qu'une représentation plus large de l'élément laïque dans le gouvernement temporel, l'établissement à Rome d'une assemblée consultative élue par les provinces et le perfectionnement des voies ferrées. Ce dernier bienfait et l'amnistie des quinze cents proscrits que les tribunaux du règne précédent avaient condamnés pour rébellion, étaient impatiemment attendus du nouveau pape[13].

Pie IX résolut de répondre à ces vœux populaires dans la plus large mesure. Etait-ce calcul politique de sa part ? Avait-il pour but de ramener à la cause du Saint-Siège l'opinion publique égarée par des calomnies, et d'obliger, en même temps, à se démasquer, les sectaires qui, sous prétexte de réclamer contre des abus, attaquaient l'institution elle-même du pouvoir temporel ? Etait-ce impulsion d'un cœur généreux ? Etait-ce illusion d'un esprit que l'expérience des hommes et des choses n'avait pas encore suffisamment éclairé ?

Il est possible que ces trois mobiles aient simultanément agi sur l'âme très noble et très élevée de Pie IX. Le jour même de son élévation au pontificat, au milieu des ovations dont il était l'objet, il conçut l'idée de promulguer une large amnistie, pour rendre à leurs familles tous les exilés politiques et, dès ce jour, il accorda leur grâce à tous les proscrits qui la lui demandèrent. Un mois après, le 17 juillet 1846, un décret, mûrement étudié, rendit la liberté à tous les condamnés et accusés politiques, sous la seule condition de reconnaître l'autorité du pape et de s'engager d'honneur à se conduire en loyaux sujets de l'Etat pontifical[14].

Le décret d'amnistie fut accueilli, à Rome et dans les provinces, par des acclamations, des fêtes populaires, qui témoignèrent de la joie universelle. Les amnistiés ajoutèrent aux engagements d'honneur qui leur étaient demandés des formules hyperboliques de serments, jurant, sur la tête de leurs enfants, fidélité jusqu'à la mort, s'engageant à répandre pour le pape jusqu'à la dernière goutte de leur sang. De pareilles démonstrations encouragèrent Pie IX à persévérer dans sa politique de clémence et de concessions. Il crut le bien possible, a écrit à ce propos Louis Veuillot[15], et il s'y obstina. Il crut à la liberté, et il lui tendit les bras. Il crut à la reconnaissance, à l'honneur, et il se confia aux serments. Il décida que son palais serait ouvert, le jeudi de chaque semaine, à toute personne qui aurait une grâce à lui demander, un avis à lui proposer. Non seulement il favorisa la tenue, dans ses Etats, des congrès scientifiques, sous le couvert desquels s'étaient cachées naguère les menées des factions ; mais encore il autorisa l'ouverture des cercles dont le but avoué était la politique. Le ter août, il choisit pour secrétaire d'Etat le cardinal Gizzi, qui passait pour être un des chefs du parti libéral. Des commissions furent créées pour l'étude des questions relatives à l'exercice de la justice criminelle et civile, à la fondation d'écoles du soir et du dimanche pour l'instruction de la classe ouvrière, à l'amélioration du service des postes, des douanes et des chemins de fer ; et les travaux de ces commissions aboutirent bientôt à des réformes pratiques, acceptées avec enthousiasme. Les franchises municipales de la ville de Rome furent étendues ; une garde civique fut instituée ; une assemblée de notables, choisis par le pape sur une triple présentation des conseils provinciaux, fut appelée à donner son avis sur toutes les grandes affaires temporelles de l'Etat. Les mesures exceptionnelles auxquelles les juifs avaient été soumis jusque-là, furent abolies. A la voix de Pie IX, les barrières du Ghetto tombèrent ; et la joie fut si grande parmi les Israélites, que plusieurs d'entre eux crurent voir dans le nouveau pontife le Messie attendu[16].

Le bruit de ces réformes traversait les frontières, parvenait au delà de l'Océan. Le journal français le Siècle écrivait Ne semble-t-il pas que, sur les deux rivages de la Manche, la civilisation rétrograde, et que, sur les bords naguère si décriés du Tibre, la dignité, la liberté humaines, relevées par un pouvoir magnanime, seront bientôt mieux fondées que chez nous à revendiquer la jouissance de tous leurs droits ?[17] Au mois d'octobre 1847, un grand meeting, tenu à New-York, votait une adresse à Pie IX. Nous vous offrons, disaient les signataires[18], le témoignage d'une sympathie sans bornes, non point comme catholiques, mais comme fils d'une république et comme amis de la liberté.

En présence de pareilles approbations, quelques historiens se sont demandé si, pendant les deux premières années de son pontificat, Pie IX n'avait point méconnu les limites qui séparent la vraie liberté de la licence et même celles qui séparent le libéralisme politique du libéralisme religieux. Une étude superficielle des actes du pontife peut seule avoir suggéré de pareils doutes. Il résulte des dépêches envoyées, au mois d'août 1846, par l'ambassadeur français de Rome à son gouvernement, que Pie IX, dès le début, s'était fixé, même dans l'ordre de la politique, certaines bornes, au delà desquelles il ne s'aventurerait jamais. Vous savez, disait-il à Rossi, qu'il est des limites que nous ne pouvons pas franchir[19]. Un pape, disait-il encore, ne doit pas se jeter dans les utopies. Croiriez-vous qu'il y a des gens qui parlent même d'une ligue italienne dont le pape serait le chef ? Comme si la chose était possible ! Ce sont là des chimères[20]. Quant au libéralisme proprement religieux, le pape était si loin de l'adopter, que, dans sa première encyclique, datée du 9 novembre 1846, on peut remarquer, en germe, la réprobation des principales erreurs que devaient condamner plus tard l'encyclique Quanta cura, le Syllabus et les deux Constitutions du concile du Vatican. Pie IX y dénonce, en termes des plus énergiques, cet épouvantable système d'indifférence qui ôte toute distinction entre la vertu et le vice, la vérité et l'erreur ; il y démasque ces sectes secrètes, sorties du sein des ténèbres, pour la ruine de la religion et des Etats ; il y flétrit l'exécrable doctrine du communisme, qui ne pourrait s'établir que par la ruine des droits et des vrais intérêts de tous ; il y condamne la théorie du progrès absolu dans l'humanité, qui devient sacrilège quand on veut l'introduire dans la religion catholique, comme si cette religion était l'œuvre des hommes et non l'œuvre de Dieu ; il y proclame enfin l'existence d'une autorité vivante et infaillible dans l'Eglise, que le Seigneur Christ a bâtie sur Pierre, chef, prince et pasteur[21].

 

II

Les sectaires, qui avaient escompté, sinon la complicité inconsciente, du moins le silence timide de Pie IX, pour exécuter leurs desseins, feignirent d'ignorer ces sages restrictions et ces déclarations opportunes. Il fut bientôt évident que les améliorations de l'Etat romain, qu'ils applaudissaient avec frénésie, comptaient peu dans leurs préoccupations. On reconnut bientôt, écrit Guizot[22], et le pape reconnut bientôt lui-même qu'il était en présence d'intérêts et de problèmes bien plus vastes... L'idée de l'unité nationale, monarchique ou républicaine, apparaissait et montait sur l'horizon. A peine entré dans la carrière des réformes romaines, Pie IX voyait s'ouvrir devant lui la perspective des guerres et des révolutions italiennes. Il y avait plus encore. Les sociétés secrètes, profitant de la fausse situation faite au pontife, s'emparèrent de l'espèce d'ivresse qui régnait partout. A Rome et dans les provinces pontificales, les émissaires les plus habiles des Ventes et des- Loges furent mis en campagne. Ils parvinrent à s'insinuer dans toutes réunions et dans toutes les classes de la société. Ils agirent sur le clergé, la noblesse, la bourgeoisie, le petit peuple. Ils créèrent une opinion factice par leurs discours hardis, leurs feuilles quotidiennes, leurs livres, leurs brochures et leurs fêtes populaires[23]. Ils s'ingénièrent, par la voie de la presse, à faire passer Pie IX, par toute l'Europe, pour l'auteur des manœuvres odieuses dont seuls ils étaient les artisans. C'est ainsi qu'ils firent de lui l'adversaire déclaré des jésuites et du Sonderbund, et l'implacable ennemi de l'Autriche[24]. Le parti national libéral affectait aussi de regarder comme un de ses chefs le pape Pie IX, qui avait, disait-on, trouvé du génie dans sa conscience[25].

Les cours de l'Europe s'émurent. L'ambassadeur de France à Rome, Rossi, écrivait à son gouvernement : La popularité du pape est presque entière ; je crains, seulement qu'il n'en abuse, croyant pouvoir s'y endormir comme sur un lit de roses[26]. Et le ministre Guizot lui répondait, en exprimant le vœu que Pie IX sût reconnaître, d'un œil pénétrant, la limite qui sépare, en fait de changement et de progrès, le nécessaire du chimérique, le praticable de l'impossible, le salutaire du périlleux[27]. La cour de Vienne, qui se croyait plus directement menacée, déclarait, Par la plume de Metternich, qu'elle regardait comme étant en révolution tout Etat dans lequel le pouvoir avait, de fait, passé d'entre les mains de l'autorité légale dans celles d'un autre pouvoir ; or elle ne mettait pas en doute que ce déplacement n'eût eu lieu dans l'Etat romain[28].

Ces appréhensions n'étaient pas sans quelques fondements. Si le peuple manifestait au pontife une sincère reconnaissance pour ses bienfaisantes réformes, les sectaires en abusaient. Des amnistiés rentraient en triomphateurs. Des journalistes se servaient des franchises qui venaient de leur être accordées, pour demander à grands cris de chimériques innovations. Les uns et les autres profitaient de la liberté de la rue pour organiser, comme on l'a dit, l'enthousiasme populaire en une émeute permanente, l'émeute des ovations[29]. La sédition, portant des fleurs, écrit Veuillot, se jetait à genoux devant le pontife, et lui demandait, en hurlant, de la bénir[30]. On criait plus fort que jamais : Vive Pie IX ! ; mais en ajoutant : A bas les jésuites ! On dressait des arcs de triomphe au pape ; mais on empêchait les prélats de sa maison d'y passer. Dans une ville de la Calabre, la foule força les portes d'une prison et en fit sortir les détenus aux cris de : Vive Pie IX ! Les acclamations, réglées par un pouvoir occulte, se faisaient plus ou moins enthousiastes, suivant les actes pontificaux de la journée, suivant les personnages que le gouvernement du pape mettait en relief. On avait fait des ovations à Gizzi, parce qu'on l'avait cru libéral ; on murmurait ou on faisait un silence glacial sur son passage, parce qu'on le trouvait maintenant trop tiède. La foule faisait de ses manifestations un contrôle permanent de la politique d'un pape qu'elle avait l'air de considérer comme en tutelle. Quand Pie IX paraissait au balcon du Quirinal, la foule, inspirée par des meneurs, lui criait : Courage, Saint-Père ! comme pour l'aider à se dégager des entraves d'un entourage trop conservateur.

Bientôt, aucun doute ne fut plus possible. Les révolutionnaires avaient bien pour but de faire de Pie IX, suivant une expression grossière de Mazzini, un bœuf gras politique, en l'étouffant sous les fleurs. Le fondateur de la Jeune Italie, jusque-là dissimulé, se mit hardiment en avant, démasqua ses desseins, railla les modérés, ne demanda au pape rien de moins que l'affranchissement de l'Italie par une guerre offensive contre l'Autriche. Les premiers symptômes du mouvement révolutionnaire se manifestèrent dans un défilé triomphal des sectaires du 8 septembre 1846 ; ils s'accentuèrent dans les réunions de l'assemblée représentative des provinces, en avril 1847, et dans le renouvellement des conseils municipaux. On feignit de voir en Gizzi, qui conseillait le calme, un agent de l'Autriche et de la réaction. Le 10 juillet 1847, Gizzi, sentant croître son impopularité, donna sa démission de secrétaire d'Etat. Il fut remplacé par le cardinal Ferretti, cousin du pape, qui, grâce à ce titre et à des qualités personnelles appréciées du peuple, devait réussir, pendant quelques mois, à obtenir une tranquillité relative.

Sur ces entrefaites, un grave incident international se produisit. Six jours après la démission du cardinal Gizzi, le 16 juillet 1847, le gouvernement autrichien, préoccupé des attaques et des provocations dont l'Italie était le théâtre, s'était cru autorisé par l'article toi du Congrès de Vienne à faire pénétrer dans la ville de Ferrare un bataillon de troupes de ligne, un détachement de hussards et une batterie d'artillerie. A cette nouvelle, les patriotes honnêtes se joignirent aux révolutionnaires pour jeter de hauts cris ; et, naturellement, ces derniers cherchèrent à exploiter l'événement à leur profit. La situation était extrêmement délicate pour Pie IX. Il décida de se tourner vers la France. Le gouvernement de Louis-Philippe avait maintes fois déclaré qu'il ne voulait laisser le champ  libre, en Italie, ni à la Révolution ni à l'Autriche ; et Pie IX connaissait peut-être quelque chose des jugements désobligeants que portait le prince de Metternich sur sa personne et sur sa politique[31]. La réponse du gouvernement français fut favorable. Le 27 septembre 1847, le comte Rossi, ambassadeur français à Rome, reçut, de la part de Guizot, la communication officielle suivante : Ne laissez au pape aucun doute que, dans le cas d'une intervention étrangère, nous le soutiendrons efficacement, lui, son gouvernement et sa souveraineté, son indépendance et sa dignité[32]. En effet, Guizot avait obtenu du roi et du conseil des ministres des décisions formelles en ce sens. Pendant que le cardinal Ciacchi, légat de Ferrare, remettait aux membres du corps diplomatique une protestation contre l'acte de l'Autriche, une troupe française de 2.500 hommes était concentrée à Toulon, et une seconde troupe, d'un nombre égal, à Port-Vendres, l'une et l'autre prêtes à s'embarquer au premier signal pour les côtes d'Italie, sous le commandement du général Aupick[33]. Les Autrichiens répondirent à cette mesure en renforçant leur armée de Lombardie et en établissant un poste militaire à six milles de Ferrare et de Comacchio. Mazzini, déjoué dans ses plans, tenta un effort suprême. Le 25 novembre 1847, il écrivit directement au pape, pour le supplier de se mettre à la tête du mouvement national ; sans quoi, disait-il, ce mouvement se détacherait de la cause religieuse, pour le grand malheur de la civilisation et de l'Italie[34]. Le pape ne tint aucun compte de cette lettre ; il s'opposa même à ce que le gouvernement français tentât une campagne indépendante de son assentiment positif. Sans cet assentiment, déclara en son nom Ferretti, le gouvernement et les navires français se trouveraient dans la même position vis-à-vis du Saint-Siège que l'armée et le cabinet autrichiens[35].

L'Autriche comprit bientôt qu'elle s'était engagée dans une impasse. Elle.mit des conditions au retrait de ses troupes. Le gouvernement pontifical ne les accepta pas. Après quelques mois de négociations, le cabinet de Vienne finit par admettre une transaction diplomatique, qui constitua pour lui une défaite. Ii fut décidé que les Autrichiens occuperaient la citadelle, les casernes et les magasins militaires de Ferrare, conformément à l'article 103 du Congrès de Vienne ; mais les Suisses pontificaux auraient la garde des portes de la ville et celle des postes militaires situés dans son enceinte. Secondé par son habile cousin, le cardinal Ferretti, Pie IX s'était montré capable d'une politique aussi prudente que ferme.

 

III

Le 11 janvier 1848, Montalembert, prenant la parole, à la Chambre des pairs, sur les affaires d'Italie, disait : Je ne puis pas, moi, catholique, avoir la témérité de juger le pape Pie IX. Mais, si je le pouvais, je dirais qu'il a été irréprochable... Il a, en dix-huit mois de temps, accordé à son peuple l'amnistie, la garde civique, l'organisation municipale, la consulte, c'est-à-dire des réformes si considérables et si fécondes, qu'il serait peut-être impossible de trouver dans les annales d'aucun pays, d'aucun règne, l'exemple d'une générosité si spontanée et si complète. S'il échoue, Messieurs, savez-vous ce que cela prouvera ? Cela ne prouvera pas qu'il ait été imprudent, qu'il était fasciné ; mais, je le dis' à regret, cela ne prouvera qu'une chose, c'est que l'Italie est incapable de posséder une liberté régulière, pure et généreuse comme celle qu'il veut lui donner[36].

Plusieurs catholiques, de Rome et d'ailleurs, ne partageaient pas dans le monde cet enthousiasme pour les réformes si rapidement accomplies par Pie IX. Ils en faisaient honneur à la générosité spontanée de son cœur, plutôt qu'à la sagesse de sa politique ; et, avec des formules de sincère respect pour le Chef suprême de l'Eglise, ils regrettaient la manière d'agir plus lente, plus calculée de son prédécesseur[37]. En tout cas, rendre l'Italie responsable de leur échec, serait une injustice ; cette responsabilité ne doit retomber que sur les sectaires hypocrites que nous avons déjà vus à l'œuvre. Ce furent les menées de ces derniers qui amenèrent, en février 1848, la chute du ministère Ferretti, après six mois d'existence, celles du ministère Bofondi après un mois, du ministère Antonelli après trois mois, et du ministère Ciacchi après vingt-sept jours. Les manifestations se multipliaient dans les rues de Rome. De bruyants agitateurs réclamaient à grands fracas l'entière liberté de la presse, la sécularisation complète des charges publiques, l'armement du peuple en masse, l'expulsion des jésuites. Pie IX avait depuis longtemps percé à jour les trames ourdies contre lui. Ses allocutions et encycliques de 1846 et de 1847 sont pleines d'allusions aux arrière-pensées de la secte révolutionnaire. Mais il conservait toujours l'espoir de gagner par la bonté son peuple égaré, et il différait l'emploi des mesures de répression.

Le 11 février 1848, un incident caractéristique contribua à le désabuser. C'était le soir. Pendant une de ces ovations grandioses et tapageuses qui se renouvelaient incessamment sous les fenêtres du Quirinal, une voix, dominant le bruit de la foule, s'écria Plus de prêtres aux affaires ! Pie IX, qui élevait déjà, du haut de sa loggia, la main pour bénir la foule, protesta doucement contre certains avis, où, dit-il, il ne reconnaissait plus le cœur de son peuple. Puis, comme un léger murmure semblait succéder à l'ovation, on l'entendit prononcer avec force la formule de protestation que plusieurs de ses prédécesseurs avaient employée dans des circonstances solennelles : Non posso, non debbo, non voglio, Je ne peux pas, je ne dois pas, je ne veux pas. On eut alors-la sensation qu'une sorte d'abîme s'était creusé entre lui et les agitateurs.

Peu de temps après, le contre-coup de la Révolution française de Février suscita en Italie, comme presque partout en Europe, de nouvelles agitations populaires. Celles-ci se firent grondantes et menaçantes. Les émeutes de l'amour se changeaient en émeutes de colère[38]. Sous la pression des événements, Pie IX fit une dernière concession, la plus libérale de toutes. Par la constitution du 14 mars 1848, connue sous le nom de Statut fondamental, il institua une représentation populaire, non seulement consultative, niais délibérative, pour le gouvernement de ses Etats. Ce régime représentatif comprenait deux Chambres : l'une nominée par le pape, l'autre élue par le peuple. C'était introduire le système constitutionnel dans les Etats pontificaux. Mais cette mesure, loin d'apaiser le mouvement populaire, le surexcita. La nouvelle s'étant répandue que le royaume lombardo-vénitien était en pleine insurrection contre l'Autriche, les cris Fuori gli barbari, A la porte les barbares, retentirent dans les rues de Rome, et le pape fut sommé par la foule de prêcher la guerre sainte. Pie IX résista. Sur ces entrefaites, une nouvelle imprévue parvint à Rome. Le roi de Sardaigne, Charles-Albert, sans aucune préalable déclaration de guerre à l'Autriche, s'était jeté sur la Lombardie. Le 23 mars 1848, en entrant en campagne, il avait adressé aux peuples du royaume lombardo-vénitien une proclamation, où il disait : Nous vous seconderons, espérant en Dieu, qui a donné Pie IX à l'Italie, et qui a mis l'Italie en mesure de n'avoir besoin de personne. Le 25 mars, à la tête de 25.000 hommes, il entrait à Milan. La situation se compliquait de plus en plus pour le pape. C'était une étrange figure que celle du roi Charles-Albert, ce souverain moitié ascète, moitié carbonaro[39] ; ardent, chevaleresque et mystique, sous un masque de froideur ; acclamé comme libéral, et s'effarouchant de toute réforme ; au fond, nature maladive, se désintéressant de tout, sauf d'une idée, qui dominait son esprit et commandait toute son activité ; l'indépendance de l'Italie, dont il rêvait d'être le chef[40]. La brusque agression du roi de Sardaigne dérouta les calculs du vieux maréchal autrichien Radetzky, qui, pressé de toutes parts, battit en retraite, et se retira dans le quadrilatère vénitien[41].

L'idée bien arrêtée du pape était de garder, au point de vue militaire, une stricte neutralité, en se tenant sur la défensive contre toute invasion de ses Etats. Dans cette vue, dix-sept mille hommes furent expédiés à la frontière, sur la rive droite du Pô, avec mission de ne prendre l'offensive en aucun point, mais de défendre, partout où besoin serait, l'inviolabilité du territoire pontifical. Malheureusement le chef de l'expédition, le général Durando, Piémontais de nation, n'observa pas cette réserve. A peine arrivé à Bologne, il adressa à ses troupes, le 5 avril, une ardente proclamation, déclarant, au nom de Pie IX, la guerre à l'Autriche, et exhortant ses soldats à entreprendre la sainte croisade de l'Italie. Ce fut la première trahison dont Pie IX eut à souffrir pendant cette malheureuse campagne.

Par une note insérée dans la Gazette officielle de Rome, par une allocution solennelle prononcée le 29 avril 1848[42] et par une lettre écrite le 3 mai à l'empereur d'Autriche[43], Pie IX protesta que, bien loin de favoriser les agitations révolutionnaires, et d'exciter son peuple à la guerre contre l'Autriche, il repoussait de toutes ses forces de pareilles tendances. Ses actes de réforme politique n'étaient que la continuation de l'œuvre commencée par son prédécesseur, dans l'esprit du Memorandum rédigé par les grandes puissances d'Europe. Quant à l'idée de faire la guerre à l'Autriche, il la proclamait entièrement contraire à ses pensées, n'ayant pour but, ajoutait-il, que d'agrandir chaque jour le royaume de Jésus-Christ, qui est l'Eglise, et non de reculer les limites de sa souveraineté temporelle[44].

Ces déclarations eurent un immense retentissement dans les cours européennes, où l'on commençait à se représenter Pie IX comme le principal auteur des commotions publiques qui troublaient l'Europe[45]. D'ailleurs la chute du cabinet Metternich, remplacé, le 18 mars 1848, par un ministère libéral, venait de faire disparaître de la scène politique le diplomate le plus susceptible de s'irriter contre l'attitude du souverain pontife. L'empereur Ferdinand Ier, vers la fin du mois de mai, se montra disposé à faire en faveur de la paix de larges concessions, allant jusqu'à l'abandon de la Lombardie, sous certaines conditions d'ordre financier[46].

Les agissements de lord Palmerston, qui avait intérêt, pour diminuer la puissance de l'Autriche, à maintenir le conflit austro-italien, et surtout les manœuvres de Mazzini, qui ne pouvait espérer voir réussir son programme révolutionnaire que dans le trouble, firent échouer les desseins pacificateurs du nouveau cabinet autrichien. La cour de Vienne retira ses avances, et l'empereur demanda au maréchal Radetzky de reconquérir, par une action prompte et énergique, les positions prises par l'ennemi, afin d'écraser en Italie les forces toujours renaissantes de la Révolution. Le choc des armées impériales fut, cette fois, irrésistible ; les Italiens, vaincus, furent partout refoulés.

Malheureusement, la cause du pape se trouvait atteinte par là même. Le général Durando, que Pie IX, trop confiant ou trop impuissant, avait conservé à la tête de ses troupes, malgré sa coupable incartade du 5 avril, avait fait cause commune avec les troupes de Charles-Albert. Un nouveau ministre, que le Saint-Père, sous la pression des partis avancés, avait été obligé de prendre à la fin du mois d'avril, le comte Mamiani, avait, d'autre part, imaginé un étrange expédient pour satisfaire le parti national exalté sans forcer le pape à se donner un démenti. Il avait décidé que le gouvernement romain n'ouvrirait aucune hostilité contre l'Autriche, mais que les troupes d'observation de Durando seraient placées sous le commandement de Charles-Albert. C'était rendre inévitable l'action commune des Pontificaux et des Piémontais. Ce comte Mamiani, un des anciens proscrits de Grégoire XVI amnistiés par Pie IX, ne gouvernait pas plus, d'ailleurs, l'armée et le peuple, que le pape lui-même. Le gouvernement était aux mains des clubs, de la presse et surtout d'un Cercle populaire, inspiré par les sociétés secrètes, qui prétendait tout diriger, ou, tout au moins, tout contrôler. Le pape, qui voyait le péril, perdait peu à peu la confiance, qu'il avait eue jusque-là, de ramener à lui le peuple par ses boutés et de l'arracher ainsi aux sectes révolutionnaires. Mamiani, homme instruit, lettré, poète romantique à ses heures, et qui admirait le dogme chrétien à la manière d'un philosophe éclectique, avait été accepté par Pie IX, qui le croyait capable d'accomplir une œuvre d'apaisement provisoire, et ne soupçonnait pas qu'il pût trahir jamais la cause du Saint-Siège. On eût dit cependant, durant le cours de son ministère, qui ne dura pas trois mois, que le comte Mamiani n'avait pas d'autre but que de provoquer, par tous les moyens en sa puissance, la guerre avec l'Autriche, le trouble dans les Etats romains. Tombé du pouvoir le 19 juillet 1848, il profita de la longue crise ministérielle qui suivit sa chute, pour soulever le peuple, non seulement contre le gouvernement impérial, mais contre le pouvoir temporel du pape, qu'il déclara incompatible avec la souveraineté et la liberté de l'Italie. L'anarchie régnait partout. A Rome, au rapport de l'ambassadeur de France, la police était impuissante à réprimer des désordres quotidiens[47], et les Légations, légiférant pour leur propre compte, se créant du papier-monnaie, instituant même des comités de salut public, se trouvaient presque séparées de fait du reste des Etats de l'Eglise.

 

IV

Dans ces tristes conjonctures, Pie IX tourna les yeux vers la France. De toutes les puissances catholiques, c'était celle dont le Saint-Père pouvait invoquer le plus utilement l'appui. Dans les premiers jours du mois d'août, il s'adressa directement au général Cavaignac, et sollicita de lui l'envoi â Rome de quelques milliers de soldats. Sous le gouvernement de Juillet, au mois de janvier précédent, alors que les périls étaient beaucoup moins graves, Guizot s'était préoccupé de préparer un pareil secours. La République, alors moins prévoyante, repoussa ce premier appel de Pie IX. Elle estima qu'une véritable intervention serait incompatible avec le rôle de médiatrice qu'elle s'était imposé en Italie[48].

Opprimé par ses propres sujets, se croyant délaissé par la France, Pie IX ne perdit point courage. Il aurait pu se livrer à la Révolution dans l'espoir de l'apaiser à force de sacrifices ; il aurait pu se rejeter en arrière, et demander aux puissances absolutistes la consolidation de son trône. Loin de tomber dans l'un ou l'autre excès, il voulut, en dépit de ses mécomptes, tenter un dernier effort pour l'établissement d'un régime régulier, libéral et durable. Pour le seconder dans cette entreprise généreuse et hardie, il jeta les yeux sur l'ancien ambassadeur du roi Louis-Philippe, Pellegrino Rossi[49].

Le 16 septembre 1848, l'ancien homme d'Etat de la République helvétique, l'ancien professeur de droit constitutionnel à Paris, l'ancien représentant de la politique française à Rome, acceptait du pape Pie IX la charge de trois portefeuilles : celui de l'intérieur, celui de la police et, par intérim, celui des finances. Peu d'hommes étaient, à cette époque, plus versés dans la science théorique et pratique du droit public et du droit international. Les anciennes relations de Rossi avec les carbonari l'avaient rendu suspect aux conservateurs, et ses négociations entreprises en vue de la suppression des jésuites en France lui avaient aliéné les sympathies des catholiques ; mais l'exercice du pouvoir l'avait progressivement assagi, et le Saint-Père, dans les mauvais jours qu'il venait de traverser, avait apprécié sa raison élevée et son dévouement[50].

Le pontife n'eut pas la douleur de voir ses espérances trompées Le premier ministre choisi par Pie IX se donna à l'œuvre que lui confiait le pape avec un Me qui n'eut pas de défaillance.

En acceptant la mission dont l'investissait la confiance de Pie IX, Rossi en comprit toute l'importance. Diplomate habile, administrateur distingué, le premier ministre des Etats pontificaux possédait ces deux qualités caractéristiques de l'homme d'Etat la perspicacité, qui voit du premier coup les mesures à prendre, et l'énergie, qui les fait exécuter promptement. Le 16 septembre, il présenta au pape son programme de gouvernement : au point de vue du maintien de l'ordre public, concentrer entre ses mains l'autorité et rendre à ses subordonnés la confiance et la force ; au point de vue militaire, confier le commandement suprême de l'armée à un général qui ne fût inféodé ni au Piémont ni à l'Autriche ; dans l'ordre des réformes économiques et sociales, répondre aux calomnies des ennemis de la papauté par une puissante impulsion donnée aux constructions de chemins de fer, aux institutions scientifiques et à la liberté commerciale ; dans l'ordre de la politique intérieure, maintenir fermement les principes libéraux du Statut constitutionnel, mais en réprimant énergiquement toute manifestation anarchique ; enfin, dans l'ordre de la politique extérieure, favoriser l'établissement d'une Confédération italienne, sans y donner une prépondérance aux Etats Sardes[51].

Ce plan de gouvernement, hautement approuvé par Pie IX, jeta un désarroi momentané dans le camp des révolutionnaires. L'homme qui le proposait paraissait de taille à le faire triompher, à la gloire du Saint-Siège. Par là, les agitateurs perdaient le bénéfice de leurs longues conspirations. Une seule ressource leur restait : perdre, par une conspiration suprême, l'homme qui barrait ainsi la route à leurs sombres menées. La mort du comte Rossi fut décrétée par les sociétés secrètes[52].

Le 15 novembre 1848, le premier Ministre de Pie IX se rendait à la Chambre des députés, qui siégeait au, palais de la Chancellerie, pour y développer le programme de sa politique. Par l'indiscrétion de quelques conspirateurs, peut-être touchés de remords, le secret du complot avait transpiré. La veille et le matin même, plusieurs lettres pressantes avaient adjuré le ministre de se tenir sur ses gardes. Il repoussa avec dédain ces avertissements. La cause du pape est celle de Dieu, dit-il ; j'irai où m'appelle le devoir. Il franchissait les premières marches du péristyle, quand un violent coup de stylet l'atteignit à la gorge. L'artère carotide fut tranchée. La blessure était mortelle. Rossi expira, après avoir reçu l'absolution du curé de San-Lorenzo-in-Damaso.

Il y eut quelque chose de plus odieux que ce crime : ce fut le débridement des forces anarchiques, dont il fut le signal. Des foules en désordre parcoururent la ville en vociférant ; la veuve et les enfants de la victime furent insultés ; le soir, des illuminations célébrèrent la prétendue victoire du peuple. La garde civique ne fit rien pour s'emparer de l'assassin ni pour arrêter le cours de l'émeute ; à la Chambre, le président n'eut pas un mot pour flétrir l'attentat ; dans la presse, les modérés n'osèrent pas blâmer le crime. La secte était maîtresse absolue de Rome. Le Cercle populaire prétendit imposer au pape l'exécution de son programme, et lui envoya une délégation à cet effet. Pie IX refusa d'abord. Des coups de feu furent tirés sur les fenêtres du palais du Quirinal. Un des prélats de la maison du pape, Mgr Palma, fut mortellement atteint. Au soir du 16 novembre, Pie. IX, se voyant délaissé de tous, céda aux rebelles, pour éviter de plus grands désordres, et déclara accepter un ministère où figureraient Mamiani, Sterbini et Galetti.

C'étaient les trois idoles du jour, les instruments les plus actifs des sociétés secrètes, obéissant aux mots d'ordre de Mazzini. Nous connaissons Mamiani. Sterbini, qu'on a appelé le Marat de Rome à cause de sa laideur repoussante et de ses instincts brutaux, et Galetti, l'hypocrite aux manières élégantes, au ton doucereux, qui, amnistié par Pie IX, avait multiplié ses protestations de dévouement jusqu'à l'importunité, représentaient tout ce qu'il y avait de bas dans la populace romaine. Pie IX était prisonnier de la Révolution.

Prisonnier, le Saint-Père l'était à la lettre. Car, en même temps que l'émeute l'avait obligé d'accepter un cabinet favorable aux révolutionnaires, elle l'avait contraint à confier sa défense à la garde civique, laquelle venait de pactiser ouvertement avec les insurgés. Mais les membres du Sacré-Collège, défenseurs-nés du Saint-Siège, et ceux du corps diplomatique, outrés des insultes prodiguées au souverain pontife, entreprirent de le délivrer. Une noble femme, Française de naissance et mariée à l'ambassadeur de Bavière, la comtesse de Spaur, conçut le plan d'une évasion, et contribua puissamment, par ses efforts personnels, à la réaliser. Le 24 novembre 1848, Pie IX, habillé en simple prêtre, sortit de son palais par une porte dérobée, et, sous la protection de l'ambassadeur de Bavière, se rendit à Gaëte, dans le royaume de Naples, où le roi Ferdinand II lui présenta ses hommages et lui promit son secours.

Pendant les dix-sept mois que dura son exil, Pie IX accomplit plusieurs actes d'une grande importance.

Dès le 27 novembre, il rédigea une protestation, déclarant nul et de nulle valeur tout ce que ses ennemis avaient fait à Rome depuis la mort du comte Rossi, et confiant l'administration des affaires à une commission permanente nommée par lui[53]. Par la publication de ce document, l'équivoque que les révolutionnaires avaient essayé d'entretenir sur l'attitude du pape était définitivement dissipée. Les représentants des puissances européennes, à l'exception de l'ambassadeur des Etats Sardes, quittèrent aussitôt Rome, et rejoignirent Pie IX à Gaëte[54]. Mais le parti qui s'était emparé du pouvoir ne reconnut pas l'autorité de la commission instituée par le pape. Elle ne put fonctionner. Mamiani lui-même, débordé par l'élément exalté et indiscipliné des sociétés secrètes, dut leur laisser la place libre. Quant à Pie IX, du fond de son exil, il ne laissa passer aucun attentat contre les droits du Saint-Siège sans renouveler ses protestations. Le 17 décembre, il déclara nulle la junte d'Etat convoquée à Rome par le pouvoir usurpateur[55] ; le 1er janvier 1849, il rappela le canon du concile de Trente qui prononce l'excommunication contre les violateurs des droits de l'Eglise[56] ; le 14 février, en présence du Sacré-Collège et du corps diplomatique, il dénonça la nullité de tous les actes accomplis à Rome par le parti révolutionnaire et protesta particulièrement contre l'établissement de la République romaine, qui venait d'être proclamée[57]. Le 18 février, un mémoire diplomatique du cardinal Antonelli, secrétaire d'Etat, mit les puissances de l'Europe au courant des événements qui s'étaient accomplis à Rome depuis le mois de novembre précédent, et les supplia, au nom du Saint-Père, de concourir, par leur intervention morale, à le rétablir sur son siège et dans la capitale de ses domaines, garantis par tous les traités qui forment la base du droit public européen[58].

Cet important mémoire était le premier acte diplomatique d'un homme d'Etat qui devait jouer un rôle considérable dans la politique européenne. Jacques Antonelli, né en 1806, avait, sous le pontificat de Grégoire XVI, géré le sous-secrétariat d'Etat au ministère de l'intérieur, puis la trésorerie de la Chambre apostolique. Pie IX, appréciant sa souplesse, son tact, son expérience consommée dans les affaires administratives et politiques, le fit entrer dans le Sacré-Collège dès le début de son règne, et le nomma même, au mois de mars 1848, président du conseil des ministres non responsable devant le parlement. Rossi, pendant son court ministère, avait paru le maintenir au second plan ; mais, pendant son exil de Gaëte, Pie IX lui témoigna une grande confiance dans la direction des affaires temporelles. Ce prince de l'Eglise, qui ne fut jamais prêtre, ne s'occupa jamais des affaires proprement spirituelles que pour en transmettre la connaissance aux puissances étrangères ou à l'épiscopat. Mais, dans le gouvernement du domaine du Saint-Siège, il déploya une habileté et une sagesse auxquelles tous les historiens impartiaux ont rendu hommage. Peu d'hommes ont été plus attaqués dans leur vie privée et dans leur vie publique. Sur cette dernière, qui appartient seule à l'histoire, M. Emile Ollivier a apporté le témoignage suivant : Les manières extérieures du cardinal Antonelli ne donnaient qu'une idée incomplète de son véritable caractère. A le voir courtois, familier, d'une constante égalité d'humeur, sans raideur ni emphase, tempérant toujours par un sourire la flamme de ses beaux yeux dominateurs, on eût dit un homme d'Etat souple, en dehors, avant tout préoccupé de plaire et d'être admiré. En réalité, altier, impénétrable, opiniâtre, il était au nombre de ces grandes âmes, supérieures à la destinée et aux jugements mobiles des hommes, que n'émeuvent ni la louange ni le blâme... L'idée de rechercher une domination quelconque sur le chef de l'Eglise le révoltait. A quelqu'un qui lui proposait l'exemple de Richelieu, il répondit : Richelieu servait un roi, qui est simplement un homme et ne dirige qu'un royaume ; moi, je sers le pontife, vicaire de Jésus-Christ, qui gouverne le monde chrétien. Il savait peu ce que les livres contiennent ; mais il était très érudit dans la science que les choses apprennent, et il devait à l'acuité d'un esprit alerte et libre de ne rien ignorer de ce qui se devine. Ne confiez pas ce projet, disait Cavour à un haut personnage français, à votre ambassadeur à Rome. Gardât-il le secret, Antonelli est si fin qu'il le devinerait[59]. Antonelli venait de comprendre que les Etats de l'Europe étaient susceptibles de s'émouvoir de la situation du pape à Gaëte, des menaces de la révolution à Rome, et que le moment était venu de faire un appel efficace à leur intervention.

 

V

L'émoi avait été grand en Europe, et même au delà, à la nouvelle de la fuite du pape à Gaëte. Tandis que les populations, touchées de cette grande infortune, faisaient parvenir au pontife exilé l'expression de leurs sympathies et le secours de leurs offrandes spontanées, les gouvernements se préoccupaient des succès obtenus à Rome par les sectes révolutionnaires. On connaissait leurs ramifications cosmopolites, et l'on pouvait prévoir les contre-coups de ce triomphe dans les autres nations.

Dès le lendemain de l'assassinat du comte Rossi, le chef du gouvernement français, qui était alors le général Cavaignac, avait eu un noble mouvement de générosité chevaleresque. Aller au secours du pape, l'arracher aux factieux qui le tenaient captif, lui offrir l'hospitalité sur le sol de la France, l'amener à Marseille au milieu d'un peuple respectueux et agenouillé, ce n'était pas seulement reprendre la tradition de la politique nationale ; c'était, à la veille de l'élection présidentielle, rallier les suffrages des catholiques et grouper autour de soi toute cette masse flottante à qui plaît toujours une initiative hardie. Cavaignac était homme à comprendre ce rôle. Le 25 novembre, il alla droit à M. de Corcelles, dont il savait le zèle religieux, et lui confia la mission de se rendre à Rome, de pourvoir à la liberté du Saint-Père et de lui offrir l'hospitalité sur le territoire de la République[60]. Par son vote du 30 novembre, la Chambre française approuva ce projet. Une brigade de 3.500 hommes, réunie depuis quelque temps sur le littoral de la Méditerranée, reçut l'ordre de s'embarquer pour Civita-Vecchia ; et le ministre des cultes, Freslon, se rendit à Marseille pour recevoir lc pape. Mais la nouvelle de l'évasion du pape et de son heureuse arrivée sur le territoire napolitain parut rendre sans objet, pour le moment, la noble initiative de la France.

La note diplomatique du cardinal Antonelli posa de nouveau la question devant les chancelleries de l'Europe. Non seulement les puissances catholiques, mais les nations schismatiques et hérétiques, telles que la Russie et l'Angleterre, se montrèrent disposées à répondre à l'appel de Pie IX[61]. En France, l'élection à la présidence de lia République du prince Louis-Napoléon Bonaparte, le 10 décembre 1848, sembla, un moment, compromettre la politique d'intervention. Le fils du roi de Hollande avait, en 1831, pris part à l'insurrection des Romagnes contre le pape, et, depuis, il n'avait pas suffisamment désavoué cette coupable incartade. Le 30 novembre, à la Chambre, il s'était abstenu dans le vote relatif à l'expédition de Civita-Vecchia[62] ; et si, à la veille de l'élection présidentielle, il avait, par une lettre adressée au nonce Fornari, désavoué son cousin Charles Bonaparte, prince de Canino, très mêlé aux agitations révolutionnaires de Rome, ce désaveu, paru à la veille du scrutin, avait eu trop l'air d'une manœuvre électorale pour constituer une sérieuse garantie. Au surplus, dans l'Assemblée constituante, la majorité républicaine se fût montrée nettement hostile à toute entreprise qui eût paru avoir pour effet la restauration du pouvoir temporel du pape. L'extrême-droite seule et quelques membres isolés des autres groupes eussent applaudi à ce projet. Dans le ministère, le comte de Falloux était seul à l'appuyer. Un incident nouveau parut devoir le faire éliminer définitivement. L'abbé Gioberti, le fameux auteur du Primato, avait été appelé, vers la fin de 1848, à la présidence du Conseil des ministres des Etats Sardes ; et sa première préoccupation avait été d'essayer de réaliser son rêve : rétablir l'union entre le pape et le peuple, en chargeant Charles-Albert de constituer une Italie indépendante dans son existence, libérale dans ses institutions et unifiée sous le haut patronage du pontife romain. A défaut des princes italiens, qui accueillirent froidement ce projet, le premier ministre de la cour de Turin rencontra la plus grande sympathie à l'Elysée. Il était dans le caractère du prince Bonaparte, ami de l'ordre par politique, mais rêveur par nature, chimérique par tendance, et déjà épris de la théorie des nationalités, d'être facilement séduit par un pareil projet. Il y donna, sans hésiter, sa pleine adhésion.

Seul dans le cabinet, ne pouvant compter au Parlement que sur l'appui d'une faible majorité, le jeune ministre de l'instruction publique et des cultes, le comte de Falloux, se donna pour tâche, de faire échouer le projet du ministre sarde. Vouloir cacher la France derrière le Piémont[63], disait-il, c'est vouloir cacher un géant derrière un roseau[64] ; et il s'évertuait à montrer au prince-président, à ses collègues, aux chefs des partis politiques de l'Assemblée, qu'une pareille entreprise ne pouvait procurer à la France que des dangers et des humiliations, sans profit d'aucune sorte pour compenser ces déboires.

Les événements le servirent, et ne tardèrent pas à ramener le prince, le cabinet, la Chambre elle-même, à la traditionnelle politique de la France dans ses rapports avec la papauté.

D'une part, l'anarchie devenait, à Rome et dans les Etats pontificaux, de plus en plus menaçante. L'élément romain s'était absorbé dans l'élément italien et cosmopolite. Les pires représentants des sociétés secrètes s'étaient donné rendez-vous dans la Ville Eternelle, et ils y légiféraient sans contrainte. Un décret du 21 février 1849 déclara propriété de la République romaine tous les biens ecclésiastiques. Quatre jours plus tard, un autre décret frappa les riches d'un emprunt forcé, qui, suivant le chiffre des fortunes, variait entre le cinquième et les deux tiers du revenu annuel. Ce n'était plus le Cercle populaire qui gouvernait, c'étaient les délégués de la Jeune Europe, de la Jeune Italie, de la Jeune Irlande, de tous les groupes qui dépendaient de Mazzini ; ce fut bientôt Mazzini lui-même, qui, arrivé à Rome, y fut accueilli avec les plus grands honneurs, reçut le titre de citoyen romain, et fut invité à siéger à la Chambre à côté du président.

D'autre part, l'Autriche, qui se sentait la première menacée par cette agitation, s'était hâtée d'intervenir. Le 21 mars, les troupes impériales franchirent la frontière italienne. Trois jours après, l'armée piémontaise était écrasée à Novare ; et Charles-Albert, craignant que sa personne ne devînt un obstacle à une paix nécessaire, transmettait sa couronne à son jeune fils, Victor-Emmanuel II.

Ces événements eurent pour résultat d'imprimer une allure décisive à notre politique vis-à-vis de Rome. On pouvait deviner que l'Autriche victorieuse ne résisterait pas la tentation d'ajouter à ses succès celui de ramener le Saint-Père dans sa capitale. Or, si un tel événement se réalisait, c'en était fait de notre influence en Italie ; c'en était fait également de l'œuvre libérale que la France avait conseillée et que Pie IX avait essayé d'accomplir. On avait pu laisser l'Autriche vaincre à Novare ; mais la laisser intervenir, au lendemain de Novare, dans la capitale du monde chrétien, c'était pousser trop loin la politique d'effacement. Il importait de se hâter, si l'on ne voulait être devancé. Dès ce moment, l'expédition de Rome fut décidée[65].

 

VI

Le 31 mars 1849, l'Assemblée nationale vota un ordre du jour autorisant le pouvoir exécutif à procéder à une occupation partielle et temporaire en Italie. Le soir du même jour, le général Oudinot gagna Marseille, pour y prendre le commandement des troupes déjà établies sur le littoral de la Méditerranée, et pour tout disposer en vue d'une descente en Italie.

Il n'était que temps. A Rome, Mazzini, chef d'un triumvirat qui comptait avec lui Armellini et Saffi, organisait une vraie dictature ; et, tandis que les intrigues du Piémont, les menées de lord Palmerston et les menaces d'anciens compagnons du prince-carbonaro, tendaient à retarder l'intervention de la France, les Espagnols, les Autrichiens et les Napolitains se disposaient à intervenir de leur côté.

Le prince-président tenait à ne pas se laisser devancer par ces puissances. Son but, en effet, n'était pas seulement d'enlever le pouvoir à Mazzini pour le transmettre à Pie IX ; c'était aussi de neutraliser l'influence, trop absolutiste à son gré, des trois puissances, et d'assurer le maintien de toutes les réformes libérales introduites par Pie IX jusqu'au 15 novembre 1848[66]. C'est pourquoi il repoussa le plan, proposé par le pape, d'après lequel la France occuperait Civita-Vecchia, la province de Spolète et celle de Pérouse ; l'Autriche, les Légations, jusqu'à Ancône ; l'armée napolitaine, les provinces de Velletri, de Frosinone et d'Ascoli ; l'Espagne, Rome et ses environs. La France, acceptant l'action simultanée des puissances, mais non leur action combinée, prit pour objectif l'occupation de Rome et y dirigea, le plus rapidement possible, son armée.

Le 29 avril 18 !19, deux brigades françaises, commandées par le général Oudinot, entrèrent dans Civita-Vecchia sans coup férir. De là, le général adressa aux Romains une proclamation, concertée à Paris, dans laquelle il affirmait que la République française voulait donner un éclatant témoignage de sa sympathie envers la nation romaine. Accueillez-nous en frères, ajoutait-il ; nous justifierons ce titre. Le 30 avril, l'armée française était sous les murs de Rome. Oudinot avait espéré y entrer, comme à Civita-Vecchia, sans obstacle. Mais les triumvirs lui en fermèrent les portes, et confièrent la défense de la ville aux volontaires de Garibaldi. Bien plus, une colonne de 250 hommes, prise dans un piège, dut se constituer prisonnière. Il fallut se résoudre à faire un siège en règle. Il importait cependant de devancer les autres puissances, qui avaient, à leur tour, franchi les frontières. Les Napolitains avaient pris Terracine ; les Espagnols occupaient les provinces de' Rieti et de Spolète, et les Autrichiens, établis dans les Légations, commençaient à mettre la main sur les places pontificales du nord. Oudinot, pressé par les envoyés français, d'Harcourt et Rayneval, attaqua la ville, le 30 avril, avec 5.000 hommes. Mais il fut repoussé. La nouvelle de cet échec, parvenue à Paris le 4 mai, jeta la stupeur parmi l'Assemblée, qui, dans une séance de nuit du 7 au 8 mai, invita le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour que l'expédition d'Italie ne fût pas plus longtemps détournée du but qui lui était assigné. C'est alors que Louis-Napoléon Bonaparte crut l'occasion opportune de prendre une initiative hardie. Sans demander, comme la Constitution le voulait, l'assentiment du Conseil d'Etat, sans consulter ses ministres, il écrivit au général Oudinot : Notre honneur militaire est engagé ; les renforts ne vous manqueront pas ; et le général Changarnier, pour souligner l'importance de cette lettre, la mit à l'ordre du jour de l'armée de Paris.

En même temps, un diplomate, qui venait de révéler, comme consul général à Barcelone, dans des circonstances difficiles, un remarquable esprit de décision et d'habileté, Ferdinand de Lesseps, fut chargé de négocier avec le gouvernement des triumvirs. La mission était hérissée de difficultés. Le libéralisme connu du plénipotentiaire pouvait faire espérer que ses ouvertures ne seraient pas préalablement rejetées par les autorités romaines. Mais son rôle paraissait un démenti, presque une trahison, à l'égard des représentants des puissances, qui, depuis le 30 mars, délibéraient en congrès à Gaëte ; à l'égard des armées autrichiennes, espagnoles et napolitaines, à qui la France avait promis une coopération simultanée. De plus, des dissentiments éclatèrent entre le général Oudinot et le plénipotentiaire français. Par ailleurs, Mazzini, qui tenait sous son joug la population de Rome, opposait à tous les projets d'accommodements proposés par Lesseps un refus absolu. La ténacité du diplomate parvint cependant à obtenir du dictateur que l'armée d'Oudinot resterait dans les Etats romains, comme un contrepoids nécessaire aux forces autrichiennes, espagnoles et napolitaines. Par l'article ter d'une convention conclue le 31 mai entre l'agent français et le triumvirat romain, l'Etat romain considérait l'armée française comme une armée amie, venant concourir à la défense de son territoire, et, par l'article 3, la République française garantissait contre toute invasion étrangère les territoires occupés par ses troupes.

Lesseps s'était-il laissé séduire par l'habileté de Mazzini ou intimider par les fanfaronnades de Garibaldi, comme le suppose le comte de Falloux[67] ? Doit-on voir dans la convention du 31 mai l'exécution d'un plan concerté par la franc-maçonnerie, comme l'insinue le P. Deschamps[68] ? Le fait est que l'acte diplomatique signé par le plénipotentiaire français fut jugé inacceptable, comme opposé aux instructions précises qui lui avaient été données, et comme contraire aux intérêts et à la dignité de la France[69]. Lesseps fut rappelé à Paris, et déféré au Conseil d'Etat, qui lui infligea un blâme. Ecarté de la carrière diplomatique, il devait, dans la suite, dépenser son activité dans une voie différente, et y acquérir une retentissante célébrité.

Une Assemblée nouvelle venait de se réunir, le 28 mai 184 dont la majorité venait d'être élue sur un programme catholique ou favorable au catholicisme. Dès le lendemain, le général Oudinot reçut l'ordre de reprendre les hostilités. Le siège de Rome fut aussitôt commencé, sous les ordres des généraux Oudinot et Vaillant. Le 3 juin, par l'occupation du couvent de Saint-Pancrace et des villas Pamphili, Valentini et Corsini, les ennemis étaient délogés de tous les postes avancés qu'ils occupaient en dehors de l'enceinte. Les chefs du parti démagogique français tentèrent en vain de détourner le gouvernement de son expédition. Le 13 juin, au moment même où l'émeute grondait à Paris, le général Oudinot faisait aux assiégés une dernière sommation, puis poussait l'attaque avec vigueur. Le siège fut prolongé par suite des recommandations faites à l'artillerie de ménager les monuments de la Ville Eternelle. Enfin, le 29 juin, fête de la Saint-Pierre, un assaut général permit à l'armée française de s'emparer du sommet du Janicule, et de s'y installer solidement, dominant la ville. Le 2 juillet, les triumvirs durent se rendre sans conditions. Le 3, l'armée française entra dans Rome. Garibaldi, en fuite avec ses troupes à travers l'Apennin, fut traqué par les Napolitains et les Autrichiens. En même temps, le colonel Niel, chef d'état-major du génie, partait pour Gaëte, afin de remettre au pape les clés de sa capitale pacifiée. Pie IX reçut avec émotion le vaillant soldat, et lui dit : La France ne m'avait rien promis, et pourtant c'est sur elle que j'ai toujours compté. Je sentais qu'au moment opportun, la France donnerait à 1'Eglise son sang, et, ce qui est plus difficile, ce courage contenu auquel je dois la conservation de ma ville de Rome[70].

Toutefois Pie IX ne jugea pas à propos de rentrer aussitôt dans sa capitale. Il se contenta d'y envoyer une commission de trois cardinaux, chargés de prendre en son nom les mesures les plus urgentes. Par cette tactique, le pape voulait ménager les susceptibilités des cours de Vienne, de Madrid et de Naples, qui n'avaient cédé qu'it regret à l'armée française le rôle décisif, et qui désiraient se ménager, après l'action militaire de la France, une action diplomatique ; mais-ce retard donna le temps aux partis avancés de la Chambre française de formuler des plaintes amères contre la politique du prince-président, qu'on accusait d'avoir outrepassé les intentions de la représentation nationale dans l'expédition de Rome. Ce fut pour mettre fin à ces oppositions -.et pour donner des gages aux partis extrêmes que Louis-Napoléon, sans consulter ses ministres, et sachant même qu'il allait à l'encontre des idées de la plupart d'entre eux, fit, une fois de talus, un de ces actes où se pressentait le futur empereur. Le 18 août 1849, il écrivit à un de ses aides de camp, envoyé en mission à Rome, le lieutenant-colonel Edgard Ney : J'apprends avec peine... qu'on voudrait donner comme base à la rentrée du pape la proscription et la tyrannie... Je résume ainsi le rétablissement temporel du pape : amnistie générale, sécularisation de l'administration, code Napoléon et gouvernement libéral... Lorsque nos armées firent le tour de l'Europe, elles laissèrent partout, comme trace de leur passage, la destruction des abus de la féodalité et les germes de la liberté ; il ne sera pas dit qu'en 1849, une armée française ait pu agir en un autre sens et amener d'autres résultats[71].

Cette lettre fameuse, qui appartient à l'histoire par l'influence qu'elle eut sur les affaires italiennes et comme révélation de la politique capricieuse et pleine de surprises que Louis-Napoléon devait pratiquer plus tard[72], excita l'émotion la plus vive. Pie IX voyait se renouveler contre lui, sous une forme plus brusque et plus radicale, la pression que les grandes puissances avaient voulu exercer contre Grégoire XVI par le Memorandum de 1831. Donoso Cortès se fit l'interprète des sentiments d'un certain nombre de catholiques en écrivant : Après une telle lettre, qu'y a-t-il à espérer de ce président aventurier ?[73] Et un journal exprima les appréhensions d'une partie des libéraux, en signalant la serre de l'aigle impériale sous cet acte d'audacieuse initiative[74]. Le ministre de l'instruction publique et des cultes donna sa démission.

Pie IX, placé en face des mêmes difficultés que Grégoire XVI, imita la sagesse de son prédécesseur. Par un Motu proprio du 12 septembre 1849, il déclara que les vaillantes armées des puissances catholiques qui étaient venues à son secours ne pouvaient avoir eu pour objet et pour résultat que de rétablir sa pleine liberté et indépendance dans le gouvernement des domaines temporels du Saint-Siège. Cette indépendance, il protesta vouloir la maintenir dans sa plénitude en face du monde[75]. En conséquence, en vertu d'un acte libre et spontané de son autorité, il créa un Conseil d'Etat chargé de donner son avis sur tous les projets de loi, et une Consulte d'Etat, ayant voix délibérative sur les questions financières. Les membres de la Consulte seraient choisis par le pape sur une liste dressée par les Conseils provinciaux. Le Motu proprio assurait, de plus, des libertés provinciales et communales étendues, et annonçait la réforme des lois civiles et judiciaires[76].

Louis-Napoléon commençait à se rendre compte de l'inopportunité de sa lettre à Edgard Ney. Le 10 septembre, une note officielle du Moniteur déclara que la publication de cette lettre avait été purement officieuse, qu'elle excluait toute espèce de publicité[77]. Le 18 octobre, le rapporteur de la commission chargée d'examiner une demande de crédit pour l'expédition de Rome, Adolphe Thiers, fit un long historique de la question sans nommer même la malencontreuse missive. Au sein de la commission, il eut, en faveur du pape, des paroles chaleureuses, qui excitèrent l'admiration dés catholiques. Nous ne pouvons pas, s'écria t-il, faire violence au pape. Pourquoi ? Parce qu'il est fort ? Non, mais au contraire parce qu'il est faible. Savez-vous ce que vous seriez, si vous faisiez violence au pape ? Vous ne seriez pas seulement un soldat battant un prêtre, ce qui est lâche et vil ; vous seriez un homme battant une femme, et il n'y a pas de nom pour cette indignité-là Au cours de la discussion, Alexis de Tocqueville, ministre des affaires étrangères, déclara, au nom du gouvernement, qu'il acceptait la lettre du président, mais qu'il trouvait dans le Motu proprio du pape des garanties suffisantes.

Les passions étaient surexcitées. Au cours de la séance du 19 octobre. Victor Hugo, se séparant de la majorité dont il avait fait partie jusque-là, attaqua violemment la politique et l'histoire du gouvernement pontifical. Montalembert lui répondit par un de ses plus magnifiques discours. L'histoire, s'écria-t-il, dira que, mille ans après Charlemagne et cinquante ans après Napoléon, la France est restée fidèle à ses traditions et sourde à d'odieuses provocations... Savez-vous ce qui ternirait à jamais la gloire du drapeau français ? Ce serait d'opposer ce drapeau à la croix ; ce serait d'échanger le rôle et la gloire de Charlemagne contre une pitoyable contrefaçon de Garibaldi. Puis, reprenant et amplifiant la comparaison de Thiers : Quand un homme est condamné à lutter contre une femme, si cette femme n'est pas la dernière des créatures, elle peut le braver impunément. Elle lui dit : Frappez, mais vous vous déshonorerez, et vous ne vaincrez pas ! Eh bien ! l'Eglise n'est pas une femme ; elle est bien plus qu'une femme, c'est une mère ! C'est la mère de l'Europe, c'est la mère de la société moderne, c'est la mère de l'humanité moderne !A ces mots, disent les journaux du temps, des applaudissements éclatèrent, tels qu'ou n'en a sans doute jamais entendus dans une assemblée délibérante[78].

Le 12 avril 1850, Pie IX fit dans la Ville éternelle son entrée triomphale. Le 17 du même mois, il écrivit au général Baraguey-d'Hilliers, commandant en chef du corps expéditionnaire d'Italie : Il est doux à mon cœur d'exprimer les sentiments de vive gratitude que je professe pour la nation française, qui n'a épargné ni ses fatigues ni son sang pour assurer au Vicaire de Jésus-Christ son indépendance[79]. Il avait déjà écrit au général Oudinot : Le triomphe de l'armée française a été remporté sur les ennemis de la société humaine[80]. Ce jugement du souverain pontife doit être le jugement de l'histoire.

 

 

 



[1] Correspondant, t. XIV, 1846, p. 808.

[2] Univers du 10 juin 1846.

[3] Cité par l'Ami de la Religion du 8 juin 1846, t. CXXIX, p. 596.

[4] THUREAU-DANGIN, Hist. de Monarchie de Juillet, t. VII, p. 221.

[5] POUGEOIS, Hist. de Pie IX, 6 vol in-8°, Paris, 1877, t. I, p. 96-98.

[6] Univers du 26 juin 1846.

[7] C'est le chiffre donné par certains récits ; d'autres disent douze ou treize voix.

[8] POUGEOIS, Hist. de Pie IX, t. I, p. 127.

[9] Lettre de l'ambassadeur de France, Rossi, au ministre des affaires étrangères, Guizot, à la date du 17 juin 1846. (GUIZOT, Mémoires, t. VIII, p. 341-342.) — In casa dei Mastaï, avait dit un jour Grégoire XVI, tutti sono liberali, fino al gatto. Chez les Mastaï, tout le monde est libéral, jusqu'au chat de la maison. L'authenticité de cette parole a été contestée (L. VEUILLOT, Pie IX, Grandes figures catholiques, p. 29), mais J.-B. de Rossi l'a maintes fois attestée, déclarant tenir le propos de son père, familier de Grégoire XVI.

[10] GUIZOT, Mémoires, t. VIII, p. 341-342.

[11] Louis VEUILLOT, Pie IX, dans les Grandes figures catholiques du temps présent, 9 vol. in-8°, Paris, 1895, t. I, p. 39, et L. VEUILLOT, Mélanges, 3e série, t. I.

[12] Ch. VAN DUERM, S. J., Vicissitudes politiques du pouvoir temporel des papes, de 1790 à nos jours, un vol. in-8°, Lille, 1890, p. 170-171.

[13] On avait répandu dans Rome l'anagramme :

A Giovanni Maria Mastaï Ferreta,

Grati nomi : amnistia e ferrata via.

[14] Voir le texte du décret dans POUGEOIS, t. I, p. 152-154. On raconte que, pour mieux s'éclairer sur les difficultés et les avantages que pouvait présenter le décret d'amnistie, Pie IX avait convoqué, le 15 juillet, au Vatican, une congrégation de cardinaux. Chacun d'eux fut admis à faire valoir les raisons pour ou contre. Le pape les invita même à exprimer, suivant l'usage du Sacré-Collège, par un vote secret, leur opinion sur l'ensemble du projet. Or, le dépouillement de l'urne du scrutin ne donna que des boules noires. En présence de cette opposition inattendue, Pie IX résolut la difficulté par un procédé où se révélèrent à la fois les qualités de spirituelle finesse, de personnelle initiative et de généreuse bonté qui caractérisèrent la plupart des actes et des paroles de son long pontificat. Otant sa calotte et la mettant sur les boules noires : Les voilà blanches ! s'écria-t-il. Et, le surlendemain, le décret d'amnistie fut affiché dans toutes les rues de Rome.

[15] Louis VEUILLOT, Pie IX, Grandes figures catholiques, p. 39-40.

[16] Sur toutes ces réformes, voir POUGEOIS, Hist. de Pie IX, t. I, p. 161-186.

[17] Cité par ROHRBACHER, Hist. universelle de l'Eglise, édit. Guillaume, t. XII, p. 246.

[18] Cités par DESDEVISES DU DEZERT, l'Eglise et l'Etat en France, 2 vol. in-8°, Paris, 1908, t. II, p. 116.

[19] GUIZOT, Mémoires, t, VIII, p. 347.

[20] GUIZOT, Mémoires, t. VIII, p 345.

[21] DENZINGER-BANNWART, p 1634-1639 ; CHANTREL, Annales ecclésiastiques, t. I, p. 3-5.

[22] GUIZOT, Mémoires, t. VIII, p. 352.

[23] DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, t. II, p. 285.

[24] VAN DUERM, op. cit., p. 173-174.

[25] MASSIMO D'AZEGLIO, Correspondance politique, p. 2.

[26] GUIZOT, Mémoires, t. VIII, p. 349.

[27] GUIZOT, Mémoires, t. VIII, p 354.

[28] GUIZOT, Mémoires, t. VIII, p 374. Cf. METTERNICH, Mémoires, t. VII, p. 394-403, 405 et s.

[29] L. VEUILLOT, Pie IX, Grandes figures catholiques, p. 40.

[30] L. VEUILLOT, Pie IX, Grandes figures catholiques, p. 40.

[31] Le pape, écrivait Metternich, se montre chaque jour davantage privé de tout esprit pratique. Né et élevé dans une famille libérale, il s'est formé à une mauvaise école. Chaud de cœur et faible de conception, il s'est laissé prendre et enlacer, dès son avènement à la tiare, dans un filet duquel il ne sait plus se dégager. (METTERNICH, Mémoires, t. VII, p. 342. Cf. p. 344, 435.)

[32] Cf. Victor PIERRE, Hist. de la République de 1848, p. 527.

[33] GUIZOT, Mémoires, t. VIII, p. 403.

[34] POUGEOIS, Hist. de Pie IX, t. I, p. 360 ; VILLEFRANCHE, Pie IX, un vol. in-8°, Paris, 2e édition, 1876, p. 49.

[35] POUGEOIS, Hist. de Pie IX, t. I, p. 290.

[36] MONTALEMBERT, Œuvres, t. II, p. 664.

[37] J.-B. de Rossi donnait cette impression comme ayant été celle de son vénérable père et de plusieurs catholiques d'une orthodoxie éprouvée.

[38] DUPANLOUP, la Souveraineté pontificale, 3e édition, p. 166.

[39] FALLOUX, Mémoires d'un royaliste, 2 vol. in-8°, Paris, 1888, t. I, p. 444.

[40] Le mystérieux caractère du roi Charles-Albert a été merveilleusement pénétré par le marquis COSTA DE BEAUREGARD. Voir la préface de son livre : l'Epilogue d'un règne, les dernières années du roi Charles-Albert, un vol. in-8°, Paris, 1890.

[41] Le quadrilatère vénitien était formé par les places de Vérone, Legnago, Peschiera et Mantoue. — Dans un mémoire diplomatique, destiné à justifier son intervention en Lombardie, Charles-Albert déclarait prendre cette mesure pour empêcher que le mouvement actuel ne devint un mouvement républicain (Léopold DE GAILLARD, Hist. de l'expédition de Rome en 1849, p. 48, note) Metternich, de son côté, affirmait ne vouloir que soustraire la Lombardie-Vénétie aux influences révolutionnaires. Plus tard, Cavour invoquera un semblable motif pour faire envahir les Etats de l'Eglise. Au fond, dit L. de Gaillard, en 1848 comme en 1860, prendre des mesures, ce sera, avant tout, prendre quelque chose (ibid.).

[42] CHANTREL, Annales, t. I, p. 36-39.

[43] CHANTREL, Annales, t. I, p. 40.

[44] CHANTREL, Annales, t. I, p. 38.

[45] C'est Pie IX lui-même qui, dans son allocution du 29 avril 1848, relève cette accusation (CHANTREL, Annales, t. I, p. 37).

[46] BALLEYDIER, Hist. de la Révolution de Rome, t. I, p. 172.

[47] Dépêche de M. d'Harcourt à M. Bastide, du 4 septembre 1848. Citée par P. DE LA GORGE, Hist. de la seconde République, t. II, p. 65.

[48] M. Bastide à M. d'Harcourt, 25 août 1848.

[49] P. DE LA GORGE, Hist. de la seconde République, t. II, p. 63-64.

[50] L. DE GAILLARD, Hist. de l'expédition de Rome en 1849, p. 73.

[51] Les Etats Sardes comprenaient la Savoie, le Piémont et la Sardaigne, et avaient pour roi Charles-Albert.

[52] Mazzini, dans une lettre qui fut publiée, déclarait cette mort indispensable. Cf. DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, 4e édition, Avignon et Paris, 3 vol. in-8°, t. II, p. 29 ; LUBIENSKI, Guerres et révolutions d'Italie, ch. XII et XIII.

[53] CHANTREL, Annales, p. 57-58.

[54] Cardinal MATHIEU, la Souveraineté pontificale justifiée par l'histoire, p. 629.

[55] CHANTREL, Annales, p. 61-62.

[56] CHANTREL, Annales, p. 65-66.

[57] CHANTREL, Annales, p. 74.

[58] CHANTREL, Annales, p. 74-77. Au mois de mars cependant on vit le pape se décourager et songer un moment à déposer la tiare (Marquis de SÉGUR, Vie de l'abbé Bernard, un vol. in-12, Paris, 1883, p. 104.

[59] Emile OLLIVIER, l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, 2 vol. Paris, 1879, t. I, p. 502-505. — La capacité diplomatique d'Antonelli a été parfois mise en doute. On cite ce mot du comte d'Arnim, montrant, de la cour San Damaso, les fenêtres du Secrétaire d'Etat : La voilà, la grande incapacité méconnue. (Louis TESTE, Préface au Conclave, un vol. in-12, Paris, 1877, p. 46).

[60] P. DE LA GORGE, Hist. de la seconde République, t. I, p. 178.

[61] P. DE LA GORCE, Hist. de la seconde République, t. II, p. 80.

[62] Voir sa lettre du 2 décembre 1848, parue le lendemain dans l'Univers, la Presse et le Constitutionnel.

[63] On appelait déjà Piémont, le royaume de Sardaigne ou des Etats Sardes. Ce nom ne devait lui être donné officiellement qu'en 1860.

[64] FALLOUX, Question romaine, dans Mélanges politiques, t. II, p. 178.

[65] P. DE LA GORCE, Hist. de la seconde République, t. II, p. 85.

[66] Des historiens ont supposé, parallèlement à ces desseins, hautement avoués par le prince Louis-Napoléon Bonaparte, le but dissimulé d'obtenir, par la voie d'une modération hypocrite, la ruine du pouvoir temporel de la papauté ; et ils expliquent par là les ménagements que le prince aurait eus pour les partisans de Mazzini et pour Mazzini lui- même (CRÉTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Révolution, t. II, livre II ; DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, 4e édition, t. II, p 300-313) Mais il n'est pas facile d'établir si les complaisances du Président de la République française doivent are attribuées, comme le supposent ces auteurs, à une entente avec les loges maçonniques, ou si elles sont dues à la pression de son entourage, à des calculs de pure politique et à de simples tendances libérales du prince.

[67] FALLOUX, Mémoires d'un royaliste, t. I, p. 452.

[68] DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, t. II, p. 307.

[69] FALLOUX, Mémoires d'un royaliste, t. I, p. 452.

[70] FALLOUX, Mémoires d'un royaliste, t. I, p. 516.

[71] Voir le texte complet de la lettre dans P. DE LA GORCE, Hist. de la seconde République, t. II, 125-226 ; POUGEOIS, Hist. de Pie IX, t. III, p. 148-149.

[72] P. DE LA GORGE, II, 225.

[73] Adhémar D'ANTIOCHE, Deux diplomates, p. 113.

[74] L. DE GAILLARD, Hist. de l'expédition de Rome en 1849, p. 318.

[75] CHANTREL, Annales, p. 84.

[76] CHANTREL, Annales, p. 84-85.

[77] Moniteur du 10 septembre 1849.

[78] Tout le discours est plein de traits d'une verve merveilleuse. Le discours de Victor Hugo, à qui l'orateur répondait, avait été vivement applaudi par l'extrême-gauche. Messieurs, dit Montalembert en débutant, le discours que vous venez d'entendre a déjà reçu le châtiment qu'il méritait dans les applaudissements qui l'ont accueilli. Des murmures et des protestations violentes interrompent l'orateur. Le président Dupin lui fait observer que son expression n'est point parlementaire. Montalembert reprend : Puisque le mot de châtiment vous blesse, messieurs, je le retire, et j'y substitue celui de récompense (MONTALEMBERT, Œuvres, t. III, p. 254).

[79] CHANTREL, Annales, p. 95.

[80] CHANTREL, Annales, p. 81.