HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

PREMIÈRE PARTIE. — LA DÉCADENCE DE LA CHRÉTIENTÉ ET LA RENAISSANCE

CHAPITRE IV. — DE L'AVÈNEMENT D'URBAIN VI À LA MORT DE GRÉGOIRE XII. LE GRAND SCHISME D'OCCIDENT (1378-1417).

 

 

Le 19 mars 1378, Grégoire XI, se sentant mourir prévoyant les difficultés que pourrait présenter le choix de son successeur, avait décidé que toute élection du futur Pape, même célébrée dans des conditions anormales, devrait être considérée comme valide, du moment qu'elle aurait réuni la majorité du Sacré Collège. II défendait en même temps au châtelain du château Saint-Ange, Pierre Gandelin, de livrer à qui que ce fût les clefs de la forteresse sans un ordre des cardinaux demeurés en Avignon[1].

Ces précautions étaient sages ; mais la surexcitation des passions qui se déchainèrent après la mort de Grégoire XI les rendirent insuffisantes.

 

I

Quand, le mercredi 7 avril 1373, les cardinaux se réunirent en conclave pour procéder à l'élection, une foule immense, en partie armée, qu'un témoin oculaire évalue à vingt mille personnes, encombrait déjà la place Saint-Pierre, le parvis et les degrés de la basilique, cernait le Vatican, garnissait les fenêtres et les toits des maisons voisines. Le passage de chaque cardinal se rendant au conclave était accueilli par le même cri unanime et formidable : Romano lo volemo, o almanco italiano ! Nous le voulons Romain, ou au moins italien. Le dernier qui traversa la foule fut le vieux cardinal Francesco Tibaldeschi, surnommé le cardinal de Saint-Pierre. La nuit fut agitée. Dès le lendemain matin, les suffrages semblaient déjà se porter sur l'archevêque de Bari, Barthélemy Prignano, connu par son éloquence, sa vie austère et son aptitude à manier les affaires publiques. Détail curieux, deux des cardinaux qui devaient encourir plus tard les principales responsabilités dans le schisme, semblent s être faits les partisans les plus ardents de cette candidature. Par ces saints Evangiles, s'écriait le terrible cardinal Robert de Genève, le Pape que nous aurons sera l'archevêque de Bari, ou un autre que je ne veux pas nommer encore. Cet autre, c'était lui-même, le futur Clément VII[2]. Et le futur Benoît XIII, l'Espagnol Pierre de Lune, le plus intrépide de tous, celui qui, entendant les cris menaçants de la multitude, protestait en souriant qu'il affronterait plutôt la mort que de céder à la terreur, Pierre de Lune déclarait, le jeudi matin, à l'évêque de Jaen son intention ferme d'élire l'archevêque de Bari[3].

Depuis l'aurore le tumulte de la foule avait pris un caractère plus inquiétant. Le bruit du tocsin se faisait entendre. Les cloches de Saint-Pierre s'étaient à leur tour mises en branle. On sonne pour des catéchumènes ou pour quelque exorcisme, dit le bon vieux cardinal Tibaldeschi. Cet exorcisme là ne serait guère de mon goût, répondit en tremblant le cardinal de Bretagne[4].

Quelques cardinaux cherchèrent à parlementer par un guichet avec la foule, de plus en plus houleuse, qui avait réussi à forcer la porte du Vatican et le remplissait de ses cris. Ce fut peine perdue. Alors, sur la motion de Pierre de Lune, Barthélemy Prignano, archevêque de Bari, fut élu Pape à l'unanimité moins une voix. Quelques cardinaux crurent devoir dire, en présence du tumulte : Je vote librement pour Prignano. On attendit un peu de calme de la part de la foule, pour notifier l'élection. Ce calme s'étant produit quelques heures plus tard, après que les cardinaux eurent prié à la chapelle et pris leur repas : Maintenant que tout cela est tranquille, dit un des électeurs, sommes-nous tous du même avis ? maintenons-nous l'élection de l'archevêque de Bari ?Oui ! oui ! répondirent treize cardinaux sur seize. Les trois autres étaient absents.

Mais l'apaisement momentané de la foule n'était que le prélude d'une agitation plus grande. Voici que les clameurs redoublent, plus impatientes, plus menaçantes. Les cris : Italiano ! sont étouffés par les cris : Romano ! Romano ! Ce qu'il faut au peuple c'est un Pape romain. Romano lo volemo, s'écrie-t-on ; se non e romano, tutti li occideremo. Si le Pape n'est pas romain, nous le tuerons avec tous les cardinaux. Le jeune cardinal Orsini sort de la chapelle et se met en communication avec la foule. Vous avez un Pape ! lui crie-t-il. — Quel est-il ?Allez à Saint-Pierre. Quelqu'un entend ou feint d'entendre : c'est le cardinal de Saint-Pierre, c'est-à-dire Tibaldeschi. Celui-ci est un romain. La foule l'acclame. C'est alors que quelques cardinaux, apeurés, ont la faiblesse de conseiller au vieux cardinal de Saint-Pierre de revêtir les ornements pontificaux. C'est le seul moyen, pensent-ils, d'apaiser momentanément le peuple. On lui dira la vérité quand son effervescence sera tombée. Le vieux cardinal, porté par la multitude, emploie le peu de forces qui lui restent à protester contre le mensonge qu'on lui imposa. Je ne suis point le Pape ! c'est monseigneur de Bari ! C'est ainsi que le nom du vrai Pape parvient à la foule, mais au milieu de telles confusions, de telles incertitudes, que les cardinaux ont le temps de fuir la fureur qui les aurait sans doute atteints si le nom de l'archevêque Prignano eut été soudain lancé à la populace irritée Seul, Pierre de Lune impassible, traverse la foule pour se rendre à sa demeure, imposant le respect autour de lui par sa seule attitude[5]. Le 8 avril, s'il faut en croire Raymond de Capoue, il disait : Nous avons élu un vrai Pape ; les Romains m'arracheraient les membres avant de me faire revenir sur l'élection d'aujourd'hui[6].

Si les autres cardinaux ne se prononçaient pas d'une manière aussi énergique, leur pensée ne paraissait pas plus douteuse. Le lendemain de l'élection, ils procédèrent à la cérémonie de l'intronisation du nouveau Pape, qui avait pris le nom d'Urbain Vl. Le couronnement solennel eut lieu le 18 avril, jour de Pâques. Dès le 14 avril, Robert de Genève, le futur Clément VII, avait notifié l'événement au roi de France Charles V. Pendant plusieurs mois nul ne devait songer à revenir sur ce qui s'était passé. Les cardinaux acceptèrent la validité de tous les actes du nouveau Pontife, lui demandèrent sans scrupule des faveurs, le regardèrent dans leurs actes officiels aussi bien que dans leurs conversations privées comme le chef légitime de l'Église.

Le premier choix de l'archevêque de Bari par les cardinaux eût-il été influencé par la peur, leurs actes subséquents eussent, semble-t-il, ratifié cette première démarche. Urbain VI était un Pape légitime ou du moins légitimé[7].

Sur qui doit-on faire retomber la responsabilité du revirement complet qui s'opéra bientôt dans le Sacré Collège ? L'ivresse du pouvoir aveugla-t-elle Urbain VI ? Les tragiques péripéties qui avaient accompagné son élection troublèrent-elles sa raison ? Doit-on mettre sur le compte d'une simple indiscrétion de zèle ou d'une raideur excessive de caractère les incidents regrettables qui marquèrent les, débuts du gouvernement du nouveau Pape ? Dans les temps de trouble, quand la surexcitation est partout dans les esprits, là moindre maladresse de ceux qui ont la responsabilité du pouvoir peut les entraîner à des abîmes. D'une réelle élévation de caractère et d'une austérité incontestable, Urbain VI pensait avec raison qu'il n'était pas d'œuvre plus importante à entreprendre que celle de la réforme de l'Église. L'opinion publique la demandait, dans la tête comme dans les membres, in capite et in membris. C'est par la tête qu'il résolut de commencer. On vit le Pape observer avec la dernière rigueur les jeûnes et les pénitences en usage dans l'Eglise, accomplir ses devoirs ecclésiastiques avec une ponctualité exemplaire. On rapporte qu'il portait continuellement sur lui un cilice[8]. On l'entendit déclarer la guerre à la simonie, à l'inconduite et aux allures mondaines des clercs avec une rigueur sans pareille.

Mais lorsqu'il voulut brusquement imposer autour de lui, dans le corps des cardinaux, ses idées d'austère réforme, les animosités s'éveillèrent. Son mépris des ménagements allait, il est vrai, jusqu'à l'injure grossière. On le vit traiter un cardinal d'imbécile, un autre de ribaud, et fermer la bouche à un troisième en plein consistoire en lui demandant de cesser son bavardage idiot[9]. Des hommes de la trempe de Pierre de Lune et de Robert de Genève n'étaient point disposés à supporter de pareils procédés de la part de celui qu'ils venaient d'élire. L'impétueux Français et le fier Espagnol ne furent pas les seuls à se cabrer devant une telle attitude. L'indignation devint bientôt générale. Un jour que le Pape se plaignait en plein consistoire d'avoir trop de Français dans le Sacré Collège et manifestait son intention d'y former une majorité italienne par une nouvelle promotion, on vit un cardinal de France pâlir tout à coup et quitter brusquement la salle[10]. C'était le cardinal Robert de Genève. Ce fut le commencement de la révolte.

On était arrivé au mois de mai. La saison des chaleurs commençait. Les membres du Sacré Collège, l'un après l'autre, demandèrent un congé pour motif de santé. Quelque temps après, ils se trouvaient tous réunis à Anagni où ils s'étaient donné rendez-vous. Qu'allaient-ils décider ? Quelle forme allait prendre leur opposition ? Ils se le demandaient sans doute. L'arrivée à Anagni de deux cents lances gasconnes et navarraises, commandées par le fameux capitaine Bernardon de la Salle, vieux compagnon de Duguesclin, qui venait offrir sa protection aux cardinaux dissidents, les encouragea dans leur résistance.

Déposer le Pape, ils n'en avaient nullement le droit ; mais n'étaient-ils pas juges de la validité de leur élection ? Ils se souvinrent que celle-ci s'était faite sous la pression de l'émeute. Plusieurs se rappelèrent même, ou feignirent de se rappeler que l'élection de Prignano n'avait pas été sérieuse dans leur intention. Ils avaient voulu simplement, disaient-ils, désarmer la fureur du peuple, en simulant l'élection d'un Pape italien. Bref, un manifeste du 9 août 1378, lancé par les cardinaux, annonça au monde que l'élection d'Urbain VI était entachée de nullité et que le Saint-Siège était vacant. Une missive du roi de France, qu'ils reçurent le 18 septembre, les engagea à faire un pas de plus[11]. Le 20 septembre 1378, une seconde lettre collective du Sacré Collège faisait savoir à la Chrétienté que le choix du conclave s'était porté sur le cardinal Robert de Genève, qui prenait le nom de Clément VII. Le grand schisme était consommé.

 

II

Le cardinal Robert de Genève, pour qui les chroniqueurs d'Italie sont sévères, car ils ne lui pardonnent pas l'expédition conduite par lui sous Grégoire XI contre les Florentins révoltés et l'horrible massacre de Césène accompli sous ses ordres au mois de février de 1377, n'était pas dépourvu des qualités qui font les grands politiques, et ses ennemis seuls incriminent sa conduite privée. Boitant un peu, louchant de même, mais jeune, ardent, d'une noblesse de stature et de physionomie où l'on sentait l'homme de grande race, apparenté à la plupart des souverains de l'Europe, jusque-là plus préoccupé, il est vrai, de choses de guerre et d'œuvres d'art que de questions d'Église, mais devenu, depuis l'élection d'Urbain VI, l'âme du parti dissident, il était tout désigné, par ses qualités comme par ses défauts, pour devenir le chef du parti schismatique[12].

Dès lors, l'Europe se divisa en deux obédiences, qui se déterminèrent généralement par les relations diplomatiques des diverses nations. L'Espagne, l'Ecosse et la Basse-Italie suivirent la France, pour se ranger autour de Clément VII ; l'Angleterre, la majeure partie de l'Allemagne, la Hongrie, la Pologne, le Danemark, la Suède et la Norvège, l'Italie centrale et la Haute-Italie restèrent fidèles à Urbain VI ; mais, tandis que les théolo giens les plus savants de l'époque, les Pierre d'Ailly, les Gerson, les Henri de Langenstein, les Conrad de Gehnhausen, les Philippe de Maizières et les Diétrich de Niem discutaient les titres des deux Pontifes, tandis qu'au-dessus d'eux, les deux prétendus Chefs de l'Église universelle s'excommuniaient réciproquement, eux et leurs troupeaux, les saints continuaient à fleurir dans les deux obédiences ; sainte Catherine de Sienne, sainte Catherine de Suède et le bienheureux Pierre d'Aragon autour des Papes de Rome ; saint Vincent Ferrier, le Bienheureux Pierre de Luxembourg et sainte Colette dans le parti des Papes d'Avignon.

En définitive, la situation d'Urbain VI semblait s'affermir. Les plus incroyables fautes la compromirent. Pendant les quelques années qui précédèrent sa mort, dit justement un historien[13], Urbain n'eut point de plus cruel ennemi de sa cause que lui-même. Un népotisme sans scrupules[14], un arbitraire inouï, des violences telles qu'on a peine à y croire malgré les détails circonstanciés des chroniqueurs, assombrissent les derniers temps de son pontificat. Rien n'égale les sinistres extravagances de son expédition contre Jeanne de Naples. Cette reine, sur qui les plus graves soupçons pesaient toujours relativement au meurtre de son époux André de Hongrie, s'était prononcée pour le Pape d'Avignon. Urbain l'excommunie, la déclare déchue de son trône, fait prêcher contre elle une croisade, en confie la direction à l'indigne Charles de Duras, qui s'empare de la vieille souveraine et la fait mystérieusement mettre à mort[15] ; puis, comme Clément VII a lancé contre Charles de Duras un prétendant de son choix, Louis d'Anjou, Urbain marche lui-même sur Naples, à la suite d'une bande de soldats mercenaires et pillards. On le dirait pris de frénésie[16]. Bientôt il se brouille mortellement avec Charles, qui l'assiège dans Nocera et met sa tête à prix. S'il faut en croire les chroniques du temps, il se serait vengé par d'atroces supplices de six cardinaux, coupables d'avoir conspiré contre lui[17].

Un tel souverain pouvait-il être le Père authentique des fidèles ? De côté et d'autre, en se pose la question. Deux cardinaux d'Urbain VI l'abandonnent et passent au Pape d'Avignon. Ce n'est plus seulement l'autorité personnelle du Pape qui souffre de ces excès regrettables, c'est l'autorité même du Souverain Pontificat, dont l'idée se trouble dans l'esprit des fidèles. Le Christ a-t-il bâti son Eglise uniquement sur Pierre ? Le fondement n'est-il pas plus large ? Les esprits les plus graves, les plus pieux, comme Pierre d'Ailly et Jean Gerson, se le demandent, et ils concluent que la subordination de l'Église au Pape a été jusqu'alors un fait fortuit, contingent, nécessité par les circonstances historiques, mais que la constitution essentielle de l'Église repose sur une base plus large et plus solide, à savoir l'autorité infaillible de l'ensemble des fidèles, représentés dans -tin concile ; et c'est ainsi que s'élabore la théorie conciliaire que le Concile de Constance fera prévaloir.

Une autre grave conséquence résulte de la situation. La réforme de l'Église, cette réforme qui a été le premier but poursuivi par Urbain VI, est rendue impossible. Les abus pullulent, et les largesses dont les deux Papes gratifient leurs partisans multiplient ces abus à l'infini[18]. Les exactions financières auxquelles les deux compétiteurs ont recours pour faire face à leurs luttes, exaspèrent l'opinion[19]. Pour échapper à une odieuse tyrannie, les esprits aventureux rêvent alors d'une liberté absolue des âmes. L'idéalisme transcendant d'un Joachim de Flore et d'un Jean de Parme est dépassé. On aspire à une indépendance de toute discipline extérieure et de tout dogme. Les actes des martyrs des Fraticelles, récemment publiés par le P. Denifle, nous édifient assez, écrit un historien récent, sur les espérances de ces chrétiens indépendants, disséminés sur toute l'Italie. Ils sont las du gouvernement hautain de Rome... ce qu'ils demandent, c'est de pouvoir prier à leur guise, dans les steppes du Latium, sur les hauts plateaux de Calabre, sans église, sans prêtre et sans liturgie... Ils rêvent d'un christianisme très simple, d'un éternel Pater noster balbutié loin des cités, dans la paix des collines, à la lueur tremblante des étoiles[20]. Le péril était d'autant plus grand que, selon la remarque du même autel, les ferments d'hérésie qui pullulaient alors au nord des Alpes, la prédication de Wiclef, le demi-islamisme des Béghards de Hongrie, le théisme des Patarins dalmates, le mysticisme impudique des Adamites de Paris eussent été d'un exemple bien séduisant pour une contrée qui n'avait oublié ni les révoltes de Segarelli de Parme et de Dolcino de Novare, ni la théorie récente en vertu de laquelle Marsile de Padoue dépossédait l'Église de son royaume terrestre[21].

Urbain VI mourut le 15 octobre 1389 et ne fut regretté de personne. Clément VII le suivit dans la tombe cinq ans plus tard, en 1394. Le schisme aurait pris fin si les cardinaux de l'un de ces Papes avaient voulu, à sa mort, élire son rival. Il n'en fut rien. A Urbain VI succédèrent sur le siège de Rome Boniface IX (1389-1401), Innocent VII (1404-1406) et Grégoire XII (1406-1417) ; à Clément VII succéda, sur le siège d'Avignon, Benoît XIII, qui devait résister, jusqu'à sa mort, à toutes les sollicitations des hommes et des événements, avec une obstination invincible (1394-1422).

Nous ne suivrons pas la série des luttes, des négociations vingt fois reprises, vingt fois rompues, entre les deux obédiences. On les trouvera dans les ouvrages spéciaux[22]. Boniface IX[23] se préoccupe beaucoup de reconstituer les finances pontificales ; mais il irrite le peuple par ses exactions. Innocent VII[24], passionné pour le culte des sciences et des lettres, annonce, par une bulle solennelle, la restauration de l'université romaine fondée par Boniface VIII ; mais il meurt peu après, et l'un des plus funestes résultats de son court pontificat est d'avoir introduit à la cour romaine, en la personne de Pogge, l'humanisme païen. Grégoire XII[25], élu précisément à cause des dispositions pacifiques qu'on lui suppose, ne fait rien pour l'union, qu'il semble fuir aussi bien que son compétiteur. Par cette attitude, il provoque contre lui les plus injurieux pamphlets, et détache de sa personne, fait inouï jusque-là, sept cardinaux à la fois, qui vont se placer sous l'obédience d'Avignon. Ainsi, chacun de ces Papes, sans qu'on puisse incriminer ses intentions, semble travailler en fait contre l'union tant désirée.

 

III

Benoît XIII, que les cardinaux de l'obédience d'Avignon avaient élu, le 28 septembre 1394, pour remplacer Clément VII, était ce Pierre de Lune, que nous avons vu jouer, avec Robert de Genève, lors de l'élection d'Urbain VI, un rôle prépondérant. Pas plus que ses adversaires les Papes de Rome, il ne devait fournir à l'histoire le moindre prétexte de suspecter la pureté de ses mœurs et la hauteur de son esprit.

Petit, mince, âgé d'environ soixante-six ans, l'homme que son mérite ou son adresse venait d'élever au poste douteux laissé vacant par la mort de Clément VII, n'était pas, dit M. Noël Valois, l'hypocrite vulgaire que ses adversaires ont flétri. Sa haute naissanceil appartenait à l'une des plus nobles familles d'Aragon, — sa science juridiqueil avait longtemps professé le droit canon à Montpellier, — l'avaient, ainsi que la pureté irréprochable de ses mœurs, désigné de bonne heure au choix de Grégoire XI. Son application à s'éclairer, sa lenteur à prendre parti dans le schisme naissant, avaient dénoté une conscience scrupuleuse. Sous le pontificat de Clément VII, il s'était révélé vigoureux polémiste, politique inventif, diplomate heureux ; ses légations en Castille, en Aragon, en Navarre, avaient tourné à son triomphe, non moins qu'à celui du Pape d'Avignon. Cette âme foncièrement ecclésiastique ne péchait que par l'excès de ses qualités mêmes : l'habileté dégénérait parfois en astuce ; l'énergie inflexible devenait opiniâtre ; la dignité personnelle, le goût de l'indépendance, aboutissaient à un orgueil intraitable[26].

Ainsi que tous les Papes de Rome, Benoît XIII, au moment de son élection, avait promis de faire tout son possible pour amener l'union. Comme, pendant le Conclave, ses collègues parlaient de la nécessité qu'il y aurait peut-être d'abdiquer dans l'intérêt de la paix : Quelle bagatelle ! s'était écrié Pierre de Lune. Pour ma part, j'aurais aussitôt fait de déposer le pouvoir que d'enlever ma chape[27]. On ne prévoyait pas qu'à cette abdication Benoît XIII poserait des conditions telles, qu'elles ne se réaliseraient jamais. Pendant trente ans on devait le voir lutter contre le Pape de Rome, puis contre le concile de Constance et contre ses partisans eux-mêmes, et mourir inflexible, en essayant de prolonger son schisme après sa mort par la promesse qu'il fit faire aux trois cardinaux restés fidèles à sa cause, de lui élire un successeur.

L'Université de Paris qui, par la valeur de son enseignement Intervention et par les grands hommes qu'elle avait alors à sa tête, Pierre d'Ailly, Jean Gerson, Nicolas de Clémangis, jouissait en Europe d'une influence considérable, venait de prendre l'initiative d'une grande campagne de pacification. Lente à se rallier à l'obédience de Clément VII, malgré les injonctions réitérées du roi Charles V[28], elle avait tenté en 1390 d'intervenir, pour mettre fin au schisme, par une solennelle remontrance adressée au roi Charles VI, laquelle resta sans résultat[29]. Elle fut plus heureuse en 1394. Une vaste enquête, ouverte par ses soins sur les moyens propres à mettre fin au schisme, aboutit au dépouillement de dix mille cédules[30], qui indiquaient trois modes différents : démission simultanée des deux Papes, arbitrage consenti de part et d'autre, décision de l'Église réunie en Concile général. En 1395, un concile national, réuni à Paris par les soins de l'Université, se prononça pour le premier moyen, qu'on appela la voie de cession. Une ambassade fut chargée d'en notifier le résultat à Benoît XIII tant au nom de l'assemblée qu'au nom du roi de France, et pria le Pape d'y accéder pour le bien de la paix.

Le ton autoritaire, impatient, presque menaçant des lettres de l'Université de Paris blessa-t-il la susceptibilité jalouse de l'autoritaire Benoît XIII ? Après quelques réponses dilatoires, il répondit que la voie de cession n'était pas admise en droit, qu'elle n'avait pas pour elle la tradition de l'Église, que la seule voie possible était une conférence en lieu sûr avec son compétiteur. En vain le roi de France le fit-il prier en son nom par des envoyés spéciaux ; en vain les cardinaux joignirent-ils leurs instances à celles de l'ambassade royale ; en vain Pierre d'Ailly parvint-il, au moyen de négociations patientes et habiles, à gagner à la voie de cession le roi des Romains Venceslas. A toutes ces suppliques, le Pape d'Avignon répondit qu'il croirait pécher mortellement s'il employait ce moyen. Le Pape de Rome, il est vrai, n'était pas plus disposé de son côté à accepter les propositions des rois de France et d'Allemagne[31].

Ce fut une déception cruelle pour l'Université de Paris. Depuis quelque temps, un projet se faisait jour : ne plus reconnaître le Pontife, parjure à la promesse qu'il avait faite à son sacre, et se soustraire à son obédience. Après en avoir longuement délibéré, un concile national tenu à Paris vote, dans une séance du mois de juillet 1398, la soustraction d'obédience. La décision de l'assemblée, promulguée par le roi, est notifiée à Benoît XIII par Pierre d'Ailly, et appuyée militairement par le condottiere Geoffroy de Boucicaut, qui fait le siège d'Avignon et tient pendant quatre ans le Pape captif dans son palais. Mais

Bravant le feu, bravant la sape,

Dans son nid d'aigle, d'où il domine le monde,

Le Pontife reste inébranlable...

Il voit la chrétienté déchirée,

Il voit l'Eglise en branle et sans timon,

Il voit, dans la mer qui monte en mugissant,

Les saintes âmes qui se désolent ;

Et, se considérant comme le vrai Pape,

Il dit néanmoins : Je ne plierai pas ![32]

Saint Vincent Ferrier et dix-sept cardinaux abandonnent dès lors la cause de Benoît XIII. D'autre part, l'Université de Paris, se rendant bien compte qu'une démission du Pontife obtenue par la force serait sans valeur, désespérant d'ailleurs de vaincre l'obstination de Pierre de Lune, se range à un autre moyen de pacification : la réunion d'un concile œcuménique.

Le 1er septembre 1403, l'Université de Paris avait notifié au Pape la restitution d'obédience, votée au mois de mai précédent sur la proposition du roi de France, a avait imposé comme condition de ce retour la convocation d'un concile par le Pape dans le délai d'un an. Mais le caractère de Benoît XIII ne permettait guère de compter sur une initiative de sa part. On se fit à l'idée de la convocation d'un concile indépendamment de la volonté des deux Papes.

Ce projet était surtout prôné, depuis quelque temps, en Allemagne. Conrad de Gelnhausen, ancien étudiant de la Faculté de théologie de Paris et actuellement chancelier de la nouvelle université de Heidelberg, s'en était fait le promoteur. Henri de Langenstein, également formé à l'université parisienne, s'en était constitué l'ardent défenseur et le profond théoricien. En 1381, dans un écrit intitulé Consilium pacis de unione ac reformatione Ecclesiœ in Concilio universali quœrendœ, Langenstein avait déclaré qu'à ses yeux le schisme était un mal survenu par la permission de la Providence pour opérer la réforme de l'Église. Cette réforme devait consister dans l'attribution de la prééminence aux conciles généraux, au détriment de l'autorité des Papes.

Jurisconsulte, mathématicien, économiste éminent[33], en même temps que théologien de grand renom, Langenstein employait à la défense de son système toutes les ressources d'un esprit délié et d'un grand savoir. Partant de ce prétendu principe, que la constitution de l'Église doit être jugée d'après les mêmes règles que la constitution de toute société, observant d'ailleurs, que toute loi doit être interprétée par rapport à la fin qu'elle veut atteindre, et que la fin de la société ecclésiastique est l'ordre et la paix du monde chrétien, le théologien-juriste concluait qu'il ne fallait pas accorder une importance exagérée à l'institution de la Papauté par le Christ. Les événements providentiels montraient bien que le seul moyen d'assurer l'ordre dans l'Église était d'accorder la suprématie à un concile convoqué par l'empereur. L'Église, à qui seule le Christ a dit que les puissances de l'enfer ne prévaudront point contre elle, trouvera là, disait-il, sa constitution essentielle.

Quatre mois après la restitution d'obédience de la France à Benoît XIII, le 1er janvier 1404[34], le chancelier de l'Université de Paris, Jean Gerson, prêchant à Tarascon devant le Pape d'Avignon, développa des idées presque aussi radicales. La cessation du schisme s'impose, disait-il en substance. La fin de l'Église c'est l'ordre et la paix. Le Pape ne peut pas suffire à obtenir cette fin. Tout autre moyen nécessaire sera légitime. Or, il n'est qu'un seul moyen : c'est la convocation d'un concile universel[35].

L'homme qui s'exprimait ainsi était réputé parmi les prêtres les plus éminents du clergé de France. Jean Charlier, dit Gerson, qui devait remplir un rôle prépondérant aux conciles de Pise et de Constance, était né au village de Gerson dans le diocèse de Reims, le 14 novembre 1363[36], dans une famille de condition très humble. De fortes études, poursuivies au collège de Reims, puis au collège de Navarre, où il eut pour maître Pierre d'Ailly, le conduisirent bientôt aux plus hautes dignités. Chancelier de l'Université de Paris en 1395, il se distingua tellement dans ces fonctions, que, suivant l'expression de Launoy, il se fit de ce mot de chancelier une sorte de nom propre. Administrateur, diplomate, érudit, polémiste, mystique, Gerson avait déjà, en 1403, publié sa Lettre aux étudiants sur la réforme de la théologie, et peut-être ce livre de la Mendicité spirituelle, ou Parlement secret de l'homme avec son âme, qui rivaliserait de réputation avec l'Imitation, a écrit M. Paulin Paris[37], si on le lisait aussi communément.

Tel était l'homme qui, à la suite du théologien le plus renommé de l'Allemagne, ne trouvait, pour remédier à l'impuissance des Papes, qu'une théorie subversive de la constitution de l'Église ; tant les tristes événements de cette époque avaient jeté de trouble dans les meilleurs esprits.

Quant au peuple, qui ne savait pas s'élever à de si hautes spéculations, il se demandait s'il n'allait pas voir bientôt la fin du monde. Les signes précurseurs n'étaient-ils pas apparus ? Les partisans de Benoît XIII voyaient naturellement l'Antéchrist dans le Pape de Rome et ceux d'Innocent VII dans le Pape d'Avignon. Les prophéties les plus étranges trouvaient crédit[38]. En Angleterre, les disciples de Wiclef, sous le nom de pauvres prêtres, poor priests, répandaient les doctrines de l'hérésiarque. On se souvenait que, dès l'ouverture du schisme, dans un libelle intitulé de Papa romano, le fougueux professeur s'était écrié : Voici le temps propice : que l'empereur et les rois réclament l'héritage de l'Église ! En 1380 et 1381, pendant qu'en Allemagne Conrad de Gelnausen et Henri de Langenstein attaquaient l'Église dans sa hiérarchie, Wiclef avait essayé de la ruiner dans ses dogmes les plus essentiels : Que chaque fidèle, écrivait-il dans son Prospeculum, puise sa doctrine dans la lecture de la Bible : on y trouve la foi plus pure et plus complète que dans tout ce que les prélats commentent et professent ; mais ce fut surtout dans son Trialogus, composé dans l'année qui précéda sa mort, en 1383, que Wiclef publia ses doctrines les plus révolutionnaires, à savoir que les effets dei sacrements ne sont dus qu'aux mérites des personnes qui les reçoivent ; que tout supérieur, civil ou religieux, est déchu de son autorité par le seul fait qu'il est en état de péché mortel ; que tout arrive par nécessité ; que la pensée que nous avons de notre liberté est une perpétuelle illusion ; que l'Église existe certainement quelque part, mais qu'elle peut être réduite à quelques pauvres laïques dispersés dans divers pays[39].

Après la mort de Wiclef, ses disciples, les pauvres prêtres se mêlèrent à la secte hérétique des Lollards, dont l'origine est mal connue, et qui professaient la négation de la propriété individuelle. Alors le gouvernement s'alarma. En 1395, les Lollards ayant affiché aux portes de Westminster et de Saint-Paul des placards diffamatoires contre le clergé, un concile national, assemblé à Londres, condamna dix-huit propositions extraites du Trialogus. Le 10 mai 1401, un prêtre de Londres, William Samtre, convaincu d'avoir enseigné les doctrines de Wiclef, fut brûlé en présence d'une foule immense. L'énergie de la répression brisa pour un temps, en Angleterre, les doctrines combinées des Wiclefistes et des Lollards. Mais elles allaient bientôt renaître sur le continent avec Jean Hus.

IV

Au milieu de ces altérations criminelles des dogmes, de cet obscurcissement des principes de la hiérarchie, de ce désarroi des consciences, l'historien est tenté de se demander où était l'esprit vraiment catholique.

Il était d'abord dans les saints, que Dieu n'avait pas cessé de susciter, nous l'avons vu, dans les deux obédiences. La grande sainte qui avait comme illuminé les débuts de cette sombre période par la sagesse de ses conseils non moins que par la sublimité de ses extases, sainte Catherine de Sienne, ne s'était jamais lassée, jusqu'à sa mort, arrivée en 1380, de faire entendre aux oreilles des Papes, des rois, des seigneurs et des peuples, la parole de la justice et de la paix. Témoin de l'élection d'Urbain VI, elle n'avait jamais douté de sa validité. Au lendemain de l'élection de Robert de Genève, elle avait écrit au Pape de Rome : Ce n'est point un vicaire de Jésus-Christ qu'ils ont élu, c'est un Antéchrist ; jamais je ne cesserai de voir en vous, mon bien-aimé Père, le vicaire de Jésus-Christ sur la terre. Courage donc, Saint Père, acceptez la lutte sans crainte... Mais, quand elle vit le Pontife employer, pour opérer la réforme, des moyens si peu évangéliques, elle fit entendre une courageuse protestation : Accomplissez votre tâche avec mesure, et non pas sans mesure, lui écrivait-elle... Pour l'amour du Christ crucifié, modérez un peu ces mouvements subits que vous inspire votre nature[40]. Car, disait-elle, la justice sans la miséricorde n'est plus la justice, ce serait plutôt l'injustice.

Lorsque la division des deux obédiences fut un fait accompli, Catherine épancha son âme pleine de tristesse à une religieuse, dans les termes suivants : Chaque époque a ses tourments, mais ni toi ni aucun autre n'avez vu un temps aussi troublé que celui-ci. Vois, ma sœur, et ton âme sera abreuvée de douleur et d'amertume, vois les ténèbres qui se sont étendues sur l'Église... C'est le moment de veiller et non de dormir ; c'est le moment de vaincre l'ennemi à force de prières, de larmes, de travaux, de désirs pleins d'amour et d'oraisons incessantes[41]. Mais Catherine ne trembla jamais pour la vitalité de l'Église. J'ai vu, s'écriait-elle au plus fort de la tourmente, j'ai vu que cette Épouse du Christ dispensait la vie, parce qu'elle a en elle-même une telle vitalité, que personne ne peut la tuer... j'ai vu que sa fécondité ne diminuerait jamais, mais qu'elle irait toujours en croissant[42]. Catherine mourut sans avoir eu le bonheur de voir la paix revenue dans l'Église, mais elle expira en disant à ceux qui entouraient son lit de mort : Restez fidèles à Urbain VI, car il est le vrai Pape.

Le Bienheureux Pierre d'Aragon, issu de race royale, entré tout jeune dans l'ordre de saint François, passait aussi pour être favorisé de visions célestes, d'extases et de prophéties. Il profita de ses alliances princières pour rappeler aux grands leur devoir de se rallier au Pape romain.

Mais Dieu multipliait aussi ses grâces de choix dans l'obédience d'Avignon, où tant de pieux fidèles, d'une indiscutable bonne foi, ne défendaient la cause de Clément VII et de Benoît XIII avec tant d'obstination que parce qu'ils croyaient défendre par là l'unité de l'Église et de sa hiérarchie. Les modèles de sainteté s'y multipliaient. C'était ce jeune cardinal Pierre de Luxembourg, le saint Louis de Gonzague du XIVe siècle, mort à dix-huit ans, après une vie d'une pureté et d'une douceur angéliques[43] ; c'était l'ardent missionnaire et thaumaturge, saint Vincent Ferrier, dont la parole et les vertus opéraient des miracles de conversion[44] ; c'était l'humble et grande sainte Colette, qui, comme sainte Térèse, fut la réformatrice d'un grand Ordre religieux[45]. Saint Vincent Ferrier et sainte Colette devaient un jour se séparer de l'obstiné Benoît XIII ; mais le Bienheureux Pierre de Luxembourg mourut sans avoir exprimé le moindre doute sur la légitimité du Pape d'Avignon.

Cette mystérieuse économie des grâces divines ne peut troubler la foi du chrétien. Au milieu même des agitations du schisme, saint Vincent Ferrier écrivait avec raison : Nous ne devons pas juger de la légitimité des Papes par des prophéties, des miracles et des visions. Le peuple chrétien est gouverné par des lois, contre lesquelles les faits extraordinaires ne peuvent rien[46]. En d'autres termes, les miracles et autres faveurs spirituelles pouvaient être alors donnés pour récompenser la foi individuelle et édifier le peuple chrétien, et non pour servir de preuves à la légitimité des Pontifes. On n'en pouvait donc rien légitimement conclure ni pour l'un ni pour l'autre des prétendants à la Papauté.

L'esprit chrétien ne se rencontra pas seulement à cette époque dans des âmes individuelles, il se manifesta dans une grande institution ecclésiastique, qui devait, après avoir beaucoup fait pour le renouvellement de la vie chrétienne, donner au monde, en ce triste XIVe siècle, si sombre et si troublé, le plus suave, le plus beau des livres sortis de la main des hommes, puisque l'Evangile vient de Dieu, l'Imitation de Jésus-Christ. Nous voulons parler des Frères de la vie commune, fondés par le vénérable Gérard de Groote[47]. Prédicateur d'une éloquence véhémente, dit M. l'abbé Salembier[48], Gérard de Groote est le Vincent Ferrier de la Hollande et du nord de l'Allemagne ; réformateur du clergé, il prélude à la mission de Vincent de Paul ; éducateur de la jeunesse, il lui consacre toute sa vie, comme Joseph Calazanz ; fondateur d'ordre, c'est le Jean-Baptiste de la Salle du XIVe siècle.

L'Ordre fondé par Gérard de Groote, celui des Frères de la vie commune, qui accepta plus tard, en 1395, la règle de saint Augustin, et établit à Windesheim le centre illustre de ses œuvres, tint d'abord une place intermédiaire entre les congrégations existantes et le clergé séculier. On n'y faisait pas da vœux. On n'y demandait rien à la charité des fidèles. Chaque maison devait se suffire par le travail des Frères, qui élevaient la jeunesse et copiaient des manuscrits. Thomas a Kempis nous a laissé le tableau ravissant de la vie qu'on menait dans ces pieux asiles. Du plus grand au plus petit, dit-il, chacun y exerçait l'humilité, qui est la première des vertus ; elle fait de la maison terrestre un Paradis, et transforme les hommes mortels en pierres vivantes du temple de Dieu. Là fleurissait l'obéissance ; là l'amour de Dieu et des hommes échauffait les cœurs. Ceux qui y étaient venus froids en repartaient pleins de joie, tout échauffés par la parole sacrée... Là semblait revivre, dans toute sa fraîcheur, la mémoire des Pères de l'antiquité, et la vie ecclésiastique s'élevait, conformément aux traditions de l'Église, jusqu'au degré de la plus haute perfection[49]. On a dit que l'œuvre de Gérard de Groote peut se résumer en quelques mots : Il rappela les hommes à l'Imitation de Jésus-Christ[50]. L'Imitation de Jésus-Christ, c'est le titre que devait prendre le recueil des maximes dont vivaient les Frères de la vie commune. L'hypothèse la plus probable, en effet, est qu'il faut en rapporter l'origine à ces recueils ou rapiaria de maximes, de prières, d'élévations, de colloques, que les diverses maisons dépendantes de Windesheirn firent à cette époque. Les quatre livres de l'Imitation ne seraient que le rapiarium d'un homme de génie, peut-être de ce Thomas a Kempis, que nous venons de voir exalter la vie et les vertus des fils spirituels de Gérard de Groote[51].

Cette élite de saints et de pieux personnages maintenait dans l'Église le pur esprit catholique. L'attachement à l'unité de l'Église et au Pape était aussi très profond dans les masses. Comme il n y a qu'un Dieu ès-cieux, écrivait Froissart, il ne peut et ne doit être de droit qu'un seul Pape sur terre.

Parmi les docteurs eux-mêmes, de courageuses protestations se faisaient entendre. Dans l'assemblée du clergé de France tenue à Paris en 1406, Pierre d'Ailly blâma la façon irrespectueuse dont certains membres de l'Université parlaient du Chef de l'Église, et Guillaume Filastre, depuis cardinal, dénia formellement à un concile général le droit de juger le Pape[52].

Mais l'idée du Concile était lancée et faisait du chemin. Le projet, adopté par les cardinaux des deux obédiences, de prendre brusquement la direction de l'Église et de convoquer un concile, était approuvé par les universités de Paris, d'Oxford et de Bologne. Elles se fondaient sur le droit naturel et divin que doit avoir l'Église de trouver en elle-même le moyen de reconstituer son unité[53]. Réduit, dans son application, au cas d'absolue nécessité, ce droit de l'Église était, en effet, indéniable. Mais encore fallait-il que les titres des cardinaux fussent incontestables et que le Concile convoqué par eux fût régulièrement constitué. La réalisation très incomplète de ces deux conditions devait, non 5eulement faire écarter le caractère œcuménique du futur concile, mais encore laisser planer de graves doutes sur la valeur de ses décisions disciplinaires. Si les cardinaux doutent de la légitimité de leur Pape, disait un homme sage, Charles de Malatesta, prince de Rimini, pourquoi ne doutent-ils pas de la légitimité des pouvoirs qu'ils tiennent de lui ?[54] Il craignait que le Concile, réuni pour rétablir l'unité, n'aboutit à une trinité. L'événement devait lui donner raison

 

V

Convoqué à Pise par les cardinaux seuls[55], malgré l'opposition formelle, non seulement de Benoît XIII, mais du Pape de Rome Grégoire XII, ne pouvant aspirer à se dire l'organe de l'Église universelle, puisque plusieurs nations n'y étaient pas représentées, le pseudo-concile, réuni le 25 mars 1409, compta, à ses réunions les plus nombreuses, 24 cardinaux, 80 évêques, 102 procureurs d'évêques absents et un très grand nombre d'ecclésiastiques, dont 300 docteurs[56]. La solennelle procession par laquelle l'assemblée célébra son ouverture, et le titre d'œcuménique qu'elle s'attribua ne pouvaient lui donner l'autorité nécessaire pour imposer au peuple chrétien, et surtout aux deux Papes, l'obéissance à ses décisions. La manière violente, excessive, précipitée avec laquelle elle procéda, compromit le peu de prestige qui lui restait. Le Concile de Pise était mené par un homme habile, intrigant, aussi rompu aux affaires du monde qu'il semblait étranger à celles de Dieu[57], ce cardinal Balthazar Cossa, qu'on accusait d'avoir dans sa jeunesse écumé les mers de Sicile sur un bateau de pirate[58]. L'assemblée, par un décret dont on ne trouve aucun exemple dans la tradition conciliaire, décida que les votes auraient lieu par nations et non par têtes, puis, par une sentence non moins inouïe dans l'histoire de l'Église, déclara Benoît XIII et Grégoire XII déchus du Souverain Pontificat comme hérétiques : ils avaient en effet, disait-elle, violé l'article du Symbole : Credo in Ecclesiam... unam. Le jugement était aussi injuste qu'illégal.

Après avoir promis de prendre des mesures pour la réforme de l'Église dans sa tête et dans ses membres, le concile de Pise couronna son œuvre en décidant que par commission du Concile, les cardinaux éliraient un nouveau Pape. Un peu moins de précipitation eût peut-être tout sauvé. En ce moment même, les ambassadeurs du roi d'Aragon remettaient au patriarche d'Alexandrie un document les autorisant à annoncer l'abdication pure et simple de Benoît XIII. En même temps, une lettre du roi de France, écrite à ses cardinaux, les suppliait de ne pas trop hâter l'élection.

Quand, le 26 juin 1409, la lettre du roi de France arriva et qu'une ambassade du roi de Castille se présenta pour demander une audience, il était trop tard. L'influence de Balthazar Cossa venait de faire élire un pacifique et faible vieillard de soixante-dix ans, Pierre Philargis, qui prit le nom d'Alexandre V[59]. Au lieu de deux Papes, désormais la chrétienté en comptait trois.

Né dans l'île grecque de Candie, de parents très pauvres qui l'avaient abandonné dès sa plus tendre enfance, le jeune Pierre Philargis mendiait son pain par les chemins, quand il fut rencontré par un Frère mineur italien, qui, frappé de ses dons naturels d'intelligence et de docilité, le fit recevoir dans son couvent. De brillantes études à Oxford et à Paris lui valurent une chaire de professeur de philosophie dans cette dernière ville, où il s'acquit une grande réputation de savant et d'orateur. Mais la fermeté du caractère n'était pas chez lui à la hauteur, des dons de l'intelligence ; et c'est précisément parce qu'il avait trouvé ce défaut en Philargis, que Balthazar Cossa l'avait poussé à la Papauté, espérant gouverner l'Église en son nom[60].

Sa prévision se réalisa. Par timidité, par reconnaissance ou par faiblesse, Alexandre V resta sous la dépendance de son légat Balthazar Cossa. S'il rentra victorieux à Rome avec les troupes de Louis II d'Anjou, ce fut grâce à la diplomatie et au concours belliqueux de Balthazar Cossa[61] ; s'il se retira ensuite à Bologne, c'est parce que Cossa l'avait décidé ainsi[62] ; s'il distribua avec une largesse excessive les bénéfices et les privilèges autour de lui, ce fut surtout en faveur de ses amis et de ceux de Cossa. Mais son pontificat fut de peu de durée. Après avoir présidé aux destinées de l'Église pendant dix mois et quelques jours, Alexandre V rendit le dernier soupir le 3 mai 1410, en recommandant à ses cardinaux la concorde et la paix. Quatorze jours après, ceux-ci lui donnaient pour successeur Balthazar Cossa lui-même, qui se fit ordonner prêtre le 24 mai, consacrer et couronner le lendemain. Il prit le nom de Jean XXIII.

Le nouveau Pape ne fut pas le monstre que certains historiens ont voulu voir en lui. C'est assez qu'on ait pu l'accuser de son vivant, sans trop soulever les récriminations de ses partisans, d'avoir brigué la tiare, d'avoir exercé une pression sur les votes de ses collègues[63], et même d'avoir abrégé les jours de son prédécesseur[64]. Jean XXIII n'a ni renouvelé, comme on l'a dit, les brutalités de Robert de Genève, ni préludé, comme on l'a prétendu, aux orgies des Borgia[65]. Le récit qui le représente, au conclave, se faisant apporter le manteau de saint Pierre, le revêtant et disant : C'est moi qui suis le Pape, est une pure légende[66]. Mais avec lui, il faut bien l'avouer, l'esprit d'intrigue et de mondanité vint s'asseoir sur le trône pontifical. Son élection fut une humiliation pour l'Église. Et, comme si la Providence, avant de donner la paix et l'unité à la Chrétienté, voulait que tous les maux dont elle avait précédemment souffert fussent en même temps poussés aux extrêmes, on devait voir, sous le pontificat de Jean XXIII, les théories les plus hardies d'un Marsile de Padoue et d'un Guillaume d'Occam, qui avaient naguère tant scandalisé la sainte Église, se produire en plein jour au milieu du Concile de Constance, et les doctrines les plus cyniques d'un Wiclef retentir dans la plus auguste assemblée du monde par la bouche insolente de Jean Hus.

On a dit que le caractère de Balthazar Cossa avait paru changer après son élection, qu'il ne parut plus le même homme qu'auparavant, qu'on ne reconnut plus en lui le politique avisé dont l'excellent Chroniqueur de Charles VI avait noté les qualités brillantes[67]. En effet, cet habile devait en tout échouer honteusement. Mais peut-être est-il dans l'ordre que, dans une œuvre surnaturelle comme celle de l'Église, toutes les habiletés humaines échouent et se tournent contre celui qui les emploie.

L'assemblée de Pise avait décrété qu'un nouveau concile se réunirait dans trois ans. En 1412, Jean XXIII décida de le convoquer à Rome. Mais on se perdit en pourparlers à peu près stériles. Nicolas de Clémangis raconte qu'aux deux premières sessions, au moment où on invoquait le Saint-Esprit, un hibou vint à tire d'aile se placer en face du Souverain Pontife, et qu'on eut beaucoup de peine à le chasser avec un bâton[68]. Bref, le 3 mais 1113, Jean déclara dissoudre l'assemblée et convoquer pour le mois de décembre un autre concile dont le lieu de réunion serait ultérieurement fixé. Ce fut l'occasion pour le roi de Naples, Ladislas, qui venait de faire alliance avec le Pape, de rompre brusquement cette alliance, et de piller Rome avec la rage d'un barbare, tandis que Jean prenait rapidement la fuite[69].

L'infortuné Pontife invoqua l'appui tout-puissant de l'empereur Sigismond. Défenseur-né de l'Église par son titre impérial, Sigismond était, par ses qualités personnelles, l'homme digne, énergique, vers lequel, dans le discrédit qui atteignait la Papauté, les chrétiens se tournaient instinctivement avec confiance. Il répondit à cet appel, et, dans le zèle actif qu'il déploya pour la défense de l'unité de l'Église, s'il dépassa parfois les limites da ses droits, il révéla partout les intentions les plus nobles et les plus droites.

Le 30 octobre, 1413, l'empereur annonce, pour le 1er novembre 1414, l'ouverture d'un Concile général à Constance ; il y invite Grégoire XII, Benoît XIII et les princes chrétiens. Le 9 décembre Jean XXIII lance la bulle officielle de convocation, et, pendant que dans Rome, abandonnée par lui, on proclame la république, il s'occupe activement des préliminaires de la future assemblée. Sans doute espérait-il, grâce à cette initiative, âtre reconnu sans conteste par l'assemblée qu'il présiderait, à l'exclusion de ses deux compétiteurs. Mais, à mesure que l'époque du concile approchait, sa confiance fléchissait. Des anecdotes nous le montrent, dans son voyage à Constance, jurant au nom du diable, et, parvenu sur les bords du lac, s'écriant avec dépit : C'est ici que les renards viennent se faire prendre[70]. Ces récits manquent d'authenticité ; mais ils expriment bien les sentiments que dut éprouver ce Pape aux approches du Concile.

 

VI

Les cérémonies d'ouverture de l'assemblée de Constance fusent splendides. L'entrée solennelle du Pape dans la cathédrale fut triomphale, Un concile général en Allemagne, dit le grand historien des conciles, Mgr Héfélé, le premier concile qu'on y eût jamais réuni, était un spectacle si extraordinaire et si prodigieux, que des milliers d'hommes y étaient accourus de tous les États, et, selon la coutume fastueuse du temps, chacun avec la suite la plus nombreuse qu'il eût pu réunir, les uns pour satisfaire leur curiosité, les autres pour briller, rencontrer leurs amis ou conclure leurs affaires. En outre, l'amour du gain avait attiré à Constance un grand nombre de marchands, artisans, ouvriers, ainsi que des comédiens, des aventuriers, des musiciens et même des débauchés[71]. Autour de l'empereur Sigismond, et parmi les plus grands seigneurs de l'Allemagne, tels que les ducs de Bavière, d'Autriche, de Saxe, de Meklembourg, de Lorraine, on remarquait les ambassadeurs des rois de France, d'Angleterre, d'Ecosse, de Pologne, de Suède, de Danemark, de Norvège, de Naples et de Sicile. Plus tard devaient venir ceux du roi d'Espagne et de l'empereur de Constantinople. Le nombre des membres du Concile, des princes et des seigneurs étrangers[72] devait s'augmenter sensiblement. Dans ses réunions les plus nombreuses, le concile compta 3 patriarches, 29 cardinaux, 33 archevêques, environ 150 évêques, plus de 100 abbés, environ 300 docteurs. Une telle assemblée, au milieu d'un tel peuple, où la chrétienté tout entière était représentée, aurait pu, hiérarchiquement et canoniquement organisée, être la force libératrice et pacificatrice du monde chrétien. Par la faute des uns et des autres et par le malheur des circonstances, elle ne représenta d'abord que le désarroi des idées et des passions qui régnait dans le monde.

Dès la première session, il fut manifeste que trois hommes domineraient l'assemblée par l'ascendant de leur savoir et de leur influence personnelle : c'étaient Pierre d'Ailly, évêque de Cambrai, le cardinal Zarabella, légat du Pape Jean XXIII, et Jean Gerson, ambassadeur du roi de France et délégué de l'Université de Paris[73]. Ces trois illustres personnages, qui se recommandaient également au respect du Concile et de l'Église entière par une austère dignité de vie, étaient malheureusement imbus d'idées fausses sur les pouvoirs respectifs du Pape et de l'Église. Pour Pierre d'Ailly, en qui, dit Bossuet, on entend bien souvent toute la Faculté de Paris[74], la subordination de l'Église au Pape n'est qu'accidentelle[75], le Pape peut faillir et même devenir hérétique[76], il peut être repris, comme saint Pierre l'a été par saint Paul[77] ; il peut être réprimandé et corrigé notamment par un Concile universel, qui lui est supérieur. S'ensuit-il pourtant que le Concile soit infaillible ? Nullement ; c'est une pieuse croyance, contredite par les faits, car plusieurs Conciles généraux se sont trompés[78]. Telles sont les idées que Pierre d'Ailly commençait à émettre dès sa sortie des écoles de la rue du Fouarre, en 1380[79]. Par caractère, d'ailleurs, l'évêque de Cambrai devait être toujours l'homme des conciliations et des atermoiements.

En 1408[80], le savant canoniste Zarabella avait fait, des idées éparses dans les ouvrages et les opuscules de Pierre d'Ailly, une forte synthèse, qu'il exposait dans son traité De jurisdictione imperiali. Pour lui, le Pape n'est que le premier serviteur de l'Église. S'il est juste de lui reconnaître le pouvoir suprême en temps ordinaire, c'est que l'Église universelle ne peut pas toujours se prononcer par elle-même, ni par son concile général, ni même par le collège de ses cardinaux. A la différence de Pierre d'Ailly, Zarabella admet l'infaillibilité des conciles œcuméniques. A défaut du Pape et des cardinaux, ceux-ci seront convoqués par l'empereur[81]. Cet étrange légat d'un étrange Pontife ne pouvait donner qu'une singulière orientation au futur concile.

Dans cette assemblée, dont Zarabella était le chef officiel et Pierre d'Ailly la lumière[82], Jean Gerson, âme vibrante et mystique, devait exercer une influence plus persuasive, et, semble-t-il, plus prépondérante encore. Disciple de Pierre d 'Ailly, il va plus loin que son maître. Dans le Concile, auquel, comme Zarabella, il accorde le pouvoir suprême, il veut admettre, à côté des évêques, les simples curés[83]. Dans l'Église universelle, il veut faire une place à l'autonomie des églises nationales, groupées autour du chef d'État. Le prince chrétien ne rend-il pas des services à l'Église, en faisant exécuter ses lois ? En cas de fléchissement de l'autorité pontificale, n'est-ce pas le prince chrétien qui maintient la cohésion des églises nationales et leur conserve ainsi leur force d'apostolat[84] ?

La haute probité et la piété sincère des hommes qui professaient de pareilles doctrines, le concours des tristes événements qui semblaient les justifier, expliquent l'accueil qu'elles reçurent dans l'Assemblée de Constance. Elles n'en étaient pas moins révolutionnaires au premier chef, subversives de toute hiérarchie dans l'Église, en opposition formelle avec toute la tradition catholique : Gerson lui-même avoue quelque part que sa doctrine est une nouveauté[85].

 

VII

Une des premières préoccupations des évêques assemblés fut de décider, sur la proposition de Pierre d'Ailly, que les prélats et les abbés ayant juridiction ne seraient pas seuls à avoir voix définitive, mais que les docteurs en théologie, en droit canon et en droit civil auraient les mêmes droits[86]. C'était donner à la science humaine une place qui, dans l'économie surnaturelle de l'Église, ne peut appartenir qu'à la hiérarchie divinement constituée. Cette première résolution aurait suffi à vicier l'autorité de l'assemblée.

Celle-ci alla plus loin : elle décréta que le vote se ferait, comme à Pise, par nations. Les représentants de l'Italie, de la France, de l'Allemagne et de l'Angleterre (plus tard ceux de l'Espagne) devaient se réunir, et recueillir les voix, nationaliter, avant de porter la question devant l'assemblée générale des quatre nations, conciliariter[87]. C'était, en transformant ainsi les questions d'intérêt universel en questions nationales, introduire un nouvel élément de trouble dans le prétendu concile.

Une étrange tactique de Jean XXIII mit bientôt le comble au désordre.

La sixième session venait de se terminer. Pendant que les princes et les seigneurs, pour occuper leurs loisirs, donnaient un grand tournoi, dans la soirée du 20 mars 1415, nul ne remarqua qu'un homme, déguisé en palefrenier, revêtu d'un mauvais habit gris, monté sur un méchant cheval dont la selle portait une arbalète, et se couvrant le visage du mieux qu'il pouvait pour ne pas être reconnu, traversait la ville et en franchissait la porte. C'était le Pape Jean XXIII[88]. Il se rendit à Schaffouse, d'où, le lendemain, il écrivit à l'empereur Sigismond le billet suivant : Je me trouve libre et en très bon air à Schaffouse. Du reste, je ne retire rien de la promesse que j'ai faite de donner la paix à l'Eglise en résignant mes pouvoirs[89]. C'était une nouvelle et misérable habileté de l'indigne Pontife. Froissé de ce que le Concile n'avait pas admis d'emblée sa légitimité et de ce qu'il exigeait la démission des trois Papes, Jean XXIII espérait, en se dérobant, provoquer la dissolution de l'assemblée.

Une fois de plus, ses plans furent déjoués. La fuite du Pape ne fit que laisser le champ plus libre à l'indépendance ambitionnée par le pseudo-concile. Le 26 mars 1415 s'ouvrit la troisième session générale, présidée par Pierre d'Ailly. On y déclara rester fidèle à l'obédience du Pape Jean, malgré sa fuite, mais sous la réserve expresse qu'il persisterait dans l'intention de rendre la paix à l'Eglise. S'il venait à se départir de ce dessein, on ne devrait plus reconnaitre d'autre autorité que celle du Concile[90]. Trois jours après, le 29 mars, qui était le Vendredi-Saint, les trois nations de France, d'Allemagne et d'Angleterre[91], réunies chez les franciscains, rédigèrent les quatre articles devenus si fameux. En voici le passage essentiel : Le Concile de Constance, légitimement assemblé dans le Saint-Esprit, formant un concile œcuménique et représentant l'Eglise militante, tient sa puissance immédiatement de Dieu ; et tout le monde, y compris le Pape, est obligé de lui obéir en ce qui concerne la foi, l'extinction du schisme et la réforme de l'Eglise dans son chef et dans ses membres[92].

On a pu soutenir avec vraisemblance que le décret, pris en lui-même, ne proclame la supériorité du Concile que dans les circonstances données, c'est-à-dire en cas de doute sur la légitimité des Papes[93] ; et, dans ce sens, la proposition ne serait pas hétérodoxe[94]. En toute hypothèse, issue d'une assemblée qui n'avait point le caractère d'un concile œcuménique et votée par une majorité d'hommes dont la plupart n'avaient aucun pouvoir délibératif, elle ne pouvait avoir une autorité dogmatique[95].

On ne pourrait en dire autant des décrets portés par l'assemblée de Constance contre la doctrine de Jean Hus. La bulle du Pape Martin V contre les Hussites, ordonnant aux fidèles de croire ce que le synode de Constance a décidé en faveur de la foi et pour le salut des âmes, in favorem fidei et salutem animarum[96], confirme manifestement les susdites condamnations.

Les doctrines de ce redoutable hérétique, qui depuis quelques années soulevait les foules, par ses prédications passionnées, contre les dogmes les plus fondamentaux de la foi chrétienne et contre les principes les plus essentiels de la société, avaient préoccupé, dès le début du concile, les évêques et les docteurs réunis à Constance. Elles n'avaient pas eu d'adversaire plus acharné que Jean Gerson.

Né en 1369 dans un village de Bohême, brillant professeur à l'université de Prague, mais tribun plutôt que docteur, d'une haute stature, d'une physionomie austère, d'une éloquence abondante, tantôt âpre et mordante, tantôt vibrante et enflammée, Jean Hus parait avoir subi l'influence de ces mystiques fanatiques, qui, sous le nom de frères apostoliques et d'apocalyptiques, pullulaient alors en Bohême, rêvant une rénovation de toutes choses. La violence avec laquelle il prit parti pour la nationalité tchèque contre les prétentions des Saxons, des Bavarois et des Polonais, donnèrent à Hus les allures d'un champion de l'indépendance nationale. Mais ce fut surtout dans les écrits de Wiclef qu'il trouva les formules de ses idées. En 1403, les 21 propositions de cet hérétique, condamné à Rome, étaient parvenues jusqu'à lui. Le fougueux Bohémien se nourrit dès œuvres de l'Anglo-Saxon. Il les relit, les copie, les annote. En marge des manuscrits, copiés de la main de Hus, et conservés à la bibliothèque de Stockolm, on lit des phrases telles que celle-ci : Wiclef ! Wiclef ! tu troubles la tête de plus d'un ! Désormais Jean Hus a trouvé sa doctrine[97].

D'après lui, entre le Christ et l'homme individuel il n'y a pas l'intermédiaire ; par conséquent pas de hiérarchie, pas d'Église. D'ailleurs avec l'Eglise, c'est toute institution sociale qui disparaît. Suivant sa théorie, nul n'a le droit de commander s'il n'est sans péché ; nul n'a le droit de posséder s'il n'est fidèle, c'est-à-dire s'il n'est partisan de Jean Hus. Hus, a écrit Louis Blanc[98], est le génie naissant de la Révolution moderne. Par Révolution moderne, il faut entendre alors celle qui mène aux formes les plus radicales du collectivisme et de l'anarchie.

Le radicalisme tchèque, a dit justement M. Pastor, constituait un péril international, en même temps qu'un péril religieux. L'empereur Sigismond voulut unir ses efforts à ceux du Concile pour le réprimer énergiquement. Cette action combinée des deux puissances a rendu parfois difficile la détermination de leurs responsabilités respectives. Le 6 juillet 1415, Hus fut condamné comme hérétique, dégradé, livré au bras séculier et conduit au bûcher. Il subit la mort avec courage[99]. Mais les passions soulevées par l'hérésiaque ne s'apaisèrent point par sa mort. Son supplice fut le début d'une longue guerre religieuse et civile, où l'on vit les troupes fanatiques des Hussites tenir eu échec des armées impériales. Nous verrons plus loin les diverses sectes issues de Jean Hus se réunir sous le nom de Frères Moraves et finir par s'absorber dans le mouvement protestant. Après Jean Hus, dit Bossuet, le monde rempli d'aigreur allait enfanter Luther.

 

VIII

Tandis que l'on procédait contre Jean lias, la question toujours pendante de l'abdication des trois Papes avait reçu un commencement de solution. -

La fuite, si peu digne, de Jean XXIII avait achevé de lui aliéner les esprits. L'attitude du concile à son égard l'avait personnellement très irrité. Le 16 mai, un mémoire accablant contre lui, contenant soixante-douze chefs d'accusation, avait été présenté à l'assemblée[100]. Après une longue enquête, le 29 mai 1415, le Concile, réuni en sa douzième session générale, prononça la déposition de Balthazar Cossa, pape indigne, et statua qu'il serait désormais mis en lieu sûr et convenable, sous la surveillance de l'empereur Sigismond[101].

Le 3 juin, le Pontife déposé fut transporté à Gottlieben, dans un château de l'évêque de Constance, d'où Jean Hus venait à peine de sortir. Le comte palatin Louis de Bavière, chargé de la garde du détenu, s'acquitta de sa mission avec la plus grande rigueur. Envoyé dans le Palatinat, Jean XXIII y vécut plusieurs années sous la surveillance continuelle de deux gardiens allemands, auxquels il ne pouvait parler que par signes. Il passait son temps à composer des vers sur l'instabilité des choses humaines. L'adversité lui fut salutaire. Rendu à la liberté en 1418, il vécut assez pour reconnaître Martin V comme vrai Pape, et mourut avec le titre de cardinal-évêque de Tusculum. Son corps repose dans le célèbre baptistère de Florence. On lit sur son tombeau cette simple épitaphe : Ci-gît le corps de Balthazar Cossa, Jean XXIII, qui fut Pape.

Par la déposition de Jean XXIII, la situation était revenue au point où l'avait trouvée le concile de Pise, tout aussi inextricable qu'alors. La noble générosité de Grégoire XII y apporta une solution par une démarche pleine de dignité. Le Pape de Rome annonça son intention de se démettre. Mais préalablement il fit parvenir aux membres du Concile une convocation en règle, que l'assemblée accepta, et, devant ce vrai concile légitimé par son autorité suprême, Grégoire XII remit sa démission. Il mourut en 1417, avec le titre d'évêque de Porto et de légat perpétuel d'Ancône. Ses dernières paroles furent celles-ci : Je n'ai point connu le monde, et le monde ne m'a point connu.

Restait Benoit XIII. Abandonné par tous les prélats de son obédience, il s'était retiré en Espagne, dans la forteresse imprenable de Peniscola, avec trois cardinaux qui lui étaient restés fidèles. Le 22 juillet, le concile déclara Pierre de Lune, soi-disant Pape, déchu de tous droits, comme hérétique notoire et schismatique incorrigible.

Pierre de Lune survécut cinq ans à cette déchéance. Indomptable et obstiné, il se plaisait à dire que toute l'Église était avec lui sur le roc de Péniscola, comme l'humanité avait été dans l'arche de Noé. Chaque matin, dit-on, il lançait l'excommunication aux quatre points cardinaux du monde, qui l'avait, disait-il, lâchement abandonné. Il mourut le 29 novembre 1122, après avoir fait jurer à ses trois cardinaux de lui donner un successeur. Sa vaine résistance se poursuivit ainsi quelques années après sa mort. Mais le nouvel élu, un obscur chanoine espagnol, qui se fît appeler Clément VIII, se vit contester ses droits par un certain Bernard Garnier, sacriste de Rodez, qui se fit appeler Benoit XIV, et le schisme se termina dans la honte et, dans le ridicule.

Par la déchéance de Benoit XIII, le Concile de Constance restait la seule autorité, de fait comme de droit, dans l'Église. Quelques Pères pensèrent que le moment était venu de réaliser enfin cette importante réforme que le monde attendait depuis longtemps. Pierre d'Ailly et Jean Gerson firent prévaloir une solution plus sage. Après avoir voté quelques décrets disciplinaires, on procéda à l'élection du Chef de la Chrétienté. Le 11 novembre 1417, le vertueux cardinal Otto Colonna fut élu et proclamé Pape sous le nom de Martin V.

Une allégresse universelle accueillit cette nomination. De joie, dit une chronique de ce temps, les hommes avaient presque perdu la parole[102]. Cette fin inespérée, dit Pastor, a arraché à un adversaire acharné de la Papauté un aveu qu'il parait bon l'enregistrer. — Un royaume temporel, dit Gregorovius[103], eut sans doute succombé mais l'organisation du royaume spirituel était si merveilleuse, l'idée de la Papauté si indestructible, que cette scission, la plus grave de toutes, ne fit qu'en démontrer visibilité.

 

 

 



[1] BALUZE, t. II, col. 813.

[2] BALUZE, t. I, col. 1101 ; NOËL VALOIS, La France et le grand schisme d'occident, t. I, p 27.

[3] NOËL VALOIS, La France et le grand schisme d'occident, t. I, p. 27.

[4] Dépositions rapportées par NOËL VALOIS, La France et le grand schisme d'occident, t. I. p. 40.

[5] Voir les témoignages invoqués par VALOIS, t. I, p. 54.

[6] Déposition de Raymond de Capoue. — BALUZE, t. I, col. 1462. — VALOIS, t. I, p. 73.

[7] Nous nous sommes étendus sur le fait de cette élection d'Urbain VI, parce qu'il capital dans la question du schisme d'Occident. De la légitimité d'Urbain VI découlent la légitimité de tous les Papes de Rome, Boniface IX, Innocent VII et Grégoire XII, et l'illégitimité de ceux d'Avignon, Clément VII et Benoît XIII. — M. Noël Valois, après avoir rapporté minutieusement tous les incidents de l'élection, conclut en disant que la solution du grand problème posé au XIVe siècle échappe au jugement de l'histoire. La France et le grand schisme, t. I, p. 82. Mais BAUDRILLART, en s'appuyant sur les faits mêmes établis par M. Valois, conclut hardiment à la légitimité d'Urbain VI, Bulletin critique, 1896, p. 148, 140. Telle est aussi la conclusion très nette de M. SALEMBIER, Le grand Schisme d'Occident, p. 45-51, de M. CHÉNON, Hist. générale, t. III, p. 319, de M. PASTOR, Hist. des Papes, t, I, p. 131-133, de Mgr KIESCH, dans sa nouvelle édition de l'Histoire de l'Eglise d'Hergenröther. Les raisons militant en faveur de l'illégitimité d'Urbain VI ont été développées par M. HEMMER dans la Revue d'hist. et de litt. rel., 1896, p. 544, 1908, p. 476, 477, et dans la Revue du Clergé Français, 1904, p. 604-611.

[8] PASTOR, t. I, p. 134 ; LINDNER, Urban VI, p. 411 et s.

[9] Voir un certain nombre de traits de ce genre dans HÉFÉLÉ, t. X, p. 39-41.

[10] MURATORI, Scriptores rer. ital., t. III, 2 pars. p. 725.

[11] Cette lettre, écrite de la main du roi, mais dont le texte ne nous est pas parvenu, parait avoir exercé une influence décisive sur l'esprit des cardinaux (VALOIS, t. I, p. 101 ; A. BAUDRILLART, Bulletin critique, 1896, p. 151). La responsabilité morale de Charles V, mal informé et dont la conscience se tranquillisait sur l'autorité du Sacré Collège, peut être très atténuée ; mais celle de son homme de confiance le cardinal d'Amiens, Jean de la Grange, et surtout celle de Pierre de Murles, l'envoyé d'Urbain VI auprès du roi de France, dont M. Noël Valois a découvert et si finement analysé le rôle de traître, sont lourdes devant l'histoire. VALOIS, t. I, p. 90-93.

[12] Par ces mots nous n'entendons nullement qualifier d'une note théologique la masse des fidèles qui, de bonne foi, se rallia à l'obédience de Clément VII et de son successeur. A ce point de vue, on a raison de dire que le Schisme d'Occident n'a pas été un vrai schisme. Dans la grande division qui s'opéra alors parmi les fidèles, il y eut moins désobéissance au véritable Pasteur, qu'erreur sur la personne du Pasteur véritable. Voir sur ce point BOUIX, De papa, t. I, p. 461 ; DIDIOT, Logique surnat. objective, n° 823 ; SALEMBIER, Le grand schisme, p. 50, 51, 186 et s. — Il suit de là que l'Eglise pendant le schisme n'a pas été privée des sacrements, les deux papes jouissant évidemment de ce que le droit canonique appelle un titre coloré.

[13] SALEMBIER, p. 110.

[14] PASTOR, t. I, p. 148.

[15] VALOIS, t. II, p. 51.

[16] Certains actes d'Urbain VI ne peuvent, selon nous, s'expliquer que par un état voisin de l'aliénation mentale. BAUDRILLART, Bulletin critique, 1896, p. 147.

[17] Dietrich de Niem raconte que ces six cardinaux furent mis aux fers. Du vinaigre et de la chaux furent introduits dans les narines ou dans la bouche de quelques-uns, des pointes de jonc enfoncées sous leurs ongles, des cordes serrées autour de leurs tempes. Quand Urbain VI s'échappa de Nocera, sous la protection de quelques routiers, il traîna derrière lui ses prisonniers, liés sur des chevaux et exposés, tête nue, au soleil de la canicule. D. de NIEM, De scismate, p. 67-69, 76- 84, 92-95 ; Noël VALOIS, La France et le Grand Schisme d'Occident, t. II, p. 113, 114 ; SALEMBIER, p. 110. — M. VALOIS a bien démontré que les récits des cinq chroniqueurs qui nous racontent l'expédition de Louis d'Anjou à Naples, sont remplis d'erreurs. Mais il est difficile de mettre en doute le fait des cruautés exercées par Urbain VI contre ses cardinaux.

[18] PASTOR, t. I, p. 151.

[19] Voir de LESQUYN et MOLLAT, Mesures fiscales exercées en Bretagne par les Papes d'Avignon, pendant le grand schisme d'Occident, 1 vol. in-8°, Paris, 1903.

[20] E. GEBHART, Revue des deux Mondes, t. XCV, 1889, p. 142.

[21] E. GEBHART, Revue des deux Mondes, t. XCV, 1889, p. 143.

[22] NOËL VALOIS, La France et le grand schisme d'Occident, 4 vol. in-8°, Paris, Picard, 1896-1902 ; L. SALEMBIER, Le grand schisme d'Occident, 1 vol. in-12, Paris, Lecoffre, 1900.

[23] Boniface IX, Pierre Tomacelli, issu d'une famille noble appauvrie de Naples. Il était d'une taille élevée, de mœurs pures et d'une grande affabilité.

[24] Il s'appelait, de son nom de famille, Cosmato Nigliorati, de Sulmone. On vante sa science et ses vertus.

[25] Angelo Corrario, de Venise, vieillard vénérable, connu par sa haute probité.

[26] NOËL VALOIS, La France et le grand schisme d'Occident, t. III, p. 16, 17.

[27] BOURGEOIS DU CHASTELET, Nouvelle histoire du concile de Constance, Preuves, p. 107 ; C. LE COUTEULX, Annales ordinis carthusiensis, t. VI, p, 65.

[28] P. FÉRET, La Faculté de théologie de Paris, tome III, p. 97-103.

[29] P. FÉRET, La Faculté de théologie de Paris, tome III, p. 104.

[30] P. FÉRET, La Faculté de théologie de Paris, tome III, p. 105.

[31] , disait-il, selon Froissart, pour traités ni paroles que les rois d'Allemagne ni leurs consaux aient fait, je ne me soumettray à leur voulenté. FROISSARD, t. XVI, p. 86, 117.

[32] Frédéric MISTRAL, Nerto, cant. III.

[33] Voir JANSSEN, L'Allemagne à la fin du Moyen Age, trad. Paris, p. 392, 393.

[34] NOËL VALOIS, La France et le grand schisme d'Occident, t. III, p. 417.

[35] GERSONII opera, t. II, p. 54-73.

[36] FÉRET, La Faculté de théologie de Paris, t. IV, p. 224.

[37] P. PARIS, Les manuscrits français, t. II, p. 115-117. On sait que quelques auteurs ont attribué à Gerson le livre même de l'Imitation.

[38] Cf. PASTOR, t. I, p. 157-159, 164-168.

[39] Sur les doctrines de Wiclef, voir BOSSUET, Hist. des variations, liv. XI, n° 153 ; PASTOR, Hist. des Papes, t. I, p. 170 et s. ; DENZINGER-BANNWART, Enchiridion, 581-625 ; et Les origines du schisme anglican, p. 6-14.

[40] TOMMASEO, t. IV. p. 64, 442 et s. ; HASE, p. 253.

[41] TOMMASEO, t. IV, p. 143.

[42] CAPECELATRO, p. 242-243.

[43] BOLLANDISTES, Acta sanctorum, juillet, t. I, p. 428, 483.

[44] R. P. FAGES, O. P., Histoire de saint Vincent Ferrier, 1893.

[45] DOUILLET, Sainte Colette, 1884 ; Comte de CHAMBERET, Vie de sainte Colette, 1887.

[46] De moderno Ecclesiæ scismate, Bibl. nat., n° 1470.  Cité par NOËL VALOIS, t. I, p. 222.

[47] Né en 1340, mort en 1384.

[48] SALEMBIER, Le grand schisme d'Occident, p. 82.

[49] Opera Thomæ a Kempis, Antwerpiæ, 1615, cap. XXI, n° 2, p. 951.

[50] PASTOR, Hist. des Papes, t. I, p. 159.

[51] C'est l'hypothèse à laquelle se range M. l'abbé VACANDARD dans la Revue du clergé français, du 15 décembre 1908, p. 663 et s. — SPITZEN, Nouvelle défense de Thomas a Kempis, 1884 ; Les hollandismes de l'Imitation de J.-C., 1884 ; J. BRUCKER, Thomas a Kempis et l'Imitation de Jésus-Christ, nouveaux documents, dans les études du 5 mai 1914, p. 366-369. — Cf. PUYOL, L'auteur de l'Imitation de J.-C. ; FUNCK, Gerson und Gersen ; MALOU, Recherches historiques et critiques sur le véritable auteur de l'Imitation de J.-C. ; DUQUESNE, dans le Bulletin critique de 1889, p. 223 ; DENIFLE, Kritische Bemerkungen zur Gersen-Kempis frage ; A. LOTH, L'auteur de l'Imitation de J.-C., dans la Revue quest. hist., de 1873.

[52] PASTOR, t. I, p. 195.

[53] MARTÈNE et DURAND, t. VII, col. 894, 898.

[54] Si de papa dubitant, cur non de cardinalatu ? — Sur Malatesta, qui fut un des plus beaux caractères de ce temps, et sur son rôle politique, voir HÉFÉLÉ, t. X, p. 179 et s., 259 et s., 307 et s., et passim.

[55] Quatorze cardinaux de l'obédience de Rome et dix cardinaux de l'obédience d'Avignon.

[56] Voir la liste des membres du Concile dans d'ACHERY, Spicil., t. I, p. 853

[57] C'est l'expression de saint ANTONIN, vir in temporalibus magnus, in spiritualibus nullus omnino atque ineptus. — Summa historialis, p. III, tit. 22, c. 6.

[58] C'est l'accusation portée par DIETRICH DE NIEM. Elle paraît être calomnieuse Cf. PLATINA, De vitis pontif., p. 248, et la Chronique de Saint-Denis, au règne de Charles VI, liv. 33, c. 28.

[59] Ce fut surtout Balthazar Cossa qui fit cette élection, dit HÉFÉLÉ (t. X, p. 292), qui s'appuie sur divers témoignages contemporains — Cf. MARTÈNE, Vit. script. Alexandri V, t. VI, p. 1115 ; THEOD. A NIEM, De scism., l. III, 51 ; PLATINA, De vit. pontif, in vit. Alexandri V. — Que penser de la légitimité de cette élection ? PASTOR (Hist. des Papes, t. I, p. 200. 201) et HERGENRÖTHER (Hist. de l'Église, t. IV, p. 534), la considèrent comme radicalement nulle, le Concile de Pise n'ayant été convoqué ni par l'Eglise entière, ni par le Pape légitime. Plusieurs considèrent cependant Alexandre V comme un vrai pape. En fait, la majorité de l'Eglise se rallia à lui. Sur le droit qu'aurait un Concile régulier dans le cas d'un Pape hérétique ou d'un Pape douteux, voir MAZZELLA, De vera Religione et de Ecclesia Christi, p. 477, 818. Sur le caractère du Concile de Pise, voir BELLARMIN, De conciliis et Ecclesia, t. II, c. 8.

[60] HÉFÉLÉ, t. X, p. 293, a noté un autre défaut de Philargis, qui pouvait aussi faire espérer à Cossa d'en faire un instrument de sa politique : Il ne détestait pas le confortable et aimait les bons vins capiteux.

[61] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. X, p. 295.

[62] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. X, p. 306.

[63] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. X, p. 309.

[64] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. X, p. 307.

[65] Voir dans HÉFÉLÉ, t. X, p. 310-314, l'exposé et la réfutation de ces diverses accusations.

[66] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. X, p. 309.

[67] Chronique de Saint Denis, Règne de Charles VI, liv. 31, c. 1.

[68] Dietrich de Niem parle aussi de ce hibou. HÉFÉLÉ, t. X, p. 320. Fait réel ou légendaire, il nous donne l'impression produite par Jean XXIII dans ce concile.

[69] RAYNALDI, ad. non. 1413, n° 1. — GREGOROVIUS, Hist. de la ville de Rome, t. VI, p. 604 et s.

[70] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t, X, p. 325, 326.

[71] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. X, p, 392.

[72] ULRICH DE RICHENTAL, chargé de dresser la nomenclature des étrangers, nous en a laissé la liste. Ce témoin très autorisé assure qu'il y avait à Constance au moins sept cents femmes dans les maisons publiques ou chez elles, sans compter celles qui ne se déclaraient point. Chronik des constanzer Concils, f. CCXI. On peut bien en conclure que, parmi tait d'hommes d'armes et de seigneurs mondains, un certain nombre eurent une conduite indigne. Mais s'appuyer sur ce passage d'Ulrich de Richental, comme on l'a fait, pour attaquer la moralité des ecclésiastiques du Concile de Constance, c'est une injustice.

[73] D'après des documents inédits, analysés par M. Noël Valois, Jean Gerson n'aurait pas été le délégué officiel de l'Université de Paris, mais seulement un représentant officieux. La France et le grand schisme d'Occident, t. IV, p. 273, note.

[74] BOSSUET, Defensio declarationis cleri gallicani, p. 2, lib. VI, c. 20.

[75] De Ecclesie, Conc. gen. et Sum. Pontifiais auctoritate, dans les Opera Gersonii (édition Ellies Dupin) t. II, col. 958.

[76] Opera Gersonii, t. I, col. 689.

[77] Opera Gersonii, t. II. col. 949, 959.

[78] Opera Gersonii, t. II, col 958.

[79] SALEMBIER, Le grand schisme d'Occident, p. 115, note 2 ; p. 117, note 3. Sur Pierre d'Ailly, voir SALEMBIER, Petrus de Alliaco, Lille, 1883.

[80] C'est la date assignée par PASTOR, t. I, p. 197.

[81] ZARABELLA, De jurisdictione imperiali, Basileœ, 1566.

[82] C'est l'expression de Bossuet, Sancti Conventus lumen et in dogmatibus explicandis facile princeps. — Defensio declarationes, c. 30.

[83] Opera Gersonii, t. II, col. 249, 436.

[84] Opera Gersonii, t. II, p. 114, 135 et passim.

[85] Opera Gersonii, t. II, p. 247.

[86] MANSI, t. XXVII, p. 560. — HARDOUIN, t. VIII, p. 223. — Cf. SALEMBIER, Petrus de Alliaco. p. 274. Pierre d'Ailly avait demandé le droit de vote définitif pour les princes eux-mêmes. — Op. Gersonii, t. II, col. 941.

[87] Opera Gersonii, t. II, col. 230 et t. V, col. 53.

[88] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. X, p. 393.

[89] MANSI, t. XXVII, p. 577. — HARDOUIN, t. VIII, p. 244.

[90] MANSI, t. XXVII, p. 577-582. — HARDOUIN, t. VIII, p. 246249. — HÉFÉLÉ, t. X, p. 399.

[91] MANSI, t. XXVII, p. 582-584. — HARDOUIN, t. VIII, p. 240.251. — HÉFÉLÉ, t. X, p. 401, corrige les erreurs de date de Mansi et d'Hardouin. Trois nations seulement s'étaient réunies C'était une irrégularité de plus.

[92] MANSI, XXVII, 584-586.

[93] V. MAZZELLA, De vera religione et de Ecclesia Christi, p. 775, 776, et A. BAUDRILLART, Bulletin critique, du 15 juillet 1902, p. 393.

[94] MAZZELLA, De vera religione et de Ecclesia Christi, n° 993, p. 775, 776. Cf. p. 747.

[95] PASTOR, t. I, p. 208, 209. Il est bien vrai que l'article en question fut voté par l'assemblée générale de la cinquième session. Mais le vote se fit dans un tel trouble, au milieu de telles protestations et de telles restrictions (Voir HÉFÉLÉ, t. X, p. 404, 405), qu'on ne peut y voir réunies les conditions que Gerson lui même exigeait pour une décision prise conciliariter (Opera Gersonii, t. II, p. 943). D'ailleurs le Concile de Constance ne doit être regardé comme œcuménique que depuis la 42e session jusqu'à la 45e, quand le Pape Martin V le présida. L'approbation donnée par le Pape Martin V à tout ce que le concile avait fait conciliariter, et non aliter, nec alio ullo modo, vise principalement la condamnation de Falkenberg qui avait été faite par deux nations seulement, les nations allemande et française.

[96] DENZINGER-BANNWART, Enchiridion, n° 658, 659.

[97] Des recherches récentes, dit PASTOR, ont démontré d'une façon incontestable que toute la doctrine de Hus est d'un bout à l'autre empruntée à Wiclef. Hist. des Papes, t. I, p. 173.

[98] Louis BLANC, Hist. de la révolution française, t. I, p. 19. — Un pasteur protestant, M. KRUMMEL, dit PASTOR, a tenté de sauver l'honneur du mouvement hussite ; mais M. SCHWAB a démontré que cette défense n'atteint nullement son but, Hist. des Papes, t. I, p. 173.

[99] On a reproché à l'Eglise d'avoir condamné et livré Hus au bras séculier malgré le sauf-conduit qui lui avait été accordé. Un sauf-conduit avait été en effet donné à Jean Hus, non point par le concile, mais par l'empereur Sigismond. Or, ce sauf-conduit le garantissait simplement contre toute violence arbitraire ; il ne pouvait avoir pour effet de le faire échapper à sa condamnation. Voir à ce sujet une discussion très complète et très documentée d'HÉFÉLÉ, t. X, p. 521-531. — Le prétendue décision du concile, nullum fidem hœretico esse servandam, ne se trouve que dans un projet élaboré par un membre du concile et repoussé par l'assemblée.

[100] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. X. p. 427 et s.

[101] MANSI, t. XXVII, p. 715 et s. HARDOUIN, t. VIII, p. 816 et s. HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. X, p. 442.

[102] PASTOR, t. I, p. 219.

[103] GREGOROVIUS, Hist. de Rome au Moyen Age, t. VI, p. 620. Sur Pierre de Lune, voir Sébastien Puig y Puig, Pedro de Lima, un vol. Barcelone, 1920.