HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

TROISIÈME PARTIE. — LA RÉFORME CATHOLIQUE

CHAPITRE III. — LA RÉFORME CATHOLIQUE ET LES PRINCES CHRÉTIENS.

 

 

Quand une puissance imprime un mouvement au monde, dit le célèbre historien protestant Léopold de Ranke[1], et quand cette puissance personnifie en elle-même par excellence le principe de ce mouvement, elle prend forcément une part si active à toutes les affaires du siècle, elle se met dans des rapports si animés et si intimes avec toutes les forces des autres peuples, que sa propre histoire devient, dans un certain sens, l'histoire universelle de l'époque. Telle fut la mission que fut appelée à accomplir la Papauté après le Concile de Trente. Ebranlée dans sa constitution intérieure, elle avait su cependant se maintenir et se renouveler. Déjà, elle avait étouffé dans les deux péninsules méridionales toutes les tentatives hostiles ; elle avait attiré à elle et transformé tous les éléments de la vie morale et intellectuelle ; la pensée lui vint ensuite de faire rentrer dans son autorité les apostats de toutes les autres parties du monde. Rome apparut de nouveau tomme une puissance conquérante, elle forma des projets de propagation, elle commença l'exécution de vastes entreprises, semblables à celles qui descendaient du haut des Sept Collines dans l'antiquité et le Moyen Age.

 

I

D'un point de vue tout extérieur, la situation de l'Église, au lendemain du Concile de Trente, se présentait comme extrêmement critique, et la cause catholique semblait perdue. Les deux tiers de l'Europe étaient gagnés à l'hérésie. Les deux grandes nations sur lesquelles l'Église avait le plus compté au Moyen Age en étaient infectées. Un ambassadeur vénitien calculait, en 1558, que la dixième partie seulement des habitants de l'Allemagne était restée fidèle à la vraie foi[2], trois ans plus tard, un autre ambassadeur vénitien, Micheli, ne rencontrait eu France aucune province qui fût exempte de protestantisme et constatait que les trois quarts du royaume en étaient remplis[3]. Dans l'Italie et dans l'Espagne, restées catholiques dans leur ensemble, des ferments d'hérésie agitaient sourdement les populations. Parmi les princes chrétiens, ceux-là mêmes qui avaient prêté leur appui dévoué au concile, s'irritaient maintenant de voir la réforme catholique s'étendre jusqu'à eux et refusaient de promulguer les décrets de Trente. Philippe II ne publiait, les Decreta tridentina qu'en réservant les prééminences de la couronne. Catherine de Médicis se déclarait prête à faire exécuter les décisions du concile en particulier, mais refusait d'en faire la promulgation générale : Henri IV lui-même devait, tout en promettant de s'exécuter, éluder indéfiniment sa promesse[4].

Mais un examen plus approfondi de la situation était de nature à donner pleine confiance en l'Église. Des prélats éminents, aidés par des théologiens d'une science consommée et délibérant sous l'assistance de l'Esprit Saint, avaient proclamé, dans un langage calme et majestueux, les dogmes anciens contestés par l'hérésie et les avaient enrichis de précisions nouvelles. On avait désormais l'impression que, comme l'a dit Ranke[5], si, jusqu'à ce jour, le protestantisme avait rempli de ses succès la scène du monde et attiré à lui les intelligences, maintenant le catholicisme, s'appropriant aussi les intelligences et enflammant leur activité, entrait en lice sur le terrain choisi par son adversaire. D'ailleurs — c'est toujours le même historien qui parle, — les Papes avaient réussi, dans le concile, à augmenter leur autorité, qu'on s'était proposé de diminuer, et à obtenir mie influence plus étendue sur les églises nationales. Forte par elle-même, puissante par l'autorité morale ale ses partisans, par la communauté et l'unité de croyance qui les liait tous, la Papauté pouvait passer désormais de la défensive, à laquelle elle avait été obligée de se résigner, à une offensive active et énergique[6].

Elle y était encouragée par l'état intérieur du protestantisme, qui, triomphant presque partout extérieurement, était partout ravagé par des dissensions intestines. A la querelle sacramentaire, qui n'avait pas cessé d'agiter les esprits, les Antitrinitaires, qui se réclamaient de Michel Servet, les Majoristes, qui tenaient leur nom de Michel Major et qui défendaient l'efficacité des bonnes œuvres, les Mennonites, qui, à la suite de Menno Simons, rejetaient le serment, la guerre et la prédestination absolue, les Crypto-calvinistes, qui invoquaient la grande autorité de Mélanchton, les Mystiques de Schwenkfeld, les Synergistes de Pfeflinger, les Osiandristes et les Arminiens ajoutaient le bruit de leurs propres disputes. Les Anabaptistes, poursuivant l'utopie d'un royaume théocratique, sans lois ni autorités, où règneraient l'égalité parfaite et la communauté des biens, troublaient surtout l'Allemagne : les Sociniens, niant la divinité de Jésus-Christ, la réalité du péché originel et la vertu surnaturelle des sacrements, débordaient d'Allemagne en Suisse et en Pologne ; la question de la prédestination absolue déchirait l'Église protestante des Pays-Bas ; et l'Église d'Angleterre voyait se dessiner le mouvement des trois sectes qui devaient diviser si douloureusement ses fidèles en Episcopaliens, Presbytériens et Indépendants.

Les troubles sociaux provoqués par ces disputes, en même temps qu'ils affaiblissaient les protestants, allaient faciliter l'action de l'Église, en lui gagnant, par certains côtés, l'appui des princes, intéressés à réprimer les turbulences des sectes réformées. Le principe, souvent proclamé par le protestantisme, que la religion d'un État dépend de la conviction du prince, se retourna brusquement contre lui[7]. Le duc de Bavière, Albert V, ferma ses États à l'hérésie, obligea les professeurs d'Ingolstadt à signer la profession de foi publiée par le concile de Trente et confia aux jésuites l'éducation de la jeunesse. Les princes ecclésiastiques s'empressèrent de suivre cet exemple : le prince-abbé de Fulda, Balthazar de Dernbach, élu en 1570, favorisa de tout son pouvoir l'extirpation de l'hérésie ; en 1572, Jacques de Eltz, prince électeur de Trèves, exclut de sa cour les protestants ; ces exemples furent suivis, en 1574, par l'archevêque électeur de Mayence, en 1582 par l'évêque de Wurtzbourg, en 1585, par l'évêque de Paderborn. Le duc d'Autriche, en 1578, prit des mesures analogues ; en 1598, l'archiduc Ferdinand les étendit en Styrie, Carinthie et Carniole. Ces grands changements, chose étonnante, se réalisèrent sans aucun bruit, sans qu'on les observât, sans qu'on en fît mention dans les livres d'histoire, comme si les choses n'avaient pu se passer autrement. La puissance impériale n'était pas assez forte ni assez résolue pour prendre à cet égard une décision énergique ; il n'y avait pas assez de vigueur et d'unité dans les diètes de l'empire pour la maintenir[8]. L'Allemagne du sud et l'Autriche tout entière furent ainsi regagnées au catholicisme. En France, tandis que l'éloquence d'Edmond Auger[9] et l'éclat de l'enseignement de Maldonat[10] attiraient les foules autour des chaires catholiques et les retiraient aux prêches des huguenots, l'opinion publique, sentant l'unité nationale compromise par les protestants, se tournait vers les Guise et saluait la Ligue comme un instrument de libération. Les tentatives de restauration catholique faites en Angleterre par la reine Marie, en Suède par le roi Jean, en Ecosse par Marie Stuart ne devaient pas aboutir à un résultat durable, mais elles témoignaient de la résurrection du sentiment catholique ; aux Pays-Bas, la ligue d'Arras posait les fondements du royaume catholique de Belgique, et, sous l'influence de saint Charles Borromée, les sept cantons suisses restés fidèles à Rome fondaient la Ligue d'Or pour la défense de la vraie religion.

Les Papes saint Pie V, Grégoire XIII, Sixte-Quint et Urbain VIII présidèrent à ce mouvement, qu'on a appelé la Contre-Réforme.

Mais l'Eglise, qui accepte avec reconnaissance l'aide des pouvoirs séculiers, lorsque ceux-ci savent se maintenir dans les limites de leur compétence, compte surtout, pour se régénérer et pour conquérir les âmes, sur les moyens canoniques que sa divine constitution lui confère le droit d'employer.

 

II

Pour défendre ses fidèles contre l'hérésie, l'Eglise venait d'organiser deux grandes institutions : l'Inquisition romaine et l'Index.

Nous avons vu comment, en 1542, par la bulle Licet ab initio, le Pape Paul III, centralisant les divers tribunaux particuliers d'inquisition épiscopale et monastique, qui fonctionnaient depuis le XIIe siècle, avait établi un tribunal suprême d'inquisition pour toute l'Eglise : ce fut l'Inquisition romaine. Elle pouvait atteindre les évêques et les cardinaux aussi bien que les simples fidèles. Sous Paul IV, les cardinaux Morone et Pole, malgré l'éclat de leurs services, furent traduits devant le nouveau tribunal. Pie V porta à huit le nombre des cardinaux inquisiteurs et leur conféra des pouvoirs très étendus. Enfin Sixte-Quint, par sa constitution Immensa æterni Dei, qui, réorganisa toute la curie romaine, fit du Saint-Office, ou congrégation universelle de l'Inquisition, Sacrum Officium, seu universa Inquisitionis congregatio, la première des quinze congrégations de cardinaux entre lesquelles il avait distribué toutes les affaires du gouvernement ecclésiastique. Munie de tous les pouvoirs d'un tribunal, elle avait à connaître de toutes les causes relatives à la foi, depuis l'hérésie jusqu'à l'abus des sacrements, et avait juridiction sur tous les pays où existerait la religion catholique.

La procédure du tribunal de l'Inquisition se distinguait des inquisition enquêtes ordinaires : 1° en ce que les faits invoqués par l'accusation devaient être communiqués à l'accusé, en taisant toutefois le nom des déposants ; 2° en ce que, au cas où l'accusation n'était pas écartée, on imposait à l'accusé, au lieu du serment ordinaire, l'abjuration de l'hérésie ; 3° en ce que l'enquête pour cause d'hérésie pouvait entraîner les peines les plus graves, notamment la dégradation et la remise entre les mains du pouvoir séculier ; 4° en ce que, d'après les décisions d'Innocent IV, publiées en 1552, la torture, interdite dans les tribunaux ecclésiastiques ordinaires, y pouvait être employée[11].

Pendant que se tenaient les sessions du Concile de Trente, l'Inquisition fonctionna en Italie et en Espagne. En Italie, elle agit presque partout de concert avec le pouvoir civil. A Milan et à Naples, dit Ranke[12], le Gouvernement était d'autant moins capable de s'y opposer qu'il avait eu le projet d'y introduire l'Inquisition espagnole. En Toscane, l'Inquisition se laissa influencer par le pouvoir temporel. Dans les Etats vénitiens l'inquisiteur fut soumis à la surveillance de l'autorité civile. Plusieurs des hétérodoxes poursuivis prirent la fuite : on rencontra ces émigrés italiens dans toutes les villes de l'Allemagne et de la Suisse.

En Espagne, où la répression de l'hérésie fut encore plus sévère, ce fut l'autorité civile qui prit la première initiative. De son monastère de Saint-Just, où il s'était retiré, l'empereur Charles-Quint écrivait, le 25 mai 1558, à sa fille : Si je ne savais avec certitude, ma fille, que vous extirperez le mal jusqu'à la racine, en châtiant avec rigueur les coupables, je ne sais si je ne me déciderais pas à sortir d'ici pour y remédier moi-même. Dans le codicille qu'il ajouta à son testament, peu de jours avant de mourir, il enjoignait à son fils Philippe de fa r rechercher et punir, sans grâce ni pitié pour aucun, tous les hérétiques que renfermeraient ses Etats.

Philippe II exécuta impitoyablement les ordres de son père. D'accord avec le Pape Paul IV, qui, dans un bref, enjoignait aux confesseurs de refuser l'absolution à ceux qui ne dénonceraient pas toute personne coupable d'hérésie, fût-elle de leur parenté, Philippe II ordonna, le 7 septembre 1558, que tous ceux qui achèteraient, vendraient ou liraient des livres prohibés, tels que les Livres saints en langue vulgaire, seraient condamnés à. être brûlés vifs.

Les arrestations commencèrent aussitôt et s'étendirent jusque dans les provinces les plus reculées de la péninsule. C'est dans ce grand coup de filet de 1558, dit Mgr Baudrillart, que furent pris les principaux chefs du mouvement protestant, notamment à Valladolid et à Logrofio.

Après les arrestations et les procès, vinrent les supplices. Ils couronnèrent cinq grands autodafés : ceux de Valladolid, 22 mai 1559 ; de Séville, 24 septembre 1559 ; de Valladolid, 8 octobre 1559 ; de Tolède, 25 février 1560 ; de Séville, 22 décembre 1560. La première de ces lugubres solennités tut célébrée le 22 mai 1559, en présence de la régente Jeanne, de son neveu don Carlos, d'un nombre considérable de nobles, de dames et d'un immense concours de peuple.

La prédication avait été confiée au célèbre théologien Melchior Cano. La régente et l'héritier de la couronne, don Carlos, s'engagèrent par serment à défendre la sainte Inquisition en tout temps et en tout lieu.

La lecture des sentences, la dégradation des ecclésiastiques condamnés et les autres formalités durèrent depuis six heures du matin jusqu'à deux heures de l'après-midi ; personne ne donna le moindre signe de lassitude ; la régente ne se retira que lorsque tout fut terminé.

Les condamnés s'acheminèrent alors, escortés par des hallebardiers, suivis du clergé, des confréries et des écoles, vers le quamadero, brûloir ou bûcher. Quatorze devaient être brûlés.

Le premier appelé fut Agostino Cazalla qui se réconcilia avec l'Eglise et exhorta les autres à abjurer leurs erreurs ; les inquisiteurs le récompensèrent en donnant l'ordre de l'étrangler avant qu'il fût jeté dans les flammes. Son frère Francesco, prêtre de Valladolid, refusa toute rétractation et fut brûlé vif. Son troisième frère, Pedro, fut étranglé en échange de quelques aveux utiles. On accorda la même grâce à plusieurs autres condamnés qui se rétractèrent, notamment à plusieurs femmes, dont Beatrix de Vibero. Le bachelier Herrezuelo montra une obstination indomptable.

Le 24 septembre, à l'autodafé de Séville, vingt-deux personnes furent brûlées. Une femme, Maria Bohorques, protesta jusqu'au bout de sa foi aux doctrines luthériennes. Le prêtre Juan Gonzalez et ses deux jeunes sœurs marchèrent au supplice en chantant des psaumes ; ce qui fit une vive impression sur le peuple.

L'autodafé de Valladolid, du 8 octobre 1559, fut honoré de la présence de Philippe II, que le progrès de l'hérésie avait rappelé en Espagne ; princes, ambassadeurs, grands d'Espagne, lui faisaient escorte.

Il y eut encore d'autres autodafés dans diverses villes ; on brûla des protestants jusqu'à la fin du siècle ; mais, dès 1570, on peut considérer le protestantisme comme fini en Espagne.

De telles scènes font frémir, conclut Mgr Baudrillart ; on ne peut cependant s'empêcher de reconnaître avec Joseph de Maistre que c'est en Espagne que les luttes religieuses du XVIe siècle firent couler le moins de sang. Que l'on compare le nombre des victimes de l'Inquisition espagnole à celui des guerres de religion et France et en Allemagne, ou même à celui des condamnée, d'Henri VIII, d'Edouard VI et d'Elisabeth, quelle différence[13].

L'Eglise s'était de tout temps préoccupée de condamner les livres hérétiques. Dès les premiers temps du christianisme, elle les faisait jeter aux flammes. A la fin du Ve siècle, le Pape Gélase Ier avait rédigé une liste des livres principaux que, suivant son expression, les chrétiens devaient éviter[14]. Au XVe siècle, à la suite de la découverte de l'imprimerie, on dut, non seulement s'occuper des mauvais écrits qui avaient déjà paru, mais encore prendre des mesures pour qu'aucun ouvrage de ce genre ne fût publié dans la suite : Alexandre VI rédigea une constitution demeurée fameuse[15], que Léon X étendit plus tard à toute l'Eglise. C'est en 1543 que paraît avoir été imprimé, à Venise, le premier Index général des ouvrages interdits[16]. Le concile de Trente, dans sa XVIIIe session, du 26 février 1562, institua une commission de dix-huit Pères, chargée de rédiger un catalogue des livres défendus, et surtout, ce qui constituait une innovation importante, de préparer la rédaction des règles générales relatives à l'Index. Le travail de la commission ne fut remis au Pape Pie IV qu'à la XXVe et dernière session et fut publié par le Souverain Pontife en 1564. Sept ans plus tard, Pie V institua une congrégation chargée de veiller à l'observation des règles de l'Index. On sait que ces règles ont été en vigueur jusqu'à la constitution Officiorum de Léon XIII, qui le 22 janvier 1897, les a abrogées et reprises sous une nouvelle forme, pour obvier aux difficultés que l'opinion moderne les accusait de faire naître[17].

 

 

 



[1] L. RANKE, Hist. de la Papauté pendant les XVIe et XVIIe siècles, t. II, l. V, chap. I, p. 130 et s. Ce chapitre de Ranke est une des vues d'ensemble les plus remarquables qui aient été données de la Réforme catholique après le Concile de Trente. Il conserve aujourd'hui encore toute sa valeur.

[2] RANKE, t. II, p. 137.

[3] RANKE, t. II, p. 141.

[4] Les décrets avaient besoin d'être reçus par les princes catholiques pour acquérir le caractère de lois d'Etat. Sur les obstacles à la réception du concile si France, voir BAGUENAULT DE PUCHESSE, Histoire du Concile de Trente, chap. XVI, p. 272-292, où la question est traitée avec ampleur et précision. On a lait, d'ailleurs, justement remarquer que la France, en même temps qu'elle différait la publication du concile, en prenait et en appliquait l'esprit. A l'assemblée de 1615, les évêques décidèrent d'en publier les décrets dans leurs diocèses. — Les états catholiques de l'Allemagne, le Portugal, la Pologne, Venise et les principaux Etats de l'Italie reçurent sans restriction les décrets du concile.

[5] RANKE, t. II, p. 144.

[6] RANKE, t. II, p. 147.

[7] RANKE, t. II, p. 159.

[8] RANKE, t. II, p. 174.

[9] Edmond Auger (1530-1591), né à Alleman, près de Troyes, entra dans la Compagnie de Jésus, professa les humanités en Italie, prêcha en France et fut confesseur d'Henri III.

[10] Sur Maldonat, voir plus loin, chap. V.

[11] L'impression qui se dégage de ces règlements, dit un récent historien de l'Inquisition, est celle-ci : l'Eglise, oubliant ses traditions de tolérance originelle, empruntait à la législation civile des lois et des pratiques qui sentaient la barbarie des âges anciens. (VACANDARD, L'inquisition, 1re édition, p. 188). L'aveu d'un homme accusé d'un crime doit-être libre, avait écrit, au IXe siècle, le Pape saint Nicolas Ier. C'est une injustice de le soumettre à la question, qui ne produit qu'une confession forcée et qui souvent même porte un malheureux innocent à se déclarer coupable. Il n'y a ni loi divine ni loi humaine qui puisse justifier une telle pratique, quam rem nec divina lex, nec humana prorsus admittit (P. L., CIX, 1010. Cf. le tome III de cette Histoire : L'Eglise et le monde barbare). La dureté des mœurs barbares amena les législateurs du Moyen Age à recourir à des pénalités sévères et à des moyens de procédure parfois brutaux. Le criminaliste de ces temps-là, dit l'historien protestant Lea, s'efforça d'empêcher le retour des crimes en effrayant par d'épouvantables exemples des populations difficiles à émouvoir (Hist. de l'Inquisition, trad. Salomon REINACH, t. I, p. 234-235). Il serait d'ailleurs injuste de soutenir que les Papes ont prie l'initiative de ces mesure rigoureuses. La Papauté, dit M. Luchaire, fut la dernière à poursuivre l'hérésie ; les masses populaires, les royautés, les clergés locaux l'avaient devancée dans cette voie. Elle n'y entra qu'à leur suite et comme poussée par les violents. (A. LUCHAIRE, Innocent III et la croisade des Albigeois, p. 37).

[12] RANKE, t. I, p. 219.

[13] Mgr BAUDRILLART, L'Eglise catholique, la Renaissance, le protestantisme, p. 251 et s.

[14] Decret. Grat., cap. Sancta, dist. XV, cap. 3.

[15] Const. Inter multiplices, du 1er juin 1501, dans RAYNALDI, ann. 1501, n° 36.

[16] G. PÉRIÈS, L'Index, Paris, 1898, p. 24.

[17] G. PÉRIÈS, L'Index, p. 32. C'est, à mon jugement, écrivait Francisque Sarcey, un des lieux communs les plus niais de la déclamation libre-penseuse, que de crier contre la congrégation de l'Index et les condamnations qu'elle porte. Voilà des hommes qui ont un ensemble de croyances et qui sont chargés de les protéger. Ils disent à ceux qui partagent la même foi : Prenez garde ! les idées de ce livre sont dangereuses ; abstenez vous. Quoi de plus conforme au bon sens et tt la raison ? Le Gaulois du 25 octobre 1869, article reproduit dans la Revue prat. d'apol. du 1er décembre 1909. Sur l'Inquisition et, en général, sur les mesures prises par l'Eglise pour la répression des hérésies, voir l'ouvrage très documenté du. R. P. Vermeersch, la Tolérance, un vol. in-12, Louvain et Paris, 1912.