HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

CHAPITRE PREMIER. — ETAT POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX DU MONDE CHRÉTIEN A LA MORT DE PIE VII (1823).

 

 

Le 24 août 1823, le pape Pie VII était mort en prononçant ces mots : Savone... Fontainebleau... L'empereur Napoléon l'avait précédé de deux ans dans la tombe ; et l'on avait aussi recueilli ses dernières paroles : Tête... armée... Ces deux hommes, arrivés à peu près en même temps au souverain pouvoir, et disparaissant à peu d'intervalle l'un de l'autre, avaient personnifié les deux grandes puissances du monde. Celui-ci se rappelait, en mourant, la grande gloire militaire dont il avait ébloui les hommes de son temps ; celui-là se souvenait des souffrances rédemptrices par lesquelles il avait continué dans l'Eglise l'œuvre de Jésus-Christ. Eux morts, la lutte engagée entre le Christ et le siècle allait prendre des formes nouvelles. Par suite de la déchéance de Napoléon Ier et par l'affaiblissement de plusieurs monarchies bourboniennes, le gallicanisme et le joséphisme devaient perdre quelque peu de leur force ; mais du mouvement d'indépendance qui portait les nations de l'Europe vers la politique des nationalités et vers les régimes constitutionnels, allait naître le libéralisme. Il s'en faut d'ailleurs que tout fût épreuve pour l'Eglise dans cette évolution. Si les monarchies autoritaires lui avaient donné l'indispensable sécurité dont elle avait besoin pour réorganiser son culte et sa discipline, le mouvement libéral allait lui permettre de développer son action par la conquête de plusieurs libertés précieuses.

 

I

Au moment de la mort de Pie VII, l'État politique de l'Europe était réglé par l'Acte final du fameux Congrès de Vienne, tenu en 1815. C'était le plus vaste traité qui ait jamais été signé, le premier essai qui ait été tenté de donner à l'Europe une charte, au moins territoriale, de déterminer l'état de possession de chacun... de fonder, sur un contrat collectif, la paix générale[1]. Jamais les conditions de la stabilité des Etats ne furent plus mûrement étudiées, par dés hommes plus rompus à la science des questions internationales, sur un terrain d'expérimentation plus libre. On avait un double but : empêcher la reconstitution d'une hégémonie semblable à celle de Napoléon Ier, et combattre partout l'esprit révolutionnaire. Pour atteindre ce double but, Metternich proposa le principe de l'équilibre, jadis appliqué au traité de Westphalie ; Talleyrand prôna le principe de la légitimité. Ces deux principes combinés furent la base du travail de reconstruction de l'Europe que commencèrent les diplomates de Vienne : Nous n'avons pas à donner ici le détail de leur œuvre, qu'ils crurent définitive. S'appuyant sur les principes de légitimité et d'équilibre, introduits par la France dans le droit public de l'Europe, les auteurs des traités de 1815 avaient déclaré que désormais tout agrandissement d'un Etat aux dépens d'un autre était interdit. Quiconque attenterait à l'équilibre établi serait réputé révolutionnaire, perturbateur de l'ordre européen, et s'exposerait à voir l'Europe se coaliser contre lui. Malheureusement, en même temps, les diplomates européens omirent de tenir compte de deux facteurs importants dans la paix des nations : la question de nationalité et la question de religion. En plaçant la Hongrie magyare sous la domination de l'Autriche allemande, en assujettissant la Grèce à la Turquie, en confiant l'Italie du nord aux mains des Habsbourg, ils préparaient de futures revendications nationales. En négligeant systématiquement de s'occuper de l'empire ottoman, ils laissaient ouverte la question d'Orient. En établissant la domination de la Russie schismatique sur la Pologne et de la Hollande protestante sur la Belgique, ils blessaient là conscience des catholiques. En laissant l'Autriche mettre la main sur la Vénétie, ils éveillaient les légitimes susceptibilités du Saint-Siège.

Les traités de Vienne, ébranlés en 1830, renversés en partie en 1848, anéantis, en 1860, 1866 et 1870, par la création d'une Belgique indépendante, d'une monarchie italienne et d'un empire allemand, ne paraissaient pas solides en 1823. Les peuples en supportaient péniblement le joug, les hommes d'Etat commençaient à les discuter, et leur rupture, regardée dès lors comme imminente, menaçait de troubler profondément l'Eglise avec la société.

On a peut-être été trop exclusif en plaçant au congrès de Vienne le point de départ de la grande lutte entre conservateurs et libéraux qui forme l'histoire politique de l'Europe au XIXe siècle[2]. Ce qu'on peut dire, c'est que, en froissant trop aisément les aspirations nationales et libérales des peuples, sans trop distinguer ce qu'elles pouvaient avoir de légitime de ce qu'elles contenaient de révolutionnaire, Metternich et Talleyrand avaient imprudemment semé le germe d'une inévitable réaction. Un diplomate que la délicatesse de son sens moral et de ses sentiments religieux plaçait à un point de vue plus élevé et rendait par là même plus perspicace, n'eut pas la Même foi dans la solidité des traités de 1815. Joseph de Maistre, si attaché à la cause conservatrice et légitimiste, écrivait, dès le 11 avril 1815[3] : Jamais peut-être il n'exista de meilleurs princes... que les princes rassemblés au congrès. Cependant, quel est le résultat ? Le mécontentement est universel. Ce qu'il y a d'étrange, c'est que les plus grands de ces princes se sont laissé visiblement pénétrer par les idées philosophiques et politiques du siècle ; et cependant jamais les nations n'ont été plus méprisées, foulées aux pieds d'une manière plus irritante pour elles... C'est une semence éternelle de guerres et de haines. Consalvi, de son côté, écrivait à Metternich : Un jour, les plus vieilles monarchies, abandonnées de leurs défenseurs, se trouveront à la merci de quelques intrigants de bas étage, auxquels aujourd'hui personne ne daigne accorder un regard d'attention préventive[4].

Quelle pouvait être, dans ces circonstances, l'attitude de la papauté ? Elle ne pouvait s'inféoder à aucun des deux mouvements qui allaient se partager le monde. Celui dont Metternich et Talleyrand venaient de prendre la direction, s'il répondait par un côté aux tendances conservatrices de l'Eglise, n'était pas inspiré par un esprit purement catholique. Si, en dehors des considérations purement utilitaires, une idée avait plané sur les délibérations du congrès de Vienne, c'était bien celle de la Sainte-Alliance, idée pour le moins suspecte d'hétérodoxie, car, par là même qu'elle confondait sciemment et expressément les façons les plus diverses d'être chrétien : celle du tsar comme celle du roi de Prusse ; par là même qu'elle marquait à l'Eglise romaine ses cantonnements, et qu'elle étendait sa protection au pape en tant que souverain temporel, en ignorant de parti pris son titre de vicaire de Jésus-Christ, elle ratifiait, toute sainte qu'elle se dit, cette laïcisation des maximes diplomatiques, contre laquelle Rome avait protesté au moment des traités de Westphalie[5].

D'autre part, le mouvement libéral, tel qu'il se manifesta dès les premières années qui suivirent le congrès de Vienne, ne pouvait inspirer confiance à l'Eglise. De bonne heure, les sectes antichrétiennes essayèrent de l'exploiter à leur profit, y voyant un moyen de saper les vieilles monarchies et le principe d'autorité[6]. Nous verrons donc le pape condamner nettement, en ce qu'il aura de révolutionnaire, le mouvement insurrectionnel qui cherchera par des principes et par des moyen injustes, à renverser les trônes ; il frappera surtout les sociétés secrètes, trop ménagées par les souverains[7] ; mais dans toutes les circonstances où la justice ou la religion lui paraîtront intéressées, il se séparera nettement de la politique des rois alliés ; il fera des restrictions à propos de l'expédition française en Espagne, et reconnaîtra, malgré les protestations des souverains de l'Europe, les Républiques de l'Amérique du Sud.

 

II

Apres causes de trouble qui menaçaient l'ordre politique, s'ajoutaient d'autres causes de trouble, qui menaçaient l'ordre social.

La chute de l'empire, par cela seul qu'elle mettait fin aux grandes guerres européennes, avait été le point de départ d'un grand progrès industriel, agricole et commercial. L'invention de la machine à vapeur par Watt, de la lampe du mineur par Davy, des machines à filer et à tisser par Arkwright, Richard-Lenoir, Girard et Jacquart, donnèrent à l'industrie une impulsion considérable. En peu de temps, la production des fils et tissus de coton devint mille fois plus importante, celle du fer et de l'acier décupla, et les mines de houille de l'Angleterre furent activement exploitées. La grande industrie venait de naître. La petite entreprise, qui ne produisait que pour le marché voisin, disparut devant l'immense usine, commanditée par d'énormes capitaux, qui élargit son marché par delà les frontières nationales, parfois jusqu'aux extrémités du monde. On put prévoir dès lors l'importance que prendrait la vie urbaine et la force que pourraient acquérir les groupements de population ouvrière.

D'autre part, la création et le fonctionnement des grandes entreprises nouvelles déterminèrent les associations de capitaux. De 1818 à 18249 paraissent les premières grandes sociétés d'assurances contre l'incendie. En 1821 et 1822, des sociétés se forment à l'effet d'avancer à l'Etat les fonds nécessaires pour l'achèvement de grands canaux qu'exige le développement du commerce. D'importantes compagnies de transport se constituent. Les intérêts des participants se négocient à la Bourse, où ils ont, peu à peu, leurs cotes officielles. C'est l'avènement des valeurs mobilières, de la spéculation, de l'agiotage. En face du monde ouvrier, en voie de se grouper et de s'organiser, apparaît le monde du capitalisme, également en train de se constituer.

Les législations commerciales des diverses nations rendent parfois très aiguës les relations entre ces deux puissances sociales. L'intérêt du grand manufacturier est que les produits étrangers soient taxés si fortement à leur entrée qu'ils coûtent plus cher que les produits nationaux. A la demande des maîtres de forges français, des lois de 1814 et de 1822  frappent de lourdes taxes les fers étrangers. Les industries textiles sont bientôt protégées par des mesures semblables. Mais les nations étrangères suivent le même système. Les Anglais imposent lourdement les vins et alcools de France et les articles de Paris. Ils prohibent les soieries de Lyon. Mais si l'intérêt du producteur paraît satisfait par ce régime de protection, l'intérêt du consommateur semble tout autre : celui-ci aspire à acheter les meilleurs produits possibles, d'où qu'ils lui viennent, au meilleur marché possible. De là un antagonisme qui met aux prises le capitaliste et l'ouvrier. Pour ce qui concerne les céréales, une loi française de 1814 avait satisfait les consommateurs ; une loi de 1819, s inspirant d'un système pratiqué en Angleterre depuis la fin du XVIIe siècle, vient au secours des producteurs. Elle établit une échelle mobile ; c'est-à-dire qu'elle taxe les blés étrangers plus ou moins lourdement, suivant que le prix des blés indigènes sont en baisse ou en hausse. Ce système subsistera, avec quelques interruptions dans son application, jusqu'en 1861. En fait, l'échelle mobile ne réussit pas à relever le cours du blé, ainsi que l'avaient espéré ses défenseurs ; elle ne réussit guère qu'à en entraver la baisse, mais ce bien relatif est chèrement payé par les perturbations constantes des cours, causées par son application[8].

Cet exposé de la situation économique à la fin du premier quart du XIXe siècle, était nécessaire pour éclaircir les origines de la crise sociale qui allait surgir à cette époque et troubler si profondément tous les états européens ; mais il ne saurait en donner l'explication complète. Il faut chercher au mal des causes plus profondes. La Révolution n'avait pas seulement supprimé les anciennes corporations d'artisans, qui procuraient à leurs membres, avec la protection de leurs intérêts communs, la stabilité et la sécurité ; elle s'était attaquée à l'esprit même qui animait ces institutions, à ce sentiment chrétien qui reliait le patron et l'ouvrier dans la pratique d'une même foi, dans la communion aux mêmes sacrements. De là, un individualisme égoïste et froid, qui faisait envisager le travail, indépendamment de l'homme qui le produit, au seul point de vue de sa valeur marchande ; et qui enlevait à la propriété son caractère de charge sociale, dévolue à la fois par le droit naturel et par le commandement divin de l'Evangile. De là, l'abus de travail de l'homme, la destruction de la vie familiale, l'incertitude de la subsistance de l'ouvrier, soumise aux fluctuations de la production. D'autre part, la mainmise de l'Etat, au nom de la sécularisation de là société, sur les domaines ecclésiastiques, puis, au nom d'une prétendue égalité, sur les biens de la noblesse, avait créé des précédents bien dangereux. La spoliation collective, au nom de principes prétendus sociaux, pouvait donc créer des titres légitimes de propriété ! La classe ouvrière ne pourrait-elle pas invoquer des raisons semblables pour dépouiller, à son tour et à son profit, la classe bourgeoise ? La tentation de raisonner ainsi était d'autant plus forte que beaucoup de lois votées sous l'Empire semblaient avoir été dictées par la préoccupation exclusive des intérêts de la bourgeoisie. Une loi de 1803 avait interdit les coalitions d'ouvriers, mais ne s'expliquait pus sur les coalitions des patrons. L'article 1781 du code civil disait : Le maître est cru sur son affirmation pour la quotité des gages, pour le payement du salaire de l'année échue et pour les acomptes donnés sur l'année courante. Une loi de 1806 avait créé des conseils de prudhommes dans 26 villes de France ; mais l'organisation de ces conseils avait paru suspecte aux ouvriers : sans doute les patrons proprement dits n'entraient au conseil que pour une moitié ; mais l'autre moitié, au lieu de se composer d'ouvriers salariés, ne comprenait que des contremaîtres et des ouvriers patentés, c'est-à-dite de petits patrons. La masse ouvrière considérait toutes ces lois comme une sorte de représailles de la classe bourgeoise contre les initiatives de la classe ouvrière.

 

III

Les perturbations qui se produisirent à cette époque, dans le monde de la grande industrie et de la haute finance comme dans le monde du travail, donnèrent lieu à ce qu'on appela depuis la question sociale. Divers systèmes furent dès lors proposés pour la résoudre.  On peut les classer en trois écoles : l'école économiste ou libérale, l'école socialiste et l'école catholique.

Dans son Catéchisme d'économie politique et dans son Cours d'économie politique, publiés en 1815, Jean-Baptiste Say, auteur d'un Traité d'économie politique déjà paru en 1804, se fit l'interprète des économistes.

Pour l'économie politique libérale, la solution de la question sociale est dans la libre concurrence. Laissez faire, laisser passer telle est la devise. Pour elle, d'ailleurs, le droit de propriété est un droit absolu, auquel ne correspond aucune obligation sociale ; son seul titre est le travail, et les questions d'intérêt qui s'élèvent entre les patrons et les travailleurs doivent uniquement être réglées par la loi d'airain de l'offre et de la demande. Enfin, l'économie politique 'libérale déclare ne s'intéresser qu'aux lois de la production, de la répartition et de la consommation de la richesse ; les lois morales ne sont pas de son domaine. Plusieurs de ces principes avaient déjà été professés par l'anglais Adam Smith et par le français Turgot.

Une pareille théorie parut révoltante à plusieurs de ceux qui se préoccupaient des souffrances de la classe populaire. Par son impitoyable loi de l'offre et de la demande, par sa doctrine sur la propriété et par sa prétérition de la loi morale, elle leur parut sacrifier le faible au fort, le pauvre au riche, l'ouvrier au patron.

Au nom de l'humanité, trois hommes, Owen en Angleterre, Saint-Simon et Fourier en France, se proposèrent de remédier aux maux de la classe ouvrière par une réorganisation de la société.

Owen, propriétaire d'une grande fabrique de coton, vit le remède dans la substitution du régime coopératif au régime capitaliste : les ouvriers s'associeraient pour produire en commun, au lieu de travailler pour le compte d'un capitaliste. Les essais d'application de ce système devaient, dans la suite, provoquer des coalitions de la part des patrons, et, malgré les efforts énergiques d'Owen, échouer complètement.

Le système élaboré par le comte de Saint-Simon avait été graduellement exposé, en 1803, dans ses Lettres d'un  habitant de Genève à ses concitoyens ; en 1818, dans ses Vues sur la propriété et la législation ; en 1819, dans sa fameuse Parabole, qui lui valut des poursuites judiciaires ; en 1821, dans son Système industriel, et surtout dans un ouvrage qui ne devait paraître qu'après sa mort, survenue en 1825, le Nouveau christianisme. Ce système, œuvre d'un grand seigneur tour à tour soldat, industriel, agronome, journaliste et pamphlétaire, à la fois érudit et philosophe, avait des prétentions plus hautes et plus amples que celui d'Owen. Saint-Simon voyait le remède aux maux physiques et moraux des travailleurs dans un double culte : le culte du travail et le culte de la fraternité. Antiquité et moyen âge, disait-il, ont cru jusqu'ici que vivre noblement, c'était ne rien faire, c'est le contraire qui est vrai : vivre noblement c'est travailler. Les anciens âges, ajoutait-il, ont aussi voulu faire reposer l'ordre social sur la justice. Fondement infécond et trompeur ; car la justice n'est souvent que l'argument de l'égoïsme. La vraie base de progrès social, c'est la fraternité. C'est par le sentiment de la fraternité, que le riche et le fort, frères aînés du pauvre et du faible, se penchent vers leurs puînés pour les élever et procurer ainsi l'amélioration physique et morale de la classe la plus pauvre, vrai but de toute organisation sociale. Arrivé là, Saint-Simon reconnaît qu'il a rejoint le principe évangélique : Aimez-vous les uns les autres. Mais aussitôt il s'éloigne jusqu'aux antipodes du christianisme. Voulant assurer l'harmonie et l'unité dans le culte du travail et de la fraternité, il croit remarquer que la science a supplanté la religion et la grande industrie la féodalité. Il décide, par conséquent, de confier la direction spirituelle du monde à un corps de savants et sa direction temporelle à un corps d'industriels. Il ne définit pas d'ailleurs ce qu'il entend par ces directions spirituelle et temporelle, et, par là, on a pu dire que Saint-Simon a été, non pas le premier socialiste, mais un simple précurseur du socialisme. Ses disciples seuls, Bazard et Enfantin, en faisant entrer sa doctrine dans le domaine des applications pratiques, seront de vrais socialistes.

On ne peut pas refuser ce dernier titre à Charles Fourier, qui, dans son Traité de l'association domestique agricole, publié en 1822, pose les principes d'une doctrine précise sur la propriété et sur le travail. La propriété doit être abolie ; car la seule raison qui a pu la faire adopter, malgré les maux qu'elle entraîne, c'est qu'elle est un stimulant au travail. Mais le travail peut se passer de ce stimulant. Le travail deviendra naturel et attrayant, dès qu'on laissera l'homme développer librement ses attraits et ses passions, obéir à la mécanique passionnelle, comme l'animal et la plante obéissent à leur mécanique sensitive et végétative, accomplissant par là, sans secousse et sans désordre, leurs destinées au sein de l'harmonie. Cette théorie devait être expérimentée par la création des phalanstères[9] et aboutir aux mêmes échecs que les théories d'Owen et de Saint-Simon.

Cependant, l'Eglise catholique, de son côté, n'était pas restée indifférente aux maux de la société. Tandis que ses fidèles multipliaient les œuvres de charité pour subvenir aux misères présentes, l'un d'eux, le vicomte Louis de Bonald, avait signalé avec force le vice dont souffrait l'organisation sociale actuelle et les théories libérales qui prétendaient la justifier. Ce vice, il le montrait dans la recherche exclusive de la richesse, donnée pour but à l'économie politique et à l'activité de l'homme moderne. Au-dessus de la richesse, Bonald plaçait la formation morale de l'homme. C'est pourquoi il prônait à la fois, entre autres réformes, le retour à l'agriculture, qui nourrit ceux qu'elle a fait naître, tandis que l'industrie a fait naître ceux qu'elle ne peut pas toujours nourrir[10], et le retour aux corporations chrétiennes dont la philosophie, disait-il, ce dissolvant universel, n'avait cessé de poursuivre la destruction sous le vain prétexte d'une concurrence qui n'a tourné au profit ni du commerçant honnête, ni des arts, ni des acheteurs[11].

Les idées politiques de Bonald sur la monarchie absolue sont contestables, et sa théorie philosophique sur l'origine du langage est une erreur ; mais on ne peut nier qu'en précisant comme il le faisait, dès le début du XIXe siècle, les vraies fins et les vraies conditions de la vie sociale, il n'ait été le précurseur de l'école sociale catholique[12].

Pour achever l'esquisse du mouvement social pendant le premier quart du me siècle, il nous reste à signaler un écrivain original, qui, sur les confins du socialisme et de l'orthodoxie catholique, exerça une réelle influence, Pierre-Simon Ballanche. Dès le début du siècle, en 180i, le Lyonnais Ballanche, à peine âgé de 25 ans, avait publié, sous ce titre : Du sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature et les arts, un livre dont a pu dire : C'est un Génie du christianisme enfantin, mais qui a paru avant le Génie du christianisme[13]. Pour Ballanche, le christianisme est l'unique fondement de toute civilisation ; mais il pense, en même temps, que la Révolution, malgré ses erreurs et ses crimes, est une des réalisations progressives du christianisme dans l'ordre social. Sainte-Beuve, qui avait subi l'ascendant de Ballanche, l'a défini : une belle âme qui avait des éclairs d'illuminations dans le nuage... un génie plus qu'à demi voilé, qu'on ne comprenait qu'en y mettant du sien. Mais il atteste que la lecture de ses ouvrages contribua fortement à inspirer un souffle religieux à l'école, encore matérialiste alors, de Saint-Simon. — Témoin de l'effet produit par cette lecture sur quelques-uns des plus vigoureux esprits de l'école, je puis, dit-il[14], affirmer combien cela fut direct et prompt. Ses œuvres ne furent pas étrangères non plus à la part d'illusions qui se mêla aux idées de plusieurs catholiques du XIXe siècle. À ces divers titres, le nom de Ballanche devait figurer dans cette histoire[15].

 

IV

Par ses qualités comme par ses défauts, par son idéalisme vague et son christianisme rêveur, Ballanche appartenait pleinement à ce mouvement romantique qui, vers 1823, s'épanouissait pleinement dans la littérature de l'Europe. Lamartine et Vigny venaient de créer la poésie méditative. Victor Hugo avait publié ses premiers vers d'adolescent, où les gloires de la religion et du moyen âge étaient magnifiquement célébrées. Chateaubriand était en pleine possession de sa gloire. La mythologie prétendue classique semblait bien morte ; et, pour chanter les thèmes nouveaux, les vieux moules avaient été brisés. Plus de règles factices. On rêvait de remplacer les cordes de la lyre par les fibres du cœur. Telle fut du moins la première phase du romantisme. Le christianisme en illuminait encore les sommets. Le rationalisme, le sensualisme malsain et les singularités de mauvais goût qui caractériseront sa deuxième phase, après 1830, ne l'avaient pas encore pénétré. On y remarquait cependant déjà un excès de sensibilité au détriment de la volonté, et, dans cette sensibilité, la prédominance d'une tristesse déprimante. Le XIXe siècle, dit Sainte-Beuve[16], en débutant par la volonté gigantesque de l'homme dans lequel il s'était identifié, semblait avoir dépensé tout d'un coup sa faculté de vouloir. Par ailleurs, la brusque transition d'une vie d'épopée à une existence calme et bourgeoise, avait laissé dans les âmes une mélancolie vague. Trois éléments, écrit Alfred de Musset[17], partageaient la vie qui s'offrait alors aux jeunes gens : derrière eux, un passé à jamais détruit ; devant eux, l'aurore d'un immense horizon ; et entre ces deux mondes... je ne sais quoi de vague et de flottant... Un sentiment de malaise inexprimable commença à fermenter dans les cœurs jeunes... Pareille à la peste asiatique exhalée des vapeurs du Gange, l'affreuse désespérance marchait à grands pas sur la terre.

Dans le mouvement philosophique, on remarquait le même élan vers 1 idéal et le même malaise. L'idéologie sensualiste d'un Destutt de Tracy, la physiologie matérialiste d'un Cabanis et d'un Bichat. le fatalisme impie d'un Naigeon, ne satisfaisaient plus les âmes. Une protestation, timide à ses débuts, mais persistante et de jour en jour plus forte, plus autorisée, s'était élevée en faveur du spiritualisme et de la morale honnête de l'école de Laromiguière, de Maine de Biran et de Royer-Collard. Avec eux, l'intelligence avait repris conscience de sa spontanéité, de son effort, de sa résistance au monde matériel et aux passions[18]. Malheureusement elle avait rencontré, dans un courant d'idées venu de l'extrême nord de l'Allemagne, de cette contrée où Friedland, Eylau, Tilsitt témoignaient si haut des victoires de la France, le venin qui devait paralyser son généreux élan. Le criticisme de Kant se présenta à ceux qui cherchaient à reconstruire leurs croyances, et leur offrit le moyen d'opérer, au moins en apparence, cette restauration intellectuelle et morale avec des éléments purement subjectifs. Le pénible travail d'une reconstruction objective leur était épargné. Fichte, Schelling, Hegel avaient d'ailleurs poursuivi l'œuvre de Kant. On ne sait quoi de mystique et d'imprécis, comme les brumes du nord, ajoutait un attrait de plus à ces doctrines, aux y eux des hommes de ce temps. Victor Cousin, après son voyage de 1817 en Allemagne, colora son éclectisme d'une teinte kantienne fortement marquée. Les esprits conservateurs essayèrent d'opposer d'abord à ce courant un cartésianisme additionné de philosophie écossaise. D'autres, comme Bonald, tentèrent de le combattre par tin traditionalisme outré. En 1823, l'abbé de La Mennais, dans son Essai sur l'indifférence, donna à cette doctrine l'éclat de son grand talent. Selon lui, l'accord du genre humain sur une doctrine morale était la suprême, et, à tout prendre, l'unique garantie que nous pussions avoir contre l'erreur. La Mennais croyait alors, il est vrai, que l'Eglise catholique était l'incarnation concrète et vivante de la croyance générale des hommes, et par là il pensait sauver à la fois la cause de la religion et celle de la raison. Mais les esprits réfléchis dénonçaient déjà les vices de cette doctrine trop étroite et trop absolue, qui devait conduire son malheureux auteur vers ce même gouffre du panthéisme où les héritiers de Kant étaient déjà parvenus.

Le péril était d'autant plus grave, que le criticisme kantien, franchissant le domaine des sciences purement philosophiques, exerçait visiblement son influence dans le domaine des croyances religieuses. Le protestantisme d'abord, puis le catholicisme lui-même, en subirent les atteintes.

Le double effort fait, par Schleiermacher d'une part et par Hegel de l'autre, pour raccommoder la théologie protestante avec la philosophie allemande, n'avait abouti qu'à l'imprégner de subjectivisme et de panthéisme. La religion, disait Schleiermacher, n'est que le sens intime du contact avec Dieu, et il prétendait que la foi, ainsi entendue, crée la théologie, au lieu de se laisser formuler par elle. Pour Hegel, la religion n'était que la conscience que Dieu a de lui-même dans l'être fini, et il aboutissait à prétendre que christianisme et hégélianisme avaient le même contenu ; la forme seule différait[19].

On voit les conséquences funestes de pareilles doctrines. Car, ainsi qu'on l'a fort justement remarqué, si la religion n'est rien de plus qu'un fait de conscience, l'histoire d'une religion sera, tout simplement, l'histoire des développements de la conscience religieuse... La religion hébraïque, par exemple, sera considérée comme un produit du peuple hébraïque. On la traitera, a priori, comme si elle n'était pas un fait révélé, extérieur et supérieur à Israël ; elle sera considérée comme la création d'Israël. Mais Israël ne peut pas s'être fait sa religion à la façon que racontent les écrits de l'Ancien Testament, car il n'est aucun peuple chez qui la conscience religieuse se soit éveillée d'une telle façon. De là les hypothèses sur les écrits de la Bible, leur date, leur succession, sur les stratagèmes de leur composition[20]. La critique historique de Strauss, de Baur, de Renan, de Harnack, est au bout de ces théories religieuses.

Le catholicisme allemand ne devait pas échapper à cette influence. Un professeur de théologie de la faculté de Bonn, Georges Hermès, émettait, en 1805 d'abord, dans ses Recherches sur la vie intérieure du christianisme, puis, en 1819, dans son Introduction philosophique, l'idée d'une apologétique nouvelle, qui, négligeant le rôle de la grâce dans la production de l'acte de foi, en faisait un produit de la raison pratique, entendue au sens de Kant. Pour Hermès, les faits historiques, prouvés vrais par l'histoire d'une vérité extérieure, ne deviennent intérieurement vrais que par l'adhésion de la raison pratique ; et les commandements de Dieu n'acquièrent de force obligatoire qu'après avoir été, par suite d'un examen, reconnus conformes à la raison pratique[21]. Les pires doctrines du modernisme étaient en germe dans un pareil système.

 

V

Ces théories étaient, du moins, professées, enseignées et propagées au grand jour. L'Eglise pouvait facilement se prémunir contre elles. Il n'en était pas ainsi des idées subversives de tout ordre religieux et social qui se propageaient dans les sociétés secrètes.

Soit que les crimes de l'impiété révolutionnaire eussent discrédité le programme de la maçonnerie[22], soit que la puissante main de Napoléon, en la faisant l'instrument de ses desseins, lui eût enlevé la vigueur de son autonomie[23], elle perdit momentanément, en grande partie, son caractère antichrétien. Tandis qu'en France Napoléon remplissait les loges de ses agents et en faisait des foyers de propagande impérialiste, les loges allemandes et les loges italiennes se donnèrent pour but d'entraîner et d'enflammer le peuple, les premières contre l'empire français, les secondes contre l'Autriche. Mais, vers 1811, la célèbre société parut se réorganiser sur de nouvelles bases, en reprenant son vieil esprit[24].

Dans quelles mesures le Tugendbund d'Allemagne, le carbonarisme d'Italie et la charbonnerie française appartinrent-elles à la franc-maçonnerie ? En furent-elles des ramifications proprement dites ? Ne s'y rattachèrent-elles que par des liens d'affiliation plus ou moins étroits ? Il est difficile de le préciser. Ce qui est certain, c'est que le mouvement révolutionnaire qui se produisit en Europe de 1815 à 1823, se fit surtout par ces trois associations.

L'histoire du Tugendbund (association de la vertu) nous est sue-tout connue par les ouvrages d'un écrivain protestant, Ed.-Em. Eckert[25], et par les polémiques que ces ouvrages ont soulevées en Allemagne. Cette association avait été fondée, en 1807, par le baron de Stein, ministre de l'intérieur à Berlin, sous le prétexte de hâter la chute de l'empire de Napoléon et d'y substituer une Allemagne grande et une, en réalité pour propager, par l'Allemagne unifiée sous la direction de la Prusse, les principes maçonniques de la Révolution. En une phraséologie bien germanique, on présentait la philosophie, la philologie et la science de la nature comme formant la Trinité sur laquelle serait fondée l'Eglise allemande de l'avenir. Dans leurs chaires universitaires et dans leurs livres, les adeptes du Tugendbund insistaient sur la morale du christianisme, mais en présentant les dogmes comme un symbole, de façon à réunir dans le patriotisme allemand l'incrédulité et la foi[26]. Fichte, qui avait succédé au baron de Stein comme chef de l'Association, s'écriait : La société ne veut plus supporter qu'on abuse de ses forces pour faire atteindre des buts qui lui sont étrangers ; elle veut les employer dans des buts qu'elle choisira elle-même. Le combat est engagé, en dernière analyse, en faveur de ceux qui se dévouent à la délivrance de l'esprit humain. Dans l'ordre politique, le Tugendbund, d'abord favorable au roi de Prusse, se retourna contre lui, quand celui-ci refusa d'accorder les libertés promises aux conjurés ; il fit entendre des menaces et prépara des révoltes. Dans l'ordre moral et religieux, combattit sourdement les dogmes chrétiens. Organisé en deux sections, le Männerbund, ou association des hommes, et le Jünglingsbund, ou association des jeunes gens, il comprit une hiérarchie mystérieuse, avec des grades secrets et des révélations d'une audace toujours croissante[27]. Beaucoup de membres du corps universitaire et de l'armée adhérèrent au Tugendbund ; Eckert a prouvé qu'un grand nombre des sociétés qui groupèrent la jeunesse allemande après 1815, telles que le Deutsche Turnsckaft et l'Allgemeine deutsche Burschenschaft, furent pénétrés de l'esprit du Tugendbund, lequel n'était autre, ses défenseurs le reconnaissent, que l'esprit des loges maçonniques[28]. Un document, découvert aux Archives nationales et publié en 1913 par M. Léonce Grasilier, est venu démontrer que l'influence des sociétés secrètes de l'Allemagne pénétra en France par un foyer intermédiaire établi à Coppet et dont Mme de Staël et Benjamin Constant furent les principaux directeurs[29]. Il semble même que cette pénétration a précédé celle du carbonarisme italien, lequel exerça, à son tour, une influence importante sur les sociétés secrètes françaises.

Comme le Tugendbund allemand, le carbonarisme italien avait pris naissance au temps de la domination française. S'il faut en croire Crétineau-Joly, qui eut sous les yeux des documents sur les sociétés secrètes réunis par le pape Léon XII, le carbonarisme sortit, en Calabre et en Sicile, d'une pensée profondément monarchique, et, durant les premières années du XIXe siècle, il offrit à la reine Caroline de Naples, sa fondatrice, des gages d'une incontestable fidélité[30]. Mais le mystère même dont la société crut devoir s'envelopper, et l'ascendant qu'y exercèrent certains personnages anglais, imbus des principes maçonniques et tout-puissants à la cour de Sicile[31], la firent peu à peu dévier vers les idées révolutionnaires. Un de ses principes fut que les formes actuelles de l'Eglise et des Etats étaient des formes vieillies, destinées à faire place à des organisations fondées sur la seule base de la nature. Comme les affiliés se réunissaient ordinairement dans les forêts des Abruzzes, fréquentées par les charbonniers (carbonari), ils empruntèrent aux charbonniers leur nom et leurs principaux emblèmes, de même que les francs-maçons avaient emprunté leur nom et leurs emblèmes à l'art de bâtir. Ils se répartissaient en divers groupes, appelés ventes, analogues aux loges maçonniques ; mais, tandis que les francs-maçons affectaient de repousser toute révélation surnaturelle, les carbonari, pour mieux gagner-les populations religieuses de l'Italie, s'appuyaient, au moins en apparence, sur le christianisme[32]. Le secret y était exigé, de la part des adeptes, sous des peines terribles. Un tribunal spécial jugeait les infractions à cette loi ; et il était rare qu'un délinquant pût échapper à la vindicte de la secte. Les liens qui rattachaient le carbonarisme à la maçonnerie ont été avoués par les francs-maçons, mais plusieurs de ceux-ci, humiliés par les scènes sanguinaires de leurs frères d'Italie, n'ont voulu voir en eux que des fils dégénérés de la grande secte. Les carbonari, écrit le franc-maçon Blumenhagen, portaient ostensiblement le poignard dégainé, pour s'en servir contre les ennemis de la lumière. Les plaies sanglantes de la Sicile ne sont pas encore cicatrisées. Les cadavres des citoyens égorgés déposent contre eux. Leur nom seul doit rappeler au maçon instruit jusqu'à quel degré de dégénération ont pu descendre certaines sectes de notre association[33]. En 1818, le carbonarisme établit une de ses ventes à Macerata, dans les Etats mêmes de l'Eglise, et plusieurs autres en Lombardie. L'esprit perspicace de Consalvi avait aperçu le péril, et, dès le 4 janvier 1818, l'éminent homme d'Etat l'avait signalé aux cours de l'Europe. Mais ce fut en vain. Il essaya alors de favoriser, pour combattre les menées de la secte, une Association de l'amitié catholique, fondée par le comte de Maistre ; mais le roi Charles-Félix y vit un danger pour l'Etat ; et le gouvernement autrichien montra moins de défiance à l'égard des ventes de carbonari qu'il n'en manifestait à l'égard d'une Ligue de défense religieuse que le cardinal Pacca et les jésuites avaient tenté de fonder en Lombardie[34].

C'est en 1821 que le carbonarisme vint s'établir en France, où les sectes allemandes avaient déjà pénétré[35]. Le foyer de son expansion fut un club parisien, connu sous le nom de club des Amis de la vérité, fondé par quatre commis de l'administration de l'octroi : Bazard, Flottard, Buchez et Joubert[36]. Merveilleusement appropriés au caractère italien, dit Louis Blanc, mais peu propres à devenir en France un code de conspirateurs (à cause de quelques apparences chrétiennes, nécessaires en Italie), on dut songer à modifier les statuts... La pensée dominante de l'association n'eut rien de précis ; les considérants se réduisirent à décréter la souveraineté nationale sans la définir, suivant l'esprit du carbonarisme italien. Plus la formule était vague, mieux elle répondait à la diversité des sentiments et des haines[37]. Il fut convenu, en outre, qu'à côté de la Haute-Vente, des ventes centrales et des ventes particulières, il y aurait pour l'armée la légion, les cohortes, les centuries, les manipules. Il existait alors, dit un historien franc-maçon de la Restauration, un comité parlementaire (de la Charbonnerie). Lafayette en faisait partie... Munis de lettres de recommandation, plusieurs jeunes gens allèrent dans les départements organiser la Charbonnerie... L'entraînement fut général, irrésistible. Sur presque toute la surface de la France, il y eut des complots et des conspirateurs. Les choses en vinrent au point que, dans les derniers jours de 1821, tout était prêt pour un soulèvement à la Rochelle, à Poitiers, à Niort, à Colmar, à Neuf-Brisach, à Nantes, à Belfort, à Bordeaux, à Toulouse. Des ventes avaient été créées dans un grand nombre de régiments, et les changements mêmes de garnison étaient pour la Charbonnerie un rapide moyen de propagande[38].

La Charbonnerie française fusionna dès lors avec la franc-maçonnerie[39]. Louis XVIII jugea de bonne politique de ménager les loges, de subir même leur influence[40]. Aussi vit-on les idées voltairiennes envahir rapidement la France. Paul-Louis Courier dans ses pamphlets, Béranger dans ses chansons, les popularisèrent. Qu'il suffise d'ailleurs de rappeler qu'il y eut, de 1817 à 1824, douze éditions de Voltaire et treize de Rousseau. On publia 316.000 exemplaires des œuvres du premier et 240.000 des œuvres du second, soit un total de plus de deux millions de volumes raillant ou méprisant l'Eglise catholique. La lutte contre le parti-prêtre, comme on disait alors, fut le fruit de cette propagande elle devait durer autant que la Restauration et arracher même au roi Charles X, en 1828, l'expulsion des jésuites[41].

 

VI

Pour parer aux divers périls que nous venons d'indiquer, quelles étaient les forces de l'Eglise ? Ces forces, depuis l'avènement de Louis XVIII, s'étaient accrues, malgré tout. Le roi de France avait beau passer pour favorable aux idées voltairiennes, se montrer faible envers les sociétés secrètes, confier, pour leur complaire, le soin de son gouvernement à quatre hommes renégats de leur vocation ecclésiastique, les abbés de Talleyrand, de Pradt, de Montesquiou et Louis[42] ; son avènement n'en était pas moins, aux yeux de tous, le signal d'une renaissance religieuse ; la Restauration politique des Bourbons se présentait comme inséparable d'une restauration catholique ; après la Révolution, qui l'avait persécuté avec violence, et l'empire, qui l'avait opprimé en voulant l'asservir, le clergé de France, dans son ensemble, avait acclamé le retour du roi très chrétien avec les sentiments d'une grande confiance[43]. Dans les missions, qui se multiplièrent, la foule avait chanté, de toute son âme, le refrain populaire :

Vive la France !

Vive le Roi !

Toujours en France

Les Bourbons et la foi !

Les Missions de France, la multiplication des congrégations religieuses, l'action exercée, par la Congrégation, le développement des maisons d'éducation catholiques, des œuvres de piété, de zèle et d'assistance, la pénétration, plus superficielle que profonde, mais réelle et efficace néanmoins, de l'esprit chrétien dans les lettres et dans les arts : telles furent les premières manifestations de la renaissance religieuse en France sous le règne de Louis XVIII. Un mouvement analogue se produisait en même temps en Italie, en Allemagne et en Angleterre.

Dans son dernier numéro du mois de janvier 1815, l'Ami de la religion, organe du clergé de France, publiait la note suivante : Plusieurs ecclésiastiques, vivement touchés de la privation des secours spirituels où la rareté des pasteurs laisse une partie de nos provinces, viennent, selon le vœu de MM. les évêques, de se réunir pour faire un établissement dont le but principal est de donner des missions et de former des missionnaires pour l'intérieur de la France. Cet établissement, un des premiers fruits de la liberté rendue enfin à la parole sainte, doit intéresser tous les amis de la religion et réaliser leurs espérances... M. l'abbé Rauzan, M. l'abbé Legris-Duval et M. l'abbé de Forbin-Janson sont à la tête de l'établissement[44].

Les noms des trois directeurs de l'œuvre nouvelle étaient des gages de succès. L'abbé Jean-Baptiste Rauzan, né à Bordeaux en 1757, était un des plus vénérables prêtres de l'Eglise de France. Successivement vicaire et directeur d'un petit séminaire dans son diocèse natal, puis obligé de s'expatrier pendant la tourmente révolutionnaire, il avait laissé partout la renommée d'un prêtre instruit, zélé, charitable ; son éloquence grave, apostolique, était pleine de force et (l'onction. Après le concordat, le cardinal Fesch, archevêque de Lyon, frappé de ses éminentes qualités, avait fait appel à son dévouement pour fonder dans sa ville épiscopale une école de hautes études et d'éloquence sacrée. Mais un décret de l'empereur, en date du 26 décembre 1809, supprimant tous les établissements de mission en France, n'avait pas permis au projet du célèbre prélat de recevoir son exécution. L'abbé Rauzan se contenta de profiter de toutes les occasions qui lui furent offertes, pour annoncer aux peuples les vérités religieuses. Dédaignant à la fois les formes poétiques par lesquelles Chateaubriand avait su venger la religion chrétienne des sarcasmes de Voltaire, et la puissante dialectique avec laquelle les Bonald et les de Maistre avaient réfuté les sophismes de Rousseau, le nouveau missionnaire cherchait plutôt ses modèles parmi les Vincent Ferrier, les François Régis, les Vincent de Paul et les Bridaine. Le roi Louis XVIII, qu'il avait accompagné à Gand, l'avait nommé son chapelain ; mais lui ne rêvait que d'entreprendre en France une œuvre d'évangélisation populaire.

La Providence le mit en rapport, à cette époque, avec un saint prêtre breton, à qui aucune œuvre de zèle n'était étrangère, l'abbé Legris-Duval. René-Michel Legris-Duval, né au diocèse de Saint-Pol de Léon en 1765, et ordonné prêtre le 20 mars 1790, n'avait pas été mis en demeure de s'exiler, parce que, non pourvu encore d'une position dans l'Eglise au moment où parurent les lois persécutrices, il n'avait pas eu à prêter le serment constitutionnel. Le jeune prêtre, profita de cette immunité providentielle pour exercer à Paris, pendant la Révolution, un apostolat infatigable, surtout auprès des condamnés à mort, qu'il accompagnait jusqu'au pied de l'échafaud. Aidé par la comtesse de Carcado et par Mme de Saisseval, il fonda, pour les enfants des victimes de la Terreur, cette œuvre des Orphelines de la Révolution, qui, la première des œuvres du XIXe siècle, fut comme le trait d'union entre les institutions charitables de l'Ancien Régime et celles du Régime moderne.

Tandis que les deux apôtres échangeaient leurs vues, ils avaient rencontré un jeune homme qui, pour se livrer, lui aussi, sans réserve à l'apostolat, avait généreusement renoncé aux avantages temporels d'une grande naissance, d'une immense fortune et d'une éducation princière. C'était l'abbé de Forbin Janson, qui, formé, comme l'abbé Legris-Duval, dans le séminaire et dans les catéchismes de Saint-Sulpice, aux habitudes de zèle, se livrait, à Paris, à toutes sortes de bonnes œuvres, attendant l'appel de Dieu à un apostolat plus déterminé.

Un accord complet de vues ne tarda pas à s'établir entre les trois prêtres. Quelques compagnons se joignirent à eux. Une petite maison, située au n° 8 de la rue Notre-Dame-des-Champs, fut le berceau de la nouvelle communauté, qui, sous le nom de maison des Missionnaires de France, eut bientôt pour protecteurs l'abbé Frayssinous, déjà célèbre par ses conférences de Saint-Sulpice, et l'abbé Liautard, qui avait déjà fondé, au n° 28 de la même rue, l'établissement destiné à devenir célèbre sous le nom de collège Stanislas. Un comité de dames, où figurèrent la princesse de Montmorency, la comtesse de la Bouillerie, la marquise de Croisy et la vicomtesse de Vaudreuil, procura à l'œuvre nouvelle les secours dont elle avait besoin.

Dieu bénit la pieuse institution. En peu d'années, cent trente villes furent évangélisées par les dévoués missionnaires. Paris, Lyon, Marseille, Nantes, Bordeaux, Montpellier, les villes les plus populeuses et les plus pénétrées par les idées rationalistes, les reçurent avec les mêmes enthousiasmes que les humbles villages. Souvent les missionnaires, en arrivant dans une ville, y trouvaient des préventions habilement propagées contre eux. Huit jours de mission suffisaient à les dissiper. Les églises retentissaient de cantiques populaires et d'acclamations ; de longues processions s'organisaient ; des croix, que tous les bras voulaient soutenir, étaient portées triomphalement à travers les rues et les places, s'arrêtant, en signe d'expiation, là où s'étaient dressés les échafauds révolutionnaires. Des arcs de triomphe étaient élevés de distance en distance ; les maisons étaient tendues ; des pavillons flottaient aux fenêtres. Dans plusieurs paroisses, on vit la municipalité prendre part en corps à la manifestation religieuse. Un piquet de cavalerie ouvrait la marche ; des salves d'artillerie annonçaient l'ouverture et la clôture de la cérémonie. Dans telle et telle ville du Midi, au pied de la croix, une fois plantée, d'émouvants dialogues s'engagèrent entre le prédicateur et la foule. Devant cette croix, s'écriait, à Toulon, l'abbé Rauzan, vos inimitiés sont venues expirer... Il faut quelque chose de plus à vos missionnaires... Il faut que vous aimiez vos ennemis. — Oui, oui, s'écrient des milliers de voix. Vous les aimerez donc désormais ; vous ne formerez plus qu'un peuple de frères !

Que, dans ces manifestations, quelque parole excessive ait été prononcée, que, çà et là, la pression de l'autorité civile se soit plus ou moins indiscrètement exercée sur la population, que le nom du roi se soit trouvé mêlé au nom de Dieu dans les acclamations populaires : c'est ce qui était inévitable ; c'est ce qui se produisit en plusieurs endroits ; et ce sont de tels faits que les esprits restés hostiles ou indifférents reprochèrent, en les grossissant et en les dénaturant, au mouvement des Missions de France. Au fond, ce fut surtout le succès religieux de ces grandes manifestations qui exaspéra les incrédules[45].

Une voix éloquente s'éleva pour la défense des missions : ce fut celle de l'abbé de La Mennais : Quand Jésus-Christ apparut sur la terre, dit-il, il ouvrit une grande mission, qui, continuée pendant dix-huit siècles, souvent entravée, toujours triomphante, ne finira qu'avec le genre humain... On a demandé si la France était donc peuplée d'idolâtres, pour qu'il fût nécessaire d'envoyer de ville en ville des missionnaires annoncer la foi... Chose étrange ! On répète saris cesse que le christianisme est mort ; et, dès qu'un prêtre ouvre la couche pour l'annoncer au peuple, on s'écrie : A quoi bon ? Il n'y a que des chrétiens. Au reste, peu m'importe à laquelle de ces deux assertions l'on s'arrête. S'il n'y a plus de christianisme, il faut des missions pour le renouveler ; si le peuple est chrétien, il faut des missions pour empêcher qu'il ne cesse de l'être. Mais les missions portent atteinte à la liberté des protestants, elles les inquiètent... Singulière prétention, de ravir à vingt-cinq millions de citoyens la liberté religieuse, pour assurer à un petit nombre cette liberté, que personne n'attaque ! Les protestants ne sauraient-ils être libres, que nous soyons enchaînés ?... Il serait aussi trop étrange, quand les doctrines antisociales ont partout des organes, que le christianisme seul fût contraint d'être muet ![46]

 

VII

Nouvelles La société des Missionnaires de France n'était pas la seule congrégation religieuse qui se fût vouée, depuis la Restauration des Bourbons, à la régénération catholique de la France. Tandis que les trappistes, les lazaristes, les prêtres de la Congrégation du Saint-Esprit et les Pères des Sacrés-Cœurs de Picpus reprenaient et développaient leurs œuvres anciennes et récentes, l'abbé Chaminade fondait l'institut des Filles de Marie et la Société des marianistes, les abbés Collin et Champagnat jetaient les fondements de la Congrégation des maristes, l'abbé de Mazenod établissait la Société des oblats de Marie Immaculée, et la Compagnie de Jésus, canoniquement reconstituée pour l'Eglise universelle par la bulle Sollicitudo du 7 août 1814, préparait sa rentrée en France par les pieuses associations des Pères du Sacré-Cœur et des Pères de la foi.

C'est à Saragosse, où la tempête révolutionnaire l'a forcé de s'exiler, dans le sanctuaire vénéré de Notre-Dame del Pilar, que Guillaume Chaminade sent s'allumer en lui la flamme de l'apostolat qui lui fera prendre pour devise ces mots, inspirateurs de toute sa vie : Formons des chrétiens apôtres ! Le désir de son âme se réalise lorsque, seize ans plus tard, il peut fonder, à Agen, avec le concours d'une fervente chrétienne, Mlle de Trenquelléon, une communauté de petites missionnaires ayant pour mot d'ordre la multiplication des chrétiens, et, un an après, de concert avec un saint prêtre, l'abbé Lalanne, une société, composée de prêtres et de laïcs, ayant pour objet de poursuivre, par tous les moyens que les circonstances providentielles montreraient opportuns, le même but apostolique : multiplier les vrais chrétiens. En 1823, les deux sociétés fondées par Guillaume Chaminade ne dirigent encore que des écoles gratuites, des ouvroirs et des pensionnats dans le Midi de la France et en Franche-Comté ; mais leur saint fondateur ne cesse de leur recommander de se tenir prêtes à voler, pour faire des chrétiens, jusqu'aux extrémités de la terre. Ses vues se réaliseront, et, peu de temps après sa mort, son œuvre aura des rejetons dans les cinq parties du monde[47].

En 1816, pendant que Guillaume Chaminade pose les premières bases d'une société de Marie, dont les membres porteront le nom de marianistes, un groupe de jeunes abbés, élèves au grand séminaire de Lyon, accueille avec transport le projet, manifesté par l'un d'eux, de fonder un corps de religieux dévoués à la Sainte Vierge et qui porterait également le nom de la Société de Marie. C'est l'origine de deux nouvelles congrégations religieuses : les Petits-Frères de Marie, ou Frères maristes, fondés en cette même année par l'abbé Marcellin Champagnat[48], et les Pères maristes, qui ne commenceront à s'organiser qu'en 1823, sous la direction de l'abbé Jean-Claude Colin[49]. Comme les marianistes, les maristes ne tarderont pas à essaimer jusqu'aux antipodes ; ils fourniront à l'Océanie des vicaires apostoliques et des martyrs.

L'abbé de Mazenod, descendant d'une des plus nobles familles de Provence, a d'abord orienté les élans de son zèle vers les missions lointaines ; mais lorsque, au retour de l'émigration, il est en position de voir par lui même l'état de la France au point de vue religieux, il sent que, devenu prêtre, il n'aura pas besoin d'aller chercher les infidèles au delà des mers ; il voit, comme il dit dans la préface qu'il a donnée aux constitutions de sa congrégation, la malice et la corruption des chrétiens telles, que l'état de la plupart d'entre eux est pire que celui de la gentilité avant que la croix eût renversé les idoles[50], et, au lendemain même de son ordination sacerdotale, jeune vicaire à Arles, il forme le projet d'une société de prêtres voués à l'apostolat des campagnes[51]. Le 18 février 1816, sa pensée reçoit un commencement d'exécution ; elle se réalise peu à peu par l'évangélisation des principales contrées de la Provence ; elle recevra son couronnement par l'approbation solennelle, donnée par Léon XII, le 17 février 1828, aux règles de l'institut des oblats de Marie-Immaculée.

Plus d'une fois, l'impiété révolutionnaire, par ses journalistes, par ses pamphlétaires, par ses hommes d'Etat, dont quelques-uns approchaient du trône, avait dénoncé ces nouvelles fondations, y montrant les prétendus agissements politiques du parti prêtre ; mais l'attention se portait surtout sur la célèbre Compagnie de Jésus, qui, proscrite, au XVIIIe siècle, de la plupart des Etats européens, était déjà rentrée en Sardaigne, à Naples, en Angleterre et en Suisse. Profiterait-elle de la Restauration du roi très chrétien pour rentrer aussi eu France ? Et, si elle le tentait, quelle serait l'attitude du gouvernement ?

On raconte qu'en 1815, après la bataille de Waterloo, le prince de Talleyrand, président du conseil, ne craignit pas d'exprimer nettement son avis, à ce sujet, au roi Louis XVIII. Sire, lui aurait-il dit, votre Majesté espère se maintenir aux Tuileries ; mais il est urgent qu'elle se ménage les appuis nécessaires... Je lui propose la reconstitution légale de la Compagnie de Jésus[52]. On ne peut se faire illusion sur les sentiments qui dictaient au célèbre diplomate une telle proposition : ils étaient d'ordre exclusivement politique. Le roi hésita, demanda quelques semaines de réflexion ; et, Talleyrand ayant perdu le pouvoir dans l'intervalle, le projet ne fut pas repris. Mais la question n'était pas supprimée par cela même. Elle se posait toujours, devant l'autorité, d'autant plus pressante, qu'elle résultait, non d'interpellations plus ou moins vagues, mais de faits constants et précis, qu'il importait d'élucider.

Tout d'abord, plusieurs évêques, forts d'une ordonnance royale du 5 octobre 1814[53], qui plaçait sous leur dépendance les petits séminaires, y avaient appelé des jésuites. Ceux-ci, soumis, comme les autres prêtres, à la juridiction épiscopale et aux lois du royaume, ne recevant que des évêques les pouvoirs de prêcher, de confesser et d'enseigner, se contentaient de suivre, dans leur for intérieur, la règle de saint Ignace. Comme corporation, ils n'avaient et ne sollicitaient aucune existence civile ; ils se contentaient de réclamer, comme individus, les droits de citoyen et de prêtre français[54]. Sans doute des décisions judiciaires, sanctionnées par un édit royal, avaient aboli en France la Compagnie de Jésus ; mais ces décisions n'avaient-elles pas été virtuellement abolies par le régime du Concordat de 1801 et surtout par la Charte de 1814, établissant, dans son article 5, la liberté des cultes ? L'Angleterre et l'Amérique protestantes, régies par des lois constitutionnelles semblables, les avaient largement interprétées dans le sens de la liberté, relativement aux membres de la Compagnie de Jésus, qui s'y étaient établis dans des conditions analogues. Le gouvernement du roi très chrétien se montrerait-il moins bienveillant à l'égard de religieux dont le souverain pontife venait de reconnaître officiellement l'institut ? De fait, le gouvernement de la Restauration ne s'occupa, pour le moment, ni d'appuyer ni d'inquiéter les jésuites, qui travaillèrent dans les petits séminaires dans les conditions que nous venons d'exposer.

Mais la pénétration de la Compagnie de Jésus en France se faisait, en même temps, par une autre voie.

En 179/1, deux jeunes prêtres, élèves du séminaire de Saint-Sulpice, émigrés aux Pays-Bas, l'abbé Charles de Broglie et l'abbé Léonor de Tournély, s'étaient associés à deux jeunes gens, récemment sortis de l'armée de Condé, Xavier de Tournély, frère du précédent, et Pierre Leblanc. Les uns et les autres, désireux de perpétuer les traditions de la Compagnie de Jésus, alors supprimée, avaient résolu de la faire revivre sous une autre forme. A cet effet, ils avaient fondé une société qu'ils avaient appelée la Société du Sacré-Cœur. Quelques mois après, la société s'agrégeait un nouveau membre, Joseph Varin de Solmon, fils d'un conseiller au parlement de Franche-Comté, ancien condisciple des abbés de Broglie et de Tournély à Saint-Sulpice, et qui, après la tourmente de 1789, avait pris du service, lui aussi, dans l'armée du prince de Condé. D'une piété angélique, comme ses amis du séminaire, enthousiaste et brave, comme ses anciens Camarades de guerre, Joseph Varin ne tarda pas à devenir l'âme de la jeune compagnie. L'abbé Emery, ayant eu l'occasion de rencontrer la petite colonie, dans un voyage à sa sortie de prison, en 1796, exprima son admiration en ces termes : Ces jeunes gens vivent comme des saints. Ils roulent dans leurs têtes les projets les plus étonnants comme les plus saints. J'admire leur foi et leur courage[55]. Trois ans plus tard, en avril 1799, la Société du Sacré-Cœur fusionnait avec une société des Pères de la foi, qu'un prêtre italien, Paccanari, avait fondée à Rome en 1797 dans le même dessein de préparer la reconstitution de la Compagnie de Jésus. Sous la direction du P. Paccanari, puis, à partir de 1804, du P. Varin, la société des Pères de la foi multiplia ses œuvres apostoliques. Dillingen, Augsbourg, Paderborn, Berlin, Amsterdam, la Moravie, l'Italie, la Suisse, l'Angleterre et la France, furent le théâtre de leurs travaux. Lamartine, au souvenir des Pères de la foi, qui avaient élevé son enfance au collège de Belley, écrivait : C'est là que j'ai vu ce que l'on pouvait faire des hommes, non en les contraignant, mais en les inspirant... Les PP. Debrosse, Varlet, Béquet, Wriutz, surtout mes amis plus que mes professeurs, restèrent toujours dans ma mémoire comme des modèles de sainteté, de vigilance, de paternité, de tendresse et de grâce pour leur élèves[56]. Non content d'appliquer à l'éducation des jeunes gens les méthodes éprouvées de la Compagnie de Jésus, le P. Varin en avait fait l'application à la formation religieuse des jeunes filles en fondant en 1800, avec l'aide de Madeleine-Sophie Barat, l'institut des Daines du Sacré-Cœur. Le décret de dissolution de la Société des Pères de la foi, rendu le 2 novembre 1807 par Napoléon, eut pour effet la dispersion de ses membres, mais non la ruine de leur apostolat, qui se multiplia dans différents diocèses, y fit connaître le véritable esprit de saint Ignace, y multiplia des germes de vocation ; de telle sorte que, même avant la bulle Sollicitudo omnium Ecclesiarum, qui rétablit la Compagnie de Jésus dans tout l'univers, un grand nombre de Pères de la foi et de leurs disciples s'y étaient agrégés là où elle avait été déjà autorisée. Le P. Varin, admis à la profession solennelle de ses vœux de religion le 15 août 1818, fut nommé supérieur de la maison de Paris au mois d'octobre de la même année. Il devait conserver cette fonction, avec une intermittence de 1821 à 1825, jusqu'en 1853[57].

 

VIII

Les Pères de la foi n'avaient pas été des jésuites, mais ils s'étaient préparés à le devenir à la première occasion[58], et, en attendant, ils avaient toujours cherché à seconder de tous leurs efforts les œuvres fondées par la Compagnie ou inspirées par son esprit. Telle fut l'œuvre fameuse qui, instituée en 180i par un ancien jésuite, le P. Bourdier-Delpuits, après un développement silencieux et comme étouffé par la main de fer qui gouvernait la France, prit, au moment du retour des Bourbons, un essor rapide, jeta de toutes parts ses essaims, remplit le pays de foyers de foi, de prière et d'action, et suscita aussitôt de la part des sectes antichrétiennes de telles attaques, de telles calomnies, que son nom seul est encore, dans le monde des incrédules, un mystérieux épouvantail : la Congrégation.

Qu'est-ce que la Congrégation ? Celui qui jeta le premier cri  d'alarme, dans un Mémoire célèbre, le comte de Montlosier répondait ainsi : Il m'est aussi difficile de dire avec précision ce qu'elle est, que de montrer au temps passé comment elle s'est successivement formée, étendue, organisée[59]. Des documents nombreux et précis, mis au jour par l'érudition contemporaine, permettent de répondre plus nettement à la question.

En 1801, un jésuite sécularisé, le P. Delpuits, voulant protéger les croyances et la vertu des jeunes gens qui affluaient à Paris pour y étudier le droit, la médecine, ou plus généralement pour s'y former aux professions libérales, les réunit en une association pieuse, en prenant pour modèle les statuts des congrégations de la sainte Vierge en usage dans les maisons d'éducation des jésuites, puis parmi leurs anciens élèves, depuis le milieu du XVIIe siècle. Ces associations de piété et de bonnes œuvres, dont les règlements n'avaient rien de mystérieux, avaient été louées par plusieurs papes, notamment par le pape Benoît XIV[60]. Les réunions avaient lieu tous les quinze jours, ayant uniquement pour but l'édification de leurs membres. La société se développa peu à peu. Aux étudiants vinrent se joindre quelques industriels et commerçants. A la fin de 1805, lorsque Pie Vil vint à Paris, la Congrégation comptait 180 membres. Le pape l'autorisa à s'agréger des congrégations de province. En 1808, elle admit dans son sein deux savants du plus haut mérite : le géomètre Cauchy et le physicien Biot. La Congrégation s'attira les colères de l'empereur en favorisant la publication de la bulle qui excommuniait les spoliateurs du Saint-Siège ; et, en 1809, les congréganistes durent se disperser. Le P. Delpuits, accablé par l'âge, frappé par les événements, dut prendre un repos bien mérité par ses labeurs. D'autres que lui, a dit Lacordaire en parlant de ce saint prêtre, ont acquis plus de gloire dans leurs rapports avec la jeunesse de France ; aucun n'en a plus mérité[61].

A la Restauration des Bourbons, la Congrégation vit s'ouvrir une ère nouvelle. Les adhésions vinrent en foule à la société reconstituée. On remarqua parmi les nouveaux adhérents : le prince de Polignac, rentrant à peine de l'exil, l'abbé Eliçagaray, recteur de l'université de Pau, le colonel de Montaut, gouverneur des pages de Monsieur, le duc de Bourbon, le comte d'Artois, le roi lui-même. Cette dernière adhésion fut, il est vrai, une simple formalité de sympathie.

Au mois d'août 1814, la société, qui avait été provisoirement dirigée, depuis la retraite de P. Delpuits, par l'abbé Legris-Duval, passa sous la direction du P. Ronsin, ancien Père de la foi, qui venait d'entrer, comme beaucoup de ses frères en religion, dans la Compagnie de Jésus. Pierre Ronsin devait, pendant quinze ans, administrer la Congrégation avec un zèle qui lui valut l'admiration des catholiques et les attaques les plus passionnées des libéraux. Il était né à Soissons en 1771. Il n'avait ni la rondeur du P. Delpuits, ni l'éloquence de l'abbé Legris-Duval ; mais, sous des dehors modestes, il ne tarda pas à révéler son dévouement intelligent à l'œuvre et son infatigable activité. Avec lui, une phase nouvelle s'ouvrit pour la Congrégation. Tout en conservant à la société son but premier d'édification mutuelle, il se préoccupa beaucoup de remédier au dénuement physique et moral dont souffrait la population parisienne. Dès lors, la Congrégation rappela beaucoup, par son organisation et par ses œuvres, la célèbre Compagnie du Saint-Sacrement fondée au XVIIe siècle. La Société des bonnes œuvres, présidée par Charles de Lavau, qui se consacra au soulagement des malades et des prisonniers et au patronage des petits Savoyards, l'Œuvre de l'apprentissage des orphelins, l'Œuvre des prisonniers pour dettes, l'Œuvre des orphelins de la Révolution, l'Œuvre de la marmite des pauvres, l'Œuvre des maîtres d'école, l'Association à saint Joseph pour le placement des ouvriers, la Maison de saint Nicolas pour les enfants abandonnés, la Société des bonnes lettres, fondée en 1821 sous le patronage de Chateaubriand, la Société des bonnes études, définitivement constituée en 1823, la Société des bons livres, créée en 1824, furent dirigées par des membres de la Congrégation, sous l'inspiration du P. Ronsin[62].

Le caractère de prosélytisme que la Congrégation revêtait toujours davantage, attira sur elle l'attention publique. Le journalisme contemporain naissait. Ce n'était plus ce journalisme annaliste, anecdotique, plus ou moins frondeur, qu'avait connu l'Ancien Régime ; c'était déjà ce journalisme bruyant, tumultueux des temps modernes, aspirant au rôle de puissance publique, se sentant capable de diriger les courants d'opinion et au besoin de les créer. On ne peut pas reprocher à la presse révolutionnaire de 1817 à 1830 d'avoir été vénale ; elle trafiqua rarement de ses opinions ; mais, à part cette justice que l'histoire doit lui rendre, il faut bien dire qu'elle poussa aussi loin que possible le cynisme du mensonge[63]. Il lui fallait un mot sinistre, enveloppé de mystère, pour saisir l'opinion et la soulever. Le mot de jésuite avait été déjà exploité par Pascal ; elle le reprit, en y ajoutant celui de congréganiste. Les mots de jésuite et de congréganiste, dit M. de Viel-Castel dans son Histoire des deux Restaurations[64], devinrent des armes puissantes entre les mains de l'opposition pour discréditer, pour perdre moralement ses adversaires[65]. Nous verrons plus loin les conséquences de cette campagne.

 

IX

Tandis que, par la Congrégation, les Pères de la Compagnie de Jésus multipliaient leurs œuvres de zèle et de charité en France, ils n'oubliaient pas l'œuvre qui avait été, sous l'Ancien Régime, leur moyen d'action par excellence, l'éducation chrétienne de la jeunesse.

Grâce à la protection accordée aux Frères des écoles chrétiennes par Napoléon Ier, sur les instances de son oncle le cardinal Fesch, les écoles primaires n'étaient plus soustraites, depuis 1803, à l'enseignement religieux. Non content d'avoir donné aux Frères une existence légale par son décret de décembre 1803 (11 frimaire an XII), l'empereur avait voulu, dans son décret du 17 novembre 1808, qui créait en France le monopole de l'enseignement, incorporer les Frères à l'Université[66]. Une telle disposition, il est vraie pouvait créer à l'Institut des Frères une dépendance gênante ; l'esprit libéral de M. de Fontanes, grand maitre de l'Université, l'intervention de M. Emery et la souple énergie montrée par le Frère Gerbaud, supérieur des Frères, fit échapper la congrégation à ce danger[67]. Le vénéré supérieur, qui avait débuté avec 32 maisons et 160 Frères, laissait en mourant, en 1822, 173 maisons peuplées de plus de 600 religieux.

La situation de l'enseignement secondaire était malheureusement moins satisfaisante. Un des premiers actes de Louis XVIII, en rentrant en France, avait été de faire annoncer par le Moniteur, à la date du 8 avril 1814, son intention de supprimer le monopole et de rétablir la liberté d'enseignement[68]. Mais, le 28 juin suivant, une ordonnance royale maintenait provisoirement l'Université[69]. Le 15 février 1815, une nouvelle ordonnance royale, créant 17 universités régionales, sous la direction d'un Conseil royal, aurait eu pour effet de relâcher, dans une certaine mesure, l'absolutisme et la centralisation dans la direction de l'enseignement, si le retour de Napoléon n'avait empêché de la mettre en pratique[70]. Après les Cent Jours, Louis XVIII déclara que les difficultés des temps ne permettaient pas d'entreprendre une réforme fondamentale dans le régime de l'instruction publique, et rétablit l'Université sur les bases du décret impérial de 1808. Du côté de l'extrême gauche, comme du côté de la droite, de vives protestations s'élevèrent. L'autorité, écrivait Benjamin Constant[71], peut multiplier les moyens de l'instruction ; elle ne doit pas la diriger. La Mennais, de son côté, s'écriait, dans un article éloquent : On veut que la raison individuelle soit indépendante de toute loi, indépendante de Dieu même, et on attribue au gouvernement le droit d'asservir la raison de la société entière en s'emparant de l'instruction ![72] De fait, les élèves de l'Université subissaient alors, de la part de leurs maîtres, la plupart gagnés à l'impiété, une influence généralement fâcheuse, parfois détestable.

Lacordaire a raconté dans ses Mémoires combien sa mère maudissait l'Université, qui avait ravi la foi à ses fils[73]. Combien, dit un éminent historien de cette époque[74], n'avons-nous pas connu de vieillards qui ne pouvaient se reporter à leurs souvenirs de collège sans en parler avec dégoût et indignation.

Le gouvernement de la Restauration eut recours à de timides palliatifs. Non seulement il ferma les yeux sur la rentrée des jésuites dans les petits séminaires, mais il permit à ces établissements, de recevoir tous les élèves qui s'y présentaient en vue d'entrer plus tard dans les carrières laïques. Ces maisons devenaient ainsi de véritables collèges. Il laissa aussi se former des pensions religieuses, qui devaient conduire leurs élèves aux collèges royaux, mais qui éludaient cette obligation par divers artifices[75]. Une ordonnance royale du 27 février 1821 alla plus loin. Elle régla : 1° que l'évêque, pour ce qui concerne la religion, aurait le droit de surveillance sur tous les collèges de son diocèse (art. 114) ; 2° que les maisons particulières qui avaient mérité la confiance des familles pourraient être élevées au rang de collèges de plein exercice (art. 21, 22, 23) ; 3° que les curés ou desservants pourraient se charger de former deux ou trois jeunes gens pour les petits séminaires. Enfin, le 1er juin 1822, Mgr Frayssinous, évêque d'Hermopolis, fut nommé Grand Maître de l'Université et président du conseil royal de l'Instruction publique. Le savant et pieux prélat, que ses Conférences de Saint-Sulpice venaient de rendre célèbre, paraissait bien être l'homme de France le plus qualifié pour sauver l'institution en l'abritant à l'ombre d'un grand nom[76]. Mais il ne se dissimula pas les insurmontables difficultés de sa tâche. A des amis, qui le félicitaient, il répondit avec tristesse : La Providence a voulu me châtier, en m'accablant d'un fardeau au-dessus de mes forces ; je ne pourrai faire le bien qu'on attend de moi. Effectivement, l'influence du nouveau Grand Maître devait se borner à supprimer un certain nombre de scandales. L'esprit irréligieux de l'Université subsistait dans son ensemble. Le jeune Montalembert, élève au collège de Sainte-Barbe, devait y rencontrer cent vingt incrédules, et compter trente élèves de sa classe qui affectaient de ne pas croire à la divinité de Jésus-Christ. Mais la presse catholique commençait à soulever l'opinion publique. Une lettre ouverte de La Mennais au Grand Maître, publiée dans le Drapeau blanc, et révélant de nombreux scandales dans les établissements de l'Université, eut un retentissement immense[77]. C'était le début de la campagne qui, menée, avec des intermittences, jusqu'en 1850, devait aboutir à la seule réforme efficace, à la liberté de l'enseignement.

Le fait qu'un tel mouvement d'opinion fût possible en 1823, était déjà. un signe que le voltairianisme n'avait pas complètement desséché les âmes. Le succès que venait d'obtenir l'Essai sur l'indifférence était un autre signe[78]. 1823, c'était le moment où Jouffroy, réunissant quelques élèves d'élite dans son modeste appartement de la rue du Four, leur parlait du beau, du bien moral, de l'immortalité de ou de quelque autre de ces vérités, alors presque nouvelles, du christianisme[79] ; où Vigny, Soumet, Victor Hugo, Nodier formaient, dans le fameux salon de l'Arsenal, ce premier Cénacle, qui devait créer le mouvement romantique[80]. Royer-Collard venait de signaler aux vieux partis l'avènement d'une nation nouvelle, et Guizot avait parlé de cette jeune génération, l'espoir de la France, que la Révolution et Bonaparte n'avaient ni brisée ni pervertie[81]. Un enthousiasme mal réglé devait, bien souvent, entraîner cette génération nouvelle vers le rêve infécond, vers l'utopie ruineuse, vers Faction désordonnée ; mais sous ses folles ambitions, sous son libéralisme équivoque, un souffle chrétien, que beaucoup d'entre eux devaient, hélas ! bientôt renier, la pénétrait à son insu, et celui qui nous a laissé le tableau le plus sombre de sa jeunesse flétrie par l'université[82], Alfred de Musset, devait un jour se faire l'interprète éloquent de cette génération en jetant l'anathème à Voltaire[83] et en célébrant l'Espoir en Dieu.

 

X

Un mouvement analogue, pareillement mêlé de rêves plus ou moins ambitieux et d'élans sincères vers le christianisme, se dessinait en Italie, à la mort de Napoléon et de Pie VII.

Le potentat qui venait de disparaître avait laissé sur la péninsule sa puissante empreinte. En créant ce royaume d'Italie, dans lequel les divers Etats morcelés de la péninsule tendaient à s'absorber, il avait secondé ses tendances vers l'unité, ravivé les souvenirs d'une nationalité endormie, suscité les plus grandes espérances. Mais quand, après la chute de l'empereur, l'Italie avait demandé l'indépendance à ceux qui l'avaient vaincu, ceux-ci lui avaient répondu par un nouveau partage ; et l'Autriche, non contente de s'attribuer, comme une conquête et sans condition, la Lombardie et la Vénétie, s'était hardiment posée comme la protectrice des pouvoirs absolus contre toutes les tentatives d'affranchissements. De là était né ce mouvement, fait d'amour pour la patrie italienne et de haine pour les étrangers, que les populations italiennes devaient exprimer par un mot sonore, le Risorgimento, et traduire par une devise farouche : Fuori i stranieri ![84]

D'autre part, le saint pontife qui venait de mourir avait, par la grandeur de ses luttes et de ses infortunes, comme par le triomphe final de son autorité, jeté sur le Saint-Siège un tel éclat, que le peuple italien, moins que tout autre, ne pouvait désormais négliger ou feindre d'ignorer sa puissance.

Parmi les patriotes qui se donnèrent pour but la résurrection de l'Italie, deux partis se formèrent. Les uns, préconisant les mesures violentes et les principes révolutionnaires, se déclarèrent les ennemis de la papauté. Ils sont connus dans l'histoire sous le nom de parti de la Jeune Italie. Mazzini devant être leur chef ; les sociétés secrètes, leurs principaux moyens d'action. Les autres, unissant le culte de l'Italie à celui du pape, formèrent le parti des néo-guelfes. Un des hommes d'Etat qui se donnèrent pour tâche d'en continuer les traditions, en a fait ainsi le tableau : Ce parti, brûlant surtout pour la liberté, lisait dans l'histoire qu'elle eut toujours les papes pour défenseurs. C'étaient eux qui avaient préservé l'Italie, sauvé les restes de l'antique civilisation et empêché les barbares de prévaloir tout à fait... Ce parti des néo-guelfes rencontra pour opposants tous ceux qui regardaient la papauté comme un obstacle à la liberté de l'Italie ; niais beaucoup de bons esprits et de cœurs droits nourrirent le culte de cette idée. L'abbé Gioberti fut son représentant le plus fameux. Le salut de l'Italie, selon lui, était impossible sans le concours des idées religieuses ; la péninsule ne pouvait être libre et forte, si Rome, sou centre et son chef moral, ne se relevait pas. Si les tentatives politiques n'avaient pas réussi jusque-là, c'est que, dans ces entreprises, on n'avait tenu nul compte du clergé et des croyances ; c'est qu'on avait oublié que la religion est la base du génie italien, que Rome est sa métropole, que la seule grandeur possible de l'Italie ne peut résulter que d'une confédération de tous ses Etats, présidée par le pontife romain[85].

Tel fut du moins le programme que Gioberti donna, dans la suite, au parti. Il n'était, vers 1820, qu'un mouvement d'opinion, qui comptait comme principaux représentants : les poètes Alexandre Manzoni, et Silvio Pellico, le jurisconsulte Romagnosi, l'économiste Melchiore Gioja. Manzoni, d'abord mêlé au courant de la philosophie incrédule, était revenu, en 1810, à la foi et à la pratique catholiques, et des hymnes religieuses d'un grand mérite, parues en 1813, lovaient témoigné de la ferveur de ses convictions. Son chef-d'œuvre, les Fiancés, ne devait paraître qu'en 1827. Silvio Pellico était déjà célèbre par le succès de sa tragédie Francesca di Rimini. En 1819 le désir de travailler à l'émancipation morale de leurs compatriotes, et de préparer par là un avenir de bonheur et de liberté pour l'Italie, inspira à ces hommes la pensée de fonder un journal purement littéraire, le Conciliateur. Mais cette feuille ne tarda pas à causer de l'ombrage au gouvernement autrichien. En vertu du célèbre arrêté du 25 août 1820, qui frappait de mort tout membre de société secrète, et de carcere duro e durissimo quiconque aurait négligé de s'opposer aux progrès du carbonarisme et d'en dénoncer les membres, les rédacteurs du Conciliateur furent frappés en masse. Pellico, condamné à mort le 21 février 1822, vit sa peine commuée en 15 ans de carcere duro. Il a raconté ses souffrances dans un livre plein de la plus pure résignation chrétienne. Le mie prigioni, qui, traduit aussitôt clans toutes les langues, eut pour effet de provoquer de sérieuses réformes en faveur des détenus. Manzoni, en dehors de ses œuvres littéraires, s'appliqua à défendre la morale catholique contre les calomnies de l'impiété. Quant à Gioberti, esprit mobile et sans frein, il devait plus tard, par ses témérités philosophiques et politiques, encourir, comme La Mennais, les condamnations les plus sévères de l'Eglise.

 

XI

Les chefs du mouvement catholique en Allemagne à cette époque se firent également remarquer par leurs tendances vers les idées de liberté. Joseph Gœrres, Frédéric Schlegel, Charles-Louis de Haller et Adam Müller, dit l'historien de l'Allemagne catholique au XIXe siècle[86], firent campagne, chacun avec sa méthode, contre l'absolutisme politique et social... Ils cessaient de demander au Moyen Age, uniquement, des thèmes esthétiques ; ils lui demandaient des leçons d'architecture politique, des maximes de vie sociale chrétienne. En 1822, Gœrres, récemment converti, écrivait : Je considère que l'Eglise n'est nullement subordonnée à l'Etat et aux intérêts de l'Etat... Et je ne veux pas que la religion soit claquemurée dans le boudoir du cœur. Elle a trop à faire au dehors ; il n'est pas jusqu'au marché, aux alentours duquel l'Eglise n'ait un rôle spacieux à jouer[87]. Dans sa Philosophie de l'histoire, Frédéric Schlegel repoussait de toutes ses forces le despotisme, quel qu'il soit, celui de prince ou celui de la masse, et prônait la constitution d'un Etat chrétien, à base religieuse fondé sur une justice pleine d'amour[88]. Haller, né protestant comme Gœrres et Schlegel, se convertissait au catholicisme parce qu'il y voyait un principe de régénération pour la société[89]. Quant à Müller, ce Bonald allemand, romantique et nuageux, mais esprit perspicace et puissant, il ne cessait de poursuivre, dans ses ouvrages et dans ses articles de polémique, deux idoles maudites : celle du droit romain et celle de l'économie politique dite libérale, qu'il qualifiait nettement d'absolutisme économique. Il prédisait que ces deux idoles s'écrouleraient, pour faire place au vrai droit chrétien[90].

Gœrres, Schlegel, Haller et Müller étaient des laïques. Dans une sphère plus strictement religieuse, des prêtres dévoués, fidèles à la méthode inaugurée au début du siècle par un pieux ecclésiastique de Westphalie, Overberg, popularisaient l'enseignement catéchistique en Allemagne[91], et un autre prêtre, Sailer, le François de Sales des bords du Rhin, y vulgarisait, en d'innombrables œuvres, les méthodes de l'ascétique chrétienne et les principes de la vraie piété[92].

L'épiscopat ne devait pas tarder à se mettre en tête du mouvement. Les traités de 1815 l'avaient dépouillé de ses biens et de sa puissance. Les trente-huit princes allemands, à qui les souverains alliés avaient garanti l'indépendance, avaient refusé de rendre aux autres princes leur antique souveraineté, aux églises et aux chapitres leurs anciens droits et domaines[93]. Fallait-il voir dans ce fait un malheur pour l'Eglise ? Un perspicace et judicieux observateur de l'Allemagne à cette époque, le cardinal Pacca, répond ainsi, dans ses Mémoires, à la question : Je n'ose répondre par l'affirmative. Je considère que les évêques, privés d'un domaine temporel, qui pouvait être très utile au soutien de l'autorité ecclésiastique spirituelle quand il était appliqué à cet objet, seront désormais plus dociles à la voix du pontife suprême... Les populations catholiques pourront contempler enfin, dans les visites pastorales, les visages de leurs évêques. Les brebis entendront au moins quelquefois la voix de leurs pasteurs... Les graves idées du sanctuaire domineront enfin celles de la milice[94]. Le cardinal Pacca voyait juste : dans cette austère pauvreté allaient se former les grandes âmes épiscopales d'un Droste-Vischering, archevêque de Cologne, et d'un Diepenbrock, évêque de Breslau.

 

XII

En étudiant l'état religieux de l'Allemagne après 1815, le cardinal ajoutait aux motifs d'espoir que nous venons de rapporter cette autre considération, que, par l'effet même de la décadence des sectes protestantes, un grand mouvement de retour à l'Eglise romaine avait été facilité. Les conversions de Gœrres, de Schlegel et de Haller avaient été les prémices de ce mouvement. En 1827, une évolution pareille sers l'Eglise romaine se préparait dans la protestante Angleterre, et devait avoir pour inspirateur un autre grand converti du protestantisme, John-Henry Newman.

L'éminent historien de la Renaissance catholique en Angleterre au XIXe siècle a fait, de la situation religieuse en Grande-Bretagne, pour la période qui va de 1813 à 1823, un tableau qu'on nous saura gré de reproduire.

Dans les années qui suivirent Waterloo, la pensée anglaise, délivrée du gigantesque et périlleux effort qui l'avait absorbée pendant sa lutte contre Napoléon, trouva le loisir d'accorder plus d'attention aux problèmes religieux. Elle parut alors partagée, sur ce sujet, entre deux tendances contraires. Les uns, demeurés sous l'empire des traditions du XVIIIe siècle et de la Révolution française, se montraient agressifs ou dédaigneux à l'égard de toute religion révélée et surnaturelle. D'autres, comme mûris par la grande crise que le monde venait de traverser, sentaient le besoin d'un retour au christianisme. Des écrivains secondaient cette réaction, accomplissant en Angleterre une œuvre analogue à celle de Chateaubriand en France, de Gœrres en Allemagne : tels, à des titres divers, Walter Scott, Coleridge, Wordsworth, Southey.

L'Eglise établie d'Angleterre était-elle eu mesure de faire face à cette hostilité et de satisfaire ce besoin ? Personne alors ne le croyait. Les évêques, choisis par faveur politique, vivaient somptueusement, presque toujours hors de leurs diocèses, où ils ne se montraient que pour présider à quelques rares cérémonies. Les clergymen, la plupart cadets de bonne famille, sans soupçon d'une vocation d'En haut, se préoccupaient d'obtenir et même de cumuler de fructueux bénéfices. Quelques-uns avaient conservé le goût des études classiques. Les meilleurs s'appliquaient à mener une vie qui fût, pour user de deux mots courants outre-Manche, respectable et confortable. Rien de surnaturel ; aucun souci de l'invisible ; peu de piété et de ferveur ; encore moins d'ascétisme et de mysticisme. Au fond, l'Eglise paraissait être moins la gardienne d'un ensemble de croyances qui s'imposaient à la raison et liaient la conscience, qu'un établissement lié étroitement à l'Etat et en ayant reçu des privilèges politiques et de grandes richesses... Un effort avait été tenté pour ranimer la vie religieuse éteinte dans l'anglicanisme : c'était le mouvement evangelical, plus ou moins inspiré du méthodisme. Là où son influence avait pénétré, il avait réveillé la piété individuelle ; mais, quoique son origine ne remontât guère qu'à cinquante ou soixante ans, il commençait à donner des signes de déclin ; sa vertu bienfaisante semblait épuisée... Où aller ? Où trouver ce renouveau religieux que les âmes attendaient ? Etait-ce auprès de l'école dite libérale, qui régnait, vers 1820, à Oriel-College, le plus renommé alors des collèges d'Oxford ? Mais, sous la plume des chefs de cette école, les Pères n'étaient plus que certains vieux théologiens ; la partie dogmatique de la religion était au moins minimisée. Au lieu de fortifier la religion, les libéraux en ouvraient la porte à la libre-pensée[95].

Ce ne fut pas un livre de théologie qui contribua alors le plus efficacement à ramener les anglicans vers les conceptions religieuses si oubliées ; ce fut un volume de vers. L'auteur de ce livre était un curé de village, John Keble... Dès 1819, il avait pris l'habitude d'épancher les sentiments qui débordaient de son âme en composant de courtes hymnes, C'était comme un encens qu'il aimait à faire monter vers le ciel. Peu à peu, son recueil s'étendit, et il se trouva bientôt avoir écrit des cantiques pour chaque dimanche et pour chaque fête, ainsi que pour les principaux actes de la vie chrétienne. Des amis, ayant eu connaissance de ces petits poèmes, ne se résignaient pas à les voir demeurer sous le boisseau[96].

Le livre ne devait paraître qu'en 1827, sans signature, sous ce titre : The Christian Year. A cette date, le mouvement de renaissance religieuse avait un autre représentant en la personne d'un jeune vicaire de la paroisse de Saint-Clément, à Oxford. Ce jeune ecclésiastique s'appelait John-Henry Newman. Né en 1801, fils d'un banquier de Londres, il avait reçu de sa mère, qui descendait de huguenots français, une éducation religieuse tout imprégnée de calvinisme. Ecolier précoce, il a seize ans à peine quand, en décembre 1816, il est admis dans Trinity Collège, à Oxford... Dès cette époque, il a une vie intérieure intense, s'absorbe volontiers dans la méditation des choses invisibles, cherche avec ardeur et avec angoisse à faire le bien et à connaître le vrai[97]. Un moment il subit l'influence du libéralisme, alors puissante dans l'Université. Mais l'attachement qu'il professe déjà pour les anciens Pères, l'étude qu'il en fait, lui sont une sauvegarde. Avec leur indépendance d'esprit un peu capricieuse, les Orielmen se trouvaient parfois mêler à leurs thèses libérales quelques autres à tendance catholique : c'était celles auxquelles Newman s'attachait de préférence et qu'il retenait le mieux[98]. On raconte qu'un de ses amis, en l'entendant exprimer ses idées théologiques, lui disait souvent : Ah ! Newman, cela vous conduira à l'erreur catholique.

John Newman souriait tristement à de pareilles prophéties. Le catholicisme, tel qu'il se présentait alors en Angleterre, n'avait rien pour attirer un esprit d'aussi riche et noble culture. Newman lui-même nous a laissé un tableau saisissant de ce qu'était l'Eglise catholique en Angleterre de 1815 à 1823 : En réalité, il n'y avait pas d'Église catholique ; il n'y avait plus même de communauté catholique, mais un petit nombre d'adhérents à la vieille religion, passant, silencieux et tristes, comme un souvenir de ce qui avait été. Ici, c'était une bande de pauvres Irlandais, allant et venant au temps de la moisson, ou une colonie des mêmes dans un quartier misérable de la grande métropole ; c'était une maison de vieux style, de sombre apparence ; on racontait que là vivaient des catholiques romains ; mais ce qu'ils étaient, ce qu'ils faisaient, ce qu'on voulait dire quand on les appelait catholiques romains, nul n'aurait pu l'expliquer ; on savait seulement que cela sonnait mal et parlait de formalisme et de superstition... Finalement, ils étaient devenus si faibles, ils étaient tombés si bas, que le dédain avait fait place à la pitié[99].

Tel était le catholicisme en Angleterre dans le premier quart du XIXe siècle. On conjecture qu'il ne comptait pas plus de 160.000 adhérents[100] ; à la fin du siècle, il en comptera, dans la seule Angleterre, en dehors de l'Irlande et de l'Ecosse, environ 1.500.000 ; on verra des cardinaux siéger, à côté des prélats anglicans, dans les cérémonies publiques ; la statue de l'un d'eux s'élèvera à Londres, sur le terre-plein de l'église de l'Oratoire ; et le principal instrument de la Providence dans ce merveilleux mouvement de renaissance catholique aura été John-Henry Newman.

 

 

 



[1] Albert SOREL, dans Hist. générale de LAVISSE et RAMBAUD. Cf. A. SOREL, Essais d'histoire et de critique : Talleyrand au congrès de Vienne, Paris, 1883.

[2] SEIGNOBOS, Hist. de l'Europe contemporaine, un vol. in-8°, Paris, 1897, p. 8.

[3] J. DE MAISTRE, Lettres et opuscules inédits, 2 vol. in-12, Paris, 1853, t. I, p. 324. Toute la lettre est à lire.

[4] CONSALVI, Lettre du 4 janvier 1818, citée par D'ESTAMPES et JANNET, la Franc-Maçonnerie et la Révolution, un vol. in-12, Paris, 1884, p. 249. Par une inconséquence dont les suites furent affreuses, dit Crétineau-Joly, les souverains coalisés voulaient museler la Révolution, et ils déchaînèrent les révolutionnaires. (CRÉTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Révolution, 2 vol. in-8°, Paris, 1859, t. II, p. 5).

[5] G. GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. I, p. 313. L'expulsion des jésuites, arrachée en 1817 à l'empereur Alexandre Ier, les intrigues nouées par Talleyrand pour renverser les Bourbons, et la politique suivie par Metternich à l'égard de la papauté, montrèrent bientôt que l'Eglise ne pouvait pas se fier aux chefs du fameux Congrès. Elle ne s'y fia jamais, et la prétendue solidarité entre l'Eglise et la Sainte-Alliance, si souvent exploitée par les ennemis du catholicisme, est une pure calomnie.

[6] Cf. L. D'ESTAMPES et JANNET, la Franc-Maçonnerie et la Révolution, passim, et CRÉTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Révolution, passim. La suite de cette histoire justifiera par des faits la présente assertion.

[7] J'entretiens chaque jour les ambassadeurs de l'Europe des dangers futurs que les sociétés secrètes préparent à l'ordre à peine reconstitué, et je m'aperçois qu'on ne me répond que par la plus belle de toutes les indifférences. (CONSALVI, Lettre à Metternich du 4 janvier 1818.)

[8] A. VIALLATE, dans l'Hist. générale, t. X, p. 465. Cf. A. de FOVILLE, la France économique (statistique raisonnée et comparative), Paris, 1890 ; E. LEVASSEUR, Hist. des classes ouvrières en France depuis 1789, Paris, 1867 ; P. CLÉMENT, Hist. du système protecteur en France depuis Colbert, Paris, 1854.

[9] On appela phalanstère l'établissement agricole ou industriel où des travailleurs se groupèrent en phalanges de 1.600 à 2.000 personnes, pour s'y livrer à l'attrait du travail.

[10] BONALD, Economie sociale ; de la famille et du droit d'aînesse.

[11] BONALD, Législation primitive, part. III, ch. IV.

[12] Michel SALOMON, Bonald, 1 vol. in-12, Paris, 1905.

[13] E. FAGUET, Politiques et moralistes du XIXe siècle, 2e série, un vol. Paris, 1898, p. 139.

[14] SAINTE-BEUVE, Portraits contemporains, t. I, p. 323.

[15] Les principaux ouvrages de Ballanche sont : l'Essai sur les institutions sociales, les Essais de palingénésie sociale et plusieurs poèmes en prose (Antigone, Orphée, etc.) dont l'auteur se sert pour envelopper ses doctrines. Cf. vte de GUICHEN, la France morale et religieuse à la fin de la Restauration, 1 vol. in-8°, Paris, 1912.

[16] SAINTE-BEUVE, Portraits contemporains, éd. de 1855, t. I, p. 134.

[17] A. DE MUSSET, Confessions d'un enfant du siècle, ch. II, éd. Lemerre, Paris, 1876, p. 9, 13, 20.

[18] J. DIDIOT, dans Un siècle, p. 373.

[19] Sur les blasphèmes de Hegel contre les dogmes et les pratiques catholiques en général, et contre l'Eucharistie en particulier, voir BARTHÉLEMI-SAINT-HILAIRE, Victor Cousin, t. I, p. 334, t. III, p. 373, et Victor COUSIN, dans la Revue des Deux Mondes du 1er août 1866, p. 617-618. — Sur les doctrines religieuses de Schleiermacher et de Hegel, cf. GOYAU, l'Allemagne religieuse, le Protestantisme, p. 78-93 ; le Catholicisme, t. II, p. 81.

[20] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le Protestantisme, p, 81-89.

[21] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le Catholicisme, t. II, p. 2-12.

[22] P. DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, 5e édit., 3 vol. in-8°, Avignon, 1881, t. II, p. 221.

[23] Protégée, disait Napoléon, la maçonnerie n'est pas à redouter. Telle qu'elle est aujourd'hui, elle dépend de moi, je ne veux pas dépendre d'elle. Voir *** (Max DOUMIC), le Secret de la franc-maçonnerie, un vol. in-12, Paris, 1905, p. 199-200.

[24] DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, t. II, p. 222.

[25] ECKERT, La franc-maçonnerie dans sa véritable organisation, trad. française, Liège, 1854. Cet ouvrage est riche de documents sur la maçonnerie allemande. Voir, du même auteur, le Temple de Salomon, théorie scientifique et explication de tous les emblèmes maçonniques, et Recueil des preuves destinées à faire condamner la franc-maçonnerie... (Magazin der Beweisferurg für des Freimaurer-Ordens) 2 vol. grand in-8°. Les œuvres d'Eckert ont été utilisées par l'abbé GYR dans son livre : la Franc-Maçonnerie en elle-même et dans ses rapports avec les autres sociétés secrètes de l'Europe, un vol. in-8°, Liège, 1859.

[26] DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, t. II, p. 222-223.

[27] GYR, la Franc-Maçonnerie en elle-même..., p. 355.

[28] On sait, dit une brochure écrite contre Eckert, que c'est aux loges maçonniques qu'est due la naissance de la plupart des associations qui ont relevé les nations abattues. (Défense de l'ordre maçonnique contre les attaques de l'avocat E. Eckert, Leipzig, 1852).

[29] Mémoire sur les sociétés secrètes et les conspirations sous la Restauration, par Simon DUPLAY. Ce Mémoire, découvert aux Archives nationales F7 6666, a été publié par M. Léonce GRASILIER dans la Revue internationale des sociétés secrètes du 5 mars 1913, p. 510-554. Voir, pour ce qui concerne la pénétration en France des sociétés allemandes, les pages 523-525.

[30] CRÉTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Révolution, 2 vol. in-8°, Paris, 1859, t. II, p. 75.

[31] CRÉTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Révolution, t. II, p. 75.

[32] Voir le Rituel pour la réception du Grand Maitre des carbonari dans GYR, la Franc-Maçonnerie en elle-même..., p. 381-418.

[33] BLUMENHAGEN, Confession politique, dans la Revue maçonnique de 1828, p. 320.

[34] Cf. CIVALOTTI, Memorie sulle società ségrete dell'Italia meridionale e specialmente sui carbonari (Estr. della Bibliotheca storica del Risorgimento italiano, Rome, 1904, et un Rapport de police de 1822, publié par L. GRASILIER dans la Revue internationale des sociétés secrètes du 5 juin 1913, p. 1770-1775. Voir aussi CANTU, les Hérétiques d'Italie, t. V, p. 425-437 (traduction française).

[35] Les statuts de diverses affiliations allemandes, saisis dars le temps par les autorités françaises, dit un Rapport de police de 1823, semblent avoir servi de types aux règlements adoptés par les associations de France, avant que celles-ci connussent le nom de carbonari. Il importe peu de rechercher les modifications que les sociétés italiennes ont pu apporter aux premiers plans empruntés aux sociétés allemandes ; mais il peut n'être pas sans intérêt d'établir qu'on les doit à l'Allemagne. (Revue internationale des sociétés secrètes du 5 mars 1913, p. 525).

[36] Louis BLANC, Hist. de dix ans, t. I, p. 82.

[37] Louis BLANC, Hist. de dix ans, t. I, p. 92. Cf. DESCHAMPS, les Sociétés secrètes, t. II, p. 237.

[38] Ach. de VAULABELLE, Hist. des deux Restaurations, t. V, p. 148, 151. Sur l'action de la Charbonnerie dans les divers complots de cette époque, voir GUILLON, les Complots militaires sous l'empire et la Restauration, d'après les documents inédits, 2 vol in-18, Paris, 1894, et Rev. intern. des soc. secrètes, 1913, p. 526-554. Une prétendue Histoire des sociétés secrètes de l'armée, publiée par Charles NODIER, est une œuvre d'imagination.

[39] Voir le témoignage de l'historien franc-maçon Jean de WITT, Mémoires secrets, p. 6.

[40] DESCHAMPS, les Sociétés secrètes et la société, t. II, p. 225 et s. Louis XVIII, dit M. GAUTHEROT, — tout comme le comte d'Artois et le duc de Berry — était ou avait été franc maçon. (Dict. apologét. de la foi catholique, au mot Franc-maçonnerie, t. II, col. 111).

[41] THUREAU-DANGIN, le Parti libéral sous la Restauration, un vol in-18, Paris, 1876, passim.

[42] CRÉTINEAU-JOLY, l'Eglise romaine en face de la Révolution, t. II, p. 2.

[43] Dans le premier numéro de l'Ami de la religion, paru le 20 avril 1814, Michel Picot se faisait l'interprète du clergé de France, en saluant cette famille qui avait donné à la France saint Louis... et que le ciel semblait tenir en réserve pour l'amener à notre secours quand le temps marqué par ses décrets serait enfin arrivé. (Ami de la religion, 1814, p. 7.)

[44] Ami de la religion, ann. 1815, n° 84, p. 95-96. Dans le numéro suivant, l'Ami de la religion, revenant sur ce sujet, ajoute que l'œuvre nouvelle a reçu les encouragements du roi (Ibid., p. 107-109).

[45] On trouve un écho de ces récriminations amères et injustes dans l'Histoire des deux Restaurations par VAULABELLE, t. IV, p. 425-428. Le tableau que l'historien trace des missions est une pure caricature. On trouvera des documents plus authentiques dans les relations publiées à l'issue même de ces prédications et où les rédacteurs n'ont pas cherché à modérer leur enthousiasme. Voir Détails sur la Mission donnée à Bordeaux pendant le carême de 1817, brochure de 66 pages, Bordeaux, chez Beaume, 1817 ; Mission d'Arles 1817), br. de 14 p., Arles, impr. Mesnier, 1817 ; la Sagesse chrétienne ou les missions de Clermont et de Riom, br. de 16 p., Clermont, impr. Landriot. 1818 ; Mission d'Autun, br, de 9r p., Autun, impr. Dejussieu ; Mission de la paroisse de Chartreuses, br. de 27 p., Grenoble, impr. Baratier, 1820 (ce compte rendu contient le cantique pour le roi) ; Mission de Blois, br. de 24 p., Blois, impr. Aucher-Eloy, 1824 ; Lettres à un ami sur la mission de Villefranche d'Aveyron, br. de 104 p., Villefranche, impr. Vedeilhé, 1895.

[46] F. de LAMENNAIS, Mélanges, t. I, Des Missions. — Sur les Missions, voir A. DELAPORTE, Vie du R. P. Rauzan, un vol. in-8°, Paris, 1857. — Le P. Lacordaire, dans son Eloge funèbre de Mgr de Forbin-Janson (Œuvres, éd. Poussielgue, t. VIII, p. 75-114) exagère la part prise par l'abbé de Forbin Janson dans la fondation de l'Œuvre des missions de France, dont le vrai fondateur est le P. Rauzan. On trouvera des détails nouveaux sur les missions de France dans BURNICHON, la Compagnie de Jésus en France, Histoire d'un siècle, t. Ier, in-8°, Paris, 1914, p. 86 89.

[47] SIMLER, Guillaume-Joseph Chaminade, un vol. in-8°, Paris et Bordeaux, 1901 ; H. ROUSSEAU, Guillaume-Joseph Chaminade, un vol in-12, Paris, 1913.

[48] Voir Vie du V. Père Champagnat, publiée par les soins des Petits-Frères de Marie.

[49] Voir Le R. P. Colin, par un religieux de la Société de Marie, un vol. in-8°, Paris, 1900.

[50] Préface des Constitutions des oblats.

[51] Lettre du 15 octobre 1815, dans RAMBERT, Vie de Mgr de Mazenod, 2 vol. in-8°, Paris, 1883, t. I, p. 165-167.

[52] CRÉTINEAU-JOLY, Hist. de la Compagnie de Jésus, Paris, 1846, t. VI, p. 127.

[53] Cette ordonnance ne fut pas insérée au Bulletin des lois ; on la trouvera dans CRÉTINEAU-JOLY, Hist. de la Compagnie de Jésus, t. VI, p. 131.

[54] CRÉTINEAU-JOLY, Hist. de la Compagnie de Jésus, t. VI, p. 132.

[55] J. EMERY, Lettre à l'abbé Courtade, du 28 août 1796.

[56] LAMARTINE, Confidences, liv. VI, notes 2, 3, 4.

[57] P. A. GUIDÉE, Vie du P. Varin, un vol. in-12, Paris, 1854.

[58] A. BROU, les Jésuites de la légende, 2 vol. in-12, Paris, 1907, t. II, p. 574. Sur les origines de la congrégation, voir BURNICHON, la Compagnie de Jésus en France, Hist. d'un siècle, t. I, p. 115-135.

[59] MONTLOSIER, Mémoire à consulter, Paris, 1826.

[60] Bulle Gloriosæ Dominæ, du 27 septembre 1748.

[61] LACORDAIRE, Eloge funèbre de Mgr de Forbin-Janson, Œuvres, édit. Poussielgue, t. VIII, p. 88.

[62] Sur toutes ces œuvres et sur l'histoire de la Congrégation en général, voir Geoffroy de GRANDMAISON, la Congrégation, un vol. in-8°, Paris, 1890.

[63] CRÉTINEAU-JOLY, Hist. de la Compagnie de Jésus, t. VI, p. 147.

[64] Cette Histoire des deux Restaurations est elle-même inspirée par une antipathie très marquée à l'égard de la Congrégation et des jésuites.

[65] Pour la réfutation des calomnies lancées contre la Congrégation, le livre de M. de Grandmaison est heureusement complété par un article de M. Edmond BIRÉ, la Congrégation, paru dans le Correspondant du 25 janvier 1890. Malgré les savantes réfutations de M. de Grandmaison et d'E. Biré, on répète encore que la Congrégation a été une association politique secrète. Sans doute quelques congréganistes, Montmorency et Polignac par exemple, firent de la politique et même parfois avec assez d'imprudence ; mais la Congrégation n'en fit pas. — Mais, dit-on encore, les congréganistes dirigeaient tout dans l'Etat ! — Il est facile de vérifier cette assertion. On a publié la liste complète des congréganistes (GRANDMAISON, la Congrégation, p. 399-414). En confrontant cette liste avec les Almanachs royaux de l'époque, on rencontre : dans la fameuse Chambre introuvable, a congréganiste ; dans la Chambre des députés de 1826, 5 ; dans la Chambre des pairs, 7 ; parmi les 85 préfets, 4 ; aux ministères de la justice, des affaires étrangères, de la marine et de la guerre, parmi les directeurs et chefs de division, pas un seul ; à l'intérieur, 1 directeur ; aux finances, 1 directeur et 1 chef de bureau ; dans la garde royale, sur 33.000 hommes, 17 congréganistes. — On ajoute que les congréganistes reçurent souvent des faveurs de la part du pouvoir. C'est possible Ils étaient catholiques, royalistes, et dans l'ensemble bons serviteurs de l'Etat. Rien de plus naturel qu'ils aient été récompensés. Mais rien de tous ces faits ne prouve que la Congrégation ait été une association politique occulte.

[66] Décret du 17 nov. 1808, art. 109.

[67] Cf. A. CHEVALIER, les Frères des écoles chrétiennes et l'enseignement primaire après la Révolution, Paris, 1887, p. 245.

[68] Moniteur de 1814, t. I, p. 389.

[69] L. GRIMAUD, Hist. de la liberté d'enseigner en France, un vol. in-8°, Paris, 1898, p. 110.

[70] L. GRIMAUD, Hist. de la liberté d'enseigner en France, p. 120- 121.

[71] Mercure de France, octobre 1817, p. 59.

[72] Conservateur, t. I, p. 587.

[73] Un nuage de tristesse traversait le cœur de cette femme bénie, lorsqu'elle venait à songer qu'elle n'avait plus autour d'elle un seul chrétien, et qu'aucun de ses enfants ne pouvait l'accompagner aux mystères sacrés de sa religion.

[74] THUREAU-DANGIN, les Libéraux et la liberté sous la Restauration, dans le Correspondant du 25 mars 1876, p. 958.

[75] CHABOT et CHARLÉTY, Hist. de l'enseignement secondaire dans le Rhône, 1901 ; BURNICHON, op. cit., t. Ier, p. 79 et s. ; 222-305.

[76] HENRION, Vie de Mgr Frayssinous, t. II, p. 357.

[77] LAMENNAIS, Œuvres complètes, t. VIII, p. 355. Le Drapeau blanc fut poursuivi et condamné. Voir son procès dans la Gazette des tribunaux de 1823. Voir aussi le Journal des Débats du 3 septembre 1823.

[78] Sur le succès de l'Essai sur l'indifférence, voir BOUTARD, Lamennais, t. Ier, p. 154-156, et LACORDAIRE, Consid. philos, sur le syst. de M. de La Mennais, ch. I.

[79] THUREAU-DANGIN, Correspondant du 25 mars 1876, p. 961.

[80] LANSON, Hist. de la littérature française, 7e édit., p.926.

[81] THUREAU-DANGIN, Correspondant du 25 mars 1876, p. 938-939.

[82] A. DE MUSSET, Confessions d'un enfant du siècle, ch. I.

[83] Rolla, IV.

Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire

Voltige-t-il encor sur tes os décharnés ?

Victor Hugo maudira à son tour (Regard dans une mansarde) :

Voltaire, le serpent, le doute, l'ironie,

. . . . . . . . . . . . . . . .. ce singe de génie

Chez l'homme en mission par le diable envoyé.

[84] Hors d'ici, les étrangers !

[85] César CANTU, Histoire de Cent ans (1750-1850), trad. Am. Renée, 4 vol. in-12, Paris, 1860, t. IV, p. 329-331.

[86] G. GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. I, p. 390.

[87] GŒRRES, Gesammelle Briefe, III, p. 34.

[88] Fr. SCHLEGEL, Phil. de l'histoire, trad. Lechat, 2 vol. in-8°, t. II, p. 130-169.

[89] HALLER, Lettre à sa famille, pour lui déclarer son retour à l'Eglise catholique, Paris, 1821, p. 5.

[90] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. I, p. 380-390.

[91] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. I, p. 259-274.

[92] GOYAU, l'Allemagne religieuse, le catholicisme, t. I, p. 291-309.

[93] MENZEL, Neuere Geschichte der Deutschen von der Reformation bis zur Bundes acte, 14 vol. in-8°, Breslau, 1825-1848, t. XII, 2e partie, ch. XXIX.

[94] PACCA, Œuvres complètes, t. II, p. 444.

[95] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre au XIXe siècle, 3 vol. in-8°, Paris, 1899, t. I, p. 1-9.

[96] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre au XIXe siècle, t. I, p. 10-12.

[97] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre au XIXe siècle, t. I, p. 18-19.

[98] THUREAU-DANGIN, la Renaissance catholique en Angleterre au XIXe siècle, t. I, p. 24.

[99] NEWMAN, Occasional sermons, The Second Snring, prêché à Oscott le 13 juillet 1859.

[100] NEWMAN, Occasional sermons, p. XI.