HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

PREMIÈRE PARTIE. — LA RENAISSANCE CATHOLIQUE

CHAPITRE V. — LA RENAISSANCE CATHOLIQUE EN FRANCE. - LES ŒUVRES DE CHARITÉ CORPORELLE ET SPIRITUELLE.

 

 

I

Il est difficile de se faire une idée des misères matérielles et morales dont a souffert la France pendant la première moitié du xvii siècle. Les guerres de religion furent la première cause de cette détresse. Dans ces luttes de château à château, de ville à ville, de parti à parti, où nobles et bourgeois, ouvriers et paysans, s'étaient battus, les sièges, le passage des armées, les pillages avaient multiplié les ruines. Le labour avait cessé presque partout[1]. Une noblesse appauvrie et démoralisée pressurait les paysans, qui se révoltaient[2]. L'industrie et le commerce avaient subi le contre-coup de tant de désastres. La France était devenue tributaire de l'industrie étrangère[3]. Ouvriers sans travail et paysans chassés des campagnes par l'indigence encombraient les villes d'une multitude affamée[4]. La France et moi, écrivait Henri IV le 1er mai 1598, avons besoin de reprendre haleine. Mais Henri IV était à peine mort, que la guerre de Trente ans éclatait. Pendant la période française de cette guerre, nos provinces de l'Est furent foulées, ravagées, réduites à la plus extrême pauvreté par le passage des armées de toutes les nations européennes. Le burin de Callot a conservé le souvenir de ces calamités[5]. Les documents publics et surtout les relations privées de cette époque qui sont parvenus jusqu'à nous font frissonner d'horreur. Il y a dix ans que la campagne est ruinée, écrit Omer Talon[6], dans une remontrance à la reine ; les paysans sont réduits à coucher sur la paille, leurs meubles sont vendus pour le payement des impositions auxquelles ils ne peuvent satisfaire. Des millions d'âmes-innocentes sont obligées de vivre de pain de son et d'avoine. Tout le royaume est languissant, affaibli par la fréquence des levées extraordinaires de deniers qui sont le sang du peuple... Le soir, Madame, dans la solitude de votre oratoire, considérez la calamité des provinces... L'honneur des batailles gagnées, la gloire des provinces conquises, ne peuvent nourrir ceux qui n'ont pas de pain.

La sœur du chancelier Séguier, religieuse carmélite dans un couvent de Pontoise, écrit à son frère : Monseigneur et cher frère, ce mot est pour vous demander l'élargissement d'un bon vieil homme. Un certain M. Lempereur[7] fait le petit tyran. Notre prison de Pontoise est pleine de pauvres gens pour les tailles, et je ne sais si le roi en est mieux servi. Je suis bien volontiers leur avocate. Rendez-leur bien justice, et Dieu vous le rendra en miséricorde[8]. En Lorraine, on vend la livre de pain plus d'un franc ; les glands et les racines deviennent la nourriture ordinaire du peuple. Dans plusieurs lieux, les religieuses cloîtrées manquent mourir d'inanition, et la cloche du couvent, destinée à révéler au peuple le péril de la communauté, ne cesse de tinter pendant des mois entiers[9]. Après les guerres de Religion et la guerre de Trente ans, la Fronde, sous ses dehors brillants, porte le dernier coup à la fortune de la France. Le 7 janvier 1649, la mère Angélique Arnaud écrit, de Port-Royal des Champs, à l'une de ses sœurs : C'est chose horrible que ce pauvre pays. On ne laboure plus, il n'y a plus de chevaux, tout est volé... Les paysans sont réduits à coucher dans les bois, heureux d'y avoir retraite pour éviter d'être assommés[10].

L'état moral n'avait pas moins souffert que l'état matériel de tant de luttes sanguinaires, de tant de frivoles rivalités. De la vie des camps, l'homme du peuple avait rapporté l'odieuse habitude du blasphème, et le gentilhomme, la barbare coutume du duel. Dans les campagnes, où les guerres avaient si souvent interrompu les Cérémonies du culte, l'ignorance régnait presque partout. Si un païen, dit Bourdoise[11], venait ici des extrémités du Japon, et qu'il vît une église de la campagne, pauvre, malpropre, demi-ruinée, ce lieu lui paraîtrait sans doute plus propre à loger des bêtes qu'à offrir des sacrifices au Dieu vivant. Dans les villes, parmi les bourgeois et les nobles, à côté du huguenot scrutant la Bible et chantant les psaumes de Marot, venait d'apparaître le libertin pérorant et paradant. Qu'était-ce que ce libertinage ? était-ce le désordre des mœurs ? Pascal a semblé le dire. Il y en a, écrit-il, qui ne croient pas, mais par libertinage. Etait-ce le désordre, de l'esprit ? C'est ainsi que semble l'avoir entendu Bossuet lorsqu'il parle de ces fausses religions qui ne sont que libertinage d'esprit. Penser tout ce qui leur plaît, ajoute-t-il, est le charme par où ces esprits sont jetés dans les opinions libertines. En tout cas, les libertins avaient à Paris leur quartier général, situé au faubourg Saint-Germain. Le peuple, qui les confondait avec les huguenots, appelait ce faubourg la petite Genève. Des philosophes et des théologiens, tels que Garasse et Mersenne, les qualifiaient nettement d'athées. Eux s'appelaient plutôt, entre eux, les politiques. Le faubourg Saint-Germain, dit Abelly, était alors comme la sentine, non seulement de Paris, mais de presque toute la France ; il servait de retraite à tous les libertins, athées et autres personnes qui vivaient dans le désordre et l'impiété[12].

Organiser la charité, combattre le-libertinage et grouper les pieux fidèles en associations charitables : telles furent les tâches charité que s'imposèrent-les âmes zélées de ce temps. Nous allons voir la réalisation de ces projets dans trois sortes d'œuvres : 1° dans les institutions charitables de saint Vincent de Paul ; 2° dans les missions prêchées en province et dans la capitale, principalement au faubourg Saint-Germain par M. Olier ; 3° dans la fondation de la Compagnie du Saint-Sacrement par le duc de Ventadour.

 

II

Saint Vincent de Paul, a dit un de ses panégyristes[13], a fait pour la charité au XVIIe siècle ce que saint Thomas d'Aquin avait fait au XIIIe siècle pour la science de la foi. Cet homme si simple et si grand fut doué par Dieu du génie de l'organisation. C'est en 1617, pendant qu'il était curé de Châtillon-les-Dombes, que le dévouement admirable de deux mondaines converties, Mme de la Chassaigne et Mme de Brie, suggéra au saint la première idée des Confréries charitables, d'où devait sortir l'institution des Filles de la Charité. Le premier dessein de M. Vincent, écrit Abelly[14], était seulement d'établir ces confréries dans les villages ; mais quelques dames de qualité, qui avaient des terres dans les lieux où les confréries étaient établies ; considérant que les mêmes besoins se rencontraient à Paris, en parlèrent à MM. les curés et eux à M. Vincent, lequel se trouva ainsi obligé de donner les mains à faire cet établissement dans les paroisses où il en fut requis. C'était en 1618. La nouvelle association eut bientôt son règlement. La Confrérie de la Charité est constituée, disait-on, pour honorer Notre-Seigneur Jésus-Christ, patron d'icelle, et sa sainte Mère, et pour assister les-pauvres malades Corporellement et spirituellement... Elle sera composée d'un certain nombre de femmes et de filles, celles-ci du consentement de leurs pères et celles-là de leurs maris... Elles serviront, chacune leur jour, les pauvres malades, leur porteront chez eux leur manger apprêté, et quêteront tour à tour à l'église et par les maisons... Elles s'entre-chériront comme personnes que Notre-Seigneur a unies et liées par son amour[15]. Le saint avait d'ailleurs un ton charmant dans les instructions qu'il donnait à sa première confrérie de servantes des pauvres. La servante des pauvres, devra d'abord saluer gravement et charitablement les malades, puis apprêter le diner, accommoder la table sur le lit, mettre une serviette dessus, une gondole, une cuiller et du pain, faire laver les mains aux malades ; le tout comme si elle avait affaire à son fils. L'âme de saint Vincent de Paul est là tout entière, avec son admirable simplicité, son sens pratique, sa charité émue et son entrain joyeux.

L'exemple des premières associées ne tarda pas à exciter parmi les dames du plus grand monde une sainte émulation de charité. A côté de Mme de Gondi, toujours dévouée aux œuvres de son saint directeur, on vit la duchesse d'Aiguillon, nièce du cardinal de Richelieu, Mme Fouquet, mère du surintendant, Mme de Miramion, si connue par sa beauté et par ses vertus, Mme Séguier, Mlle de Vigean, la princesse de Gonzague et la reine Anne d'Autriche elle-même, faire profession de consacrer aux bonnes œuvres tout le superflu de leur fortune et tout le temps que leur laissait leur position. La visite des malades dans les hôpitaux, celle des prisonniers dans leurs prisons et surtout l'adoption des enfants trouvés exercèrent le zèle de ces admirables femmes du monde. On sait comment, un jour, les Daines de Charité, accablées des charges pécuniaires que nécessitait l'œuvre des Enfants trouvés, et sentant fléchir leur courage, furent sur le point d'abandonner une œuvre trop lourde pour leurs forces ; mais Vincent intervint. Qui ne connaît son admirable apostrophe : Or sus, Mesdames, s'écria-t-il, cessez d'être les mères-de ces enfants, pour devenir à présent leurs juges ; leur vie et leur mort sont entre vos mains. Je m'en vais prendre les voix et les suffrages. Les larmes de l'assemblée furent la première réponse à ces paroles, et les Dames de la Charité résolurent de maintenir l'œuvre entreprise, à quelque prix que ce fût.

Les misères de la capitale ne détournaient pas Vincent de celles qui désolaient les provinces, particulièrement celles de l'Est, ravagées par la guerre de Trente Ans. Pendant plus de vingt ans, il fut véritablement, par lui-même et par ses disciples, le grand aumônier, le pourvoyeur attitré de ces malheureuses régions. On le vit publier une gazette périodique, le Magasin charitable[16], pour tenir le public au courant des souffrances des paysans et des distributions de secours effectués par ses missionnaires. Il institua l'œuvre des potages économiques. On le vit rédiger lui-même une instruction sur la manière de composer lesdits potages ; fonder des compagnies d'aéreux, pour la purification du sol et de l'atmosphère ; faire remettre aux paysans des semences pour leur permettre de mettre en valeur les terres dévastées, créer une œuvre spéciale pour secourir la noblesse lorraine réfugiée à Paris, multiplier les démarches, les sollicitations les plus pressantes auprès des riches, et, quand sa caisse était vide, aller résolument tendre la main à la cour. La reine, qui ne pouvait rien lui refuser, lui remettait, à défaut d'argent, des bijoux, qu'il vendait pour ses pauvres.

Au milieu de ces calamités, le saint se montra l'initiateur de bien des institutions d'assistance dont on a souvent fait gloire à des temps plus récents. Pour soutenir ses œuvres, il acheta dans les campagnes des troupeaux de brebis, de vaches et de veaux ; il créa dans les villes des ateliers ; et il y fit travailler les enfants, les convalescents, et même les hommes valides. C'était déjà l'assistance par le travail. Un asile fut ouvert pour les passants, où on leur donnait à souper et à coucher, et le lendemain, au lever, deux sols pour continuer leur route. C'était déjà l'hospitalité de nuit. Pendant qu'il était au service du marquis Emmanuel de Gondi, général des galères royales, Vincent avait été ému à la vue de ces malheureux galériens qu'on menait à coups de fouet sur les épaules nues. Monseigneur, dit-il au général, ces pauvres gens vous appartiennent et vous en répondrez devant Dieu. En attendant qu'ils soient conduits au lieu de leur supplice, il est de votre charité de ne pas souffrir qu'ils demeurent sans secours et sans consolation. De là naquit l'œuvre des forçats, puis l'œuvre plus générale des prisons, où l'on distribuait aux prisonniers les secours matériels et les consolations spirituelles. Ces œuvres furent recommandées en 1618 par l'archevêque de Paris, Henri de Gondi, frère du général des Galères. Celle des galériens se propagea, dès l'année 1622, à Marseille et à Bordeaux, et y produisit des fruits merveilleux.

Pendant la Fronde, Vincent de Paul était déjà un vieillard et un infirme. Il se multiplia à Paris et aux environs, en Champagne et en Picardie, pour porter secours aux malheureux. Il fit plus. Convaincu que la présence de Mazarin à la cour était la principale cause de tous les troubles, il alla résolument trouver la reine-mère. Madame, lui dit-il, avec l'accent d'une franchise émue, est-il juste de faire mourir de faim un million d'innocents pour punir vingt ou trente coupables ? Si la présence de M. le cardinal est la source des troubles de l'Etat, n'êtes-vous pas obligée de le sacrifier au moins pour un temps ? Il se présenta ensuite devant Mazarin lui-même, lui parla longtemps des malheurs de la guerre civile, et termina son discours par ces mots : Monseigneur, cédez au temps et jetez-vous à la mer pour calmer l'orage. — Voilà une semonce bien vive, repartit le cardinal, et personne ne m'a encore osé tenir pareil langage. Néanmoins, mon Père, je m'en vais voir si M. Le Tellier est de votre avis. C'était faire comprendre à Vincent de Paul que sa tentative avait échoué. Mazarin devait ne jamais lui pardonner sa courageuse démarche. Le peuple, qui en fut inexactement informé, l'accusa d'avoir été acheté par le Mazarin, le ridiculisa par des chansons et des injures. Le bon M. Vincent connut alors toutes les amertumes de l'impopularité. La maison de Saint-Lazare fut envahie et mise à sac par une populace qui se gorgea des provisions destinées aux pauvres[17].

Les Dames de Charité étaient alors, et depuis 1633, secondées par une œuvre nouvelle, celle des Filles de la Charité. C'est la plus populaire des créations du saint Fondateur. En entendant le nom de saint Vincent de Paul, le peuple voit aussitôt se dresser devant ses yeux la cornette blanche de la Sœur de Charité.

Parmi les dames qui se dévouaient à la visite des malades sous la direction du saint se trouvait une noble femme, Louise de Marillac. Elle était la nièce du maréchal de Marillac et du garde 'des sceaux Michel de Marillac, qui venaient de mourir, l'un sur l'échafaud, l'autre en prison, tous deux victimes de leur dévouement à Marie de Médicis. Veuve à trente-quatre ans, en 1625, d'un secrétaire des commandements de la reine Antoine Legras, Louise de Marillac, ou plutôt Mlle Legras, — car c'est ainsi qu'on l'appelle de préférence[18], — se voua entièrement à la dévotion et aux bonnes œuvres. Mais toutes les grandes dames de Paris que Vincent avait réussi à grouper autour de lui n'avaient pas un pareil zèle. On en trouvait sans peine pour faire partie des Confréries de charité, donner des aumônes et aller visiter les pauvres ; mais quand il s'agissait de les soigner elles-mêmes, les unes étaient empêchées par leurs obligations de situation, les autres n'en avaient pas le temps ou ne savaient comment s'y prendre. Elles envoyaient leurs domestiques pour faire la besogne en leur lieu et place. Il y avait une lacune à combler. Vincent le comprit[19]. Aidé de Mlle Legras, il réunit quelques bonnes filles de la campagne, courageuses et faites au labeur' ; et, le 29 novembre 1633, quatre ou cinq de ces humbles servantes des pauvres inaugurèrent, dans une petite maison de la rue des Fossés Saint-Victor[20], où l'on entrait par une porte basse et par un corridor obscur, mais où s'était réfugié le dévouement le plus pur et le plus généreux, l'Institut des Filles de la Charité.

Les humbles tilles travaillèrent pendant douze années, sans règles écrites ni constitutions d'aucune sorte. D'abord simples auxiliaires des Confréries de la Charité, elles eurent bientôt leur place dans toutes les œuvres de bienfaisance : service des hôpitaux, petites écoles, visite des malades, etc. Leur saint Fondateur leur donna un commencement d'organisation ; il leur permit même de faire, le 25 mars 1642, des vœux annuels ; mais il persista à leur demander de rester séculières, et non religieuses ; il voulait dire par là qu'il tenait essentiellement à en faire une communauté religieuse sans clôture.

Cependant les infirmités du saint vieillard s'aggravaient de  jour en jour. Il employa ses dernières forces à la fondation de l'hospice des vieillards et surtout à la fondation de l'Hôpital Général.

Vincent de Paul eut la joie, avant de mourir, de voir les statuts de la Société des Prêtres de la Mission approuvés solennellement par le pape Alexandre VII dans un bref du 22 septembre 1655, et la congrégation des Filles de la Charité reconnue par le roi deux ans après. Celle-ci ne devait recevoir l'approbation définitive de Rome qu'en 1668. Le 27 septembre 1660, après avoir donné ses derniers conseils à ses chères filles et désigné son successeur dans le gouvernement des Prêtres de la Mission, le grand serviteur, de Dieu et des pauvres rendit son âme à Dieu, doucement et sans effort, en prononçant ce mot : Confido, j'ai confiance. Il était âgé de quatre-vingt-cinq ans. Une bulle de Clément XII, datée du 16 juin 1.737, l'a rangé au nombre des saints.

 

III

Dans l'organisation de la charité, le génie de saint Vincent de Paul est incomparable ; dans l'évangélisation des peuples, la Providence lui suscita d'admirables émules. Pendant la première partie du XVIIe siècle, la Bretagne fut évangélisée par Michel Le Nobletz, la Normandie par Jean Eudes, le Vivarais et le Velay par saint François Régis, la Lorraine par saint Pierre Fourier, la Provence par Antoine Yvan, la Bourgogne et la Champagne par Jean le Jeune. Le faubourg Saint-Germain, à Paris, fut le champ où s'exerça le zèle de Jean-Jacques Olier.

La Bretagne, traditionnelle et pieuse, jalousement fidèle à sa langue et à ses vieilles mœurs, et se réclamant volontiers, dans ses assemblées provinciales, du temps de la reine Anne[21], était bien, de toutes les provinces, celle qui avait le mieux conservé la foi des ancêtres. Mais de nombreuses superstitions se mêlaient, par suite de l'ignorance du peuple, parfois du clergé lui-même, à ses vieilles fidélités. Pendant près de quarante ans, de 1611 à 1652, un saint prêtre breton, un apôtre infatigable, Michel Le Nobletz, parcourut en tous sens les diocèses de Léon, de Tréguier et de Quimper, visitant les villes et les campagnes, joignant l'exemple d'une vie pénitente à des instructions réitérées, et déclarant la guerre à l'ignorance, au vice et aux pratiques superstitieuses[22].

La Normandie, également très attachée à ses traditions, surtout en matière de jurisprudence, formait avec la Bretagne, à bien des points de vue, un frappant contraste. Riche, adonnée au commerce et à l'industrie, l'opulente province avait donné entrée à bien des abus et à bien des vices. Le plus célèbre des missionnaires qui l'évangélisèrent fut le Bienheureux Jean Eudes. A partir de l'année 1632, il parcourut les diocèses de Coutances, de Bayeux, de Lisieux, de Saint-Malo et de Séez. Ses missions duraient plusieurs semaines. Aidé de quelques auxiliaires, il ne négligeait rien pour frapper, par la majesté et l'éclat des cérémonies, l'esprit de ces populations. A la clôture des exercices, le culte déployait toute sa pompe. Aux offices liturgiques on ajoutait des séances en plein air : les écrits et dessins obscènes y étaient publiquement brûlés. On organisait des sortes de ligues contre les jurons, les blasphèmes et les duels. Mais rien ne touchait tant les âmes que l'éloquence enflammée du saint prédicateur. L'éloquence de Jean Eudes n'avait absolument rien des défauts tant de fois signalés dans les sermonnaires antérieurs à Bossuet. Il n'eut jamais la trivialité des prédicateurs de la Ligue, ni la recherche affectée des beaux esprits chers à l'hôtel de Rambouillet. Mais il avait su prendre à ses contemporains les expressions fortes et imagées ; et la hardiesse de ses apostrophes ne fut jamais que la sainte liberté du représentant de Dieu sur la terre[23]. La fondation de la Congrégation dite du Bon-Pasteur, pour le relèvement des pauvres filles tombées, et la propagation de la dévotion aux Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, couronnèrent ces travaux[24].

Le Vivarais et le Velay, habités par des peuples énergiques, parfois durs et tenaces comme leurs âpres montagnes, frémissaient encore des guerres de religion qui les avaient ensanglantés. Privas et Aubenas étaient des places fortes du protestantisme. Le jésuite Jean-François Régis, né au village de Fontcouverte, dans le diocèse de Narbonne, évangélisa ces pays. Appelé par l'évêque de Viviers, vers 1632, pour défendre la cause de la religion contre les hérétiques, il en convertit plusieurs, entre autres deux gentilshommes, le comte de la Mothe-Brion et M. de la Suchère, qui le secondèrent dans ses travaux. A partir de 1636, il travailla sans interruption dans le Velay, prêchant au Puy pendant l'été ; visitant les environs pendant l'hiver. Des conversions éclatantes et la formation d'associations de charité en faveur des pauvres, des malades et des prisonniers, étaient le résultat de son passage. La rigueur.des hivers, la difficulté des chemins, rien ne pouvait l'arrêter dans ses courses. Après avoir établi au Puy une maison de refuge, il mourut à La Louvesc, le 31 décembre 1610, au milieu de ses travaux. Son tombeau est aujourd'hui l'objet de la vénération de ces contrées[25].

Dans la malheureuse Lorraine, ravagée par les guerres, nous retrouvons un autre apôtre, dont nous avions déjà rencontré le nom, saint Pierre Fourier. Nous l'avons vu fonder, avec la pieuse Alix. Le Clerc, la Congrégation de Notre-Dame, et travailler à la réforme des chanoines réguliers dans l'abbaye de Saint-Rémi de Lunéville. Curé de Mattaincourt, il y fa le pasteur modèle, instruisant, exhortant, reprenant, faisant la guerre aux abus, montrant une sollicitude particulière à l'égard des pauvres, ne semblant respirer que pour le bien des âmes. Fourier, dit Lacordaire[26], a touché à tout dans les choses de Dieu... mais un mot résume sa vie, en explique la variété et en forme l'unité : il fut un saint prêtre.

La Provence, dit un historien[27], était la plus noble partie de l'ancienne France. Aix, sa capitale, s'enorgueillissait de son nom latin, de son parlement, de sa chambre des Comptes, de son université. Mais sous son ciel si pur, dans la douceur de ses hivers et la splendeur de ses étés, un paganisme sensuel, réveillé par la Renaissance, guettait perfidement les âmes. Un de ses fils lui rappela, au début du XVIIe siècle, les austères vertus qui compensent si bien, chez elle, la gaieté légère de la vie. Il s'appelait Antoine Yvan. Né à Rians, en 1576, de parents pauvres, avait grandi au milieu des privations qu'impose l'indigence, du travail journalier qui assouplit et fortifie Toutefois, sa religion, sévère et presque rude, fut aussi vive, humaine, populaire ; ce directeur rigide fut le plus docile des hommes, gardant toujours la réserve et l'entrain, la bonhomie malicieuse et la bonté brusque des paysans provençaux... La lumière de Dieu une fois venue, il ne vécut plus que pour elle. Je voudrais être mille Yvans, disait-il, pour courir le monde et y fonder des couvents[28]. Il fut successivement curé de Cotignac, ermite près de Rians, missionnaire à Aix, fondateur, avec une sainte et douce jeune fille, Madeleine Martin, des religieuses de la Miséricorde, dont les couvents se multiplièrent à Marseille, à Avignon, à Paris. Peu d'hommes, a-t-on dit, ont porté plus loin l'amour des croix et le courage à les supporter[29]. Il mourut comme un saint le 8 octobre 1653.

C'est dans presque toute la France que se déploya, pendant soixante ans, de 1611 à 1671, le zèle apostolique du Père Jean Le Jeune, prêtre de l'Oratoire[30]. La Normandie, là Picardie, la Champagne, la Bourgogne, la Touraine, le Berry, l'Auvergne, la Provence, le Limousin, entendirent sa parole pratique, forte, originale parfois jusqu'à la familiarité triviale, mais toujours chrétienne, puisée, comme il disait, non dans les écoles, maïs au pied du crucifix. Le jeune, dit Sainte-Beuve[31], est un orateur franc, direct, peu spéculatif, malgré de hauts éclairs, et parlant de près aux, diverses classes de fa société. Il était connu parmi le peuple sous le nom du Père aveugle. Il avait en effet perdu la vue en prêchant un carême dans la Cathédrale de Rouen. On raconte qu'étant en chaire, et sentant tout à coup le nuage de la cécité lui dérober la vue de son auditoire, il fit une légère pause, passa la main sur ses- yeux, et parla comme si. de rien n'était. Mais à la fin de son sermon il étendit les mains pour se guider et eut besoin qu'on vînt à son aide pour descendre. C'était en 1631. Le Père aveugle continua ses prédications pendant quarante ans encore, et la patience inaltérable dont il fit preuve dans le support de son infirmité aida puissamment à l'efficacité de sa prédication.

Mais tout ce travail d'apostolat dans les provinces ne pouvait produire des fruits durables pour la régénération chrétienne de la France, tant que Paris, sa capitale, recélerait le foyer du libertinage, de l'hérésie et de l'athéisme. Ce foyer se trouvait, nous l'avons vu, dans un de ses faubourgs, celui de Saint-Germain des Prés, rendez-vous de tous ceux qui voulaient vivre dans le désordre des mœurs et l'indépendance de l'esprit. La foire de Saint-Germain, qui durait deux mois chaque année, y multipliait les scandales de toutes sortes.

Quand, en 1612, M. Olier, accompagné de six prêtres et de huit séminaristes, prit possession de la cure de Saint-Sulpice, au centre du célèbre faubourg[32], il ne se fit pas illusion sur les difficultés de sa tâche. Vous dire ce faubourg Saint-Germain, écrivait-il à un évêque[33], c'est vous dire tout d'un coup tous les monstres des vices à dévorer tout à la fois. Mais le saint pasteur vit aussitôt les moyens qu'il devait prendre pour remplir sa difficile mission. Dieu, ce me semble, écrivait-il, me manifeste ma vocation, qui est de ranimer par trois moyens la piété chrétienne : le premier sera la formation des jeunes clercs ; le second, la sanctification des docteurs et des prêtres ; le troisième, l'instruction et la sanctification du peuple.

Nous avons vu le serviteur de Dieu travailler à la formation des clercs par la fondation des séminaires. Quant à la sanctification des pasteurs et des prêtres, il lui parut que le plus sûr moyen de l'obtenir était de s'appliquer, lui et ses compagnons, à se sanctifier du mieux possible : leur exemple serait plus efficace que les plus éloquentes leçons.

De fait, la vie des prêtres qui travaillèrent sous la direction de M. Olier, au ministère paroissial de Saint-Sulpice, fut exemplaire. Ils vivaient en communauté. Une soutane de serge commune était leur habit de ville, et un surplis sans dentelles, leur habit de chœur. Levés chaque jour à cinq heures, parfois plus tôt, ils commençaient leur journée par trois quarts d'heure d'oraison, et un silence perpétuel était de rigueur dans leur demeure hors le temps des récréations. Leur nourriture était simple et frugale. Nous recevons, dit l'un d'eux[34], pour dîner une écuelle de potage et une petite portion de viande bouillie, sans dessert, et, le soir, un peu de mouton rôti. L'exemple fut contagieux[35]. Bientôt, au rapport de M. Godeau[36], évêque de Vence, les autres grandes paroisses de Paris suivirent l'exemple de la communauté de Saint-Sulpice, et la plupart des prêtres qu'on nomme habitués y vécurent ensemble avec beaucoup d'édification.

De tels prêtres pouvaient maintenant travailler avec plus d'efficacité à la formation et à l'édification des fidèles. C'était le troisième but de M. Olier. La méthode du saint curé fut des plus simples et des plus pratiques. Il divisa sa vaste paroisse en huit quartiers et y préposa huit prêtres chargés de s'enquérir des besoins spirituels et temporels de leur circonscription. Ces prêtres se faisaient aider, à leur tour, par de pieux laïques, désignés pour la surveillance de chaque rue. A côté de ces prêtres de quartier, d'autres ecclésiastiques étaient spécialement désignés pour porter les sacrements aux malades, conférer le baptême, bénir les mariages, faire les petites sépultures, entendre les confessions à quelque heure du jour que ce fût[37]. Pour que ce zèle fût toujours conduit par la sagesse, chaque jour, raconte M. du Ferrier, après le dîner on proposait au supérieur les cas et les difficultés qui se présentaient dans la paroisse ; et, quand le supérieur n'y savait pas répondre, il chargeait quelque docteur de la compagnie d'aller à la Sorbonne demander la solution[38].

De toutes les œuvres paroissiales, il n'en fut point de plus chère au cœur de M. Olier que celle des catéchismes. Il en fit surtout l'œuvre des jeunes séminaristes qui s'étaient groupés autour de lui ; et ce fut un spectacle plein d'édification pour la ville de Paris que le va et vient de ces jeunes gens, la plupart distingués par leur naissance, parcourant les rues dans les quartiers les plus pauvres, visitant les maisons pour y appeler les enfants, puis leur distribuant le pain de la parole évangélique, avec cette ardeur de zèle que les instructions et l'exemple du vénéré pasteur allumaient dans leurs jeunes âmes. Telle fut l'origine des célèbres catéchismes de Saint-Sulpice, où se sont formés depuis tant de pieux chrétiens et tant de saints prêtres[39].

La fondation de plusieurs écoles pour les enfants pauvres et la création d'un grand ouvroir sous le nom de Maison de l'Instruction complétèrent l'organisation paroissiale de Saint-Sulpice[40]. Les moyens de sanctification y étaient' devenus si abondants et si multipliés qu'ils ressemblaient aux exercices d'une mission continuelle. A toutes ces œuvres de charité, le saint prêtre se donnait de toute son âme. Ce matin, écrivait-il, mon directeur m'ayant donné, pour sujet d'une méditation, l'importance de secourir les âmes, je sentais mon cœur tout en feu, j'éprouvais des désirs de donner à mon Dieu mille vies et mille millions de vies, si je le pouvais, pour lui procurer quelque gloire. Il voulut surtout que le foyer de toutes les œuvres de piété de la paroisse se trouvât dans le culte du Saint-Sacrement et dans celui de la Sainte Vierge. Passer la journée dans le travail et la nuit au pied du tabernacle : tel aurait été l'idéal de sa vie[41] ; c'est par lui que, suivant l'expression de Fénelon, la solide piété pour le Saint-Sacrement et pour la Sainte Vierge, qui s'affaiblissaient et se desséchaient tous les jours par la critique des novateurs, fut le véritable héritage de la maison de Saint-Sulpice[42].

 

IV

Les biographes de M. Olier nous apprennent que, vers 1635, le saint prêtre avait été agrégé à une Compagnie du Saint-Sacrement. Le même fait est rapporté de saint Vincent de Paul, du Père de Condren et de Jean Eudes. La Compagnie du Saint-Sacrement, dit M. du Ferrier dans ses Mémoires, était une société composée d'ecclésiastiques et de laïques de toutes sortes de conditions : prélats, abbés, princes, conseillers d'Etat, présidents, marchands, bourgeois, qui se réunissaient chaque jeudi l'après-dîner. Il y avait tant d'humilité et de charité parmi eux, que c'était une image du premier esprit du christianisme. Cette citation de M. du Ferrier, donnée par M. Faillon dans sa Vie de M. Olier[43], un passage analogue de l'Histoire du Jansénisme de Dom Gerberon[44], et quelques pages des Mémoires du P. Rapin[45], avaient déjà fait pressentir qu'on se trouvait en présence d'une institution importante. La découverte faite, vers 1885, à la Bibliothèque nationale, des Annales de la Compagnie du Saint-Sacrement, et surtout la publication complète de ce précieux document, en 1900, par le R. P. Dom Beauchet-Filleau, moine bénédictin[46], ont enfin jeté une lumière définitive sur cette association. Il est utile de la présenter ici sous son vrai jour ; car des auteurs récents en ont gravement défiguré la physionomie, les uns n'y voyant guère autre chose que la politique ténébreuse d'une cabale de dévots[47], les autres en exagérant tellement l'importance que l'action personnelle d'un Condren, d'un Olier, d'un Vincent de Paul même sembleraient disparaître ou se réduire à exécuter machinalement les ordres de la puissante Société secrète[48].

Parmi les fervents catholiques que les écrits de sainte Térèse et de saint François de Sales avaient ravis et que les premières œuvres charitables de saint Vincent de Paul avaient émus, plusieurs se demandaient si l'heure n'était pas venue, pour les chrétiens vivant dans le monde, de réagir contre l'esprit du siècle et de s'unir aux prêtres pour organiser une œuvre d'apostolat. A la place de la Ligue politique et belliqueuse qu'avaient faite leurs pères, n'y avait-il pas lieu de former, sous une inspiration pacifique et strictement religieuse, une ligue de piété et de charité ? Un grand seigneur, Henri de Lévis, duc de Ventadour, lieutenant général du roi en Languedoc, se fit, en 1627, l'ardent interprète de ces sentiments auprès de quelques-uns de ses amis. Trois saints prêtres à qui il communiqua son idée, le Père de Condren, de l'Oratoire, le Père Suffren, de la Compagnie de Jésus, et le Père Philippe d'Angoumois, capucin, l'approuvèrent. Le fond de son dessein, dit le Père Rapin, consistait à procurer la gloire de Dieu en faisant tout le bien qui passerait pour vrai bien et en empêchant le mal qui passerait pour vrai mal ; et ce seul plan-là renfermait toutes sortes de bonnes œuvres et dans toute leur étendue ; ce qui détermina ceux qui en furent les auteurs, c'est-à-dire le capucin, le jésuite et le Père de l'Oratoire, quoique tous trois d'un esprit particulier et attachés à leurs Ordres, d'imposer à cette Compagnie un esprit universel pour travailler en toutes manières à secourir le prochain sans s'imposer des bornes. Ainsi, prenant pour modèle cette grandeur d'âme que la religion donna aux premiers chrétiens, qui ne se bornaient à rien quand il s'agissait de l'intérêt de Dieu et du prochain, ce ne fut que par leurs avis que la Compagnie résolut de n'admettre aucune personne de communauté, de peur qu'elle ne prit par là une espèce d'esprit particulier dont chaque Ordre est rempli, afin de conserver cette charité sans bornes des premiers siècles et cet esprit général de l'Eglise[49]. Une des premières décisions du nouveau groupe fut en effet de n'admettre aucun religieux dans son sein.

Le pieux gentilhomme qui prenait l'initiative de cette entreprise était bien fait pour lui attirer toutes les sympathies. Vaillant soldat, connu par sa bravoure, répandu dans la plus haute société par son alliance avec l'illustre famille des Condé, Henri de Lévis, duc de Ventadour, avait gardé dans les camps et à la cour une âme droite, délicate et pure, digne des plus beaux âges de foi. Il avait épousé, en 1623, Marie-Louise de Luxembourg. Un matin, le 24 septembre 1628, les deux époux se présentèrent à l'église des Carmélites, sans suite et sans carrosse, et , dit leur biographe[50], en présence du Saint-Sacrement exposé, ils offrirent à Dieu, dans la simplicité de leur cœur, leur très pur amour conjugal et le transformèrent en le très pur amour angélique. L'année suivante, la jeune duchesse entra au Carmel d'Avignon, et le duc, encore tout frémissant du sacrifice, revint à Paris, avec une volonté redoublée de travailler sans relâche à la gloire de Dieu et au bien des âmes.

Les premiers règlements de la Compagnie reflétèrent admirablement, dans leur simplicité, l'esprit de piété et de zèle du noble fondateur. La principale fin de la Compagnie, disait-on, sera le renouvellement de l'esprit des premiers chrétiens, pour professer être à Jésus-Christ par parole et sainteté de vie, opérant toutes bonnes œuvres pour la gloire de Dieu et le salut du prochain[51]. La société se compose indifféremment de personnes ecclésiastiques ou laïques (art. 1) ; trois d'entre ses membres sont choisis pour être, l'un supérieur, l'autre directeur, et le troisième secrétaire (art. 2) ; le supérieur pourra être ecclésiastique ou laïque (art. 3) ; mais le directeur sera toujours ecclésiastique et prendra soin que l'esprit des règlements soit bien gardé (art. 4). La Compagnie s'assemblera une fois par semaine, le jeudi, jour consacré à honorer le Saint-Sacrement (art. 12) ; chacun y rendra compte de ce qu'il aura fait ou négocié (art. 14) ; mais on ne parlera à l'assemblée que de ce qui regarde la gloire de Dieu et du prochain (art. 13). Les fins propres de la société sont d'ailleurs soigneusement énumérées : Les exercices et objets de la charité des Confrères, dit l'article 15, seront les hôpitaux, prisons, malades, pauvres, affligés, honteux, tous ceux qui ont besoin de secours, le soin envers les magistrats de faire garder la police chrétienne et les édits aux hérétiques, accommoder les procès et inimitiés, retirer les personnes du péché, réprimer tous vices autant qu'il se peut, et enfin protéger tout ce qui se fait à la gloire de Dieu, laquelle chacun procurera de son possible, soit par lui-même, soit par personnes interposées. Un article spécial détermine que la société se tiendra fort secrète, ne devant avoir fondement qu'en une profonde humilité et charité, imitant le plus qu'il lui sera possible Jésus-Christ au Saint-Sacrement, qui y est caché (art. 9)[52].

C'est surtout dans ce dernier article qu'on a cru découvrir le dessein prémédité d'une cabale ; et, comme plusieurs des membres de la nouvelle Compagnie appartenaient à ce groupe de catholiques zélés, nommés les dévots, qui, sous l'inspiration de Pierre de Bérulle et de Michel de Marillac, combattaient la politique religieuse de Richelieu, on n'a vu dans la nouvelle institution qu'une Cabale de dévots[53]. Il paraît plus naturel et plus juste de prendre à la lettre l'explication donnée par la Compagnie elle-même : La fin du secret, dit un de ses principaux chefs, est de donner le moyen d'entreprendre les œuvres fortes avec plus de prudence, de désappropriation et avec moins de contradictions, car l'expérience a fait connaître que l'éclat est la ruine des œuvres[54]. De fait, dès son début, la Compagnie avait été connue du cardinal de Richelieu, qui l'avait encouragée, du roi Louis XIII, qui l'avait prise sous sa protection, de l'archevêque de Paris, Jean-François de Gondi, à qui on demanda d'autoriser les assemblées, et enfin du Pape, que deux confrères, l'abbé de Loyac et M. de Brassas, ambassadeur à Rome, mirent au courant de la nouvelle fondation[55]. Il est vrai que peu à peu, en présence des susceptibilités du pouvoir et de certaines oppositions venant surtout du parti janséniste, on fut amené à rendre la loi du secret plus stricte, à cacher les œuvres de la Compagnie même à des évêques, à se contenter d'une approbation, tacite du Pape et à se méfier surtout de l'intervention de Mazarin. La suite de ce récit va le montrer[56].

En attendant, tout ce qu'il y avait presque à Paris et dans le reste du royaume de personnes qui se distinguaient par leur rang et par leur piété tout ensemble, voulurent être de cette assemblée dès qu'ils commencèrent à en connaître l'esprit[57]. Ainsi parle le P. Rapin dans ses Mémoires. Parmi ces premiers membres de la Compagnie on remarquait : le maréchal de Schomberg, le prince de Conti, le marquis de Liancourt, les comtes de Noailles, de Brassac et de Fontenay-Mareuil, le président de Mesmes, le futur président Lamoignon, alors maître des requêtes, Jean de Barraut, archevêque d'Arles et Jacques de Grignan, évêque d'Uzès[58]. Sous l'impulsion pressante de son fondateur et des saints prêtres qui la patronnaient, la charitable société se mit à l'œuvre avec une activité merveilleuse.

 

V

Les plus criants, sinon les plus profonds besoins du peuple, en cette année 1627, étaient ceux qui venaient de la générale et de la peste. Celle-ci dura jusqu'en 1632, et ne cessa que pour faire place à la guerre et à l'invasion, puis, de 1612 à 1653, à la surcharge croissante des impôts et à la guerre civile, enfin, en 1659, 1660 et 1662, à la famine. Pendant ces trente-cinq ans d'épreuves différentes et continues, la Compagnie de Paris (pour ne parler que d'elle), s'occupa, non seulement de la capitale, mais aussi des environs et des provinces les plus éprouvées : Champagne, Lorraine, Picardie... Dès 1632, elle avait épuisé son coffret ; plusieurs fois, elle s'endetta. En 1636, elle fit taxer la viande au profit des pauvres malades. Elle tint du moins à ce que les religieuses soignassent et habillassent les petits enfants des femmes malades. Jamais elle ne se contenta de l'aumône banale en argent ; elle eut surtout recours à l'aumône ingénieuse en nature, comme quand elle expédiait des de semence aux laboureurs de Picardie et de Champagne, ou qu'elle distribuait aux paysans de la banlieue de Paris meubles et ustensiles pour rétablir leurs ménages dévastés, ou lorsqu'elle envoyait à travers la France des chirurgiens chargés d'opérer gratuitement les pauvres villageois.

L'œuvre la plus remarquable de la Compagnie du Saint-Sacrement, dans l'ordre de la charité, fut peut-être l'Hôpital général. Dès les premières séances, on s'en était entretenu. On recherchait les moyens de recueillir les pauvres qui couraient les rues de Paris, de les hospitaliser pour leur bien matériel et spirituel. M. du Plessis-Montbart, qui avait eu les premières vues de ce grand dessein, et saint Vincent de Paul s'employèrent de tout leur cœur à le réaliser. L'Hôpital général, autorisé en 1656 par une ordonnance de Louis XIV, ouvrit ses portes le 18 mai 1657. Il y entra une première fournée de 5.000 vagabonds[59]. En moins de six ans, l'Hôpital général recueillit ou secourut 60.000 indigents[60]. Marseille, Angoulême, Orléans, Toulouse, Grenoble et Périgueux eurent bientôt aussi leur Hôpital général.

Mais le but principal de la Société était d'atteindre les malheurs publics dans leurs causes morales. Ces causes se rencontraient dans l'immoralité fréquente du peuple, dans les scandales des grands, dans la négligence  coupable des pouvoirs publics et du clergé lui-même. La Compagnie du Saint-Sacrement, n'écoutant-que son 7.61e, eut la hardiesse de s'attaquer à chacun de ces abus.

En 1631, à peine établie, on la voit se soucier du sort périlleux des jeunes filles que la province envoie à Paris, exposées à toutes les sollicitations mauvaises. Elle paye une personne dévouée qui, au faubourg Montmartre, enseigne péniblement à vingt-quatre pauvres filles à lire, à écrire et à prier Dieu. En 1636, elle subventionne, à Montmorency, un établissement qui a pour but de secourir les filles dont les mères ont failli[61]. En 1637, elle patronne l'institut des Filles de la Providence, qui fournit un asile aux jeunes personnes du sexe en danger moral[62]. En 1639, elle décide d'enlever, à la descente des coches des provinces, des personnes chargées de soustraire les filles, arrivant à Paris pour chercher condition, aux misérables suborneurs qui les attendent, et, sous prétexte de charité, leur offrent retraite[63].

Les désordres de la haute société n'attirent pas moins vivement l'attention de la Compagnie. Elle combat de toutes ses forces les deux vicieuses coutumes qui sont le scandale des grands de cette époque : le jeu et le duel. Malheureusement, elle rencontrera, dans cette campagne, une opposition puissante ; les tenanciers des tripots, qu'elle poursuit, s'appuieront sur de hauts protecteurs ; les quelques arrêts du Parlement, qu'elle obtiendra avec peine, ne seront pas exécutés, et le jeu pénètrera à la cour, où il trouvera dans la jeune reine une adepte passionnée[64]. La campagne menée contre les duels sera momentanément plus efficace, mais elle soulèvera contre la Compagnie une opposition violente, qui deviendra la première cause de sa ruine.

C'est autour de M. Olier, curé de Saint-Sulpice, et sur ses indications, que, vers 1616, un certain nombre de grands seigneurs, le baron de Renty, le duc de Liancourt, le marquis de Saint-Mesmes, se groupent et s'engagent à rompre avec les maximes du siècle et à ne rien négliger pour abolir les duels, les blasphèmes et les jurements. Il fallait du courage pour s'attaquer alois à ce préjugé du point d'honneur, qui, aux applaudissements de la noblesse et de la cour, mettait journellement aux prises les officiers les plus braves et leur faisait verser, pour des querelles souvent futiles, le sang qu'ils auraient dû réserver à la défense de la patrie. Un pas de plus fut fait en 1651. Un des plus fougueux partisans de la coutume des duels avait été ce marquis de Fénelon, qui, enrôlé à seize ans dans une Compagnie, s'était toujours distingué par les emportements de sa bravoure. Excellent catholique par ailleurs, il allait tirer les blessés de dessous le feu des ennemis, les chargeait sur ses épaules, les rapportait à la tranchée et leur procurait le moyen de se confesser. Les fortes réprimandes de M. Olier avaient fini par lui faire distinguer le faux point d'honneur, résultat de l'opinion du monde, de l'honneur véritable, reposant sur le jugement de la conscience et de Dieu. Le jour de la Pentecôte 1651, il se présenta avec quelques amis dans la chapelle du séminaire de Saint-Sulpice, et tous ensemble promirent de ne plus se battre ; de telle sorte que l'honneur que se font les gentilshommes de ne point manquer à leur promesse les obligea désormais à refuser les duels que le faux point d'honneur leur avait fait accepter auparavant. Ce fut alors un tollé d'indignation parmi les gentilshommes. On railla ces dévots ridicules, qui avaient sans doute l'excuse d'être des estropiés. Monsieur, disait le grand Condé lui-même au marquis de Fénelon, il faut être aussi sûr que je le suis de votre fait sur la valeur, pour n'être pas effrayé de vous voir rompre le premier une telle glace. Mais les démarches de plusieurs membres de la Compagnie, celles tout particulièrement de M. Olier, amenèrent l'affiliation d'une centaine de grands seigneurs, dont le courage était au-dessus de tout soupçon. Des officiers couverts de blessures reçues à l'ennemi renouvelèrent la promesse faite par Fénelon et ses amis. Le maréchal de Schomberg, membre de la Compagnie du Saint-Sacrement, obtint des maréchaux de France une approbation publique de l'engagement qui avait causé un si gros scandale. Le vainqueur de Rocroy se rallia à cette déclaration. Le 28 août 1651, l'assemblée du clergé de France fulmina l'anathème contre l'insolence et la barbarie des duels, et, le 7 septembre, dans un lit de justice, le roi Louis XIV, renouvelant toutes les condamnations précédentes, déclara que désormais nulle grâce ne serait accordée aux délinquants. La noblesse frivole qui vivait à la cour ne devait jamais pardonner à la Cabale des dévots son initiative en cette affaire.

 

VI

Parmi les causes de perturbation sociale, il en était une, à peine apparente en cette première moitié du XVIIe Siècle, que l'avenir devait révéler comme la plus redoutable et la plus profonde de toutes.

En même temps que les famines et les guerres répandaient partout la misère, le développement du grand commerce et le perfectionnement des procédés industriels avaient amené des modifications profondes dans la condition de la classe ouvrière. Au patron du Moyen Age, qui travaillait dans sa boutique avec quelques apprentis et compagnons, tendait à se substituer une sorte d'entrepreneur de travaux. Ces patrons-là s'efforçaient de tirer le plus de profit de leur argent et le plus de parti de leurs ouvriers ; ils maintenaient bas le prix de la main-d'œuvre et augmentaient les heures de travail[65]. La condition misérable des ouvriers s'était aggravée des difficultés presque innombrables qu'ils rencontraient pour accéder au patronat. On distinguait alors les métiers organisés en corporations et les métiers libres. Dans ceux-là les maîtres, ayant tout intérêt, par ces temps de troubles économiques, à ne point augmenter le nombre de huis concurrents, compliquaient les examens nécessaires à l'obtention des lettres de maîtrise, exigeaient des chefs-d'œuvre longs a fabriquer et coûteux, n'étaient faciles qu'aux fils de maîtres ou aux compagnons qui épousaient la veuve d'un maitre[66]. Dans les métiers libres, de plus eu plus nombreux, où l'on pouvait devenir maitre sans lettres de maitrise, les obstacles n'étaient pas moindres ; car les industries nouvelles, qui avaient donné naissance à la plupart de ces métiers, l'imprimerie et la soierie par exemple, exigeaient généralement un matériel coûteux, un personnel nombreux, des approvisionnements considérables.

Un malaise général agitait la masse ouvrière. A défaut de l'Eglise, qui n'avait plus un assez grand ascendant social pour lui parler avec autorité, et qu'elle n'avait plus assez de foi confiante pour écouter avec docilité, la masse ouvrière prêta l'oreille aux conseils de révolte et de révolution. Et comme, à cette époque, la révolte prenait toujours les couleurs de l'hérésie ou du blasphème, les sociétés dans lesquelles se groupèrent les mécontents prirent des formes étranges. Une association nouvelle, le Compagnonnage du devoir, devint une contrefaçon impie de la corporation chrétienne. Un membre de la Compagnie du Saint-Sacrement allait bientôt en découvrir l'esprit révolutionnaire et les pratiques sacrilèges.

Parmi les membres les plus assidus de la zélée Compagnie, qui, peu à peu, s'était étendue dans tous les milieux sociaux, se trouvait un simple ouvrier cordonnier. Il s'appelait Henry Buch ou Buche. Il était né à Erlon, dans le-Luxembourg. Prévenu des grâces les plus insignes dès son enfance, Henri Buche s'était détaché de bonne heure de toute ambition terrestre, cherchant-avant tout, dans ses voyages de ville en ville, à gagner des âmes à Dieu par ses saintes inventions. Ainsi parle son biographe. On le voyait, dans les boutiques et dans les cabarets, se faire comme un missionnaire auprès des ouvriers. La suprême victoire consistait, pour lui, à obtenir d'un camarade la promesse d'une confession générale. Alors il l'instruisait avec zèle des moyens d'obtenir et de conserver la grâce, il l'exhortait à fuir les, mauvaises compagnies et les occasions de péché, à s'approcher des sacrements, à s'appliquer à l'oraison et à fréquenter assidûment l'office divin. Et en même temps il donnait tout.son bien et. se donnait lui-même pour le soulagement matériel des cordonniers dans le besoin. Pour subvenir à ses dépenses de charité, se privait du nécessaire et travaillait la nuit[67].

La réputation du vertueux ouvrier, du bon Henry, comme on l'appelait, se répandit dans les faubourgs. Elle parvint jusqu'aux oreilles d'un des principaux membres de la Compagnie du Saint-Sacrement, le baron de Renty, ce grand chrétien que le protestant Burnet met parmi les plus grands modèles que.la France ait fournis au XVIIe siècle. L'âme du gentilhomme et, celle, de l'ouvrier étaient faites pour s'entendre. Le baron de Renty était un converti. Naturellement bouillant, altier et moqueur, il avait été détaché des illusions du monde par la lecture de l'Imitation. Dès lors, il était devenu un modèle d'édification à la guerre et à la cour, comme dans l'intérieur de sa famille. Entré de bonne heure dans la Compagnie du Saint-Sacrement, il fut bientôt l'âme de la pieuse société, qui lui renouvela onze fois la charge de supérieur. Il n'y avait, dit son biographe[68], pas d'entreprise qui regardât l'honneur de Dieu et le bien du prochain, dont il ne fût l'auteur ou le promoteur, ou l'exécuteur, et bien souvent tout cela ensemble. Ce zélé gentilhomme comprit, le secours que le pieux ouvrier pouvait apporter à la Compagnie du Saint-Sacrement et s'empressa de l'agréger à la société.

Ce fut dès lors entre le noble baron et le modeste ouvrier une intimité touchante. Ils travaillaient ensemble, disent les témoins oculaires, comme deux frères. On les voyait faire ensemble le catéchisme aux ignorants et aux égarés, l'ouvrier trouvant facilement les paroles, les images, les sentiments qui parlaient au cœur de ses infortunés camarades, et le gentilhomme de cour leur faisant entendre un langage noble, élevé, par lequel ces humbles travailleurs sentaient leur âme s'épurer et se grandir.

Le bon Henry, toujours en quête de quelque nouvelle misère, les découvrait au généreux baron, en qui il trouvait, pour le soulagement et le relèvement de ses protégés, des ressources et des appuis tels qu'il n'aurait pu les rêver. Quand un pauvre provincial se trouvait dans la nécessité de plaider dans la capitale, le baron de Renty s'employait, nous dit-on, auprès des juges afin qu'on le jugeât aussitôt, et quand un malheureux ouvrier parisien se décidait à regagner son village, et son foyer déserté, on lui obtenait, de la part de personnes de crédit dans Paris, des lettres de recommandation au seigneur ou au curé du lieu dont il était[69].

Or, sur ces entrefaites, Henry Buche surprit, parmi ses camarades de travail, des conversations étranges, des allusions énigmatiques à des choses qu'il ne comprenait pas. Parfois c'étaient des gestes encore plus mystérieux que les paroles. Quand des inconnus faisaient ces gestes ou prononçaient ces paroles, ils fraternisaient aussitôt. Henry Buche se demanda ce qu'il pouvait bien y avoir sous ces pratiques cabalistiques. Il regarda mieux, il écouta avec attention. Il découvrit l'existence du Compagnonnage. Le premier détail qu'il en connut suffit pour l'épouvanter. Les Compagnons du Devoir étaient tenus au secret par un serment solennel et abominable. L'initié avait un parrain et s'engageait sur sa foi et sa part de paradis à ne révéler à qui que ce fût rien de ce qu'il faisait ou voyait[70].

Buche parla de cette découverte à quelques amis. Bientôt il n'y eut plus de doute : on se trouvait en présence d'une association dangereuse pour l'Eglise et pour la société. Quelques détails étaient particulièrement révélateurs. Chez les ouvriers selliers, par exemple, la réception des futurs compagnons avait pour centre un simulacre de messe. Le célébrant, prenant un morceau de pain et un peu de vin, disait aux récipiendaires : Ce pain que vous voyez figure le vrai corps du Christ ; ce vin que vous voyez figure son pur sang. Les tailleurs dressaient une sorte d'autel avec une nappe à l'envers, et l'on expliquait à l'initié une histoire pleine d'impuretés sur les trois premiers compagnons. Il vaut mieux, dit Vachet[71], passer sous silence bien des choses, afin d'épargner les oreilles des personnes simples et de ne pas donner aux méchants de nouvelles idées de crimes et de sacrilèges. L'esprit qui animait de pareilles associations n'était autre qu'un esprit de lutte et de haine de la classe ouvrière contre la classe patronale. Les maîtres, dit le biographe d'Henry Buche, recevaient de tout cela de grandes incommodités ; car si quelqu'un d'eux venait à rendre le moindre déplaisir à un compagnon travaillant chez lui, ou s'il passait fantaisie à ce compagnon de choquer son maître et se venger de lui, il en sortait ; et alors tous les autres compagnons qui travaillaient étaient obligés, par le devoir du compagnonnage, de sortir après celui-là ; et lorsqu'ils refusaient de le faire, ils étaient maltraités et en danger de vie[72].

Grâce aux moyens d'information que possédait la Compagnie du Saint-Sacrement, une enquête put être ouverte, qui se poursuivit pendant près de quatre ans et qui, vers le milieu de l'année 1638, aboutit à donner la certitude bien arrêtée qu'une société organisée et agissant dans l'ombre avait réellement pour objet, non seulement de- former, à côté et à l'encontre de la corporation, une association ouvrière, ayant bourse commune et obéissant à un mot d'ordre pour se mettre en grève, mais encore de propager des rites sacrilèges où les sacrements de l'Eglise étaient horriblement parodiés.

Le dossier de l'enquête fut communiqué à la Sorbonne qui, par un avis du 21 septembre 1645, renouvelé le 14 mars 1655, déclara qu'il y avait péché de sacrilège, impureté et blasphème dans les pratiques des Compagnons du Devoir, que le serment fait par eux n'était ni juste ni légitime, et que ceux qui étaient dans ces compagnonnages n'étaient pas en sûreté de conscience[73].

Mais les deux apôtres ne l'ignoraient pas : on supprime efficacement que les institutions qu'on remplace. Le 2 février 1645 ils fondèrent la pieuse association des Frères Cordonniers, dont la règle fut bientôt approuvée par l'archevêque de Paris[74]. Sans prononcer des vœux, les associés vivaient ensemble et portaient un même vêtement, qui consistait en un justaucorps, un manteau de serge de couleur tannée et un rabat. Ils se levaient à cinq heures du matin, faisaient d'abord la prière en commun, et allaient ensuite au travail, pendant lequel, au son de l'horloge, le supérieur récitait en français une courte prière. Ils étaient tour à tour désignés pour entendre la messe. On se couchait à neuf heures, après la prière du soir. Pendant le repas, les frères écoulaient une lecture, et tous les ans ils faisaient une retraite de quelques jours. A des jours déterminés, ils visitaient les hôpitaux, les prisons et les pauvres malades dans leurs logis[75].

En 1647, une communauté de Frères tailleurs se fonda sur le même modèle. De pareilles associations établies plus tard, sous le patronage de la Compagnie du Saint-Sacrement, à Soissons, à Toulouse, à Lyon, à Grenoble et dans bien d'autres villes, préservèrent un grand nombre d'ouvriers des périls que leur offrait la Société des Compagnons du devoir.

 

VII

Tous les dangers n'étaient pourtant pas écartés. Dans les enquêtes qu'ils avaient poursuivies sur les misères du peuple, les membres de la Compagnie du Saint-Sacrement avaient eu souvent lieu de constater que plusieurs des maux dont souffraient les gens du menu peuple, étaient imputables à la négligence ou au mauvais vouloir des autorités administratives et judiciaires. Les principaux abus de l'administration publique et de la magistrature consistaient dans la partialité, parfois révoltante, par laquelle souvent les intérêts des pauvres et des faibles étaient sacrifiés à ceux des riches et des puissants, et dans la dureté-arbitraire avec laquelle on traitait les prisonniers. En 1643, la Compagnie décida que le supérieur déléguerait tous les trois mois quelques personnes capables de donner aux pauvres un appui désintéressé[76].

En 1655, elle confia à deux personnes fort expérimentées le soin d'apporter quelque remède aux abus et aux longueurs des procédures[77]. L'un de ses membres, le comte Gilbert-Antoine d'Albon, alla plus loin, et proposa la création d'un Conseil charitable pour terminer les procès à l'amiable[78]. Enfin, au moment où la Compagnie fut dissoute, elle élaborait, en vue d'empêcher l'usure, le projet d'une société assez puissante pour prêter charitablement et sûrement aux nécessiteux[79]. La Compagnie suivait de sa sollicitude les malheureux tombés sous les coups de la vindicte publique et veillait à ce que la justice ne fût jamais violée en leurs personnes. Un de ses premiers soucis fut d'améliorer le sort des condamnés aux galères. Elle s'en occupa dès les derniers mois de 1630[80]. En 1636, la Compagnie de Paris dénonça certains archers qui abusaient de la simplicité des pauvres gens pour les arrêter arbitrairement, les emprisonner et leur extorquer un prétendu droit des prisons[81]. Elle obtint, en payant la solde de quatre gardiens, qu'on fît prendre l'air de temps en temps aux forçats enfouis cruellement dans des basses-fosses où ils pourrissaient tout vivants. Elle demanda qu'on détachât de la chaîne ceux qui étaient malades et qu'on leur fît prendre remèdes et bouillons[82].

La Compagnie ne pouvait d'ailleurs s'en tenir là. Dans l'œuvre d'assistance et de réforme qu'elle avait entreprise, elle était fatalement amenée à aller plus loin et à remonter plus haut. Ses chefs ne pouvaient se le dissimuler : aucune de leurs entreprises d'assistance temporelle ou de réforme morale ne pouvait aboutir à des résultats durables sans une 'restauration des mœurs chrétiennes, et celles-ci leur paraissaient impossibles sans le rétablissement dans les âmes d'une vraie et solide piété. D'ailleurs, comme on l'a fort justement remarqué, dans toutes ces œuvres, l'intention de propagande chrétienne n'avait pas cessé d'être présente et dominante. C'est en vue de l'extension du règne de Dieu, c'est pour le compte de l'Eglise, qu'elle faisait au siècle un bien temporel[83]. Disons plus : dans ses préoccupations de rétablir la piété dans les âmes, la Compagnie mettait en première ligne les deux objets qui allaient devenir comme les centres de toute la spiritualité des grands saints de cette époque : le culte du Saint Sacrement et la dignité du Sacerdoce. L'historien protestant de la Cabale des dévots l'a bien vu. C'est la pensée constante du Très Saint-Sacrement de l'autel, dit-il, qui communiqua à tous ses travaux une signification identique[84]. La Compagnie prétendait en effet se séparer de toutes autres congrégations et confréries par sa volonté ferme de n'avoir pas un esprit particulier, mais seulement l'esprit général de l'Eglise. Mais l'âme vivante de l'Eglise n'a qu'un centre : c'est Jésus-Christ vivant, intercédant, s'immolant et se donnant au Saint Sacrement de l'autel ; et le corps de l'Eglise n'a qu'une autorité vivante : c'est le Sacerdoce, continuant l'œuvre de Jésus-Christ, sous la direction des évêques et du Pape. De là les deux préoccupations de la Compagnie : promouvoir par tous les moyens le culte du Saint Sacrement et l'honneur du Sacerdoce.

Secourir les églises pauvres et dévastées, munir tes desservants d'ornements et de vases sacrés pour le Saint Sacrifice ; réparer par des prières et des pénitences collectives les attentats commis contre la sainte Eucharistie ; ne rien négliger pour obtenir dei fidèles le respect dû aux églises, que Dieu habite ; telles furent ses préoccupations constantes[85]. Les scandales auxquels elle dut remédier étaient souvent des plus révoltants. A la porte de l'église de Saint-Sulpice, on vendait des caractères de magie[86]. Au Petit-Saint-Antoine, à la Merci, aux Billettes, aux Capucins du Marais et aux Minimes de la place Royale, c'était un caquet perpétuel et une galanterie ouverte pendant les messes. A Notre-Dame, le mal était, dit-on, plus grand encore[87]. La Compagnie fit constater les délits, les signala à l'archevêque de Paris, les dénonça au roi, en avertit le parlement, et ne se lassa d'intervenir que lorsqu'elle eut obtenu des mandements sévères, des ordonnances précises, des arrêts rigoureux[88]. La publication des documents relatifs à la Compagnie du Saint-Sacrement a prouvé qu'un grand nombre de pratiques remises en honneur au XVIIe siècle par l'autorité ecclésiastique relativement aux hommages à rendre à l'Eucharistie, au hou ordre des processions, à l'observation des règles liturgiques dans les expositions du Saint Sacrement et à la célébration des Saints Mystères, lui avaient été inspirées par la pieuse société[89].

En présence de la réforme du Sacerdoce, l'attitude de la Compagnie du Saint-Sacrement devenait plus délicate. S'il pouvait paraître osé qu'une société composée en majorité de laïques intervînt, si discrète que fût son intervention, dans des questions de piété et de liturgie, à quel titre pouvait-elle s'ingérer dans la réformation du clergé ? Les confrères de la célèbre Compagnie se posèrent sans doute cette question avec angoisse ; et, s'ils la résolurent parfois dans le sens d'un zèle intempestif, le caractère criant de certains abus fut leur excuse. Dans ces églises où Massillon reprochera encore à ses auditeurs de venir, à l'heure des mystères terribles, inspirer des passions honteuses et faire du temple de Dieu des rendez-vous d'iniquité, on voyait, dit D'Argenson, un grand nombre de prêtres vagabonds et mendiants qui faisaient honte au caractère ; et l'on eut avis même que plusieurs ne l'avaient pas, bien qu'ils portassent l'habit de prêtre. Quelques-uns s'habillaient en ermites, afin de demander l'aumône plus librement et plus utilement sous ces habits empruntés. Le groupe de Paris n'hésita pas à se substituer aux prêtres négligents pour assurer la dignité de la tenue dans les églises. En 1631, il chassa les marchands de légumes qui encombraient le parvis de Notre-Dame ; en 1636, il fit fermer la chapelle du Grand Châtelet profanée par mille indécences ; dans l'église des Quinze-Vingt, pour plus de sûreté, il mit un sacristain de son choix ; il fit suspendre et allumer des lampes dans les sanctuaires ; en 1658 et 1660, il invita les curés de Paris à ne pas tolérer que sur le parcours des processions ou tendît des tapisseries indécentes. Parfois, se souvenant que sous le régime d'une Religion d'Etat, les pouvoirs civils avaient un droit et un devoir d'intervention dans la protection du culte, il s'adressa aux magistrats, soit pour faire observer les fêtes légales (1634) et l'abstinence (1636), soit pour faire réglementer la vente de la viande aux jours défendus (1639). Il dénonça à l'autorité les prêtres qui célébraient la messe d'une manière inconvenante et les fit exclure du ministère ou même enfermer à Saint-Lazare, où il les entretint à ses frais[90]. Mais si la Compagnie poursuivit les prêtres négligents, elle aima surtout à susciter de saints prêtres et à les former. On connaît les efforts accomplis par trois des membres les plus influents de la Société, le Père de Condren, saint Vincent de Paul et Jean-Jacques Olier pour le renouvellement du clergé ; et si la régence d'Anne d'Autriche s'honora par le recrutement d'un épiscopat digne de sa haute mission, c'est surtout à la présence de saint Vincent de Paul au conseil de conscience et à l'intervention des confrères qui le renseignaient, que cet heureux résultat doit être attribué.

 

VIII

Si dans la poursuite de tant d'œuvres diverses et délicates la Compagnie du Saint-Sacrement outrepassa quelquefois les limites de sa compétence, elle fut préservée du moins de tout écart funeste par deux sentiments qui dominèrent toujours en elle : un attachement invariable au Souverain Pontife et une opposition irréductible à toute hérésie. A maintes reprises, d'Argenson affirme la fidélité de la Compagnie aux doctrines romaines, sa soumission liliale aux décisions doctrinales des Papes. Dès le début, le Père de Condren avait, par l'intermédiaire du nonce et par celui de M. de Brassac, ambassadeur de France à Rome, essayé d'obtenir un bref pontifical d'approbation. Le Pape s'était contenté de bénir la société en tant qu'œuvre d'édification et de piété et de.lui accorder la faveur de plusieurs indulgences. La Compagnie demandait davantage, mais elle n'insista pas[91], se résigna à remplir une mission cachée, imprécise, mal définie, qui n'en fut peut-être que plus efficace ; elle n'en demeura pas moins étroitement attachée à l'Eglise romaine.

On le vit bien par l'attitude qu'elle prit en présence du protestantisme et du jansénisme. Les protestants, qui s'obstinaient à nier le mystère qu'elle avait pris à' tâche de glorifier, n'eurent pas d'adversaire plus déterminé que la, Compagnie du Saint-Sacrement. On a même voulu voir en elle comme une survivance de la Sainte Ligue. Assurément, elle procède du même esprit. La plupart des prêtres demeurant les bras croisés, disait en son rude langage le zélé M. Bourdoise, il faut que Dieu suscite des laïques, des couteliers et des merciers, pour faire l'ouvrage des prêtres fainéants[92]. Comme dans la Ligue, prêtres et laïques, nobles et manants furent mêlés en une association sans attache officielle avec la hiérarchie[93] ; comme dans la Ligue, on n'eut qu'un but : garder à la France l'idéal religieux des ancêtres en la purgeant de toute hérésie et infidélité. Les controverses ouvertes à Metz en 1651, les missions données au Puy en 1653 et à Limoges en 1660 pour la conversion des protestants, furent entreprises dans cet esprit par la zélée Compagnie. En 1652, on fit un fonds par mois pour les nouveaux convertis[94]. On s'appliqua à écarter les huguenots des professions libérales, particulièrement de celle de médecin, par laquelle ces hérétiques détournaient parfois les catholiques de la vraie foi[95]. La Compagnie fit fermer, au faubourg Saint-Germain, une académie huguenote[96], dénonça et réfuta les libelles protestants, tels que l'Anatomie de la Messe de Dumoulin[97], et tint l'œil ouvert sur toutes les prédications, publications et œuvres quelconques de prosélytisme des prétendus réformés.

La Compagnie ne fut pas moins opposée au jansénisme. La société fondée par le duc de Ventadour et celle que dirigeait l'abbé de Saint-Cyran n'étaient pas sans analogie. L'une et l'autre avaient pour but de ramener l'Eglise à la pureté de sa discipline et de sa doctrine ; l'une et l'autre, plus ou moins secrètes, composées de prêtres et de laïques, comptaient des adeptes éminents, des amis puissants à la cour et dans la noblesse de robe et d'épée ; un moment même, en 1630, par l'évêque de Langres, Sébastien Zamet, membre zélé de la Compagnie et auxiliaire de la mère Angélique, par le P. de Condren et saint Vincent de Paul, qui avaient des amis des deux côtés, par le culte du Saint-Sacrement qui comptait ses adeptes les plus fervents de part et d'autre, un trait d'union sembla exister entre les deux sociétés. Il se brisa le jour où les chefs de Port-Royal manifestèrent ouvertement la position qu'ils avaient prise à l'égard de l'Eglise. M. Vincent sentit un frisson d'épouvante en entendant l'abbé de Saint-Cyran lui déclarer qu'à son sens il n'y avait plus d'Église, et cela depuis, plus de cinq ou six cents ans[98]. Condren et Zamet partagèrent les sentiments de saint Vincent de Paul. A partir de ce moment, non seulement, dit le P. Rapin, la Compagnie résolut de s'opposer au progrès de cette doctrine condamnée, comme à une hérésie déclarée, mais même toutes les fois qu'on élisait des officiers, c'est-à-dire un supérieur, un trésorier, un secrétaire (ce qu'on avait coutume de faire tous les trois mois), il s'élevait à la tête de chaque rang des gens zélés qui criaient à ceux qu'on laissait passer pour donner leurs suffrages : Point de jansénistes ! et on eut grand soin dès lors d'écarter de la Compagnie ceux qui se présentaient pour être reçus[99].

 

IX

La Société fondée par le duc de Ventadour avait donc pleinement réussi, après trente ans d'inlassable activité, à réunir toutes les classes- de la société dans un grand effort commun pour la restauration de la foi et des mœurs catholiques. Depuis le grand mouvement des tiers-ordres au Moyen Age, le peuple chrétien n'avait peut-être jamais donné un plus grand exemple d'initiative docile et de courage prudent. Mais le succès même de l'œuvre avait soulevé contre elle, à mesure que des indiscrétions inévitables en révélaient l'existence et l'organisation, des rancunes et des animosités croissantes. Aux niasses ouvrières des compagnons du devoir, que les condamnations de la Sorbonne avaient irritées, et aux grands seigneurs mondains, qui ne pardonnaient pas aux dévots leur campagne contre le duel, se joignaient maintenant les hommes d'Etat, jaloux de voir l'initiative privée se substituer à eux, fût-ce pour le bien de la France. La monarchie absolue, dit M. Rébelliau, ne voulait pas, si peu qu'elle fît pour améliorer le bien-être et le bon ordre public, laisser faire à autrui ce qu'elle ne faisait pas elle-même. Ses conseillers, ses théoriciens l'avertissaient assidûment de ne pas permettre qu'on empiétât par ce côté plus que par d'autres sur les attributs de la souveraineté. Le parlementaire Le Bret, en 1652, dans son Traité de la souveraineté des Rois, revendiquait pour l'autorité royale, non seulement l'institution des grandes administrations, comme les postes, mais celle des universités, écoles et académies, comme aussi le droit exclusif d'empêcher par des règlements de police la corruption des bonnes mœurs. Il réclamait même pour le Roi le privilège des grandes aumônes, car, disait-il, bien qu'elles soient très louables en toutes sortes de personnes, néanmoins celui qui les ferait au-dessus du Prince souverain se rendrait suspect à l'Etat. En 1649, un des publicistes officiels de la cour de France, Samuel Sorbière, traduisait les Eléments philosophiques du citoyen de Hobbes, où il était dit que le Roi est aussi fondé à s'immiscer dans toutes les parties de la vie de la nation que Dieu lui-même, et que, chez les particuliers, c'est une disposition très nuisible à la tranquillité publique que l'ambition des bons services. Les confrères du Saint-Sacrement se rendaient bien compte de cet état d'esprit. Nos emplois, écrivait en 1657 Du Plessis-Montbard, par leur diversité et par leur force, appartiendraient plutôt à des souverains qu'à nous[100]. Le cardinal Mazarin, tout en ignorant l'organisation de la société, ne pouvait voir sans défiance un groupe de hauts seigneurs, les dévots, comme on les appelait, grands officiers de la cour, comme le prince de Conti, le marquis de Fénelon, le maréchal de Schomberg ; magistrats importants, tels que les Lamoignon, des d'Ormesson et les Séguier ; prélats en vue et prêtres influents, comme l'évêque Godeau, le docteur de Sorbonne Grandin, le curé de Saint-Sulpice Jean-Jacques Olier et le missionnaire Vincent de Paul, se concerter pour une action commune et prendre part plus d'une fois dans les luttes mêmes de la politique, comme ils l'avaient fait ostensiblement lors de la cabale des Importants et dans plusieurs autres circonstances récentes. Dans l'opinion publique elle-même se dessinait un mouvement vague d'inquiétude, que des imprudences, des excès de zèle avaient quelquefois justifiés. Les réformes morales entreprises par la Compagnie paraissaient dures à plusieurs ; ses enquêtes, indiscrètes. Les jansénistes, si puissants sur l'opinion de la haute société, et qui ne se faisaient pas illusion sur la disposition du parti des dévots à son égard, ne perdaient pas une occasion de la discréditer[101]. Les libertins nourrissaient à son égard les mêmes dispositions. Ne l'oublions pas, en effet : au milieu du XVIIe siècle, autour du jeune roi sur le point de régner par lui-même, tout un parti travaille sourdement à perpétuer, malgré Anne d'Autriche convertie, la liberté de mœurs et d'esprit que sa trop bonne régence a débridée. Dans le groupe de la Comtesse de Soissons, de la princesse Palatine et de la duchesse d'Orléans, du d'Harcourt, du marquis de Vardes et du maréchal de Gramont, les dévots sont à la fois ridiculisés comme des gêneurs et combattus, comme des concurrents au pouvoir. Il se trouve aussi que la bourgeoisie même, au moins à Paris, la bourgeoisie des avocats et des médecins, fait chorus avec les épicuriens ou indépendants de la littérature comme avec les courtisans viveurs. D'autant plus frondeuse en paroles qu'elle est guérie de la Fronde en action, de tradition un peu sceptique et, de plus en plus gallicane, elle se scandalise de voir, en octobre 1660, brûlées par la main du bourreau, ces Provinciales où elle a respiré la bonne odeur française de la Satire Ménippée[102]. L'esprit du monde, écrit à cette même date le comte d'Argenson, ne peut souffrir la Compagnie[103].

Ce monde, dont parle le comte d'Argenson, eut donc lieu de se réjouir avec malignité, lorsque parurent, en 1660, deux libelles dénonçant les agissements de la Compagnie : un Mémoire pour faire connoistre l'esprit et la conduite de la Compagnie establie en la ville de Caen, et un Extrait d'une lettre contenant la relation des extravagances que quelques-uns de l'Hermitage ont faites à Argentan et à Sées. A en croire ces factums, la Basse Normandie était depuis plusieurs mois profondément troublée, par un groupe de prêtres et de jeunes gens, se réunissant dans une maison dite l'Hermitage et se répandant dans la ville pour y faire des manifestations extravagantes. Un jour on les avait vus disait-on ameuter la populace en criant que tous les curés de Caen, sauf deux, étaient fauteurs du jansénisme. Un autre jour, une bande, conduite par un prêtre, aurait poussé des clameurs avec des gestes désordonnés, en invitant tous les fidèles à fuir au Canada, s'ils voulaient conserver le trésor de la foi, compromis par les jansénistes.

Que quelques extravagances, plus ou moins exagérées dans les deux pamphlets, eussent été commises par des membres de la Compagnie du Saint-Sacrement, le fait n'a rien que de vraisemblable ; mais chercher à en rendre responsable la Compagnie tout entière était une injustice. Or, c'est ce que prétendaient les écrits dénonciateurs. L'auteur de l'un des deux n'était autre que le janséniste Nicole[104]. Le nom de la Compagnie du Saint-Sacrement y était écrit en toutes lettres. On la dénonçait comme une société secrète, agissant à l'encontre du Roi, des évêques et des magistrats.

Le bruit produit par la publication de ces pamphlets fut énorme. Les auteurs les avaient fait tirer à un nombre considérable d'exemplaires, les avaient envoyés à toutes les autorités civiles et ecclésiastiques, et répandus à profusion parmi le peuple[105]. Le 28 septembre 1660, Guy Patin, dans une lettre à son ami Falconnet, parle avec émotion de la découverte de cette conspiration et signale cette congrégation, qui a des intelligences avec la même confrérie à Rome et qui a dessein d'introduire l'Inquisition en France[106]. La justice fut saisie, et, le 13 décembre 1660, un arrêt de la Cour fit inhibitions et défenses à toutes personnes, de quelque qualité et conditions qu'elles fussent, de faire aucunes assemblées en cette ville et partout ailleurs, sans l'expresse permission du Roi et lettres patentes vérifiées.

Grâce à l'intervention de Lamoignon, sous la présidence de qui l'arrêt fut rendu, la Compagnie ne fut pas brusquement dissoute, et, de 1660 à 1665, elle put encore avoir des réunions ; mais les assemblées plénières, jusque-là hebdomadaires, furent rares, les relations de la Compagnie de Paris avec les Compagnies de Province cessèrent peu à peu, et, vers la fin de 1665 ou au commencement de 1666, les derniers éléments de la Société disparurent tout à fait.

D'après le Mémoire du comte d'Argenson, les seuls ouvrages solides et permanents de la Compagnie qui auraient survécu à sa ruine seraient : la Compagnie des Prisons, la Compagnie des nouveaux convertis, la Compagnie pour le secoua spirituel des malades et des agonisants de l'Hôtel-Dieu, les Compagnies de Dames, les Compagnies des paroisses pour les pauvret, honteux, enfin et surtout l'Hôpital général, et la Société des Missions étrangères. En réalité, l'esprit de charité et de zèle apostolique, qu'elle avait contribué à répandre dans le clergé et parmi le monde, même en dehors de ses membres, lui survécut : nous en rencontrerons plus d'une fois l'influence au cours de l'histoire du XVIIe siècle[107].

 

 

 



[1] MARIÉJOL, dans l'Hist. de France de LAVISSE, t. VI, 2e part., p. 1.

[2] P. DE VAISSIÈRE, Gentilshommes campagnards, p. 221 et s.

[3] La France était obligée d'acheter aux Anglais les gros draps, les toiles, etc., et de faire manufacturer en Italie les laines du Languedoc et de la Provence. Voir MARIÉJOL, dans l'Hist. de France de LAVISSE, t. VI, 2e part., p. 67.

[4] Le lundi 4 mars 1596, on compta au cimetière des Innocents, à Paris, 7.769 pauvres.

[5] M. FEILLET, dans son savant ouvrage La Misère au temps de la Fronde, pense que l'on peut reconstituer le tableau des misères du peuple pendant la première moitié du XVIIe siècle au moyen des dessins de Callot. Cet artiste, dit-il, passa pour un fantaisiste ; c'est, à nos yeux, un grand réaliste. Les Bohémiens, les Misères de la Guerre, les Supplices, voilà le XVIIe siècle dans sa cruelle vérité. A. FEILLET, La Misère au temps de la Fronde, 4e édition, p. 5-6.

[6] OMER TALON, Mémoires, édition Michaud, p. 212.

[7] Il fallut la sévère administration de Colbert pour délivrer le pays de ce Lempepereur. Guy Patin écrit en 1664, à la date du 21 décembre : On travaille au procès de Lempereur. Sept cents témoins ont déposé contre lui.

[8] Cité par FEILLET, La Misère au temps de la Fronde, p. 46-47, d'après un manuscrit de la Bibliothèque nationale.

[9] FEILLET, La Misère au temps de la Fronde, p. 407 ; cf. DIGOT, Histoire de Lorraine, t. V, et D'HAUSSONVILLE, Hist. de la réunion de la Lorraine à la France, t. II.

[10] Cité par FEILLET, La Misère au temps de la Fronde, p. 127-198. Le prologue de la Toison d'Or de Pierre Corneille fait également une triste peinture de l'état de la France à cette époque. L'état des routes est désastreux. On ne fera presque rien pour la viabilité du pays jusqu'à l'administration de Colbert en 1661. Les chemins sont presque tous obliques, sinueux remplis de trous, de fondrières et de tas de pierres. VIGNON, Etudes sur l'administration des voies publiques en France au XVIIe et au XVIIIe siècles, t. I, p. 74.

[11] BOURDOISE, Sentences chrétiennes, ch. IX, Des temples sacrés, p. 42.

[12] ABELLY, Vie de saint Vincent de Paul, l. II, ch. III, § 4, édit. de 1839, t. I, p. 524.

[13] Mgr FREPPEL, Œuvres oratoires et pastorales, t. II, Panégyrique saint-Vincent de Paul.

[14] ABELLY, II, 28-29.

[15] Voir le règlement tout entier dans ABELLY, II, 29-32.

[16] C'était le moment où Théophraste Renaudot créait, dans un but de simple information, la presse périodique. Saint Vincent de Paul partage avec lui l'honneur de tette fondation.

[17] Jamais Vincent de Paul ne voulut, pendant la Fronde, se compromettre dans un parti. Je suis pour Dieu et pour les pauvres, disait-il.

[18] On sait qu'à cette époque les appellations de Madame et de Mademoiselle n'avaient pas le sens déterminé que l'usage leur donne aujourd'hui. Mademoiselle était le nom donné aux femmes dont le mari n'était pas noble. On disait de la femme de Molière Mademoiselle Molière.

[19] E. DE BROGLIE, Saint Vincent de Paul, p. 125.

[20] C'est la maison qui porte aujourd'hui le numéro 43 de la rue du Cardinal Lemoine.

[21] Cf. DE CARNÉ, Les États de Bretagne ; HANOTAUX, Histoire du Cardinal de Richelieu, I, p. 312.

[22] PICOT, Essai historique, t. I, p. 171. Michel Le Nobletz était né au Conquet, en 1577 ; il mourut le 5 mai 1652. Son œuvre ne périt point avec lui ; elle se perpétua avec les Pères Maunoir et Jean Rigoleux, de la Compagnie de Jésus.

Voir la Vie de M. Le Nobletz (par le P. VERJUS), 1 vol. in-8°, Paris, 1666.

[23] Henri JOLY, Le Vénérable Jean Eudes, p. 68.

[24] Henri JOLY, Le Vénérable Jean Eudes, p. 140-161, 177-187.

[25] Jean-François Régis a été canonisé le 16 juin 1737, par Clément XII en même temps que saint Vincent de Paul. Cf. J.-M. CROS, Saint François Régis.

[26] LACORDAIRE, Panégyrique du B. Fourier, Œuvres, t. VIII, p. 30. Saint Pierre Fourier mourut à Gray, en Bourgogne, en 1636. Voir PINGAUD, Saint Pierre Fourier ; Dom VUILLEMIN, Saint Pierre Fourier.

[27] HANOTAUX, Histoire du Cardinal de Richelieu, t. I, p. 184-186.

[28] Henri BRÉMOND, La Provence mystique au XVIIe siècle, p. 8-9.

[29] PICOT, Essai historique, t. I, p. 434.

[30] Il était né à Poligny, en 1592.

[31] SAINTE-BEUVE, Port-Royal, I, 468.

[32] La paroisse de Saint-Sulpice avait alors une étendue considérable ; elle comprenait tout le territoire sur lequel se sont formées successivement les paroisses du Gros-Caillou, de Saint-Germain-des-Prés, de Saint-Thomas d'Aquin, de Sainte-Clotilde, de Saint-François Xavier et de Notre-Dame-des-Champs.

[33] OLIER, Lettres autographes, p. 18.

[34] DU FERRIER, Mémoires, 15 et 19 août 1642.

[35] La communauté de Saint-Sulpice s'était d'ailleurs rapidement accrue. Composée d'abord des ecclésiastiques venus de Vaugirard, de sept ou huit autres, qui s'étaient joints à ceux-ci, et de quatre prêtres appartenant à l'ancien clergé de Saint-Sulpice, elle bientôt cinquante membres. FAILLON, II, 14.

[36] GODEAU, Traité des séminaires, 1 vol. in-12, p. 12.

[37] Simon de DONCOURT, Rem. hist. sur l'église et la paroisse de Saint-Sulpice, p. 216.

[38] DU FERRIER, Mémoires, p. 189.

[39] Sur la méthode des catéchismes de Saint-Sulpice, qui s'est conservée à peu près telle que l'avait instituée M. Olier, voir FAILLON, Méthode des cat. de Saint-Sulpice, et DUPANLOUP, L'Œuvre par excellence.

[40] Voir LETOURNEAU, Le Ministère paroissial de Jean-Jacques Olier, p. 107-111.

[41] Je désirerais, après avoir passé les jours dans le travail, de passer encore les nuits entières devant le Saint-Sacrement. OLIER, Mémoires, t. III, n° 92.

[42] FAILLON, t. I, p. 166.

[43] FAILLON, I, 166.

[44] D. GERBERON, Hist. générale du Jansénisme, t. II, p. 447 et suivantes.

[45] RAPIN, Mémoires, t. II, p. 325-332.

[46] Annales de la Compagnie du Saint-Sacrement, par le Comte René de VOYER D'ARGENSON, publiées et annotées par le R. P. Dom BEAUCHET-FILLEAU, moine bénédictin, 1 vol. in-8°, Paris, Oudin, 1900.

[47] Telle semble bien être la pensée de M. RABBE dans son étude publiée en novembre 1899 par la Revue historique. Au premier coup d'œil jeté sur les Annales de d'Argenson, s'écrie-t-il, on s'explique pourquoi les catholiques qui, dans le cours de notre siècle ont publié tant de pieux documents du XVIIe siècle, se sont bien gardés d'exhumer celui-là. Le document était à la Bibliothèque nationale, Ms. 14.489. C'est un Père jésuite, le P. Le Lasseur, qui en avait fait connaître l'existence, (Cf. quatre articles du P. Ch. CLAIR, dans les Etudes de novembre et décembre 1888, janvier et février 1889), et c'est un Père bénédictin, Dom Beauchet-Filleau, qui en a publié le texte intégral. Cf. H. CHÉROT, Lettre à M. Rabbe, dans les Etudes de 1899-1900, t. LXXXI, 536, et t. LXXXII, 258.

[48] Telle est la tendance de M. Raoul ALLIER, dans son livre, d'ailleurs plein de faits et de documents très intéressants, La Cabale des dévots, Paris, 1902. Mais Les faits eux-mêmes que rapporte l'auteur démentent cette tendance. A la vérité, saint Vincent de Paul apparaît moins isolé qu'on ne l'avait cru jusqu'à ces derniers temps dans ses œuvres de charité, et nul ne pourra jamais, sans doute, déterminer exactement ce que le saint dut à la pieuse Compagnie et ce que la Compagnie dut au Saint ; toutefois, même appuyé, secondé par la puissante société, M. Vincent reste l'initiateur et l'inspirateur des plus grandes œuvres charitables de cette époque. En 1627, quand le duc de Ventadour groupe ses premiers associés, Vincent de Paul a déjà établi des conférences de charité pour les hommes et pour les femmes, organisé des missions, créé l'œuvre des galères, fondé la Société des Prêtres de la Mission. Au moment de la grande famine, c'est lui qui, de l'aveu de M. Allier lui-même, décide l'archevêque à provoquer une levée en masse de tous les ordres religieux et de toutes les familles ecclésiastiques, substitue au groupement amical des simples particuliers la mobilisation officielle de toutes les forces cléricales (Cabale des dévots, p. 90), et, dès 1635, époque à laquelle il dut entrer dans la Compagnie du Saint-Sacrement, dans le Cénacle où l'on s'inquiète avec mie ferveur si soutenue des détresses humaines, il apporte le cri de son âme affligée, et, dans bien des cas, il est le premier à solliciter la mission dont on le charge. (La cabale des dévots, p. 139).

[49] RAPIN, Mémoires, p. 326-327.

[50] X***, Le duc et la duchesse de Ventadour, un grand amour chrétien au XVIIe siècle, Paris, 1889, p. 117. Cette biographie a pour base un manuscrit du Père Paul du Saint-Sacrement, religieux carme, qui écrivit cette histoire au moment où elle eut lieu.

[51] Règlement de la petite Compagnie du Saint-Sacrement à la campagne, ap. d'ARGENSON, Annales, édit. BRAUCHET-FILLEAU, p. 303.

[52] D'ARGENSON, Annales, p. 299-301.

[53] Raoul ALLIER, La Cabale des dévots, ch. II : Une ligue secrète, p. 25-41 et passim.

[54] D'ARGENSON, p. 195.

[55] ALLIER, p. 47-49 ; d'ARGENSON, Introduction, p. VI-VII ; RÉBELLIAU, dans la Revue des Deux-Mondes du 1er juillet 1903, p. 51-52.

[56] Sur le caractère secret de la Compagnie, voir les articles du P. BRUCKER, dans les Etudes d'octobre et novembre 1909 : Hommes d'œuvres du XVIIe siècle.

[57] RAPIN, Mémoires, t. II, p. 327.

[58] RAPIN, Mémoires, t. II, p. 327-328. On remarque aussi, parmi les premiers membres de la Compagnie, Charles, marquis d'Andelot, et son fils l'abbé François de Coligny, dont les noms apparaissent comme un désaveu de la conduite, une réparation de l'apostasie de leur père et aïeul.

[59] A. RÉBELLIAU, Un épisode de l'histoire religieuse du XVIIe siècle, dans la Revue des Deux-Mondes du 1er juillet 1903, p. 61-62. Cet article de M. Rébelliau a été suivi da cinq autres articles, parus dans la Revue des Deux-Mondes le 1er août et le 1er septembre 1903, le 15 août 1908, le 15 octobre et le 1er novembre 1909.

[60] 40.000 mendiants se trouvaient alors répartis dans les onze cours des Miracles de la capitale.

[61] D'ARGENSON, p. 69-70 ; ALLIER, p. 73.

[62] D'ARGENSON, p. 70, 85.

[63] D'ARGENSON, p. 84.

[64] ALLIER, p. 120-121 ; RÉBELLIAU, Revue des Deux-Mondes, 1er juillet 1903, p. 66.

[65] J. MARIÉJOL, Hist. de France de LAVISSE, t. VI, 2e part., p. 7.

[66] J. MARIÉJOL, Hist. de France de LAVISSE, t. VI, 2e part., p. 6-7.

[67] VACHET, L'Artisan chrétien ou la vie du bon Henry, instituteur des Frères Cordonniers, Paris, 1670, p. 38 ; ALLIER, p. 196.

[68] P. SAINT-JURE, La vie de Ch. de Renty, p. 148. Cf. FAILLON, Vie de M. Olier, t. II, p. 275.

[69] VACHET, L'Artisan chrétien, p. 19-25, 33.

[70] VACHET, L'Artisan chrétien, p. 38 ; ALLIER, p. 196.

[71] VACHET, L'Artisan chrétien, p. 49-51. Cf. P. LEBRUN, Histoire des pratiques superstitieuses, Paris, 1751, t. IV, p. 54 ; LEVASSEUR, Histoire des classes ouvrières en France, 2e édit., t. I, p. 703.

[72] VACHET, p. 60-61. Cf. H. HAUSER, Ouvriers des temps passés, surtout le chapitre intitulé : Histoire d'une grève au XVIe siècle ; et l'ouvrage de M. Martin SAINT-LÉON : Le Compagnonnage, son histoire, ses coutumes, ses règlements, ses rites, 1 vol. in-18, Paris, 1901.

[73] ALLIER, p. 199, 209.

[74] D. VACHET, p. 69-81.

[75] ALLIER, La cabale des dévots, p. 202.

[76] D'ARGENSON, p. 90.

[77] D'ARGENSON, p. 151.

[78] D'ARGENSON, p. 181.

[79] D'ARGENSON, p. 239.

[80] D'ARGENSON, p. 18. R. ALLIER, La cabale des dévots, p. 51-55. Sur les intelligentes et fécondes initiatives de trois membres de la Compagnie à Marseille, Jean-Baptiste Gaut, évêque de la ville, Paul-Albert de Forbin, lieutenant-général des galères, et le chevalier Gaspard de la Coste en faveur de l'œuvre des forçats, voir ALLIER, loc. cit., p. 54-55.

[81] D'ARGENSON, p. 90.

[82] RÉBELLIAU, Revue des Deux-Mondes, 1er juillet 1903, p. 62-63 ; ALLIER, La cabale des dévots, p. 67-72.

[83] RÉBELLIAU, Revue des Deux-Mondes, 1er juillet 1903, p. 68.

[84] ALLIER, p. 19.

[85] D'ARGENSON, p. 36, 73, 107, 109.

[86] FAILLON, Vie de M. Olier, t. II, p. 5-6.

[87] D'ARGENSON, p. 51, 53 ; ALLIER, p. 127-129.

[88] ALLIER, p. 129.

[89] D'ARGENSON, p. 51-53, 71, 72 ; ALLIER, p. 130-131.

[90] RÉBELLIAU, Revue des Deux-Mondes, 1er juillet 1903, p. 72-74.

[91] D'ARGENSON, p. 24-25.

[92] FAILLON, Vie de M. Olier, t. II, p. 368.

[93] S'ensuit-il que la Compagnie ait voulu se soustraire au contrôle de l'épiscopat et du Pape ? La découverte de documents récents ne permet plus de le penser. L'autorité hiérarchique ne suivait pas habituellement les réunions et n'y était pas officiellement représentée ; mais l'évêque du lieu était toujours averti des nouvelles fondations, et il connaissait au moins les officiers de la Compagnie. Voir sur ce point trois articles de J. BRUCKER, dans les Etudes d'octobre et novembre 1909, t. CXXI, p. 5 et s., 187 et s., 318 et s.

[94] D'ARGENSON, p. 131.

[95] D'ARGENSON, p. 35.

[96] D'ARGENSON, p. 77.

[97] D'ARGENSON, p. 34, 74, 84.

[98] ABELLY, Vie de Saint Vincent de Paul, 2e part., p. 412.

[99] RAPIN, Mémoires, t. II, p. 331.

[100] RÉBELLIAU, dans la Revue des Deux-Mondes, du 1er novembre 1909, p. 201-202.

[101] La preuve parait faite désormais : ce ne sont point les jansénistes, pas plus que les jésuites que Molière voulut mettre en scène, quelques années plus tard, en 1668, dans son Tartufe. Ce sont les confrères du Saint-Sacrement, c'est en particulier le prince de Conti. Il nous semble que M. Rébelliau a fait la lumière sur ce point dans la Revue des Deux-Mondes du 15 octobre 1909, p. 903-914. — Cf. ALLIER, p. 384-411. — M. Brunetière avait déjà réfuté, avec une grande vigueur, l'opinion d'après laquelle Molière n'aurait voulu attaquer que la fausse dévotion. En réalité, en attaquant la religion de l'effort et de la contrainte, Molière, dans l'ensemble de ses pièces, sans en excepter le Tartufe, se faisait l'écho du libertinage naissant. Cf. BRUNETIÈRES, Études critiques sur l'histoire de la littérature française, 4e série, 179-222. Molière avait peut-être aussi des rancunes à satisfaire contre ceux qui faisaient baisser les recettes de son théâtre, comme M. Olier dans la paroisse de Saint-Sulpice et le prince de Conti dans son gouvernement du Languedoc. En tout cas, ce Tartufe, qui convoite la femme de son ami et capte sa fortune, n'a rien de commun avec un confrère du Saint-Sacrement, et la comédie de Molière est une pure calomnie.

[102] RÉBELLIAU, Revue des Deux-Mondes du 1er novembre 1909, p. 898-899.

[103] Voir PERRENS, Les Libertins en France, 1896, et l'index du livre de M. Victor GIRAUD sur Pascal, Paris, 1905, au mot Libertin.

[104] RÉBELLIAU, Revue des Deux-Mondes du 15 août 1909, p. 915.

[105] On peut constater aujourd'hui encore le fait de cette diffusion par la facilité que l'on a de trouver ces factums dans les bibliothèques publiques et privées. Cf. RÉBELLIAU, Revue des Deux-Mondes du 15 août 1909, p. 894, note 2.

[106] GUY PATIN, Lettres choisies, Rotterdam, 1725, t. II, p. 123, Cf. la lettre du 19 octobre 1660.

[107] Sur la Compagnie du Saint-Sacrement, on consultera en dehors des ouvrages déjà cités : A. AUGUSTE, La Compagnie du Saint-Sacrement à Toulouse, notes et documents, Paris, Picard, 1913 ; Maurice SOURIAC, La Compagnie du Saint-Sacrement et de l'autel à Caen. Deux mystiques normands au XIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 ; M. FEGON, Contribution à l'histoire du jansénisme en Normandie, Rouen, 1913.