HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

CHAPITRE III. — PIE VIII (31 MARS 1829-30 NOVEMBRE 1830).

 

 

I

Peu d'élections avaient été plus longtemps prévues d'avance et avaient plus préoccupé les diplomates que celle du successeur de Léon XII. L'état précaire de la santé du pape faisait, à chaque instant, redouter une issue fatale. A chaque aggravation sensible de la maladie, les conversations reprenaient-entre les ambassadeurs et leurs cours respectives[1]. Aussi, quand s'ouvrit le conclave, le 23 février 1829, treize jours après la mort de Léon XII, l'attention se porta-t-elle avec une curiosité anxieuse sur les discours que, suivant l'usage, les ambassadeurs des grandes puissances furent admis à prononcer devant le Sacré-Collège. Le comte de Lützow, ambassadeur d'Autriche, et le comte de Labrador, ambassadeur d'Espagne, firent entendre une note hautement conservatrice. L'empereur, dit Lützow, et, avec lui, le monde catholique, vous demande un pontife qui, par sa sagesse, sa modération, use de sa double puissance, spirituelle et temporelle, pour la tranquillité, les avantages et le bonheur de l'Europe entière[2]. Labrador fut plus explicite encore : Vos Eminences, dit-il[3], nommeront un pontife qui, facile à accorder ce qui est juste, opposera en même temps, avec sa fermeté évangélique, une digue insurmontable aux mauvaises doctrines qui, sous le faux nom d'idées généreuses, détruisent dans leurs bases les trônes de l'Europe pour précipiter avec eux les nations dans l'ignominie et le sang. L'ambassadeur de France, qui était alors le vicomte de Chateaubriand, donna la note libérale : Le christianisme, qui renouvela la face du monde, dit-il[4], a vu, depuis, se transformer les sociétés auxquelles il avait donné la vie. Au moment où je parle, le genre humain est arrivé à l'une de ces époques caractéristiques de son existence. Bref, l'auteur du Génie du Christianisme demandait, au nom de la France, un chef qui, puissant par la doctrine et par l'autorité du passé, n'en connût pas moins les besoins du présent et de l'avenir[5].

Les deux tendances qui se manifestaient ainsi étaient celles-là mêmes dont le violent conflit allait, un an plus tard, renverser plusieurs trônes de l'Europe et les ébranler tous. L'opinion publique ne s'y trompa point. La presse discuta bruyamment les discours prononcés par les diplomates devant le Sacré-Collège[6]. Les questions agitées prenaient une ampleur plus grande encore qu'au précédent conclave qui avait élu Léon XII.

Les cardinaux, sans échapper absolument aux influences du dehors, ne se laissèrent point dominer par elles. On remarqua que le cardinal Castiglioni, chargé de répondre à l'ambassadeur de France, se borna à lui déclarer, sur un ton de fière indépendance, que le Sacré-Collège connaissait les difficultés des temps[7]. Le cardinal Castiglioni était celui-là même que Pie VII, près de mourir, avait indiqué au choix des cardinaux pour lui succéder. L'ancien captif de Fontainebleau lui répétait, dit-on, avec familiarité : Votre Sainteté Pie VIII fera mieux que nous après nous. De tous les éligibles, le cardinal Castiglioni était le plus en vue. Il ne fut cependant élu qu'après plusieurs scrutins. Un certain nombre de voix se fixèrent d'abord sur le cardinal di Gregorio, qu'ou savait désiré par la cour d'Espagne et bien vu de la cour d'Autriche. D'autres voix, plus indépendantes, se portèrent sur le cardinal Pacca, si connu par son zèle à défendre les droits du Saint-Siège pendant sa nonciature de Cologne et, plus récemment, sous l'empereur Napoléon, qui l'avait fait emprisonner à Fenestrelle. Finalement, la majorité des voix se réunis sur le nom de Castiglioni, dont l'attitude, moins tranchée que celle des deux autres candidats, offrait les mêmes garanties de politique ferme et prudente. On savait, par ailleurs, que son élection ne serait désagréable ni à l'Autriche ni à la France. Elu le 31 mars 1829, il déclara aussitôt, en souriant, qu'il prenait le nom de PIE VIII.

François-Xavier Castiglioni, né à Cingoli, près d'Ancône, d'une famille noble et honorée dans sa province, s'était d'abord fait remarquer par sa haute culture scientifique, en particulier par une connaissance approfondie du droit canonique, qu'il avait étudié sous la direction du célèbre professeur Devoti. Le zèle prudent et éclairé avec lequel il avait successivement administré les diocèses de Montalto, de Césène et de Frascati lui avait valu la confiance et l'amitié des deux derniers pontifes. Doux, poli, d'apparence timide, il avait montré, en plus d'une occasion, qu'il était capable d'affronter tous les périls quand sa conscience se trouverait engagée dans une affaire. On se souvenait que Napoléon n'avait pu le faire fléchir dans une circonstance pareille. Successivement exilé à Milan, à Paris et à Mantoue, pour avoir refusé d'obtempérer aux désirs du puissant monarque, il avait, par son exemple, relevé le courage de plus d'un esprit chancelant.

Les événements qui allaient se dérouler sous son pontificat, et que les esprits perspicaces prévoyaient déjà, demanderaient précisément au pontife romain cette fermeté tempérée de prudence dont François-Xavier Castiglioni avait donné tant de preuves au cours de sa carrière. La date de 1830 va marquer un des points culminants de l'histoire du XIXe siècle. C'est le moment d'une réaction à peu près générale contre les pouvoirs absolu, en faveur des régimes constitutionnels ; c'est la période d'une agitation sociale sans précédent, où les idées les plus révolutionnaires n'ont pas encore dépouillé un vernis superficiel de christianisme ; c'est l'apogée d'un mouvement littéraire et artistique où le bien et le mal se trouvent étrangement mêlés. Au point de vue plus strictement religieux, c'est, en France, avec l'école mennaisienne, l'éveil du catholicisme libéral ; c'est, en Allemagne, avec l'affaire des mariages mixtes, le prélude du Kulturkampf ; c'est, en Angleterre, avec le mouvement d'Oxford, le début, encore mal orienté, plein d'équivoque, d'un retour de plusieurs nobles âmes au catholicisme ; c'est, en Pologne, en Belgique et en Irlande, l'ardente campagne, ici triomphante, Na brutalement refoulée. des catholiques pour la liberté de leur foi. Discerner les questions où la résistance inflexible s'imposera, favoriser les légitimes revendications des peuples sans indisposer les couronnes, défendre avec énergie le principe d'autorité sans décourager l'élan des catholiques qui défendront leur foi au nom de la liberté, autant de problèmes pratiques qu'aura à résoudre le pontificat de Pie VIII. Les circonstances, en lui commandant une attitude moins discrète que celle de son prédécesseur, ne lui permettront pas cependant des interventions aussi décisives que celles de son successeur. Entre la politique d'apaisement de Léon XII et la politique de combat de Grégoire XVI, la politique prudemment équilibrée de Pie VIII doit être mise en évidence, comme une transition nécessaire, et, à ce titre, comme un moment important à signaler dans l'histoire religieuse du XIXe siècle.

 

II

Les souverains pontifes ont souvent, dès les premiers jours de leur règne, indiqué l'orientation de leurs pensées par le choix de leur secrétaire d'Etat et par la publication de leur première encyclique. La nomination faite par Pie VIII du cardinal Albani comme secrétaire d'Etat n'étonna pas la cour romaine et la diplomatie européenne. On savait quelle conformité de vues avait toujours existé entre le cardinal Castiglioni et le descendant de l'illustre famille Albani. Le cardinal actuel, Joseph Albani[8], né à Rome le 13 septembre 1750, était déjà avancé en âge ; mais son esprit vigoureux, actif, pénétrant, le rendait apte, aux fonctions les plus délicates. Il se glorifiait d'appartenir à la grande école du cardinal Consalvi, et tenait, comme son maître, qu'une énergie tempérée finit toujours par triompher. Une mission diplomatique qu'il avait remplie à la cour d'Autriche sous le pontificat de Pie VII, et, dit-on, quelque alliance de sa famille avec la famille impériale[9], lui avaient valu l'amitié de l'empereur François Ier et du prince de Metternich. C'est lui que la cour de Vienne avait chargé, au conclave de 1823, de prononcer l'exclusive contre le cardinal Severoli. Mais il ne fut jamais, quoi qu'en aient dit ses ennemis, le serviteur de l'Autriche contre la politique française[10]. Les grands éloges que fait de lui, dans son Histoire de Pie VIII, le chevalier Artaud de Montor, qui représentait en 1829 la France à Rome, démentent les insinuations passionnées de ses adversaires[11].

La première encyclique du nouveau pape fut publiée le 24 mai 1829. On remarqua qu'il y parlait de son autorité non seulement sur les agneaux, c'est-à-dire sur les simples fidèles, mais encore sur les brebis, c'est-à-dire sur les évêques eux-mêmes[12]. Il mettait ensuite en garde le peuple chrétien contre ces sophistes du siècle qui prétendent que le port du salut est ouvert à toutes les religions[13], contre ces traductions des Livres saints où les textes sont détournés artificieusement de leur vrai sens[14], et contre ces sociétés secrètes d'hommes factieux qui s'appliquent à désoler l'Eglise et à perdre l'Etat[15]. Enfin, il recommandait aux fidèles le respect de la sainteté du mariage[16]. L'avenir ne tarda pas à montrer combien le nouveau pontife avait su discerner les vrais périls de l'Eglise. La méconnaissance des droits du pontife romain, la propagande protestante, les sophismes et les illusions de l'indifférentisme et du libéralisme, les efforts des sociétés secrètes pour saper les bases de l'autorité dans l'Eglise et clans l'Etat, et les notions erronées des peuples et des pouvoirs civils sur le mariage chrétien, devaient être les principaux dangers de l'Eglise et de la société sous le pontificat de Pie VIII. Ces dangers se rencontrèrent surtout en France, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Allemagne et en Italie. Ils furent mêlés, il est vrai, à de nobles dévouements, à des œuvres de piété et de zèle, à des élans de foi et de générosité, qui firent la consolation de l'auguste pontife.

 

III

De ces biens, comme de ces maux, la France fut le principal foyer.

Malgré les sarcasmes du Constitutionnel, les pamphlets de Paul-Louis Courier et les chansons de Béranger, le catholicisme était encore vivace en France au moment où Pie VIII monta sur le trône pontifical. C'est surtout en France, écrivait l'Ami de la religion[17], que le christianisme s'est montré depuis cinquante ans supérieur à toutes les vicissitudes humaines... Les Français ne sont pas des catholiques parfaits, mais ils sont catholiques ; ils reconnaissent et ils professent leur religion aux trois grandes époques de l'existence naturelle et sociale de l'homme : la naissance, le mariage et la mort. En parlant ainsi, le journal du respectable Michel Picot avait en vue le commun du peuple. Le spectacle était plus rassurant si l'on portait les yeux vers les classes élevées. En 1828, l'audace et les succès des libéraux avaient fait créer une Association pour la défense de la religion catholique, qui, présidée par le duc d'Havré, comptait, parmi ses membres directeurs, le maréchal prince de Hohenlohe, le comte de la Rochejaquelein, l'abbé de Salinis, l'abbé des Genettes, Pierre Laurentie et Augustin Cauchy. L'Association avait fondé un journal bihebdomadaire, qui, alimenté par les correspondances de ses adhérents, s'était donné pour mission de signaler et de réfuter les attaques dirigées contre les membres du clergé ou coutre les dogmes et les pratiques catholiques. Le premier numéro de ce recueil périodique parut, le 10 mars 1829, sous le titre de Correspondant[18]. La nouvelle publication devait prendre une place importante dans la presse catholique, qui comptait déjà, à côté de l'Ami de la religion et du roi, journal ecclésiastique, lu par la généralité du clergé, le Mémorial catholique, d'allure plus vive, le Défenseur de la religion, les Tablettes du clergé, l'Eclair et l'Apostolique, le plus ardent de tous, mais non pas toujours le plus sage[19]. Survivant aux attaques du comte de Montlosier, la Congrégation, successivement confiée, après la démission du P. Ronsin, à l'abbé duc de Rohan, puis à l'abbé Mathieu, le futur cardinal[20], continuait ses œuvres. A la Société des Bonnes Etudes, dirigée par Emmanuel Pailly de Surcy, à la section des Bonnes Œuvres, confiées à l'abbé Borderies, un magistrat, Jules Gossin avait ajouté l'Œuvre de Saint-François Régis, pour la réhabilitation des unions irrégulières. Dans les salons de l'abbé de Salinis, aumônier du collège Henri IV, se groupait une élite de jeunes gens : Melchior du Lac, Eugène de la Gournerie, Léon et Eugène Doré, Théophile Foisset, Edmond de Cazalès, Franz de Champagny. On apportait dans ces réunions, a dit un des survivants du groupe[21], un grand amour pour la vérité, un amour passionné pour la cause de la sainte Eglise. Je ne crois pas qu'il y ait eu jamais, dans la jeunesse catholique, plus d'entrain, de mouvement, de vie.

Cette ardeur religieuse semblait rayonner. C'est en 1829 que Victor Hugo, épris des beautés du moyen âge, projetait d'en retracer le tableau dans Notre-Darne de Paris, que Lamartine publiait son Hymne au Christ et ses Novissima Verba, et qu'un jeune homme, qui devait bientôt se joindre au groupe du Correspondant, Charles de Montalembert, introduit dans le Cénacle où Vigny, Hugo, Sainte-Beuve et Musset menaient la campagne romantique, s'écriait : Leur cause est juste et sainte... Là seulement il y a de l'avenir, de la régénération, et surtout de la régénération morale[22].

Une influence réciproque semblait s'exercer sur le groupe religieux et sur le cénacle littéraire. Montalembert écrivait : J'ai été enchanté des opinions de M. de Vigny et de M. Sainte-Beuve sur la régénération de l'Europe par le catholicisme[23]. Et l'on trouvait une saveur romantique au volume que l'abbé Gerbet publiait, en 1829, sur le Dogme générateur de la piété catholique. Le goût classique et un peu sévère de Michel Picot lui reprochait de faire voir dans les antiques sacrifices l'emblème d'un mystère du fond duquel quarante siècles ont entendu sortir la voix de l'espérance ; de montrer, dans l'offrande qui accompagne la prière, une prière des sens, et même de dire que la communion eucharistique est le moyen par lequel l'Incarnation permanente s'individualise en chaque chrétien[24]. Mais un pareil langage allait au cœur des hommes de ce temps[25]. Les nombreuses éditions de l'ouvrage et les conversions qu'il opérait témoignaient eu sa faveur ; et l'abbé de La Mennais n'hésitait pas à écrire du livre de Gerbet : C'est, à mon avis, un des ouvrages les plus remarquables qui aient été publiés depuis beaucoup d'années.

L'œuvre de Gerbet n'était pas isolée. En cette même année 1829, on lisait, dans le numéro d'octobre du Mémorial catholique, l'annonce d'une Bibliothèque des amis de la religion, collection en 200 volumes in-18, des meilleurs ouvrages anciens et : modernes touchant le dogme et la morale catholiques. Et le succès de cette collection n'empêchait pas celui de la Bibliothèque choisie, publiée par Pierre Laurentie, des Extraits des Pères de l'Eglise traduits par Guillon, et de la Collectio selecta Patrum, et des Conférences d'Angers sur la théologie pratique[26]. En 1830, à la veille de la révolution de Juillet, le clergé et les catholiques lettrés lisaient avec avidité la Démonstration philosophique du principe constitutif de la société, et les Méditations politiques tirées de l'Evangile, récemment publiées par le vicomte de Bonald[27] ; et l'on se passionnait pour les conférences scientifiques où l'illustre Cuvier enseignait que les sciences positives, loin de contredire les Livres saints, ne faisaient qu'en confirmer la divine autorité[28].

De tout ce mouvement catholique un homme était le principal inspirateur : c'était l'abbé de La Mennais. Le groupe qui se réunissait au collège Henri IV le regardait comme son maître ; le Mémorial catholique était fier de sa collaboration ; le Correspondant rendait hommage à ses idées, et l'Ami de la religion, en le combattant souvent, ne contestait pas son ascendant sur l'ensemble des fidèles et du clergé.

 

IV

Mais, aux yeux des esprits sages, l'élan du mouvement catholique ne le mettait pas à l'abri d'un triple péril.

Le premier lui venait de l'école romantique, dont l'esprit chrétien, tout superficiel, ne tarderait pas à s'évanouir en fumée. Notre-Dame de Paris, commencée avec un culte pieux pour les âges de foi, se terminait en peintures audacieuses qui lui valaient une condamnation de l'Eglise ; le catholicisme de Lamartine se transformait en une vague et langoureuse religiosité ; celui de Vigny, en un pessimisme fier et sombre ; et Sainte-Beuve, après avoir paru osciller, suivant les expressions de Louis de Carné[29], entre l'abbaye de la Trappe et l'abbaye de Thélème, optait définitivement pour celle-ci.

Le second péril du mouvement catholique lui venait du tempérament de celui qui s'affirmait comme sou chef. Certes, le feu d'une éloquence entrainante ne manquait pas à l'abbé de La Mennais. On se répétait la superbe évocation de l'avenir qui terminait son livre sur les Progrès de la Révolution. Ne voit-on pas, disait-il[30], que nulle concession ne saurait satisfaire le parti antichrétien ; que sa hardiesse s'augmente en proportion de la peur qu'on manifeste ?... Malheur, malheur à celui qui, chargé de garder la doctrine que le Christ a scellée de son sang, abaisserait son esprit à des pensées de la terre, craindrait l'homme et ne craindrait pas Dieu !... Prêtres de Jésus-Christ, de vous, de votre constance dépend le salut de l'Eglise. Le sort du monde est entre vos mains. Pour le sauver, que faut il Une parole qui parte du pied de la Croix. Vienne le temps où il sera dit à ceux qui sont dans les ténèbres : Voyez la lumière ! Et ils se lèveront, et, le regard fixé sur cette divine splendeur, ils adoreront, pleins de joie, Celui qui éclaire toute intelligence : Oriens ex alto.

Mais ce même livre des Progrès de la Révolution contenait des pages pleines d'une aigreur mal contenue. Mgr de Quélen, archevêque de Paris, dans une lettre pastorale adressée au clergé et aux fidèles de son diocèse à l'occasion de la mort du pape Léon XII, crut devoir prémunir ses diocésains contre les tendances dangereuses de l'abbé de La Mennais. Tandis, écrivait-il[31], que nous croyions n'avoir à craindre que de l'audace ou des embûches de nos ennemis déclarés, voilà que l'esprit de système, triste et dangereuse tentation des plus beaux talents, s'est introduit, se manifeste dans les camps du Seigneur et nous menace d'une guerre intestine. La remarque était juste et pleine d'à-propos. L'ultramontanisme, tel que le prônait le bouillant polémiste, était de nature, ainsi que le faisait remarquer Mgr de Quélen, à semer la défiance et la haine entre les souverains et les sujets.

L'impétueux écrivain ne fut pas capable de supporter sans une protestation publique l'humiliation, qu'il croyait imméritée, d'une censure publique[32]. Il prit la plume, et dans deux brochures parues sous les titres de Première et de Deuxième lettre à Mgr l'Archevêque de Paris, il prétendit démontrer que l'ultramontanisme n'est point, comme on l'a dit, une opinion nouvelle, mais une doctrine toujours et universellement enseignée par l'Eglise, tandis que le gallicanisme n'est que l'erreur d'un parti et d'un siècle. Cette erreur, enfantée par le despotisme, doit disparaître avec lui, parce que les peuples ont soif de liberté, et que la première condition de la liberté des peuples c'est la liberté de l'Eglise[33]. La thèse était défendable, si, sous le nom d'ultramontanisme, l'auteur n'eût repris, en les accentuant, les idées exagérées qu'il avait exposées dans son livre sur les Progrès de la Révolution et s'il ne les avait soutenues avec une violence de langage sans pareille. On en jugera par ces dernières lignes de la Première lettre : Jetez les yeux autour de vous, Monseigneur, et voyez qui défend aujourd'hui le gallicanisme : de cauteleux adulateurs du pouvoir qui le poussent à sa perte ; un petit nombre de vieillards, qui ne vivent que de souvenirs d'école. Tout le reste, qu'est-ce que c'est ? Et y a-t il des paroles pour peindre ce dégoûtant mélange de bêtise et de morgue, de niaiserie stupide, d'impuissance absolue d'esprit ?

Les amis de La Mennais et ses adversaires recoururent en même temps à Rome, pour la supplier, les uns de se prononcer contre le gallicanisme, les autres de condamner cet ultramontanisme mêlé de libéralisme[34], qui leur semblait un grave danger pour la société. Les uns et les autres furent déçus. Le pape Pie VIII ne jugea pas que la faute de La Mennais fût assez grande pour le frapper d'une condamnation qui aurait jeté le désarroi parmi le groupe d'ardents catholiques qui combattaient à ses côtés. D'autre part, condamner le gallicanisme, en un moment où la querelle devenait plus politique que religieuse, et où la monarchie de Charles X chancelait pouvait avoir pour premier résultat de hâter la chute de la dynastie, de précipiter la France dans des aventures et d'en laisser peser la responsabilité sur l'Église. Le pape s'abstint de toute intervention. Et La Mennais, sous le coup d'une de ces colères dont il était incapable de contenir l'expression, écrivit, en un style qui préludait aux Paroles d'un croyant : Elle s'est éteinte, la voix qui effrayait les peuples... Le sanctuaire est vide, il n'en sort plus rien... Dieu a dit à la Puissance, comme au figuier de l'Évangile : Sèche-toi[35]. C'était plus que le style du pamphlet révolutionnaire de 1834 ; c'en était déjà le sombre esprit de révolte.

Le troisième péril qui menaçait le mouvement catholique lui venait du pouvoir même qui l'assurait de sa protection.

Lorsque, le 5 janvier 1828, Charles X, cédant à la pression des gauches, avait laissé partir M. de Villèle pour confier le ministère à M. de Martignac, la duchesse d'Angoulême avait dit : Mon père vient de descendre la première marche du trône. Le roi de France descendit une seconde marche quand, le 8 août 1829, subissant l'influence de l'extrême droite, il fit appel au prince de Polignac. A considérer M. de Polignac avec le sang-froid de l'histoire, dit un judicieux historien[36], on éprouve surtout de la surprise, presque de la stupeur, et plus de compassion que d'aversion... Son caractère était sûr et loyal. Il était incapable d'une bassesse, et, par-dessus tout, chrétien fervent. Mais, esprit faible, médiocre et court, sa modestie dissimulait mal une infatuation naïve et sereine. Ce n'était pas celle d'un orgueilleux vulgaire ; c'était celle d'un croyant, se jugeant prédestiné de Dieu pour faire triompher la vérité en ce monde. La Congrégation, qui comptait le prince de Polignac parmi ses membres, reprit aussitôt ses réunions, depuis quelque temps suspendues[37]. Ce fut une occasion, pour la presse libérale, d'agiter de nouveau le spectre du parti-prêtre, désormais au pouvoir. La personne même de Polignac était particulièrement impopulaire. On se rappelait que sa mère avait été l'amie de Marie-Antoinette, et que lui-même, après son élévation à la pairie, avait longtemps refusé de prêter serment à la Charte. L'indignation des libéraux redoubla quand on put lire dans le journal l'Apostolique, l'un des organes de l'extrême droite, les lignes suivantes : La source du mal vient d'une Charte impie et athée. La religion, la justice et Dieu même commandent d'anéantir tous ces codes infâmes que l'enfer a vomis[38]. Le ministère eut beau faire déclarer, dans le Moniteur, qu'à moins d'avoir perdu le sens commun, on ne saurait concevoir même l'idée de briser la Charte, toute la presse libérale fit au ministère une guerre acharnée ; beaucoup de fonctionnaires envoyèrent au roi leur démission. D'autres restèrent à leur poste, sans dissimuler leur désapprobation de la politique ministérielle ; on en destitua plusieurs ; ils furent acclamés. Montalembert écrivait[39] : Rien au monde n'est plus attristant qu'un état de choses où le pouvoir est entièrement eu dehors de la nation ; où les employés, les fonctionnaires forment un peuple à part ; où les destitutions sont des titres d'honneur, et les accusations judiciaires des triomphes. Au lendemain même de la constitution du ministère Polignac, La Mennais avait écrit[40] : Mon avis est que cette révolution ministérielle n'aura d'autre effet que de concentrer dans une unité formidable les forces révolutionnaires. La prophétie se réalisait ; et le malheur, pour l'Eglise, était de voir qu'au moment où le pouvoir précipitait sa chute, il risquait d'entrainer avec lui, dans son impopularité, la cause de l'Eglise, par son alliance avec les partis extrêmes. Les royalistes, qui n'avaient pas su séparer d'une manière assez claire le droit monarchique de l'absolutisme royal, et les libéraux, qui n'avaient pas su séparer le droit national des passions révolutionnaires, se trouvaient ainsi jetés dans une situation nouvelle[41], dont l'Eglise avait tout à redouter.

 

V

Le gouvernement de Charles X ne pouvait se dissimuler la gravité de la crise. Au commencement de l'année 1830, un grand effort fut tenté pour relever le prestige et l'autorité du pouvoir.

Depuis seize ans, la France et la Régence d'Alger étaient en conflit au sujet d'une créance importante de deux sujets algériens sur le Trésor français. Le dey d'Alger, Hussein, vrai tyran, qui terrorisait la ville d'Alger, avait écrit, à ce sujet, au gouvernement de Charles X des lettres insolentes, et s'en était même pris au consul français, qu'il avait, en 1827, frappé du manche de son chasse-mouches. Une escadre française, depuis lors, faisait le blocus d'Alger, mais sans résultat. Le 31 janvier 1830, un conseil des ministres décida d'envoyer devant Alger une flotte de cent bâtiments de guerre, escortant cinq cents vaisseaux de transport, qui conduiraient trente-sept mille hommes de troupes de débarquement. Venger l'honneur de la France et abolir sur les côtes de la Méditerranée la piraterie et l'esclavage étaient certainement deux des buts de l'expédition ; mais le roi et Polignac en avaient un autre : un triomphe éclatant de nos armes pouvait faire taire les partis d'opposition, ou, du moins, donner au gouvernement la force morale nécessaire pour les briser

On connaît assez, par l'histoire générale, le brillant succès de l'expédition : le débarquement des troupes, le 13 juin, à Sidi-Ferruch, la prise du camp de Staouéli, le bombardement du fort l'Empereur, la prise de la Kasbah, la capitulation d'Alger le 5 juillet, et, le soir même, le drapeau blanc de la France flottant sur cette côte d'Afrique qui, si longtemps objet de terreur pour la chrétienté, allait devenir une terre française et chrétienne. Les catholiques prirent la plus grande part à la joie universelle. Des Te Deum furent chantés dans toutes les églises. Mgr de Quélen, archevêque de Paris, recevant le roi à la porte de Notre-Dame, s'écria : Sire, que de grâces en une seule ! La France vengée, l'Europe affranchie d'un odieux tribut, l'humanité triomphant de la barbarie, la croix victorieuse du croissant ! Fils de saint Louis, quel motif plus lé time de joie pour votre cœur, et, pour nous, vos sujets fidèles, quelle juste cause d'allégresse et de transports ![42]

Cependant le gouvernement se rendait compte que toutes les méfiances n'avaient pas désarmé. M. Guizot, qui débutait alors dans la politique, nous a laissé, dans ses Mémoires, un vivant tableau de l'opinion publique en ce moment : La disposition du public, dit-il[43], ressemblait à la mienne, tranquille à la surface, et, au fond, très agitée. On ne conspirait point, on ne se soulevait point, mais on s'attendait et on se préparait à tout... Inactives, mais non résignées, les sociétés secrètes étaient toujours là, prêtes, dès qu'une circonstance favorable se présenterait, à reprendre leur travail de conspiration et de destruction. Dans les masses populaires, les vieux instincts de méfiance et de haine pour tout ce qui rappelait l'ancien régime et l'invasion, étrangère, continuaient de fournir aux ennemis de la Restauration des armes et des espérances inépuisables.

Charles X et Polignac ne virent qu'un moyen de vaincre ces dernières résistances : un coup d'Etat. N'est-ce pas au souverain de s'attribuer les pouvoirs qu'il se juge nécessaires ? Qu'a-t-il besoin de consulter un parlement ? Les assemblées, comme les nations, n'ont jamais créé un pouvoir fort, mais elles l'acceptent toujours. Ainsi raisonnaient les politiques d'extrême droite. Polignac, cependant, hésitait encore. Eh quoi ! Monseigneur, lui dit un jour Michaud, le rédacteur de la Quotidienne, vous hésitez à faire un coup d'Etat ? Je m'en afflige. — Et pourquoi ? répliqua Polignac ! Parce que, reprit Michaud, n'ayant pour vous que les hommes qui veulent un coup d'Etat, si vous n'en faites pas, vous n'aurez plus personne[44]. Le coup d'Etat fut décidé. Le 25 juillet 1830, le roi, s'appuyant sur l'article if' de la charte, qui lui reconnaissait le droit de faire les règlements nécessaires pour la sûreté de l'Etat, signa quatre ordonnances : la première suspendait la liberté de la presse ; la seconde prononçait la dissolution de la Chambre ; la troisième modifiait profondément le régime électoral ; la quatrième convoquait les électeurs pour la nomination de nouveaux députés. Dès le lendemain matin, plusieurs journaux, ayant paru sans autorisation, furent saisis. Le soir, des manifestations populaires se produisirent au cri de : Vive la Charte ! Le lendemain, 27, la foule, après avoir pillé des boutiques d'armuriers, s'empara de plusieurs postes militaires. Le 28, le drapeau tricolore fut arboré sur les tours de Notre-Dame.

Les cris de : Vive la liberté ! dominèrent les cris de : Vive la Charte ! Pendant cette journée, plus de la moitié de Paris tomba au pouvoir des insurgés. La garde nationale, aidée par un régiment d'infanterie, qui venait de se joindre à elle, s'empara de l'Hôtel de Ville. Le lendemain, 29, l'émeute, guidée par des élèves de l'Ecole polytechnique, força les barrières du Louvre et s'installa dans le palais, au cri de : Vive la République ! Mais les républicains ne formaient pas la majorité des insurgés ; les impérialistes et les monarchistes libéraux, de l'école du Constitutionnel, y avaient pris une part importante. Ces derniers, dans une proclamation rédigée par Adolphe Thiers, firent valoir que la République brouillerait la France avec l'Europe. La crainte était fondée. Metternich guettait une agitation révolutionnaire en France pour coaliser contre elle les grandes puissances[45], Le nom du duc d'Orléans fut prononcé. Le fils de Philippe-Egalité avait combattu dans l'armée républicaine en 1792 ; il était populaire dans la bourgeoisie par son accueil facile et sa bonhomie ; il attirait volontiers auprès de lui, au Palais-Royal, les chefs du parti libéral. Les députés présents à Paris le proclamèrent d'abord, le de juillet, lieutenant général du royaume, puis, le 5 août, roi des Français, sous le nom de Louis-Philippe Ier.

Au point de vue politique, la révolution s'était donc arrêtée à un compromis. Louis-Philippe se déclara roi des Français par la grâce de Dieu et la volonté nationale. Mais la révolution religieuse ne connut aucun frein. Les sociétés secrètes, qui redoutaient une coalition européenne en renversant la monarchie, n'avaient pas la même crainte en abattant le crucifix et eu saccageant les églises. Au cours de l'émeute, l'archevêché de Paris avait été pillé ; la maison des Jésuites à Montrouge avait été envahie par les insurgés, qui avaient maltraité plusieurs Religieux ; le feu avait été mis à la résidence des Missionnaires de France. Les jours suivants, les pillages des églises et les profanations de toutes sortes se poursuivirent[46]. La date de 1830, a écrit Eugène Veuillot[47], est vraiment celle où la Révolution, confisquée par la bourgeoisie libre-penseuse, a été complète et couronnée. L'historien de la monarchie de Juillet a fait le tableau suivant de l'état religieux de la France après 1830 : Le catholicisme, vaincu au même titre que la vieille monarchie, dont on affectait de le croire solidaire, tandis que le voltairianisme se jugeait appelé à partager la victoire du parti libéral ; les croix détruites par les mêmes mains que les fleurs de lys ; partout, dans la presse, dans la caricature, au théâtre, une débauche et comme une représaille d’impiété[48]. Le principal organe de l'Eglise de France put, à juste titre, déclarer que le clergé était désormais frappé d'une sorte de mort civile[49].

 

VI

Les sociétés secrètes triomphaient, et, pour la circonstance, levaient hardiment leur masque. La Société Aide-toi, le ciel t'aidera communiquait aux journaux un rapport qui lui avait été fait, le 13 août 1830, en assemblée générale, et où la Société avouait, avec orgueil, ses efforts pour renverser Charles X et pour accomplir la révolution attendue depuis longtemps[50]. Peu de temps après, un journal libéral, l'Ami des peuples, révélait des détails plus circonstanciés sur la participation des sociétés secrètes à la révolution, dans un article intitulé : Causes secrètes de la révolution de 1830 : révélations officielles sur le fameux comité directeur les Carbonari de Paris[51]. Le but des sociétés secrètes, dans ces révélations, était moins de faire état de leurs forces devant le public que d'intimider le pouvoir. Le rapporteur de la société Aide-toi faisait valoir les grands services que l'association pourrait rendre pendant la période électorale, grâce à la puissance de son organisation dans la capitale et en province Ce que nous faisons, disait-il[52], nous devons le faire encore. Les journaux libéraux, qui comptaient presque tous des rédacteurs appartenant à la société Aide-toi ou à d'autres sociétés affiliées à la Charbonnerie, le Globe, le Temps, le Constitutionnel, le Courrier français, le National, le Journal des Débats, la Révolution, pesaient sur un gouvernement qu'ils proclamaient leur œuvre.

Celui-ci ne cessait de leur donner des gages. Dans un rapport sur la situation du royaume, lu à la séance de la Chambre, le 13 septembre 1830, le ministre de l'Intérieur prenait, à l'égard des catholiques, un ton menaçant. Le gouvernement du roi, disait-il[53], n'ignore pas les menées ourdies à l'aide d'associations ou de congrégations que repoussent nos lois. Il sait jusqu'où s'étendent les droits de la puissance publique. Quelques jours après, le 21 septembre 1830, le même ministre laissait une manifestation publique dérouler son cortège en plein Paris et réhabiliter la mémoire des quatre sergents de la Rochelle exécutés en 1822 comme conspirateurs ; et le scandale était si grand, que le Journal des Débats lui-même écrivait : Qu'on y prenne garde. C'est un jury qui a fait tomber les têtes de Bories et de ses amis... Glorifier ces condamnés, c'est les célébrer pour avoir pris l'initiative de la destruction de l'ordre[54]. Presque en même temps, des députés demandaient à la Chambre le rétablissement du divorce[55]. Le 1er octobre, une ordonnance royale supprimait les demi-bourses accordées jusque-là aux petits séminaires[56]. Le 16 octobre, une nouvelle ordonnance royale modifiait la composition des comités d'instruction primaire, enlevant la présidence au curé pour la donner au maire et supprimant les deux notables choisis par l'évêque[57] ; et les catholiques voyaient dans ces mesures un acheminement à peine dissimulé vers la laïcisation complète de l'instruction[58].

Dans de si pénibles circonstances, l'attitude de l'épiscopat et du clergé en général fut calme et digne. Respectueux de l'ordre établi, il n'abandonna pas la défense des droits de l'Eglise. Dans une circulaire adressée à ses prêtres, pour les inviter à faire célébrer un service à l'intention des victimes des journées sanglantes, l'archevêque de Paris rappelait, avec une émotion discrète, que dans l'asile que les pauvres lui avaient offert pendant la tempête, il avait pu se rendre compte de l'étendue des malheurs[59]. Dans une lettre confidentielle destinée à ses curés et desservants, l'évêque d'Orléans leur indiquait les mesures de prudence qu'ils devaient prendre pour sauvegarder le respect des sanctuaires, pour le cas où les maires voudraient, comme il avait été fait quelquefois, assembler la garde nationale dans les églises[60]. Ne prenez aucune part, mes frères, aux discussions publiques, écrivait l'archevêque de Tours. Le ministre de Dieu ne doit ouvrir la bouche que pour porter à tous des paroles de consolation[61]. Les évêques d'Angers, de Troyes, de Blois, de Carcassonne, avaient un langage semblable[62], et nulle note discordante ne se mêlait à leurs voix.

Le clergé suivait ces conseils ; mais l'obéissance qu'il devait au pouvoir établi ne l'empêchait pas de lutter courageusement dès que le bien des âmes était en jeu. Le 6 juillet 1830, les neuf aumôniers des collèges royaux de Paris, exposant, dans un mémoire, le triste état moral et religieux des maisons confiées à leurs soins, émettaient un vœu pour l'émancipation de l'enseignement, et l'un d'eux, l'abbé Lacordaire, aumônier adjoint au collège Henri IV, expliquait le sens de ce mémoire dans une éloquente lettre adressée au Correspondant. Les rédacteurs de cette revue et de l'Ami de la religion ne laissaient passer aucun attentat, aucune menace contre les droits de l'Eglise sans protester avec énergie. Les populations catholiques, après un premier moment de stupeur, s'étaient ressaisies, et, groupées autour de leurs curés, encouragées par eux, faisaient reculer les profanateurs. Une lettre d'un voyageur qui venait de parcourir plusieurs contrées de l'Ouest et du Midi, constate, en octobre 1830, que, dans beaucoup de lieux, on voit des hommes monter la garde la nuit pour empêcher les profanations de croix, et des femmes veiller pendant le jour pour empêcher de semblables désordres. En Bretagne, sous la pression de l'opinion publique, un préfet, loin d'abattre les croix, a recommandé au contraire de les respecter ; et, à Bordeaux, il a fallu arrêter le zèle de quelques personnes pieuses qui voulaient en ériger de nouvelles sur les chemins publics.

L'épiscopat, sous la haute inspiration du souverain pontife, veillait à maintenir l'action des fidèles dans les limites d'une stricte légalité. Pie VIII, aussitôt que le gouvernement de Louis-Philippe lui avait paru solidement constitué, l'avait ouvertement reconnu, en confirmant les pouvoirs de son nonce, conformément à la politique constante de la papauté à l'égard des pouvoirs établis. Mgr de Quélen hésitait, même après cette décision, à prescrire, comme archevêque, des prières publiques pour le chef de l'Etat et à prêter, comme pair de France, le serment de fidélité à la Constitution. Le pape lui écrivit qu'il pouvait ordonner les prières publiques ; mais il lui conseilla de donner sa démission de pair de France si le serment qu'on exigeait de lui répugnait à sa conscience[63].

En somme, malgré les odieuses persécutions soulevées par le nouveau régime, la révolution de 1830 avait, grâce à l'attitude ferme et prudente du clergé, abouti à trois résultats, dont l'Eglise devait bien tôt recueillir les fruits. D'abord, il n'était plus possible d'attribuer les succès, l'influence et les prétendues richesses du clergé catholique à l'appui du pouvoir, et, de ce fait, bien des hostilités tombaient. D'autre part, les catholiques, ne comptant plus que sur eux-mêmes, s'habituaient à lutter par leurs propres initiatives. Enfin, se séparant, en cela, des socialistes, des meneurs des sociétés secrètes et de ceux-là mêmes qui venaient de fonder le nouveau gouvernement, ils s'accoutumaient, comme leurs frères d'Irlande, à combattre sur le terrain légal, et allaient bientôt, par cette tactique, s'imposer à l'opinion comme une force respectable, avec laquelle il faudrait compter.

Malheureusement une divergence d'attitudes, destinée à s'accuser de plus en plus dans l'avenir et à diviser profondément certains défenseurs de l'Eglise, venait de se faire jour. Le Correspondant, dans un article paru au courant de l'année 1829, avait, à propos de la liberté d'enseignement, montré comme un but souhaitable l'établissement d'un régime où l'on verrait chaque parti, chaque secte, élever école contre école, chaire contre chaire. Il avait, dans ce même article, parlé du droit légal qui résulterait, dans ce régime, pour le philosophisme, d'enseigner des erreurs. L'Ami de la religion ayant, dans son numéro du 24 octobre, vivement relevé ces assertions, comme opposées à la doctrine de l'Eglise et comme dérivant des théories de l'abbé de La Mennais, le rédacteur du Correspondant, à la date du 3 novembre, s'était expliqué en disant : 1° qu'il n'était point le disciple fanatique et exclusif de La Mennais, comme on semblait le dire ; 2° qu'en parlant du droit légal de l'erreur, il n'avait voulu que constater une situation juridique, reconnaissant que l'unité seule est conservatrice et que l'indifférence dogmatique est un dissolvant social ; mais 3° il maintenait qu'étant donné l'ordre de choses où l'on vivait, le devoir était de faire tous ses efforts pour en tirer le meilleur parti possible. — Tout le monde sait, concluait-il, que la religion a plus de peine à se faire écouter qu'à persuader. Or, dans ce siècle d'indépendance, l'idée que la religion peut être l'instrument d'un gouvernement, ou simplement qu'elle veut s'appuyer sur lui, cette idée prévient contre elle beaucoup de gens. Ceux-là seuls doivent craindre la lutte qui ne sont pas sûrs de la bonté de leur cause... Que la religion se montre dans toute sa beauté, et son triomphe est sûr. Dans son numéro du 14 novembre, l'Ami de la religion relevait vivement ces derniers mots. Il y a longtemps, disait-il[64], que la religion se montre dans toute sa beauté, et cependant elle n'a pas triomphé de tous les esprits. Est-ce qu'on ne compte pour rien les passions humaines, l'indifférence des uns, la haine des autres, les préventions de ceux-ci, les penchants de ceux-là ?

Nous avons longuement exposé cette controverse, parce qu'on y trouve déjà formulés, dans leur substance, les arguments qui seront apportés plus tard, de part et d'autre, dans la grande querelle du libéralisme catholique ; et peut-être n'ont-ils jamais été présentés d'une manière plus saisissante que dans ce premier choc de deux tendances parmi les défenseurs de l'Eglise. Certes, on comprend que, dans une société divisée, comme était celle de la France vers 1830, des catholiques sincères, zélés, aient préféré, pour lutter contre l'erreur, un régime de liberté à une protection compromettante ; mais précisément parce que ce régime de liberté s'imposait en fait — on dira, plus tard, en hypothèse — et parce qu'il était à craindre que le fait ne s'érigeât en droit, il était plus important que jamais d'affirmer la thèse, de proclamer que nul homme, nulle institution, nul Etat, n'ont le droit de professer l'indifférence entre la vérité et l'erreur, entre le bien et le mal ; que leur devoir, au contraire, est, dans la mesure où le respect des consciences le permet, de protéger le vrai et le bien, dans l'ordre de la religion comme dans celui de la morale, contre les pièges de l'erreur et du mal.

 

VII

Telle fut, dans ses origines, dans ses caractères et dans ses premiers résultats, la révolution française de 1830. Le prince de Metternich, dominé par son parti pris de ramener toutes les agitations de l'Europe à une conjuration contre les vieilles monarchies, a voulu rattacher à la révolution française de Juillet les mouvements politiques qui se produisirent, peu de temps après, en Belgique, en Pologne, en Irlande, en Italie, en Allemagne, en Suisse. Cette assertion est inexacte et démentie par les faits. Les événements de Juillet furent vraisemblablement l'occasion et le signal de la plupart de ces mouvements ; mais ceux-ci eurent leurs vraies causes dans des événements antérieurs d'ordre national, et se manifestèrent avec des caractères différents, conditionnés par les circonstances dans lesquelles ils se produisirent. Ainsi, tandis que la révolution française de Juillet, déterminée par une coalition des monarchistes libéraux, des impérialistes et des républicains contre les institutions d'ancien régime, prenait un caractère nettement anticatholique, les mouvements insurrectionnels de la Belgique, de la Pologne et de l'Irlande avaient, au contraire, une origine et prenaient un caractère religieux. Les aspirations libérales de l'Italie avaient avant tout pour but de secouer le joug de la domination autrichienne et réunissaient dans un même sentiment des libres penseurs et des catholiques sincères. En Allemagne, les revendications d'indépendance prenaient le caractère d'un appel à l'unité germanique, et les troubles qui agitèrent l'Espagne et le Portugal n'auraient sans doute pas éclaté si des questions dynastiques irritantes n'étaient intervenues[65].

La première révolution qui fit écho à la révolution de Juillet fut celle qui éclata, le 25 août suivant, à Bruxelles.

A mesure qu'il faisait sentir au peuple belge la pression du joug hollandais et protestant, le roi des Pays-Bas, Guillaume Ier, sentait croître l'esprit d'opposition contre son gouvernement. Dans le désir de se concilier les opposants, on le vit prendre quelques mesures libérales ; mais ces mesures étaient toujours incomplètes, toujours suivies d'un retour aux procédés de l'intolérance et de la tyrannie. Sous des dehors affables, le roi Guillaume était un esprit aussi méfiant des autres qu'infatué de sa propre personne et de sa propre autorité. Par un arrêté du 20 juin 1829, il avait rapporté ses arrêtés de 1825 en ce qu'ils avaient de plus fâcheux : la fréquentation du collège philosophique ne serait plus obligatoire et les évêques pourraient désormais ouvrir des séminaires épiscopaux[66] ; mais ii maintenait l'obligation, pour tout évêque nommé, de demander un placet royal, et l'évêque lui-même qui le sacrerait devait avoir son placet. Quelques évêques crurent se mettre en sûreté de conscience en déclarant qu'ils ne sollicitaient un placet que pour le temporel. L'évêque de Namur, appelé à leur donner la consécration épiscopale, refusa de se soumettre aux volontés du roi, disant qu'il n'avait pas plus besoin d'un placet royal pour faire un sacre que pour faire une ordination ou une confirmation. Les nominations restèrent alors en suspens[67]. Sur ces entrefaites, parut la bulle du pape ordonnant la célébration d'un jubilé. Le roi des Pays-Bas publia la bulle, mais en faisant ses réserves sur les clauses qu'elle pourrait contenir contre les droits du souverain et les libertés de l'Eglise belgique. — Les libertés de l'Église belgique sont bien placées là, écrivait l'Ami de la religion, dans un temps où cette pauvre Église n'a pas encore les évêques qu'on lui avait promis et où un concordat solennel est resté sans effet depuis plus de deux ans[68]. En décembre 1829, le roi Guillaume nommait un catholique notoire, le baron de Pélichy, directeur des affaires du culte catholique. Mais les catholiques de Belgique se demandaient avec anxiété s'il fallait voir là une mesure libérale, ayant pour but de faire donner une interprétation bienveillante aux lois civiles ecclésiastiques, ou un moyen habile d'introduire dans les institutions le contrôle gouvernemental sur les affaires du culte[69]. Au surplus, une loi du même mois de décembre aggravait les sanctions pénales en matière de presse[70] ; un arrêté du mois de septembre précédent, imposant, l'emploi de la langue hollandaise sur toute l'étendue du royaume, était appliqué avec rigueur[71]. Peu de temps après, en janvier 1834, de nombreux fonctionnaires publics étaient destitués pour avoir manifesté de l'aversion contre le système de gouvernement[72].

La mesure semblait comble. En février 1830, les catholiques belges firent alliance avec le parti libéral. Une opposition constitutionnelle se forma, se plaçant sur le terrain de la liberté, réclamant la liberté de la religion, la liberté de l'enseignement, la liberté de la presse. Le 22 février 1830, les catholiques de Belgique publièrent un manifeste, où l'on lisait : En face du terrible péril de voir l'instruction de leurs enfants, et même, par des lois sur la presse, l'instruction de tous les âges livrée au bon plaisir de l'homme, les catholiques ont dû chercher des garanties. Au siècle où nous sommes, il était impossible d'en trouver d'autres que la liberté... Les libéraux, sans que leur but soit le même que le nôtre, demandent les mêmes libertés... Nous marcherons avec eux de conserve. Mais que l'on n'imagine point que rien dans le monde nous engage jamais au plus léger sacrifice de nos principes... Nous serons libres, parce que c'est notre volonté arrêtée. C'est notre droit. Nous serons libres, et beaucoup de nations des deux mondes le seront aussi. Malheur à celles qui resteront sous le joug de l'homme ! L'abbé de La Mennais, en reproduisant ce manifeste dans la Revue catholique du 15 mars, acclamait ce magnifique mouvement de tout un peuple, se levant comme un seul homme, et marchant, au nom de tout ce qu'il y a de sacré sur la terre, à la conquête de ses droits les plus précieux[73].

Ce fut la révolution française de Juillet qui donna l'idée d'une révolte. Le 25 août 1830, au théâtre de Bruxelles, pendant la représentation de la Muette de Portici, les appels à la liberté, qui se rencontrent dans cet opéra, excitèrent le public. On cria : Faisons comme les Français ! La foule se précipita vers les bureaux du National, journal ministériel, et vers la maison du ministre hollandais Van Maanen, qui furent livrés aux flammes. Il ne s'agissait encore là que d'une émeute locale. Mais, le 27 août, le drapeau brabançon fut arboré. Ce fut une révolte du Brabant. Une armée de 10.000 hommes, envoyée pour arrêter la révolution, fut repoussée, sous les murs de Bruxelles, par les bourgeois en armes. Le mouvement insurrectionnel gagna toutes les provinces belges. Sur la demande du roi Guillaume, les puissances signataires des traités de 1815 intervinrent, mais ce fut pour reconnaître le gouvernement provisoire belge[74]. Un congrès national, réuni à Bruxelles, venait, en effet, de proclamer l'indépendance de la Belgique et d'acclamer une constitution ayant pour bases la monarchie constitutionnelle, la liberté complète des cultes et de l'enseignement e-t les franchises communales.

Le pape Pie VIII, qui, dans un esprit de pacification, avait cherché à ramener le roi Guillaume à des sentiments plus équitables à l'égard de ses sujets catholiques, n'avait pas été sans inquiétudes au moment de l'alliance des catholiques avec les libéraux. A la date du 8 juin 1830, le cardinal Albani, secrétaire d'Etat du Saint-Siège, écrivait au comte de Senfft : Le Saint-Père n'est pas rassuré sur l'état des esprits en Belgique... L'union constitutionnelle aboutira-t-elle à consacrer la liberté en faveur de l'Eglise ! Les catholiques y apportent trop de bonne foi pour que les autres ne soient pas tentés d'y mêler un peu de duplicité. Plus loin, il ajoutait ces paroles, où se manifestait la haute circonspection du Saint-Père en ces questions si délicates : Il nous semble, ici, qu'il y a plus de malentendus que de divergences entre les gouvernements et les peuples. Ne pourrait-on y porter remède ?... A quatre cents lieues de distance, on ne connaît ni les caractères ni les faits ; on ne peut donc conseiller qu'en généralisant. Nous pouvons bien imprimer un certain mouvement, mais c'est sur place qu'il faut agir[75]. En somme, les résultats de la révolution belge furent favorables à l'Eglise. Elle fut le point de départ d'un grand mouvement d'activité religieuse dans le développement de la vie chrétienne, des œuvres d'enseignement et d'apostolat[76].

 

VIII

Dans la révolution de Pologne les intérêts religieux eurent, comme eu Belgique, leur large part ; comme en Belgique, ils furent associés à des revendications nationales.

Par ses origines, la révolution de Pologne se rattache à des causes anciennes et profondes, que nous avons déjà eu l'occasion d'étudier ; mais son explosion, préparée par la révolution française de Juillet, fut déterminée par la révolution belge du mois d'août. De 1823 à 1830, la Pologne avait continué à s'appeler un royaume constitutionnel ; mais le tsar faisait tout pour réduire cette dénomination à un vain mot. En droit, la Pologne devait être gouvernée par le vice-roi, aidé par une représentation nationale, posséder une magistrature indépendante, une armée et une administration séparées, une presse libre ; en fait, le tsar intervenait personnellement dans le pouvoir législatif, judiciaire, administratif, en se passant des institutions établies. En droit, et suivant les termes mêmes de la constitution polonaise, la religion catholique, professée par le plus grand nombre[77], devait être l'objet de la sollicitude particulière du gouvernement, sans préjudicier à la liberté des autres cultes, et les propriétés du clergé latin ou grec-uni étaient inaliénables ; en fait, le tsar Nicolas s'arrogeait le droit d'exercer sur le clergé une inquisition tracassière, entravait les rapports des évêques avec Rome[78] et ne dissimulait pas son désir de réunir tous ses sujets en une seule Eglise, soumise à sa domination.

La nouvelle de la révolution de Paris produisit une vive impression eu Pologne ; les préparatifs que fit alors le tsar d'une expédition contre la France augmentèrent l'émotion. La franc-maçonnerie, qui avait été introduite en Pologne par Dombrowski, et qui s'était déjà propagée dans l'armée et dans les universités, exploita le malaise national pour susciter des troubles. Les chefs du parti patriote résistaient à ces surexcitations, ou, du m'oins, attendaient le printemps de l'année suivante pour organiser un soulèvement général de la nation. Mais quand, en novembre 1830, le tsar Nicolas prétendit, en vertu de ses alliances de famille avec les Nassau et en exécution des traités de 1815, envoyer l'armée polonaise en Belgique pour y rétablir l'autorité de Guillaume Ier, et remplacer en Pologne les troupes nationales par des troupes russes, l'insurrection éclata. Le 29 novembre, deux officiers entraînent à leur suite l'École militaire et les régiments de Varsovie. L'aigle blanche est arborée partout au chant national : Non, Pologne, tu ne manqueras pas de défenseurs ! Un ancien soldat de Napoléon, Chlopicki, est nommé dictateur. Pendant que les jeunes gens s'enrôlent en masse dans l'armée insurrectionnelle, les riches offrent leur or, les clochers fournissent du bronze pour les arsenaux et les sacristies de l'argent pour battre monnaie. L'Autriche s'épouvante, et, aux premières nouvelles de l'insurrection, envoie des troupes en Galicie[79], renforce ses armées en Italie, pour se garantir d'une invasion de ses frontières[80]. Mais Metternich semble considérer le mouvement comme irrésistible. Il est de la nature de la poudre d'être inflammable, écrit-il à l'ambassadeur d'Autriche près la cour de Berlin ; et le royaume de Pologne, à mes yeux, a la valeur d'un magasin à poudre[81]. L'Europe libérale s'intéresse à cette campagne épique, plus dramatique que celle de Belgique ; la poésie romantique la chante, et les catholiques en tressaillent d'émotion. Pendant qu'Armand Carrel célèbre l'insurrection polonaise dans le National, que le peuple chante la Varsovienne de Casimir Delavigne avec non moins d'ardeur que la Parisienne, et que La Fayette s'écrie : Toute la France est polonaise, le jeune comte de Montalembert écrit dans l'Avenir : Elle a enfin jeté son cri de réveil, elle a enfin secoué ses chaînes, cette fière et généreuse Pologne, tant chérie de tous les cœurs libres et catholiques... Libre et catholique Pologne, patrie de Sobieski et de Kosciusko, nous saluons ta nouvelle aurore, nous te convions à la sublime alliance de Dieu et de la liberté[82].

 

IX

La cause de l'Irlande suscitait, chez les jeunes catholiques, un enthousiasme presque aussi fervent. Au retour d'un voyage en Irlande, le même Montalembert écrivait : Si jamais le découragement venait nous saisir, songeons aux merveilles de cette Association catholique, qui ne commença qu'avec sept membres, et qui, après quinze ans de lutte, a conquis l'indépendance religieuse de l'Irlande et jeté les fondements de son indépendance nationale[83].

O'Connell, en effet, après avoir conquis le bill d'émancipation des catholiques, n'avait point abandonné la lutte. Il demandait l'indépendance de l'Irlande, le rappel de l'acte d'union. L'union, s'écriait-il[84], ne fut pas un traité ; elle a été emportée par la violence et la fraude. Elle n'a aucune force obligatoire. Les Irlandais, toujours traités comme des étrangers de race et de religion, demandent le rappel de l'union. Le but de la révocation du bill d'union était principalement le rétablissement en Irlande d'un parlement distinct et local, ayant un contrôle absolu sur les affaires de la nation irlandaise, sans rupture aucune de la perpétuelle alliance de l'Irlande avec la Grande-Bretagne, par l'intermédiaire de la reine Victoria et de ses héritiers et successeurs. O'Connell jugeait en effet que, sans cette garantie, l'émancipation religieuse de l'Irlande resterait un leurre. Pour atteindre ce nouveau but, le programme d'O'Connell demeura celui qu'il s'était scrupuleusement assigné, et qu'il avait imposé à son parti dans sa campagne pour l'émancipation : Pas une goutte de sang, pas un acte illégal. Aussi la lutte irlandaise eut-elle un caractère tout différent des campagnes entreprises en Belgique et en Pologne.

La stupéfaction fut grande en Angleterre, dit un des meilleurs historiens de l'agitation irlandaise, quand ; au lendemain de l'émancipation des catholiques, on vit s'organiser en Irlande une association nouvelle aux cris du rappel de l'union. Une loi autorisa aussitôt le lord-lieutenant d'Irlande à dissoudre toute association qui lui paraîtrait dangereuse pour la sûreté de l'Etat. Le vice-roi ne tarda pas à user de la puissance arbitraire mise à sa disposition. Dans l'hiver de 1829, une proclamation du duc de Northumberland supprima la société formée par O'Connell.

Lorsque les whigs arrivèrent au pouvoir, en 1830, on crut que l'agitateur mettrait bas les armes. Mais, loin de là, il redoubla de virulence dans ses attaques. Durant l'hiver, la lutte devint très vive. Pour échapper au bill de 1829 contre les associations, l'infatigable agitateur imagina de créer des sociétés sous des noms différents, qui, n'ayant aucun lien entre elles, n'offraient pas le caractère d'une association nationale. Il commença par assembler les métiers. Je suis homme de métier, disait-il ; mon métier à moi, c'est l'agitation. Une proclamation ne tarda pas à paraître, qui prononçait la dissolution de la société des métiers. O'Connell obéit ; mais comme la proclamation avait dissous nominativement la société des métiers, il en organisa une autre sous le nom d'association pour empêcher les réunions illégales. Une nouvelle proclamation interdit encore cette association. Alors O'Connell proposa la société des déjeuners politiques, et il convoqua ses partisans non à un meeting, mais à un déjeuner. Nouvelle proclamation pour empêcher le déjeuner. O'Connell essaya plusieurs autres combinaisons, qu'à chaque fois une proclamation venait détruire. Enfin le lord-lieutenant, fatigué de ce genre de guerre, interdit toute autre association de même nature.

Il fallut plier devant ces inexorables exigences du pouvoir, el placer la lutte sur un nouveau terrain. On vit d'abord O'Connell prendre, en signe de deuil, un crêpe, qu'il jura de garder tant que la loi contre les associations ne serait pas abolie. Puis il attaqua ses ennemis par le côté lé plus sensible, en établissant en Irlande un système de non-importation, qui fermait le débouché des produits du commerce anglais. Il donna l'exemple, en refusant de recevoir dans sa maison du thé, du café et autres produits qui venaient en Irlande par l'Angleterre. Il imagina un autre stratagème, qui atteignit l'insolente aristocratie financière, chez laquelle il rencontrait une persistante opposition. Les banques avaient en circulation une grande quantité de bank-notes ou billets de banque. O'Connell résolut de discréditer ces papiers. Il invita tous les porteurs de billets à se présenter, un jour donné, pour exiger le remboursement immédiat et intégral de ces valeurs. Cette invitation d'O'Connell fut reçue comme un ordre, et aussitôt exécutée. La panique devint générale. Les caisses furent bientôt épuisées. Les banqueroutes se multiplièrent. Les opérations commerciales furent suspendues. Dix jours s'écoulèrent sans qu'il fût fait aucune affaire. Le drame ne fut pas sanglant, mais il fut ruineux. Il apprit à l'Angleterre de quelle influence disposait l'homme que les Irlandais avaient choisi pour chef[85].

Pour apaiser les catholiques, le gouvernement s'était un peu départi de sa rigueur dans l'application des lois qui concernaient les affaires ecclésiastiques. Les évêques d'Irlande, dans une Lettre pastorale collective qu'ils adressèrent aux fidèles le 9 février 1830, ne firent pas difficulté de reconnaître que l'état de la religion s'était un peu amélioré, et ils en exprimèrent leur reconnaissance au roi, aux ministres et au parlement ; mais, en même temps, ils suppliaient les catholiques de ne pas se laisser affaiblir par l'adversité ni entraîner par la séduction.

Le courage des catholiques d'Irlande était un exemple pour ceux d'Ecosse. La présence en Ecosse de nombreux émigrés français pendant la Révolution, la vue de leurs vertus, y avait déterminé un grand nombre de conversions à l'Eglise romaine. Le chiffre de la population catholique pouvait être fixé approximativement, au mois de mars 1830, à cent dix mille[86]. Mais cette population, extrêmement pauvre, ne pouvait subvenir à l'entretien de nombreux établissements qu'il avait été nécessaire de fonder pendant les dernières années. Une dette de près de 230.000 francs pesait sur la chapelle d'Edimbourg et sur la maison occupée par l'évêque et ses missionnaires. Cette chapelle était, du reste, insuffisante, ne pouvant contenir plus de 1.500 personnes, tandis que la ville comptait à peu près 15.000 fidèles[87]. Le 19 juin 1829, Mgr Paterson avait fait un chaleureux appel aux catholiques français[88]. Cet appel, appuyé par Mgr de Quélen, archevêque de Paris, fut entendu par les catholiques de France, qui se montrèrent généreux, et le souverain pontife vint au secours des catholiques écossais dans la mesure de ses moyens.

Le clergé catholique d'Irlande et d'Ecosse ne se distinguait pas seulement par son courage et par son zèle ; il comptait plusieurs hommes éminents par le savoir. De ce nombre étaient le docteur Curtis, archevêque d'Armagh, autrefois professeur à Salamanque ; le docteur Murray, archevêque de Dublin, très estimé pour l'éloquence de sa parole et pour la solidité de sa doctrine ; le docteur Doyle, évêque de Kildard, ancien professeur au collège ecclésiastique de Carlow, et le docteur Jean Lanigan, jadis professeur d'hébreu et de théologie à l'Université de Paris, ensuite bibliothécaire de la Société royale à Dublin, auteur d'une histoire ecclésiastique d'Irlande très appréciée.

En Angleterre même, Dieu préparait d'autres lumières à son Eglise. La Révolution de 1830 y avait donné une impulsion violente au mouvement démocratique. Le vent de réforme qui s'y était levé depuis quelques années, soufflait désormais en tempête. L'avènement d'un ministère whig n'assurait pas seulement le succès à brève échéance de la réforme électorale ; il semblait présager ce qu'on appelait la réforme de l'Eglise. On annonçait hautement la volonté de réviser ses revenus, sa hiérarchie, ses dogmes. Et cette besogne devait être faite par un parlement que la suppression des lests venait d'ouvrir aux dissidents[89]. Le petit groupe d'Oxford, qui travaillait depuis quelques années à une réforme de l'Eglise établie par le simple retour à ses propres traditions authentiques, en dehors de toute intervention d'un Etat laïque et par conséquent radicalement incompétent dans cette œuvre, les Newman, les Froude, les Keble, les Pusey, s'alarmèrent.

Précisément, à cette époque, Newman avait entrepris l'histoire du concile de Nicée et des ariens du ive siècle. Plein d'admiration pour la grande Eglise d'Alexandrie, il sentait, a-t-il dit, l'enseignement de ses théologiens et de ses philosophes pénétrer dans son âme. Mais, en considérant ce passé glorieux, il ne pouvait s'empêcher de l'opposer au spectacle que lui offrait son Eglise. Lui-même a résumé ainsi les réflexions que ce contraste lui suggérait : A cette Eglise établie d'Angleterre, si divisée, si menacée, si ignorante de sa force réelle, je comparais cette puissance vivace et énergique dont j'étudiais l'histoire dans les siècles primitifs... J'étais toujours poursuivi par cette pensée, qu'il existait quelque chose de plus grand que l'Eglise établie, et que ce quelque chose était l'Eglise catholique et apostolique, instituée dès l'origine[90]. Ainsi surgissait ce qui devait être désormais, pendant plusieurs années, l'idée maîtresse de Newman : l'Eglise d'Angleterre, menacée de périr, ne peut se sauver qu'à la condition de se hausser à l'intelligence de son origine et de sa mission divines[91].

 

X

Par certains côtés, la situation du catholicisme en Allemagne était analogue aux conditions de son existence en Angleterre. Là aussi une minorité de catholiques était dominée par une majorité protestante. Là aussi les catholiques, groupés en certaines régions, telles que la Bavière et l'Autriche, avaient la faculté de s'organiser entre eux. Mais là s'arrêtaient les ressemblances.

Au point de vue politique, l'Allemagne, telle que les traités de 1815 l'avaient faite, était une organisation instable, divisée entre deux grands Etats d'une part, l'Autriche et la Prusse, qui cherchaient à dominer la confédération, et une quarantaine de petits Etats, }es uns catholiques comme l'Autriche, les autres protestants comme la Prusse, tous impatients de leur indépendance à l'égard des deux grandes puissances qui essayaient de faire prévaloir leur hégémonie, Au point de vue religieux, la Prusse et les Etats protestants, fidèles aux traditions césaropapistes qui remontaient aux premiers temps de la prétendue Réforme, et les gouvernements catholiques, encore trop pénétrés de l'esprit joséphiste, faisaient plus ou moins peser sur les fidèles un joug arbitraire. Dans le domaine des idées, une double tendance s'était manifestée : une tendance libérale, opposée à l'absolutisme, dont Bôme et Henri Heine avaient été les plus éloquents porte-voix, et une tendance ultramontaine, opposée au césaropapisme et au joséphisme, dont Gœrres s'était fait le plus vigoureux interprète. Quoique inspirées par des principes totalement opposés, ces deux tendances s'étaient plusieurs fois rejointes et mêlées, parce qu'elles avaient été souvent dirigées contre le mêm3 ennemi, parce que, visant l'une et l'autre l'affranchissement d'un joug odieux, elles avaient pris souvent la même devise, celle de la liberté. De là des équivoques, des malentendus, des confusions, sources, en Allemagne comme en France, en Belgique et en Italie, de longues et vives controverses.

En Allemagne, pas plus que dans les autres pays qui subirent la secousse de 1830, les événements de Juillet ne créèrent les conflits, mais ils en déterminèrent la crise violente. Aux premières nouvelles de l'insurrection parisienne, des émeutes éclatèrent dans le Brunswick, la Saxe, la Hesse-Cassel, le Hanovre et plusieurs autres petits Etats. Les princes, effrayés, accordèrent des constitutions libérales. C'étaient là des atteintes aux traités de Vienne, qui concentraient dans la personne du prince tous les pouvoirs de l'Etat. Metternich s'effraya, déclarant que tout le mal venait de la faction qui cherchait à introduire en Allemagne l'idée' dissolvante de la souveraineté du peuple Aussi, sous son inspiration, l'Autriche réagit-elle de tout son pouvoir contre l'invasion du libéralisme politique et en favorisa-t-elle la répression dans les Etats secondaires. Elle trouva même, dans ces agitations révolutionnaires, une occasion de se rattacher les magnats ou seigneurs hongrois, plus effrayés des libertés populaires qu'hostiles à la domination autrichienne.

Le clergé catholique, pris dans son ensemble, ne se mêla point à ces mouvements politiques ; et, chose triste à dire, l'épiscopat allemand ne se préoccupa guère davantage de défendre alors l'indépendance de l'Eglise contre plusieurs ingérences abusives du pouvoir civil. Nous voulons parler de son attitude en présence de deux graves questions qui, au cours de l'année 1830, éveillèrent la sollicitude du pape Pie VIII : la question des trente-neuf articles de Francfort et la question des mariages mixtes.

Le 2 mars 1830, les Etats de Wurtemberg, de Bade, des deux liesses, de Nassau et de Francfort, sous prétexte d'organiser les cinq évêchés dont les bulles pontificales Provida, du 16 août 1821, et Ad dominici gregis, du 11 avril 1827, avaient formé la province ecclésiastique du Haut-Rhin, publièrent une déclaration en trente-neuf articles, où les droits de l'Eglise étaient ouvertement violés. Après avoir proclamé, par l'article 1er, que l'Eglise catholique a la liberté de professer sa croyance et d'exercer publiquement son culte, on s'appliquait, par tous les autres articles, à restreindre arbitrairement cette liberté. L'article 4 soumettait au placet gouvernemental tout règlement, toute circulaire ecclésiastique. L'article 5 soumettait même les bulles et les brefs du pape à l'approbation des Etats. L'article 10 défendait de faire discuter hors de la province ecclésiastique les différends d'ordre ecclésiastique. C'était interdire implicitement tout recours à Rome. Les articles 7, 8, 11, 12, 13 attribuaient la limitation des diocèses et des paroisses à l'autorité civile. Les articles 14, 15, 16 réglaient le mode d'élection des évêques et exigeaient d'eux un serment de fidélité au souverain. L'article 18 soumettait à l'approbation des Etats toutes les réunions des ecclésiastiques en synode et toutes les résolutions qu'ils y prendraient. Les articles 25, 26, 27, 28, 29 avaient trait au recrutement des clercs, soumis, soit avant leur entrée au séminaire, soit pendant leurs études ecclésiastiques, soit après leur sortie du séminaire, à des examens passés devant les autorités religieuses et civiles. L'article 36 donnait le droit aux ecclésiastiques et aux laïques de recourir auprès des autorités civiles pour y dénoncer les abus de l'autorité ecclésiastique[92].

L'Eglise d'Allemagne, dit un de ses historiens[93], eut, dans cette circonstance, une mollesse, un laisser-aller, une docilité qui la rendirent, en quelque mesure, complice des impérieux agissements du pouvoir civil. Des cinq évêques visés, un seul protesta, celui de Fulda. L'archevêque de Fribourg, les évêques de Rottenbourg et de Limbourg-en-Nassau, préférèrent à la gêne d'agir le reproche d'être des chiens muets. Quant à Burg, il inspirait, ou peu s'en faut, la politique religieuse des gouvernements alliés.

Pie VIII protesta d'abord d'une manière non officielle auprès de tous les Etats qui avaient signé la Déclaration de Francfort.

Puis, en présence des réponses insuffisantes que lui adressèrent les divers souverains, il jugea opportun d'écrire, le 30 juin 1830, à l'archevêque de Fribourg et aux quatre évêques de Mayence, de Rottenbourg, de Limbourg et de Fulda une lettre très pressante sur cette affaire. Par son institution divine, disait-il, l'Eglise, épouse de Jésus-Christ, est libre. Elle ne doit être soumise à aucune puissance terrestre. Mais ne serait-elle pas réduite à une honteuse servitude si l'on permettait au pouvoir civil de confirmer ou de rejeter les conciles, de diviser les diocèses, de choisir les candidats au sacerdoce, de diriger l'enseignement et la discipline ecclésiastiques, les séminaires eux-mêmes, et d'empêcher la libre communication des fidèles avec le chef de l'Eglise ? Le pape ajoutait que son cœur avait été empli d'amertume en apprenant que, parmi les évêques à qui il destinait cette lettre, il s'en était trouvé un assez téméraire pour oser donner son assentiment à la Déclaration des 39 articles. Puis il écrivit une seconde fois à tous les chefs des Etats compromis.

La question des mariages mixtes, qui devait, dans la suite, provoquer des résistances héroïques, fit voir d'abord, dans l'6piscopat allemand, les mêmes faiblesses.

Une ordonnance royale, remontant au 21 novembre 1803, avait prescrit que tous les enfants nés en Prusse de mariages mixtes seraient élevés dans la religion du père. Cette ordonnance, rigoureusement appliquée en Silésie, où beaucoup de mariages avaient été contractés entre des fonctionnaires protestants et des indigènes catholiques, y avait considérablement développé le protestantisme. Cette mesure, formellement contraire aux règles du droit canonique, qui exige des futurs époux, comme condition préalable d'un mariage mixte, la promesse d'élever tous les enfants dans la foi romaine, n'avait pas rencontré en Silésie de grave opposition, pas plus que le règlement d'administration qui avait enlevé aux écoles catholiques leur direction propre pour la conférer aux représentants du gouvernement. Lorsque, en 1814, la Prusse prit possession des provinces rhénanes, elle hésita d'abord à y appliquer l'ordonnance de 1803. Mais, en 1825, le rbi déclara que cette ordonnance réglerait désormais le droit civil matrimonial dans les pays rhénans et dans la Westphalie. L'épiscopat ne fit entendre aucune protestation ; mais plusieurs prêtres se refusèrent à bénir les mariages mixtes quand les futurs conjoints ne firent pas la promesse exigée par l'Eglise. Le gouvernement prussien se plaignit, traduisit devant !es tribunaux les prêtres réfractaires aux ordonnances, et exigea que les évêques leur infligeassent une punition. Ceux-ci, inspirés par l'archevêque de Cologne, Ferdinand-Auguste Spiegel, prélat ambitieux, qui rêvait de jouer en Allemagne le rôle d'un primat et d'y défendre contre Rome les libertés ecclésiastiques à la manière des joséphistes et des gallicans[94], se concertèrent avec leurs collègues de Silésie, et sollicitèrent de Frédéric-Guillaume l'autorisation d'entrer en pourparlers avec le pape. Elle leur fut accordée, avec cette condition que leur courrier serait transmis par l'intermédiaire de Berlin. En somme, comme on l'a fort justement écrit[95], les évêques s'agenouillaient devant l'absolutisme royal, et s'adressaient au pape pour avoir le droit de rester prosternés. Pie VIII répondit[96] par son bref Litteris du 27 mars 1830, accompagné d'une note explicative du cardinal Albani, qui déclara valides mais illicites les mariages mixtes conclus sans observer les règles prescrites par le concile de Trente. Le pape obligea les prêtres à exiger des fiancés, avant la célébration du mariage, la promesse que tous les enfants seraient catholiques. Si cette promesse était refusée, il interdisait aux prêtres de donner aux mariés la bénédiction ; mais il leur permettait l'assistance passive[97]. Le Saint-Siège était allé jusqu'au bout des concessions autorisées par les principes du droit ecclésiastique. Mais la cour de Berlin ne fut pas satisfaite ; elle ne publia ni le bref ni l'instruction qui l'accompagnait, et mit tout en œuvre pour fléchir la cour romaine.

Des sociétés secrètes, plus ou moins étroitement affiliées à la franc-maçonnerie, eurent-elles un rôle daim les agitations politiques de l'Allemagne en 1830 ? On peut le conjecturer ; mais aucun document précis ne le prouve. On trouve en Allemagne, à cette époque, une vaste association, la Société teutonique ; mais cette association, ayant pour but principal l'unité de l'Allemagne, ne parait avoir jamais été que l'écho de l'esprit public, manifesté dans de jeunes têtes[98] ; et la franc-maçonnerie proprement dite, certainement répandue en Autriche en 1830, y a toujours tenu ses réunions avec tant de précautions, qu'il est impossible d'avoir des renseignements certains sur ses agissements[99].

 

XI

Il n'en était pas de même en Italie, où il est permis de suivre, à l'aide de documents authentiques, le mouvement des sociétés secrètes et leur action sur les révolutions politiques et religieuses de la péninsule.

On peut même dire que le développement des sociétés secrètes fut, en Italie, le principal résultat immédiat des révolutions de 1830. Le fait s'explique. D'une part les insurrections de la Belgique et de la Pologne avaient vivement impressionné les nationalistes italiens ; et, d'autre part, le système de compression exercé en Italie par l'Autriche avait redoublé de rigueur au lendemain des agitations qui venaient de troubler l'Europe. La révolution italienne n'éclatera qu'après la mort de Pie VIII, et elle y prendra alors un caractère nettement anticatholique.

Ce caractère lui viendra précisément des sociétés secrètes. L'Italien, plus que tout autre, sait à la fois se soumettre à la nécessité et conspirer dans l'ombre. En 1830, les associations occultes eurent, en Italie, deux centres : les Etats pontificaux et la province de Lecce, au sud de la péninsule. Dès le 24 mai 1829, Pie VIII avait renouvelé contre elles les édits de ses prédécesseurs[100]. Mais la réputation de bonté du pape avait encouragé l'audace des sectaires. On découvrit leurs menées dans plusieurs complots révolutionnaires. L'Autriche, menacée, poussait à la répression. Une commission judiciaire fut formée à Rome, sous la présidence de Mgr Cappelleti. Vingt-six individus furent traduits devant elle, sous l'inculpation de participation à la société des carbonari. Après de longues discussions, l'un d'eux, Joseph Picilli, grand-maître de la Vente de Rome et premier instigateur de tous les troubles, fut condamné à la peine de mort, que Pie VIII commua en celle de la déportation à vie. La famille de Napoléon était-elle pour quelque chose dans ces agitations ? Ce qui est certain, c'est que les idées napoléoniennes, en Italie comme en France, se mêlaient aux idées d'opposition contre les gouvernements dits d'ancien régime, et que ceux-ci se méfiaient des Bonaparte. Dès 1822, le duc de Blacas, ambassadeur à Rome, écrivait au vicomte de Montmorency, ministre de Charles X : Les carbonari romains et ceux de la péninsule italienne trouvent ici, dans la réunion nombreuse des membres de la famille Bonaparte, un encouragement secret[101]. En 1830, la cour de Naples demanda que la princesse Caroline, sœur de Napoléon Ier, qui résidait à Rome, fût invitée à quitter la ville ; elle se retira en Autriche[102]. Plus tard, les deux fils de la reine Hortense avoueront leur participation aux complots italiens. Un des chefs d'Etat de la péninsule, le duc de Modène, entra aussi en relations avec les carbonari. Caressant le rêve de se mettre à la tête d'un mouvement libéral, qui ferait de lui le souverain d'un royaume de la Haute-Italie, il se mit en relations, par l'intermédiaire d'un personnage équivoque, le docteur Misley, avec le chef des carbonari modénois, Ciro Menotti. Mais les menaces de Metternich, mis au courant de l'affaire, arrêtèrent brusquement les négociations.

Entre temps, l'Italie méridionale, plus précisément la province de Lecce, devenait un foyer de sociétés secrètes nouvelles. Sous l'influence de Mazzini, qui trouvait la franc-maçonnerie trop aristocratique et le carbonarisme trop bourgeois, des sociétés à tendance plus démocratique se fondèrent. L'agitateur génois leur donna pour objectifs : l'unité italienne, l'anticléricalisme, l'esprit républicain. Une de ces nouvelles organisations, la Catena Salentina, avait pour devise : Richesse et honneurs sont fumée. Les autres sont vaguement connues, quoique leur existence soit certaine. Elles préludaient à la Société de la Jeune Italie, qui, fondée en 1831, allait être l'instrument le plus actif du Risorgimento et des conspirations contre le Saint-Siège[103].

L'action des sociétés secrètes fut également manifeste en Suisse dans les agitations politiques qui s'y produisirent en 1830. La Suisse, nous l'avons vu plus haut, avait été le lieu de rendez-vous des diverses sectes révolutionnaires. Les illuminés d'Allemagne s'y étaient rencontrés avec les carbonari d'Italie et de France. Sous leur inspiration, des sociétés littéraires et artistiques, et surtout des sociétés de tir à la carabine (schützen-gesellschaft), se fondèrent en divers endroits, ayant, au fond, pour but des complots révolutionnaires. Ces sociétés jouèrent un rôle important dans les révolutions cantonales qui se produisirent en Suisse, à partir de 1830, dans un sens démocratique et hostile au catholicisme.

Il ne paraît pas que le contre-coup des révolutions européennes en 1830 se soit fait sentir en Turquie ; mais ces révolutions coïncidèrent avec les événements qui, grâce à l'appui des Etats de l'Europe et à l'intervention du Pape, affranchirent partiellement et momentanément l'Arménie du joug ottoman. La guerre de l'indépendance hellénique avait été le prétexte d'une violente persécution des catholiques de la part du sultan Mahmoud, ce potentat qui prétendait réformer son empire sur le modèle européen, mais qui ne fit rien pour adoucir la haine traditionnelle de sa nation à l'égard des chrétiens. Accusés de trahir la Porte, les catholiques arméniens se virent partout dépouillés de leurs biens, proscrits, condamnés au bagne ou au dernier supplice[104]. Ce qui rendait la situation des catholiques arméniens intolérable, c'est qu'ils dépendaient hiérarchiquement d'un patriarche schismatique, qui, loin de prendre leur défense, les livrait au contraire à leurs persécuteurs, les contraignait à pratiquer leur culte dans le secret de leurs maisons. La population catholique demandait à former une nation séparée, ayant son état civil, et, avant tout, son chef spirituel catholique. Devant les menaces du comte de Guilleminot, ambassadeur de France, la Porte se décida à affranchir les catholiques arméniens de la tutelle du patriarche schismatique. Pie VIII s'empressa alors, par sa bulle Quod jamdiu, du 6 juillet 1830, d'ériger à Constantinople un siège archiépiscopal arménien, ayant le titre et les privilèges de métropole primatiale. Le titulaire de cette haute fonction fut Antoine Nouridgian, prêtre arménien distingué, qui fut sacré à Rome le 11 février suivant, en présence des ambassadeurs de France, d'Autriche et de Sardaigne. Mais cette institution ne réalisa pas toutes les espérances qu'on avait fondées sur elle. Le sultan, après avoir affranchi les catholiques arméniens de la juridiction du patriarche schismatique, les avait placés sous l'autorité d'un chef civil, qui, d'abord simple laïque, fut ensuite un prêtre décoré du titre de patriarche par le gouvernement turc. L'existence de ces deux chefs en présence allait être une occasion de pénibles conflits[105].

 

XII

Bien au delà de l'empire turc, dans les régions lointaines de l'Asie, de l'Afrique, de l'Amérique et de l'Océanie, d'autres chrétientés tournaient les yeux vers Rome, pour lui demander les pasteurs, les ressources, les aides de toutes sortes dont elles avaient besoin.

Les Annales de la Propagation de la foi d'avril 1829 exposaient la triste situation des Missions catholiques au Tonkin et en Cochinchine. Dans le Tonkin occidental, où une mission de 150.000 chrétiens n'avait plus, pour la diriger, que trois prêtres français, ceux-ci, traqués par la police du roi Minh-menh, étaient réduits à se cacher. Dans la Cochinchine, le vicaire apostolique, Mgr Tabert, était gardé à vue ; trois prêtres français venaient d'y pénétrer secrètement. Tous sollicitaient des aumônes, des auxiliaires et des prières[106]. En Chine, où la persécution s'était rallumée, et d'où tous les missionnaires étrangers venaient d'être expulsés, trente-trois prêtres chinois, sortis du séminaire lazariste de Macao, subvenaient seuls aux besoins religieux des chrétiens répandus dans les provinces[107]. Le P. Maistre, de la Société des Missions étrangères, errait, sous toutes sortes de déguisements, depuis les ports de la Chine jusqu'aux déserts du Liao-Tong, autour de l'impénétrable frontière de la Corée[108]. Les missions de l'Inde ne s'étaient pas encore relevées du coup désastreux que leur avait porté la suppression de la Compagnie de Jésus. Sur les pas des soldats anglais et des commerçants d'Angleterre et d'Amérique, les ministres protestants, soutenus par le double prestige des sympathies gouvernementales et de l'or, y avaient conquis des populations nombreuses. Dans les régions placées sous le protectorat du Portugal, la situation n'était guère plus satisfaisante. Les archevêchés de Goa, de Cranganore, les évêchés de Cochin et de Méfia-pour, étaient, depuis de longues années, par suite de la coupable négligence du gouvernement portugais, privés de titulaire. Des îles Sandwich, des missionnaires écrivaient qu'ils espéraient, au bout de quelques années, former un noyau de solides chrétiens ; mais leur principal obstacle se trouvait dans la propagande protestante[109]. Au Brésil, sur sept sièges épiscopaux, quatre étaient vacants, et le nouvel empereur, don Pedro, tout en manifestant des sympathies au Saint-Siège, l'inquiétait par ses empiétements sur le domaine des affaires ecclésiastiques[110].

La situation de l'Eglise des Etats-Unis, quoique satisfaisante au point de vue de son développement, n'était pas sans donner aussi de sérieuses inquiétudes. L'immigration irlandaise commençait à verser ses flots pressés sur le nouveau continent, au point d'exciter la jalousie des descendants des premiers colons anglais et puritains. Ce fut l'origine du mouvement connu sous le nom de Native Americanism. Dirigé d'abord contre les étrangers, ce mouvement devint bientôt, sous l'influence des préjugés religieux, une opposition systématique au catholicisme, considéré comme antinational[111]. D'autres périls venaient à l'Eglise américaine du milieu ambiant. Telle était la pénétration, dans l'administration des paroisses, d'un esprit démocratique, que l'Eglise n'avait pas à critiquer dans l'organisation politique, mais qu'elle jugeait incompatible avec le caractère de sa divine hiérarchie. Telle était encore la trop facile immixtion du clergé dans les affaires séculières, qui pouvait altérer gravement en lui la religieuse gravité de l'esprit ecclésiastique.

Aucun de ces périls n'échappa à la sollicitude du concile provincial qui se réunit à Baltimore le 4 octobre 1829, sous la présidence de Mgr Jacques Withfield. Les principales questions qui furent mises à l'ordre du jour concernaient : les pouvoirs respectifs des évêques, la portée de la promesse d'obéissance faite par chaque prêtre au moment de sou ordination, les moyens de propagande religieuse, la polémique avec les protestants, la lecture par les fidèles de la Bible en langue vulgaire et des écrits publiés par les hérétiques, l'organisation d'une presse catholique par livres, revues et journaux, les conditions d'existence des congrégations religieuses, et enfin la délicate question des trustees, commissions laïques, qui correspondaient à peu près aux anciens conseils de fabrique des paroisses françaises, et qui s'arrogeaient souvent un droit de direction sur les paroisses américaines[112].

A l'issue du concile, le 17 octobre, les évêques qui y avaient pris part publièrent deux Lettres pastorales collectives. La première, adressée à tous les prêtres des Etats-Unis, leur recommandait avec instance de ne point trop se mêler aux affaires de ce monde, de veiller sur eux-mêmes, de s'appliquer les vérités qu'ils prêcheraient, d'étudier l'Ecriture, d'éviter les lectures frivoles, de vivre à l'abri non seulement de tout reproche, mais de tout soupçon. La seconde Lettre, destinée à tous les catholiques des Etats-Unis, leur recommandait de coopérer aux œuvres de presse et d'éducation, les mettait  en garde contre les trustees et les prémunissait contre l'esprit d'indifférence religieuse, qui, sous un vernis de libéralisme, tendrait à mettre sur le même rang la vérité et l'erreur.

Pour subvenir aux besoins de toutes ces missions, Pie VIII avait, par un rescrit du 18 septembre 1829, recommandé aux fidèles du monde entier l'Œuvre de la Propagation de la foi, fondée en France quelques années plus tôt. Cette œuvre, toujours en voie de prospérité depuis sa fondation, put distribuer, en 1829, plus de 300.000 fr.[113], et, en 1830, une somme à peu près égale[114], aux diverses missions qui sollicitaient son secours. Le nombre des ouvriers évangéliques augmentait en proportion de la générosité des fidèles. Le séminaire des Missions étrangères, qui n'avait que 25 missionnaires en 1821, en comptait 53 en 1830[115]. Les lazaristes, les jésuites, les Pères du Saint-Esprit donnaient à l'évangélisation des contrées lointaines des ouvriers de plus en plus nombreux. Pie VIII toutefois ne put voir la grande renaissance des missions étrangères, réservée aux pontificats de Grégoire XVI et de Pie IX. Après avoir occupé vingt mois seulement le Siège apostolique, le sage et pieux pontife, se sentant mortellement atteint par une maladie-dont il souffrait depuis longtemps et que les soucis de son gouvernement avaient aggravée, demanda à recevoir les derniers sacrements, et rendit paisiblement le dernier soupir le 30 novembre 1830. Sous son pontificat, au milieu d'événements qui bouleversèrent l'Europe entière, des idées très élevées et très sincères s'étaient mêlées à beaucoup d'illusions ; des mouvements très généreux s'étaient trouvés en contact-avec des passions révolutionnaires et des erreurs doctrinales. Discerner ces erreurs avec soin et les condamner avec force : telle sera la tâche qui incombera au successeur de Pie VIII.

 

 

 



[1] Voir ARTAUD, Hist. de Léon XII, t. I, p. 140-I47, 192-197.

[2] ARTAUD, Hist. de Pie VIII, un vol. in-8e, Paris, 1844, p. 40.

[3] Ami de la religion, t. LIX, p. 283

[4] ARTAUD, Hist. de Pie VIII, p. 45.

[5] ARTAUD, Hist. de Pie VIII, p. 45.

[6] Voir les échos de ces discussions et des diverses polémiques soulevées par le conclave de 1829 dans l'Ami de la religion, t. LIX, p. 89, 106, 121, 134, 145, 148, 164, 195, 211, 212, 328, 280, 283.

[7] ARTAUD, Hist. de Pie VIII, p. 46.

[8] Plusieurs autres cardinaux Albani avaient été membres du Sacré-Collège. L'un d'eux avait été élu pape sous le nom de Clément XI.

[9] ARTAUD, Hist. de Pie VIII, p. 24, note.

[10] Voir Ami de la religion, t. LIX, p. 249, 259.

[11] ARTAUD, Hist. de Pie VIII, passim. Cf. WISEMAN, Souvenirs sur les quatre derniers papes, p. 343 ; MORONI, Dizionario di erudizione, t. I, p. 181 ; BAUDRILLART, Dict. d'hist. et de géog. ecclés., t. I, col. 1372-1373.

[12] Ami de la religion, t. LXI, p. 1.

[13] Ami de la religion, t. LXI, p. 3.

[14] Ami de la religion, t. LXI, p. 4.

[15] Ami de la religion, t. LXI, p. 4.

[16] Ami de la religion, t. LXI, p. 6.

[17] Ami de la religion, t. LXV, p. 160, 162.

[18] Les principaux collaborateurs du Correspondant, pendant sa première période, de mars 1829 à août 1831, furent Bailly de Surcy, Charles Séré de Rivière, Louis d Carné, l'abbé Edmond de Cazalès. Le succès de l'Avenir lui avant fait perdre la plus grande partie de ses abonnés, le Correspondant cessa sa publication. Il reparut en janvier 1843, avec une partie de sa rédaction première, à laquelle s'adjoignirent le marquis Léonce de Vogüé et Charles Lenormant. Une troisième série s'ouvrit en 1855. Sur la fondation et sur les premiers rédacteurs du Correspondant, voir Charles SAINTE-FOI (Éloi JOURDAIN), Souvenirs de jeunesse, un vol. in-12, Paris, 1911, p. 158-179.

[19] Ami de la religion, t. LXI, p. 225.

[20] BESSON, Vie du cardinal Mathieu, t. I, ch. V.

[21] Melchior DU LAC, Notice sur l'abbé de Scorbiac, dans l'Université catholique, t. XXIII, p. 12.

[22] LECANUET, Montalembert, t. I, p. 86.

[23] LECANUET, Montalembert, t. I, p. 87.

[24] Ami de la Religion, t. LXII, p. 98-99.

[25] E. FORGUES, Correspondance de Lamennais, t. II, p. 60.

[26] Ami de la religion, t. LXII, p. 144 ; t. LXV, p. 477.

[27] Ami de la religion, L. LXIV, p. 352 ; t. LXV, p. 445.

[28] Ami de la religion, t. LXII. p. 334-335.

[29] L. DE CARNÉ, Souvenirs de ma jeunesse, p. 136.

[30] LAMENNAIS, Des progrès de la Révolution, chap. IX.

[31] HENRION, Vie de Mgr de Quélen, édition revue, un vol. in-8°, Paris, 1842, p. 201.

[32] Tous les historiens de la vie intime de La Mennais ont constaté son excessive irascibilité, qui tenait peut-être à sa constitution physiologique. Un de ses biographes les plus informés et les plus sympathiques à sa personne, J.-Marie Peigné, en cite de nombreux exemples. Irascible à l'excès, écrit-il, ses colères duraient peu. Soit qu'il voulût seulement s'excuser, soit qu'il le crût sérieusement, il disait qu'elles étaient nécessaires à sa santé, et qu'il était obligé quelquefois, pour éviter de tomber en défaillance, de chercher noise au premier venu, sauf à demander pardon ensuite de ses emportements. (J.-Marie PEIGNÉ, Lamennais, sa vie intime à la Chênaie, un vol. in-18, Paris, 1864, p. 55.)

[33] BOUTARD, Lamennais, t. II, p. 55.

[34] Cette union de l'ultramontanisme et du libéralisme catholique se serait comprise si, par les mots de libéralisme catholique, on eût entendu simplement la défense des libertés de l'Eglise. Mais nous avons vu plus haut comment, par diverses causes, surtout par le contact avec le parti des libéraux rationalistes, cette notion s'était altérée.

[35] E. FORGUES, Correspondance de Lamennais, lettre du 3 mai 1829 à la comtesse de Senfft.

[36] THUREAU-DANGIN, Royalistes et Républicains, un vol. in-8°, Paris, 1874, p. 324-325.

[37] GRANDMAISON, la Congrégation, p. 356.

[38] L'Apostolique, du 14 août 1829.

[39] LECANUET, Montalembert, t. I, p. 92.

[40] E. FORGUES, Correspondance de Lamennais, t. II, p 73.

[41] A. NETTEMENT, Hist. de la Restauration, p. 740. Il y a, ajoute l'historien, une circonstance atténuante aux fautes qu'ont commises tous les partis et tous les hommes politiques de 1814 à 1S30 ; c'est leur profonde inexpérience à l'égard du gouvernement représentatif. (Ibid.)

[42] Ami de la religion, t. LXIV, p. 292.

[43] GUIZOT, Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps, t. I, p. 348, 371.

[44] THUREAU-DANGIN, Royalistes et Républicains, p. 328.

[45] METTERNICH, Mémoires, t. V, p. 28-29.

[46] Voir Ami de la religion, t. LXV, p. 4, 29, 33, 49, 50, 83, 93, 99, 144, 163, 164, 175, 179, 195, 227, 242, 244, 283, 290, 306, 355, 370, 391, 449, 450, 467, 476, 513, 546, 554, 563, 596.

[47] Eugène VEUILLOT, Louis Veuillot, t. I, p. 18-19.

[48] THUREAU-DANGIN, l'Eglise et l'Etat sous la Monarchie de Juillet, un vol. in-12, Paris, 1880, p. 2-5.

[49] Ami de la religion, du 2 juillet 1831. L'Ami de la religion et du roi s'intitula désormais simplement : l'Ami de la religion.

[50] Ami de la religion, t. LXV, p. 187-188

[51] Cet article fut reproduit en entier par la Gazette de France du 13 septembre 1830, et en grande partie par l'Ami de la religion du 25 septembre, t LXV, p. 363-364. Cf. ibid., p. 465.

[52] Ami de la religion, t. LXV, p. 187.

[53] Ami de la religion, t. LXV, p. 322.

[54] Ami de la religion, t. LXV, p. 365.

[55] Ami de la religion, t. LXV, p. 397.

[56] Ami de la religion, t. LXV, p. 525.

[57] Ami de la religion, t. LXV, p. 572-577.

[58] Ami de la religion, t. LXV, p. 577.

[59] Ami de la religion, t. LXV, p. 98-99.

[60] Ami de la religion, t. LXV, p. 259-260.

[61] Ami de la religion, t. LXV, p. 274.

[62] Ami de la religion, t. LXV, p. 400, 498.

[63] HENRION, Vie de Mgr de Quélen, p. 254 et s.

[64] Ami de la religion, t. LXI, p. 350-352 ; t. LXII, p. 14-16.

[65] Voir vicomte DE GUICHEN, la Révolution de Juillet 1830 et l'Europe, un vol. in-8°, Paris, 1917.

[66] Ami de la religion, t. LX, p. 260.

[67] ARTAUD, Hist. de Pie VIII, p. 103 et s.

[68] Ami de la religion, t. LXI, p. 137.

[69] Ami de la religion, t. LXII, p. 154.

[70] Ami de la religion, t. LXII, p. 173.

[71] Ami de la religion, t. LXI, p. 157.

[72] Ami de la religion, t. LXII, p. 332.

[73] LA MENNAIS, Troisièmes Mélanges, un vol. in-8°, Paris, 1835, p. 60 et s.

[74] Sur ce revirement des grandes puissances, voir THUREAU-DANGIN, Hist. de la Monarchie de Juillet, t. I, p. 69-80 ; METTERNICH, Mémoires, t. V, p. 39-46 ; TALLEYRAND, Mémoires, t. III, p. 371-390.

[75] Cité par CRÉTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Révolution, t. II, p. 178-179.

[76] HERGENRÖTHER, Histoire de l'Eglise, trad. Belet, t. VII, p. 400-401.

[77] D'après un rapport officiel, lu à la diète de Pologne en 1828, le royaume comptait, en 1828, 3.471.282 catholiques, répartis entre 1.917 paroisses. Les luthériens, dont le nombre était estimé à 200.000, occupaient 28 paroisses ; 100.000 calvinistes avaient 9 temples ; 345.000 juifs, 274 synagogues ; les grecs non-unis, six églises, et les mahométans deux mosquées. Pour plus de détails, voir Ami de la religion, t. LXI, p. 225-230 ; t. LXIII, p. 312-314. — Voir les articles de la constitution polonaise qui ont trait à l'Eglise catholique dans l'Ami de la religion, t. LXII, p. 66, note.

[78] Ami de la religion, t. LXIII, p. 347.

[79] METTERNICH, Mémoires, t. V, p. 70.

[80] METTERNICH, Mémoires, t. V, p. 71.

[81] METTERNICH, Mémoires, t. V, p. 73, 77.

[82] MONTALEMBERT, Œuvres, t. IV, p. 123.

[83] MONTALEMBERT, Œuvres, t. IV, p. 163.

[84] Ireland and the Irish, by O'CONNELL.

[85] Ami de la religion, t. LXIV, p. 521-523.

[86] A. de la. R., t. LXIII, p. 182. Sur l'état de l'Eglise d'Irlande vers 1830, voir Ami de la religion, t. LXII, p. 1-5. Sur le clergé anglican et catholique en Angleterre, cf. Ami de la religion, LXI, 273, LXII, 49, LXIII, 55, 129.

[87] A. de la. R., t. LXIII, p. 182.

[88] A. de la. R., t. LXI, p. 145-147.

[89] THUREAU-DANGIN, la Renais. cath. en Angl., t. I, p. 51.

[90] NEWMAN, Hist. de mes opinions religieuses, trad. Du Pré de Saint-Maur, un vol. in-12, Paris, 2e édition, 1866, p. 50-51.

[91] THUREAU-DANGIN, la Renais. cath. en Angl., t. I, p. 53-55.

[92] Voir le texte complet de la Déclaration dans l'A. de le R., t. p. 321-325.

[93] G. GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. II, p. 136-167.

[94] Une correspondance inédite de Spiegel, publiée par Rensch en 1897 (Briefe an Bunsen, Leipzig, 1897), a révélé le caractère de ce prélat, qui, bien que condamnant les 39 articles, aspirait à réunir sous son autorité, avec l'aide du pouvoir civil, l'Eglise germanique, et à tenir tête à Rome.

[95] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. II, p. 150-151.

[96] La demande avait été adressée à Léon XII, qui mourut sur ces entrefaites. Pie VIII reprit l'affaire restée en suspens.

[97] Jean MŒLLER, Affaires de Cologne, un vol. in-8°, Louvain, 1838, p. 58, 77. — Sur la situation du catholicisme en Prusse à cette époque, voir Ami de la religion, t. LXII, p. 344 ; t. LXV, p. 132. Cf. Ibid., t. LXV, 363.

[98] Gustave BORD, les Illuminés de Bavière, le Tugend-Bund et les sociétés de malfaiteurs, dans la Rev. intern. des soc. secr., du 5 juillet 1913, p. 2172.

[99] Ibid., p. 2174-2175.

[100] Encyclique Traditi (ARTAUD, Hist. de Pie VIII, p. 56).

[101] Archives du ministère des Affaires étrangères, Naples, 1821-1824, vol. 147, p. 219.

[102] METTERNICH, Mémoires, t. V.

[103] Sur les sociétés secrètes de la Basse-Italie à cette époque, voir : Oreste DITO, Massoneria, carboneria ed altre società segrete nella storia del Risorgimento italiano, Turin, 1905 ; A. CAVALOTTI, Memorie sulle società segrete dell'Italia meridionale ; J. FRAIKIN, la Charbonnerie dans l'extrême-sud de l'Italie, de 1815 à 1830, dans la Revue int. des soc. secr., du 20 mai 1914, p. 1157-1164.

[104] Voir les détails dans E. BORÉ, l'Arménie, un vol. in-8°, Paris, 1846, p. 55-68.

[105] Mgr PETIT, au mot Arménie, dans le Dict. de théol. de VACANT, t. I, col. 1912-1913.

[106] Annales de la propagation de la foi, avril 1829, t. III. p. 410-486.

[107] PIOLET, les Missions catholiques françaises au XIXe siècle, t. III, p. 75.

[108] MARSHALL, les Missions chrétiennes, t. I, p. 105.

[109] Ami de la religion, t. LXV p. 207-208.

[110] Ami de la religion, t. LXI, p. 188.

[111] G. ANDRÉ, au mot Amérique, dans le Dict. de VACANT, t. I, col. 1057.

[112] Sur le concile de Baltimore de 1829, voir Ami de la religion, t. LXII, p. 145-150 ; t. LXV, p. 173-179.

[113] Voir Annales de la propagation de la foi, de juillet 1830, t. IV, p. 251-259.

[114] Annales de la propagation de la foi, de juillet 1830, t. IV, p. 605-613.

[115] Ami de la religion, t. LXVI, p. 518.