HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

PREMIÈRE PARTIE. — LA DÉCADENCE DE LA CHRÉTIENTÉ ET LA RENAISSANCE

CHAPITRE V. — DE L'AVÈNEMENT DE MARTIN V A LA MORT D'EUGÈNE IV. LE CONCILE DE BÂLE-FERRARE-FLORENCE (1417-1447).

 

 

La tranquillité rendue à l'Église ne la mettait pas à l'abri de tous les dangers. Elle venait de surmonter les plus violents ; elle allait connaître les plus perfides. La prospérité commerciale des grandes villes italiennes et les habitudes de luxe qui en furent la conséquence, l'arrivée en Italie ces savants grecs et le mouvement littéraire et artistique qui en résulta, la consolidation du pouvoir temporel du Saint-Siège et les négociations diplomatiques que cette œuvre imposa, déterminèrent à Rome une atmosphère de mondanité païenne. La cour pontificale et les Papes eux-mêmes ne devaient pas y échapper. Plusieurs d'entre eux devaient oublier, dans la mollesse d'une existence fastueuse, dans les plaisirs raffinés de l'intelligence, ou dans les préoccupations de la politique, cette austérité de vie dont les Pontifes romains du grand schisme avaient donné l'exemple. La conscience du peuple chrétien finit par s'émouvoir. Les moines étaient alors les interprètes les plus autorisés de l'opinion publique ; ils se firent l'écho de ses étonnements et de ses scandales. On verra un jour le plus hardi de ces prêcheurs populaires, Jérôme Savonarole, jeter le cri de son indignation à la face du plus compromis de ces Pontifes, Alexandre VI. Le moine infortuné périra sur le bûcher ; mais à sa mort le prestige temporel de la Papauté aura reçu les plus rudes atteintes. L'œuvre de la réforme de l'Église dans son chef et dans ses membres sera plus urgente que jamais.

Toutefois l'histoire des Papes de la Renaissance n'est point tout entière dans ses abus. Il avait bien fallu finalement se rendre compte que l'époque de la Chrétienté, gouvernée par le Pape et l'Empereur, était passée, que l'autonomie des états européens était un fait accompli, que l'Église devait traiter avec eux de puissance à puissance. L'ère des Concordats s'imposa. Les Papes de cette époque, qui furent pour la plupart de clairvoyants politiques, comprirent cette nécessité et travaillèrent avec intelligence à y pourvoir. De Martin V à Léon X, une œuvre positive d'entente entre le Saint-Siège et les États européens s'accomplit. Tout n'est pas sombre en cette fin du XVe siècle. Si l'on y cherche en vain, sur le Siège de saint Pierre, la figure d'ut, saint Grégoire VII ou d'un saint Pie V, on s'aperçoit du moins que de grands hommes y font l'intérim des grands saints.

 

I

Le nom de Papes de le Renaissance, ne convient pas tout à fait à Martin V et à Eugène IV, qui furent plutôt des Papes de transition. Leur mission consista surtout à liquider la situation pénible laissée par le grand schisme, à relever les ruines matérielles et morales qui en avaient été les, conséquences, à raffermir l'unité de l'Église sous la suprématie de Rome et à pacifier les esprits, encore tout impressionnés et comme tout vibrants des précédentes disputes.

La réforme de l'Église dans son chef et dans ses membres était encore la formule à l'ordre du jour. C'est toujours d'au concile qu'on l'attendait. Ce mot de concile exerçait une sorte de fascination magique sur les esprits. Les théories conciliaires de Gerson, de d'Ailly et de Langenstein ne se trouvaient-elles pas confirmées par ce seul fait, qu'un concile venait de rendre la paix à l'Église ? L'événement qui avait donné la tranquillité au monde chrétien devenait ainsi une source nouvelle de discorde. L'histoire des assemblées de Bâle, de Ferrare et de Florence, remplit les deux pontificats de Martin V et d'Eugène IV, et c'est autour de cette histoire que tous les autres faits vont se grouper. A beaucoup d'hommes de cette époque, le Concile apparaît comme la panacée de tous les malheurs politiques et sociaux. C'est aux conciles que l'empereur de Constantinople vient réclamer du secours contre les Turcs, c'est des conciles qu'on attend l'union entre l'Église latine et l'Église grecque. Toutes les guerres de cette époque ont une répercussion dans les conciles. Les Pères de Constance, en décrétant que la prochaine assemblée conciliaire aurait lieu cinq and, plus tard et les autres périodiquement, de sept ans en sept ans, avaient favorisé de semblables illusions. Les événements devaient terriblement les démentir ; mais on s'explique que d'habiles politiques tels qu'un Æneas Sylvius Piccolomini, que de graves penseurs comme un Nicolas de Cuse, que des saints eux-mêmes comme le Cardinal Aleman, archevêque d'Arles, béatifié par Clément VII, aient longtemps combattu de bonne foi pour la suprématie des conciles.

Martin V ne partagea point ces vaines espérances. Par l'effet d'une vue plus haute que lui donnait peut-être sa situation suprême, ou de cet instinct des closes possibles que communique la responsabilité du pouvoir, et sans doute aussi de ces grâces d'état que la Providence n'a jamais refusées aux Chefs de son Église, il se méfia toujours de ce système périodique de conciles, décrété à Constance. Le nom seul de concile, dit un contemporain[1], lui faisait horreur. Il eut plus de confiance, pour résoudre ou prévenir les conflits possibles entre la Papauté et les Etats, en une autre tactique, dont le même Concile de Constance, en sa quarante-troisième session, tenue sous sa présidence, avait pris l'initiative. En présence des divergences de vue et des conflits d'intérêts qui divisaient les nations, les Pères de Constance avaient résolu de régler les rapports de l'Église avec chaque peuple par des concordats particuliers. Ce n'avait été pour ainsi dire que des essais. Les cinq concordats conclus par Martin V avec la France, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et l'Angleterre, paraissaient être plutôt des armistices que des pactes définitifs. Le concordat passé avec l'Angleterre était seul consenti ad perpetuam rei memoriam. Les autres l'étaient pour cinq ans seulement. Mais là était l'avenir[2]. A l'ère des conciles, devait succéder l'ère des concordats.

 

Romain de race, Martin V n'eut rien de plus à cœur que de rendre à la Ville éternelle, centre du monde chrétien, la splendeur dont les luttes récentes l'avaient fait déchoir. C'était l'œuvre urgente au lendemain de la crise où l'unité de l'Église venait d'être si gravement compromise, l'autorité du Pontife de Rome si vivement discutée. Les troubles qui désolaient encore les États de l'Église, retinrent le Pontife deux ans à Florence et ne lui permirent pas de faire son entrée à Rome avant le 20 septembre 1420. Mais il s'adonna dès lors à l'œuvre de restauration qu'il s'était proposée, avec une persévérance et une sagesse qui lui valurent des Romains le surnom mérité de Père de la patrie[3] ; et le népotisme même qu'on lui reproche à juste titre a quelque excuse dans la nécessité où il se trouva, en face de pouvoirs unanimement hostiles, de s'appuyer sur des hommes qui lui fussent absolument dévoués.

Cependant l'échéance fixée par le Concile de Constance pour la convocation d'un nouveau concile était arrivée. S'opposer au mouvement des esprits, qui attendaient avec impatience la réunion de l'assemblée conciliaire, eut été chose impossible. En 1423, à son corps défendant, Martin V convoqua la nouvelle assemblée à Pavie. L'invasion de la peste obligea bientôt à la transférer à Sienne. La guerre sanglante qui mettait aux prises, en ce moment même, la France et l'Angleterre, la lutte terrible que l'Espagne avait alors à soutenir contre les Maures, et les troubles suscités en Allemagne par des bandes de Hussites, ne permirent pas à la plupart des évêques de se rendre à l'appel du Souverain Pontife. Celui-ci se hâta d'invoquer ce prétexte pour dissoudre le concile (7 mars 1424). Le petit nombre de membres présents eut toutefois le temps de fixer à Bâle le siège du prochain concile, qui devait avoir lieu sept ans plus tard[4].

On a souvent reproché à Martin V de n'avoir pas assez vigoureusement travaillé, pendant cet intervalle, à la réforme de l'Église. Les croisades, d'ailleurs infructueuses, qu'il dût entreprendre contre les Hussites, les soins assidus que lui demanda la restauration matérielle des églises et des monuments de Rome, furent ses excuses. La réforme du reste commençait à s'opérer par la vie digne et pure de ce Pape, dont les contemporains n'ont jamais nié les solides vertus. Il sut, dans le mouvement qui emportait les esprits, un peu à l'aventure, vers les lettres et les arts, discerner et encourager les tendances chrétiennes. On sait que les réunions de Constance, où se trouvaient assemblés, à titre de membres du concile ou d'auxiliaires ou de simples curieux, tant de savants et de lettrés de diverses nations, avaient beaucoup favorisé l'étude de la littérature antique. C'est là que Pogge, pour se délasser des discussions théologiques, fouillait les bibliothèques et y cherchait des manuscrits précieux. C'est là que le Grec Chrysoloras initiait les Latins à l'étude d'Homère et de Platon. Martin V eut la sagesse de distinguer, parmi ces humanistes, ceux qui conservaient l'esprit chrétien et de leur réserver les dignités et les charges dont il disposait. Il récompensa par la pourpre romaine l'illustre Capranica, le pieux Nicolas d'Abergati, de l'ordre des chartreux, l'austère Antoine Correr, neveu du Pape. Grégoire XII, qui, possesseur de grands biens, les avait distribués en bonnes œuvres et mourut à quatre-vingts ans après avoir donné l'exemple des plus hautes vertus, et le grand Césarini, qui devait être légat pontifical au concile de Bâle, Césarini, dont le cardinal Branda disait que, si l'Église venait à se corrompre ; il serait à lui seul capable de la réformer.

Martin V fit plus encore, il encouragea et protégea les saints suscités par Dieu pour régénérer l'Église. En 1425, sainte Françoise Romaine, la noble épouse de Laurent Ponziani, fondait à Rome, sous les auspices du Pape, la congrégation des Oblates de Tor de Specchi, pieuses femmes du monde qui, sans aucun signe extérieur qui les distinguât, pratiquaient les plus pures vertus religieuses et s'adonnaient à toutes sortes d'œuvres de charité[5]. Deux ans plus tard, des dénonciations calomnieuses déféraient au tribunal de Martin V un des plus grands saints de cette époque, saint Bernardin de Sienne. Depuis près de trente ans, de sa voix puissante, le serviteur de Dieu prêchait au peuple le renoncement et la pénitence. Martin V, non content de l'absoudre des vaines accusations portées contre lui, voulut que Rome fut pendant près de trois mois le champ particulier de son apostolat, et il se fit lui-même l'humble auditeur de l'ardent missionnaire[6].

Mais ces œuvres de réformation intérieure ne compensaient pas, aux yeux superficiels d'une noblesse prévenue et jalouse, les scandales plus ou moins réels du népotisme pontifical. Les partisans du concile s'agitaient ; ils voulaient en devancer la date. Leur intention manifeste était de s'en faire une arme contre la Papauté. Le 8 novembre 1430, des placards, affichés à Rame pendant la nuit, menacèrent le Pape d'une soustraction d'obédience s'il tardait davantage à réunir l'assemblée. Martin V donna satisfaction à ces désirs. Par un décret du mois de février 1431, il confia au cardinal Césarini le soin d'ouvrir et de présider le prochain Concile, qui devait se tenir à Bâle. En même temps, par un autre décret, il autorisa son légat à prononcer, en cas de besoin, la dissolution du Concile ou sa translation dans une autre ville. Peu de temps après, brisé de douleur par les attaques injustifiées, dont il était l'objet, le Pontife mourut, emporté par une attaque d'apoplexie, le 20 février 1431[7].

Les haines dirigées contre Martin V, s'attaquaient moins à sa personne qu'à sa dignité pontificale : les événements qui se pas-aèrent au conclave réuni pour désigner son successeur, en donnèrent la preuve. Le Sacré Collège proposa à l'acceptation des candidats à la tiare une capitulation, qui restreignait singulièrement les pouvoirs du Pape et ses ressources, et le mettait, pour ainsi dire, dans le gouvernement de l'Église, à la merci des cardinaux. Aucune déclaration de guerre, aucune alliance, aucune levée d'impôts ou de décimes ne pourraient être décidées sans le vote de la majorité du Sacré Collège ; aucune nomination de cardinal, d'évêque ou d'abbé ne serait faite hors du consistoire[8].

C'était l'apparition d'un nouveau péril qui, joint aux agitations conciliaires et aux compétitions des princes, allait renaître, pendant tout le XVe siècle, à chaque élection pontificale. Les Papes essaieront d'échapper à ces capitulations en ne les observant pas, puis en recrutant par eux-mêmes, parmi leurs amis et leurs parents, le corps cardinalice. Ce sera remédier à un abus par un autre abus. Un collège ainsi formé ne sera qu'une chambre d'enregistrement pour le Pontife qui l'a composé, et deviendra souvent un centre d'opposition redoutable pour son successeur. La vraie réforme de l'Eglise ne pouvait venir d'une organisation extérieure, tant qu'un esprit de sainteté n'en serait point l'âme et l'inspiration.

 

II

Le nouvel élu, Gabriel Condulmaro, qui prit le nom d'Eugène IV, avait eu la faiblesse d'accepter la capitulation du Sacré Collège. Mais il ne tarda pas à s'en affranchir. Une telle dérogation aux droits imprescriptibles de la Papauté n'était-elle pas frappée de nullité radicale ? L'opposition, d'ailleurs, commençait à se discréditer par ses propres excès. Un parti pris contre la Papauté, un engouement inconsidéré pour la souveraineté des conciles avaient gagné beaucoup d'esprits parmi les meilleurs. On s'en aperçut dès les premières séances.

L'assemblée aurait dû s'ouvrir en mars 1431. Elle ne put inaugurer ses réunions que le 23 juillet, dans une salle à peu près vide[9]. Quatorze évêques ou abbés étaient présents, sous la présidence de Jean de Polomar, qui représentait le cardinal Césarini. L'assemblée se déclara concile œcuménique, rappela le décret Frequens du concile de Constance sur la suprématie des conciles et s'assigna un triple but : réformer l'Église, régler la question hussite et réaliser l'union avec les Grecs.

Le 9 septembre, le cardinal Césarini arriva à Bâle pour y présider en personne l'assemblée comme légat du Pape. Son attitude ne fut pas exempte d'équivoque. D'une part, il approuve tout ce qui avait été fait in statuendo et firmando concilium ; d'autre part, il semble avoir conscience de l'irrégularité radicale de cette minuscule assemblée. Ces quatorze prélats avaient-ils le droit de se déclarer représentants de l'Église universelle[10] ? En grande hâte, Césarini, par une lettre énergique du 19 septembre, presse les évêques de se rendre à l'assemblée de Bâle et, en même temps, dépêche au Pape un ambassadeur pour le tenir au courant de la situation. Cet ambassadeur, Jean Beaupère, chanoine de Besançon[11] fait à Eugène IV un tableau si navrant de ce qui se passe à Bâle, que le Pontife, par sa bulle Quoniam alto du 18 décembre 1431[12], prononce, en vertu de son autorité souveraine, la dissolution du concile. Malheureusement, quand la bulle arriva, Césarini, escomptant le succès de ses demandes pour régulariser la situation, avait déjà célébré solennellement, dans la cathédrale de Bâle, le 14 décembre, l'ouverture du concile. L'exaspération des Pères fut extrême. On en trouve l'écho dans une lettre du légat, écrite le 13 janvier 1432, pour supplier le Pape de retirer la bulle de dissolution. C'est dans cette lettre célèbre que plusieurs historiens ont vu l'annonce prophétique de la révolution luthérienne. La cognée est posée à la racine de l'arbre, s'écriait éloquemment Césarini, et l'arbre s'incline ; il est prêt à tomber ; mais il tient encore ; et c'est nous qui allons précipiter sa chute ![13] Le concile, en effet, feignit d'ignorer la bulle du Pape, et publia, le 21 janvier 1432, une encyclique annonçant au monde sa ferme résolution de continuer ses délibérations.

C'était le début du conflit lamentable qui allait déchirer l'Église dans les organes les plus vénérés de sa sainte hiérarchie. D'un côté, une réunion d'évêques, insignifiante par le nombre, mais soutenue par les grandes universités, qui lui envoient des lettres enthousiastes, encouragée par le roi de France, le roi d'Espagne, l'empereur, presque tous les princes ; de l'autre, le Pape, faible, désarmé, abandonné par son entourage, en conflit avec son légat, préoccupé, dans Rome même, par des émeutes permanentes qui ne lui laissent presque plus de sécurité.

Le concile, enhardi, renouvelle, dans la He session, le 15 février 1432, les fameux décrets des IIIe, IVe et Ve sessions du concile de Constance, et accentue son opposition au Souverain Pontife, déclarant qu'il ne peut être dissous, transféré ni différé par qui que ce soit, pas même par le Pape[14]. Dans les circonstances présentes, ces décrets prenaient une exceptionnelle gravité. On n'était plus, comme à Constance, en présence d'un Pape douteux. Nul ne mettait en discussion la régularité de l'élection d'Eugène IV. Déclarer dans ces conditions la souveraineté du concile, c'était transformer la constitution traditionnelle de l'Église.

Cependant la défaite des troupes de la croisade par l'armée des Hussites diminuait le crédit du Pape ; un parti d'opposition s'était formé contre lui parmi les cardinaux eux-mêmes, qui lui reprochaient la dissolution précipitée du concile. Les cardinaux Capranica, Brando, Aleman, Cervantès, de la Rochetaillée se détachent de lui, les uns après les autres, et adhèrent à l'assemblée de Bâle. Par une aberration qui rappelle l'enthousiasme irréfléchi de tels vénérables Pères des premiers siècles pour l'origénisme, et qui fait songer à tels graves personnages des temps modernes séduits par le jansénisme naissant ou par le libéralisme à ses de buts, on voit un saint cardinal, le Bienheureux Louis Aleman, archevêque d'Arles, poursuivre la chimère d'une Église constitutionnelle concentrant les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire entre les mains d'un concile. Aleman devient bientôt l'âme de l'assemblée de Bâle, puissamment secondé par Nicolas de Cuse, Æneas Sylvius Piccolomini et le légat Césarini lui-même. Dans le programme de l'assemblée, l'abaissement de l'autorité pontificale doit d'ailleurs marcher de pair avec l'exaltation des pouvoirs du concile. Le grand Nicolas de Cuse, avec l'autorité que lui donnent ses éminents services, ses admirables œuvres de réforme et l'austérité de sa vie, n'hésite pas à soutenir, dans son traité De concordia catholica, que le privilège de l'infaillibilité, ayant été donné par le Christ à toute l'Église, ne peut appartenir qu'à un concile œcuménique, qui représente l'Église entière, et non au Pape, qui n'en est qu'un membre. Vit-on jamais doctrine plus pernicieuse soutenue par autant de science et de vertu ?

Dans de si pénibles conjonctures, le Souverain Pontife adopte une tactique dont il ne se départira plus jamais jusqu'à sa mort : maintenir avec fermeté le principe de sa suprématie, et céder à peu près sur tout le reste. Dans les longues négociations qu'Eugène IV poursuit avec les Pères de Bâle, et qu'il serait trop long de raconter, l'extrême condescendance du Pape étonne. Le concile a beau lui intenter un procès, le citer à son tribunal, le sommer de comparaître ; Eugène se garde bien de rompre les négociations avec l'assemblée révoltée. Il traite avec elle de puissance à puissance. Il se contente de faire déclarer, par un de ses plénipotentiaires, l'archevêque de Tarente, l'absolue primauté de ses droits : Lors même, s'écrie le légat, que le monde entier se tournerait contre le Pape, c'est au Pape qu'il faudrait obéir[15]. Enfin, pressé par l'empereur, Eugène se décide à retirer son décret de dissolution et à reconnaître, par sa bulle Dudum sacrum (1re forme) du 1er août 1433, puis, par sa bulle Dudum sacrum (2e forme) du 15 décembre, la régularité du concile de Bâle sous réserve, ajoute-t-il dans sa première bulle, de ses propres droits et de ceux du Saint-Siège apostolique[16]. On était parvenu à la 16e session.

Pendant ce temps, profitant des embarras du Souverain Pontife et de l'effervescence des esprits, un des nombreux tyrans qui désolaient l'Italie, le duc de Milan, ce Philippe-Marie Visconti, qui semblait, dit Burckhardt[17], avoir hérité l'immense capital de cruauté et de lâcheté accumulé de génération en génération dans sa famille envahissait les États de l'Église : le Pape n'eut d'autres ressources que de nommer porte bannière de l'Église et défenseur de ses États le condottière François Sforza. C'était infliger au pouvoir pontifical une humiliation nouvelle. Presque toutes les grandes familles romaines s'étaient peu à peu détachées d'Eugène IV. Le Pape n'eut plus qu'à s'enfuir de Rome.

Retiré à Florence, où la renaissance de l'antiquité était plus florissante que partout ailleurs, l'infortuné Pontife, dont l'esprit était droit, y fit œuvre de protecteur éclairé des lettres et des arts. Il favorisa, à l'exemple de Martin V, l'humanisme chrétien, condamna Beccadelli, tint à l'écart Valla, réserva ses faveurs pour l'intègre cardinal Bessarion et pour le vertueux Flavio Biondo.

Le 9 juin 1435, dans sa 21e session, le concile de Bâle vote l'abolition des annates, droits de pallium, taxes et impôts de toutes sortes perçus au profit du Saint-Siège. De Florence, où il vit d'aumônes, le Pape proteste par un mémoire adressé aux cours de l'Europe. Bientôt Aleman, Nicolas de Cuse et Césarini sont débordés. A partir de la 25e session, les scènes tumultueuses se multiplient. Le cardinal Aleman avait eu l'imprudence d'introduire au concile un certain nombre d'ecclésiastiques des environs. Il se forme, grâce à eux, dans l'assemblée, une majorité nettement révolutionnaire. Le 7 mai 1437, le cardinal Césarini ayant fait voter un décret proposant, suivant le désir du Pape, de poursuivre les délibérations à Florence ou à Modène, les opposants font une telle obstruction, qu'on peut redouter que les deux parties n'en viennent aux mains dans la cathédrale[18]. L'archevêque de Tarente est obligé de prendre la fuite. Les représentants de l'Église grecque, qui étaient à Bâle depuis la fin de juillet 1434, mais qui n'avaient jamais accepté Bâle comme lieu de réunion du concile, quittent la ville et se rendent à Bologne, où le Pape réside depuis le mois d'avril 1436. Césarini refuse de présider la 26e session. Après de patients et vains efforts pour amener les Pères de Bâle à se soumettre, Eugène IV, par une bulle du 30 décembre 1437[19], ordonne définitivement la translation du concile à Ferrare. Mais les prélats et les divers ecclésiastiques qui formaient la prétendue majorité du concile n'acceptent pas cette bulle et continuent à siéger à Bâle, sous la présidence du cardinal Aleman. Il y a désormais deux assemblées. En face du concile de Ferrare, présidé par le Pape, reconnu par l'empereur, accepté par les Grecs, le concile de Bâle continue son œuvre de violence et d'anarchie.

A partir de ce moment, il ne peut y avoir de doute sur l'illégitimité du concile de Bâle. Mais des théologiens se sont demandé si les sessions antérieures du concile ne jouissent pas d'une autorité doctrinale, au moins partielle. Bossuet[20], s'appuyant sur diverses bulles du Pape et particulièrement sur celle qui transfère le concile de Bâle à Ferrare, a soutenu l'opinion de l'œcuménicité du concile jusqu'au ter janvier 1438, et pensé que tous ses décrets avaient une autorité dogmatique. Cette opinion n'est plus soutenable. D'autres ont pensé que l'œcuménicité du concile n'entraînait pas l'autorité de ses décisions relatives à la puissance du Pape. L'autorité d'un concile, disent-ils, est limitée par l'approbation que lui donne le Souverain Pontife : or, Eugène IV, pas sa première bulle Dudum sacrum, et surtout par sa déclaration de 1446, a expressément réservé tous les décrets qui attaqueraient la suprématie du saint Siège[21]. D'autres enfin soutiennent, avec plus de raison, semble-t-il, que bien que convoqué pour être un concile œcuménique, le concile de Bâle ne l'a jamais été de fait ; que les paroles d'Eugène IV n'ont pas la portée qu'on leur attribue ; qu'elles ont été écrites en un moment où le Pape était obligé d'user d'une très grande prudence, devait éviter toute expression blessante, tout ce qui pouvait soulever l'opinion ; que le concile de Bâle-Ferrare-Florence, si l'on veut l'appeler ainsi, n'est devenu œcuménique que du jour où il a réuni toutes les conditions qui font l'œcuménicité ; que le concile de Bâle, légitime dans son commencement, suivant l'expression de Bellarmin[22], ne peut être considéré comme la représentation de l'Église universelle, à cause du nombre dérisoire des évêques qui y ont pris part ; que toutes ses décisions ont été viciées par le vote d'ecclésiastiques qui n'y avaient nul droit et qui ont fait la majorité ; enfin que, dans les circonstances les plus graves, les légats n'y ont pas joui de la liberté nécessaire[23].

 

III

Des trois questions que le concile de Bâle s'était proposé de résoudre, celle de l'union des Églises était la plus urgente. Les autres pouvaient attendre. Des réformes disciplinaires votées par l'assemblée révoltée, plusieurs étaient excellentes, mais le moment ne semblait pas venu de les reprendre ; la question hussite avait reçu une solution, au moins provisoire, par l'approbation donnée aux fameux compactata de Prague[24] ; mais la question grecque s'imposait. Les progrès constants des Turcs autour de Constantinople pressaient les empereurs grecs de s'appuyer sur l'Occident, de revenir à l'Union si heureusement conclue en 4274 par le second concile de Lyon, et si malheureusement rompue par Michel Paléologue. D'autre part, le prestige de la haute culture des Grecs les rendait plus que jamais sympathiques aux lettrés d'Europe. Lorsque, en 1436, on apprit que l'empereur avait envoyé à tous les princes, patriarches et évêques grecs résidant hors de l'empire byzantin, notamment aux princes de Russie et de Valachie, des ambassadeurs pour les engager à prendre part au concile d'union, ce fut une grande joie dans la chrétienté. En abordant à Venise le 28 février 1438, Jean VII Paléologue fut accueilli au nom du Pape par le cardinal Traversari avec la plus grande magnificence. Les scandales du concile de Bâle n'avaient pas découragé les Grecs ; ils se dirigèrent vers Ferrare, pleins de confiance. Les autres églises d'Orient, les Arméniens, les Jacobites, les Coptes, les Chaldéens et les Maronites suivaient leurs exemples. Un seul point noir obscurcissait l'horizon, aux yeux des politiques avisés. Plus la puissance des Grecs était tombée, plus leur passion empressée pour les honneurs semblait avoir grandi. Si le Pape est plus âgé que moi, disait à Venise le patriarche de Constantinople, je l'honorerai comme un père ; s'il est du même âge, je le traiterai comme un frère ; et s'il est plus jeune, comme un fils. A peine arrivé à Ferrare, il proteste contre la cérémonie du baisement des pieds. Eugène, décidé à faire toutes les concessions possibles, en dispense tous les Grecs. Il leur permet de célébrer le service divin dans leur rite, et accorde au Patriarche, dans la cathédrale où se célèbre le concile, un siège semblable à celui du Pape, mais un peu plus bas. Il ne faut pas moins que ces honneurs pour calmer la susceptibilité des Orientaux.

Quatre questions divisaient les Latins et les Grecs : la question de la procession du Saint-Esprit ou du Filioque, celle des azymes ou de la qualité du pain servant à l'Eucharistie, celle du purgatoire et celle de la primauté du Pape. La commission du concile, composée de cinq Pères latins et de cinq Pères grecs, les aborda franchement dès la troisième conférence préliminaire. Mais on ne tarda pas à voir surgir mille difficultés. Ni les princes d'Orient ni les princes d'Occident, impatiemment attendus, ne s'empressaient de se rendre au concile. Les Pères de Bâle, loin de se rallier, multipliaient leurs malédictions et leurs condamnations à l'adresse de l'assemblée de Ferrare. Une étrange prétention de l'empereur, qui voulait aller à cheval prendre possession de son trône dans la cathédrale, faillit tout compromettre. Mais la sagesse du Pape évita le conflit. Eugène calma l'empereur en le comblant d'autres marques d'honneur, en accordant aux Grecs le privilège d'ouvrir la première session par un discours inaugural et en leur concédant, dans la discussion, le rôle de l'attaque, tandis que les Latins auraient celui de la défense. Comme quelqu'un objectait l'absence des prélats réunis à Bâle, Là où je suis, avec l'empereur et le patriarche de Constantinople, dit le Pape, là est toute la chrétienté.

La question du Filioque apparut dès le début comme devant presque absorber toutes les autres. Les Grecs, avec une grande force, reprochèrent aux Latins 1° de maintenir dans leur symbole l'addition du mot Filioque, malgré l'interdiction absolue du concile d'Éphèse et 2° de professer que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, tandis que les premiers Pères avaient enseigné qu'il procède du Père par le Fils. Leurs deux orateurs principaux, d'une valeur morale bien inégale, furent l'illustre archevêque de Nicée, Bessarion, et l'habile métropolitain d'Ephèse, Marc Eugène, plus connu sous le nom de Marc d'Ephèse. Au premier chef d'accusation, les Latins répondirent que la défense faite par le concile d'Ephèse d'ajouter un nouvel article de foi au symbole, έτέραν πίστιν προσφέρειν, ne visait que l'addition d'un élément nouveau, pris en dehors du texte, et non l'explication précise d'un texte déjà contenu dans le symbole. Or tel est, ajoutèrent-ils, le cas de l'addition incriminée, car il est de doctrine constante chez les Pères grecs et latins que, suivant l'expression de saint Basile, tout est commun entre le Père et le Fils, excepté que le Fils n'est pas le Père[25]. Interdire toute addition explicative serait jurer par la lettre et l'estimer plus que l'esprit. Qu'est-ce que le symbole de Nicée, s'écria l'archevêque de Rhodes, sinon une amplification explicative du symbole des apôtres, et le symbole de Constantinople, sinon une explication de celui de Nicée, et le symbole d'Ephèse, sinon une explication du symbole mixte formé par ceux de Nicée et de Constantinople ? De nouvelles hérésies rendront toujours nécessaires de nouvelles explications : se les interdire serait douter de la parole du Maître, qui a promis son assistance à l'Église pendant tous les siècles[26].

La discussion en était là quand l'apparition de la peste à Ferrare et diverses considérations administratives et financières décidèrent le Pape à transférer le concile à Florence[27]. On y aborda la question dogmatique de la procession du Saint-Esprit. Le provincial des dominicains, Jean de Schwarzemberg, démontra victorieusement, contre Marc d'Ephèse, que les Pères grecs, en enseignant que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils, ne professent pas une doctrine différente des Pères latins, qui enseignent que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils ; que, du reste, les Latins n'admettent qu'un seul principe, une seule cause de procession, commune au Père et au Fils 3. Bessarion, dans un grand discours, prononcé le dimanche in albis, se déclara loyalement convaincu par ces raisons[28]. Sur l'invitation de l'empereur lui-même, les Grecs se réunirent pour délibérer sur l'union. La majorité déclara que, du moment que l'Église latine enseignait que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils comme d'un seul principe et par un seul acte, il n'y avait plus, de ce chef, d'obstacle à l'union[29]. Le 8 juin 1439, Orientaux et Occidentaux se donnèrent le baiser de paix en signe d'union[30].

Les points qui restaient à discuter n'avaient plus qu'une importance secondaire. Sur l'Eucharistie, il fut défini que la transsubstantiation a lieu aussi bien dans le pain azyme que dans le pain fermenté[31]. Quant au purgatoire, sans prétendre rien déterminer de spécial sur sa nature et sur son emplacement, on déclara qu'il était le lieu où se purifient les âmes qui n'ont pas suffisamment satisfait pour leurs péchés par de dignes fruits de pénitence. On ajouta que les âmes des personnes décédées en état de péché, actuel ou originel, descendent en enfer, pour y subir des peines diverses[32]. Quant à la primauté du Pontife de Rome, elle fut proclamée par le concile de Florence avec une clarté et une précision qui n'avaient pas encore été atteintes dans un document officiel de l'Église. Grecs et Latins' proclamaient et définissaient que le Saint-Siège et le Pontife romain ont un droit de primauté sur tout l'univers, que le Pontife romain est le successeur du Bienheureux Pierre, prince des apôtres, le vrai vicaire du Christ, le Père et le Docteur de tous les chrétiens[33]. Les Grecs pouvaient se retirer après un tel acte, et, sous l'influence de rivalités politiques ou d'antipathies de race, se séparer de l'Église romaine. Ils venaient de signer leur propre condamnation[34].

L'acte d'union fut promulgué le 6 juillet 1439. Cieux, réjouissez-vous I disaient les Pères, terre tressaille de joie ! Le mur qui séparait les Églises d'Orient et d'Occident est tombé !

Cependant Marc d'Ephèse ne pouvait supporter l'humiliation de ce qu'il appelait sa défaite, de ce qu'il aurait dû appeler le triomphe de la vérité et de la paix. Le rusé patriarche, qui avait trouvé un prétexte pour ne pas assister aux dernières délibérations, refusa de signer l'acte d'union. Bientôt on le vit saisir toutes les occasions de susciter des troubles et de soulever le clergé et les moines contre le concile. Exploitant avec habileté toutes les rancunes nationales, tous les préjugés, toutes les passions, il acquit bientôt une popularité presque universelle. Marc d'Ephèse était désormais le héros de la foi grecque ; les prélats orientaux n'étaient, disait-on, que les esclaves des Latins, des apostats, des traîtres. Le mouvement gagna quelques évêques. L'empereur, ébranlé, soutint mollement la cause du concile. Une fois de plus, l'Église grecque retournait au schisme déclaré[35].

Le concile continua à siéger pendant trois ans et publia successivement des décrets d'union relatifs aux Arméniens, aux Jacobites, aux Ethiopiens, aux Syriens et aux Chaldéens. C'est dans l'acte d'union avec les Arméniens que se trouve le fameux Decretum ad Armenos, où la doctrine des sacrements est si complètement formulée[36].

Tous les Grecs n'avaient pas fait défection. Le plus illustre d'entre eux, le grand Bessarion, qui avait été le plus actif et le plus sincère des négociateurs de la paix, resta fidèle à l'Église romaine, en même temps que plusieurs des plus notoires de ses compatriotes. Promu cardinal le 8 décembre 1439, il devait travailler toute sa vie à rétablir une union si malheureusement rompue ; son nom et ses travaux inspirent encore ceux qui de no jours se dévouent à l'œuvre de l'union des deux Églises.

Cependant une partie des Pères du Concile de Bâle étaient entrés résolument, eux aussi, dans la voie du schisme. Abandonnés par Césarini, Nicolas de Cuse et plusieurs des Pères les plus notables, après le décret de dissolution vingt-cinq évêques et dix-sept abbés continuaient à légiférer contre le Pape. Le 21 janvier 1438, ils avaient voté la déposition d'Eugène IV ; le 5 novembre 1439, ils élirent un antipape, l'ambitieux duc Amédée de Savoie, qui prit le nom de Félix V. Mais abandonnée par l'Aragon et par l'Ecosse, n'étant plus soutenue par l'Allemagne et par la France, l'assemblée schismatique reçut le coup de grâce. Par ses habiles démarches, le célèbre Æneas Sylvius Piccolomini, le futur Pie II, détrompé, comme Césarini et Nicolas de Cuse, de ses illusions, fit tout au monde pour ruiner l'autorité du pseudo-concile.

 

IV

La France et l'Allemagne ne comprirent malheureusement pas du premier coup que la solution de la crise était dans la conclusion de concordats avec le saint Siège restauré dans tous ses droits. Au concile de Bâle, nulle nation ne s'était montrée plus résolue que la nation française à imposer au Pape les décrets réformateurs ; nul n'avait attaqué plus violemment la cour de Rome que le chef de l'ambassade française, Amédée de Talara, archevêque de Lyon[37]. La cause de cette opposition était moins dans l'esprit schismatique du roi Charles VII, que dans des griefs d'ordre bénéficiai et fiscal. On reprochait au Pape de disposer des bénéfices de France au profit d'étrangers[38] ; on se plaignait des mesures fiscales qui, depuis cent ans, disait-on, faisaient émigrer vers l'Italie l'or français, ce vray et pur sang du royaume, comme disait un gallican. Quand le concile de Bâle eut promulgué ses décrets de réforme, Charles VII se trouva fort embarrassé. Qu'allait-il faire ? Accepter en bloc les décrets du concile ? C'était le schisme, avec ses redoutables conséquences. Les rejeter en bloc ? Le roi de France craignit, en agissant ainsi, de trop accorder au Pape, de mettre sa politique en contradiction avec elle-même. Les décrets conciliaires du 13 juillet 1433 et du 22 mars 1436, qui exigeaient que le droit des électeurs canoniques ne fût suspendu que pour cause majeure, raisonnable et évidente, celui du 22 mars 1436, qui abolissait toutes les réserves, hors celles qui étaient admises dans le Corpus juris, celui du 24 janvier 1438, qui supprimait le droit d'appel en cour de Rome, si ce n'est pour les causes majeures énumérées dans le droit canon, étaient trop conformes aux demandes de la chancellerie française, pour que le roi n'essayât point de s'en servir. En de semblables conjonctures, les rois de France avaient l'habitude de s'abriter, au moins pour la forme, derrière une décision du clergé du royaume[39]. Charles VII convoqua à Bourges, pour le 1er mai 1438, une assemblée du clergé, à laquelle se rendirent les nonces du Pape et les envoyés du concile de Bâle. Après plusieurs jours de discussion, où les réclamations du Pape et les prétentions du Concile furent longuement exposées et discutées, l'Assemblée décida que chaque décret de Bâle lui serait soumis, pour qu'elle pût librement l'accepter, le modifier ou l'écarter. De fait, un grand nombre de décrets, qui n'avaient d'autre tort que d'avoir été votés par une assemblée illégitime, furent acceptés, tels que la récitation des heures canoniales et la bonne tenue dans les églises (sess. XXI, c. 3-11), sur l'abus des interdits (sess. XX, c. 1-3), sur les appels frivoles (sess. XX, c. 4). On adoucit la teneur de quelques décisions[40]. Mais le décret qui renouvelait la doctrine de Constance sur la supériorité des conciles fut pleinement adopté, et l'assemblée de Bourges n'hésita pas à renchérir sur les mesures qui touchaient à l'intervention du Pape dans la collation des bénéfices. De son propre chef, elle décréta des peines sévères contre ceux qui accepteraient ou qui se procureraient des expectatives[41].

La Pragmatique Sanction de Bourges fut promulguée le 7 juillet 1438. Elle était précédée d'un préambule violent, où il était question de cupidités déchaînées, de bénéfices livrés aux étrangers, d'or transporté hors du royaume. Le lendemain, Charles VII fit savoir au concile de Bâle qu'il acceptait en principe ses réformes.

Par cet acte, la neutralité que l'assemblée de Bourges avait prétendu garder entre le Pape et le concile, était violée. Deux ans plus tard, après la scandaleuse élection, par le concile, de l'antipape Félix V, une nouvelle assemblée, réunie à Bourges, sépara nettement la cause du clergé de France de celle de l'assemblée schismatique et déclara vouloir persister en l'obédience d'Eugène IV. Mais le Souverain Pontife n'accepta jamais la Pragmatique de Charles VII. Le Concordat de 1516, conclu entre Léon X et François Ier, devait seul mettre fin au conflit.

L'Allemagne, grâce aux actives démarches d'Æneas Sylvius Piccolomini, arriva plus tôt à la solution normale du Concordat. Une diète de Mayence s'était, en 1439, prononcé pour les principes du pseudo-concile de Bâle, à peu près dans le sens de la Pragmatique de Bourges ; mais l'habile Æneas Sylvius empêcha la déclaration de Mayence d'avoir force de loi, en gagnant l'empereur Frédéric III à la cause du Pape. Le Concordat des princes, conclu en février 1447, fut le prélude du Concordat de Vienne qui, le 17 février 1448, un an après la mort d'Eugène IV, renouvela dans ses principales dispositions le concordat signé à Constance sous Martin V.

Félix V, à peu près abandonné de tous, abdiqua l'année suivante. Ce fut le dernier des antipapes.

 

V

L'échec désastreux des armées chrétiennes à la bataille de Varna, livrée contre les Turcs le 10 novembre 1444, assombrit les dernières années d'Eugène IV. La prédication de la croisade avait, comme toujours, soulevé l'enthousiasme populaire ; mais la plupart des princes de l'Europe s'étaient montrés pleins de froideur pour l'entreprise. Trois héros, Scanderbeg, Jean Hunyade et Ladislas, roi de Hongrie, avaient conduit aux combats les masses du bas peuple qui étaient accourues pour se joindre aux troupes hongroises, polonaises et albanaises. Mais il avait fallu céder devant des forces supérieures.

Quelques années plus tôt, le Pape avait pu se demander si la Fille aînée de l'Église n'allait pas disparaître du nombre des nations. Depuis la bataille d'Azincourt, qui, en 1415, l'avait livrée à la suprématie anglaise, la France n'avait fait que décliner. Un célèbre écrit du temps la représentait comme une noble et triste reine, dont la couronne était prés de tomber, sans que ses trois enfants, le Clergé, la Noblesse et le Tiers-État fussent capables de lui venir en aide[42]. Au printemps de 1429, sous l'inspiration de Dieu, une humble jeune fille, Jeanne d'Arc, s'était levée, incarnant le patriotisme du peuple vaincu, et, après une glorieuse campagne sur les bords de la Loire, avait fait sacrer à Reims le roi Charles VII. Mais, avec la connivence des Bourguignons et la complicité du vice-inquisiteur de France, Jean le Maistre, les Anglais avaient fait condamner par un tribunal irrégulier[43] et avaient livré au bûcher sur la place publique de Rouen l'héroïque Pucelle (1431). Le supplice de Jeanne avait été le point de départ de nouvelles victoires pour les Français. Six ans plus tard, en 1436, conformément à la prédiction de la Pucelle, la bannière blanche aux fleurs de lys flottait sur Paris, et 17 ans après, en 1453, les troupes anglaises étaient, suivant l'expression de la Vierge d'Orléans, complètement boutées hors de France. La guerre civile des deux Roses allait achever de faire expier à l'Angleterre le crime de Rouen[44].

La libération de la France n'avait pas été le seul résultat de la mission de Jeanne d'Arc. A une époque où l'idée moderne de nationalité s'oppose à la conception médiévale de la chrétienté, Jeanne dans la simplicité de son patriotisme et de sa foi, incarne, tout ensemble, en les corrigeant et en les complétant l'une par l'autre, la jeune idée de l'intégrité nationale et la vieille idée de l'unité chrétienne[45]. C'est surtout parce qu'elle voit dans la France le champion de la chrétienté, qu'elle veut la victoire de la France. Ceux qui font la guerre au dit saint royaume, écrit-elle au duc de Bourgogne, font la guerre au roi Jésus[46]. Elle rêve après l'expulsion des Anglais, d'une seconde campagne, dans laquelle, chevauchant avec les Anglais eux-mêmes sous le guidon de Charles VII, elle combattrait pour les intérêts généraux de la Chrétienté. Entraîner vers une nouvelle croisade le monde chrétien pacifié, tel est son but suprême[47]. Au milieu d'un siècle de corruption et de scandale, cette fille du peuple jette sur le monde un tel éclat de vaillance et de pureté, de piété exquise et de bon sens robuste, que le monde en est comme rajeuni. Détruire l'anglaiserie est le moindre des faits qui lui sont réservés, écrit Christine de Pisan. Elle a d'ailleurs plus haut exploit : c'est que la foi ne périsse[48]. Et l'instinct du peuple entrevoit toute l'ampleur de cette mission, lorsque, dans une des prières qu'il récite à la messe pour Jeanne captive, il dit à Dieu : Accordez-nous de la voir, sans aucun mal, libre de la puissance des Anglais, accomplir littéralement tout ce que vous lui avez prescrit par une seule et même mission[49].

Eugène IV mourut le 23 février 1447. Ses qualités physiques et morales ne semblaient pas le destiner aux humiliations presque continuelles de son pontificat. De noble origine, de haute taille, d'un aspect si imposant que les personnes admises en sa présence osaient à peine, dit-on, lever les yeux vers lui, il était bon, généreux, et vécut toujours comme un saint prêtre. Nul n'osa le soupçonner d'avoir distribué des faveurs à ses proches ou à ses amis. Il fut de ceux qui ont à supporter le poids des infortunes accumulées par la fatalité des événements et la méchanceté des hommes, et ne recueillent qu'en l'autre vie la récompense de leurs épreuves terrestres.

 

 

 



[1] JEAN DE RAGUSE, Monum. concil., t I. p. 66. — PASTOR, t. I, p. 248, et Noël VALOIS, La crise religieuse du XVe siècle : le Pape et le concile, Paris, 1909, p. 3.

[2] Cf. BAUDRILLART, Quatre cents ans de concordat, p. 17, p. 44 et s. Le mot de concordat se trouve pour la première fois dans le traité de Worms, qui mit fin en 1122 à la querelle des investitures.

[3] Voir sur ce sujet H. DE L'EPINOIS, Le gouvernement des Papes au Moyen Age, p. 402 et s. Voici quelques unes des mesures prises par Martin V : il organise l'entrée des approvisionnements de Rome (THEINER, Codex diplomaticus Dominii temporalis Sanctæ Sedis, in-f° 1861-1862, t. III, p. 223) ; il veille à la salubrité de la ville en remettant en exercice la charge de maître des rues et des canaux (Ibid., p. 231) et en nommant un défenseur du cours d'eau de l'Aqua Morana (Ibid., 234) ; il établit un commissaire pour la réparation des églises et prend des mesures pour en empêcher le pillage (Ibid., 220) ; il proscrit les abus qui s'étaient introduits dans la perception des péages sur le Tibre au profit de personnes privées (Ibid., 229) ; il veille à l'uniformité des poids et mesures (GARAMPI, Saggi di osservazioni sul valore delle autiche monete pontificie, p. 84) ; il poursuit les fabricants de fausse monnaie (Ibid., p. 85) ; il veille avec une attention scrupuleuse au recrutement de la magistrature et au choix des syndics (THEINER, loc. cit., p. 201, 218, 242, 243) ; pour certaines affaires plus importantes ou plus délicates il nomme d'office des commissaires spéciaux (THEINER, loc. cit., 239). La seule énumération de ces réformes indique le triste état dans lequel était tombée l'organisation temporelle des Etats du Saint-Siège pendant le grand schisme.

[4] D'après l'Instrumentum electionis civitatis basilensis, document officiel, étaient présents : pour la nation italienne, l'évêque Pierre de Castro, le docteur Dominique de San Geminiano, et l'abbé Nicolas de Saint Donat, représentant spécialement le Territoire de Sienne : pour la nation française, Guillaume, évêque de Cavaillon, et deux abbés ; pour la nation allemande, le docteur Hartung de Rappel et le prémontré Théodérich d'Andel ; pour la nation anglaise, l'évêque Frentz, d'Acqs, en Gascogne, qui était alors sous la domination de l'Angleterre, et un chanoine ; pour la nation espagnole, enfin, l'abbé Pierre de Saint-Vincent, chanoine de Tolède. Nicolas de Saint-Donat, représentant de Sienne, et Pierre de Saint-Vincent, représentant de l'Espagne, déclarèrent n'avoir reçu aucun mandat relativement au choix d'une résidence du concile ; mais les autres se prévalurent des pleins pouvoirs qu'ils avaient reçus, et la petite assemblée à l'unanimité désigna la ville de Bêle comme siège du concile. Les légats pontificaux confirmèrent cette décision au nom du Pape, en vertu des pouvoirs qui leur avaient été délégués (MANSI, t. XXIX, p. 6-10, HÉFÉLÉ, t. XI, p. 143-144). M. Noël Valois, dans son ouvrage : La crise religieuse du XVe siècle : le Pape et le Concile, 2 vol in-8°, Paris, 1909, démontre (t. I, p. 76-80) que la responsabilité de l'échec du concile réuni à Sienne retombe lourdement sur tous ceux, princes, prélats, docteurs, qui, convoqués à Sienne, négligèrent de s'y rendre (p. 79).

[5] J. RABGRY, Vie de sainte Françoise Romaine, Paris, 1884.

[6] THUREAU-DANGIN, Saint Bernardin de Sienne, Paris, 1896.

[7] RAYNALDI, ad an. 1431, n° 5-7, et BURCHARD, Diarum, édit. THUASNE, t. I, p. 33 et s.

[8] M. Valois pense, et avec raison, ce semble, que la capitulation, concentrant des pouvoirs si étendus dans le Sacré Collège, n'était pas seulement dirigée contre le Pape, mais aussi contre les conciles, dont on redoutait l'ingérence dans les affaires de l'Eglise. Noël VALOIS, loc. cit., t. I, p. 100.

[9] Les documents relatifs an Concile de Bâle se trouvent dans les Monumenta conciliorum generalium sœculi decimi quinti, vaste collection commencée en 1857.

[10] Monumenta conciliorum, t. I, p. 105.

[11] Trop célèbre par son rôle au procès de Jeanne d'Arc. Voir DENIFLE et CHÂTELAIN, Le proc. de Jeanne d'Arc et l'Univ. de Paris, dans Mémoires de la Soc. de l'hist. de Paris, 1897, p. 18.

[12] MANSI, XXIX, 564.

[13] JOANNIS DE SEGOVIA, Hist. conc. basilensis, dans les Monumenta generalium conciliorum sœculi, XV, édit. Palacki et Birk, Vienne, t. II, p 97.

[14] Monumenta conc., t. II, p. 124-125.

[15] MANSI, XXIX, 482-492.

[16] Bulle du 1er août 1433. MANSI, XXIX, 574. La bulle du 15 décembre ne renouvelle point cette restriction. MANSI, 78-79, mais elle ne la rétracte pas non plus. Eugène IV la reprendra en 1446 avec une grande force.

[17] BURCKHARDT, La civilisation en Italie au temps de la Renaissance, trad. Schmitt, t. I, p. 16.

[18] Voir le récit dramatique de ces événements dans VALOIS, Le Pape et le Concile, t. I, p. 331-249.

[19] Monumenta concil., II, 1143.

[20] Defensio declarationis oleri gallicani.

[21] RAYNALDI, an. 1446, n° 3.

[22] BELLARMIN, De conciliorum utilitate, l. II, c. XIX ; De Ecclesia militante, l. III, c. XVI.

[23] Mgr BAUDRILLART, au mot Bâle (concile de), dans le Dictionnaire de théologie catholique de VACANT-MANGENOT. Cf. HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des conciles, t. I, p. 83-88.

[24] Les Hussites, organisés militairement, s'étaient construit dans les environs de Prague une place forte, qu'ils appelèrent le Tabor. Leurs exigences étaient formulées en quatre articles : liberté de la prédication, usage du calice, suppression de la propriété ecclésiastique et punition de tout péché mortel par le pouvoir civil. Les Pères du concile de Bâle, à la suie de pourparlers avec les Hussites modérés, dits Calixtins, leur firent accepter : 1° que l'usage du calice ne serait accordé qu'à ceux qui reconnaitraient la présence réelle sous les deux espèces ; 2° que les péchés mortels ne pourraient être châtiés que s'ils étaient publics et par les autorités compétentes ; 3° que la liberté de la prédication ne s'exercerait que sous la sauvegarde de l'autorité épiscopale, et 4° que l'Eglise pourrait posséder et administrer des biens meubles et immeubles. Ce furent les Compactata de Prague, du 30 novembre 1433. La victoire, remportée par les Hussites modérés sur les Taborites en 1434, à Lipan, assura le succès des Compactata. Les Calixtins revinrent peu à peu à l'Eglise romaine ; mais les Taborites conservèrent leurs doctrines et leur esprit à l'état latent. Ils devaient reparaître sous le nom de Frères Bohèmes Cf. HÉFÉLÉ, XI, 270-200.

[25] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, XI, 405 et s.

[26] MANSI, XXXI, 551-566.

[27] Les Florentins, espérant retirer de grands avantages financiers de la tenue du concile dans leur ville, offrirent au Pape des sommes considérables. Eugène IV, dont les finances étaient très obérées, qui pouvait à peine subvenir aux dépenses les plus essentielles occasionnées par le concile, et qui se souvenait d'ailleurs de la généreuse hospitalité qu'il avait reçue naguère dans la ville de Florence, se prononça pour la translation. Les Grecs y consentirent, à la condition qu'on leur paierait tous les arrérages pécuniaires sur leurs frais de séjour et qu'on leur octroierait de nouveaux avantages financiers. HÉFÉLÉ, XI, 414-415.

[28] MANSI, XXXI, 878.

[29] DENZINGER-BANNWART, 691.

[30] MANSI, XXXI, 894.

[31] DENZINGER-BANNWART, 692.

[32] DENZINGER-BANNWART, 693. Par le mot enfer, il est évident que le concile désigne simplement, suivant le langage de l'époque, l'exclusion du ciel.

[33] DENZINGER-BANNWART, 594 ; Monumenta conciliorum seculi XV, t. III, p. 336.

[34] Le lendemain, le patriarche de Constantinople, Joseph, mourait en laissant une profession de foi, susceptible d'une interprétation catholique. Voir à ce sujet HÉFÉLÉ, XI, 444-449.

[35] Marc d'Ephèse mourut impénitent à Constantinople le 23 juin 1449, après une très douloureuse maladie. Cf. S. PÉTRIDÈS, La mort de Marc d'Éphèse, dans les Echos d'Orient de janvier 1910, VI, 19-21.

[36] DENZINGER-BANNWART, 695-702.

[37] Noël VALOIS, Histoire de la Pragmatique Sanction de Bourges, Paris, 1906, p. LXXVI-LXXVII.

[38] Noël VALOIS, Histoire de la Pragmatique Sanction de Bourges, p. LVI-LVII.

[39] Noël VALOIS, p. LXXVIII.

[40] Par exemple, celle qui excluait les neveux du Pape du Sacré Collège, celle qui supprimait purement et simplement les annales.

[41] N. VALOIS, p. LXXXIV-LXXXX.

[42] ALAIN CHARTIER, Le Quadrilogue invectif.

[43] Les irrégularités du procès de Jeanne d'Arc furent nombreuses. La plus grave fut la substitution, dans les documents, d'une formule d'abjuration différente de celle que l'accusée avait lue près de l'église de Saint-Ouen. Pierre Cauchon, vieux praticien, depuis longtemps exercé aux roueries de la chicane, sut conduire les débats de manière à donner l'illusion qu'il respectait les règles du droit. En réalité, il ne chercha qu'à étouffer la vérité... Les juges suspects de sympathie pour la Pucelle furent exclus ou intimidés... Les informations préparatoires faites à Domrémy, étant favorables à Jeanne d'Arc, furent passées sous silence et omises dans le procès-verbal... Cauchon n'offrit un conseil à l'accusée qu'à la fin du procès... Bien plus, il chargea un chanoine de Rouen, Loyseleur, de lui donner, sous le sceau de la confession, des conseils destinés à la perdre. PETIT-DUTAILLIS, dans l'Histoire de France, de Lavisse, t. IV, 2e partie, p. 64, 65. — Voir Le procès de Jeanne d'Arc, dans Dom LECLERCQ, Les Martyrs, t. VI, p. 9, 295.

[44] Sur Jeanne d'Arc, voir WALLON, Jeanne d'Arc, Paris, 1860. — PETIT DE JULLEVILLE, Jeanne d'Arc, Paris, 1900. — MARIUS SEPET, Jeanne d'Arc. — DUNAND, Histoire complète de Jeanne d'Arc, 3 vol., Paris, 1902. — R. P. AYROLES, La vraie Jeanne d'Arc, Paris, 1893-1898. — QUICHERAT, Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d'Arc, 5 vol., Paris, 1841-1849. — Ulysse CHEVALIER, L'abjuration de Jeanne d'Arc au cimetière de Rouen, Paris, 1902. — DURAND, Etudes critiques sur l'histoire de Jeanne d'Arc, 3 vol., Paris, 1904-1909. — M. Anatole FRANCE a publié, en 2 volumes, une Vie de Jeanne d'Arc, dont la critique a été faite par M. Achille LUCHAIRE, (Grande Revue de mars 1908), par M. FUNCK BRENTANO, Revue hebdomadaire du 4 juillet 1908, par M. l'abbé DUNAND (Revue prat. d'Apolog. du 1er avril 1909), et surtout par l'historien anglais Andrew LANG, La Jeanne d'Arc de M. France, 1 vol. in-8°, Londres, 1909. Cf. Revue des Deux-Mondes du 15 avril 1909, p. 910-983. Voir aussi D'ARGENTRÉ, Collectio judiciorum.

[45] G. GOYAU, Vieille France, jeune Allemagne, p. 20.

[46] AYROLES, La vraie Jeanne d'Arc, t. IV, p. 58-59.

[47] Sur ce rôle de Jeanne d'Arc, voir G. GOYAU, Vieille France, jeune Allemagne, chap. II, Jeanne d'Arc, nationalité et chrétienté.

[48] Cité par AYROLES, t. III, p. 265.

[49] AYROLES, t. I, p, 78-80 et p. 687-688.

Le Bref de Béatification du 18 avril 1909 résume ainsi la vie et les vertus de la vierge de Domrémy.

En l'an de grâce 1428, les troubles civils et les discordes intestines joints aux horreurs d'une guerre longue et acharnée avec les Anglais avaient amené la France jusqu'aux dernières extrémités du malheur. Il ne restait aux vaincus ni refuge, ni espoir de salut. Alors, Dieu, qui a toujours entouré d'un amour particulier cette nation noble entre toutes, suscita une femme pour délivrer son peuple et pour se conquérir une gloire éternelle (I Mach. VI, 44).

La vie toute entière de la magnanime et très pieuse Jeanne d'Arc, surnommée la Pucelle d'Orléans, fut un long prodige.

Née au bourg de Domrémy, dans le diocèse de Toul, tout près d'un bois obscur, jadis consacré à la superstition druidique. Jeanne s'occupait à paitre les brebis paternelles Mais là dans le vaste horizon de la vallée étalée sous ses yeux, l'ignorante et pauvre villageoise, qui achevait à peine sa 13e année, élevait son âme vers Celui qui orna les montagnes et les forêts, les champs et les buissons, d'une beauté qui dépasse de beaucoup et les splendeurs les plus magnifiques et le faste de la pourpre royale.

L'enfant, ignorante du monde, n'avait d'autre souci que de charger de bouquets t'autel rustique de la Vierge, et le bruit d'une si grande guerre était à peine parvenu, à ses oreilles.

Cependant le siège d'Orléans menaçait d'une ruine imminente et la ville assiégée et la fortune du roi Charles VII. Déjà en effet, les plus belles provinces françaises étaient tombées au pouvoir de l'invasion anglaise. C'est dans ces tristes conjonctures que Jeanne, occupée à ses travaux habituels dans le verger de son père, entendit la voix de Michel, prince de la milice céleste, telle qu'elle se fit entendre jadis à Judas Macchabée : Reçois des mains de Dieu le glaive sacré pour abattre les ennemis de mon peuple d'Israël (II Mach. XV, 16). C'était pour cette fille de la paix une invitation à la guerre. Surprise d'abord, la vierge timide après de nouveaux avertissements du ciel et poussée par un souffle divin, n'hésita pas à laisser sa houlette pour l'épée, et le chalumeau rustique pour la trompette guerrière. Ni la piété filiale, ni les périls d'un long voyage ne purent la détourner de sa mission divine. Dans son simple mais sublime langage, elle tient tête aux puissants et se fait amener au roi : retards, rebuts, défiances, elle triomphe de tout. Elle manifeste au roi Charles VII le message qu'elle croit lui avoir été confié par Dieu, et, assurée des indications du ciel, elle promet de délivrer Orléans.

C'est alors que Dieu, qui rend le courage à ceux qui n'en ont plus et décuple la force des faibles (Is. XL, 19), dota cette pauvre villageoise, qui ne savait même pas ses lettres, de cette sagesse, de cette doctrine, de cette habileté militaire, et même de cette connaissance des choses cachées et divines qui ne pouvaient laisser de doute à personne que le salut du peuple fût en elle. De toutes parts, la foule accourt en masse, les soldats habitués à la guerre, les nobles, les généraux, remplis d'un renouveau d'espoir, se mettent, en l'acclamant, à la suite de la jeune fille.

Montée sur un cheval, son corps virginal chargé d'armes guerrières, ceinte d'une épée et portant un étendard blanc semé de lys d'or, elle se précipite, sans peur, sur les Anglais enorgueillis de leurs victoires répétées. Après une lutte glorieuse, aidée de l'assistance de Dieu, elle répand la terreur parmi les troupes ennemies sont repoussées et dispersées, et, le 7 mai 1429, elle leur fait lever le siège d'Orléans.

Avant de donner l'assaut aux bastilles anglaises, Jeanne exhortait ses soldats à l'espoir en Dieu, à l'amour de la patrie et à l'observance des commandements de la sainte Eglise. Aussi innocente que lorsqu'elle gardait les troupeaux et en in6e temps courageuse comme une héroïne, elle était terrible aux ennemis, mais elle pouvait à peine retenir ses larmes en voyant les mourants. Pure de tout sang sergé et immaculée au milieu du carnage et de la licence des camps, elle était la première au combat, mais ne frappait personne de l'épée.

Alors apparut vraiment ce dont la foi est capable Le peuple reprend aussitôt un nouveau courage ; l'amour de la patrie et la piété envers Dieu renouvelées redoublent ses forces peur les grandes actions Sans être vaincue par les plus grandes difficultés, la jeune fille, harasse les Anglais par de multiples engagements, et enfin elle défait et repousse leur armée dans un combat célèbre animés de Patay.

Alors, dans une marche triomphale, elle conduit son roi Charles VIII à Reims, pour y être oint, selon le rite du sacre royal, dans ce temple où Clovis, le premier roi des Francs, purifié par saint Remi, dans les eaux du baptême, avait pose les fondements de la nation française. Ainsi furent vaincus, avec l'aide du ciel, les ennemis du nom français, et Jeanne d'Arc, ayant miraculeusement sauvé sa patrie, avait terminé sa mission.

Humble de cœur, elle ne souhaitait que de retourner à son bercail et à sa pauvre demeure, mais déjà mûre pour le ciel, elle ne devait pas être exaucée.

Quelque temps après, en effet, elle est faite prisonnière dans un combat par l'ennemi furieux d'avoir été vaincu par une enfant. Elle est jetée dans les fors. Après diverses persécutions et une captivité rigoureuse dans le camp ennemi, est, au bout de six mois, condamnée à Rouen, comme une victime d'expiation pour la rançon de la France. Admirablement forte et pieuse jusque dans l'épreuve suprême, elle pria Dieu de pardonner à ses bourreaux et de saurer la patrie et le roi. Conduite sur le bûcher, enveloppée déjà par les flammes dévorantes, elle demeura les yeux fixés au ciel, et ses derniers mots furent les noms sacrés et doux de Jésus et de Marie. Ainsi, la vierge illustre conquit la palme immortelle. Mais la renommée de sa sainteté et la mémoire de ses exploits sont demeurées dans la bouche des hommes, surtout dans la ville d'Orléans, jusqu'aux fêtes de commémoration séculaire, récemment célébrées en son honneur, et elles vivront toujours dans l'avenir, renouvelées par une louange nouvelle.