HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

PREMIÈRE PARTIE. — LA DÉCADENCE DE LA CHRÉTIENTÉ ET LA RENAISSANCE

CHAPITRE VI. — DE L'AVÈNEMENT DE NICOLAS V À LA MORT D'INNOCENT V. L'HUMANISME À LA COUR PONTIFICALE (1447-1492).

 

 

Les derniers excès de l'assemblée de Bâle, plus encore que les condamnations d'Eugène IV, avaient ruiné dans l'opinion cette fameuse théorie conciliaire dont le monde avait été un moment comme ébloui. Quand, vers 1450, le savant théologien espagnol Juan de Torquemada publia sa célèbre Somme contre les ennemis de l'Église et de la primauté du Pape, les esprits étaient préparés à le comprendre. De Nicolas V à Léon X, les Souverains Pontifes ne se heurtèrent plus à des oppositions pareilles à celles qui avaient entravé l'action de leurs prédécesseurs immédiats. Mais le péril que Martin V et Eugène IV avaient pressenti dans l'humanisme ne cessait de grandir. Pour qui s'arrête à la superficie des événements extérieurs qui remplirent les pontificats de Nicolas V, de Calixte III, de Pie II, de Paul II, de Sixte IV, d'Innocent VIII, d'Alexandre VI, de Jules II et de Léon X, c'est comme un enchevêtrement difficile à démêler de négociations et d'intrigues, de savantes disputes théologiques et de guerres sanglantes, d'admirables œuvres de sainteté et de crimes épouvantables, d'inimitables chefs-d'œuvre de l'art le plus pur et de déplorables scandales. Pour qui cherche l'idée inspiratrice de cette époque, un fait domine tout. Le flot montant d'un paganisme sans morale, de celui qui s'exprimera par le traité Du prince de Machiavel et par les Facéties de Pogge, gagne sous Nicolas V et Calixte III, la noblesse et les lettrés ; il pénètre, sous Pie II, dans la cour pontificale ; il s'introduit, par la faiblesse de Sixte IV, dans le Collège des cardinaux, et monte enfin sur le trône pontifical avec Innocent VIII et Alexandre VI. Les hautes qualités de Jules II et de Léon X seront impuissantes à redonner au Saint-Siège le lustre glorieux des temps passés. Par bonheur, la foi est encore très vivante dans le peuple, dans la bourgeoisie et dans une petite partie de l'aristocratie politique ou intellectuelle. On en trouve les irrécusables témoignages dans les admirables livres de raison de cette époque[1], dans la popularité dont jouissent des écrits tels que le Traité de la direction de la famille, de Jean Dominici[2], et la Méthode de bonne vie, attribuée à saint Antonin[3], dans les nombreuses œuvres de charité, corporations, confréries, associations pieuses, tiers-ordres réguliers, qui couvrent Rome et l'Italie[4], dans les incomparables chefs-d'œuvre artistiques, où les peintres les plus mondains, parfois les plus perdus de mœurs, expriment l'esprit religieux le plus pur et le plus candide. Tant il est vrai que l'œuvre d'art tient Pourquoi l'art beaucoup plus de l'époque où elle a été conçue que de l'artiste qui l'a réalisée. Le mouvement général du siècle où il vit, l'appréciation du public en vue de qui il travaille, les modèles qu'il a sous les yeux, toute une ambiance impossible à définir, impressionnent l'artiste sans même qu'il y pense. Or, l'atmosphère du XVe siècle est encore très religieuse. C'est cette ambiance religieuse qui rendra possible la protestation vigoureuse de tant de moines prêcheurs qui, de saint Bernardin de Sienne à Savonarole, ne cesseront de s'élever contre les scandales de ce monde et prépareront les voies à la réforme du Concile de Trente.

Dans le conclave qui suivit la mort d'Eugène IV, les deux partis des Orsini et des Colonna, que nous avons vus, depuis Boniface VIII, se disputer le gouvernement de Rome, luttèrent quelque temps l'un contre l'autre, puis s'entendirent pour élire un homme connu par son éloignement de tous les partis, Thomas Parentucelli, qui prit le nom de Nicolas V. Fils d'un modeste médecin du hameau de Sarzane, en Ligurie, Thomas avait été d'abord attaché comme précepteur à deux nobles familles de Florence, puis pris au service du pieux et savant Nicolas d'Albergati. Dans ces fonctions, qui l'avaient mis en rapport avec un grand nombre de lettrés et de savants, son vif amour des lettres et des arts s'était développé, sans jamais nuire à la régularité exemplaire de sa vie et à la pureté de ses mœurs. Dans un corps petit, grêle, disgracié de la nature, son âme se révélait, dit-on, par ses yeux noirs et vifs où perçait l'intelligente curiosité de son esprit, et aussi, parait-il, la vivacité parfois violente de son caractère[5].

La postérité l'a appelé le Père de l'humanisme. Nicolas V a d'autres titres à la reconnaissance de l'Église. Politique avisé, il sut, dès le début de son pontificat, faire la paix avec le roi de Naples, Alphonse, dont l'hostilité aurait pu être très nuisible aux intérêts du Saint-Siège. Il promît, dès les premiers jours, d'observer les conventions qui avaient été conclues entre Eugène IV et Frédéric III et qui devaient servir de préface à l'important concordat de Vienne, arrêté en principe le 17 février 1448, solennellement confirmé le 19 mars suivant. Par cet acte important, qui devait être bientôt accepté par tous les états de l'empire, le roi des Romains reconnaissait le droit du Pape aux annates et aux réserves établies par le droit canonique ; la nomination des évêques était réglée : elle devait se faire par élection libre et ne devenir définitive que par la confirmation du Pape, lequel avait le droit, en cas de raison grave et évidente, et après avoir pris l'avis des cardinaux, de préférer au candidat élu un candidat plus digne ou plus capable[6]. Ce Concordat, dit avec raison Pastor, tua moralement le Concile de Bâle. Celui-ci en effet subsistait encore péniblement en 1448. Il se hâta, pour couvrir sa retraite, d'élire solennellement pour Pape Thomas de Sarzane, c'est-à-dire Nicolas V, et, après cette mesure puérile, qui ne trompa personne, vota sa propre dissolution le 25 avril 1449[7].

Le génie administratif et le zèle apostolique de Nicolas V se révélèrent ensuite dans les importantes missions qu'il confia, en 1450 et 1451, au cardinal d'Estouteville en France, au cardinal Nicolas de Cuse en Allemagne. L'objet spécial de la mission du cardinal d'Estouteville était la réforme des collégiales, des écoles et des universités[8]. Bessarion, nommé légat à Bologne, y restaura son antique université et y établit une telle prospérité, que les habitants le proclamèrent, dans une inscription placée sur leurs murs, le bienfaiteur de la ville. L'œuvre de Nicolas de Cuse fut plus vaste. Ce grand homme avait pris pour devise : Epurer sans détruire, renouveler sans écraser. Par de sages règlements, par la douce persuasion de sa parole et plus encore par ses exemples, il réforma les abus introduits dans la vie des clercs, ramena les monastères à la pureté de leurs règles, combattit les superstitions, fit disparaître les derniers vestiges du schisme.

Pendant ce temps, saint Jean de Capistran, digne fils de saint François d'Assise, parcourait l'Allemagne, l'Italie et la Pologne. Il prêchait en public, sur des plates-formes improvisées, et arrachait des larmes de repentir aux assistants, qui venaient souvent jeter à ses pieds leurs objets de luxe, leurs cartes à jouer leurs tableaux indécents. Le saint en faisait alors un feu de joie sur la place publique. Nicolas V, pour favoriser l'action apostolique du saint missionnaire, lui donna les pouvoirs les plus complets et lui conféra le droit d'accorder des indulgences à ceux qui assisteraient à ses sermons.

Le grand jubilé de 1450, qui amena à Rome une foule de pèlerins de toutes nations et qui donna lieu à des fêtes splendides, ne contribua pas peu à ranimer la piété des fidèles et à renouveler leur vénération pour le centre de l'unité catholique. Le couronnement de l'empereur Frédéric III, qui eut lieu à Rome, deux ans après, ne fut pas non plus sans influence sur l'autorité morale de la Papauté. Ce devait être le dernier couronnement d'un empereur dans la ville éternelle.

 

La protection donnée par Nicolas V à l'humanisme est sa grande gloire aux yeux de l'historien profane. Le chrétien ne peut pas admirer cette œuvre sans réserve, En confiant à des littérateurs et à des savants, des postes importants dans la cour pontificale, Nicolas V n'avait pas d'autre but que d'encourager le progrès des lettres et des sciences. Mais il advint, comme dit Platina que ces secrétaires pontificaux travaillèrent beaucoup plus pour la bibliothèque que pour l'Église[9]. Il arriva pire encore. Les Facéties de Pogge devaient révéler bientôt la profondeur du mal.

Le culte de l'art et des lettres antiques, s'il n'avait eu pour effet que de revêtir d'une forme plus parfaite la pensée religieuse, méritait les encouragements des Pontifes romains. Mais ce culte des lettres et de l'art païen, pénétrant en Italie au moment où une incroyable prospérité matérielle avait endurci les âmes[10], où la ruine des institutions du Moyen Age avait livré la péninsule à une foule de petits despotes vaniteux et de condottieri sans pitié, où l'orgueil des découvertes littéraires et scientifiques enivrait les esprits, ce culte de la beauté physique et de la force brutale eut souvent pour effet de propager la pensée païenne, de nourrir un individualisme égoïste, d'alimenter une passion de la gloire humaine, qui insensiblement prenait la place de tous les autres sentiments dans les âmes. A force de vanter Brutus et Cassius, dit Pastor[11], les humanistes faisaient surgir un peu partout des incarnations de leurs héros.

Etienne Porcaro, que ses contemporains comparèrent à Catilina, fut une de ces incarnations. Issu d'une noble famille de Toscane, appelé jeune encore à remplir les fonctions honorables de capitaine du peuple à Florence, il s'était nourri des souvenirs de la république romaine. Bientôt, il n'eut plus qu'un désir : rendre son pays à l'antique liberté. Des discours séditieux qu'il prononça en pleine Rome, des émeutes populaires qu'il y provoqua, avaient décidé le Pape à le reléguer à Bologne sous la surveillance de Bessarion. Un jour, il trompe la vigilance du cardinal, vient à Rome, réunit des conjurés, fait un approvisionnement d'armes, recrute un certain nombre de bravi prêts à tout. J'ai résolu, leur dit-il, de vous arracher à la servitude et de vous donner la richesse. Le plan des conjurés était de mettre le feu au Vatican pendant une grande cérémonie pontificale ; à la faveur du désordre, on s'emparerait de la personne du Pape ; au besoin on le massacrerait.

Mais le projet s'ébruita. Les conjurés, cernés dans la maison où ils s'étaient cachés, se défendirent avec rage ; Porcaro, découvert dans la cachette où il s'était réfugié fut saisi. Tandis qu'on le conduisait enchaîné au Vatican : Peuple, s'écria-t-il, laisseras-tu mourir ton libérateur ? Nul ne se leva pour le défendre. Le 9 janvier, sur la plate-forme du fort Saint-Ange, il subit le supplice de la corde, qu'il avait mérité. Ses dernières paroles furent : Ô mon peuple, en ce jour meurt ton libérateur.

Cet événement fit sur Nicolas V une impression profonde. A partir de ce moment, le Pontife ne retrouva plus jamais le calme de l'esprit. Il était comme obsédé par la vue de la République antique, menaçant sa vie, Rome et la Chrétienté. La conjuration de Porcaro avait eu lieu au début de l'année 1453 ; le 8 juillet de cette même année, la nouvelle de la prise de Constantinople par les Turcs arriva à Rome. C'était la catastrophe redoutée entre toutes. C'était l'Europe ouverte aux Infidèles. Ces peuples chrétiens pacifiés avec tant de peine, ces monastères réformés, ces universités renaissant de leurs ruines, Rome rendue aux splendeurs des grandes fêtes chrétiennes, les arts et les lettres reflorissant partout, cette bibliothèque vaticane enrichie de tant de manuscrits précieux : tout cela allait peut-être périr sous les coups de l'inexorable ennemi du nom chrétien... L'émotion brisa les dernières forces de l'infortuné Pontife. Dès lors il se traîna péniblement vers la tombe. Au moment de mourir, dans la nuit du 24 au 25 mars 1455, on rapporte qu'il retrouva une dignité et un calme surprenants. Il adjura ceux qui l'entouraient de travailler au bien de l'Église, puis, les mains élevées vers le ciel, il

fit cette prière : Dieu tout-puissant, donnez à votre sainte Église un pasteur qui la conserve et qui l'accroisse ! Enfin, d'un geste majestueux, levant la main droite, il dit à haute et intelligible voix : Benedicat vos Omnipotens Deus, Pater et Filius et Spiritus Sanctus. A partir de ce moment et jusqu'à son dernier soupir ses yeux ne quittèrent plus le crucifix[12]. Jamais, dit Vespasiano da Bisticci, on n'avait vu un Pape passer de cette manière dans l'éternité[13].

 

II

La lutte contre la puissance menaçante de l'Islam fut le principal objectif de la politique du Saint-Siège sous les pontificats de Calixte III, de Pie II, de Paul II et de Sixte IV. Du vainqueur de Constantinople, Mahomet II, dépendaient désormais la liberté de la navigation dans la Méditerranée, la prospérité du commerce du Levant, la sécurité de la Grèce, de la Hongrie, et par là de toute l'Europe. Ce fut l'honneur de la Papauté, tandis que les princes, absorbés par leurs querelles particulières et par leurs intérêts immédiats, restaient dans l'indifférence, de prendre en main les intérêts généraux de l'Europe en même temps que ceux de l'Église. En ceignant la tiare, le 8 avril 1455, le successeur de Nicolas V, Calixte III, fit le serment solennel devant la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, en présence de la Mère de Dieu toujours vierge et des saints apôtres Pierre et Paul, de faire tout son possible, de verser son sang, s'il le fallait, afin d'arracher Constantinople au pouvoir de l'Islamisme[14].

Le vieillard débile qui faisait cette promesse (il avait soixante dix-sept ans), appartenait à l'antique famille espagnole des Borja, ou, comme écrivent les Italiens, des Borgia. La vivacité de l'intelligence, l'énergie de la volonté et la beauté du corps caractérisaient les hommes de cette race, qui, dans la sainteté comme dans le vice, devaient tout pousser à l'extrême et donner au monde le spectacle d'un saint François de Borgia après celui d'un Alexandre VI. Calixte III tint son serment jusqu'au jour de sa mort. Non content de faire appel à tous les princes, par une bulle datée de la première année de son pontificat, pour la défense de l'Europe menacée, on le vit entreprendre à Rome même la construction et l'armement d'une flotte, transformer les bords du Tibre en ateliers de construction maritime et réussir, au milieu des railleries de ceux qui traitaient son projet de chimère, à mettre en mer au mois d'avril 1456 vingt-cinq bâtiments, chargés de mille matelots, de cinq cents soldats et de trois cents canons[15].

Mais ni l'Allemagne, plus divisée que jamais, ni la France et l'Angleterre, toujours en garde l'une contre l'autre, ne s'empressaient de répondre à l'appel du Pape ; trois capitaines espagnols, chargés d'aller combattre les Turcs dans la mer Egée, s'étaient arrêtés en chemin pour ravager les côtes génoises[16] ; le puissant duc de Bourgogne se contentait de faire de belles promesses ; Christian, roi de Danemark et de Norvège, et Alphonse, roi de Portugal, faisaient main basse sur l'argent destiné à la croisade ; l'opulente république de Venise, préoccupée des intérêts de son commerce, entretenait des relations amicales avec le sultan et multipliait les entraves à l'action du Pontife. Seule la Hongrie, serrée de près par les Turcs, fit un effort héroïque. Le grand Jean Jean Hanyude admirablement secondé par le légat pontifical Jean Carvajal et par l'ardent Frère mineur Jean de Capistran, remporta, en 1456, quelques brillants succès sous les murs de Belgrade. A cette nouvelle, quelques bandes de croisés d'Allemagne, de France, d'Angleterre et d'autres pays, se mirent en marche vers l'Orient. C'était, dit la Chronique qui raconte le fait[17], de pauvres gens de métier pour la plupart, et il y avait dans le nombre des prêtres et des moines. En août 1457, une victoire de la flotte du Pape, qui ne captura pas moins de vingt-cinq vaisseaux à Mételin, ranima le courage de Calixte. Le héros Scanderbeg, duc d'Albanie, continuait les exploits de Jean Hunyade, mort le 11 août 1456 dans une terrible épidémie et suivi peu après dans la tombe par saint Jean de Capistran. Mais Scanderbeg lui-même était bientôt trahi par son propre neveu, Hamsa, qui, séduit par Mahomet, se retourna contre les chrétiens. En Hongrie, la discorde qui éclata entre les seigneurs et la cour paralysa les forces du pays. Quand, le 6 août 1458, Calixte III, après une longue maladie qui n'avait pas abattu son courage ni lassé son activité, rendit le dernier soupir, l'Islam triomphait.

L'histoire doit un tribut d'admiration à la vigueur de son action contre le péril musulman. La France lui doit sa reconnaissance pour la sentence de réhabilitation de Jeanne d'Arc, solennellement promulguée le 7 juillet 1456. Mais la mémoire de Calixte III ne peut être lavée de l'accusation de népotisme qui pèse sur elle. L'historien Grégorovius a comparé les Borgia aux Claude de l'ancienne Rome. Ces hommes robustes, passionnés, fastueux, insolents, qui portaient dans leur blason un taureau, emplis scient les chancelleries. Calixte les introduisit dans le Sacré Collège.

Nommer cardinaux deux de ses neveux à la fois, dit le cardinal Hergenröther[18], alors qu'ils étaient très jeunes et n'avaient rien fait pour mériter la pourpre, était déjà une lourde faute ; mais ce qui la rendait particulièrement grave, c'est que l'un d'eux Rodrigue, était un homme perdu de mœurs. Ce Rodrigue Borgia, nommé cardinal à vingt-cinq ans, et à qui, quatre ans plus tard le Pape Pie II reprochait son immoralité scandaleuse[19], devait être Alexandre VI.

 

III

Æneas Sylvius Piccolomini, que le Sacré Collège éleva au souverain Pontificat le 19 août 1458 et qui prit le nom de Pie II, n'était pas un combatif de race, comme Calixte III. Humaniste et diplomate, il était, à ces deux titres, célèbre dans l'Europe entière.

Nul n'ignorait, et il savait le rappeler lui-même avec sincérité, qu'il avait à se faire pardonner une partie de sa vie, passée dans le libertinage et dans le schisme[20]. Né aux environs de Sienne, en 1405, d'une famille noble et pauvre, passionné dès son enfance pour les lettres classiques, le jeune Piccolomini, arrivant à Bâle à l'âge de vingt-six ans en qualité de secrétaire d un cardinal, y avait aussitôt subi l'influence pernicieuse de l'humanisme païen et de l'esprit schismatique. Il s'y était laissé entraîner avec toute la fougue de son tempérament, toute la vivacité de son esprit souple et délié. Les événements finirent par éclairer sa nature droite et sincère. En 1442, il se détachait de l'antipape Félix V, pour accepter un emploi dans la chancellerie impériale. En 1446, sa conversion morale suivait sa conversion politique : Il est bien misérable et bien peu favorisé de la grâce divine, écrivait-il à un de ses amis le 8 mars 1446, l'homme qui ne finit pas par rentrer en lui-même et par adopter un genre de vie plus parfait, l'homme qui ne médite pas sur ce qu'il adviendra de lui le jour où il passera de ce monde à l'autre. Pour moi, mon cher Jean, j'ai comblé et plus que comblé la mesure de mes fautes ! Je me recueille maintenant. Dieu veuille que ce ne soit pas trop tard ![21] C'est à cette époque seulement qu'il tut ordonné prêtre à Vienne. On sait les services qu'il rendit dès lors à la cause de l'unité de l'Eglise. Quand, douze ans plus tard, le choix du conclave se porta sur lui, il en fut, dit-on, comme accablé. La perspective des dangers à venir pesait sur son âme, dit son biographe[22] ; il se rendait parfaitement compte de la grandeur de son état. Nul ne connaissait mieux que lui les maux de l'Eglise : dans sa carrière de diplomate et dans sa vie d'humaniste il les avait vus et expérimentés de trop près.

En Orient, le vieil empire grec, dont la décrépitude impuissante était une garantie de sécurité pour l'Europe, venait d'être brusquement remplacé par une puissance jeune, conquérante, animée d'un souffle d'énergie sauvage[23]. En Italie, la rivalité des maisons d'Anjou et d'Aragon pour la royauté de Naples prenait, par les alliances des compétiteurs, les proportions d'un conflit européen. A Rome, le condottière Piccinino et pins de vingt bandits de son espèce étaient tout prêts à renouveler la criminelle tentative des Porcaro. En France, le demi-schisme de la Pragmatique Sanction de Bourges multipliait les entraves à l'exercice de la souveraineté pontificale. La Bohême était toujours soulevée par les Hussites. Partout où la culture littéraire pénétrait, elle revêtait un caractère de plus en plus marqué de sensualité païenne et parfois de franche impiété.

Pie II fut bien loin de réaliser, dans le sens de perfection héroïque que nous attachons à ce mot, l'idéal d'un saint. Trop de complaisance en sa propre valeur apparaît dans ses écrits, trop de véritables faiblesses se manifestent dans son administration, souvent guidée par le népotisme. Mais il sut comprendre que l'œuvre réformatrice d'un Pape devait avoir pour base la réforme de sa propre vie. Nul ne put suspecter la sincérité de sa foi, de sa dévotion très tendre envers la Sainte Vierge, de l'esprit de pénitence qui lui fit supporter jusqu'à la fin de sa vie, avec un courage admirable, ses nombreuses infirmités. A l'âge de cinquante trois ans, il avait déjà l'aspect d'un vieillard infirme. Il avait contracté en faisant, pieds nus, par des chemins gelés, un pèlerinage à la Vierge, de terribles douleurs rhumatismales ; elles provoquaient à peine sur son visage, d'une pâleur mate, un spasme involontaire des lèvres. Une médaille célèbre d'André Guazzalotti de Prato a exprimé, avec un relief saisissant, les traits maladifs, fatigués, et l'œil éteint de son austère visage[24].

L'organisation d'une croisade contre les Turcs fut un de ses premiers soucis. Sa bulle Vocavit nos Pius, du 13 octobre 1458, dans laquelle il convoquait les princes chrétiens à se rendre au congrès de Mantoue et à s'y concerter pour la défense de la civilisation chrétienne, est un chef-d'œuvre d'éloquence noble et émue. Mais les princes d'Europe ne comprenaient plus un pareil langage. Une guerre entreprise pour toute autre cause qu'an avantage national immédiat semblait n'avoir plus de sens pour eux. Le 27 mai 1459, Pie II fit son entrée à Mantoue. Onze semaines s'écoulèrent sans qu'aucune des grandes puissances eût envoyé ses représentants au congrès ; les ambassadeurs de France et d'Allemagne n'y arrivèrent qu'au mois de novembre ; et, quand ils furent réunis, le Pape eut toutes les peins du monde à élever les débats à la hauteur de la grande cause pour laquelle il les avait convoqués.

La France demandait que le Saint-Siège soutint la cause de son candidat au trône de Naples, René d'Anjou ; la Bohème exposait ses griefs contre Frédéric III ; les Allemands se plaignaient de l'élévation des taxes imposées pour la croisade ; Venise mettait des conditions à sa participation à l'entreprise et traitait la question comme une affaire commerciale. Pie Il ne put contenir son indignation. Eh quoi ? s'écria-t-il, quand il s'est agi pour vous, Vénitiens, de soutenir vos intérêts, vous avez su tenir tête aux Pisans, aux Génois, à des rois, à l'empereur ; et maintenant, qu'on vous demande de combattre pour le Christ, vous voulez qu'on vous paie ![25] Ces paroles furent vaines ; les Vénitiens persistèrent dans leurs inadmissibles prétentions. On finit par consentir en principe à une croisade qui durerait trois années, et, le 44 janvier 1450, le Pape publia la Bulle qui la notifiait au monde chrétien. Mais le Pontife ne pouvait se faire illusion. Ses dernières paroles au Congrès furent une prière à Dieu : Seigneur tout puissant et éternel, s'écria-t-il, qui avez daigné racheter le genre humain au prix du sang de votre Fils, inspirez aux princes et aux peuples, nous vous en supplions, la volonté de combattre les ennemis de la croix ![26]

Une autre grande idée du Pontife ne rencontra pas moins d'obstacles. Dès les premiers jours de son pontificat, il s'était fait remettre par l'illustre cardinal Nicolas de Cuse et par le pieux et savant évêque de Torcello, Domenico de Domenichi, des projets de réforme. Celui de Nicolas de Cuse est très vaste et prévoit une réformation générale, depuis les plus modestes institutions paroissiales jusqu'à la curie pontificale et jusqu'au Chef suprême de l'Église[27]. Rien n'échappe à l'œil vigilant de l'ancien réformateur de l'Église d'Allemagne, ni le régime des fabriques d'églises, ni l'administration des hôpitaux, ni la vente des indulgences, ni la fabrication des reliques, ni le système des prébendes et des bénéfices, ni les règles canoniques et les usages ecclésiastiques sur le vêtement des clercs et la récitation des heures canoniales, ni les abus de la curie romaine, ni les devoirs personnels du Souverain Pontife. Il faut dire que toutes les mesures recommandées se ramènent à une observation plus stricte des règles canoniques et de l'esprit chrétien. Mais ce qui caractérise le projet de réforme du cardinal de Cuse, c'est l'institution d'un corps d'inspecteurs généraux, choisis parmi les hommes graves, imitateurs du Christ, faisant passer la justice et la vérité avant tout, placés dans une telle situation qu'ils n'auraient rien à craindre ni à espérer de personne[28]. Saint Antonin de Florence, qui venait de livrer au public sa célèbre Somme de théologie morale, fut appelé par le Pape à donner son avis sur ce projet de réforme. Une bulle fut même préparée pour la promulguer. Mais, au moment d'agir, prévoyant la formidable opposition qu'il allait rencontrer, Pie II recula et remit à plus tard l'exécution de son projet[29].

Il se borna, en attendant, à remédier aux deux abus qui avaient été les pierres de scandale de sa jeunesse : le mauvais humanisme et l'opposition aux droits du Saint-Siège. Beaucoup de littérateurs, s'autorisant de son goût très connu pour la culture littéraire, avaient rêvé, à son avènement, une ère de faveurs et de privilèges. Leur déception fut amère. Pie II ne négligea pas la protection des lettres et des arts ; mais, connaissant par expérience les tendances funestes qui prévalaient alors parmi les humanistes, il se montra très réservé dans la protection qu'on sollicitait de lui ; et quand, plus tard, quelques lettrés mécontents osèrent lui objecter ses anciennes opinions sui ce point, il ne craignit pas, dans une bulle solennellement publiée le 26 avril 1463, de rétracter ses anciennes erreurs devant l'Église : Recevez la parole de Pie II, disait-il, mais rejetez celle d'Æneas Sylvius, Æneam rejicite, Pium recipite.

Avant de monter sur le trône, le Dauphin de France, qui devait être Louis XI, avait promis à Pie II d'abolir la de Bourges[30]. Il est curieux de suivre, dans la correspondance du Pape et du roi, qui se poursuivit de l'avènement de Louis XI, en 1461, à la mort de Pie II, en 1464, les négociations où ces deux grands politiques se mesurèrent, le monarque promettant tout, mais avec de telles réserves et de tels sous-entendus qu'il s'en autorisait pour manquer à sa promesse ou pour y mettre des conditions, le Pape déjouant ces ruses avec une habileté et une patience infatigables, Louis ne voulant céder d'une main que pour prendre de l'autre, Pie II échappant à ses prises par ne politique toujours en éveil[31]. En 1464, le roi suppliait le Pape d'accorder un bénéfice à son favori Jean de la Ballue, ajoutant que le candidat était déjà en possession et laissant à entendre qu'il y resterait quoi qu'il advint. Pie II perça à jour cette diplomatie cauteleuse ; il répondit : Le roi tolérerait-il que je lui dise : Cédez-moi ce château, sinon je le prendrai par force.

A mesure qu'il vieillissait, son intrépidité semblait s'accroître. La goutte et la fièvre lui causaient parfois des douleurs atroces : on le voyait alors se mordre nerveusement les lèvres, sans jamais se plaindre. Il voulut, avant de mourir, donner à ce monde du quinzième siècle, trop amolli par l'humanisme, trop absorbé par les biens matériels, un exemple qui le secouât de sa torpeur et l'entrainât vers l'héroïsme.

Au mois de septembre 1463, Venise, menacée dans ses intérêts par les Turcs, avait conclu avec la Hongrie une alliance offensive contre les infidèles. Le duc de Bourgogne promettait son appui. A ces nouvelles, le héros albanais, Scanderbeg, dont le nom seul faisait trembler les musulmans, s'était mis en campagne sans attendre la déclaration de guerre. Le Pape notifia au monde chrétien qu'il prenait la direction de la croisade et marcherait en personne contre les Turcs : C'est en vain, s'écriait-il dans un discours du 23 septembre 1163, qu'a retenti notre cri : Allez ! Peut-être le cri : Venez ! sera plus efficace. Peut-être, en voyant partir de Rome le Vicaire du Christ, un vieillard malade et caduc, les princes chrétiens rougiront-ils de rester chez eux. Le 22 octobre il publia une bulle, dans laquelle il faisait appel aux princes et aux peuples, non seulement comme chef de la religion chrétienne, mais encore comme représentant de l'humanité, de la civilisation et de la liberté. De la France, de l'Allemagne, des Pays-Bas, de l'Ecosse et de l'Espagne, des milliers d'hommes du peuple se mirent en mouvement vers Rome pour marcher avec le Pape. Mais les princes et les grands ne partagèrent pas cet enthousiasme. Le 18 juin 1161, Pie II sortit de la Ville Éternelle. Après un pèlerinage à Assise, il arriva à Ancône le 19 juillet, très affaibli. La honte de voir la chrétienté rester indifférente faisait sa plus grande souffrance. Trois semaines s'écoulèrent sans que les Vénitiens eussent donné de leurs nouvelles. Le 12 août, on annonça enfin au Pape que la flotte de Venise était en vue. Malgré les douleurs que lui causait le moindre déplacement, Pie II se fit porter à une fenêtre, d'où on avait vue sur la mer. A l'aspect de la flotte, il s'écria avec mélancolie : Jusqu'à ce jour il me manquait une flotte pour partir. Maintenant c'est moi qui vais manquer à la flotte. Il n'avait plus que trois jours à vivre. Le 15 août, fête de l'Assomption, ce grand Pape, qui, même dans ses premiers égarements, avait toujours aimé la Vierge Marie, rendit tranquillement son âme à Dieu. L'histoire, qui ne peut oublier les fautes graves de sa jeunesse, doit reconnaître la grandeur de son pontificat[32].

 

IV

Qui prendrait l'héritage de Pie II ? Continuer la croisade, réfréner l'humanisme païen, régler avec Louis XI les conditions de l'abrogation de la Pragmatique Sanction de Bourges, et, s'il était possible, reprendre les projets de Nicolas de Cuse et de Domenico de Domenichi sur la réforme de l'Église : c'était, en présence de l'indifférence et de la mauvaise volonté que le Saint-Siège rencontrait presque partout, une lourde tâche. Elle fut assignée, le 30 août 1461, au cardinal Barbo, qui prit le nom de Paul II.

Neveu par sa mère du Pape Eugène IV, le nouveau Pontife, issu d'une noble famille de Venise, était un homme d'un extérieur imposant, d'une grande distinction de manières, mais grand seigneur à la façon des marchands vénitiens ses ancêtres, aimant le luxe et le faste, sans d'ailleurs que ce défaut ait jamais nui à la pureté de ses mœurs, à la sincérité de sa foi et à l'intégrité de son gouvernement.

Sans apporter à la guerre contre les Osmanlis l'ardeur chevaleresque de son prédécesseur, on le vit multiplier ses démarches et ses appels pour réunir l'argent et les hommes nécessaires à une nouvelle expédition. Ce fut à peu près sans résultat. Aucun prince de l'Europe ne voulut aller secourir l'Héroïque Scanderbeg, qui, pendant deux ans, repoussa, presque seul, les attaques réitérées des troupes turques. Après la mort du héros albanais, survenue en 1168, Mahomet II, plein de confiance, jeta sur la Grèce une armée de cent mille hommes, tandis que Mahmoud-pacha prenait la mer avec une flotte de près de quatre cents voiles. Paul II renouvela son appel. Il le fit plus pressant, lorsque, le 12 juillet 1470, la chute de Négrepont eut jeté l'épouvante dans l'Italie tout entière. Ce fut alors à la superbe Venise de trembler. Mais la tension de ses relations avec l'Allemagne et la Hongrie ne favorisait pas une entente défensive à son profit. Paul II formait un autre projet, celui d'une alliance avec le chef des Turcomans, Ouzoun-Hassan, ennemi déclaré des Turcs, quand la mort le surprit.

En France, Louis XI renouvelait contre le nouveau Pape les procédés dont il avait usé envers son prédécesseur. Il déclarait la Pragmatique Sanction abolie, mais il empêchait la publication en France des bulles du Pape et menaçait de réunir un concile pour le déposer. Quand on lui objectait les promesses faites à Pie II, il répondait qu'elles ne le liaient pas envers Paul II. L'université de Paris d'ailleurs protestait contre l'abolition de la Pragmatique.

L'acte le plus marquant du pontificat de Paul Il fut l'énergique répression qu'il exerça contre l'humanisme païen et dissolu. Il réforma le collège des Abréviateurs, peuplé d'humanistes arrogants, qui prétendaient donner à la cour pontificale un éclat aussi grand que celui qu'ils recevaient d'elle. Une Académie romaine fondée par l'humaniste Pomponius Lætus, dans le but de propager le goût de la pure latinité, était devenue le rendez-vous des doctrines les plus suspectes, des cérémonies les plus inconvenantes. On y surprit les fils d'un complot ayant pour but de mettre à mort le Pape et de proclamer la république romaine. Paul II eut le courage de s'attaquer aux tout puissants humanistes, de prononcer la dissolution de l'Académie et de faire arrêter l'un de ses chefs, Platina, auteur d'un odieux pamphlet. Les humanistes devaient se venger du Pape en essayant de noircir sa mémoire. Elle reste celle d'un Pape honnête et courageux.

 

V

Le 26 juillet 1471, Paul II fut trouvé mourant dans sa chambre, frappé d'une attaque d'apoplexie. Il expira un moment après. Les cardinaux lui donnèrent pour successeur le cardinal de la Rovère, général des Franciscains, qui prit le nom de Sixte IV. Un portrait de Melozzo da Forli le représente comme un homme à la forte carrure et à la tête puissante, le nez et le front en ligne droite, les traits réguliers, sillonnés de rides profondes : l'ensemble de l'attitude dénote une vigueur peu commune, tandis que la limpidité du regard révèle une bonté généreuse, presque naïve. Entré jeune dans un Ordre mendiant, il y avait passé la plus grande partie de sa vie. Le nouveau Pape ne se connaissait pas de besoins personnels ; il donnait à pleines mains tant qu'il avait quelque chose à donner. Toute sa parenté devait bientôt affluer autour de lui, vivre de son bien et de celui de l'Église. Une fois entraîné dans ce monde, Sixte IV ne sut plus s'en dégager, en subit toutes exigences, en partagea souvent les responsabilités. Ce fut la première de ses faiblesses.

Le second de ses torts fut de n'avoir pas su discerner suffisamment et condamner impitoyablement, comme l'avaient fait la téraitriequeet.pe plupart de ses prédécesseurs, les éléments païens de la Renaissance. A force d'aimer et de prôner le beau dans les arts et dans les lettres, l'Italien du XVe siècle en était venu à considérer le beau comme une fin en soi, se justifiant en elle-même ; de même qu'à force de se livrer éperdument à l'action guerrière ou politique, il en était venu à considérer comme une fin en soi le déploiement de son activité personnelle. Il n'y a pas plus de morale dans le traité Du prince de Machiavel que dans le De voluptate de l'humaniste Valla[33]. Pour l'humaniste païen de cette époque, l'observation de la foi jurée est une sottise et une naïveté dans la politique, comme le respect de la pudeur est une sottise et une naïveté dans l'art.

C'est dans un pareil milieu que François de la Rovère était tombé en sortant du cloître. Ces politiques et ces humanistes, il les trouvait parmi les hommes que la faveur publique entourait le plus, parmi les princes avec lesquels il avait à traiter chaque jour ; il les rencontrait surtout dans sa propre famille. Le plus cher de ses neveux, Pierre Riario, qui occupa un moment l'imagination de toute l'Italie par son luxe insensé et par ses projets politiques, non moins que par sa réputation d'impiétés[34], se tenait pour affranchi de toute règle morale. Quand des fonctions cardinalices furent vacantes par la mort d'hommes tels que le grand Bessarion, disparu en 1472, et l'austère Capranica, décédé en 1478, Sixte IV les remplaça par des politiques et, des humanistes. Dans la première de ses promotions se trouvèrent deux de ses neveux, Julien de la Rovère et Pierre Riario, tous les deux très jeunes, le second notoirement indigne.

Malgré tout, l'œuvre politique de Sixte IV ne fut pas sans gloire.

Sous son pontificat, la mort de Mahomet II, en 1481, favorisa une heureuse offensive de l'armée chrétienne ; on vit le Pape vendre son argenterie personnelle pour contribuer aux frais de la croisade[35]. En 1482, la bataille de Campo-Morto survenue à la suite de regrettables divisions, dont un neveu du Pape, le fameux Riario, était grandement responsable, fortifia la puissance des États de l'Église. En 1483, la pacifique intervention de saint François de Paule amena le roi Louis XI à se prononcer contre la réunion d'un concile schismatique[36].

Dans l'œuvre de l'inquisition espagnole, le rôle de Sixte IV ne fut point aussi blâmable qu'on l'a souvent prétendu. Il n'institua ce tribunal, en 1478, qu'après l'essai d'autres moyens plus doux et pour mettre fin, par l'établissement d'une procédure régulière, aux désordres incessants provoqués par les exactions des juifs faussement convertis et par les représailles populaires dont ils étaient l'objet. S'il ne remédia pas à tous les abus de ce tribunal mixte[37], dans un pays où les passions étaient surexcitées à l'extrême, il recommanda à plusieurs reprises l'équité et la douceur. La nomination qu'il fit, en 1483, du dominicain Thomas de Torquemada comme grand inquisiteur eut pour but de soustraire, autant que possible, les accusés aux violences des partis politiques[38]. Quant à la protection donnée par lui aux sciences et aux arts, s'il est un fait désormais hors de discussion, dit Pastor[39], c'est qu'au point de vue de l'épanouissement de la Renaissance, le nom de Sixte IV est à la ville éternelle ce que celui de Cosme de Médicis est à Florence... L'histoire de la civilisation doit inscrire son nom à une place d'honneur, à côté de ceux de Nicolas V, de Jules II et de Léon X.

Les infortunes de son pontificat, qui furent surtout celles de son temps et de ses proches, se manifestèrent dans la fameuse conspiration des Pazzi.

L'arrogance des Médicis avait depuis longtemps excité contre eux des rancunes profondes, qui devaient éclater tôt ou tard. Les odieux procédés d'un Laurent de Médicis, saccageant la ville de Volterre, détournant les deniers publics à son profit, confisquant les fonds d'une caisse d'épargne fondée en faveur des jeunes filles[40], portèrent l'irritation à son comble. Pour des hommes qui se nourrissaient des souvenirs de l'antiquité, et pour qui Brutus et Catilina étaient des modèles, la suggestion était facile. On savait comment le tyran de Milan, Jean Marie Visconti avait été assassiné en 1412, comment avaient péri en 1435 les Chiavelli, tyrans de Fabriano, assaillis pendant une grand messe, et comment, plus récemment encore, en 1476, le duc Galéas Marie Sforza avait été frappé à mort dans l'église de Saint-Etienne. Deux factions mécontentes s'étaient groupées à Florence, l'une autour des Pazzi, qui représentaient l'opposition de la vieille noblesse florentine contre l'aristocratie capitaliste des Médicis, l'autre autour de Jérôme Riario, neveu du Pape, qui prétendait représenter les intérêts de l'Église. De fait, Laurent de Médicis pouvait être regardé comme l'âme de toutes les menées entreprises en Italie contre le Pape. Pour moi, disait-il dans une lettre du 1er février 1477, je préfèrerais trois ou quatre Papes à un Pape unique[41]. Un schisme ne lui faisait pas peur.

On raconte que lorsque les conjurés milanais, en 1176, eurent décidé de se défaire de Sforza, ils avaient invoqué la protection, de saint Etienne[42] ; les conjurés florentins voulurent au moins s'assurer de l'approbation du chef de l'Église. Nous avons le récit authentique de l'entrevue qui eut lieu à cet effet. Le Pape déclara qu'il souhaitait bien un changement de gouvernement à Florence, mais, dit-il, à tout prix, je ne veux pas qu'il y ait mort d'homme. Comme son neveu Jérôme insistait en disant : On tâchera de l'éviter ; mais si cela arrivait, pardonneriez-vous un meurtre ?Tu es une bête, répliqua le Pape, je te le dis, je ne veux la mort d'aucun homme ![43] Jérôme n'insista plus et passa outre. Il fut convenu que, comme à Milan et à Fabriano, on frapperait le tyran dans l'église, au moment de la grand' messe. Vers le milieu de la cérémonie en effet, un conjuré, Bernardo di Bandini Baroncelli, se précipita sur Julien de Médicis en criant ah ! traitre ! et le frappa d'un poignard. Julien, criblé de coups de couteaux, fut laissé mort sur place ; mais Laurent, grâce à des serviteurs qui parèrent les coups avec leurs manteaux, ne fut que légèrement blessé et put se réfugier dans la vieille sacristie de la cathédrale.

Le cruel Médicis se vengea sur des innocents ; le Pape lança alors sur lui l'excommunication ; une guerre avec la Toscane s'ensuivit. Sans doute le Pape ne pouvait être suspecté de complicité dans le crime ; mais il était infiniment regrettable pour l'honneur de la Papauté, que le nom de Sixte IV eût été mêlé à ce complot, et que son propre neveu se fut fait l'instigateur d'un pareil attentat.

Tandis que ses proches compromettaient si gravement son autorité, Sixte IV, qui avait été un remarquable général d'Ordre, menait la vie privée d'un vrai religieux, travaillait à restaurer la splendeur du culte, témoignait de son zèle pour le chant liturgique par la fondation de la corporation dite Chapelle Sixtine, favorisait le culte de la Sainte Vierge et la dévotion du Rosaire et surtout multipliait les encouragements et les faveurs aux ordres religieux. Il approuva en 1484 la règle austère des Frères Minimes fondés par Saint François de Paule, encouragea le développement des Frères de la vie commune, confirma l'Ordre des Augustins déchaussés, accorda aux Franciscains, par la Bulle Mare magnum et par la Bulle d'Or, une extension considérable de leurs privilèges.

Une vue générale de l'état monastique à cette époque est nécessaire pour faire comprendre le sens et l'opportunité de cette bulle.

Vers la fin du XVe siècle, les monastères et prieurés fondés suivant la règle bénédictine étaient bien déchus de leur ancien éclat et de leur primitive ferveur. Les exemptions de plus en plus nombreuses des grandes abbayes, de leur prieurés, prévôtés et correctories, des chapitres et des cures qui dépendaient d'elles, des couvents qui leur étaient affiliés, avaient soustrait à l'autorité des évêques une partie considérable des institutions ecclésiastiques et déterminé en plus d'un endroit de violents conflits[44]. Une réaction s'imposa. On chercha malheureusement à remédier à un abus par un autre abus plus grave encore. A l'exemption on opposa la commende[45]. Les évêques, privés de toute juridiction sur les abbayes et monastères, se firent investir, quoique séculiers, du titre abbatial, quittes à préposer un vicaire au gouvernement des moines.

Les rois favorisèrent cette pratique, qui, sous Louis XI, se répandit en France avec une rapidité prodigieuse. Les abbayes de Saint-Denis, de Fécamp, de la Chaise-Dieu, la plupart des maisons de l'Ordre de Cîteaux étaient en commende au milieu du XVe siècle[46]. Une autre plaie avait mis le comble à la décadence monacale. La Bulle de Benoit XII qui, en 1336, avait si heureusement groupé les maisons bénédictines en plusieurs provinces et donné une cohésion efficace à leurs efforts, était désormais lettre morte. Plus d'action commune. Presque plus de chapitres généraux[47]. Chaque grand monastère, ayant reconquis son autonomie, n'agissait plus que pour lui-même. Le particularisme avait pénétré même dans l'organisation de chaque communauté. A côté de la mense collective, des menses particulières, établies au profit des prieurs, des cellériers, des sacristes, leur assuraient des revenus distincts. Chaque office devenait un bénéfice. Dès lors, pourquoi un séculier n'aurait-il pu le briguer ? La commende lui en fournissait le moyen. En 1481, en 1486, les moines de Cluny se plaignaient de l'intrusion croissante des séculiers[48]. A la fin du XVe siècle, c'est dans les Ordres mendiants, parmi les Frères Mineurs, les Dominicains, les Augustins, les Carmes et les Minimes, que l'esprit de zèle et d'apostolat semblait s'être réfugié.

Il s'y manifestait d'ailleurs avec intensité, parfois avec exubérance. Par l'enthousiasme, qui est le privilège de la jeunesse des institutions comme de la jeunesse des hommes, par la fermeté d'une hiérarchie dont les ressorts ne s'étaient point encore usés, par leurs règles mêmes qui, les obligeant à vivre d'aumônes, les mêlaient chaque jour au peuple, les Mendiants étaient devenus la grande force sociale, la grande puissance régénératrice. La foule les appelait à toutes ses fêtes et les chargeait souvent de se faire les interprètes de ses revendications. Quand ils prêchaient une mission, les municipalités les défrayaient de leurs dépenses et leur confiaient tous les pouvoirs de police.

La Bulle Mare Magnum de Sixte IV, qui leur donnait les pouvoirs ordinaires de prêcher, de confesser, d'enterrer les morts, sans recourir aux évêques, confirma tous ces usages. Elle devint la charte des Moines Mendiants. Les exagérations de quelques-uns de ceux-ci, qui se crurent les propres prêtres des fidèles, qui firent de leurs chapelles des paroisses, qui allèrent jusqu'à se prétendre supérieurs à tous les autres pasteurs des âmes[49], et surtout les rivalités qui s'élevèrent bientôt entre les divers Ordres Mendiants, devaient compromettre leur action apostolique. Mais cette action fut vraiment grande ; et c'est précisément par cette Bulle Mare Magnum, injustement blâmée comme excessive par quelques historiens, que Sixte IV a le plus efficacement travaillé à la réforme de l'Église. De tous ces Ordres religieux, favorisés et encouragés par lui, surgirent, avec un courage et une indépendance que ses marques de confiance avaient rendus plus assurés, les prédicateurs les plus ardents et les plus écoutés de la vraie réforme[50].

Le tableau de la prédication populaire au XVe siècle formerait un des épisodes les plus caractéristiques et les plus intéressants de la Renaissance. Laissant aux prédicateurs ordinaires le soin, d'exposer les doctrines de la religion, les moines missionnaires s'appliquaient uniquement à prêcher la réforme des mœurs. Parfois dans les églises, mais la plupart du temps en plein air, sur les places publiques, devant un auditoire pressé, entassé dans des limites trop étroites, pendant des heures entières, le moine franciscain, dominicain, augustin, servite, faisait le procès de tous les vices du temps, s'attaquait aux grands comme aux humbles, aux riches comme aux pauvres, s'élevait avec véhémence contre le paganisme immoral. Ces sortes de tribuns populaires, dit Burckardt, laissaient de côté les considérations abstraites, multipliaient au contraire les applications de la vie pratique. L'effet produit par leurs visages d'ascètes venait en aide à leur éloquence. La menace du purgatoire et de l'enfer, le tableau vivant de la malédiction temporelle attachée au mal, l'offense envers le Christ et envers les saints entraînant ses conséquences dans la vie : tels étaient leurs principaux arguments... Les résultats les plus directs de ces sermons, après que l'orateur avait prêché, par exemple, contre l'usure ou les modes indécentes, étaient l'ouverture des prisons, ou du moins l'élargissement des pauvres prisonniers pour dettes et la destruction par le feu des objets de luxe ou d'amusement tels que dès, cartes, jeux de toute espèce, masques, instruments de musique. Tout cela était groupé artistement sur un échafaudage ; on surmontait le tout d'une figure du diable, et on y mettait le feu... Puis c'était le tour des cœurs endurcis, qui reprenaient le chemin du confessionnal, restituaient les biens injustement détenus, rétractaient les calomnies criminelles. Parfois c'étaient des villes, des provinces entières qui se convertissaient.

Ces moines ne craignaient pas de s'attaquer aux princes, au clergé, à leurs propres confrères... Sur la place du château de Milan, un prédicateur augustin se permettait d'interpeller du haut de la chaire le redoutable Ludovic le More. Dans la chapelle pontificale, on entendit des critiques hardies dirigées contre le souverain Pontife lui-même[51]. Jacques de Volterre cite un Père Paolo Toscanella qui, sous Sixte IV, devant la cour, mais toutefois en l'absence accidentelle du Pape, fulmina contre le Saint-Père, sa famille et ses cardinaux. Sixte l'apprit, dit-il, et se contenta d'en sourire[52].

Les plus célèbres de ces orateurs populaires furent, parmi les augustins, Brandolino Lippi et Gilles de Viterbe ; parmi les dominicains, Jean Dominici, Jean de Naples, et cet étonnant Gabriel Barletta, parfois vulgaire, mais si puissant sur les foules, qu'il était passé en proverbe de dire : qui nescit barlettare nescit prædicare. Pour mettre plus de vie dans ses discours, il y introduisait parfois le dialogue : Toi, bourgeois, es-tu chrétien ? Oui, mon Père ; j'ai reçu le baptême dans telle église. — Quel est ton métier ? Je fais l'usure. — Alors, si l'on mettait sous presse les vêtements de ta femme, on en exprimerait le sang des pauvres ![53] En France, les Cordeliers Maillard et Menot, sous des formes non moins populaires, parfois même burlesques, prêchaient les plus austères vérités.

Vers 1460, les dominicains s'adonnèrent plus particulièrement à l'étude théologique, et laissèrent une place plus large aux franciscains. Nous avons déjà parlé de saint Bernardin de Sienne et de saint Jean de Capistran. Jacques de la Marche († 1476), Robert de Lecce († 1483), Antoine de Verceil († 1483), Michel de Carcano (vers 1485), Bernardin de Feltre (t 4494) et Bernardin de Bustis († 1500), continuèrent leur œuvre. En 1491, un dominicain, Jérôme Savonarole allait reprendre la cause de la réforme avec un éclat incomparable.

Les préoccupations du Souverain Pontificat avaient fini par ruiner la robuste santé de Sixte IV. Au milieu du mois de juin 1484, il eut une attaque de fièvre. Au mois d'août, la défection de Ludovic le More, sur l'appui de qui il comptait, fut pour lui un coup fatal. On l'entendit murmurer : Ludovic ! le traître ! Pendant la nuit, son état empira. Le lendemain, 12 août, il expira tranquillement, après avoir reçu la sainte communion des mains du Bienheureux Amédée de Portugal, son confesseur.

Celui qu'on a appelé le terrible Sixte IV, et dont le nom, mêlé au souvenir de l'inquisition espagnole et de Torquemada, est parvenu jusqu'à nous chargé de la malédiction de plus d'un historien, ne mérite pas une pareille réputation. Il est incontestable que Sixte IV, dans' sa vie publique, donna souvent l'impression d'un souverain temporel plutôt que d'un Pape, d'un Mécène plein de largesses envers les gens de lettres plutôt que d'un réformateur des gens d'Eglise. Il y eut sans. doute autour de lui, bien des intrigues fauches, bien des guerres civiles et bien du sang versé, et si de tels scandales furent ceux de son temps, ceux de ses pioches, plus que ceux de sa personne, il eut au moins le grand tort de ne point opposer une digue au paganisme envahissant, de lui ouvrir toutes grandes les portes du Sacré Collège, et de préparer dans une certaine mesure le règne d'Alexandre VI. Mais, par la dignité de sa vie privée, non moins que par l'intelligente impulsion qu'il sut donner à la vraie renaissance classique, Sixte IV mérite nos hommages. S'il fit peu personnellement pour réformer les maux de l'Église, il favorisa, par la haute protection qu'il accorda aux ordres religieux les plus actifs et les plus austères, le recrutement des ouvriers apostoliques qui devaient travailler à la véritable réforme.

 

VI

La mort de Sixte IV fut suivie d'un tumulte indescriptible. La colère du peuple, qui avait si longtemps supporté le joug des neveux du Pape, ne connut plus de bornes. Une populace en fureur se porta vers le palais de Jérôme Riario, en força les portes, saccagea tout, ne laissa que les murs debout. Quand les esprits furent un peu apaisés, le conclave se réunit. Le cardinal Julien de la Rovère, autre neveu du Pape, aspirait à la tiare. Mais s'étant bientôt aperçu qu'il n'avait pas de chances de l'obtenir, il entra résolument dans la voie des intrigues, pour faire élire un candidat de son choix. Les manœuvres les plus louches étaient possibles avec des hommes tels que Raphaël Riario, Ascagne Sforza, Rodrigue Borgia et Orsini. Julien ne recula pas devant la corruption sous toutes ses formes. Les négociations durèrent toute la nuit du 28 au 29 août lin, et se terminèrent par la promesse écrite du cardinal Jean-Baptiste Cibo de satisfaire tous les désirs de ses futurs électeurs. Quelques instants après, le cardinal Jean-Baptiste Cibo, créature de Julien de la Rovère, était élu Pape. C'était le triomphe de la simonie la plus éhontée[54].

Le nouvel élu, qui prit le nom d'Innocent VIII, descendait d'une noble famille génoise apparentée aux Doria et avait mené dans sa jeunesse, à la cour des rois d'Aragon, une vie licencieuse : Un fils, Franceschetto, et une fille, Théodorina, lui étaient nés d'une liaison coupable. Depuis son ordination au sacerdoce sa conduite privée paraissait régulière ; elle devait donner la même impression pendant tout le temps de son pontificat. Mais le seul fait d'avoir trempé dans des intrigues simoniaques pour ceindre la tiare caractérisait sa moralité.

Entre le pontificat de Sixte IV, qui eut des côtés splendides, et celui d'Alexandre VI, où les crimes eurent quelque chose de grandiose et de dramatique dans leur atrocité, le pontificat d'Innocent VIII a peu de relief. On doit lui savoir gré d'avoir eu à cœur la prospérité matérielle et le bon ordre de la ville de Rome et d'y avoir réuni, d'ailleurs sans résultat, un congrès destiné à organiser une croisade contre les infidèles. C'est sous son pontificat que les juifs baptisés d'Espagne, les Maranos, comme on les appelait, ayant assassiné l'inquisiteur Pierre Arbues, le roi Ferdinand le Catholique mit tous les Israélites en demeure de se faire baptiser ou de quitter l'Espagne dans le délai de quatre mois. Un certain nombre de ces juifs exilés se retirèrent à Rome, où beaucoup de leurs coreligionnaires vivaient en paix. Quelques-uns même de ceux-ci se rencontraient dans les chancelleries pontificales. Innocent VIII, averti de ce scandale, dut y remédier[55].

De réforme sérieuse et profonde de l'Église, il ne pouvait être question avec un pareil chef. Une bulle du 5 décembre 1484 contre les pratiques de sorcellerie[56] et une condamnation des erreurs de Pic de la Mirandole[57] sont les principaux documents qu'on puisse invoquer à son actif sur ce point.

Le passif de son gouvernement est malheureusement plus apparent. Un des grands scandales du pontificat d'Innocent VIII fut la célébration solennelle, dans son propre palais, du mariage de son fils naturel, Franceschetto, avec la fille de Laurent de Médicis. Sans doute la plupart des seigneurs et des grands qui assistèrent à cette fête n'eurent pas lieu d'être beaucoup scandalisés, trop habitués qu'ils étaient, depuis Sixte IV, à considérer le Pape comme un prince temporel. Nous savons d'ailleurs par Æneas Sylvius qu'à son époque la plupart des princes régnants étaient nés hors mariage, et qu'en 4459, lorsque Pie II entra à Ferrare, il fut reçu par sept princes dont pas un seul n'était issu d'une union légitime[58]. Mais il était du devoir du Chef de l'Eglise, du représentant le plus autorisé de Jésus-Christ sur la terre, de protester par son exemple contre de pareilles mœurs.

Un scandale plus grand encore, par les graves conséquences qu'il devait entraîner, se manifestait dans la composition même dû Sacré Collège. Quand Innocent VIII avait pris le pouvoir, l'assemblée cardinalice comptait déjà, parmi ses membres, le cardinal Ascagne Sforza, qui éblouissait le monde par le train luxueux de sa maison, où il donnait des fêtes de nuit, le cardinal de la Ballue, homme d'ambition et d'argent, qui mourut en laissant une fortune de 400.000 ducats, et le cardinal Rodrigue Borgia, qui entretenait, au su de tous, des relations coupables avec une femme romaine, Vanozza de Cataneis. Sous le gouvernement du nouveau Pape, le collège des cardinaux s'accrut de plusieurs autres prélats non moins suspects de mondanité et d'immoralité. Dans une même promotion, Innocent VIII donna la pourpre à un fils naturel de son frère, Laurent Cibo, et à un jeune fils de Laurent de Médicis, Jean de Médicis, qui comptait à peine dix sept ans. Laurent, qui avait sollicité avec instances cette nomination, sentit, au moment où son jeune fils entrait dans une telle assemblée, se réveiller au fond de son cœur, avec les appréhensions de sa sollicitude paternelle, les vieux sentiments de foi de son enfance ; il ne put s'empêcher d'adresser au jeune cardinal une lettre pleine de sages conseils : Mon fils, lui écrivait-il, il ne manquera pas, autour de vous, de conseillers, de tentateurs et d'envieux, qui chercheront à vous entraîner dans l'abîme où ils sont tombés eux-mêmes. Vous devez d'autant plus prendre à cœur de confondre ces gens, que le Sacré Collège est en ce moment plus dénué de bonnes qualités. Il me souvient d'avoir vu ce collège composé d'hommes éminents par la science et par la vertu : il sera sage de suivre leurs exemples...

Cependant les voix des moines prédicateurs retentissaient toujours. A celles de Bernardin de Feltre et de Bernardin de Bustis, une autre voix, plus sonore dans ses accents et plus terrible dans ses menaces, venait de se joindre : c'était celle du dominicain Jérôme Savonarole.

Né en 1452 d'une noble famille de Ferrare, Jérôme Savonarole révéla dès son enfance une nature ardente et rêveuse. Le sermon d'un franciscain, qu'il entendit à l'âge de 23 ans, le décida à quitter le siècle pour se donner à Dieu. Il entra dans l'Ordre de saint Dominique. Il s'enfuit de la maison paternelle, laissant sur sa table un traité sur Le mépris du monde, plein d'invectives sur une société qu'il n'avait fait qu'entrevoir et où il n'avait découvert que des hontes et des crimes. Pendant la première année de sa vie religieuse, une autre œuvre sortit de sa plume ; c'était un poème sur La ruine de l'Eglise, dont les vers enflammés flagellaient l'orgueil et la convoitise jusque dans le sanctuaire. Que faire pour venger de telles iniquités ? s'écriait le moine poète. Une vierge céleste lui répondait : Garde le silence et pleure !

Le silence, il devait bientôt le rompre avec éclat. En 1482, Frère Savonarole fut envoyé par ses supérieurs à Florence pour s'y livrer à la prédication. Sous le gouvernement de Laurent de Médicis, Florence était alors la ville la plus mondaine de l'Italie. L'art païen, la peinture païenne, la musique païenne avaient envahi jusqu'aux temples chrétiens. Vasari parle d'un certain Saint-Sébastien, peint par le peintre Baccio, qui, dans l'église où il était exposé, était un vrai scandale[59]. Quand il traversait la ville, l'humble moine pouvait rencontrer, aux jours de fête, au, milieu 'rune cavalcade, quelque brillant cavalier, avec une épée de prix au côté, entouré de masques, de chanteurs et de ces mercenaires pris dans la lie du peuple qu'on appelait des bravi ; ce brillant cavalier était un cardinal de l'Eglise romaine.

Il en fallait moins pour exaspérer l'indignation de l'ardent dominicain. Avec une éloquence abrupte, volontairement dédaigneuse des ornements littéraires, avec un geste gauche et saccadé, d'une voix forte et dure, où perçait le rude accent lombard, Frère Jérôme tonna contre les vices du monde. Les Florentins, qui goûtaient alors la parole harmonieuse et fleurie de Fra Mariano, l'éloquent franciscain ami des humanistes, n'apprécièrent pas d'abord le nouveau missionnaire. Celui-ci ne se lassa pas. Commentant les Prophètes et l'Apocalypse, il s'écartait volontiers des formes habituelles du sermon. Des tableaux de mœurs, suivis d'invectives ardentes et de menaces terribles, faisaient le fond de ses discours. Mais c'est surtout pendant une mission qu'il dut prêcher en 1485 et 1486 aux environs de Sienne, que le génie spécial de ses harangues, le ton inspiré et prophétique de sa parole, se développèrent. Quand, en 1490, il revint à Florence, pour y donner, dans la chapelle de Saint-Marc, une série de sermons sur l'Apocalypse, la puissance de son éloquence ; plus assurée et plus mûrie, subjugua son auditoire. Un revirement subit se produisit. Les églises ne purent plus contenir les foules qui se pressaient autour de sa chaire. Ce teint blême, cette figure osseuse, ce nez d'aigle, ces yeux pleins d'éclairs, ces gestes rapides et tranchants d'une main décharnée, qui avaient fait sourire ses premiers auditoires, captivaient maintenant le peuple ; et quand sa voix émue annonçait les grands châtiments de l'Eglise, des sanglots éclataient dans l'assemblée. Les plus païens des humanistes venaient l'entendre et souvent sortaient en se frappant la poitrine, comme ce peintre Baccio, le sensuel auteur du Saint-Sébastien de Florence qui, converti par Frère Jérôme, devait devenir le grand artiste chrétien Fra Bartolomeo. Laurent de Médicis lui-même, dont l'âme avait un fond de générosité, témoigna son estime à l'ardent dominicain, et, n'eût été la fougueuse intransigeance du moine, se fût peut-être laissé convertir par lui[60].

Frère Savonarole présentait souvent ses menaces sous forme de visions et de prophéties ; et il paraît bien avoir cru à l'authenticité de son rôle de voyant et de prophète. Pendant l'Avent de 1492, il déclara avoir entendu une voix de tonnerre venant du ciel et disant : Le glaive du Seigneur menace la terre. Puis une pluie d'épées était tombée, disait-il, au milieu d'un air embrasé, et les maux les plus terribles avaient fondu sur le monde. Six mois après, le 25 juillet 1492, le Pape Innocent VIII, après avoir demandé pardon à ses cardinaux de ne s'être pas tenu à la hauteur de sa tâche trop lourde, et après avoir reçu en pleurant le saint viatique, rendait le dernier soupir, et les yeux du Sacré Collège se tournaient, pour le remplacer, vers Rodrigue Borgia.

 

 

 



[1] PASTOR, t. V, p. 14 et s.

[2] PASTOR, t. V, p. 24.

[3] PASTOR, t. V, p. 28.

[4] PASTOR, t. V, p. 36-66.

[5] Voir les documents cités par PASTOR, t. II, p. 15, 16, et Noël VALOIS, Le Pape et le Concile, t. II, p. 324.

[6] Voir dans HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. XI, p. 565-573, une analyse détaillée de ce concordat.

[7] RAYNALDI, ad ann. 1449, n° 6.

[8] Le cardinal d'Estouteville devait aussi s'honorer en introduisant le procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc.

[9] PLATINA, Vie des Papes, Nicolas V.

[10] Le sol fertile de l'Italie, dit GUICHARDIN, regorgeait d'hommes, de marchandises et de richesses de toutes sortes, t. I, p. 1. — Cf. PASTOR, t. V, p. 104 et s.

[11] PASTOR, t. V, p. 133.

[12] PASTOR, t. II, p. 291.

[13] M, Spicilegium, t. I, p. 61.

[14] D'ACHERY, Spicilegium, t. III, p. 797.

[15] On a souvent répété qu'en 1456, Calixte III institua la prière de l'Angelus à l'occasion de l'apparition de la comète dont Halley a montré la périodicité. On y vit, dit Camille Flammarion, un signe certain de la colère divine : les musulmans y virent une croix, les chrétiens un yatagan. Dans un si grand danger, le Pape Calixte III ordonna que les cloches de toutes les églises fussent sonnées chaque jour à midi, et il invita les fidèles h dire une prière pour conjurer la comète et les Turcs. Cet usage s'est conservé chez tous les peuples catholiques. C'est de là que date l'Angelus. Camille FLAMMARION, Astronomie populaire, p. 599. Voir, dans le même sens, GUILLEMIN, Les comètes, p. 21, et ARAGO, Astronomie populaire, t. II, p. 464. En réalité, l'intervention de Calixte III à propos de la comète de 1456 a un tout autre caractère, et la pratique de l'Angelus a une tout autre origine. PLATINA, dans ses Vitæ pontificum, trad. française : Les vies, faictz et gestes des saints pères Papes, Paris, 1551, p. 419, raconte que lorsque apparut au ciel une cornette qui estait fort rouge et, avait des rayes comme cheveux, à cette cause les astrologues et mathématiciens disaient qu'elle signifiait grande peste, famine et autres calimitez. Par quoy le Pape Calixte feit faire et célébrer par plusieurs jours processions pour prier Dieu, que ce icelle calamité, pesta et famine devait advenir, qu'elle ne advint point aux chrestiens... Et oultre le Pape Calixte ordonna qu'on sonnerait tous les jours, heure de raidy, les cloches, et que à ceste heure les chrestiens si missent à genoulx pour prier Dieu pour les chrestiens qui bataillaient contre les Turcs. Ce document est l'unique source de la légende. Il n'y est question ni de bulle ni de conjuration de la comète, mais simplement de périls que les savants annoncent. On sait que des savarts de nos jours ont conjecturé que les atmosphères cométaires contiennent des gaz irrespirables, qui ne seraient pas sans danger dans le cas, non chimérique, où l'orbite du noyau d'une comète viendrait à rencontrer l'orbite terrestre. — Quant à la pratique de l'Angelus, elle s'est développée graduellement dans l'Église : La sonnerie du soir parait remonter au zinc siècle et se rattache à l'usage du couvre-feu ; celle du matin est mentionnée pour la première fois au XVe siècle ; celle du midi avait lien avant Calixte III, tous les vendredis, en l'honneur de la passion du Sauveur. Calixte la rendit quotidienne. Voir Dom BERLIÈRE, au mot Angelus, dans le Dict. de théologie de VACANT, et, dans la Revue pratique d'apologétique du ter décembre 1909, l'article de M. l'abbé LESÈTRE, intitulé Une comète excommuniée.

[16] PASTOR, t. II, p. 339, 340.

[17] Chronique de Spire, p. 409, citée par PASTOR, t. II, p. 382.

[18] Cité par PASTOR, t. II, p. 420.

[19] Voir la lettre de Pie II, dans PASTOR, t. II, p. 423-424.

[20] Æneas Sylvius, n'étant pas encore prêtre, avait eu deux enfants naturels. — PASTOR, t. I, p. 348, 349, en note. Son Tractatus de duobus amantibus est une œuvre érotique.

[21] PASTOR, t. I, p. 350, 351.

[22] CAMPANUS, Vita Pii II, dans MURATORI, Scriptores rerum italicarum, t. III, 2a pars, p. 974.

[23] HEINEMANN, Æneas Sylvius, p. 2.

[24] Sur l'austérité de la vie privée de Pie II, voir PASTOR, t. III, p. 28, 29.

[25] PASTOR, t. III, p. 79, d'après les Commentaires de Pie II, p. 85.

[26] PASTOR, t. III, p. 92.

[27] Le manuscrit de ce remarquable document est conservé à la Bibliothèque de l'Etat, à Munich.

[28] Voir un résumé de ce projet dans PASTOR, t. III, p. 258, 259.

[29] M. Emile Chénon écrivait en 1894 : Calixte III, Pie II oublièrent, dans leurs préoccupations pour l'Eglise d'Orient, la réforme de l'Eglise d'Occident, Histoire générale de LAVISSE et RAMBAUD, t. III, p. 342. Les récentes explorations scientifiques faites aux archives du Vatican ne permettent plus, on le voit, de maintenir cette assertion. Voir Léonce CELIER, Alexandre VI et la réforme de l'Église, dans les Mélanges de l'Ecole de Rome, t. XXVII, p. 65-124, et Revue des questions historiques, du 1er octobre 1909 : L'idée de réforme à la Cour pontificale, du concile de Bâle au concile de Latran, p. 418-435.

[30] Voir sa lettre dans les Opera Æneæ Sylvii, édit. de Bâle, p. 863.

[31] Il est avéré qu'en abandonnant la Pragmatique Sanction, Louis XI se flattait de gagner le Pape à la cause de la Maison d'Anjou et d'obtenir la collation des principaux bénéfices du royaume. PASTOR, t. III, p. 145.

[32] M. Rudolf WOLKAN publie, dans la collection Fontes rerum austriacarum une édition critique des lettres de Pie II, t. I, in-8°, Vienne, 1909.

[33] Le traité Du prince de Machiavel devait être un des premiers livres mis à l'Index par le Concile de Trente.

[34] BURCKEHARDT, La civilisation en Italie au temps de la Renaissance, t. I, p. 135.

[35] Cf. PASTOR, t. IV, p. 315 et 320, où il relate Grégorovius, prétendant que Sixte IV se renfermait obstinément dans sa politique territoriale.

[36] PASTOR, t. IV, p. 349.

[37] Sur l'Inquisition espagnole, voir PASTOR, t. IV, p. 370-374 ; HÉFÉLÉ, Le cardinal Ximénès, p. 289-429 ; VACANDARD, L'inquisition, Paris, 1907, p. 237, 238. C'est à tort que certains apologistes catholiques ont prétendu que l'inquisition espagnole était une institution purement politique. Voir la réfutation de cette erreur dans PASTOR, loc. cit.

[38] Sur Torquemada, dont le nom, calomnié à plaisir, reste néanmoins attaché à la période la plus rigoureuse de l'inquisition espagnole, voir HÉFÉLÉ, Le cardinal Ximénès, trad. française, 1 vol. in 8°, Paris, 1856, p. 318, 322, 323, 329, 389. Sous la direction de Torquemada, c'est-à-dire en douze ans, deux mille individus environ furent livrés aux flammes. Dans le même laps de temps, quinze mille hérétiques furent réconciliés avec l'Église, HÉFÉLÉ, loc. cit., p. 318, 319.

[39] PASTOR, t. IV, p. 101, 102.

[40] PASTOR, t. V, p. 116.

[41] Archives de Florence, citées par PASTOR, t. IV, p. 276.

[42] BURCKEHARDT, La civilisation en Italie au temps de la Renaissance, t. I, p. 73, 74.

[43] PASTOR, t. IV, p. 280, 281.

[44] IMBART DE LA TOUR, Les origines de la Réforme, t. II, p. 189-194.

[45] Dès le IVe siècle de l'Eglise, on trouve ce mot de commende, commenda (de commendare, confier), employé pour désigner l'acte de confier un bénéfice vacant à la garde d'un administrateur. Celui-ci, s'il était laïque, ne devait gouverner que pour le temporel. Cette institution, très utile au moment des invasions barbares, donna lieu plus tard à de graves abus. Voir THOMASSIN, Anc. et nouv. disc., 2e partie, liv. III, c. XI, XXI.

[46] IMBART DE LA TOUR, Les origines de la Réforme, t. II, p. 198. Sur les progrès de la commende aux XIVe et XVe siècle, voir THOMASSIN, Ancienne et nouvelle discipline, 2e partie, l. III, ch. XX et XXI, 2e édit. t. V, p. 53-73.

[47] Sur la Bulle Summi Magistri de Benoit XII et sur ses destinées, voir DOM BERLIÈRE, Les chapitres généraux de l'ordre de saint Benoît, dans la Revue bénédictine de 1901-1902.

[48] Statuts cités par IMBART DE LA TOUR, Les origines de la Réforme, t. II, p. 204.

[49] BAULEFER, In lib. IV Sententiarum S. Bonaventuræ, lib. IV, dist. 17, f° 484, dit : Mendicautes... sunt proprii sacerdotes. En 1482, un cordelier, Frère Langeli, déclare que les Mendiants sont, bien plus que les prêtres de paroisse, les pasteurs des âmes. Cf. IMBART DE LA TOUR, Les origines de la Réforme, t. II, p. 209.

[50] Une bulle de réformation de la curie, préparée par Sixte IV et entrant dans détails les plus précis, ne fut jamais publiée. Le texte de cette bulle se trouve à la bibliothèque nationale de Munich.

[51] BURCKHARDT, La civilisation en Italie, trad. Schmitt, t. II, p. 237, 238, 243, 244, et passim.

[52] JAC VOLATERRANI, Diar. Roman., dans MURATORI, Scriptores, t. XXIII, col. 173.

[53] G. BARLETTA, Sermones, Lyon, 1511, f° 48.

[54] On peut faire la preuve à peu près complète de tous ces faits par les seules relations des ambassadeurs. PASTOR, t. IV, p. 234.

[55] PASTOR, t. IV, p. 336.

[56] C'est bien à tort qu'on a accusé Innocent VIII d'avoir, par cette bulle, répandu dans le monde chrétien la croyance à la sorcellerie. Bien des procès de sorcellerie avaient eu lieu avant cette époque. La bulle n'a d'ailleurs aucun caractère dogmatique.

[57] Voir DENZINGER-BANNWART, n° 736-737.

[58] Cité par PASTOR, t. IV, p. 114.

[59] VASARI, Histoires des peintres, t. III, 1re partie, p. 39.

[60] Il est certain que sur son lit de mort, en 1402, Laurent de Médicis fit appel à Jérôme Savonarole. Sur le fait que Savonarole lui imposa pour pénitence de donner la liberté à Florence et sur le refus que lui aurait opposé Laurent de Médicis, voir VILLARI, Jérôme Savonarole et son temps, trad. GRUYER, Paris, 1874, t. I, p. 185-186, 205 209 ; PERRENS, Jérôme Savonarole, 2e édit., p. 61-67. En l'état actuel de la critique, il ne parait pas qu'on puisse rien affirmer avec certitude.