HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — LA RÉVOLUTION PROTESTANTE

CHAPITRE III. — LE PROTESTANTISME EN FRANCE.

 

 

I

Tandis que la révolution protestante aboutissait, au delà du Rhin et au delà de la Manche, à détacher de l'Église deux grandes nations, elle ne parvenait, en France, qu'à bouleverser violemment l'ordre social. Après de rudes secousses, notre pays devait retrouver au XVIIe siècle l'équilibre religieux, intellectuel et politique, qui lui donnera Bossuet, Corneille et Colbert. Qu'il faille attribuer ce résultat à la forte organisation de sa monarchie séculaire, à la cohésion de son épiscopat, à son tempérament ethnique, à une particulière protection de la Providence, ou à toutes ces causes à la fois, c'est un problème qui se pose et que le simple récit des événements contribuera peut-être à éclaircir.

 

II

Comment le protestantisme français, préparé dès les premières aunées du XVIe siècle dans un pacifique cénacle de lettrés, sous le patronage d'un évêque, Guillaume Briçonnet, et formulé dans l'œuvre d'un clerc de Noyon, Jean Calvin, parvint, malgré les répressions sévères de François Ier et d'Henri II, à gagner rapidement une partie du peuple, de la magistrature et de la noblesse ; comment, dans des luttes sanglantes, sous les règnes de François II, de Charles IX et d'Henri III, il disputa au catholicisme le gouvernement du royaume et la direction des esprits ; comment enfin il se constitua dans l'État français, à côté du catholicisme triomphant, sous la forme d'une véritable puissance politique et religieuse, par le bénéfice de l'Édit de Nantes ; c'est là l'histoire de cent ans de luttes, de polémiques, de guerres, d'intrigues, de complots, de scènes d'héroïsme et d'horreur, de gloires et de hontes. Nous croyons qu'il est possible de la raconter avec un cœur de catholique et de français, sans se départir de l'impartial, sincérité que demande le rôle d'historien.

 

Dans la société française du début du XVIe siècle, on distingue nettement cinq classes bien tranchées : le peuple, la bourgeoisie, la noblesse, le clergé et la cour.

La condition des gens du peuple est caractérisée par deux faits : un mouvement rapide vers la liberté civile et politique, et, à la suite du bouleversement apporté par les progrès de l'industrie et du commerce, une extension non moins rapide du paupérisme. De là, une inquiétude générale, un déséquilibre moral autant que social, des instincts de révolte prêts à se déchaîner au premier appel.

Le grand mouvement industriel, commercial et financier qui a marqué la fin du XVe siècle a déterminé dans la bourgeoisie une évolution non moins importante. Elle qui ne comptait pas au Moyen Age comme une classe distincte et ne formait qu'un trait d'union entre la noblesse et les classes populaires, elle est devenue tout à coup, par quelques-uns de ses membres, la classe dirigeante de l'Etat. Ces argentiers, comme on les appelle, tels qu'un Semblançay, dont on dit qu'il est quasi-roy, ou qu'un Briçonnet, qui négocie des alliances au nom de François Ier forment déjà de véritables dynasties, non moins puissantes que celles de la vieille noblesse d'épée, souvent plus fastueuses et plus insolentes.

La noblesse. L'aristocratie féodale est en pleine décadence. Ne voulant point, par principe et par crainte de déroger, s'adonner au commerce, désirant, d'autre part, conserver ses traditions de luxe et de vanité, elle s'épuise en misérables expédients, multiplie sur ses terres d'odieux procédés de fiscalité, recourt aux usuriers, qui confisquent ses biens, à moins qu'elle n'abdique son indépendance en se donnant au roi. Ainsi se forme, au sein de la noblesse, le contingent des bataillons les plus turbulents que nous verrons intervenir dans les luttes religieuses.

Le bas clergé, mêlé au peuple, n'a guère qu'une action religieuse ; les grandes rivalités des factions politiques le laisseront d'abord à peu près indifférent ; mais, plus tard, quand il s'apercevra que la question religieuse prime tout, il se lancera au milieu de la lutte avec courage, et, dans le mouvement populaire de la Ligue, il tiendra son rôle au premier rang.

Le haut clergé de France n'est pas, comme celui d'Allemagne, à la tête de véritables états ; mais il a son entrée dans les conseils du roi, il figure dans les cours souveraines, parlements et chambre des comptes. En 1491, le président de la cour des comptes est précisément un Briçonnet, archevêque de Reims, entré dans les ordres après son veuvage ; son fils Guillaume Briçonnet, évêque de Meaux, donnera la première impulsion au mouvement réformiste. Ce haut clergé, que le régime de la Pragmatique Sanction a orienté dans une politique hostile au Saint-Siège, qui, sous Louis XII, a nettement pris parti pour le roi contre le Pape Jules II, et que le, concordat de 1516 froisse en le dépouillant, au profit du Pape et du roi, de notables prérogatives, n'est pas non plus sans défiances et sans irritations, d'autant plus que la culture, parfois excessive, des lettres et des arts, détourne plusieurs prélats des maximes évangéliques[1].

Au-dessus de toute cette hiérarchie, se trouve le roi. Le pouvoir du roi s'est accru de la ruine des institutions féodales. De plus, en Louis XII, et surtout en son successeur, François Ier, le prestige personnel est immense.

François Ier est un des hommes les plus représentatifs de son époque. Le portrait que le Titien a donné de lui est, paraît-il, un chef-d'œuvre de fantaisie. On connaît mieux François Ier, tel qu'il fut, dans ces quelques lignes tracées par un ambassadeur vénitien au lendemain de l'entrée du roi à Paris, en 1515 : Après, le Roy armé sur son cheval bardé. Et ne se tenait point dessous le dais, mais faisait rage sur son cheval, qu'estait toujours en l'air. Et y avait tout plein de bons chevaux et de bons chevaucheurs, qui faisaient merveilles à se montrer devant les dames. Ce brillant gentilhomme, caracolant devant des dames, au milieu de ses seigneurs, c'est François Ier, c'est sa politique et c'est tout son règne. On l'a mal nommé le roi chevalier ; c'est le roi gentilhomme qu'il faut dire. François Ier a pour règle, non point l'honneur, conçu comme le jugement de la conscience chrétienne, à l'exemple d'un saint Louis, mais le point d'honneur, entendu comme le jugement des gens du monde.

François Ier n'est pas davantage le Mécène de génie dont le surnom de Père des Lettres évoque l'image. Dilettante plutôt qu'artiste ou lettré, il favorise les lettres et les arts comme une élégance de plus, qu'il veut ajouter à toutes ses élégances. Il aime plus les œuvres brillantes que les œuvres puissantes ; mais il les aime jusqu'à professer à leur égard une espèce de culte. Le roi François, dit Montaigne, accueillait chez lui les hommes doctes comme personnes sainctes. Il prodigue les faveurs à Erasme, à Clément Marot, à Léonard de Vinci, au Primatice, au Titien. Il fonde le Collège de France, fait construire une grande partie du palais du Louvre et crée l'Imprimerie nationale.

Politique ondoyant et divers, François Ier méritera qu'on lui applique à lui-même les deux vers qu'il a tracés sur les vitres du château de Chambord :

Souvent femme varie :

Bien fol est qui s'y fie.

François Ier sera toujours l'homme de quelqu'un, d'un groupe, d'une coterie, d'une influence mobile et changeante. Au lendemain de la bataille de Pavie, on fera courir ce distique :

Sire, si vous donnez pour tous à trois ou quatre,

Il faut donc que pour tous vous les fassiez combattre.

La composition de l'entourage d'un pareil roi sera d'une importance extrême. Trois femmes y exerceront sur lui une influence décisive. Jusqu'en 1531, c'est l'ascendant de sa mère,

Louise de Savoie, qui prévaut. Femme de tête, la mère du roi, tout entière aux questions d'intérêt, s'occupe bien plus de finances et de politique que de questions littéraires, artistiques et religieuses ; la portée du mouvement créé par l'école de Meaux lui échappera ; pourtant elle inclinera le roi bien plutôt du côté des premiers réformateurs que du côté de l'Église et des doctrines traditionnelles. Après la mort de Louise de Savoie, c'est Marguerite d'Angoulême, sœur du roi, qui semblera prendre toute la place dans ses affections. L'échange de sentiments du frère et de la sœur revêt, dans leur correspondance, une telle vivacité d'expressions que le savant éditeur des Lettres de Marguerite d'Angoulême n'a pas craint d'y voir l'indice de mœurs suspectes[2]. Intelligente, spirituelle, érudite autant qu'homme de France, sensible à toutes les manifestations de l'art et de la beauté, Marguerite a pour son frère une admiration passionnée. Rabelais a parlé de son esprit ravy et estatic[3]. Un critique littéraire a ainsi défini ses tendances : se donner par le sentiment et s'affranchir par l'entendement[4]. Plus encore que sa mère, Marguerite d'Angoulême appuiera de toutes ses forces le mouvement réformateur.

Depuis Agnès Sorel, on n'avait plus vu en France de favorite affichée auprès du roi. François Ier donna ce spectacle. Mme de Châteaubriand, de qui Marot fit l'épitaphe, et surtout Anne de Pisseleu, duchesse d'Etampes, exercèrent sur le roi une influence funeste. Quand on songe que celle-ci est parvenue à faire nommer son oncle, Antoine Sanguin, archevêque de Toulouse, un de ses frères évêque de Condom, un autre de ses frères abbé de Compiègne et sa propre sœur abbesse de Maubuisson, on peut conjecturer le mal fait par elle à l'Eglise et à la France. Tavannes écrit dans ses Mémoires : La bande de Mme d'Etampes gouverne.

Autour de ces femmes frivoles, gravite une noblesse de cour que Marguerite d'Angoulême n'a pas rougi de dépeindre dans son licencieux Heptaméron[5], ce livre d'une impudeur hardie, dit un critique, mixture de dévotion, de gaillardise et de morale... où le siècle se retrouvait[6]. Jamais, dit le biographe de Bayard, n'avait été vu roi de France de qui la noblesse s'éjouit tant[7]. Si d'un tel milieu partent parfois des mesures répressives contre les réformateurs, l'Eglise devra-t-elle s'en réjouir ? n'en sera-t-elle pas, au contraire, compromise ?

ment. Deux corps, autrement graves par leur caractère et par leur constitution, protesteront avec plus d'autorité contre les novateurs au nom des traditions nationales ; ce sont la Sorbonne et le Parlement. Mais si les hommes de la Sorbonne et du Parlement se prononcent d'abord très nettement contre les doctrines protestantes, ils auront bientôt peur de trop favoriser l'autorité du Pape ; on les verra alors, par hostilité contre Rome, appuyer les disciples de Calvin, et refuser d'accepter les décrets disciplinaires du Concile de Trente.

 

III

Vers 1516, au moment où Luther élaborait à Wittemberg sa doctrine de la justification, fondement de tout son système théologique, à la veille de la grande querelle des indulgences, on remarquait à Paris, dans le mouvement d'érudition et de littérature qui agitait les esprits, un vénérable érudit, de toute petite taille[8], toujours entouré, toujours consulté par un groupe de jeunes gens, avides de se former à l'étude des langues anciennes, à la lecture des vieux manuscrits et à la critique des sources. Ce vieillard souriant et bon[9] s'appelait Lefèvre ; on le nommait communément Lefèvre d'Etaples, Faber Stapulensis, du nom de son pays natal, Etaples, en Picardie. Il était né en 1155, était venu de bonne heure à Paris, y avait étudié avec passion la philologie, les belles-lettres, les mathématiques et la philosophie l'Aristote, puis, lassé des études profanes, s'était tourné avec amour vers la culture et la méditation des Lettres Sacrées[10].

Pendant longtemps, écrit-il dans son Commentaire sur les Epitres de saint Paul, publié en 1512, je me suis attaché aux études humaines ; mais déjà, dans le lointain, une lumière si brillante a frappé mes regards, que les doctrines humaines m'ont semblé des ténèbres en comparaison des études divines, tandis que celles-ci m'ont paru exhaler un parfum dont rien sur la terre n'égale la douceur. Seulement, ces études divines, Lefèvre ne les poursuivait pas à la manière traditionnelle des docteurs de Sorbonne : il leur appliquait les méthodes récemment mises en honneur par les savants de la Renaissance, se reportant d'une manière presque exclusive aux sources scripturaires. Un rajeunissement de méthode pouvait alors avoir son utilité, sa nécessité même ; mais, en séparant artificiellement l'Écriture de la Tradition vivante, dont elle n'a été que l'expression partielle, bien loin d'en être l'unique source, ce rajeunissement présentait de grands dangers. L'avenir devait le montrer[11].

L'aménité souriante du bon Lefèvre, autant que sa science, groupa autour de lui une élite d'esprits curieux et chercheurs. A côté des plus anciens, tels que l'hébraïsant Vatable, l'orientaliste Postel et l'omniscient Budé, se rangeaient bien des jeunes, dont plusieurs devaient, à divers titres, conquérir la célébrité, Gérard Roussel, Guillaume Farel, Josse Clichtove.

Le patronage d'un évêque et la faveur d'une princesse du sang donnèrent bientôt au mouvement dont Lefèvre d'Étaples était l'initiateur, une importance considérable. Parmi les plus fidèles disciples de Lefèvre, se trouvait l'abbé de Saint-Germain des Prés, Guillaume Briçonnet, âme ardente, mystique, d'un enthousiasme un peu naïf, prêt à toutes les initiatives hardies. Il était issu de cette célèbre famille des Briçonnet, que nous avons vue tenir un si haut rang dans la nouvelle aristocratie financière et parlementaire. Un édit du roi le nomma, en 1516, évêque de Meaux. Guillaume rêvait depuis longtemps de travailler à la réforme de l'Église. Un de ses premiers soins fut de remercier les Cordeliers des services qu'ils rendaient au diocèse dans le ministère de la prédication et de les remplacer par de jeunes ecclésiastiques, pris à Paris dans l'entourage de Lefèvre. Ces nouveaux missionnaires lisaient l'Evangile en français, parlaient peu de rites et de cérémonies extérieures et s'appelaient eux-mêmes les évangélistes. La présence de Lefèvre, que l'évêque de Meaux ne tarda pas à attirer auprès de lui, qu'il nomma administrateur de la Léproserie en 1521 et vicaire général en 1523, donna sa cohésion au nouveau groupe. Dans ce cénacle de Meaux, comme on l'appela, des idées de sage réforme se mêlaient, d'une manière presque indiscernable, à bien des témérités et à plus d'une utopie. C'est de là que sortirent, en 1523, Le Nouveau Testament français et Les Epitres et Evangiles des 52 dimanches, de Lefèvre d'Etaples, que commentaient avec ardeur les jeunes prédicateurs : Gérard Roussel, le futur confesseur de Marguerite d'Angoulême, Michel d'Arande, qui devait être évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux, le bouillant Farel, destiné à préparer les voies à Calvin dans la ville de Genève, et Pavanas, qui mourra, hérétique impénitent, sur un bûcher.

La sœur du roi, Marguerite d'Angoulême, qui, en ce moment même, à la lecture des œuvres de Nicolas de Cuse, venait de s'éprendre d'un ardent désir de rénovation philosophique et religieuse, ne pouvait que suivre avec sympathie le mouvement de l'école de Meaux. Elle ne, tarda pas à entrer en relations suivies avec Briçonnet. Elle s'adressa à lui et à ses coopérateurs ainsy, disait-elle, que la brebis, en païs estrange errant, liève naturellement la teste, pour prendre l'air qui vient du lieu où le grand berger, par ses bons ministres, lui donne doulce nourriture. Ni Marguerite d'ailleurs, ni Briçonnet, ni Lefèvre, n'avaient alors le moindre désir, en combattant les abus, de favoriser l'hérésie. L'évêque et le savant s'associaient au vœu de la princesse lorsque celle-ci, dans un de ses poèmes, souhaitait

Que la foi confirmée

Soit, et aussi l'Eglise réformée,

Et d'une part ouatées les hérésies,

Et d'aultre aussy les vaines fantaisies,

Et que la foi nous fasse en toute guise

En triumphant triumpher son Eglise[12].

Les événements qui se passèrent en 1525, sous la régence de Louise de Savoie, pendant la captivité de François Ier, devaient dissocier les éléments qui composaient le cénacle de Meaux : pousser les uns vers la révolte protestante, ramener les autres aux doctrines traditionnelles de l'Eglise romaine.

Dès 1520, la condamnation solennelle de Luther par le Pape avait ouvert les yeux des plus sages sur les dangers d'une réforme de l'Eglise par des efforts individuels, à l'encontre de la hiérarchie divinement instituée. Un des premiers disciples de Lefèvre, Clichtove, s'était subitement retourné contre Luther, et par son traité du Culte des Saints, publié en 1523, par son Anti-Luther, édité l'année suivante, avait publiquement rétracté ses anciennes opinions[13]. Luther avait beau louer, en 1521, le pilier d'érudition et d'intégrité[14] qu'était Lefèvre d'Etaples, et celui-ci compter Luther au nombre de ceux qu'il chérissait dans le Christ ; ces formules de politesse ne chassaient pas l'équivoque qui se cachait sous le même mot de réforme, employé par l'hérésiarque allemand et par le chef de l'école de Meaux.

Cependant les écrits latins de Luther commençaient à pénétrer en France. La Sorbonne s'alarma. En 1520, elle avait créé une nouvelle charge, celle du syndic, sorte de procureur spécialement chargé de poursuivre les erreurs religieuses. Cette charge fut confiée à un homme dont l'absolue sincérité, le parfait désintéressement et l'indomptable indépendance ne supportent pas, semble-t-il, l'ombre d'un doute. Il s'appelait Noël Bédier ou Beda[15]. Il avait déjà lutté contre Erasme, son ancien ami ; il devait lutter toute sa vie, s'attaquer tour à tour aux novateurs littéraires et aux novateurs religieux, au roi d'Angleterre et au roi de France. Invinciblement attaché à la tradition, avec laquelle il avait le tort de confondre, sans discernement, des opinions communes, sujettes à examen et à rectification, il avait, en 1519, violemment attaqué Lefèvre d'Etaples à propos d'une dissertation publiée par celui-ci en 1512 sur les Trois Madeleine. Lefèvre soutenait que, sous un seul nom employé par les évangélistes, il fallait voir trois femmes distinctes[16] ; Beda lui avait répondu pal une Déclaration scolastique de l'avis et des rites de l'Église sur la Madeleine unique. Un des premiers soins du nouveau syndic fut d'obtenir de la Faculté de Théologie la condamnation du livre des Trois Madeleine. La suspicion se trouvait dès lors fixée sur le chef du cénacle de Meaux et sur ses disciples.

Les troubles qui accompagnèrent la régence de Louise de Savoie, en 1525, montrèrent que ces soupçons n'étaient pas sans quelques fondements. Une bulle du Pape Clément VII, promulguée en mai, à la demande de la régente, ayant attribué à trois membres du parlement et à un des curés de Paris la charge de rechercher les sectateurs d'hérésie, les évangélistes de Meaux ne cachèrent pas leur irritation. Les événements montrèrent alors combien il est périlleux de semer l'esprit d'indiscipline dans le peuple. Si ce régime de terreur doit durer, avait écrit, le 27 septembre, Gérard Roussel, personne n'osera plus en sûreté annoncer le royaume du Christ. Les paroles des théoriciens de Meaux furent recueillies par des hommes d'action. Des fidèles lacérèrent à Meaux la bulle du Pape ; et un cardeur de laine, Jean Leclerc, afficha un placard où le Souverain Pontife était traité d'Antéchrist. Battu de verges et marqué au front d'un fer rouge, Leclerc se réfugia à Metz, ville d'empire, où il brisa une statue de la Sainte Vierge ; il fut, pour ce fait, condamné au feu. Jean Leclerc est resté un des martyrs les plus populaires parmi les protestants[17]. Pour des faits de même nature, Pavanas, membre du cénacle de Meaux, fut brûlé à Paris en place de grève, l'année suivante, en août 1526. Il est non moins célèbre que Leclerc dans les annales du protestantisme. C'est le premier protestant supplicié en France.

Il était temps, pour les chefs du mouvement réformiste, de sortir de l'équivoque, de se prononcer pour ou contre l'Eglise. Vatable, Michel d'Arande et Briçonnet n'hésitèrent pas. L'évêque de Meaux excommunia les auteurs des lacérations de la bulle pontificale et publia contre les erreurs luthériennes deux mandements énergiques[18]. Après avoir nettement condamné les livres de Martin Luther, qui a porté la hache à la racine de l'Eglise, il interdisait à tout fidèle d'acheter, lire, posséder, colporter, approuver... les livres du dit Martin et défendait à son clergé de permettre la prédication à des luthériens et à tous autres faisant profession de leurs doctrines. Pavanas et Farel s'étaient séparés violemment de l'Eglise ; Roussel se réfugia à Strasbourg, d'où il se rendit auprès de la princesse Marguerite. Quant à Lefèvre, il accompagna Roussel à Strasbourg, mais on ne voit pas qu'il ait fait jamais aucun acte d'insoumission. Les catholiques n'ont pas le droit d'exalter comme un héros cet homme honnête et maladroit ; mais les protestants auraient tort de le revendiquer comme un précurseur de leurs doctrines[19].

 

IV

La nécessité de prendre un parti à l'égard de l'hérésie s'imposait désormais à la cour. Or, deux influences y régnaient, celle du parlement et de la Sorbonne, décidés à sévir contre les novateurs, et celle des humanistes, portés à l'indulgence. A la tête du premier parti était toujours Noël Beda, dont les événements semblaient justifier la politique, et qui réclamait une énergique répression. La sœur du roi, Marguerite d'Angoulême, se faisait au contraire, auprès de son frère et dans l'opinion publique, l'interprète des sentiments de bienveillance qui se produisaient dans le monde des lettrés en faveur des réformistes. Elle écrivit à. François ter, pendant sa captivité, plusieurs lettres conçues en ce sens. Marguerite devait plus tard, devenue reine de Navarre en 1527 par son mariage avec Henri d'Albret, accentuer ses faveurs aux membres dispersés du cénacle de Meaux, recevoir à son château de Nérac Lefèvre, Roussel, Marot, Calvin lui-même, et, mêlant le mysticisme à la frivolité, essayer d'imposer à sa cour une liturgie nouvelle, plus inspirée des idées de Calvin que de la tradition catholique.

Entre ces deux influences, le roi flottait, indécis. Il conservera cette attitude pendant tout le temps de son règne, où l'on verra les persécutions les plus violentes alterner avec les faveurs les plus inattendues à l'égard des réformateurs.

En 1527, Beda découvre qu'un gentilhomme de l'Artois, Louis de Berquin, a traduit plusieurs ouvrages des réformateurs allemands et les répand dans le public ; il engage aussitôt des poursuites contre lui. Mais Berquin a des relations amicales avec Erasme, les lettrés et la cour ; Marguerite d'Angoulême intervient, et le roi fait relâcher le gentilhomme. L'année suivante, le lundi de la Pentecôte 1528, au matin, on trouve dans la paroisse Saint-Germain, devant la porte de l'église du petit Saint-Antoine, une statue de la Vierge mutilée par les hérétiques. Le parlement et le roi s'émeuvent. François Ier promet mille écus à qui dénoncera les coupables et remplace la statue brisée par une statue en argent, qu'il vient apporter lui-même au milieu d'une procession imposante. Les poursuites recommencent. Louis de Berquin, surpris en récidive, est de nouveau arrêté, condamné et exécuté séance tenante par les ordres du Parlement, qui profite, pour ce faire, de l'absence du roi, alors à Blois, de peur qu'une influence de la cour ne sauve le coupable[20].

La cour, en effet, s'est laissée de plus en plus gagner par les idées nouvelles ; elle entend user de cette liberté chrétienne, qui secoue les superstitions et les superfétations. Le chant doux et chatouilleux des psaumes rimés de Clément Marot plaît aux élégants seigneurs et aux belles dames. Tandis que le parlement, inexorable gardien de l'ordre public et des traditions nationales, poursuit sans trêve l'hérésie, la cour chante le cantique de Marguerite :

Resveille toy, Seigneur Dieu,

En château, bourgade et ville,

Fais ton effort

Sans que l'on en cèle riens.

De venger en chacun lieu

Donne donc à tes servans

Des tiens la mort,

Cueur ferme et fort ;

Tu veux que ton Evangile

Et que d'amour tous fervens

Soit preschée par les tiens

Ayment la mort !

Encouragés par ces hautes protections, les protestants multiplient leurs attentats. En 1530, des statues de Notre-Dame, de l'Enfant-Jésus, de saint Roch, de saint Fiacre, placées au coin des maisons, sont brisées. Le Parlement provoque des arrestations nouvelles ; le roi organise de nouvelles processions expiatoires. A l'automne de 1533, des événements politiques amènent le roi à se prononcer nettement contre les protestants. Au cours des négociations qui ont en vue le mariage de son fils, le duc d'Orléans, avec la nièce de Clément VII, Catherine de Médicis, François Ier promet au Pape, dans l'entrevue de Marseille (octobre 1533), de poursuivre énergiquement l'hérésie. Mais à peine a-t-il quitté Marseille, qu'un revirement s'est produit dans son esprit. A Avignon, en novembre 1533, il conçoit le projet d'une alliance avec les protestants d'Allemagne. Parvenu à Lyon, il apprend qu'un livre de sa chère sœur Marguerite, le Miroir de l'âme pécheresse, celui-là même qui contient les célèbres strophes sur la tolérance, vient d'être condamné par la Sorbonne et que, dans une farce effrontée, les étudiants du collège de Navarre ont joué sur les tréteaux la princesse d'Angoulême. Le roi ne peut contenir son irritation. De Lyon, il écrit pour faire exiler le syndic Beda à trente lieues de Paris et met aux arrêts le grand maitre du collège de Navarre.

L'audace des protestants augmente alors. Un curé de Condé-sur-Sarthe, Etienne Lecourt, dit : Si les os de saint Pierre étaient dans mon église, je les ferais mettre en terre, et si mes paroissiens allaient les vénérer, je les mettrais dans un sac et je les jetterais à la rivière. De telles paroles soulèvent l'indignation des catholiques. L'intervention de Marguerite est cette fois impuissante à sauver Lecourt, qui est brûlé vif à Rouen en décembre 1533[21]. A l'influence de la duchesse d'Angoulême se sont ajoutées celle de la duchesse d'Etampes, favorable aux novateurs, et celle d'un personnage plus digne d'être écouté, Pierre Duchâtel, aumônier du roi, homme d'une orthodoxie indiscutable, mais ennemi des mesures sanglantes. Ces influences sont combattues par l'ascendant grandissant du cardinal de Tournon, principal ministre du roi. Cet habile homme d'Etat, en se plaçant surtout au point de vue de l'ordre public et de la paix nation4fe, qu'il croit troublés par la secte protestante, pousse le souverain vers une politique de répression sévère. On arrête, on emprisonne, on brûle. Des bûchers s'allument aux Halles, au bout du pont Saint-Michel, à la place Maubert, au cimetière Saint-Jean. Chose étrange, pendant ce temps, le roi négocie avec le landgrave de Hesse, chef politique des protestants d'Allemagne, envoie Guillaume de Bellay en mission auprès des princes luthériens et des ligueurs suisses, et se met personnellement en correspondance avec Mélanchton[22]. La politique d'ordre public et de défense nationale, qui demandait qu'on persécutât le protestantisme en France, exigeait, parait-il, qu'on le favorisât à l'étranger. Une accalmie se produisit pourtant à la fin de l'année 1535, à la suite de l'édit du 28 juillet, qui portait amnistie pour tous les gens détenus, contumaces ou suspects de luthéranisme, pourvu qu'ils vécussent désormais en bons catholiques et abjurassent leurs erreurs en dedans de six mois. Cette mesure était-elle inspirée par le besoin de ménager les luthériens d'Allemagne, par l'influence de la cour ou par une lettre du Pape Paul III, rappelant au roi que Dieu le créateur a plus usé de miséricorde que de rigoureuse justice et que c'est une cruelle mort que de faire brûler vif un homme ?[23] Il est difficile de le savoir. Le mot luthérien, inséré dans l'édit, semblerait plutôt viser les susceptibilités des protestants d'Allemagne, qui détestaient alors les calvinistes, le roi de France restant d'ailleurs libre de poursuivre ceux-ci, qui formaient la presque totalité des protestants français[24].

Le plus tragique épisode de cette répression fut le massacre des Vaudois de Provence.

Sur les deux versants des Alpes, quelques tribus de pâtres et de laboureurs, derniers débris de l'hérésie de Pierre Valdo, vivaient isolés, à peu près oubliés des pouvoirs publics, farouchement attachés à leurs vieilles traditions. Œcolampade et Bucer avaient en vain cherché à les gagner à leur cause. Un dogme du protestantisme repoussait invinciblement ces libres montagnards, c'était la négation du libre arbitre. Un ancien membre du Cénacle de Meaux, Guillaume Farel, fut plus heureux. En 1532, dans la vallée d'Angrogne, au pied du mont Genèvre, sur les confins de la France et de l'Italie, l'éloquence de Farel, à la suite de longues conférences finit par gagner au protestantisme les communautés vaudoises.

Au milieu des guerres et des rivalités multiples qui menaçaient la situation extérieure de la France, la constitution d'une sorte d'état protestant sur la frontière n'était certainement pas sans danger. Cette considération pouvait légitimer un régime de surveillance rigoureuse des communautés vaudoises ; mêlée à des motifs d'un autre ordre, elle allait donner lieu aux plus terribles scènes de carnage.

Une enquête ordonnée par le Parlement d'Aix ayant relevé, à la charge de plusieurs bourgs de la Provence et principalement des deux bourgs de Mérindol et de Cabrières, des faits avérés de pillage et de meurtre, des indices de complot et l'existence patente de l'hérésie, le premier président Chassanée résolut de terrifier ces populations par un arrêt formidable. Il fit ordonner par le parlement que les bourgs de Mérindol et de Cabrières seraient livrés aux flammes ; les arbres seraient coupés dans toute l'étendue du territoire et les terres vendues sans que jamais les habitants et leurs descendants pussent jamais les acquérir, les affermer ou les cultiver à quelque titre que ce fût.

Cette terrible décision, dont ni le parlement ni le roi ne songèrent à hâter l'exécution, serait sans doute restée perpétuellement à titre de menace, si des passions et des rivalités locales n'étaient survenues. Cinq ans s'étaient écoulés. L'évêque de Carpentras, de qui dépendait Cabrières, était le docte et le pieux Sadolet qui, en 1539, prié par le vice-légat de sévir contre les hérétiques[25], avait répondu : J'userai de ces pouvoirs s'il est nécessaire ; mais je tâcherai qu'il ne le soit pas... Ce n'est point par la terreur des supplices, mais par la force de la vérité et par la mansuétude chrétienne que je veux tirer de leurs cœurs l'abjuration de leurs doctrines erronées[26]. Mais en 1545, Sadolet se trouvant à Rome, le premier président Chassanée eut pour successeur Jean Maynier, baron d'Oppède. Celui-ci, homme violent et haineux, humilié de ce qu'une dame de Cental, suzeraine des Vaudois, avait refusé sa main, paraît avoir voulu venger cette injure personnelle en ruinant les villages qui dépendaient de la maison de Cental. Secondé dans ses projets de vengeance par l'avocat général Guérin, le terrible magistrat prend prétexte d'une connivence des Vaudois avec l'étranger, connivence dont il ne peut cependant fournir la preuve décisive, et il décide le cardinal de Tournon à rendre exécutoire l'arrêt de 1540 ; en même temps il retient à son service des bandes de pillards, recrutées par un officier de fortune, le baron Paulin de la Garde, et, se mettant lui-même à la tête de ces troupes, il les dirige vers les pays hérétiques. Cabrières, Mérindol, vingt-deux villages sont mis à feu et à sang, trois mille personnes sont égorgées[27]. L'opinion publique se souleva contre une pareille boucherie, et l'on dit que François Ier, mourant deux ans plus tard, assisté de son confesseur Pierre Duchâtel, recommanda à son fils Henri II de rechercher les injustices commises dans l'exécution de Cabrières et de Mérindol. En tout cas, l'opinion réclamait une réparation nécessaire. Elle lui fut accordée partiellement en 1552. Le baron d'Oppède et le baron de la Garde, grâce à la protection des Guise, échappèrent au supplice ; mais l'avocat général Guérin eut la tête tranchée[28].

De telles exécutions, au lieu de réfréner l'ardeur des hérétiques, ne faisaient que les exciter. Quand les hommes ont commencé à se laisser gagner par l'appât de la nouveauté, dit Bossuet[29], les supplices les excitent plus qu'ils ne les arrêtent.

Un historien catholique de ce temps, Florimond de Rémond, nous a dépeint les spectacles donnés par les nouvelles persécutions. On y voyait, dit-il, de simples femmelettes chercher les tourments pour faire preuve de leur foy, et, allant à la mort, ne crier que le Christ Sauveur, et chanter quelque psaume, les hommes s'éjouir voyant les terribles et effroyables apprêts et outils de mort... Ces terribles et constants spectacles, ajoute-t-il, excitoient quelque trouble, non seulement en l'âme des simples, mais des plus grands... Autres en avoient compassion ; contemplant dans les places publiques ces noires carcasses... ils ne pouvoient retenir leurs larmes ; les cœurs mêmes pleuroient avec les yeux[30].

Heureusement la Providence suscitait, en ce moment même, d'autres remèdes aux maux dont souffrait la chrétienté. A l'heure où le parlement de Paris inaugurait une politique de répression sanglante, un chevalier espagnol, Ignace de Loyola, et six de ses amis s'étaient agenouillés dans l'église de Montmartre pour consacrer leur vie au service de l'Église dans la pauvreté, l'obéissance et la chasteté ; et, pendant l'été de 1545, tandis que les ruines de Cabrières et de Mérindol fumaient encore, les plus vénérables prélats de l'Église se rendaient au concile de Trente pour y délibérer sur la réforme de l'Église et l'affirmation du dogme catholique.

 

V

Le protestantisme français était d'autant plus confiant en lui-même, qu'il avait enfin un corps de doctrine. En 1535, un livre avait paru, dédié au roi très chrétien François Ier et se donnant comme la confession de foi et comme une doctrine que tous les États, d'un commun accord, conspiraient à condamner. L'ouvrage était intitulé Institution chrétienne ; il venait de la Suisse, où son auteur, français d'origine, s'était réfugié ; il était signé Jean Calvin.

Jean Calvin, dont l'œuvre et la personne allaient désormais jouer un rôle prépondérant et décisif dans les destinées du protestantisme français, était né à Noyon, en Picardie, le 10 juillet 1509. Pas plus pour Jean Calvin que pour Luther ou Henri VIII, l'histoire ne peut faire le départ précis de ce qui revient à l'hérésiarque et de ce qui est imputable aux influences de l'atavisme et du milieu, dans les responsabilités de tant de maux déchaînés par l'hérésie ; elle ne peut qu'enregistrer les faits, émettre des conjectures et laisser à Dieu le jugement suprême.

Nulle ville, a dit un historien compatriote de Calvin, n'a été plus pleinement picarde que Noyon ; aucune n'a mieux réalisé qu'elle ce mélange d'esprit frondeur et de dogmatisme obstiné qui est la caractéristique du pays[31]. Parmi le monde de procureurs et d'hommes d'affaires qui formait une bonne partie de la bourgeoisie noyonnaise, se distinguait, par son esprit processif, par ses querelles constantes avec le clergé, et peut-être par quelques actes équivoques, Gérard Cauvin, procureur fiscal, scribe en cour d'Église et promoteur du Chapitre[32]. L'Église a rarement eu à se féliciter de ce monde de gens de loi, vivant d'elle, à côté d'elle, sans avoir son esprit. Ce qu'on sait de plus clair du légiste Cauvin, c'est qu'excommunié en 1531 il fut enseveli sans sépulture religieuse. L'aîné de ses fils, Charles, qui prit la succession de ses affaires difficiles, mourut dans les mêmes conditions, trois ans plus tard. De tels événements de famille ne durent pas être sans influence sur le caractère du second fils, Jean, qui devait changer son nom patronymique en celui de Calvin[33]. Le rusé picard, avant de mourir dans une situation des plus obérées, avait pris soin d'assurer l'avenir temporel de cet enfant, en lui obtenant la protection de la noble famille des Hangest et plusieurs bénéfices ecclésiastiques[34]. Depuis 1523 l'enfant, alors âgé de quatorze ans, avait quitté Noyon[35], pour entreprendre à Paris des études plus avancées, qu'il devait les poursuivre à Orléans et à Bourges. Il avait, dit un contemporain, Florimond de Rémont, un esprit actif, une grande mémoire, une grande dextérité et promptitude à recueillir les leçons, ainsi qu'une merveilleuse facilité et beauté de langage. A ce jeune étudiant, si bien doué des dons de l'esprit, les excellents maîtres ne manquèrent pas. Il se forma aux belles-lettres dans le collège de Montaigu, que dirigeait Beda, étudia le droit sous la direction de Pierre de l'Estoile et du fameux André Alciat, suivit, pour le grec, les leçons de Melchior Wolmar et de Danès, fut initié à la connaissance de l'hébreu par Vatable et s'intéressa aux travaux de Budé.

Or, la plupart de ces hommes étaient mêlés aux controverses religieuses de l'époque. Vatable venait du cénacle de Meaux, Melchior Wolmar passait pour professer les idées de Luther sur la grâce, et l'on cannait les terribles campagnes menées par Beda coutre les esprits réformateurs. Bientôt la préoccupation des questions religieuses prima chez Calvin toute autre préoccupation. Je fus mis, dit-il, à apprendre les lois, auxquelles combien que je m'efforçasse de m'employer fidèlement, Dieu toutes fois, par sa providence secrète, me fist finalement tourner bride d'un autre costé... Ayant donc receu quelque goust et cognoissance de la vraye piété, je fus incontinent enflammé d'un si grand désir de proufiter, qu'encore que je ne quittasse pas du tout les autres estudes, je m'y employai toutes fois plus laschement.

Mais quelle fut cette vraye piété qui enflamma incontinent le cœur, ou plutôt l'esprit du jeune étudiant ? Les témoignages contemporains nous apprennent qu'il était, dès son enfance, sérieux, appliqué, mais sombre, taciturne, inquiet, dur pour les autres comme pour lui-même, si prompt à soupçonner et à accuser, que ses camarades l'avaient surnommé l'accusatif[36]. La vraye piété qui s'empara de Calvin, ce ne pouvait être cette piété vivante et populaire des âmes aimantes, qui, parlant au cœur, à l'imagination, aux sens eux-mêmes, leur rappelle le Dieu Enfant, la Vierge Mère, la présence permanente du Sauveur au milieu de nous dans l'Eucharistie, la vertu rédemptrice du sacrifice de la messe, les saints auréolés de gloire et penchés vers nous, les reliques et les lieux de pèlerinage gardant l'empreinte de la sainteté. Pour le fils aigri du légiste excommunié de Noyon, trop exclusivement adonné à la critique littérale du nouveau Collège de France et trop impressionné par le cri de révolte de Luther, la vraye piété fut, comme on l'a dit excellemment, une religion raisonnable, raisonnée, rationnelle, si l'on aime mieux ; une religion consistant essentiellement, presque uniquement, dans l'adhésion de l'intelligence à des vérités presque démontrées ; et une religion qui se prouve, non point par les consolations qu'elle apporte aux âmes en détresse, ou par les convenances qu'elle présente avec les besoins de la nature humaine, ou par la personne du Dieu qui nous l'a révélée, ou par quoi que ce soit enfin qui touche ou qui émeuve, qui console et qui relève, mais par la littéralité de son rapport avec un texte, ce qui est une question de pure philologie, et par la solidité de son édifice logique, ce qui n'est qu'une affaire de raisonnement pur[37].

 

VI

La première manifestation des idées de Calvin fut habile, prudente, froidement préparée et calculée. Rien ne ressembla moins à l'éclat fait à Wittemberg, dix-sept ans auparavant, par l'affichage des thèses publiques de Luther sur les indulgences.

Le 1er novembre 1533,1e nouveau recteur de l'université de Paris, Nicolas Cop, fils de Guillaume Cop, médecin du roi, prononça, à propos de la fête de Tous les Saints, un discours sur la Philosophie chrétienne, qui frappa vivement l'attention. L'orateur y insistait principalement sur deux idées, d'une inspiration manifestement luthérienne : celle de la justification par la foi seule et celle d'une opposition qui existerait entre l'Evangile et ce que le prédicateur appelait la Loi, c'est-à-dire l'Eglise[38]. On apprit bientôt que le discours était l'œuvre d'un jeune clerc tonsuré, de 21 ans, Jean Cauvin, de Noyon, connu des lettrés par un commentaire récemment publié du traité De Clementia de Sénèque. Il fréquentait beaucoup, disait-on, chez un de ses compatriotes, riche marchand de vins de la rue Saint-Martin, Etienne de la Forge, où il rencontrait tout un groupe d'esprits réformateurs endoctrinés par Gérard Roussel.

Le discours avait été savamment composé d'extraits de divers auteurs ; des passages atténués de Luther s'y trouvaient habilement combinés avec les morceaux les plus hardis d'Erasme[39]. On connaissait les bonnes relations de Nicolas Cop avec la cour ; Marguerite de Navarre n'avait pas été étrangère, prétendait-on, à sa nomination ; le groupe de la rue Saint-Martin ne serait-il pas lui-même à l'abri des poursuites, grâce à l'influence de Gérard Roussel, confesseur de la princesse ?

Ces calculs furent déjoués. Les Cordeliers déférèrent au parlement le discours de Cop. Celui-ci, en sa qualité de recteur, réclama le privilège d'être jugé en première instance par l'université. Mais, voyant que les avis étaient partagés sur cette question de procédure, il quitta la France et se retira à Bâle, son pays d'origine. Des poursuites furent ordonnées contre Philippe de la Forge, qui monta sur le bûcher le 16 février 1535. Quant à Calvin, il était déjà hors de France. Un mandat d'amener ayant été lancé contre lui au collège de Fortet[40], où il était logé, il s'échappa, dit-on, par une fenêtre, et, déguisé en vigneron, s'enfuit en Saintonge[41], puis, de là, se rendit à Nérac, auprès de la reine de Navarre, autour de laquelle essayaient de se reconstituer les débris du cénacle de Meaux. Les tragiques événements de l'année 1534 le décidèrent à passer à l'étranger. Il se rendit d'abord à Strasbourg, puis, vers la fin de l'année, à Bâle, où il songea à profiter de sa vie cachée et solitaire pour recueillir les idées de réforme qui le préoccupaient depuis longtemps. Les Bâlois durent Calvin k souvent se demander quel était ce jeune homme pâle, sombre, qui, venu au milieu d'eux sous le nom de Martianus Lucanius, semblait toujours plongé dans des méditations profondes. C'était Jean Calvin préparant l'Institution chrétienne.

Le livre parut en 1536, en latin[42]. Il fut bientôt traduit par l'auteur en français, puis plusieurs fois remanié, refondu, amplifié. Ce fut un événement. Tandis que Luther multipliait les pamphlets, les lettres, les écrits de circonstance, Calvin condensait en une œuvre unique, fortement conçue, toute sa doctrine. Le style sobre, ferme, précis et clair de l'ouvrage, qui en faisait un modèle du genre, ne fut pas sans influence sur son succès. Calvin, dit Bossuet, a écrit aussi bien qu'homme de son siècle. L'esprit dans lequel le livre était conçu répondait aux aspirations d'indépendance des hommes de ce temps. Une horreur instinctive de toute Église organisée et de tout dogme traditionnel, la négation de tout autre intermédiaire entre Dieu et l'homme que la Bible, la réduction de tous les sacrements à deux, le baptême et la cène, dont on réduisait singulièrement l'efficacité, la condamnation des images pieuses, de l'eau bénite, de tout autel élevé dans les temples, de toute autorité chargée d'enseigner le dogme et d'administrer les sacrements : telle fut la partie négative de l'œuvre de Calvin, plus radicale en ce sens que l'œuvre de Luther, qui professait du moins, quoique à sa façon, la croyance à la présence réelle et à l'efficacité du rite baptismal. La partie positive de l'institution chrétienne prenait aussi pour point de départ l'œuvre du réformateur allemand. Luther avait parlé de la corruption foncière du cœur de l'homme ; Calvin proclame aussi que la volonté de l'homme est tellement du tout corrompue et viciée, qu'elle ne peut engendrer que mal ; mais il insiste surtout sur ce point, que cette corruption et la damnation qui peut s'ensuivre sont l'œuvre d'une prédestination absolue de Dieu et qu'ainsi tout ce qu'aucuns ont babillé, de nous préparer au bien, (doit être) mis bas[43]. Luther avait enseigné la justification par la foi, indépendamment des bonnes œuvres, en vertu de la seule imputation des mérites du Christ ; Calvin admet pleinement que notre justice devant Dieu est une acception... et que icelle consiste en ce que la justice de Jésus-Christ nous est imputée[44] ; mais cette imputation, il la voit dans un décret éternel, irréformable, qui rend la grâce inamissible, de telle sorte que quiconque a eu la grâce en un instant donné l'a pour toujours et que quiconque est prédestiné à la damnation n'a rien à faire pour se sauver[45]. Luther enfin prônait la gratuité des dons divins, indépendants de tout mérite de l'homme ; Calvin complète le dogme de la gratuité ainsi entendue par celui du bon plaisir absolu de Dieu, indépendant de toute justice, car la justice elle-même est l'œuvre de la volonté de Dieu. Et ce dogme effrayant de la prédestination absolue de notre vie et de notre destinée par Dieu domine tellement la doctrine de Calvin, qu'on peut dire que si le dogme luthérien a demandé à l'homme le sacrifice de son libre arbitre et de sa raison, le dogme calviniste lui demande le sacrifice de sa conscience[46].

 

VII

Comment un esprit aussi pratique et positif que Jean Calvin avait-il pu s'arrêter à une si désespérante doctrine ? C'est que le dogme de la prédestination absolue, complété par celui de l'inadmissibilité de la grâce, s'il déprimait par un certain côté la nature humaine, l'exaltait, d'autre part, d'une singulière façon. Se sentir fixé pour toujours dans le bien, se savoir l'élite de l'humanité, pouvait, chez les prédestinés, centupler l'énergie ; et si, par la négation de la présence réelle, les temples semblaient vides et les vieux rites liturgiques sans objet, cela même, dit Bossuet[47], fut un nouveau charme pour quelques beaux esprits, qui crurent par ce moyen s'élever au-dessus des sens et se distinguer du vulgaire. Ce n'est pas sans raison que certains ont reproché à Calvin, et que d'autres l'ont loué d'avoir aristocratisé la religion[48].

La terrible doctrine prédestinatienne était donc susceptible de grouper autour du maître des hommes prêts à tout, dévoués à la vie et à la mort, impassibles jusqu'à l'insensibilité, ardents jusqu'au fanatisme. Calvin allait bientôt les trouver, et, grâce à eux, faire le premier essai d'une société dominée par ses principes, dans la ville de Genève.

Genève, vieille ville de Suisse, qui se faisait gloire de remonter aux Romains et d'avoir lutté, pendant tout le Moyen Age, pour l'autonomie de ses traditions burgondes, contre ses propres évêques et contre les comtes et ducs de Savoie, traversait, au moment où parut l'Institution chrétienne, une crise politique et religieuse. Sa municipalité, excommuniée par l'évêque, en lutte avec les ducs de Savoie, venait, avec l'appui des cantons de Fribourg et de Berne, de se constituer en Grand Conseil et de proclamer Genève ville libre sous le protectorat nominal de l'empire germanique. Les chefs de ce mouvement d'indépendance, jusque-là appelés libertins, avaient, par suite de leur union avec Fribourg et Berne, pris le nom de confédérés, en allemand eidgenossen, d'où nous est sans doute venu le nom de huguenots. Mais les Bernois, déjà gagnés aux idées luthériennes, avaient profité de leur influence politique et de la rupture de la ville avec son évêque, pour y faire pénétrer les idées nouvelles. Le 27 août 1535, le Grand Conseil abolissait à Genève l'exercice de la religion catholique et ouvrait ses portes à tous les réformés poursuivis par les princes chrétiens.

La réforme avait, d'ailleurs, déjà des intelligences dans la place. Guillaume Farel y avait pénétré quelques mois auparavant, accompagné d'un de ses amis, un Dauphinois nommé Saunier. Ils étaient munis de lettres patentes des autorités de Berne, leur donnant mission d'apprendre à toute personne, de tout âge et de tout sexe, à lire et écrire en français. Les deux réformateurs avaient prêché ouvertement leurs doctrines. Farel avait été le promoteur de la loi du 27 août 1535 ; il fut l'artisan le plus actif des mesures tyranniques qui s'ensuivirent : fermeture des couvents, expulsion des religieux, confiscation des propriétés ecclésiastiques, menaces contre les catholiques fidèles. Le trouble était partout. Beaucoup de paisibles citoyens quittèrent la ville, tandis que les réformés, pourchassés de France, y affluaient.

C'est au milieu de ces circonstances que Jean Calvin se rendit à Genève. Il avait vingt-sept ans à peine ; mais ses traits amaigris, sa tête blanchie, l'attitude légèrement courbée de son corps, la gravité sombre de son regard lui donnaient presque l'aspect d'un vieillard. La renommée de ses malheurs, de ses hautes relations à la cour, du grand ouvrage qu'il venait de composer pour la défense des nouvelles doctrines, ajoutait à sou prestige. Sa voix impérieuse et son geste bref annonçaient l'homme habitué à commander, résolu à se faire obéir sans réplique. Genève, désemparée, avait besoin d'un dictateur. Calvin qui venait de rédiger, à l'usage des réformés, toute une doctrine, avait besoin, à son tour, d'une puissance temporelle pour la faire prévaloir. Demander, à l'exemple de Luther, le secours d'un prince séculier, était périlleux ; espérer ce secours du roi de France, tout infatué des droits que lui donnait sur les personnes et les biens d'Église le concordat de 1516, était chimérique. Mais Genève, ville libre, où 'a politique et la religion venaient de s'unir si étroitement, dont

chef, muni de pouvoirs dictatoriaux, pourrait facilement gouverner à la fois son État et son Église, apparaissait comme le champ d'expérience admirablement préparé, où le protestantisme allait essayer ses forces. Politique consommé, Calvin possédait ; un égal degré le don de voir les possibilités réalisables et celui de savoir les attendre avec patience. Pendant cinq ans, il laissa Genève se débattre dans l'anarchie, l'appeler comme un sauveur, le rejeter, pour le rappeler encore. A l'automne de 1541, après s'être longtemps fait prier, conscient de sa force et du besoin que Genève avait de lui, il vint s'y installer, sinon comme le chef officiel de la république, au moins comme le suprême conseiller dont on ne pourrait se passer.

Appeler à Genève tous les Français que le parlement persécute, est le premier de ses soins. Des plus dévoués de ces partisans, il se fait comme une garde du corps, qui le suivra partout. Les pasteurs bernois et genevois, à qui il s'impose par l'ascendant irrésistible de sa personne, ne pensent et ne légifèrent plus que par lui. Sous le nom de Consistoire, un corps des Anciens, qui rappelle à la fois le souvenir des épiscopes ou surveillants de la primitive Église et celui des censeurs de la vieille Rome, organise une surveillance inquisitoriale des citoyens, dénonce les infractions morales comme des crimes sociaux. La vie extérieure, dit le protestant Léopold de Ranke, est soumise aux règles de la plus étroite discipline. La dépense des habits et des repas est réduite à une mesure fixe ; la danse est interdite, ainsi que la lecture de certains livres, par exemple celle de l'Amadis. On voit des joueurs exposés au pilori, les cartes à la main. Une fois tous les ans, on fait dans chaque maison une enquête sur la connaissance et l'observation des préceptes religieux. On introduit dans le Conseil l'admonition réciproque pour les fautes qu'un membre observe chez un autre. Les transgresseurs n'obtiennent aucune indulgence. Une femme est brûlée pour avoir chanté des chansons impudiques ; un des principaux bourgeois, qui a fait des railleries sur la doctrine du salut et sur la personne du grand prédicateur, doit s'agenouiller sur la place publique en tenant à la main un flambeau renversé et demander pardon devant le peuple. Sur la proposition de l'assemblée générale, la peine de mort est établie pour l'adultère ; l'homme qui la subit doit en mourant, bénir Dieu, des sévères lois de sa patrie[49].

La plus célèbre des exécutions capitales faites à Genève par l'ordre de Calvin est celle de Michel Servet. Servet, médecin espagnol, a osé écrire la contrepartie de l'Institution chrétienne sous le titre de Restitutio christiana. On y découvre des hérésies sur la Trinité, entre autres la négation de la consubstantialité du Père et du Fils. Calvin, ne pouvant atteindre son contradicteur, n'hésite pas à le dénoncer à l'inquisition catholique. Arrêté en France par les ordres du cardinal de Tournon, Servet parvient à s'échapper ; mais il a l'imprudence de passer par Genève. Il y est aussitôt saisi, jugé et brûlé le 27 octobre 1553[50]. L'année suivante Calvin fait paraître, pour se justifier, une Déclaration pour maintenir la vraye loy... où il est montré qu'il est licite de punir les hérétiques. Les principaux chefs du protestantisme, en Allemagne et en France, se déclarent solidaires de l'acte de Calvin Bucer et Mélanchton approuvent expressément l'exécution de Servet[51], et un ancien ami de Calvin, Sébastien Castellion, ayant combattu la doctrine de la répression de l'hérésie, Théodore de Bèze prend la plume et défend le système inquisitorial dans un ouvrage spécial que publie Robert Estienne sous ce titre : De hœreticis a civili magistratu puniendis.

Les communautés protestantes qui se fondèrent désormais en France prirent pour modèle l'organisation de la communauté genevoise : conseil d'anciens, appelé consistoire, élection des pasteurs par les fidèles, réunions régulières où, à la suite d'une lecture des Livres Saints, on entendait une exhortation et on chantait des psaumes. On écrivait à Genève pour demander à Calvin des conseils et même des pasteurs. Ainsi se constituèrent l'église réformée du Pré-aux-Clercs à Paris, celles de Meaux, d'Angers, de Poitiers, de Bourges, de Blois, de Tours. Le nom de huguenots et plus généralement de calvinistes était donné aux disciples de Calvin ; et la France, qui n'avait pas un seul protestant en 1522, devait en compter, en 1559, 400.000[52]. Calvin leur avait donné à Bâle leur doctrine et à Genève leur organisation.

 

VIII

Organisé, militant, groupé autour d'un chef incontesté et supérieurement habile, le calvinisme devenait une menace pour l'Église et pour l'État. François Ier venait de mourir le 31 mars 1547, à l'âge de 53 ans. En prenant possession du trône, le jour de son sacre, Henri II, bien qu'il fût, comme artiste et lettré, lié avec le monde des humanistes où se recrutaient les novateurs, jura d'exterminer l'hérésie et de faire en sorte que la postérité pût dire : Si Henri II n'avait pas régné, l'Église aurait péri. Les quatre Pontifes vertueux qui se succédèrent sur le siège de Pierre, de la mort de François Ier à celle de Henri II : Paul III, Jules III, Marcel II et Paul IV, ne demandaient pas mieux que d'appuyer de leur autorité l'action du jeune roi. Des conflits de juridiction entravèrent malheureusement l'action commune en Saint-Siège et de la royauté, qu'une entente eut rendue si efficace. Chose étrange ! Personne ne poussait plus vivement Henri II à sévir contre les hérétiques que cette énigmatique Diane de Poitiers qui, de beaucoup plus âgée que le roi, avait entrepris de la former à l'honneur et aux mâles vertus et paraît avoir rempli le triste rôle d'une favorite. Un des premiers actes d'Henri II fut l'établissement, au sein du parlement, d'une chambre particulière chargée de juger les procès d'hérésie. On l'appela la chambre ardente ; elle siégea de 1547 à 1550 et prononça 66 condamnations capitales[53]. L'édit Ide 1551, dit de Châteaubriant, codifia en 46 articles toutes les mesures précédemment prises contre les luthériens et en régla la jurisprudence. Mais de bien regrettables scènes se produisirent parfois. S'il faut en croire les Acta martyrum de Jean Crépin, un jour qu'un ouvrier tailleur subissait un interrogatoire sous l'inculpation d'hérésie, dans le palais du Louvre, Diane de Poitiers, qui assistait souvent à de pareils spectacles, voulut placer une observation. Madame, reprit rudement l'ouvrier parisien, contentez-vous d'avoir infecté la France, sans mêler Votre ordure à chose tant saincte qu'est la religion. Le lendemain, comme Henri II était allé le voir sur son bûcher, le patient, dit l'annaliste, regarda alors le roi si fort, que celui-ci fut contraint de se retirer et tellement ému qu'il lui semblait que cet homme le poursuivait.

De tels scandales eussent été évités si le roi de France et le parlement eussent entendu la voix du Concile de Trente, protestant contre l'intrusion des tribunaux séculiers dans les procès de religion, et celle du Pape Paul IV proposant à Henri II l'introduction de l'Inquisition. Une procédure plus régulière, plus dégagée des influences de cour et conduite avec plus de compétence eût été le résultat de cette sage mesure. Le roi parut un moment l'accepter. Une bulle de Paul IV nomma grands inquisiteurs trois cardinaux français[54]. Mais le parlement, toujours imbu d'idées gallicanes et méfiant à l'égard de Rome, opposait une résistance obstinée. Les tribunaux ecclésiastiques, disait-on, ne seraient point assez sévères. Comme ils ne pouvaient prononcer de peines capitales, leur répression serait inefficace. L'édit de l'Inquisition fut enregistré dans un lit de justice ; mais il ne fut jamais exécuté. Le parlement conserva son prétendu droit d'exercer une justice plus sévère.

En réalité elle allait devenir, au contraire, de plus en plus tolérante. C'est qu'au moment même où la magistrature civile s'arrogeait le droit exclusif de juger les procès d'hérésie, l'hérésie pénétrait dans son sein.

Le fameux jurisconsulte Dumoulin ayant, en 1552, dans son Commentaire de l'édit sur les petites dates[55], vivement pris à partie le Pape et la chancellerie romaine, de violentes polémiques s'étaient élevées, au cours desquelles Dumoulin était allé jusqu'à soutenir que le Pape est la grande Bête de l'Apocalypse, que l'Ecriture est la seule règle de foi et que la communion sous les deux espèces est nécessaire à tous les fidèles.

De pareilles propositions étaient notoirement hérétiques. Le scandale fut considérable. Dumoulin était un des jurisconsultes les plus éminents de son temps. Son traité De dividuo et individuo, dont Pothier devait s'approprier la substance dans son Traité des obligations, l'avait placé au premier rang parmi ses collègues. Beaucoup d'entre eux prirent fait et cause pour lui. Ce dut le point de départ d'une évolution du parlement vers le protestantisme ; ce mouvement devait avoir dans l'avenir les plus funestes conséquences.

En 1558, les Psaumes de Marot sont chantés en plein air au Pré-aux-Clercs, et les chanteurs comptent parmi eux le roi de Navarre, Antoine de Bourbon, et le prince de Condé. Au mois de mai 1559, les représentants de cinquante églises réformées de France se réunissent dans une maison du Faubourg Saint-Germain et rédigent la Confession de foi des églises françaises[56].

Un certain nombre de magistrats sont décidés à sévir ; mais il y a division dans le parlement. Deux chambres sont en conflit. La Grand Chambre, juridiction exceptionnelle, qui a succédé à la Chambre ardente, veut appliquer sévèrement l'édit de Compiègne ; mais la Tournelle, chambre de juridiction ordinaire, affecte de ne prononcer plus que des pénalités légères ou même renvoye des fins de la plainte. Cette chambre, présidée par Pierre Séguier et du Harlay, compte Christophe de Thou parmi ses membres. Parmi les partisans de la répression sévère, on compte le Premier Président Gilles Le Maître, les Présidents Minard et de Saint-André.

Pour mettre fin au conflit, on décide de se réunir une fois par semaine en mercuriales ; au bout de six semaines de discussions, il est évident que les partisans de la tolérance ont la majorité. Le cardinal de Lorraine conseille alors au roi de faire un coup d'audace.

Le mercredi 15 juin 1559, Henri II, accompagné d'une suite nombreuse, dans laquelle se trouvent les princes de Bourbon et les trois Guise, se rend au parlement. Le Garde des sceaux, Bertrandi, prend la parole : Le roi, dit-il, vous ordonne de continuer librement devant lui votre délibération sur les peines à infliger aux hérétiques. Minard, Saint-André, Le Maitre parlent alors en faveur des édits. Puis vient le tour des autres. Louis du Faur, regardant en face Henri II, lui dit : Craignez qu'on ne vous dise, comme autrefois Elie à Achab : c'est vous qui troublez Israël. Christophe de Thou ajoute : Pour ces sortes d'affaires le parlement est souverain, les gens du roi n'ont pas à intervenir. Arnauld du Ferrier reprend : On devrait surseoir jusqu'à la réunion d'un concile général. Enfin Anne du Bourg s'écrie : Je sais qu'il est certains crimes qu'on doit impitoyablement punir, comme adultère, blasphème et débauche. Mais croit-on que ce soit chose légère que de condamner des hommes qui, au milieu des flammes, invoquent le nom de Jésus-Christ ? C'était l'apologie ouverte des protestants. Le roi se lève, indigné, et commande à Montmorency de saisir immédiatement les conseillers coupables. Le connétable descend les gradins, saisit les hommes indiqués, et les livre à Montgomery, capitaine des gardes, qui les conduit à la Bastille.

Quelques jours après, le Président Minard, revenant du palais sur sa mule et arrivé près de sa maison, rue Vieille-du-Temple, est tué d'un coup d'arquebuse. Le peuple soupçonne les calvinistes d'avoir fait le coup, pour se venger de l'arrestation de du Bourg et des autres conseillers. Les protestants se chargent eux-mêmes de confirmer ces soupçons, en chantant dans les rues, sur le passage du cardinal de Lorraine :

Garde-toi, cardinal,

Que tu ne sois traité

A la minarde

D'une stuarde[57].

 

IX

En revenant au Louvre, après la fameuse mercuriale du 15 juin 1559, le roi, hors de lui, s'était, dit-on, écrié qu'il irait voir de ses deux yeux brûler du Bourg. Peu de jours après, la lance de Montgomery l'abattait dans un tournoi. Son successeur, François II, jeune homme de quinze ans et demi, délicat, maladif et taciturne, devait régner dix-sept mois à peine et laisser le trône à un enfant de neuf à dix ans, Charles IX. Les Guise, oncles du roi François II par sa femme Marie Stuart, s'emparèrent du pouvoir. A partir de ce moment, et jusqu'à l'avènement= d'Henri IV, le gouvernement monarchique de la France est comme suspendu. La direction des affaires est tout entière aux mains des partis.

Et ces partis se classeront forcément selon leurs idées religieuses. On l'a dit fort justement, en 1559, une ère est close... Il n'y a plus de politique internationale au sens étroit du mot... Question italienne, question espagnole, question allemande, question navarraise, tout cela est à l'arrière-plan. C'est le moment où Charles-Quint disparaît, où meurent Henri II et Marie Tudor. La cause de l'orthodoxie va être représentée par Philippe II, la cause de la Réforme par Elisabeth. Entre les deux, l'Europe va être partagée pendant quarante ans[58]. Le même partage et le même point de vue s'imposeront naturellement à la politique intérieure de la France. En face de la maison des Guise, qui soutiendra le parti catholique, la maison de Bourbon se prononcera pour le parti protestant, et, entre les deux, se formera un tiers parti de gens indécis et flottants, soit par politique, comme la veuve d'Henri II, Catherine de Médicis, soit par des raisons de famille, comme Montmorency, soit par principe, comme le chancelier de l'Hôpital. Le règne de François II assurera la prépondérance du parti catholique des Guise ; les débuts de Charles IX favoriseront le tiers parti de l'Hôpital ; mais la politique du chancelier assurera le triomphe du parti protestant des Bourbons qui, en provoquant le massacre de Wassy, déchaînera, sous Charles IX et Henri III, une guerre civile de trente ans.

Les Guise, ou les Lorrains, comme les appellent leurs ennemis, en soulignant leur origine étrangère, se font gloire de descendre de ce Claude de Guise qui fut fait duc et pair pour avoir sauvé la France de l'invasion des Rustauds. Le chef actuel de la famille, François, surnommé le grand duc de Guise, vient, par sa prise de Calais, en 1558, de compléter, à un siècle d'intervalle, l'œuvre de Jeanne d'Arc, en chassant complètement les Anglais du sol de la France. L'enthousiasme populaire l'accueille partout où il se montre ; et ses amis aiment à rappeler que, Français par les services de sa famille et par les siens, il l'est aussi par son caractère chevaleresque. On racontera plus tard comment, au siège de Metz, on l'a vu secourir les pauvres gens et, par sen exemple, entraîner ses compagnons à faire comme lui. Son frère le cardinal, élevé très jeune aux plus hautes dignités ecclésiastiques, prélat aux grandes allures, devait se servir de sa grande influence pour le bien de la science et de l'Église ; on lui doit la création d'une université à Reims et les premiers essais de séminaires en France. Ils étaient bien, tous deux, de cette grande race dont la maréchale de Retz disait : Ils avaient si bonne mine, ces princes lorrains, qu'auprès d'eux les autres princes paraissaient peuple.

La maison de Bourbon, éminemment française par son origine, remontant à saint Louis par son sixième fils, Robert, comte de Clermont, était représentée par trois frères : Antoine de Bourbon, roi de Navarre, que sa femme, Jeanne d'Albret, allait bientôt pousser vers le protestantisme militant ; le cardinal Charles de Bourbon, d'abord favorable aux calvinistes, mais que les circonstances opposeront ensuite au parti protestant et qui sera même proclamé roi de France par les Ligueurs à la mort d'Henri III ; et le prince de Condé, huguenot décidé, déjà compromis comme tel pour avoir chanté publiquement au Pré-aux-Clercs les Psaumes de Marot. Petit, contrefait, légèrement bossu, mais agile à tous les exercices du corps, courageux, intelligent, c'est lui qui, à l'avènement de François II, en voyant la faveur accordée aux princes lorrains, se mettra à la tête des mécontents.

Par son mariage avec Eléonore de Roye, en 1551, le prince de Condé s'était allié à la maison de Châtillon ou des Coligny, déjà gagnée au protestantisme en la personne de plusieurs de ses membres. Le plus célèbre d'entre eux devait être l'amiral Gaspard de Coligny. Né en 1517, il s'était signalé déjà comme soldat courageux, et surtout comme chef d'un sang-froid imperturbable, d'une sévérité rigoureuse, parfois effrayante d'impassibilité, à l'égard de ses subordonnés, quand l'intérêt de la discipline était un jeu, L'influence de Diane de Poitiers l'ayant fait écarter du commandement d'une armé : envoyée en Italie, il en avait gardé pendant tout le règne de Henri II un ressentiment contre la cour. Il se déclara nettement huguenot en 1539. Nous le verrons bientôt jouer un rôle des plus importants dans les guerres religieuses[59].

Le tiers parti était principalement représenté par la reine mère Catherine de Médicis et par le chancelier Michel de l'Hôpital.

On a souvent dépeint Catherine de Médicis comme une femme ambitieuse, turbulente et dissimulée. La publication récente de sa volumineuse correspondance[60] a permis de mettre au point cette appréciation traditionnelle. Intelligente et pratique, la veuve d'Henri II paraît avoir eu constamment pour but le maintien l'autorité du roi et la paix du royaume[61]. C'était une tâche difficile. Catherine eut l'espoir d'y arriver, tantôt par un système de large tolérance, tantôt par une politique de bascule. Elle fit plus : s'inspirant trop des conseils de son compatriote Machiavel, elle fut trop fréquemment indifférente à la moralité ou à l'immoralité dab moyens pour parvenir à ses fins. Ces moyens furent souvent le mensonge et, au moins une fois, le meurtre.

On ne saurait identifier absolument à cette politique de la reine mère celle de son conseiller le plus écouté, Michel de l'Hôpital. Esprit net, sec et froid, c'était un autre censeur Caton, dit Brantôme ; il en avait du tout l'apparence, avec sa grande barbe blanche, son visage pâle et sa façon grave. Il avait le goût de la règle jusqu'à la manie. Jamais chancelier ne publia plus d'édits sur une plus grande variété d'objets. Ses compatriotes mirent en doute la sincérité de son catholicisme. Méfions-nous, disait-on, de la patenôtre du Connétable, du cure-dent de l'Amiral et de la messe du Chancelier[62]. Il ne parait pas, d'après sa correspondance et l'examen de ses actes, que Michel de l'Hôpital[63] ait été un protestant déguisé. Mais légiste, ou plutôt doctrinaire, catholique libéral, si l'on peut lui appliquer par anticipation ces qualifications d'une autre époque, il le fut jusqu'aux dernières conséquences. Pour lui, la religion est affaire d'ordre purement individuel et non d'ordre social ; l'État n'a que faire de s'occuper de l'Église, ni l'Église de l'État. Sa tolérance en matière de religion ressemble terriblement à de l'indifférence : Otons ces mots diaboliques, s'écrie-t-il, luthériens, huguenots, papistes : ne changeons le nom de chrétiens ![64] A côté de Catherine de Médicis et du chancelier de l'Hôpital, le connétable de Montmorency, catholique de cœur, mais allié aux Bourbons, commence par pratiquer la politique du tiers parti, mais il se rangera plus tard au parti des Guise.

Nous n'avons pas à raconter ici la lutte politique de ceux-ci contre la faction des mal-contents, la conjuration d'Amboise, avortée par l'arrestation et l'exécution de la Renaudie, les négociations d'Antoine de Bourbon avec la reine Elisabeth d'Angleterre et les princes protestants d'Allemagne, l'arrestation et la condamnation de Condé, délivré par la mort de François II en 1560, la politique de Catherine de Médicis s'orientant dès lors du côté des Bourbons, l'appel au Conseil d'Antoine de Bourbon, de Coligny et de Montmorency, et cette mesure aboutissant à l'édit du 21 février 1561, en vertu duquel les réformés mis en prison devaient être relâchés, les bannis rappelés et toutes poursuites judiciaires pour cause d'hérésie arrêtées. La clause qui mettait pour condition à toutes ces mesures libérales le retour au catholicisme, ne fut d'ailleurs jamais appliquée.

Cet édit libérateur, au lieu d'apaiser les calvinistes, les exalta. Leur but fut alors bien évident : ce qu'ils voulaient en France, comme à Genève, c'était, non la liberté, mais la domination. En avril 1561, ils tiennent une assemblée dans les salles mêmes du parlement de Paris. De nombreux écrits somment le gouvernement de faire la réforme religieuse. A Paris, dans le faubourg Saint-Marcel et hors de la porte Saint-Antoine, on prêche avec fureur contre le papisme. Dans les provinces, on chasse les prêtres et on s'empare des églises. Le baron des Adrets terrorise le Midi.

Le chancelier de l'Hôpital a recours une fois de plus à une de ses chimères : arriver à une entente entre les catholiques et les protestants en tâchant d'accorder las deux doctrines. Sur l'invitation de la reine régente, en septembre et octobre 1561, des conférences, ont lieu dans le réfectoire du vieux couvent de Poissy. Sous la présidence du petit roi Charles IX, Théodore de Bèze et Pierre Martyr parlent au nom des protestants, le cardinal de Lorraine au nom des catholiques. C'est le colloque de Poissy. Catholiques et protestants en sortent plus exaspérés qu'ils n'y étaient entrés[65].

Un édit rendu à Saint-Germain-en-Laye, le 17 janvier 1562, et autorisant, sous certaines conditions, le culte et les réunions des protestants, obtient un résultat semblable[66]. Il mécontente à la fois les catholiques, irrités de voir un culte hérétique officiellement protégé, et les protestants, qui s'attendaient à plus de faveurs. A Montpellier, à Castres, un peu partout, les calvinistes envahissent les églises, s'emparent des cloches, brisent les autels[67]. En janvier 1562, Théodore de Bèze écrit à Calvin qu'on ne peut s'imaginer à quel degré est montée la fureur des huguenots dans le Midi : Les Aquitains, dit-il, ne seront contents que lorsqu'ils auront exterminé leurs adversaires. Ronsard, dans son Discours sur les misères du temps, reproche aux réformes de nous présenter

Un Christ empistolé, tout noirci de fumée[68].

Il est vrai que, de leur côté, les catholiques usent parfois de représailles semblables. A Paris, ils envahissent la maison où se tenait un prêche et en saccagent le mobilier.

C'est à ce moment que le connétable de Montmorency, voyant la religion en péril, se range au parti des Guise. Guise, Montmorency et Saint-André concluent un pacte, constituent une sorte d-e triumvirat. Le cardinal de Tournon y adhère. Les souverains catholiques, Philippe il d'Espagne, le duc de Savoie et le Pape ne cachent pas leur satisfaction à cette nouvelle. La situation est tendue plus que jamais. Il ne fallait qu'un incident un peu plus violent, intéressant un personnage tant soit peu considérable, pour allumer une guerre générale. L'incident se produisit à Wassy, le 1er mars 1562. Le duc de Guise, revenant de Saverne à Paris, escorté de deux cents cavaliers, rencontre, à Wassy, sur la frontière de la Champagne, une troupe de quatre à cinq cents protestants. Après échange de paroles provocantes, on en vient aux coups ; le sang coule. On compte soixante hommes tués et deux cents blessés. L'affaire est grossie, exploitée. On ne parle que du Massacre de Wassy. Désormais, l'édit de janvier sera regardé comme non avenu. Partout où les protestants seront les plus forts, ils s'empareront des églises ; là où les catholiques auront la supériorité, ils proscriront les protestants. François de Guise arrivant à Paris, y est acclamé comme un souverain au cri de :

Vive Guise Les protestants se groupent armés autour de leurs chefs. Les deux partis lient se mesurer sur les champs de bataille.

 

Il n'entre pas dans le plan de ce récit de raconter les divers incidents des guerres religieuses qui ensanglantèrent la France à la fin du XVIe siècle. Ces épisodes ont leur place dans notre histoire nationale.

Un fait étrange frappe l'attention quand on considère dans son ensemble le tableau de ces luttes religieuses : les protestants, presque toujours vaincus sur les champs de bataille, sont toujours favorisés dans les traités. Nous battions constamment les huguenots par les armes, dit Montluc, mais ils nous battaient ensuite par ces diables d'écritures. Le secret de ce fait est de dans la politique de Catherine de Médicis, qui, pour empêcher le triomphe des partis et gouverner par leur équilibre, prend toujours fait et cause pour le plus faible. Qu'elle voie la faction protestante, par l'ascendant de Coligny sur le jeune roi, sur le point de conquérir l'hégémonie ; elle l'écrasera par un coup terrible : ce sera la Saint-Barthélemy.

Le récit de ce triste épisode, celui de la formation de la Ligua et l'exposé de l'Edit de Nantes, qui mit fin à tant de guerres, doivent plus spécialement attirer notre attention.

 

X

Le fondateur du protestantisme français s'était lentement éteint, le 27 mai 1564, épuisé par des maladies sans nombre et des occupations sans trêve. Miné par des maux de tête et d'estomac, torturé par la goutte, la gravelle et l'asthme, Jean Calvin n'avait cessé de prêcher, d'écrire, de dogmatiser, de dépenser dans les labeurs d'une activité prodigieuse une énergie inlassable, vivant jusqu'à ses derniers jours, suivant ses propres expressions, in tumultu et festinatione. Mourant, il laissait à ses adeptes une doctrine, une organisation, plus que cela, un esprit : un esprit d'indépendance hautaine, de révolte indomptée, de combativité obstinée, non point tant pour la défense de la liberté individuelle que pour la conquête du pouvoir. Cet esprit calviniste vivait dans ses continuateurs. Théodore de Bèze le gardait dans ses prêches, Coligny le portait dans les camps.

Trois campagnes successives, terminées, la première par le traité d'Amboise (1563), la seconde par la paix de Longjumeau (1568), et la troisième par la paix de Saint-Germain-en-Laye (1570), avaient abouti à donner aux protestants le libre exercice de leur culte dans tout le royaume, Paris excepté, l'accès aux fonctions publiques et quatre places de sûreté La Rochelle, Montauban, Cognac et La Charité-sur-Loire. Le parti des Guise baissait, tandis qu'Henri de Navarre obtenait la main de Marguerite de Valois, sœur du roi Charles IX (1572) et que Coligny, admis à la cour, y devenait tout-puissant. Catherine se rendit compte que sa politique imprudente de compensations accordées aux réformés avait dépassé les bornes. L'assassinat du duc de Guise par le protestant Poltrot de Méré (1563), puis, la Michelade de Nîmes (29 septembre 1567)[69], où cent vingt catholiques furent odieusement massacrés, et, presque en même temps, l'audacieuse tentative de Condé pour s'emparer de la cour (25 septembre 1567) avaient déjà montré jusqu'où pouvait aller la hardiesse des huguenots. Ce dernier événement avait affolé le jeune roi. On ne me donnera plus de pareilles alarmes, s'écriait Charles IX avec plus de jurements qu'il ne faudrait, raconte Bouchefort dans une lettre à Renée de Ferrare, j'irai jusque dedans leurs maisons et dedans leur lit chercher ceux qui me les baillent ! La paix de Saint-Germain, qui, par les quatre places fortes qu'elle accordait aux protestants, faisait comme un État dans l'État, susceptible de contracter des alliances avec l'étranger[70], était bien faite pour augmenter leur audace. Le peuple qui, pris dans sa masse, regardait les protestants comme des sacrilèges, des infidèles, des sauvages, ennemis de toute société[71], était prêt à applaudir à une mesure de répression sévère. Le saint Pape qui venait de prendre possession du Saint-Siège en 1565, Pie V, avait plusieurs fois appelé l'attention des princes chrétiens, et en particulier de Charles IX, sur le péril protestant et sur la nécessité de le conjurer[72]. Les hommes d'État, soucieux de la politique traditionnelle de la monarchie, rappelaient qu'une de ses traditions les plus importantes avait toujours été de réprimer les hérésies[73], que le roi Charles IX avait, comme tous ses ancêtres, juré, au jour de son sacre, de défendre l'unité religieuse du royaume. Une mesure grave s'imposait. Faite dans un esprit de justice et de modération, elle aurait pu être une œuvre salutaire de défense nationale et religieuse ; inspirée par la passion politique d'une femme sans scrupule, elle dégénéra en scènes de basse vengeance et d'abominable tuerie_

Coligny, parvenu au faîte de la puissance, ayant gagné la confiance entière du jeune roi, qui l'appelait mon père, ne rêvait rien moins que de changer l'orientation de la politique française. Se retourner contre l'Espagne, en s'alliant aux princes protestants d'Allemagne, était son but. La perspective d'une campagne où l'on verrait une armée de protestants commandée par Coligny, effraya les chefs catholiques. Madame, s'écria Tavannes en s'adressant à la reine mère, celui qui vous porte de telles paroles, vous devez lui faire trancher la tête[74]. Catherine fit échouer les projets de l'amiral. Dieu veuille, Madame, dit alors celui-ci, qu'il ne vous survienne pas une autre guerre, dont il ne sera pas en votre pouvoir vous retirer !

La présence de nombreux protestants venus à Paris pour assister, le 18 août 1572, au mariage d'Henri de Navarre avec Marguerite de Valois, et leurs allures provocantes irritèrent la population parisienne. Une chanson exhortait le peuple à faire merveilles, en faisant de ces noces des noces vermeilles. Le 22 août, vers 11 heures du matin, comme l'amiral, revenant du Louvre, suivait une petite rue, entre la rue des Fossés-Saint-Germain et le quai, un coup d'arquebuse partit de derrière le rideau d'une fenêtre, coupa l'index de la main droite de Coligny et se logea dans son bras. L'émotion fut considérable. Le roi Charles IX alla visiter le malade. La blessure est pour vous, lui dit-il, la douleur est pour moi. Un chroniqueur[75] raconte que l'amiral profita de la circonstance pour prendre à part le jeune roi et pour lui dire de se méfier de sa mère ; mais Catherine, à force d'instances, arracha à Charles IX le secret de cet entretien ; l'irritation de la reine contre l'amiral fut à son comble.

L'effervescence des protestants ne faisait que grandir. Dans la petite cour de la maison habitée par l'amiral, rue de Bétisy, et que la foule avait envahie, on entendait des propos comme celui-ci : Ce bras coûtera trente mille autres bras. Le soir, Bouchavannes, sur la foi de propos entendus au même endroit, annonça au Louvre que les huguenots avaient décidé d'attaquer le roi dans son palais le lendemain, à l'heure du souper. Cette menace acheva l'affolement. Catherine réunit le conseil du roi. Tous furent d'avis qu'il n'y avait plus d'autre alternative que de frapper ou de périr, que le roi, juge suprême, source de toute juridiction, avait, de par son titre, le droit de faire saisir, condamner et exécuter tous les perturbateurs de l'ordre, que le moment était venu d'user de ce droit.

Il fallait décider Charles IX. Pendant plus de deux heures, Catherine pria, supplia, menaça, tortura son fils, s'acharna à provoquer dans ce petit être maladif, irritable, l'accès de fureur, la crise nerveuse, au milieu de laquelle elle lui arracherait cet ordre du massacre, dont elle avait besoin et que le roi lui aurait sans doute refusé de sang-froid. Les conseillers ajoutèrent leurs supplications à celles de la reine. Dans un moment d'agitation fébrile, le jeune roi s'écria : Eh bien, puisque vous le voulez, tuez-les tous ! tuez-les tous !

C'en était assez. Le prévôt des marchands, Le Charron, reçut l'ordre de se saisir des clefs de toutes les portes de la ville, d'arrêter les bateaux sur la Seine et de mettre en armes la milice bourgeoise. L'ancien prévôt des marchands, Marcel, l'homme qui tenait toute la populace dans sa main, fut mandé au Louvre.

Il répondit que vingt mille hommes, massés dans vingt quartiers de Paris, se tiendraient prêts, toute la nuit, à recevoir les ordres de leurs chefs. Les maisons des protestants seraient marquées à la craie. On s'y précipiterait au moment où sonnerait le tocsin au Palais de justice, environ une heure avant le jour.

Catherine, craignant peut-être que le roi ne reculât au dernier moment, devança cette heure. De sa propre autorité, vers deux heures du matin, elle fit sonner le tocsin de Saint-Germain l'Auxerrois, l'église la plus voisine du Louvre. C'était le 21 août, fête de saint Barthélemy.

La première victime, ainsi qu'il avait été convenu, fut Coligny. Un certain Besme, officier allemand au service de Guise, après avoir enfoncé la porte de l'hôtel, massacré le portier et pris ses clefs, envahit, avec ses gens, les appartements de l'amiral. Celui-ci s'était levé au tumulte des soldats, et, vêtu d'une simple robe de chambre, ne doutant pas de la mort qui l'attendait, récitait des prières. Es-tu l'amiral ? dit Besme. — Oui. — A ces mots, Besme lui plongea son épée dans la poitrine. Les soldats le saisirent, respirant encore, et le jetèrent par la fenêtre. Guise et le bâtard d'Angoulême attendaient dans la rue. Angoulême descendit de cheval, se pencha vers le cadavre et dit : C'est bien lui. Les gens de Guise s'écrièrent alors : Aux autres maintenant ! Tuez ! Tuez ! Le soi L'ordonne ! et, se dispersèrent dans les divers quartiers de la ville.

La populace recrutée par Marcel surgit alors de tous côtés, et, suivant l'expression de Tavannes, la mort et le sang coururent les rues. A onze heures du matin on tirait et on pillait encore. Charles IX essaya de mettre fin au massacre et au pillage. Des patrouilles d'archers à cheval parcoururent les rues. Le tumulte se calma l'après-midi. Mais les scènes de meurtre se renouvelèrent les 25, 26 et 27 août. Des troupes de gens sans aveu profitaient du trouble pour voler et saccager. On s'en prenait à ses ennemis personnels, à ses rivaux, à ceux dont on convoitait les richesses, et on les faisait passer comme protestants. C'était être huguenot, dit Mézeray, que d'avoir de l'argent, des charges enviées ou des héritiers affamés.

Des scènes pareilles se produisirent en Province, à Meaux le 23 août, à Angers le 29, à Lyon le 30, à Bourges le 15 septembre, à Rouen le 17, à Toulouse le 23, à Bordeaux le 3 octobre, à Poitiers le 27. Pour telle ou telle de ces villes, le mouvement avait pu être provoqué par des instructions plus ou moins secrètes ; dans la plupart le soulèvement fut spontané.

On a cherché à déterminer le nombre des protestants massacrés à la Saint-Barthélemy. Il paraît impossible de fixer le chiffre des victimes de la Province. A Paris il n'a pas dû dépasser deux mille[76].

Catherine de Médicis ayant fait annoncer au Pape Grégoire XIII que le roi, menacé par un grand complot des huguenots, avait dû, pour obtenir la tranquillité de son royaume, faire exécuter un grand nombre de protestants, le Pontife s'écria : Il semblé que Dieu commence à tourner vers nous les regards de sa miséricorde. Puis il fit chanter un Te Deum d'actions de grâces pour remercier Dieu, d'un événement qu'il croyait avoir sauvé, la France et fit frapper une médaille avec la devise Ugonotorum strages.

Deux ans plus tard, le roi Charles IX, bourrelé de remords et brûlé par la fièvre, s'écriait sur son lit de mort : Que de sang ! que de sang !... Mon Dieu, pardonnez-moi ![77]

 

XI

Les luttes religieuses dont nous avons eu à parler jusqu'ici nous sont apparues surtout comme des conflits de grands seigneurs, des cabales de magistrats, des intrigues de cour. Un nouvel élément va se manifester. Le peuple, dont nous n'avons encore entendu que la, sourde et intermittente rumeur, va entrer en scène, et, dans un vaste mouvement, non exempt de fautes, mais plein de gloire, finira par imposer sa volonté aux grands et par sauver la France de l'hérésie.

De même qu'au XIe siècle des communautés rurales s'étaient unies pour l'affranchissement des communes et le salut de l'ordre social, de même qu'au XIIIe siècle, les fraternités des tiers-ordres s'étaient groupées pour la régénération de l'esprit chrétien, dès le milieu du XVIe siècle, en présence des ruines accumulées par le protestantisme, des ligues s'étaient formées ça et là, entre nobles, ecclésiastiques et bourgeois, sous le bon plaisir du roy, pour défendre l'honneur de Dieu et de son Église catholique romaine[78]. Plus tard, sous l'influence du cardinal de Lorraine, qui en avait conçu l'idée, dit-on, au concile de Trente, d'autres ligues, plus dégagées du bon plaisir du roy, et s'inspirant plus particulièrement des confréries et des tiers-ordres, dont elles ne furent souvent que l'extension, s'engagèrent comme celle d'Orléans, en 1568, à défendre la sainte Religion et à s'entresoutenir les uns les autres jusqu'à la dernière goutte de leur sang[79]. L'épisode de la Saint-Barthélemy, qui marquait nettement, semblait-il, l'intention de la cour d'en finir avec l'hérésie, fut, pour beaucoup de ces ligues, l'occasion de se dissoudre. Mais l'attitude prise, dès le début de son règne, par le nouveau roi Henri III (1574), les mécomptes répétés infligés par le frivole monarque aux défenseurs de la vieille foi, les extraordinaire, avantages accordés aux protestants par l'édit de Beaulieu (1576) (pleine liberté de culte, sauf à Paris, et quatre nouvelles places de sûreté[80]), réveillèrent les catholiques.

La paix du 6 mai 1576, dite paix de Monsieur, décidait que la ville de Péronne serait livrée, comme place de sûreté, au prince de Condé. Les habitants de Péronne, indignés, refusèrent d'obéit à un maître qui voudrait faire d'eux, disaient-ils, des huguenots. Un acte d'union fut signé entre prélats, gentilshommes, bons habitants de Picardie, résolus d'employer leurs vies et leurs biens jusqu'à la dernière goutte de leur sang, pour la conservation de la ville et de toute la province en l'obéissance du roi et en l'observance de l'Église catholique, apostolique et romaine... de garder de toute oppression et violence tant les ecclésiastiques que le pauvre peuple... pour tout cela d'élire un chef principal de la dite confédération, que tous devront suivre jusqu'à crever à ses pieds et d'entrer en rapport avec confédérations analogues des autres provinces et même des nations voisines... comme aussi de présenter au roi dans les États Généraux certains articles qu'il devra jurer, en protestant de ne rien faire au préjudice de cc qui sera ordonné par les dits États, le tout pour restituer à la France les franchises et libertés... du temps du roi Clovis... et encore meilleures et plus profitables, si elles se peuvent inventer[81].

C'eût été, a-t-on dit[82], la Révolution deux siècles plus tôt, mais la Révolution catholique. Seulement ce n'était encore qu'une ligue de noblesse ; il fallait que l'élément populaire vînt s'y joindre. Il s'y joignit peu de temps après, en 1584, lorsque la mort du frère du roi, dernier des Valois, laissa comme seul héritier, d'après la loi salique 2, Henri de Navarre, huguenot et chef de huguenots. Un très vertueux bourgeois, Charles Hotman, dit La Roche Blond, s'associe divers ecclésiastiques et bourgeois. Un conseil de six membres, plus tard de seize membres, correspondant aux seize quartiers de Paris, dirige l'association, organise des réunions secrètes, qui se tiennent le plus souvent au collège de Fortet, appelé pour cela le berceau de la Ligue. Des divers corps de métiers du peuple de Paris les adhésions arrivent nombreuses. Puis quelques bons habitants de Paris, gens de cervelle, sont envoyés en diverses provinces pour rallier les lignes locales afin de ne faire qu'un corps meu par une même intelligence en toute la France[83].

Cette association comprit qu'il lui fallait un chef ; et, tout en maintenant, comme dit un contemporain que ce sont les peuples qui ont formé la Ligue, et qu'en eux résidait la matière et la substance d'icelle, et que les princes lorrains n'en étaient que les accessoires, elle s'adressa, pour être dirigée par lui, à un prince lorrain, Henri de Guise. Du même âge qu'Henri III, de haute taille et de bonne mine, le visage rendu plus mâle par une large balafre, Henri le Balafré, comme on l'appela, devint bientôt l'idole du peuple. La France, dit Balzac, devint folle de test homme-là, car c'estait trop peu de dire amoureuse... et les huguenots estaient de la Ligue quand ils regardaient le duc de Guise.

On connaît assez, par l'histoire de France, les dramatiques épisodes de la guerre des trois Henri[84], pour que nous n'ayons pas à les raconter en détail dans cette histoire de l'Eglise : les batailles de Coutras et de Vimory, la journée des Barricades, les Etats Généraux de Blois et leurs importants cahiers, l'assassinat d'Henri de Guise, la marche d'Henri de Navarre sur Paris, le meurtre d'Henri III, la proclamation comme roi de France du cardinal de Bourbon, sous le nom dé Charles X, l'abjuration d'Henri de Navarre, son sacre à Chartres sous le nom d'Henri IV, son entrée triomphante à Paris au milieu des acclamations populaires, et l'évanouissement de la Ligue à la suite de l'absolution donnée par le Pape Clément VIII de toutes les censures encourues par le roi.

Deux faits cependant sont de nature à appeler l'attention particulière de l'historien de l'Eglise : l'attitude de la Papauté, au milieu de la crise, et l'attitude du roi de France au moment de sa conversion.

Au premier abord, la diversité des moyens diplomatiques successivement employés par Sixte-Quint, par Grégoire XIV et par Clément VIII, déconcerte ; mais un examen plus attentif en montre la parfaite unité de conception, très simple et très sage. La principale intention du Pape, disait le cardinal Sega, est que la religion catholique soit conservée en le royaume de France, et que celui-ci soit rétabli en son ancienne splendeur et dignité. Louer le zèle et les efforts des Ligueurs pour la défense de la religion catholique, mais sans encourager leurs actes de rébellion, de peur de briser l'unité de la France ; exciter, d'autre part, les royalistes à abandonner leur chef hérétique, mais en maintenant des relations avec eux, afin de ne pas rompre, comme disait Clément VIII, un fil important pour la chrétienté : tel fut le secret de la politique, en apparence variée et divergente, en réalité très logique, très prudente et très élevée, que suivirent les derniers Papes du XVIe siècle[85].

Cette politique fut couronnée de succès par la conversion d'Henri IV.

Les prétentions exagérées des Espagnols, qui voulaient faire payer l'appui qu'ils avaient donné à la Ligue en lui imposant la reconnaissance de l'Infante d'Espagne, petite-fille d'Henri II, comme reine de France[86], avaient indigné les ligueurs patriotes. Tous les Français périront plutôt que les Espagnols parviennent à leurs prétentions, écrivait le docteur Mauclerc[87]. La persistance des Espagnols à vouloir l'Infante malgré nos lois, ajoutait Desportes, sera occasion de la ruine du parti et de l'établissement de Navarre[88]. Le peuple, écrivait le duc de Feria[89], ambassadeur d'Espagne, est poussé par un goût général vers un roi de sa nationalité. Le 18 juin 1593, le Parlement, par arrêt solennel, conclut et arresta que seraient faites itératives remontrances à M. le duc de Mayenne.... pour empescher que, sous prétexte, de religion, ce royaume, qui ne dépend d'autre que de Dieu pour la temporalité, ne soit occupé par estrangers. La situation paraissait n'avoir qu'une solution possible : la conversion du roi de Navarre.

Celui-ci y avait déjà songé. Dès le 15 février de cette même année, il avait dit à Sully, avec sa rondeur ordinaire : Je vous en prie, Sully, dites-moi librement ce que vous feriez si vous étiez à ma place. A quoi l'homme d'Etat huguenot avait répondu : De vous conseiller d'aller à la messe, c'est chose que vous ne pouvez attendre de moi, étant de la religion ; mais bien vous dirai-je qu'il vous sera impossible de régner jamais pacifiquement tant que vous serez de profession extérieure d'une religion qui est en si grande aversion avec grands et avec petits[90]. C'était le langage de la politique. Les prélats catholiques qui approchaient le roi, et principalement son lecteur, le cardinal du Perron, lui avaient fait entendre en même temps le langage de la conscience. Au plus fort de ses affaires, écrit le cardinal[91], le roi me faisait l'honneur de conférer en secret avec moi au sujet de sa conversion.

Le bruit d'une conférence qui eut lieu en avril 1593 et dans laquelle du Perron, cet esprit monstrueux en savoir, selon l'expression d'Aubigné, avait mis en déroute quatorze ministres protestants, avait fortement impressionné Henri de Navarre. Il voulut qu'une nouvelle discussion s'engageât en sa présence. Elle eut lieu à Mantes, comme la première, vers le commencement du mois de juin[92]. Les ministres protestants Rotan et Morlas y reconnurent la possibilité du salut dans le catholicisme, tandis que du Perron la niait dans le protestantisme. Le roi aurait alors déclaré qu'il prenait le parti le plus sûr et se décidait à la foi catholique en laquelle tous demeuraient d'accord qu'il pouvait se sauver, plutôt que celle où la moindre partie l'assurait[93]. Si ce mot était autre chose qu'une boutade, Henri paraît n'avoir pas tardé à reconnaître l'insuffisance d'un pareil argument[94]. On le voit en effet convoquer pour le 20 juillet, à Saint-Denis, une réunion de prélats et de docteurs à l'effet d'y recevoir l'instruction[95], et, au cours de ses entretiens avec ses catéchistes, manifester parfois une émotion profonde. Vous ne me contentez point bien en ce point, leur disait-il[96] à propos de l'adoration du Saint-Sacrement, et ne me satisfaites pas comme je me l'étais promis. Voici : je mets aujourd'hui mon âme entre vos mains ; je vous prie, prenez-y garde ; car là où vous me ferez entrer, je n'en sortirai que par la mort ; et de cela je vous le jure et proteste.

Le dimanche suivant, 25 juillet 1593, Henri abjurait la religion protestante en présence de l'archevêque de Bourges, qui lui accordait l'absolution des censures encourues par lui. Cette absolution épiscopale allait être bientôt déclarée illégale par le Pape Clément VIII et suppléée par une absolution pontificale[97] ; mais dès lors l'opinion publique était entraînée à la suite d'Henri IV et le double but poursuivi par la diplomatie romaine était atteint : la religion catholique était conservée dans le royaume de France et celui-ci rétabli en son ancienne splendeur et dignité.

 

XII

Peu de temps après, le roi voulut sanctionner et régler par un édit la pacification religieuse que son abjuration avait déterminée. Ce fut l'objet de l'Edit de Nantes, promulgué le 15 avril 1598.

L'Edit de Nantes comprend 92 articles plus 36 articles supplémentaires, qui furent soustraits à l'examen et à l'enregistrement du parlement[98]. Les 18 premiers articles ont pour but d'accorder aux protestants les libertés les plus larges. Amnistie plénière est concédée pour tous les faits passés pendant les guerres religieuses et à leur occasion. Non seulement le Ministère public ne pourra faire désormais aucune poursuite judiciaire relative à ces faits, mais ils ne pourront donner lieu à aucun procès entre particuliers (art. I et II). Le culte catholique sera rétabli partout où il a été supprimé ; le culte réformé sera librement célébré ; partout où il a été établi et, de plus, dans deux localités désignées, de chaque baillage (art. III, IX, XI)[99]. Il est interdit d'attaquer les protestants du haut de la chaire (art. XVII), de suborner leurs enfants (art. XVIII), de déshériter un parent pour cause de religion (art. XXVI). Les réformés jouiront de tous les droits civils et politiques et seront admissibles à tous les emplois (art. XXVII).

Ces libérales concessions, si conformes à nos mœurs actuelles, parurent, en 1598, excessives à la plupart des catholiques. Ils savaient que les huguenots avaient partout aspiré, non à la liberté, mais à la domination, que partout où ils avaient eu le pouvoir, à Genève et dans le Béarn, ils avaient banni les catholiques[100]. Donner la liberté à de tels adversaires paraissait déjà une aventure périlleuse. Mais trois privilèges accordés aux protestants excitèrent particulièrement les appréhensions des catholiques : 1° Les réformés eurent le droit de garder pendant huit ans (et ce délai fut ensuite prolongé, comme c'était à prévoir) des places dites de sûreté dont le roi paierait les garnisons. De ce chef, les protestants gardèrent plus de deux cents villes, dont soixante-dix pouvaient être défendues, d'ont quelques-unes, comme La Rochelle, Montpellier, Saumur, étaient très fortes. 2° Les protestants purent réunir des assemblées périodiques, sortes d'états généraux et avoir des délégués à la cour, sortes de légats. 3° Une chambre spéciale du parlement de Paris, dite Chambre de l'Édit, fut chargée de juger les procès des réformés (art. XXX, XXXI, XXXII, etc.). Des chambres analogues furent instituées dans plusieurs parlements de la Province.

Le Pape réclama contre l'édit et les parlementaires gallicans eux-mêmes, qui avaient autrefois si vivement protesté contre les juridictions spéciales de l'Eglise catholique, protestèrent contre les privilèges militaires, politiques et judiciaires, qui faisaient de l'Eglise calviniste un Etat dans l'Etat. Ils firent observer, non sans raison, que la situation des protestants était plus favorisée que celle des catholiques, et que les articles relatifs aux places fortes, aux assemblées générales et à l'organisation judiciaire, altéraient gravement la constitution fondamentale et traditionnelle de la France. Le roi écouta ces remontrances, et se borna à dire qu'il regardait l'édit, non pas comme absolument bon, mais comme le meilleur possible dans les circonstances. Sans doute espérait-il que, dans l'intervalle des huit ans accordés aux protestants pour la jouissance de leurs privilèges, il les amènerait à se convertir. Les conférences qu'il provoqua entre les théologiens catholiques et les théologiens protestants, le rappel qu'il 'fit des Jésuites malgré l'opposition de son entourage, le contentement qu'il manifesta à ceux de ses amis qui abjurèrent le calvinisme, tels que Gontaut-Biron, Palma-Cayet, Sancy, semblent justifier cette hypothèse. Le crime de Ravaillac empêcha la réalisation de ces espérances. A peine Henri IV avait-il rendu le dernier soupir, que l'assemblée des protestants présentait au roi un projet composé de telle façon, dit Richelieu, que, quand le conseil eût été huguenot, il n'eût pu y donner satisfaction. Ce que les protestants proposaient, en effet, c'était une grande fédération, une sorte de république protestante établie en France, divisée en une quinzaine de provinces et gouvernée par un conseil central. Le projet fut écarté ; mais les huguenots n'en continuèrent pas moins à profiter ou plutôt à abuser de la situation qui leur était faite dans l'Etat, jusqu'au moment où ils se heurtèrent à l'énergique politique de Richelieu.

 

 

 



[1] Jean du Bellay, évêque de Paris, ne se sépare jamais d'Horace, même la nuit. Amyot sera récompensé de sa traduction de Théagéne et Chariclée par l'abbaye de Bellozane, et, après sa traduction de Plutarque, sera nommé évêque d'Auxerre.

[2] E. GÉNIN, Lettres de Marguerite d'Angoulême, Paris, 1841-1842, 2 vol., Préface.

[3] L'ambassadeur vénitien Dandolo ne tarit pas d'éloges sur Marguerite d'Angoulême : Questa credo la piu savia non dico delle donne di Francia, ma forse anco degli nomini. Cosi ben intelligente e dotta, qu'io credo pochi ne sapnino parlar meglio. Cité par RANKE, Hist. de France, I, 151.

[4] LANSON, Hist. de la litt. française, 7e édit., p. 233-234.

[5] M. Génin, dans sa Préface aux Lettres de Marguerite d'Angoulême, démontre que la plupart des personnages de l'Heptaméron sont réels.

[6] LANSON, Hist. de la litt. franç., p. 235.

[7] Le loyal serviteur, Edit. de la Société de l'hist. de France, p. 369.

[8] En 1519, Erasme l'appelle un vieillard, senex. Deux de ses contemporains, Paul Jove et Scævola de Sainte-Marthe, insistent sur la petitesse de sa taille. Ce dernier l'appelle Homunoulus genere staturaque perhumili (Elogia gallorun, illustrium). Statura fuit, dit Jove, supra modum humili (Elogia doctorum virorum, Bâle, 1571, p. 363).

[9] Erasme le qualifie de natura mitis et blandus.

[10] GRAF, Essai sur la vie et les œuvres de Lefèvre d'Etaples.

[11] Lefèvre avait aussi fait éditer les Œuvres de Denys l'Aréopagite, le livre de Richard de Saint-Victor sur la Trinité et l'Ornement des noces spirituelles de Ruysbrock. D'où un mouvement de piété mystique qui tombera facilement dans le quiétisme. Cf. SCHMIDT, Les libertins spirituels, Bâle, 1876, un vol. in-12.

[12] GÉNIN, Lettres de Marguerite d'Angoulême, t. II, p. 285. Sur les tendances protestantes de Marguerite d'Angoulême et sur les contradictions apparentes de sa conduite, voir HAUSER, Etudes sur la Réforme française, p. 35-39 ; A. LEFRANC, Idées religieuses de Marguerite, dans Bull. du prof. franç., janvier-mars 1798 ; Marguerite de Navarre et le platonisme de la Renaissance dans Bibl. de l'E. des Chartes de 1897-1898 ; Le mysticisme quiétiste au début de la Réforme, dans Bull. du protest., VI, 449-461.

[13] Abbé CLERVAL, De Jodoci Clichtovei neoportuensis vita et operibus, 1894.

[14] Eruditionis et integritatis columen, cité dans Hist. de France de Lavisse, t. V, Ire partie, p. 351.

[15] Sur Noël Beda, trop noirci par la plupart des historiens protestants, voir Revue des questions historiques, octobre 1902. Voir aussi Abbé FÉRET, La faculté de théologie de Paris, époque moderne, t. II, p. 4 et s.

[16] Dans un opuscule daté du 26 avril 1675 et publié pour la première fois par M. Emery parmi les Opuscules de l'abbé Fleury, Paris, 1818, p. 320-325, Bossuet a soutenu qu'il est plus conforme à la lettre de l'Evangile de distinguer ces trois saintes : la pécheresse qui vient chez Simon le Pharisien ; Marie, sœur de Marthe et de Lazare, et Marie-Magdeleine, de qui Notre-Seigneur avait chassé sept démons. Op. cit., p. 324. — Cf. BOSSUET, Œuvres complètes éd. Lachat, t. XXVI, p. 114-116, et LEVESQUE et URBAIN, Correspondance de Bossuet, Lettre 428, note 25.

[17] Jean CRÉPIN, Acta Martyrum, l. IV ; Théodore de BÉZE, Hist. ecclés., l. I ; de FÉLICE, Hist. des protestants de France, l. I, § 2, p. 29.

[18] Quelques auteurs pourtant pensent que les mandements de Briçonnet datent de 1523. Voir S. BERGER, Le Procès de G. Briçonnet, Bulletin de la Soc. du protest. français, t. XLIV, 1895.

[19] M. Ferdinand Buisson écrit : En 1512, il (Lefèvre), publie son Commentaire sur les Epitres de S. Paul... Egalant d'avance l'audace de Luther et de Zwingle... Il affirme sans réserve l'autorité exclusive de l'Ecriture Sainte, le salut par la foi et non par les œuvres ; il désapprouve les prières en latin, le célibat des prêtres, les superstitions locales ; il ose dire que l'ablution dans l'eau du baptême ne justifie pas, mais est le signe de la justification par la foi en Christ ; enfin que ce qui s'accomplit chaque jour (dans la messe) par le ministère du prêtre n'est pas tant un sacrifice réitéré qu'un acte de commémoration... Michelet l'a dit avec une exagération voulue : Six ans avant Luther, le vénérable Lefèvre enseigne à Paris le luthéranisme. Hist. Générale de Lavisse et Rambaud, t. IV, p. 479. On peut voir jusqu'où va l'exagération voulue de Michelet, en se reportant à l'ouvrage même de Lefèvre auquel se réfère M. Buisson, le Commentaire sur les épitres de saint Paul. 1° Lefèvre admet l'autorité spirituelle et même temporelle du Pape telle que l'entendait le Moyen Age. Dans les choses sacrées, dit-il, le prince séculier doit obéir au prince sacré (Ep. ad. rom., XII, 6 ; XIII, 1 et s.). S'il déplore des abus de la part des évêques, des moines et des prêtres, il ne le fait pas avec plus de vigueur que saint Pierre Damien et saint Bernard. 2° Sur la question capitale de la justification par la foi et le mérite des œuvres, voir ses propres termes : Neque oredas sufficere ut continuo justificatus sis, si fides habes. Nequaquam ita est. Nam non quis que ex fide justificatur, ut fides ipsa justificatio sit, ut neque opera. Etenim credunt dœmones, ut inquit Jacobus apostolus ; sed ex fide justificamur quemadmodum ex operibus, ex his remotius, ex illa vicinius... Neque fides neque opera justificant ; sed preparant ad justificam, quemadmodum unus est Deus qui justificat (Ad Ep. ad Rom., III, 28). Cf. ad Ep. ad Rom., II, 13 ; IV, 1 et s. 3° Il constate aussi ce fait que maxima pars hominum non orant cum intellectu ; orant enim in lingua quam non intelligunt (ad Epist. ad Cor., XIV, 128). 4° A propos de superstitions locales, Lefèvre dit que beaucoup ont le tort d'abandonner Jésus-Christ pour des superstitions populaires ; il dit aussi que les stigmates du Sauveur sont bien plus vénérables que ceux de saint François (GRAF, Essai sur la vie et les œuvres de Lefèvre d'Etaples, p. 76, 79, 80). 5° Le texte du Commentaire ad Rom., IV, 17 ; Ablutio circa nos materialis aquæ in baptismate non justificat, sed signum est justificationis, pris à la lettre serait zwinglien, mais il doit être complété par d'autres textes où Lefèvre admet le baptême des petits enfants et déclare que les chrétiens sont justifiés en sortant de l'eau sacrée (Ad Ep. ad Rom., III, 28). 6° Sur le célibat des prêtres, il déclare, à la suite de saint Paul, que vita thori bona est et vita abstinens a thoro bona ; sed vita abstinentium a thoro propter Christum ut cœlibem vitam ducentes, sanctius puriusque vacent orationi... operibus misericordiœ, melior est (Ad Epist. I, ad Cor., VII, 8 et s). Cf. ibid., I, 10 et s. Il est vrai qu'il dit que l'état de virginité n'est salutaire qu'à ceux que Dieu y appelle (I Cor., VII, 25 et s.), et que, après avoir dit que l'Eglise d'Occident l'a admis autrefois, il ajoute : Agamiam acceptaverunt aliæ ecclesiæ, unde plurimi, per deteriorem incontinentiam lapsi, in pedicas inciderunt diaboli (Ad Ep., I, ad Tim., III, 2). Mais ce n'est là que la constatation, plus ou moins exacte, d'un fait historique, qui ne préjudicie en rien au dogme et à la discipline. 7° A propos du sacrifice de la messe, Lefèvre parle bien d'un seul sacrifice, mais il semble bien le faire dans le sens attribué à l'Epitre aux Hébreux par tous les commentateurs catholiques : Non tam, dit-il, sunt iteratæ oblationes quam unius ejusdem, et quæ semel tantum oblata, est victimæ memoria et recordatio (Ad Ep. ad Hebr., VII, 27). Il professe d'ailleurs avec énergie la croyance à la présence réelle du Sauveur dans l'Eucharistie (Ad Ep. ad Cor., XI, 28).

[20] DE FÉLICE, Hist. des protestants de France, p. 34.

[21] Nous ne comptons pas au nombre des victimes protestantes Etienne Dolet, que beaucoup de protestants ont renié comme impie et libertin. Voir DUVAL-ARNOULT, Etienne Dolet, dans la Quinzaine du 1er août 1898.

[22] Voir BOSSUET, Variations, IX, 82 et Defensio declarationis cleri gallicani, cap. XXIII.

[23] Cette lettre du Pape ne se trouve que dans le Journal d'un bourgeois de Paris, édit. LALANNE, p. 458. Aucun autre recueil ne la contient. Elle est vraisemblable de la part du Pontife qui, en cette même année 1533, écrivait aux catholiques suisses : Vos ab armis contra alios Helvetios abstinere, quantum salva ipsa catholica fide fieri possit, hortamur in Domino. RAYNALDI, ann. 1535 n° 27.

[24] DU BELLAY, Mémoires, l. VI (Collection PETITOT, 1re série, XVIII, p. 345 et s.).

[25] Le bourg de Cabrières, situé dans le Comtat Venaissin, dépendait du Saint-Siège, tandis que les Vaudois de Mérindol étaient sujets du roi de France.

[26] RAYNALDI, ann. 1539, n° 34.

[27] C'est le chiffre admis par le P. DANIEL, Hist. de France, édit. in-12, 1742, tome X, p. 572.

[28] Voir BOUCHE, Essai sur l'histoire de Provence, t. II, p. 78-86. Jacques AUBERY, Histoire de l'exécution de Cabrières et de Mérindol ; Paul GAFFAREL, Les Massacres de Cabrières et de Mérindol, Bibl. de l'École des Chartes, mai-août 1911.

[29] Discours sur l'Histoire universelle pour le Dauphin, règne de Henri II.

[30] FLORIMOND DE RÉMOND, De la naissance de l'hérésie, l. VII, ch. VI. — Le martyrologe des protestants publié par Jean CRESPIN, en 1554, eut un succès considérable. Les éditions se multiplièrent en grossissant. En 1560, c'est un in-quarto, puis un in-folio. Concurremment des éditions in-16 et in-8° circulent, plus une traduction latine. Le succès se continue, inépuisable.

[31] Abel LEFRANC, La Jeunesse de Calvin, 1882, p. 25. Cf. W. WALKER, Jean Calvin, trad. WEISS, 1 vol. in-8°, Genève, 1909.

[32] Henry LEMONNIER, dans l'Hist. de France de LAVISSE, t. V, Ire partie, p. 369.

[33] Le chef du protestantisme français a eu beaucoup de pseudonymes. Celui qui s'écarte le moins de son nom est Calvinus. Il a signé aussi Alcuinus, Lucasnius et Chambardus. Ce dernier pseudonyme se trouve dans une correspondance avec son ami Baduel, correspondance conservée à la bibliothèque du musée Calvet d'Avignon, n° 1290.

[34] Il lui fit attribuer, en 1521, la chapelle de la Gésine, en l'église cathédrale, et, en 1527, la cure de Marteville échangée en 1529 contre celle de Pont-l’Évêque près de Noyon. Jean Calvin, âgé de douze ans à peine, lors de l'obtention de son premier bénéfice, ne pouvait naturellement en exercer les fonctions. Il en partageait les revenus avec le prêtre délégué qui en remplissait les charges. En 1534, Calvin résigna la cure de Pont-l’Évêque contre compensation en argent.

[35] Dès l'année 1558, Simon Fontaine dans son Histoire catholique de notre temps, in-8°, Paris. 1558, p. 193, écrivait : On a semé des propos infâmes sur la vie de Calvin, lesquels, s'ils étaient vrais, donneraient arguments irrécusables de l'externe besterie de ce pays-là (Noyon). Plus tard du Préau, Démocharés, la Vacquerie, Surius, Bolsec, dans son Histoire de la vie de Jean Calvin, Lyon, 1875, p. 28-29, et Richelieu dans son Traité pour convertir ceux qui se sont séparés de l'Eglise, in-f°, Paris, 1651, l. II, c. X, p. 291 et s., ont précisé ces accusations. Calvin aurait été obligé de quitter la ville de Noyon à propos de vices infâmes, pour lesquels il aurait été condamné et marqué au fer rouge. Desmay dans ses Archives curieuses, p. 390, écrit : J'ai ouï dire à aucuns chanoines des plus anciens de Noyon qu'ils avaient vu dans le registre une feuille blanche, portant en tête : Condamnatio Calvini. Le P. Lessing, jésuite, raconte qu'ayant demandé communication des registres du chapitre de Noyon, on lui répondit : Ces registres ont été renouvelés et changés ; on a omis le récit de l'infamie (Liber de vera capessenda religione, p. 81). Mais l'accusation portée contre Calvin ne serait-elle pas le résultat d'une confusion regrettable ? Un chanoine Le Vasseur, dans un ouvrage dont on ne connaît actuellement qu'un seul exemplaire, conservé au British Museum, dit qu'un chanoine nommé Jean Cauvin fut, vers le milieu du XVIe siècle, fouetté pour crime d'immoralité et pense qu'on l'a confondu avec le chef du protestantisme français. Les registres capitulaires de Noyon sont perdus ; il en subsiste seulement à la Bibliothèque nationale, Fonds français, n° 12032, un inventaire assez détaillé, rédigé au XVIIIe siècle. On y lit les lignes suivantes : 26 mai1534. Me Jean Cauvin est mis en prison à la porte Corbant pour tumulte fait dans l'église la veille de la Trinité. Kampschulte et Paulus, historiens catholiques, ne croient pas à l'infamie de Calvin. Voir des discussions approfondies sur cette question dans A. LEFRANC, La jeunesse de Calvin, 1882, et dans DOUMERGUE, Jean Calvin, les hommes et les choses de son temps, 1889, t. I. Les accusations infamantes portées contre Calvin pendant tout le temps qu'il appartint à l'Église catholique, dit le P. Paul BERNARD, ne reposent que sur de vagues rumeurs, dont l'origine s'explique d'elle-même. Etudes du 5 juillet 1909, p. 13.

[36] M. DOUMERGUE, Jean Calvin, les hommes et les choses de son temps, 1899, t. I, reconnaît le fait de ce surnom donné à Calvin par ses camarades, et conjecture qu'il venait de ce que, pendant son enfance d'écolier, Jean Calvin n'avait pu réciter une déclinaison au delà de l'accusatif. M. Doumergue constate d'ailleurs qu'un des camarades de Calvin avait été surnommé l'ablatif à cause de sa tendance à soustraire les objets appartenant à autrui.

[37] F. BRUNETIÈRE, Discours de combat, L'œuvre de Calvin. — Dans les Etudes des 5 et 20 juillet 1909, M. Paul BERNARD conjecture que la conversion de Calvin doit être attribuée à des motifs d'ordre tout humain et personnel. On lit dans un curieux opuscule publié à Rome en 1625, De pietate romano, auctore Th. AMYDENO, p. 191, le passage suivant : Novi ego Joannem Calvinum, imo cum homine idem diversorium et idem cubiculum sortitus sum, ubi tunc ille noctu narrare cuias esset et quid negotii Parisiis : Judicarunt (inquiens) judices mihi canonicatum quem impetraveram non adjudicandum, et quidem injuste ; sed sentien magno Galliæ malo quantus vir est Calvinus. — Sans nier aucunement l'existence et la prépondérance même de ce motif dans l'âme de Calvin, il nous semble impossible de faire abstraction des tendances personnelles qui le portaient vers une religion individualiste et rationnelle, pas plus que des antécédents de sa famille, qui le prédisposaient à la lutte contre l'Église. Cf. Revue d'histoire de l'Église de France, 25 janvier 1910, p. 115.

[38] Ce discours, dont on ne possédait jusqu'à ces derniers temps que des résumés et des fragments, a été découvert complètement en 1872 dans un manuscrit de la bibliothèque de Strasbourg et publié dans les Opera Calvini, t. IX, Prolegomena, p. LXXII.

[39] M. LANG, Die Bekehrung Johannes Calvins, Leipzig, 1897, a montré comment Calvin, dans ce discours, a copié, parfois mot pour mot, soit Erasme (Erasmi paraclesis, formant la préface de la 3e édition de son Testament), soit Luther (Sermon pour la fête de Tous les Saints de 1522). Cf. DOUMERGUE, Jean Calvin, t. I, p. 336.

On a voulu voir dans ce premier essai une protestation indirecte contre les supplices ordonnés par la Sorbonne et le Parlement. La protestation serait bien vague et bien timide.

[40] Près de la place actuelle du Panthéon, dans la rue aujourd'hui dénommée rue Vallet.

[41] Jacques Desmay raconte qu'un chanoine de Noyon rencontra Calvin, le reconnut et le supplia de changer de vie et s'arrêter au bien. Calvin lui répondit : Puisque je suis engagé, je poursuivrai tout outre, mais si c'était à recommencer, je ne m'y engagerais pas. — Jacques Desmay, docteur en Sorbonne et vicaire général de Rouen, prêchant un carême à Noyon en 1614, y recueillit, dit M. Lefranc, des Remarques sur la vie de Jean Calvin, écrites sans trop de malveillance ni de passion. A. LEFRANC, La jeunesse de Calvin, p. XIV.

[42] Christianæ religionis institutio, Bâle, 1536, in-8°, édition précédée de la fameuse préface à François Ier. La première édition française parut à Genève en 1541. L'hypothèse d'une édition française antérieure à 1536 doit être écartée. H. HAUSER, Les sources de l'Hist. de France, VII, 63.

[43] Institution chrétienne, l. II, ch. II, 16 et 17.

[44] Institution chrétienne, l. III, ch. XI, 2.

[45] Tandis que Luther conditionne la prédestination à la foi, Calvin conditionne la foi à la prédestination. De plus, Luther semble plutôt se préoccuper de trouver un moyen de saint ; Calvin de trouver une certitude de saint. Voir L. LABAUCHE, Leçons de théologie dogmatique. — Dogmatique spéciale. — L'Homme, p. 262, 279, 320.

[46] Le catholicisme (?), dit M. Ferdinand Buisson, avait demandé à l'homme de faire, au besoin, le sacrifice de sa raison. Calvin lui demande celui de sa conscience. Il exige que l'on adore comme souverainement juste l'arbitraire divin. Hist. générale de LAVISSE et RAMBAUD, IV, 524.

[47] BOSSUET, Variations, t. IX.

[48] BRUNETIÈRE, Discours de combat, L'œuvre de Calvin. M. Brunetière donne à ce mot d'aristocratiser, comme à ceux d'intellectualiser et d'individualiser, appliqués par lui à la religion de Calvin un sens plus large. A ce point de vue, on a eu raison de lui faire observer que dans la religion de Calvin les illettrés sont appelés comme les savants, car il leur suffit de croire à la prédication des pasteurs ; que, s'il y a dans l'Institution chrétienne quelque chose d'inculqué avec force, c'est l'obligation de s'incliner devant les impénétrables mystères de religion ; pie Calvin, tout en rejetant la communion des saints au sens où l'admet l'Eglise catholique, admet une Eglise visible, dont tous les membres forment le corps mystique du Christ et qu'unit la charité fraternelle. (Paul DUDON, dans les Études du 5 décembre 109, p. 677-678). Il n'en reste pas moins vrai, comme on l'avoue, qu'eu un sens très réel, Calvin, en dressant son sens privé en face de l'Eglise, non plus seulement pour une œuvre presque toute négative comme Luther, mais pour définir un symbole, organiser un culte, constituer un gouvernement, anathématiser les soi-disant erreurs pontificales, s'est montré, bien plus que Luther, intellectuel, aristocrate et individualiste.

[49] L. RANKE, Histoire de France pendant les XVIe et XVIIe siècles, t. I, p. 164. M. H. Hauser présente cette législation tyrannique comme une réaction contre la manière de vivre des libertins et des humanistes. Etudes sur la Réf. franc., p. 55-65.

[50] Voir Claude BOUVIER, La question Michel Servet, Paris, Bloud, 1908.

[51] CALVINI Opera, Amsterdam, 1647, t. IX, p. 70, 92.

[52] C'est le chiffre donné par Théodore de Bèze et généralement accepté par les historiens.

[53] N. WEISS, La chambre ardente, Paris, 1889.

[54] Les cardinaux de Guise, de Bourbon et de Châtillon.

[55] Quand un ecclésiastique voulait résigner un bénéfice, il adressait sa demande à Rome. Or, la coutume s'était établie, parait-il, de donner à la résignation deux dates : la Grande Date, qui marquait le jour où le Pape avait enregistré la demande à Rome, et la Petite Date, qui indiquait l'enregistrement par des officiera subalternes. La coexistence de ces deux dates donnait lieu à des abus réels, qui lurent d'ailleurs bientôt réprimés par les Papes. Voir Mémoires du Clergé de France, t. XII, p. 889-899.

[56] Voir le texte de cette Confession de foi dans l'Histoire ecclésiastique de Théodore DE BÈZE, liv. II, Edit. de Genève, 1580, t. I, p. 173-190.

[57] On appelait stuarder des balles empoisonnées, dont on disait que Jacques Stuart se servait.

[58] Henri LEMONNIER, dans l'Hist. de France de Lavisse, t. V, 2e partie, p. 181, 182.

[59] L'amiral avait été amené au protestantisme par l'influence de son jeune frère François, plus connu sous le nom de Dandelot. Fait prisonnier en 1551, il avait lu dans sa prison les œuvres de Calvin, en avait été vivement impressionné, et avait communiqué son impression à ses deux frères. L'aîné, Odet, connu sons le nom de cardinal de Chatillon, ne devait pas avoir une action politique très grande. Mais l'étrangeté de sa vie privée mérite une mention, comme indice des mœurs de cette époque. Né en 1515, cardinal à 18 ans en 1533, archevêque de Toulouse l'année suivante, puis, un an après, évêque de Beauvais, il mène une vie assez mondaine. Il ne se déclare ouvertement huguenot qu'après la mort d'Henri II. Excommunié par Paul IV, il épouse publiquement, en robe rouge, Elisabeth de Hauteville, qu'il présente à la cour, où elle est communément appelée Madame la Cardinale ou la Comtesse de Beauvais. Pendant les guerres religieuses, il se bat dans l'armée de ses frères, puis passe en Angleterre, où il est fort bien reçu par la reine Elisabeth.

[60] La publication de la correspondance de Catherine de Médicis a été commencée par M. de la Ferrière et continuée par M. Baguenault de Puchesse.

[61] Revue des Questions historiques, 1885, p. 551 et s.

[62] On raconte que Montmorency disait son chapelet en méditant des ordres sévères et que Coligny se servait de son cure-dents lorsqu'il préparait quelque gave mesure.

[63] Lettres de Michel de L'HOSPITAL, Paris, 1778.

[64] Discours prononcé le 13 décembre 1800 devant les Etats généraux d'Orléans. Cf. DE FÉLICE, Hist. des prof. de France, p. 120.

[65] Théodore DE BÈZE, Hist. ecclés., t. IV, t. I, p. 500-665.

[66] Théodore DE BÈZE, Hist. ecclés., t. IV, t. I, p. 674-631.

[67] Voir Revue hebdomadaire de novembre 1908, art. de M. Louis BATIFFOL.

[68] RONSARD, Œuvres complètes, éd. Marty-Laveaux, t. V, p. 336 et s. L'édition originale est de 1562. Voir Dom LECLERCQ, Les Martyrs, t. VII, p. 175-183. Cf. VARSTEGAN, Theatrum crudelitatum hereticorum nostri temporis, Autuerpiæ, 1587. — Sur l'attitude prise par Ronsard contre les protestants et sur les causes de cette attitude, voir F. STROWSKI, S. François de Sales, Introduction à l'hist. du sentiment religieux en France au XVIIe siècle, Paris, 1898, p. 13 et s.

[69] Dom VAISSETTE, Hist. du Languedoc, V, 298.

[70] Presque tous les protestants, dit Théodore de Bèze, voulaient qu'on demandât un prompt et suffisant secours aux princes d'Allemagne. Hist. ecclés., t. II, p. 35. — Condé et Coligny traitèrent avec les Anglais, leur correspondance en fait soi. Dès 1561, Coligny avait des entrevues avec Trockmorton dans la forêt de Fontainebleau, dans lesquelles l'amiral révélait ce qui s'était passé au Conseil royal et le faisait savoir à Elisabeth. DE LA FERRIÈRE, Le XVIe siècle et les Valois, p. 52.

[71] TH. LAVALLÉE, Hist. des Français, t. I, p. 560.

[72] DE FALLOUX, Vie de saint Pie V, p. 203, 208, 217-219.

[73] On peut voir la tradition française sur ce point dans le savant ouvrage de Thomassin, Traité dogmatique et historique des édits et autres moyens dont on s'est servi pour établir et maintenir l'unité de l'Eglise, 2 vol. in-4°, 1703.

[74] H. DE LA FERRIÈRE, Correspondance de Catherine de Médicis, t. IV, Introduction, p. LXVI-LXVII.

[75] Collection de documents inédits sur l'histoire de France, Correspondance de Catherine de Médicis, t. IV, p. LXXVII.

[76] C'est le chiffre accepté par RANKE, Henri MARTIN, l'Histoire générale de LAVISSE et RAMBAUD, t. V, p. 145 et L. BATIFFOL, Le siècle de la Renaissance, 235. Parmi les contemporains, de Thou dit 2.000 ; l'ambassadeur vénitien Micheli, de 2.000 à 4.000 ; d'Aubigné, 3.000 ; Brantôme, 4.000 ; Mézeray, 5.000. Le martyrologe protestant donne le chiffre de 10.000, mais n'énumère nominativement que 468 victimes. Caveirac, dans son Apologie de Louis XIV... suivie d'une Dissertation sur la Saint-Barthélemy, p. LXIII, a publié un document susceptible de fournir une base d'évaluation probable : c'est une note des fossoyeurs pour l'enterrement de onze cents cadavres retirés de la Seine. Comme il est probable que la plupart des cadavres ont été jetés à la Seine, qu'un grand nombre ont pu en être retirés et que les fossoyeurs n'ont certainement pas diminué le chiffre, l'évaluation du nombre des victimes à 2.000 parait être exacte. N'oublions pas d'ailleurs que, suivant la remarque de Mézeray, un certain nombre de catholiques ont péri dans le massacre. — L'anecdote d'après laquelle Charles IX aurait tiré des coups d'arquebuse sur les protestants, d'une fenêtre du Louvre, n'a aucun fondement historique (LOISELEUR, Trois énigmes historiques, p. 108-116). — Quant au clergé, remarquons que pas un de ses membres n'a fait partie du conseil qui a décidé la Saint-Barthélemy, que, dans plusieurs provinces, le clergé a nais fin aux scènes de meurtre, et que plusieurs de ses membres les plus éminents ont blâmé la Saint-Barthélemy. Aux Etats-Généraux de 1614, le cardinal Du Perron dénoncera ces esprits violents qui, s'étant, portés à une extrémité, croient que le meilleur moyen de se justifier est de passer à l'autre, et Hardouin de Péréfixe flétrira cette action exécrable qui n'avait jamais eu et qui n'aura, s'il plaît à Dieu ; jamais de pareille. (Histoire du Roi Henry le Grand).

[77] Voir, sur la Saint-Barthélemy : PHILIPPSON, Die Römische Curie und die Barthetomœusnocht ; VACANDARD, Les Papes et la Saint-Barthélemy, dans Études de critique et d'histoire religieuse, p. 219-292 ; BOUTARIC, La Saint-Barthélemy d'après les archives du Vatican.

[78] PETITOT, Collection de mémoires, t. XXII, p. 157.

[79] BRUGÈRE, Tableau de l'histoire et de la littérature de l'Eglise, p. 654 ; VERGNIAUD ROMAGNÉSI, Hist. d'Orléans, t. II, p. 531.

[80] Ces quatre nouvelles places de sûreté étaient : Saumur, Niort, Saint-Jean d'Angély et Mézières.

[81] PALMA CAYET, éd. Petitot, t. XXXVIII, p. 251 ; éd. Buchon, Panthéon littéraire, t. I, p 8.

[82] BRUGÈRE, Tableau de l'histoire et de la littérature de l'Eglise, p. 661.

[83] LEZEAU, De la religion cath. en France, p. 41 ; Dialogues entre le Maheustre et le Manant, Paris, 1593, p. 439. L'ouvrage de Lezeau, défenseur modéré de la Ligue, a été publié dans les Archives curieuses de l'Hist. de France, t. XIV, p. 9-91. L'auteur du Dialogue entre le Maheustre (gentilhomme royaliste) et le Manant (ligueur) est probablement Roland, l'un des Seize.

[84] Henry III, roi de France, Henri de Navarre, chef des Huguenots, et Henri de Guise, chef des Ligueurs.

[85] Telle est la conclusion de M. H. de L'EPINOIS, dans son important ouvrage La Ligue et les Papes, 1 vol., in-8°, Paris, 1836, écrit d'après des documents des Archives nationales et surtout des Archives Secrètes du Vatican.

[86] H. de L'EPINOIS, La Ligue et les Papes, p. 591 et s.

[87] Lettre du 30 avril 1593, citée par H de L'EPINOIS, loc. cit., p. 591.

[88] Lettre du 22 juillet 1593, citée par H de L'EPINOIS, loc. cit., p. 592.

[89] Cité par FORNERON, Philippe II, t, III, p. 202.

[90] Mémoires, ch. XXXVIII, p. 107-110.

[91] Cité par FÉRET, Henri IV et l'Eglise, 1 vol, in-8°, Paris, 1875, p. 40.

[92] FÉRET, Henri IV et l'Eglise, p. 51.

[93] DUPLEIX, Histoire de Henri le Grand, Paris, 1635, p. 119.

[94] Au fond, dit M. Brugère, ce fameux raisonnement, admiré de certains théologiens, est un sophisme. Lorsque les catholiques disent : On ne peut faire son salut chez les protestants, ils sous entendent : à moins de bonne foi ; et quand les protestants concèdent qu'on peut faire son salut chez les catholiques, ils sous-entendent : moyennant bonne foi. BRUGÈRE, Tableau de l'hist. et de la litt. de l'Eglise, p. 681. — S'il faut en croire Richelieu, Henri IV confessa à la reine (Marie de Médicis) qu'au commencement qu'il fit profession d'être catholique, il n'embrassa qu'en apparence la vérité catholique pour s'assurer la couronne, mais que, depuis la conférence qui eut lieu à Fontainebleau entre le cardinal du Perron et Duplessis-Mornay (en 1600) il détestait autant par raison de conscience la créance des Huguenots que leur parti par raison d'Etat. Mémoires de Richelieu, collection PETITOT, 2e série, t. X, p. 157. — Quant à la fameuse phrase qu'aurait prononcée Henri IV au moment de sa conversion : La couronne vaut bien une messe, Paris vaut bien une messe, elle est d'une incontestable invraisemblance. Henri de Béarn était trop adroit pour parler ainsi. M. Edouard Fournier croit en avoir trouvé le véritable auteur dans un ouvrage satirique de l'époque publié pour la première fois en 1622 et réédité en 1855 sous le titre de Caquets de l'accouchée. Voir Edouard FOURNIER, L'esprit dans l'histoire, Paris, 1867, p. 240.

[95] Documents inédits sur l'hist. de France, Lettres missives de Henri IV, t. p. 815, 817.

[96] Registre-Journal de Henri IV, dans la Nouvelle collection de Mémoires, de MICHAUD et POUJOULAT, p. 160.

[97] Clément VIII, dans l'absolution définitive qu'il accorda à Henri IV, déclara l'absolution épiscopale nulle, invalide et de nul effet, nullant et invalidam ac nullius roboris et momenti. Le Pape déclarait se réserver le jugement suprême des conditions de catholicisme imposées aux princes. On doit voir dans cet acte, indépendamment de la nécessité de ménager l'Espagne, la volonté de sauver ce qu'on pouvait encore garder de l'antique droit international de l'Europe.

[98] ISAMBERT, Anciennes lois françaises, t. XV.

[99] Une difficulté particulière se présentait pour certaines villes, notamment pour Paris. Des traités passés avec la Ligue avaient stipulé que l'exercice du culte calviniste serait interdit dans Paris et dans quelques autres grandes villes. L'édit de pacification déclare respecter ces traités, mais il ajoute que les Réformés pourront librement séjourner dans ces villes et célébrer leurs prêches à peu de distance dans la banlieue. A Paris, on désigna Ablons, près de Villeneuve-Saint-Georges. C'est là que Sully allait au prêche, après avoir offert le pain bénit à saint Louis. On disait qu'il était de deux paroisses.

[100] Aux conférences de Saint-Bris, en 1586, Catherine de Médicis disait au vicomte de Turenne, représentant d'Henri de Navarre : Le roi ne veut qu'une religion en France. Le huguenot répondit : Nous aussi, Madame, mais nous entendons que ce soit la nôtre.