HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

CHAPITRE II. — LÉON XII (1823-1829).

 

 

Au lendemain du congrès de Vienne, où les souverains alliés avaient prétendu faire une œuvre de pacification politique, sociale et religieuse, le comte Joseph de Maistre écrivait : Il y a encore beaucoup d'éléments incendiaires en Europe[1]. Cette assertion, émise le 11 avril 1815, était plus vraie encore en 1823. Nous avons vu comment, aux causes de troubles politiques, apportées par le fait même d'une adjudication de souverainetés pour de simples raisons de convenance[2], étaient venues se joindre des causes de troubles sociaux et religieux, dont les partis extrêmes du socialisme. les sociétés secrètes, la presse, et ces mouvements complexes, équivoques, qui se produisaient, dans tous les domaines, sous les noms de romantisme et de libéralisme, étaient les plus apparentes manifestations.

Joseph de Maistre n'était pas loin de penser que le célèbre congrès portait la responsabilité de tous ces troubles[3]. Ce qui est certain au moins, c'est que cette fédération de couronnes, qui venait de remanier à son gré les nations de l'Europe, avait suscité aussitôt contre elle une réaction qui, sous le nom de libéralisme et de nationalisme chez les peuples, de zélantisme à la cour romaine, n'avait pas désarmé. Le parti des couronnes et le parti des Zelanti allaient partager le conclave au moment de l'élection du successeur de Pie VII.

 

I

Le parti des Zelanti n'apparaissait pas pour la première fois dans l'histoire des conclaves. Composé des cardinaux qui se donnaient pour tâche de ne considérer, dans leur choix, que l'intérêt de la puissance ecclésiastique, il était intervenu activement, au XVIIIe siècle, dans les élections d'Innocent XIII, de Benoît XIII et de Benoît XIV ; mais jamais peut-être il ne s'était proposé un but plus nettement déterminé qu'après la mort de Pie VII. Son objectif était de se montrer inflexible envers les prétentions des Etats alliés, qui, après avoir réglé le sort politique des nations de l'Europe en 1815, prétendaient, en 1823, influencer l'élection du chef de la chrétienté. Les Zelanti avaient un candidat, le cardinal Severoli, évêque de Viterbe, ancien nonce à Vienne. C'était, au fond, un homme tranquille, à qui on avait fait, un peu à la légère, une réputation de sévérité opiniâtre. Le parti des couronnes, soutenu par les cours de Vienne, de Paris et de Naples, mettait en avant le cardinal Castiglioni, évêque de Frascati, prélat pieux et savant, très estimé pour la douceur de son caractère, mais en qui l'on découvrait plutôt la bonté du pasteur et la patience du martyr que l'initiative et l'activité du lutteur.

Parmi les membres du Sacré Collège, il en était un vers qui les regards de tous se portaient, non que personne eût songé à mettre son nom en avant pour la tiare, mais parce qu'on savait que sa haute influence pouvait, suivant l'orientation qu'elle prendrait, déterminer l'élection du nouveau pape : c'était le cardinal Consalvi. L'ancien négociateur du concordat français, le diplomate qui avait obtenu au congrès de Vienne la restitution des Etats pontificaux[4], pensa qu'une attitude tranchée d'opposition à l'égard des souverains, était, dans les circonstances, intempestive, et se rallia au parti des couronnes. Il y entraîna plusieurs esprits sages et modérés, qui suivaient sa politique. Mais l'ancien secrétaire d'Etat, l'homme qui avait tenu une place si importante sous le précédent pontificat, comptait des adversaires irréductibles. La plupart étaient des esprits absolus, intransigeants. Ils lui reprochaient amèrement de faire trop de place, dans sa politique, aux combinaisons diplomatiques, et allaient jusqu'à lui faire un grief d'avoir donné à l'administration des Etats romains une réputation plutôt mondaine qu'ecclésiastique. On murmurait que, s'il avait finalement sauvé la barque de Pierre, c'était lui qui l'avait d'abord poussée à l'abîme. Bref, ces ennemis de la politique de Consalvi se rangèrent en bloc dans le parti des Zelanti. Leur démarche parut assurer l'élection de Severoli, qui, au premier scrutin, dans la matinée du 21 septembre 1823, obtint vingt-six voix. Etant donné le nombre des cardinaux présents, les deux tiers exigés pour la validité de l'élection étaient de trente-trois voix. Tout faisait prévoir que ce chiffre serait atteint au scrutin de la soirée. Mais les puissances veillaient. Au début de la séance du soir, le cardinal Albani donna lecture d'une note ainsi conçue : En ma qualité d'ambassadeur extraordinaire d'Autriche près le Sacré Collège, et, de plus, en vertu des instructions qui m'ont été données, je remplis le rôle, déplaisant pour moi, de déclarer que l'impériale et royale cour de Vienne ne peut accepter pour souverain pontife Son Eminence le cardinal Severoli, et lui donne exclusion formelle.

L'effet produit par ce coup de théâtre ne fut pas précisément celui que la cour de Vienne attendait. Cette hautaine intervention de l'Autriche exaspéra les cardinaux italiens. Le candidat des Zelanti se trouva écarté ; mais celui des couronnes, Castiglioni, qui avait obtenu dix-sept voix au scrutin de la matinée, n'en obtint que huit au scrutin du soir. Il fallait choisir un nouveau candidat.

Dans de pareilles conjonctures, on avait vu parfois les voix se réunir sur le nom d'un vieillard, dont le court pontificat servirait de préparation à un accord définitif. Un calcul de ce genre entra-t-il dans l'esprit de quelques électeurs ? C'est possible. Des considérations plus directes semblent avoir inspiré la majorité des cardinaux, lorsque, le 28 septembre, ils élurent, par trente-quatre voix, le cardinal Annibal della Genga, âgé de 63 ans seulement, mais dont les infirmités faisaient un vieillard[5]. Tous s'accordaient pour reconnaître la valeur de ses talents, le sérieux de ses vertus. Les anciens se rappelaient comment, un jour, Pie VI, faisant l'inspection de l'Académie ecclésiastique, avait été frappé des réponses nettes et précises du jeune Annibal, et l'avait fait, séance tenante, camérier secret. On n'avait pas oublié le souvenir de l'oraison funèbre de l'empereur Joseph II, prononcée, en 1790, dans la chapelle Sixtine, en présence du Sacré-Collège, par l'éloquent prélat. La tâche était des plus ardues. Il s'agissait de juger un souverain dont le règne avait été, à bien des égards, funeste à l'Eglise, sans blesser le cabinet d'Autriche et sans trahir la vérité. Par l'élévation, la mesure et la gravité de sa parole, l'orateur avait su éviter les écueils d'un pareil sujet. Les esprits les plus difficiles en avaient témoigné leur satisfaction. Le titre d'archevêque de Tyr, conféré, peu de temps après, à Mgr Della Genga, des nonciatures importantes à Lucerne et à Cologne, plusieurs missions diplomatiques des plus délicates qui lui furent confiées eu Allemagne et en France, son élévation à la pourpre en 1816, et sa nomination à la charge de cardinal-vicaire en 1820, avaient consacré sa réputation d'administrateur prudent et éclairé. D'autre part, la ferveur de sa piété semblait croître avec la grandeur de ses fonctions. Plus d'une fois, sa santé chancelante avait semblé mettre obstacle à son ministère. Après l'enlèvement de Pie VI, il s'était retiré dans l'abbaye de Monticelli, au diocèse de Fabriano, dont le Saint-Père l'avait pourvu, et y avait fait bâtir son tombeau, persuadé qu'il finirait ses jours dans cette retraite. A plusieurs reprises, il y était revenu, pour y attendre en paix, disait-il, le juge-nient de Dieu. Le devoir seul l'avait arraché à ce repos. Au moment où une mission plus grave que toutes celles qu'il pouvait redouter lui était imposée, il crut pouvoir objecter son état maladif. Quand le cardinal camerlingue Pacca lui demanda, suivant la formule d'usage, s'il acceptait l'élection faite de lui pour souverain pontife : N'insistez pas, répondit-il ; vous élisez un cadavre. Les protestations qui s'élevèrent autour de lui l'interrompirent. Se tournant alors vers le cardinal Castiglioni, dont Pie VII avait prononcé le nom sur son lit de mort : Pourquoi, dit-il, n'avoir pas suivi le vœu du pape défunt ? Puis, comme pour réserver à Castiglioni le soin de prendre plus tard le nom de Pie VIII, ainsi qu'il arriva en effet, le nouvel élu choisit, en souvenir de la bienveillance que le pape Léon XI avait manifestée à sa famille, le nom de LÉON XII.

Maigre, de haute taille, le visage décharné, le teint blême, la démarche chancelante, Léon XII, dit un témoin de sa vie, avait l'air d'un homme qui relève d'une maladie, mais pour se remettre sur son lit de mort[6]. Les traits de son visage étaient habituellement impassibles. Cependant, au rapport d'un autre témoin, ses souffrances devenaient parfois si aiguës, que sa seule présence inspirait la compassion et l'effroi[7]. Mais son regard et sa voix compensaient le tout. Il y avait dans sa physionomie une douceur et une pénétration qui lui gagnaient de prime abord l'affection, tout en maintenant le respect. Sa voix avait une politesse caressante et persuasive. Il portait enfin, dans tous ses mouvements, et surtout dans les fonctions sacerdotales, une grâce majestueuse et simple et un air de piété si profonde, que son être entier paraissait absorbé par la cérémonie qu'il célébrait[8].

 

II

La faible santé du nouveau pape n'était pas la seule des difficultés qu'il allait rencontrer dans l'accomplissement de sa haute mission. Après les vives agitations du conclave, ces difficultés pouvaient lui survenir, soit du parti qui l'avait combattu et dont les antipathies menaçaient de survivre à son élection, soit du parti qui l'avait élu et qui voudrait peut-être le tenir sous sa dépendance, soit des grandes puissances, qui étaient intervenues si avant dans l'affaire du conclave et qui risquaient de faire sentir leur contrôle dans le gouvernement d'un pape dont l'élection les avait tant préoccupées.

Jusqu'au dernier scrutin inclusivement, le cardinal Consalvi était resté fidèle au candidat des couronnes. Le puissant homme d'Etat dont la haute personnalité dominait tous les membres du Sacré-Collège, et dont les relations s'étendaient partout, allait-il chercher à faire prévaloir une politique personnelle, entraver l'œuvre du successeur de Pie VII ? L'élévation de caractère du grand diplomate ne permettait pas de prêter à sa personne un pareil projet ; mais son parti, quoique très réduit, était actif et habile ; et le groupe des Zelanti, dont le cardinal Della Genga avait fait partie avant son élection, qui le considérait comme son élu, avait déjà fourni, par les exagérations et les rancunes de quelques-uns de ses membres, des prétextes à des représailles qui pouvaient atteindre la politique et la personne du nouveau pape. On n'avait pas oublié, d'ailleurs, et quelques-uns exploitaient déjà avec malignité, un incident regrettable, qui, au cours d'une mission diplomatique de Mgr Della Genga à Paris, en 1814, l'avait mis aux prises avec le cardinal Consalvi[9]. Mais les fauteurs de troubles qui spéculaient sur de tels antécédents connaissaient mal le grand esprit chrétien qui animait également le pape et le cardinal. Leurs calculs ne tardèrent pas à être déjoués.

Le jour même de l'intronisation du pape, une messe solennelle fut célébrée à Saint-Pierre, dans laquelle le cardinal Consalvi devait, en qualité de diacre, présenter au pontife le calice et l'hostie. L'historien de Léon XII, qui assistait à la cérémonie en sa qualité de membre du corps diplomatique, nous dit qu'au moment où le cardinal s'avança vers le pontife, tenant dans ses mains le calice élevé, de tous les points du vaste édifice, et particulièrement des tribunes où se pressaient les princes et les ambassadeurs, des regards curieux se fixèrent sur les deux officiants, épiant, non sans malice, quelle attitude allaient garder, même dans cet 'instant si solennel, le ministre d'hier et le pontife d'aujourd'hui[10]. Mais toutes ces malignes curiosités furent déçues. Ma mémoire, écrit un autre témoin de la scène, le cardinal Wiseman, ma mémoire me représente encore cette scène sublime. Calme, digne et recueilli, l'ancien ministre, aujourd'hui simple diacre, s'avançait, inconscient des milliers de regards fixés sur lui, tout entier aux fonctions religieuses qu'il remplissait. De la main de son humble ministre, le pape prit la coupe de la très sainte charité. Leurs visages se rencontrèrent dans le baiser de paix. L'œil le plus pénétrant eût cherché en vain à y surprendre le moindre reflet d'un sentiment humain. Selon le rite usité à la messe pontificale, le serviteur trempa ses lèvres au même calice que son maître. Dès cet instant nul ne put plus douter qu'ils ne fussent unis par le plus sacré des liens[11].

Des événements ultérieurs ne tardèrent pas à confirmer cette impression.

Les pouvoirs de premier ministre, confiés à Consalvi, avaient pris fin avec la mort de Pie VII, de qui il les tenait. Accablé par l'âge et par les infirmités, le cardinal demanda au nouveau pape l'autorisation de se retirer dans sa villa de Porto d'Anzio, pour y passer ses derniers jours dans la retraite. Mais Léon XII ne voulut pas se priver des conseils du grand homme d'Etat. Avant de s'engager à fond dans une politique dont il comprenait les multiples difficultés, il voulut prendre l'avis de l'ancien conseiller de Pie VII. Vers la fin du mois de décembre de 1823, au sortir d'une crise douloureuse qui avait failli compromettre sa vie, il manda auprès de lui le cardinal, qui, malade lui aussi, dut se faire transporter dans les appartements pontificaux. L'entrevue fut touchante, et la conversation prit aussitôt un caractère élevé. Interrogé par le pape, Consalvi lui communiqua, en toute liberté et simplicité, sa manière de voir sur les principales questions qui intéressaient le bien de l'Eglise. Deux des tâches les plus urgentes, selon lui, étaient de se préoccuper sérieusement des menées du carbonarisme, et de préparer, pour 1825, un grand jubilé, qui ferait venir à Rome cent, deux cent mille témoins pour y voir un pape libre dans sa capitale. Le pape devait aussi, selon Consalvi, se préoccuper beaucoup de l'émancipation des catholiques d'Angleterre et de la protection des catholiques dans les jeunes républiques de l'Amérique méridionale, sans tenir compte, sur ce dernier point, des protestations de l'Espagne. A son avis, il fallait se méfier des négociations entreprises en Russie pour l'union des Grecs aux Latins, parce que cette union était trop envisagée par les Russes du point de vue de leur autonomie religieuse. En revanche, il importait beaucoup de se rapprocher de la France, d'y nouer des relations cordiales avec le roi, et de se lier intimement, dans la mesure où on pouvait le faire sans offenser Louis XVIII, avec son frère le comte d'Artois, qui paraissait mieux disposé envers l'Eglise[12].

Au sortir de son entretien, le pape était dans l'admiration. Quelle conversation ! disait-il au cardinal Zurla. Jamais je n'ai eu avec personne de communication plus importante, plus substantielle, plus utile. Quel homme que ce Consalvi ! Et que Pie VII a été heureux de l'avoir pour ministre ! Désormais, nous travaillerons souvent ensemble. — Seulement, ajouta-t-il, il ne faudrait pas mourir aujourd'hui[13].

Consalvi venait, en effet, de donner à Léon XII tout un programme de gouvernement, établissant une continuité avec celui de Pie VII. Peu de temps après, le grand cardinal succombai taux atteintes de la maladie qui le minait depuis quelque temps, et sa mort modifiait sensiblement la situation politique autour du Saint-Siège. Cette mort enlevait au parti des couronnes le chef dont il aimait, avec plus ou moins de raison, à se prévaloir ; et, d'autre part, elle ôtait sa principale force à la faction des Zelanti, qui se recrutait surtout parmi les adversaires personnels de l'ancien ministre. Les deux partis restèrent en face l'un de l'autre, mais en se modifiant. La faction zélantiste se composa surtout désormais des hommes portés vers une politique d'absolutisme et d'intransigeance, et l'adhésion de plusieurs hommes d'Etat français et autrichiens en fortifia la puissance. La faction opposée compta surtout les partisans des idées modérées ; l'héritage de considération laissé par le cardinal Consalvi fut sa principale force, mais elle resta une minorité. Dès lors, les Zelanti, toujours obstinés à considérer le pape comme un des leurs, tout au moins comme leur élu, chercheront à le dominer, et ces tentatives de sujétion ne seront pas le moindre embarras du pontificat de Léon XII.

Au lendemain de l'élection de Léon XII, un observateur perspicace écrivait : Les partis s'efforcent, par toutes sortes de moyens, d'élever aux places les hommes de leur choix ; mais, une fois parvenus, ceux-ci trouvent un horizon qui les éclaire de nouvelles lumières. Ils voient avec de nouveaux yeux, et gouvernent avec de nouvelles vues. Des amis surviennent alors, et les excitent. Un honnête homme, en pareil cas, est affligé, mais n'est pas embarrassé du choix qu'il doit faire. Voilà l'avenir de l'histoire du pape que nous avons aujourd'hui[14].

Le pronostic se réalisa point par point. La première manœuvre du parti avait été d'obtenir du nouveau pape, quelques heures à peine après son élection, et sous prétexte de soulager sa santé défaillante, la constitution d'une Congrégation d'Etat, composée de cardinaux pris dans les trois ordres et où l'on avait eu soin de ménager une forte majorité de Zelanti. Mais, peu de temps après, Léon XII, voyant le piège, déclara : 1° que les séances de la Congrégation ne seraient pas périodiques, et 2° que, dans tous les cas, les affaires importantes seraient préalablement examinées et rapportées par le secrétaire d'Etat. Puis le secrétaire d'Etat lui-même, cardinal Della Somaglia, notifia, avec une sorte de publicité, au corps diplomatique, que la susdite Congrégation n'était pas un Conseil d'Etat, qu'elle ne serait qu'une assemblée consultative, et qu'on y appellerait, dans les occasions, tels et tels autres cardinaux que ceux qui en faisaient officiellement partie. Toutes ces explications, dit un rapport diplomatique du 2 décembre 1823 adressé au vicomte de Chateaubriand, alors ministre des affaires étrangères[15], toutes ces explications furent données du ton d'un homme qui était aussi jaloux de son autorité ministérielle qu'aurait pu l'être Consalvi.

De semblables tentatives de domination se renouvelèrent. A Rome, le cardinal Severoli, poussé par la faction dont il avait été naguère le candidat, abusa de la confiance que la chevaleresque générosité de Léon XII lui accordait, pour faire prévaloir les idées et les rancunes zélantistes. Le pape dut mettre fin aux agissements de ce compromettant collaborateur[16]. En France, les partisans du comte d'Artois, généralement plus dévoués à la cause catholique que les gens de l'entourage du roi, mais qui comptaient parmi eux nombre d'esprits exagérés et bruyants, lièrent partie avec les Zelanti de Rome. De concert avec ces derniers, ils entreprirent d'indisposer le pape contre la politique de Louis XVIII, qu'ils lui représentèrent comme systématiquement inspirée par des sentiments d'hostilité envers le Saint-Siège et le catholicisme. L'attitude du gouvernement de la Restauration n'était pas, nous l'avons déjà vu, à l'abri de tout reproche ; mais les faits sujets à critique furent grossis, dénaturés, généralisés par l'esprit de parti. Léon XII fut d'autant plus peiné de ce qu'on lui raconta, que le roi de France, au lendemain même de son avènement au siège de saint Pierre, l'avait assuré de son désir d'accroître le bien de notre sainte religion, de perpétuer l'honneur du Saint-Siège[17]. De pareils actes, après de semblables déclarations, ne constituaient-ils pas une odieuse hypocrisie ? Ne pouvant contenir en lui-même son émotion, Léon XII écrivit le 4 juin 1824, et fit aussitôt parvenir au roi Louis XV[II une lettre où, après lui avoir reproché de ne pas protéger suffisamment le clergé catholique, de laisser subsister une législation offensant la religion sous de nombreux rapports, de remettre en vigueur les appels comme d'abus, d'assimiler les temples protestants aux églises, et de craindre la trop grande influence du clef, tandis qu'une foule d'écrivains lançaient impunément leurs traits contre la religion, il l'invitait à choisir pour ses coopérateurs des hommes éprouvés par leurs talents politiques comme par leur piété[18].

Cette lettre parvint à la cour de France comme un coup de foudre[19]. Le passage où le roi était invité à choisir d'autres collaborateurs fut regardé comme une insulte, insulte d'autant plus gratuite, disait-on, que le ministère visé par la lettre du pape était celui que présidait M. de Villèle, et que ce ministère s'était surtout signalé par sa lutte contre les libéraux. Par une lettre du 20 juillet 1826, le roi de France témoigna, d'un ton aigri, sa surprise de l'inexactitude des rapports que Sa Sainteté paraissait avoir reçus de France, et qui, dictés par un zèle imprudent et peu éclairé, avaient trompé la religion du Saint-Père sur le véritable état des choses[20]. Une crise redoutable était sur le point de s'ouvrir. Il était à craindre qu'un Etat étranger ne profitât d'un conflit entre Paris et Rome pour prendre la place de la France dans ses relations avec le Saint-Siège. Les diplomates français et les diplomates romains comprirent en même temps ce que l'une et l'autre y pouvaient perdre. Le chargé d'affaires français qui joua le principal rôle dans l'apaisement de ce différend[21], nous a laissé le récit ému des démarches qui aboutirent enfin à la cessation du malentendu, et qui eurent pour effet de ruiner définitivement dans l'esprit du pontife le parti des Zelanti[22].

Mais, en se dégageant d'une coterie, le pape entendit bien montrer qu'il ne voulait pas se laisser circonvenir par une autre. En 1824, il fit une promotion de cardinaux étrangers indépendamment de toute proposition des couronnes. Désormais, dit son biographe, tout en lui déclara d'une manière imposante qu'il gouvernerait par lui-même. Sa contenance prouva d'ailleurs que, si on avait la vertu de ne plus l'importuner, il possédait le courage qui commande et qui ne reconnaît plus d'exigences importunes[23].

 

III

Dans le courant du mois de mai 1824, Léon XII publia deux actes pontificaux très importants. Par son encyclique du 3 mai, il dénonça à l'épiscopat du monde chrétien les périls de la foi, en tête desquels il signala la doctrine de l'indifférence religieuse ; et, par sa bulle du 27 mai, il convoqua le monde catholique à venir célébrer à Rome un jubilé solennel.

L'encyclique du 3 mai contenait le passage suivant : Il est une secte qui certainement ne vous est pas inconnue. S'arrogeant à tort l'épithète de philosophique, elle a ranimé de leurs cendres les phalanges dispersées de presque toutes les erreurs. Cette secte, couverte au dehors des apparences flatteuses de la piété et de la libéralité, professe le tolérantisme, car c'est ainsi qu'on la nomme, ou l'indifférentisme... enseignant que Dieu a donné à tout homme une entière liberté[24].

Le chef de l'Eglise ne pouvait porter l'attention de l'épiscopat universel sur une question dogmatique plus grave. L'indifférentisme religieux, sous ses, formes les plus diverses, et, sous les noms différents de tolérantisme, de libéralisme, de modernisme ou encore de parti des politiques, devait être la grande erreur du me siècle. En 1809, le vicomte de Bonald, dans ses Réflexions philosophiques sur la tolérance des opinions, avait signalé ces hommes qui, intolérants sur tout autre objet, réclament une tolérance absolue sur les opinions ou croyances religieuses[25]. M. Boyer, dans le Traité de la Religion qu'il professait au séminaire de Saint-Sulpice en 1809-1810[26] ; l'abbé Frayssinous, dans les conférences qu'il donnait, à la même époque, à un nombreux public de fidèles[27] ; l'abbé Teysseyre, dans ses instructions catéchistiques[28], avaient insisté sur le péril de l'indifférence religieuse ; et, plus récemment, l'abbé de La Mennais, s'inspirant de tous ces travaux[29], avait, dans un livre éloquent, donné un retentissement nouveau à ces cris d'alarmes. L'erreur était d'autant plus redoutable qu'elle se cachait sous toutes les formes. Lei partisans de la liberté politique l'associaient à leurs revendications ; mais ne la retrouvait-on pas, plus subtile et plus cachée, dais la doctrine des deux chefs, alors les plus en vue, de la réaction conservatrice ? Quand Talleyrand, prenant la défense des grands principes religieux et sociaux au congrès de Vienne, avouait qu'il s'en faisait seulement l'avocat utilitaire[30], et quand Metternich, autre défenseur de la légitimité et du droit, laissait clairement entendre que, pour lui, la sécurité dans la possession présente constituait tout le droit, l'un et l'autre, par leur dédain superbe de toi te vérité dogmatique et morale dans leur conduite politique, ne professaient-ils pas, à leur manière, le principe de l'indifférence religieuse, tout en paraissant la condamner par leurs mesures de sévère répression[31] ?

La condamnation de l'indifférentisme et du libéralisme par l'encyclique du 3 mai 1824, prélude des célèbres encycliques Mirari vos et Quanta cura, de 1832 et de 1864, qui devaient si profondément remuer l'opinion, ne souleva aucune opposition notable ; il n'en fut pas de même du projet tout pacifique de convoquer à Rome les fidèles du monde entier pour y célébrer les fêtes jubilaires, dont une tradition trois fois séculaire fixait la périodicité à tous les vingt-cinq ans. Le désir du pontife était d'autant plus naturel que Pie VII n'avait pas cru devoir, à cause des troubles qui persistaient encore en 1800, ouvrir le jubilé à cette dernière date. Mais le seul bruit Tue le pape préparait une bulle à ce sujet, mit l'opinion en émoi. Suis compter les sectaires avérés, qui propagèrent la vieille calomnie protestante faisant du jubilé un trafic de biens spirituels en échange de profits pécuniaires, les puissances non catholiques de l'Allemagne ne dissimulèrent pas leur hostilité. L'Autriche, toujours influencée far le joséphisme, se montra froide, et le gouvernement de Naples, non content d'objecter toutes sortes de difficultés, fit des démarches pour engager les représentants des puissances à faire une opposition active[32]. D'autre part, le Conseil du gouvernement pontifical n'entrait qu'avec réserve et appréhension dans le dessein du pape. Le secrétaire d'Etat craignait l'introduction, dans les provinces et dans Rome, de conspirateurs politiques et de membres de sociétés secrets, qui, sous l'habit du pèlerin ; pourraient se réunir en sûreté et lamer à leur aise toute sorte de complots. Le trésorier s'épouvantait de la brèche que des dépenses extraordinaires allaient faire dans son budget ; il protestait contre les embarras financiers qu'il prévoyait devoir s'ensuivre[33]. Mais aucune de ces objections n'arrêtait le pontife dans sa résolution. On dira ce qu'on voudra, répétait-il, le jubilé se fera[34]. Il avait choisi la fête de l'Ascension pour publier sa bulle. Elle fut, dit le cardinal Wiseman, claire, forte et retentissante comme le son d'un clairon d'argent. Rarement il est émané du Saint-Siège un document à la fois plus noble et plus imposant, plus tendre et plus paternel. Le pape s'adressait d'abord à toutes les classes d'hommes qui reconnaissaient sa souveraineté spirituelle. Il engageait les rois à ne mettre aucun obstacle dans le chemin des fidèles pèlerins, mais à leur donner aide et protection. Puis il demandait aux peuples d'accepter avec empressement son invitation paternelle. Il se tournait enfin vers ceux qui n'appartenaient pas à son bercail, vers ceux-là même qui avaient offensé et persécuté le Saint-Siège, et il les exhortait, dans les ternies d'une ardente charité, à s'approcher de lui[35].

Le jubilé eut lieu, au milieu des cérémonies les plus touchantes et les plus grandioses[36]. Le pape maladif, que les factions avaient d'abord rêvé de soumettre à leur influence, n'avait pas seulement déjoué leurs espoirs, il triomphait maintenant d'une opposition où s'étaient trouvés engagés les plus puissants hommes d'Etat et plusieurs même de ses ministres. Léon XII, dit Crétineau-Joly, n'avait pas douté de la foi des peuples ; les peuples lui tenaient compte de cette paternelle confiance[37].

 

IV

En dehors de ces premières difficultés, d'un intérêt général, Léon XII, dans ses rapports avec les diverses nations, s'était trouvé, dès le début de son pontificat, en présence de multiples questions délicates à résoudre.

Le fatal malentendu qui s'était manifesté, en juin et juillet 1824, entre le pape et le roi de France, avait eu pour heureux résultat de leur faire sentir, à l'un et à l'autre, le prix de leur alliance. Tous deux eurent l'occasion de méditer ces paroles que le cardinal de Bernis écrivait le 17 août 1774 : J'ai étudié profondément la France ; je l'ai considérée en grand et dans ses détails ; et j'ai pensé qu'il était essentiel, pour le bien de l'Etat comme pour celui de la religion, que le roi très chrétien se maintint en bonne intelligence avec le chef de l'Eglise. Le 25 août 1824, à l'occasion de la fête de saint Louis, roi de France, Léon XII, quoique très souffrant, voulut, en signe de complète réconciliation, aller en petionne prier devant l'autel du saint roi, dans l'église Saint-Louis des Français, où il fut reçu avec magnificence. Le pape, dit à ce propos le diplomate à qui incomba le devoir, en sa qualité de chargé d'affaires de France, de faire les honneurs au pontife, le pape se montra très satisfait de tous les soins qu'on avait pris pour le recevoir ; et, il me semble que par sa bouche le gouvernement pontifical disait, comme le personnage de Tacite : Si cunctatione deliqui, virtute corrigam[38]. A partir de ce moment, les questions litigieuses inévitables qui s'élevèrent entre la cour de Paris et la curie romaine furent abordées et résolues avec un désir réciproque de bonne entente. Mais la meilleure volonté de part et d'autre ne pouvait supprimer trois questions irritantes, toujours prêtes à provoquer des conflits : celle du gallicanisme, perpétuellement vivant au cœur des vieux parlementaires et de certains membres du clergé ; celle du libéralisme, qu'une jeunesse ardente acclamait avec ivresse ; enfin la question des jésuites, dont la pénétration et la réorganisation en France étaient suivies avec autant d'enthousiasme par des amis dévoués, qu'elles étaient épiées avec méfiance par des adversaires passionnés.

Par le seul fait que la Révolution avait renoncé au principe du catholicisme religion d'Etat, et que la Charte de 1814 ne l'avait pas restauré, la défense des vieilles libertés gallicanes, telles que Pierre Pithou les avait codifiées, et que les parlements les avaient professées, devenait, semble-t-il, sans objet. L'Etat sécularisé n'avait plus à recourir à de telles armes pour se défendre.

Ses prétendues franchises devenaient désormais aussi inutiles qu'un garde-fou après qu'on a comblé le précipice au bord duquel il a été élevé[39]. Le gallicanisme parlementaire cependant n'avait point disparu. Parmi les hommes politiques qui entouraient le trône restauré des Bourbons, les uns n'avaient pas renoncé à l'espoir de voir renaître les traditions absolutistes de l'ancien régime, d'autres se flattaient peut-être de désarmer l'opposition libérale en s'associant à ses ressentiments à l'égard du Saint-Siège.

Quant au gallicanisme ecclésiastique, qui opposait moins l'Etat l'Eglise que l'épiscopat à la papauté, le régime moderne ne l'avait pas directement atteint. C'était surtout pour protester contre les prétendus empiétements de Rome sur les droits des évêques de France, que la Petite Eglise s'était constituée. Sans aller jusqu'au schisme, certains gallicans se faisaient les ardents apologistes des quatre articles de 1682, critiquaient les interventions du Saint-Siège dans les prétendues églises nationales et attaquaient vivement les jésuites[40]. D'autres enfin, parmi les plus recommandables par leur vie privée, parmi ceux-mêmes qui avaient courageusement résisté à la persécution révolutionnaire, restaient attachés, comme à un héritage qu'ils jugeaient digne de respect, à certaines maximes, à certains usages courants dans l'Eglise de France. L'abbé Frayssinous, qui se rattachait à ce dernier parti, écrivait : Je dirai sans détour qu'on ne doit chercher nos libertés gallicanes, ni dans des factums d'avocats, plus jurisconsultes que théologiens, ni dans une jurisprudence qui tendait autrefois à tout envahir et qui ne faisait que donner des chaînes au ministère ecclésiastique[41]. Et il citait, en les prenant pour règle, ces paroles de Bossuet : Dans mon sermon sur l'unité de l'Eglise, je fus obligé de parler des libertés de l'Eglise gallicane ; et je me proposai deux choses ; l'une de le faire sans aucune diminution de la véritable grandeur du Saint-Siège, l'autre de l'expliquer de la manière que l'entendent nos évêques[42]. Les abbés de la Luzerne et de Bausset, et le grand journal ecclésiastique de l'époque, l'Ami de la Religion et du roi, dirigé par Michel Picot, soutenaient à peu près les mêmes idées. Le livre de Joseph de Maistre, Du pape, avait, il est vrai, porté un grand coup au gallicanisme, même modéré ; et l'abbé de La Mennais, rendant compte de cet ouvrage, en 1820, s'était écrié : Qu'on juge de la déclaration de 1682 par ses fruits. Qu'a-t-elle produit, que du mal ? Jansénistes, constitutionnels, tous les sectaires qui ont paru dans ces derniers temps, s'en sont prévalus pour autoriser leur rébellion. Flétrie dès sa naissance du double caractère de la pression et de la servilité, quel catholique, instruit par l'expérience, oserait la défendre aujourd'hui ?[43] Toutefois, le clergé, dans son ensemble, subissait sans trop protester, parce qu'elles émanaient d'un pouvoir favorable à l'Eglise, certaines mesures dictées par l'esprit gallican, telles que la défense faite à l'épiscopat de correspondre directement avec Rome, l'invitation faite aux évêques d'avoir à soumettre leurs mandements à la censure ministérielle, l'obligation imposée aux professeurs des grands séminaires d'enseigner les quatre articles de la déclaration de 1682.

Toutes les fois cependant que la mesure blessa trop vivement les droits de la conscience religieuse, des protestations s'élevèrent. En 1819, le gouvernement avait cassé un maire, pour n'avoir pas forcé des prêtres à donner la sépulture à un suicidé. Eh quoi ! écrivit La Mennais[44], on ne voudrait pas, et avec raison, obliger les juifs, les protestants à enterrer un catholique comme un membre de leur communion ; et l'on trouve juste de forcer les catholiques d'adopter, eu nom de leur religion, un homme qui sera mort en violant un de ses premiers préceptes ?... Est-ce que les catholiques n'ont pas une conscience ?... On ne fait que nous dire : Soyez tolérants. Ce mot, dans un temps signifie : Laissez-vous égorger, et, dans un autre : Laissez-vous entraîner... Le ministre daigne nous faire des leçons de théologie. Il cite les Rituels. Soit. Mais qui les interprétera ? Est ce le ministre, qui n'a aucune autorité dans l'Eglise, ou ceux que l'Eglise même charge d'exécuter ses lois ?

Se plaçant à un point de vue plus général, le cardinal de Clermont-Tonnerre, archevêque de Toulouse, publia en 1823, de Rome même, où il avait pris part au conclave, une lettre pastorale dans laquelle il demandait des modifications civiles en vue de mettre en harmonie les lois de l'Etat avec les lois de l'Eglise. Cette lettre, déférée au Conseil d'Etat comme ayant attaqué les libertés gallicanes, fut supprimée par une ordonnance royale sous prétexte d'abus. D'un ton calme et ferme, le rédacteur en chef de l'Ami de la Religion protesta : Ce qui nous afflige le plus dans cette circonstance, écrivit-il[45], outre le tort fait au caractère épiscopal et le mauvais effet qui peut en résulter dans l'esprit des peuples, c'est qu'il est aisé de prévoir qu'il en sera de cet-acte comme autrefois des envahissements des parlements. Un premier pas en attire un autre. Les exemples n'en sont que trop nombreux. Dans le courant de l'année 1824, le ministre ayant demandé aux professeurs de séminaire d'adhérer à la déclaration de 1682, l'archevêque de Toulouse intervint une seconde fois. Dans une lettre adressée à plusieurs membres de l'épiscopat qui l'avaient consulté à ce sujet, il déclara que l'invitation du ministre devait être regardée comme non avenue. Nous le verrons plus tard, sous Charles X, défendre les droits de l'Eglise, avec plus de force encore, contre les prétentions abusives du pouvoir civil.

 

V

Parmi les plus ardents adversaires du gallicanisme, nous avons rencontré l'abbé Félicité de La Mennais. Par le brillant succès de son Essai sur l'indifférence, par l'éclat de ses récentes polémiques, par ses dons exceptionnels d'intelligence, de verve, d'initiative et d'entrain, par certains côtés de son caractère, séduisant et impérieux à la fois, qui faisaient bientôt de lui, pour ceux qui se donnaient à sa cause, le plus affectueux des amis et le plus autoritaire des maîtres, l'abbé de La Mennais était devenu le centre d'un groupe de jeunes gens, en lequel on pouvait facilement deviner le germe d'un parti nouveau. Ceux qui se rangeaient ainsi autour du maître s'appelaient Gerbet, Gousset, Guéranger, Rohrbacher, Lacordaire., Ils se disaient ultramontains, et se réclamaient volontiers, en religion, des idées de Joseph de Maistre ; mais une sympathie non dissimulée pour les hommes et pour les choses de leur temps, un vif attachement aux classes populaires, une ardente préoccupation de tout progrès politique et social, les rapprochaient du parti qui venait de s'organiser en France sous le nom de parti libéral. Le Mémorial catholique, qu'ils fondèrent en 1823, et qui fut leur organe jusqu'en 1830, eut, grâce à La Mennais, qui en fut le véritable inspirateur, une part considérable dans l'évolution qu'on vit se dessiner au sein même du catholicisme durant les dernières années de la Restauration. Il fut comme le précurseur de l'Avenir, car il tenta, quoique timidement, de séparer la question religieuse de la question politique, et de ménager dans la pure région des idées un rapprochement entre l'Eglise et la société moderne. Avec lui, l'apologétique se rajeunit et perdit quelque chose de son ancienne raideur ; les sciences ecclésiastiques s'élargirent, et elles reprirent de l'autorité ; l'esprit du clergé se modifia, et commença à s'ouvrir à cette idée très simple mais très neuve, que, pour agir sur le siècle, il faut l'avoir compris[46].

Dans ses campagnes du Mémorial catholique, le libéralisme de La Mennais fut plutôt un esprit qu'une doctrine. Il ne devait se formuler qu'en 1829, dans l'écrit publié par le célèbre polémiste sous ce titre : Des progrès de la Révolution et de la guerre contre l'Eglise. La Mennais y attaquera le gallicanisme comme une doctrine de servitude, affranchissant les rois de toute règle de justice et menant les hommes à l'idolâtrie. Il y soutiendra que les peuples peuvent, dans certains cas, résister par la force aux gouvernements arbitraires, comme l'ont fait les Pays-Bas contre Joseph II, les Vendéens et les Bretons contre la Révolution, les Ligueurs contre Henri IV. Il y enseignera que la restauration chrétienne de la société ne peut se faire que par le triomphe de l'Eglise, et que ce triomphe ne doit se faire que par la liberté.

Cette évolution de l'ultramontanisme de La Mennais, ou peut-être, pour parler plus exactement, de son anti-gallicanisme, au libéralisme, se fit sous une double influence. D'abord le contact avec le parti libéral proprement dit, tel qu'il se manifestait alors dans les écrits de Benjamin Constant et de Corcelles, fit passer dans le parti des jeunes catholiques quelques formules des libéraux relatives à l'efficacité toujours bienfaisante de la liberté, à l'indifférence pratique de l'Etat envers tous les cultes et à la séparation de l'Etat d'avec toutes les églises. Une seconde influence, non moins funeste, s'exerça sur le jeune groupe du Mémorial par le fait même du tempérament passionné et outrancier de son chef[47]. Ce Breton romantique, qui portait en lui, avec la tare physiologique d'une constitution anormale remontant à son berceau[48], l'atavisme de tels de ses ancêtres, entêtés et chicaniers, et de tels autres, hardis marins, dont il avait hérité le goût de l'aventure et du risque[49], ne savait garder aucune mesure' au moindre froissement de son inquiète susceptibilité.

Il publiait que le gouvernement était hypocrite dans son langage,  athée dans ses actes. Il montrait dans M. Lainé et M. Corbière les continuateurs d'Henri VIII, et dans M. Frayssinous un évêque schismatique, usurpateur des droits de Léon XII. Qui donc, s'écriait-il dans une de ses brochures, a chargé M. Frayssinous de capituler avec les rois de la terre au nom de l'épouse de Jésus-Christ ? Il trouvait la Compagnie de Jésus insuffisamment appropriée aux besoins des esprits, et jugeait que la théologie enseignée dans les séminaires n'était plus qu'une scolastique mesquine et dégénérée[50].

De telles hardiesses de langage et de pensée ne tardèrent pas à éveiller, parmi les membres du clergé, les inquiétudes des uns, les énergiques protestations des autres. En 1829, après l'apparition de l'ouvrage, Des progrès de la Révolution et de la guerre contre l'Eglise, l'Ami de la religion se fit l'interprète de ces sentiments, en relevant avec vivacité : 1° l'étrange parenté de certaines doctrines de l'auteur avec les idées les plus suspectes du parti libéral ; 2° les injustes violences de ses attaques contre les catholiques : On lui reprochait d'adopter sur la liberté de la presse et sur la liberté politique, les formules mêmes des libéraux ; on le blâmait d'avoir écrit que le libéralisme n'est autre chose que le sentiment qui, partout où règne la religion du Christ, soulève une partie du peuple au nom de la liberté, et d'avoir ajouté que, sur le fond des choses, le parti opposé aux intérêts du trône avait un immense avantage de raison. Ou lui rappelait que l'Eglise, loin d'admettre ces principes d'uns manière absolue, comme il semblait les présenter, avait établi une Congrégation de l'Index pour condamner les abus de la presse, et recommandé aux peuples, en dehors de circonstances très exceptionnelles, l'obéissance respectueuse à l'égard des pouvoirs établis. On s'indignait enfin de voir M. de La Mennais traiter avec tant de dédain cet Ordre des jésuites, dont il avait écrit naguère que son existence tout entière n'avait été qu'un grand dévouement à l'humanité et à la religion[51], et calomnier si gratuitement cet enseignement des séminaires qui l'aurait peut-être préservé de tant d'écarts s'il en eût mieux lui-même pris les leçons[52].

 

VI

Le gallicanisme avait d'autres adversaires, qui ne pouvaient être suspectés de tendresse envers le libéralisme : c'étaient les jésuites Depuis la promulgation de la bulle Sollicitudo, qui avait, en 1814, solennellement rétabli la Compagnie de Jésus dans l'Eglise universelle, les maisons des jésuites s'étaient multipliées en France, et leur apostolat y avait été fécond[53]. Par la Congrégation, ils avaient organisé de nombreuses œuvres de piété et de charité parmi la haute société ; dans leurs douze collèges ils élevaient un grand nombre d'enfants de la noblesse et de la bourgeoisie ; par leurs missions, ils atteignaient la classe populaire. Gallicans et libéraux se coalisèrent pour les perdre. Des royalistes d'extrême droite et des révolutionnaires d'extrême gauche s'entendirent pour mener campagne contre eux.

Leur porte-parole fut un gentilhomme septuagénaire, le comte de Montlosier. Issu d'une vieille famille d'Auvergne, il avait gardé, dans ses manières et dans son esprit, la sauvagerie forte, rude, abrupte, du coin de montagne où il était né[54]. De son titre de noblesse, qu'on lui avait naguère contesté, mais que Louis XVIII venait de lui confirmer, il ne tenait guère qu'une morgue insolente. Partisan du pouvoir absolu des rois, il nourrissait jalousement dans son cœur les préjugés les plus obstinés des vieux légistes contre l'Eglise romaine. Chrétien pratiquant, ne craignant pas d'affirmer publiquement sa foi, mais d'un ton raide et hautain, qui rappelait la superbe austère des jansénistes. Au demeurant, non dépourvu de brillantes qualités.  Ecrivain confus, embrouillé, mais ayant, comme par poussées, des idées fortes, des vues perspicaces[55]. A la Chambre, les révolutionnaires d'extrême gauche voisinaient parfois avec cet ultra. Ils se rejoignaient par plusieurs points, comme la Constitution civile du clergé avec les maximes sur les Libertés gallicanes de Pierre. Pithou, comme l'absolutisme de la Convention avec celui des mauvais jours de l'Ancien régime.

En août 1825, le comte de Montlosier publia, dans le journal le Drapeau blanc, deux lettres retentissantes contre les jésuites. Au mois de février 1826, il fit paraître un ouvrage intitulé : Mémoire à consulter sur un système religieux et politique tendant à renverser la religion, la société et le trône[56].

Le livre était lourdement écrit, maladroitement charpenté ; il fourmillait d'erreurs et de contradictions ; mais il était véhément, agressif, plein de révélations mystérieuses, de personnalités violentes, d'affirmations déconcertantes, d'allusions suggestives. On y voyait la Compagnie de Jésus, grâce à un système d'application, le plus perfectionné depuis Pythagore, portant au delà des mers le joug tantôt fleuri, tantôt sanglant de sa domination[57]. On y lisait, sans que la moindre preuve, d'ailleurs, fût apportée à l'appui de ces assertions, que l'affiliation de Louis XIV à la célèbre Compagnie était à peu près certaine[58], que Saint-Sulpice, comme chacun sait, était une création et une affiliation des jésuites[59], qu'au moyen d'une association dite de Saint-Joseph, tous les ouvriers étaient enrégimentés ; qu'il y avait, dans chaque quartier, une espèce de centenier, que le général en chef était l'abbé Lœven, jésuite secret[60], que les marchands de vin[61], les domestiques[62], étaient pareillement organisés ; que la chambre des députés comptait au moins cent cinq congréganistes[63], liés par serment à la terrible Compagnie ; que jadis même un ministre du roi avait été trouvé, à sa mort, revêtu des insignes consacrés par l'affiliation[64].

Après avoir exposé ces prétendus faits, l'auteur du Mémoire à consulter prétendait préciser le but caché de toutes ces entreprises. Il le définissait ainsi : Employer, la religion comme moyen politique, et la politique comme moyen religieux ; faire obéir à Dieu par ordre du roi, et avec l'autorité du roi étendre l'autorité des prêtres. Mais les rois devaient être les victimes de pareilles combinaisons, car, ajoutait Montlosier, d'un ton tragique, on connaît l'existence frêle et viagère des princes... Comment pense-t on qu'ils pourront lutter avec une puissance qui ne naît ni ne meurt, qui a sa milice, un général, avec lequel elle décide quand et comment elle doit obéir au souverain ?

Le Mémoire à consulter paraissait à son heure, au lendemain de deux procès retentissants intentés au Constitutionnel et au Courrier français. Ces deux journaux le comblèrent d'éloges. Le Journal des Débats appela Montlosier le flambeau de la France. On exalta sa personne et son rôle. On feignit d'oublier les palinodies dont il avait donné le spectacle sous l'Empire. On affecta de ne voir en lui que le noble émigré de Coblentz et de Londres, l'ami de Chateaubriand, le catholique intrépide qui avait fermé la bouche aux incroyants, par son éloquente tirade sur la croix de bois des évêques et on loua ce royaliste, ce croyant, d'avoir été assez indépendant et assez courageux pour dénoncer le grand péril qui menaçait à la fois l'Eglise et la société. L'Ami de la religion, le Mémorial catholique, la Quotidienne relevèrent facilement les calomnies du pamphlet. Le vicomte de Bonald le réfuta dans une brochure spéciale[65]. Mais Montlosier, se sentant soutenu à la fois par les gallicans du royalisme, par les jansénistes, que Tabaraud et Lanjuinais conduisaient à la bataille, et par les libéraux, dont le Constitutionnel et les Débats excitaient les rancunes, redoubla d'audace. Il adressa à la cour royale de Paris, une dénonciation en forme contre la Compagnie de Jésus. Quarante avocats du barreau parisien souscrivirent à ses conclusions, qui demandaient l'application aux jésuites de tous les moyens de répression fournis par les lois anciennes et modernes. La cour se déclara incompétente. Montlosier s'adressa alors à la Chambre des pairs, et obtint d'elle que sa pétition serait transmise au roi. Charles X n'y donna, pour le moment, aucune suite, mais la question des jésuites était désormais posée devant l'opinion ; elle devait l'agiter jusqu'au moment où le roi, cédant à la pression du gallicanisme, du jansénisme et du libéralisme coalisés, leur accorderait l'expulsion de la célèbre société.

Le roi Charles X, qui avait succédé, en 1824, à son frère Louis XVIII, avait paru offrir à la cause de l'Église des garanties sérieuses. Après une jeunesse orageuse, il était revenu, depuis quelques années, à la pratique de la religion ; une de ses premières préoccupations, après son avènement, avait été de se faire couronner à Reims, avec tous les rites traditionnels du sacre, pour attirer les bénédictions de Dieu sur son règne ; et le pape Léon XII lui en avait témoigné une joie sincère[66]. Mais, faible de caractère, incertain, mobile, facile à influencer, Charles X était incapable de présider les conseils avec la décision et l'autorité de son prédécesseur ; il était moins encore de taille à dominer les factions. Tandis que la politique de Louis XVIII avait été d'échapper à la domination des partis exclusifs, et qu'on l'avait vu tour à tour repousser les libéraux exagérés et les monarchistes ultras, la destinée de Charles X fut d'osciller d'un extrême à l'autre. Dès les premières semaines de son règne, le brusque rétablissement des titres et des charges de l'ancienne cour avait servi de prétexte pour montrer en lui le restaurateur de l'ancien régime ; la mise à la retraite de 250 généraux de l'empire avait soulevé de vifs mécontentements dans la partie de la nation qui avait le culte des gloires impériales. Une loi accordant un milliard d'indemnité aux émigrés, avait été combattue, à la fois, par une partie de la droite, qui y voyait la sécurité garantie aux acquéreurs des biens nationaux, et par toute la gauche, qui considérait la confiscation des biens des émigrés comme une pénalité justifiée par leur exil volontaire. Une seconde loi, très inopportune, punissant de la peine des parricides la profanation des hosties consacrées, et de la peine de mort tout vol commis avec effraction ou pendant la nuit dans une église, avait été attaquée, en même temps, à la Chambre des pairs par Chateaubriand, à la Chambre des députés par Royer-Collard, et dans la presse par l'abbé de La Mennais. Cette loi, du reste, votée malgré ces vives oppositions, ne devait jamais être exécutée. Mais l'agitation soulevée par ces mesures ne s'apaisait pas. Tandis que les impérialistes, blessés par les premiers actes du roi, faisaient cause commune avec les libéraux, un parti de royalistes mécontents, mené par Chateaubriand et surnommé le parti de la défection, faisait au gouvernement une guerre acharnée. Les chansons de Béranger entretenaient à la fois dans le peuple le culte de l'empereur et la haine des jésuites :

Hommes noirs, d'où sortez vous ?

Nous sortons de dessous terre.

Les œuvres de Voltaire et l'Encyclopédie se publiaient en éditions populaires. Des représentations du Tartuffe se donnaient dans les villes où se prêchaient les missions. Les sociétés secrètes multipliaient leurs menées. Les spectres de l'ancien régime, de la domination du parti prêtre, de la Congrégation, de la Terreur blanche, étaient agités devant les yeux de la population. Le roi essaya en vain, le 5 novembre 1827, de briser l'opposition en créant 76 nouveaux pairs et en prononçant la dissolution de la Chambre, Ces mesures exaspérèrent les mécontents. L'extrême droite et le parti de la défection s'unirent à la gauche. La société Aide-toi, le ciel t'aidera, qui avait des alliances avec la Charbonnerie et la Franc-maçonnerie, dirigea les nouvelles élections, qui donnèrent à l'opposition une écrasante majorité. Le roi, acculé, se résigna à choisir un ministère libéral et à faire des concessions. Mais la gauche se montra de plus en plus menaçante. Martignac, le nouveau chef du ministère, conseilla au roi, pour écarter le danger qui menaçait son trône, de sacrifier les jésuites.

Le 16 juin 1828, le roi Charles X se résigna à signer deux célèbres ordonnances[67]. La première portait que les établissements connus sous le nom d'écoles secondaires ecclésiastiques, dirigés par des personnes appartenant à une congrégation religieuse non autorisée et actuellement existants â Aix, Billom. Bordeaux, Dôle, Forcalquier, Montmorillon, Saint-Acheul et Sainte-Anne d'Auray, seraient soumis, à dater du 1er octobre, au régime de l'Université. Nul ne pourrait désormais diriger une maison d'éducation ou y professer, sans avoir affirmé par écrit qu'il n'appartenait à aucune congrégation religieuse non légalement établie en France. La seconde ordonnance soumettait à l'autorisation du gouvernement l'établissement des écoles secondaires ecclésiastiques ou petits séminaires. Elle créait en leur faveur 800 bourses de 500 francs ; mais elle fixait à 20.000 le nombre total des élèves, défendait d'y admettre des externes et d'y porter l'habit laïque après deux ans d'études.

Soixante-treize évêques protestèrent dans un Mémoire, qui fut remis au roi par l'archevêque de Paris, Mgr de Quélen[68]. En même temps, l'épiscopat consulta le Saint-Siège. Mais les lettres adressées à Rome à cette occasion furent interceptées par le gouvernement français, qui, de son côté, envoya à la cour de Rome un jurisconsulte chargé d'exposer à Léon XII le véritable état des choses. Le souverain pontife fit écrire par le cardinal Bernetti une note, dont les ministres ne publièrent qu'une partie laissant entendre que le pape approuvait leur conduite[69].

L'historien catholique et royaliste de la Restauration, Alfred Nettement, a porté sur les ordonnances de 1829 le jugement suivant : Il y avait, au point de vue des idées religieuses, trois conséquences fâcheuses dans les ordonnances du 16 juin : on ôtait à l'enseignement religieux une ressource ; on mettait l'épiscopat en prévention en matière d'éducation par les mesures prises contre lui ; on accréditait dans l'esprit du vulgaire toutes les calomnies accumulées contre un ordre religieux respectable, en proclamant la nécessité de l'éloigner. Au point de vue politique, les inconvénients n'étaient pas moins graves : le gouvernement apprenait à tous le moyen de lui arracher des concessions, et l'opposition, à laquelle il avait cru devoir donner satisfaction, se sentit encouragée à exiger davantage[70].

 

VII

L'homme d'Etat qui présidait alors aux destinées de l'Autriche avait une tout autre attitude. Charles X aimait les jésuites, et les proscrivait ; Metternich détestait l'esprit jésuitique et protégeait la Compagnie de Jésus.

En 1825, des jésuites, chassés de Russie et de Pologne et établis en Galicie, sollicitèrent de l'empereur d'Autriche la reconnaissance officielle de leur établissement. Le prince de Metternich écrivit, à cette occasion, à l'empereur, le 18 octobre de la même année, un long mémoire, où, après avoir soigneusement distingué l'institution des jésuites, et le jésuitisme, il ajoutait[71] : Cette différence est d'une importance majeure... car je suis très porté à regarder l'institution comme une arme salutaire contre les envahissements de l'esprit d'erreur, tandis que je condamne, d'une manière non moins absolue, le jésuitisme sous toutes ses formes aussi bien que dans toutes ses tendances. Ces lignes sont révélatrices de la politique générale suivie par le célèbre diplomate, qui ne paraît pas avoir porté sur l'Eglise catholique un jugement différent. Il en appréciait et il en appuyait hautement l'organisation dans la mesure où cette organisation lui paraissait utile au maintien de l'ordre et de la discipline ; il en réprouvait l'esprit dans la mesure où cet esprit lui paraissait fournir des éléments au désordre politique tel qu'il l'entendait. En demandant à son souverain d'autoriser l'établissement de la Compagnie de Jésus en Galicie, le ministre lui conseillait de ne l'admettre qu'à l'essai. Dans le cas, disait-il[72], où les jésuites ne suivraient pas une marche correcte, on serait peut-être amené à prendre à leur égard la mesure qui serait inopportune aujourd'hui. Suivre une marche correcte, pour Metternich, c'était soutenir les institutions du passé ; ou, du moins, celles des institutions du passé que lui Metternich, jugeait aptes à maintenir l'ordre européen. Car sa politique ne visait à rien de moins qu'à organiser l'Europe. Une telle prétention, du reste, était soutenue par lui avec un orgueil prodigieux. Il se tenait pour infaillible. L'erreur, disait-il un jour à Guizot, n'a jamais approché de mon esprit. — J'ai été plus heureux que vous, mon prince, lui répondit le ministre français ; je me suis aperçu plus d'une fois que je m'étais trompé[73]. Son but était de former une société d'Etats capable de lutter victorieusement contre le réveil révolutionnaire des nationalités[74]. Le centre de cette société d'Etats devait être la Confédération germanique, recevant son mot d'ordre de l'Autriche. Il avait formulé ce rêve, qu'un mot prononcé à Vienne Mt reçu dans toute l'Allemagne comme une loi inviolable. Pendant de longues années ce rêve fut à peu près réalisé pour ce qui concerne les relations diplomatiques des nations et leur organisation politique. Il fut moins heureux en ce qui regarde le gouvernement intérieur de son propre pays et la compression qu'il voulait exercer sur les mouvements nationaux. J'ai souvent gouverné l'Europe, disait-il ; j'ai rarement gouverné l'Autriche. La sévérité même de ses mesures répressives fut, nous l'avons déjà vu, ce qui fortifia le plus, en l'exaspérant, le mouvement national en Italie ; et, au sein même de l'Allemagne, les esprits les plus dévoués au culte de la suprématie germanique, tels que Gœrres et Schlegel, au lieu de suivre le mouvement absolutiste de Metternich dans l'organisation des Etats, et ses tendances joséphistes dans les rapports des pouvoirs civils avec l'Eglise, se firent, au contraire, les apôtres passionnés des idées libérales en politique et de l'indépendance absolue de l'Eglise en regard des Etats. Tandis que le système Metternich voyait presque exclusivement, dans l'Eglise comme dans l'Etat, les principes d'autorité et de hiérarchie, un jeune prêtre de l'université de Tubingue, Jean-Adam Mœhler, publiait, en 1825, sous ce titre, De l'unité dans l'Eglise, un livre plein de fraîcheur et de vie, où il montrait comme principe d'unité dans la société chrétienne et comme principe de foi dans l'âme croyante, non point l'obéissance craintive, qui déprime, mais l'amour, qui élève et qui unit[75]. Trois ans plus tard, par un contraste plus frappant, à Vienne même, en cette capitale où la religion, trop considérée comme un aspect de l'étiquette ou un rouage de la bureaucratie, semblait manquer d'air[76], un autre prêtre catholique, Antoine Gunther, essayait de renouveler la théologie avec une science réelle et un mysticisme libre et ingénieux[77]. Mais cette fois la liberté et l'ingéniosité dépassèrent les limites de l'orthodoxie. Chose étrange, Gunther, pour son humble part, était un des rouages de cette organisation de compression intellectuelle qui pesait sur le développement religieux de l'Autriche ; il avait un poste de censeur... Ce gendarme de la pensée devait finir en délinquant[78]. Il soutenait, dans son Introduction à la théologie spéculative, parue en 1828, et dans de nombreuses publications subséquentes, que l'âme raisonnable est tout à fait distincte du principe de la vie corporelle et de la connaissance sensible ; il détruisait tout lien entre les formules de foi catholique et l'aristotélisme du moyen âge ; il encadrait le dogme dans un nouveau système philosophique créé par lui ; il prétendait expliquer les mystères de la Trinité et de l'Incarnation par des faits de conscience de la Divinité ; il concevait le mystère de la Rédemption comme une conséquence nécessaire de la Création ; et, enseignées par lui, ces théories soulevaient un enthousiasme, auquel Gœrres et Mœhler eux-mêmes se laissèrent un moment entraîner ; mais ces doctrines téméraires devaient lui attirer les sévères condamnations de l'Eglise[79].

 

VIII

L'Ecole Le centre du mouvement catholique en Allemagne n'était pourtant pas à Vienne ; il était à Munich. De tous les Etats allemands, la Bavière était celui qui avait le moins subi l'influence du système Metternich et de la Sainte-Alliance[80]. C'était aussi celui qui se montrait le plus dévoué à l'Eglise. En Allemagne, écrivait Brentano, c'est la Bavière qui est allée le plus loin dans la corruption révolutionnaire et, comme la France, elle est la première à réagir[81]. Cette réaction s'était faite particulièrement à partir de 1825, date de l'avènement au trône du roi Louis Ier. Au lendemain du couronnement du jeune prince, Gœrres, qui aimait à prendre les allures d'un prophète, lui adressait, dans le Catholique, cette prosopopée, mise dans la bouche du prince Maximilien ressuscité : Ce que tu veux édifier, ne le bâtis pas sur le sable fugitif des opinions humaines, mais fais le reposer sur Dieu, citadelle de tout ce qui est solide. Sois un prince chrétien. Je veux dire : une colonne de la foi et un protecteur de la liberté de l'esprit[82]. Le roi Louis de Bavière ne devait pas rester toujours et en tout la colonne sûre et solide saluée par Joseph Gœrres. Mais, au début de son règne, sa foi ardente et sincère, son dévouement sans mesure aux lettres chrétiennes et à l'art chrétien, légitimaient les plus belles espérances ; et ce qu'il y avait de fougueux, de romantique dans sa riche nature était fait pour aviver autour de lui les plus chauds enthousiasmes. Il rêvait d'un règne de beauté, s'étendant sur toute l'Allemagne, et dont ses amis, les artistes nazaréens, seraient les hommes d'Etat[83]. Dans un ordre de choses plus positives, il avait tranché les multiples questions soulevées en Bavière par la promulgation du Concordat de 1817, en déclarant qu'il en observerait loyalement toutes les clauses suivant l'esprit de l'Eglise. Fidèle aux leçons de son maître vénéré, le prêtre Sailer, il favorisa la vie religieuse et seconda les efforts des bénédictins et des rédemptoristes dans l'évangélisation de la Bavière. Somme toute, ce fut une brillante époque pour le catholicisme que celle qui vit Joseph Gœrres, attiré à Munich par le roi Louis y passionner un public d'élite par ses leçons sur la Mystique, Ignace Dœllinger y publier ses premiers travaux d'érudition sur l'Eglise des premiers siècles, Clément Brentano y populariser et y commenter les révélations de Catherine Emmerich, et Schelling lui-même, entraîné par le mouvement, y déclarer, en combattant les blasphèmes de Hegel, que le Christ historique lui paraissait ne pouvoir être conservé que par l'obéissance à l'autorité du pape.

Sans doute, dans les œuvres de chacun de ces écrivains ou retrouve trop souvent ce manque de mesure, cette incompréhension des nuances qui semblent être les défauts caractéristiques de la race allemande, les rançons de ses incontestables qualités[84]. Dans les quatre volumes de Gœrres sur la mystique, la science abonde, l'érudition déborde ; mais une impression de trouble résulte de la lecture de cette encyclopédie de tous les merveilleux, divin et diabolique, où l'on entend les extatiques raconter leurs visions, les stigmatisés faire le tableau de leurs sanglantes douleurs, les possédés hurler dans leurs contorsions et les sorcières célébrer leur infernal sabbat[85]. Dans son ouvrage de début, sur la Doctrine de l'Eucharistie durant les trois premiers siècles, paru en 1826, le jeune professeur Dœllinger témoigne d'une grande connaissance des Pères ; mais on s'aperçoit déjà que les soucis contemporains et une préoccupation immodérée de réformes hantent et troublent cet esprit inquiet, qui, après avoir répandu à profusion dans de nombreux écrits les richesses de sa science, essayera d'entraver par ses intrigues l'œuvre du concile du Vatican et mourra obstiné dans le schisme[86]. Brentano, converti du libertinage à la piété, se fait l'humble secrétaire d'une voyante illettrée, Catherine Emmerich, au fond d'une bourgade de Westphalie, et consacre sa vie à faire connaître au grand public les révélations de la pauvre servante du Christ ; mais il le fait de telle sorte, qu'on a peine à distinguer, dans son œuvre, ce que Dieu a révélé à sa servante et ce que l'imagination romantique de Brentano lui-même a pu inconsciemment lui suggérer[87]. Moins profond que Gœrres, moins érudit que Dœllinger, d'une piété moins ardente que Brentano, mais d'un charme plus séduisant dans sa parole, François Baader, professeur incomparable, déroule, à perte de vue, dans ses cours, qui se prolongent à l'angle des rues dans Munich, devant les promeneurs émerveillés, la série de ses digressions, qui toutes confluent vers une interprétation philosophique de l'univers. Le philosophe Schelling subit l'ascendant de Baader, qui l'incline vers le catholicisme. Malheureusement Baader lui-même subit l'influence de la philosophie panthéiste de Schelling, du mysticisme de Bœhme, de l'illuminisme de Saint-Martin, et s'avance de plus en plus dans une voie qui aurait fait de lui un transfuge du catholicisme, si, au moment de sa mort, qui survint en 1841, il n'avait sincèrement renié des théories dont il n'avait pas sans doute aperçu tout le danger dans l'ivresse de ses merveilleux succès[88]. Par sa liaison avec Baader, par l'ardeur avec laquelle il lutte contre l'anticatholicisme de Hegel, Schelling paraît, un moment, assez orthodoxe, pour que Dœllinger songe à le faire collaborer à son journal le Catholique. Mais on s'aperçoit bientôt qu'il n'a rien abandonné de son panthéisme foncier, et que la forme seule de sa philosophie, avec la sympathie de son cœur, est devenue chrétienne.

Malgré tout, le mouvement de la pensée catholique à Munich enthousiasme les étrangers qui en sont les témoins. Montalembert, parlant des leçons sur la mystique qu'il avait entendues à Munich, au pied de la chaire de Gœrres, écrit : Là s'ouvrit pour moi une source nouvelle d'études et de jouissances[89]. Plus tard, Wiseman, saisi de la même admiration pour l'école de Munich, songera à mettre en relations, par son intermédiaire, les clergés catholiques de l'Angleterre et de l'Allemagne[90] ; Rio, Falloux, garderont de ce mouvement scientifique et artistique un souvenir attendri[91] ; et nulle part l'école de l'Avenir, par ses défauts peut-être non moins que par son a dente et sincère foi, ne trouvera un écho plus vibrant et plus fidèle[92].

 

IX

Paris et Munich, la ville où écrivait La Mennais et celle où enseignait Gœrres, étaient certainement, sous Léon XII, les deux foyers les plus brillants de l'activité catholique. Mais on se ferait une idée incomplète de cette activité si l'on oubliait deux autres centres importants du mouvement religieux, deux villes de la Grande-Bretagne : Dublin, où Daniel O'Connell luttait pour l'affranchissement de ses coreligionnaires, et Oxford, où John Newman préparait lentement le retour d'un grand nombre de ses compatriotes à la vraie Eglise.

La cause que défendait O'Connell était à la fois nationale et religieuse. Depuis quatre cents ans que l'Angleterre l'avait conquise, l'Irlande n'avait pas cessé d'être soumise à ce régime de terreur que l'on comprend à peine, comme mesure transitoire, au lendemain d'une conquête. Or, ce régime atteignait aussi bien la foi religieuse des Irlandais que leurs sentiments patriotiques. C'est à titre de conquérants et comme protestants que les Anglais s'étaient attribué toutes les terres du pays, qu'ils y rendaient la justice, qu'ils y laissaient les trois quarts de la population dans un état de misère lamentable. D'après une enquête faite en 1822, sur les sept millions d'habitants que contenait l'île, on comptait cinq millions sept cent cinquante mille catholiques, répartis en trente-deux diocèses et plus de mille paroisses. Mais, dès l'époque de la Réforme, le gouvernement anglais avait nommé à tous les bénéfices existants des évêques et des pasteurs anglicans. Comme les catholiques ne voulurent pas accepter leur direction, il en résulta que chaque cure de paroisse eut deux titulaires : le ministre protestant, riche, entouré de confortable, et le curé catholique, languissant dans la misère comme son troupeau, ne comptant pour vivre que sur l'aumône de ses pauvres fidèles. Un historien anglais, Macaulay, n'a pas craint d'écrire que, par ce régime d'oppression, le gouvernement britannique avait donné le spectacle de l'institution la plus injustifiable et la plus absurde du monde civilisé. Depuis 1793, les Irlandais possédant un revenu annuel de 40 schellings étaient électeurs ; mais ils ne pouvaient voter que pour des députés protestants, seuls capables de prêter le serment du test et disposés d'ordinaire à s'entendre avec la majorité anglicane du parlement anglais. En 1797, les Irlandais, à bout de patience, s'organisèrent en bandes armées. Pitt, en 1800, entreprit de réduire l'opposition irlandaise, en enlevant à l'Irlande son parlement, et en promettant d'abroger les lois qui frappaient les catholiques d'incapacité civile. L'île redevint tranquille, en ce sens que la tyrannie des riches sur les pauvres, des protestants sur les catholiques, y fut affermie ; et l'ont put prévoir avec certitude que les promesses faites par le gouvernement ne seraient pas tenues.

Les catholiques irlandais renoncèrent, dès lors, dans leur ensemble, à recourir à l'insurrection ; mais leur mécontentement se manifesta par une opposition légale, obstinée, irréductible, à leurs maîtres Protestants. Le jour même où les cloches de Saint-Patrice, à Dublin, annoncèrent le bill d'Union imposé par Pitt et l'abolition du parlement irlandais, un jeune avocat de 25 ans, Daniel O'Connell, prononça, devant une assemblée de catholiques réunie à la Bourse, un discours de protestation. Dès le matin de ce jour-là, disait-il plus tard, j'avais fait serment que le déshonneur ne durerait pas, s'il dépendait de moi d'y mettre un terme. Daniel O'Connell était né en 1775, dans le comté de Kerry, d'une ancienne famille dévouée de tout temps au catholicisme et à l'Irlande. Cet homme qui, sans être jamais, comme l'a dit Lacordaire, ni prince, ni capitaine, ni fondateur d'empire, devait, en restant simple citoyen, plus gouverner que les rois, plus-gagner de batailles que les conquérants, plus faire que tous ceux qui ont reçu d'ordinaire la mission de détruire ou d'édifier[93], avait reçu le tempérament de l'agitateur. C'est la qualification qu'il devait se donner lui-même. On a dit d'O'Connell qu'il y avait en lui trois hommes : dans l'intérieur de la maison, un homme doux, pacifique, d'humeur joyeuse, semblant n'avoir d'autre horizon que celui des joies de la famille et a l'étude silencieuse ; au barreau, un avocat affairé, expert à fouiller dans l'énorme arsenal des lois britanniques, toujours suivi par une foule d'avoués et de clients ; dans les meetings populaires qu'il présidait, un incomparable tribun, maître de son auditoire comme nul ne le fut jamais, sachant faire vibrer tour à tour les fibres les plus intimes de l'indignation, de l'ironie, de la joie, de l'enthousiasme. Mais ce qui persistait sous toutes ces formes diverses, ce qui en faisait l'unité, c'était le caractère incorruptible du chrétien sincère, faisant passer avant tout, dans sa vie publique comme dans sa vie privée, l'obéissance aux lois de Dieu et de l'Eglise[94], c'était la loyauté du citoyen, se refusant à transgresser la moindre des lois de son pays. Ne pas faire verser une goutte de sang, et respecter toutes les lois de l'Angleterre : telle fut sa constante devise. D'une incroyable activité, on le voyait, dans une même journée, prendre la parole en des villes et des bourgs très éloignés les uns des autres. Il recrutait des adhésions et des souscriptions, organisait des assemblées, soulevait les masses, et s'agenouillait devant la reine si elle se trouvait sur son passage. Mais c'est surtout dans les grandes réunions populaires, qu'il présidait en plein air, que son action se développait dans toute sa puissance. L'éloquence d'O'Connell, écrit un de ses contemporains[95], est alors une éloquence sans nom, prodigieuse, saisissante, impréparée, et que n'entendirent jamais ni les anciens ni les modernes. C'est le grand O'Connell, debout sur le sol de la patrie, ayant les cieux pour dôme, la vaste plaine pour tribune, un peuple immense pour auditoire, et pour écho les acclamations universelles de la multitude... Il s'identifie alors avec son peuple, il vit de sa vie, il rit de ses joies, il saigne de ses plaies, il crie de ses douleurs... Mais il s'enferme et se mure dans la légalité, comme dans une forteresse inexpugnable. Il est hardi, mais il est peut-être encore plus adroit que hardi. Pointilleux, retors, madré, fin procureur, il ravit par la ruse ce qu'il ne peut arracher par la force. Où d'autres se perdraient, il se sauve. Sa science le défend de son ardeur.

Une Association catholique s'était formée en Irlande, en 1810, sous la direction d'un ouvrier en soie, John Keogh. O'Connell la réorganisa. Elle eut ses magistrats, son trésor, ses journaux. Elle scruta tous les actes du gouvernement britannique. Le Parlement vota une loi interdisant ces sortes de sociétés. L'Association catholique se déclara dissoute, et se reforma aussitôt en changeant ses statuts. Sa hardiesse s'accrut. Elle, ne demanda plus seulement l'émancipation des catholiques, mais le rappel de l'union. Elle répartit les affaires entre trois comités particuliers, perçut des contributions dans chaque paroisse par l'intermédiaire des curés, sous la surveillance des évêques, et concentra les plaintes et les vœux des Irlandais pour les faire parvenir jusqu'au trône.

Cette agitation, toujours légale, niais toujours croissante, de six millions d'opprimés, obéissant aux ordres d'un chef profondément respecté, effraya un bon nombre d'hommes d'Etat. Les whigs se, montrèrent généralement disposés à voter des mesures favorables à la cause irlandaise. Les tories se divisèrent. En 1827, Canning, membre du parti des tories parlementaires, et favorable aux catholiques, devint premier ministre. Mais sa mort, survenue bientôt après, fut l'occasion d'une dislocation du ministère. L'émancipation des catholiques fut repoussée. O'Connell fit alors une expérience, pour convaincre le gouvernement de la nécessité de céder.

En juillet 1828, il se présenta aux élections du comté de Clare contre un membre du ministère, et, bien qu'inconnu dans la circonscription, bien que légalement incapable de siéger au parlement 'en tant que catholique, il fut élu avec de telles démonstrations populaires, qu'au soir de l'élection le grand agitateur s'écria : Maintenant, l'Irlande est libre ! Il voulait dire que sa cause était désormais moralement gagnée devant l'opinion publique.

A la rentrée des Chambres, Robert Peel et Wellington, au nom du ministère, se décidèrent à demander l'émancipation des catholiques. Le roi Georges IV consentit, puis refusa. Peel offrit sa démission. Mais le roi ne trouva personne qui voulût se charger du ministère. La voix d'O'Connell se faisait plus redoutable. Il prétendait hautement, malgré sa qualité de catholique, siéger à la Chambre des Communes. S'il refusait de reconnaître la suprématie protestante, il offrait de prêter à la reine le serment d'allégeance. Comme les anciens triomphateurs, il prétendait entrer dans la place par une brèche. Les ministères, effrayés de sou audace, des manifestations formidables qui l'appuyaient en Irlande et des sympathies qu'il gagnait de plus en plus en Angleterre auprès des libéraux, se décidèrent, le 13 avril 1829, à faire voter le bill d'émancipation des catholiques. Il fut accepté par 348 voix contre 160. Tout catholique qui jurerait fidélité au roi serait déclaré électeur et éligible. Tout catholique serait déclaré admissible aux emplois civils et militaires, à l'exception de quelques hautes fonctions[96].

O'Connell n'avait pas seulement libéré les catholiques d'Irlande. L'acte d'émancipation embrassait, dans la plénitude de ses termes, tout l'empire britannique, non seulement l'Irlande, mais l'Ecosse, la Grande-Bretagne et ses colonies. Plus de cent millions d'hommes, sur des rivages baignés par vingt mers, pouvaient désormais se dire catholiques sans être traités comme un troupeau d'esclaves.

Le bill d'émancipation des catholiques fut salué comme un bienfait d'immense portée par l'opinion publique et par les cours de l'Europe, par les représentants les plus avérés du libéralisme en France et en Allemagne et par les porte-voix les plus autorisés des vieilles dynasties. Tandis que les disciples de La Mennais et de Gœrres y voyaient une préparation, pour les siècles à venir, de l'affranchissement des peuples chrétiens opprimés par la main de fer du despotisme[97], le prince de Metternich écrivait, le 19 avril 1829, au nom de l'empereur d'Autriche, à l'ambassadeur Esterhazy : Nous voyons dans cet événement (l'émancipation des catholiques), non seulement le triomphe d'une cause, mais également la consolidation d'une administration sur laquelle reposent nos dernières espérances de salut universel... L'empereur désire que Votre Altesse exprime de sa part à sa Majesté Britannique ses sincères félicitations sur l'issue d'une affaire qui ajoutera un nouveau fleuron à la gloire de son règne[98].

 

X

La désapprobation du bill d'émancipation, ou, du moins, une certaine anxiété au sujet des conséquences possibles de cet acte législatif, se rencontra pourtant chez plusieurs membres éminents et sincèrement religieux du clergé anglican. Nous avons vu qu'à l'époque même où O'Connell menait sa vigoureuse campagne en faveur de ses compatriotes catholiques, quelques esprits graves et pieux, frappés do la décadence de l'Eglise anglicane, avaient rêvé de lui communiquer une nouvelle vie-en la retrempant à ses sources anciennes. De ce nombre était John Newman. Cette liberté accordée à un culte étranger, admis presque sur le même pied que le culte établi, leur apparaissait comme une sorte de trahison envers la vieille Eglise nationale. Cette apparente indifférence leur semblait dictée, au moins en partie, par ce libéralisme révolutionnaire dont Newman se méfia toute sa vie[99]. Newman ignorait en ce moment que lui et ses amis iraient bientôt demander aux pratiques et aux dogmes catholiques, de mieux en mieux connus par eux, la régénération de l'esprit chrétien dont ils se préoccupaient à juste titre[100]. Leurs préjugés allaient tomber peu à peu.

Pour se rendre compte de pareils sentiments chez des âmes par ailleurs généreuses et élevées, il suffit de remarquer que le catholicisme leur apparaissait alors, à travers les calomnies protestantes, comme une abominable corruption du christianisme. Etant écolier, Newman croyait fermement que le pape était l'Antéchrist prédit par Daniel, saint Paul et saint Jean ; et telle était sa passion, qu'il avait effacé, dans son Gradus ad Parnassum, les épithètes qui accompagnaient le mot pape, comme vicarius Christi, sacer interpres, et les avait remplacées par des qualifications injurieuses[101]. De 1822 à 1824, Newman vit tomber quelques-uns de ses préjugés, par suite de ses relations avec un professeur de théologie, le Dr Lloyd, dont il suivit les conférences. Lloyd, qui avait connu dans sa jeunesse des prêtres français émigrés et avait été à même d'admirer leurs vertus et d'apprécier leurs doctrines, cherchait à ramener ses élèves à des vues moins malveillantes à l'égard de l'Eglise catholique[102]. Les rapports d'intimité qui s'établirent, peu de temps après, entre Newman et deux jeunes anglicans plus inclinés vers le catholicisme, Keble et  Froude, continuèrent l'œuvre commencée par Lloyd. La lecture des anciens Pères, que les trois jeunes gens étudièrent arec passion, pour y chercher des éléments de régénération chrétienne, détruisit, dans leur esprit, bien des idées préconçues. Les relations amicales et la collaboration d'idées qui s'établirent entre eux et un quatrième personnage, Edward Pusey, eurent un semblable résultat. Pusey, esprit indépendant de toute école, mais d'une piété douce et austère, rêvait, comme Newman,  Froude et Keble, d'infuser à l'Eglise d'Angleterre une vie intérieure plus conforme à l'esprit évangélique ; mais, chose étrange, quand il cherchait à répandre autour de lui des livres, des prières répondant à son but, il les trouvait presque toujours parmi les livres et les prières en usage dans l'Eglise romaine. Bref, vers 1827 et 1828, une telle transformation s'était, déjà produite dans l'esprit de Newman, qu'il écrivait que son esprit n'avait pas trouvé son repos, était en voyage, qu'il se sentait avancer lentement, conduit en aveugle par la main de Dieu, ne sachant où Celui-ci le menait[103]. Aussi, à cette époque, refusa-t-il de signer une pétition tendant à dénier les droits des catholiques[104] ; mais il persistait à penser que la faveur rencontrée par le projet d'émancipation était un signe des temps, une preuve de l'invasion du philosophisme et de l'indifférentisme[105]. Malgré tout, la vérité était en marche dans cette âme droite et sincère. Nommé, en 1826, tutor[106] dans le collège d'Oriel, position qui lui donnait une influence considérable sur les jeunes gens de l'université d'Oxford, puis promu, en 1828, tout en conservant ses fonctions de tutor, à l'important vicarage[107] de Sainte-Marie d'Oxford, ses instructions au peuple, ses directions intellectuelles aux jeunes gens qui se pressaient autour.de lui, s'inspirèrent de la transformation qui s'opérait dans son âme. Il devint un centre. De cette époque datent les relations qu'il noua avec plusieurs étudiants, Henry Wilberforce, Frederick Rogers, qui s'appellera plus tard lord Blachford, et William Gladstone, le futur premier ministre. De ces jeunes gens, de ces amis, les uns le suivront jusqu'au catholicisme, d'autres s'arrêteront en chemin ; mais tous conserveront à John Newman après comme avant sa conversion à l'Eglise romaine, un culte de vénération qui ne s'éteindra jamais.

 

XI

Le pape Léon XII ne put être témoin ni du bill d'émancipation des catholiques anglais, ni du mouvement de conversion au catholicisme que préparait Newman. Il était mort depuis deux mois quand parvint à Rome la nouvelle du grand acte du parlement qui rendait la liberté aux catholiques. Mais il y avait collaboré d'une manière aussi efficace que discrète, et c'est à juste titre que ses historiens lui en font honneur[108]. Une intervention directe du Saint-Siège dans la campagne menée par O'Connell, où les protestants affectaient de ne voir que les menées d'un parti politique, aurait pu avoir plus d'inconvénients que d'utilité. Léon XII s'en abstint ; mais par les lettres qu'il échangea avec le roi Georges IV[109], par les encouragements et les directions qu'il donna aux évêques catholiques anglais[110], il contribua puissamment au succès du mouvement qui aboutit au bill libérateur.

Le souverain pontife montra le même esprit de sage mesure et de tact politique dans les affaires qui troublèrent l'Espagne durant son pontificat.

Parmi les populations héroïques qu'on avait vues, de 1808 à 1814, se lever pour la défense du sol espagnol et tenir tête aux armées de l'empire, on pouvait distinguer, à côté des purs héros dont le patriotisme et la foi étaient les seuls mobiles, deux classes d'hommes. Les uns songeaient moins à défendre la monarchie et la religion, que la liberté de leurs juntes, l'indépendance de leurs guérillas. Les écrits des philosophes français et les principes de la Révolution n'avaient point pénétré chez eux ; mais, démocrates inconscients, libéraux sans le savoir, ils étaient prêts à accepter et à défendre toute institution politique favorisant la souveraineté du peuple, limitant les pouvoirs du roi et du clergé. Aussi furent-ils les champions de la Constitution de 1812, qui donnait aux Cortès une autorité prépondérante. A l'extrême opposé, des masses populaires acclamaient les privilèges du clergé et le pouvoir absolu du roi, moins par conviction réfléchie que par instinct batailleur, rancune contre les classes élevées, bourgeois, nobles, lettrés, qu'un roi absolu dominerait, qu'une inquisition puissante frapperait sans pitié, démagogie de forme particulière, moins hideuse qu'ailleurs, parce que le peuple avait plus de foi, un plus haut sentiment de dignité et d'honneur national, et que l'action de la religion comprimait, ennoblissait en partie ses penchants[111]. Ces masses joignirent leurs clameurs bruyantes aux acclamations par lesquelles la noblesse de cour, le clergé presque ailier et nombre de hauts dignitaires de l'armée et de la magistrature, accueillirent, en 1814, le retour du roi Ferdinand VII. Celui ci, grisé par ces manifestations enthousiastes, rétablit aussitôt le pouvoir absolu, et en fit un imprudent usage. Des inégalités arbitraires, des privilèges injustifiés furent rétablis ou institués. Les exils, les emprisonnements, les déportations se multiplièrent. Le gouvernement de Ferdinand VII n'eut rien, par ailleurs, de cette continuité et de cette unité dans la direction des affaires, par lesquelles les monarchies arbitraires se font pardonner leur despotisme. Les intérêts généraux de l'Etat ne furent pas moins sacrifiés que les intérêts particuliers. Les ports de mer étaient désertés, les arsenaux vides. Quand il voulut faire un effort pour réprimer l'insurrection des colonies espagnoles d'Amérique, qui venaient de profiter des troubles de la mère patrie pour se déclarer indépendantes, Ferdinand fut réduit à acheter à la Russie cinq vaisseaux et trois frégates ; et quand cette escadre arriva à Cadix, on s'aperçut qu'un vaisseau et une frégate seulement étaient en état de naviguer. Le corps expéditionnaire ne put s'embarquer. Le dévouement à l'Eglise, que le roi professait si haut, était lui-même sujet à caution. Il suspendit la nomination des prélats, afin d'employer à l'extinction de la dette les revenus des sièges vacants ; et l'Inquisition sembla devenir, entre ses mains, un rouage de l'administration royale.

Une réaction était inévitable. Elle éclata, injuste, violente, révolutionnaire, s'attaquant au roi, au clergé, à l'ordre social tout entier. Le 1er janvier 1820, deux jeunes officiers soulevèrent les troupes du corps expéditionnaire, qui attendait vainement, à Cadix, l'ordre de partir pour l'Amérique. Le mouvement se propagea Le général O'Connell, chargé de combattre l'insurrection, fit cause commune avec elle. Les sociétés secrètes en prirent la direction. Ferdinand, assailli dans sa capitale, se décida à jurer la constitution de 1812 et à promettre des institutions libérales. Il était trop tard. La Révolution le maintint prisonnier dans son palais, tandis qu'elle confisquait les biens d'Eglise, pour combler le déficit et garantir des emprunts.

Les puissances alliées s'émurent, non sans raison. Les représentants de la France, de la Russie, de l'Autriche, de l'Angleterre et de la Prusse, réunis à Vérone, le 20 octobre 1822, se préoccupèrent d'un mouvement qui leur parut menacer les bases du système européen. Le désordre qui a bouleversé l'Espagne, écrivait Metternich[112], est du genre de ceux qui empoisonnent et attaquent le principe de vie. La France, engagée à fond par ses deux plénipotentiaires, Montmorency et Chateaubriand, se chargea seule de l'expédition. Au désir de défendre l'ordre social et religieux menacé par la Révolution, se mêlait une préoccupation d'intérêt dynastique. Chateaubriand avait su communiquer au roi Louis XVIII son grand rêve. La légitimité, dit-il[113], allait pour la première fois brûler de la poudre sous le drapeau blanc, enjamber d'un pas les Espagnes, réussir sur le même sol où naguère les armées d'un conquérant avaient eu des revers, faire en six mois ce qu'il n'avait pu faire en sept ans. Ce rêve se réalisa. Le gouvernement espagnol, désorganisé, manquant à la fois de soldats et d'argent, ne put opposer aux français une résistance efficace. Le duc d'Angoulême, chargé du commandement de l'expédition, se couvrit de gloire à la prise du fort du Trocadéro, clé de la défense de Cadix, où le gouvernement s'était réfugié. Un des buts de l'expédition était atteint : la France venait de montrer à l'Europe qu'elle avait retrouvé une armée. Mais le second but, la pacification de l'Espagne, partant de l'Europe, ne fut pas réalisé. Ferdinand VII, en reprenant le pouvoir, dédaigna les conseils de modération que lui donnait le duc d'Angoulême, sévit contre les vaincus avec une impitoyable rigueur, et prépara par là de violentes représailles, qui troublèrent le reste de son règne. D'autre part, les colonies espagnoles d'Amérique, continuant à profiter des embarras de la métropole, s'en étaient définitivement séparées.

Le pape Léon XII avait suivi avec anxiété tous ces événements. L'échec des sectes révolutionnaires ne pouvait que le rassurer. Aussi, à la première nouvelle de la victoire française, invita-t-il le corps diplomatique et le Sacré-Collège à un Te Deum d'actions de grâces, qui frit célébré dans la basilique de Saint-Jean-de-Latran[114]. Mais il ne voulait pas, d'autre part, trop se solidariser avec la cause de Ferdinand VII. C'eût été retomber dans des pièges dont il avait eu déjà de la peine à s'échapper[115]. Il résolut de récompenser par une haute distinction honorifique le général.qui, dans cette affaire, s'était montré aussi modéré dans ses conseils que vaillant dans los combats ; et il fit hommage au duc d'Angoulême des deux insignes traditionnels par lesquels ses prédécesseurs avaient honoré les grands défenseurs de la chrétienté don Juan d'Autriche, après la bataille de Lépante ; Sobieski, après la bataille de Vienne ; le prince Eugène, après la bataille de Pétervaradin. C'étaient une sorte de chapeau du moyen âge, appelé en italien berettone, et une lourde épée, nommée stoco[116]. En même temps, pour bien montrer qu'il n'était pas inféodé à la monarchie espagnole, il n'hésitait pas à entrer en relations avec les Etats d'Amérique qui venaient de se séparer de l'Espagne et de se constituer en Républiques[117]. Plusieurs sièges épiscopaux y étaient vacants. L'Espagne, bien qu'ayant perdu toute autorité efficace sur ces pays, réclamait avec persévérance le droit de présenter des candidats à ces évêchés. Léon XII, dans le consistoire du 21 mai 1827, déclara aux cardinaux qu'il venait de pourvoir ces Eglises de dignes serviteurs, par les soins desquels, bientôt lavées de leurs souillures, elles refleuriraient et donneraient des fruits abondants de salut[118]. Il venait d'agir ainsi sans le concours de personne, mais en vertu de sa seule autorité apostolique et de son devoir primordial de paître les agneaux et les brebis. La cour de Madrid montra du mécontentement. Ferdinand VII manifesta sa mauvaise humeur en différant de recevoir Mgr Tiberi, envoyé à Madrid en qualité de nonce. Dans une même inspiration, le gouvernement espagnol diminua, à cette occasion, les secours qu'il avait l'habitude d'envoyer en Terre Sainte[119]. Le souverain pontife écrivit au roi d'Espagne : Parce que nous plaçons des évêques là où, depuis plus de douze ans, vous ne commandez plus, faut-il que vous menaciez même vos Etats d'Espagne, restés fidèles, d'un système d'altercations avec le Saint-Siège ? Nos devoirs viennent d'En haut. Vous ne pouvez pas dire que nous n'avons pas écouté votre ambassadeur, M. de Vargas. Il serait lui-même auprès de vous, qu'il vous rendrait compte en témoin véridique de notre vive douleur d'avoir aujourd'hui à résister aux désirs de Sa Majesté Catholique[120].

M. de Labrador, envoyé peu de temps après à Rome par Ferdinand VII, en remplacement de M. de Vargas, eut la joie de contribuer au rétablissement de la bonne harmonie entre la cour d'Espagne et le Saint-Siège.

 

XII

Les troubles d'Espagne avaient eu leur répercussion en Italie ; et là aussi Léon XII, tout en applaudissant à la répression des menées révolutionnaires, n'eut pas toujours à se louer de l'attitude des pouvoirs absolus à son égard.

Par le nombre toujours croissant de ses sociétés secrètes, qui, sons divers noms et sous diverses formes, étendaient leurs ramifications, non plus seulement dans les Abruzzes, mais aussi dans les Romagnes, dans le Piémont, dans la Lombardo-Vénétie et dans les duchés, l'Italie avait désormais des cadres constitués pour une agitation révolutionnaire. Pour qu'elle éclatât, il suffisait qu'un peuple voisin donnait l'exemple, ou qu'une mesure répressive extraordinaire, émanant de l'autorité, parût une provocation. Les deux faits se produisirent presque simultanément. En 1820, Ferdinand Ier, roi des Deux-Siciles, essaya d'opposer aux carbonari les calderari ou chaudronniers, qui se firent les soutiens du pouvoir absolu. En même temps, la nouvelle de la révolution d'Espagne parvenait en Italie. Le 2 juillet, deux jeunes sous-lieutenants de l'armée napolitaine, Morelli et Silvati, à l'instigation du prêtre Minichini, soulèvent la troupe, se dirigent vers Naples, et forcent le roi à jurer la constitution espagnole de 1812. Le mouvement de révolte gagne le Piémont, où une assemblée révolutionnaire se déclare junte de la confédération italienne, et proclame pareillement la constitution espagnole. Les monarques alliés, réunis en congrès à Troppau, en octobre-décembre 1820, chargent l'Autriche d'intervenir en Italie. L'armée autrichienne disperse les révolutionnaires à Novare. Mais la haine contre l'étranger, c'est-à-dire contre l'Autriche et contre les puissances alliées, ne fait que croître. Les sociétés secrètes exploitent le sentiment national pour parvenir à leur but, qui est la Révolution antisociale et antireligieuse. Les monarchies essayent en vain, quand tout leur semble perdu, de composer avec elles, de leur donner des gages. Leurs concessions ne font qu'exciter l'audace de la secte. Léon XII, s'entretenant avec le cardinal Bernetti, s'écrie : Nous avons pourtant averti les princes, et les princes dorment encore ! Nous avons averti leurs ministres, et leurs ministres n'ont pas veillé ![121] Le carbonarisme va jusqu'à établir ses ventes dans Rome même[122]. Une presse soudoyée par elles répand à profusion la calomnie contre toute autorité établie, essaie de compromettre l'Eglise dans les mesures prises par les princes. L'attentat commis contre le cardinal Rivarola, en 1826, à Ravenne, est un des résultats de ces malsaines excitations[123]. Cependant, au milieu de tous ces troubles, le roi de Naples, manifestement soutenu par les souverains alliés, trouve le moyen de revenir sur cette éternelle question de la haquenée, qui, depuis le moyen âge, avait si souvent mis aux prises la monarchie sicilienne avec le Saint-Siège, et que le concordat de 1818 semblait avoir définitivement réglée. Le 9 avril 1825, le baron de Damas, ministre des affaires étrangères en France, est chargé par l'ambassadeur de Naples, Fuscaldo, d'intervenir à ce sujet auprès du Saint-Siège. Le langage du plénipotentiaire est d'une hauteur presque insolente. Ces prétentions du Saint-Siège, écrit-il dans sa dépêche, remontent au temps où il en avait sur la plupart des couronnes. Mais, ajoute-t-il, le cours des siècles les a fait tomber en désuétude ; l'indépendance du trône est devenue la plus sûre garantie de la prospérité des Etats et même de la religion. L'ambassadeur d'Autriche s'associe aux déclarations du ministre français. Le pape Léon XII répond qu'il n'est pas maître de renoncer à un droit établi en faveur du Saint-Siège par des traités authentiques. Nous ne sommes dépositaires de nos droits, dit-il[124], qu'en qualité de prince électif. Nous sommes plus astreint qu'aucun souverain de l'Europe à ne jamais nous désister d'aucune prérogative de la couronne. Cette réponse, faite à des souverains qui faisaient reposer toute la légitimité de leurs droits sur l'inviolabilité des conventions et des traditions qui les avaient jadis consacrés, était sans réplique.

Au moment où Léon XII mettait ainsi fin au conflit soulevé par les cours de Naples, de Paris et de Vienne, son attention était appelée vers l'Eglise des Pays-Bas. Là aussi un souverain mettait des entraves à l'action du Saint-Siège ; là aussi s'agitaient des passions populaires, qui devaient aboutir, quelques années plus tard, à une révolution de Léon XII.

Vers le milieu de l'année 1825, trois faits graves éveillèrent la sollicitude du souverain pontife par rapport aux Pays-Bas. Ce furent : 1° l'élection d'un évêque schismatique à Deventer ; 2° l'attitude hostile prise par le roi Guillaume à l'égard des catholiques, et 3° l'effervescence soulevée par cette hostilité dans les provinces de Belgique.

Depuis que le Chapitre janséniste d'Utrecht s'était arrogé le droit, en 1722, de nommer un évêque, le schisme s'était perpétué en Hollande. En 1825, un certain Guillaume Vet, ayant été illégalement élu évêque de Deventer, un des prétendus sièges suffragants d'Utrecht, eut l'audace de faire part à Léon XII de son élection. Le souverain pontife, à cette occasion, adressa, le 17 août 1825, un Bref aux fidèles de Hollande. Il y déclarait l'élection de Vet nulle, son sacre illégitime, et exhortait les catholiques à se grouper autour du Siège apostolique, centre de l'unité[125].

Ce Bref parvint aux Pays-Bas au moment où les provinces catholiques de Belgique, arbitrairement annexées à la Hollande protestante par les traités de 1815, subissaient une violente persécution de la part du roi. En dépit de la loi fondamentale du royaume, qui garantissait la liberté de conscience, le roi Guillaume Ier tracassait de toutes manières le clergé et les fidèles catholiques. Le 'A juin 1823, il avait promulgué deux décrets, en vertu desquels aucune école ne pouvait s'ouvrir sans l'assentiment du gouvernement, lequel se réservait la nomination de tous les maîtres et la surveillance desdites écoles. De plus, toutes les institutions non approuvées, en particulier tous les séminaires épiscopaux, devaient se considérer comme dès lors supprimées. Tous les aspirants à l'état ecclésiastique fréquenteraient désormais les écoles officielles, en particulier un certain collège philosophique. Or, ces écoles officielles donnaient un enseignement notoirement hostile au catholicisme.

L'irritation du peuple belge fut d'autant plus grande, qu'à l'indignation soulevée par la persécution religieuse se joignait l'aversion d'un peuple opprimé contre un peuple oppresseur. Les sociétés secrètes, promptes à s'emparer de tous les mouvements populaires pour ébranler partout le principe d'autorité, n'allaient-elles pas essayer de compromettre les populations persécutées de la Belgique dans quelque entreprise révolutionnaire ? Léon XII parait l'avoir redouté. Il adressa une énergique réclamation au roi Guillaume Ier ; mais il fit écrire, en même temps, par Mgr Mazio, une lettre par laquelle il recommandait aux catholiques et au clergé de garder une attitude passive, jusqu'au moment où le Saint-Siège jugerait à propos de statuer sur la situation[126].

Fidèles au mot d'ordre donné par le pape, les évêques de Gand, de Tournai, de Malines, s'abstinrent de toute manifestation quand leurs séminaires furent supprimés. Pendant ce temps-là, le pape ne restait pas inactif. Pour montrer sa désapprobation de toute violence, il faisait blâmer un pamphlet, où le roi Guillaume était appelé Luther couronné ; mais, en même temps, il donnait l'impression d'une résistance irréductible et laissait entrevoir que la continuation des mesures vexatoires déchaînerait parmi les catholiques un mouvement de révolte que sa volonté seule comprimait. Cette attitude de Léon XII eut pour résultat l'envoi, par le ministre de l'intérieur des Pays-Bas, d'une circulaire déclarant que désormais la fréquentation du collège philosophique par les candidats aux saints ordres serait simplement facultative, et non plus obligatoire. Un peu plus tard, le 18 juin 1827, un concordat en règle fut signé à Rome par le cardinal Cappella ri, un autre représentant du Saint-Siège et deux représentants du roi des Pays-Bas. Le second article de cette convention stipulait que chaque diocèse des Pays-Bas aurait son Chapitre et son séminaire ; et le troisième article portait que l'élection des évêques serait dévolue aux Chapitres avec confirmation par le souverain pontife[127].

Malheureusement ce concordat ne fut pas consciencieusement exécuté par le gouvernement des Pays-Bas. Des ministres sectaires pesèrent sur le roi. Dès le mois d'avril 1828, le Courrier des Pays-Bas, cherchant à détourner les responsabilités, essayait de rendre responsable de cette inexécution la mauvaise volonté du pape, qu'il représentait convoitant les libertés et le repos du pays. Léon XII avait simplement demandé des explications au sujet d'une circulaire confidentielle du gouvernement, qui, peu de temps après la promulgation du concordat, avait alarmé les catholiques, en paraissant dire le contraire de ce qu'avait affirmé le traité solennel conclu avec le Saint-Siège[128]. L'agitation catholique recommença ; elle devait, en se combinant avec d'autres oppositions d'ordre national et économique, aboutir à la révolution de 1830, qui proclama l'indépendance de la Belgique.

 

XIII

Un conflit du même genre, mais plus aigu, agitait, à l'est de l'Europe, la catholique Pologne, asservie à l'empire schismatique des tsars.

Le tsar Alexandre Ier, fidèle à la politique religieuse de son prédécesseur Paul Ter, n'avait pas repris les traditions persécutrices de l'impératrice Catherine II à l'égard de la nation polonaise. Il avait même voulu faire de la Pologne un Etat indépendant, ayant le droit de garder ses institutions distinctes, sa langue, son administration, son armée, sa hiérarchie catholique. Son tort fut de maintenir à la tête de cette hiérarchie catholique un homme qui, poussant à l'extrême les traditions du plus pur fébronianisme, eut pendant cinquante-quatre ans de faveur et de puissance, le talent de se servir de l'Eglise sans la servir jamais, et qui acheta par des trahisons les honneurs qu'elle lui accorda en gémissant, ou qu'il usurpa sans pudeur[129]. Nous voulons parler de Stanislas Siestrzencewicz, né calviniste, ancien soldat, que les intrigues de Catherine II avaient fait monter sur le siège métropolitain de Mohilev. Siestrzencewicz avait obtenu d'Alexandre Ier l'institution officielle du trop fameux collège ecclésiastique catholique romain, qui, siégeant à Pétersbourg, à l'instar du saint-synode, et composé d'hommes sans conscience, sans religion et sans mœurs[130], y devint l'instrument presque tout-puissant du pouvoir temporel. L'indigne prélat couronna son œuvre eu arrivant, par ses intrigues, à faire éloigner le nonce apostolique, dont la seule présence à Pétersbourg contrecarrait toutes ses mesures. Malgré tout, la foi énergique des catholiques polonais leur permit de maintenir et même, sur certains points, de perfectionner leur organisation. Avec le tsar Nicolas Ier, parvenu au trône en 1826, les traditions odieuses de Catherine II reparurent. Le jour de son couronnement, le nouvel empereur accueillit avec beaucoup d'égards l'envoyé du souverain pontife, Mgr Bernetti ; et plusieurs mesures libérales, prises au début de son règne, impressionnèrent favorablement Léon XII, qui disait alors de lui : De tels actes sont pleins de grandeur ; tout cela est digne d'Henri IV. L'avenir démentit cruellement ces espérances.

On a dit que l'insurrection polonaise avait provoqué l'absolutisme de Nicolas Ier. Les faits démentent cette assertion. Ce fut en pleine paix, par un oukase du mois de février 1826, que Nicolas commença la guerre contre l'Eglise unie, que l'humanité de Paul et d'Alexandre Ier avait laissé se relever de ses ruines. Cet oukase défendait à tous les marchands polonais ou russes, appartenant à l'Église unie, de vendre dans les foires ou toute autre réunion de peuple, dans la petite Russie, la Russie Blanche ou ailleurs, aucun livre à l'usage des fidèles de cette Eglise. Mais ce ne fut là qu'un préliminaire insignifiant, dont la date seule importe. L'oukase du 22 avril 1828, antérieur de deux ans à l'insurrection polonaise, de onze ans à la chute définitive de l'Eglise unie, est la vraie cause de sa ruine... Cet oukase instituait, à l'instar du saint-synode établi par Pierre le Grand, et du collège catholique romain dont Siestrzencewicz avait dressé le plan, un collège ecclésiastique grec uni. C'était, comme le remarquera plus tara te pape Grégoire XVI dans une mémorable allocution[131], une dépendance presque totale imposée par le gouvernement russe aux évêques dans l'exercice de leur autorité. Aussi tous les actes qui suivirent ne furent que le développement logique de celui-ci. Exclusion formelle de la surveillance de l'enseignement du clergé séculier et régulier, prononcée contre les évêques et les supérieurs d'ordres religieux, et, par suite, intrusion forcée de personnes séculières et de dissidents dans l'administration des choses ecclésiastiques ; suppression ou bouleversement complet des ordres religieux, auxquels on imposait arbitrairement des règlements nouveaux en ce qui concerne la profession, les vœux monastiques, le noviciat, les études, de manière à rendre moralement impossible le recrutement des couvents qu'on ne supprimait pas ; vacances systématiquement prolongées des sièges épiscopaux, et choix prémédité, pour les occuper, de personnes incapables ; confiscations réitérées des biens des couvents[132] : tels furent les premiers attentats commis par le gouvernement du tsar Nicolas Ier contre l'Eglise catholique.

Parallèlement à ces mesures de persécution religieuse, des actes répétés d'oppression systématique visaient particulièrement la nation polonaise. Nicolas avait accepté d'être couronné roi de Pologne ; mais il cessa de convoquer la Diète et laissa gouverner la Pologne par des absolutistes qui parlaient de révoquer la charte de 1815. L'un d'eux déclara : Il ne s'agit pas de discuter, mais d'obéir. Ce régime irritait tous les Polonais ; mais, sur la conduite à tenir, ils se divisaient en deux partis. Les grands propriétaires et le clergé aimaient encore mieux se soumettre au despotisme de Nicolas que d'exposer la nation polonaise à la destruction complète ; on attendrait des temps meilleurs. C'était le parti de la prudence, surnommé les blancs. Les jeunes gens, les étudiants de Varsovie, admirateurs de la Révolution, voulaient la lutte ouverte contre le tsar pour défendre la liberté. C'était un parti patriote et démocrate, surnommé les rouges, dirigé par des sociétés secrètes en rapport avec les carbonari[133]. Jusqu'en 1830, le parti blanc réussira à contenir le parti rouge.

Ainsi, en Pologne comme en Belgique, en France comme en Italie, les catholiques, dans leur ensemble, obéissant aux directions de Léon XII, soutenaient l'autorité sans se livrer au despotisme, étaient prêts à lutter pour la liberté en repoussant toutes compromissions avec les sociétés révolutionnaires. La question de la mesure à garder parut particulièrement difficile à propos de l'insurrection grecque. Les sympathies créées en faveur du peuple hellène par les écrits de Chateaubriand et de lord Byron, les souvenirs d'un passé glorieux, l'énergique résistance d'un peuple chrétien à l'Islam, avaient d'abord excité en Europe un enthousiasme presque universel. Artaud de Montor, alors attaché à l'ambassade de Rome, constate que des personnes de l'école de Consalvi applaudissaient aux efforts des Grecs, comme devant amener des jours heureux pour le catholicisme[134]. Mais plusieurs personnages romains ne partageaient pas ces sentiments. Ils pensaient qu'un schismatique grec est souvent plus redoutable que tous les Ottomans ensemble[135]. Ces dissidences se manifestèrent particulièrement à l'occasion de l'arrivée à Rome, en 1825, d'un capitaine grec, du nom de Chiefala, venu en apparence pour traiter la question de la réunion de l'Eglise grecque à l'Eglise latine. Mais ce prétendu plénipotentiaire ne put pas justifier avec évidence qu'il avait reçu de pleins pouvoirs à ce sujet. Il fut tout à coup discrédité, parce qu'on s'aperçut qu'à sa qualité d'envoyé extraordinaire, il joignait la prétention d'offrir à bon marché un excellent vin de Chypre. M. Stalinsky, représentant diplomatique de la Russie, dit à son sujet : Que veut ici un homme qui vend du vin et des Eglises ? Léon XII ne vit dans toute communication à cet égard que le danger de se compromettre ; il se déroba à tous pourparlers, et l'affaire n'eut pas de suite.

L'attitude peu nette de la Grèce par rapport au catholicisme était d'autant plus pénible au cœur.de Léon XII que de tristes nouvelles lui parvenaient des missions établies dans ce pays. En cette même année 1825, le duc de Laval, ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, confiait au cardinal secrétaire d'État la copie de deux lettres que le baron de Damas venait d'écrire à Mgr Frayssinous, ministre des affaires ecclésiastiques. La première, datée du 2 juin, relatait que la mission de Grèce, confiée aux Capucins, ne comptait plus que treize religieux, répartis entre les maisons de Péra, Smyrne, Scio Naxie, Syra et la Canée. Les résidences d'Athènes, de Parchia, d'Argentière, de Milo et d'une partie de Candie n'avaient plus per-

La mission de Syrie, également desservie par les Capucins, se trouvait dans un état plus lamentable. Elle ne comptait plus que deux religieux, l'un à Alger, l'autre à Beyrouth. Tous les autres postes, à savoir Diarbékir, Damas, Tripoli, Seyde, Hédé, Soleyman et Gabaïl, n'étaient pas habités. Les missions des Lazaristes étaient dans le même état de décadence. Là où trente Religieux au moins auraient été nécessaires, on n'en comptait plus que dix, presque tous âgés ou infirmes[136]. Les rapports qui parvenaient au Saint-Siège sur l'état des autres missions étrangères n'étaient pas moins tristes. On lisait, dans l'Ami de la religion du 22 mai 1824, les lignes suivantes[137] : Le séminaire des Missions étrangères a reçu des nouvelles très fâcheuses sur la situation de sa mission... La mission de Siam est réduite à son seul Vicaire apostolique, chargé d'années et d'infirmités... La mission du Tonkin occidental, dans laquelle il y a plus de 200.000 chrétiens, plus de 90 prêtres du pays, un séminaire, deux collèges et environ quarante maisons de religieuses, n'a plus de missionnaire européen qu'un évêque âgé de soixante-douze ans... La Cochinchine, qui compte environ 80.000 chrétiens, n'a plus qu'un évêque âgé de quatre-vingts ans et trois jeunes missionnaires français... La mission de Pondichéry, où l'on compte 500.000 fidèles, dispersés dans plusieurs royaumes, n'a, outre l'évêque, que, six missionnaires français et cinq prêtres indiens, qui sont d'un faible secours... Que deviendront ces missions, si l'on n'y envoie un renfort d'ouvriers évangéliques suffisant pour entretenir tout le bien qui y a été fait ? Les évêques des Etats-Unis demandaient à l'Europe des ressources[138] et des missionnaires[139]. Les Pères du Saint-Esprit ne pouvaient satisfaire aux besoins religieux des colonies[140]. Presque partout, les ressources et les hommes manquaient. Il n'était pas au pouvoir du souverain pontife de remédier immédiatement à tous ces maux ; mais il travailla très efficacement à préparer la rénovation des missions étrangères, qui allait se produire quelques années plus tard. A l'exemple de Pie VII, il encouragea par des faveurs spirituelles l'œuvre de la Propagation de la foi, qui, établie le 3 mai 1822 à Lyon, recueillait chaque année des aumônes croissantes et, par ses Annales, paraissant tous les deux mois et remises gratuitement à chaque dizaine d'associés, faisait connaître aux catholiques les besoins des missions. D'autre part, les congrégations religieuses, approuvées et bénies par Léon XII, préparaient à l'apostolat lointain de nombreux ouvriers.

 

XIV

Cependant, ni la préoccupation de ces grandes œuvres, ni le souci des négociations poursuivies avec les divers Etats européens ne détournaient le zélé pontife des soins de son gouvernement temporel et spirituel.

Léon XII mit tout en œuvre pour assurer d'abord la tranquillité matérielle dans ses Etats. Des brigands infestaient encore, à cette époque, les grands chemins et, leurs crimes accomplis, se retiraient dans les montagnes presque inaccessibles des Apennins ou de la Calabre. Le pape commença par employer les moyens de douceur. Il fit distribuer des récompenses à ceux qui faisaient leur soumission. Des mesures plus sévères furent employées contre les réfractaires obstinés. La lutte fut longue. Au cardinal Pallotta, qui fut d'abord chargé de la répression, et qui ne put y réussir, Léon XII dut substituer Mgr Benevutti, à qui fut adjoint, en qualité de commandant militaire, un colonel de carabiniers, nommé Ruvinetti. Cet officier énergique engagea résolument la lutte contre le fameux Massarone, chef des brigands, et rendit la sécurité aux Etats pontificaux. La limitation des débits de boissons était encore une mesure que réclamait la tranquillité publique. Elle fut, étant données les habitudes de la population, l'occasion de longues luttes, qui se prolongèrent pendant tout le pontificat de Léon XII[141]. Les débordements de l'Anio étaient, pour les habitants des environs de Tivoli, l'occasion de grandes ruines. Le pontife fit faire de grands travaux, qui les mirent à l'abri de tout danger[142]. Des réformes administratives, financières et judiciaires, sur les détails desquelles nous n'avons pas à entrer ici, firent régner l'ordre dans le gouvernement[143]. Un des plus grands travaux de Léon XII fut la reconstruction de la basilique de Saint-Paul-hors les murs, qu'un incendie avait détruite pendant les derniers jours du règne de Pie VII. Léon XII fit appel, pour la rebâtir, à la générosité des fidèles de tout l'univers catholique, qui répondirent généreusement à son appel[144]. La réorganisation de l'enseignement supérieur[145], la rénovation de la vie paroissiale[146] et la restauration de la vie religieuse dans les diverses communautés d'hommes et de femmes[147] furent l'objet de la constante sollicitude du pieux pontife.

Léon XII, alors qu'il était cardinal-vicaire, avait souvent demandé à Pic VII un adoucissement au sort des juifs, relégués à Rome dans un quartier fort étroit. Pie VII avait accédé à ces vœux ; mais les circonstances ne lui avaient pas permis de les réaliser. Une fois pape, Léon XII exécuta ce qu'il avait proposé à son prédécesseur. Le quartier des juifs ou Ghetto, dit son historien, fut étendu, assaini, enrichi d'une fontaine ; enfin les lois de l'humanité et d'une sage tolérance furent également respectées[148]. Pour bien montrer, d'ailleurs, que cette condescendance envers des juifs malheureux n'impliquait, de sa part, aucune pensée d'indifférence dogmatique, le pape condamna les sociétés secrètes, et en particulier la secte des Carbonari, en leur reprochant principalement d'avoir pour but de laisser à chacun la liberté de se former, à son caprice, une religion, et d'introduire ainsi, en fait de religion, une indifférence qui ne pouvait avoir pour résultat qu'une déplorable ruine[149]. Il leur reprochait aussi d'enseigner qu'on a le droit d'exciter des séditions pour dépouiller de leurs pouvoirs les rois et les autres souverains[150]. Par là, Léon XII venait en aide aux efforts des souverains alliés ; qui, dans les congrès ou conférences d'Aix-la-Chapelle, Carlsbad, Troppau, Laibach, Vérone, tenus tous, sauf le dernier, avant la publication de l'encyclique, avaient étudié les mesures à prendre afin d'anéantir la funeste influence des sociétés secrètes. Mais telles étaient les ramifications que le mal avait déjà poussées, tel était l'aveuglement de certaines cours, habilement trompées par des adeptes adroits et hardis, que jamais ils ne purent atteindre ce but, qu'ils poursuivirent d'ailleurs dans des vues trop exclusivement politiques[151]. Le grand moteur de la politique conservatrice en Europe, le prince de Metternich, si renommé pour sa clairvoyance, n'avait-il pas, dans sa chancellerie, pour secrétaire intime, un membre de la Haute-Vente, dont le nom de guerre était Gætano[152] ? De telles compromissions n'étaient-elles pas de nature à annuler tous les efforts tentés par des mesures de répression extérieure ? Ces erreurs ou ces faiblesses des chefs d'État et de leurs ministres furent, nous l'avons déjà constaté, le sujet des plus grandes préoccupations de Léon XII.

Vers la fin de l'année 1828, il fut visible que tant de peines et de travaux avaient usé la santé, déjà si chancelante en 1823, du souverain pontife. On rapporte qu'à la fin de janvier 1829, s'entretenant avec un prélat de sa maison, Mgr Testa, il lui dit : Dans peu de jours, nous ne nous verrons plus. Le jour de la Purification, il assista à tout l'office dans la chapelle Sixtine. Vers le soir du 5 février, il ressentit les premières atteintes d'une strangurie. Malgré les soins assidus de plusieurs médecins, la maladie augmenta. Le 9, Léon XII demanda que le saint Viatique lui fût administré. Il répondit avec piété et courage aux prières liturgiques. Sur le soir du 9 février, il entra dans un profond assoupissement et rendit le dernier soupir le 10 février, au matin, dans la soixante-neuvième année de son âge.

L'absence, presque complète, d'événements retentissants sous le règne de Léon XII ne doit pas faire illusion sur l'importance de son pontificat. Nulle part, il est vrai, l'Eglise ne triomphe définitivement ; mais partout elle lutte, partout elle prélude à ses conquêtes futures. En France, le gallicanisme, encore vivant chez les survivants d'un autre âge, est gravement mis en échec par la jeune école catholique ; en Allemagne, l'Ecole de Munich jette un vif éclat ; en Angleterre, une renaissance à la foi romaine se prépare. L'Irlande, la Belgique et la Pologne marchent vers leur libération ; et, pour restaurer les missions lointaines, en décadence depuis la fin du XVIIIe siècle, l'Œuvre de la Propagation de la foi, de plus en plus prospère, et de jeunes congrégations, de plus en plus fécondes en apôtres, recueillent en abondance les ressources et les hommes dont l'Eglise aura besoin.

L'ardeur qui mène au combat les générations nouvelles n'est pas exempte d'illusion et, çà et là, d'erreurs manifestes. Le danger apparaît surtout en France avec La Mennais, en Allemagne avec les théologiens trop pénétrés des principes de Kant. Le libéralisme et le criticisme rationaliste apparaissent déjà comme des périls qu'il faudra bientôt combattre. Le mouvement révolutionnaire de 1830 va les mettre en plus grande évidence, sous le court pontificat du pape Pie VIII.

 

 

 



[1] J. DE MAISTRE, Lettres et opuscules, 2 vol. in-I2, Paris, 2e édit., 1853, t. I, p. 325.

[2] J. DE MAISTRE, Lettres et opuscules, t. I, p. 325.

[3] Il y a de même passé en maxime que l'on peut priver une nation, malgré elle, de son légitime souverain. Voici la première conséquence, directe et inévitable : donc on le peut, à plus forte raison, si la nation le demande. Mais si la nation peut faire juger son souverain, pourquoi ne pourrait-elle pas le juger ? (J. DE MAISTRE, Lettres et opuscules.)

[4] Sur le rôle très important de Consalvi au congrès de Vienne, voir le P. RINIERI, Il congresso di Vienne e la Santa Sede, Della diplomazia pontificale nel secolo XIX, t. IV, Rome, 1904.

[5] Voir les détails du conclave de 1823 dans ARTAUD DE MONTOR, Hist. de Léon XII, t. I, p 26-79, et dans TERLINDEN, le Conclave de Léon XII, Revue d'histoire ecclésiastique, 1913, t. XIV, p, 272-303.

[6] Cardinal WISEMAN, Souvenirs sur les quatre derniers papes, trad. GŒMARE, un vol. in-8°, Bruxelles, 1858, p. 199.

[7] ARTAUD DE MONTOR, Histoire de Léon XII, 2 vol. in-8°, Paris, 1843, p. 18.

[8] WISEMAN, Souvenirs sur les quatre derniers papes, p. 212-213. — Le portrait le plus authentique de Léon XII est celui qui a été peint par Giorgiacomo et gravé par Lepri (Roma, calcographia R. C. A.). Au lendemain de l'élection de Léon XII, un éditeur parisien, pressé de publier un portrait du nouveau pape, ne trouva rien de mieux que de reproduire le portrait de M. Olier, peint par Strésor et gravé par Boulanger, et d'y insérer le nom de Léon XII. On peut en voir des exemplaires au Cabinet des Estampes.

[9] En 1814, tandis que Consalvi était accrédité auprès de tous les souverains réunis à Paris, un parti politique peu favorable au cardinal avait fait donner à Mgr Della Genga, alors archevêque de Tyr, une mission auprès de Louis XVIII. Consalvi, blessé du procédé, dans lequel il vit une marque de méfiance à son endroit, se laissa aller à des paroles vives, dirigées contre le prélat (ARTAUD, I, p. 15-16). Cf. P. RINIERI, Missione a Parigi di Monsignor Della Genga e del cardinale Consalvi (maggio 1814) Civiltà cattolica, 1902, 18e série, t. VI, p. 272-287.

[10] ARTAUD DE MONTOR, Hist. de Léon XII, t. I, p. 85-86.

[11] WISEMAN, op. cit., p. 217-218.

[12] Voir un compte rendu détaillé de cet entretien dans ARTAUD DE MONTOR (Hist. de Léon XII, t. I, p. 166-171), qui déclare en tenir les principaux traits du duc de Laval, ambassadeur de France, de la duchesse de Devonshire, et enfin du pape Léon XII lui-même (ARTAUD, I, p. 166, note 2).

[13] ARTAUD DE MONTOR, Hist. de Léon XII, t. I, p. 171-172.

[14] ARTAUD, I, p. 115.

[15] ARTAUD, I, 132.

[16] ARTAUD, I, 336-337.

[17] Lettre de Louis XVIII à Léon XII, en date du 14 octobre 1823 (ARTAUD, I, 106-107).

[18] Voir le texte entier de la lettre dans ARTAUD, I, 234, 239.

[19] ARTAUD, I, 321.

[20] ARTAUD, I, 306.

[21] En l'absence de l'ambassadeur, qui était le duc de Laval-Montmorency, le chevalier Artaud de Montor, premier secrétaire d'ambassade, remplissait les fonctions de chargé d'affaires.

[22] ARTAUD, I, 305-335. Rome, disait à ce propos un observateur sagace, le diplomate russe Italinski, Rome est invulnérable sur le dogme ; quant aux affaires qui ne sont pas de dogme et qu'on appelle politiques, Rome est le seul pays où on ne fasse jamais une maladresse à fond. (Ibid., p. 327.) Cf. ibid., I, 345-346.

[23] ARTAUD, I, 345-346.

[24] Ami de la Religion, du 8 juillet 1824, p. 245.

[25] L. DE BONALD, Mélanges littéraires, politiques et philosophiques, 3e édit., un vol. in-8°, Paris, 1852, p. 129. — L'étude de Bonald avait d'abord paru dans le Spectateur français de juin 1809.

[26] Archives de Saint-Sulpice. M. Christian MARÉCHAL, dans son livre sur la Jeunesse de La Mennais, un vol. in-8°, Paris, 1913, p. 581-583, a analysé le travail de M. Boyer.

[27] MARÉCHAL, la Jeunesse de La Mennais, p. 584-591.

[28] PAGUELLE DE FOLLENAY, Monsieur Teysseyre, un vol. in-18, Paris, 1882, p. 380- 410.

[29] MARÉCHAL, la Jeunesse de La Mennais, p. 598 et s., et passim.

[30] Correspondance du prince de Talleyrand et de Louis XVIII, Préface, p. 6.

[31] Le scepticisme religieux et moral de Talleyrand est assez connu. Metternich ne manquait pas, dit-on, de qualités morales dans la vie privée, et il faisait profession de foi catholique ; mais, comme l'a reconnu un auteur très sympathique à sa personne et à son œuvre, la physionomie imperturbable du ministre semblait recouvrir un cœur qui ne battait point. Il se rendait compte de cette impression ; il en donnait une explication qui revient fréquemment dans ses lettres. Il distingue en lui deux moi, entre lesquels les affaires élèvent une barrière infranchissable. Ma vie, écrit-il, est composée de deux parties, que mon caractère me permet de conduire parallèlement l'une avec l'autre, et qui jamais ne se confondent. (Ch. DE LACOMBE, le Prince de Metternich, dans le Correspondant du 10 déc. 1882, p. 912.)

[32] ARTAUD, I, 337-366.

[33] WISEMAN, Souvenirs sur les quatre derniers papes, p. 255.

[34] Si dirà quel che si dirà ; si ha da far il Giubbileo (ARTAUD, I, 369).

[35] WISEMAN, Souvenirs sur les quatre derniers papes, p. 156-257.

[36] Voir le récit de ces fêtes dans WISEMAN, Souvenirs sur les quatre derniers papes, p. 251-271 ; ARTAUD, I, 413-423.

[37] CRÉTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Révolution, II, p. 74.

[38] ARTAUD, I, 335. — TACITE, Annales, XV, 2.

[39] C'est la comparaison employée par Emile OLLIVIER dans l'Eglise et l'Etat au concile du Vatican, 2 vol. in 12, Paris, 1870, t. I, p. 281.

[40] Matthieu-Mathurin Tabaraud, prêtre de l'Oratoire, né à Limoges en 1744, mort dans la même ville en 1832, avait publié, entre autres ouvrages : une Histoire critique de l'assemblée du clergé de France en 1682, des traités sur l'Appel comme d'abus, et sur l'Inamovibilité des pasteurs du second ordre, et plusieurs ouvrages spécialement dirigés contre les jésuites : Essai sur l'état des jésuites en France, Du pape et des jésuites.

[41] FRAYSSINOUS, les Vrais principes de l'Église gallicane, dans les Œuvres de Frayssinous, MIGNE, Orateurs sacrés, 2e série, t. X, un vol in-4°, Paris, 1861, col. 1026.

[42] FRAYSSINOUS, les Vrais principes de l'Église gallicane, dans les Œuvres de Frayssinous, MIGNE, Orateurs sacrés, t. X, col. 1027.

[43] F. DE LA MENNAIS, Nouveaux mélanges, un vol. in-8°, Paris, 1826, p. 139-140.

[44] LA MENNAIS, Réflexions et Mélanges, un vol. in-8°, 1819, p. 322-323.

[45] Ami de la religion et du roi, du 31 janvier 1824, p. 375.

[46] Mémorial catholique, Introduction. BOUTARD, Lamennais, 3 vol. in-8°, Paris, 1905-1913, t. Ier, p. 369.

[47] Dans un pénétrant article des Annales de philosophie chrétienne, M. Maurice Blondel a défini La Mennais ce perpétuel outrancier qui met la logique au service de sa passion, ou plutôt qui prend sa passion pour la logique même (Ann. de phil. chrét. de septembre 1912, p. 617).

[48] Né avant terme, avec une notable dépression de l'épigastre, il était sujet, en raison de cette infirmité, à des spasmes douloureux dont il souffrit toute sa vie et qui, plus d'une fois, mirent ses jours en danger. (BOUTARD, La Mennais, t. I, p. 6-7. Cf. PEIGNÉ, La Mennais, sa vie intime à la Chênaie, un vol. in-32, Paris, 1864, p. 51-56.)

[49] Chr. MARÉCHAL, la Jeunesse de La Mennais, p. 3. Cf. MARÉCHAL, la Famille de La Mennais sous l'Ancien Régime et la Révolution, un vol. in-8°, Paris, 1913.

[50] La Mennais était plus violent encore dans l'intimité que dans ses pamphlets. Il disait de la Chambre élue en 1824, la plus royaliste et la plus religieuse de la Restauration : Jamais on n'avait vu une dégradation aussi burlesque et une corruption aussi bête. Puis il concluait : Les trois pouvoirs de l'Etat, comme on les appelle, semblent être une émanation directe de la Force, de Sainte-Pélagie et de Charenton. Pour lui, l'abbé Clausel de Montais n'était que le Marat du gallicanisme. On verra d'autres citations dans THUREAU-DANGIN, Royalistes et républicains, un vol. in-8°, Paris, 1874, p. 260-263.

[51] LA MENNAIS, Mélanges, p. 18, 62, 63.

[52] Ami de la religion, du 21 février 1829, p. 33-37 ; du 28 février 1829, p. 65-70, et 4 avril 1829, p. 238-240.

[53] BURNICHON, op. cit., t. I, p. 59-79.

[54] THUREAU-DANGIN, le Parti libéral sous la Restauration, p. 386. Cf. CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-tombe, édition Biré, t. II, p. 156-158.

[55] Député aux Etats généraux par un bailliage d'Auvergne, et, par suite, membre de l'Assemblée Constituante, Montlosier y prononça, dit-on, lors de la discussion sur la Constitution civile du clergé la fameuse phrase sur la croix de bois qui a sauvé le monde. Chateaubriand a rapporté ainsi cette phrase : Je ne crois pas, Messieurs, quoi qu'on puisse faire, qu'on parvienne à forcer les évêques à quitter leur siège. Si on les chasse de leur palais, ils se retireront dans la cabane du pauvre qu'ils ont nourri. Si ou leur ôte une croix d'or, ils prendront une croix de bois ; c'est une croix de bois qui a sauvé le monde. Plus tard, dans les Mémoires d'Outre-tombe, Chateaubriand est revenu sur cet incident. Montlosier, écrit-il, était resté à cheval sur la renommée de sa fameuse phrase de la croix de bois, phrase un peu ratissée par moi quand je l'ai reproduite, mais vraie au fond. (CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-tombe, édition BIRÉ, t. II, p. 156). La phrase, en effet, porte bien la marque de Chateaubriand : le style rocailleux du gentilhomme auvergnat a dû être ratissé par l'harmonieux écrivain. Cf. HENRION, Vie du P. Loriquet, ch. XVI.

[56] BURNICHON, op. cit., t. Ier, p. 347-387.

[57] Mémoire, p. 10-21.

[58] Mémoire, p. 23.

[59] Mémoire, p. 27.

[60] Mémoire, p. 35-36.

[61] Mémoire, p. 36.

[62] Mémoire, p. 37.

[63] La Chambre comptait exactement cinq membres de la Congrégation (G. de GRANDMAISON, la Congrégation, p. 312.)

[64] Mémoire, p. 27.

[65] BONALD, Réflexions sur le Mémoire à consulter.

[66] ARTAUD, II, 385-386.

[67] Voir dans la Vie de Mgr Frayssinous par le baron HENRION, un vol. in-8°, Paris, 1842, des détails du plus haut intérêt, empruntés aux notes de Mgr Frayssinous, sur les circonstances qui précédèrent et déterminèrent les fameuses ordonnances. Voir aussi, sur la même question, ARTAUD DE MONTOR, Hist. de Léon XII, p. 372-390 ; Ami de la religion, du 27 février 1844. Les détails les plus complets sur cette affaire se trouvent dans l'ouvrage d'Antonin LIRAC (pseudonyme du P. CLAIR, S. J.), Les jésuites et la liberté religieuse sous la Restauration.

[68] HENRION, Vie de Mgr de Quélen, un vol. in-8°, Paris, 1842, p. 192. — Un seul évêque refusa de signer le Mémoire, ce fut Mgr Raillon, évêque de Dijon, parce que, disait-il, les ordonnances royales ne touchaient ni au dogme ni à la discipline. — En revanche, la résistance de l'archevêque de Toulouse, Mgr de Clermont-Tonnerre, fut très énergique. Le gouvernement ayant insisté auprès de lui pour lui faire exécuter les ordonnances, il répondit : La devise de ma famille est celle ci : Etiamsi omnes, ego non. C'est aussi celle de ma conscience.

[69] Voir A. LIRAC, les Jésuites et la liberté religieuse sous la Restauration. Cf. ARTAUD, Vie de Léon XII, t. II, p. 388 et s. Le texte intégral de la note du cardinal Bernetti n'a été connu qu'en 1846. Cf. BURNICHON, op. cit., t. I, p. 387-470.

[70] A. NETTEMENT, Hist. de la Restauration, t. VIII, p. 128.

[71] METTERNICH, Mémoires, un vol. in 8°, Paris, 1879-1883, t. IV, p. 237.

[72] METTERNICH, Mémoires, t. IV, p. 242.

[73] GUIZOT, Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps, t. IV, p. 20. Dans son Autobiographie, insérée au tome I de ses Mémoires, Metternich se donne comme le lieutenant de Dieu. Il convient que Richelieu et Mazarin étaient gens de mérite, mais comble de sarcasmes ses contemporains : le petit Nesselrode, Thiers un niais, et Berryer un sot.

[74] Talleyrand, dont le scepticisme pratique était encore plus accusé que celui de Metternich, se trouva en conflit avec ce dernier au Congrès de Vienne. Il s'agissait d'opposer un frein aux prétentions du ministre autrichien, qui voulait bouleverser les nations, en particulier la France, au nom du principe de l'ordre. Talleyrand défendit l'indépendance des nationalités menacées, en invoquant les principes de la légitimité et du droit public. La tactique était habile. Elle déconcerta la grave assemblée et y déchaîna un vrai tumulte. A quoi bon, s'écria le ministre de Prusse, invoquer ces principes ? Cela va sans dire. — Si cela va sans dire, reprit froidement Talleyrand, cela va encore mieux en le disant. — Que fait ici le droit public ? murmura de son côté un autre diplomate. Il fait que vous y êtes, répliqua le ministre de France, avec son flegme dominateur.

[75] Sur ce livre, qui exerça une action puissante sur les jeunes catholiques allemands de cette époque, voir GOYAU, Mœhler, dans la collection la Pensée chrétienne, un vol. in-12, Paris, 1905, et l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. II. p. 24 35.

[76] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. II, p 43.

[77] SAINT-RENÉ-TAILLANDIER, Revue des Deux Mondes du 1er octobre 1843, p. 96.

[78] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. II, p. 44-45.

[79] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. II, p. 43-53.

[80] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. II, p. 63-64.

[81] GŒRRES, Gesammelte Briefe, III, p. 293.

[82] Cet écrit est reproduit dans les Politische Schriften de GŒRRES, t. V, p. 235-265.

[83] SAINT-RENÉ-TAILLANDIER, Etudes sur la Révolution en Allemagne, t. I, p. 445-447.

[84] Je n'ai jamais su verser de l'eau dans un verre sans le faire déborder, disait Clément Brentano ; je ne comprends rien à la modération et à la mesure. (BLAZE DE BURY, Revue des Deux Mondes, du 15 mars 1845, p. 1124.) Un autre Allemand de cette époque, Frédéric Schlegel, écrivait : Quel l'Allemand, que lui surtout ne néglige pas l'étude de l'histoire ; car c'est là le remède le plus salutaire, l'antidote le plus efficace contre cet esprit de l'absolu qui caractérise si proprement la science allemande et sa direction spéculative. (Fréd. SCHLEGEL, Phil. de l'hist., trad. Lechat, Paris, 1836, t II, p. 392.)

[85] Sur la Mystique de GŒRRES, voir une étude de l'abbé FREPPEL, le futur évêque d'Angers dans le Correspondant du 25 mars 1852, p. 742-753, et du 25 juillet 1852, p. 484-499.

[86] KANNENGIESER, Catholiques allemands, un vol. in-12, Paris, 1892, p. 361-369.

[87] SCHMÖGER, Das leben der gottseligen Anna Katharina Emmerich, 2 vol., Fribourg, 1867 et 1870 ; WEGENER, Anna Katharina Emmerich und Clemens Brentano, Dülmen, 1900.

[88] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. II, p. 82-85.

[89] LECANUET, Montalembert, t. Ier, p. 383.

[90] WARD, le cardinal Wiseman, trad. CARDON, Paris, 1900, t. I, p 152.

[91] FALLOUX, Mémoires d'un royaliste, 2 vol. in-8°, Paris, 1880, t. I, p. 172-173 ; Epilogue à l'art. chrétien, t. II, p. 165 et s.

[92] BOUTARD, La Mennais, t. II, p. 208, 323-324. Sur l'école de Munich à cette époque, voir d'intéressants détails donnés par Charles SAINTE-FOI (Eloi JOURDAIN), dans ses Souvenirs de jeunesse, un vol. in-12, Paris, 1911, p. 239-309.

[93] LACORDAIRE, Eloge funèbre d'O'Connell, dans les Œuvres de Lacordaire, édit. Poussielgue, t. VIII, p. 162.

[94] En 1815, il avait eu le malheur d'accepter un duel et de tuer son adversaire. Dans sa douleur, il fit le vœu de ne jamais plus donner ni accepter un défi, et il resta fidèle à ce vœu, malgré les vives polémiques auxquelles il fut mêlé pendant le reste de sa vie.

[95] TIMON (L. DE CORMENIN), le Livre des orateurs.

[96] Sur les négociations qui précédèrent le vote du bill, voir ARTAUD, Histoire de Léon XII, t. II, p. 286-290, 335-342, 394-399, 411-416.

[97] LACORDAIRE, Œuvres, t. VIII, p. 175.

[98] METTERNICH, Mémoires, t. IV, p. 589. — Sur O'Connell, voir John O'CONNELL, Life and Speeches of Daniel O'Connell, 2 vol. in-8°, Dublin, 1847 ; J. GONDON, Biographie de Daniel O'Connell, un vol. in-12, Paris, 1847.

[99] Par libéralisme, Newman entendit toujours le rationalisme antidogmatique, et, comme il l'a défini lui-même, l'erreur par laquelle on soumet au jugement humain les doctrines révélées. D'autre part, Newman compta parmi ses meilleurs amis plusieurs catholiques qui, tels que Lacordaire et Montalembert, se proclamaient libéraux en un sens différent.

[100] Sur cette attitude de Newman, voir THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 48-49.

[101] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 18 — Sur les calomnies répandues en Angleterre contre les catholiques, et sur les efforts faits par l'épiscopat de la Grande-Bretagne pour les détruire, voir ARTAUD, Hist. de Léon XII, t. II, p. 203-212, 260-268.

[102] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 25.

[103] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 36.

[104] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 49.

[105] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre, t. I, p. 49.

[106] Le tutor faisait auprès des étudiants l'office d'un répétiteur. Ce poste donnait d'ordinaire une influence très grande.

[107] On sait que, dans l'Eglise d'Angleterre, le vicar est ce que nous appellerions en France le curé, tandis que celui qui remplit les fonctions de vicaire se nomme curate.

[108] ARTAUD, t. II, p. 416 ; CRÉTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Révolution, t. II, p. 165.

[109] ARTAUD, II, 202-203.

[110] ARTAUD, II, 204-212 ; CRÉTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Révolution, t. II, p. 164-165.

[111] L. de CARNÉ, Vues sur l'Histoire contemporaine, Paris, 1833, t. I, p. 316-317.

[112] METTERNICH, Mémoires, t. IV, p. 37.

[113] CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-tombe, édit. Biré, t. II, p. 285.

[114] ARTAUD, Hist. de Léon XII, t. I, p. 120-123.

[115] A la date du 2 décembre 1823, le chargé d'affaires du gouvernement français à Rome, Artaud de Montor, écrivait à Chateaubriand : Léon XII, en manifestant son assentiment aux mesures nobles et vigoureuses qui ont contribué au rétablissement de l'autorité du roi d'Espagne, cherche les moyens d'éviter d'être dominé en cela par la faction qui l'a élu. (ARTAUD, Hist. de Léon XII, t. I, p. 130).

[116] ARTAUD, t. II, p. 34-35, 43-46.

[117] De 1810 à 1822, le Mexique, le Guatemala, la Colombie, le Pérou, le Paraguay et la Plata s'étaient séparés de l'Espagne.

[118] ARTAUD, II, 299.

[119] Ces secours furent totalement supprimés en 1835.

[120] ARTAUD, II, 300.

[121] CRÉTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Révolution, t. II, p. 163.

[122] Toutes les sociétés secrètes, quelle que fût leur forme, s'étaient organisées en ventes ou réunions de vingt membres.

[123] Sur ces révolutions de Naples et du Piémont, voir CANTU, Hist. de cent ans, t. II, p. 442-464.

[124] ARTAUD, t. II, p, 427-428. Cf. p. 353.

[125] ARTAUD, II, 121.

[126] ARTAUD, II, 124.

[127] Voir le texte du concordat dans ARTAUD, II, 307-316.

[128] Voir cette circulaire dans l'Ami de la religion du 24 octobre 1827, p. 329-330. — Sur ces incidents voir, l'Ami de la religion du 26 avril 1828, p. 344-346.

[129] L. LESCŒUR, l'Eglise catholique en Pologne sous le gouvernement russe, un vol. in-8°, Paris, 1860, p. 18.

[130] L. LESCŒUR, l'Eglise catholique en Pologne sous le gouvernement russe, p. 20.

[131] GRÉGOIRE XVI, Allocution du 22 juillet 1842. Voir la traduction de cette allocution dans LESCŒUR, l'Eglise catholique en Pologne sous le gouvernement russe, p. 407-433.

[132] L. LESCŒUR, l'Eglise catholique en Pologne sous le gouvernement russe, p. 28-31.

[133] Ch. SEIGNOBOS, Hist. politique de l'Europe contemporaine, un vol. in-8°, Paris, 1897, p. 557-558.

[134] ARTAUD, II, 111.

[135] ARTAUD, II, 111.

[136] ARTAUD, II, 49-50.

[137] Ami de la religion, du 22 mai 1824, p. 49-53.

[138] Annales de la propagation de la foi, n° 10 ; Ami de la religion, du 14 juillet 1827, p. 190-292.

[139] Ami de la religion, du 13 octobre 1827, p. 283.

[140] Ami de la religion, du 17 février 1827, p. 213.

[141] WISEMAN, Souvenirs, p. 241-242.

[142] WISEMAN, Souvenirs, p. 225-227.

[143] Pour les détails, voir WISEMAN, Souvenirs, p. 229-2331

[144] WISEMAN, Souvenirs, p. 224-225.

[145] WISEMAN, Souvenirs, p. 235-236.

[146] WISEMAN, Souvenirs, p. 236-237.

[147] WISEMAN, Souvenirs, p. 237-246.

[148] ARTAUD, II, 141.

[149] ARTAUD, II, 18.

[150] ARTAUD, II, 18.

[151] Ch. VAN DUERM, S. J., Vicissitudes politiques du pouvoir temporel des papes, un vol. in-8°, Lille, 1890, p. 132-133.

[152] VAN DUERM, S. J., Vicissitudes politiques du pouvoir temporel des papes, p. 133, note 1. Cf. ONCLAIR, la Franc-Maçonnerie contemporaine, p. 53, 140 et le chap. X.