HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — LA RÉVOLUTION

CHAPITRE III. — L'ÉGLISE OFFICIELLEMENT SUPPLANTÉE PAR LA RELIGION CIVILE (1795-1799).

 

 

I

L'ordre et la paix étaient les deux grands besoins de la France ; mais le régime du Directoire fut incapable de les lui donner. En confiant le pouvoir exécutif à cinq têtes et le pouvoir législatif à deux corps différents, les auteurs de la Constitution de l'an III avaient eu pour but de neutraliser les influences tyranniques ; ils n'aboutirent qu'à provoquer les conflits, les luttes et les coups d'Etat. D'autant plus que, derrière ces puissances constituées, deux nouvelles influences grandissaient et tendaient à l'hégémonie : celle des idéologues de l'institut et celle des généraux d'armée.

On se rendrait un compte insuffisant du mouvement des esprits et même du mouvement politique de cette époque, si l'on oubliait l'Institut. Ce grand corps savant, dit Albert Vandal[1], qui tenait son existence de la Constitution, au même titre que le Directoire et les deux Conseils, formait presque dans l'Etat un quatrième pouvoir. Il était te conservatoire de la doctrine. La perspicace ambition du général Bonaparte ne s'y trompa point. Il s'empressa de dire qu'il était de la religion de l'Institut[2]. C'était lui adresser la plus habile des flatteries. Or, la plupart des membres de l'Institut, Volney, Cabanis, Naigeon, Garat, Larevellière-Lépeaux, étaient foncièrement antichrétiens. Napoléon devait se heurter à leur sectarisme impie au moment du Concordat. C'est de ce corps que nous allons voir surgir les systèmes religieux destinés à remplacer la religion catholique.

D'un autre côté, par la force même des événements, l'ascendant des généraux se faisait sentir même dans l'ordre politique. Les grandes guerres de la Convention avaient surexcité le patriotisme. Au milieu des ruines amoncelées, l'institution militaire avait grandi. Des chefs tels que Marceau, Hoche, Kléber, Masséna étaient forts de la confiance du soldat. Une renommée plus grande encore allait surgir des guerres d'Italie, et bientôt absorber toutes les autres. En attendant, tout ce qui se donnait comme patriotique, national, était assuré de trouver un écho parmi le peuple. Si une nouvelle religion pouvait s'acclimater en France, ce ne pouvait être, semblait-il, qu'une religion nationale.

Jusqu'ici la Révolution avait surtout détruit ; le Directoire se donna la mission d'édifier. Mais où se porteraient les premiers de ses efforts ? Hommes politiques, théoriciens, généraux, étaient tous pénétrés encore de ce vague idéalisme, puisé dans les écrits de Jean-Jacques Rousseau, qui devait inspirer toute l'œuvre révolutionnaire. Nous voulons, avait dit Robespierre dans un programme d'action vaste comme le monde[3], nous voulons substituer dans notre pays la morale à l'égoïsme, la vérité à l'éclat, un peuple magnanime et puissant à un peuple frivole et misérable, les vertus de la République aux vices de la monarchie. Nous voulons que la France devienne ainsi le modèle des nations, l'effroi des oppresseurs, la consolation des opprimés. Voir briller l'aurore de la félicité universelle, voilà notre ambition, voilà notre but. Les vainqueurs de Robespierre, en brisant son pouvoir politique, n'avaient rien renié de ce programme. Or, la philosophie de Rousseau, dont ils étaient tous nourris, leur rappelait qu'il s'agit moins de convaincre les hommes que de les émouvoir[4], que la morale n'arrive à l'homme qu'en s'emparant de toutes ses facultés[5], que c'est par les passions qu'il faut rendre les hommes heureux[6]. Ils en concluaient que leur action devait être avant tout une action religieuse. Mais la nouvelle religion devait se distinguer de l'ancienne par deux caractères : elle devait être naturelle et civique. La Révolution, avait dit Grégoire[7], nous rend à la nature ;  et David ajoutait : Les hommes ne sont que ce que le gouvernement les fait.

La fondation d'une religion naturelle et civique, telle allait drue être la préoccupation dominante des hommes qui prétendaient diriger l'opinion sous le Directoire. Une telle entreprise devait échouer, mais après avoir profondément, troublé les âmes et bouleversé la société.

Un homme qui méprisait les théoriciens du Directoire, qui les appelait dédaigneusement les idéologues, le général Bonaparte, avait conçu un projet plus pratique. Avec cet esprit positif, ce sens du réel et du réalisable, qu'il devait révéler plus tard avec tant d'éclat dans la discussion du Code civil et dans la négociation du Concordat, Bonaparte avait compris que la seule religion à restaurer était la religion traditionnelle de la France, et que le seul moyen d'en faire une institution nationale était de s'entendre avec le pape. Dans les premiers jours de juin 1796, à la suite d'événements sur lesquels nous aurons à revenir, il avait, par l'intermédiaire du chevalier d'Azara, ministre d'Espagne à Rome, fait parvenir à Pie VI le désir d'une bulle reconnaissant la nouvelle Constitution. A cet acte répondraient, de la part du gouvernement français, des mesures libérales et bienveillantes à l'égard de l'Eglise. Le pape ne se refusa pas à entrer dans la voie qu'on lui proposait, et, à tout événement, on rédigea un projet de bref répondant aux désirs présumés du Directoire[8]. Pie VI déclarait reconnaître la République française et recommandait aux catholiques d'y être soumis, sans se laisser égarer par une piété mal entendue (sub pietatis colore) qui fournirait aux novateurs un prétexte pour décrier la religion[9]. Le représentant de la France à Rome, Cacault[10], communiqua la pièce au ministre des affaires étrangères, Delacroix, au mois d'août 1796, et les Annales de la religion[11] la publièrent ainsi que les Annales catholiques[12]. Mais le gouvernement français n'ayant jamais donné ni même fermement promis les satisfactions légitimes que le général Bonaparte avait fait espérer, le bref ne fut jamais communiqué aux évêques et aux nonces, ni officiellement promulgué d'une manière quelconque[13].

Ce bref, qui portait la date du 5 juillet 1796, et qui commençait par ces mots : Pastoralis sollicitudo, n'eut donc jamais de valeur canonique. Mais ce ne fut pas chose évidente pour les contemporains. La publication du bref souleva des tempêtes. Tandis que les royalistes émigrés prétendaient qu'il était faux, inventé de toutes pièces et réprouvé par le pape[14], que les jacobins le traitaient de honteuse ; palinodie[15], et que, détail curieux, les constitutionnels eux-mêmes attaquaient avec violence un acte qui ne leur laissait plus en quelque sorte le privilège exclusif de la soumission aux lois[16], le supérieur de Saint-Sulpice voyant dans ce bref, dont il ne mettait pas en doute l'authenticité, la confirmation de sa manière de voir, en publiait une traduction dans une courte brochure[17]. Il paraît bien établi, en effet, que la pièce exprimait la pensée du pape ; si elle ne fut jamais promulguée, elle ne fut non plus jamais démentie[18].

 

II

Le projet hardi de Bonaparte avait échoué. Il devait être repris, avec plus de succès, cinq ans plus tard. En attendant, l'Eglise constitutionnelle profita des divisions des catholiques pour s'affermir. Eglise nationale, elle prétendait l'être dans toute la force du terme et ne partager ce titre avec nulle autre institution.

Le 13 décembre 1795, les quatre évêques constitutionnels qui s'étaient donné le nom de Réunis publièrent une seconde encyclique adressée à leurs frères les autres évêques et aux églises vacantes. Protestant de leur inébranlable fermeté dans la foi et dans l'ancienne discipline, ils s'arrogeaient fièrement le droit exclusif de régler l'organisation intérieure de l'Eglise gallicane, déniant également ce droit au pape et à l'Etat. Ils déclaraient abolir les conseils épiscopaux, établis en 1791, abandonnant, disaient-ils, cette innovation mal assortie au burin de l'histoire, et les remplaçaient par des presbytères[19]. Leur principal but était la réunion d'un concile national ; c'est là que l'Eglise de France recevrait son organisation définitive. L'encyclique du 15 mars 1795 avait nettement déclaré que la religion est une affaire nationale, que l'Eglise catholique n'est autre chose que l'agglomération des diverses églises nationales unies par les liens de la charité[20]. Le concile national devenait donc logiquement l'autorité souveraine. Mais l'insécurité des routes, infestées de brigands, les troubles des guerres avaient fait jusque-là différer la réunion de l'assemblée. On attendait, disaient les Annales de la religion, u que l'olivier de la paix commençât à ombrager le sol de la patrie[21].

Ce moment parut venu au printemps de 1797. Une circulaire du mois de mars annonça la réunion comme prochaine[22]. Une note officieuse, publiée dans les Annales, fixa l'ouverture solennelle du concile au 15 août, fête de l'Assomption. Le 22 juillet, les Annales de la religion annoncèrent qu'à la suite de négociations avec le Directoire, le gouvernement déclarait ne pouvoir qu'applaudir à des intentions aussi pacifiques et estimables que celles qu'on lui avait fait connaître à propos d'un prochain concile[23].

L'assemblée s'ouvrit effectivement le 15 août 1797. Elle fut présidée par Claude Le Coz, évêque de Rennes[24]. Grégoire avait eu l'habileté de rester au second plan. Il porta Le Coz à la présidence pour l'empêcher de prendre la tête de l'opposition. Le Coz, esprit entier, combatif, rompu à la dialectique, alimentait, depuis près de deux ans, de sa prose virulente, la chronique des Annales de la religion, toujours prêt à parler et à écrire, avec une égale assurance, sur n'importe quel sujet. Grégoire pensa que, dans une assemblée où ne manquaient pas les utopistes et les bavards, Le Coz, au lieu de faire un perpétuel opposant, ferait un président autoritaire, à la main rude, capable de tenir tête aux agitations nerveuses ou calculées des mécontents, et de les maîtriser.

C'est en parcourant les feuilles de l'époque, les Annales de la religion et la Voix du Conciliateur, qui exaltent les faits et gestes des Pères du concile, les Annales catholiques et le Patriote français, qui en signalent les incidents malheureux, c'est surtout eu lisant le précieux et presque introuvable Journal du concile national de France[25], qu'on se rend compte de cette importante manifestation, dont Grégoire fut l'âme.

Les réunions des congrégations se tinrent dans un hôtel loué rue des Saints-Pères ; les sessions solennelles à Notre-Dame. Le Journal du concile national mentionne la présence de neuf évêques et de cinquante-deux prêtres à la première session[26]. La sixième et dernière session eut lieu le 15 novembre.

Le fait le plus remarquable fut la lecture d'un long rapport de Grégoire, intitulé : Compte rendu des évêques réunis[27]. Après avoir donné une statistique, d'ailleurs inexacte[28], de l'Eglise constitutionnelle, il recommandait les diverses œuvres de propagande entreprises sous ses auspices : les Annales de la religion, la Voix du conciliateur, et la Société de philosophie chrétienne, fondée pour resserrer les nœuds qui, en unissant l'amour de la religion à celui de la République, identifient les qualités de chrétiens et de citoyens[29]. Le rapporteur s'étendait ensuite sur sa correspondance avec les Eglises étrangères. Cette propagande universelle était, depuis quelque temps, sa principale préoccupation. Comme les Constituants au moment où ils rédigeaient la Déclaration des Droits de l'homme, comme Robespierre quand il faisait décréter le culte de l'Etre suprême et la croyance à l'immortalité de l'âme, Grégoire voulait agir sur le monde. Il parla des écrits qu'il avait fait parvenir en Espagne, des encycliques constitutionnelles qui avaient été répandues depuis Trébizonde jusqu'à Québec, des espérances que lui donnait l'Allemagne, où les Annales de la religion étaient traduites, de la demande faite par le général Toussaint-Louverture de douze prêtres soumis aux lois[30], de ses démarches pour faire pénétrer l'esprit de l'Eglise constitutionnelle dans toutes les colonies, de ses espoirs de voir un jour disparaître le pouvoir temporel des papes et l'Inquisition. Il écrivit au grand inquisiteur d'Espagne une longue lette peur lui faire honte de ses fonctions[31].

Les questions purement théologiques tinrent peu de place dans les actes du concile. C'est à peine si on y note une timide démonstration en faveur du jansénisme, dans le décret sur la foi[32], et une trace des opinions gallicanes dans le décret sur le mariage[33], dont on met l'essence dans le contrat civil. Les décrets sur le culte et sur la discipline préoccupèrent davantage les membres du concile. On y remarque d'ailleurs des prescriptions fort sages sur les mœurs du clergé et des fidèles, sur les mesures à prendre pour préserver les enfants des leçons corruptrices de maîtres immoraux ou impies[34]. Mais ce qui paraît dominer, c'est le désir de faire de l'Eglise constitutionnelle une Eglise nationale et républicaine. Le premier décret du concile s'ouvre par les articles suivants : Article 1er : Tout catholique français doit aux lois de la République une soumission entière et véritable. — Article 2 : L'Eglise gallicane n'admet au rang de ses pasteurs que ceux qui auront manifesté leur fidélité à la République[35]. Le concile cherche en même temps à réconcilier entre elles les deux fractions des prêtres assermentés : ceux qui suivent Grégoire et ceux qui sont restés fidèles aux idées de Gobel ; il essaye d'une conciliation avec les insermentés et écrit en ce sens une lettre au pape ; ii tend en même temps à pénétrer les masses, qu'il invite à ses grandes cérémonies dans l'église métropolitaine de Paris.

Aucun de ces buts ne fut atteint. Les élections de floréal an V firent passer le pouvoir aux modérés. Le 29 prairial (17 juin 1797), Camille Jordan, député de Lyon, fit entendre cette parole, depuis si souvent répétée : Rendez-nous la religion de nos pères. Les Annales de la religion accusèrent Camille Jordan de s'entendre avec les prêtres insermentés[36]. Le 7 fructidor (24 août), les Anciens adoptaient la résolution qui rouvrait les portes de la France à tous les prêtres exilés. Les constitutionnels voyaient diminuer leur espoir de conserver en France une situation privilégiée. Le coup d'Etat du 18 fructidor (4 septembre 1797) ne changea pas la situation. Le Coz eut beau, trois jours après, le 7 septembre, faire prêter à l'Assemblée conciliaire un serment solennel de soumission à la République, le Conseil des Cinq-Cents, en recevant la notification de ce serment le 21 septembre (5e jour complémentaire de l'an V), déclara ne pouvoir reconnaître cette corporation religieuse, et passa à l'ordre du jour[37].

Le Pape, on le pense bien, ne répondit pas à la lettre que le pseudo-concile lui avait-envoyée. Le peuple chansonna l'assemblée :

Il est au moins original

Que ces hommes en mitre

De concile national

Osent prendre le titre ;

Mais la nation soufflera

Sur ce groupe futile,

Et l'on demandera, lalira,

Où donc est le concile[38].

L'œuvre de Grégoire, cependant, n'avait pas été absolument vaine. Il avait un moment réuni et réorganisa l'Eglise constitutionnelle, désemparée par la Terreur. Dispersés, épouvantés, déshonorés par les fautes de leurs confrères, les prêtres assermentés erraient comme des brebis égarées. Le concile leur donna confiance. Dans les trois quarts des départements, l'évêque constitutionnel reprit ses fonctions. L'énergie de Grégoire avait fait ce miracle : non pas celui du mort qui ressuscite, mais celui du cadavre qu'un puissant courant électrique ferait se redresser sur ses pieds. Mais, après le 18 fructidor, la persécution va reprendre, moins sanglante que celle de 93, aussi dangereuse, souvent plus perfide. Au cours de cette éprouve, le cadavre, un moment galvanisé, va retomber lentement dans la décomposition d'où l'avait tiré l'effort puissant, mais artificiel, du concile[39].

 

III

Ainsi, ni le clergé soumis à Rome ni le clergé constitutionnel n'avaient donné satisfaction à ce qui avait été l'un des rêves les plus chers et les plus persistants des hommes de la Révolution : fonder une religion nationale, rajeunie dans ses dogmes et dans sa discipline, et faire de cette religion un instrument de propagande des doctrines révolutionnaires. Tel avait été un des premiers objectifs de la Constituante : tel était encore celui du Directoire[40].

Or, précisément, au lendemain du coup d'Etat de fructidor, alors qu'il éprouvait le besoin de se dégager de l'Eglise constitutionnelle, le nouveau gouvernement trouvait une religion nouvelle, déjà organisée, et qui semblait plus conforme à ses propres aspirations ; c'était le culte de la théophilanthropie.

Cette nouvelle religion était née de l'initiative d'un libraire, Chemin-Depontès, personnage assez insignifiant par ailleurs, qui, en octobre 1796, publia un Manuel des théanthropophiles. Franc-maçon, Chemin parait n'avoir pas eu d'autre but que de fonder une sorte de franc-maçonnerie ouverte[41] ; mais son projet fut retouché et élargi par un homme d'une plus' haute voleur intellectuelle, le philanthrope Valentin Haüy, le célèbre fondateur de l'institut des aveugles-travailleurs. Haüy paraît avoir appartenu, lui aussi, à la franc-maçonnerie[42] ; il s'était, en tout cas, rallié avec ardeur aux idées révolutionnaires.

La religion nouvelle, dont Haüy fit changer le nom par trop barbare de théanthropophilie en celui de théophilanthropie, reposait sur le double dogme de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme. Mais ces vérités ne devaient pas se prouver par la raison ; on les admettait comme nécessaires à la conservation de la société et au bonheur des individus. La morale reposait sur un principe tout aussi simple et tout aussi vague : Le bien, disait le manuel, c'est tout ce qui tend à conserver l'homme et à le perfectionner. Le culte était à la fois domestique et public. Le culte domestique consistait en deux actes essentiels : une élévation de l'âme, chaque matin, devant les merveilles de la création ; un examen de conscience, chaque soir, avant de se livrer au repos. Le culte public se rendait à Dieu d'abord sous la voûte céleste, seul temple digne de la Divinité ; mais on se réunissait aussi dans des temples bâtis par le génie des hommes[43]. La direction de la Société des théophilanthropes appartenait à deux comités, l'un chargé de la partie matérielle et financière, l'autre de la partie religieuse et morale.

La première réunion cultuelle avait eu lieu le 9 janvier 1797. Le nouveau culte ne paraît avoir rencontré d'abord qu'indifférence ou hostilité de la part des municipalités et du gouvernement. Mais la crise de l'an V eut une influence considérable sur son développement.

Les Directeurs, jusque-là unis, étaient divisés. Tandis que Carnot et Barthélemy voulaient une politique d'apaisement, Rewbell et Larevellière-Lépeaux, croyant la République en péril, poussaient aux mesures violentes. Après le 18 fructidor, la déportation de Barthélemy et la fuite de Carnot laissèrent le pouvoir aux mains de leurs adversaires.

Larevellière-Lépeaux, fils d'un bourgeois vendéen, s'était de bonne heure détaché du catholicisme, qu'il considérait comme un instrument d'oppression et de corruption. A Angers, où il s'était établi après la Constituante, il avait été un des principaux orateurs des clubs révolutionnaires. Juriste retors et expérimenté, il jouissait d'une réputation générale de probité ; mais rien n'était sacré pour cet homme, quand parlait en lui sa passion dominante : la haine des prêtres. Ce bourgeois lettré avait une autre passion : le mépris inné de la populace[44].

C'est au moment où le général Bonaparte marchait contre Rome, et quand les jours de la papauté semblaient comptés, que Larevellière, s'il faut en croire les Mémoires de Barras, manifesta pour la première fois sa sympathie pour les théophilanthropes[45]. Il lui parut que ce culte, très simple, était de nature à remplacer avantageusement le christianisme expirant. Le 1er mai 1797, il prononça à l'Institut, dont il était des membres les plus influents, un discours consacré presque tout entier à l'éloge de la théophilanthropie. Nature mélancolique, imagination romanesque, Larevellière avait, en parlant de la nouvelle religion, des élans de lyrisme. Remplacer le catholicisme déchu par un culte simple, raisonnable, naturel et grand, c'était sa chimère. Je vous dis, s'écriait-il, qu'il y a dans l'homme une fibre religieuse qu'il faut connaître... La société vous demande un Dieu qui ne soit pas celui du catholicisme. Bientôt les adhérents lui vinrent de tous les partis. Bernardin de Saint-Pierre, l'auteur de Paul et Virginie, le poète Marie-Joseph Chénier, le journaliste Sébastien Mercier, le poète Andrieux, l'ancien ministre Servan, l'ex-barnabite Dubroca, qui devait être le grand orateur de la secte, se rallièrent à la théophilanthropie. Quelques municipalités mettaient des obstacles aux cérémonies du nouveau culte ; Larevellière et le ministre de la police, Sotin, triomphèrent de ces oppositions[46]. Les théophilanthropes furent protégés ouvertement, ils reçurent des subventions, leurs livres figurèrent au programme des écoles officielles, Haüy fut nommé membre du jury d'instruction du département de la Seine, l'Institut lui-même se mit de la partie et nomma une commission chargée de rechercher les moyens de faire entendre les discours et la musique des fêtes nationales par tous les spectateurs, en quelque nombre qu'ils pussent être[47]. Les théophilanthropes occupaient à Paris, concurremment avec les catholiques, un gland nombre d'églises, entre autres Notre-Dame et Saint-Eustache.

L'abbé Grégoire nous a laissé la description de leurs cérémonies religieuses, où des lecteurs revêtus d'un habit bleu, d'une ceinture rose et d'une robe blanche, lisaient tour à tour la Bible, Confucius, Zoroastre, Aristote, Voltaire et Franklin[48].

Mais la division se mit parmi les chefs de la théophilanthropie Tandis qu'un des nouveaux adeptes, Etienne Siauve, prêtre apostat, le chef des théophilanthropes-philosophes, se plaignait que la religion imaginée par Chemin ne fût pas assez conforme aux principes de Rousseau et à l'idéal républicain, le peuple, en vue duquel toutes les cérémonies avaient été imaginées, leur témoignait une antipathie croissante. A Sainte-Marguerite, pendant l'office, une pancarte fut un jour placardée, portant ces mots : Filous en troupe ! Prenez garde à vos mouchoirs ! Le mot fit fortune. Le peuple appela plaisamment les adeptes du nouveau culte des filous en troupe. Un rapport officiel de nivôse an VII disait : Le nombre des théophilanthropes ne s'accroit pas, et leur culte est sans éclat. Chemin, découragé, sollicitait une pension, et Dubroca une place au ministère. Après la démission forcée de Larevellière, le 30 prairial an VII (18 juin 1799), ce fut la décadence irrémédiable. La théophilanthropie ne fit plus que végéter. L'arrêt de police du ii ventôse an X, qui interdit formellement le culte de la religion naturelle dite théophilanthropie, sanctionna un fait accompli. La religion patronnée par le Directoire et l'Institut n'avait pas eu deux ans de fonctionnement régulier.

 

IV

La théophilanthropie avait subi, il est vrai, la concurrence d'un autre culte, celui que l'on appela le culte décadaire. La religion décadaire remontait, en son principe, à l'institution du calendrier républicain. Un arrêté du 14 germinal an VI (4 avril 1798) prescrivait à toutes les administrations, à tous les chantiers, le repos décadaire. Les lois des 17 thermidor (4 août 1798) et 23 fructidor (9 septembre), accentuèrent ces prescriptions. Mais on s'aperçut bientôt qu'on ne pouvait condamner le peuple au repos sans l'occuper. On organisa  des fêtes décadaires. Le poète François de Neufchâteau, devenu ministre de l'intérieur, traça, de sa plume élégante et facile, le programme des réjouissances nationales. Il y eut la fête de la jeunesse, celle des époux, celle de la vieillesse, celle de la reconnaissance, celle de l'agriculture, où l'on chantait :

Aux armes, laboureurs ! prenez vos aiguillons !

Marchez (bis), qu'un bœuf docile ouvre un large sillon[49].

A la fête de la souveraineté du peuple, les vieillards et tes pères devaient raconter leurs anciens exploits, les merveilles de la Révolution, les principaux traits de son histoire. Dans les campagnes, le cultivateur devait, suivant les termes du programme, rassembler autour de la cuve encore humide ou du laborieux pressoir les cohortes actives et fidèles qui l'ont aidé à ravir aux montagnes leurs plus éclatantes dépouilles[50].

On exploita surtout le calendrier républicain. Ce calendrier aux noms sonores, poétiques, évocateurs, qui faisaient passer devant les yeux du peuple tout le cycle de l'année, depuis les splendeurs de thermidor jusqu'à la tristesse de nivôse, devait s'imposer de lui-même, croyait-on, et ne pas tarder à supplanter le cycle démodé du catholicisme expirant.

Le décadi, jour final et culminant de la décade, remplacerait le dimanche. Au jour du Seigneur, le peuple préférerait bientôt sans doute, le jour de la patrie. Le culte décadaire avait, en effet, la prétention d'être, à l'encontre des vieilles religions, reposant sur des réalités absentes et mystérieuses, le culte de ces deux réalités palpables et visibles : la nature et la patrie. Au jour donc du décadi, dans un décor pastoral et solennel à la fois, les administrateurs du canton réunissaient les habitants autour d'un autel élevé à la gloire de la nation, lisaient et commentaient les lois, interrogeaient les enfants, citaient des traits de vertu civique, avec accompagnement d'orgues et de chants.

Le vide de ces fêtes ne tarda pas à les déconsidérer. On institua alors des danses et des jeux, conduits par des chorèges. Mais la danse elle-même n'eut pas le don de réveiller l'entrain de ces solennités. Il était permis, même sous le Directoire, de n'avoir pas le cœur à danser tous les jours[51].

Ce n'est pas tout. Il fut bientôt visible que le culte décadaire était surtout, dans la pensée de ses organisateurs, un instrument de destruction du culte chrétien. L'idée d'exalter le sentiment national au moyen de spectacles propres à frapper l'imagination du peuple, n'avait, sans doute, rien en soi que de louable et d'élevé. Elle répondait au goût théâtral de l'époque. La folie des révolutionnaires fut de l'opposer aux traditionnelles croyances. L'autel de la patrie s'érigea au milieu de l'église, reléguant souvent les tabernacles derrière le chœur ou dans les bas côtés. Pendant l'office laïque, ordre fut donné d'enlever partout ou de voiler les emblèmes religieux. On prit aux catholiques leur place, on prit leurs heures. A Paris, le culte catholique devait cesser le décadi à huit heures et demie précises du matin, et ne pouvait reprendre qu'après les cérémonies civiles, pourvu, toutefois, qu'il ne fût pas plus de six heures du soir en été et de huit heures en hiver. En province, un certain nombre d'administrations, sous prétexte que le décadi était le seul jour légalement férié, et que le reste du temps devait appartenir au travail, firent défense d'ouvrir les églises en tort autre jour que, celui-là, où le culte devait précisément s'humilier devant le culte décadaire et se subordonner à lui[52]. Le décadi supprimait ainsi le dimanche, avec lequel il ne concordait point ; il supprimait la messe du dimanche, l'acte le plus important du culte, l'acte nécessaire, celui qui, aux yeux de la population, exprime et signale la vie religieuse[53].

On fit plus encore. Sous certains rapports, la manie antireligieuse passa toutes les bornes, atteignit le comble de l'absurde et le ridicule suprême. Par arrêté du di germinal an IV, défense fut faite de tenir des marchés à poisson les ci-devant vendredis ; à Paris, l'oratoire établi dans l'ancienne chapelle des Carmes fut fermé parce qu'on y avait célébré la fête des Rois ; à Strasbourg, un marchand fut condamné pour avoir exposé dans sa boutique, un jour d'abstinence, plus de poisson qu'à l'ordinaire ; trois cent cinquante jardiniers furent poursuivis pour avoir sanctifié le dimanche en ne portant pas ce jour-là leurs légumes au marché[54].

Au ridicule de pareilles mesures, venait se joindre l'irritation des habitants des campagnes, attachés, pour la plupart, au culte de leurs pères. On les tracassait, on les troublait dans leurs habitudes, dans la vente de leurs denrées, dans leurs façons de supputer les jours et les mois, dans toutes leurs convictions religieuses. Tant de causes diverses devaient frapper de stérilité tous les efforts de la Révolution, malgré des essais sans cesse renouvelés et une persévérance qui ne se démentit pas pendant près de dix ans[55]. Fêtes, anniversaires de la Révolution, s'écrie Edgar Quinet[56], où êtes-vous ? Le peuple n'a pas gardé une seule des fêtes instituées de 1789 à 1800. Cet immense bouleversement n'a pu déplacer un seul saint de village.

 

V

De 1789 à 1799, l'idéal religieux de la Révolution avait subi, ent le voit, une déchéance profonde. Les auteurs de la Constitution civile du clergé croyaient encore à l'Eglise, dont ils faussaient la notion ; les prêtres constitutionnels de l'école de Grégoire professaient encore, même après leur schisme, leur foi à la divinité du Christ ; les théophilanthropes avaient établi leur culte sur les dogmes fondamentaux de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme ; les adeptes du culte décadaire voyaient dans la Révolution et dans la patrie une vague incarnation de la Divinité ; mais, sous le Directoire, le corps savant qui avait la haute prétention de diriger le mouvement des idées, l'Institut, s'était peuplé d'hommes qui avaient perdu toute croyance au Christ, à Dieu et à l'âme immortelle. Lalande, Naigeon, Cabanis, Volney, étaient de purs matérialistes, de francs athées. Dans tout ouvrage qui concourait aux prix de l'Institut, dit Bernardin de Saint-Pierre, le nom de Dieu était pour eux un signe de réprobation. L'auteur des Harmonies de la nature fit lui-même l'expérience des sentiments de ses collègues lorsqu'il vint leur lire, le 15 messidor art VI (3 juillet 1798) un rapport sur les fondements de la morale. A peine eut-il prononcé le nom de Dieu, qu'un cri de fureur s'éleva dans l'assemblée. On le railla, on le menaça, on le provoqua même en duel. On lui demanda où il avait vu Dieu, quelle figure il avait. Je jure, s'écria Cabanis, qu'il n'y a pas de Dieu ! Bernardin de Saint-Pierre fut obligé de quitter la salle. Son rapport ne fut pas imprimé par l'Institut : l'auteur fut réduit à le faire distribuer à la porte de la salle des séances[57].

En 1796, un article de la Décade philosophique, attribué à l'académicien Andrieux[58], avait salué l'apparition de l'ouvrage posthume de Diderot, la Religieuse, où la vie des couvents était présentée sous les traits les plus propres à la faire haïr[59]. En 1798, l'académicien Naigeon édita, en soulignant par des notes tendancieuses ses propositions d'athéisme, les œuvres complètes de Diderot. Le livre impie de Dupuis sur l'Origine de tous les cultes, paru en 1795, publié en édition abrégée et populaire en 1796, poussait au mépris de toute religion.

D'un tel régime, quelle que Mt la modération apparente de sa politique, on ne pouvait attendre que des mesures vexatoires contre le catholicisme. Cette crainte se 'réalisa. Pendant que d'une main, si l'on peut ainsi dire, le Directoire cherchait à édifier une religion nouvelle, de l'autre il ne cessait de frapper l'Eglise catholique dans son chef et dans ses membres. Quelques historiens ont cru pouvoir donner à cette période le nom de Petite Terreur ou de Seconde Terreur. Elle mérite ce nom. Il 'arriva même que sur certains points, le Directoire aggrava la Grande Terreur elle-même, soit par des lois plus savantes et plus dures, soit par le privilège qu'il s'attribua de les exécuter lui-même[60].

 

VI

La Seconde Terreur ne commença véritablement qu'après le 18 fructidor (4 septembre 1797), mais les attentats coutre le Saint-Siège datent des premiers jours du Directoire.

On se souvient que, le 6 février 1793, après le meurtre de Bassville, la Convention avait imposé au pape plusieurs conditions à remplir, s'il voulait éviter la guerre avec la France. Soit qu'il doutât de la sincérité du gouvernement français, soit qu'il trouvât ces conditions inacceptables, le Souverain Pontife n'avait pas cru pouvoir les accepter.

Cette attitude qui, en d'autres temps, eût soulevé les récriminations les plus violentes, passa comme inaperçue. Les plans des conventionnels ne concordaient pas ; Robespierre était formellement opposé à une invasion de Rome ; les divisions intestines qui déchiraient la Convention la détournèrent des autres affaires ; au surplus, les troupes françaises avaient trop à faire ailleurs, et l'on n'était pas prêt pour une campagne en Italie.

Une des premières préoccupations du Directoire fut de réaliser les menaces faites par la Convention. Mais elle avait pour cela besoin de pouvoir compter sur l'armée.

Au milieu de tant de ruines amoncelées, la Convention, nous avons déjà eu l'occasion de le remarquer, avait laissé debout une institution : l'armée. Lors du grand spasme, a écrit Albert Vandal[61], l'énergie accumulée au fond des générations françaises, façonnée à la virile éducation de l'ancien régime, soulevée brusquement par Vidée patriotique, s'était produite en une terrifiante explosion... Il semblait que la force, la chaleur et la richesse du sang gaulois se fussent réfugiées dans les armées qui continuaient à défendre la République. Les noms de Marceau, de Hoche, de Schérer, éclipsaient ceux de Larevellière-Lépeaux, de Rewbell et de Letourneur. L'esprit de l'armée était nettement républicain, mais parmi ses chefs, les plus ambitieux et les plus perspicaces entrevoyaient, dans le choc des partis, un rôle de régulateur et d'arbitre à prendre. Hoche s'était déjà offert pour ce rôle ; un autre devait, bientôt s'en emparer et l'exercer avec une audace incroyable. Le 13 vendémiaire (5 octobre 1795), quand il avait fallu balayer les sections insurgées, Barras avait choisi comme lieutenant un jeune général de brigade dont l'énergie et le sang-froid s'étaient révélés naguère au siège de Toulon, le général Bonaparte. Quelques, jours après, Barras abdiquait en faveur, de son protégé, qui se trouvait ainsi investi du commandement en chef de l'armée de l'intérieur. Le 26 mars 1796, le Directoire le désigna en remplacement de Schérer, démissionnaire, pour prendre le gouvernement en chef de l'armée d'Italie.

Peu à peu, l'ascendant de Bonaparte effaça celui de tous les autres généraux. La campagne d'Italie, dont nous n'avons pas à faire le récit, révéla dans celui qui devait être l'empereur Napoléon, les plus éminentes qualités du tacticien et du politique. Quelques mois après, tous les échos répétaient son nom glorieux ; les uns ln redoutaient, les autres mettaient en lui tout leur espoir. L'imagination du peuple était obsédée de l'image du héros ; et sans doute des vues éblouissantes d'avenir s'ouvraient déjà devant lui. Le 17 avril 1796, Bonaparte parlait déjà, en effet, comme un maître du monde : Le peuple français, disait-il dans une proclamation, est l'ami de tous les peuples : venez au-devant de lui. Les Directeurs lui écrivaient : Vous avez la confiance du Directoire : les services que vous rendez tous les jours vous y donnent des droits.

C'est à cet homme que le Directoire confia le soin d'exécuter son plan de vengeance contre le Saint-Siège.

Le 3 février 1796, Bonaparte reçut une lettre du gouvernement français qui lui conseillait d'aller éteindre à Rome le flambeau du fanatisme[62]. C'est un vœu que nous formons, lui écrivaient les Directeurs[63]. Le général, qui poursuivait alors son habile campagne contre l'Autriche, ne se détourna pas tout de suite de son plan, qui était de terrifier son ennemi par la rapidité de ses conquêtes dans le nord de l'Italie. Quand, déconcertées par son audace, les troupes autrichiennes eurent opéré leur mouvement de retraite de l'Adda sur le Mincio, Bonaparte se dirigea du côté de Rome.

Le 11 mai, un courrier expédié au secrétaire d'Etat, Zelada, par les légats de Ferrare et de Bologne, lui annonçait que dix mille Français avaient débouché dans la plaine de Piacentino et marchaient contre la Ville éternelle. Toute résistance était inutile. Pie VI n'était pas capable de soutenir une guerre contre la République. Les Etats de l'Eglise, privés d'armée régulière, sans généraux, ne pouvaient songer à lutter contre des soldats aguerris, disciplinés, menés par des chefs habiles. Acheter la paix, comme venaient de le faire le roi de Sardaigne, les ducs de Parme et de Modène, comme s'apprêtait à le faire le roi de Naples, était la seule tactique possible. Dès l'année précédente, par un article secret du traité du 4 thermidor (22 juillet 1795), l'Espagne avait été reconnue médiatrice entre la France et le Saint-Siège. Pie VI chargea l'ambassadeur d'Espagne, le chevalier d'Azara, de se rendre à Milan en qualité de ministre plénipotentiaire, pour y arrêter les Français à la porte de ses Etats et conclure un armistice avec eux.

Don José-Nicolas d'Azara, accrédité auprès du pape Clément XII I dès l'année 1765, et depuis toujours maintenu à son poste, était un vieux diplomate de carrière, initié à toutes les traditions de la chancellerie pontificale. Pendant vingt ans, ami et parfois rival de Bernis, l'ambassadeur de France, il ne connaissait pas moins les usages de la diplomatie française. La renommée le rangeait parmi les diplomates les plus experts de son temps[64]. Il se montra digne de sa réputation.

Le général Bonaparte, qui occupait déjà la ville de Milan, y avait aboli l'autorité du pape et fait le cardinal de Ferrare prisonnier. Il fut hautain. Il déclara ne consentir à négocier avec le représentant de l'Espagne que par considération pour sa cour. Puis il lui signifia, sans autre forme de procès, qu'il demandait à Rome tout ce qu'il pourrait avoir s'il était lui-même maître du Capitole. Allez le prendre vous-même alors, s'écria Azara. A. cette réponse, Bonaparte bondit, tempête, jure qu'il aura son traité, et, dans sa fureur, déchire avec ses dents, mâche avec frénésie une feuille de papier qu'il tenait à la main. Il est déjà le négociateur astucieux, qui déploiera, dans un entretien célèbre avec Pie VII, toutes les ressources du plus souple des comédiens et du plus véhément des tragédiens.

D'autres tristesses attendent Azara. Il apprend que, tandis qu'il défend pied à pied, dans ces orageuses conférences, les droits du pape et de l'Eglise, des défections se sont produites parmi les protégés du Saint-Siège. Toutes les villes de la Romagne ont fait leur soumission aux Français ; la trahison s'est glissée jusque dans la Ville éternelle. Bonaparte a reçu, d'un personnage bien informé, l'inventaire de tout ce qu'il y a à Rome de plus précieux en or, argent, bijoux, tableaux, sculptures, ainsi qu'une liste des palais et des personnes riches[65]. Lorsque, le 27 juin au matin, les pourparlers sont repris, aux premières tentatives d'Azara pour faire réduire les exigences du Directoire, Bonaparte réplique avec arrogance : Qu'ai-je à faire de vos propositions ? Les peuples eux-mêmes m'en font de supérieures ! Bref, le général Bonaparte consent à adoucir ses prétentions. Il se décide à abaisser de quarante millions à vingt et un millions la somme que le pape paierait à la République. Le Saint-Siège livrera, en outre, cinq cents manuscrits, cent tableaux et statues, notamment le buste de Brutus, ouvrira ses ports aux bâtiments français, les fermera à ceux des puissances ennemies de la France et laissera passer sur son territoire les troupes françaises chaque fois qu'on lui en fera la demande.

Telles sont les principales conditions de l'armistice signé à Bologne le 23 juin 1796. On a souvent attribué les concessions finales de Bonaparte aux égards qu'il avait pour le roi d'Espagne et à l'habileté d'Azara. Le général, dans une lettre écrite au Directoire deux jours avant le traité, le 21 juin 1796, indique un autre motif. Cet armistice, dit-il, étant plutôt conclu avec la canicule qu'avec l'armée du pape, mon opinion ne serait pas que vous vous pressiez de faire la paix, afin qu'au mois de septembre, si nos affaires d'Allemagne et du nord de l'Italie vont bien, nous puissions nous emparer de Rome[66].

Rome, du moins, était sauvée. Le traité que j'ai fait est inique, barbare et outrageux, écrivait Azara au pape ; mais, pour l'excuser, je dirai que j'ai sauvé une planche du naufrage. La personne de Votre Sainteté, le Saint-Siège, la religion, tous les habitants de Rome, tout ce qui s'y trouve de sacré et de profane était irrémédiablement perdu[67].

Le gouvernement pontifical se mit aussitôt en devoir d'exécuter le traité. On tira du château Saint-Ange l'antique trésor que les papes y avaient amassé et conservé sous la menace des plus terribles excommunications. Les églises des Etats pontificaux lurent requises de livrer leurs objets d'or et d'argent ; les simples citoyens durent remettre à la trésorerie la liste complète des métaux précieux qu'ils possédaient. Le banquier Torlonia et plusieurs autres émissaires firent appel au crédit des diverses villes d'Italie.

Pendant ce temps, un envoyé du pape, Pieracchi, discutait à Paris, avec le ministre Delacroix, la ratification de l'armistice. Dès la première conférence, le 12 août, le ministre avait augmenté ses prétentions. Aux clauses stipulées par le général Bonaparte, il prétendait ajouter l'obligation imposée au pape de révoquer toutes les bulles relatives aux affaires de France depuis 1789. C'était poser des conditions inadmissibles. Pieracchi protesta, Delacroix s'irrita. La discussion se termina par un décret d'expulsion prononcée contre Pieracchi et son collègue Evangelisti, le 14 août 1796.

D'autre part, le peuple de Rome manifestait son indignation contre les conditions de l'armistice. On trouva un matin, sur les murs, des pancartes portant ces mots : Ni tableaux, ni statues, ni manuscrits ne sortiront de Rome. Des commissaires français venus à Rome pour assurer l'exécution de l'armistice, furent entourés, sifflés, injuriés. Le pape, après l'injure faite à ses délégués et le refus manifesté par le Directoire de ratifier le traité, ne se crut plus obligé à l'observer.

Le 12 septembre, Pie VI réunit le Sacré-Collège et interrogea successivement chacun des cardinaux. L'avis de tous fut que le Saint-Siège ne pouvait, sans forfaire à ses devoirs, souscrire aux conditions qui lui étaient demandées. Un mémoire, destiné à être présenté au Directoire, fut rédigé en ce sens et lu, le 14 septembre, au Sacré-Collège. Il se terminait par ces mots : Que le Directoire veuille bien considérer les motifs qui ont contraint la conscience de Sa Sainteté à un refus qu'elle serait obligée de soutenir au péril même de sa vie. A ces mots, le lecteur s'arrêta : Votre Sainteté a-t-elle bien entendu ces derniers mots ?Oui, reprit résolument le pape, oui, au péril même de la vie[68].

Le sort en était jeté ; le chef suprême de l'Eglise venait à son tour de prendre la résolution de défendre la foi jusqu'au martyre.

 

VII

L'attitude énergique de Pie VI fit momentanément reculer le Directoire. Bonaparte, alors à Ferrare, alla trouver l'archevêque, le cardinal Mattei : Monsieur le cardinal, lui dit-il, le Directoire ne veut pas la guerre avec Rome. Je ne veux pas être le destructeur, mais le sauveur de cette ville[69]. On peut croire que sincèrement Bonaparte, malgré ses alliances avec les révolutionnaires, hésitait devant un attentat contre la Ville éternelle[70]. Mais, de plus, une expédition contre Rome, en ce moment où il méditait de tourner ses armes contre l'Autriche, lui eût fait perdre un temps précieux. Changeant brusquement les rôles, c'est lui qui, pendant deux mois, pressa le pape de conclure un traité, que celui ci, à son tour, différait sagement.

Durant soixante-neuf jours, des conférences, dans lesquelles Cacault représenta le Directoire, et où le cardinal Busca, puis le cardinal Mattei défendirent la cause du Saint-Siège, eurent lieu sans résultat. Dans l'intervalle, le pape faisait- une levée de troupes, qu'il plaçait sous la conduite du général autrichien Colli ; Bonaparte s'avança contre la petite troupe, l'écrasa, le 5 février 1797, sur le Senio, s'empara d'Ancône et de Lorette, et vint attendre à Tolentino les effets de ses paroles de clémence et de ses actes de terreur, habilement combinés.

De Tolentino, où il était arrivé le 13 février, le général dépêcha à Rome le R. P. Fumé, général des Camaldules, et lui dit en se séparant de lui : Vous direz à Pie VI que Bonaparte n'est pas un Attila, et que, quand il en serait un, le pape devrait se souvenir qu'il est le successeur de Léon. Il écrivit, d'autre part, au cardinal Mattei : Je veux prouver à l'Europe entière la modération du Directoire... Je désire contribuer, autant qu'il sera en mon pouvoir, à donner une preuve éclatante de la modération que j'ai peur le Saint-Siège[71].

Le pape crut devoir acquiescer à des demandes si réitérées. Une députation, composée du cardinal Mattei, du marquis Massimi et du prélat Caleppi, se rendit à Tolentino. Allez, leur dit Pie VI, et faites tous les sacrifices, excepté en ce qui concerne la religion. Dès la première entrevue, Bonaparte, en politique avisé, comprit que, sur le terra in du spirituel, les plénipotentiaires seraient inflexibles. Il en prit son parti, et déploya toutes les ressources de son merveilleux génie, tour à tour caressant et terrible, à lutter sur le terrain politique et financier. Le 19 février 1797, après trois jours de discussion, le traité de Tolentino fut signé. Il contenait vingt-six articles. Le pape reconnaissait la République française, abandonnait ses droits sur le Comtat Venaissin, cédait à la France trois riches provinces : les légations de Bologne et de Ferrare et toute la Romagne, et promettait de verser au gouvernement français la somme de trente millions. Rome est sauvée, écrivit tristement Mattei, ainsi que la religion, mais au prix de quels sacrifices[72].

L'exécution d'un traité si onéreux fut, pour le pape, l'occasion de grandes sollicitudes. Les complots révolutionnaires se succédèrent, presque sans arrêt, dans les Etats pontificaux. Joseph Bonaparte. arrivé à Rome le 31 août, pour veiller, disaient ses lettres de créance, à l'exécution du traité conclu par son illustre frère[73], s'entourait de tous les mécontents, de tous les partisans des idées nouvelles. Au mois de septembre, Pie VI, accablé de tristesse, tomba gravement malade.

Vers la fin du mois de décembre, tandis que la robuste constitution du pape semblait devoir triompher de sa maladie, un événement tragique, non sans analogie avec le meurtre de Bassville, qui avait été l'occasion de tant de malheurs, vint redoubler les anxiétés du pontife.

Dans l'après-midi du 28 décembre 1797, un groupe d'émeutiers parcourt la ville de Rome en criant : Vive la liberté ! Vive la République française ! On leur répond par le cri de Vive le pape ! Vive la madone ! Un détachement de cavalerie s'avance pour refouler les mutins. Quelques officiers français, ayant à leur tête le commandant Duphot, sortent alors du palais Corsini, où logeait le représentant du Directoire, Joseph Bonaparte. Ils font face à la cavalerie pontificale. Leur démarche, disent-ils, n'a pour but que d'apaiser l'émeute ; mais ils l'attisent, au contraire, ostensiblement. Duphot, l'épée à la main, menace un sergent. Celui-ci, après lui avoir inutilement enjoint de remettre l'épée au fourreau, tire sur lui un coup de feu, qui l'atteint à la poitrine.

Le tumulte cesse ; les manifestants, dont le cardinal Consalvi évalue le nombre à cinq cents environ[74], se dispersent. Mais Joseph Bonaparte prétend qu'on a violé l'ambassade, et, brusquement, il quitte Rome. Rien, écrit le cardinal Consalvi, ne put le retenir, ni la prière du Saint-Siège ni l'offre d'une éclatante réparation, au cas où il y aurait eu des coupables dans le fait arrivé.

A Paris, la nouvelle de la mort de Duphot surexcita violemment l'opinion publique. Les journaux travestirent les faits[75]. Le Directoire fit arrêter le marquis Massimi, confisqua ses papiers et fit marcher sur Rome un corps de quinze mille hommes, suivi d'autres corps. Le 11 janvier 1798, Bonaparte écrivit au général Berthier, placé à la tête du premier corps : La célérité de votre marche sur Rome est de la plus grande importance... Vous cheminerez à deux journées de Rome, vous menacerez alors le pape et tous les membres du gouvernement qui se sont rendus- coupables du plus grand de tous les crimes, afin de leur inspirer l'épouvante et de les faire fuir[76]. L'armée du général Berthier, dit Consalvi, arriva avec la rapidité de l'éclair. Le soir du 9 février, elle occupa le Monte-Mario... Le 10, dans la matinée, un officier et un trompette se présentèrent à la porte qui se nomme Angelica. Ils la trouvèrent ouverte et sans aucun préparatif de résistance. Le pape n'était point en force pour repousser l'invasion, et il lui répugnait d'exposer son peuple, tout prêt à le défendre. Du reste, cette défense aurait été aussi périlleuse pour les Romains qu'insuffisante pour le Saint-Père[77].

Consalvi, qui joua un rôle actif dans les événements qui suivirent, raconte avec émotion les séances douloureuses qui se passèrent au château Saint-Ange, quand il fut chargé d'en présider l'évacuation.

Avec une énergie et une présence d'esprit admirables, il réussit à empêcher une manifestation populaire, que le Directoire avait peut-être prévue et secrètement désirée, pour justifier son intrusion dans Rome.

Pie VI, malade, se considéra dès lors comme prisonnier. Le 15 février 1798, anniversaire de son exaltation, il voulut cependant tenir chapelle pontificale à la chapelle Sixtine. Dans la soirée, le général Cervoni vint lui notifier officiellement sa déchéance et la proclamation à. la République romaine. Le Souverain Pontife dit qu'il adorait les décrets impénétrables de la Providence. Il ajouta : Je demande avec instance que la religion catholique soit respectée et qu'on ne répande pas le sang de ceux qui m'ont fidèlement servi[78].

Comme le général, lui rappelant qu'il était devenu citoyen français, lui présentait la cocarde tricolore, le pape sourit tristement et refusa : Je ne connais point d'autre uniforme, dit-il, que celui dont l'Eglise m'a honoré. Le 17, on lui signifia qu'il partirait de Rome dans trois jours. Il manifesta le désir d'être dirigé vers Naples. On refusa d'accéder à ce désir, et on le prévint qu'il prendrait le chemin de la Toscane.

Il fuit lire dans la relation de l'abbé Baldassari, familier intime de Pie VI, le récit émouvant de la suprême séparation[79]. La nuit du 19 au 20 février fut tout entière employée aux préparatifs du départ.

Le 20 au matin, le pontife prit le Saint-Sacrement, le mit dans une pyxide et le suspendit à son cou, comme il est d'usage lorsque les

Souverains Pontifes quittent la Ville éternelle ; puis, s'appuyant sur le bras de son maître de chambre, Mgr Carracciolo, il s'avança lentement vers la voiture qui l'attendait. Dieu le veut, dit-il, préparons-nous à recevoir tout ce que sa Providence nous réserve.

Ce que le Directoire lui réservait, c'était la mort, et la mort eu exil.

 

VIII

En France, le Directoire, après l'accalmie thermidorienne, avait repris, au 18 fructidor (4 septembre 1797), son œuvre, persécutrice. Cette œuvre a été longtemps trop ignorée. L'abbé Rohrbacher, dans son Histoire universelle de l'Eglise, y consacre à peine trois lignes[80]. La vérité est que, du 4 septembre 1797 au 9 novembre 1799, près de trois cents prêtres furent déportés à la Guyane, que la moitié y mourut, que douze cents autres furent internés dans la citadelle de l'île de Ré et dans l'île d'Oléron, que huit à neuf mille durent subir l'exil ou la prison, que cent cinquante individus enfin, tant prêtres que laïques, payèrent de leur vie le droit de vivre dans leur patrie. Tels sont les chiffres établis par M. Victor Pierre, dans son savant ouvrage la Terreur sous le Directoire, patiemment composé d'après des pièces d'archives et des études d'histoire locale[81].

Nous avons vu en Larevellière-Lépeaux l'utopiste sentimental qui rêvait d'établir en France et dans le monde entier une religion de la Nature et de la Patrie. Mais il y avait en lui un autre homme, orgueilleux, entêté, fanatique, qui, à l'ouverture de l'Assemblée nationale, se porta tout de suite à l'extrême gauche, qui dénia au roi jusqu'à la faculté de faire clore ses domaines, qui, au lieu de la devise : la Nation, la Loi, le Roi, voulait qu'on inscrivît sur les drapeaux : la liberté ou la mort[82]. Tremblant sous la Terreur, caché pendant deux ans aux environs de Péronne, Larevellière était remonté au pouvoir comme membre de la Convention, puis comme membre et enfin comme président du Directoire exécutif ; et ce petit homme, maigre et bossu, dont la chevelure longue et luisante encadrait une physionomie molle et bonasse, était devenu le plus inflexible et le plus fanatique des persécuteurs. Il personnifiait ce qu'il y avait de plus sectaire dans le Directoire[83].

Dès le 20 fructidor (6 septembre 1798), Larevellière signait, en qualité de président du Directoire, l'arrêté suivant : Article 1er : Les individus condamnés à la déportation par la loi du 19 fructidor an V et dont la liste est ci-jointe, seront transférés à Cayenne. — Article 2 : A cet effet, il sera mis en état, au port de Rochefort, un bâtiment de la République, qui partira pour cette destination dès qu'ils y auront été embarqués[84]. Le premier convoi de déportés, qui fut dirigé sur la Guyane le 9 septembre 1797, ne comprenait qu'un seul prêtre, l'abbé Brotier, mais le second convoi, du 12 mars 1798, en comprit cent cinquante-cinq ; le troisième, du 2 août, vingt-cinq ; et le quatrième, au 9 août, cent huit. D'autre part, à partir du mois de mai i 798, le ministre de la police commença à faire diriger sur l'île de Ré, en face de La Rochelle, les individus déportables, et, huit mois plus tard, le 17 janvier 1799, le Directoire indiqua l'ile d'Oléron, à l'embouchure de la Charente, comme lieu de résidence des condamnés que l'état de leur santé ne permettait pas de transférer à la Guyane.

Les scènes de torture et de mort eurent désormais trois principaux théâtres : la Guyane, les îles de Ré et d'Oléron, la France continentale.

Du premier convoi, presque entièrement composé d'hommes politiques, quarante-huit s'échappèrent, seize seulement arrivèrent à Cayenne. En moins d'une année, il en mourut huit. De ce nombre fut l'abbé Brotier. Austère et sobre, l'abbé Brotier avait prodigué ses soins aux malades ; il s'était attiré l'estime des noirs qui l'appelaient mon père. Il mourut en disant : Nous recevons la mort de la main des cinq Directeurs ; qu'ils jouissent de la vie qu'ils nous ôtent. Je leur pardonne ; que le Christ leur pardonne de même ! Puissent-ils, à leur dernier jour, ne pas être comme moi privés de la présence et de la consolation de leurs familles ![85]

Parmi les cent cinquante-cinq ecclésiastiques qui firent partie du second convoi, on comptait vingt-sept prêtres de la Bretagne ; treize des Vosges, dont quelques-uns, ayant prêté le serment, n'étaient pas dans le cas de la déportation, et néanmoins la subirent ; onze dé l'Aisne ; huit du Cher ; dix da Doubs, de la Haute-Saône et du Jura, dont trois cousins, François, Denis et Nicolas Daviot, qui, eux aussi, furent victimes de la rapidité avec laquelle on les embarqua, bien qu'ils fussent en règle avec la loi ; quatorze dés Deux-Sèvres, de la Vendée et de la Vienne ; de la Belgique, également quatorze, dont un jeune tonsuré, arrêté et condamné à la place de son frère. Ces ecclésiastiques avaient pour compagnons trente-huit laïques, parmi lesquels deux membres du Conseil des Cinq-Cents, le journaliste Perlet et le chansonnier Ange Pitou, à qui la Convention avait fait grâce et que le Directoire condamna.

Les vingt-cinq prêtres qui faisaient partie chi troisième convoi durent leur liberté à une circonstance, imprévue. Le vaisseau qui les portait, attaqué par un navire anglais, fut forcé d'amener son pavillon, et le capitaine anglais, rendant hommage aux victimes innocentes de la Révolution française, les fit conduire en Angleterre, où un accueil hospitalier leur fut réservé.

Le dernier bâtiment qui transporta à la Guyane des déportés, partit le 9 août, chargé de cent huit prêtres et d'onze laïques presque tous repris de justice. Un de ces prêtres, M. Brumauld de Beauregard, vicaire général de Luçon, qui avait vu déjà deux de ses frères mis à mort sous l'a Terreur, nous a laissé d'intéressants mémoires sur sa captivité.

Le climat de la Guyane, les conditions défectueuses des logements assignés aux déportés, les mauvais traitements qu'on leur infligea, furent mortels pour un grand nombre d'entre eux. A l'hospice, il n'y avait ni chaise ni table, et le service des nègres était fait avec une scandaleuse négligence. Depuis qu'ils étaient libres, ces nègres ne se pliaient à aucune règle : ils insultaient, ils rudoyaient les malades ; ils leur marchandaient à prix d'argent les soins les plus indispensables[86]. Malheur au trépassé qui ne laissait pas de succession ! Un vicaire de Vendée, l'abbé Brenugat, resta trois jours sans être inhumé ; ses confrères durent creuser sa fosse de leurs propres mains[87].

La mortalité fut surtout effrayante à partir du mois d'août 1798, lorsque l'agent du Directoire eut interdit aux déportés le séjour de Cayenne et les eut distribués dans les diverses exploitations agricoles de la Guyane. Livrés au rude climat de cette lointaine colonie, aux chaleurs tropicales, aux exhalaisons brûlantes ou paludéennes, aux travaux pénibles des champs, à des maladies dont ils n'avaient pas l'expérience, éloignés les uns des autres, isolés au milieu des nègres dont ils n'entendaient pas la langue, pendant les six mois qui suivirent, l'histoire des déportés n'est plus que l'histoire de leurs souffrances et le plus souvent de leur mort[88].

Elle est aussi l'histoire de leur zèle et de leurs admirables vertus. Ils eurent la consolation, en certains endroits, d'exercer leur apostolat envers les nègres. Nous nous étions groupés sur un petit îlot qu'on appelle les deux Flots, écrit l'abbé Brumauld de Beauregard[89]. Plusieurs nègres vinrent voir nos travaux. Ils entendaient la messe. Nous les éclairions, et ils se confessaient. Je les entendais, assis sur un vieux bois. Les insectes dévoraient le pénitent et le confesseur. J'en ai marié plusieurs. J'ai fait beaucoup de baptêmes. Nous leur faisions la prière, ils chantaient des cantiques et s'en allaient contents. J'ai l'espoir que quelques-uns de ceux-là sont restés bons chrétiens. Ange Pitou, malgré sa légèreté, Barbé-Marbois, malgré ses préjugés révolutionnaires, ne dissimulent pas, dans leurs Mémoires, leur admiration pour les bonnes mœurs des prêtres qui furent leurs compagnons de déportation. Tous ceux qui moururent là-bas, écrit Barbé-Marbois, y sont vénérés comme des martyrs. M. Brumauld de Beauregard insiste sur la pureté de mœurs que surent garder les prêtres dans un milieu où cette vertu était peu respectée. Au milieu de la corruption générale, écrit-il, Dieu a conservé les déportés sans reproche. Pas un seul ne s'est écarté des lois de la sagesse ; j'ai eu plus d'une fois l'occasion de le faire remarquer aux habitants irréligieux. Nous avions parmi nous des hommes qui n'avaient pas été tous fidèles à 1'Eglise ; des objets dangereux entouraient les déportés ; mais Dieu nous a tous gardés, et nous avons prêché par notre exemple la plus belle des vertus dans un lieu où elle est presque inconnue et où les occasions de la perdre sont bien fréquentes[90].

Si l'on détourne les yeux des victimes pour les porter sur les bourreaux, la tristesse qu'on éprouve est plus poignante, car le spectacle qui s'offre aux regards est celui de la misère morale la plus désolante. Soit qu'ils obéissent à une consigne, soit qu'ils fissent retomber lâchement sur le climat la responsabilité de tant d'hécatombes, des agents du Directoire étaient là, sur les lieux, ils voyaient mourir, et ils ne s'avisaient d'aucun moyen, d'aucun secours, qui témoignât au moins de leur humanité[91]. Et ceux qui, de Paris, leur avaient confié leur mission, étaient peut-être plus coupables encore, car, dans l'inflexibilité de leurs décrets, dans leur indifférence affectée pour tant de souffrances, il n'est pas téméraire de conjecturer l'effet d'une haine sectaire[92].

 

IX

Précipitation, négligence, désordre : c'est au moins ce qu'on est forcé de constater dans la conduite du Directoire à l'égard des malheureux déportés de la Guyane. C'est ce qu'on rencontre également dans sa manière d'agir à l'égard des déportés des îles de Ré et d'Oléron.

La citadelle de l'île de Ré, bâtie par Vauban, était une forteresse magnifique. Sa masse était imposante. Son grand portail d'entrée était majestueux. On y arrivait par un pont-levis d'une grandeur et d'une longueur prodigieuses. L'intérieur de cette forteresse ressemblait à une petite ville. Une cour immense était entrecoupée de pavillons qui formaient plusieurs rues. Les remparts étaient des promenades très agréables : les glacis étaient très réguliers et très étendus[93]. Mais les dévastations des révolutionnaires, qui, pour détruire les fleurs de lis du frontispice, avaient tiré à mitraille sur la forteresse, et le défaut de réparations depuis plusieurs années avaient rendu le monument presque inhabitable. A la moindre pluie, l'eau tombait dans la plupart des pavillons.

C'est dans cette citadelle qu'à partir du mois de mai 1798, le ministre de la police fit diriger un grand nombre d'individus jugés passibles de la déportation. On a compté que le chiffre total de ceux qui y séjournèrent fut de mille soixante-cinq, dont six cent quatre-vingt-dix-sept prêtres français et deux cent vingt-deux prêtres belges[94]. Tous les départements de la France, sauf huit[95], y étaient représentés. Non plus qu'à la Guyane, le Directoire n'avait ordonné de préparatifs ou pris les précautions les plus vulgaires pour la réception ou l'installation des déportés. Des chambres où il pleuvait, pas de meubles, pas de lits, pas un grabat, quelquefois même pas de paille dans la chambre... Dans des pièces longues de vingt pieds, larges de dix-huit, on plaça douze, quatorze, seize prêtres. Les lits ou les grabats se touchaient. La malpropreté engendra la vermine. Des maladies survenaient-elles ? On portait le patient à l'hôpital, où tout manquait, excepté les infirmiers qu'on aurait dit placés là moins pour soigner le malade que pour l'exploiter[96]. Cette citadelle, qui semblait devoir être un lieu de repos, était une vraie prison. C'étaient, à chaque instant, des consignes vexatoires, des commandements rigoureux, des corvées pénibles, mille souffrances matérielles et morales.

La piété seule soutenait ces infortunés. Ils tâchèrent de se grouper, autant qu'ils le purent, par diocèses, par régions ; puis ils décidèrent de faire en commun, dans leurs chambres, leurs exercices de piété. Un jour ; l'abbé Cholleton, futur grand vicaire de Lyon, s'étant procuré des ornements et des vases sacrés, érigea un autel dans un corridor, et put y dire la messe ; bientôt d'autres autels s'élevèrent dans les galetas et les greniers. On conserva la sainte Eucharistie, et les prêtres instituèrent entre eux l'Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Ils organisèrent même des conférences de théologie et d'Ecriture sainte.

Il leur manquait un chef : le Directoire le leur envoya. Le 28 février 1799, arriva à l'île de Ré, conduit par la police, Mgr de Maillé de la Tour Landry, évêque de Saint-Papoul. Sorti de l'armée, promu de bonne heure grand vicaire de M. de Grimaldi, évêque du Mans, appelé en 1777 à l'évêché de Gap, transféré en 1784 à Saint-Papoul, ce prélat gentilhomme avait d'abord étonné, paraît-il, ses diocésains par le grand train de sa maison, ses réceptions brillantes. des manières de vivre où l'on crut voir une légèreté de conduite et qui semblent n'avoir été que les habitudes extérieures, encore un peu trop libres, de sa vie mondaine et militaire[97]. Quoi qu'il en soit, il fut de ceux dont le courage, le zèle, les vertus apostoliques se manifestèrent avec le plus d'éclat pendant la tourmente révolutionnaire. Il est le seul prélat qui ait continué à exercer ses fonctions épiscopales pendant la Terreur. Caché à Passy, il y exerça son ministère, y fit des ordinations, et, tandis que son frère, ses neveux périssaient à Paris sur l'échafaud, il fut assez heureux pour échapper au bourreau. On l'avait vu combattre les jansénistes sous la Constituante, les constitutionnels sous la Législative et la Convention, et, dans la question des serments, adopter les principes conciliants de son ami M. Emery, supérieur de Saint-Sulpice[98]. M. de Coucy, évêque de La Rochelle, qui avait eu l'occasion de combattre les idées de M. de Maillé sur le serment, mais qui avait pour sa vertu une haute estime, s'empressa de lui confier tous les pouvoirs de juridiction sur les déportés de l'île et sur les fidèles qui l'habitaient.

Vers la fin du mois de janvier 1799, l'encombrement fut tel à l'île de Ré, que le gouvernement désigna l'île d'Oléron pour recevoir les nouveaux déportés. Cent quatre-vingt-douze prêtres y furent transférés. Leur vie, leurs épreuves, leur piété, furent à peu près ce qu'étaient la vie, les épreuves et la piété de leurs frères. Essayer d'en tracer le tableau serait nous exposer à des redites. Les îles de Ré et d'Oléron formèrent, sur les côtes de France, comme une petite Eglise, autour d'un couvent d'un nouveau genre.

Ainsi, au moment où la Révolution semblait avoir détruit toutes les communautés religieuses sur le sol de la France[99], le Directoire, de lui-même, sans y songer, en suscitait de nouvelles, et non des moins ferventes ni des moins austères, dont l'influence rayonnait, et dont les prières et les, souffrances montaient vers Dieu pour obtenir de sa miséricorde la fin de tant d'épreuves.

Un décret du Directoire avait, il est vrai, réveillé, parmi les catholiques, les dissidences qui s'étaient déjà manifestées à l'occasion du serment constitutionnel et du serment de Liberté-Egalité ; mais un lien puissant d'amour envers l'Eglise et envers le Souverain Pontife ne cessa jamais d'animer ceux qui embrassèrent des opinions divergentes, et lorsque, ainsi que nous venons de le voir, la même prison les réunit. ils ne luttèrent que de courage et d'abnégation devant le sacrifice.

Nous faisons allusion au serment de haine à la royauté et à l'anarchie que, le 5 septembre, le Directoire avait imposé à tous les membres du clergé[100]. Une telle formule, proposée sans commentaire, aurait sans doute soulevé. une réprobation générale et rencontré une opposition irréductible ; mais le député Chollet, membre de la commission spéciale chargée d'élaborer les lois relatives au clergé, avait déclaré, au nom de l'unanimité de cette commission, que ce n'était pas la personne des rois que l'on demandait de haïr, puisque la République signait chaque jour des traités d'amitié avec les rois ; que ce n'était point cette haine des Brutus et des Caton contre tout ce qui portait le nom de rois ; que ce n'était point non plus la croyance à un dogme politique sur la meilleure forme du gouvernement ; mais que les ecclésiastiques devaient cette haine à la royauté que l'on tenterait de rétablir en France, parce que le pacte social la rejetait, et que l'on ne pouvait être soumis à une constitution républicaine sans repousser toute idée qui tendrait à la renverser[101]. En présence de ces explications, les esprits se divisèrent. Dans beaucoup de diocèses, le clergé se montra très opposé au serment. M. de Juigné, archevêque de Paris, après avoir été de cet avis, l'abandonna et laissa la généralité de son clergé le prêter. M. Emery ne le prêta point, ne voulut le conseiller à per sonne ; mais, ayant appris qu'un certain nombre de prêtres de la capitale s'y étaient résignés : La Providence, dit-il, a permis qu'ils aient envisagé la question sous un point de vue qui paraît le leur permettre, afin de nous conserver la possession de nos églises, que les différentes sectes n'auraient pas manqué d'envahir[102]. La pensée que les églises catholiques pouvaient être livrées à l'impiété, et tout culte aboli, effrayait cet homme de Dieu. Je ne puis me faire, disait-il en prenant sa tête à deux mains, je ne puis me faire à l'idée d'un pays sans culte[103].

Cette attitude conciliante d'une partie du clergé permit, en effet, de maintenir l'exercice du culte dans bien des paroisses. Mais les tracasseries de toutes sortes ne leur manquèrent pas. La haine des sectaires qui voulaient déchristianiser la France ne fut pas désarmée. Pour bien en voir la profonde malice, nous devons, après avoir étudié la politique religieuse du Directoire dans ses procédés de répression, l'étudier dans les principes de sa législation.

 

X

Trois mots, nous l'avons vu, résument la conduite du Directoire à l'égard des prêtres déportés : précipitation, négligence et désordre ; deux mots suffisent pour caractériser sa législation et son gouvernement à l'intérieur : arbitraire et tyrannie. Pour éviter les caprices du despotisme, les constituants avaient décrété la séparation des trois pouvoirs constitutionnels : ils avaient prudemment pensé que les préjugés et les passions du législateur pourraient être ainsi contrebalancés, sinon par la sagesse, du moins par les préjugés et les passions contraires des représentants du pouvoir judiciaire et des agents du pouvoir exécutif. Or, le Directoire concentra aux mains du ministre de la police le pouvoir de juger et celui d'exécuter ses sentences. C'était revenir à l'un des principaux abus de la monarchie absolue, sans le contrepoids de la responsabilité personnelle et de l'intérêt dynastique. Les individus qui eurent la direction supérieure de la police, Sotin, Dondeau. Lecarlier et Duval, se firent remarquer par leur servilité à l'égard des cinq directeurs, par leur cruauté envers leurs victimes[104].

Voici comment fonctionnait leur service. Sur les dénonciations soit d'un commissaire du Directoire, soit de simples particuliers, le ministre de la police avait le droit d'arrêter tel prêtre ou tel groupe de prêtres et de soumettre leurs ces à une enquête. L'instruction terminée, si les prêtres étaient inculpés de quelque délit déterminé, ils étaient renvoyés devant les tribunaux criminels ou, plus ordinairement, devant une administration centrale, composée d'hommes politiques qui ne cherchaient qu'à donner des gages de leur sectarisme persécuteur. Quant aux prêtres contre qui aucun délit précis n'avait pu être relevé, mais qui passaient pour troubler la tranquillité publique, le Directoire en retenait la cause. C'était sa façon à lui, a dit justement un historien[105], de limiter l'arbitraire, mais il ne limitait l'arbitraire de ses tribunaux qu'en faisant prévaloir le sien propre.

Une des applications les plus révoltantes de cette politique fut la qualification d'émigré donnée, avec toutes les conséquences juridiques qu'elle comportait, aux prêtres qui avaient quitté la France pour se conformer au décret du 26 août 1792. L'article Ier de ce décret avait ordonné à tous les prêtres non assermentés de sortir dans la quinzaine hors du royaume. L'acte d'obéissance au décret fut transformé en acte de rébellion. D'octobre 1797 à mars 1798, des commissions fonctionnèrent à Paris, Nantes, Marseille, Besançon, Nancy, Metz, etc., chargées d'interpréter en ce sens la terrible prescription. A. la fin de 1797, la commission de Marseille avait déjà fait enfermer au fort Saint-Jean neuf prêtres, parmi lesquels un vieillard de quatre-vingts ans, le P. Donnadieu, ancien directeur du petit séminaire. Le 23 février 1798, le vénérable ecclésiastique, condamné à mort en compagnie d'un ancien .vicaire de Saint-Ferréol, l'abbé Baudin, traversa la ville, du quai du port à la plaine Saint-Michel, marchant d'un pas ferme, entre ses gardiens, dans le recueillement de la prière. On raconte qu'au moment de l'exécution, la cervelle ayant jailli, une pieuse jeune fille, Marie Gouverne, la recueillit et transmit à un prêtre la précieuse relique[106]. L'abbé Patenaille, dans le Jura, l'abbé Galmiche, dans la Haute-Saône, l'abbé Nicolas à Metz, en tout trente et un prêtres, illégalement qualifiés d'émigrés[107], subirent la mort dans les mêmes sentiments de courage et de foi. On arrêta même comme émigré un prêtre de Tours, Jean-Joseph Glatier, qui n'avait jamais quitté le territoire ; mais la publicité qu'il donnait à l'exercice du culte, et ses anciennes relations avec les chouans, le firent regarder comme un homme dangereux pour le Directoire. Condamné à mort le 23 mars, on le fusilla le 24 avec trois anciens soldats des guerres de Bretagne, arrêtés avec lui[108].

M. Victor Pierre évalue à mille sept cent cinquante-six le nombre des prêtres français qui furent atteints par les décrets du Directoire. Si l'on réfléchit que le clergé de France venait d'être décimé par les exécutions de la Terreur et par l'exil, ce chiffre paraîtra considérable. On a conjecturé qu'il représente le quart des prêtres alors résidant en notre pays[109]. La persécution s'étendit, d'ailleurs, à toutes les parties du territoire. Sur quatre-vingt-neuf départements, à peine deux ou trois en furent-ils complètement exempts[110].

 

XI

La persécution dépassa les anciennes frontières. Elle atteignit la Belgique, récemment annexée, et divisée en plusieurs départements, officiellement désignés sous, le nom de départements réunis[111].

A peine livrée aux mains des proconsuls de la République, dès le temps de la Convention, la Belgique avait été administrée à l'instar de la France. Le Comité de Salut public y avait organisé des comités de surveillance ; l'échafaud y avait été promené de ville en ville ; la Terreur belge avait même survécu de six mois à la mort de Robespierre.

Le Directoire voulut soumettre le clergé belge à tous les serments prescrits aux prêtres français. Les prêtres belges refusèrent en masse de prêter aucun de ces serments. Un sentiment d'indépendance nationale s'unissait en eux aux appréhensions que leur foi religieuse leur dictait. Louvain, siège de la grande université catholique, donna le signal de la résistance. Le 9 octobre 1797, le cardinal Frankenberg, archevêque de Malines, fut arrêté et déporté au delà du Rhin. Le 28, l'université de Louvain fut supprimée ; sa bibliothèque, ses archives, son cabinet de physique, son jardin botanique furent confisqués par le Directoire ; et, le 8 novembre, ordre fut donné aux administrations centrales de dresser la liste de tous les prêtres domiciliés dans leur ressort.

L'agitation commençait à gagner le peuple. Les habitants se prêtaient à toutes les ruses pour sauvegarder leurs prêtres et leur culte.

Défense ayant été faite, comme en France, aux prêtres non jureurs d'exercer leur ministère, ils célébrèrent leurs messes dans des maisons particulières avant le soleil levé. Dans le voisinage de la Hollande, on passa la frontière, et certaines localités où se célébrait le culte catholique, devinrent pour les Belges comme des buts de pèlerinage.

Alors parurent contre les prêtres, qu'on accusait d'être des instigateurs de désordre et des semeurs de discorde, des arrêtés individuels et collectifs. Bientôt des bruits précurseurs d'une explosion prochaine se firent entendre ; on parlait d'une nouvelle Vendée ; les arrêtés collectifs se multiplièrent : le 17 nivôse (6 janvier 1798), soixante prêtres furent arrêtés pour avoir inspiré la haine du gouvernement républicain et rassemblé leurs sectateurs pendant la nuit afin de paralyser la surveillance des autorités constituées[112] ; le 14 pluviôse (2 février), un arrêté collectif, porté contre vingt-neuf prêtres, invoquait simplement leur doctrine fanatique et leurs principes contre-révolutionnaires[113]. Au fond, on poursuivait eu eux les patriotes, non moins que les défenseurs de la foi. On voulait empêcher par la terreur une révolte prête à éclater.

Elle éclata le 28 novembre 1798. La municipalité de Bruxelles ayant notifié l'appel immédiat de deux cent mille conscrits sous les drapeaux, les jeunes gens appelés refusèrent de se présenter ; des arbres de la liberté furent coupés, des placards contenant des protestations énergiques furent-affichés. Bientôt le mouvement se propagea dans les campagnes. Le 17 octobre, à Remich, cinquante jeunes gens armés de gros bâtons, crient : Vive le roi ! et refusent de partir. Deux jours après, à Saint-Vith, quinze cents révoltés, venus en trois colonnes, saisissent et garrottent le commissaire. Le 28 octobre, à 1Malmedy, ils sont trois mille. C'était bien comme une nouvelle Vendée, mais la lutte ne prit pas les mêmes proportions.

Cette guerre ne saurait se prêter à une narration méthodique. Ce fut une série de combats, d'escarmouches, de coups de main. Il n'y eut ni une bataille proprement dite, ni surtout un plan de campagne. Mais elle est marquée de deux caractères : l'un, et nous regrettons de le dire, de cruauté chez les vainqueurs, qui firent souvent fusiller les vaincus après la lutte ; l'autre, de combats en apparence décisifs et qui, pourtant, ne terminaient rien[114]. Finalement, les révoltés ne purent résister aux troupes nombreuses et aguerries qui furent envoyées de France pour les combattre ; et la conclusion de cette campagne fut l'arrêté inouï, rendu le 4 novembre 1798, et signé par Larevellière-Lépeaux, condamnant à la déportation tous les prêtres assermentés[115]. Cette monstrueuse proscription atteignait huit mille prêtres environ. Beaucoup parvinrent à échapper à leurs persécuteurs, au prix d'alertes et de dangers sans nombre ; beaucoup subirent la déportation en France, mêlés aux prêtres français, dont il n'est plus possible, dès lors, de les séparer dans l'histoire.

 

XII

Lorsqu'on a parcouru la longue série des décrets votés par le Directoire et des arrêtés pris par le ministre de la police contre les prêtres de France et de Belgique, il est impossible de ne pas faire une réflexion. Les trois principaux griefs invoqués contre les prêtres sont le refus du serment, la prétendue émigration et la propagande contre-révolutionnaire. On a pourtant l'impression que tels ne sont pas les vrais motifs de la persécution. Toutes les fois qu'un prêtre a montré un vrai zèle pour la religion, n'eût-il jamais quitté la France, eût-il prêté tous les serments constitutionnels, se fût-il ostensiblement séparé du parti royaliste, il est poursuivi, jugé, condamné. Tout suggère l'idée que le gouvernement auquel préside Larevellière-Lépeaux n'a qu'un but : substituer à la religion chrétienne la religion naturelle et civile que cet ardent disciple de Rousseau a prise sous sa protection. Cette conjecture devient une certitude quand on étudie la conduite du Directoire envers le clergé constitutionnel.

Les prêtres constitutionnels ont prêté avec enthousiasme tous les serments. Leur chef, Grégoire, en a fait l'apologie, il les a inspirés. Les idées républicaines ne comptent pas de plus fervents adeptes. Ils ont toujours condamné l'émigration comme une lâcheté et une trahison. Ils n'échappent point, cependant, aux persécutions du Directoire.

Beaucoup, en effet, parmi ceux qui se sont rangés autour de l'évêque du Loir-et-Cher, continuent l'exercice de leurs fonctions ecclésiastiques, messes, prédications, confessions, avec une régularité, une gravité, qui rendent difficile de distinguer leur, ministère de celui des prêtres insermentés. L'utopie révolutionnaire qui les a entraînés hors de la voie de l'obéissance au pape, la faiblesse ou l'ambition qui les a fait s'incliner devant l'autorité civile, n'ont pas atteint en eux la foi chrétienne. C'en est assez pour que le Directoire les tienne pour suspects. On les poursuit pour n'avoir prêté le serment qu'afin de conspirer avec plus d'audace, pour avoir continué, à l'abri de leurs serments, leurs manœuvres contre la sûreté de la République. Tels sont les chefs d'accusation portés contre un ancien sous-prieur de la Trappe de Mortagne, Magnier, contre Goury, Lay et Vaillant, du Cher, contre Debeaussard et Hugues, de l'Eure. Druyer, curé constitutionnel de Serville, dans l'Eure-et-Loir, a beau présenter la liste authentique de ses serments et les attestations de ses paroissiens à l'appui de sa fidélité à la République, il est jugé et condamné. Marcepoil, curé de l'Isle-en-Dodon, a publié plusieurs écrits en faveur des serments ; Zabée, prêtre assermenté des Ardennes, s'est fait remarquer par l'intempérance de son républicanisme. Peu importe. Ils restent fidèles à leur ministère paroissial ; ils gênent la politique du Directoire ; ils sont déportés.

La culpabilité de ces prêtres est plus grande encore, aux yeux de Larevellière et de ses amis, quand, à l'exercice de leurs fonctions pastorales, ils ajoutent le refus de 'participer aux fêtes décadaires. Il serait sans doute exagéré de parler à ce propos, comme Grégoire, d'une sublime résistance, et de dire que les fêtes décadaires furent pour le clergé constitutionnel l'ère des martyrs[116]. Si le clergé constitutionnel avait été aussi nombreux et aussi disposé au martyre qu'on veut le faire croire, écrit M. Victor Pierre, il eût fourni plus de victimes à la persécution ; or, il ne forme parmi les déportés qu'une infime minorité... On compte seulement vingt prêtres constitutionnels à la Guyane, quatre-vingts à l'île de [117]. Deux évêques assermentés furent poursuivis par le Directoire. Maudru, des Vosges, était accusé d'avoir propagé une Lettre synodique du concile national de France, parue en septembre 1797, et critiquant l'enseignement aride et emphatique des écoles républicaines ; mais il ne fut condamné qu'à cent francs d'amende et à six mois d'emprisonnement ; le ministre de l'intérieur estima qu'on ne devait pas lui appliquer la loi du 19 fructidor, par la raison que les prêtres réfractaires, plus dangereux encore que les autres, tireraient de cette rigueur un sujet de triomphe. Il en fut de même pour Le Coz, évêque constitutionnel d'Ille-et-Vilaine, poursuivi pour avoir combattu, dans un écrit, la substitution du décadi au dimanche. L'accusation fut abandonnée, comme pouvant aboutir à une condamnation qui serait un triomphe éclatant pour les ennemis du Directoire[118].

 

XIII

Au fond, l'ennemi était avant tout le catholicisme romain. Contre lui, pas de ménagements, pas d'indulgences ; mais la loi toujours interprétée dans son sens le plus étroit, toujours appliquée dans sa rigueur la plus cruelle. On le vit bien dans la brutalité des procédés employés contre les Etats pontificaux et contre la personne même du Souverain Pontife.

Quand Pie VI, emmené par les émissaires du Directoire, eut quitté Rome, le 20 février 1798, la Ville éternelle fut aussitôt livrée à un pillage méthodique. Il faut détruire le fanatisme, lisons-nous dans un mémoire officiel du 25 juillet 1796[119] ; or, c'est sur la puissance temporelle des papes, c'est sur les revenus dont ils jouissent que repose principalement leur autorité spirituelle. Le général Berthier, qui avait d'ailleurs besoin d'argent pour payer ses troupes, tirait la conséquence de ce raisonnement, en s'emparant des biens du Saint-Siège. Le 25 mars, les terrains que le duc Braschi avait achetés dans les Marais Pontins furent confisqués ; les 6, 9 et 10 avril, ils furent vendus. Tous les meubles de Pie VI qu'on trouva dans son palais de Terracine subirent le même sort. Une troupe de commissaires envahit le Vatican et le Quirinal, et les mit au pillage[120]. Lorsque, à Paris, les jacobins surent que l'Etat ecclésiastique était envahi, le gouvernement pontifical renversé, bon nombre d'entre eux accoururent dans l'espoir de prendre part à la curée. Berthier essaya, par plusieurs décrets, de les arrêter. Ce fut en vain. Masséna, qui lui succéda dans le commandement des troupes, ne fut pas plus heureux[121]. Les consuls eux-mêmes, officiellement chargés du maintien de l'ordre, avec le concours des commissaires français[122], n'étaient pas au pouvoir depuis six mois, que la rumeur publique les accusait des pires exactions. Le Moniteur, dans son numéro du 12 septembre, donnait à ces accusations la plus grande publicité. Visconti volait les médailles du musée Bracciano ; Angelucci, qui naguère n'avait pas un sou vaillant, achetait des biens immenses ; Matteis spéculait sur la vente des cédules ; Reppi payait ses dettes et augmentait son capital on ne sait par quels moyens ; enfin, Panazzi étalait publiquement les précieux joyaux du San Bambino dérobés à l'Ara Cœli[123].

Au milieu de cette perturbation, de nombreux Romains avaient quitté la ville. Plusieurs cardinaux eux-mêmes n'avaient pas jugé la situation tenable. Il en resta treize à Rome. Huit d'entre eux furent arrêtés, emprisonnés, puis déportés[124]. Deux abandonnèrent lâchement le Saint-Père, abdiquèrent la dignité cardinalice et la remirent entre les mains du général-commandant en chef des troupes françaises. C'étaient les cardinaux Alfieri et Antici. Ce dernier n'avait reçu la pourpre que sur les instances du roi de Prusse et du roi de Pologne. Brisé de douleur, quelque temps hésitant sur la mesure qu'il allait prendre, Pie VI, par les deux brefs du 7 septembre 1798, déclara les deux cardinaux déchus de leur dignité et privés désormais de toute voix active et passive dans le futur conclave[125].

Ces deux brefs étaient datés de la Chartreuse de Florence, où le pontife était arrivé le 2 juin 1798, après avoir séjourné trois mois à Sienne et y avoir rédigé pour les cours de l'Europe une protestation solennelle coutre les attentats dont il avait été l'objet. Dans cet asile, où il résida pendant deux mois, Pie VI, malgré le déclin de sa santé, la surveillance odieuse dont il était l'objet, s'occupa activement des intérêts généraux de l'Eglise. Deux lettres, d'une particulière importance, portent la date de la Chartreuse de Florence. L'une du 30 janvier 1799, visait les professeurs de la Sapience qui avaient prêté le serment de haine à la royauté et à l'anarchie prescrit par l'article 377 de la Constitution romaine. Ces professeurs avaient formé leur conscience sur une simple déclaration du magistrat commis pour recevoir ce serment. Celui-ci leur avait affirmé que ledit serment ne les obligeait pas à autre chose qu'à s'abstenir de toute conspiration contre la République romaine. Quoiqu'il soit vrai, disait le pape[126], que les paroles d'un serment doivent être entendues dans le sens de la personne qui l'exige, la déclaration verbale qu'ont faite lesdits professeurs devant le magistrat chargé de recevoir leur serment, n'a pu en changer la substance ; c'est le seul législateur qui en est l'interprète, non le simple magistrat délégué pour obtenir l'exécution matérielle de la loi.

L'autre document pontifical, également daté de Florence, est plus important encore : c'est la constitution définitive réglant la tenue du prochain conclave. Cette éventualité était, depuis longtemps, une des grandes préoccupations de Pie VI. Déjà par deux bulles, l'une du 29 décembre 1796, l'autre du ri février 1797, il avait, pour mieux assurer la tranquillité du futur conclave, cru devoir déroger à plusieurs des règles traditionnelles[127]. Une Constitution du 13 novembre 1798 régla définitivement qu'à la mort du pontife le droit d'élection appartiendrait au plus grand groupe de cardinaux réunis dans les Etats d'un prince catholique et à tous ceux qui voudraient se joindre à ce groupe. Les cardinaux auraient le droit de déterminer le lieu du conclave et de régler tout ce qui aurait trait, de près ou de loin, à la future élection. Toutes les censures portées par Paul II contre ceux qui s'occuperaient d'une future élection du pape, étaient abrogées[128].

Cependant, à Rome ; les révolutionnaires, non contents de piller et de persécuter, essayaient, comme en France, de remplacer le culte catholique par des cérémonies civiles. Le 17 novembre 1798, sur la place d'Espagne, un vaste amphithéâtre avait été dressé, avec les inscriptions suivantes : La raison triomphe de l'orgueil, l'humanité triomphe de la tyrannie, la vérité surgit des cendres de la superstition. Sur l'amphithéâtre, en présence des consuls, sénateurs et préteurs de la République romaine, l'aîné des princes Borghèse et le prince de Santa Croce brûlèrent le livre d'or de la noblesse et la bulle de saint Pie V créant le tribunal de l'Inquisition.

C'était blesser trop violemment la foi catholique des populations italiennes, leur attachement traditionnel à leurs vieilles coutumes, c'était exaspérer un peuple déjà très irrité contre les exigences et les déprédations des Français. Dès le mois de février 1798, un soulèvement des Transtévérins avait été étouffé dans le sang. Les Romains appelaient maintenant à grands cris les armées napolitaines, espérant qu'elles leur apporteraient la délivrance. Le 28 octobre, le roi des Deux-Siciles, Ferdinand IV, répondant à cet appel, intima l'ordre aux Français d'évacuer le territoire pontifical ; le 14 novembre, de son quartier général de San-Germano, il publia une proclamation au peuple romain. Le général Championnet, commandant des troupes françaises à Rome, n'ayant pas répondu à l'invitation du roi de Naples, le général Mack, commandant en chef des troupes napolitaines, commença les hostilités.

Aussitôt le peuple de Rome se soulève de nouveau. Championnet, n'étant pas de force à lutter à la fois contre une insurrection intérieure et contre l'armée de Mack qui le menace, abandonne la ville de Rome, qui, le 2g novembre, ouvre ses portes au roi de Naples. Un édit du 3 décembre invite les habitants à avoir toute confiance en Sa Majesté Sicilienne. Mais la paix est de courte durée. L'armée française renforcée de nouvelles troupes revient vers Rome, rencontre l'armée napolitaine sous les murs de Civita Castellana, la met en pleine déroute, et, traversant Rome au pas de course, s'empare de Naples le 23 janvier 1799.

Lorsqu'il apprit ces événements, le pape fut très anxieux. Il craignit que le Directoire n'en prit prétexte pour édicter contre sa personne et contre l'Eglise des mesures plus sévères[129]. Il ne se trompait pas. Le 26 mars, deux officiers français vinrent à la Chartreuse de Florence intimer à Pie VI l'ordre de se rendre à Parme sans délai[130]. Il dut partir le surlendemain 28 mars, à trois heures du matin. Le pontife, dont la santé était très affaiblie, n'était pas encore remis des fatigues de ce voyage, quand, le 13 avril, une dépêche intima l'ordre aux gardiens du pape, de le transférer sans retard à Turin. Il y arriva de nuit, épuisé de lassitude. C'est là qu'on lui apprit que le but de son voyage était la France. J'irai, dit-il, levant les yeux au ciel, j'irai partout où ils voudront me conduire. Le 30, au soir, après un pénible et périlleux trajet à travers les Alpes, il toucha le sol français. Peut-être se souvint-il alors des touchantes paroles qu'il avait prononcées dans son allocution au consistoire du 17 juin 1793 : France ! France ! que nos prédécesseurs ont appelée le modèle de l'unité catholique, l'inébranlable soutien de la foi, toi qui surpassais les autres nations par ton zèle et ton dévouement à la chaire apostolique, ah ! combien tu es devenue différente de toi-même[131].

La vue de l'auguste victime allait, sur son passage, réveiller en bien des consciences des sentiments de foi jusque-là endormis. En vain aurait-on cherché à reconnaître dans ce vieillard, conduit par cinquante cavaliers, le majestueux pontife que les populations autrichiennes avaient admiré dix-sept ans auparavant. Une attaque de paralysie lui avait enlevé l'usage des jambes, et son front portait, sous une couronne de cheveux blancs, le poids de près de quatre-vingt-deux années. Toutefois ses souffrances et les infirmités cruelles auxquelles il était condamné, ne troublaient point la sérénité de son esprit ; dans la captivité, il avait conservé toute la liberté de son âme, toute l'énergie de son cœur[132]. Qu'avons-nous à craindre ? avait-il écrit dans son bref du 10 novembre 1793 aux évêques de France. Serait-ce la mort ? Oh ! non, certes ; quand on ne vit plus que pour Jésus-Christ, on ne peut que gagner à quitter la vie[133].

Au milieu de ses souffrances, le pontife eut les plus douces consolations qui puissent toucher l'âme d'un représentant de Jésus-Christ. A Briançon, au milieu d'un peuple immense, accouru des campagnes environnantes pour le saluer à son passage, il répéta, les yeux en larmes, la parole du Maitre : En vérité, je n'ai pas trouvé une foi si grande en Israël. A Savine, une noble dame en deuil vint s'agenouiller à ses pieds, le priant de la bénir et de lui rendre la paix qu'elle avait perdue depuis le schisme scandaleux de son fils. C'était la marquise de Savine, mère de l'ancien évêque constitutionnel de Viviers[134]. A Gap, le curé constitutionnel de la cathédrale, Escallier, vint demander au pape l'absolution de son apostasie.

Pie VI arriva à Valence le 14 juillet 1799. On lui assigna pour résidence la citadelle de la ville. Aussitôt qu'il eut été conduit à ses appartements, on ferma les portes extérieures et on le déclara en état d'arrestation[135]. La citadelle possédait une chapelle où le pape eut chaque jour la consolation d'entendre la sainte messe. Le Saint-Père, dit Baldassari[136], récitait chaque matin les heures canoniales, entendait ordinairement deux messes, faisait de longues et ferventes prières à la Sainte-Trinité, à Notre-Seigneur, à saint Pierre... Vers le soir, il récitait avec nous le rosaire. De sa prison, il suivait les affaires de Rome et de l'Eglise entière. La nouvelle des victoires de Souwarov lui fit espérer une amélioration de la situation religieuse. C'est le contraire qui arriva. Le gouvernement français, préoccupé des progrès de l'armée austro-russe, décida, le 25 juillet 1799, que le pape, considéré comme un otage, serait éloigné de la frontière[137]. Le ci-devant pape, disait l'arrêté du Directoire exécutif, sera transféré de Valence à Dijon[138]. Au bas de cet arrêté, Pie VI eut la douleur de lire le nom d'un prêtre apostat, Sieyès.

Mais la paralysie dont le pape souffrait depuis longtemps avait atteint les entrailles ; le mal faisait de rapides progrès. Les médecins jugèrent qu'un transport était impossible. N'est-il pas de la politique du gouvernement français, écrivit le commissaire Curnier, de conserver cet otage important le plus qu'il se pourra ?[139]

Le 28 août 1799, l'état du malade fut tel qu'on lui administra le sacrement de l'Extrême-Onction. Ses dernières paroles furent celles-ci, prononcées avec effort, mais d'une voix très intelligible : Domine, ignosce illis, Seigneur, pardonnez-leur[140]. Vers le milieu de la nuit du 28 au 29, pendant qu'on récitait les prières des agonisants, le pape leva tout à coup le bras, bénit d'un triple signe de croix les personnes présentes, puis sa main retomba inerte, laissant échapper le crucifix qu'elle tenait. Pie VI était mort. Il fut la plus auguste et la dernière victime de la Révolution française.

 

 

 



[1] A. VANDAL, l'Avènement de Bonaparte, p. 4.

[2] Cité par AULARD, Etudes et leçons sur la Révolution française, t. II, p. 143.

[3] ROBESPIERRE, Rapport du 5 février 1794 sur les principes de la morale publique.

[4] MIRABEAU, Travail sur l'éducation publique, Paris, 1791, p. 22-23.

[5] TALLEYRAND, Rapport sur l'instruction publique, 1 br. in-4°, 1791, p. 111-112.

[6] VERGNIAUD, séance du 9 novembre 1792, Moniteur du 11 novembre.

[7] GRÉGOIRE, Rapport du 12 prairial an I.

[8] PISANI, III, 95-96 ; GIBBIO, la Chiesa e lo Stato in Francia durante la Rivoluzione, p. 305, 323, 324 ; DU TEIL, Rome, Naples et le Directoire, p. 238-239.

[9] Voir le texte latin in extenso dans PISANI, III, 109-110.

[10] Il avait reçu ses lettres de créance le 19 janvier 1793. GENDRY, II, 233.

[11] Annales de la religion, t. III, p. 489-491.

[12] Annales catholiques, t. II, p. 241-243.

[13] Voir une lettre du secrétaire d'Etat, publiée dans les Annales catholiques, t. III, p. 477.

[14] Annales catholiques, III, 476.

[15] Ami des lois, cité par PISANI, III, 101.

[16] Annales de la religion, V, 529-551.

[17] Paris, imprimerie de Guerbart, rue du Vieux-Colombier.

[18] Les discussions soulevées, à propos du bref Pastoralis sollicitudo, parmi les contemporains, se sont perpétuées parmi les historiens. Baldassari croit à son authenticité ; M. Méric, dans son Histoire de M. Emery, ne la met pas en doute ; M. Gendry n'ose pas se prononcer nettement et se contente de faire les plus expresses réserves. GENDRY, Pie VI, t. II. p. 250. M. Pisani criait qu'il y a eu simple projet de bref, auquel la mauvaise volonté du Directoire n'a pas permis de donner de suite. PISANI, III, 95-110. C'est l'opinion qui nous parait la plus vraisemblable.

[19] Lettre encyclique du 13 décembre 1795, p. 44.

[20] Lettre encyclique du 13 mars 1795, ch. III, art. 1er du préambule.

[21] Annales de la religion, t. II, p. 543.

[22] Annales de la religion, t. V, p. 144.

[23] Annales de la religion, t. V, p. 305-306.

[24] Dans leur encyclique du 13 décembre 1795, les Réunis avaient abandonné le nom du département dont ils se disaient évêques, pour prendre le nom de leur ville épiscopale.

[25] Le Journal du concile national de France a paru du 17 août au 15 novembre 1797, par fascicules de 8 pages in-8°, à l'Imprimerie-Librairie chrétienne, rue Saint-Jacques, n° 278 et 279. La Voix du conciliateur a paru également pendant la tenue du concile en sept numéros de 24 pages in-8° à l'Imprimerie-Librairie chrétienne. L'objet de cette dernière publication était doctrinal et polémique. M. Pisani, qui a donné un excellent résumé des travaux du concile d'après les Annales de la religion, déclare qu'il n'a pu avoir à sa disposition le Journal du concile.

[26] Journal du concile, n° 2, p. 20-22. Le journal donne la liste des membres présents.

[27] Il se trouve reproduit dans les Annales de la religion, t, VI, p. 1-28, 49-78, 223-228.

[28] PISANI, III, 158.

[29] Annales de la religion, VI, 17 18.

[30] Annales de la religion, VI, 55-58.

[31] Voir cette lettre, Annales de la religion, VI, p. 373-396.

[32] Journal du concile du 15 novembre 1797, p. 171-175.

[33] Journal du concile du 15 novembre 1797, p. 162-164 L'Eglise gallicane, disait l'art. 1er, ne reconnaît pour mariages légitimes que ceux qui ont été contractés suivant les lois civiles.

[34] Annales de la religion, t. VI, p 85-88, 75-76.

[35] Journal du concile, du 7 septembre 1797, p. 51.

[36] Annales de la religion, V, 499.

[37] Moniteur du 26 septembre 1797, p. 20, col. 1.

[38] Patriote français du 24 brumaire an VI.

[39] PISANI, III, 177-178.

[40] C'est ce que deux historiens, appartenant à deux opinions diamétralement opposées, ont lumineusement démontré. M. l'abbé SICARD, dans son livre intitulé A la recherche d'une religion civile, 1 vol. in-12, Paris, 1895, et M. MATHIEZ, dans sa seconde thèse de doctorat, les Origines des cultes révolutionnaires, Paris, 1904.

[41] C'est l'expression dont se sort M. MATHIEZ dans son savant ouvrage, la Théophilanthropie et le culte décadaire, 1 vol. in-8°, Paris, 1904, p. 82-83. M. Mathiez a détruit la légende qui faisait de Larevellière-Lépeaux l'inventeur de la théophilanthropie.

[42] MATHIEZ, la Théophilanthropie et le culte décadaire, p. 89. Valentin Haüy était le frère de l'abbé Haüy, excellent prêtre, qui fut le créateur de la cristallographie.

[43] Voici quelques extraits de la prière proposée au théophilanthrope : Père de la nature, je ne te demande pas le pouvoir de bien faire ; tu nie l'as donné, ce pouvoir, et, avec lui, la conscience pour aimer le bien, la raison pour le connaitre, la liberté pour le choisir... Je ne t'adresserai pas d'indiscrètes prières... Je te prie seulement de redresser les erreurs des autres et les miennes, car presque tous les maux qui affligent les hommes proviennent de leurs erreurs... Plein de confiance en ta justice et en ta bonté, mon seul, désir est que ta volonté soit faite. Cité par MATHIEZ, la Théophilanthropie et le culte décadaire, p. 96.

[44] MATHIEZ, la Théophilanthropie et le culte décadaire, p. 131.

[45] BARRAS, Mémoires, édit. G. Duruy, t. II, p. 304.

[46] MATHIEZ, la Révolution et l'Église, 1 vol. in-12, Paris, 1910, p. 207.

[47] MATHIEZ, la Révolution et l'Église, p. 196.

[48] GRÉGOIRE, Histoire des sectes religieuses, t. I, p. 396.

[49] Cité par MATHIEZ, op. cit., p. 429.

[50] BOISSY D'ANGLAS, Essai sur les fêtes, p. 53.

[51] Abbé SICARD, A la recherche d'une religion civile, 1 vol. in-12, Paris, 1895, p. 185-186.

[52] Voir l'arrêté des consuls du 7 nivôse an VIII, révoquant ces mesures. Correspondance de Napoléon, VI, 4471.

[53] Albert VANDAL, l'Avènement de Bonaparte, 1 vol, in-8°, Paris, 1903, p. 30-31.

[54] Albert VANDAL, l'Avènement de Bonaparte, p. 33. Voir les textes des arrêtés dans SCIOUT, Histoire de la Constitution civile, t. III, p. 176, 390.

[55] Abbé SICARD, A la recherche d'une religion civile, p. 185-186.

[56] E. QUINET, Œuvres, édit. du centenaire, t. II, p. 91.

[57] Voir sur ces faits BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Œuvres, édit. Aimé Martin, t. I, p. 236-245. Le rapport est reproduit t. VII, p. 371-387.

[58] DIDEROT, Œuvres complètes, édit. Assézat, Paris, 1875, t. V, p. 5.

[59] Quelques auteurs, comme Ludovic SCIOUT, Histoire de la Constitution civile du clergé, t. I, p. 150, ont pensé que la Religieuse de Diderot avait influé sur l'abolition des vœux monastiques. Il est vrai que des critiques littéraires, tels que Ch. LOUANDRE, dans son Introduction aux Conteurs français du XVIIIe siècle, avaient commis la même erreur. La Religieuse composée vers 1770, fut connue dès cette époque par quelques intimes de l'écrivain, dans des manuscrits qui circulaient clandestinement, mais elle ne fut publiée qu'en l'an V. Voir DIDEROT, Œuvres complètes, t. V, p. 3-4, 175-176.

[60] Victor PIERRE, la Terreur sous le Directoire, 1 vol. in-8°, Paris, 1887, p. VIII-IX.

[61] A. VANDAL, l'Avènement de Bonaparte, p. VI.

[62] MADELIN, La Révolution, p. 462.

[63] GENDRY, Pie VI, t. II, p. 269.

[64] Vicomte de RICHEMONT, la Première rencontre du pape et de la République française, dans le Correspondant du 10 septembre 1897, p. 803.

[65] RICHEMONT, Correspondant du 10 septembre 1897, p. 807.

[66] Cité par GENDRY, II, 245-246.

[67] Cité par RICHEMONT, Correspondant du 10 septembre 1897, p. 803.

[68] RICHEMONT, Correspondant du 10 septembre 1897, p. 832, d'après le récit de J.-B. de Rossi, qui tenait ce détail de son père, secrétaire du cardinal Caleppi.

[69] GENDRY, II, 268.

[70] Indépendamment de sa foi religieuse qui ne fut peut-être jamais étouffée, ni par les utopies révolutionnaires ni par sa propre ambition, Bonaparte sentait qu'à la fin de 1796, la religion catholique était redevenue une grande force sociale. Le 4 décembre 1796, Clarke lui écrivait : Nous avons manqué noire révolution en religion. On est redevenu catholique romain en France... Si on eût pu anéantir le pape, il y a trois ans, c'eût été régénérer l'Europe ; le terrasser, au moment actuel, n'est-ce pas s'exposer à séparer à jamais de notre gouvernement une foule de Français soumis au pape et qu'il peut se rallier ? Correspondance inédite (Panckouke, II, 430), citée par A. DUFOURCQ, le Régime jacobin en Italie, 1 vol. in-8°, Paris, 1900, p. 38.

[71] GENDRY, II, 275.

[72] GENDRY, II, 275.

[73] Lettre du 19 février 1797, citée par GENDRY, II, 276.

[74] CONSALVI, Mémoires, édition Drochon, p. 333.

[75] Deux dépêches regrettables du secrétaire d'Etat furent exploitées contre le Saint-Siège. Par imprudence ou par crainte excessive, le cardinal présenta les excuses du Saint-Siège de telle façon qu'il fournit à ses adversaires des armes contre son gouvernement. GENDRY, II, 288.

[76] Correspondance de Napoléon Ier, t. III, p. 475.

[77] CONSALVI, Mémoires, édition Crétineau-Joly, 2 vol., Paris, 1866, t. II, p. 60-62.

[78] GENDRY, II, 229.

[79] BALDASSARI, Relazione de' patimenti di Pio VI.

[80] ROHRBACHER, Histoire universelle de l'Eglise, t. XXVII, p. 626.

[81] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, préface, p. XIV-XX.

[82] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 8.

[83] Larevellière-Lépeaux a osé écrire dans ses Mémoires, t. II, p. 136-137 et 141, qu'à partir du 18 fructidor, qui que ce soit ne fut inquiété, que pas un seul mandat d'amener ne fut lancé. Or, on trouve sur plusieurs milliers de décrets de déportation la longue signature, soigneusement paraphée, de Larevellière-Lépeaux. Victor PIERRE, PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 408.

[84] Victor PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 8.

[85] BARBÉ-MABBOIS, Journal d'un déporté non jugé, I, 260 ; II, 17-18.

[86] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 304-305.

[87] Voir Ange PITOU, Voyage à Cayenne, t. II, p. 105.

[88] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 300.

[89] BRUMAULD DE BEAUREGARD, Mémoires, t. II, p. 472.

[90] BRUMAULD DE BEAUREGARD, Mémoires, II, p. 493-494.

[91] BRUMAULD DE BEAUREGARD, Mémoires, II, p. 312.

[92] Voir dans Victor PIERRE, la Terreur sous le Directoire, le chapitre intitulé : le Directoire et les déportés, p. 313-317.

[93] J.-P. FLEURY, Mémoires, publiés par Dom Piolin, p. 357.

[94] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 339-341.

[95] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 341.

[96] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 344.

[97] Sur M. de Maillé, voir M. DE BROC, Un évêque de l'ancien régime, Paris, 1894, et PISANI, dans la Revue des Questions historiques d'octobre 1912.

[98] Cette attitude lui valut des contradictions violentes de la part des jansénistes, des constitutionnels et d'un certain nombre de catholiques, plus rigides que lui sur la question du serment, mais il est à remarquer que ni les Nouvelles ecclésiastiques, ni les Annales de la religion n'attaquèrent jamais sa conduite privée.

[99] On cite une abbaye de trappistes, que la Révolution avait oubliée, à Boscodon, près d'Embrun. C'est là que mourut, converti et pénitent, M. de Savine, ancien évêque de Viviers. On ne peut oublier aussi que, le 21 novembre 1796, la vénérable Marie Rivier avait fondé à Bourg-Saint-Andéol la congrégation nouvelle de la Présentation de Marie, et que, le 21 novembre 1797, cette congrégation avait reçu d'un prêtre de Saint-Sulpice, M. Pontanier, ses premières règles. Cf. F. MOURRET, la Vénérable Marie Rivier, p. 106-107, 113-114.

[100] Le décret du 5 septembre 1797, art. 25, était ainsi conçu : Les ecclésiastiques autorisés à demeurer sur le territoire de la République prêteront le serment de haine à la royauté et à l'anarchie, d'attachement et de fidélité à la République et à la Constitution de l'an III.

[101] Moniteur du 21 frimaire an VI.

[102] MÉRIC, Histoire de M. Emery, I, 463.

[103] MÉRIC, Histoire de M. Emery, I, 463.

[104] Voir leurs portraits dans V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 173-174.

[105] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 176.

[106] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 148.

[107] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 141-161.

[108] Dom PIOLIN, l'Eglise du Mans sous la Révolution, t. III, p. 441-450.

[109] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 253-254.

[110] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 253-254.

[111] Décret du 30 septembre 1795.

[112] Décret du 30 septembre 1795, 236.

[113] Décret du 30 septembre 1795, 236.

[114] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 241.

[115] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 248-249.

[116] GRÉGOIRE, Histoire des sectes religieuses, t. I, p. 323-340 ; t. II, p. 453 ; Annales de la religion du 3 juin 1797.

[117] V. PIERRE, la Terreur sous le Directoire, p. 213, 216.

[118] Archives nationales, F7 7398.

[119] Affaires étrangères, Mém. et doc., XII, 56, cité par Albert DUFOURCQ, le Régime jacobin en Italie, 1 vol. in-8°, Paris, 1900, p. 567.

[120] GENDRY, II, 329.

[121] GENDRY, II, 337.

[122] Le Directoire avait, le 20 mars 1798, installé solennellement au Capitole douze consuls. Pendant la fête, on avait invoqué les mânes des Emile et des Scipion. GENDRY, II, 335.

[123] GENDRY, II, 341.

[124] GENDRY, II, 309.

[125] GENDRY, II, 310-311.

[126] PICOT, Mémoires, VII, 218-219. M. Emery, dans plusieurs lettres et surtout dans un article, qu'il publia en 1800 dans les Annales philosophiques, t. I, p. 155, soutint que la légitimité du serment de haine prescrit en France, s'il était prêté, dans le sens des explications de Chollet, lui semblait plutôt confirmée qu'ébranlée par le bref du 30 janvier 1799. Car, disait-il, si le pape avait, par ce bref, improuvé le serment des professeurs de la Sapience, c'était parce qu'un magistrat, chargé de l'exécution matérielle d'une loi, n'avait point qualité pour lui donner une interprétation différente de son sens apparent. Donc, concluait-il, si les explications eussent été données, comme en France, par le législateur lui-même, le Saint-Père n'aurait vraisemblablement pas blâmé le serment. GOSSELIN, Vie de M. Emery, t. II, p. 414.

[127] GENDRY, II, 325-326, 484.

[128] GENDRY, II, p. 327-328.

[129] GENDRY, II, 351.

[130] GENDRY, II, 406.

[131] BARBERI, Bullarium, t. IX, p. 327.

[132] A.-M. DE FRANCLIEU, Pie VI dans les prisons du Dauphiné, 2e édition, 1 vol. in-8°, 1892, p. 4.

[133] GUILLON, Brefs et institutions de Pie VI relatifs à la Révolution française, 2 vol. in-8°, Paris, 1798, t. II, supplément, p. 52 et s.

[134] M. de Savine, nous l'avons vu, devait se convertir huit ans plus tard.

[135] GENDRY, II, 417.

[136] BALDASSARI, Relation sur l'enlèvement et la captivité de Pie VI, t. IV, f. 212.

[137] Lettre du ministre de l'intérieur, citée par A.-M. DE FRANCLIEU, Pie VI dans les prisons du Dauphiné, p. 178.

[138] Voir l'arrêté dans GENDRY, II, 419.

[139] A.-M. DE FRANCLIEU, Pie VI dans les prisons du Dauphiné, p. 185.

[140] On lui prèle encore celles-ci : Recommandez à mon successeur de pardonner aux Français comme je leur pardonne de tout cœur. C. GENDRY, II, 424.