HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

PREMIÈRE PARTIE. — LA DÉCADENCE DE LA CHRÉTIENTÉ ET LA RENAISSANCE

CHAPITRE VII. — DE L'AVÈNEMENT D'ALEXANDRE VI À L'APPARITION DE LUTHER. LE CONCORDAT DE 1516 (1492-1517).

 

 

I

Le 11 août 1492, à la suite d'un conclave de sept jours, pendant lequel les intrigues et les marchandages se mêlèrent aux compositions et aux combinaisons de toutes sortes, le cardinal Rodrigue Borgia, dont la vie irrégulière était connue de tous, fut élu par le Sacré Collège[1]. Le flot du paganisme, après avoir envahi la curie romaine, montait jusqu'au trône de saint Pierre[2].

Chose étonnante ! Dans les relations officielles des ambassadeurs, dans les chroniques de l'époque, cette élection est mentionnée sans la moindre allusion aux mœurs du nouvel élu ; et cette absence de scandale est peut-être le plus grand scandale de cette époque. Le caractère sacré des plus hautes fonctions ecclésiastiques est comme voilé aux yeux des politiques et des chroniqueurs de ce temps ; on juge de la vie d'un cardinal ou d'un Pape comme de celle d'un prince temporel, et la tolérance de l'opinion mondaine, qui est presque sans limites pour ce qui concerne la vie privée des grands, s'étend tout naturellement au Pape lui-même.

Le cardinal Rodrigue Borgia n'était point dépourvu des qualités naturelles qui font l'homme de gouvernement. Le nouvel élu, écrivait dans ses Chroniques l'Allemand Hermann Schedel[3], est un homme de grand caractère et de grande sagesse, prudence et expérience politique. Grâce à ses connaissances très étendues,. il parait plus apte que tout autre à gouverner, et l'on peut dire à son éloge qu'il est de figure un homme superbe.

Le peuple lui fit des ovations splendides. Le nouveau Pape, écrit Hiéronymus Portius, est de haute taille. Il a le visage légèrement coloré, une bouche un peu forte, des yeux noirs et vifs. Sa santé est florissante, et sa résistance aux fatigues de tout genre dépasse l'imagination. Il est extraordinairement éloquent[4]. Un autre contemporain, Sigismondo dei Conti[5], ajoute qu'il était exceptionnellement affable dans la conversation et qu'il s'entendait admirablement aux questions de finances.

Les débuts de Les débuts du gouvernement d'Alexandre VI ne démentirent pas les espérances que l'opinion générale fondait en lui. Préalablement à toute réforme intérieure de l'Eglise, une œuvre politique s'imposait : assurer l'indépendance de la Papauté à l'égard des factions romaines et des tyrans italiens. Le nouveau Pape se donna à cette tâche avec toute l'énergie dont il était capable. Dans le court intervalle qui s'était écoulé entre la dernière rechute d'Innocent VIII et le couronnement de son successeur, plus de deux cent vingt meurtres avaient été commis. Alexandre ordonne des enquêtes sévères, désigne des commissaires chargés de recueillir les plaintes des habitants, donne lui-même audience à tous ceux qui ont quelque réclamation à lui soumettre[6]. En même temps il réorganise les finances, restreint les dépenses de la cour pontificale, tient une table si frugale que les cardinaux esquivent les invitations[7].

Dans cette mosaïque de petits états indépendants, remuants, jaloux, toujours en guerre, qui constituaient l'Italie, Rome et les états pontificaux avaient tout à craindre. Le Pape employa les premières sommes disponibles à munir ses places fortes. Il fortifia Civita-Vecchia. Au mois de mai 1493, le chiffre des dépenses faites pour les armements s'élevaient déjà à 26.383 ducats[8]. Quand les états italiens étaient en lutte, les plus faibles avaient l'habitude d'appeler l'étranger à leur secours. L'étranger, c'était l'empereur d'Allemagne, c'était le roi d'Espagne, c'était le roi de France. En 14.92, un des condottières les plus redoutables de l'Italie. Ludovic Sforza, à qui son teint basané avait valu le surnom de Ludovic le More, fit proposer à Charles VIII, roi de France une ligue particulière et secrète[9]. Mais Alexandre veillait. Le 23 avril 1493, il se trouvait lui-même à la tête d'une ligue qui ralliait autour du Saint-Siège Venise, Milan, Ferrare et Mantoue[10].

Dans la réalisation même de cette œuvre de pure politique, les vices moraux du nouveau Pape devaient être hélas ! un obstacle, et l'on devait voir bientôt tant d'habiletés et tant d'efforts aboutir, non à l'indépendance, mais à l'absolutisme sous la main brutale de César Borgia, son troisième fils[11].

Non content de continuer, après son élection au souverain pontificat, ses habitudes de vie dissolue[12], Alexandre VI eut pour sa descendance illégitime, qu'il éleva officiellement et qui forma sa famille pontificale, une affection démesurée. On le vit tout sacrifier pour assurer à ses enfants, à ses proches, aux alliés de ses proches, à tous ceux qui se rattachaient à la famille des Borgia, les situations les plus avantageuses. Autour du Pontife ce fut alors une affluence d'âpres convoitises. Le fameux népotisme de Calixte III était dépassé. Dix papautés, écrivait Gianandrea Boccario, trois mois après l'avènement d'Alexandre, ne suffiraient pas à satisfaire l'appétit de la bande qui se précipite vers lui[13]. Le Sacré Collège se remplit de favoris dont la vie ressemblait à la sienne. Quand je songe à la vie du Pape et de certains cardinaux, écrivait un grave cardinal, Péraudi, j'ai honte d'appartenir au Sacré Collège[14].

L'attachement passionné du Pontife pour sa fille Lucrèce, à laquelle il devait confier, pendant une absence de Rome, le gouvernement du Palais apostolique[15], et pour son fils César, qui fut l'orgueil de sa vie, ne connut pas de bornes. Il ne, sut jamais rien refuser à la gaieté toujours souriante de Lucrèce ; il fut toujours subjugué par l'impérieux ascendant de son fils César. César Borgia fut le mauvais génie de son père. Taciturne, impénétrable, toujours masqué, pour cacher, dit-on, les taches purulentes d'une maladie honteuse[16], doué d'une force herculéenne, qui lui permettait de trancher d'un seul coup d'épée la tête d'un fort taureau, il était presque toujours suivi de son assassin de confiance, don Michelotto[17].

L'inaptitude d'un tel Pape à travailler à la réforme de l'Église était manifeste. Il eut dû commencer par se réformer lui-même. Alexandre VI avait une autre tare : son élection avait été simoniaque ; les hommes contre lesquels il eut voulu sévir étaient prêts à le lui reprocher en face. Savonarole n'y manquera pas.

Cette impuissance de la Papauté portait le peuple à tourner les yeux, pour réaliser la réforme si impatiemment attendue, Le peuple se vers quelque roi puissant ou vers quelque mystérieux prophète. De là, l'accueil fait en Italie au roi Charles VIII et surtout au moine Savonarole.

 

II

Dès l'année 1494, à la mort de Ferrand, roi de Naples, Charles VIII, briguant sa succession, menaça le Pape de convoquer un concile, si le Saint-Siège soutenait les droits de son compétiteur, Alphonse. Pour la réalisation de son projet, le roi de France s'assura l'alliance de la famille Colonna et du cardinal Julien de la Rovère. C'était le plus puissant des adversaires d'Alexandre ; il devait lui succéder sous le nom de Jules II. Grâce à Julien, on gagnerait des cardinaux, avec qui on pourrait tenter de convoquer un concile, et de déposer le Pape comme simoniaque. On conquerrait la sympathie de l'opinion en faisant enfin la réforme de l'Église. Certes, une réforme si vaste et si profonde, opérée par ce pauvre roi, mal fait d'esprit comme de corps, que le Florentin Della Casa déclarait un incapable guidé par le premier venu, et par ce cardinal mondain, ambitieux, irascible, qui portait sur son corps les traces de la même maladie honteuse que César Borgia[18] : c'était un projet bien chimérique ! Mais Alexandre VI s'émut. Le 18 juin 1494, le cardinal Sforza écrivait à son frère : Sa Sainteté a une peur terrible des projets du cardinal Julien au sujet du futur concile[19]. Alexandre VI accueillit avec tous les égards possibles les ambassadeurs du roi de France, espérant ainsi apaiser leur maître. Mais Charles VIII était déjà trop lancé dans ses entreprises grandioses pour s'en tenir là. On lui a prêté l'ambition de conquérir le royaume de Naples pour pouvoir serrer l'Italie comme dans un étau entre la vieille France et sa nouvelle possession, réduire la Papauté sous la dépendance de la France et s'élever lui-même au rôle de maître de l'Europe. On a dit que la guerre d'Italie était alors la conséquence fatale d'une attraction qui, depuis deux siècles, s'exerçait sur la pensée des rois de France et la tenait presque incessamment tournée vers la Péninsule[20]. Les hommes d'État qui menaient la politique française se rendaient compte de la situation : beaucoup d'Italiens, lassés de l'état d'anarchie et d'émiettement politique où ils vivaient, et impatients de voir une réforme dans l'Église, étaient prêts à accueillir quiconque se présenterait à eux comme un libérateur et un réformateur. L'armée française rencontra si peu de résistance sur son chemin, que Philippe de Commines se fit à plusieurs reprises l'interprète de son étonnement : Dieu même, écrit-il, protège notre expédition ! A peine les Français eurent-ils mis le pied en Toscane, que Savonarole, du haut de la chaire de la cathédrale de Florence, s'écria à son tour : Le glaive est venu ! Les prophéties s'accomplissent ; c'est le Seigneur qui mène ces armées ! Le 9 novembre, les Florentins se soulèvent au cri de Peuple et liberté ! Pierre de Médicis prend la fuite. Le moine, pour sauver la ville, se rend alors au camp français et, arrivé en présence du roi, prononce, d'une voix sonore et d'un ton prophétique, ces paroles : Ô roi très chrétien, Dieu t'envoie réformer l'Église, qui git à terre dans l'abattement. Mais si tu n'es pas juste, si tu ne respectes pas la ville de Florence, le Seigneur appesantira sa main sur toi. Charles VIII avait une grande vénération pour le moine, qui avait annoncé sa venue et promis son succès. II promit de respecter Florence, ses femmes, ses citoyens et sa liberté[21] ; le 17 novembre, le roi de France fit son entrée dans la ville pavoisée, au cri de Viva Francia ![22]

Deux jours après, Rome elle-même était bloquée, et Alexandre VI voyait de ses fenêtres les chevaux de l'armée française galoper autour de la cité. Il s'enferma dans le Vatican avec sa fidèle garde espagnole. La crainte d'un futur concile, réuni par le roi de France et prononçant sa déposition comme simoniaque, dut l'agiter plus que jamais.

En, réalité, Charles VIII n'avait point l'ambition qu'on lui supposait, parce qu'il ne se sentait pas le pouvoir de la réaliser. Charles était jeune, dit Commines, et son entourage trop mauvais pour qu'il lui fut possible de mener à bien une œuvre aussi considérable que la réforme de l'Église[23]. Mais il profitait de la panique et multipliait les menaces. Le 15 janvier 1495, le Pape consentit à signer un traité de paix dont les conditions étaient lourdes, car elles l'obligeaient à respecter les possessions et bénéfices de ses ennemis, et notamment du cardinal Julien de la Rovère mais de toutes ses frayeurs, la plus grave était conjurée : il était reconnu officiellement par le roi de France !

Les impatients partisans de la réforme qui avaient mis leur espoir en Charles VIII furent mécontents. A Sienne, Savonarole l'invectiva : Prince très chrétien, lui dit-il, tu as provoqué la colère céleste en abandonnant la réforme de l'Église... Si tu ne reprends pas l'œuvre manquée par ta négligence, Dieu t'enverra de nouvelles épreuves[24].

Les Français, en effet, satisfaits de leur facile triomphe en Italie, se divertissaient, organisaient des joutes et des fêtes, lorsque soudain les États de la péninsule se réveillèrent. Le 1er avril 1495, dans le palais du doge, à Venise, une ligue fut signée, comprenant le Pape, l'empereur, le roi d'Espagne, Ludovic le More reprenant le titre de roi de Naples, et la République de Venise. Le roi de France s'écria : C'est une grande honte ! Après la bataille de Fornoue, il regagna la France au plus vite. Il ne rapportait de cette expédition, dit Commines, que de la gloire et de la fumée. Quant aux fidèles qui, comme Savonarole, espéraient d'un changement dans le gouvernement de l'Italie une réforme de l'Église, ils étaient complètement déçus.

Alexandre VI reprit alors la lutte contre la noblesse italienne. Ce fut malheureusement une nouvelle occasion pour le Pontife de combler de richesses et d'honneurs les membres de sa parenté. Pour combattre la puissante famille des Orsini, il fit appel à son fils Juan, duc de Gandie. C'était un incapable. Nommé capitaine général des troupes pontificales, Juan de Gandie laissa tailler en pièces son armée ; le Pape l'investit alors du duché de Bénévent ; il avait aliéné en sa faveur un domaine de l'Église. Les hommes sages et pieux gémissaient : Je désespère de l'avenir, écrivait le cardinal Péraudi, si Dieu ne réforme pas son Église ![25]

 

III

La réforme ! Il était bien question de cela ! Le 8 juin 1497, au moment même où Péraudi écrivait sa mélancolique réflexion, le Pape nommait César Borgia légat ecclésiastique à Naples et le chargeait de représenter le Saint-Siège au couronnement du nouveau roi. La famille des Borgia dominait en Italie et se glorifiait bruyamment de sa puissance.

Un drame mystérieux, qui se déroula six jours après, fit soupçonner César, — vraisemblablement à tort, — de n'avoir pas reculé devant un fratricide pour s'assurer le droit de primogéniture et, par là même, murmurèrent quelques-uns de ses ennemis, la future succession au trône pontifical.

Le 14 juin, César Borgia soupait chez sa mère Vanozza, avec son frère le duc de Gandie, son cousin le cardinal Juan Borgia, et de nombreux amis, dans le voisinage de Saint-Pierre ès-Liens. Vers minuit, les deux frères reprirent à dos de mule le chemin du palais pontifical. Près du palais Césarini, le duc de Gandie prit congé de ses compagnons. On le vit s'éloigner, suivi d'un écuyer et d'un homme masqué qu'il avait amené au banquet, et disparaître dans la nuit... Le lendemain matin, au même endroit, on trouva l'écuyer couvert de blessures et incapable de dire mot. Quant au duc, il avait disparu. On ne retrouva que sa mule, dont les étriers étaient faussés. Le soir, un marchand de bois raconta que, vers deux heures du matin, il avait vu un cavalier, escorté de quatre hommes, s'avancer vers le Tibre et lancer un corps dans le fleuve. Le 16 juin, des bateliers retirèrent des eaux le cadavre mutilé du duc de Gardie, percé de neuf blessures profondes. Tandis que la rumeur publique accusait les Orsini, que certains soupçonnaient le cardinal Sforza, que d'autres attribuaient l'attentat à la vengeance de quelque romain jaloux, dont ce fils du Pape aurait déshonoré le foyers le Vénitien Dono Capello écrivit hardiment : C'est César qui a fait jeter son frère au Tibre, la gorge ouverte. Un historien allemand, Gregorovius, a accepté cette dernière supposition. Mais elle est généralement abandonnée aujourd'hui. L'opinion la plus probable est que le duc de Gandie, dont l'inconduite était notoire, fut victime d'un guet-apens dans une aventure galante[26].

Le Pape fut profondément affecté de cette mort. Il ne sortit pas de sa chambre pendant trois jours, pleurant et refusant toute nourriture. Si j'avais eu sept papautés, dit-il, je les aurais données pour la vie de mon fils. Il écrivit au roi d'Espagne une lettre dans laquelle il parlait d'abdication[27] : Ferdinand le dissuada de ce projet désespéré. Il prit alors une résolution plus virile et plus chrétienne. Il annonça aux cardinaux et aux ambassadeurs son projet de ne plus songer désormais qu'à son propre amendement et à celui de l'Église[28].

Le 19 juin Alexandre constitua une commission de cardinaux chargée de préparer la réforme. Dès les premiers jours d'août, le Pape donnait le premier l'exemple : il déclarait ne vouloir plus tolérer dans son entourage ni enfants, ni neveux et renvoyait à Valence sa fille Lucrèce elle-même. Puis la rédaction d'une grande bulle de réforme l'absorba[29].

La volonté de Dieu, disait-il, nous ayant placé sur le Siège apostolique pour extirper le mal et encourager le bien, nous désirons de toute notre âme travailler à la réforme des mœurs... Nous commencerons dès maintenant cette réforme par notre cour de Rome, car elle doit donner aux autres l'exemple de toutes les vertus. Nous avons fait choix de six hommes parmi les meilleurs, ayant avant tout Dieu en vue. Avec leur concours, nous aveu décrété les dispositions suivantes...

Après ce préambule, avec une précision de réglementation, où l'on reconnaissait la main de l'ancien vice-chancelier, rompu aux affaires, et connaissant bien par sa propre expérience l'irritation produite par les nombreux abus de la curie[30], le Pape réglait le service divin dans la chapelle pontificale, édictait des mesures sévères contre la simonie, traitait longuement de la réforme du collège des cardinaux et des fonctionnaires de la cour.

Cette bulle devait rester à l'état de projet. Peu à peu, avec le temps, la douleur et le remords s'effacèrent de l'âme d'Alexandre VI. Le malheureux Pontife ne possédait pas la force d'âme nécessaire pour rompre complètement avec un passé aussi scandaleux que le sien, avec des attaches aussi nombreuses et aussi captivantes. La première émotion passée, il céda : les démons de la volupté et de l'ambition reprirent leur empire sur son âme, et son dernier état devint pire que le premier.

César reprit sa place à la cour, d'autant plus exigeant que sa situation avait été un moment plus compromise. On apprit bientôt qu'il allait quitter la pourpre et épouser une princesse. Le 20 décembre 1497, Lucrèce obtenait la déclaration de nullité de son mariage avec Jean Sforza. Il n'était plus rien que le Pape ne fût disposé à accorder à ses fils : il était devenu leur esclave. Des bruits abominables circulaient sur la maison de Borgia, jusqu'à l'accusation, fausse d'ailleurs, d'un crime que se refuse à nommer la bouche de l'homme doué du moindre sens moral[31]. La rumeur populaire parlait de manifestations étranges des puissances infernales. Le 14 juin 1497, des fidèles déclarèrent avoir vu, dans l'intérieur de la basilique de Saint-Pierre, des torches courant çà et là, portées par des mains invisibles. Des bruits insolites, disait-on, se faisaient entendre dans les églises. Le formidable tonnerre qui, le 29 octobre de la même année, tomba sur la poudrière du fort Saint-Ange et fit voler en pièces la statue de Saint-Michel, n'était-elle pas une manifestation significative de la puissance des ténèbres[32] ? De pareilles dispositions favorisèrent étonnamment le succès du nouveau prophète qui s'était levé à Florence et de qui seul maintenant on attendait la grande réforme.

 

IV

Depuis l'occupation de Florence par les Français et l'abandon de la ville par les Médicis, la situation de la cité florentine était lamentable. Se voyant tout à coup libres, maîtres d'eux-mêmes, les Florentins s'étaient trouvés d'abord dans une sorte de confusion et de désarroi : désarroi d'autant plus irrémédiable, semblait-il, qu'une jeune école politique, plus tard représentée par les noms célèbres des Machiavel et des Guichardin, y élaborait, dans toute l'effervescence de sa formation, les conceptions les plus diverses et les plus hardies. Par la force même des choses, le prédicateur si écouté du couvent de Saint-Marc fut amené à parler de ce qui faisait l'objet des préoccupations générales. Savonarole se montra d'abord hésitant, irrésolu. Ô mon peuple, s'écriait-il, tu sais que je n'ai jamais voulu m'immiscer dans les affaires de l'Etat ; crois-tu que je m'en occuperais maintenant, si je ne croyais pas que cette intervention est nécessaire au salut des âmes ?[33] Le 12 décembre 1494, il aborda résolument la politique, et développa les trois principes suivants : 1° Le gouvernement d'un seul est le meilleur de tous quand le prince est bon, et le pire de tous quand le prince est mauvais ; 2° les régimes de gouvernement doivent être adaptés à la nature du peuple auquel on les destine : ainsi chez les peuples qui ont beaucoup de force et peu d'esprit, ou encore chez ceux qui ont beaucoup d'esprit et peu de force, le régime monarchique peut être excellent ; mais c'est le régime républicain qui convient seul aux peuples forts et intelligents ; 3° en toute hypothèse, la réforme des choses matérielles doit être précédée par la réforme des choses spirituelles[34]. A propos de ce dernier principe, le prophète, — c'est ainsi qu'on l'appelait communément s'élevait avec indignation contre la fameuse parole de Côme l'Ancien, qu'on ne gouverne pas les Etats avec des Pater Noster. Dans ses Sermons sur les Psaumes, prêchés à. partir du 6 janvier 1495, les conseils politiques se mêlaient aux conseils religieux. C'est d'après les avis de Savonarole que l'impôt cadastral de 1427 fut remplacé par un impôt nouveau de 10 % sur la propriété foncière et que le tribunal de la Mercatanzia ou du commerce fut réorganisé. La rédaction d'un nouveau code de commerce fut due à son initiative. Le 28 décembre 1495, il fit adopter la fondation d'un mont de piété.

Avec des paroles d'une extrême violence, on le vit s'élever contre la tyrannie et contre l'anarchie, entre lesquelles il trouvait des relations très étroites. Tyran, disait-il[35], est le nom d'un homme qui mène une vie haïssable. Le tyran est dominé par l'orgueil, par la luxure et par l'avidité. Le tyran contient en germe tous les vices dont l'homme est capable ; tous ses sens sont corrompus : ses oreilles par les flatteries, son palais par la gourmandise, ses yeux par les obscénités. Il achète les magistrats, vole les orphelins et opprime le peuple. Et toi, citoyen, qui lui es soumis, tu n'es pas moins misérable que lui : ta langue est esclave en lui parlant ; tes yeux sont esclaves en le regardant ; tes biens lui appartiennent ; et, s'il te frappe, tu dois lui dire : merci !

Savonarole ne haïssait pas moins l'usage florentin en vertu duquel, à certains moments donnés, le peuple, appelé au son de la cloche, se réunissait sans armes sur la place pour voter des lois. On appelait une telle réunion le parlamento. En réalité, sous cette apparence de liberté, le peuple devenait un instrument docile aux mains de quelques citoyens puissants et ambitieux. Rien n'égale la véhémence du moine quand il parlait du parlamento. Viens ici, peuple. N'es-tu pas le maître maintenant ?Oui. — Eh bien, écoute. Retiens cette vérité et enseigne-la à tes enfants. Si tu entends la cloche convoquer le parlement, lève-toi et tire l'épée. Tout citoyen qui projette de convoquer le parlement mérite d'avoir la tête coupée. Si les Seigneurs tentent de réunir le parlement, qu'ils ne soient plus regardés comme des Seigneurs. Quiconque parle de réunir le parlement conspire contre le gouvernement[36].

Quelle était donc l'autorité que l'ardent prédicateur voulait établir à Florence ? Le dimanche des Rameaux de l'an 1490, il se prononça nettement. Après un éloquent discours, le moine, présentant au peuple un crucifix, s'écria : Florence, voilà le Roi de l'univers ! Il veut être ton roi. Le veux-tu ? Une immense acclamation lui répondit. Quand le prédicateur descendit de la chaire, beaucoup versaient des larmes. Dès ce moment, Jésus fut le roi de Florence. Le gouvernement florentin fit graver, au-dessus de la porte du palais qui lui servait de résidence, cette mémorable inscription : Jesus Christus, Rex florentini populi senatusque decreto electus, Jésus-Christ, Roi par la volonté du peuple et du sénat de Florence.

A partir de ce moment l'influence de Savonarole, parlant au nom du Christ-Roi, n'eut plus de bornes. Prêchait-il contre le luxe du siècle, le paganisme de l'art ? on venait en foule déposer à ses pieds instruments de musique, tableaux, poèmes, parfums, tissus rares et riches dentelles ; et l'ardent dominicain, renouvelant une manifestation que plusieurs missionnaires avaient faite avant lui, faisait un feu de joie de tous ces objets de vanité. C'est ce qu'on appelait le brucciamento delle vanità, le bûcher des vanités. Pendant le carnaval de 4497, il fit dresser sur la place de la Seigneurie une grande pyramide octangulaire, haute de trente brasses et large de cent vingt. Sur quinze degrés étaient déposés les objets apportés par les habitants de Florence : harpes, luth, violes et guitares, parfums, pommades et cosmétiques, œuvres des poètes païens et des humanistes frivoles, tableaux lascifs de la jeune école florentine. On entassa, au pied de la pyramide, des sarments, des étoupes et de la poudre. Une troupe d'enfants vêtus de blanc fit le tour du monument en chantant des cantiques. Puis, à un signal donné, le feu fut mis aux quatre angles du bûcher des vanités. Quand le premier jet de flamme, mêlé de fumée, s'éleva vers le ciel, les cloches sonnèrent, les trompettes de la Seigneurie retentirent et un formidable cri de triomphe sortit de toutes les poitrines, comme si l'empire de Satan venait d'être anéanti.

La puissance de Savonarole n'était pas sans exciter, autour de lui et de ses ardents disciples, de violentes rivalités. Sans compter les partisans du pouvoir des Médicis et les hommes dévoués aux Franciscains, qui se rangeaient autour de Fra Mariano, un nouveau parti s'était formé, celui des Arrabiati (les enragés), prêts à tout oser contre l'ardent dominicain. Chansons, sonnets, pamphlets en vers et en prose, tout leur était bon pour s'attaquer au moine tribun.

Le moine de Saint-Marc, poussé par ses disciples, les Frateschi, qui formaient autour de lui comme une garde perpétuelle et avaient pour lui une sorte de culte, emporté d'ailleurs par son tempérament fougueux, ne gardait pas toujours, dans ses paroles et dans ses actes, la mesure désirable. Sa prédication morale devenait de plus en plus exigeante : il allait jusqu'à demander aux gens du monde les observances les plus dures de la vie monastique ; on le vit pousser des femmes dans les monastères malgré la volonté de leur mari ; des jeunes gens à sa dévotion parcouraient les rues, entraient dans les maisons particulières, renversaient les tables de jeux, brisaient les harpes et autres instruments de musique, et lui dénonçaient tous les délinquants, qui étaient toujours punis avec sévérité[37] : une vaste inquisition enveloppait la ville de Florence. Le grand tort de Jérôme Savonarole, dans ses tentatives de réforme, fut de vouloir attaquer à la fois tous les abus, toutes les injustices, et de prétendre les abolir sans aucune transition ni préparation.

Ses invectives devinrent de plus en plus fréquentes et véhémentes. Tant qu'elles ne s'adressèrent qu'aux tyrans et aux démagogues, dont les crimes étaient si grands, dans cette Italie des condottières et des bravi, on ne pouvait reprocher au moine que quelques excès de langage. Mais les abus, nous le savons, avaient un autre centre, plus haut placé. Ils siégeaient sur la chaire de Pierre. L'audacieux tribun fit monter jusqu'au trône pontifical ses apostrophes passionnées. Si celui qui siège sur la chaire de Pierre se trouve en opposition évidente avec la loi de l'Evangile, s'écriait-il, je lui dirai : Tu n'es pas l'Eglise romaine ; tu n'es qu'un homme et un pécheur. Il soutenait que, l'élection d'Alexandre VI étant nulle comme entachée de simonie, les ordres de Rodrigue Borgia n'avaient pas le pouvoir de le lier, et il faisait appel à un concile général. Le Pape lui ayant interdit la prédication, il se soumit d'abord, puis enfreignit le commandement du Chef de l'Eglise. Le 18 mars 1498, il lui écrivait : Ne pouvant plus rien espérer de Votre Sainteté (pour la réforme de l'Eglise), je dois m'adresser maintenant à Celui qui choisit ce qu'il y a de plus faible sur la terre pour confondre la force des hommes pervers. Que Votre Sainteté pense à son salut sans tarder davantage. Peu de temps après, il invitait les rois de France, d'Espagne, d'Angleterre et l'empereur d'Allemagne, à réunir un concile général. Mais la lettre à Charles VIII fut interceptée et remise aussitôt au Souverain Pontife. Alexandre VI avait désormais en main un document authentique, montrant jusqu'où pouvait aller l'audace du moine révolté[38].

Cependant le groupe des ennemis de Savonarole s'augmentait de tous ceux que sa parole ou son attitude avaient blessés : seigneurs, humanistes, condottières, riches bourgeois, dont il avait blâmé le paganisme ou le luxe. Des chansons populaires le tournaient en dérision. L'une d'elles commençait ainsi :

O popolo ingrato,

Tu ne vai preso alla grida,

E dictro a un guida

Pienno d'ipocrisia.

Ô peuple ingrat, tu te laisses prendre à des cris, et tu suis un guide plein d'hypocrisie.

Un malheureux incident allait achever de ruiner la popularité du moine.

Les ennemis de Savonarole, qui supportaient mal la longanimité d'Alexandre VI[39], résolurent de précipiter le dénouement.

Dans plusieurs sermons, notamment dans son sermon du 8 mars 1196, le dominicain avait rappelé que plus d'une fois la volonté de Dieu s'était manifestée par le jugement du feu[40]. Vers les premiers jours de 1498, il avait proposé de se rendre avec ses adversaires sur une hauteur pour demander à Dieu de faire descendre le feu du ciel sur ceux qui professaient des doctrines perverses. Quelque temps après, des Arrabiati poussèrent un Frère franciscain, Francesco di Puglia, à relever cette parole, qu'ils considéraient comme un défi. Un ardent disciple de Savonarole, le Frère dominicain Domenico Buonvicini, se déclara aussitôt prêt à subir l'épreuve. Mais c'est Jérôme Savonarole qu'on voulait voir se soumettre lui-même au jugement de Dieu. Ses ennemis espéraient sa confusion, ses fidèles attendaient un miracle.

Frère Jérôme parait avoir longtemps hésité et n'avoir cédé qu'à contre-cœur[41]. Ces épreuves du feu, en usage dans le haut Moyen Age, avaient été formellement réprouvées par les Papes des XIIe et XIIIe siècles[42] ; mais les amis de Savonarole soutinrent que la gravité des circonstances, où la paix de l'Eglise universelle leur paraissait engagée, autorisait une dérogation aux canons de l'Eglise. Frère Jérôme Savonarole accepta l'épreuve.

Le 7 avril 1498[43], sur la place de la Seigneurie, un grand bûcher fut élevé, au milieu duquel avait été ménagé un étroit sen-lier. C'est par ce sentier que devaient passer les deux adversaires, une fois le bûcher mis en flammes. Une foule immense se pressait au spectacle.

Les deux champions reculèrent-ils devant le danger ? avaient-ils le secret espoir que le Pape, averti de l'infraction projetée aux lois de l'Eglise, interviendrait pour l'empêcher ? Les délais, les tergiversations, les interminables controverses des adversaires sur les conditions de ce jugement de Dieu, semblaient manifester chez eux le secret désir de se dérober à cette étrange ordalie. Tous ces incidents impatientaient la foule. Une pluie subite, qui vint à tomber, interrompit un moment les pourparlers. Une agitation nerveuse remuait la multitude. Des rixes se produisirent. Bientôt ce fut un tumulte indescriptible. Frère François se réfugia dans le Palais de la Seigneurie, Frère Jérôme dans une église : finalement l'épreuve fut abandonnée.

A partir de ce moment, le prestige de Savonarole sembla irrémédiablement perdu. Le soir du dimanche des Rameaux, le couvent de Saint-Marc, où il se trouvait avec ses plus fidèles amis, fut assailli et pris d'assaut par le peuple. Savonarole, arrêté avec deux de ses compagnons, fut livré aux magistrats et mis à la torture. Le Pape réclama le droit de juger l'accusé. Mais le gouvernement de Florence passa outre ; il admit tout au plus la présence de deux juges pontificaux dans le tribunal qui prononcerait la sentence.

Quand les deux juges pontificaux arrivèrent à Florence, l'instruction était déjà très avancée, et le parti des juges florentins était déjà pris[44]. Savonarole, accusé d'avoir trompé le peuple par de fausses prophéties, d'avoir comploté contre le gouvernement de Florence et négocié avec les puissances la convocation d'un concile contre le Pape, fut condamné, ainsi que ses deux compagnons, à être suspendu au gibet et ensuite brûlé, afin que son âme fut complètement séparée de son corps[45].

Le matin de l'exécution, ils reçurent la sainte communion /ans la chapelle du palais. Savonarole, prenant alors dans ses mains l'Hostie consacrée, demanda pardon à Dieu et aux hommes de toutes les fautes qu'il avait commises, de tout le scandale qu'il avait pu causer. On les conduisit ensuite sur la place. L'instrument du supplice s'y dressait : c'était un échafaud à hauteur d'homme, couvert de matières combustibles, d'où s'élevait une potence en forme de croix. Là place regorgeait de curieux, animés de sentiments très divers, les uns mornes et atterrés, les autres pleins d'une joie insolente.

Les condamnés marchèrent au supplice avec courage. Au moment où les flammes enveloppèrent le corps de Frère Jérôme, on entendit ces mots : Jésus ! Jésus ! Un coup de vent ayant écarté les flammes et laissé voir le corps du moine, le peuple cria : Miracle ! miracle ! Mais ce ne fut que l'affaire d'un instant. Le feu acheva son œuvre. C'était le 23 mai 1498. Jérôme Savonarole était âgé de 45 ans et 8 mois[46].

Avec un grand courage, un talent de premier ordre, une bonne volonté incontestable, mais avec des exagérations manifestes et une indépendance qui était allée jusqu'à la désobéissance et à la révolte, Savonarole avait incarné un moment l'indignation populaire contre les abus des gouvernements civils et religieux de la Renaissance. Des saints, comme Philippe de Néri et Catherine de Ricci, ont loué ses vertus. Nous verrons plus loin la portée de son œuvre philosophique et mystique. Le cardinal Newman, sans méconnaître la pureté de ses intentions et de ses mœurs, semble avoir porté sur l'éloquent dominicain le jugement de l'histoire lorsqu'il a écrit[47] : Jérôme Savonarole s'exagéra son propre mérite. Il se révolta contre une puissance que personne ne peut attaquer qu'à ses propres dépens. Aucune amélioration ne peut résulter de la désobéissance. Ce n'était pas la voie à suivre pour devenir l'apôtre de Florence et de Rome.

 

V

La disparition de Savonarole fut le point de départ d'une nouvelle période de triomphe pour César Borgia. Le 17 août 1498, César quittait la pourpre. Peu de temps après, il devenait duc de Valentinois et épousait une princesse française, Charlotte d'Albret, fille du roi de Navarre. Soutenu par les troupes françaises et pontificales, il donnait alors libre cours à son insatiable ambition. On le voit, au printemps de 1499, commencer une campagne contre les principales familles italiennes. Prendre Urbin aux Montefeltri, Pérouse aux Boglioni, Sienne aux Petrucci, soulever contre Florence Arezzo, Cortone et Pise, rentrer triomphalement à Rome, pour y recevoir la rose d'or bénite par le souverain Pontife et y obtenir le titre de gonfalonier du Saint-Siège, est l'affaire de trois ans à peine. Le vainqueur ne recule plus alors devant aucun crime. Sa sœur Lucrèce avait épousé en 1498 le duc Alphonse de Besaglia. Le 18 août 1500, César, provoqué par Alphonse, pénètre dans la chambre de son beau-frère et le fait étrangler sous ses yeux par don Michelotto.

Le Pape passa l'éponge sur cet horrible événement, dit Pastor[48]. Le doute n'était pas possible : Alexandre avait peur de l'indéchiffrable César. Par diverses bulles, le Pape conféra dans la suite plusieurs duchés à des membres de sa famille, notamment à un fils de Lucrèce et d'Alphonse et à un de ses propres fils, Juan Borgia, qu'il venait de légitimer[49]. Les états de l'Eglise, dit Gregorovius[50], étaient désormais passés, à peu près en entier, à l'état de propriétés personnelles dès Borgia. Les cardinaux se plaignaient de voir la famille du Pape pénétrer dans les secrets les plus intimes de l'administration de l'Eglise. De fait, en juillet 1501, partant en villégiature, Alexandre VI avait laissé à sa fille Lucrèce l'administration du palais apostolique, avec autorisation d'ouvrir sa correspondance[51]. Le Pape, écrivait un ambassadeur[52], n'a plus qu'un désir ; c'est de rendre ses enfants puissants.

Ainsi, dit un grave historien, cet homme, placé sur un poste élevé pour sauver ce qui pouvait être sauvé dans l'Eglise, contribuait plus que tout autre aux progrès de la corruption universelle, La vie de ce jouisseur effréné était le plus complet démenti aux leçons de Celui qu'il était charger de représenter sur la terre.

Et cependant, fait digne de remarque, dans les questions purement religieuses, Alexandre VI n'a donné prise à aucun blâme fondé[53]. En effet, non seulement le bullaire de ce monstre est impeccable, comme le remarque Joseph de Maistre, mais on voit ce Pape indigne se faire le défenseur de la pureté de la foi. En 1492, il se préoccupe sérieusement de ramener les utraquistes te Bohême à l'unité de l'Eglise. En 1500, il cherche à protéger .es fidèles contre les Vaudois répandus en Moravie[54]. Les missions du Groenland sont l'objet de sa sollicitude.

Enfin l'œuvre de la propagation de la foi doit à l'intervention du Pare Alexandre VI un autre bienfait d'une portée encore plus considérable. En 1492, au moment même où Alexandre VI gravissait les degrés du trône pontifical, le navigateur Christophe Colomb découvrait un nouveau monde. Les conséquences de cet événement devaient être incalculables pour l'avenir de l'Eglise et de la civilisation générale. Il n'avait pas fallu seulement à Colomb du génie, dit un historien philosophe[55], il lui avait fallu un principe de foi qui le subjuguât, comme la plupart des hommes de son temps. Les voyageurs lointains, les grands aventuriers, avant et après Colomb, n'avaient pas été uniquement excités par la soif de l'or ou de la renommée ; et les gouvernements, qui les aidaient ou qui les encourageaient, n'avaient pas cédé seulement à des vues d'ambition : tous étaient plus ou moins animés d'un zèle de propagande religieuse.

Quand, en mars 1493, le grand navigateur revint en Espagne, la joie fut grande à la cour de Ferdinand et d'Isabelle, qui avaient patronné l'expédition. Elle fut plus grande encore à Rome, à la pensée que de nouveaux champs allaient s'ouvrir à l'apostolat des missionnaires de l'Evangile. Mais quelles nations allaient exercer une juridiction temporelle sur les terres nouvellement découvertes ou à découvrir ? A la demande et sur les indications de Christophe Colomb, Alexandre VI, après plusieurs jours de négociations, conduites par le cardinal espagnol Bernardin Carvajal, promulgua, les 3 et 4 mai 1493, trois Constitutions d'une grande importance. En vertu de sa charge de Vicaire de Jésus-Christ, le Pape, afin d'amener plus facilement à la foi catholique les peuples de ces terres et de ces îles, donnait et assignait a l'Espagne toutes les îles et terres fermes, découvertes ou à découvrir, à l'occident d'une ligne tracée du pôle Nord au pôle Sud et passant à cent lieues ouest des îles dites Açores[56].

Peu d'actes ont donné lieu à plus d'accusations injustes contre le pouvoir des Papes. On a prétendu qu'Alexandre VI autorisait les Européens à réduire en esclavage les habitants des pays découverts[57]. Une impartiale interprétation du document démontre que la donation dont il s'agit créait simplement, en faveur du roi d'Espagne et de ses successeurs, un titre, à l'égard des autres princes de l'Europe, et non à l'égard des populations du Nouveau Monde[58], que celles-ci ne pouvaient être converties à la foi catholique que par une adhésion volontaire[59], et que le fait de leur conversion n'enlevait rien aux droits des principautés infidèles[60]. A l'égard des autres Etats chrétiens, Alexandre VI conférait, ainsi qu'on l'a dit, aux souverains espagnols un droit analogue à nos brevets d'invention, à nos privilèges pour la propriété littéraire. D'ailleurs, à l'époque d'Alexandre VI, les peuples chrétiens reconnaissaient encore au Pape, au moins théoriquement, ce droit d'arbitrage si souvent exercé au Moyen âge[61]. En d'autres termes, l'envoi de missionnaires, les interventions armées que cette sorte de protectorat pouvaient exiger étaient réservées aux Espagnols et aux Portugais[62]. En fait, dit Pastor[63], la sentence pontificale a essentiellement contribué à la solution pacifique d'une série de questions de frontières hérissées de difficultés... La sentence fait honneur à Alexandre VI ; un aveugle esprit de parti et une ignorance crasse pouvaient seuls y découvrir un grief contre Rome.

Le 12 août 1503, le Pape fut pris de fièvre et de vomissements. Le 18, la fièvre ayant augmenté, le Pontife se confessa et reçut la sainte communion. Le soir, à six heures, après une crise d'étouffement, il rendit le dernier soupir[64]. Ce Pape étrange, dit M. Gebhart, eut des accès de grandeur d'âme, mais il n'eut jamais le temps ou la liberté d'accomplir une action généreuse[65]. Au point de vue catholique, écrit Pastor, on ne peut condamner assez sévèrement Alexandre VI, et, à la vue de certains scandales, on ne peut se défendre, comme parle Bossuet[66], d'être saisi d'une sainte et humble frayeur, en considérant les tentations si dangereuses et si délicates que Dieu envoie quelquefois à son Eglise et les jugements qu'il exerce sur elle. Mais, encore une fois, il faut bien reconnaître que, sous le pontificat d'Alexandre VI, la foi de l'Eglise romaine resta immaculée. Il semble que la Providence ait voulu montrer que, si les hommes sont capables de faire du mal à l'Eglise, ils sont incapables de détruire l'œuvre de Jésus-Christ[67].

 

VI

La mort d'Alexandre VI détermina l'effondrement de la puissance de César Borgia. Ce politique sans scrupules avait pourtant pris ses mesures en vue du fatal dénouement. C'est César, disait-on, qui fera le nouveau Pape. Intrigues dans le Sacré Collège, intrigues auprès des princes de l'Europe : il n'avait rien négligé. Mais au moment de la mort d'Alexandre VI, il se trouva terrassé par la maladie. J'avais tout prévu, disait-il plus tard à Machiavel[68], j'avais réfléchi aux moyens de parer à toutes éventualités pour le cas où mon père viendrait à mourir ; il n'y a qu'une chose qui ne me fut pas venue à l'idée, c'est que je puisse moi-même être, à ce moment-là, aux prises avec la mort. Malade, éloigné de Rome, César conservait cependant une réelle influence, qu'il chercha à consolider par une alliance contractée avec le roi de France Louis XII (1er septembre 1498). Mais cette influence se trouva contrebalancée par celle du cardinal Julien de la Rovère. La puissance des deux partis, désormais d'égale force, permit aux membres modérés du Sacré Collège de faire triompher la  candidature de l'honnête et pieux cardinal François Piccolomini, neveu du Pape Pie II, qui, en mémoire de son oncle, prit le nom de Pie III (23 septembre 1503).

Ce fut, pour tous les gens de bien, une joie sans réserve. Une nouvelle lumière s'est levée sur nous, écrivait le général des Camaldules, Pierre Delfini, nos cœurs sont dans l'allégresse, nos yeux versent des larmes, parce qu'enfin Dieu a eu pitié du peuple chrétien et lui a donné un Pasteur suprême, saint, innocent, immaculé. Au deuil a succédé l'allégresse ; à la nuit et à la tempête, la lumière et le beau temps[69]. On ne pouvait imaginer, entre le Pape qui venait de disparaître et celui que la Providence donnait à l'Eglise, un plus saisissant contraste. Le nouveau Pape, dit un contemporain, n'avait pas un moment qui ne fut occupé : il passait à l'étude les heures qui précèdent le lever du jour ; la matinée était consacrée à la prière ; à l'heure de midi, il donnait ses audiences, auxquelles les petites gens étaient librement admis. Pour le manger et le boire, il était d'une grande sobriété[70]. Dans les diverses fonctions qui lui avaient été confiées par son oncle, tout particulièrement dans une mission de légat en Allemagne, et dans le gouvernement de la marche de Picenum, il s'était fait remarquer par la haute dignité de sa vie. Je ne veux pas être le Pape des armes, déclara le nouvel élu, mais le Pape de la paix[71]. Ce fut la devise de son très court pontificat. Pie III fut doux envers tout le monde, même envers César Borgia, qu'il autorisa, sur sa demande, à retourner à Rome. Je ne souhaite pas de mal au duc, disait-il, car le Pape a plus que tout autre le devoir d'être miséricordieux envers tous, mais je prévois qu'au jugement de Dieu César finira mal[72].

Pie III comptait, lors de son élévation au pontificat, soixante quatre ans à peine ; mais de douloureux accès de goutte l'avaient beaucoup vieilli. Comme il était simple diacre, il fallut lui conférer, avant la solennité de son couronnement, la prêtrise et l'épiscopat. Ces longues cérémonies épuisèrent ses forces. Il dut s'asseoir pour célébrer sa première messe, et fut obligé d'ajourner la prise de possession du Latran. Les audiences qu'il lui fallut accorder, le long consistoire qu'il voulut tenir le 11 septembre, les luttes qu'il eut à soutenir contre les deux familles des Orsini et des Colonna, maintenant liguées contre César Borgia, achevèrent de ruiner sa santé. Dès le mois de septembre 1503, il réunit les cardinaux et leur exposa son programme, qui se résumait en deux points : réforme complète de l'Eglise, s'étendant au Pape, aux cardinaux et à la curie, et restauration de la paix dans la chrétienté. Quelques jours après, les médecins déclarèrent que l'extrême faiblesse du Pape ne laissait plus d'espoir. Le 18 octobre Pie III s'endormit doucement dans le Seigneur, après avoir reçu les derniers sacrements dans des sentiments de piété qui émurent son entourage. Malgré une pluie incessante, Rome entière défila devant sa dépouille mortelle, baisant pieusement ses pieds comme ceux d'un bienheureux. La mort de Pie III est un grand malheur pour l'Eglise, écrivit Sigismond Tizio ; mais peut-être ne méritions nous pas mieux pour nos péchés[73].

L'Eglise, comme les Etats, n'a peut-être jamais, en effet, que les chefs qu'elle mérite. Encore incapable de supporter la politique d'un saint, elle va bénéficier au moins de celle d'un grand homme, qui, par la vigueur de son gouvernement, rendra la réforme possible et permettra aux esprits de s'y préparer.

 

VII

Aussitôt après la mort de Pie III, les vieilles compétitions reparurent. Julien de la Rovère et César Borgia se tinrent encore en échec ; puis, ils jugèrent plus avantageux de se concerter et de s'unir. Le cardinal Julien serait élu, mais il nommerait César gonfalonnier de l'Eglise et prendrait sous sa protection la personne et les biens du Borgia[74]. Le 1er novembre 1503, à la presque unanimité des suffrages, à la suite d'un conclave qui fut l'un des plus courts qu'ait connu l'histoire de la Papauté, le cardinal Julien de la Rovère fut proclamé Pape sous le nom de Jules II. On vantait partout ses hautes qualités. Physiquement et moralement, Jules II possédait une nature de géant. La tête large, aux lignes fortement accusées, d'une beauté sculpturale, il avait un regard de feu sous des arcades sourcilières proéminentes, le nez très fort, les lèvres Ferrées, quelque chose de grandiose, de puissant, de dominateur dans son allure, qui lui fit donner par ses contemporains cette épithète de Terribile, qu'il appliquait lui-même à Michel-Ange[75]. Son tempérament moral correspondait à son physique. Ce Pape ne connaissait de mesure, dit un chroniqueur[76], ni dans l'affirmation, ni dans la négation ; un projet s'était-il emparé de sa pensée, il fallait que le projet aboutit, dût-il lui-même succomber à la peine. L'esprit toujours en activité, le corps toujours en mouvement, il n'eut jamais la patience d'écouter tranquillement les gens qui lui parlaient, ni de retenir sur ses lèvres un reproche, un cri d'indignation, une injure : C'est plus fort que moi, disait-il, il faut que cela sorte. Au moins ne l'accusa-t-on jamais de dissimulation ; il en était incapable ; mais sa franchise allait jusqu'à la violence et à la brutalité.

Il reprit, avec la fougue de son tempérament, le plan de gouvernement que l'humeur pacifique de Pie III avait conçu : assurer la paix des peuples chrétiens et réformer l'Eglise.

La paix des peuples chrétiens ne lui parut possible que par la consolidation et l'extension de la puissance temporelle de l'Eglise. Obligé de César Borgia par son élection, Jules II se rendit compte de la difficulté spéciale de sa situation vis-à-vis du détenteur des principaux domaines de l'Eglise. Mais une occasion s'offrit bientôt à lui d'intervenir dans les affaires du duc de Valentinois. Il la saisit avec son impétuosité habituelle.

Les Vénitiens avaient profité du pontificat éphémère de Pie HI, de la courte vacance du Saint-Siège, de la maladie de César, pour s'introduire, de gré ou de force, dans les principales villes des Etats pontificaux. La puissance de Venise devenait un péril. Jules II, redoutant de voir tomber en ses mains toutes les places fortes de la Romagne, possédées par César, somma celui-ci de remettre au Saint-Siège celles qui lui restaient encore. César s'y refusa ; il le fit arrêter et, le 29 janvier 1504, obtint de lui, pour prix de sa liberté, la remise des places en question[77]. Une nouvelle arrestation de César, exécutée le 27 mai en Espagne à l'instigation du Pape, aboutit à une seconde cession de places fortes[78], et brida pendant deux ans l'ambition de l'audacieux Borgia. Evadé de sa prison, le 25 octobre 1506, César fit trembler un moment Jules II, mais il tomba, blessé à mort le 12 mai 1507, devant les murs de Viana, en Navarre, et le Pape, en recueillant son héritage, profita de toutes ses conquêtes. Le duc, dit Machiavel[79], n'avait eu nullement l'idée de travailler à la grandeur de l'Eglise. Néanmoins, il y contribua, car, lorsqu'il eut été écarté, elle devint son héritière.

Une administration financière patiemment réorganisée, une économie sévère[80], une distribution des fonctions publiques exempte de tout népotisme[81], neuf années de négociations, d'efforts et de luttes pour réprimer les factions à Rome et dans les provinces aboutirent enfin à la restauration définitive de l'autorité pontificale en Italie. Des circonstances favorables, des événements qui semblèrent providentiels, des mouvements que Jules II sut habilement capter à son profit, lui permirent de faire prévaloir son autorité sur les nations européennes. L'intervention de la France dans les affaires d'Italie l'inquiétait surtout. Il jura de chasser les Français du sol italien et, en 1510, il se crut assez fort pour entamer une lutte contre Louis XII. Ces Français, disait-il le 19 juin 1510 à l'ambassadeur de Venise, veulent faire de moi le chapelain de leur roi ; j'entends être Pape malgré eux, et le leur montrer par des actes. Le 20 janvier 1.511, on le vit, à l'âge de soixante-dix ans, braver le froid de l'hiver, pour rejoindre son armée sous les murs de la Mirandole. La place ayant capitulé, le Pape, pressé d'entrer dans la ville conquise, y pénétra par la brèche au moyen d'une échelle.

D'où venait à ce Pape cette allure si décidée ? se demande l'historien protestant Ranke. C'est, répond-il, que Jules II pouvait avouer ses pensées et s'en glorifier... Rétablir l'Etat de l'Eglise : toutes les actions de ce Pape eurent ce seul et unique but ; toutes ses pensées étaient identifiées et exaltées par l'idée de cette mission[82]. Il n'est pas douteux, dit un historien plus récent[83], que, par sa politique, ses alliances, ses guerres, ce Pape n'ait étendu la puissance comme le prestige de la Papauté. Avec lui l'Eglise moderne commence... Par lui la ville éternelle est devenue le centre de l'univers politique.

Il en fit également le centre du mouvement artistique. Si Rome, dit Pastor[84], est parvenue à un degré de splendeur hors ligne et unique en son genre, qui en fait un centre idéal pour toutes les intelligences éprises du beau sous toutes ses formes les plus nobles, elle en est redevable au protecteur éclairé des Bramante, des Michel-Ange, des Raphaël... L'art romain, sous Jules II prend un caractère d'universalité... Le Saint-Pierre de Bramante, la voûte de la chapelle Sixtine peinte par Michel Ange et les fresques de Raphaël dans les Stanze du Vatican immortalisent l'époque de Jules II, comme autant d'hommages rendus à la Papauté.

Il ne restait plus an grand Pape que de faire de Rome le centre du mouvement religieux proprement dit. En y convoquant' un concile général, Jules H réalisait ce troisième projet, en même temps qu'il préparait la réforme de l'Eglise. Il n'y avait pas en effet à se bercer d'illusions. Ni l'hégémonie politique sur les Etats, ni le prestige souverain exercé sur les intelligences par la splendeur des arts, ne pouvaient être stables sans la cohésion des âmes dans une foi commune et dans une obéissance filiale au Vicaire de Jésus-Christ.

 

VIII

Examinons quelle est, sous les apparences brillantes de cette époque, la vraie puissance de la Papauté. Jules II se trouve en un sens, plus puissant que Grégoire VII et qu'Innocent III, et il en a conscience. Il se proclame l'arbitre des destinées de la terre et veut tenir en main le jeu du monde[85]. On parle, sous son règne, des deux glaives, dont l'un est employé par l'Eglise et l'autre pour l'Eglise[86]. Les rois lui font des serments d'obédience[87]. Il offre des couronnes et se propose d'en retirer[88]. Cependant, ce n'est là qu'une façade trompeuse et le règne de la chrétienté semble bien fini. L'échec de toutes les tentatives de croisade, de Pie II à Léon X, au moment où le péril turc est plus menaçant que jamais, en est une preuve manifeste. Le gallicanisme, d'ailleurs, vient de faire son apparition ; déjà, il se présente sous deux aspects : limitant les pouvoirs du Pape et exaltant la puissance des rois. D'autre part, le Pape parait en contact moins immédiat avec le peuple qu'au Moyen Age. Entre lui et les fidèles, entre lui et son clergé, se trouvent les rois, avec leurs conciles nationaux, le plus souvent dirigés par leurs commissaires. C'est avec les princes qu'il va falloir traiter désormais. Les concordats mettront un trait d'union entre la Papauté et les Eglises nationales, mais leur donneront en même temps une liberté qu'elles n'avaient pas auparavant.

Le pouvoir pontifical, d'ailleurs, si universel qu'il apparaisse, n'est plus international au même sens qu'autrefois. La Papauté de Jules II est, en un sens, une Papauté italienne. Cette italianisation de la Papauté a été une nécessité. Il était nécessaire, comme on l'a dit justement, que, pour échapper à la tutelle et à l'hostilité des grandes puissances, le Pape fût étranger à toutes. Un pape français, allemand, anglais ou espagnol eut toujours été suspect de servir les intérêts de son pays. Un pape italien, grâce aux divisions, à l'effacement de la péninsule, ne pouvait plus porter ombrage. Rome se nationalisait pour maintenir entre les convoitises des Etats l'internationalisme de la religion[89].

Mais cette organisation nouvelle ne fut pas sans inconvénients graves pour la vie intérieure de l'Eglise. Une telle centralisation politique comportait un développement de la curie romaine. La curie, on l'a dit, devint une cour, et en eut bientôt tous les désavantages. Six à huit cents curiales ou officiers de tout ordre, depuis les maîtres des cérémonies et les camériers jusqu'aux archers, janissaires et gens d'armes de toutes sortes, peuplèrent le Sacré Palais. Sous Jules II et sous Léon X il fallut jouer des comédies et donner des ballets devant tout ce monde.

La concentration à Rome des merveilles artistiques, de la peinture, de la sculpture, ne fut pas non plus sans périls. Il ne s'agissait plus, hélas ! de ces œuvres naïves, où l'artiste, alors même qu'il combinait les plus beaux effets de lignes et de lumière, avait conscience d'accomplir une action religieuse et cherchait à faire prier ; dans les plus purs chefs-d'œuvre de Raphaël et de Michel Ange, on apercevait déjà la tendance qui devait porter leurs disciples à tout sacrifier à la magie des couleurs et à la grâce des contours : ce sera alors la fin de l'art chrétien.

La réunion d'un concile universel était de plus en plus urgente. L'empereur d'Allemagne et le roi de France, visiblement inquiets du pouvoir grandissant de Jules II, cherchaient ouvertement à limiter l'autorité spirituelle de la Papauté et parlaient de convoquer des assemblées conciliaires de leur propre initiative. A l'automne de 1510, l'empereur Maximilien, sous prétexte de prendre les intérêts de l'Église, mais en réalité pour peser politiquement sur le Pape et le forcer à entrer dans la ligue de Cambrai, menaçait le Saint-Siège de la promulgation d'une Pragmatique Sanction en Allemagne et de la suppression des annates ; il réclamait en même temps l'institution en Allemagne d'un légat permanent, chargé de juger toutes les questions religieuses qui y seraient soulevées. Combiné avec l'introduction d'une Pragmatique Sanction, ce projet, dit Pastor, constituait le premier pas de la séparation de l'Allemagne d'avec Rome, c'est-à-dire vers le schisme[90]. En même temps Louis XII réunissait à Tours une assemblée de cinq archevêques, de cinquante-cinq évêques, de cinquante docteurs en théologie, et des représentants des universités et des parlements. Il en obtenait la déclaration que le roi de France pouvait en toute sûreté de conscience, sans sortir de l'unité de l'Église, réclamer, comme l'y autorisait le concile de Bâle, la réunion d'un concile général, et, au besoin, déclarer la guerre au Saint-Siège[91].

Le 16 mai 1511, les ambassadeurs da Maximilien et de Louis XII faisaient décider par trois cardinaux qu'un concile serait convoqué à Pise, malgré le Pape. Le roi de France, irrité, parlait déjà de déposer Jules II, tandis que l'empereur d'Allemagne se contentait de négocier avec lui par l'entremise de son délégué, Mathieu Lang, évêque de Gurk[92].

Des caricatures, des pamphlets en vers et en prose, circulaient avec l'approbation des souverains, tendant à ridiculiser l'Église et le Pape. Le roi Louis XII, qui usait du théâtre comme de plus modernes ont usé de la presse[93], donna toute licence aux basochiens de persifler la Papauté. Pierre Gringoire, dans une farce jouée à Paris avec privilège du roi, faisait dire à l'un de ses personnages :

Pour ce que l'Eglise entreprend

Sur temporalité et prend,

Nous ne pouvons avoir repos.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Arrière, bigots et bigottes !

Nous n'en voulons point, par ma foy ![94]

Le Pape était alors torturé par la maladie ; ses expéditions guerrières avaient rendu plus fréquents les accès de goutte dont il souffrait habituellement. Mais le vaillant Pontife n'était jamais si grand qu'au milieu des souffrances ; l'énergie de sa volonté savait faire tout plier, même les plus atroces douleurs. Il condamna les cardinaux rebelles, qui avaient osé prêter leur appui aux entreprises schismatiques de l'empereur et du roi de France ; et, pendant que ceux-ci, déconcertés par ce coup droit, hésitaient sur ce qu'ils avaient à faire, le Pape, poursuivant infatigablement son but, réunit un concile à Rome, fit alliance avec le roi d'Espagne Ferdinand le Catholique, et forma une ligue contre la France. Venise et l'Espagne en furent d'abord les seuls adhérents, mais l'adhésion de l'Angleterre et de l'Allemagne était réservée (5 octobre 1511)[95].

 

IX

La bulle de convocation au concile, datée du 25 juillet 1511, commençait par rappeler que les Papes seuls ont le droit de convoquer une pareille assemblée et qu'un concile réuni sans leur participation serait frappé de nullité radicale. Puis, en termes précis, le Pontife assignait au futur concile un quadruple objet : étouffer dans leurs germes les schismes naissants, réprimer les hérésies encore vivaces, réformer les mœurs du clergé et des laïques, grouper les peuples chrétiens en un seul faisceau pour leur permettre d'entreprendre une guerre sainte contre les Turcs. La nouvelle assemblée aurait lieu à Rome même, dans le palais du Latran, après les fêtes de Pâques de l'année suivante, le 19 avril 1512.

Une grave maladie avait, un moment, semblé ruiner tous les projets du Pape en réveillant les espérances de ses adversaires. Dans une lettre du 18 septembre 1511, Maximilien Ier était allé jusqu'à exprimer le rêve chimérique de réunir sur sa propre tête la couronne impériale et la tiare pontificale[96]. La guérison subite de l'intrépide Pontife changea la face des affaires. Maximilien, ce César débonnaire, épris de grandeur, mais sans volonté, sans argent et sans soldats, qui passait sa vie à entreprendre et à ne rien réussir[97], n'était pas de taille à. faire trembler Jules II. A la suite de certaines divergences de vues avec Louis XII au sujet de la ville où se tiendrait leur concile et de différends survenus entre les troupes impériales et les troupes françaises, l'empereur se dégagea de toute compromission avec le roi de France, et Louis XII resta seul à supporter la responsabilité du concile schismatique.

Il s'ouvrit à Pise le 30 septembre 1511, présidé par le cardinal Carvajal. L'arrivée de cinq cardinaux dissidents, Briçonnet, de Prie, Albret, Borgia, San Severino, fut impuissante à sauvegarder son prestige. Il fallait en prendre son parti. La théorie conciliaire avait fait son temps. Les précédentes assemblées de Pise et de Bâle l'avaient tellement déconsidérée dans l'opinion publique que les églises et les auberges se fermaient devant ?es Pères du prétendu concile et devant les gens de leur suite. Ils durent se transporter péniblement de Pise à Milan, de Milan à Asti, d'Asti à Lyon. Partout l'accueil fut à peu près le même. Une levée de tares sur les ecclésiastiques, décrétée par le concile au profit du roi de France, provoqua des contradictions de toutes parts. L'abbé de Cluny déclara qu'au Pape seul et à ses délégués appartenait le droit de le taxer. Les clergés d'Aix, de Digne et de Riez suivirent l'exemple de Cluny, et furent imités par un grand nombre d'Églises.

L'entrée en lice d'un grand théologien vint donner à l'opposition des motifs plus nobles. Le dominicain Thomas de Vio, de Gaète, plus connu sous le nom de Gaëtan ou Cajétan, et qui devait plus tard jouer un rôle des plus importants dans la défense de l'Église contre les erreurs de Luther, était déjà célèbre pour la dispute qu'il avait soutenue avec éclat en 1494 contre Pic de la Mirandole. Ce petit homme au teint basané, dont le duc Sforza de Milan se plaisait à railler l'aspect extérieur, avait déjà donné des preuves de son immense savoir en philosophie, en théologie et en exégèse, dans des cours professés à l'université de Pavie et à la Sapience de Rome. Général de son ordre depuis 1508, il intervint dans la question du concile de Pise par la publication de son traité De auctoritate Papæ et concilii. Il y soutenait : 1° que le concile ne tient pas son autorité directement du Christ ; 2° que, si le Pape n'en fait point partie, il ne représente pas l'Église universelle ; 3° qu'il y a une très grande différence entre l'autorité du concile dans le cas d'un Pape contestable, comme au temps de l'assemblée de Constance, et cette autorité dans le cas d'un Pape incontestable, tel que Jules II.

Quelques parlementaires, quelques prélats courtisans, tels que l'avocat Nicole Bertrand, le juge Vincent Sigault et l'abbé Zaccaria Ferreri, essayèrent de faire l'apologie du faux concile. Un jeune docteur de Sorbonne, Almain tenta de réfuter la thèse de Cajétan. Mais le peu, ce n'était pas avec ces faux docteurs. Pierre Gringoire lui-même qui, dans ses farces et soties, avait livré le Pape aux risées de la foule avec les encouragements du roi, terminait maintenant ses pièces de théâtre en réclamant la fin de toute querelle[98]. L'opinion publique, s'exprima aussi par deux poèmes parus en cette année 1512, le Conseil de paix, où l'auteur invitait les princes à faire la paix avec le Pape et la France et à préparer la réforme par ung bon concille, et La déploration de l'Église militante, où le poète Jean Bouchet exprimait les mêmes vœux de la réforme par la paix.

Le concile de Pise acheva son agonie à Lyon, laissant le pouvoir du Pape fortifié.

 

Le concile de Latran, qui fut le XVIIIe œcuménique, s'était réuni le 3 mai 1512 avec l'adhésion de l'Espagne et de l'Angleterre. Celle de l'Allemagne devait lui arriver le 21 novembre. Le concile était assemblé pour mettre fin au schisme, restaurer la paix générale et assurer la réforme. Tout ce qu'il y avait d'âmes pures et droites dans l'Église tressaillit de joie. L'illustre et pieux Gilles de Viterbe, général de l'Ordre des Augustins, se fit l'interprète de cette allégresse générale, dans le discours qu'il prononça à l'ouverture de l'assemblée Nos yeux ont vu, s'écria-t-il, le saint et salutaire commencement d'une restauration longtemps attendue. L'épouse était à terre, comme, pendant l'hiver, la feuille morte de l'arbre ; voici qu'elle se relève et qu'elle reverdit au souffle des conciles... et ce que je dis de la foi, je peux le dire de la tempérance, de la sagesse, de la justice, de toutes les vertus. Saint-Père, après tant de victoires que vous aviez remportées, il ne vous manquait plus que deux choses : convoquer un concile et donner la paix au peuple chrétien. Sachez, ô Père, que vous avez élevé les cœurs de tous vers une grande espérance ![99]

C'est à l'aube de cette espérance que l'intrépide Pontife quitta ce monde. Depuis les fêtes de la Pentecôte de l'année 1512 sa santé dépérissait rapidement. On me flatte, disait-il, mais je sens bien que mes forces diminuent d'heure en heure, et je sais que je n'ai plus longtemps à vivre. Les réactifs les plus violents fuient en vain employés par les médecins pour lui rendre l'appétit et le sommeil. Jusqu'à ses derniers jours on le vit, malgré l'avis de son entourage, travailler sans relâche, et, même alité, recevoir les cardinaux et les ambassadeurs. Dans la nuit du 20 au 21 février 1513, après avoir reçu les derniers sacrements dans des sentiments admirables de piété, il rendit sa grande âme à Dieu. Une foule immense assista aux obsèques. Rome, dit le protestant Gregorovius[100], sentait qu'une âme royale avait quitté ce monde.

 

X

Le 11 mars, les suffrages unanimes du Sacré Collège donnèrent pour successeur au robuste vieillard, qui avait si vigoureusement gouverné l'Église pendant près de dix ans, un jeune cardinal qui n'avait pas encore atteint sa trente-huitième année. C'était le dernier fils de Laurent le Magnifique, Jean de Médicis, qui prit le nom de Léon X.

Nous connaissons le brillant entourage d'humanistes dans lequel avait été élevé le jeune patricien de Florence et les graves conseils que lui donna son père lorsqu'il fut élevé, à l'âge de quatorze ans à peine, à la dignité de membre du Sacré Collège[101]. Le front large, le menton ferme, le masque altier et impassible, mais les yeux clignotants et la main blanche retombant avec lassitude, il ne promettait pas d'être l'homme des gestes impératifs et des fortes passions, comme son prédécesseur. Poli, lettré, d'une élégance suprême de manières, il devait se montrer ami du faste parmi les grands, doux et généreux envers les pauvres, souple et conciliant envers tous ; nulle part en Europe la liberté de penser ne devait être plus grande qu'à sa cour ; et si Rome et le monde acclamèrent son avènement avec un enthousiasme presque unanime, ce fut peut-être parce qu'il n'était personne au monde qui fut plus que lui l'homme de son temps. Ce devait être là sa force et sa faiblesse.

L'achèvement du concile de Latran et la conclusion d'un concordat avec la France furent tee premières grandes œuvres de son pontificat.

Dès le 10 avril 1513, le nouveau Pape reprit pour son propre compte le programme donné au concile par Jules II[102]. Le 13 mai, il créa, au sein du concile, trois commissions : la première était chargée d'étudier les diverses questions relatives à la paix entre les nations ; la seconde devait se préoccuper des moyens d'abolir la Pragmatique ; la troisième avait pour mission de préparer un projet de réforme générale. Dès le mois de décembre, il obtint, à la suite de pourparlers diplomatiques, l'adhésion pleine et entière de Louis XII au concile de Latran[103].

La tâche de la première commission était trop complexe pour aboutir à un résultat immédiat : l'esprit pacifique et la diplomatie déliée de Léon X firent plus pour la paix que toutes les mesures conciliaires. L'abolition de la Pragmatique, objet des études de la seconde commission, ne devait devenir efficace que par la conclusion d'un concordat. Quant à la réforme générale des mœurs, elle fit l'objet d'un projet présenté au concile le 5 mai 1514, dans sa neuvième session[104]. Le premier titre visait directement le Pape : il avait trait au mode de nomination des évêques, à leur transfert et aux divers abus créés par l'introduction de la commende, le trafic et le cumul des bénéfices. On demandait ensuite aux cardinaux de vivre en prêtres, de visiter leurs églises, de séjourner dans leur légation ou de résider à la curie. Les règlements proposés pour l'éducation religieuse des enfants, la répression des pratiques de sorcellerie répandues parmi le peuple et la protection des biens ecclésiastiques contre les attentats des princes, respiraient le même désir sincère de procéder à une sérieuse réforme des mœurs ; mais ces derniers articles, comme ceux qui concernaient la curie et le Sacré Collège, restaient trop vagues ; on y cherche vainement une réforme pratique, concrète et énergique des abus qui compromettaient si gravement le corps épiscopal, le clergé séculier et la masse des fidèles.

La cognée ne fut portée d'une main hardie que sur les Réguliers, surtout sur les Mendiants. Ceux-ci avaient parfois abusé du régime des exemptions et de la célèbre bulle Mare Magnum de Sixte IV, qui leur donnait des pouvoirs très étendus. A la deuxième session, le Pape se plaignit de l'audace sans bornes des exempts[105]. A la onzième session, des prélats demandèrent la suppression pure et simple de la fameuse bulle de Sixte IV. Finalement, un décret rétablit l'autorité des évêques sur les religieux mendiants[106]. Des dispositions relatives à la prédication, aux études du clergé et aux tendances hérétiques des philosophes de ce temps, complétèrent l'œuvre réformatrice du concile.

Cette œuvre devait laisser peu de traces. Décrétée par des évêques qui s'épargnaient trop eux-mêmes, elle échoua presque complètement. Les moines opposèrent presque partout la force d'inertie, parfois la résistance ouverte[107]. Les légistes des cours souveraines, hostiles à l'ingérence de Borne, mirent au service des religieux réfractaires leurs inépuisables ressources de procédure[108] et l'opinion populaire prit parti pour les moines poursuivis. Pierre Gringoire railla sur la scène les prétendus réformateurs papelards, bigots, hypocrites, qui foudroyaient tous les vices et couraient après l'argent, qui expulsaient les pauvres Frères et ménageaient les puissantes abbayes[109]. Les mordantes railleries du poète n'étaient pas sans quelque fondement. La plupart des évêques n'avaient pas abandonné leurs habitudes de frivolité et de luxe ; elles persistaient à la curie romaine plus que partout ailleurs. La restauration de la vie- chrétienne et religieuse ne s'opéra que par l'influence de quelques évêques et de quelques abbés sincèrement vertueux[110]. Le vénérable Gilles de Viterbe l'avait proclamé, avec l'autorité magistrale de sa science et de sa vertu, dans son discours inaugural : Il est possible de restaurer les institutions humaines par la sainteté, mais non de restaurer la sainteté par les institutions humaines ; homines per sacra immutari fas est, non sacra per homines[111].

 

XI

Le concordat de 1516 lui-même, qui régla la situation extérieure de l'Eglise avec la France, n'eut de résultats efficaces que dans la mesure où il consacra des situations établies par les faits et donna des orientations rendues possibles par le développement des mœurs.

Si la théorie médiévale de l'ingérence directe du Pape dans les églises nationales était universellement abandonnée, les théories nouvelles d'une Eglise parlementaire gouvernée par des conciles ou d'un groupement d'églises autonomes dirigées par des princes temporels, étaient également discréditées. L'idée d'un compromis entre ces diverses doctrines naquit de l'esprit conciliant de Léon X et de François Ier, et surtout du génie politique d'un grand jurisconsulte, Duprat.

Le successeur de Jules II et le successeur de Louis XII semblaient faits pour s'entendre. François Ier réunissait en sa personne les meilleures qualités et les pires défauts du Français du XVIe siècle ; Léon X était le type achevé de l'humaniste italien ; or les deux nations, à cette époque, s'unissaient dans un même culte de l'art, des belles-lettres et de la distinction des manières. Quand le fils de Laurent le Magnifique apparut pour la première fois à la cour de France, les courtisans, sans penser à mal, l'appelèrent le gentil lieutenant du roi du ciel ; et l'on raconte que lorsque le roi Louis XII considérait son jeune cousin plein de vie et d'entrain, généreux et chevaleresque, il ne pouvait s'empêcher de s'écrier : Oh ! le beau gentilhomme ! Aussitôt après, il est vrai, il ajoutait en hochant la tête : Nous besognons en vain ; ce garçon gâtera tout.

A ses débuts, François Ier parut, au contraire, tout sauver. Sa brillante campagne d'Italie, entreprise pour conquérir le Milanais, et son éclatante victoire de Marignan (15 septembre 1515) semblèrent inaugurer le plus glorieux des règnes. Le Pape, qui avait adhéré à la ligue conclue entre l'empereur et le roi d'Espagne pour défendre le duc de Milan, fut atterré : Qu'allons-nous devenir ? écria-t-il en apprenant de la bouche de l'ambassadeur vénitien la défaite des alliés. — Saint-Père, lui répondit ce dernier, votre Sainteté n'aura aucun mal. Le roi très chrétien n'est-il pas le fils aîné de l'Eglise ? C'est alors que Léon X se demanda s'il ne lui serait pas possible de reconquérir par la diplomatie les avantages que la victoire du roi de France lui avait fait perdre. Un rapprochement avec la France lui parut d'ailleurs très opportun en présence des ambitions démesurées qui se faisaient jour du côté de l'Espagne. Léon X proposa alors à François Ier une entrevue. La Pragmatique Sanction avait été pour Louis XI, pour Charles VIII e pour Louis XII l'occasion d'interminables conflits ; le régime d'élection aux bénéfices établi par l'Acte royal ne portait pas moins atteinte à l'autorité souveraine du roi qu'à celle du Pape ; les poursuites du Saint-Siège contre les partisans de la Pragmatique avaient mis le trouble dans le royaume : ne serait-il pas avantageux de remplacer cet acte unilatéral, toujours en discussion, par un concordat sérieusement concerté entre le roi de France et le chef de l'Eglise ? A côté de François Ier se trouvait un homme capable de lui rappeler au besoin le souci des intérêts de sa couronne. C'était ce rude auvergnat, tête forte, disciplinée, d'instruction vaste, d'idées autoritaires, que l'histoire célèbre et souvent maudit sous le nom de chancelier Duprat[112] ; un des hommes les plus considérables de l'ancienne France, au dire d'un bon juge, et peut-être, si l'on excepte Richelieu, le ministre qui a exercé sur les destinées de notre pays la plus haute influence[113]. C'est à lui que François Ier confia le soin de conduire les négociations.

L'entrevue du Pape et du roi eut lieu à Bologne et fut magnifique. Le jeune roi était escorté de 1.200 hommes d'armes et de 6.000 lansquenets ; le Pape était entouré de trente cardinaux[114].

Trois questions étaient à résoudre : une question bénéficiale, une question judiciaire et une question fiscale.

Nous savons déjà quel était le régime des bénéfices : les uns étaient électifs, c'est-à-dire conférés par le libre choix des chapitres ; les autres collatifs, c'est-à-dire conférés par l'évêque ou Les bénéfices par le patron. En fait, pour ce qui concerne les bénéfices soumis à l'élection, une solution était préparée par des compromis successifs, qui devaient aboutir au système de la nomination par le roi et de l'institution canonique par Rome. Cette solution : fit l'objet des titres IV, V et VI du concordat[115]. Le roi d'ailleurs ne pourrait nommer que les candidats qui réuniraient les conditions canoniques, et le Pape ne pourrait refuser l'institution qu'aux sujets notoirement incapables ou indignes.

Le régime des bénéfices collatifs avait été depuis longtemps troublé par l'introduction des grâces d'expectation et des commandements d'expectative, par lesquels un collateur ou patron, le Pape lui-même, promettaient à une personne de lui conférer un bénéfice en cas de vacance. Le titre VIII supprima les grâces d'expectative et les réserves de toutes sortes[116]. Le concordat fit de plus une grande place aux gradués des universités et leur réserva le tiers des bénéfices (titre XI)[117].

La solution de la question judiciaire avait été, comme celle de la question bénéficiale, préparée par des précédents de procédure. Le concordat régla que, hors les causes majeures, expressément spécifiées comme telles dans les canons, toutes et aucunes causes seraient portées devant les juges des parties, qui, par droit, coutume ou privilège, en ont connaissance[118]. Le Saint-Siège restait comme le tribunal suprême d'appel, mais après épuisement de toutes les juridictions intermédiaires.

La question fiscale, traitée par une équivoque, probablement concertée, dans le concordat de Bologne[119], fut réglée par une bulle du 1er octobre 1516[120]. Le Pape établissait le mode de paiement des annates. C'était la question la plus délicate à traiter. Le roi de France, ou plutôt le chancelier Duprat, laissa le Pape triompher en droit, mais en fait, — les comptes de la chambre, récemment étudiés, en font foi, — cette redevance, devenue si impopulaire, ne fut plus payée que par un petit nombre de bénéficiers et pour une part minime de leur revenu annuel[121].

Le concordat de 1516 touchait à la grande question de la réforme par quelques articles : interdiction aux séculiers de tenir des bénéfices réguliers et inversement ; mesures énergiques contre les clercs concubinaires[122] ; établissement dans chaque église cathédrale d'une chaire où serait enseignée au moins une fois par semaine l'Ecriture Sainte[123].

 

L'opinion publique accepta généralement avec faveur le concordat de 1516 ; mais le Parlement lui reprocha de dessaisir la justice royale des causes ecclésiastiques par le droit d'appel au Saint-Siège et par le jugement des causes majeures à Rome ; l'Université ne pouvait pardonner aux deux souverains contractants l'abolition de la Pragmatique et par suite l'abandon de la théorie de la suprématie conciliaire ; quelques membres du clergé regrettaient le droit d'élection. Ils firent au concordat une opposition violente, qui retarda de plus d'une année son enregistrement[124]. Cet acte mémorable, qui devait régler officiellement la situation de l'Eglise de France pendant près de trois siècles, jusqu'en 1790, fut, somme toute, un bienfait pour l'Eglise. En modifiant le régime des bénéfices électifs, il empêcha la formation d'une riche et puissante aristocratie ecclésiastique, qui aurait pu, à l'apparition de Luther et de Calvin, jouer en France le même rôle que l'aristocratie ecclésiastique d'Allemagne, exciter les mêmes convoitises des princes et des seigneurs laïques, et fournir ainsi au mouvement protestant une grande force de plus. En faisant accepter officiellement par le roi de France l'intervention régulière du Pape dans l'organisme religieux de la nation, il restaura l'autorité spirituelle de la Papauté. Prétendre que le Saint-Siège fut payé en fumée, comme on l'a écrit, de ses grandes concessions, est excessif ; la ruine des deux premiers articles de la Pragmatique, proclamant la supériorité des conciles sur le Pape, n'était-elle pas un résultat de la plus haute importance ? Soutenir, comme on l'a fait, que Léon X, en attribuant au roi un droit de nomination aux bénéfices, disposait de ce qui ne lui appartenait pas, est une injustice non moins manifeste ; car le Pape ne conférait au roi aucun droit de propriété sur les bénéfices, et le droit de juridiction partielle qu'il lui colt-cédait appartenait à la Papauté en vertu des traditions les plus authentiques.

L'acte passé entre Léon X et le roi de France ne conjura pas, il est vrai, tous les dangers. Au lendemain du Concordat[125], les légistes n'avaient pas abandonné leurs doctrines subversives, ni les seigneurs leurs ambitieuses convoitises et leur vie dissolue, ni les esprits exaltés de cette époque, leurs rêves de rénovation spirituelle ; un vent de révolution soufflait toujours sur l'Europe. Un moine saxon allait bientôt s'emparer de toutes ces forces dispersées et déchaîner sur l'Eglise la plus violente tempête qu'elle eût peut-être jamais subie depuis ses premières origines.

 

 

 



[1] Il était d'origine espagnole, né à Jativa, à 56 kil. de Valence, en 1430 ou 1431, Il appartenait à la famille de Lenzuoli par son père et à celle de Borja, ou Borgia, par sa mère. Il prit ce dernier nom lorsque son oncle maternel, Calixte III, fut élu Pape.

[2] Les actes de simonie qui entachent l'élection d'Alexandre VI ont été parfois niés ou mis en doute (LEONETTI, Papa Alessandro VI, Bologne, 1880, t. I, p. 60 et ; CERRI, Borgia ossia Alessandro VI, Turin, 1858, p. 94 ; NEMEC, Papst Alexander VI, Klagenfurt, 1279, p. 81 et s. ; Revue des sciences ecclésiastiques, t. XIV, 1882, p. 141 et s. ; Rassegna Nazionale, t. X, 1882 p. 133). Mais les documents mis au jour à ce sujet par PASTOR, Hist. des Papes, t. V, p. 366-371, ne souffrent aucune réplique.

[3] SCHEDEL, Chronic. chronicar., cité par PASTOR, V, 380.

[4] PASTOR, V, p. 373.

[5] SIGISMONDO DEI CONTI DA FOLIGNO, Le storie de snoi tempi, Roma, 1883, t. II, p. 53, 263, 270.

[6] Stef. INFESSURA, Diarie della cità di Roma, p. 282-283, dans les Fonti per la storia d'Italia, de TOMMASINI, Rome, 1890, et dans les Scriptores rerum italicarum, de MURATORI, t. III, 2e partie.

[7] Le Pape, écrit l'ambassadeur de Ferrare, ne se fait servir qu'un plat, mais il faut qu'il soit bien garni, Aseanio Sforza et d'autres, même César Borgia, trouvent cette parcimonie déplaisante et s'enfuient toutes les fois qu'ils le peuvent. Cité par GREGOROVIUS, Lucrezia Borgia, p. 87-88.

[8] PASTOR, V, 391.

[9] H. LEMONNIER, Hist. de France de LAVISSE, t. V, 1re partie, p. 25.

[10] BURCHARD, Diarium, II, 67 et s. ; INFESSURA, p. 284-285 ; PASTOR, V, 392-393.

[11] César est souvent donné comme le second fils d'Alexandre. Il n'était que le troisième. Voir PASTOR, V, 353.

[12] Avant son élévation au pontificat, Rodrigue Borgia avait eu, de Vanozza de Catanels, quatre enfants : Juan, César, Jafré et Lucrèce ; d'une autre femme, Pedro, Luis et Girolama. Plus tard il eut encore deux fils, Juan vers 1497 et Rodrigue en 1503. L'aîné des fils de Rodrigue Borgia était Pedro, qui mourut vers 1490. Sur les enfants d'Alexandre VI, voir PASTOR, t. V, p. 352-354. Le P. LEONETTI dans son ouvrage Papa Alessandro VI, Bologne, 1880, et le P. OLLIVIER dans son livre Le Pape Alexandre VI et les Borgia, Paris, 1870, ont essayé de disculper Alexandre VI des accusations d'immoralité portées contre lui. Ils ont été réfutés par H. DE L'EPINOIS, Revue des quest. hist., t. XXIX, XXX, (1881) et par L. PASTOR, Hist. des Papes, t. V, l. IX et t. VI, l. I. Cf. Civilta cattolica, série VIII, t. IX, 15 mars 1873, et PAQUIER, Dict. de théologie, au mot Alexandre VI.

[13] PASTOR, V, 383, d'après un document des Archives consistoriales.

[14] Cité par PASTOR, V, 471.

[15] Cet attachement excessif a donné lieu à d'odieuses calomnies, dont l'historien protestant Gregorovius a vengé la mémoire d'Alexandre VI et de Lucrèce Borgia. Voir GREGOROVIUS, Lucrezia Borgia, 3 vol., Stuttgart, 1874.

[16] PASTOR, V, 388, notes 1 et 2.

[17] Sur César Borgia, voir BURCKHARDT, La civilisation en Italie au temps de la Renaissance, trad. Schmitt, Paris, 1906, t. I, p. 5, 41, 42, 139-141, 368.

[18] PASTOR, V, 388, note 2. Cf. p. 357.

[19] Dépêche chiffrée, publiée par PASTOR, V, 409.

[20] François DELABORDE, Expédition de Charles VIII en Italie, 1888.

[21] VILLARI, Savonarole, t. I, p. 267-263.

[22] VILLARI, Savonarole, t. I, p. 273-276 ; DELABORDE, p. 447.

[23] COMMINES, Mémoires, éd. Dupont, t. VII, p. 15.

[24] VILLARI, Savonarole, t. II, p. 13 ; Cf. COMMINES, l. VII, c. XIX.

[25] THUASNE, Burchardi Diarium, t. II, p. 668.

[26] La culpabilité de César, admise par Gregorovius, Lucrezia Borgia, 4e édition, p. 404, est niée par LEONETTI, Papa Alexandro VI ; MAURY, Revue historique, t. XIII, p. 87 ; H. DE L'EPINOIS, ibid., p. 403 ; BALAN, Storia d'Italia, p. 372 ; REUMON, Geschichte der Stadt Rom., t. III, 1re part., p. 225 ; HŒFLER, Rodrigo de Borja, p. 79-80 ; BROSCH, Alexandre VI, p. 370, 372 ; PASTOR, Hist. des Papes, t. V, p. 475, 490. Sauf GEBHART, Rev. des Deux-Mondes, t. LXXXIV, 1887, p. 918 et Histoire générale, t. IV, p. 15, 16, aucun historien moderne ne soutient l'opinion de Gregorovius. César, sur la voie des plus grands honneurs, n'avait aucun intérêt à tuer son frère. Il avait tout à craindre de ce crime. L'idée qu'on lui a supposée, de se frayer par là la voie à la Papauté est des plus invraisemblables. César nourrissait alors au contraire le projet de quitter l'état ecclésiastique, projet qu'il ne tarda pas à réaliser.

[27] Lettre de Lod Carissimi, du 8 août 1492, publiée pour la première fois par PASTOR, V, 492, note 1.

[28] Relation de l'ambassadeur de Venise, citée par PASTOR, V, 479. Cf. SANUTO, I diarii, Venise, 1879, I, 653-654.

[29] Des extraits de cette bulle, trouvée par M. Pastor aux archives secrètes des Papes, ont été publiés dans l'Hist. des Papes, édition française, V, 492 et s., et plus abondamment dans l'édition allemande, III, suppl. n° 41.

[30] PASTOR, V, 496.

[31] GREGOROVIUS, L. Borgia, p. 101. Nous avons déjà vu que l'inceste dont on a accusé le Pape est, de l'avis du protestant Gregorovius, une pure calomnie.

[32] THUASNE, Burchardi Diarium, t. II, p. 411, 412.

[33] Sermon XIIIe, dans VILLARI, Jérôme Savonarole et son temps, t. I, p. 309.

[34] VILLARI, I, 308-311.

[35] Sermon du 25 février 1496.

[36] VILLARI, I, 346, 347.

[37] PASTOR, V, 202 et s.

[38] Plusieurs des lettres écrites à l'empereur et au roi d'Espagne, pour les engager à assembler un concile contre le Pape ont été publiées par BALUZE, Miscellanea, éd. Mansi, t. I, p, 583 et s. — La lettre de Savonarole à Charles VIII, conservée à la Bibl. de Saint-Marc à Venise a été publiée par PARRENS, Savonarole, t. I, p. 487. Les lettres écrites au roi d'Angleterre et au roi de Hongrie sont perdues.

[39] PASTOR, VI, 3, constate que le Pape fit preuve, dans toute cette affaire, d'une grande modération. L'historien protestant RANKE, Historich-biographische Studien, p. 246, rend le même témoignage. Alexandre VI fut surtout très habile. Prévoyant que le moine se perdrait par ses propres excès, il ne se hâta point de sévir ; il attendit patiemment que le peuple se fut détaché de Savonarole,

[40] PERRENS, Savonarole, I, 325, 325.

[41] Au cours du procès, Savonarole déclara qu'il avait cherché par tous les moyens à faire échouer le projet de Fra Domenico.

[42] VACANDARD, Etudes de critique et d'histoire religieuse, 2e édit., p. 213-215.

[43] PIC DE LA MIRANDOLE, Vie de frère Jérôme Savonarole, ch. XV, p. 65, 66.

[44] PASTOR, VI, 44, 45.

[45] VILLARI, II, 429.

[46] Sur le procès et l'exécution de Savonarole, voir Dom LECLERCQ, Les martyrs, L VI, p. 323-368.

[47] Cité par PASTOR, VI, 49. — Savonarole à pu être de bonne foi en attaquant la légitimité et l'autorité d'Alexandre VI. On peut voir ce que dit de ce Pape son successeur Jules II. PASTOR, VI, 201.

[48] PASTOR, VI, 71-73.

[49] Le document de légitimation de Juan Borgia, dit Pastor, est d'une authenticité incontestable. Il suffit pour anéantir tous les arguments que l'on a tenté de faire valoir pour la défense de la vie privée d'Alexandre VI. Hist. des Papes, t. VI, p. 98-99.

[50] GREGOROVIUS, Geschichte der Stadt Rom im Mittelalter, t. VII (3e édition), p. 449.

[51] Il va de soi, dit Pastor, que Lucrèce n'exerçait la régence que pour les affaires civiles ; mais cela même était inouï et scandaleux. Hist. des Papes, VI, 97.

[52] Cité dans Hist. générale, t. IV, p. 18.

[53] PASTOR, VI, 131.

[54] PASTOR, VI, 146.

[55] COURNOT, Considérations sur la marche des idées dans les temps modernes, t. I, p. 129.

[56] Une décision du Pape Calixte III avait déjà donné, en 1479, au Portugal le droit de fonder des colonies et de faire le commerce dans la région de l'Est. Bullarium romanum, t. V, p. 361-364.

[57] HENRI MARTIN, Hist. populaire de la France, I, 252.

[58] PASTOR, VI, 152.

[59] Cette restriction était de droit et n'avait pas besoin d'être formulée. Cf. RAYNALDI, ann. 1497, n. 33.

[60] C'était la doctrine alors enseignée par tous les théologiens, à la suite de saint Thomas (Summ. théol., 1a 2œ, qu. 10, art. 10).

[61] J. DE LA SERVIÈRE, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. I, col. 85.

[62] C'est ainsi que BELLARMIN expliquait l'acte d'Alexandre VI. De romano pontifice, V, 2.

[63] PASTOR, VI, 151 et s.

[64] L'idée d'un empoisonnement, émise par quelques historiens, doit être écartée. Rien d'anormal ne se produisit entre les accès de la fièvre périodique, qui eut le caractère des fièvres paludéennes ou de malaria.

[65] Histoire générale, t. IV, p. 16

[66] BOSSUET, Variations, Préface, n° 29.

[67] PASTOR, VI, 131.

[68] MACHIAVEL, Le prince, ch. VII.

[69] RAYNALDI, ad. ann. 1503 ; P. Delphini oratiunoulæ, p. XI.

[70] SIGISMONDO DE CONTI, t. II, p. 291-292. Un seul historien, Gregorovius, a osé suspecter les mœurs de Pie III. Il a été réfuté par PASTOR, t. VI, p. 184-185, en note.

[71] Dispacci di A Giustinian, t. II, p. 208-209.

[72] Dispacci di A Giustinian, t. II, p. 207.

[73] NUTI, Littera di Sigismondo Tizio, cité par PASTOR, VI, 191.

[74] Le caractère simoniaque de l'élection de Jules II parait certain à PASTOR, qui apporte de nombreux et saisissants témoignages en laveur de son opinion. Hist., des Papes, VI, p. 102, 103.

[75] Ce mot ne peut se traduire que par les adjectifs d'extraordinaire, de hors de toute mesure commune, de titanesque.

[76] Cité par PASTOR, VI, 198.

[77] BURCHARD, Diarium, t. III, p. 334.

[78] PASTOR, VI, 225.

[79] MACHIAVEL, Le Prince.

[80] PASTOR, VI, 206.

[81] Quelques Papes avaient cherché à donner des principautés à leurs neveux, à leurs fils ; Jules II, au contraire fit consister toute son ambition à étendre l'Etat l'Eglise. RANKE, Hist. de la Papauté, trad. Haiber, t. I, p. 58.

[82] RANKE, Hist. de la Papauté, t. I, p. 60.

[83] IMBART DE LA TOUR, Les origines de la Réforme, t. II, p. 56. Il fut un temps, dit Machiavel, où le moindre baron se croyait en droit de mépriser la puissance du Pape ; aujourd'hui elle commande le respect à un roi de France. MACHIAVEL, Le Prince.

[84] PASTOR, VI, 423-426.

[85] Il Papa vol esser il dominus e maestro del jocho del mundo. Sommario de la Relation di Domenigo Trixigau. Cité par RANKE, Hist. de la Papauté, t. I, p. 59.

[86] Sigismondo de Conti, t. II, app. n° 18.

[87] Instructions du roi Louis XII, Bibl. nat. Fr. 2930. Cité par IMBART DE LA TOUR, t. II, p. 59.

[88] En 1510, le Pape offre la couronne de France au roi d'Angleterre et prépare le bulle de déchéance de Louis XII, IMBART DE LA TOUR, t. II, p. 134.

[89] IMBART DE LA TOUR, t. II, p. 55.

[90] PASTOR, VI, 331.

[91] Sur le Concile de Tours, voir IMBART DE LA TOUR, Les origines et la Réforme, t. II, p. 131-137.

[92] HERGENRÖTHER, Hist. de l'Eglise, t. III, p. 672.

[93] G. LANSON, Hist. de la littérature française, 7e édit., p. 211.

[94] Sur les pamphlets et les caricatures à cette époque, voir MAULDE DE LA CLAVIÈRE, Les origines de la Révolution française au commencement du XVIe siècle, Paris, 1889, p. 272-273 ; CHAMPFLEURY, Hist. de la caricature de la Réformation, p. 3.

[95] RAYNALDI, ad ann. 1511 ; IMBART DE LA TOUR, II, 157-158.

[96] Le texte de cette lettre, conservée aux archives de Lille, a été publié par LA GLAY, Correspondance de Maximilien Ier et de Marguerite d'Autriche, t. II, p. 37.

[97] IMBART DE LA TOUR, II, 142.

[98] Le jeu du prince des sots et de la Mère Sotte, farce représentée aux Halles de Paris le février 1512, se termine par un appel à la paix.

[99] MANSI, t. XXXII, p. 669.

[100] GREGOROVIUS, Geschichte der Stadt Rom. im Mittebalter, 3e édition, t. VIII, p. 108.

[101] Innocent VIII l'éleva au cardinalat en 1488. Toutefois, avant de recevoir les insignes de la dignité, il fut tenu d'étudier la théologie pendant trois ans. Le 9 mars 1492, il fut agrégé au collège des cardinaux.

[102] MANSI, XXXII, 782-784.

[103] MANSI, XXXII. 832 et s.

[104] MANSI, XXXII, 874.

[105] MANSI, XXXII, 908.

[106] MANSI, XXXII, 970 et s.

[107] IMBART DE LA TOUR, II, 531-535.

[108] IMBART DE LA TOUR, II, 535-536

[109] PIERRE GRINGOIRE, Les folles entreprises, édition d'HÉRICAULT, t. I, p. 101.

[110] Par exemple dans l'ordre de Cluny, où un chapitre de 1504 constate que plusieurs couvents ont été ramenés à un ordre de vie meilleur. (P. LORAIN, Essai historique sur l'abbaye de Cluny, Paris, 1839, chap. XXI) ; chez les Chartreux, dont Erasme lui-même fait un grand éloge (Colloquia, Militis et Carthusiani), à Fontevrault, à Cîteaux et dans leurs filiales. IMBART DE LA TOUR, II, 523-526.

[111] MANSI, XXXII, 669.

[112] A. BAUDRILLART, Quatre cents ans de Concordat, p. 68.

[113] HANOTAUX, Recueil des instructions, Rome, t. Ier, Introductions, p. LVI.

[114] MADELIN, De conventu bononiensi, p. 52-58, 66.

[115] MANSI, XXXII, 1020-1022.

[116] MANSI, XXXII, 1022.

[117] MANSI, XXXII, 1023.

[118] Tit. XXIII. MANSI, XXXII, 1028.

[119] MANSI, XXXII, 1039.

[120] MANSI, XXXII, 1042.

[121] P. RICHARD, Rev. d'hist. ecclés., t. VIII (1907), p. 148.

[122] MANSI, XXXII, 1030.

[123] MANSI, XXXII, 1023.

[124] Sur l'opposition du Parlement, de l'Université et d'une partie du clergé au concordat de 1516, voir BAUDRILLART, Quatre cents ans de concordat, p. 90 et s. ; IMBART DE LA TOUR, Les origines de la Réforme, II, 469 et s.

[125] Cf. Jules THOMAS, Le Concordat de 1516, ses origines, son histoire au XVIe siècle, 3 vol. in-8°, Paris, Picard, 1910.