HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

TROISIÈME PARTIE. — LA LUTTE CONTRE L'INCRÉDULITÉ

 

 

Dans son discours préliminaire à ses études sur Port-Royal, Sainte-Beuve se demande par quel mystère le XVIIe siècle, si réparateur et si beau ; arrivé à son terme, est mort un jour comme tout entier. Le XVIIIe siècle, en effet, son successeur, en tient peu de compte par les idées, et semble plutôt, sauf la politesse du bien dire, continuer immédiatement le XVIe ; comme si celui-ci avait coulé obscurément et sous terre à travers l'autre, pour reparaître plus clarifié, mais non moins puissant, à l'issue[1]. Le contraste signalé par le fin psychologue est plus apparent que réel. On a déjà pu voir ou pressentir quelques-unes des causes qui ont contribué à déterminer ce résultat. La réaction de l'opinion publique contre les répressions violentes de Louis XIV, si souvent indiquée par les historiens[2], ne suffit point à expliquer la désaffection du christianisme qui se manifesta un peu partout après la mort du grand roi. La rigueur des dogmes protestants et jansénistes y contribua pour une bien plus large part : c'est en montrant le christianisme dans les sombres doctrines de Calvin et de Jansénius, dans les scènes étranges du cimetière de Saint-Médard, que Voltaire et ses disciples réussirent à rendre la religion odieuse à bon nombre de leurs contemporains. Le protestantisme, d'ailleurs, s'acheminait vers l'incrédulité, le jansénisme tournait à la révolte, et le gallicanisme, devenu le joséphisme, marchait à grands pas vers le schisme déclaré. Parallèlement à ce mouvement, le sens chrétien s'affaiblissait dans la société. Il est possible que la vue de la prépondérance politique et de la prospérité matérielle des Etats non catholiques, — prépondérance et prospérité la s'aelcn6- que des causes naturelles expliquent amplement, — ait contribué à écarter du catholicisme quelques esprits superficiels[3]. Il est incontestable que, chez les savants, le culte de plus en plus enthousiaste rendu aux idées de science et de nature, depuis Des cartes jusqu'à Bayle, tendait à faire prévaloir ces idées sur celles de la foi et du surnaturel[4]. Dans la haute société, la concentration de la noblesse à la cour et,-la vie mondaine des salons, ne favorisaient que trop le libertinage de l'esprit et des mœurs. Finalement, incrédules et tièdes catholiques fraternisèrent dans une société mystérieuse, la Franc-Maçonnerie. Tous les mouvements d'idées tendirent à se fondre dans un vague déisme ; toutes les oppositions, en un rêve imprécis de rénovation sociale. Le terme final de cette évolution se manifesta en deux hommes : Voltaire et Jean-Jacques Rousseau. Le génie de la destruction s'incarna en Voltaire ; celui de l'utopie en Rousseau. Un clergé trop mêlé aux affaires du siècle ne sut pas imposer au flot de l'incrédulité l'effort héroïque T'ai l'eut brisé. De la France, où tous les courants de l'impiété rationaliste semblaient s'être réunis, le flot déborda dans l'Europe entière, et y prépara la plus profonde et la plus universelle des catastrophes.

 

 

 



[1] SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. I, p. 8-9.

[2] RANKE, III, 344-345.

[3] RANKE, III, 339-341.

[4] F. BRUNETIÈRE. Première leçon sur les origines de l'Encyclopédie, dans la Revue hebdomadaire du 9 novembre 1907, t. XI, p. 145-155.