HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — LA LUTTE CONTRE LES DOCTRINES HÉTÉRODOXES

CHAPITRE PREMIER. — LES PAPES DE LA SECONDE MOITIÉ DU XVIIe SIÈCLE (1655-1700).

 

 

I

Le conclave qui s'ouvrit aux premiers jours de l'année 1655, afin de pourvoir au remplacement du pape Innocent X, présenta conclave de un aspect inaccoutumé. A l'occasion des précédentes élections, on avait vu trop souvent des neveux du Pontife défunt se présenter, entourés d'une troupe de partisans, prêts à s'emparer du pouvoir. Innocent X n'avait pas laissé de neveu qui pût former une faction. Les membres du Sacré-Collège ne se sentaient les obligés de personne. Ils entrèrent en conclave avec une liberté absolue. Le cardinal Pallavicini raconte qu'un certain nombre d'entre eux, hommes distingués et indépendants, avaient formé une alliance, en se promettant de n'obéir qu'à leurs propres con-

L'ambassadeur espagnol les désigna du nom d'escadron volant, qui leur resta, et qui servit plus tard à qualifier des associations semblables[1]. On raconte que l'un des cardinaux leur ayant, à l'ouverture du conclave, proposé de se choisir des chefs, ils répondirent : chacun a une tête et des pieds pour soi-même[2].

Les délibérations des cardinaux devaient durer près de trois mois. Dès le premier jour cependant les regards de tous s'étaient fixés sur l'un d'eux. Auprès du lit de mort d'Innocent X, dont la vieillesse avait été entourée de tant d'intrigues, le cardinal Ottobuono s'était écrié : Il nous faut maintenant chercher un homme de bien. — Si vous cherchez un parfait honnête homme, lui répondit un de ses collègues, Azzolini, en lui montrant le cardinal Chigi, là-bas il y en a un. Fabio Chigi n'était pas seulement réputé pour sa probité sans tache ; il s'était montré, sous le pontificat précédent, l'adversaire déclaré du criant abus qui soulevait alors l'indignation publique, le népotisme. Mais sa candidature rencontrait une vive opposition du côté de la France. Mazarin, blessé de certaines résistances à sa politique que lui avait opposées Chigi dans certaines négociations diplomatiques, ne négligea rien pour le faire écarter du Siège pontifical[3]. Ce fut la cause des nombreuses difficultés qui entravèrent l'élection. Enfin, le 7 avril 1655, l'escadron volant l'emporta. Fabio Chigi fut élu et prit le nom d'ALEXANDRE VII.

La nouvelle de cette élection fut partout accueillie avec une grande joie. A Paris, disent les Mémoires du temps, on alla jusqu'à faire des feux de joie par toute la ville. On parlait du nouveau Pape comme d'un homme intrépide. On ajoutait que ni la prison ni la mort même n'auraient jamais la force de le contraindre à faire rien contre les résolutions qu'il aurait prises[4]. Le passé du nouvel élu semblait en effet répondre de son avenir. Représentant du Saint-Siège aux négociations qui aboutirent au traité de Westphalie, il y avait montré autant de droiture que de souplesse, et, après la signature, avait protesté contre les clauses que devait désapprouver Innocent X. La dignité de sa vie, son goût éclairé pour les arts, le choix judicieux des hommes qui composaient son entourage habituel[5], étaient, aux yeux de tous l'annonce d'un pontificat réparateur et glorieux.

Les grandes difficultés que le Pontife rencontra dès les premiers jours de son règne et qui devaient ne cesser de grandir, empêchèrent la réalisation de ces espérances.

En France, les troubles de la Fronde avaient laissé dans les esprits des divisions, des aigreurs, que la querelle janséniste avait encore avivées. Au moment même où Alexandre VII prenait possession du Siège Pontifical, l'astucieux Mazarin, craignant de voir toutes les forces de l'ancienne Fronde et du parti janséniste

se coaliser contre lui en la personne du cardinal de Retz, remuait ciel et terre pour écarter de l'archevêché de Paris son redoutable adversaire. Sa manœuvre suprême avait été de lancer contre Gondi une accusation de lèse-majesté et de haute trahison. Alexandre redoutait de déplaire au ministre français et de fortifier le parti des Arnauld, lié au cardinal de Retz ; mais, d'autre part, il ne pouvait se résoudre à laisser traduire devant un tribunal civil un membre du Sacré Collège. De longues négociations diplomatiques aboutirent à un compromis : le cardinal laisserait le gouvernement de l'Archevêché de Paris à un vicaire, mais il choisirait celui-ci sur une liste de six sujets présentés par le roi : Retz ne devait se résigner à donner sa démission pure et simple que sept ans plus tard, en 1662[6].

La situation était plus tendue en Espagne, où le gouvernement refusait au représentant officiel du Saint-Père le titre de Nonce et la faculté d'ouvrir le tribunal de la nonciature. En Pologne, Jean Casimir, prince faible, était mal préparé par sa vie antérieure à lutter contre les plus redoutables périls que sa nation eût jamais courus[7]. C'était précisément le moment où, comme parle Bossuet, il ne restait plus qu'à considérer de quel côté allait tomber le grand arbre ébranlé par tant de mains et frappé de tant de coups à sa racine[8]. Jean Casimir ne pouvait offrir à l'Eglise que l'hommage d'une foi sincère et d'une bonne volonté impuissante. Venise, autrefois boulevard de la chrétienté contre le Turc, en était réduite à demander des secours au Pape. En Allemagne, Ferdinand III était sans doute fort préoccupé de poursuivre la contre-réformation dans ses domaines héréditaires, mais ses rigueurs contre les protestants devenaient parfois plus compromettantes que salutaires ; son autorité fléchissait. Effrayé des progrès de la Suède dans le nord, et comprenant que la restauration d'une monarchie comparable à celle de Charles-Quint était maintenant impossible, il se bornait à essayer de donner à la puissance impériale de nouveaux appuis ; il introduisait à cet effet dans le collège des princes huit membres nouveaux, espérant que ceux-ci, par reconnaissance ou par intérêt, donneraient leurs suffrages aux Habsbourg[9]. Cette conduite était, du reste, en harmonie avec le mouvement qui s'accomplissait dans toute l'Europe. Il n'y a pas eu, dit Ranke[10], d'époque plus favorable à l'aristocratie que le milieu du XVIIe siècle. A cette époque, nous voyons dans toute la monarchie espagnole le pouvoir tomber aux mains de la haute noblesse ; la constitution anglaise perfectionne, au milieu des luttes les plus sanglantes, le caractère aristocratique des seigneurs ; les parlements français essayent de jouer un rôle semblable à celui du parlement anglais ; les États de Suède tendent à une restriction des prérogatives du pouvoir souverain, et la noblesse de Pologne acquiert une indépendance complète. Le même fait a lieu à Rome : une aristocratie puissante et riche environne le trône papal ; les familles déjà établies limitent le pouvoir de la famille naissante du nouveau pontife ; l'autorité du Saint-Siège passe forcément et insensiblement de l'autorité absolue de la Monarchie aux habitudes délibérantes d'une constitution aristocratique.

En ce qui concernait plus particulièrement le Pape, l'organisation des congrégations romaines, telle qu'elle avait été faite par à Sixte-Quint et complétée par Urbain VIII, diminuait désormais son initiative. Sans doute, dans les affaires proprement spirituelles, le pouvoir absolu du Souverain. Pontife n'était pas contesté. Mais qu'il s'agît de faire la guerre, de conclure la paix, ou de lever une contribution, il était obligé de consulter les cardinaux.

Telles furent les causes qui ne permirent pas au Pape Alexandre VII d'agir comme un saint Grégoire le Grand, un saint Grégoire VII ou un Innocent III l'auraient fait, eût-il eu le génie de ces grands Pontifes. Au bout d'un an, le Père Oliva, son confident, lui déclara justement qu'il ferait certainement un péché en n'appelant pas à Rome ses neveux, que les ambassadeurs étrangers n'auraient jamais autant de confiance dans un simple ministre que dans un parent du Pape, que, s'il ne prenait pas cette mesure, il serait mal informé et ne pourrait pas gouverner convenablement[11]. Les cardinaux, consultés dans le consistoire du 21 avril 1656, furent du même avis que le pieux jésuite. Alexandre VII rappela alors à Rome son frère Mario et ses neveux dont l'un, Flavio, devint cardinal, et dont l'autre épousa une Borghèse ; mais les parents du Pape n'obtinrent pas la prépondérance politique qu'on avait attendue. Désespérant de ressaisir le pouvoir personnel, sur lequel il avait compté, le Pontife se déchargea de la plus grande partie des affaires sur les Congrégations et en particulier sur le cardinal Rospigliosi, qui devait lui succéder sous le nom de Clément IX.

On vit alors Alexandre VII consacrer une partie de son temps à l'étude, des lettres et de la philosophie, en compagnie de quelques savants, en particulier de Sforza Pallavicini, qui lui dédia son Histoire du Concile de Trente. Poète à ses heures, il recueillit les vers qu'il avait composés dans sa jeunesse et les publia sous le titre de Philometi labores juveniles. Rien toutefois ne serait plus injuste que d'attribuer à ce Pape les défauts et les vices dont plusieurs historiens, sur la foi d'une relation apocryphe du Vénitien Angelo Corraro, n'ont pas hésité à souiller sa mémoire[12].

Son goût pour les belles constructions est incontestable, et les sommes qu'il y dépensa furent énormes. Mais, pour être juste, il faut reconnaître qu'il y employa une grande partie de ses revenus et que les travaux qu'il commanda contribuèrent beaucoup à l'embellissement de la Ville Éternelle. Il acheva le collège de la Sapience, commencé par Léon X sur les dessins de Michel-Ange, fit exécuter la magnifique colonnade de la place Saint-Pierre, construisit la belle place Chigi, déblaya la place du Panthéon, employa Bernin à décorer la Porte du Peuple, assainit les marais de Baccano, bâtit un arsenal à Civita-Vecchia et fit équiper plusieurs navires pour seconder les Vénitiens et l'empereur dans la guerre entreprise contre les Turcs.

Ces travaux matériels ne furent que la moindre partie des œuvres du pontificat d'Alexandre VII. Il sut lutter avec énergie pour la défense des droits du Saint-Siège, pour le maintien de la foi et de la saine morale : il ne craignit pas de résister en face à Louis XIV dans l'affaire de la garde corse, prescrivit aux jansénistes la signature d'un formulaire très précis, ne laissant place à aucun subterfuge, et n'hésita pas, en même temps, à condamner les maximes de la morale relâchée, à mettre à l'index le livre que le P. Pérot, de la Compagnie de Jésus, avait écrit pour l'Apologie des casuistes[13]. La piété chrétienne doit au pontificat d'Alexandre VII la ratification du culte immémorial rendu au roi Ferdinand III, la canonisation de saint François de Sales, et surtout la publication de la célèbre bulle Sollicitudo, datée du 8 décembre 1661, par laquelle, sans définir expressément le dogme de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge, le Pape l'affirmait de tous points ; en recommandait le culte et condamnait formelles ment, sous les peines canoniques les plus graves, ceux qui oseraient attaquer, en public ou en particulier, la pieuse croyance[14]. Cette bulle, accueillie avec joie par la catholicité, célébrée en Espagne par des manifestations publiques, fut considérée comme le dernier coup porté aux ennemis du dogme avant sa définition complète et sa victoire suprême[15].

Vers le milieu de l'année 1667, le Souverain Pontife, violemment tourmenté par la maladie de la pierre, dont il souffrait depuis longtemps, et par une fièvre continue qui minait lentement les forces, fit appeler auprès de son lit les membres du Sacré Collège, leur rendit compte de sa conduite pendant les douze années de son pontificat et leur montra le cercueil de cyprès qu'il avait fait préparer pour lui depuis son avènement. Obéissait-il simplement à un sentiment d'humilité en face de la mort ? Songeait-il à la triste fin de son prédécesseur, Innocent X, dont le corps était resté trois jours sans sépulture dans un galetas, faute d'un cercueil ?... Ses derniers mots furent : Vanité des vanités : tout n'est que vanité. Il mourut le 18 mai 1667, à l'âge de soixante-huit ans.

 

II

Le 20 juin 1667, après dix-neuf jours de conclave pendant lesquels le fameux escadron volant joua de nouveau un rôle prépondérant, le Sacré Collège donna pour successeur à Alexandre VII son secrétaire d'Etat, le cardinal Jules Rospigliosi, qui prit possession du Saint-Siège sous le nom de CLÉMENT IX. Nul ne connaissait mieux, pour avoir négocié avec la France et l'Espagne dans des circonstances difficiles, le fort et le faible de la situation diplomatique de la Papauté. Résolument, dès le début de son gouvernement, Clément IX prit l'attitude qu'il devait garder jusqu'à la fin. Ce fut l'attitude d'un pacifique, d'un conciliateur. Les cabinets de Paris et de Madrid avaient également appuyé son élection[16] : il s'appliqua à conserver avec la France et avec l'Espagne des relations de bonne entente, fallût-il pour cela supporter les exigences les plus tracassières de leurs gouvernements[17]. D'autre part, la crise janséniste, arrivée à son paroxysme par suite de l'imposition du fameux Formulaire, menaçait de diviser irrémédiablement l'épiscopat de France : le Pape, se contentant d'une soumission moins explicite que celle qu'avait demandée son prédécesseur, réalisa, en 1668, aux applaudissements de tous, cette paix de l'Eglise, dite aussi paix clémentine qui devait persévérer pendant trente ans et permettre à la plume d'or[18] des jansénistes de se retourner contre l'hérésie protestante. En même temps qu'il avait travaillé à réconcilier jansénistes et jésuites, pour combiner les efforts de tous contre le protestantisme, le Pontife avait réussi à rétablir l'harmonie entre la France et l'Espagne, dans le dessein de les unir pour une campagne contre les Turcs, qui menaçaient Candie. Dans les Etats romains, la ferme conduite de Clément IX envers ses neveux, à qui il abandonna son patrimoine, leur refusant toute espèce d'autre faveur, était bien faite pour désarmer l'envie ; les excellentes mesures qu'il prit pour diminuer les impôts rendirent son autorité populaire[19] ; sa piété, sa modestie, son assiduité aux fonctions de sa charge spirituelle[20], lui conquirent la vénération universelle. Mais l'échec de la campagne de Candie, qui avait été la grande préoccupation de son règne, fut pour lui un coup fatal. A la nouvelle du désastre, il eut un long évanouissement[21]. Peu de temps après, dans la nuit du 30 novembre 1669, il mourut, âgé de soixante-neuf ans. L'abbé de Bourlemont, chargé d'affaires de France, écrivit avec raison à Louis XIV : Votre Majesté y perd beaucoup, et toute la chrétienté aussi.

 

Peu de temps avant sa mort, Clément IX, désirant perpétuer la politique pacificatrice de son pontificat, avait appelé auprès de lui le Président de la Chambre apostolique, Emilio Altieri. C'était un vieillard vénérable, qui, dans le cours de diverses missions diplomatiques et du gouvernement de l'Église de Canierino, avait révélé des qualités de prudence et de modération : Je vous donne la pourpre, lui dit le Pontife, car je pressens que vous serez mon successeur. Et il le créa cardinal[22]. Ces paroles et cet acte étaient une indication pour le Sacré Collège. La rivalité des factions de France et d'Espagne retarda cependant l'élection pendant environ cinq mois. Le 29 août 1670, enfin, le cardinal Altieri recueillit la majorité des suffrages[23] de ses collègues. Il avait près de quatre-vingts ans : l'âge alourdissait un peu sa démarche, mais sa constitution robuste et là vivacité de son intelligence pouvaient faire espérer plusieurs années d'un pontificat actif et fécond[24]. Altieri, pour bien marquer sa volonté de continuer la politique de son prédécesseur, prit le nom de CLÉMENT X. Il devait tenir cet engagement et résoudre les difficultés pendantes lors de son avènement, comme celles qui surgirent pendant les six ans de son règne, dans l'esprit même du Pape défunt.

La querelle janséniste, qu'on sentait prête à se raviver au moindre incident, les conflits pendants entre le Saint-Siège et la Cour de France, la lutte des princes chrétiens contre les Turcs, étaient toujours les questions brûlantes. La paix clémentine n'avait pas eu la vertu de faire tomber toutes les rancunes et d'apaiser toutes les suspicions ; les trois principaux ministres de Louis XIV, Lionne, le Tellier et Colbert, devenus, pour diverses raisons, favorables aux jansénistes, s'interposaient en leur faveur : d'ardentes polémiques renaissaient en Allemagne à propos d'un nouvel écrit : Avertissements salutaires de la Bienheureuse Vierge à ses dévots indiscrets. Clément résista aux sollicitations de la cour de France, et condamna l'écrit incendiaire, dont l'auteur était un jurisconsulte de Cologne, Adam Widenfelt[25]. D'autre part, les troubles suscités par l'Arrêt du Conseil d'État, qui avait, en 1669, restreint de sa propre autorité les, privilèges des religieux exempts, n'étaient pas près de s'éteindre. Par sa constitution du 21 juin 1670, le Pape édicta sur les droits des religieux par rapport à la prédication et à la confession, les règles qui les régissent encore. Pour prêcher dans leurs églises propres, les religieux devaient avoir obtenu l'approbation de leurs supé. rieurs et avoir demandé la bénédiction de l'évêque du lieu ; mais ils ne pourraient monter en chaire dans une église étrangère sans L'approbation expresse de l'ordinaire. Dans les monastères, ou même dans les collèges où la vie régulière était en vigueur, les supérieurs et les confesseurs des religieux entendraient validement et licitement les confessions des séculiers appartenant vraiment à la famille religieuse ou perpétuels commensaux de la communauté ; mais, en tout autre endroit, une approbation Spéciale leur serait nécessaire, quand même ils seraient approuvés, pour le diocèse de leur pénitent. En cas de doute sur l'étendue de leurs privilèges, la question serait portée, non devant le métropolitain, mais devant le Souverain Pontife[26].

La pacification politique de l'Europe offrait plus de difficultés. Les Turcs, maîtres de Candie, menaçaient l'Italie : Maintenir ou rétablir la paix entre les princes chrétiens, afin de les liguer contre l'ennemi commun, avait été la grande préoccupation de Clément IX ; ce fut celle de Clément X. En 1672, il s'entremit pour réconcilier Gênes et la Savoie ; en 1675 et 1676, il offrit sa médiation pour apaiser la guerre rallumée entre la France et la maison d'Autriche. En attendant, il aidait de ses encouragements et de ses subsides les Polonais qui, sous la conduite du grand maréchal Jean Sobieski, s'opposaient vaillamment à l'invasion musulmane. Malheureusement, la politique de Louis XIV, favorable à l'alliance turque, empêcha la réalisation du grand projet de Clément X.

Après avoir réglé, dans le même esprit de pacification, les nombreuses questions de juridiction qui se posaient dans les missions d'Extrême-Orient[27] ; édité une série d'ordonnances sur l'organisation du Collège germanique[28], sur l'exhumation des corps saints ensevelis dans les Catacombes[29], sur la publication d'ouvrages relatifs aux Missions[30] ; sur les conditions dans lesquelles les missionnaires pourraient exercer la médecine ou la chirurgie[31], Clément X, parvenu à l'âge de quatre-vingt-six ans, mais encore plein de force et doué de toute sa lucidité d'intelligence[32], succomba à une attaque d'hydropisie le 22 juillet 1676.

L'attitude conciliante des deux derniers Pontifes avait obtenu une partie des résultats désirés ; on avait évité des écueils dangereux, épargné à l'Église des déchirements peut-être irréparables. Mais l'audace croissante du gallicanisme, qui s'incarnait alors dans le plus habile des ministres, Colbert, au service du plus absolu des monarques, Louis XIV, les sourdes menaces du jansénisme, qui n'avait pas désarmé, et le péril grandissant d'une invasion turque, faisaient désirer l'avènement d'un chef à la main plus ferme, à la décision plus prompte, à l'initiative plus hardie : l'Église attendait un Pape de la race de saint Grégoire VII. Ces espérances furent réalisées dans la personne du cardinal Benoît Odescalchi qui, élu le 22 septembre 1676, prit le nom d'INNOCENT XI.

L'histoire du gallicanisme nous montrera le grand Pontife dans l'affaire du droit d'asile, dans celle de la régale et dans celle des quatre articles de 1682, soutenant, contre le roi de France et contre une partie de l'épiscopat gallican, une lutte héroïque. Dans des circonstances moins tragiques, son attitude fut tout aussi ferme. On raconte que le jour même de son élection, il tint à marquer qu'il repoussait tout népotisme. Ayant fait appeler auprès de lui son unique neveu, Flavio Odescalchi, âgé de vingt-deux ans, il lui dit d'un ton d'autorité : Vous ne changerez rien à l'état où vous vous trouvez ; vous continuerez vos études ; vous ne recevrez aucun présent à titre de neveu et ne vous mêlerez en rien au gouvernement de la curie. Un autre jour, on lui présenta une liste de concurrents à des emplois ecclésiastiques, avec les dossiers des lettres de recommandation de leurs protecteurs respectifs. Où sont-ils, dit-il, ceux qui ne sont recommandés par personne ? On les lui indiqua, et il les plaça sur le même rang que les autres, affecta même de leur donner la préférence. Il se souvint que le collège des secrétaires apostoliques jadis fondé par Calixte III et souvent foyer de scandale, subsistait encore. Il en prononça la dissolution définitive, bravant les colères des personnages puissants que son acte d'autorité pouvait blesser. Il porta contre l'usure des juifs des décrets sévères, que l'opinion publique réclamait depuis longtemps, mais que ses prédécesseurs avaient toujours hésité à promulguer. Ses édits contre les toilettes immodestes soulevèrent des rancunes contre lui ; peu lui importait. Il n'ignorait pas que Louis XIV avait soutenu sa candidature à la Papauté : cette considération ne fut d'aucun poids le jour où le roi de France viola les droits du Saint-Siège. Il prévit qu'une condamnation des maximes des casuistes le ferait passer pour favoriser le jansénisme ; mais la voix du devoir avait parlé ; il n'hésita pas à condamner quarante-cinq maximes empreintes de laxisme[33]. Il refusa de st rendre solidaire de Louis X1V dans les mesures prises pour la révocation de l'édit de Nantes[34] ; il ne laissa pas davantage engager sa responsabilité dans les actes imprudents de Jacques II pour rétablir le catholicisme en Angleterre. Encore moins voulut-il consentir à lier sa cause à celle de Guillaume d'Orange, bien que celui-ci lui eût fait connaître qu'il prenait les armes pour défendre les droits de l'Empire et de l'Eglise contre Louis XIV ; en réalité, le plan des mécontents anglais, qui appelaient Guillaume parmi eux, était de détrôner le roi catholique Jacques II et de rétablir le culte protestant dans leur pays. Innocent, ayant eu connaissance de cette arrière-pensée, garda une attitude prudente et circonspecte[35].

Une inspiration de justice et de paix dominait toute sa politique. Au lendemain même de son élévation au trône pontifical, en notifiant son exaltation aux princes chrétiens, il leur avait déclaré être prêt à se transporter dans la ville catholique qu'on lui indiquerait pour aller lui-même traiter des articles de paix. En même temps, il recommandait à ses nonces de rappeler à toutes les cours les victoires passées des Turcs et le grand périt dont ils menaçaient l'Europe et l'Eglise[36]. L'empereur Léopold entendit son appel ; mais Louis XIV, préoccupé avant tout d'affaiblir l'Empire, mit, au contraire, tous ses soins à diriger les forces ottomanes sur l'Autriche et sur là Sicile[37]. C'était là, on l'a dit justement, la petite politique. Le Pape en concevait une autre, plus grande et plus noble. Il envoya son nonce se jeter aux pieds de Jean Sobieski, déjà devenu la terreur des Ottomans depuis sa victoire de Kotzim. On le trouva au pèlerinage national de Czentochowa. A la voix du Pape, Jean oublie ses justes ressentiments contre  l'empereur et se met en marche, le jour de l'Assomption. Le dimanche 12 septembre 1683, il sert la messe, communie, et conduit cette charge immortelle qui devait briser pour toujours la puissance ottomane, en criant : Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam ! Après Tours, Navas de Tolosa et Lépante, Vienne est vraiment, pour employer une expression de Montaigne, une des quatre plus belles victoires que le soleil ait éclairées. Elle a sauvé le christianisme et la civilisation du monde[38].

Les dernières années du grand Pontife se passèrent bris les pratiques d'une piété profonde. Ce Pape, dit le protestant Ranke, était austère, humble, doux.et pieux, et cette même intégrité sévère qui réglait sa vie privée, l'excitait aussi à remplir, sans de lâches ménagements, les devoirs de la Papauté. Il avait si bien réformé et simplifié l'administration de la Chambre Apostolique, que, malgré l'abolition de certains impôts, les recettes offrirent bientôt une augmentation notable sur les dépenses. Vigilant contre toutes les erreurs, et d'une indépendance toujours indéfectible, il condamna, en 1687, soixante-huit propositions du prêtre espagnol Michel de Molinos, dont il appréciait cependant les qualités personnelles, et il eut la consolation de recevoir, le 7 septembre de la même année, dans l'église de la Minerve, l'abjuration de ce docteur, dont les doctrines quiétistes devaient bientôt renaître sous une autre forme. Deux ans plus tard, le 12 août 1689, Innocent rendit son âme à Dieu dans les plus grands sentiments de piété. Quelques instants avant sa mort, un ambassadeur lui ayant dit que son maître prendrait sous sa protection la famille Odescalchi, l'austère Pontife lui répondit : Je n'ai ni maison, ni famille. Dieu m'a prêté la dignité pontificale, non pour le bénéfice de mes parents, mais pour l'avantage de l'Eglise et de ses peuples. Ces paroles exprimaient bien l'inspiration de tout son pontificat[39].

 

III

Alexandre VIII et Innocent XII, les deux successeurs immédiats d'Innocent XI, ne possédèrent pas les hautes qualités du Pape défunt ; mais les pontificats de l'un et de l'autre bénéficièrent des grands efforts et de la ferme politique de leur prédécesseur.

Pierre Ottoboni, élu le 6 octobre 1689, sous le nom d'ALEXANDRE VIII, était un vieillard de soixante-dix-neuf ans, alerte et vigoureux. Sa perspicacité, sa prudence ; la rare connaissance des affaires dont il avait donné des preuves, soit comme référendaire des deux signatures[40], soit comme évêque de Brescia et comme membre du Sacré Collège, sous les pontificats d'Alexandre VII, de Clément IX, de Clément X et d'Innocent XI, lui avaient valu l'estime générale. Le duc de Chaulnes, ambassadeur de France, avait chaudement appuyé Sa candidature à la tiare. Administrateur habile, il réussit, malgré les subsides qu'il fournit à Venise pour combattre les Turcs et les largesses, excessives qu'il fit à ses parents, à diminuer la dette des Etats de l'Église.

Gardien vigilant du dogme, il n'hésita pas à condamner l'étrange et dangereuse théorie du péché philosophique, que deux jésuites, de Dijon et de Pont-à-Mousson, avaient imaginée ou renouvelée en '1686 et 1689. Le premier avait soutenu qu'un acte humain, commis en opposition avec la droite raison par quelqu'un qui ne connaît pas Dieu ou qui ne pense pas actuellement à Dieu, n'est jamais, si grave qu'il soit, un péché mortel. Ce serait un simple péché philosophique. Le second avait prétendu que, pour qu'un acte soit moral, il suffit qu'il tende à sa fin dernière d'une manière interprétative, sans qu'on soit jamais obligé d'aimer cette fin. De telles propositions semblèrent renouveler des erreurs condamnées par Alexandre VII et Innocent XI[41]. Le parti janséniste s'indigna. De vives polémiques s'engagèrent. Antoine Arnauld dénonça les propositions. Par décret du 21 août 1690, Alexandre VIII déclara la première proposition erronée et scandaleuse, la seconde hérétique[42]. Alexandre VIII ne fut pas moins attentif à défendre les droits du Saint-Siège contre les empiètements du gallicanisme régalien. Là encore, Innocent XI lui avait préparé les voies. Toutefois, le Pape et le roi restèrent dans une sorte de neutralité effective. Alexandre attendit d'être sur son lit de mort pour publier la bulle Inter multiplices, qui était du 4 août 1690[43], et il adjura Louis XIV, dont les sentiments catholiques lui étaient connus, de l'accueillir favorablement. De fait, le roi entama avec le successeur d'Alexandre des négociations qui aboutirent à une paix honorable[44].

Alexandre VIII mourut le 1er février 1691, à l'âge de près de quatre-vingt-un ans, après avoir chaudement recommandé aux cardinaux de ne penser qu'à l'Eglise dans les débats du prochain conclave. Sur un seul point, il n'avait pas été fidèle aux directions de son grand prédécesseur ; par la fatale condescendance qu'il montra à l'égard de ses parents, le népotisme, cette plaie de l'Eglise qu'Innocent XI avait cherché à détruire, avait reparu avec toutes ses exigences. Les suites d'une pareille faiblesse pouvaient être incalculables et compromettre les résultats de tous ses efforts pour la défense de l'Eglise, si l'on ne se hâtait d'y porter remède.

Ce fut cette préoccupation qui guida sans doute le choix du Sacré Collège dans l'élection de son successeur : car un des premiers actes d'Innocent XII fut la publication d'une bulle sévère contre le népotisme.

Antoine Pignatelli, qui ceignit la tiare le 16 juillet 1691[45], sous le nom d'INNOCENT XII, était issu d'une des plus illustres familles de Naples. Honoré de la prélature en 1635, par Urbain VIII, alors qu'il avait à peine vingt ans, envoyé comme inquisiteur à Malte, puis comme nonce à Florence par Innocent X, transféré à la nonciature de Pologne par Alexandre VII et à celle d'Autriche par Clément IX, créé cardinal et finalement archevêque de Naples : par Innocent XI, Antoine Pignatelli avait passé toute sa vie dans les plus hautes charges sans rien perdre de sa simplicité et de son humilité. Vieillard grave et doux, il semblait, suivant l'expression de Muratori, porter en lui l'âme d'un empereur romain, que la douceur chrétienne aurait pénétré[46]. Dès les premiers jours de son pontificat, ayant rassemblé autour de lui un grand nombre de pauvres : Voilà mes neveux, dit-il ; et, pour frapper à mort le népotisme, il publia, le 23 juin 1692, une constitution par laquelle, conformément aux saints canons, qui défendent aux évêques d'enrichir leurs parents des biens d'Eglise, il déclarait poser, non seulement pour lui-même, mais aussi, disait-il, pour tous les Papes ses successeurs, une règle inviolable, à savoir que nul Pontife, sous quelque prétexte que ce fût, pas même pour récompenser des services, ne disposerait d'aucun bien ou office de l'Église romaine en faveur de ses parents ou amis. Si le chef de l'Église a des parents pauvres, disait-il, il les secourra de la même manière qu'il doit secourir des étrangers. D'ailleurs, pour prévenir toute tentation, tous les emplois civils, militaires ou ecclésiastiques, qui étaient ordinairement conférés aux neveux du Pape, furent supprimés : et il fut prescrit que tous les nouveaux cardinaux et tous les nouveaux Pontifes jureraient d'observer cette constitution[47].

Ce grand péril conjuré, Innocent s'appliqua à mettre un terme aux différends qui s'étaient élevés entre Rome et la cour de France. Après deux ans de négociations, il eut le bonheur de voir les évêques français lui déclarer tenir comme non avenues les déclarations de l'Assemblée de 1632 et le roi Louis XIV lui écrire et qu'il avait donné des ordres pour que son édit du 22 mars, touchant les dites déclarations ne fût pas observé[48]. Innocent XII eut aussi à juger la controverse soulevée entre Bossuet et Fénelon au sujet met fin du livre des Maximes des Saints, et l'édifiante soumission de l'archevêque de Cambrai dans cette affaire lui inspira un bref spécial, plein de joie et de reconnaissance à Dieu pour l'heureuse issue de cette fâcheuse querelle. La conversion de l'électeur de Saxe, Frédéric-Auguste, lui apporta une autre consolation. Ce retour à l'Eglise d'un prince dont les domaines avaient été le théâtre des premiers progrès de l'hérésie protestante, parut du meilleur augure pour l'avenir. Mais les brefs pacifiques que le Pontife publia au sujet du jansénisme n'obtinrent malheureusement pas tous les résultats qu'Innocent en espérait. Quand, au printemps de l'année 1700, il fut atteint par la maladie qui devait l'emporter, le parti janséniste recommençait à s'agiter d'une manière inquiétante. En même temps, de tristes nouvelles arrivaient de Chine, où le malheureux conflit qui s'était élevé entre les dominicains et les jésuites s'aggravait et menaçait de compromettre l'avenir des missions. En quittant cette terre, le 27 septembre 1700, Innocent XII put se rendre compte que, malgré tous ses travaux, il laissait à son successeur une lourde tâche.

 

 

 



[1] L'escadron volant a exercé son heureuse influence jusqu'au XVIIIe siècle.

[2] RANKE, Histoire de la Papauté, t. III, p. 226.

[3] Sur les intrigues de Mazarin à ce sujet, voir Revue des questions historiques, t. XXVI, p. 9-23, t. XXX, p. 115-120.

[4] G. HERMANT, Mémoires, édit. Gazier, Paris, 1905, t. II, p. 661-662.

[5] On remarquait, parmi ceux-ci, le P. Oliva, recteur du collège des jésuites, et le savant cardinal Sforza Pallavicini, qui fut l'ami le plus intime de Fabio Chigi.

[6] CHANTELAUZE, Le Cardinal de Retz et les jansénistes, ap. SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. V, p. 559-573 ; ARTAUD DE MONTOR, Histoire des Souverains Pontifes, t. VI, p. 28-31.

[7] Jean Casimir avait été religieux de la Compagnie de Jésus et relevé de ses vœux par le Pape au moment où il devint héritier du trône de Pologne. Il épousa alors sa belle-sœur, la reine douairière Marie-Louise.

[8] BOSSUET, Oraison funèbre d'Anne de Gonzague.

[9] G. BLONDEL, dans l'Hist. générale de Lavisse et Rimbaud, t. VI, p. 547.

[10] RANKE, III, 232-233.

[11] RANKE, III, p. 277-228.

[12] Nous voulons parler non seulement de Bayle, qui dans l'article Chigi de son Dictionnaire historique, appuie presque toutes ses accusations sur la Relation de Corraro, mais aussi de Ranke et surtout de M. Chantelauze, dans son livre Le Cardinal de Retz et ses missions diplomatiques, 1 vol. in-8°. Ranke avait déjà remarqué lui-même, dans l'Appendice 132 de son Histoire des Papes, que le récit de Corraro est calculé et disposé pour exciter l'indignation universelle contre le Pape. Mais la preuve est faite aujourd'hui qu'Angelo Corraro est le pseudonyme de Charles de Ferrare du Tot, conseiller au Parlement de Rouen. Le Dictionnaire de Moréri, les Mémoires de Trévoux, de 1702, et les Supercheries littéraires de Quérard en avaient déjà fait la remarque. Les recherches de M. Charles Gérin et de M. Armand Baschet ont réussi à identifier le véritable texte de Corraro. Il s'en trouve un exemplaire à la Bibliothèque nationale, fonds italien, n° 637, reconnu conforme au manuscrit conservé aux archives de Venise. Or, cette pièce ne contient pas les accusations portées par le document apocryphe. Voir Ch. GÉRIN, La relation de Corraro, dans la Revue des Quest. historiques, t. XXVII (1880), p. 570-584.

[13] Voir, pour les détails de ces divers actes, les chapitres III et IV ci-après.

[14] Bullarium, édit. Rome, 1761, t. VI, V. pars., p. 182 et suivantes.

[15] DUROSQ DE PESQUIDOUX, L'Immaculée Conception, histoire d'un dogme, 2 vol. in-8°, Paris, 1898, t. I, p. 447-464.

[16] HANOTAUX, Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France, Paris, 1888, t. I, p. 221 ; Ch. GÉRIN, Louis XIV et le Saint-Siège, p. 192 ; GAZIER, Les dernières années du cardinal de Retz, Paris, 1875, p. 140 et suivantes.

[17] Tantôt des chapeaux de cardinaux étaient réclamés pour des candidats peu dignes de cet honneur ; tantôt des évêques français, soutenus par le roi, prenaient sur eux de supprimer des fêtes chômées ; tantôt des modifications profondes étaient apportées à la condition des religieux français ; telle fut la décision du Conseil d'Etat, datée du 4 mars 1669, soumettant les religieux exempts à l'ordinaire du lieu pour la prédication et la confession. Cf. Ch. GÉRIN, loc. cit., p. 370 et S. et J. de la SERVIÈRE, au mot Clément IX, dans le Dict. de théologie de VACANT. Clément IX sut pourtant résister à Louis XIV toutes les fois que la cause de la justice lui parut gravement compromise. L'acte pontifical qui a valu à Clément IX les plus vives critiques et notamment les railleries de Voltaire dans son Siècle de Louis XIV, ch. x. est la solution donnée à l'affaire dite du démariage de Marie de Savoie. Le roi de France, dans l'espoir de maintenir dans son alliance le roi de Portugal, Alphonse VI, avait négocié le mariage de ce prince infirme et monstrueux, aussi peu propre au mariage qu'à la royauté, avec la fille du duc de Savoie. Le Pape brisa cette union intolérable par la dispense canonique connue sous le nom de matrimonium rectum et non consummatum, et ratifia le mariage de Marie de Savoie avec son beau-frère par une dispense in radice. Il n'est rien dans cette affaire qui puisse porter préjudice à l'honneur de Clément IX. Cf. GÉRIN, p. 295 et suivantes.

[18] Quelque temps auparavant, le nonce apostolique, recevant la visite d'Antoine Arnauld, l'avait invité à employer sa plume d'or à la défense de l'Eglise.

[19] CIACONIUS, Vita Pontiticum, t. IV, p. 776 et suivantes.

[20] Ch. GÉRIN, Louis XIV et le Saint-Siège, p. 229 et suivantes.

[21] Ch. GÉRIN, Louis XIV et le Saint-Siège, p. 314 et suivantes.

[22] MURATORI, Annali d'Italiæ, ann. 1670, t. XI, 241.

[23] C'est-à-dire les deux tiers.

[24] MURATORI, Annali d'Italiæ, ann. 1670, t. XI, 241.

[25] HURTER, Nomenclator, II, 53.

[26] Constit. Supema magni Patris familias, Bull. rom., Rome, 1733, t. VII, p. 30 et suivantes.

[27] Bull. rom., t. VII, p. 245, 246, 250, 264.

[28] Bull. rom., t. VII, p. 82, 197, 296, 309, 311.

[29] Bull. rom., t. VII, p. 161.

[30] Bull. rom., t. VII, p. 212.

[31] Bull. rom., t. VII, p. 37.

[32] Il n'est pas exact qu'il ait abdiqué son pouvoir entre les mains du cardinal Altieri, son neveu d'adoption. Sur les injustes soupçons de l'ambassadeur de France à se sujet, voir Ch. GÉRIN, Louis XIV et le Saint-Siège, p. 435 et suivantes.

[33] DENZINGER-BANNWART, n. 1101-1145.

[34] Revue des questions historiques, t. XXIV, p. 377-441 ; RANKE, t. III, p. 324-325. Saint-Simon, si hostile à Innocent XI, loue son attitude en cette circonstance : Cette main-basse sur les huguenots, dit-il, ne peut tirer de lui la moindre approbation. Mémoires, édit. in-12 de 1856, t. VIII, p. 145.

[35] RANKE, III, 326-327.

[36] MAVIDAL, Mémoire sur les différents intérêts des princes de l'Europe à la fin de 1679, p. 46. Cité par Ch. GÉRIN, dans la Revue des questions historiques, XXIII, p. 11.

[37] Ch. GÉRIN, Innocent XI et le siège de Vienne, dans la Revue des questions historiques, t. XXXIX, p. 97.

[38] F. BRUGÈRE, Tableau de l'histoire et de la litt. de l'Eglise, p. 1039-1040. C'est en parlant de Marathon, de Salamine, de Platée et de Mycale, que Montaigne les appelle les quatre plus belles victoires que le soleil ait éclairées.

[39] Cf. ARTAUD DE MONTOR, Hist. des souverains pontifes romains, t. VI, p. 123-238. IMMISCH, Papst Innozenz XI, Berlin, 1900. Innocent XI a été très vivement attaque par SAINT-SIMON dans ses Mémoires et par BAYLE dans son Dictionnaire historique. On l'a accusé de n'avoir combattu l'islamisme que par la haine qu'on lui a prêtée contre le roi de France. Voir sur ce point Ch. GÉRIN, dans la Revue des questions historiques, t. XXXIX, p. 95-147.

[40] La Signature est une sorte de rescrit expédié sans aucun sceau, sous la simple signature du Pape ou de son délégué. On distingue la signature de justice et la signature de grâce. La première a lieu dans les matières contentieuses, la seconde dans les matières bénéficiales.

[41] Voir DENZINGER-BANNWART, n. 1101, 1155, 1156, 1157.

[42] Voir Dict. de théologie de VACANT-MANGENOT, t. I, col. 748-751 ; Bullarium, t. p. 96. Le P. François Musnier, auteur de la première proposition, déclara, dans une lettre publique, qu'il n'avait pas entendu professer une doctrine absolue, mais qu'il avait parlé par forme d'hypothèse. Voir sa lettre dans la Collectio judiciorum de d'ARGENTRÉ, t. III, 2e part., p. 355. Son tort, en tout cas, était de ne pas distinguer entre l'ignorance invincible et l'ignorance vincible de Dieu. En effet, si dans l'ordre actuel, il ne saurait y avoir de péché philosophique qui ne soit péché théologique, c'est-à-dire d'offense à la nature raisonnable qui ne soit contraire en même temps à Dieu, auteur de la nature (S. ALPHONSE DE LIGUORI, Théol. mor., l. V, n. 11) ; on peut faire, disent les théologiens, l'hypothèse d'un ordre de choses dans lequel l'homme pourrait agir contre sa nature raisonnable et se trouver en même temps dans une ignorance invincible de Dieu. Dans cette pure hypothèse, le péché philosophique serait-il possible ? On peut le soutenir sans tomber sous la censure pontificale. Voir la longue bibliographie de cette question dans SOMMERVOGEL, Bibl. de la Comp. de Jésus, t. V, col. 288 et 1470-1473. Le nombre des brochures auxquelles une pareille question a donné lieu, est invraisemblable.

[43] Bullarium, t. IX, p. 38.

[44] H. HEMMER, dans le Dict. de th. de VACANT-MANGENOT, au mot Alexandre VIII, t. I, col. 748.

[45] Il avait été élu le 12 juillet 1691.

[46] MURATORI, Annali, t. XI, p. 343.

[47] Bull., t. IX, p. 260-263.

[48] Lettre publiée pour la première fois par ARTAUD DE MONTOR. Voir Hist. des souverains pontifes, t. VI, p. 254.