HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

TROISIÈME PARTIE. — LA LUTTE CONTRE L'INCRÉDULITÉ

CHAPITRE III. — LES FORCES CATHOLIQUES AU XVIIIe SIÈCLE.

 

 

Depuis la formidable coalition de passions et d'intérêts qui, au XVIe siècle, avait donné à l'hérésie luthérienne son extension et sa portée, l'Eglise n'avait pas connu pareil danger. L'assaut qu'elle subissait au XVIIIe siècle était même, à plusieurs points de vue, plus redoutable : l'attaque était plus universelle, mieux organisée, mieux conduite : les mots d'ordre étaient plus clairs et plus nets. Mais les forces de résistance étaient en même temps plus grandes du côté de l'Église : la Papauté s'était définitivement dégagée des misères qui avaient obscurci son prestige et énervé sa force au temps de la Renaissance ; le clergé des deux ordres, ramené, par la forte discipline des séminaires, à la pureté de sa vie et de sa foi, formait un corps puissant et normalement hiérarchisé ; des congrégations religieuses, dans toute la ferveur de leurs débuts ou de leur réforme, instruisaient les grands et, le peuple ; et, dans les milieux les plus pénétrés du venin de l'incrédulité ou du libertinage, à la cour elle-même, la plus pure sainteté fleurissait.

 

I

Dans les Eglises d'Espagne, d'Italie, d'Autriche et de France, pendant le XVIIIe siècle, les apparences étaient, il faut en convenir, plus belles que la réalité. Les édifices sociaux gardent parfois, comme les constructions matérielles, un aspect de grandeur et de solidité jusqu'au moment où ils s'effondrent.

Dans la vieille Espagne, fière de son orthodoxie, le catholicisme, religion de l'Etat, imprégnait encore les institutions, les lois et les mœurs. D'innombrables monuments religieux, où la  générosité de ses rois et de son peuple avait prodigué l'or du Nouveau-Monde, couvraient son sol ; 70.000 clercs séculiers, 180 archevêques et évêques ; 27.000 religieux profès, appartenant à 40 ordres, et 37.000 religieuses réparties entre 30 congrégations, y distribuaient l'enseignement et, la charité. L'épiscopat espagnol n'avait point la physionomie aristocratique et hautaine de l'épiscopat français ; le moine et le señor cura étaient populaires ; ils étaient les hommes de bon conseil par excellence[1]. La foi du peuple était ardente dans ses manifestations. Mais la superstition et le fanatisme gagnaient chaque jour du terrain dans les classes populaires. Le clergé s'endormait dans une molle insouciance. Plusieurs diocèses n'avaient pas de séminaire ; le bas clergé y vivait dans l'ignorance. et l'oisiveté. Le ton de la prédication s'abaissait jusqu'au trivial et au grotesque. L'épiscopat n'avait plus l'énergie de résister aux empiètements du pouvoir royal, de plus en plus despotique et envahissant. Après les concordats de 1717 et de 1723, qui ne furent que des compromis provisoires, le concordat de 1753 reconnut au roi d'Espagne le patronat universel des églises du royaume pendant huit mois de l'année. En 1765, le légiste Campomanès publia son Traité du droit royal d'amortissement et proposa au Conseil de Castille de déclarer les ecclésiastiques incapables d'acquérir de nouveaux immeubles. Sous divers prétextes, les rois mettaient en vente, ça et là des biens d'Eglise ou d'œuvres pies[2]. Le régime français des Intendants, introduit en Espagne par Philippe V et généralisé par ses successeurs, ajoutait le malaise social au malaise religieux ; et, quoique les doctrines philosophiques n'eussent point ouvertement pénétré dans la Péninsule, une irritation sourde agitait les esprits.

Des hommes se levèrent alors, du sein de l'Eglise, pour réagir contre le mal envahissant. Le P. Isla publia son célèbre Fray Gerundio pour ramener les prédicateurs à la simplicité et au bon goût[3]. Plusieurs évêques joignirent à leurs exhortations les exemples de leur sainte vie. Don Martin Cenarro y Lapiedra, évêque de Valladolid de 1743 à 1753, économisait sur sa table pour faire de larges aumônes ; Diego de Rivera, évêque de Barbasto, conserva toute sa vie la simplicité d'un moine ; Don Antonio Golvan, archevêque de Grenade, élevait 300 enfants à ses frais ; les moines de Madrid distribuaient chaque jour 30.000 soupes aux indigents.

D'autres prêtres entreprirent d'organiser la charité. Le type de ces apôtres fut Don Diaz de la Guerra, évêque de Siguenza de 1777 à 1800, dont le nom mérite une place d'honneur parmi les plus grands évêques du XVIIIe siècle. On le vit transformer une de ses maisons de campagne en ferme-modèle, bâtir un village autour d'un de ses châteaux, fonder des fabriques de tissus et de papier, visiter et secourir les ouvriers des tanneries et des teintureries, très nombreux dans sa région. Fils d'un humble maçon, il aima toute sa vie à protéger les artisans ; mais la culture intellectuelle ne lui fut pas moins chère : il inspectait lui-même les écoles et présidait les concours établis pour la nomination aux bénéfices. Il fonda une école de musique et légua à la collégiale de Jerez, sa patrie, une riche bibliothèque[4].

 

II

L'état religieux de l'Italie, où le traité de Cateau-Cambrésis, en 1559, avait consacré la prépondérance espagnole, n'était pas sans analogie avec celui de l'Espagne. D'après les statistiques du temps, le royaume de Naples comptait alors 81.000 prêtres ou religieux, et la Sicile plus de 63.000[5]. La foi catholique était officiellement professée et protégée, sans grand souci de ce que nous appelons aujourd'hui liberté de conscience. On ne reconnaissait nullement, en principe, le, droit de protéger l'impiété par le livre ou par la parole. Les évêques réclamaient et obtenaient l'intervention de la force publique pour mettre fin aux liaisons coupables et aux scandales qui leur étaient signalés par les curés. Ceux-ci exigeaient, au temps de Pâques, des certificats de communion de tous leurs paroissiens... Les pieuses processions se déployaient dans les rues avec une pompe et une fréquence inusitées partout ailleurs. On se plaisait aux cérémonies de ce genre, aux cortèges chamarrés, aux reposoirs très ornés. Sur les bords des rues et des routes, les madones étaient nombreuses : on y manifestait sa joie par des feux d'artifices et par des concerts[6].

Mais cette dévotion démonstrative et amie des spectacles, bien qu'elle fût sincère et gracieuse en ses naïves expressions, méritait un peu les reproches que lui adressait un voyageur français, d'être trop extérieure et d'être inconséquente. Dans les nombreux monastères du royaume, écrit saint Liguori[7], la plupart des religieuses étaient entrées sans véritable vocation et contraintes par leurs parents. Il assure encore que beaucoup de prêtres séculiers, pour ne pas dire tous, n'ouvraient plus un livre, sitôt le sacerdoce reçu, et oubliaient le peu qu'ils avaient appris[8]. La plupart des ecclésiastiques, n'ayant point charge d'âmes, n'exerçaient aucun ministère actif. Ils vivaient au sein de leur famille du produit de leur bénéfice[9]. La vie de ces prêtres n'était pas toujours édifiante, les mœurs des laïques étaient très libres. La foi elle-même tendait à disparaître. En 1753, saint Liguori s'effraya du nombre des athées qu'il trouva dans la ville de Naples. En Italie aussi montait donc ce bruit sourd d'impiété que Fénelon avait entendu en France[10]. L'Italie, comme l'Espagne, avait besoin de saints. Dieu, qui mesure ses grâces aux périls, les laissa tomber sans doute avec abondance sur le sol italien. Quatre grands saints opposèrent au flot montant des vices et de l'impiété l'austérité de leurs enseignements et de leurs exemples. Ce furent : François Girolamo qui édifia Naples ; saint Léonard de Port-Maurice et saint Paul de la Croix qui évangélisèrent l'Italie du Nord, et surtout saint Alphonse de Liguori dont l'action dépassa les limites de son pays et que le Pape Pie IX devait déclarer docteur de l'Église universelle.

François Girolamo[11], jésuite, renouvela dans ses prédications populaires à Naples et dans les environs, les prodiges de la prédication monastique du XVe siècle : à sa parole, des foules éclataient en sanglots, des pécheurs faisaient la confession publique de leurs fautes ; des congrégations de marchands, d'artisans, se formaient à la suite de ses exhortations et se plaçaient sous sa conduite[12]. Depuis Savonarole, l'Italie n'avait plus connu de tels spectacles.

Avec une ardeur égale, le franciscain Léonard de Port-Maurice évangélisa une plus grande étendue de territoire. Il avait rêvé, aux premiers jours de son sacerdoce, de consacrer sa vie aux missions étrangères, puis d'approfondir les sciences sacrées et profanes, pour lutter contre les ennemis de la religion. La Providence ne lui permit pas de réaliser ces deux projets. Le serviteur de Dieu en souffrit beaucoup. Il dut, sans plan ni ordre préconçu, dépenser sa vie ça et là dans son pays, au fur et à mesure des besoins des peuples. Les diocèses d'Alberga, de Massa, d'Arezzo, de Volterra, les campagnes de Sienne, Gênes et la Corse le virent prêcher, de parole et d'exemple, l'austérité, la charité et le plus pur amour de Dieu. Le grand duc de Toscane l'appela pour réformer les mœurs de ses Etats. Toute l'Italie aurait voulu le voir et l'entendre. Il mourut le 26 novembre 1751, âgé de soixante-quatorze ans : il en avait consacré près de cinquante à l'apostolat, et l'on peut dire qu'il n'a pas cessé de prêcher, car aujourd'hui, dans l'univers entier, des milliers d'âmes entendent la messe suivant la méthode de saint Léonard de Port-Maurice[13].

Pendant que François Girolamo, dans la Compagnie de Jésus, et Léonard de Port-Maurice, dans l'ordre de Saint-François, évangélisaient les peuples d'Italie, Paul de la Croix, ancien soldat, puis ermite, jetait les fondements d'un nouvel institut de missionnaires, destinés à prêcher la foi dans le monde entier et à travailler particulièrement à la conversion de l'Angleterre. Telle fut l'origine de la congrégation connue depuis sous le nom de Société des Pères Passionistes, dont la première maison s'ouvrit à Orbitello, en Toscane, le 11 septembre 1737.

Cinq ans plus tôt, dans la petite ville de Scala, sur les bords pittoresques de la mer Tyrrhénienne, non loin d'Amalfi, saint Alphonse de Liguori avait constitué la première communauté des Pères Rédemptoristes.

Alphonse de Liguori avait été d'abord un brillant avocat, un solide jurisconsulte. Il était né en 1696 d'une noble famille napolitaine. De fortes études littéraires et artistiques avaient développé en lui les dons qu'il avait reçus de la Providence : une imagination brillante, une mémoire tenace, un jugement sûr, un cœur exquis. La culture juridique, qui touche à la plus haute métaphysique par les principes qu'elle met en jeu, à la plus fine psychologie par les études de mœurs qu'elle demande, aux arts les plus délicats par la souplesse qu'elle exige, avait achevé la formation de cette âme si richement douée. Tout préparait Alphonse de Liguori à devenir le Docteur des temps modernes. Le jeune homme sut cultiver les dons qu'il avait reçus de la nature et répondre avec générosité à toutes les sollicitations de la grâce. En 1723 un événement providentiel décida. (le l'orientation définitive de sa vie. Dans mi différend d'une extrême importance, qui s'était. élevé entre le duc Orsini et le grand duc de Toscane, Alphonse avait accepté la mission de défendre les intérêts du duc Orsini. Il étudia scrupuleusement la cause et croyant au bon droit de son client, mit tout son talent à le faire triompher. Or, à l'audience, il dut reconnaître qu'il s'était mépris sur le sens d'un document. Il le fit avec loyauté. Mais à partir de ce moment il résolut de ne plus employer son temps à s'occuper des choses purement humaines : il ne plaiderait plus désormais que la cause de Dieu. Il prit l'habit des clercs le 23 octobre de la même année, et, s'avançant par étapes vers le sacerdoce, fut enfin ordonné prêtre le 21 septembre 1726. Alphonse devait désormais travailler pour l'Église par le dévouement continuel d'une vie que Dieu prolongea jusqu'à la quatre-vingt-dixième année, par les travaux de l'Ordre nouveau qu'il fonda sous le titre du Très-Saint-Rédempteur, par les admirables ouvrages qui lui ont valu le titre de Docteur de l'Église. La ferveur de sa piété s'épancha dans de nombreux opuscules ascétiques, dont les plus connus sont l'admirable paraphrase qu'il édita, en 1750, du Salve Regina, sous le titre de Les Gloires de Marie, véritable traité de la dévotion à la Sainte Vierge, et le remarquable commentaire de quatre versets de saint Paul sur la charité[14], qu'il donna au public en 1768, manuel complet de la perfection à l'usage des personnes de toute condition. En même temps, de 1748 à 1779, il publiait huit éditions, sans cesse remaniées et augmentées, de sa Théologie morale, monument achevé de science et de sagesse, qui devait faire époque dans l'histoire de la science ecclésiastique. Entre le rigorisme des jansénistes et le laxisme de certains casuistes, le prudent théologien établissait, pour la solution des cas de conscience, des formules de plus en plus précises, qui devaient aboutir à constituer le système liguorien de l'équiprobalisme. Dans le dédale des opinions et des autorités, quelle est la voie qui s'impose à la conscience ? Les maîtres du saint Docteur lui avaient enseigné que c'était la voie la plus probable. Mais l'expérience le détacha bientôt de cette théorie. Dès 1749, dans une dissertation spéciale sur la question, il s'arrêtait à cette formule : Même en présence d'une opinion plus probable, il est permis de suivre une opinion probable, si celle-ci s'appuie sur un motif grave de raison ou d'autorité. Mais cette règle n'accordait-elle pas trop à la liberté ? Le saint vint à le penser, et, en 1755, il apporta à son principe une réserve : A moins que l'écart de probabilité ne soit énorme entre les deux opinions. Finalement, à la suite de nouvelles études, discussions et réflexions, il arriva, en 1767, à sa formule définitive, qui n'accordait la liberté d'agir pour ou contre la loi que dans le cas de conflit entre plusieurs opinions à peu près également probables[15]. La formule de l'équiprobalisme était trouvée[16]. On devait en discuter dans la suite les fondements rationnels, mais les solutions inspirées à saint Alphonse par son système devaient être pour les moralistes et pour les confesseurs une règle sûre, officiellement recommandée par les Souverains Pontifes[17].

Ce n'est pas seulement par ses œuvres, c'est par la Congrégation qu'il avait fondée, que le saint supérieur devait agir au delà des frontières de l'Italie. A ses premiers disciples il avait imposé le vœu d'aller évangéliser les infidèles, si les supérieurs les destinaient à cette œuvre. En 1764, il indiquait dans ses constitutions la manière dont les confrères résidant à l'étranger devraient correspondre avec leurs supérieurs. Cependant, en 1785, alors que le saint Fondateur, accablé d'épreuves intérieures et extérieures, n'avait plus que deux ans à vivre, la Congrégation du Très-Saint-Rédempteur n'avait pas encore franchi les bornes de la Péninsule. Du fond de l'Allemagne. deux nouveaux disciples lui arrivèrent à temps pour consoler ses derniers jours.

L'un de ces hommes s'appelait Clément-Marie Hofbauer. Il était né le 26 décembre 1751 à Tasswitz, petit village de Moravie, dans l'empire d'Autriche, d'une famille de pauvres et honnêtes laboureurs. Successivement ouvrier boulanger, domestique dans un couvent de Prémontrés, ermite à Muhlfrauen, obligé de reprendre son premier métier après la suppression des ermitages par Joseph II. Clément-Marie Hofbauer avait longtemps et beaucoup souffert de ce tourment de la vocation à la vie parfaite qui a été celui de bien des grandes âmes. A Rome, où il était allé en pèlerinage chercher la lumière, tandis qu'il entendait la messe dans une église des Rédemptoristes, il se sentit subitement éclairé, et demanda au vénéré supérieur son admission dans le nouvel institut. Deux ans après, il repassait les monts pour établir des maisons de son Ordre à Varsovie, puis à Vienne. En ce moment, le joséphisme, le jansénisme et le philosophisme étendaient leurs ravages dans ces pays. L'intrépide fils de saint Alphonse fit face à tous les dangers. Son œuvre, dit un historien[18], paraîtrait incroyable si elle n'était attestée par des témoins oculaires. Il s'occupait de toutes les âmes en détresse. Allemands, Polonais, catholiques, juifs, protestants, riches et pauvres, clercs et laïques, furent l'objet de son zèle. Il ressentait vivement, dit un témoin[19], le besoin des formes nouvelles de prédication que réclamaient les temps nouveaux. Je l'entendais prononcer souvent cette parole : L'Evangile doit être prêché aujourd'hui d'une manière toute nouvelle. Installé à Vienne en 1809, il y passa les douze dernières années de sa vie, y luttant pied à pied contre le joséphisme, et y fit renaître les plus beaux jours du règne de Marie-Thérèse[20].

 

III

Ce n'est pas seulement sur le peuple gouverné par l'empereur sacristain que s'étaient portées les sollicitudes de saint Alphonse. Le progrès que faisait l'impiété dans les pays catholiques affligeait profondément l'âme du saint vieillard. En 1777, il publia sous le titre de La Fedeltà dei Vassalli, un opuscule où, dans un langage enflammé, il suppliait les rois chrétiens de combattre, dans l'intérêt de leurs trônes comme dans celui de leurs sujets, les progrès de l'incrédulité. En vain prétend-on, s'écriait-il, que les lois humaines et leurs sanctions pénales suffisent pour sauvegarder les Etats. Erreur profonde ! ni les lois ni les supplices n'arrêteront l'audacieux qui n'a d'autre but en ce monde que l'assouvissement de ses convoitises. La religion seule crée les mœurs et fait observer les lois... Les rois qui oublient les intérêts de Dieu pour ne songer qu'à leurs intérêts propres travaillent à leur ruine[21]. Par différentes voies, saint Alphonse fit parvenir des exemplaires de son opuscule à tous les souverains de l'Europe et à leurs principaux ministres. Mais les mi-nitres des rois chrétiens de cette époque s'appelaient Tanucci, d'Aranda, Pombal, et Choiseul[22] : ils venaient d'exterminer la Compagnie de Jésus, et accordaient toutes leurs faveurs aux philosophes. Le cri d'alarme du saint vieillard ne fut pas entendu des princes de l'Europe. Il se tourna alors vers les vaillants apologistes qui luttaient en France contre les funestes doctrines de l'Encyclopédie. Effrayé surtout de l'influence exercée par Voltaire, il écrivit au P. Nonnotte qui venait de publier une réfutation du philosophe de Ferney, pour l'encourager dans ses travaux. Permettez à un ancien évêque, lui disait-il[23], de vous adresser ces quelques lignes. Mon âge et mes infirmités m'ont forcé à renoncer à la charge de l'épiscopat... Je vous écris surtout pour vous engager à ne laisser passer aucune occasion de répondre aux venimeuses productions de ces suppôts du démon qu'on appelle les philosophes.

Alphonse de Liguori voyait juste. Le mal était immense, partout en Europe et surtout en France.

La solidité apparente de l'organisation extérieure de l'Église française ne devait pas faire illusion. Ces 135 évêques et ces 40.000 curés qui possédaient, en 1787, environ un cinquième du territoire total de la France et percevaient près de 230 millions de revenus annuels[24] ; ce clergé qui jouait un rôle dans l'État par ses Assemblées générales tenues tous les cinq ans, et qui avait son administration financière propre dans les bureaux diocésains, les chambres ecclésiastiques et les généralités ecclésiastiques ; cette Église si étroitement unie avec l'Etat que les deux institutions semblaient se compénétrer et se fortifier l'une l'autre ; toute cette organisation traditionnelle et majestueuse, rehaussée dans ses manifestations extérieures par une étiquette religieusement observée, donnait au premier abord une impression de force et de stabilité. 1.356 abbayes, 1.200 prieurés et près de 1.500 couvents, abritant une moyenne de 20.000 religieux et de 30.000 religieuses pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, semblaient doubler les forces du clergé séculier. Mais, en réalité, les droits accordés au roi de France par le concordat de 1516 et l'abus qui en avait été fait trop souvent, avaient rendu le clergé trop dépendant de l'autorité civile. Ses richesses territoriales étaient parfois devenues pour lui une source de périls. La commende avait mis le gouvernement d'un grand nombre de monastères entre les mains de supérieurs qui ne résidaient pas. De là une décadence, non pas générale, niais très réelle dans un trop grand nombre de monastères.

Les vraies forces catholiques étaient dans la sainteté de quelques grands évêques, dans le dévouement d'un grand nombre de prêtres et de religieux pieux et instruits, dans la piété profonde de certains laïques, dans les restes d'une foi traditionnelle, qui vivait d'autant plus forte et d'autant plus enracinée dans certaines âmes, qu'elles se rendaient mieux compte des ravages croissants de l'impiété autour d'elles.

Ou ne trouve point, dans l'épiscopat français du XVIIIe siècle, de noms comparables à ceux de Bossuet et de Fénelon ; mais on y rencontre un grand nombre de prélats aux mœurs irréprochables, au cœur évangélique, et plus d'un véritable saint. A Gap, M. de Malissoles qu'on appelle le saint des Alpes, Cambrai, M. Rosset de Fleury qui avait déjà mérité, sur le siège de saint Martin, le surnom de petit saint de Tours, à Marseille, M. de Belzunce, dont le dévouement pendant la terrible peste de 1720 avait arraché l'admiration de tous, à Clermont, M. de Bonal dont Louis XVI vénéra la sainteté, tous les évêques qui se succédèrent sur les neuf sièges épiscopaux de la catholique Bretagne, tous ceux qui occupèrent les trois sièges de la Gascogne, ceux qui siégèrent à Paris depuis la mort de M. Harlay de Champvallon en 1695 jusqu'à la fin du siècle suivant, donnèrent l'exemple d'une vie vraiment apostolique[25].

Deux hommes paraissent personnifier entre tous les autres ce qu'il y eut de vraiment grand dans l'épiscopat français du XVIIIe siècle : Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, et Louis-François d'Orléans de la Motte, évêque d'Amiens. Nous avons déjà vu Christophe de Beaumont, au milieu des circonstances les plus difficiles, lutter pendant trente-cinq ans pour la défense des saines doctrines.

Louis de la Motte, né en 1683 à Carpentras, dans le Comtat Venaissin, élevé au collège des jésuites d'Avignon, manifesta de bonne heure cette pétulance d'esprit, cette exubérance de vie extérieure, qui se trouve si souvent associée, chez les hommes de son pays, à la justesse du sens pratique et à la sûreté du jugement. Successivement chanoine théologal de Carpentras, missionnaire, vicaire général de l'archevêque d'Aix, il fut nommé administrateur du diocèse de Senez lorsque, en 1727, le concile d'Embrun condamna l'évêque Soanen comme réfractaire aux décisions de l'Église universelle. Le bien qu'il accomplit dans ses diverses fonctions le fit nommer, en 1733, évêque d'Amiens. La première de ses sollicitudes, dans ce nouveau poste, eut pour objet la sanctification du clergé. On a recueilli un certain nombre de conseils qu'il donnait à ses séminaristes, d'entretiens qu'il faisait à ses prêtres, de lettres qu'il adressa sur divers sujets de la vie spirituelle ; ce recueil forme le code le plus complet, le plus pratique et le plus élevé de la vie ecclésiastique. Ses formules étaient ordinairement vives et pittoresques. En arrivant dans une paroisse, disait-il, un prêtre doit être tout œil et tout oreilles, et n'avoir ni langue ni mains. La noble amabilité di ses manières, non moins que la haute dignité de sa vie, lui valut la protection déclarée de la reine et du dauphin, qui professaient pour lui une estime particulière. Il en profita pour parler librement devant l'héritier de la couronne des abus relatifs à la résidence des évêques, et de la répartition souvent injuste des biens ecclésiastiques. Savez-vous bien, mon saint, lui dit un jour la reine Marie Leczinska, que, quand vous êtes avec mon fils, vous ne faites que médire ? J'ai lieu de craindre qu'après avoir passé en revue les torts des gens d'Eglise et des gens de cour, vous n'en veniez au tour des reines ?Madame, reprit M. de la Motte en souriant, le plus grand tort des reines serait de ne pas prendre Votre Majesté pour modèle. — Oh ! s'écria du même ton la reine ; voilà M. d'Amiens qui parle le langage affété de la cour ![26]

L'histoire, forcément mieux renseignée sur la vie des grands que sur celle des humbles, ne nous a laissé que de trop rares documents sur l'existence des curés de campagne au XVIIIe siècle. Nul nom n'émerge parmi ces obscurs serviteurs de l'Église. Nous connaissons du moins les conditions générales de leur vie et les résultats généraux de leurs œuvres.

Rien ne peut nous donner aujourd'hui une idée de ce qu'était le clergé rural au XVIIIe siècle. C'est lui qui tenait les registres des naissances et des décès, qui recevait les testaments, qui avait une part prépondérante aux assemblées des habitants. A mesure que le haut clergé abandonna la résidence, l'influence du clergé de campagne s'accrut. Le curé devint l'organe de la loi, l'agent ordinaire de transmission des actes de l'autorité supérieure. En Bretagne, il était l'intermédiaire des commissions diocésaines pour la répartition de la taille[27]. Il fut question, en 1716, de donner des attributions analogues à tous les curés de France[28]. Turgot, dit Dupont de Nemours[29], regarda les curés comme ses subdélégués, il assurait qu'on était trop heureux d'avoir dans chaque paroisse un homme qui eût reçu quelque éducation, et dont les fonctions dussent, par elles-mêmes, lui inspirer des idées de justice et de charité.

L'ascendant moral du curé de campagne s'était notablement accru depuis le XVIIe siècle : le grand mouvement de réforme entrepris par l'Oratoire, Saint-Lazare et Saint-Sulpice, était parvenu jusqu'à lui, et le philosophisme, qui avait troublé les idées de plus d'un membre de l'épiscopat ou du clergé des villes, ne l'avait pas encore atteint.

Un vice radical restait, il est vrai, dans l'organisation ecclésiastique : les dîmes recueillies dans les paroisses étaient perçues, d'ordinaire, par de gros décimateurs qui ne résidaient pas et qui, la plupart du temps, laissaient au prêtre qui desservait l'église une faible portion des revenus, appelée portion congrue. Dans l'Artois, dit Taine[30], la dîme prélevait jusqu'à 7 ½ et 8 % du produit de la terre, et nombre de curés étaient à la portion congrue, sans presbytère, l'église tombait en ruines, et le bénéficier ne donnait rien aux pauvres. De là un profond malaise, une sourde irritation, dans laquelle le peuple et le curé se sentaient solidaires parce qu'ils en souffraient en même temps. Aux Etats Généraux, sur trois cents députés du clergé, on compta deux cent huit curés, et, comme la noblesse de province, ils apportèrent avec eux la défiance qu'ils nourrissaient depuis longtemps contre leurs chefs. Si les deux premiers ordres furent contraints de se réunir aux communes, c'est qu'au moment critique les curés firent défection[31].

 

IV

L'action du clergé sur les fidèles s'exerçait par l'éducation de la jeunesse, par l'instruction religieuse et par les œuvres d'assistance.

Depuis le commencement du XVIIe siècle jusqu'à la Révolution, le mouvement en faveur de l'instruction primaire ne cessa de s'accentuer et de se propager d'une manière constante et universelle[32]. Dans les campagnes, dit un des auteurs les plus documentes sur la matière[33], on avait pourvu à l'instruction populaire par l'établissement d'une multitude d'écoles tenues, ici par le curé, là par le vicaire, ailleurs par des clercs ou des magisters. Beaucoup de ces écoles étaient gratuites, grâce aux fondations des fabriques ou de pieux particuliers. D'autres étaient entretenues, aux conditions les plus modestes, au moyen de certains droits payés aux maîtres par les écoliers et désignés sous le nom de droits d'écolage. La diminution progressive des ecclésiastiques dans les derniers siècles, en obligeant les paroissiens et les curés à recourir à des instituteurs laïques, avait fait sentir la nécessité d'assurer un traitement à ces derniers, et de favoriser autant que possible les donations en faveur des écoles paroissiales. C'est une originale et touchante figure des temps passés que celle du magister d'Ancien Régime, à la fois instituteur, chantre et sacristain. Le maitre, dit excellemment un historien[34], était alors avant tout le mandataire des pères de famille et l'auxiliaire du ministre de la religion. Il apprenait à l'enfant les premiers éléments de la langue maternelle. Il mettait le fils du laboureur et de l'artisan en état de tenir lui-même la comptabilité de la culture et de son commerce. Il était, après le pasteur, l'homme de la par6isse. Il voyait naître l'enfant, prêtait le concours de sa voix aux messes de mariage, murmurait les dernières prières sur les tombes. L'État ne l'avait pas encore éleva à la dignité de fonctionnaire public ; mais toute la paroisse était attentive à ses besoins : on s'assemblait pour augmenter ses gages, pour améliorer son école ; et la mort de cet homme de bien était un deuil public ; sa tombe avait, comme celle du pasteur, une place réservée au cimetière ou dans l'Église même.

L'Eglise ne se contenta pas de favoriser l'instruction primaire : elle donna naissance à plusieurs congrégations nouvelles, vouées à l'éducation des enfants du peuple. Telles furent les Sœurs de la Providence d'Evreux, fondées en 1702 ; les Sœurs de la Doctrine chrétienne, dites Vatelottes, du nom du vénérable prêtre qui les institua en 1712, l'abbé Vatelot ; les Sœurs de la Sagesse, dont le premier établissement se fit à La Rochelle par les soins du Bienheureux Grignon de Montfort, en 1715 ; puis, dans la suite, les Sœurs du Saint-Esprit, établies près de Saint-Brieuc, les Sœurs du Saint-Sacrement à Mâcon, les Sœurs de la Miséricorde dans la Manche, celles de Saint-.Charles à Nancy et les Filles de la Providence de Portieux.

Les congrégations de femmes vouées à l'enseignement primaire étaient donc nombreuses en France. Les essais pour fonder, dans le même dessein, des sociétés religieuses d'hommes n'avaient pas été d'abord aussi heureux. Ni le Père Barré, religieux minime, qui avait tenté en 1678 de fonder à Paris des séminaires de maîtres d'écoles, ni l'ardent M. Démia, qui avait établi une œuvre semblable à Lyon en 1672, n'avaient obtenu de résultats durables. En 1682, un jeune gentilhomme, Jean-Baptiste de la Salle, prêtre et dignitaire de l'Église, non content de se faire le protecteur des maîtres d'école chrétiens, résolut de se faire lui-même pauvre et instituteur des pauvres. Il était né à Reims en 1654, avait été pourvu à quinze ans d'un canonicat ; s'était trouvé, six ans plus tard, par la perte de ses parents, mis à la tête d'une fortune considérable, et avait conquis brillamment, peu d'années après, le bonnet de docteur en théologie. Les situations les plus honorables lui semblaient réservées dans la hiérarchie ecclésiastique. Mais s'occuper des enfants pauvres était toute l'ambition du jeune docteur. Dans sa maison canoniale, puis dans une demeure plus spacieuse, en son hôtel de la rue Sainte-Marguerite, on le vit recevoir à demeure d'humbles maîtres d'école. Ils partageaient ses repas, sa vie tout entière, ce qui permettait au jeune prêtre, suivant le témoignage d'un contemporain, d'étudier de près le caractère de ses hôtes, de leur faire sentir doucement leurs défauts, de trouver le moyen de réformer leur extérieur en même temps qu'il réglait leur intérieur[35]. Sa famille trouva malséant ce commerce, prétendit que Jean-Baptiste oubliait sa naissance et son rang. Mais le prêtre gentilhomme n'en continua pas moins à se donner à ces natures modestes pour les élever, et il y trouva des trésors de générosité. Il se démit de son canonicat, et distribua tout son bien aux pauvres sans en rien réserver pour son œuvre, qui vécut d'aumônes. Quand un maître venait à manquer, le saint prêtre faisait lui-même la classe aux petits enfants. Ses parents, ses amis, des membres du haut clergé le traitèrent de fou. Il laissa dire : l'approbation de quelques saintes âmes et surtout du directeur de sa conscience, le P. Barré, lui suffisait. Il prit, et donna pour costume à ses compagnons une soutane d'étoffe grossière, fermée en avant par des agrafes de fer, semblable à celle que portaient les ecclésiastiques pauvres à la fin du XVIIe siècle ; il y ajouta une capote à manches flottantes, fort en usage parmi les paysans de la Champagne, un rabat blanc, un chapeau tricorne à larges bords et des souliers à semelles épaisses, tels qu'en portaient les gens de peine[36]. Ce costume fut l'occasion de nouvelles dérisions. Mais l'esprit d'humilité, de pauvreté, d'obéissance, de vie obscure et de dévouement caché pénétrait dans la nouvelle famille religieuse. En 1695, le saint pensa que le moment était venu de mettre par écrit les règlements et les usages qui s'observaient depuis plus de quinze ans dans sa communauté[37]. Ce fut l'origine des règles de l'Institut des Frères des Ecoles chrétiennes : révisées par une assemblée en 1717, elles régissent encore l'admirable société qui a fourni à elle seule, pendant le XIXe siècle, la moitié des maîtres congréganistes. Les autres congrégations fondées plus tard dans le même but, se sont toutes plus ou moins inspirées de cette institution. Ses méthodes pédagogiques ont rayonné sur l'enseignement public lui-même.

Parmi les réformes qui devaient stimuler le progrès des études primaires, il faut faire honneur à saint Jean-Baptiste de la Salle de deux importantes innovations : la substitution de la méthode simultanée à la méthode individuelle dans l'enseignement, et l'usage de faire précéder la lecture du latin par là lecture du français.

L'habitude, jusque-là générale, de donner l'enseignement à chacun des enfants, l'un après l'autre, lui parut justement imparfaite. Même lorsque cette méthode était complétée par un enseignement mutuel, et qu'une légion d'officiers, intendants, décurions, prêteurs et répétiteurs, passaient le long des tables pour suppléer le maître, il était difficile d'éviter l'indiscipline et l'oisiveté dans une classe nombreuse. Le sage instituteur trace, dans les lignes suivantes, le plan de la méthode nouvelle : Pendant qu'on lira, tous les autres d'une même leçon suivront dans leur livre. Le maître fera, de temps en temps, lire quelques-uns pour les surprendre et reconnaître s'ils suivent. Il ne parlera pas, d'ailleurs, comme en prêchant, mais il interrogera, soutiendra l'attention, éveillera les idées, habituera les enfants à chercher par eux-mêmes, les formera à la réflexion[38].

Une seconde innovation, qui nous paraît aujourd'hui toute naturelle, effraya, paraît-il, les contemporains de Jean-Baptiste de la Salle, comme une excessive témérité. On tenait avant lui que les enfants devaient savoir bien lire en latin avant que d'être mis à la lecture française, car, disait-on, la lecture française étant bien plus difficile, il faut commencer par le plus aisé[39]. Le saint se prononça nettement pour une méthode toute contraire, celle qu'avaient déjà tenté les Petites Ecoles de Port-Royal, mais qui avait disparu avec leur suppression. Le premier livre dans lequel les enfants apprendront à lire, dit le sage Fondateur, sera rempli de toutes sortes de syllabes françaises. L'avenir ne tarda pas à justifier l'excellence de l'innovation.

Le saint Fondateur mourut le 7 août 1719, laissant une famille religieuse composée de 274 membres, répartis en 23 maisons et enseignant 9.885 enfants ; elle devait compter en 1900 près de 20.000 Frères ou novices, dirigeant 2.000 écoles et donnant l'instruction à 350.000 enfants ou jeunes gens.

 

V

Aux débuts du XVIIIe siècle, un homme qui joignait à une grande expérience pédagogique un esprit sagement progressif, le vénérable Rollin, profitant à la fois des règles adoptées dans les collèges de la Compagnie de Jésus et des méthodes usitées dans les écoles de Port-Royal, avait donné dans son célèbre Traité des études, le Code de l'instruction secondaire. On a pu plaider la cause des Lettres avec plus de verve et, d'éloquence, dit justement un historien[40], mais nul n'en a parlé avec plus de compétence, avec plus d'amour. Nul n'a tracé d'une main plus habile les règles de cette éducation classique qui, par une progression haute et sûre, éveille la pensée de l'enfant, forme son jugement, développe son goût, et le conduit par une ascension constante au plein épanouissement de ses facultés.

Mais le mouvement intellectuel qui devait aboutir à l'Encyclopédie, inaugura une véritable campagne contre le latin. Les grands progrès des sciences naturelles et mathématiques, de l'histoire et de la géographie, pouvaient sans doute légitimer dans l'enseignement secondaire des innovations analogues à celles que saint Jean-Baptiste de là Salle avait réalisées dans l'enseignement primaire, et certaines étroitesses pédagogiques des tenants du vieux système prêtaient évidemment à la critique. Mais la réaction fut excessive. Je sortis du collège, disait Voltaire, avec du latin et des sottises. D'Alembert, Diderot, Grimm, Helvétius demandèrent un bouleversement des études latines. Rousseau, dans son Emile, sans traiter directement la question, voulait abandonner l'élève à sa spontanéité. Le discrédit des thèmes et des vers latins, l'emploi de la traduction juxtalinéaire, mise sous les yeux de l'enfant pour ses versions, furent les résultats de cette campagne dans un grand nombre de collèges. Comme ces attaques violentes contre les anciennes méthodes coïncidaient avec des attaques non moins violentes contre tous les préceptes positifs de la religion, le résultat fut fatal : l'esprit de la jeunesse se nourrit des exemples et des maximes de l'antiquité païenne, mais sans la discipline intellectuelle qui règle l'esprit, sans la discipline morale qui régente le cœur. Les sonores et vagues déclamations des orateurs de la Révolution française étaient au bout de ce mouvement.

Deux congrégations religieuses essayèrent courageusement de l'endiguer.

Dans l'Oratoire, le célèbre P. Lamy, partisan enthousiaste des sciences mathématiques et naturelles ; avait frappé d'une même condamnation la scolastique, les dictées et les vers latins[41]. Mais sa congrégation se garda bien de consacrer toutes ses idées. Une large part y fut donnée, dans les hautes classes, aux sciences naturelles, aux mathématiques, à l'histoire et à la géographie ; mais l'enseignement du latin et du grec en resta la base, et surtout la religion en fut toujours l'inspiration générale et le couronnement[42].

Les jésuites avaient eu aussi leur homme d'avant-garde, le P. Buffler, qui voulait faire entrer dans les programmes les sciences nouvelles ; mais les méthodes pédagogiques de la Compagnie restèrent fidèles aux grands auteurs de l'antiquité, surtout à Cicéron, le maître de l'amplification oratoire et littéraire. Le maintien de la traduction littérale, des thèmes, des dissertations latines, des vers latins, des analyses grammaticales, logiques et littéraires, en exigeant de l'élève un effort constant, sauvegardait la discipline indispensable à toute éducation digne de ce nom. D'autre part, le sens chrétien si profond de ces maîtres de l'éducation leur faisait éviter, dans la fréquentation journalière des auteurs païens, le réel danger qui pouvait s'y rencontrer. Leur procédé consistait à présenter les écrivains de la Grèce et de Rome en les dépaysant en quelque sorte, en les présentant à leurs élèves moins comme les hommes de tel lieu et de tel temps que comme des modèles impersonnels, appartenant à tous les pays et à tous les âges[43]. L'élève ainsi formé ne gardait de ces auteurs que leur admirable perfection plastique, cette marche si harmonieuse et si sûre de la pensée dans son mouvement naturel. Il revêtait ensuite de cette forme l'idéal chrétien, que les fils de saint Ignace, par leurs instructions, leurs retraites, leurs exercices multipliés de dévotion, cherchaient à alimenter dans les âmes.

Les hautes études religieuses étaient cultivées, soit dans les ordres religieux, soit dans les universités.

Le XVIIe siècle finissant avait légué au XVIIIe siècle des œuvres d'une richesse incomparable. Des Bibles polyglottes, corrigées avec le plus grand soin, avaient mis à la portée des exégètes les textes les plus anciens des Saintes Ecritures. Bossuet et Richard Simon, représentant deux tendances opposées, avaient discuté à fond les règles de l'herméneutique sacrée. Lenain de Tillemont, dans ses Mémoires sur les six premiers siècles de l'Eglise, avait dépouillé, avec une patience infatigable et un merveilleux sens critique, les documents les plus précieux de l'antiquité chrétienne. Thomassin, sous le titre d'Ancienne et nouvelle discipline de l'Eglise, avait étudié avec une précision admirable les fonctions, les droits, les devoirs, les prérogatives de tous les Ordres de l'Eglise, la condition des biens ecclésiastiques de toute nature, tout ce qui touche aux bénéfices et aux bénéficiers de tout ordre et de toute dignité. Petau avait publié ses merveilleuses études de théologie positive. Mabillon avait, pour ainsi dire, créé, ou du moins constitué sur des bases scientifiques une discipline nouvelle, la diplomatique, ou la science et l'art de déchiffrer les vieux diplômes. Les Bollandistes avaient continué la publication de leurs incomparables Acta Sanctorum, recueil critique de tous les documents originaux concernant la vie des saints. Noël Alexandre avait publié sa grande Histoire de l'Eglise et l'Abbé Claude Fleury avait commencé la publication de la sienne.

Les longues disputes du gallicanisme et surtout du jansénisme eurent un double résultat : ce fut d'abord de détourner des travaux de pure science beaucoup d'esprits éminents ; ce fut aussi de pénétrer d'un venin d'hétérodoxie et de rendre ainsi suspectes aux catholiques plusieurs des œuvres de ce temps.

Au XVIIIe siècle, plusieurs des savants que l'on vient de nome mer et un grand nombre d'autres, tels que Dom Calmet, le savant commentateur de la Bible, Dom Bouquet, qui commença le Recueil des historiens des Gaules et de la France, Dom Ceillier, l'auteur de la monumentale Histoire générale des auteurs sacrée ecclésiastiques en 25 volumes in-4°, Dom Rivet qui publia les huit premiers volumes de l'Histoire littéraire de la France, Dom Vaissette, le savant historien du Languedoc et plusieurs autres moins célèbres, avaient vaillamment continué l'œuvre de leurs devanciers. Dans l'enseignement de la théologie traditionnelle, le Dr Tournely, professeur de Sorbonne, le Dr Witasse, M. Legrand[44], de Saint-Sulpice, et surtout l'illustre dominicain Billuart, un des plus profonds commentateurs de saint Thomas, jetèrent un lustre sur la science ecclésiastique[45].

Mais tandis que les oratoriens et un certain nombre de bénédictins se laissaient gagner par l'erreur janséniste, les jésuites étaient poursuivis, puis dispersés ; et, aussitôt après, des efforts étaient tentés pour faire passer sous la direction du pouvoir civil tout l'enseignement.

L'université de Paris jouissait encore, au XVIIIe siècle, de deux espèces de privilèges : des privilèges civils, garantis par le roi, et des privilèges apostoliques. Les premiers consistaient d'abord en l'exemption de certaines charges, telles que les tailles, collectes, logement des gens de guerre, service militaire, tirage au sort pour la milice, etc. ; ils comprenaient aussi le droit de scolarité, en vertu duquel, maîtres et écoliers, qu'ils fussent demandeurs ou défendeurs, pouvaient évoquer toutes les causes, dans lesquelles ils se trouvaient engagés, devant le juge conservateur des privilèges de l'université. Des lettres patentes du 30 mars 1759 confirmèrent tous ces privilèges. Quant eux privilèges apostoliques, ils comprenaient surtout le droit pour les maitres de conférer des grades et, pour les gradés, le droit d'expectative des bénéfices qui vaquaient, pendant les mois qui leur étaient affectés[46]. En février 1763, après l'expulsion des jésuites, un édit royal, Un édit royal composé de vingt-huit articles, régla la situation des divers collèges du royaume. Les évêques n'en avaient plus la direction qu'en ce qui concernait le spirituel et l'enseignement de la foi ; tout le reste du gouvernement de ces maisons était mis aux mains d'une commission de huit membres, dont l'évêque était le seul membre ecclésiastique. Le 21 novembre de cette même année, des lettres patentes du roi centralisèrent cette organisation nouvelle dans le collège Louis-le-Grand, destiné à former une pépinière de maîtres. L'Assemblée générale du clergé de 1765 vit le danger. C'était un premier essai de la future Université de France. Les évêques protestèrent énergiquement. L'exercice des fonctions essentielles de notre ministère, disaient-ils, nous oblige à protester contre l'édit de février 1763. On admet à peine les évêques dans l'administration des collèges. Toutes les parties de l'éducation sont essentiellement liées entre elles. Les mêmes maîtres sont chargés de l'enseignement des lettres humaines et de former la jeunesse à la pratique de la religion. Ces deux enseignements ne cesseront point d'être inséparables tant que le christianisme sera la, règle de nos écoles[47]. Le gouvernement répondit à ce mémoire en déclarant qu'on ne conclurait rien sans avoir pris l'avis du clergé ; mais cette promesse ne fut tenue qu'en 'ce qui concerne les écoles militaires, lesquelles, l'année suivante, furent confiées pour la plupart à des congrégations religieuses[48].

 

VI

Dans les mesures prises en 1763 pour centraliser l'instruction publique entre les mains de laïques fonctionnaires de l'Etat, l'Assemblée du clergé avait bien deviné l'action cachée des sectes philosophiques. Les ennemis de la religion, disaient les prélats, ont regardé comme un point essentiel d'éloigner les ecclésiastiques du soin d'élever la jeunesse. C'est contre ces ennemis qu'il importait surtout de lutter. Des apologistes se levèrent. Un jésuite, le P. Nonnotte, un prêtre séculier, l'abbé Guénée, et un évêque, Lefranc de Pompignan, se firent surtout remarquer dans cette lutte.

Claude-Adrien Nonnotte, sur qui Voltaire devait faire pleuvoir une grêle de facéties et de sarcasmes, était né à Besançon en 1711. Considéré comme un des plus remarquables prédicateurs de la Compagnie de Jésus, il avait été appelé à ce titre dans la ville de Turin par le roi de Sardaigne. Il assuma la tâche ingrate de discuter pendant vingt ans avec un homme qui répondait à ses arguments par des mots d'esprit, à ses objurgations par des onomatopées burlesques. Ses principaux ouvrages sont : Les erreurs de Voltaire, en trois volumes : L'esprit de Voltaire, en deux volumes, et le Dictionnaire philosophique de la Religion, en quatre volumes[49].

L'abbé Antoine Guénée, né à Etampes en 1717, s'était élevé, par son travail et par son talent, d'une très humble condition aux plus hautes distinctions scientifiques. Il eut l'honneur de succéder au célèbre Boulin dans sa chaire de rhétorique, et d'être admis en 1778 dans l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Il publia en 1769 le principal de ses ouvrages, Lettres de quelques juifs à M. de Voltaire, où il vengeait la Sainte Ecriture des plaisanteries et des critiques du philosophe de Ferney. Le secrétaire juif n'est pas sans esprit et sans connaissances, écrivait de lui Voltaire[50] ; mais il est malin comme un singe : il mord jusqu'au sang en faisant semblant de baiser la main.

Georges Le Franc de Pompignan, né en 1715 d'un président de la Cour des aides de Montauban, nommé à vingt-huit ans évêque du Puy, élevé ensuite au siège archiépiscopal de Vienne, s'attaqua à la fois à Voltaire, à Rousseau, à toute la secte des encyclopédistes et des philosophes. A l'aide des seuls écrits de Pompignan, a écrit son plus récent historien[51], on pourrait, tant ils arrivent à point voulu, reconstituer, sans qu'il s'y glisse de trop grosses lacunes, l'histoire de l'incrédulité en France, de 1750 environ jusque vers 1775. Dans ses Questions diverses sur l'Incrédulité, parues en 1751, puis dans la Controverse pacifique sur l'autorité de l'Église, la Dévotion réconcilié avec l'Esprit, la Religion vengée de l'Incrédulité par l'Incrédulité elle-même, et enfin, en 1771, dans un solennel Avertissement sur les dangers de l'Incrédulité, Le Franc de Pompignan s'appliquait à répondre à toutes les objections, à rétablir tous les dogmes dénaturés, tous les faits mal interprétés. Le style de l'évêque apologiste n'a malheureusement pas l'éloquence passionnée de l'auteur du Contrat social, ni la verve inépuisable de l'auteur de Candide ; mais son esprit judicieux sut voir et montrer mieux qu'aucun autre de ses contemporains les vices essentiels du philosophisme : son culte de l'abstrait, son positivisme irréligieux. Le système de Rousseau, disait-il, est condamné par cela seul qu'il n'y a eu d'Émile nulle part et qu'il n'y en aura jamais[52]. Il démontrait en outre que n'appuyer le bien moral que sur l'utilité sociale, comme le faisaient les philosophes de son temps, c'était le mal sans remède[53].

En somme, Le Franc de Pompignan, Guénée, Nonnotte et quelques autres soutinrent honorablement, au XVIIIe siècle, la sainte cause de ; mais au moment où un public de plus en plus nombreux dévorait les pamphlets de Voltaire, se passionnait pour les utopies du Contrat social et de l'Émile, il eut fallu sans doute pour gagner l'opinion une apologétique de plus grande envergure. Que fût-il advenu si, en plein XVIIIe siècle, un homme de génie s'était levé, qui, reprenant la grande apologétique ébauchée par Pascal, rêvée par Bossuet et Fénelon, au triple point de vue de la métaphysique, de l'histoire et de la vie, aurait rendu palpables et saisissants à la fois le besoin de croire, les raisons d'adhérer à l'Eglise, les moyens d'acquérir la foi, et le bonheur de la posséder ? Commencer par montrer que la religion n'est pas contraire à la raison, disait Pascal ; ensuite, qu'elle est vénérable ; faire souhaiter aux bons qu'elle fût vraie ; et puis, montrer qu'elle est vraie. Et Fénelon, dans une de ses lettres, parlait aussi d'un vaste plan d'apologétique embrassant les deux extrémités du genre humain, atteignant à tout, dont il s'était entretenu avec l'évêque de Meaux. Il s'agissait de montrer d'abord que le culte de Dieu est nécessaire à l'homme, puis que le christianisme est seul capable de rendre à Dieu un culte digne de lui, et enfin que l'Eglise catholique peut seule enseigner le culte d'une façon proportionnée aux besoins de tous[54]. Il eut fallu peut-être aussi, comme l'a dit un éminent historien, voir se lever en face des utopies sociales de Montesquieu et de Jean-Jacques, des évêques, des prêtres, et, derrière eux, des fidèles qui auraient proclamé les éternels principes sociaux du christianisme, qui, retournant par-delà la Renaissance jusqu'aux grands docteurs du Moyen Age, auraient appris au monde étonné qu'il y avait une politique chrétienne, qu'elle ne se confondait pas avec celle de l'absolutisme royal, et qu'il fallait la chercher dans l'Evangile et dans la doctrine catholique, au lieu de la demander à l'Esprit des Lois et au Contrat social[55]... Les hommes que la Providence avait préparés pour cette œuvre faillirent-ils à leur mission ? Cette apologétique ne se rencontra pas.

Des prédicateurs du moins, animés d'un grand zèle apostolique, travaillèrent à réveiller dans les âmes la pureté et la ferveur de la foi chrétienne.

D'après une opinion trop répandue, l'éloquence de la chaire n'existerait pas au XVIIIe siècle[56]. Nous croyons qu'une époque qui compte Grignon de Montfort et Brydaine ne mérite pas une telle appréciation.

Le P. Grignon de Montfort, qui mourut le 28 avril 1716 à Saint-Laurent-sur-Sèvre, à l'âge de quarante-trois ans, après seize ans seulement de prêtrise, avait évangélisé toutes les provinces de l'Ouest, fondé, en 1715, la Société des Filles de la Sagesse pour le soin des pauvres malades, et, en la même année, la Compagnie de Marie destinée à évangéliser les campagnes. Depuis saint Vincent Ferrier, l'Eglise n'avait pas entendu peut-être une parole plus enflammée. Il y a peu d'hommes dans le XVIIIe siècle, dit le P. Faber, qui portent plus fortement gravées sur eux les marques de la Providence, que cet autre Elie. Sa vie entière fut une manifestation de la sainte folie de la croix. Ses prédications, ses écrits et sa conversation étaient tout imprégnés de prophéties et de vues anticipées sur les derniers âges de l'Eglise. Depuis les Epitres des Apôtres, il serait difficile de trouver des paroles aussi brûlantes que les pages de sa prière pour les missionnaires de sa Compagnie[57]. Il est en effet peu de pages plus pathétiques que la prière de cet ardent serviteur de Dieu, lorsque, voyant, au début du XVIIIe siècle, le flot de l'impiété menacer les âmes, il s'écriait. : Seigneur, Dieu de bonté, souvenez-vous de vos anciennes miséricordes. Souvenez-vous des prières de vos serviteurs et de vos servantes depuis tant de siècles, de leurs vœux, de leurs sanglots. Souvenez-vous, Seigneur, du sang de votre Fils... L'impiété est sur le trône ; l'abomination est jusque dans le lieu saint. Juste Dieu, ne faut-il pas que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ?... Seigneur Jésus, donnez-nous des prêtres ! Des prêtres libres de votre liberté, détachés de tout, sans père, sans mère, sans parents... des esclaves de votre amour et de votre volonté... des âmes élevées de la terre... qui s'en aillent brûler comme des feux, éclairer comme des soleils les ténèbres du monde... Seigneur, envoyez-nous ce secours, sinon enlevez mon âme, faites-moi mourir[58].

Le missionnaire breton[59] était à peine ravi à la terre, que le provençal Jacques Brydaine commençait son fécond apostolat. S'il n'a pas prononcé à Saint-Sulpice le célèbre exorde que l'abbé Maury lui a attribué[60], Brydaine s'est révélé, par la vigueur de touche de ses tableaux, par la netteté de son argumentation et par l'admirable adaptation de sa parole aux auditoires les plus divers, comme le modèle de l'orateur chrétien populaire. Né près d'Uzès en 1701, initié aux études classiques par les jésuites d'Avignon et aux vertus ecclésiastiques par les sulpiciens de la même ville, il commença vers 1722, n'étant encore que diacre, à s'exercer à la prédication. Dès qu'il fut ordonné prêtre, il parcourut toute la France, sauf le Nord, et y donna, dit-on, 256 missions, suivies de nombreuses conversions. Benoît XIV, émerveillé de son succès, lui conféra le titre de missionnaire général. Il mourut, épuisé des fatigues de son apostolat, à Roquemaure, près d'Avignon, en 1767. La pureté de sa vie, son zèle ardent pour les âmes, lui méritèrent à juste titre d'être proposé comme le modèle des prêtres[61].

La parole de Dieu, s'écriait Brydaine[62], est un marteau qui a la force de soumettre les esprits les plus rebelles et un feu propre à de la chaire ramollir les esprits les plus endurcis ! C'est un vent impétueux qui brise les cèdres ! C'est un tonnerre qui épouvante ! c'est une épée à deux tranchants qui pénètre jusque dans les plus profonds replis de l'âme ! Cette parole, que le grand missionnaire avait si bien maniée, ne se rencontra plus guère pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Quatre orateurs se signalèrent pourtant par un réel talent et par un vrai zèle : le P. Le Chapelain, jésuite, qui développa avec éloquence les preuves historiques du christianisme, le brillant abbé Poulie, le P. Charles de Neuville et l'abbé Clément, surnommé le Rousseau de la chaire, qui se plaisaient à montrer le christianisme comme tendant à l'utilité générale de l'humanité[63]. Après eux, vers la fin du siècle, l'abbé Maury, l'abbé de Boismont et l'abbé Boulogne se laissèrent trop entraîner au goût de leur temps, et transformèrent le serment en une allocution semi-philosophique[64].

 

VII

La prédication n'est pas la seule voie par laquelle l'enseignement de la vérité religieuse et des règles de la vie chrétienne se transmet aux fidèles. Les œuvres ascétiques et mystiques deviennent, par leur diffusion, un agent très actif d'apostolat. L'Imitation de Jésus-Christ au XIVe siècle, l'Introduction à la vie dévote au XVIIe, avaient exercé une influence incalculable sur le monde chrétien.

La spiritualité ne donna pas en France, au XVIIIe siècle, d'œuvre profondément originale. Les Frères des Ecoles chrétiennes publièrent, en 1739, un ouvrage posthume de leur saint Fondateur ; l'Explication de la méthode d'oraison, interprétation sage et claire des méthodes traditionnelles, et le P. de Caussade, de la Compagnie de Jésus, fit paraître, deux ans plus tard, des Instructions spirituelles sur les états d'oraison, où il prétendait ne faire autre chose que vulgariser, sous une forme catéchistique, la méthode de Bossuet. L'un et l'autre de ces deux ouvrages accentuaient, dans la spiritualité, la part faite à la contemplation et à l'amour. Saint Jean-Baptiste de la Salle parlait, à plusieurs reprises, de l'oraison de simple regard, de cette simple attention à la présence de Dieu, sans aucune vue particulière ni aucun retour sur soi, qui pénètre le cœur et qui rend le chemin bien plus court et aplani de difficultés.

Les œuvres spirituelles, publiées au cours du siècle, furent toutes pénétrées d'une onction calme et douce qui contraste singulièrement avec les agitations de ce temps.

L'œuvre mystique est rarement, en effet, le reflet des événements extérieurs que l'histoire note à la surface d'une époque. Plus souvent elle est la réaction d'une vie intérieure qui, sous le choc des plus bruyantes agitations, se replie sur elle-même et cherche son aliment dans une source profonde et pacifiée. C'est au milieu des troubles du Grand Schisme d'Occident que l'Imitation de Jésus-Christ avait été composée : le Chemin de la perfection, de sainte Térèse, est contemporain des plus grandes querelles du protestantisme : le siècle qui retentissait du rire persifleur de Voltaire et des éloquentes chimères de Rousseau, vit naître aussi et se répandre des livres d'une haute spiritualité : L'abandon à la Providence divine, du P. de Caussade, le Traité de la paix intérieure, du P. de Lombez, et les Caractères de la vraie dévotion, par le. P. Grou.

S'adressant aux âmes déjà rompues aux efforts de la vie chrétienne, profondément saisies par l'idée du devoir, et qui ont besoin divine, qu'on les dilate dans la sainte liberté des enfants de Dieu, le P. de Caussade débute ainsi : Dieu parle encore aujourd'hui comme il parlait à nos pères, lorsqu'il n'y avait ni directeurs ni méthode. La fidélité à l'ordre de Dieu faisait toute la spiritualité ; mais elle n'était pas réduite en art qui l'expliquât d'une manière si sublime ni si détaillée. Nos besoins présents l'exigent sans doute. Il n'en était pas ainsi dans les premiers âges. Puis, après un saisissant tableau de ce que devait être la spiritualité dans l'âme de la Très Sainte Vierge, qui, dans sa réponse à l'ange : fiat mihi secundum verbum tuum, rendait toute la théologie mystique des ancêtres, le savant jésuite, dans un langage d'une rare profondeur et d'une beauté littéraire achevée, montre comment les devoirs de chaque moment sont les ombres sous lesquelles se cache l'action divine, comment l'accomplissement de ces devoirs est une source de sainteté jaillissante, comment Dieu parfois vivifie l'âme qui s'abandonne à Lui par des moyens qui semblent devoir lui donner la mort, et comment toujours Il lui assure une glorieuse victoire[65].

Le Traité de la paix intérieure, par le P. Ambroise de Lombez, de l'ordre des capucins, enseigne, en quatre parties, l'excellence de la paix de l'âme, les obstacles qui s'y opposent, les moyens de l'acquérir et les moyens de la pratiquer. Toute notre piété, dit le pieux auteur[66], ne doit tendre qu'à nous unir à Dieu par la connaissance et par l'amour, à le faire régner en nous par notre fidèle correspondance à tous ses attraits intérieurs, en attendant qu'il nous fasse régner avec Lui, dans sa gloire. Or, sans la paix intérieure, nous ne pouvons posséder ces avantages que très imparfaitement... Le bruit qui nous est propre, qui se fait au fond de nous-mêmes, qui affecte les puissances où Dieu doit opérer, nous distrait bien plus que celui qui nous est étranger, et qui ne frappe que nos oreilles. Il est peu d'ouvrages qui, en un style aussi limpide et empreint d'une aussi agréable onction, donnent des conseils plus pratiques sur l'accomplissement des devoirs journaliers, la prière, les relations avec le prochain, les scrupules, les sécheresses. Le bon franciscain est de ceux dont la parole semble porter avec elle la vertu qu'elle recommande. Si la ferveur est nécessaire, dit-il[67], la liberté intérieure l'est davantage... Dans la contrainte, nous sommes roides, inflexibles, chagrins, dévots par système et par méthode, plutôt que par grâce et par fidélité. L'âme uniquement attachée à la volonté de Dieu jouit de la liberté des enfants : elle est douce, modeste, simple, pliante, sociable, unie, toujours disposée à l'oraison. C'est une âme pareille qu'on croit entendre, voir et sentir vivre à côté dé soi, quand on lit le P. Ambroise de Lombez.

Les caractères de la vraie dévotion, publiés par le P. Grou, de la Compagnie de Jésus, en 1788, après la dispersion de la Société, et bientôt suivis de la Science pratique du Crucifix, et des Méditations en forme de retraite sur l'Amour de Dieu, étaient aussi l'écho d'une âme belle et profonde. Mon esprit, écrivait en 1781 le P. Grou[68], est esprit d'enfance et de simplicité. Je me suis donné à Dieu depuis vingt-quatre ans et demi. J'ai reçu dès ce moment le don d'oraison et de présence habituelle de Dieu. Ce que je puis connaître des choses spirituelles, je ne l'ai point acquis par, mes réflexions et mon travail. Je parle et j'écris sais jamais songer, à ce que je dirai où j'écrirai. Le traité de l'Intérieur de Jésus et de Marie, publié après la mort de l'auteur, au commencement du XIXe siècle, devait montrer dans l'âme du Sauveur et de sa sainte Mère la source et le modèle de toute piété profonde.

Un esprit de bonté, de douceur et de générosité planait, du reste, sur tout ce clergé de la fin du XVIIIe siècle et pénétrait l'âme de ceux-là mêmes que l'esprit mondain avait gagnés ou que la philosophie du jour avait plus ou moins séduits.

L'épiscopat du XVIIIe siècle se montra fidèle aux traditions charitables que lui avaient léguées les âges précédents. On a dit de Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, que sa charité fut une des gloires de son siècle. Sur 600.000 livres de rentes qu'il percevait, 500.000 au moins passaient aux pauvres[69]. Le feu ayant détruit une partie de l'hôtel-Dieu, les malades furent transportés à l'archevêché ; et l'archevêque, venant de gagner un procès qui lui attribuait en grande partie l'ancien hôtel de Soubise, en fit immédiatement abandon aux hôpitaux : c'étaient plus de 500.000 livres données aux indigents[70]. Avec des ressources médiocres, M. de Pressy, évêque de Boulogne, réalisa des œuvres merveilleuses. L'archevêque de Besançon, M. de Durfort, pratiqua la générosité d'un prince. On peut en dire autant de M. de Fumel à Lodève, du cardinal de Bernis à Alby, de M. de la Motte à Amiens, de M. de Bezons à Carcassonne, de M. de la Tour du Pin à Nancy. Il y avait, a-t-on dit avec raison[71], comme un besoin de donner chez ces prélats qui avaient le cœur aussi grand que leur naissance, et, eu qui l'instinct du gentilhomme correspondait si bien aux devoirs sacrés de l'évêque. Ce qu'il importe toutefois, de remarquer, c'est que ces grands prélats ne se contentèrent pas de prodiguer les aumônes ; ils se préoccupèrent avec intelligence d'organiser la charité. On ignore que c'est à eux que l'on doit, sous l'Ancien Régime, la création de nos assurances contre l'incendie, sous forme de contribution à une quête annuelle[72]. Un évêque de Montpellier, M. de Pradel, avait inauguré, sur la fin du XVIIe siècle, une institution de prêt gratuit et charitable. Jean de Caulet, évêque de Grenoble, établit un bureau d'assistance judiciaire. M. de Machault, évêque d'Amiens, organisa en 1778 un bureau de charité siégeant à l'évêché. L'évêque de Limoges, M. du Plessis d'Argentré, présida, avec son ami Turgot, en 1770, la première réunion du grand bureau de charité établi dans cette ville[73].

Une des plus originales organisations charitables de cette époque fut l'aumône générale. Elle avait été fondée au milieu du XVIIe siècle par un jésuite, le P. Chaurand, aidé de plusieurs de ses confrères. C'était une œuvre de charité à domicile. Les offrandes des bienfaiteurs étaient remises, non point directement aux indigents, mais à un bureau formé de certains commissaires laïques et de quelques ecclésiastiques députés par les curés. Le bureau secourait de préférence les gens de métiers, domestiques ou compagnons ouvriers, les personnes âgées de soixante ans et ne pouvant plus gagner leur vie, et les personnes chargées de famille. Dans l'organisation de l'aumône générale, on distingue nettement un effort vers l'établissement d'une caisse de retraites ouvrières, d'une aide efficace fournie aux pères de famille pour élever leurs enfants, et même d'une assistance publique générale. Vers la fin du XVIIIe siècle, le renchérissement du pain, la diminution du zèle et surtout l'expulsion des jésuites, qui étaient les inspirateurs de l'institution, amenèrent la décadence de l'Aumône Générale. La Révolution la supprima.

Les corporations, dont l'origine remontait au delà du XIIIe siècle et qui étaient toujours régies, au moins dans les lignes générales de leur fonctionnement, par le Livre des Métiers d'Etienne Boileau, étaient aussi, pour l'ouvrier, d'un grand secours. Organisées en familles professionnelles, composées d'un maître, d'un ou deux compagnons et d'un apprenti, groupées autour d'une autorité syndicale qui veillait à la sauvegarde des intérêts généraux, possédant avec la personnalité civile le droit l'acquérir et d'administrer des biens meubles et immeubles, patronnées par l'Eglise qui présidait aux principaux actes de la vie corporative, les corporations avaient permis à l'ouvrier de défendre ses droits avec efficacité, de lutter contre la concurrence étrangère, de maintenir l'honneur du métier par l'exclusion des travailleurs inhabiles ou déloyaux, et surtout de conserver les traditions religieuses dans sa vie quotidienne. Les efforts de la royauté absolue pour centraliser l'organisation ouvrière, l'édit de mars 1691, qui retirait aux corporations le droit de nommer leurs administrateurs et remplaçait ceux-ci par de véritables fonctionnaires publics, les édits de 1694, 1696, 1702, 1704, 1706, 1708, 1709, qui multipliaient les charges vénales, avaient été impuissants à entraver le mouvement corporatif[74]. Plusieurs corporations avaient racheté à très haut prix leurs anciennes franchises[75]. En somme, de cette institution traditionnelle était sortie une organisation du travail qui, suivant les expressions d'un historien, avait porté les productions des artisans français, pendant le avine siècle, à une perfection dont rien n'approchait en Europe[76]. Un bienfait plus grand encore se trouvait dans ces fêtes de confréries, où les gens du même métier s'agenouillaient autour de la bannière du saint Patron, s'organisaient en processions solennelles, se concertaient pour venir au secours de leurs frères malades ou âgés, conservaient, en un mot, au milieu d'une impiété envahissante, l'esprit chrétien des âges disparus.

Les mêmes traditions, battues en brèche dans les villes, se conservaient encore dans les villages. A la fin du XVIIIe siècle, l'Eglise était encore le centre de la communauté en même temps que de la paroisse. Le clocher était le beffroi de la commune. La cloche, qui avait été solennellement baptisée, dont on savait le nom, à laquelle on attribuait une sorte de personnalité, marquait pour le paysan les heures du travail, du repos, de la prière, des délibérations communales. Les fêtes, malgré beaucoup de suppressions depuis le Moyen Age, étaient encore nombreuses. Les dimanches étaient fidèlement observés. Et, ces jours-là lorsqu'il se rendait à l'église, qui s'élevait au milieu du cimetière où dormaient ses morts, le paysan, vêtu de ses habits de fête, si dure que fût la famine, si poignantes que fussent les nouvelles des guerres, si lourds que fussent les impôts, se sentait affranchi de la douleur et de la servitude par la conscience de sa dignité d'enfant de Dieu et de frère des saints[77].

Dans la bourgeoisie et dans la noblesse de province, où pénétraient, hélas ! les œuvres de Voltaire et de Rousseau, où parvenaient les bruits des scandales de la cour, les fortes vertus familiales et chrétiennes étaient loin d'être éteintes. Les Mémoires du temps, et ces admirables Livres de raison que M. Charles de Ribbe a si patiemment étudiés, nous donnent de ce fait des témoignages irrécusables. Au milieu du XVIIIe siècle, Ange-Nicolas de Gardanne écrivait dans le Livre où se notaient les grands événements de la famille et les conseils des ancêtres : N'ayez la soif insatiable de l'argent... L'économie est vertu et sagesse... L'argent est un maître abominable, il ne doit être que le serviteur[78]. Vers la fin du siècle, Jean-Baptiste Garron de la Bévière traçait ces lignes, destinées à être lues par ses fils : La plupart des hommes font consister le bonheur à posséder les biens de cette vie... La solide félicité est dans la paix d'une bonne conscience[79]. Un négociant d'Aix laissait à ses descendants ces dernières recommandations Je recommande à mes héritiers d'avoir toujours Dieu en vue dans tout ce qu'ils feront... Soulagez les pauvres, mettez-vous en état de fréquenter les sacrements... Ayez toujours la mort et le jugement devant les yeux[80]. En 1738, au lendemain de la mort du Régent, un gentilhomme rural, dressant la généalogie de ses devanciers depuis 1433, ajoutait : Il se peut que notre famille ne remonte pas plus haut ; il doit nous suffire que tous nos ancêtres aient toujours été de très honnêtes gens... Une bonne réputation vaut mieux que dix mille livres de revenu de plus[81]. L'idée de famille pénétrait l'administration elle-même. Le Parlement de Provence écrivait, le 17 février 1774, au roi : Chaque communauté parmi nous est une famille qui se gouverne elle-même, qui s'impose des lois, qui veille à ses intérêts ; l'officier municipal en est le père[82].

C'est d'une de ces familles chrétiennes, où l'honneur et la piété s'étaient conservés de père en fils, que la Providence fit naître, en 1748, l'homme qui devait, au moment même où la licence la plus éhontée s'affichait en haut lieu, porter le mépris des plaisirs et des biens de ce monde jusqu'à ses limites les plus-extrêmes. Benoît-Joseph Labre, né au bourg d'Amettes, au diocèse de Boulogne, avait d'abord inutilement tenté d'embrasser la vie parfaite à la Chartreuse et à la Trappe. Il était destiné à pratiquer dans la vie laïque les vertus du plus austère des religieux. Ecarté, du cloître, il parcourut le monde comme un pèlerin, édifiant la France, la Suisse, l'Allemagne, l'Italie, la ville de Rome surtout, par son humilité, sa patience, sa charité, sa mortification, sa tendre dévotion envers l'Eucharistie et la Très Sainte Vierge. Sous les haillons qui le couvraient à peine, le visage de ce mendiant rayonnait, dit-on, d'une douceur céleste. Il mourut à Rome, le 16 avril 1783 ; et les funérailles de ce pauvre volontaire, qui n'avait cherché que l'oubli et l'abjection, furent un triomphe, comme la Ville éternelle n'en avait pas vu depuis bien longtemps[83].

A l'heure où le mendiant d'Amettes rendait son âme à Dieu près de l'église Sainte-Marie des Monts, Madame Louise de France, fille de Louis XV, édifiait le Carmel de Saint-Denis par le spectacle des plus pures vertus.

Le 30 janvier 1770, M. de Beaumont, archevêque de Paris, confident déjà ancien des désirs et des projets de la jeune princesse, avait demandé au roi le consentement nécessaire pour son entrée en religion. On lit dans les Annales manuscrites du Carmel de Saint-Denis que le monarque, en entendant le prélat, recula de quelques pas, en ploie à une vive émotion. L'archevêque déclara plus tard que, sil avait prévu l'état de peine où il devait jeter le roi, il ne se serait jamais chargé, d'une pareille mission. Louis XV finit par accorder la permission demandée. Le 10 septembre de la même année, Mme Louise-Marie de Bourbon revêtit l'habit des filles de sainte Térèse, sous le nom de Sœur Térèse de Saint-Augustin. Pendant dix-sept ans, la prière de la sainte religieuse et le parfum de ses vertus montèrent vers Dieu comme une intercession et comme une réparation. La noble Fille de France mourut le 23 décembre 1787[84]. Deux ans plus tard, la Révolution commençait la série de ses attentats.

 

 

 



[1] DESDEVISES DU DÉZERT, L'Espagne de l'Ancien Régime, 3 vol. in-8°, Paris, 1899, t. II, p. 38 et s.

[2] DESDEVISES DU DÉZERT, L'Espagne de l'Ancien Régime, t. II, p. 119.

[3] P. Bernard GAUDEAU, Fray Gerundio et son auteur le P. José-Francisco de Isla, Paris, 1891, 1. vol. in-8°. Voir dans cet ouvrage un tableau de la prédication populaire en Espagne au XVIIe siècle. La veille de Pâques, le prédicateur se faisait accompagner par un frère lai, qui faisait le procès du Carême, l'apologie de la bonne chère, et tirait de dessous son froc une gourde et un jambon. B. GAUDEAU, op. cit., p. 135.

[4] DESDEVISES DU DÉZERT, L'Espagne de l'Ancien Régime, t. II, p. 76-77.

[5] BERTHE, Saint Alphonse de Liguori, 2 vol. in-8°, Paris, 1900, 2e édition, t. I, p. 165.

[6] ANGOT DES ROTOURS, Saint Alphonse de Liguori, 1 vol. in-12, Paris, 1903, p. 8-9.

[7] S. LIGUORI, Réflexions utiles aux évêques.

[8] ANGOT DES ROTOURS, Saint Alphonse de Liguori, p. 9-10.

[9] BERTHE, Saint Alphonse de Liguori, t. I, p. 165.

[10] FÉNELON, Lettre à un disciple du P. Malebranche, 21 mai 1687.

[11] Appelé aussi François de Hieronimo.

[12] François Girolamo a été canonisé le 26 mai 1830 par Grégoire XVI.

[13] Il a été canonisé par Pie IX en 1867.

[14] Ire Cor., XIV, 4-7.

[15] Dico non licere sequi opinionem minus probabilem, eum opinio quæ stat pro lege est certo probabilior. Par contre, eum opinio minus tutu est æque fere æque probabilis, potest quis eam licite sequi. (Theologia moralis, 7a editio).

[16] J. KANNENGIESER, au mot Alphonse de Liguori, dans le Dict. de Théologie de VACANT.

[17] Pendant que saint Liguori rédigeait un traité complet de morale, le jésuite Scaramelli (1687-1752) donnait, sous les titres de Direttorio ascetico et de Direttorio mistico, deux traités complets d'ascétique et de mystique. On s'accorde généralement à considérer ces deux ouvrages comme étant, au point de vue descriptif, les meilleurs qui aient été publiés au XVIIIe siècle ; mais les théories de Scaramelli sont discutées. Il soutient, par exemple, que l'on doit redouter d'entrer dans la voie mystique, non point seulement parce que les épreuves y sont terribles et les dangers nombreux, mais aussi, dit-il, parce que l'homme est de sa nature un être raisonnable ; or, dans la contemplation, il arrive à l'aide d'un simple regard à une pénétration plus profonde de la vérité : il sort donc de sa nature pour entrer dans un mode de connaissance qui ne convient qu'à Dieu et aux anges. Il est facile de voir la faiblesse de cette argumentation, fondée sur une conception trop exclusive de la nature intellectuelle de l'homme. Saint Thomas est plus exact quand il dit que la contemplation (passive) ne peut être qu'une exception et qu'une suspension de courte durée de l'exercice des facultés intellectuelles. Comme cette suspension de l'usage des facultés dépend uniquement de la volonté de Dieu, il n'y a pas lieu de la redouter : il est certain que Dieu ne dépassera pas les justes limites ; l'homme n'a donc qu'à se soumettre à l'action divine dans l'obéissance et l'humilité.

[18] R. P. BERTHE, Saint Alphonse de Liguori, t. II, p. 630.

[19] Jean-Emmanuel Weith, cité par le Dr MARTIN SPAHN dans la Revue apologétique du 16 juillet 1910.

[20] Saint Clément-Marie Haufbauer a été canonisé par Pie X le 20 mai 1909. Cf. HARINGER, Vie du Bienheureux Hofbauer, traduite par un Père rédemptoriste, Tournai, 1888.

[21] Cité par BERTHE, Saint Alphonse de Liguori, t. II, p. 440-441.

[22] Tanucci et Choiseul n'étaient plus ministres en 1777, mais leur politique persistait.

[23] BERTHE, Saint Alphonse de Liguori, t. II, 443-444.

[24] C'est le chiffre donne par TAINE, L'Ancien Régime, p. 17.

[25] Voir abbé SICARD, L'ancien clergé de France, Ire partie, l. III, ch. III, t. II, p. 72-100.

[26] Voir PROYART, Vie de M. de la Motte.

[27] DU CHATELLIER, Des administrations collectives.

[28] Jean BUVAT, Journal de la Régence, I, 94.

[29] Cité par BABEAU, Le village sous l'Ancien Régime, Paris, 1879, p. 141.

[30] Voir d'autres faits dans TAINE, L'Ancien Régime, édition in-12, t. I, p. 114-120.

[31] TAINE, L'Ancien Régime, t. I, p. 120.

[32] Abbé ALLAIN, L'instruction primaire en France avant la Révolution, Paris, 1881, 1 vol. in-12, p. 54.

[33] M. DE BEAUDEPAIRE, Recherches sur l'instruction publique dans le diocèse de Rouen avant 1769, 1872, 3 vol. in-8°, t. II, p. 213.

[34] MERLET, cité par ALLAIN, L'instruction primaire en France avant la Révolution, p. 145-146. L'ouvrage de M. Allain est capital sur la question. On y trouve des renseignements détaillés sur la situation de l'instruction dans les principales provinces de France. La bibliographie est très abondante. Voir aussi Charles de RIBBE, Les familles et la société en France avant la Révolution, l. II, ch. IV ; A. BABEAU, Le village sous l'Ancien Régime, l. V, ch. I, La ville sous l'Ancien Régime, l. IX, ch. I, et A. DES CILLEULS, Histoire de l'enseignement libre dans l'ordre primaire en France.

[35] Cité par A. DELAIRE, Saint Jean-Baptiste de la Salle, 1 vol. in-12, Paris, 1900, p. 54.

[36] J. GUIBERT, Histoire de saint Jean-Baptiste de la Salle, p. 132-133.

[37] J. GUIBERT, Histoire de saint Jean-Baptiste de la Salle, p. 266.

[38] Voir Eugène RENDU, dans le Dictionnaire de pédagogie, au mot Frères des Écoles chrétiennes.

[39] J. GUIBERT, Histoire de saint Jean-Baptiste de la Salle, p. 209.

[40] Abbé SICARD, Les études classiques avant la Révolution, 1 vol. in-12, Paris, 1887, p. 42. M. Villemain a dit qu'on n'a pas fait un pas depuis Rollin. — Dans les choses de l'éducation, disait Nisard, le Traité des études est le livre unique : c'est le livre.

[41] Paul LALLEMAND, Histoire de l'éducation dans l'ancien Oratoire de France, 1 vol. in-8°, Paris, 1888, p. 122, 126, 267-273.

[42] P. LALLEMAND, Histoire de l'éducation dans l'ancien Oratoire de France, p. 355-376.

[43] Abbé SICARD, op. cit., p. 376.

[44] M. Legrand, dit l'abbé Baston, était à la tête de la Congrégation de Saint Sulpice, et, pour la science théologique, à la tête de la Faculté tout entière. BASTON, Mémoires, t. I, p. 178.

[45] Sur chacun de ces auteurs, voir des notices biographiques et bibliographiques très précises dans HURTER, Nomenclator literarius, t. II et III ; pour les docteurs de la Faculté de théologie de Paris, voir P. FÉRET, La Faculté de théologie et ses docteurs les plus célèbres, t. V et VII.

[46] Le concile de Trente, sess. XXIV, c. XIX, De reformatione, avait aboli d'une manière générale les expectatives. Voir Kirchenlexikon, v° Expectativa. Mais l'expectative, ou droit d'être pourvu d'un bénéfice vacant, avait été conservée en France à titre d'antique usage ou par indult.

[47] Procès-verbaux des Assemblées du clergé, t. VIII, Pièces justificatives, p. 771 et s.

[48] On sait que l'école militaire de Brienne, où fut formé Napoléon Ier, était dirigée par les religieux minimes. Vers 1786, Louis XVI plaça l'Oratoire à la tête des Ecoles militaires. Sur cette institution, due à Louis XV, voir Paul LALLEMAND, Hist. de l'éducation sous l'ancien Oratoire, p. 191-195.

[49] Sur le P. Nonnette, voir l'Ami de la Religion, t. XXV, p. 385 et s.

[50] VOLTAIRE, Lettre à d'Alembert du 8 décembre 1776.

[51] Claude BOUVIER, Jean-Georges Le Franc de Pompignan, 1 vol. in-8°, Paris 1903. p. 15.

[52] Œuvres complètes de Jean-Georges Le Franc de Pompignan, publiées par MIGNE, Paris, 1855, t. I, p. 171.

[53] Œuvres complètes de Jean-Georges Le Franc de Pompignan, t. I, p. 282-283 ; t. II, p. 105-10. On sait comment le premier de ces vices a été analysé par TAINE, L'Ancien Régime, l. III, ch. II, L'esprit classique. Le second a été étudié par F. BRUNETIÈRE, Revue des Deux-Mondes, 1er août 1902, p. 644.

[54] FÉNELON, Lettres sur divers sujets de métaphysique et de religion, Lettre V. édit. de Versailles, t. I, p. 406-423.

[55] Godefroid KURTH, L'Eglise aux tournants de l'histoire, 1 vol. in-8°, Bruxelles, 1900, p. 148-149.

[56] M. GAZIER, dans sa Petite histoire de la littérature, ch. XXIV, p. 436 et s., s'est vivement élevé contre cette opinion.

[57] P. FABER, Préface au Traité de la vraie dévotion de la Sainte Vierge, par le B. Grignon de Montfort, 1 vol. in-18, Paris, Oudin, 1911, p. XIV.

[58] P. FABER, Préface au Traité de la vraie dévotion de la Sainte Vierge, par le B. Grignon de Montfort, p. 235 et s.

[59] Le Bienheureux Grignon de Montfort était né à Montfort-sur-Meu (ancien diocèse de Saint-Malo), le 31 janvier 1673. Voir ses biographies par JAC, Paris, 1903, et par LAVEILLE, 1910.

[60] L'aveu de la supercherie a été fait par Maury lui-même dans une lettre à Le Coz, du 20 juin 1810. Le manuscrit de cette lettre se trouve à la bibliothèque de la ville de Besançon, n° 641, f° 64. Cette lettre se trouve reproduite par A. BERNARD, Le sermon au XVIIIe siècle, 1 vol. in-8°, Paris, 1901, p. 199-200.

[61] A. BERNARD, Le sermon au XVIIIe siècle, p. 198.

[62] BRYDAINE, Sermons, Avignon, 1841, t. VII, p. 81 et s.

[63] A. BERNARD, Le Sermon au XVIIIe siècle, 3e période, ch. II, p. 245-346.

[64] A. BERNARD, Le Sermon au XVIIIe siècle, 5e période, ch. II, p. 473-491.

[65] P. DE CAUSSADE, L'abandon à la Providence divine, 2 vol. in-12 ; édition abrégée en 1 vol. in-32, avec préface de P. Ramière, S. J., Paris, Lecoffre, 12e édition, 1905.

[66] Traité de la paix intérieure, Ire partie, ch. I.

[67] Traité de la paix intérieure, IVe partie, ch. X.

[68] Notice sur le P. Grou, par le P. CADRÈS, en tête de l'édition de l'Intérieur de Jésus et de Marie, Paris, Palmi, 1866, p. LV. — On sait que le P. Grou est le célèbre traducteur de Platon. Sa science égalait sa piété.

[69] Voir divers traits de sa charité dans RÉGNAULT, Christophe de Beaumont, t. I, p. 180, 199, 208, 228,413, 483 495 ; t. II, p. 203, 330, 334, 416.

[70] SICARD, L'ancien clergé de France, t. I, p. 336.

[71] SICARD, L'ancien clergé de France, t. I, p. 392.

[72] Sur cette organisation, voir SICARD, L'ancien clergé de France, t. I, p. 395-397.

[73] Nous ne faisons que résumer ici un très intéressant chapitre de M. SICARD, L'ancien clergé de France, t. I, l. II, ch. VI, Les évêques et la charité.

[74] MARTIN-SAINT-LÉON, Histoire des corporations, p. 298.

[75] Pour les détails de cette organisation et pour l'histoire des corporations, voir MARTIN-SAINT-LÉON, Hist. des Corporations, et HUBERT-VALLEROUX, Les Corporations.

[76] Frantz FUNCK-BRENTANO, Au déclin de l'ancienne Monarchie, dans la Revue hebdomadaire du 29 octobre 1910, p. 655-656.

[77] A. BABEAU, Le village sous l'Ancien Régime, l. II, ch. I, p. 109 et s.

[78] Charles de RIBBE, La vie domestique, ses modèles et ses règles, d'après des documents originaux, Paris, 1877, t. II, p. 205-206.

[79] Charles de RIBBE, La vie domestique, ses modèles et ses règles, t. II, p. 207-208.

[80] Charles de RIBBE, Les familles et la société en France avant la Révolution, Paris, 1874, 2e édition, t. I, p. 71-72.

[81] Charles de RIBBE, Les familles et la société en France avant la Révolution, p. 63-64.

[82] Charles de RIBBE, Les familles et la société en France avant la Révolution, p. 79-80.

[83] Voir DESNOYERS, Le Bienheureux Benoît-Joseph Labre, 2 vol. in-8°, 1854 ; Léon AUBINEAU, Le Bienheureux Labre ; MANTENAY, Saint Benoît Labre, 1909.

[84] Geoffroy de GRANDMAISON, La Vénérable Louise de France, Paris, 1910.