HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

CHAPITRE IV. — GRÉGOIRE XVI ET LES ÉTATS PONTIFICAUX (1831-1832).

 

 

La double tâche léguée par Pie VIII mourant à son successeur : discerner et condamner les erreurs du siècle, était d'autant plus difficile à remplir, que la plupart de ces erreurs s'abritaient sous des dénominations équivoques. La plus équivoque de ces dénominations était celle de libéralisme. L'agitateur révolutionnaire Mazzini se disait libéral, comme le protestant conservateur Guizot, comme le prêtre ultramontain La Mennais, comme le groupe de jeunes catholiques, Gerbet, Rohrbacher, qui, depuis plus d'un mois, dans le journal l'Avenir, guerroyaient vaillamment pour Dieu et la liberté[1]. Le sens du mot, au surplus, n'était pas exactement le même dans les diverses nations. En Italie, hi mouvement libéral semblait se confondre avec le mouvement pour l'indépendance nationale, et, à ce titre, de sincères croyants, tels que Silvio Pellico et Manzoni, l'acclamèrent. En Angleterre, le libéralisme s'entendait plutôt dans un sens dogmatique ; et Newman, croyant le voir dans l'agitation d'O'Connell et des catholiques irlandais, le leur reprochait comme un crime[2]. Chez le chef du mouvement libéral en France, l'abbé de La Mennais, le libéralisme était destiné à prendre successivement les formes les plus diverses : parti de l'ultramontanisme le plus ardent, il était en voie d'aboutir à la révolte déclarée contre le pape. L'équivoque ne cessera que lorsque l'autorité suprême du Saint-Siège aura défini et condamné l'erreur libérale.

 

I

C'est en Italie, c'est clans les Etats mêmes du pape, que le mot de libéralisme couvrit les aspirations les plus divergentes. Expression d'un noble sentiment d'indépendance nationale pour les uns, de vagues tendances constitutionnelles ou démocratiques pour les autres, de sourdes méfiances envers le Saint-Siège pour plusieurs, il fut, pour les sociétés secrètes, qui s'emparèrent du mouvement, le mot sonore par lequel des meneurs hypocrites tentèrent de justifier les attentats les plus sacrilèges contre l'Eglise et les conspirations les plus' dangereuses contre l'ordre social.

L'homme qui allait devenir l'inspirateur et le chef de l'agitation révolutionnaire en Italie, l'organisateur de la Jeune Italie et de la Jeune Europe, Giuseppe Mazzini, a résumé sa tactique dans ce passage de ses Instructions : En Italie, le peuple est encore à créer ; mais il est prêt à déchirer l'enveloppe qui le retient... Il y a des mots régénérateurs, qui contiennent. tout ce qu'il faut souvent répéter au peuple : liberté, droits de l'homme, progrès, égalité, fraternité. Voilà ce que le peuple comprendra, surtout quand on lui opposera les mots de despotisme, privilèges, tyrannie, esclavage, etc. Le difficile n'est pas de convaincre le peuple ; c'est de le réunir. Le jour où il sera réuni, sera le jour de l'ère nouvelle[3]. Le peuple une fois soulevé, les princes le suivraient. Le pape, écrit le fameux agitateur, entrera dans la voie des réformes par la nécessité ; le grand-duc de Toscane, par inclination, faiblesse ou imitation ; le roi de Naples, par contrainte ; le roi de Piémont, par l'idée de la couronne d'Italie[4].

L'idée de l'unité nationale de l'Italie fut une de celles que les sociétés secrètes exploitèrent avec le plus de succès. L'histoire de l'Italie pendant le XIXe siècle, écrit Claudio Jaunet, montre plus qu'aucune autre comment l'action néfaste de la franc-maçonnerie et des sectes sorties de son sein fausse le développement de la vie publique chez les peuples où elles réussissent à s'implanter. L'Italie, centre prédestiné de la civilisation par excellence, avait été, par une conséquence même de sa destinée, le champ de bataille des autres peuples. Les rivalités de ses propres enfants et surtout le régime républicain de ses municipalités, l'avaient empêchée de former une nation, à l'époque où les autres races européennes se constituaient en monarchies compactes. La domination étrangère, à laquelle quelques-unes de ses provinces étaient soumises, était devenue particulièrement pénible à supporter au XIXe siècle. D'une part, le sentiment des nationalités s'était développé partout, à mesure que les gouvernements se centralisaient au détriment des autonomies locales ; d'autre part, l'annexion injuste de la Vénétie par le traité de Campo-Formio, et le scandaleux mépris du droit dont avait fait preuve le congrès de Vienne, en sanctionnant cette injustice, avaient grave-nient compromis le principe de légitimité que l'Autriche pouvait invoquer sur le Milanais[5].

L'indépendance et l'unité de l'Italie furent donc des mots d'ordre habilement choisis par les sectes. Mais des esprits avisés eussent facilement compris que, derrière ces buts apparents, des visées hostiles au catholicisme se cachaient. L'Italie se couvrit de sectes, dit un écrivain très au courant de leurs menées. La franc-maçonnerie, renforcée du carbonarisme, était humanitaire ; sa fraternité universelle pouvait se traduire en ce qui s'appelle de nos jours socialisme et, eu langue radicale, fédération des peuples. Elle était anticatholique[6]. Ce que voulaient avant tout les sectes, c'était la destruction du pouvoir temporel du pape et de l'Eglise catholique elle-même.

Au premier rang de ceux qui eussent dû apercevoir, dénoncer e. combattre ces visées sacrilèges, était l'homme d'Etat qui se donnait alors le rôle de diriger la politique des grandes puissances de l'Europe contre la Révolution : le prince de Metternich. Le ministre autrichien se rendit nettement compte de la puissance acquise, au lendemain de la révolution de 1830, par les sectes qui se groupaient autour de la franc-maçonnerie. Ni le cabinet des Tuileries, écrivait-il à l'ambassadeur d'Autriche à Paris, ni personne ne peut plus mettre en doute la somme des dangers qui menacent le corps social, par suite de la force extrême qu'a acquise, à l'ombre de la tolérance et de l'impunité, une secte antisociale, qui, sous cette égide, a su se constituer un gouvernement solide et compact[7]. Mais, après avoir si nettement constaté l'immense puissance destructive des sociétés secrètes, quelle est l'institution que le célèbre diplomate cherche à préserver de leurs coups ? Ce n'est point ce principe de la légitimité, dont il s'est proclamé le défenseur au congrès de Vienne, car on le voit montrer à l'égard du roi Charles X et du duc de Bordeaux un dégagement égoïste. Ce ne sera pas davantage ce pouvoir temporel du Saint-Siège dont il se dit le premier défenseur, car il ne le protégera qu'en essayant de le dominer. C'est avant tout, c'est, peut-on dire, uniquement la tranquillité des gouvernements de fait, y compris cette monarchie de Juillet qu'il vient de faire reconnaître à son souverain. Tout l'effort de Metternich — sa correspondance diplomatique en fait foi — consistera à essayer de circonscrire le péril révolutionnaire, et particulièrement à tenter de décider le roi Louis-Philippe à entrer dans la voie des mesures répressives contre les sectes. Dans plusieurs pièces diplomatiques de cette époque, qu'il a intercalées au cours de ses Mémoires, on le voit mettre en avant, pour agir sur le roi des Français : la part prise par les bonapartistes à l'action des sociétés secrètes. Les fils de Louis Bonaparte, dit-il[8], sont à la tête des insurgés qui veulent conquérir la capitale. Plus tard, revenant avec plus de précision sur son point de vue, il écrira[9] : La France est géographiquement placée de manière que la monarchie bonapartiste n'aurait qu'à franchir les Pyrénées, et que la république bonapartiste n'aurait qu'à franchir les Alpes, pour se donner la main dans le royaume de France.

 

II

Pendant que le fameux homme d'Etat poursuivait ces négociations à peu près stériles, les sectes avaient profondément bouleversé l'Etat pontifical.

L'étincelle qui détermina l'explosion révolutionnaire était partie de la ville de Modène. Un familier intime de François IV, duc de Modène, Ciro Menotti, personnage habile et intrigant, membre influent de la Haute-Vente italienne, avait organisé l'émeute. Laissant entendre au vieux duc, son maître, dont il cultivait avec soin les rêves ambitieux, qu'il s'agissait uniquement de conquérir l'indépendance politique de la péninsule et d'affermir cette œuvre en plaçant sur la tête du prince la couronne constitutionnelle de l'Italie unifiée, il avait eu ses coudées franches pour se recruter des affidés dans les diverses villes des Etats pontificaux et à Rome même. La haute approbation de François IV, dont il se prévalait à l'occasion comme d'un gage de succès, lui avait valu de précieux adhérents[10]. S'il faut en croire le conspirateur, on aurait compté parmi ceux-ci plusieurs personnages haut placés du gouvernement français[11]. Il avait, à coup sûr, dans sa main, les deux fils de Louis-Napoléon[12]. Mais le duc avait à temps ouvert les yeux. Comprenant enfin que l'entreprise de Menotti ne tendait à rien de moins qu'à déchaîner une révolution sociale, dont le Saint-Père et les souverains de l'Europe seraient les principales victimes, il prévint le mouvement insurrectionnel ; et, au moment où Menotti préparait l'invasion du palais ducal, il le fit arrêter comme parjure et révolté.

Ces mesures venaient malheureusement trop tard pour empêcher l'exécution d'un complot solidement organisé. En même temps que Menotti essayait de révolutionner Modène, ses affiliés, fidèles au mot d'ordre, se soulevaient à Bologne. Peu de temps après, le mouvement gagnait toutes les autres villes de la Romagne, l'Ombrie, les Marches, toutes les Légations. Les conjurés formèrent partout des gardes nationales, puis établirent des gouvernements provisoires, formés de nobles, de médecins, d'avocats. Bologne fut leur quartier-général. Le prolégat, Mgr Clarelli, dut, pour éviter de plus grands maux, consentir à la création d'une commission gouvernementale, ayant sous ses ordres une garde provinciale ; puis, sentant son autorité débordée par le pouvoir nouveau, il quitta la ville, pour se rendre à Rome[13]. Dès lors, les insurgés ne cachèrent plus leur but. Après le départ du prolégat, la commission déclara, sans discussion, l'affranchissement complet de la domination temporelle du pape en un seul gouvernement. Enfin, elle publia un manifeste contre l'administration du pape, et organisa un gouvernement central, formé d'un président et de sept ministres[14]. Tous ces événements se passaient dans l'interrègne, habilement choisi, qui sépara la mort de Pie VIII de l'élection de son successeur. Maîtres des Légations et des Marches, les conjurés avaient jusque-là respecté le patrimoine de saint Pierre[15] ; mais il était visible que les événements qui venaient de se précipiter n'étaient que le prélude d'une invasion de Rome. Le gouverneur de la ville ne négligea rien pour surprendre le secret de la conjuration. Averti que des complots se tramaient dans l'ombre, il fit, le 11 décembre 1830, arrêter les plus suspects des agitateurs et contraignit les autres à quitter Rome. Parmi les personnes arrêtées, se trouvaient un avocat, réfugié de Modène, Joseph Cannonieri, et le maître de chambre du prince Charles Bonaparte, Guy Fedeli de Recanati. Grâce à ces mesures énergiques, le conclave put se réunir, le 13 décembre, dans une sécurité relative.

Quarante-cinq cardinaux prirent part aux divers scrutins. Dès le premier jour, le cardinal Pacca, doyen du Sacré Collège, le cardinal Cappellari, préfet de la Propagande, et le cardinal Giustiniani, ancien nonce à Madrid, recueillirent les plus nombreux suffrages mais le gouvernement espagnol, usant du droit d'exclusive, qu'une coutume tolérée par le Saint-Siège accordait aux puissances catholiques, opposa son veto à l'élection du cardinal Giustiniani. On suppose que la part prise par Giustiniani à la nomination des-évêques d'Amérique, sous le pontificat de Léon XII, fut la cause de cette exclusion. Restaient Pacca, que de longs services dans les nonciatures avaient mis en évidence, en révélant son dévouement éclairé. aux intérêts de l'Eglise, et Cappellari, que des travaux moins éclatants, mais très appréciés de ceux qui en avaient été les témoins, recommandaient à ses collègues. Pacca, plus connu du monde diplomatique, eût été facilement accepté par les couronnes. Cappellari était le candidat préféré des Zelanti. Pendant près de deux semaines, les deux partis se balancèrent, l'écart des voix entre les deux candidats étant à peine de quatre ou cinq voix. Pour en finir, Albani, dont les relations avec les couronnes étaient connues de tous, se rangea au parti des Zelanti. La plupart des cardinaux qui avaient suivi ses inspirations, l'imitèrent ; et, le 2 février 1831, jour de la Purification de la Sainte Vierge, le cardinal Maur Cappellari fut élu pape par trente et une voix. L'assemblée avait duré cinquante jours[16]. Le nouveau pape, en souvenir du couvent de Saint-Grégoire du Cœlius, dont il avait été le supérieur, et du grand saint qui l'avait habité, prit le nom de GRÉGOIRE XVI. Cette élection fut accueillie, dans le monde entier, par des témoignages de satisfaction. Dans la presse indifférente ou hostile au catholicisme, le National et le Temps firent l'éloge du nouvel élu. Je n'ai pas besoin de vous assurer, écrivait le prince de Metternich au comte de Lützow, ambassadeur d'Autriche près du Saint Siège, qu'aucun choix qu'eût pu faire le Sacré-Collège n'aurait été plus agréable à notre auguste maître, que celui qui vient d'avoir lieu[17]. Et, dans l'Avenir, l'abbé de La Mennais saluait en ces termes le nouveau pontife : Le cardinal Cappellari a fait, dans ses fonctions de préfet de la Propagande, une expérience anticipée et comme un magnifique apprentissage de la papauté... Sa bénédiction Urbi et Orbi, en se répandant du haut de la basilique de Saint-Pierre, rencontrera aux bornes du monde des vestiges de ses bienfaits... C'est du sein de cette charité universelle qu'il a monté les marches du trône réservé au suprême défenseur de la vérité et de la justice.

 

III

Le caractère du nouveau pape, l'heureux succès des œuvres auxquelles il s'était employé jusqu'alors, la solidité de sa science théologique, dont il avait déjà donné des preuves, justifiaient cette satisfaction générale.

D'une haute stature, la démarche ferme et la taille droite, malgré ses soixante-cinq ans révolus, Grégoire XVI n'avait point, dans les traits de son visage, cette fine distinction que respiraient les physionomies de Léon XII et de Pie VIII ; et la malice de ses ennemis chercha, plus d'une fois, à caricaturer les lignes fortement accentuées de son visage, ses lèvres légèrement proéminentes, ses grands yeux noirs, ses sourcils largement arqués. Mais, au dire de tous ceux qui l'approchèrent, l'expression de son âme le transfigurait, aussitôt qu'il avait à remplir une fonction religieuse ou qu'il entrait en conversation. La majesté recueillie qu'il apportait dans les cérémonies du culte, la spirituelle bonhomie qu'il savait mettre dans ses entretiens, le ton simple, animé, affectueux par lequel il mettait à l'aise le plus humble de ses visiteurs, touchèrent l'âme de plus d'un hérétique. On remarquait toutefois qu'en présence d'une injustice flagrante, son visage prenait rapidement un air sévère, presque terrible ; mais cette expression cédait bientôt à son air habituel de bonté, et il était facile de deviner que le pontife n'avait fait violence à sa bienveillante nature que pour obéir à un impérieux devoir de sa conscience[18].

Tel il apparaissait à qui l'abordait de près, tel il avait été dans sa vie passée, tel il devait être dans tout son pontificat : d'une bonté paternelle envers les hommes, d'une inflexibilité rigide envers les erreurs. La constance parfaite de l'attitude et des idées, fut un des traits les plus caractéristiques de la carrière du pape Grégoire XVI.

Barthélemy-Albert Cappellari était né, le 18 septembre 1765, dans la vieille et pittoresque ville de Bellune, en Vénétie, d'une famille de petite noblesse, recommandable par lès traditions de vertu qui s'y étaient perpétuées d'âge en âge. En revêtant, en 1783, l'habit blanc du camaldule, au couvent de Saint-Michel de Venise, le jeune moine prit, en souvenir d'un des plus chers disciples de saint Benoît, le nom de Maur. Dans les emplois successifs qu'il eut à remplir en divers monastères de Venise, de Rome et de Padoue, dom Maur Cappellari contracta ces habitudes de. vie simple, recueillie et laborieuse, qu'il devait garder sur le trône pontifical[19]. D'autre part, les délicates fonctions qu'il eut à exercer, soit comme visiteur des collèges et universités, soit comme correcteur des livres des Eglises orientales, soit comme préfet de la Propagande, avaient mis en lumière cet art de manier avec souplesse les hommes et les choses, que beaucoup d'historiens ont gratuitement dénié à Grégoire XVI, mais que l'étude impartiale de sa vie montre avec évidence. C'est lui garni, sous Léon XII, fit prévaloir, comme préfet de la Propagande, contre l'habile diplomatie du comte de Labrador, la déchéance des droits que l'Espagne s'arrogeait sur la nomination des évêques dans les pays du nouveau monde qui s'étaient soustraits à son empire. Il est vrai que, chez ce négociateur avisé, l'intelligence des situations concrètes et des solutions qu'elles commandaient ne fit jamais oublier l'inviolabilité des principes qui orientaient ses démarches. Dès sa première jeunesse, le futur auteur de l'encyclique Mirari vos n'avait eu rien de plus à cœur que de défendre les droits de l'Eglise et de la papauté contre les erreurs contemporaines. En 1786, l'année même de sa profession religieuse, il soutenait, en présence du patriarche de Venise, une thèse publique sur l'infaillibilité du pape[20]. Dès l'année suivante, en qualité de professeur de théologie, il choisissait de préférence, comme objets de ses cours, les questions agitées par les philosophes du jour[21]. En 1799, il synthétisait et complétait toutes ses idées précédemment exposées, dans son ouvrage : Triomphe du Saint-Siège et de l'Église contre les assauts des novateurs, repoussés et combattus par leurs propres armes[22]. Quelques années plus tard, Maur Cappellari était un des principaux promoteurs de l'Académie de la religion catholique, et lisait, dans ses réunions, plusieurs dissertations contre les erreurs des temps présents[23].

Ce n'étaient donc ni l'habitude des affaires ni la connaissance des problèmes intellectuels soulevés par les contemporains, qui manquaient au nouveau pape. Il ne tarda pas à avoir besoin de faire appel à l'une et à l'autre.

La question politique fut la première qu'il eut à aborder. La gravité de l'insurrection qui venait d'établir son centre à Bologne, n'avait échappé à aucune des grandes puissances. Celles-ci ne pouvaient douter que le coup porté au Saint-Siège n'émanât des sectes révolutionnaires, et ne menaçât indirectement, à ce titre, leur propre autorité. Mais aucune d'elles ne s'empressait de réprimer le mouvement. Les unes, telles que la France de Louis-Philippe et l'Angleterre, ne voyaient pas sans une certaine satisfaction les institutions d'ancien régime battues en brèche dans l'Italie pontificale, et remplacées par un régime Constitutionnel. Les autres, l'Autriche en tête, dont Metternich se faisait hardiment l'interprète, avaient pris, tout d'abord, une attitude menaçante ; mais, soit qu'elles voulussent ménager les sociétés secrètes, dont elles redoutaient la puissance, soit qu'elles ne fussent point fichées de voir l'ultramontanisme ébranlé, et qu'elles attendissent l'heure d'intervenir en faveur du Saint-Siège pour lui imposer leur protection, montraient peu de zèle à entraver l'insurrection. En somme, ni les Etats qui faisaient sonner bien haut le principe de l'intervention, comme l'Autriche par la voix de Metternich, ni ceux qui se retranchaient dans le système de la non-intervention, comme la France par l'organe de Casimir Périer, ne donnaient pleine satisfaction au souverain pontife. Les premiers, suspects de se laisser guider moins par un respect généreux du droit que par une politique d'égoïsme national, subissaient trop les inspirations du joséphisme ou du gallicanisme ; et les autres, par leur application du laissez-faire, laissez-passer dans les rapports internationaux, ne faisaient autre chose que transporter dans l'ordre des relations diplomatiques la pure doctrine du libéralisme et de l'indifférentisme.

 

IV

Le souverain pontife ne pouvait se faire illusion sur la portée des menées révolutionnaires. Quelques jours après l'élection de Grégoire XVI, l'insurrection envahissait le patrimoine de saint Pierre, pénétrait dans les rues de Rome, et y marchait drapeaux déployés. Il n'était plus temps de recourir à des mesures préventives. La papauté était acculée à un corps à corps avec l'émeute. Grégoire XVI fit appel au dévouement d'un homme dont il connaissait la fermeté, l'expérience des affaires et la fidélité au Saint-Siège, le cardinal Bernetti.

Thomas Bernetti, né à Fermo, le 29 décembre 1779, doit être placé, non loin de Consalvi, son maître, au premier rang des hommes d'Etat qui ont servi l'Eglise au XIXe siècle. Après avoir terminé ses études littéraires et son cours de droit dans sa ville natale, il était venu à Rome, et s'y était formé à la pratique des affaires sous la direction du célèbre Bartolucci. On le vit apparaître pour la première fois sur la scène politique au moment de la captivité de Pie VII. Il s'agissait de transmettre, à l'insu de l'empereur Napoléon, dont il fallait déjouer à tout prix la police et braver au besoin la colère, un message secret du pape à l'empereur d'Autriche. Bernetti se charge de la délicate et périlleuse mission. Il est assez heureux pour faire parvenir la lettre à son destinataire, et, par la réussite de son entreprise, il rend à l'Eglise un service des plus signalés. Grâce à lui, les plénipotentiaires des puissances alliées, réunis en congrès, dorment au pape une réponse favorable à la restitution des Etats du Saint-Siège[24]. Après de si glorieux débuts, Thomas Bernetti devint le bras droit de Consalvi, qui lui confia le soin de rétablir, en qualité de délégat, le gouvernement pontifical dans la province de Ferrare. Les qualités qu'il déploya dans cette charge le firent appeler aux fonctions d'assesseur du comité des armées dans Rome, puis à celles de gouverneur de Rome. Sous Léon XII et Pie VIII, la situation de Bernetti grandit encore, et ses talents d'homme d'Etat brillèrent d'un tel éclat, qu'ils lui attirèrent l'estime des plus tenaces adversaires de l'Eglise. Pour moi, écrivait Stendhal en parlant du conclave de 1829[25], je désire voir sur le trône de saint Pierre le cardinal le plus raisonnable, et mes vœux sont pour Bernetti. Le jour même de son élection, Grégoire XVI, pressentant la gravité du mouvement révolutionnaire qui venait d'éclater dans la légation de Bologne, confirma Bernetti dans le gouvernement de cette province, que lui avait confiée Pie VIII[26]. Peu de jours après, quand la Révolution gagna Rome, il éleva l'intrépide cardinal[27] à la haute charge de pro-secrétaire d'Etat, afin de s-appuyer plus complètement sur lui. En ces pénibles conjonctures, disait plus tard Grégoire XVI, je voulus avoir auprès de moi un bras de fer et un cœur d'or : je confiai à Bernetti la direction suprême du gouvernement[28].

Du premier coup d'œil, Bernetti jugea la situation en véritable homme de gouvernement, qui porte son regard au delà des difficultés présentes. A son avis, le Saint-Siège devait, en présence de l'insurrection, agir, autant que possible, par ses seules forces, et ne recourir qu'à la dernière extrémité à l'intervention des puissances étrangères. L'avenir montra combien ses appréhensions étaient justifiées.

Conformément aux vues de son conseiller, le pape adressa d'abord un paternel appel à son peuple. Répondant aux calomnies de ceux qui le représentaient comme l'ennemi de tout progrès, il protesta du désir qu'il avait de contribuer au bien-être matériel et spirituel de ses sujets[29]. Mais l'émeute s'étendait. Elle avait gagné les villes d'Imola, de Faenza, de Forli, de Ravenne. Sercognani, parcourant les Marches, à la tête d'une armée de 2.000 hommes, adressait aux Romains une proclamation pour les exciter à la révolte. Les deux fils de la reine Hortense quittaient la Toscane pour se joindre aux rebelles. Le pape, en vue de prouver à ses sujets que ses promesses de réforme n'étaient point vaines, et pour 'répondre à la tactique des meneurs, dont le premier acte avait été de décréter la diminution des impôts, s'empressa, dès le 13 février, de prendre des mesures analogues. Le 16, il abaissa le tarif des douanes. Le 19, il diminua l'impôt sur le sel. En même temps, il ouvrait les prisons politiques, faisant mettre en liberté soixante-dix individus condamnés pour crime d'Etat.

Il fallait montrer que ces mesures ne déguisaient pas la faiblesse et ne constituaient pas une capitulation. Pendant que le pontife essayait de désabuser son peuple des accusations portées contre le gouvernement du Saint-Siège, Bernetti négociait des achats d'armes à l'étranger, et, le 17 février, s'adressait aux Romains pour constituer une garde civique. Cet appel ayant reçu un accueil enthousiaste parmi les populations de la ville de Rome et de la campagne romaine, un nouvel acte du gouvernement pontifical organisa, le 21 février, la nouvelle institution. L'article 1er déclarait que la garde civique se composerait de tous les hommes, les ecclésiastiques exceptés, ayant accompli leur vingtième année et n'ayant pas soixante ans révolus. L'article 2 ajoutait que néanmoins les personnes âgées de soixante ans ou plus, qui s'offriraient à donner cette preuve de zèle, pourraient en faire partie. Dans la pensée du secrétaire d'Etat, cette mesure ne visait pas seulement le peuple de Rome, qu'il était opportun d'intéresser à la défense de la ville, et les insurgés, à qui il importait d'opposer la force matérielle, mais aussi les grandes puissances, en particulier l'Autriche, qui, ayant déjà un pied en Italie, ne demandait qu'à y intervenir de nouveau et à faire payer au pape sa protection hautaine et intéressée. Effectivement, dès le 15 février, le prince de Metternich avait écrit à son ambassadeur auprès de la cour de France, pour s'assurer que Louis-Philippe ne s'opposerait pas à une action de l'Autriche dans la péninsule. L'ambassadeur devait rappeler au roi que la révolution italienne n'était que la révolution des bonapartistes, soutenue par les anarchistes français, et que le roi des Français avait intérêt à ne pas laisser s'établir près de lui un trône bonapartiste[30].

De telles déclarations, nous le verrons bientôt, ne trompèrent ni le gouvernement français ni le gouvernement pontifical sur les visées réelles de la cour de Vienne. Cependant l'insurrection ne cessait de gagner du terrain et de devenir plus menaçante. Le 17 février, la garnison d'Ancône avait capitulé devant les insurgés, et, le 19, le cardinal Benvenuti, envoyé par le Saint-Père comme légat a latere dans les provinces révoltées pour y ramener la paix[31], avait été arrêté et fait prisonnier par l'émeute. Le 21 février, le cardinal Bernetti informa de ces attentats le corps diplomatique. Une action combinée des puissances catholiques, conduite avec décision et fermeté, eût réussi peut-être à conjurer le péril. Cette action ne se produisit pas. En présence de cette inertie, le pro-secrétaire d'Etat fit parvenir aux puissances la note suivante : Le Saint-Père, après avoir épuisé tous les moyens qui étaient en son pouvoir, a reconnu la nécessité d'implorer un secours étranger... Il s'est tourné vers l'empereur d'Autriche, et lui a demandé le concours armé de ses soldats...

Les troupes autrichiennes, — le pape et son ministre ne l'ignoraient pas, — étaient déjà massées aux frontières. Au premier signe du Saint-Père, elles franchirent le Pô. Le 21 mars, Ferrare, Ravenne et Bologne étaient déjà tombées entre leurs mains. La reddition d'Ancône, le 29 mars, termina la campagne. A la date du 2 avril, l'autorité du Saint-Siège fut rétablie dans toutes les provinces. Tout indique que le prétendu soulèvement populaire avait été le fait de quelques meneurs habiles et turbulents, trompant les uns par leurs perfides calomnies, terrorisant les autres par leurs brutales agressions. Ces meneurs disparus, tout rentra dans l'ordre. On vit renaître la confiance dans les Etats pontificaux. Grégoire XVI on profita pour adresser, le 5 avril, à son peuple une proclamation pleine de douceur et de fermeté. Il renouvelait solennellement sa ferme résolution de créer des institutions propres à améliorer le sort de ses sujets ; mais il ajoutait aussitôt que ces soins paternels ne lui seraient possibles que par le maintien de mesures énergiques, propres à empêcher le retour de nouveaux désordres.

L'exécution de cette double déclaration ne se fit pas attendre. Comme prémices des réformes judiciaires qu'il se proposait de réaliser, Grégoire XVI déclara abolir la peine de la confiscation des biens, châtiment que ne justifiaient plus les mœurs politiques des peuples civilisés ; et, comme gage de la douceur dont il entendait faire preuve à l'égard des égarés, il promulgua une sentence d'amnistie en faveur de tous les rebelles qui, n'étant pas employés civils ou militaires du pouvoir pontifical, auraient déposé les armes le 6 avril, Mais, en revanche, il institua une commission civile, chargée de rechercher et de juger les promoteurs et les propagateurs du mouvement révolutionnaire. Tous les fonctionnaires, militaires ou civils, compromis dans le mouvement, ne pourraient être rétablis dans leurs charges avant de s'être purgés des accusations portées contre eux. En fait, ainsi que le déclara Bernetti dans une note du 30 avril, la plupart des grands coupables eurent le temps de quitter les Etats du Saint-Siège, et échappèrent ainsi à toute condamnation.

 

V

L'ère des désordres semblait close. Elle l'eût été peut-être en réalité, si les puissances, fidèles aux règles les plus élémentaires du droit public international, s'étaient contentées de protéger l'ordre extérieur dans les Etats du Saint-Siège, en s'abstenant de toute ingérence dans sa politique intérieure. Malheureusement, on apprit bientôt que le gouvernement de Louis-Philippe et le gouvernement de François Ier venaient de se mettre d'accord pour faire prévaloir une politique toute différente. Le cabinet de Casimir Périer, qui préconisait si fort une politique de non-intervention absolue, prétendait intervenir dans les rouages les plus intimes du gouvernement pontifical ; et le cabinet du prince de Metternich, qui professait, avec le culte de la papauté, celui des institutions les plus autoritaires du passé, s'associait aux désirs du gouvernement de Juillet, pour demander au pape des réformes libérales. Bientôt après, les deux gouvernements décidaient de réunir, à cet effet, une conférence, à laquelle la France convoquait l'Angleterre protestante, tandis que l'Autriche y appelait la Prusse hérétique et la Russie schismatique.

La conférence projetée s'ouvrit, à Rome même, sous les yeux du Saint-Père, mais sans sa participation. Quel était le but des souverains d'Autriche et de Russie en prenant part à une telle démarche ? Guizot, dans ses Mémoires, conjecture qu'ils s'y prêtèrent par prudence, dans un moment d'orage, surtout par égard pour la France et l'Angleterre, dont ils redoutaient l'action libérale et qu'ils espéraient contenir en ne s'en séparant point[32]. Leur attitude, en ce cas, manquait au moins de fierté. On peut ajouter qu'elle n'était, au fond, ni habile ni digne, et que, pour ce qui concerne l'Autriche, elle était suspecte d'une arrière-pensée joséphiste. Le cabinet de Vienne, lorsqu'il agissait ainsi, prêtait au soupçon de vouloir reprendre les pires traditions de Joseph II, en s'ingérant abusivement dans les affaires du Saint-Siège.

Le Memorandum rédigé par les plénipotentiaires des cinq puissances[33], à l'issue de la conférence de Rome, le 21 mai 1831, ne put que confirmer ces impressions. Par un procédé sans exemple dans les annales de l'histoire, les cinq puissances prétendaient dicter au pape les réformes qu'il devait faire dans ses Etats pour répondre aux prétendues aspirations de son peuple. C'était bien là le joséphisme monarchique mettant son autorité au service du libéralisme révolutionnaire.

L'essentiel de ces étranges revendications se trouvait exposé dans les deux premiers paragraphes de la pièce diplomatique[34].

Il parait aux représentants des cinq puissances, disait-on, que, quant à l'Etat de l'Eglise, il s'agit, dans l'intérêt de l'Europe, de deux points fondamentaux : I° que le gouvernement de cet Etat soit assis sur des bases solides par les améliorations méditées et annoncées de Sa Sainteté elle-même dès le commencement de son règne ; 2° que ces améliorations, lesquelles, selon les expressions de l'édit de Son Excellence Mgr le cardinal Bernetti, fonderont une ère nouvelle pour les sujets de Sa Sainteté, soient, par une garantie intérieure, mises à l'abri des changements inhérents à la nature de tout gouvernement électif.

Pour atteindre ce but salutaire, ce qui, à cause de la position géographique et sociale de l'Etat de l'Eglise, est d'un intérêt européen, il paraît indispensable que la déclaration organique de Sa Sainteté parte de deux principes vitaux : de l'application des améliorations en question non seulement aux provinces où la Révolution a éclaté, mais aussi à celles qui sont restées fidèles à la capitale ; 2° de l'admissibilité générale des laïques aux fonctions administratives et judiciaires.

On le voit, les prétentions des puissances ne se bornaient pas à une intervention transitoire ; elles s'étendaient jusqu'à un contrôle permanent des réformes politiques demandées au Saint-Siège ; et il n'était plus douteux désormais que, si le gouvernement de Louis-Philippe tendait à propager dans l'Etat de l'Eglise le régime constitutionnel dont il se prétendait le modèle, l'Autriche aspirait à fixer son influence en Italie par son rôle d'interprète des revendications populaires. Au lendemain même de la conférence, le 22 mai, le comte de Saint-Aulaire, ambassadeur de France, constatait avec appréhension, dans une dépêche à son gouvernement, que l'Autriche devenait populaire en Italie. La France avait déjà protesté. au mois de mai précédent, contre la prolongation du séjour des troupes autrichiennes dans la péninsule. Elle commençait à se demander si, dans le Mémorandum, elle n'avait pas été dupe de la politique de Metternich. Bernetti, profond observateur, n'avait pas tardé à deviner combien l'accord des puissances était factice et instable. Une protestation solennelle et bruyante du pape contre le Memorandum pris en bloc eût accentué le malentendu que les sectes avaient créé. Plus que jamais, le souverain pontife eût paru se poser comme le défenseur de la tyrannie de l'ancien régime contre les réformes libérales réclamées par les souverains eux-mêmes.

Grégoire XVI fut admirable de calme et de dignité. Il signifia, non sans fierté, aux délégués de la conférence, qu'il réaliserait toutes les réformes spontanément promises par lui, et toutes celles qu'il jugerait utiles clans la suite ; mais il tenait à en garder l'initiative, fermement résolu d'user de toutes ses prérogatives de prince libre et indépendant. Cette attitude n'était pas seulement digne et fière ; elle était habile. Si les populations des Marches et des Légations, celles même du patrimoine de saint Pierre, avaient été en partie entraînées dans le mouvement du libéralisme révolutionnaire, elles avaient conservé profondément dans leur cœur le sentiment de l'indépendance nationale, la haine instinctive de l'ingérence étrangère en leur pays.

 

VI

Cependant le sourd dissentiment qui s'était manifesté, au cours mente des conférences de Rome, entre le cabinet de Vienne et celui de Paris, ne tardait pas à s'accentuer. Au cours même des pourparlers, le comte de- Saint-Aulaire, parlant de l'Autriche, dans une dépêche adressée à son gouvernement, avait signalé des symptômes bizarres de désaccord[35]. Quelque temps après, Louis-Philippe insinua au pape, par son ambassadeur, que la France prendrait volontiers la défense de l'ordre dans les Etats pontificaux, si le Saint-Siège consentait : 1° à écarter à son profit l'influence de l'Autriche, et 2° à prendre, dans un bref délai, certaines mesures libérales, telles que la promulgation d'une amnistie eu faveur des insurgés. Bernetti répondit au comte de Saint-Aulaire que la garantie française paraissait très précieuse à Sa Sainteté, mais que le pape croyait impossible de l'acheter par des mesures qui seraient une véritable abdication de l'indépendance pontificale. Ces derniers mots ayant été interprétés par les puissances comme un refus implicite du Memorandum, le ministre de Grégoire XVI précisa, dans une note postérieure, que si le pape ne pouvait consentir à sanctionner des réformes qui lui seraient dictées impérieusement et à jour fixe, il avait depuis longtemps prouvé par sa conduite l'empressement qu'il mettait à chercher et à réaliser les améliorations désirables et compatibles avec la sécurité publique.

Mais le conflit entre l'Autriche et la France devenait aigu. La France persistait à demander l'évacuation de l'Italie par les troupes autrichiennes et l'amnistie. Metternich, prétextant que le pape avait besoin d'être secouru, imposait des conditions au retrait des armées impériales[36]. Il se plaignait, en outre, de l'empressement que mettait le gouvernement français dans-ses exigences. Le cabinet français, écrivait-il, s'abandonne à son désir avec une ardeur qui le rend aveugle sur l'imprudence des moyens qu'il met en œuvre[37]. L'impatience du gouvernement de Louis-Philippe se comprenait. Le chef du cabinet, Casimir Périer, soutenait, depuis son arrivée au pouvoir, une lutte presque sans trêve contré le parti révolutionnaire[38]. L'ouverture des Chambres allait avoir lieu le 23 juillet. Une interpellation de la gauche sur l'occupation des Etats romains par l'Autriche était imminente. L'ambassadeur de France, dans une conversation qu'il eut avec le cardinal Bernetti, lui exposa que, si l'Autriche n'avait pas évacué le territoire pontifical au moment de la reprise des travaux législatifs, la France serait obligée, pour répondre victorieusement à une interpellation, d'occuper Civita-Vecchia et Ancône, afin de contrebalancer l'influence de la cour de Vienne dans les Etats pontificaux.

La situation était des plus critiques. Les armées française et autrichienne se trouvant en conflit sur le sol pontifical, s'y heurtant peut-être, ce pouvait être le déchaînement d'une guerre qui, étant donnée la tension des relations diplomatiques en ce moment, l'entente qui régnait alors entre la cour de Londres et la cour de Paris[39], la communauté d'idées qui rapprochait les gouvernements de la Prusse et de la Russie de celui de l'Autriche, risquait d'incendier l'Europe, en tout cas de troubler profondément les Etats de l'Eglise et de soulever les passions révolutionnaires. Grégoire XVI voulut pousser jusqu'aux dernières limites les témoignages de sa condescendance. Le 12 juillet 1831, il accorda une amnistie générale aux insurgés qui signeraient un acte de soumission à son autorité ; mais il en excepta nommément trente-neuf des principaux meneurs, entre autres Mamiani Pepoli. Trois jours après, il obtint l'évacuation immédiate de ses Etats par les troupes autrichiennes, mais sous la condition qu'elles reviendraient prêter main forte aux milices pontificales si la tranquillité des Etats de l'Eglise se trouvait de nouveau menacée. Ces mesures allaient-elles mettre fin à tout conflit[40] ?

Grégoire XVI ne l'espérait sans doute pas ; car, s'il avait momentanément écarté un danger imminent, les causes profondes de la crise dont souffrait l'Etat pontifical n'avaient pas disparu. D'une part le malencontreux Memorandum, avec ses injonctions relatives à de ragues réformes, continuait à donner aux agitateurs révolutionnaires un point d'appui et une force qui, pour n'avoir point été désirés par tous les signataires, n'en étaient pas moins considérables. D'autre part, la situation du Saint-Siège, sans véritable 'armée, sans moyens importants de défense, offrait aux sectes une occasion favorable de reprendre leurs complots. Le 22 décembre 1831, les prolégats et les états-majors de la garde civique de Bologne, de Forli et de Ravenne organisèrent, de leur propre initiative, une sorte de constitution autonome, et prétendirent s'opposer à toute intervention des troupes pontificales dans les légations. Sous une forme moins violente, c'était une insurrection aussi radicale que celle qui avait troublé les Etats du Saint-Siège quelques mois auparavant.

Le pape vit le danger, et tâcha d'y parer sans retard. Le cardinal Albani, dont l'énergie et l'expérience des affaires étaient connues, fut nommé commissaire extraordinaire dans les quatre Légations ; avec les pouvoirs civils et militaires les plus étendus. Les milices pontificales, précédemment organisées, lui fournirent cinq mille hommes[41] ; malheureusement leur formation militaire n'était pas achevée ; leurs cadres laissaient à désirer ; elles apportèrent à leur action plus d'enthousiasme que de discipline. Arrivées aux frontières des Légations, elles se heurtèrent à des troupes de paysans, soulevés par les agents révolutionnaires, qui, avec les grands mots habituels de liberté, d'indépendance, de haine de l'oppresseur et de l'étranger, en avaient fait des fanatiques, désespérés et prêts à tout. Le cardinal Albani s'exagéra-t-il le danger ? Des historiens l'ont conjecturé. En tout cas, le péril était réel, et la nécessité de la répression était urgente. Les Autrichiens se tenaient toujours sur les frontières, l'arme au bras. Eux seuls pouvaient apporter un secours immédiat. Albani n'hésita pas. Sans consulter le pape, dont l'intervention personnelle aurait pu soulever des complications diplomatiques[42], il pria le général Radetzky, commandant en chef de l'armée autrichienne, de lui envoyer les troupes nécessaires. Tandis que lui-même, à la tête des milices pontificales, occupait Ferrare, Forli et Ravenne, Radetzky s'emparait de Bologne et de toutes les positions abandonnées six mois auparavant. Aux derniers jours de janvier 1832, l'autorité du Saint-Siège était rétablie dans toutes les provinces.

L'émoi fut grand en France. Ainsi les grands efforts faits par la diplomatie de Casimir Périer pour écarter l'Autriche de l'Italie et pour amener une entente entre le pape et le mouvement réformiste, étaient tout à coup rendus vains. C'était l'Autriche et la politique de la répression matérielle qui triomphaient. Guizot, dans ses Mémoires, exprime bien les sentiments qui agitèrent en ce moment le gouvernement de Louis-Philippe. Si on en restait là, dit-il[43], si le gouvernement français ne se montrait pas sensible à cet échec et prompt à le réparer, il n'avait plus en Italie ni considération ni influence. En France, il ne savait que répondre aux attaques et aux insultes de l'opposition. Déjà elle s'indignait, elle questionnait, elle racontait les douleurs des Italiens, les excès des soldats du pape, la rentrée des Autrichiens dans les Légations en dominateurs. Il n'y avait là, pour la France, point d'intérêt matériel et direct ; mais il y avait une question de dignité et de grandeur nationale, peut-être aussi de repos intérieur. Casimir Périer n'était pas homme à prendre facilement et à accepter oisivement cette situation. Le roi partagea gon avis, L'expédition d'Ancône fut résolue.

Toutefois, avant de mettre à exécution cette résolution, le cabinet de Paris essaya de faire agréer la démarche à la chancellerie pontificale. En même temps qu'une escadre, placée sous les ordres du commandant Gallois et du colonel Combes, faisait voile pour Ancône, le général Cubières fut envoyé à Rome et chargé de s'entendre avec l'ambassadeur de France pour donner à l'expédition projetée une direction favorable aux intérêts et à la dignité du Saint-Siège. Malheureusement, par un concours de circonstances imprévues, disent les uns, par une combinaison habilement calculée, prétendent les autres, tandis que le général Cubières fut retardé dans son voyage par des vents contraires, l'escadre fit la traversée avec une extraordinaire célérité. Pendant qu'à Rome le comte de Saint-Aulaire cherchait à faire accepter au cardinal Bernetti une occupation militaire simultanée de l'Autriche et de la France, et avant même que le général Cubières eût débarqué en Italie, la flottille française paraissait en vue d'Ancône. C'était le 22 février 1832. Le commandant Gallois et le colonel Combes, écrit un historien particulièrement informé de ces événements[44], se trouvèrent dans un extrême embarras. Ils avaient reçu l'ordre formel de ne rien faire sans avoir reçu les ordres de l'ambassadeur de France. Personne, ni à Ancône ni à Rome, ne les attendait si tôt. Ils craignaient, en tardant d'un jour, de laisser le temps de préparer une résistance, peut-être même de faire arriver une garnison autrichienne. Ils ignoraient complètement la situation politique. Imbus d'opinions belliqueuses, et favorables aux insurrections, ils se croyaient destinés à des hostilités contre les Autrichiens, à une alliance avec les révolutionnaires italiens. Ils demandèrent à entrer dans le port, ce qui fut accordé à leurs menaces. Les troupes furent mises à terre pendant la nuit ; on refusa de les admettre dans la ville ; les portes furent enfoncées. Ils emprisonnèrent les magistrats, réussirent à s'emparer de la citadelle en se disant alliés du pape, et firent imprimer une proclamation qui semblait supposer que la France était en guerre avec l'Autriche et qu'elle protégeait par ses armes les insurrections italiennes. M. de Saint-Aulaire n'était nullement préparé à ce grave incident. Il attendait le général Cubières, afin de signifier au gouvernement pontifical la résolution prise d'occuper Ancône, et il espérait qu'en protestant contre cet acte d'hostilité, le pape le laisserait s'accomplir sans résistance ouverte. Maintenant, la question n'était plus la même. C'était à main armée, sans avertissement préalable, en joignant la ruse à la violence, que les Français s'étaient emparés de la ville, agissant en ennemis et en conquérants. — L'acte, dit Guizot[45], semblait trop contraire au droit public et trop téméraire pour être ainsi commis en pleine paix et sans l'aveu ni du pape, ni des alliés de la France.

Le pape ne fut pas seul à protester. A la cour de Vienne, on déclara que l'occupation d'Ancône était une affaire européenne. Metternich écrivit : Si le gouvernement français veut la guerre, il aurait tort de commencer par le pape[46]. La cour de Londres elle-même fit entendre des observations à la cour de Paris. Mais il fut visible que cette dernière protestation, celle même que le pape notifia aux puissances, visait moins le fait de l'occupation française que la brutalité avec laquelle on y avait procédé. Casimir Périer mit fin à l'émotion des chancelleries en déclarant que le commandant Gallois et le colonel Combes avaient outrepassé leurs instructions. Le chef de l'escadre fut rappelé à Paris. Le comte de Saint-Aulaire lui-même fut blâmé pour n'avoir pas envoyé quelqu'un à Ancône porter ses ordres à la troupe. Des excuses furent faite& au prince de Metternich par l'ambassadeur de France à Vienne, le maréchal Maison. Le gouvernement français donna l'ordre au commandant des troupes d'occupation de ne favoriser en rien les mouvements révolutionnaires, et protesta de son dévouement absolu au Saint-Siège, déclarant que la conservation du pape et l'indépendance de ses Etats seraient toujours, comme par le passé, les motifs dirigeants de sa politique en Italie. En considération de ces assurances, le cardinal Bernetti déclara que la cour de Rome reconnaîtrait comme un fait temporaire l'occupation d'Ancône, si le gouvernement français voulait accepter les trois conditions suivantes : ne pas augmenter le nombre de ses soldats, ne construire aucune fortification et quitter Ancône, en même temps que les troupes autrichiennes quitteraient l'Italie, aussitôt que le pape n'aurait plus besoin de secours. Ces conditions furent strictement exécutées. Les troupes françaises occupèrent la citadelle d'Ancône jusqu'au moment de l'évacuation des Etats pontificaux par les troupes impériales, en 1838, sous le ministère Molé. S'il faut en croire un historien homme d'Etat, bien placé pour connaître les événements de l'Italie à cette époque, César Cantu, le cardinal Bernetti, bien qu'ayant dû protester avec force contre la brutale occupation d'Ancône[47], s'était réjoui, an fond de l'âme, de cette intervention de la France. Cette occupation d'Ancône par les Français lui paraissait le meilleur contrepoids à opposer à la domination que l'Autriche cherchait à faire peser sur l'Etat pontifical[48]. Ces sentiments étaient ceux de Grégoire XVI lui-même, qui ne redoutait pas moins les entraves d'un joséphisme oppresseur qua les agitations d'un libéralisme révolutionnaire.

 

VII

Le retentissement de certaines condamnations énergiques que Grégoire XVI eut à prononcer au cours de son pontificat, semble avoir trompé plusieurs historiens sur le caractère de ce pape. Sa grande prudence — nous venons de le voir dans l'histoire de ses relations diplomatiques — ne dégénérait point en farouche intransigeance ; et son esprit nettement conservateur — nous allons le constater dans le tableau de son administration temporelle — ne l'empêchait point de réaliser, en temps opportun, les réformes utiles.

L'activité organisatrice de Grégoire XVI s'exerça à la fois clans l'ordre administratif, judiciaire, financier, militaire, artistique et scientifique.

Le prince de Metternich a porté sur le gouvernement de Grégoire XVI un jugement sévère. Le gouvernement pontifical, écrivait-il à son ambassadeur à Rome, ne sait pas gouverner[49]... Le gouvernement pontifical appartient à la catégorie de ceux qui sont le moins capables de gouverner[50]. Metternich, qui cherchait à substituer l'influence autrichienne à l'influence pontificale en Italie, avait un intérêt politique à parler ainsi. Son jugement a malheureusement été partagé par des historiens réputés pour la mesure de leurs appréciations[51]. Il est démenti par l'examen attentif de la correspondance de ce pontife et de ses actes. Conservateur décidé, plus porté vers la tradition que vers la nouveauté, Grégaire XVI fut, en même temps, un esprit juste, prudent et modéré. Son gouvernement intérieur en fournira la preuve aussi bien que sa politique extérieure.

Pour s'en convaincre, il suffirait, ce nous semble, de lire avec attention le rapport officiel, rédigé à Rome même par les soins de l'ambassade de France et destiné à renseigner le gouvernement français sur les réformes réalisées en 1832 par le pape Grégoire XVI. Nous l'empruntons aux Mémoires de Guizot, qui a cru devoir, dans un noble souci d'impartialité, l'insérer parmi les pièces historiques qui accompagnent son ouvrage. L'importance du document fera accepter sa longueur et son aridité technique.

Je n'insère pas, dit Guizot, le texte même des cinq édits du pape Grégoire XVI, qui forment plus de 200 pages in-4°, et entrent dans des détails peu intéressants et peu clairs pour le public français ; mais je donne un résumé exact de leurs dispositions essentielles, résumé fait sur les lieux mêmes et au moment de leur publication.

L'édit du pape Grégoire XVI en date du 5 juillet 1831 était divisé en trois titres. Le premier réglait l'administration des provinces ; le second, celle des communes ; le troisième confirmait, en les améliorant, certaines dispositions qui avaient été établies par le motu proprio du pape Pie VII du 6 juillet 1816, et qui étaient, depuis, tombées en désuétude.

L'ancienne division du territoire en dix-sept délégations de première, deuxième et troisième classe, était provisoirement maintenue.

Rome et ses dépendances (la Comarque) restant soumises à un régime particulier, un chef dont les attributions étaient analogues à celles de nos préfets, administrait, sous le nom de prolégat, chacune des provinces. En fait, ces magistrats étaient tous laïques. L'édit prévoyait, comme mesure exceptionnelle, que des cardinaux pourraient être mis à la tête des délégations de première classe. Une congrégation governative, composée de quatre propriétaires nés ou domiciliés dans la province, y ayant exercé des emplois administratifs ou la profession d'avocat, siégeait auprès du prolégat, et délibérait sur toutes les affaires. Celles qui touchaient aux finances locales se décidaient à la majorité des voix. Pour celles qui touchaient à l'administration générale, la congrégation governative n'avait que voix consultative ; mais les avis de ses membres, quand ils étaient contraires à celui du prolégat, devaient être visés, enregistrés et transmis à l'autorité supérieure.

Chaque délégation était divisée en districts, et, à la tête de chaque district, des gouverneurs remplissaient des fonctions analogues à celles de nos sous-préfets, et servaient d'intermédiaires pour la correspondance entre lé prolégat et les gonfalonieri ou maires des communes.

Dans chaque chef-lieu de délégation, sous la présidence du prolégat, un conseil provincial se réunissait à des époques déterminées ; le nombre des membres de ces conseils était proportionné à la population des provinces. Aucun ne pouvait être composé de moins de dix membres. Les conseillers étaient nommés par le souverain, mais sur une liste de candidats présentés en nombre triple par des électeurs choisis librement par les conseils municipaux.

Les conseils provinciaux réglaient le budget, approuvaient les comptes des dépenses de la province, faisaient la répartition des impôts entre les districts, ordonnaient les travaux publics, en adoptaient les plans, et en faisaient suivre l'exécution par des ingénieurs placés dans leur dépendance. Dans l'intervalle de leurs sessions, une commission de trois membres, nommés par la majorité, restait en permanence, pourvoyait à l'exécution des mesures arrêtées par les conseils, et exerçait son contrôle sur les actes du prolégat et de la congrégation governative.

Le titre II de l'édit du 5 juillet 1831 réglait, d'après des principes analogues, l'administration des communes. Toutes recevaient des conseils municipaux de quarante-huit, trente-six et vingt-quatre membres. Ce dernier nombre s'appliquait aux villes d'une population de mille habitants. Les bourgs et les moindres villages avaient aussi des conseils composés de neuf membres, et les vacances survenues par cause de mort ou autrement étaient remplies par les conseils se recrutant ainsi librement eux-mêmes.

Des combinaisons habiles et conformes à l'esprit des localités réglaient le mode d'élection des conseils municipaux. On n'avait point visé à l'uniformité, à faire peser partout le même niveau. S'il arrivait que, dans quelques communes, les anciennes franchies parussent, à la majorité des habitants, préférables à la législation nouvelle, il était loisible de réclamer le maintien ou la remise en vigueur des statuts antérieurs.

La réunion des conseils avait lieu toutes les fois que les besoins de la commune le requéraient, et sur la &invocation d'un membre, tenu seulement à mentionner l'objet de la détermination à intervenir. Le gonfalonier et les anciens (maire et adjoints) étaient nommés par le souverain, mais parmi les candidats présentés sur une liste triple dressée par les conseils municipaux.

Enfin le cardinal Bernetti, en envoyant l'édit du 5 juillet 1831 dans les provinces, invitait expressément les congrégations governatives à lui faire connaître les vœux des habitants- sur les améliorations à apporter dans les diverses branches des services publics. Il annonçait l'intention de Sa Sainteté d'y avoir égard. Une voie était ainsi ouverte aux progrès ultérieurs que les habitants voudraient poursuivre également.

Les édits réformateurs de l'ordre judiciaire furent conçus dans le même esprit que cet édit du 5 juillet sur la réforme de l'ordre administratif. Un règlement organique de la justice civile parut le 5 octobre, et fut suivi, le 31 du même mois, d'un autre édit beaucoup plus développé, qui établissait sur des bases toutes nouvelles l'instruction des affaires criminelles, ln hiérarchie et la compétence des tribunaux. Ces deux actes législatifs, les phis importants du pontificat de Grégoire XVI, opéraient clans l'ordre judiciaire une réforme fondamentale, et faisaient disparaître les griefs les plus généralement imputés au gouvernement pontifical.

Le reproche le plus grave adressé au système en vigueur dans l'Etat romain pour l'administration de la justice, était la multiplicité des tribunaux exceptionnels. Dans la seule ville de Rome il n'existait pas moins de quinze juridictions diverses, dont la compétence et les formes de procédure arbitraires jetaient les plaideurs dans un labyrinthe inextricable, et remettaient indéfiniment en question l'autorité de la chose jugée. Entre les tribunaux d'exception, celui de l'auditeur du pape (Uditore Santissimo) subsistait encore en 1831. La juridiction de l'auditeur du pape, au civil et au criminel, n'avait pas de limites. Il pouvait, à volonté, interrompre le cours de toute procédure à un degré quelconque, casser, réformer les jugements rendus en dernier ressort. Ce droit ne périssait jamais. Les plus vieilles contestations pouvaient être renouvelées, et, sans instruction dans la procédure, sans motif dans le jugement, une famille se voyait journellement privée de ses propriétés le mieux acquises... Les papes se réservaient le droit personnel d'évoquer toutes les causes et de les renvoyer à des commissions extraordinaires instituées ad hoc...

L'édit du 5 octobre 1831 supprima la juridiction de l'Uditore Santissimo et l'intervention personnelle du pape dans les affaires civiles, qui furent toutes renvoyées à leurs juges naturels dans l'ordre établi par le droit commun supprima pareillement les tribunaux d'exception et ne permit d'appel contre la chose jugée que pour vice de forme ou fausse application de la loi.

En France, la vérité légale sort de l'ordre des juridictions, et la décision des juges d'appel est considérée comme ayant une valeur supérieure à celle des juges de première instance. A Rome, la vérité légale sort de la majorité des jugements. Il y a trois degrés de juridiction, et deux jugements conformes font la chose jugée. Si un second tribunal confirme la sentence rendue par le premier, elle devient définitive. S'il l'infirme, l'une ou l'autre des parties peut faire appel à un troisième tribunal, auquel appartient la solution définitive du litige, à moins que les formes de la procédure n'aient été violées. En ce cas, il y a recours devant le tribunal de la signature, dont les attributions sont analogues à celles de notre cour de cassation, et qui couronne l'édifice judiciaire depuis qu'on ne voit plus s'élever au-dessus de lui la puissance de l'Uditore Santissimo.

Dans les provinces, les trois degrés de juridiction établis par le nouveau règlement organique du 5 octobre 1831 étaient : In Les gouverneurs, magistrats locaux, correspondant à nos juges de paix, avec des attributions plus étendues ; 2° les tribunaux civils, établis dans chaque chef-lieu de délégation. Ils devaient être composés de cinq juges, et remplaçaient les préteurs, qui précédemment jugeaient seuls en seconde instance. Dans un pays où malheureusement la corruption est fréquente, c'était un grand bienfait que l'organisation collégiale des tribunaux. L'obligation fut imposée aux juges de tous les degrés de ne prononcer leurs jugements qu'après discussion, de les motiver, et aussi de les rédiger en langue vulgaire. Jusqu'alors, deux mots latins, obtinuit et petiit, inscrits sur la requête des parties, avaient formé tout le libellé des sentences, rendues sans publicité et sans être précédées de plaidoiries. 3° Deux tribunaux supérieurs, dits tribunaux d'appel, composés chacun d'un président et de six juges, étaient établis, l'un à Bologne pour les Légations, l'autre à Macerata pour la Romagne et pour les Marches. Les habitants de ces provinces ne devaient plus, comme par le passé, porter à Rome l'appel de leurs procès. C'était pour eux un fort grand avantage, qu'ils ne pouvaient manquer de sentir vivement, mais qui devait naturellement causer des sentiments contraires parmi les gens de loi de la métropole.

Les tribunaux de province, à tous les degrés de juridiction, n'étaient composés que de laïques.

A Rome et dans la Comarque, l'administration de la justice ne recevait pas des améliorations moins importantes. Par le règlement organique du 5 octobre 1831, douze juridictions, composées uniquement de prélats, étaient supprimées. Il ne restait plus en exercice que le tribunal du Capitole, celui de l'A. C. (ainsi nommé par contraction de Auditor Cameræ) et celui de la Rote.

Le tribunal du Capitole, magistrature municipale, était présidé par le sénateur de Rome et composé de trois avocats. Il jugeait cumulativement, en première instance, avec le tribunal de l'A. C., toutes les causes où des laïques étaient intéressés. Le demandeur pouvait, à son choix, porter sa cause devant l'une ou l'autre juridiction. Le tribunal de l'A. C. était composé de cinq avocats et de trois prélats, divisés en deux sections. L'appel au premier degré était porté de l'une à l'autre. Si les jugements étaient conformes, il n'y avait point lieu à procédure ultérieure ; en cas de dissentiment, l'affaire arrivait au tribunal de la Rote, cour d'appel pour Rome et la Comarque. La Rota Romana restait, comme par le passé, composée exclusivement de prélats... Son ancienne réputation de lumière et d'intégrité n'avait souffert aucune atteinte. L'Europe catholique prenait part à sa composition. Le tribunal suprême de la Signature couronnait l'édifice de l'ordre judiciaire romain...

L'organisation, le nombre, la compétence et la hiérarchie des tribunaux étant déterminés par l'édit du 5 octobre, un autre édit, du 31, régla la manière de procéder devant eux. L'article 1er remettait en vigueur le code de procédure de Pie VII, œuvre de sagesse qui avait illustré son pontificat et que son successeur avait malheureusement laissé tomber en désuétude... Cinq jours après la publication du code de procédure civile, le gouvernement pontifical promulgua un règlement organique de procédure criminelle (5 novembre 1831), travail plus considérable encore que le précédent...

Ainsi, conclut Guizot, la conférence de Rome avait prétendu seulement, par son Memorandum du 21 mai, obtenir du Saint-Père : 1° la sécularisation de son gouvernement ; 2° des institutions municipales et provinciales protectrices des intérêts locaux ; 3° des réformes judiciaires favorables à la liberté ; et, sur ces trois points, les édits pontificaux donnaient plus que les puissances n'avaient dû espérer après le refus du pape de prendre aucun engagement envers elles[52].

 

VIII

Il en fut de même dans l'ordre financier. Sans accepter les injonctions du Memorandum, Grégoire XVI, de sa propre initiative, réalisa, par l'établissement du bon ordre dans les finances de ses Etats, des réformes plus efficaces que celles que lui demandaient les puis-sauces. Celles-ci réclamaient la convocation à Rome d'une junte centrale. Par un édit du 21 novembre 1831, il institua une commission permanente chargée de contrôler les comptes des diverses administrations. Cette commission, sous le titre de Congrégation de révision, fut composée d'un cardinal-président, de quatre prélats et de quatre députés laïques, choisis à Rome ou dans les provinces. Elle eut dans ses attributions la surveillance générale des recettes et des dépenses de l'Etat, la rédaction des budgets, l'apurement des comptes. Elle dut s'occuper aussi de la liquidation et de l'amortissement de la dette publique et généralement de toutes les fonctions qui ressortissent à notre Cour des Comptes. De plus, la congrégation de révision était chargée de rechercher et de soumettre directement au pape toutes les réformes qui sembleraient nécessaires dans le système général des finances[53].

L'occasion se présenta bientôt de recourir à de pareilles mesures. Des inondations, des épidémies, des tremblements de terre, et la nécessité qui s'en était suivie de secourir d'innombrables misères, vinrent gravement obérer le trésor[54]. Les embarras financiers s'accrurent par les conséquences de la révolte de 1832, qui rendit nécessaire l'organisation d'une véritable armée et l'appel fait à l'Autriche. Nous devons dire, écrit le dernier historien de Grégoire XVI[55], que le dévouement de l'Autriche, si empressée à venir au secours du Saint-Siège, ne fut nullement désintéressé. Il est d'une notoriété incontestable que le maintien de la tranquillité publique dans les Etats pontificaux coûta très cher au trésor pontifical. Pour faire face à ces difficultés, Grégoire XVI aliéna quelques biens de l'Etat, mit un impôt sur les biens du clergé, ordonna une retenue sur la paie des employés, se vit même obligé de recourir à des emprunts et de rétablir à leur ancien taux quelques impôts qui avaient été diminués au début de son pontificat. Mais le pape veilla par lui-même à ce que toutes ces mesures s'accomplissent avec ordre et méthode. Pour simplifier les transactions, il fit paraitre une nouvelle monnaie, plus parfaitement ramenée que l'ancienne au système décimal[56].

Les agitations dont les Etats pontificaux furent le théâtre, obligèrent Grégoire XVI à s'occuper d'organisation militaire ; et, dans cette branche du gouvernement, comme dans celle de l'ordre administratif, de l'ordre judiciaire et de l'ordre financier, il révéla des qualités d'homme d'Etat prévoyant et attentif. Il institua un corps de volontaires destinés à maintenir l'ordre dans les Légations et dans les Marches. Les membres de cette nouvelle milice s'engageaient par serment à défendre le Saint-Siège jusqu'à l'effusion de leur sang et à ne déposer les armes qu'après la soumission complète des rebelles. Les sujets des Etats pontificaux répondirent généreusement au premier appel du pape. En peu de temps, le nombre des volontaires pontificaux s'éleva au chiffre de cinquante mille hommes. Grégoire XVI compléta les mesures de défense que lui imposaient les circonstances, en prenant à sa solde deux régiments suisses, dont il confia le recrutement à deux officiers qui avaient servi Charles X, le colonel Salies et le colonel de Courten.

Les préoccupations politiques de Grégoire XVI, qui furent si grandes durant les deux premières années de son pontificat, ne le détournèrent pas des réformes économiques et sociales qu'il jugeait utiles au bien-être matériel et moral de ses sujets. Ceux qui taxent ce pontife d'indifférence ou d'inattention à cet égard, n'ont pas remarqué sans doute qu'en 1832, Grégoire XVI avait déjà fait commencer à Tivoli les grands travaux qui aboutirent, cinq ans plus tard, au détournement du cours de 1'Anio, et, par suite, à la préservation des désastres que ce fleuve causait chaque année par ses brusques inondations ; qu'il avait achevé de régulariser le Corso, entrepris les fouilles du Forum, poursuivi l'embellissement du Pincio et la reconstruction de la basilique de Saint-Paul, établi le siège de l'Académie d'archéologie au Collège romain, amélioré l'hospice apostolique de Saint-Michel, et favorisé la fondation d'une Chambre de commerce à Rome. Il devait, dans la suite, continuer ces réformes eu introduisant, dans le système douanier des Etats pontificaux, des réformes sagement calculées, de nature à favoriser la liberté commerciale sans rien sacrifier des intérêts du trésor ; eu fixant la majorité à vingt et un ans, pour faciliter les contrats ; en autorisant les étrangers à acquérir des propriétés territoriales dans l'Etat romain ; en créant une caisse d'escompte dans l'intérêt du commerce, et une caisse d'épargne pour les personnes peu aisées ; en organisant des colonnes mobiles de dragons, pour réprimer le brigandage et rendre la sécurité aux voyageurs ; en créant un bureau de statistique qui lui permit de se rendre compte du mouvement de la population et les affaires[57]. Il fit réparer et embellir le monastère de Saint-Grégoire, avec la place et les routes qui l'entourent ; veilla avec soin à ce que le prix des objets de première nécessité ne s'élevât pas trop haut ; fonda des écoles du soir pour les apprentis et les ouvriers ; prit des mesures efficaces pour empêcher l'augmentation excessive du prix des loyers ; et, pendant le terrible fléau du choléra qui désola la ville de Rome en 1837, organisa les œuvres d'assistance avec un zèle dont le cardinal Wiseman, témoin oculaire, rend un témoignage plein d'admiration[58]. Certes, dit le cardinal Hergenröther, il faut reconnaître que les aptitudes de Grégoire XVI le portaient plus à s'occuper des questions proprement religieuses que des négociations d'intérêts temporels ; mais son dévouement à l'amélioration de la condition des classes populaires est indiscutable, et, de son temps même, fut hautement proclamé par le peuple lui-même. Il suffit de rappeler les ovations enthousiastes dont il fut l'objet dans les voyages qu'il fit, en août et en octobre 1841, à Lorette, et, en mai 1843, à Anagni, Frosinone et Terracine[59].

Le progrès des sciences, des lettres et des arts ne laissa pas indifférent Grégoire XVI. Si les universités romaines durent interrompre leurs cours pendant les troubles de 1831 et 1832, elles furent rouvertes à l'automne de 1833, et de savants maîtres furent appelés à y enseigner. Sous ses auspices, l'Académie des Arcades et celle dei Lincei prirent un nouvel essor ; la publication du grand Bullaire romain fut reprise ; il récompensa par lia pourpre les savants travaux de Maï et de Mezzofanti ; il encouragea les premiers travaux philosophiques de Rosmini, les publications historiques de Crétineau-Joly, les œuvres artistiques d'Overbeck, enrichit le musée zoologique de l'Université grégorienne, et fonda au Vatican deux nouveaux musées : le Musée étrusque et le musée égyptien, tandis que, dans son palais même, son fidèle serviteur Moroni rédigeait cet important Dizionario di erudizione dont les trois cents volumes nous donnent, non seulement le résultat d'immenses recherches, mais encore des détails précieux sur les institutions romaines au temps de Grégoire XVI et sur la personne du pontife[60]. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces travaux en faisant l'histoire du mouvement intellectuel sous le pontificat de ce pape ; mais il était utile de les indiquer ici, pour achever le tableau de l'œuvre de Grégoire XVI dans les Etats pontificaux.

Le rapide exposé que nous venons de faire des progrès réalisés par le pontife dans l'ordre administratif, judiciaire, financier, économique et intellectuel, en gouvernant ses propres Etats, suffit à prouver que, s'il refusa de se mettre à la remorque du mouvement libéral que voulait lui imposer le Memorandum des puissances, il sut réaliser ce qu'il y avait, dans ce mouvement, de raisonnable et de pratique. L'étude de ses rapports diplomatiques avec les divers gouvernements et son intervention dans les grandes querelles qui les agitaient au lendemain de la Révolution de 1830, va nous le montrer aux prises avec des problèmes semblables sur un plus vaste théâtre.

 

 

 



[1] L'Avenir, fondé le 16 octobre 1830, portait, en tête de ses colonnes, cette devise : Dieu et la liberté.

[2] Sur le sens que Newman attachait au libéralisme et sur la manière dont il le condamnait, voir son Hist. de mes opinions religieuses, p. 437-444. Cf. THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 23, 195.

[3] Cité par LUBIENSKI, Guerres et révolutions d'Italie, Paris, 1859, p. 46, et par Claudio JANNET, la Franc-Maçonnerie au XIXe siècle, un vol. in-8°, Avignon, 1832, p. 148-149.

[4] DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, 3 vol. in-8°, Paris et Avignon, 1881, t. II, p. 273.

[5] Cl. JANNET, la Franc Maçonnerie au XIXe siècle, p. 547-548. (Le livre publié sous ce titre n'est que la reproduction du tome III de l'ouvrage : les Sociétés secrètes et la société, par DESCHAMPS, lequel tome III est l'œuvre de Claudio Jannet.)

[6] Mme RATTAZZI, Rattazzi et son temps, documents inédits, Paris, 1881, t. I, p. 20, 46. Cf. SILENGARDI, Ciro Menotti, au chapitre intitulé I carbonari e le associazioni segrete.

[7] METTERNICH, Mémoires, t. V, p. 355.

[8] Dépêche du 9 mars 1831.

[9] Dépêche du 17 septembre 1834.

[10] Les intrigues de Menotti, leur but antireligieux et les attaches du meneur avec les sociétés secrètes, ne peuvent faire de doute, après la publication des documents donnés par Louis Blanc, à qui la correspondance secrète de Menotti avait été communiquée. Voir Louis BLANC, Hist. de dix ans, 5e édition, t. II, p. 292 et s.

[11] MENOTTI, Lettre du 19 juillet 1831, citée par Louis BLANC, Hist. de dix ans, t. II, p. 292 et s.

[12] DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, t. II, p. 260-262 ; Louis BLANC, Hist. de dix ans, t. II, p. 295, 317, 318.

[13] SYLVAIN, Grégoire XVI et son pontificat, un vol. in-8°, Paris, 1889, p. 36-39.

[14] SEIGNOBOS, Hist. politique de l'Europe contemporaine, p. 315.

[15] Les Etats de l'Eglise comprenaient trois parties : le Patrimoine de Saint-Pierre, les Marches et les Légations. L'art. 103 de l'acte du 9 juin 1815 était ainsi conçu : Les Marches, avec Camerino et leurs dépendances, ainsi que le duché de Bénévent et la principauté de Ponte-Corvo, sont rendus au Saint-Siège. Il rentre en possession des Légations de Ravenne, de Bologne et de Ferrare, à l'exception de la partie de Ferrare située sur la rive gauche du Pô. Cf. FARGES, le Pouvoir temporel au début du pontificat de Grégoire XVI, dans la Revue historique, XLII, 1890, p. 317 et s.

[16] Ami de la Religion, t. LXVII, p. 101. Cf. p. 86, 118, 209.

[17] METTERNICH, Mémoires, t. V, lettre du 12 février 1831.

[18] Sur la personne et le caractère de Grégoire XVI, voir les témoignages des historiens qui l'ont personnellement connu, tels que WISEMAN, les Quatre derniers papes, p. 388-397, 471-476 ; CRÉTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Révolution, t. II, p. 189-190 ; Mgr GAUME, les Trois Rome, 4e édition, t. II, p. 150

[19] On raconte qu'après son élection au souverain pontificat, il répondit à son domestique, qui venait prendre ses ordres pour sa table : Crois-tu que mon estomac soit changé parce que je suis pape ?

[20] Les camaldules du Mont-Cælius possèdent encore les manuscrits de plusieurs des thèses alors enseignées par Dom Maur Cappellari.

[21] Cardinal ZURLA, Memorie intorno alla vita cd agli studii del Padre don Lodovico Nachi, abate camaldolese.

[22] Cet ouvrage, traduit en français par l'abbé Jammes, se trouve au tome XVI des Démonstrations évangéliques de MIGNE.

[23] Cf. MORONI, Dizionario di erudizione, t. XXXII, p. 312 et s. Moroni, familier de Grégoire XVI, est un témoin exactement informé des événements de son pontificat. Le tome XXXII, p. 313-328, donne une chronologie assez détaillée de ces événements.

[24] Ami de la Religion, t. CLVII, p. 121-122.

[25] STENDHAL, Promenades dans Rome, 2e série, p. 336.

[26] M. MAYNARD, Jacques Crétineau-Joly, sa vie politique, religieuse et littéraire, p. 343.

[27] Bernetti fut créé cardinal par Léon XII le 2 octobre 1826 (Ami de la Religion, t. CLVII, p. 123).

[28] MAYNARD, Jacques Crétineau-Joly, sa vie politique, religieuse et littéraire, p. 343.

[29] Lettre apostolique du 9 février 1831, BERNASCONI, Acta Gregorii papæ XVI, in-4°, Romæ, 1901, t. I, p. 1-2. BARBERI, Bull. Roman, continuatio, t. XIX, p. 1-2.

[30] METTERNICH, Mémoires, t. V, p. 153 et s.

[31] BARBERI, Bull. rom., t. XIX, p. 2-3.

[32] GUIZOT, Mémoires pour servir à l'hist. de mon temps, t. II, p. 291.

[33] Ces plénipotentiaires étaient : pour l'Autriche, le comte de Lützow ; pour la France, le comte de Saint-Aulaire ; pour la Russie, le prince Gagarin ; pour la Prusse, M. de Bunsen ; pour l'Angleterre, M. Brook-Taylor.

[34] La lourdeur de sa rédaction ne laissait aucun douté sur son origine allemande. Le rédacteur de la pièce était le ministre de Prusse, Bunsen.

[35] Dépêche du 22 mai 1831.

[36] METTERNICH, Mémoires, t. V, lettre du 3 juin 1831 au comte Apponyi.

[37] METTERNICH, Mémoires, t. V, lettre du 4 juin 1831.

[38] THUREAU-DANGIN, Hist. de la Monarchie de Juillet, t. I, p. 444-445.

[39] L'Angleterre restait sans doute, au fond, la rivale de la France dans sa politique générale, niais les complications politiques soulevées par la Révolution belge avaient fait marcher d'accord les deux nations. Tandis que l'Autriche, la Prusse et la Russie voyaient de mauvais œil la dissolution du royaume des Pays-Bas et l'indépendance de la Belgique ; l'Angleterre et la France, sympathiques à cette révolution, étaient amenées à se montrer unies pour en imposer aux puissances du nord.

[40] C'est à cette occasion, et pour récompenser ses sujets dont le dévouement l'avait soutenu pendait la crise, que Grégoire XVI institua l'ordre de Saint-Grégoire-le-Grand.

[41] THUREAU-DANGIN, Hist. de la Monarchie de Juillet, t. I, p. 517.

[42] L'ambassadeur du roi de Sardaigne, Croza, écrivait à son ministre, le 1er février 1832 : Quant à l'idée que j'ai pu me former sur la détermination du cardinal Albani d'appeler les troupes autrichiennes avant d'avoir sondé les intentions de Sa Sainteté, j'acquiers de plus en plus la conviction qu'il a agi ainsi non seulement à cause de l'urgence des circonstances, mais aussi pour prévenir toutes les difficultés diplomatiques possibles.

[43] GUIZOT, Mémoires, t. II, p. 296.

[44] M. DE BARANTE, Notice sur M. le comte de Saint-Aulaire, p. 114.

[45] GUIZOT, Mémoires, t. V, p. 299.

[46] METTERNICH, Mémoires, t. V, lettre du 29 février au comte Apponyi.

[47] Suivant Crétineau-Joly, Bernetti, apprenant les circonstances de l'occupation d'Ancône, aurait dit : Jamais, depuis les Sarrasins, rien de semblable n'a été tenté contre le Saint-Père. CRÉTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Révolution, t. II, p. 222.

[48] CANTU, Della independenza italiana cronistoria.

[49] METTERNICH, Mémoires, t. V, p. 343.

[50] METTERNICH, Mémoires, t. V, p. 315.

[51] Grégoire XVI, dit Paul THUREAU-DANGIN, possédait plus les vertus d'un religieux ou la science d'un théologien que les qualités d'un homme d'Etat. Dans les affaires politiques et administratives, il apportait beaucoup de droiture, avec peu d'ouverture d'esprit et pas du tout d'expérience (Hist. de la Monarchie de Juillet, t. I, p. 440). Un homme d'un esprit très large et d'un jugement très sûr, l'illustre archéologue romain J.-B. de Rossi, s'indignait toutes les fois qu'il entendait formuler de pareilles assertions et faisait le vœu d'une réhabilitation historique en faveur de Grégoire XVI, qu'il considérait comme un esprit aussi juste que ferme, et d'une politique remarquablement cohérente. Plus récemment, le R. P. Paul Dudon, après avoir dépouillé les archives du Vatican et celles du ministère des affaires étrangères de France, pour ce qui a trait aux actes les plus critiqués de ce pontife, ceux qui ont abouti à la condamnation du libéralisme, en a rapporté la conclusion suivante : Les historiens ont vu en Grégoire XVI un moine camaldule absorbé dans la contemplation des choses éternelles et fort étranger à celles de ce monde. C'est une fantaisie... On peut dire, sans forcer les termes, qu'il était rompu aux affaires ecclésiastiques. (Paul DUDON, Lamennais et le Saint-Siège, un vol. in-12, Paris, 1911, p. 115.)

[52] GUIZOT, Mémoires pour servir à l'hist. de mon temps, t. II, p. 436-446.

[53] GUIZOT, Mémoires pour servir à l'hist. de mon temps, t. II, p. 445-446.

[54] WISEMAN, Souvenirs..., p. 425-426.

[55] SYLVAIN, Grégoire XVI et son pontificat, p. 123.

[56] WISEMAN, Souvenirs..., p. 424.

[57] SYLVAIN, Grégoire XVI et son pontificat, p. 122, 246-247, 290-328.

[58] WISEMAN, Souvenirs..., p. 525 et s.

[59] HERGENRÖTHER, Kirchengeschichte, l. III, partie I, ch. VIII, § 3. — On a fait trois principaux reproches à Grégoire XVI au point de vue de l'administration temporelle des Etats pontificaux. On l'a accusé : 1° de s'être opposé à la construction de chemins de fer dans ses Etats ; 2° d'avoir favorisé le rapide enrichissement de la famille Torlonia au détriment du trésor public ; 3° d'avoir interdit à ses sujets la participation aux congrès scientifiques. Le premier reproche n'est pas sans quelque fondement. Comme beaucoup de ses contemporains, Grégoire XVI concevait quelque méfiance à l'égard du nouveau mode de locomotion ; il craignait surtout qu'il ne devînt, dans ses Etats, un agent très actif de la Révolution cosmopolite. Mais son appréhension n'était nullement inspirée par une opposition de parti pris au progrès matériel. Il adopta avec empressement les bateaux à vapeur, voyant dans leur découverte un moyen très puissant de servir les intérêts commerciaux et moraux de l'ancien et du nouveau monde (SYLVAIN, p. 246). Quant à l'enrichissement de la famille Torlonia, on ne saurait en faire un grief à l'administration de Grégoire XVI. En prenant possession du Saint-Siège, ce pontife trouva l'administration des tabacs dans un état déplorable. Les dilapidations et les abus de toutes sortes étaient sana nombre. Dans l'impossibilité d'y remédier par lui-même au milieu des soucis que lui donnait la révolte d'une partie de ses Etats, Grégoire XVI prit le parti de mettre cette administration aux enchères. La famille Torlonia, ayant obtenu la concession par les voies les plus régulières, y fit de grands profits, mais sans priver le trésor d'aucune de ses ressources ordinaires. Enfin l'interdiction faite par le pape à ses sujets de prendre part à divers congrès scientifiques ou littéraires, s'expliquait par ce fait que ces congrès n'étaient que des moyens habilement imaginés pour propager en les dissimulant les doctrines révolutionnaires des sociétés secrètes (SYLVAIN, 255-256).

[60] Notamment t. XXXII, p. 312-328, au mot Gregorio XVI. Voir aussi les mots Ferrara, Forli, sur les révolutions dans les Etats pontificaux.