HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — LA RÉVOLUTION PROTESTANTE

CHAPITRE II. — LE PROTESTANTISME EN ANGLETERRE.

 

 

Lorsque, en 1521, le roi Henri VIII combattait si vigoureusement les erreurs de Luther et recevait du Pape le titre glorieux de défenseur de la foi, un observateur superficiel n'aurait pu croire que bientôt ce même roi provoquerait, entre l'Église romaine et l'Angleterre, une scission plus radicale et plus complète que celle qui régnait en Allemagne ; qu'à la faveur de cette séparation, son fils Edouard VI laisserait pénétrer dans la Grande-Bretagne le luthéranisme, et que sa fille Elisabeth organiserait contre les catholiques la plus savante et la plus cruelle des persécutions. Parti de la négation d'un dogme essentiel, Luther aboutit à la guerre violente contre Rome ; partie de la rupture avec le Saint-Siège, la monarchie anglaise aboutit à l'hérésie anglicane : tant il est vrai que toute hérésie appelle un schisme et que tout schisme prépare une hérésie, la pureté de la foi et l'obéissance à la hiérarchie étant indissolublement liées dans l'Église de Jésus-Christ.

 

I

Les germes de schisme et d'hérésie qui troublaient le continent depuis le XIVe siècle existaient aussi dans la Grande-Bretagne. A l'origine des deux mouvements qui ébranlèrent le plus les institutions du Moyen Age, le mouvement des Légistes et celui des Docteurs hétérodoxes, nous avons rencontré deux Anglo-Saxons, Guillaume d'Occam et Jean Wicleff. D'autre part, les faux mystiques qui agitaient l'Allemagne et la France auraient reconnu des frères dans ces Lollards qui, à la fin du mye siècle, affichaient aux portes des églises des placards diffamatoires contre le clergé et prêchaient au peuple des doctrines pareilles à celles des collectivistes les plus avancés de nos jours[1]. Au XVe siècle, les efforts coalisés du Pape et du roi les avaient dispersés et avaient paru les abolir ; mais leur esprit avait survécu et devait être un des éléments les plus efficaces du schisme anglican.

Nulle part l'esprit d'égoïsme national qui avait brisé l'unité de la chrétienté n'était plus vivant qu'en Angleterre à cette époque. La nouvelle aristocratie britannique, née dans k commerce et la finance, pénétrée d'un esprit utilitaire, incapable de s'élever à l'héroïsme généreux des croisés d'autrefois, ruinée par la guerre des Deux-Roses, regardait avec envie les riches propriétés du haut clergé. Le roi Henri VII, après avoir fait sanctionner par le Pape l'union des deux Roses en sa personne, venait de créer en Grande-Bretagne la monarchie absolue, et tenait l'épiscopat sous sa main. Les nominations des évêques appartenaient en droit aux chapitres, mais dépendaient en fait du roi, qui pesait sur les chapitres, et qui récompensait les prélats les plus intelligents par des emplois de conseillers légaux, d'ambassadeurs, de ministres. Le privilège de clergie des simples clercs avait disparu : ils étaient jugés désormais par les tribunaux royaux. Dans l'ensemble de la nation régnait une méfiance sourde envers le Pape. On craignait que le Saint-Siège ne vînt à dépendre de l'empereur d'Allemagne, comme au temps du grand schisme il dépendait du roi de France. En 1426, le Pape Martin V s'était déjà plaint que le roi d'Angleterre eût usurpé la juridiction spirituelle aussi absolument que si Notre-Seigneur l'eût constitué son vicaire. Le mal s'était bien aggravé depuis lors.

Un prêtre de grand savoir, John Colet, né à Londres en 1467, mais formé à la culture de l'humanisme par les maîtres florentins, apporta dans son pays l'esprit de la Renaissance, y commenta la Bible sans avoir recours aux docteurs scolastiques et y développa des idées réformatrices empruntées à Savonarole. Colet, Erasme et More formèrent bientôt ce qu'on appela depuis l'école réformatrice d'Oxford. C'est à Londres, dans la maison même de Thomas More, qu'Erasme écrivit, en 1511, son Eloge de la Folie, où, sans attaquer les dogmes de l'Eglise, il tournait en ridicule les moines, les théologiens scolastiques, les Papes, le culte des images, les reliques et les indulgences. Thomas More lui-même, ce ferme chrétien, dans son Utopie, publiée en 1516, se jouait avec les paradoxes les plus étranges, allait jusqu'à demander que les prêtres du royaume d'Utopie fussent élus au scrutin secret, que nul ne fût inquiété pour ses opinions religieuses et que toutes les religions célébrassent le même culte dans le même temple. C'étaient là jeux d'esprit ; mais à la lecture de ces fantaisies littéraires, des idées fermentaient, des têtes s'échauffaient, et Thomas More devait être lui-même la victime d'une révolution que ses atopies avaient peut-être contribué à former.

 

II

L'arrivée au pouvoir du brillant et populaire Henri VIII, en 1509, ne pouvait qu'accentuer le mouvement d'autonomie nationale et de culture littéraire que nous venons de constater. Le jeune roi atteignait sa dix-huitième année. Sa jeunesse, sa beauté, sa bonne grâce lui avaient gagné tous les cœurs. Sa Majesté, écrit l'ambassadeur vénitien vers 1510, est le prince le plus charmant que nos yeux aient jamais vu. A l'entrevue du Camp du drap d'or, en 1520, les Français le trouveront hault et droit, le plus joli prince qui ait jamais gouverné l'Angleterre. A mon avis, écrit Chieregati à Isabelle d'Este en 1517, Henri surpasse tous ceux qui jamais portèrent une couronne. Heureux et béni peut se dire le pays qui possède un seigneur si digne et un si parfait souverain ! Bon musicien, excellent cavalier, remarquable jouteur, il parle bien le latin, le français et l'espagnol. Il entend chaque jour trois messes et parfois cinq. Il assiste en outre à l'office, c'est-à-dire aux vêpres et complies[2] ; mais il passe les soirées en mascarades, comédies, jeux et réjouissances. De la part de ce prince, si assidu aux offices et si ordonné aux plaisirs mondains, on peut s'attendre à une politique bien étrange. Il s'appliquera du reste à combiner la satisfaction de ses passions sensuelles et sa manie d'ingérence dans les affaires religieuses avec cette politique utilitaire, exclusivement nationale, dont son père lui a laissé la tradition et où le pousse la tendance générale de son peuple.

A son avènement au trône, Henri VIII trouva la politique anglaise orientée du côté de l'Espagne, par conséquent liée à la cause du Pape et dirigée contre celle de la France. Son mariage" avec la fille de Ferdinand, Catherine d'Aragon, mariage négocié dès 1503 par le roi son père Henri VII, devait être le sceau de cette politique nationale ; mais le jeune prince n'avait accepté qu'après certaines résistances une union décidée en dehors de son consentement.

Ses goûts pour la controverse religieuse trouvaient leur compte dans l'alliance avec le Saint-Siège. En 1514 Léon X, à peine élu, lui envoya en cadeau une épée et un bonnet doctoral. En 1518, aux premiers bruits de la révolte de Luther, le roi théologien composa un traité dogmatique, aujourd'hui perdu, sur la prière vocale[3]. En 1521, après la condamnation des doctrines luthériennes par la bulle Exsurge, il publia une œuvre de plus longue haleine et de plus haute portée sur la théologie des sacrements[4]. Une bulle du Pape conféra au roi le titre de Défenseur de la foi. L'orgueil de ce titre et les éloges accordés à celui que l'on appela le plus redoutable adversaire de Luther, devaient donner au roi une confiance superbe en sa science théologique, un désir immodéré de gouverner son royaume au spirituel comme au temporel, une attitude hautaine à l'égard des gens d'Eglise.

La répression de l'hérésie fut la première de ses préoccupations. La secte des Lollards était dissoute. Si beaucoup d'opinions hardies se faisaient jour, les hérésies formelles étaient rares. Néanmoins, de 1509 à 1522, deux hérétiques furent brûlés dans le seul diocèse de Londres. Le charpentier James Brewster, arrêté en 1505 pour avoir mal parlé des pèlerinages, des images et du sacrement de l'autel, puis relâché, fut saisi de nouveau en 1511, on ne sait sous quelle inculpation, et condamné à périr par le feu. Le berger William Sweeting, arrêté pour des motifs semblables et spécialement pour avoir nié la transsubstantiation, monta sur le même bûcher que Brewster, le 18 octobre 1511. Parmi les trente-sept accusés qui furent relâchés après rétractation, l'un avait soutenu qu'il y avait six Dieux, un autre que l'église de Saint-Paul était une caverne de voleurs, un troisième que le clergé était trop riche, un quatrième qu'il y avait trop de fêtes[5].

Un incident d'ordre tout personnel au roi d'Angleterre devait, en 1527, déterminer un schisme national. Catherine d'Aragon, qu'Henri VIII avait épousée en 1509, aussitôt après son élévation au trône, avait été unie en mariage, huit ans auparavant, au frère aîné du roi, Arthur. Ce prince, âgé de moins de quatorze ans et faible de constitution, était mort un an plus tard et n'avait été son mari que de nom. Il fallut néanmoins obtenir du Pape Jules II une dispense d'affinité au 1er degré pour célébrer le second mariage de Catherine. Or, quelques années après, le frivole monarque s'éprit d'une jeune Irlandaise, ancienne dame d'honneur de la princesse Marguerite de Navarre, actuellement dame de la suite de la reine Catherine. Des calculs politiques s'ajoutaient aux désirs de sa passion. Henri VIII désespérait d'assurer, sa succession par un héritier mâle[6]. L'empereur Charles-Quint, en refusant la main de la jeune princesse Marie, qu'Henri VIII lui offrait et en relâchant François Ier après Pavie, venait de réduire à néant les rêves ambitieux du monarque anglais, qui avait espéré, avec l'aide de l'empereur, conquérir la couronne de France. Divorcer d'avec Catherine, propre tante de l'empereur, serait sa vengeance ; la rupture matrimoniale soulignerait la rupture diplomatique. Mais il fallait trouver une raison ; le royal théologien et ses conseillers n'en alléguèrent pas moins de trois ; il était douteux, disait-on, que le Pape pût permettre le mariage avec la veuve du frère[7] ; d'ailleurs, ajoutait-on, la bulle de Jules II était nulle comme donnée sur de fausses allégations ; et, après tout, les services éminents rendus à l'Église par le roi d'Angleterre ne méritaient-ils pas un privilège spécial, s'il en était besoin ? On demandait au moins que la cause fût jugée en Angleterre et confiée au chancelier du Royaume.

Le titulaire de cette haute situation était alors Thomas Wolsey, archevêque d'York et cardinal. Wolsey, écrivait en 1519 l'ambassadeur vénitien Giustiniani[8], est un homme très beau, instruit, extrêmement éloquent, d'une grande habileté et infatigable... Toutes les affaires de l'État sont traitées par lui, quelle qu'en soit la nature. Il gouverne le royaume et le roi. A son arrivée au pouvoir, il avait l'habitude de dire : Sa Majesté fera ceci ou cela. Dans la suite il s'oublia, et commença à dire : Nous ferons ceci et cela. Il atteignit enfin un tel point d'indépendance qu'il disait couramment : Je ferai ceci et cela. Thomas Wolsey fut le type en Angleterre de ces prélats mondains que la décadence du Moyen Age a connus ; le politique dominait en lui le prêtre ; la raison d'État était pour lui à peu près tout et la justice peu de chose. D'une réelle perspicacité dans les affaires, il devina l'avenir maritime de l'Angleterre ; mais non moins attaché à ses propres intérêts qu'à ceux de sa nation, il ne craignit pas de jouer un double jeu entre François Pr et Charles-Quint pour parvenir à la Papauté. Dans l'affaire du mariage du roi, Wolsey avait le premier suggéré l'idée d'un divorce. Il espérait s'en faire confier la solution et la résoudre dans le sens de sa politique.

Catherine d'Aragon, avec une dignité calme, qui lui gagna les sympathies des esprits non prévenus, réclama la juridiction du Pape. Le Saint-Siège était alors occupé par Clément VII. Brouillé avec les Espagnols, en butte aux factions italiennes, le Pontife s'était retiré à Orvieto, où il vivait pauvre et abandonné le tous. Tout le monde admirait en Clément VII la profonde circonspection dans les affaires et l'extrême habileté à dénouer les situations difficiles ; mais on lui a reproché de ne pas posséder, suivant les expressions d'un éminent historien, ce talent inventif qui, dans le gouvernement, saisit avec sûreté et à propos ce qui est simple et faisable[9]. Un Grégoire VII, a-t-on dit, eut tranché d'un seul coup la question pendante. Nous n'oserions porter sur la conduite de Clément VII un jugement aussi net. Le Pape pensa d'abord à ménager le prince qui s'était montré le plus redoutable adversaire de Luther. Sa tactique eut pour but de gagner du temps. Il espéra que la passion du roi pour Anne Boleyn tomberait tôt ou tard. La passion, il est vrai, n'était pas le seul ressort de l'âme d'Henri VIII ; c'était, aussi une politique d'intérêt national étroitement entendue ; c'était enfin un orgueil tenace. Le Pape ne pouvait, d'ailleurs, prévoir que bientôt deux conseillers perfides se feraient les instruments implacables de cette passion, de cette politique et de cet orgueil. Clément VII, par une bulle du mois de juin 1528, qui devait être gardée secrète, et qui ne nous est point parvenue, résolvait en principe, parait-il, la question du mariage d'Henri VIII dans un sens favorable au prince ; il chargeait en outre son légat Campeggio, conjointement avec Wolsey, de prononcer sur la cause un jugement définitif.

La dignité de la reine ne se démentit pas. Catherine était une femme supérieure. Sa culture intellectuelle était profonde et variée ; elle avait reçu des leçons d'Erasme ; mais le peuple avait surtout été gagné par sa bonté ; elle était acclamée dès qu'elle paraissait dans les rues ; Campeggio, au contraire, était sifflé, parce qu'on supposait qu'il avait mission de se prononcer contre la reine. En réalité, le légat pontifical avait reçu du Pape l'ordre de faire traîner le procès. Le temps est un grand solutionneur d'affaires, disent les Italiens. On espérait suggérer à Henri l'idée d'introduire une nouvelle requête ; le prince avait en effet eu l'idée d'obtenir une dispense de bigamie pour épouser Anne ; l'expédient eût échoué ; mais c'était gagner du temps que de laisser s'engager l'affaire sur ce nouveau terrain.

Ce délai permit malheureusement l'entrée en scène de deux hommes qui devaient jouer, à côté d'Henri VIII, un rôle funeste : Thomas Cranmer et Thomas Cromwell. Dans le cours d'un voyage qu'il fit au mois d'août 1529, le roi, s'étant arrêté à l'abbaye de Watham, y fit la rencontre d'un prêtre répétiteur à l'université de Cambridge, dont les idées lui plurent particulièrement. Ce prêtre soutenait que, si l'on pouvait obtenir d'un certain nombre d'universités une déclaration dans le sens du divorce royal, le roi pourrait, en conscience, considérer son mariage comme nul. Il laissait aussi entendre qu'il pourrait travailler lui-même à provoquer les déclarations désirées. Il s'appelait Thomas Cranmer. Sa vie et son caractère le désignaient pour être l'agent principal d'un schisme Il avait jadis violé les engagements les plus sacrés de son sacerdoce en se mariant, et perdu pour cela sa place de fellow, qu'on lui avait rendue ensuite à la mort de celle dont il avait fait sa compagne sacrilège. Il devait plus tard épouser en secret la fille du célèbre pasteur luthérien Osiandre, et il paraît bien qu'à l'époque où le roi le rencontra il était déjà attaché à la doctrine de Luther. Le roi lui demanda un mémoire sur la question de son divorce et sur les moyens d'exécution du projet médité par lui. Ce fut le début de la prodigieuse fortune du pauvre répétiteur, qui devait, en 1533, être sacré archevêque de Cantorbéry.

La faveur accordée à Cranmer coïncidait avec la disgrâce de Wolsey. Le roi et Anne Boleyn attribuaient à la négligence du cardinal ou à son inhabileté l'insuccès du procès. Le 29 octobre 1629, il fut l'objet d'un bill de Præmunire[10], pour avoir exercé en Angleterre les fonctions de légat du Pape. Au mois de novembre, mie accusation de haute trahison fut présentée contre lui. Il devait, le 29 novembre 1530, mourir de tristesse au monastère de Leicester. Ses dernières paroles furent celles-ci : Si j'avais servi Dieu avec autant de zèle que j'ai mis à servir le roi, Il ne m'aurait pas, lui, abandonné dans ma vieillesse[11].

Peu de temps après la mort de Wolsey, un avoué, Thomas Cromwell, attaché au service du cardinal, ayant à se plaindre de l'insulte d'un lord, obtint une audience du roi d'Angleterre. Or, raconte dans une dépêche l'ambassadeur de Charles-Quint à la cour anglaise[12], l'avoué Cromwell parla au roi en termes si flatteurs et avec une éloquence telle, lui promettant de faire de lui le souverain le plus riche du monde, que le roi le prit aussitôt à son service et le fit conseiller, bien que sa nomination fût tenue secrète pendant quatre mois. Suivant le même témoignage, Thomas Cromwell, fils d'un pauvre forgeron, avait mené dans sa jeunesse une vie plutôt déréglée et dissipée. Après avoir été quelque temps en prison, il avait voyagé en Flandre et en Italie, épousé la fille d'un foulon et dirigé quelque temps les ouvriers qui travaillaient dans l'atelier de son beau-père ; puis il entra comme avoué au service du cardinal Wolsey, qui avait deviné les ressources de cet esprit actif et entreprenant[13].

Cranmer et Cromwell allaient devenir, dans la haute situation où Henri VIII les plaçait, les agents les plus puissants du schisme. Cranmer, en recueillant les témoignages des universités en faveur du divorce royal, et Cromwell, en travaillant à soumettre le clergé à l'autorité spirituelle du roi, tous les deux en favorisant secrètement l'hérésie luthérienne, vont préparer la rupture de l'Angleterre avec le Saint-Siège. Cranmer consommera cette œuvre sous Edouard VI.

Promesses, menaces, libéralités, violences, rien ne fut épargné pour obtenir de l'université de Cambridge une consultation favorable au divorce du roi. Finalement, on fit jeter à la porte de la salle des délibérations les deux opposants les plus énergiques : quelques docteurs s'enfuirent ; les autres votèrent conformément à la volonté du gouvernement[14]. On obtint de la Sorbonne une délibération favorable, irrégulière d'ailleurs, en pesant sur le gouvernement français. Des agents chargés d'or se rendirent auprès des docteurs de Padoue, et en rapportèrent un avis conforme aux désirs d'Henri VIII. C'est, dit-on, en allant recruter des voix en Allemagne que Cranmer s'y maria secrètement[15].

Supprimer les monastères, intimider le clergé et le plier sous la main du roi, proclamé chef souverain de l'Eglise, fut l'œuvre de Thomas Cromwell. Si Wolsey avait été reconnu coupable d'avoir violé les statuts du Prœmunire en acceptant la charge de légat du Pape., les évêques et les abbés qui prêtaient des serments à l'évêque de Rome ne tombaient-ils pas loi igue( ment sous le coup des mêmes lois et des mêmes sanctions, D'ailleurs cette obéissance du clergé au Souverain Pontife ne créait-elle pas dans le royaume un dualisme fâcheux, ne faisait-elle pas de l'Angleterre un monstre à deux tètes ? De pareils arguments, habilement présentés par Cromwell, touchèrent le roi. Ils émurent le parlement lui-même, où les projets du roi ne rencontrèrent pas d'opposition sérieuse. Le clergé, terrifié par les poursuites et les menaces de Cromwell, s'imposa de 100.000 livres sterling, à titre d'amende due pour un crime qu'il n'avait pas commis ; et, le 11 février 1531, les deux chambres ecclésiastiques votèrent cinq articles dont les deux premiers étaient ainsi conçus :

I. Nous reconnaissons que Sa Majesté est le protecteur particulier, le seul et suprême seigneur, et, autant que la loi du Christ le permet, le chef suprême de l'Eglise et du clergé d'Angleterre[16].

II. Le soin des âmes sera confié à Sa Majesté.

Le 14 février, l'ambassadeur d'Espagne à Londres écrivait : Le clergé a été obligé d'accepter le roi comme chef de l'Eglise : ce qui en fait est la même chose que si le roi avait été déclaré Pape de l'Angleterre[17]. Le 21 février, il ajoutait : Anne Boleyn et son père sont la principale cause de la proclamation de la souveraineté du roi sur l'Eglise... Il n'y a personne qui ne blâme cette usurpation excepté ceux qui en ont été les promoteurs. Le chancelier (Thomas More) en est si mortifié, qu'il désire par-dessus tout donner sa démission ; l'évêque de Rochester (Fisher) en st très malade de désappointement[18].

L'avenir donna raison à ces appréhensions. L'amendement voté sur la demande de Fisher, Autant que la loi du Christ le permet, fut pratiquement compté pour rien. Qui donc aurait osé, parmi ces prélats nommés par la Couronne et plus soumis au roi qu'au Pape, contester avec le souverain sur la portée de cette réserve ?

En mars 1532, le roi fit voter par la Chambre Haute et par la Chambre des Communes un bill abolissant les annates le 10 mai Henri VIII imposa brutalement à l'acceptation du clergé la déclaration suivante : A l'avenir, aucune loi ou constitution ne pourra être faite, promulguée ou exécutée sans l'autorisation royal. Il s'agissait des lois et constitutions ecclésiastiques. Le jour même où cette déclaration fut votée, sir Thomas More donna sa démission des fonctions de Chancelier. L'évêque Fisher, qui venait d'être récemment victime d'une mystérieuse tentative d'empoisonnement, avait quitté Londres. Le 13 mai l'ambassadeur Chappuys écrivait à son souverain : Le clergé sera réduit à une condition inférieure à celle des cordonniers, qui ont le pouvoir de s'assembler et de faire leurs statuts[19].

 

III

Quand, le 23 mars 1533, la sentence du Pape, déclarant valide le premier mariage d'Henri VIII, fut solennellement promulguée, le schisme était donc accompli en fait et en droit. Trois grandes Lois, votées au début de l'année 1531, ne firent que consommer la séparation. La première, considérant le Pape comme un évêque étranger, dont les décisions, même en matière de dogme et de morale, ne comptaient pas en Angleterre, réglait la nomination des évêques : présentation par le roi du candidat de son choix ; congé d'élire accordé au chapitre pendant douze jours ; au bout de ce délai, nomination directe par le roi. Le nouvel évêque prêterait serment au roi seul. La seconde grande loi abolissait le denier de saint Pierre et tous autres paiements établis en faveur de Rome. La troisième supprimait le droit d'appel à Rome et soumettait au roi toutes les ordonnances épiscopales.

Cependant l'autorité de Cranmer n'avait cessé de grandir. Nommé, au début de l'année 1533, archevêque de Cantorbéry, il avait prêté le serment exigé par le Pape, mais après avoir déclaré par écrit que ce serment était une simple formalité et ne pouvait restreindre en rien sa liberté. Le 23 mai, il avait, en vertu d'un pouvoir concédé par le roi, proclamé la nullité de l'union célébrée entre Henri VIII et Catherine d'Aragon. Le 28, il déclara valide le mariage clandestin que le roi affirma avoir contracté le 25 janvier précédent avec Anne de Boleyn. Le 1er juin, il couronna solennellement la nouvelle reine, qui, le 7 septembre, mit au monde l'enfant qui devait être la reine Elisabeth. Cela semble un rêve, écrivait l'ambassadeur de Charles-Quint ; et même ceux qui prennent part à ces fêtes ne savent s'ils doivent rire ou pleurer.

Des prêtres avaient blâmé le nouveau mariage du roi ; Cranmer leur interdit toute prédication pendant une année. Un prédicateur franciscain avait défendu la légitimité de la première union du roi ; on le menaça de le jeter à la Tamise ; à quoi le fils de saint François répondit : Faites, je sais très bien qu'on peut aller au ciel par eau aussi bien que par terre. Si rares que fussent ces résistances, il fallait les réduire. Cranmer visitait sa province, imposant à son clergé une déclaration où il était dit que l'évêque de Rome n'a pas reçu de Dieu une autorité plus grande sur le royaume d'Angleterre que n'importe quel autre évêque étranger. De deux assemblées du clergé on avait obtenu la vote de cette formule perfide, que D'après l'Ecriture le Pape n'a pas plus de pouvoir en Angleterre qu'un autre évêque et que rien dans l'Ecriture ne règle les relations entre Rome et l'Angleterre. Comme il est bien clair que l'Ecriture n'a jamais parlé formellement et directement de l'Angleterre, beaucoup avaient cru pouvoir accepter ce texte en toute sûreté de conscience ; d'autres sans doute avaient été heureux de se mettre à couvert grâce à une équivoque. Deux moines n'avaient pas rougi de colporter dans les monastères une autre formule de serment, plus explicite en faveur du roi. C'était une perfidie : on comptait sur un refus en masse, qui permettrait une dissolution générale des Ordres religieux. Les franciscains de la stricte observance, les moines de l'abbaye augustine de Sion et ceux de Charterhouse, à Londres, firent seuls une résistance unanime et énergique. Plusieurs cependant finirent par prêter le serment avec la restriction : Autant que le permet la loi de Dieu.

Au mois de janvier 1535, Thomas Cromwell, qui n'avait jamais été que simple laïque, fut nommé vicaire général du roi pour toutes les affaires ecclésiastiques. Il eut le pouvoir de visiter les églises, monastères et hôpitaux, de faire des ordonnances, de juger les clercs et les religieux, de donner l'investiture aux évêques. On n'avait pas encore, dit Bossuet[20], trouvé cette dignité dans l'état des charges d'Angleterre, ni dans la notice des offices de l'empire, ni dans aucun royaume chrétien ; et Henri VIII fit voir pour la première fois à l'Angleterre et au monde chrétien un milord vice-gérant et un vicaire général du roi au spirituel.

L'acte pontifical du 23 mars 1533, qui résolvait la question du divorce contrairement au roi d'Angleterre, portait excommunication contre Henri VIII, Anne Boleyn et Cranmer. Mais les foudres de Rome n'épouvantaient plus le roi et ses conseillers, au point de vue strictement national où ils se plaçaient. Quel pouvoir séculier oserait exécuter la sentence du Pape ? L'empereur, bien que l'attitude d'Henri VIII révoltât sa foi catholique et que, dans la question du divorce, il s'agît de l'honneur de sa tante, fie voulait pas même rappeler son ambassadeur de Londres ; il craignait que François Ier ne s'entendît avec Henri pour lui enlever les Flandres. L'attitude de la France avait été pleine d'hésitations : les huit cardinaux français avaient quitté la Ville Éternelle au moment où le consistoire allait se prononcer sur le divorce du roi d'Angleterre. Pris entre les devoirs de leur conscience et les intérêts de leur souverain, qui ne voulait pas faire acte d'opposition aux désirs d'Henri VIII, ils avaient mieux aimé s'abstenir. Le temps des croisades était décidément bien passé : le souci des intérêts politiques et commerciaux avait succédé aux idées chevaleresques.

La conscience populaire resta presque seule à protester. Le 13 avril 1534, dimanche de Pâques, le prieur des Augustins, prêchant à Saint-Paul de Londres, appela sur la nouvelle reine les bénédictions du ciel. Aussitôt un grand tumulte se fit dans l'église ; les fidèles sortirent en signe de protestation. Des scènes du même genre se passèrent dans la plupart des églises de campagne et, durant plusieurs mois, dans bien des paroisses, on ne tint aucun compte des ordres royaux prescrivant des prières pour Anne. L'envoyé vénitien, Capello, écrivait le 3 juin 1535 : Le roi est très impopulaire, et une rébellion pourrait facilement éclater quelque jour et causer une grande confusion[21].

Cromwell, Cranmer, en rusés politiques, avaient pourtant essayé, l'année précédente, de terrifier le peuple par une exécution retentissante. Une servante de ferme, Elisabeth Barton, qu'une grave maladie nerveuse avait prédisposée à la monomanie reliligieuse, avait eu de prétendues visions et extases, dans lesquelles elle parlait avec force contre le divorce du roi et les erreurs du siècle. La sainte fille du Kent, comme on l'appela, se rendait souvent à une chapelle qui devint, de 1528 à 1531, le but d'une sorte de pèlerinage, le rendez-vous d'un certain nombre de gens fidèles à Catherine d'Aragon. Cranmer se chargea d'ouvrir une enquête, à la suite de laquelle il prétendit englober dans un vaste complot tout le parti des opposants à sa politique, y compris le chancelier Thomas More, l'évêque Fisher, la marquise d'Exeter, la comtesse de Salisbury et la reine Catherine elle-même. La plupart de ces accusations durent être abandonnées. Mais Elisabeth Barton fut exécutée le 20 avril 1531. Ce fut le premier sang versé pendant les discordes religieuses de l'Angleterre. De plus nobles victimes allaient bientôt tomber sous la hache du bourreau.

Un serment dit de suprématie avait été imposé à tous les ecclésiastiques, les obligeant à reconnaître que le roi est la source de toute puissance spirituelle : un serment dit de succession força les fidèles à reconnaître la fille d'Anne Boleyn comme la seule héritière légitime du trône. Les fameuses lois connues sous le nom de Lois sur la trahison Treason Laws, complétèrent ces prescriptions et y ajoutèrent des sanctions terribles. Etait déclaré coupable de haute trahison quiconque serait convaincu, d'avoir souhaité avec malice voulu, désiré, par paroles ou par écrits, imaginé par ruse ou inventé un dommage corporel quelconque sur la très royale personne du souverain, de la reine et de leurs héritiers apparents ; quiconque s'exercerait à ce dommage, essaierait de le causer, dépouillerait n'importe lequel d'entre eux de sa dignité ou titre, ou publierait, ou proclamerait avec malice, par des paroles ou des écrits formels, que le irai est hérétique, schismatique, infidèle, etc.[22] Ce fut la Terreur anglaise. Chaterhouse et Sion, dit un historien[23], fournirent en 1535 des contingents de martyrs, enchaînés à Newgate, pendus, écartelés à Tyburn. Les horreurs de 1536 dépassèrent encore celles de 1535... Le temps était venu où tout Anglais, sous peine de mort, devait, comme le roi Jean de Shakespeare, cracher sur la Papauté.

Le 4 mai 1535, trois religieux chartreux, John Houghton, Robert Lawrence et Augustin Vebster, un brigittin, Richard Reynols, et un vieillard, John Hale, curé d'Isleworth, accusés d'avoir violé les lois sur la trahison furent étendus sur des claies en bois, les pieds garrottés, et traînés à travers des rues semées de flaques d'eau croupissante. On les pendit ensuite à un gibet, puis, comme la loi obligeait à prolonger l'agonie des suppliciés, on les détacha aux premiers signes de strangulation ; finalement on leur arracha les entrailles par morceaux et, d'un seul tour de main, le cœur tout entier[24].

Tous les évêques avaient plié, excepté Fisher ; tous les juristes avaient cédé, excepté More. Fisher et More étaient les deux plus grands hommes de l'Angleterre. Ils n'échappèrent pas au supplice. Leur mort fut noble comme leur vie. Raconter sans commentaires les derniers moments de ces deux martyrs de la foi catholique est le plus grand hommage que l'histoire puisse rendre à leur mémoire, à l'Eglise pour laquelle ils sont morts et au pays dont ils furent l'honneur[25].

On accusait Fisher d'avoir dit : Le roi, notre souverain, n'est pas le Chef suprême de l'Eglise d'Angleterre. Il comparut devant une commission spéciale, le 12 juin 1535. Il était si affaibli par la maladie, qu'il pouvait à peine se soutenir. Je m'étonne, déclara l'évêque, que l'avocat général Rich, ici présent, porte témoignage contre moi à ce sujet. Cet homme est venu un jour à moi, porteur d'un message secret du roi, par lequel Sa Majesté désirait connaître mon opinion sur la question en litige. Il m'assura que le roi garantissait, sur son honneur et sa parole de roi, que rien de ce que je pourrais dire ne tomberait sous la loi de trahison. C'est dans ces conditions que j'ai parlé. Rich n'opposa pas de dénégation à cette assertion de Fisher. Le cardinal n'en fut pas moins condamné à mort ; le roi le dispensa seulement de la série des supplices infligés aux autres condamnés ; il devait être simplement décapité.

Quand l'évêque arriva au pied de l'échafaud, il repoussa ses gardiens, qui voulurent l'aider à monter, et gravit les degrés avec un élan qui étonna ceux qui connaissaient son extrême faiblesse. Parvenu sur la plate-forme, il s'écria d'une voix ferme : Peuple chrétien, je suis venu ici mourir pour la foi de l'Église catholique, et j'en remercie Dieu... Je supplie le Tout-Puissant, par son infinie bonté, de sauver le roi et le royaume. Il se mit à genoux, pria un instant et posa sa tête sur le billot. Un seul coup de hache la sépara du tronc. Sa tête resta exposée plusieurs jours sur le Pont de Londres, puis fut jetée à la rivière. Elle fut bientôt remplacée sur le croc par celle du chancelier Thomas More[26].

Par ses vertus familiales, par son humeur enjouée, par sa haute culture et par l'indépendance de son esprit, Thomas More était un des personnages les plus sympathiques de la Renaissance. Ses derniers jours révélèrent les profonds sentiments religieux de sa grande âme. Entre autres chefs d'accusation, l'avocat général Rich lui reprocha, comme à Fisher, des paroles prononcées dans une conversation privée qu'il avait surprise par ruse. Rich travestissait d'ailleurs le sens de ces paroles. L'ancien chancelier, en quelques mots d'une éloquence fière et vengeresse, releva ce qu'il y avait d'odieux dans le rôle d'espion et de traître joué par son accusateur. Il fut condamné à mort. Puisque mon sort est maintenant décidé, s'écria-t-il alors d'une voix vibrante, je désire parler librement de votre loi pour le soulagement de ma conscience. Pendant sept années que j'ai étudié la question, je n'ai vu nulle part, dans un docteur approuvé de l'Église, qu'un prince séculier pouvait ou devait être le chef de l'Église. — Eh quoi ! dit le chancelier, êtes-vous plus sage que les évêques et que le parlement du royaume ?Mylord, répliqua More, pour un évêque de votre opinion j'ai une centaine de saints de la mienne, et pour votre parlement j'ai tous les conciles généraux depuis mille ans.

Il fut exécuté le 6 juillet à 9 heures du matin. Jusqu'au dernier moment il conserva cet humour agréable, qu'il avait toujours mêlé à sa piété de chrétien et à sa gravité de magistrat. L'échafaud était branlant. En gravissant la première marche, il dit au lieutenant qui l'accompagnait : Je vous en prie, aidez-moi à monter ; pour la descente, je me tirerai bien d'affaire tout seul. Il se mit ensuite à genoux, récita le Miserere, sa prière favorite, et plaça de lui-même sa tête sur le billot[27]. L'Église honore Fisher et Thomas More du titre de Bienheureux[28].

Les exécutions du cardinal Fisher, connu et estimé dans toutes les cours de l'Europe, et du chancelier More, célèbre dans les milieux lettrés de l'époque, produisirent une vive émotion. Nul n'en pouvait être plus profondément affecté que le Chef de l'Église. Avant de mourir, les deux martyrs en avaient appelé à Dieu et à l'Église du jugement du roi. Le Saint-Siège était occupé, depuis Attitude du 1534, par Paul III, le Pape éminent qui sut racheter les faiblesses de sa vie passée par les efforts gigantesques qu'il dut faire, au milieu de difficultés sans nombre, pour réunir le concile de Trente. Le Pontife entendit l'appel suprême du saint évêque et de l'admirable chancelier ; il écrivit à plusieurs princes qu'il était dans l'intention de jeter l'interdit sur le roi d'Angleterre et de délier ses sujets de leur serment de fidélité. Mais, encore une fois, des raisons de pure politique empêchèrent les princes de promettre au Pape leur obéissance éventuelle. Le roi très chrétien François Ier, qui tenait à son alliance avec l'Angleterre, ne voulait pas se résoudre à retirer son ambassadeur de Londres ; il promit sa neutralité. L'empereur, défenseur né de la chrétienté et des droits du Saint-Siège, eut peur, en se déclarant contre Henri VIII, de fortifier l'alliance anglo-française qu'il redoutait. Ferdinand, roi des Romains, dit qu'il désirait suivre la politique de son frère Charles-Quint.

Peu de temps après, le Pape tenta un second effort. Reginald Pole, cousin d'Henri VIII, avait quitté l'Angleterre en 1532, pour ne pas être mêlé à la triste affaire du divorce royal, et venait de composer un traité de l'Unité de l'Eglise, où la politique religieuse du roi se trouvait solidement combattue[29]. Paul III, qui eut le talent d'utiliser les hommes de valeur, nomma Pole cardinal et le chargea, vers 1537, de légations auprès de François Ier et de Charles-Quint : le but du Pape était de délibérer avec les deux souverains sur les moyens de ramener l'Angleterre à la foi catholique. Mais cette légation de Pole mit le comble à l'exaspération d'Henri VIII. Le monarque crut y découvrir les fils d'une vaste conspiration. La fille de François Ier venait d'épouser le roi d'Ecosse : Quel complot tramait-on ? Une invasion de l'Angleterre par les troupes écossaises ? C'eût été alors un suprême danger. Les provinces du nord venaient de se soulever. La ferme attitude du Pape avait relevé le courage des catholiques. La destruction de plusieurs monastères dans les comtés de Lincoln et d'York avait déterminé une insurrection générale des provinces septentrionales. Trente mille hommes s'étaient levés, arborant une bannière décorée des cinq plaies, d'un calice et d'une hostie. C'est ce qu'on avait appelé le pèlerinage de grâce. L'astucieux Cromwell était en train alors de poursuivre avec les rebelles ces longues négociations qui aboutirent à leur dispersion, en abusant de leur loyauté[30]. Mais le roi donna libre cours à sa colère. La mère de Pole et deux de ses proches furent mis à mort sur des griefs non démontrés et la tête du cardinal fui mise au prix de 50 000 ducats. La mesure était comble. Le Souverain Pontife, dans une allocution prononcée devant les cardinaux le 28 octobre 1538, rappela la série des crimes d'Henri VIII et, le 27 décembre, fulmina contre lui l'excommunication et l'interdit.

 

IV

Henri VIII était politique avant tout : les intérêts de sa puissance royale, surtout quand il pouvait les concilier avec ses passions et son orgueil, primaient chez lui toute autre considération. On l'a fort justement remarqué : Pendant les onze dernières années de son règne, le chef suprême régla le dogme, la discipline et le culte de son Église sur les variations de la politique européenne. Quand le Pape semblait être sur le point de réussir à grouper l'empereur et le roi de France contre l'Angleterre, au nom de l'unité religieuse considérée comme la base de la paix, Henri VIII se montrait très catholique dans ses formulaires de foi, pourchassait impitoyablement et envoyait au bûcher les hérétiques, afin d'enlever aux souverains catholiques le meilleur prétexte d'une intervention armée. Le danger venait-il à disparaître de ce côté, Henri VIII entrait en conversation avec les réformés allemands, recevait et envoyait des ambassades, laissant entrevoir la possibilité d'un traité d'alliance qu'il évita toujours de conclure. Dans ces moments, nous le verrons solliciter les avis de Mélanchton, l'oracle des communautés luthériennes[31].

Le supplice de quatorze anabaptistes, brûlés à la fin de juin 1535, entre l'exécution de Fisher et celle de More, fut-il un calcul de cette louche politique ? Avant eux, en 1533, le pasteur John Frith, qui avait attaqué les dogmes du purgatoire et de la transsubstantiation, et un pauvre tailleur de Londres, qui se contentait de dire : Je crois ce que croit John Frith, avaient péri sur le bûcher. Les Dix articles de 1536, remplacés bientôt par les Six articles de 1539, apparurent comme un compromis dogmatique entre le catholicisme et le protestantisme allemand : mais rien ne fut plus impérativement obligatoire que ce compromis ; nul acte ne devait faire couler plus de sang que cet acte de prétendue conciliation.

Les Six articles ordonnaient d'admettre : 1° la transsubstantiation, 2° la communion sous une seule espèce, 3° le célibat ecclésiastique, 4° l'obligation du vœu de chasteté, 5° la messe pour les âmes du purgatoire, 6° la confession auriculaire. Toute contravention, même verbale, à ces dogmes était punie de mort et de confiscation ; et, chose inouïe, l'abjuration ne sauvait pas le coupable. Cranmer dut renvoyer sa femme. Cromwell lui-même, dont la politique et les menées avaient déplu au roi, fut accusé d'hérésie en même temps que de trahison, et, malgré ses démarches rampantes et hypocrites, mis à mort le 28 juillet 1540. Les catholiques et les protestants furent d'accord pour désigner les six articles de 1539 sous le nom de fouet sanglant ou de fouet à six cordes.

Cependant les atroces répressions du roi et les calculs de sa politique de bascule se mêlaient étrangement aux plus libres fantaisies de ses passions. Par les six femmes qui furent successivement les victimes de ses caprices et de ses fureurs, des évêques secrètement luthériens, tels que Cranmer, Latimer, Fox, Shaxton, et des évêques dévoués à la politique des Six articles, ou évêques henriciens, comme Gardiner, Lee, Tunstall, se disputèrent la suprématie religieuse. Après Anne Boleyn, favorable aux protestants et décapitée pour adultère, inceste et haute trahison en 1536, on vit se succéder : Anne Seymour, qui mourut le 24 octobre 1537 en donnant le jour au futur Edouard VI, la luthérienne Jeanne de Clèves, poussée par Cromwell et répudiée bientôt après, Catherine Howard, qui représenta le parti henricien et que Cranmer fit décapiter en 1542, et Catherine Parr, qui favorisa le protestantisme allemand et survécut seule au roi ; il est vrai qu'à la mort d'Henri VIII elle était sur le point d'être brûlée comme hérétique. Parmi les personnes immolées par Henri, dit le cardinal Hergenröther[32], on comptait deux reines, douze ducs et comtes, cent soixante-quatre gentilshommes, deux cardinaux archevêques, dix-huit évêques, treize abbés, cinq cents prieurs et moines, trente-huit docteurs en théologie ou en droit canon.

Tant de crimes avaient été complétés et rendus presque irréparables par la ruine des monastères anglais[33]. L'Angleterre comptait, au moment du schisme, environ 800 monastères d'hommes ou de femmes. Henri avait d'abord cherché à ruines, ces maisons en leur imposant des charges écrasantes. A partir du pèlerinage de grâce, il fit raser un grand nombre de monastères du nord, sous prétexte de trahison de leurs abbés. Deux hommes se rendirent particulièrement odieux dans cette œuvre de destruction par leurs démarches hypocrites. Ils s'appelaient Legh et Layton, et remplissaient les fonctions de visiteurs au nom du roi. Se défendant de vouloir confisquer les biens des moines, faisant punir ceux qui répandaient de pareils bruits sur leur compte, ils s'efforçaient d'arracher aux abbés des formules d'abandon, soit en multipliant les menaces, soit en offrant aux supérieurs de fortes sommes, primes de leur trahison. Les abbés des trois grands monastères bénédictins de Reading, de Glastonbury et de Colchester résistèrent à ces offres. Le roi les fit condamner et exécuter comme coupables de haute trahison[34]. Plusieurs autres, convaincus du même refus, subirent le même sort. Le dernier monastère fut remis au roi le 23 mars 1540. En moins de cinq ans, la ruine de l'institut monastique était consommée en Angleterre.

On avait promis que les biens des moines seraient employés par le roi à élever les enfants pauvres, à faire des pensions aux vieux serviteurs et à améliorer les grandes routes. Ces promesses ne furent pas tenues[35]. De cette opération sans pareille, dit un historien[36], on ne saurait exagérer l'importance. Le roi ne garda rien des biens des monastères ; il les vendit ; il les donna à ses courtisans ; durant les huit dernières années de sa vie, il aliéna les dépouilles de 420 abbayes ou prieurés Ces biens passèrent par conséquent entre les mains de la gentry. Ainsi toute la haute classe laïque se trouva plus op moins intéressée au maintien du nouvel ordre de choses qui lui procurait de si riches dotations. Un fait analogue s'est produit en 1789 dans la masse des paysans français après le partage des biens nationaux. Les domaines monastiques ont servi en Angleterre à doter l'aristocratie nouvelle, qui a été le plus ferme appui de la religion des Tudor. D'autre part, la situation des classes populaires s'aggrava par le fait de cet immense transfert de propriétés. Les nouveaux maîtres, plus exigeants que les moines et n'habitant plus sur leurs domaines, clôturèrent plus rigoureusement les pâturages communaux, laissés jusque-là à la disposition des pauvres gens. Dès l'année 1540 le parlement fut obligé de venir en aide à cinquante-sept villes tombées en décadence par suite de la destruction des abbayes. La première quête pour les indigents, début du fameux impôt des pauvres, eut lieu en 1538. Le paupérisme, une des plaies les plus hideuses de l'Angleterre actuelle, date de la destruction des monastères[37]. Telle était la situation de la Grande-Bretagne, quand le roi Henri VIII, vieilli, corpulent, apoplectique, menacé depuis longtemps d'une fin prochaine, mourut le 28 janvier 1547. La veille, il avait mandé Cranmer. Quand l'évêque arriva auprès du roi, celui-ci était sans parole, presque sans connaissance. Tandis que le prélat l'exhortait à donner quelque signe de sa confiance en Jésus-Christ, le malheureux monarque ne put que lui étreindre la main dans un dernier élan de ses forces défaillantes[38].

 

V

Un enfant pâle et maladif, âgé de moins de dix ans à son avènement, mais déjà grave, soucieux et qui à treize ans devait se passionner pour la théologie, se plaire aux discours des réformateurs les plus extrêmes : tel fut le successeur d'Henri VIII. Il régna six ans, notant presque chaque jour, dans un style toujours le même, laconique et net, les événements de sa vie. Son oncle maternel, le comte Seymour, s'empara de la régence avec le titre de duc de Somerset. Depuis longtemps gagné aux idées luthériennes, Seymour avait inspiré de bonne heure au jeune Édouard la haine de l'Eglise romaine et de ses dogmes. L'archevêque de Cantorbéry, Cranmer, disgracié sous Henri VIII, s'empressa de prendre sous le règne d'Edouard la place prépondérante d'où l'influence des évêques henriciens l'avait écarté. En même temps il jeta son masque d'hypocrisie et se déclara hautement partisan d'une réforme dogmatique.

Sous de tels auspices, non seulement les doctrines luthériennes mais les doctrines calvinistes et zwingliennes allaient envahir l'Angleterre, pénétrer les professions de foi officielles, être imposées au clergé et au peuple par une tyrannie plus absolue encore que celle d'Henri VIII.

Les premiers actes du parlement, instrument docile entre les mains du protestant Somerset, furent d'abolir toutes les lois portées contre l'hérésie, de supprimer le vague congé d'élire accordé aux chapitres et de décider que les nominations épiscopales se feraient désormais par lettres patentes du roi. On supprima ensuite les corporations, ghildes, fraternités et mutualités ayant un caractère religieux, et on en confisqua les biens, comme on l'avait fait pour les abbayes, prieurés et couvents. Les catholiques étaient désormais privés de tout droit d'association, de toute propriété corporative et de tout moyen d'en acquérir.

L'œuvre de ruine doctrinale et disciplinaire put dès lors se poursuivre sans crainte d'une résistance efficace. On ôta aux évêques le droit d'autoriser les prédicateurs ; on le réserva au roi et à l'archevêque Cranmer[39]. On alla même jusqu'à suspendre la prédication dans tout le royaume[40]. Comme pour faire taire la voix même des vieux rites et des antiques images, par lesquels le peuple recevait la foi traditionnelle ; les fameuses ordonnances royales du 31 juillet 1547 bouleversèrent la liturgie et ordonnèrent la destruction de toutes les représentations pieuses, y compris les peintures et les vitraux. Ce fut pour l'art une perte irréparable. Puis, comme les discussions les plus ardentes se portaient sur l'Eucharistie, un ordre du roi, du 27 décembre, défendit d'enseigner à ce sujet aucune doctrine qui ne serait pas contenue dans les Ecritures avant que le roi eût déterminé la doctrine officielle[41].

Au mois de mars 1548, une Instruction sur la communion et un petit rituel, emprunté dans son ensemble à une consultation d'origine luthérienne en usage à Nuremberg, furent publiés par ordre du roi. On y supprimait l'obligation de la confession auriculaire, mais on y maintenait encore la messe latine. Ce dernier point souleva des discussions violentes. Cranmer et son parti ne se contentaient plus des doctrines luthériennes, ils allaient jusqu'à dire, avec Zwingle, Carlostadt, Calvin et tous les sacramentaires, que l'Eucharistie n'est qu'un symbole, qu'une simple commémoraison de la Cène. Ces discussions aboutirent, le 15 janvier 1519, à la promulgation par le parlement du célèbre Book of common prayer (Livre de la commune prière), qui, modifié plusieurs fois dans la suite, est resté le symbole officiel et populaire des croyances de l'église anglicane. La présence réelle y était admise, mais les prières et les rites y étaient dépouillés, de tout ce qui ressentait trop la transsubstantiation, le sacrifice ou même la présence corporelle[42].

La présence en Angleterre de plusieurs docteurs luthériens, à qui on confiait des chaires d'enseignement et de prédication, pendant qu'on fermait la bouche aux henriciens et aux catholiques, avivait les disputes. Un moine italien, Vermigli, marié à une religieuse et connu sous le nom de Pierre Martyr, avait été nommé professeur à Oxford en 1517 ; un écrit publié par lui en 1519 admettait nettement la doctrine radicale de Zwingle sur l'Eucharistie[43]. Son compatriote Bernardin Ochino, capucin défroqué et chanoine de Cantorbéry, enseignait des doctrines à peu près identiques. L'arrivée à Cambridge, au mois d'avril 1549, de deux théologiens allemands, Bucer et Fagius, chassés de. Strasbourg par l'Interim, accentua le mouvement luthérien. On leur confia les deux chaires les plus en vue des universités anglaises ; leur influence s'exerça, grâce à des enquêtes sévères, sur tout le royaume. L'évêque henricien Gardiner, ayant protesté, avait été emprisonné. En 1549, un soulèvement des populations de l'Ouest, indignées par la destruction des images et des statues, affamées par la suppression des monastères et des fraternités religieuses, fut réprimé avec la dernière cruauté par des bandes de mercenaires espagnols, italiens, flamands et allemands[44]. Mais le protecteur Somerset ne jouit pas longtemps de son triomphe ; son rival Warwick le supplanta en 1519. Accusé de haute trahison, Somerset fut décapité en 1552.

 

VI

Le comte de Warwick, chef de l'aristocratie terrienne de l'Angleterre, continua, avec plus de violences encore, la politique religieuse du duc de Somerset. Dès son arrivée au pouvoir, Warwick envoya une lettre circulaire aux évêques. Nous avons jugé bon, leur dit-il, et nous vous commandons, aussitôt après réception de cette lettre d'ordonner au doyen et chanoines de votre cathédrale, aux curés, vicaires, chapelains et marguilliers de toutes les paroisses de votre diocèse, d'apporter à vous-même ou à votre délégué... tous les antiphonaires, missels, graduels, livres de processions, manuels, vies de saints, livres de messe, ordinaux et autres livres liturgiques, d'après les rites de Sarum, de Lincoln, d'York, de Bangor, de Herford... et quand vous les aurez en vos mains, vous les détruirez, de sorte qu'ils ne puissent plus jamais servir et que l'uniformité établie d'un commun consentement soit complète.

Le 25 janvier 1551, Warwick fit passer au Parlement, malgré une forte opposition des évêques et des lords, une loi ordonnant la destruction de toute espèce de statues ou d'images qui restaient dans les églises, à la seule exception des statues de rois, de princes ou de seigneurs qui n'ont jamais passé pour saints. Les revenus épiscopaux tentèrent aussi le nouveau gouvernement. Tout nouvel évêque fut nommé à condition de céder un ou deux châteaux de la mense. Quand Pouet fut élevé au siège de Winchester, en 1551, il dut abandonner à la couronne tous les biens de l'évêché, en échange d'une pension de 2.000 marks.

Cette politique n'était pas faite pour déplaire au jeune roi. C'est lui qui, lorsque Charles-Quint menaçait l'Angleterre d'une guerre si on ne laissait pas sa nièce, la princesse Marie, entendre la messe romaine, s'opposa malgré son Conseil à toute concession.

La sœur du roi, en effet, se refusait à rien changer au rite de la messe, qu'elle faisait célébrer dans sa chapelle, et à ses autres pratiques religieuses. Malgré l'affection réciproque qui le liait à sa sœur aînée, le roi fit jeter en prison le chapelain de la princesse et plusieurs de ses serviteurs. Marie protesta qu'elle était l'humble sujette du roi, mais qu'elle mettrait sa tête sur le billot plutôt que d'accepter un office autre que celui qui était en usage à la mort de son père. Le roi n'osa pas aller plus loin. Marie fie célébrer la messe en secret dans sa chapelle, et l'autorité ferma les yeux.

A l'encontre de son père, qui n'avait aspiré qu'à se rendre indépendant de Rome et qui tint à rester le défenseur de la foi catholique jusqu'à sa mort, Edouard VI était porté d'instinct vers l'hérésie et mettait à la propager une ténacité indomptable. Le dogme calviniste, plus radical et plus net que le dogme luthérien, plaisait mieux à cette nature apathique et froide, à cet esprit lucide[45], dont les colères elles-mêmes semblaient calculées. Le 15 mai 1550, Martin Bucer écrivait à Calvin : Il n'y a pas d'étude qui passionne autant le roi que celle des Saintes Ecritures ; il en lit dix chapitres par jour avec la plus grande attention. Le 25 mai, il ajoutait : Le roi exerce toute sa puissance pour la restauration du royaume de Dieu. Le 1er décembre 1550 un protestant français, Burgogne, écrivait de Londres à Calvin que le roi, dans une conversation, lui avait posé beaucoup de questions sur la doctrine de Genève. Au commencement de l'année suivante, Calvin, enhardi par ces nouvelles, reprochait à Cranmer sa modération et sa lenteur, et le primat, dans sa réponse, engageait Calvin à s'adresser au roi lui-même.

Le chef de la réforme française eut lieu d'être satisfait. Une seconde édition du Livre de la commune prière, rendue obligatoire à partir du 1er novembre 1552, modifia profondément la Cène, écarta toute allusion à la transsubstantiation, aux prières et aux exemples des saints, abolit le Memento des défunts, et supprima les vêtements sacerdotaux. Knox lui-même, dont les négations doctrinales et les hardiesses dépassaient celles de Calvin, écrivant plus tard ses souvenirs, déclara qu'Edouard VI était admirablement disposé en faveur de la vérité. On sait le sens qu'avait une pareille déclaration sous sa plume.

La publication, en 1550, de l'Ordinal, ou règle des cérémonies à accomplir pour la collation des ordres sacrés et la rédaction, en 1552, d'une Déclaration de Quarante-deux articles, fixant le symbole de la foi, couronnèrent l'œuvre doctrinale d'Edouard VI. L'Ordinal, pris avec les modifications qui lui furent apportées en 1552, supprima, dans l'ordination des diacres et des prêtres, la cérémonie dite porrection des instruments ou présentation du calice et de la patène, laquelle est regardée comme essentielle par certains théologiens. Dès lors se posait la question de la validité des ordinations anglicanes. Les Quarante-deux articles, rédigés par Cranmer et l'évêque de Londres Ridley, contenaient un mélange d'idées luthériennes, calvinistes et zwingliennes.

Ces réformes ne s'accomplissaient pas sans de nombreuses résistances. Cinq évêques henriciens, qui avaient protesté, furent déposés. Dans un sens tout opposé, on vit se former, autour de l'évêque de Gloucester, John Hooper, appelé plus tard le père des non-conformistes, un groupe de dissidents irréductibles, poussant l'austérité calviniste jusqu'à ses conséquences les plus extrêmes.

La décadence du clergé était lamentable. Bucer écrivait à Calvin : La plupart des paroisses sont vendues à la noblesse ; très peu ont des pasteurs qualifiés pour remplir leurs fonctions[46]. L'évêque de Gloucester constatait que, sur trois cents prêtres visités par lui, cent soixante avaient été incapables de réciter les dix commandements[47]. Des rivalités d'ambition divisaient les évêques fidèles au roi. Le peuple, de plus en plus misérable, faisait entendre de sourds murmures contre le pouvoir. Le pillage des églises, des monastères, des grandes bibliothèques monacales et universitaires n'avait pas enrichi le trésor, Le jeune roi était très malade. Warwick, Cranmer, Ridley, tous ceux qui disposaient du pouvoir ou de l'influence, craignirent une réaction catholique à la mort d'Edouard VI. Il fallait à tout prix écarter la princesse Marie. Le conseil du roi déclara alors que l'ordre de succession serait changé et que l'héritière du trône serait lady Jane Grey, petite nièce d'Henri VIII, Edouard étant mort le 6 juillet 1553, lady Jane fut proclamée reine d'Angleterre. L'épiscopat et une partie de la noblesse lui étaient dévoués. Mais la masse de la nation, délivrée de la tyrannie protestante[48], acclama la princesse Marie, qui renversa Jane Grey et fit son entrée triomphale à Londres le 3 août 1553.

 

VII

L'avènement de la reine Marie fut pour tous les persécutés, catholiques et henriciens, l'occasion d'une joie sans mélange. Les papistes, dit un réformé, sortirent comme du tombeau leurs ornements, calices, et commencèrent la messe sans retard... Ils firent des souscriptions volontaires, auxquelles les pauvres eux-mêmes prirent part[49]. Gardiner, chef des henriciens, fut nommé chancelier de l'université de Cambridge ; Cranmer, l'instigateur des mesures les plus violentes prises sous Edouard VI, fut simplement déposé, avec promesse d'une pension ; Pierre Martyr, le plus avancé et le plus remuant des prédicants protestants, reçut un passeport conçu en termes très honorables. La nouvelle reine pardonna aux conjurés qui avaient pris les armes contre elle, sauf à trois de leurs chefs, Northumberland, John Gates et Thomas Palmer, qui furent décapités comme traîtres. Elle se refusa énergiquement, malgré les instances de l'ambassadeur d'Espagne, à envoyer au supplice Jane Grey. Dans une réunion de son conseil, tenue le 12 août 1553, la reine déclara que bien que sa conscience fût fixée en matière de religion, elle n'avait pas l'intention de comprimer ou de violenter la conscience des autres, si ce n'est par exemple et persuasions[50]. Son oncle, l'empereur Charles-Quint, l'encourageait dans cette politique : Luy conseillons, écrivait-il, qu'elle s'accomode avec toute douceur, se conformant aux définitions du parlement, réduisant peu à peu les choses aux meilleurs termes. Et que, sur toutes choses, elle soit, comme elle doit être, une bonne Anglaise[51].

Un incident faillit, dès le début, compromettre la bonne harmonie du royaume. Cranmer, au moment même où l'on faisait l'Inventaire de ses biens pour fixer le montant de sa pension, publia une proclamation dans laquelle il parlait des horribles sacrilèges de la messe romaine. Le conseil l'envoya à la Tour. Bientôt une série de mesures fâcheuses, qui ne furent pas toutes imputables à la volonté de la reine, et des événements regrettables, dont il est difficile de répartir la responsabilité, transformèrent le régime de pacification, que l'on avait voulu sincèrement inaugurer, en un régime de répressions sanglantes.

Le mariage de la reine avec le fils de l'empereur, le futur Philippe II, fut la première de ses fautes politiques et le point de départ de tous les malheurs de son règne. Ce mari espagnol, apathique et froid, plus jeune qu'elle de onze années, et qui ne l'aima jamais, ne pouvait être pour elle un appui. H devint le premier obstacle à sa politique. Le contrat de mariage avait bien stipulé que l'Angleterre et l'Espagne s'administreraient séparément et que les charges publiques en Angleterre ne pourraient être confiées qu'à des Anglais[52]. Le peuple se méfiait de ce souverain étranger, qu'on disait catholique farouche et politique retors. Un jeune seigneur, Courtenay, à qui la reine avait, paraît-il, donné quelques espérances, se retourna violemment contre elle, entraînant à sa suite un grand nombre d'autres seigneurs. On lui avait fait entendre qu'il pourrait bien obtenir, à défaut de la main de Marie, celle de sa sœur Elisabeth. Courtenay fut l'âme de plusieurs complots ayant pour but de mettre à mort Marie et d'élever au trône sa sœur Elisabeth. Ce fut l'occasion de plusieurs arrestations, à la suite desquelles soixante exécutions eurent lieu. Un des principaux personnages compromis fut le duc de Suffolk, père de Jane Grey. Le conseil décida qu'il serait mis à mort ainsi que sa fille. La reine crut devoir céder. Jane Grey était certainement innocente ; poussée au trône malgré elle avant l'avènement de Marie, elle n'avait jamais pris la moindre part à la rébellion de son père. Les derniers moments de l'infortunée jeune fille, qui comptait dix-sept ans à peine, furent touchants : Mon crime, s'écria-t-elle, est d'avoir montré que j'étais capable d'être reine. Elle fut décapitée le 12 février 1554. Son supplice, qui émut jusqu'aux larmes les partisans les plus dévoués de la reine, indigna ses ennemis. Ce fut la seconde grande faute di règne de Marie.

Le chancelier Gardiner, l'ancien conseiller d'Henri VIII et quelques prélats henriciens, qui avaient à faire oublier leurs faiblesses passées, déployaient un zèle extrême, poussaient la reine aux mesures les plus rigoureuses. Un pamphlet paru à la fin de 1553 avait déjà traité les prélats henriciens de coupe-gorges et de filous. Le 8 avril 1554, au matin, un chat mort, habillé de vêtements sacerdotaux et tenant entre ses pattes une hostie, fut trouvé pendu à une potence, près de Saint-Paul. Le 10 juin, un coup de fusil fut tiré sur le prédicateur qui prêchait à Saint-Paul. La réconciliation solennelle du royaume à Rome, célébrée le 30 novembre 1554, par la reine et le cardinal Pole à Westminster, fut une occasion nouvelle, pour les ennemis de la reine et de l'Eglise catholique, de propager contre Marie et contre la Papauté des bruits calomnieux. La reine avait redouté les conséquences de cet acte, qui s'imposerait tôt ou tard, mais auquel il fallait préparer l'opinion. Elle se rendait compte que, s'il avait été facile de ramener la nation aux rites catholiques, abolis depuis quatre ans seulement et regrettés du peuple, il en serait autrement de la suprématie papale, oubliée depuis trente ans, calomniée, redoutée des possesseurs d'anciens biens ecclésiastiques, qui y voyaient, bien à tort cependant, une menace[53]. Le Pape avait en effet déclaré que ces acquéreurs ne seraient pas Dispositions inquiétés. Mais la reine ayant, par scrupule de conscience, restitué aux anciens propriétaires ceux de ces biens que la couronne n'avait pas mis à la disposition de particuliers, une panique se produisit parmi les seigneurs dont la fortune s'était édifiée avec les biens ecclésiastiques. La plupart de ces seigneurs occupaient les plus hautes situations dans le royaume. Au commencement de l'année 1555, on découvrit qu'un certain Thomas Rose avait organisé, dans divers quartiers de Londres, des offices secrets, suivant le rite protestant, où l'on faisait cette prière : Seigneur, détournez de l'idolâtrie le cœur de la reine Marie, sinon abrégez ses jours[54].

L'érection de la seigneurie d'Irlande en royaume, faite en 1555 par Paul IV à la demande de Marie et de Philippe, fut une nouvelle cause d'antipathie contre la reine. La princesse Elisabeth, dont l'attitude lors des complots de Courtenay avait été très énigmatique, exploitait contre sa sœur tous ces incidents[55].

 

Les conseillers de la reine lui proposaient depuis quelque temps de faire revivre les lois de Richard II, d'Henri IV et d'Henri V, qui punissaient de la peine du bûcher les fauteurs d'hérésie et ceux qui priaient pour la mort du souverain. La Chambre des Communes et celle des Lords votèrent en ce sens. Ces lois furent applicables à partir du 20 janvier 1555. Le 22, dix prédicateurs comparurent devant une commission, sous l'inculpation d'hérésie. Dès le commencement de février, onze exécutions d'hérétiques avaient déjà eu lieu. Le 21 mars 1556, l'ancien primat, Cranmer, convaincu d'hérésie, d'adultère, de blasphème et de haute trahison, fut brûlé à Oxford. Il n'avait pas fait moins de sept rétractations successives, toutes plus humbles les unes que les autres. En face du bûcher, il revint sur ces rétractations et ajouta : Si le Pape avait sauvé ma vie, j'aurais obéi à ses rois. Il mourut cependant d'une manière ferme. Comme la flamme montait, il étendit sa main droite, qu'il prétendait souillée par une signature criminelle, afin qu'elle fût brûlée la première.

Ces exécutions ne firent guère que multiplier les conversions hypocrites, favoriser les réunions clandestines et les sociétés secrètes. Le gouvernement trembla à son tour et eut recours à des sanctions, qui sans doute n'avaient pas au XVIe siècle tout l'odieux qu'elles présenteraient de nos jours, mais qui n'en sont pas moins dignes de blâme. Le 6 février 1557, les corps de Bucer et de Fagius, qui avaient importé en Angleterre les premiers germes de l'hérésie, furent exhumés et brûlés sur la place du marché à Cambridge, et le cadavre de la femme de Pierre Martyr, religieuse défroquée, fut jeté sur un tas de fumier.

Le cardinal Pole, sacré archevêque de Cantorbéry le 22 mars 1556, faisait tous ses efforts pour calmer l'irritation impatiente et maladive de la reine, et pour contrebalancer l'influence de ses imprudents conseillers. Mais les efforts du sage cardinal en ce sens contribuèrent à le faire dénoncer à Rome comme étant de connivence avec les hérétiques ; il tomba en disgrâce auprès de Paul IV. Le Souverain Pontife était indisposé par ailleurs contre la reine d'Angleterre. Philippe II, devenu empereur de toutes les Espagnes, le 15 janvier 1556, par suite de la retraite de son père, avait entraîné Marie dans une alliance avec l'Espagne, qui contrecarrait la diplomatie de Paul IV. Les derniers mois de la vie de cette reine, qui avait poursuivi avec tant d'acharnement les ennemis de l'Église, furent donc marqués par une froideur de relations avec le Saint-Siège. Mais le cardinal Pole resta son conseiller fidèle et courageux jusqu'à son dernier jour. Elle mourut, après cinq ans de règne, le 17 novembre 1558, à l'âge de 42 ans. Le surnom de Marie la Sanglante, qui lui a été donné, a été inspiré par l'esprit de parti plus que par la justice[56]. La publication récente des papiers secrets de son règne a confirmé ce que les historiens impartiaux avaient déjà pressenti de la sincérité de sa foi, de l'élévation de son caractère et de la droiture de ses intentions. Elle fut victime des difficultés d'une époque où, comme on l'a dit d'un autre temps, il était peut-être plus difficile de connaître son devoir que de le faire. Son règne malheureux démontre aussi que, dans le gouvernement des hommes, les imprudences sont souvent plus funestes que les crimes.

 

VIII

Les mêmes historiens qui donnent à la reine Marie le nom de Marie la Sanglante, appellent généralement sa sœur la Bonne reine Elisabeth. La seconde qualification, — la suite de ce récit va le montrer — n'est pas plus justifiée que la première. La fille d'Anne Boleyn et d'Henri VIII avait hérité de sa mère la passion des bijoux, le goût du luxe et du faste. Les épreuves de sa jeunesse, le régime d'espionnage au milieu duquel elle avait vécu, sa vie de prisonnière à la Tour, avaient développé en elle l'esprit de défiance, de mensonge et de perfidie. En prenant possession du trône laissé vacant par la mort de sa sœur Marie, elle sembla favorable au catholicisme. Couronnée suivant le rite catholique, elle jura de protéger la religion romaine, et fit des propositions d'alliance au roi d'Espagne. L'ambassadeur vénitien Priuli écrivait le 27 novembre 1558 : On n'aperçoit aucun changement dans les églises ; les moines et les prêtres qui fréquentent Londres n'ont été l'objet d'aucune insulte, et Sa Majesté continue d'entendre la messe comme auparavant[57]. Mais en même temps la nouvelle reine, à qui le parti protestant avait toujours prêté le meilleur appui, s'entourait de ministres favorables à la réforme. Deux d'entre eux, William Cecil et Nicolas Bacon, allaient être les mauvais génies de son règne[58]. L'envoyé espagnol, Feria, pouvait donc écrire, dans le même temps que son collègue de Venise : La reine prend chaque jour davantage position contre la religion. Dès les premiers jours, Elisabeth mettait en pratique les principes, si l'on peut ainsi parler, qui devaient dominer toute sa politique. Ils consistaient à tout subordonner à ses intérêts personnels, identifiés autant que possible avec ceux de la nation, à faire de la religion une institution nationale et à la gouverner sans contrôle. Païenne da tempérament et de goût dans sa vie privée, Elisabeth restera païenne dans sa vie publique.

Après la notification faite au Pape Paul IV de son élévation, elle donne tout à coup l'ordre à son ambassadeur de cesser toute relation avec le Saint-Siège. Puis elle affirme sa politique de réforme progressive par le remaniement discret du Livre de la commune prière. Le 25 février 1559, elle promulgue un Acte pour restituer à la couronne son ancienne juridiction sur l'état ecclésiastique et spirituel et pour abolir tous les pouvoirs étrangers en opposition avec la couronne. Dans cet Acte, la reine, de peur d'effrayer les non conformistes, catholiques ou calvinistes, prend soin d'atténuer les expressions courantes sous Henri VIII. Elle ne s'appelle plus Chef suprême mais Gouvernante suprême au spirituel et au temporel. L'organisation d'une hiérarchie semblable à celle de l'Église romaine, se rattachant au Pape par l'ordination, mais se plaçant sous le commandement de la reine par la juridiction, était la suite naturelle de ces premières mesures. Le 17 décembre 1559, le prédicant Matthieu Parker, ancien bénéficier du temps d'Edouard VI, et privé de ses fonctions dans le gouvernement de Marie, est sacré archevêque de Cantorbéry par l'évêque protestant Barlow et trois autres prélats. Cette cérémonie, faite suivant l'Ordinal d'Édouard VI, qui supprimait le rite de la présentation du calice et de la patène, et par des évêques qui rejetaient notoirement l'existence de l'épiscopat dans l'Église du Christ, ne pouvait être considérée, en toute sécurité de conscience, comme une ordination valide, et, par là tous les ordres anglicans qui se rattachent à Parker, doivent être considérés comme entachés de nullité radicale[59]. Mais Mathieu Parker avait la réputation méritée d'un homme modéré. Son caractère personnel ne provoquait que des sympathies. Les ornements et les cérémonies de l'Église étaient rigoureusement conservés, par ordre de la reine. Ces faits, rapprochés de ce que nous avons déjà vu de la condition du clergé anglais par rapport au roi, expliquent comment, sur deux mille quatre cents bénéficiers, soixante à peine refusèrent de prêter le serment de suprématie lorsqu'il leur fut demandé. Quant au peuple, que nous avons vu se soulever plusieurs fois, sous Henri VIII et sous Edouard VI, pour la défense de la religion de ses pères, son ardeur était tombée. Soit qu'à la longue il se fût habitué à obéir pour le spirituel au pouvoir établi, soit que les calomnies répandues à profusion contre Rome eussent ébranlé sa fidélité, soit que les rigueurs excessives de la reine Marie eussent désaffectionné plusieurs de la cause catholique, le peuple en Angleterre ne devait plus désormais prendre en main la cause de l'Église romaine contre la noblesse et la royauté. Le bill qui, en 1562, imposa le serment de suprématie, non seulement aux ecclésiastiques, mais aux principaux fonctionnaires civils, aux avocats et à tous les professeurs publics ou privés, ne rencontra aucune résistance.

Elisabeth comprit que son peuple était mûr pour une réforme plus radicale. A la condition de débarrasser la religion anglicane de tout élément calviniste ou zwinglien trop marqué, de la donner comme une institution essentiellement nationale et de représenter tous ses ennemis comme des ennemis de la patrie, on pou tait espérer d'en accentuer de plus en plus le caractère ante-catholique. Les Quarante-deux articles, rédigés sous Edouard VI, furent révisés et réduits à 39. Les Trente-neuf articles, publiés en janvier 1563, grâce à des formules indécises, modifiaient la déclaration d'Edouard VI quant à l'expression plutôt que quant à la substance. On y rejetait, en somme, la primauté du Pape, le sacrifice de la messe, cette invention sacrilège, la transsubstantiation, le purgatoire, l'invocation des saints, le culte des images et des indulgences. Quiconque agirait contre ce symbole de foi devait être puni comme hérétique. On sait que les Trente-neuf articles d'Élisabeth sont restés le code de l'Église anglicane.

 

IX

Le nouveau symbole pouvait rencontrer deux sortes de réfractaires : les catholiques, et un groupe d'esprits indépendants, qui s'inspiraient de Calvin et de Zwingle, et qu'on désignait sous le nom de puritains.

Les catholiques, depuis la suppression du légat pontifical à Londres et la rupture de toutes relations diplomatiques de l'Angleterre avec le Saint-Siège, n'avaient plus d'appui officiel auprès de la reine. Sans chefs, désemparés, il leur était difficile de s'entendre sur un plan de résistance. Beaucoup croyaient pouvoir assister aux offices institués par le Book of common prayer ; d'autres s'en abstenaient. L'élection au trône pontifical du cardinal Ghislieri, qui prit le nom de Pie V, le 7 janvier 1566, ranima leur courage ; le nouveau Pontife était un homme dont l'énergie égalait la sagesse. Il condamna formellement le Livre de la commune prière et accorda à deux réfugiés, Harding et Sanders, le pouvoir de réconcilier à l'Église les fidèles anglais qui s'étaient rendus coupables de schisme en assistant aux offices réprouvés.

Elisabeth attendait une occasion de persécuter l'Église pour un motif d'intérêt politique. Dès le début dé son règne, les catholiques n'avaient pas caché leur sympathie pour la reine d'Ecosse, Marie Stuart, nièce d'Henri VIII, que beaucoup considéraient comme l'héritière légitime du trône d'Angleterre. Mais aucun acte, aucun projet de rébellion n'avait pu jusque-là faire suspecter leur loyalisme. En 1568, l'odieuse conduite d'Elisabeth envers Marie Stuart, qu'elle jeta en prison, après lui avoir promis un asile, révolta quelques gentilshommes catholiques, qui formèrent un complot pour délivrer la captive. Elisabeth rendit tous les catholiques solidaires de ces seigneurs et, comme Marie Stuart avait été mariée au roi de France, François II, elle les accusa d'être soudoyés par l'étranger pour la trahir. Des centaines de catholiques furent mis à mort. Des gibets se dressèrent sur toute l'étendue du royaume ; de lourdes amendes furent infligées aux moins suspects[60]. Le Pape saint Pie V, après avoir longtemps consulté, réfléchi et prié, publia, le 25 février 1570, la bulle Regnans Dei, qui prononçait l'excommunication et la déposition d'Elisabeth.

Trois bills de persécution furent la réponse de la reine. Devait être déclaré coupable de haute trahison quiconque nierait ou mettrait en doute les droits d'Elisabeth à la couronne d'Angleterre. Des amendes formidables seraient prononcées contre ceux qui refuseraient d'assister aux offices anglais. Une haute cour de commission fut investie de pouvoirs inquisitoriaux exceptionnels. Il faut se reporter à la Terreur française de 1793, pour rencontrer une législation plus impitoyable. Elle fut aggravée en 1581. L'exercice de toute fonction sacerdotale, l'asile même donné à un prêtre rendait passible de la peine de mort. Les prisons regorgèrent de catholiques. De nombreux prêtres subirent le supplice des traîtres. Le prêtre Nelson et le séminariste Sherwood, venus de Douai pour prêcher la foi en Angleterre, furent dépecés tout vivants à Tyburn[61]. Deux jésuites anglais, le P. Persons et le P. Campian, parcouraient l'Angleterre depuis 1580, au milieu de tous les périls, changeant de costume et de nom, célébrant en secret les saints mystères et fortifiant les fidèles. Campian, arrêté, subit le martyre. En 1581, à la mort de l'évêque de Lincoln, les catholiques furent sans évêque. Ils ne devaient obtenir un archiprêtre qu'en 1798. En 1585, sous prétexte de nouveaux complots, la persécution avait repris avec plus de fureur. En 1586 une courageuse chrétienne, Marguerite Clitheroe, fut écrasée sous une planche chargée de pierres[62].

L'exécution de Marie Stuart, dont les derniers moments furent admirables, souleva l'indignation du monde catholique[63]. Mais Philippe II ayant, après cette exécution, fait valoir ses droits au trône d'Angleterre, comme mari de l'ancienne reine Marie, les catholiques, malgré le loyalisme héroïque de la plupart d'entre eux[64], furent suspectés de trahir l'Angleterre au profit de l'Espagne. On sait comment le dévouement patriotique de la nation anglaise et des perturbations subites de la nature aboutirent, en 1588, à la destruction de la terrible Armada espagnole.

Par tempérament, autant que par politique, Elisabeth devait détester les puritains. Passionnée pour la culture littéraire et artistique de la Renaissance, elle ne pouvait qu'être choquée par le langage et la tenue de ces hommes austères, sombres, presque sauvages. C'était, d'autre part, toute sa hiérarchie religieuse, patiemment édifiée, que battait en brèche le farouche démocratisme de ces novateurs.

L'esprit puritain avait pénétré en Angleterre dès le début du règne d'Elisabeth. Des protestants anglais, persécutés sous le précédent gouvernement, s'étaient réfugiés en Suisse, où, au contact des calvinistes et des zwingliens, leur protestantisme était devenu plus radical et plus sévère. Ils en revinrent à l'avènement de la nouvelle reine. Des doctrines de Zwingle et de Calvin ils n'avaient emprunté d'ailleurs que ce qui s'adaptait à la mentalité anglaise. Les dogmes de la prédestination et de la grâce inamissible, devinrent pour eux des principes de vie pratique, leur façonnèrent des âmes indépendantes et hautaines. Elisabeth, qui voyait avec raison dans leur esprit un péril éventuel pour la monarchie, n'organisa pas cependant contre eux une persécution. Les puritains étaient pour elle, en Ecosse, où ils s'étaient prodigieusement développés, des auxiliaires précieux contre son ennemie, la catholique Marie Stuart.

La triste situation d'un clergé trop peu cultivé et les convoitises d'une aristocratie appauvrie et inquiète, avaient singulièrement favorisé en Ecosse les progrès de l'hérésie puritaine. L'influence c d'un homme à l'activité dévorante et à la brûlante éloquence, John Knox, vint lui donner un caractère tout à fait original. Vers 1557 Knox lança, de Genève où il résidait, son fameux pamphlet : Premier coup de trompette contre le gouvernement satanique des femmes. L'écrit était dirigé contre le gouvernement catholique de Marie Stuart. Bientôt après, vers 1558, à l'instigation de Knox, des lords d'Ecosse forment la congrégation des Seigneurs, qu'ils opposent aux catholiques, appelés la congrégation de Satan. En 1558, un prêtre apostat, Walter Milne, ayant été condamné au supplice du feu, les puritains réclament la liberté absolue de religion. Knox arrive de Genève en 1559 et déchaîne une vraie révolution. Les églises et couvents sont livrés au pillage, la superbe cathédrale de Saint-André est détruite. Un traité accorde alors aux puritains la liberté ; mais ils ne s'en contentent plus ; ils veulent régner seuls. En même temps que leurs prétentions se font toujours plus grandes, leurs doctrines deviennent plus radicales. A côté des puritains presbytériens, qui veulent faire gouverner l'Église par les simples prêtres, se font jour les puritains indépendants, qui reconnaissent à tout saint, fût-il soldat, ouvrier ou bourgeois, le droit de monter en chaire et d'enseigner. L'Église établie d'Angleterre avait pris pour cri de guerre : pas de pape ! no popery ! le presbytérien s'écriera : pas d'évêques ! no bishop ! et l'indépendant : pas de prêtre ! et même : pas de roi ! no King !

C'est à de tels hommes qu'Elisabeth, à son corps défendant, dut promettre et donner son appui. La France avait pris parti pour Marie Stuart ; il lui fallait accepter l'alliance des puritains. Encore une fois, l'intérêt politique prima chez elle toutes les autres considérations. Les puritains de leur côté laissèrent mourir en paix la reine Elisabeth ; mais sous son successeur, Jacques Ier, ils devaient s'agiter bruyamment et menacer à la fois l'Eglise et la royauté.

Quant aux catholiques, leur situation ne s'améliora pas sensiblement pendant les dernières années du XVIe siècle. La mort du vaillant cardinal Allen, qui, de Rome où il s'était réfugié, avait dirigé, autant qu'il était possible, leur résistance, et les malheureuses divisions qui s'introduisirent, en Angleterre même, entre missionnaires, étaient venus aggraver les tristesses des persécutés. La reine Elisabeth mourut, au moment où elle méditait de mettre à exécution de nouveaux moyens de persécution, le 24 mars 1603. Elle laissait l'anglicanisme solidement enraciné sur le sol de l'Angleterre. C'est à sa politique que la Religion établie doit d'être restée longtemps, et de rester encore, pour beaucoup d'Anglais, étroitement liée à la cause nationale, tout comme l'était autrefois le paganisme dans l'ancienne Rome. C'est également à cette politique utilitaire que l'Angleterre, jadis nation apôtre à côté de la France, doit son effacement momentané fans l'accomplissement de cette grande mission, en attendant qu'un jour, éprouvée par l'adversité, ou éclairée sur le vide de sa prospérité matérielle, elle reconnaisse enfin que l'Église catholique lui manque, bien plus encore qu'elle ne manque à l'Église catholique[65].

 

 

 



[1] Sur les Lollards et Wicleff, voir : LECHLER, Johann von Wiclif und die Vorgeschichte der Reformation, Leipzig, 1873 ; TREVELYAN, England in the age of Wycliffe, Londres, 1898. Le nom de Wicleff est écrit de plusieurs manières par les historiens. Sur les rapports des Lollards avec la Réforme, voir l'important ouvrage de James GAIRDNER, Lollardy and the Reformation, 2 vol. London, 1908.

[2] Calendar of State paper, Venetian, t. II, n° 1287, p. 559, cité par TRÉSAL, Les Origines du schisme anglican, p. 23.

[3] ERASME, Epistolæ, l. VI, 12 ; l. XIX, 107.

[4] Le livre a pour titre : Assertio septem sacramentorum. La doctrine en est irréprochable. Le cardinal Fisher passe pour avoir collaboré à cette œuvre théologique.

[5] J. TRÉSAL, Les Origines du schisme anglican, p. 37-38.

[6] L'étude récente de nouveaux documents d'archives a fait penser que cette considération politique avait été le premier motif du divorce. En 1525, deux ansées avant le divorce, Henri médite un plan pour léguer la succession au trône à un bâtard qu'il a eu d'Elisabeth Blount. Dès 1514, un Vénitien écrit de Rome : On dit que le roi d'Angleterre pense répudier sa femme, parce qu'il ne peut en avoir d'enfant. En 1525, les ambassadeurs anglais ont mission de négocier un mariage du roi avec une nièce de l'empereur (Voir G. CONSTANT, Le divorce d'Henri VIII et le schisme anglican, dans la Revue hebdomadaire du 4 septembre 1909, p. 85-87). Il n'en est pas moins vrai que la passion d'Henri VIII pour Anne Boleyn est devenue, à un moment donné, le motif déterminant de rompre avec le Pape, souverain gênant, défenseur obstiné non seulement de la morale, mais encore des religieux, dont le roi convoitait les biens, pour les donner aux grands en échange de leurs libertés perdues. Il faut bien reconnaître, par ailleurs, que si l'Angleterre se plia si vite au nouvel ordre de choses, la cause en est dans les transformations lentes, mais profondes, qu'avait subies le peuple anglais sous l'influence soit des prédications des Lollards, soit de l'imprimerie, soit des grandes découvertes et des grands changements commerciaux qui les avaient suivis.

[7] Quelques théologiens du Moyen Age s'étaient en effet posé cette question. Voir, par exemple, Pierre DE LA PALUD, in IV Sent. Dist. XL, a. 3, 3e concl., Dub., mais la solution affirmative ne pouvait être douteuse. Voir BOSSUET, Variations, VII, 52-62.

[8] Calendar of State papers, Venetian, t. II, n° 1287, p. 560.

[9] Léopold DE RANKE, Histoire de la Papauté pendant les XVIe et XVIIe siècles, I, 103.

[10] Præmunire, corruption du latin præmonere, est, dit M. l'abbé Trésal, le premier mot du mandat par lequel un magistrat sommait un citoyen de répondre à l'accusation d'avoir violé les statuts ou lois qui, à partir du 'Iva siècle, avaient pour objet d'empêcher les empiètements de la juridiction ecclésiastique sur la juridiction civile. Les lois de prœmunire interdisaient l'entrée de l'Angleterre aux légats du Pape et l'exercice de leurs fonctions sans autorisation royale ; elles interdisaient au Saint-Siège de nommer à des bénéfices anglais, etc. Comme leur rédaction était vague et obscure, elles constituaient une arme terrible aux mains d'un tyran. J. TRÉSAL, Les Origines du schisme anglican.

[11] CAVENDISH, Life of Wolsey, t. I, p. 320.

[12] Letters and Papers, Henry VIII, t. IV, 6391, p. 2869.

[13] Letters and Papers, Henry VIII, t. IV, 6391, p. 2869.

[14] J. TRÉSAL, Les Origines du schisme anglican, p. 64.

[15] BOSSUET, Variations, VII, 9, Bossuet parle de la sœur d'Osiandre.

[16] Les mots : Autant que la loi du Christ le permet, avaient été ajoutés à la demande de Fisher. Ils atténuaient mais ne supprimaient pas le caractère odieux de la déclaration. Voir KEREER, Vie de J. Fisher, trad. de l'allemand par CAZALÈS, p. 202.

[17] Calendar of State papers, Spanish, t. IV, part. II, 635.

[18] Calendar of State papers, Spanish, t. IV, part. II, 641.

[19] GEE and HARDY, Documents, n° 48, cité par TRÉSAL, Les Origines du schisme anglican, p. 89.

[20] BOSSUET, Variations, VII, 6.

[21] J. TRÉSAL, Les Origines du schisme anglican, p. 122.

[22] Statutes of the realm, Henry VIII, c. XIII, p. 508.

[23] Ernest DENIS, dans l'Hist. générale de Lavisse et Rambaud, t. IV, p. 571-579.

[24] Letters and papers, Henry VIII, t. VIII, n° 726, p. 272.

[25] Voir Dom LECLERCQ, Les martyrs, t. VII, p. 38-161.

[26] Sur le Bienheureux Fisher, voir BRIDGET, Vie de Jean Fisher, trad. Cardon, 1 vol. Paris, 1890.

[27] Voir BRIDGET, Life of Blessed Thomas More, Londres, 1891, et BREMOND, Vie de Thomas More, Paris, 1904.

[28] Le 9 décembre 1886, un décret da Pape Léon XIII a proclamé Bienheureux non seulement Thomas More et Fisher, mais aussi les trois Pères chartreux, 1e religieux brigittin et le prêtre séculier exécutés en 1535.

[29] Cet ouvrage avait été composé à la demande du roi. Mais quand il parut, en 1536, les idées d'Henri VIII avaient changé. Le roi en conçut une irritation violente contre son cousin.

[30] Voir le résumé de ces négociations dans TRÉSAL, Les Origines du schisme anglican, p. 172-173.

[31] J. TRÉSAL, Les Origines du schisme anglican, p. 192-193.

[32] HERGENRÖTHER, Hist. de l'Eglise, V, 421.

[33] Sur cette question, voir le savant ouvrage de Dom GASQUET, Henri VIII et les monastères anglais, 2 vol., trad. de l'anglais par J. PHILIPPSON et DU LAC, Paris, 1894.

[34] RYMKE, Fœdera, t. VI, part. III et IV, p. 15 et s.

[35] GASQUET, Henri VIII et les monastères anglais, t. II, p. 425, note 1.

[36] Ch. V. LANGLOIS, dans l'Hist. générale de LAVISSE et RAMBAUD, t. IV. p. 576.

[37] TRÉSAL, p. 190.

[38] On dit que sur la fin de ses jours ce malheureux prince eut quelques remords des excès où il s'était laissé emporter et qu'il appela les évêques pour y chercher quelque remède. Je ne le sais pas : ceux qui veulent toujours trouver dans les pécheurs scandaleux, et surtout dans les rois, de ces vifs remords qu'on a vus dans un Antiochus, ne connaissent pas toutes les voies de Dieu, et ne font pas assez de réflexions sur le mortel assoupissement et la fausse paix où il laisse quelquefois ses plus grands ennemis. Quoi qu'il en soit, quand Henri VIII aurait consulté ses évêques, que pouvait-on attendre d'un corps qui avait mis l'Eglise et la vérité sous le joug ?... Celui qui n'avait pu entendre la vérité de la bouche de Thomas Morus son chancelier et de celle du saint évêque de Rochestre, qu'il fit mourir l'un et l'antre pour la lui avoir dite franchement, mérita de ne l'entendre jamais. BOSSUET, Variations, VII, 74.

[39] G. BURNETT, History of the Reformation, part. II, l. I, p. 88.

[40] G. BURNETT, History of the Reformation, part. II, l. I, p. 122.

[41] G. CONSTANT, La Transformation du Culte anglican sous Edouard VI. Dans la Revue d'Hist. ecclés. du 15 janvier 1911, t XII, p. 38-80.

[42] BOSSUET, Variations, VII, 85-87.

[43] BOSSUET, Variations, VII, 81.

[44] Les insurgés demandaient notamment le rétablissement de l'ancien culte et le rétablissement de deux abbayes par comté avec restitution de la moitié de leurs terres. Personne, dit à ce sujet David Hume, ne disconvient que les moines n'aient toujours été les meilleurs et les plus indulgents propriétaires des terres. Hist. d'Angleterre, ann. 1549, p. 204.

[45] Le philosophe italien Cardone, qui vit le roi vers 1552, alors que celui-ci avait environ quinze ans, se déclara émerveillé de son sérieux et de sa vigueur d'esprit.

[46] ROBINSON, Original letters relating to the Englica Reformation, t. I, p. 547.

[47] HOOPER, Later Writings, p. 150.

[48] Le règne d'Edouard VI, vanté par les uns comme l'âge sacré de la Réforme en Angleterre, maudit par les autres, est raconté aujourd'hui, dans des livres d'histoire rédigés par des dignitaires de l'Eglise anglicane sous cette rubrique The protestant misrule, la tyrannie protestante. Ch. V. LANGLOIS, dans l'Histoire générale de Lavisse et Rambaud, t. IV, p. 590.

[49] ROBINSON, Original letters, t. I, p. 371.

[50] Acts of the Privy Council, t. IV, p. 317.

[51] Papiers d'état de Granvelle, t. IV, p. 55.

[52] Statutes of the realm, Mary, ch. II, p. 22.

[53] Lettre de Marie au cardinal Pole, 28 octobre 1553, citée dans LINGARD, Hist. d'Angl., p. 386. Voir l'importante étude de Dom ANCEL, La réconciliation de l'Angleterre avec le Saint-Siège sous Marie Tudor, dans la Revue ecclés. de Louvain, 1909, t. X, p. 521-536 et 744-798.

[54] TRÉSAL, p. 315-316.

[55] Sur les intrigues d'Elisabeth, voir LINGARD, Hist. d'Angleterre, t. VII, 255 et s.

[56] On discutera sans fin sur le nombre des exécutions ordonnées sous la reine Marie. Le protestant CORBETT, dans ses Lettres sur l'hist. de la Réf. en Anglet., lettre VIII, n'en compte que 300. Mais on sait que cet auteur, qui donne souvent à son écrit le ton d'un pamphlet, tend parfois à exagérer les fautes de ses coreligionnaires. Certains protestants sont allés jusqu'à parler de 3.000 victimes. Ce chiffre est évidemment très exagéré. Les historiens impartiaux conviennent généralement que le nombre des exécutions faites sous Marie est bien inférieur av nombre de celles qui ont été faites sous Edouard VI et sous Elisabeth. Pourquoi donc le nom de Marie est-il resté plus odieux dans la nation anglaise que ceux d'Edouard et d'Elisabeth ? L'esprit de secte n'explique pas à lui seul ce fait étrange. Il importe de remarquer que les victimes des souverains protestants furent surtout des prêtres et des moines, tandis que ceux de la reine catholique furent des pères de famille, dont les plaintes avaient une grande portée, leur mort touchant un grand nombre de personnes. Le souci plus grand de légalité, qu'eut la reine Marie dans la conduite des procès, les rendit plus retentissants. Les paniques des possesseurs de biens ecclésiastiques, tremblant toujours d'être expulsés, contribuèrent beaucoup aussi à soulever la population.

[57] Acts of the Privy Council, t. VII, p. 45.

[58] Nicolas Bacon était le père du fameux philosophe. William Cecil contribua beaucoup à la prospérité commerciale de l'Angleterre en développant sa marine, qu'avait créée Wolsey. Mais le Plan de la Réformation anglicane rédigé par les deux hommes d'Etat, est un chef-d'œuvre de perfidie.

[59] La question de la validité des ordres anglicans a été longtemps librement discutée parmi les catholiques. Voir DALBUS, Les ordinations anglicanes, 1894, BOUDINRON, Etude théologique sur les ordinations anglicanes, 1895, De la validité des ord. anglic., 1895 ; Révérend PULLER, Les ordinations anglicanes et le sacrifice de la messe, 1896. L'Encyclique Apostolicœ curæ du 2 septembre 1896 a tranché la question dans le sens de la nullité. Le récit du Noc's Head Tavern, d'après lequel Parker aurait été sacré par Barlow dans une auberge au milieu d'une ridicule mascarade, est une pure légende, fondée sans doute sur ce fait, bien connu, que Barlow ne croyait pas à l'épiscopat. Cf. P. DE LA SERVIÈRE, La Controverse sur la validité des ordinations anglicanes d'après des publications récentes, dans les Etudes du 5 septembre 1912.

[60] C'est alors que, traqués partout, des prêtres et des religieux anglais fondèrent à l'étranger des collèges et des communautés religieuses. Les fondations des collèges anglais de Douai, de Rome, de Valladolid, de Saint Omer, etc., datent de tette époque.

[61] Les élèves du collège de Douai, qui fut fondé en 1568, s'engageaient à retourner dans leur pays pour y prêcher la foi.

[62] Sur tous ces faits, voir DESTOMBES, Histoire de la persécution en Angleterre sous Elisabeth, et Dom LECLERCQ, Les Martyrs, t. VIII.

[63] Marie Stuart n'aurait pas succombé, si elle n'avait eu contre elle le fanatisme protestant ; mais, d'autre part, Elisabeth n'aurait pas osé, malgré sa haine et sa jalousie, attenter à la majesté royale de sa sœur, si Marie, par ses rapports trop confiants avec ses ennemis, ne lui avait donné le prétexte qu'elle cherchait depuis longtemps. Telle est la double conclusion qui se dégage d'un livre récent, qui ne présente pas de nouveaux documents, mais qui résume très heureusement les nombreux travaux consacrés à Marie Stuart, Marie Stuart, par Lady BLENNERHASSETT, Paris, 1909.

[64] David HUME rend hommage à ce loyalisme des catholiques, Hist. d'Angleterre, t. II, p. 244. D'autres ont pensé qu'ils auraient été mieux inspirés en formant une coalition semblable à la Ligue des catholiques français (BRUGÈRE, Tableau de l'hist. et de la litt. de l'Église, p. 731).

[65] F. BRUGÈRE, Tableau de l'histoire et de la littérature de l'Eglise, Paris, Roger et Chernoviz, p. 734.