HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

PREMIÈRE PARTIE. — LA DÉCADENCE DE LA CHRÉTIENTÉ ET LA RENAISSANCE

CHAPITRE II. — DE L'AVÈNEMENT DE BONIFACE VIII À LA MORT DE BENOÎT XI. LES LÉGISTES (1294-1304).

 

 

Tant qu'un mouvement social n'a pas trouvé une formule pour s'exprimer et un guide pour s'orienter, il est peu redoutable. Le mouvement qui s'attaquait aux institutions politiques et sociales du Moyen Age trouva sa première expression et sa première orientation dans l'œuvre des Légistes.

 

I

On appela Légistes ou Chevaliers ès-lois des hommes qui, à partir du XIIIe siècle, s'adonnèrent avec passion à l'étude du droit romain et devinrent conseillers des rois[1]. Le roi saint Louis, dans son désir de renouveler et d'améliorer la législation, fit appel à leur concours, mais ne se laissa point dominer par eux. Sous les derniers Capétiens directs, leur influence devait être prépondérante.

Le récit traditionnel qui fait remonter l'étude du droit romain à une découverte des Pandectes faite par les Pisans dans le pillage de la ville d'Amalfi en 1133, est une pure légende[2]. Mais l'opposition, parfois violente, des Légistes contre le droit féodal et, par là même, contre l'Église, qui en était l'âme, trouva ses formules et ses principes dans le droit romain, que des Maîtres renommés enseignaient avec éclat à Bologne, à Montpellier, à Toulouse, à Lyon, en bien d'autres villes. Une jeunesse enthousiaste se pressait autour des chaires où se faisaient entendre les Maîtres légistes, comme on s'était pressé autour des Maîtres grammairiens au temps de Charlemagne et autour des Maîtres philosophes au temps d'Abailard, comme on devait se presser, deux siècles plus tard, autour des Maîtres humanistes.

Les quatre bases principales sur lesquelles reposait la société médiévale, la Coutume, le Régime de la propriété, le Contrat féodal et la Royauté chrétienne, avaient subi des crises qui nécessitaient des réformes et une réglementation. Les Légistes, avec une logique abstraite qu'il n'est pas arbitraire de comparer à celle des théoriciens de la Révolution française, et souvent avec une violence qui n'est pas sans analogie avec la fureur jacobine des hommes de 1793, s'appliquèrent à détruire ce qu'il eût fallu restaurer, à transformer l'évolution qui s'imposait en une véritable révolution.

Les diverses et multiples forces sociales qui formaient la société du XIIIe siècle, fiefs, seigneuries, baronnies, comtés, bourgs à chartes de franchises, villes à gouvernement électif, corporations ouvrières ou marchandes, communautés de paysans, paroisses, universités, étaient nées par la force des choses, sous la poussée des événements et l'impulsion tantôt active et tantôt modératrice de l'esprit chrétien, comme la végétation d'une immense forêt vierge. Chaque institution avait son caractère propre, son statut, son esprit, ses intérêts, parfois son costume. La valeur de cette organisation était dans sa diversité même, dans sa souplesse, dans son adaptation à chaque contrée et à chaque époque, dans sa puissance inépuisable de transformation par la Coutume, qui, t'ayant créée, avait la puissance de la modifier indéfiniment. Ses inconvénients étaient dans la diversité, devenue presque inextricable, de ses jurisprudences, toujours mouvantes, parfois insaisissables. Ce droit coutumier devait devenir odieux aux Légistes, qui trouvaient, dans le droit écrit de l'ancienne Rome, tant de précision, de logique et de clarté : Droit haineux, s'écrie un Légiste du XIVe siècle[3], est le droit qui, par le moyen de la coutume du pays, est contraire au droit écrit.

Dans la hiérarchie des institutions sociales, le Moyen Age n'avait jamais séparé l'idée de souveraineté de l'idée de propriété territoriale. On acquérait la juridiction avec la terre. On se dépouillait de ses prérogatives en aliénant ses propriétés. La terre était suzeraine et vassale. Les droits attachés à la propriété étaient divers, et toujours corrélatifs à des charges ou à des devoirs. Or le juriste opposait à cette conception, qu'il traitait de barbare, celle du vieux droit romain, qui faisait du droit de propriété le droit absolu d'user, de jouir et de disposer, jus utendi, fruendi et abutendi, sans redevance à un supérieur ni charge envers un inférieur.

Les groupements sociaux du Moyen Age formaient un organisme hiérarchique, dont les relations et les mouvements étaient réglés par des contrats. Les points non fixés par la coutume étaient stipulés par des pactes positifs et précis. Sur tous les points du territoire, dit un historien[4], des pactes solennels ont fixé la quotité des redevances et des tailles, la durée de l'ost ou de la chevauchée... l'échelle des droits privés et publics. Pour tout le royaume s'est établi le droit de discuter, par ses représentants, chaque changement à ces pactes, d'élever l'impôt ou de modifier la loi, de fixer ses obligations ou ses services. Contre un pareil état de choses protestera le Légiste, pour qui la loi doit être uniforme, aux veux de qui toute franchise locale est odieuse et toute concession de libertés essentiellement révocable par le roi, dispensateur de tout droit civil et politique[5].

Au Moyen Age, le roi très chrétien est chargé, de par le serment de son sacre, de garder tous les droits... de réprimer toutes les injustices[6], et demeure responsable devant Dieu, dont il tient son pouvoir, de l'exercice qu'il en fait. Les Légistes proclament aussi que le roi ne tient que de Dieu[7] ; mais par cette formule ils n'entendent point borner ses droits ; ils prétendent les rendre absolus et illimités comme ceux de Dieu lui-même. Ils se souviennent de la maxime romaine : Quidquid placuit principi legis habet vigorem[8]. L'idéal de la royauté ne sera plus pour eux dans saint Louis, mais dans le César païen de l'ancienne Rome[9].

Dire cependant que les Légistes proclamèrent et contribuèrent à établir le pouvoir absolu et personnel du roi ne serait pas tout-à-fait exact. A la royauté ils opposèrent une limite : ce fut celle de leur propre puissance. Ils exercèrent cette puissance dans le conseil du Roi, où ils eurent accès, et dans le Parlement, à qui fut arrogé le droit non seulement de rendre la justice,, mais de garder les lois fondamentales du pays, d'enregistrer les ordonnances et les édits et de faire des remontrances au roi lui-même. La dicte court, dit une déclaration du Parlement, est le vray siège et thrône du Roy... ad instar du Sénat de Rome[10].

Telles furent les doctrines des Légistes, tel fut leur pouvoir. Nous allons les voir à l'œuvre en France, en Angleterre et en Allemagne, autour de Philippe le Bel, d'Edouard III et de Louis de Bavière.

 

II

On a beaucoup attribué à l'initiative de Philippe le Bel et de ses fils la responsabilité d'une politique qui retombe tout entière sur les Légistes qui l'entouraient[11]. Des études historiques plus  attentives ne permettent plus de voir en luit un monarque audacieux et habile et portent à le considérer plutôt comme un homme d'un caractère très faible et qui eut un rôle très effacé[12]. C'est ainsi d'ailleurs que le représentent presque tous ses contemporains. Guillaume Scot, moine de Saint-Denys, insinue que Philippe n'aurait été qu'un homme faible, dominé par son entourage, et qui se laissait imposer plutôt qu'il ne dirigeait la politique de son règne[13]. Tout ne serait pas caricature dans le portrait que trace de Philippe son ennemi Bernard Saisset : Notre roi, dit-il, ressemble au duc, le plus beau des oiseaux et qui ne vaut rien ; c'est le plus bel homme du monde, mais il ne sait que regarder les gens fixement sans parler[14].

Tout autre est le jugement qu'on doit porter sur les hommes de loi qui inspirèrent la politique de ce roi de France, et en particulier sur trois d'entre eux : Pierre du Bois, Pierre Flote et Guillaume de Nogaret.

Né en Basse-Normandie, aux environs de Coutances, vers 1250, Pierre du Bois avait étudié le droit à l'Université de Paris, où il entendit saint Thomas d'Aquin prononcer un sermon et Siger de Brabant commenter la Politique d'Aristote. Il devait être un des agents les plus actifs de l'œuvre de destruction entreprise par les Légistes. Avocat royal, il lutta toute sa vie, avec un acharnement passionné, et sans trop de scrupules sur le choix des moyens[15], pour l'extension des droits de la société civile et la destruction de la juridiction ecclésiastique ; il rêva pour Philippe le Bel la domination de l'Europe et l'incorporation à ses États du Domaine pontifical. Pierre du Bois, dit Renan, soutient ses idées avec une hardiesse qui n'a été dépassée que par les réformateurs du XVIe siècle[16]. Après avoir soufflé la haine de l'Église au roi de France, il devait passer au service du roi d'Angleterre, Edouard Ier, pour remplir auprès de lui un rôle semblable. L'Auvergnat Pierre Flote, chancelier de Philippe le Bel, n'eut pas les vastes et révolutionnaires conceptions de Pierre du Bois ; mais ce petit avocat borgne[17], comme l'appelait Boniface VIII, mit dans ses procédés une insolence et une brutalité sans vergogne. La malice de l'un et de l'autre fut dépassée par celle de l'avocat gascon Guillaume de Nogaret, le sacrilège agresseur de Boniface VIII à Anagni, l'âme damnée de Philippe le Bel[18]. On a dit de cet homme qu'il mérite, en un sens, la qualification de grand ministre, mais qu'on se sent avec lui dans le pays des doctrinaires de la révolution[19]. Ce descendant des vaudois, dont le grand père avait été brûlé comme patarin[20], fut lui-même un précurseur authentique des jacobins de 1793.

Nul ne devait mieux discerner cette action perfide des Légistes que Boniface VIII. Ce sont de mauvais conseillers qui vous ont inspiré des choses fausses et insensées, écrivait le Pape au roi de France[21]. Ce sont eux qui dévorent les sujets du royaume ; ils sont comme ces portes dérobées qui permettaient aux, serviteurs de Baal d'emporter secrètement les offrandes ; ce sont eux qui abusent de votre protection pour voler votre bien et ceux des autres.

 

La note caractéristique de la politique de Philippe le Bel ne fut pas, comme on l'a dit trop souvent, de faire prendre conscience d'elle-même à la nation française[22]. Qu'une pareille œuvre s'imposât à cette époque et qu'une autonomie plus grande des diverses nations dût amener des modifications dans l'exercice de la Souveraineté pontificale, nul esprit raisonnable ne l'eût contesté dans l'Eglise. L'œuvre avait été déjà entreprise par saint Louis. Mais entre la politique du grand roi, inspirée par l'esprit chrétien, et celle de son petit-fils, mené par les Légistes, la différence est profonde. Elle a été fortement marquée par l'historien allemand Léopold de Ranke. On trouve, dit-il[23], des rois qui subordonnent la possession du sceptre, et même l'existence de leur royaume, à un but plus élevé : au maintien de l'ordre de choses établi par la Divinité, au progrès de la civilisation, au respect de la justice, à l'accomplissement des vues de l'Eglise, à la propagation de la foi. D'autres, au contraire, s'érigent en représentants des intérêts de leur pays ; l'agrandissement de sa puissance leur paraît, en lui-même, un but glorieux ; ils envahissent sans hésiter les territoires étrangers, dès qu'ils jugent la chose utile ; ils voient leur destination et leur gloire dans le développement des forces intérieures et de la grandeur extérieure du pays. Les premiers sont des hommes d'un esprit élevé, humain, religieux ; qui voient plutôt avec satisfaction qu'avec regret leur puissance bornée par les lois ; les seconds sont des caractères énergiques[24], passionnés et durs quelquefois, qui se jouent des limites les plus nécessaires. Ceux-là appartiennent plutôt au Moyen Age, ceux-ci aux temps modernes, mais les uns et les autres se rencontrent à toutes les époques. Après que la race capétienne eut produit saint Louis, type et modèle des rois religieux, elle en produisit un du caractère opposé : ce fut Philippe le Bel. Saint Louis avait fait de sa conscience, suivant l'expression de Guizot[25], la première règle de sa conduite ; la politique française sous Philippe le Bel n'eut pour principe que la poursuite de l'intérêt national, ou plutôt, comme on l'a dit, de l'égoïsme national[26] par tous les moyens.

Cette politique se révéla d'abord dans l'administration financière. Le résultat des efforts des prédécesseurs de Philippe le Bel avait été de concentrer entre les mains du roi, pour les besoins de la défense du pays et de son bon ordre, l'administration d'immenses propriétés foncières, le commandement d'une armée nationale, la direction de services administratifs de plus en plus nombreux et compliqués. Pour faire face aux dépenses qu'entraînait forcément cette organisation nouvelle, Philippe IV eut recours, dit un historien impartial, à des procédés financiers qui portent une empreinte inaccoutumée d'arbitraire et de violence[27]. L'altération frauduleuse des monnaies, des levées arbitraires d'impôts, l'appel en France de financiers juifs et lombards, à qui on faisait rendre gorge après qu'on les avait laissés s'enrichir par les moyens les plus équivoques[28], telles furent quelques-unes des mesures qui soulevèrent sourdement contre le roi la protestation de l'opinion publique[29]. D'autres procédés s'attaquaient directement aux biens d'Eglise et aux droits du clergé.

C'était un principe du droit canonique et civil, universellement admis au Moyen Age, que les clercs, soumis au droit commun des contributions pour leurs biens personnels, ne devaient rien à l'Etat pour les biens d'Eglise, lesquels étaient grevés, on le sait, des charges afférentes à l'instruction populaire, à l'assistance publique et au culte. Dans les nécessités publiques, le clergé n'avait jamais refusé de contribuer aux dépenses par l'offrande de dons gratuits extraordinaires. Le clergé de France ne venait-il pas, sous Philippe le Hardi, de voter d'importants subsides à l'occasion de la guerre contre l'Aragon[30] ?

Le premier tort du gouvernement de Philippe le Bel fut de vouloir rendre obligatoires et dépendantes de la volonté arbitraire du roi ces contributions volontaires.

Dès 1294, le roi de France avait fait voter par tout le clergé un double décime pendant deux années à partir de la Toussaint 1294. Quelques protestations s'élevèrent. Plusieurs ecclésiastiques de la province de Reims en appelèrent à Boniface[31] ; mais Philippe s'inquiéta peu de ces protestations : Le clergé n'était point libre de refuser ; les ecclésiastiques qui ne voulurent pas contribuer furent exposés à la vengeance du roi, qui fit mettre sous sa main leur temporel. Les abbés de l'ordre de Cîteaux, dans le diocèse de Carcassonne, invoquèrent les immunités dont ils jouissaient ; le sénéchal saisit leurs biens et ne les leur rendit qu'après qu'ils se furent exécutés[32]. En 1296, nouvelles demandes de décimes. Les évêques se réunirent à Paris le 27 mai. Ils accordèrent, en réservant l'approbation du Pape, deux autres décimes, l'un payable à la prochaine fête de la Pentecôte, l'autre le 29 septembre suivant, à condition qu'ils seraient levés par le clergé, sans l'intervention de l'autorité laïque[33]. On redoutait les officiers du fisc. Si l'Église éprouvait quelques vexations de la part du roi, la levée du subside devait cesser[34]. Telles furent les concessions, un peu trop étendues, des évêques de Résistance de France, qui subissaient l'ascendant d'un roi aussi puissant que rusé. Mais l'ordre de Cîteaux, qui avait déjà résisté avec énergie à la levée des décimes de 1291 et 1295, se souleva avec une indépendance unanime contre les nouvelles exactions du roi de France[35]. Ce fut leur plainte qui décida le Pape Boniface VIII à publier la bulle Clericis laïcos.

Avant même l'avènement de Boniface VIII, le roi de France avait attenté d'une autre manière aux droits du clergé. Abusant du privilège de régale, c'est-à-dire du prétendu droit de percevoir les revenus d'un évêché vacant, lequel était déjà un premier abus[36], il ne se contenta pas des revenus ordinaires, et s'en prit aux biens-fonds, faisant couper les forêts et dépeupler les viviers.

Au droit de régale ainsi conçu, il ajouta ce qu'il appelait la sauvegarde royale, qui s'étendait d'une manière générale, à tous les évêchés et à toutes les abbayes qui venaient à vaquer, sous prétexte de protéger leurs biens contre toute attaque. Grâce à cette prétendue sauvegarde, il put mettre la main sur les biens de toutes les prélatures vacantes[37].

 

III

Au moment où ces odieuses exactions s'accomplissaient, le Saint-Siège était occupé par le pieux et inexpérimenté CÉLESTIN V[38], que l'enthousiasme populaire avait arraché à son ermitage et conduit sur le siège de saint Pierre. On aurait dit un ange, écrit avec raison un judicieux historien[39], mais c'était un homme qu'il fallait. Ce pontife, qui fuyait la société des hommes, qui s'était fait construire dans le palais pontifical une cellule de bois pour s'y enfermer et pour y prier[40], comprit bientôt que son devoir était de se décharger du fardeau du Pontificat. On l'entendait parfois murmurer en gémissant : Ô mon Dieu, tandis que je règne sur les âmes, voici que je perds la mienne ! Il fut grand par le courage avec lequel il abdiqua la tiare, reprit sa vie d'anachorète, et y pratiqua les vertus d'humilité, de prière et de mortification, qui lui ont valu d'être placé au nombre des saints[41].

Onze jours plus tard, le 21 décembre 1294, le collège des cardinaux élevait au Souverain Pontificat, l'homme énergique, perspicace et rompu aux affaires publiques, dont l'Église avait besoin : le cardinal Benedetto Gaetani, qui prit le nom de BONIFACE VIII.

Il était né d'une noble famille d'origine espagnole dans la vieille ville d'Anagni, au pied des Apennins, entre l'an 1210 et l'an 1230[42]. Son âme ardente et généreuse compatit de bonne heure aux maux que faisaient alors souffrir à la Papauté l'âpre violence de Frédéric Il et l'ambition démesurée de Charles d'Anjou. Comme la plupart des fils de grandes familles de cette époque, il s'adonna à l'étude du droit. Les historiens en font un des plus illustres docteurs de l'Université de Paris[43]. Il y étudia avec tant de succès le droit civil, et surtout le droit ecclésiastique, que sa renommée s'étendit au loin. Dans diverses légations qu'il eut ensuite à remplir auprès de Rodolphe, roi des Romains, de Charles d'Anjou, roi de Sicile, et de Philippe le Bel, roi de France, Benoit Gaetani eut l'occasion de se former à la pratique des affaires ecclésiastiques et séculières. Mais toute sa vie il devait rester avant tout un jurisconsulte. Il fut, dit-on, le plus grand canoniste de son temps. Sa mission diplomatique en France l'avait mis en rapport avec Philippe le Bel ; son séjour à l'université de Paris l'avait mis en contact avec ces Légistes qui devaient être les plus redoutables adversaires de sa politique. Déjà les études de droit romain, auxquelles le clergé s'était adonné avec profit pendant le Moyen Age[44], étaient devenues suspectes à l'Église, non seulement par la diversion qu'elles opéraient au détriment des études théologiques des clercs[45], mais surtout par l'esprit nouveau d'hostilité envers l'Église dans lequel elles étaient conçues et par l'abus qu'en avaient fait déjà les empereurs et les rois[46]. Le Pape Honorius, par une bulle du 16 novembre 1219, avait interdit l'étude du droit romain à tous religieux et clercs, sous peine de censure ecclésiastique[47]. Benoit Gaétani s'était adonné avec passion à l'étude de ce Droit canonique, qui devenait de plus en plus l'arsenal où l'Église irait prendre ses armes dans la lutte qui s'engageait. Cette vénérable discipline, qui se glorifiait, avec une certaine hauteur, de tenir le rang le plus élevé dans la hiérarchie des sciences[48], qui se donnait le nom de Theologia rectrix et de Theologia practica, empruntait peut-être trop à la théologie dogmatique ses méthodes dialectiques et ses principes absolus[49], jugeait trop la portée des lois de l'Église d'après des maximes abstraites et spéculatives, ne tenait pas assez compte des contingences historiques[50], tandis que le Droit romain, aspirant à gouverner le monde ; subordonnait trop à cette ambition tes principes et les conclusions des vieux jurisconsultes. La grande guerre qui devait éclater entre Boniface VIII et le gouvernement de Philippe le Bel eut-elle pour prélude quelques argumentations scolaires, où l'étudiant des Décrétales, le futur auteur du Sexte, se mesura avec les commentateurs des Pandectes ? En tout cas la lutte qu'il engagera un jour pour la défense de l'Église ne sera pas seulement le tragique duel de deux Puissances, dont l'une aura tout l'élan impétueux de l'assaillant et l'autre toute l'énergie désespérée de l'assiégé, ce sera bien le conflit des deux personnifications du Droit à cette époque, le Légiste gallican et le Canoniste romain.

Du canoniste, tel que ces temps le comprenaient, Boniface aura parfois la dialectique trop abstraite et trop raide ; du combattant, qui défend la place forte menacée, il aura la trop prompte vivacité. Mais, avec l'amour généreux de la vérité que lui inspirera sa grande âme, on le verra toujours expliquer aussitôt, commenter et mettre au point des circonstances actuelles la maxime, trop absolue en sa forme, qu'un premier mouvement lui aura dictée. Pour être juste envers Boniface VIII, il faut toujours savoir rapprocher de ses lettres qui proclament les principes, les lettrés subséquentes qui en règlent l'application, commenter les paroles du Maitre en droit canon par les explications, toujours pratiques et mesurées, du Père commun des fidèles.

Quand, le lendemain de son élévation au Pontificat, le jour de Noël de l'an 1294, le nouveau Pape jeta un regard d ensemble sur cette Chrétienté, qu'il connaissait bien, on comprend qu'effrayé de la lourde charge dont il assumait le fardeau, il ait pris cette devise : Mon Dieu, venez à mon aide, Deus in adjutorium meum intende.

L'Europe était en feu. La lutte d'Albert d'Autriche contre Adolphe' de Nassau déchirait le Saint-Empire. La France et l'Angleterre étaient aux prises. Des convulsions intérieures agitaient l'Italie. Guelfes et Gibelins se disputaient le pouvoir dans Florence et dans Rome. Au Nord, le roi de Danemark persécutait l'Église. La Terre-Sainte était au pouvoir des Infidèles, et quand les derniers Papes avaient essayé de réveiller la vieille ardeur pour les croisades, les princes et les peuples, occupés à se combattre ou préoccupés de sauvegarder leurs intérêts matériels, étaient restés à peu près sourds à leurs appels. La vieille foi du Moyen Age s'était refroidie dans les âmes. L'art chrétien perdait son symbolisme traditionnel et entrait dans la voie d'un réalisme qui devait sans doute devenir une forme nouvelle du sentiment religieux, mais qui déconcertait tout d'abord.

Boniface, appuyé sur te secours divin qu'il venait d'implorer, rêva, dès les premiers tours de son pontificat, de rendre à la Chrétienté du Moyen Age son ancien éclat. Pacifier les peuples et les rois, les réunir dans une nouvelle croisade pour conquête du tombeau de Jésus-Christ, raviver la piété dans les âmes et renouveler l'art chrétien : tel fut le but qu'il poursuivit jusqu'à sa mort. Les luttes pénibles qu'il eut à soutenir contre le roi de France l'en écartèrent parfois, mais il devait y revenir avec une infatigable persévérance, qu'il est possible de suivre, presque jour par jour, dans le Registre de sa correspondance[51].

Sacré le 23 janvier 1295[52], il écrit, dès le 21 janvier, à Edouard, roi d'Angleterre, et à Philippe, roi de France, pour les exhorter à respecter et à aimer la justice[53] ; le 13 février, c'est à la ville de Venise, en guerre avec Gênes, que de pareilles exhortations sont adressées et que le souvenir de la paix de la Chrétienté et de la conquête de la Terre Sainte est rappelé[54] ; six jours plus tard il écrivait à Edouard et à Philippe pour leur proposer sa médiation et leur envoyait, à cet effet, deux cardinaux en qualité de légats[55]. Les hostilités qui se poursuivaient en effet entre la France et l'Angleterre menaçaient de mettre à feu et à sang l'Europe entière. Eric, roi de Norvège, Rodolphe, ancien roi des Romains et rival d'Adolphe de Nassau, Florent, comte de Hollande, Othon IV, comte de Flandre, Baliol, roi d'Ecosse, des seigneurs avides de conquête, des villes et des communes de Castille, âpres au gain, se rangeaient autour de Philippe, tandis qu'Adolphe de Nassau et Jean de Richemont, due de Bretagne, prêtaient leur appui au roi Edouard. Ni les suppliantes sollicitations des légats, soutenus et ranimés par les lettres pressantes du Pape, ni les démarches de Boniface VIII auprès d'Adolphe de Nassau ne parvenaient à apaiser les belligérants. Non content de continuer la guerre, Philippe, pressé par le besoin d'argent, violait les droits de son peuple en faisant frapper de la fausse monnaie[56], et son allié Eric de Danemark, sans respect pour les immunités des clercs et pour les biens de l'Eglise, dépouillait les évêques, et jetait dans les fers l'archevêque de Lunden. Boniface écrivit au roi Eric une lettre de noble et paternelle protestation, par laquelle il lui demandait d'envoyer à Rome des ambassadeurs, qui le mettraient à même de travailler au rétablissement de la paix dans le royaume de Danemark[57].

Qu'on parcoure toutes les lettres écrites par le nouveau Pape pendant cette période, et l'on verra que, dans l'accomplissement de ce rôle de médiateur, que le droit public du Moyen Age lui assignait, et que lui seul d'ailleurs pouvait remplir au milieu des divisions et des haines presque universelles de ce temps, pas un mot ne sort de sa plume qui ne respire un esprit de condescendance et de paix.

 

IV

Un moment vint cependant où le respect que le Pontife devait à la justice et le dévouement à sa mission de protecteur des biens de l'Église l'obligèrent, à se servir des armes spirituelles attachées à ses fonctions. Des usuriers sans conscience infestaient le  diocèse d'Autun ; Boniface VIII prescrit à l'évêque de les expulser sans retour[58]. Il ordonne à l'évêque de Metz de faire exhumer les restes d'un usurier fameux et de les faire jeter hors du terrain sacré de l'Église[59]. L'évêque d'Arles, l'évêque de Marseille, les magistrats de la Lucanie, ceux de Pise et d'Orvieto laissent sans protester des laïques envahir les biens ecclésiastiques ; il les appelle en jugement et les frappe de censures[60]. Un abus moins apparent, mais plus dangereux menaçait l'Église. Le désir de plaire aux princes portait souvent le clergé à disposer à leur profit, sous le couvert de dons, de secours, de témoignages de reconnaissance, des biens offerts à Dieu pour le service du culte et des pauvres. Le vigilant Pontife crut que le moment était venu de décréter une mesure générale. Ce fut l'objet de la fameuse Constitution Clericis laïcos, publiée le 25 février 1296, qui devait soulever contre lui tant de haines : L'antiquité nous apprend, disait le Pape, et l'expérience de chaque jour nous prouve jusqu'à l'évidence, que les laïques ont toujours eu pour les clercs des sentiments hostiles. A l'étroit dans les limites qui leur sont tracées, ils s'efforcent constamment d'en sortir par la désobéissance et l'iniquité ; ils ne réfléchissent pas que tout pouvoir sur les clercs, sur les biens et sur les personnes d'Église leur a été refusé ; ils imposent de lourdes charges aux prélats, aux églises, aux ecclésiastiques rouliers et séculiers, les écrasant de tailles et de taxes, leur enlevant tantôt la moitié, tantôt le dixième, tantôt le vingtième ou une autre partie de leurs revenus, essayant ainsi de mille manières de les réduire à la servitude. Or, nous le disons dans l'amertume de notre âme, quelques prélats, quelques personnes ecclésiastiques, tremblant là où il n'y avait point à craindre, cherchant une paix fugitive et redoutant plus la majesté temporelle que la majesté éternelle, se prêtent à ces abus, moins toutefois par témérité que par imprudence, mais sans avoir obtenu du Saint-Siège le pouvoir et la faculté.

Suivent les terribles censures :

Pour couper court à ces abus, nous ordonnons ce qui suit, d'accord avec les cardinaux et en vertu de notre autorité apostolique : tous les prélats et, en général toutes les personnes appartenant à l'Eglise, les moines ou les clercs séculiers qui, sans l'assentiment du Siège apostolique, paient ou promettent de payer à des laïques des impôts, des tailles, la dîme ou la demi-dîme, ou bien la centième partie, ou une portion quelconque de leurs revenus ou des biens de leurs églises à titre de subvention ou de prêt, de présent, de subsides, etc., de même, les empereurs, rois, princes, barons, recteurs, etc., qui imposent de pareilles créances, qui les exigent et qui les perçoivent, ou bien qui mettent la main sur des dépôts placés dans des églises, ou qui donnent leur concours pour une action de ce genre, toutes ces personnes tombent, par le fait même, sous le coup de l'excommunication. Nous frappons d'interdit les communautés qui prêchent dans ce sens, et nous ordonnons, sous peine de déposition, aux prélats et à toutes les personnes de l'Eglise de ne pas laisser prélever ces impôts sans l'assentiment exprès du Siège apostolique, de ne pas les payer, pas même en alléguant le prétexte qu'antérieurement déjà et avant la publication du présent édit on avait fait une promesse de ce genre. Même dans ce cas, si ces personnes viennent à payer et si les laïques reçoivent ces paiements, les uns et les autres tombent, par le fait même, sous le coup de l'excommunication. De plus, nul ne pourra absoudre de cette excommunication et de cet interdit, s'il n'a reçu plein pouvoir du Siège apostolique ; on n'excepte que le cas où le coupable se trouvera à l'article de la mort; car nous sommes décidés à ne plus tolérer cet épouvantable abus du pouvoir civil ; de même aucun privilège accordé à un roi, par exemple celui de n'être jamais excommunié, ne saurait mettre obstacle à l'exécution du présent édit[61].

Il faut bien l'avouer : toutes les fois que Boniface VIII, cessant de s'adresser à une personne privée, s'élève dans la région des principes, il les proclame avec une inflexibilité qu'il tenait sans doute des méthodes scolaires de son époque, et qui était de nature à blesser des esprits mal disposés à son égard. On sent d'ailleurs, dans cette Bulle, l'irritation mal contenue d'une âme ardente[62].

Au fond, le document pontifical n'innovait rien et ne faisait que rappeler le droit existant[63]. Ce fut pourtant l'étincelle qui, suivant l'expression de Bossuet[64], alluma l'incendie.

Chaque prince le reçut suivant ses dispositions. En Allemagne, Adolphe de Nassau, préoccupé de ses difficultés financières et de l'opposition sourde qui se formait déjà contre lui, accepta la Bulle avec respect. Un synode diocésain tenu dans la ville de Cambrai, qui était alors pays germanique, décréta que la Lettre pontificale serait traduite en langue vulgaire et lue au peuple quatre fois chaque année[65].

Le brutal Edouard d'Angleterre s'emporta. Pressé d'argent, par la guerre qu'il venait de faire à Jean d'Ecosse et par les préparatifs de la campagne qu'il méditait contre le roi de France, ce prince écrasait les églises d'impôts de toutes sortes. Il essaya de répondre à la Bulle en redoublant de violences. Mais il se heurta à la résistance héroïque du clergé. Dans un concile, réuni par l'ordre du roi dans l'église de Saint-Paul de Londres, les évêques eurent le courage de proclamer à l'unanimité leur adhésion à la Constitution du Pape. Ni les emprisonnements, ni les exils, ni les violences de toutes sortes n'eurent raison de l'admirable Église d'Angleterre, groupée autour du vaillant archevêque Robert de Cantorbéry. Edouard devait d'ailleurs désavouer plus tard sa conduite et regretter ses torts.

Dans l'attitude du roi de France, on n'eut pas de peine à reconnaître l'inspiration des Légistes retors qui l'entouraient. Sans faire aucune allusion à l'acte du Saint-Siège, Philippe interdit aux laïques et aux clercs ses sujets de transporter ou d'envoyer de l'argent, monnayé ou non, hors du royaume, même par motif de piété envers le Saint-Siège. C'était vouloir tarir une des sources les plus abondantes des revenus de la Papauté ; c'était violer ouvertement les canons de l'Eglise, qui interdisaient aux puissances séculières d'intervenir dans l'administration et la distribution de ces revenus.

Le Pape ne se trompa point sur le sens et sur l'origine de cette mesure : Voyez, écrivit-il à Philippe, où vous ont conduit vos misérables conseillers... Oh ! telle ne fut pas la conduite de vos ancêtres ! Et, après avoir rappelé au roi ce que le Saint-Siège avait fait pour la France, et la sollicitude que lui, Boniface, avait pour la grande nation, il réduisait à leur vraie portée les défenses édictées par sa lettre : Non, disait-il[66], nous n'avons pas précisément ordonné que les prélats et les clercs ne fournissent aucun subside, soit pour votre défense, soit pour celle de l'empire ; nous avons seulement prescrit qu'ils ne le fissent pas sans notre permission... Si votre royaume, ce qu'à Dieu ne plaise, était dans un pressant danger, loin d'empêcher les évêques et les clercs de France de vous accorder des subsides, le Saint-Siège se résoudrait, dès que la nécessité l'exigerait, à sacrifier les calices, les croix ; les vases sacrés,, plutôt que de laisser subir quelque dommage à un si noble royaume, si cher au Saint-Siège, que dis-je ? le plus cher de tous à notre cœur.

Dans une seconde lettre, Boniface était plus explicite encore. Comme le droit d'un auteur est d'expliquer le sens de ses paroles, écrivait-il au roi[67], nous déclarons ce qui suit, autant pour votre tranquillité que pour celle de vos successeurs. Si un prélat, ou tout autre clerc de votre royaume, veut volontairement et sans aucune pression vous faire un présent, ou bien un prêt, notre Bulle n'a rien qui s'y oppose, pas même dans le cas où une invitation polie et amicale à faire de pareils dons aurait eu lieu, soit de votre part, soit de la part de vos fonctionnaires. Il est inutile de dire en outre que la Bulle n'a pas eu en vue les redevances auxquelles sont tenus les prélats en vertu des fiefs qu'ils possèdent. On excepte aussi les cas de nécessité dans lesquels on ne peut consulter le Saint-Siège, à cause du periculum in morâ.

Ce dernier point fut développé dans une dernière lettre. Le Pape y règle qu'il appartiendra au roi actuel, à ses successeurs, ou, en cas de minorité du roi, aux États, de constater ce danger, ce péril en la demeure, qui permettra de prélever des subsides sur les biens du clergé, sans la permission du Souverain Pontife[68].

Ces explications enlevaient tout prétexte à l'opposition du roi. Philippe retira sa défense. Il laissa même publier en Franco l'ordre du Pape qui prescrivait le renouvellement de la trêve entre la France et l'Angleterre, sous peine d'excommunication.

L'œuvre de la pacification dans la justice semblait triompher. Boniface profita de l'accalmie pour hâter la conclusion du procès de canonisation du roi Louis IX. Une bulle solennelle du 11 août 1297, adressée à tous les archevêques et évêques de France, plaça sur les autels l'illustre aïeul de Philippe IV et fixa la célébration de la fête du saint roi au lendemain de la saint Barthélemy[69]. Et ce fut grande joie, dit Joinville[70], et ce doit être à tout le royaume de France, et grand honneur à toute sa lignée qui à lui voudront ressembler de bien faire, et grand déshonneur à tous ceux de son lignage qui par bonnes œuvres ne le voudront ensuivre ; grand déshonneur, dis-je, à son lignage qui mal voudront faire ; car on les montrera au doigt et l'on dira que le saint roi dont ils sont extraits rend plus odieuse leur mauvaiseté.

 

V

Tandis que le bon Joinville écrivait ces lignes, le petit-fils de saint Louis en justifiait l'éloquente sévérité par sa conduite.

Toujours inspiré par ses Légistes, ses adhésions sont louches, son obéissance est mêlée de restrictions, sa déférence est imparfaite. S'il accepte en fait la publication de la Trêve ordonne par le Pape, c'est en protestant qu'en droit il n'est responsable envers personne de son gouvernement temporel[71] ; si, l'année suivante, en 1298, il s'incline devant la décision d'arbitrage que Boniface a prononcée comme Pape entre lui et son rival, c'est en se plaignant qu'en fait le Pape a favorisé l'Angleterre[72]. Il fait profession de dévouement au Saint-Siège, mais il accueille auprès de lui les pires ennemis du Souverain Pontife.

Les plus redoutables parmi ceux-ci étaient les cardinaux Jacques et Pierre Colonna, de la puissante famille des Colonna de Rome, qui, depuis l'élection de Boniface VIII, n'avaient cessé d'intriguer contre le nouvel élu, et qui étaient devenus le centre d'une opposition formidable. On voyait, groupés autour des deux cardinaux révoltés, les partisans de la maison d'Aragon et les fratricelles, ces descendants des franciscains spirituels, qui avaient la prétention de faire prévaloir la pure doctrine de saint François contre des déformations postérieures, et qui avaient trouvé quelque appui auprès du bon Célestin V. On prétendait, parmi ces opposants, que Boniface, astucieux supplantateur de Célestin, à qui il avait arraché sa démission de force, n'était point le Pape légitime[73]. Les poésies enflammées, les pamphlets véhéments de Jacopone di Todi donnaient une forme, un souffle et comme des ailes à l'insurrection. Privés de leurs dignités par un décret du 10 mai 1297[74], Jacques et Pierre Colonna, l'oncle et le neveu, s'étaient jetés dans la révolte ouverte. Une vraie guerre, une croisade fut organisée par Boniface VIII contre les rebelles, et menée par les seigneurs qui s'y associèrent avec cette impitoyable rigueur qui accompagne souvent les répressions d'émeutes ; elle se termina par la destruction des châteaux et des forteresses occupés par les insurgés, et par l'emprisonnement des deux chefs. Mais, échappés de leurs prisons, ceux-ci, accusant Boniface d'avoir manqué à sa parole de les réintégrer dans leurs honneurs, se réfugièrent auprès du roi de France.

Un autre ennemi de Boniface, Albert d'Autriche, sollicitait l'appui de Philippe. Homme dur, d'un caractère impitoyable, d'un esprit sombre et calculateur, sans scrupule et sans générosité[75]. Albert d'Autriche s'était fait élire en remplacement d'Adolphe de Nassau, que, dans une bataille livrée le 2 juillet 1298, il avait tué, dit-on, de sa propre main. Mais Boniface, qui l'accusait d'avoir attaqué Adolphe par trahison, le déclarait indigne de l'empire, et, revendiquant pour lui-même le droit de disposer de la couronne allemande, le sommait de comparaître devant lui. Albert se tourna vers Philippe le Bel, jurant de se venger du Souverain Pontife. Il devait plus tard briser cette alliance française, qui n'était scellée que par un commun ressentiment, et se réconcilier, par politique, avec Boniface VIII.

C'est en ce moment que les Légistes du roi de France, ivres d'ambition, rêvèrent d'une monarchie universelle, établie au profit de Philippe le Bel, comprenant l'annexion au royaume de France de tous les États, sans en excepter l'empire de Constantinople et les États de l'Église confisqués et sécularisés[76]. Pierre du Bois proposait au roi de France de faire accepter par le Souverain Pontife une pension égale aux revenus du Patrimoine de saint Pierre. Le Souverain Pontife, écrivait-il, est tellement surchargé, des choses spirituelles, qu'il est considéré comme ne pouvant, sans préjudice du spirituel, vaquer utilement au gouvernement de son temporel. En supputant ce qui, dépenses et charges obligatoires déduites, reste au Pape sur les fruits et les revenus de ses domaines, il vaudrait mieux les donner à bail emphytéotique perpétuel à quelque grand roi ou prince, moyennant une pension annuelle. Dans un autre mémoire, il revenait sur cette pensée, qui avait déjà souri à Frédéric II lorsqu'il proposait à Innocent IV de prendre les terres de l'Église en payant un cens, et il écrivait : Par la médiation du roi de Sicile, on pourra obtenir de l'Église romaine, que le titre de sénateur de Rome appartienne aux rois de France, qui en exerceraient les fonctions par un délégué. Ils pourraient, en outre, obtenir le Patrimoine de l'Église, à la charge d'estimer tout ce que rapportent la ville de Rome, la Toscane, les côtes et les montagnes, etc., afin de remettre au Pape les sommes qu'il en retire ordinairement, et de recevoir en échange les hommages des rois et l'obéissance des cités... avec tous les revenus que le Pape a coutume de percevoir. Le suprême pontife doit prétendre seulement à la gloire de pardonner, vaquer à la lecture et à l'oraison, prêcher[77]...

Contraste des choses humaines ! Au moment où les conseillers du roi de France caressaient des projets si étranges, le Souverain Pontife, tout ému du grand succès des fêtes jubilaires de l'an 1300, qui avaient amené plus de deux cent mille personnes au tombeau des saints Apôtres, croyait pouvoir faire enfin revivre, dans toute l'expansion de sa puissance et de sa gloire, le vieil idéal de la Chrétienté. Dans un sermon du jubilé, le cardinal Aquasparta, son homme de confiance, avait soutenu, en sa présence, que le Pape seul a la souveraineté spirituelle et temporelle sur tous les hommes, en place de Dieu, et Boniface, l'année suivante, à l'occasion de l'élection du roi de Hongrie, écrivait : Le pontife romain, établi par Dieu au-dessus des rois et des royaumes dans l'Eglise militante, est le chef suprême de la hiérarchie[78]. Et comme l'expression la plus vivante de la Chrétienté lui paraissait être l'alliance de tous les peuples chrétiens armés pour la Croisade, comme sa pensée dominante avait toujours été la délivrance de la Terre Sainte, Boniface crut que le moment était venu de convoquer les princes et les peuples à prendre la croix.

Le choc de ces deux grandioses conceptions devait être tragique.

 

VI

Le choix malheureux fait par le Pape de l'évêque de Pamiers, Bernard Saisset, pour notifier la croisade à Philippe, déchaîna les hostilités. Bernard Saisset était connu pour ne pas aimer les Français et pour ne s'en cacher guère. Languedocien, il rêvait une autonomie plus grande pour son pays ; ami personnel de Boniface VIII, qui l'avait chargé de plusieurs missions de confiance, il détestait Philippe IV, et surtout ce Pierre Flote, dont la difformité lui faisait dire avec malice que, dans le royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Dans la nuit du 12 juillet 1301, le palais épiscopal de Pamiers fut cerné, le temporel de l'évêque placé sous la main du roi, ses papiers saisis. L'évêque,  conduit à Senlis, comparut devant le roi. et subit un réquisitoire accablant de Pierre Flote, qui, aux griefs attestés par les témoins, ajouta les crimes les plus abominables.

Le procès se poursuivait et allait sans doute aboutir à un châtiment sévère pour l'évêque, quand le Pape, informé de la marche de l'affaire, intervint, le 4 décembre 1301, par la publication de la Bulle Salvator mundi. Comme dans la Bulle Clericis laïcos, Boniface profitait de l'espèce en litige pour proclamer une de ces théories générales dont la formule absolue blessait vivement les Légistes français. Le vicaire du Christ, disait-il, peut suspendre, révoquer, modifier les statuts, privilèges et concessions émanées du Saint-Siège, sans que la plénitude de son autorité puisse être entravée par quelque disposition que ce soit[79]. En conséquence, il révoquait les permissions accordées précédemment touchant la levée des subsides pour la défense de l'État. Dans une nouvelle Bulle, parue le lendemain, 5 décembre, et qui commençait par ces mots Ausculta fili, il déclarait que Dieu l'ayant constitué, lui Pontife, au-dessus des rois et des royaumes, pour édifier, planter, arracher et détruire, le roi de France ne doit pas se laisser persuader qu'il n'a pas de supérieur, car penser ainsi serait d'un fou, d'un infidèle. Puis il convoquait à Rome, pour le 1er novembre 1302, les évêques de France, a l'effet de ramener le roi de France dans le droit chemin. Certes, disait-il, en s'adressant au roi, nous aurions le droit d'employer contre vous les armes, l'arc et le carquois ; mais nous aimons mieux délibérer avec les personnes ecclésiastiques de votre royaume[80].

Irritation dos Philippe le Bel fit-il brûler solennellement la Bulle Ausculta fili, ou bien sa destruction eut-elle lieu par accident ? Le fait n'est pas encore complètement éclairci par l'histoire[81]. Ce qui est certain, c'est qu'un résumé tendancieux et perfide de la Bulle fut rédigé par un Légiste, probablement par Pierre Flote. Nous te faisons savoir, aurait dit le Pape à Philippe, que tu nous es soumis au temporel comme au spirituel. C'était insinuer que Boniface voulait traiter avec Philippe comme un suzerain avec son vassal. En même temps, une lettre du roi de France, qui ne fut jamais envoyée à Rome, fut mise en circulation par les Légistes, afin d'agiter l'opinion. Elle débutait ainsi : Philippe, par la grâce de Dieu, roi de France, à Boniface, qui se dit Pape, peu ou point de salut. — Que ta très grande fatuité sache que nous ne sommes soumis à personne pour le temporel, etc. Enfin, pour répondre au Pape, qui convoquait un concile pour le 1er novembre 1302, Philippe convoqua, pour le mois d'avril de la même année, les représentants des trois ordres du royaume, nobles, clercs et gens du commun, pour délibérer sur certaines affaires intéressant au plus haut point le roi, le royaume, bus et chacun.

Cette assemblée se réunit le 10 avril 1302, en l'église Notre-Dame de Paris. Ce fut la première réunion des États Généraux. Les États Généraux de Philippe le Bel, a écrit pompeusement Michelet[82], sont l'ère nationale de la France, son acte de naissance. En réalité, l'institution des États Généraux, dans ce qu'elle eut de libéral et de démocratique, ne fut qu'une application d'un des principes les plus traditionnels du Moyen Age : le droit de consentir aux charges publiques, d'être appelé à contrôler le gouvernement établi et à se gouverner soi-même[83]. L'importance croissante de la bourgeoisie et des communautés rurales ne permettait plus, au début du riva siècle, de les négliger dans les consultations publiques de la nation. D'autre part, il est maintenant avéré que les intentions de Philippe le Bel, eu convoquant les États Généraux de 1302, en mandant à ses baillis et sénéchaux de choisir pour représentants des hommes prêts à ouïr et agréer les décisions royales, avec injonction de procéder contre ceux qui n'obéiraient pas aux ordres du roi, n'avaient rien de démocratique[84]. Quant au but réel de la convocation, il apparut dès les premières paroles du discours de Pierre Flote, qui ouvrit les débats : c'était d'opposer au Pape la nation française : On nous a remis, dit Pierre Flote, des lettres du Pape. Il prétend que nous lui sommes soumis dans le gouvernement temporel de nos États, et que c'est du Siège apostolique que nous tenons la couronne. Oui, ce royaume de France que, avec l'aide de Dieu, nos ancêtres ont formé après en avoir expulsé les barbares, il paraît que ce n'est pas de Dieu seul, comme on l'a toujours cru, mais du Pape que nous le tenons. Encore une fois, c'était exagérer la parole du Pape, transformer en prétentions à la suzeraineté sa doctrine de la suprématie.

Les esprits des membres de l'assemblée avaient été déjà préparés par la publication de la prétendue Bulle du Pape et de la lettre rédigée au nom du roi. Les nobles se déclarèrent prêts à verser leur sang pour la couronne. Les députés du commun adhérèrent aux déclarations du roi. Quant au clergé, dans un message embarrassé, il supplia le Souverain Pontife de retirer ses injonctions pour ne pas détruire l'ancienne union qui est entre l'Église, le roi et le royaume.

Comme il l'avait fait à propos des interprétations de la Bulle Clericis laïcos, le Pape protesta contre les falsifications que les Légistes venaient de faire subir à ses lettres. Les lettres que, après mûre délibération et conformément à l'avis de nos frères, nous avions envoyées au roi, Pierre Flote, cet hérétique, cet Achitophel, disait-il, les a falsifiées... Ce Pierre Flote sera puni au spirituel et au temporel. Il nous a fait dire que nous mandions au roi de reconnaître qu'il tient son royaume de nous. Or, nous sommes docteur en droit depuis quarante ans, et nous savons fort bien qu'il y a deux puissances ordonnées par Dieu... Nous ne voulons pas empiéter sur la juridiction du roi ; mais le roi ne peut nier qu'il nous est soumis au point de vue de toute infraction à la loi divine, ratione peccati[85].

Ainsi précisée, la doctrine de la juridiction suprême du Pape ne pouvait soulever la moindre objection de la part d'un prince chrétien. Mais plus encore que la lettre pontificale, la défaite qu'il venait de subir à Courtray, le 11 juillet 1302, de la part des milices flamandes, humiliait Philippe le Bel. La puissance nouvelle des temps modernes, la bourgeoisie, s'était tournée cette fois-ci contre l'adversaire de la Papauté. Pierre Flote avait péri dans la bataille, et le peuple, qui se souvenait de la phrase du Pape : Ce Pierre Flote sera puni au spirituel et au temporel, voyait dans cette mort un châtiment de Dieu.

Aussi lorsque, malgré les défenses du roi, quatre archevêques et trente-cinq évêques se rendirent à Rome pour prendre part au synode du 1er novembre, Philippe n'osa pas protester.

L'événement principal du synode romain fut la publication qu'y fit le Pape de la célèbre Bulle Unam Sanctam, la plus absolue proclamation de la doctrine catholique qui ait été formulée au Moyen Age[86].

Le Souverain Pontife, s'élevant une fois de plus dans la région des principes, et sans paraître faire la moindre allusion aux hommes et aux choses de son temps, y exposait qu'il y a dans la puissance de l'Église deux glaives, le spirituel et le temporel ; que celui-ci doit être tiré pour l'Église et celui-là par l'Église, l'un par la main du prêtre, l'autre par la main des rois et des soldats, mais du consentement et au gré du prêtre ad nutum et patientiam sacerdotis ; que si la puissance temporelle s'égare, elle sera jugée par la puissance spirituelle, et si c'est la puissance suprême, elle ne pourra être jugée que par Dieu seul. — En conséquence, concluait le Souverain Pontife, nous disons, déclarons et définissons qu'être soumis au Pontife romain est pour toute créature humaine une nécessité de salut, Porro subesse romano Pontifici omni humanæ creaturæ declararnus, dicimus, definimus et pronunciamus omnino esse de necessitate salutis[87]. Il est certain que cette dernière phrase, qui seule a la valeur d'une définition dogmatique et s'impose à la foi de tout catholique, n'a rien qui ne puisse être accepté par les esprits les plus jaloux de l'indépendance temporelle des états. C'est évidemment ratione peccati, au seul point de vue du péché, que toute créature humaine se trouve placée sous la juridiction suprême du chef de l'Église. Quant aux considérants de la Bulle, s'ils vont plus loin dans leurs prétentions, ils ne font que reproduire un droit public universellement accepté au Moyen Age et que l'on trouvera formulé en termes plus énergiques encore aux XIe, XIIe et XIIIe siècles par Geoffroy de Vendôme, par saint Bernard[88], par Hugues de Saint-Victor[89] et par Alexandre de Halès[90]. Après les longues disputes des siècles passés, les esprits impartiaux reconnaissent aujourd'hui qu'au fond Boniface, dans sa Bulle, comme dans la Bulle Clericis laïcos, n'a pas dit grand'chose de nouveau[91]. Sans doute, si les circonstances lui avaient laissé le temps de le faire, le Pontife aurait saisi l'occasion de montrer à ses adversaires la vraie portée de sa doctrine ; mais les péripéties de la lutte violente qui s'éleva bientôt ne le lui permirent pas. Il devait laisser à ses successeurs le soin de cette interprétation.

 

VII

Le roi, atterré par le désastre de Courtray et comme désemparé par la perte de Pierre Flote, fit d'abord un accueil favorable à un questionnaire que lui fit présenter le Pape à la suite de la publication de la Bulle et consentit à discuter respectueusement sur les griefs du Pontife. Peut-être aussi voulait-il gagner du temps. Mais du moment où Guillaume de Nogaret eut pris la place laissée vide par Pierre Flote, les événements se précipitèrent.

On était arrivé à la fin de l'année 1302. En décembre, les prélats et les barons du royaume sont convoqués afin, dit-on, d'aviser à la sauvegarde de l'honneur et de l'indépendance du royaume. C'était habilement choisir son terrain, en présentant encore une fois les déclarations pontificales comme une tentative de mainmise sur le royaume de France en qualité de fief du Saint-Siège. Puis, tandis qu'on essaie de faire traîner en longueur les pourparlers engagés avec le Pape, Nogaret conçoit le plan le plus audacieux. Il ne s'agissait de rien de moins que d'aller saisir le Pape en Italie, de l'emmener en France et de le faire juger par un concile national. Les Colonna, réfugiés auprès de Philippe le Bel, promettent leur concours.

Le 7 mars 1303, Guillaume de Nogaret et quelques affidés italiens et français, reçoivent de la chancellerie royale une mystérieuse commission collective, pour traiter au nom du roi avec toute personne, noble, ecclésiastique ou autre, pour toute ligue ou pacte de secours mutuel en hommes ou en argent. Les 13 et 14 juin, Guillaume de Plaisians, chevalier ès-lois, bras droit de Nogaret, provoque, devant le Louvre, sous les yeux du roi, des manifestations populaires, où il fait acclamer le futur concile. Des émissaires sont chargés de parcourir la France pour y soulever l'opinion en ce sens et y répandre les pires calomnies contre le Pape. Celui-ci, prévenu, rédige, sans la promulguer encore, la Bulle Super Petri solio, du 8 septembre, où, reprenant toute l'histoire de la querelle et résumant ses griefs, il prononce l'excommunication contre le roi de France et délie ses sujets du serment de fidélité. Nogaret, prévenu de l'imminente promulgation de la Bulle, juge qu'il n'y a plus un moment à perdre. Il s'abouche avec les ennemis du Pape, recrute parmi les exilés, les mécontents et les bandits de la région, une troupe à laquelle le féroce Sciarra Colonna vient se joindre avec les clients de sa famille, et se dirige vers Anagni, où Boniface résidait en ce moment. Le 7 septembre, à la pointe du jour, la troupe des condottieri, portant à sa tête l'étendard fleurdelysé de France et le gonfalon de saint Pierre, se précipite, au cri de Vivent le roi de France et Colonna ! sur la place publique d'Anagni, puis envahit l'église, d'où elle espère pénétrer dans le palais du Pontife, qui y est attenant. Ce ne fut qu'à l'entrée de la nuit que les agresseurs, après une journée de pillage, forcèrent l'entrée du manoir pontifical. Le vieux Pontife les attendait assis sur un trône, tiare en tête, revêtu de la chape, tenant en main les clefs et la croix. Puisque je suis trahi comme Jésus-Christ, avait-il dit, je veux du moins mourir en Pape. Le cardinal Boccassini, qui fut plus tard Benoît XI, et le cardinal Pierre d'Espagne se tenaient à côté de lui. L'histoire, dit un écrivain moderne[92], n'a que de l'admiration pour les vieillards romains qui attendirent sur leurs chaises curules l'arrivée des Gaulois ; l'action de Boniface était encore plus digne et plus grande. Aucun témoignage contemporain ne confirme la tradition d'après laquelle Nogaret ou Sciarra Colonna aurait souffleté le Pape. Mais nulle injure, nulle menace ne lui fut épargnée. Impassible et digne, aux gestes furieux de Sciarra il n'opposa que ces mots : Eccovi il capo, eccovi il collo, voici ma tête, voici mon cou. Le dessein de Nogaret était de terrifier le Pontife et de lui arracher la convocation du concile national de France, où on le ferait, comparaître. Pendant trois jours les mêmes violences se renouvelèrent. Ce délai donna le temps aux amis du Pontife, particulièrement au cardinal Boccassini, de parcourir la ville et les villages environnants en faisant le récit de l'odieux attentat. Le lundi 9 septembre, un revirement subit se produit parmi le peuple. La foule des Anagniotes et des populations voisines se lève en masse aux cris de Vive le Pape ! mort aux traîtres ! Une foule de dix mille hommes se porte vers le château pontifical pour réclamer la libération du Pontife ; un combat s'engage avec la bande de Sciarra Colonna, qui perd beaucoup d'hommes. Guillaume de Nogaret est blessé et se sauve à grand'peine. Boniface, délivré, se rend à Rome escorté par des cavaliers romains, qui étaient accourus à son secours.

La relation contemporaine de laquelle nous tenons les détails relatés ci-dessus se termine par ces mots : Le susdit Pape ne survécut que peu de temps ; il composa le sixième livre des Décrétales et gouverna le Siège apostolique selon l'extrême rigueur du droit pendant neuf années et autant de mois. Sa vie s'acheva l'an 1303[93]. Il expira saintement le 11 octobre à l'âge de quatre-vingt-six ans. Ses ennemis, le poursuivant de leurs outrages jusque dans sa tombe, répandirent le bruit qu'il était mort dans un accès de frénésie, en se frappant la tête contre les murs, en vomissant l'écume et en se rongeant les mains. Mais l'exhumation de son corps, faite en 1605, l'a montré dans un état de conservation parfaite, sans aucune trace de lésion et a mis à néant ces bruits calomnieux[94]. En défendant par des formules parfois trop absolues et avec une vivacité quelquefois excessives contre les perfides manœuvres des Légistes, la grande œuvre de saint Grégoire VII et d'Innocent III, Boniface VIII n'eut sans doute pas toujours, dans la bataille, le calme d'esprit suffisant pour se rendre compte des modifications et des tempéraments que les circonstances imposaient à cette œuvre, mais nul esprit impartial ne peut se refuser à admirer l'élévation de son idéal, la sincérité de ses intentions et, somme toute, la grandeur de son pontificat.

 

VIII

Cette interprétation bienveillante de la Bulle Unam Sanctam, cette adaptation des principes aux conditions nouvelles de la société moderne, que les agitations des derniers temps de sa vie, peut-être une méconnaissance partielle des évènements et un attachement bien explicable au glorieux passé du Moyen Age, ne permirent pas à Boniface VIII de donner, son successeur, Benoît XI[95], les notifia au roi de France dès les premiers temps de son pontificat. Philippe IV lui ayant envoyé une ambassade solennelle composée de trois membres de son conseil et de Guillaume de Nogaret, pour renouveler l'ancienne amitié entre le royaume et le Saint-Siège, Benoît refusa de recevoir Nogaret, mais prononça une absolution générale de toutes les excommunications encourues par les autres personnages de France à l'occasion des derniers conflits.

Les Papes se complètent en se continuant. Quant à dire, avec plusieurs historiens, que Benoît défit, à l'applaudissement général, tout ce qu'avait fait Boniface VIII[96], l'histoire, mieux informée, ne le permet plus[97]. L'ami dévoué de Boniface VIII, ce Nicolas Boccassini, dont la grande âme n'avait pas tremblé devant les sicaires d'Anagni, ne désavoua jamais l'œuvre de son prédécesseur. Il comprit peut-être mieux, à la lumière même des événements, l'inutilité d'une résistance intransigeante. Boniface, dit un historien catholique[98], avait voulu, pour le salut des âmes, prévenir et étouffer une grande erreur qui commençait ; Benoît, pour le salut des âmes, voulut guérir une grande erreur qui triomphait. En d'autres termes, Boniface VIII, dernier Pape du Moyen Age, voulut défendre jusqu'au bout un édifice social qui s'écroulait ; Benoît XI, premier Pape des temps modernes, ne voulut pas séparer brusquement de l'Église un nouvel édifice social qui s'élevait. Tomber sous les coups d'assassins soudoyés par les Nogaret et les Colonna, dans quelque autre Anagni, lui parut glorieux sans doute, mais inutile. Les Colonna étaient devenus les maîtres de Rome ; Florence était en feu ; la querelle, jadis si grande, des Guelfes et des Gibelins se perdait en luttes méprisables de petites passions et de petites coteries. La Cour romaine ne pouvait plus compter désormais sur l'appui de l'Empire. Si je t'abandonne, avait dit vaniteusement Philippe à Boniface, qui te soutiendra ? Les évènements justifiaient de plus en plus e3tte insolente menace. Benoît résolut de tout faire, sans sacrifier la justice et la vérité, pour amener une paix nécessaire.

Le 5 avril 1301, il écrivit au roi de France : Nous sommes le disciple de Celui qui nous a laissé la parabole de cet homme donnant un grand repas et disant à son serviteur : Va sur tous les chemins et force les passants à entrer chez moi afin que ma maison soit pleine. Et nous avons aussi réglé notre conduite sur cette parabole du Bon Pasteur, qui, ayant perdu une de ses cent brebis, laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres et -va chercher la pauvre brebis perdue jusqu'à ce qu'il la retrouve et, joyeux, la porte sur ses épaules. Eh bien ! Est-ce que nous ne vous ferons pas rentrer dans la maison de Dieu ? Est-ce que nous abandonnerons une brebis telle que vous ? Est-ce que nous aurons quelque repos jusqu'à ce que nous l'ayons ramenée sur nos épaules au bercail de l'Église ? A Dieu ne plaise qu'on puisse jamais nous reprocher pareille négligence !

La lettre se terminait ainsi :

Recevez donc dévotement, et avec la soumission d'un fils, cette grâce que nous vous faisons, ou plutôt que Dieu vous fait, Dieu dont nous tenons ici la place. Revenez à cette sujétion de la mère Église, sujétion aussi honorable que salutaire, et sachez que nous n'avons pas de plus vif désir ici-bas que celui de votre salut et de la gloire de votre royaume. Enfin considérez, mon fils, que Joas, roi de Juda, n'a vécu honnêtement et glorieusement que tant qu'il a suivi les conseils du grand prêtre Joad[99].

Le 13 mai 1304, le roi de France fut officiellement délivré des liens de l'excommunication. Il est utile de montrer dans quel noble langage le Pontife notifiait au roi cette décision. Après avoir dit formellement que tous ceux qui avaient coopéré à l'attentat contre Boniface VIII étaient coupables[100], il ajoutait : Espérant que le roi de France et les Français redoubleront désormais de dévotion envers Dieu et la sainte Église romaine, nous délions des sentences ecclésiastiques tous ceux qui en ont été frappés par Boniface et nos autres prédécesseurs, à l'exception toutefois de Guillaume de Nogaret, dont nous réservons tout particulièrement l'absolution au Saint-Siège ; et nous les rendons aujourd'hui à la communion des fidèles et aux sacrements de l'Église[101].

Pour rendre plus complète cette réconciliation, Benoit Xi renouvela tous les privilèges que les Papes avaient accordés à la Couronne de France. Vingt lettres du Pontife sont consacrées à ces restitutions[102]. Il exempta les clercs de la chapelle royale de la juridiction de l'évêque de Paris et de l'archevêque de Sens. Il adoucit les décisions portées dans la Bulle Clericis laïcos relativement aux contributions du clergé, et restreignit l'anathème à ceux là seulement qui exigerai, nt l'impôt ou qui prêteraient directement leur concours à cette exaction[103]. Le clergé de France d'ailleurs n'avait pas attendu la décision pontificale pour prendre part aux dépenses publiques. L'histoire du règne de Philippe le Bel, dit M. Boutaric[104], en fournit la preuve la plus irrécusable ; car elle montre l'Église de France ruinée par la part qu'elle dut prendre aux contributions nationales. Philippe leva vingt-et-un décimes ecclésiastiques, qui produisirent plus de quatre cent millions de francs.

Le 7 juin, Benoît publia une bulle d'excommunication contre Sciarra Colonna et Nogaret. Le 20 juin, en un langage qui rappelait les plus beaux mouvements de Pierre l'Ermite, de Godefroy de Bouillon et de saint Bernard, il exhorta le monde chrétien à la croisade. Ce fut un des derniers actes de son pontificat.

Il mourut le 7 juillet 1301, à Pérouse, vraisemblablement empoisonné. Comme le Pontife était à table, dit Villani[105], une jeune femme, qui se disait servante des religieuses de Sainte-Pétronille, lui offrit, dans un bassin d'argent, un certain nombre de figues-fleurs de la plus belle apparence. Benoît, qui aimait ce fruit, reçut le présent avec joie et ne voulut point faire faire l'essai de ce qui lui était offert par une femme. Il les mangea avec appétit et sans défiance. Mais il se sentit tout aussitôt pris des plus violentes douleurs. Les figues étaient empoisonnées[106]. On sut depuis que la prétendue servante des religieuses était un jeune homme vêtu d'habits de femme. La vénération publique entoura la tombe de Benoît XI. Le pape Urbain VIII, après un procès sur le culte immémorial rendu à ce pontife, devait le proclamer Bienheureux le 9 novembre 1638. Au milieu d'une époque des plus troublées, celle où Dante rêvait les terribles scènes de sa Divine Comédie et où les Pisans achevaient les fresques lugubres de leur Campo santo, il avait essayé de pacifier Pérouse, Venise, Padoue, Lucques, Pistoie, surtout Florence, la ville infortunée où l'on ne voyait que haines mutuelles, glaives cruellement tournés les uns contre les autres, exils, emprisonnements et menaces[107].

Home elle-même n'offrait plus de sécurité au Souverain Pontife. Les Colonna et les Orsini ensanglantaient la ville de leurs luttes continuelles. Un moment vint où, au témoignage du chroniqueur Ferreti de Vicence, les Colonna ayant triomphé, l'autorité du Pape fut gravement compromise dans son exercice[108]. Le 13 avril 1304, Benoît, suivi des cardinaux et d'une foule immense, avait pris le parti de quitter la Ville éternelle et s'était rendu Pérouse pour y attendre des jours plus calmes[109]. Aucun Pape ne devait plus paraître à Rome jusqu'au 13 octobre de l'année 1367, jour où le Pape Urbain VIII fit solennellement sa rentrée. C'est ainsi que commença la période que les Romains ont appelée la seconde captivité de Babylone.

Pendant cette nouvelle phase, nous aurons l'occasion de constater comment les Légistes d'Henri III en Angleterre et ceux de Louis de Bavière en Allemagne continuèrent l'œuvre néfaste des Légistes français ; mais, dès le pontificat du successeur de Benoit XI, nous allons voir apparaître une seconde classe d'ouvriers destructeurs de la Chrétienté : les docteurs hétérodoxes.

 

 

 



[1] CAILLEMER, L'enseignement du droit civil en France vers la fin du XIIIe siècle, dans la Nouvelle Revue historique du droit français et étranger, 1879, p. 606 et s. — Augustin THIERRY, Essai sur l'hist. du Tiers-Etat, p. 27, 30.

[2] Les travaux de Savigny et de Schrader ont démontré depuis longtemps l'invraisemblance de ce récit, qu'on voit apparaître, pour la première fois, deux siècles après le prétendu événement, dans un obscur poème du dominicain Raynier de Gronchi (MURATORI, Scrip. rerum italicarum, XII, 287, 314). M Rivier, professeur de Pandectes à l'Université de Bruxelles, a prouvé, péremptoirement la permanence de l'étude du droit romain on Rafle pendant tout le haut Moyen Age. Revue historique du droit français, 1877, p. 1 et s.

[3] BOUTILLIER, Somme rurale, liv. I, tit. 1.

[4] IMBART DE LA TOUR, Les origines de la réforme, I, 22, 23.

[5] IMBART DE LA TOUR, Les origines de la réforme, I, 37, 38.

[6] Serment du sacre, Archives nationales, K, 1714, f° 9. Cité par IMBART DE LA TOUR, Les origines de la réforme, I, 37, 38.

[7] Déclaration du Parlement en 1489.

[8] Tout ce que veut le prince a force de loi.

[9] Ce qui plait à faire au roi doit être tenu pour loi, dit le Légiste-Bailli, Beaumanoir, Coutumes du Beauvaisis, éd. Beugnot II, 57. Un certain nombre de légistes, comme Beaumanoir, cessent d'invoquer le droit divin, et mettent à la place le commun profit, l'intérêt général, l'utilité publique. Voir les préambules d'ordonnances cités par LANGLOIS, Philippe III, p. 288.

[10] Archives nationales, X, 1323, n° 85, citées par IMBART DE LA TOUR, Les origines de la réforme, I, p. 43.

[11] A l'insignifiant Philippe le Hardi, dit Henri Martin, succéda un caractère aussi complet, aussi logique que celui de saint Louis lui-même. Hist. de France, t. IV, p. 391.

[12] Il fut d'un caractère très faible, et ses fils eurent un rôle encore plus effacé. LANGLOIS, dans Hist. de France de Lavisse, t. III, 2e partie, 120, 122.

[13] Historiens de la France, tom. XXI, Préf. p. XIV, et p. 205.

[14] Cité dans Hist. de France de LAVISSE, III, II, 121. Un allemand, Karl Wench, a essayé dernièrement de défendre les anciennes appréciations sur Philippe le Bel. Ses arguments ne paraissent pas concluants. V. Bulletin de l'Ecole des Chartes de mai-août 1906. p. 272 et Revue des questions hist., 1907, p. 556.

[15] E. RENAN, Pierre du Bois légiste, dans Hist. littér., t. XXVI, p. 476.

[16] E. RENAN, Pierre du Bois légiste, dans Hist. littér., t. XXVI, p. 484. Jusqu'au milieu du dernier siècle, on ne connaissait guère que le nom de Pierre du Bois. Les recherches de M. de Wailly et de M. Boutaric, ont fait connaître sa vie et ses œuvres. Mém. de l'Acad. des Inscr., t. XVIII. 2e p., p. 435 et s. — Bibl. de l'Ec. des Chartes, 2e série, t. III, p. 273 et s. — Hist. litt., t. XXVI, p. 471 et s.

[17] Belial ille Petrus Flote, semividens corpore, menteque totaliter excœcatus. DUPUY, Hist. du diff., preuves, 65.

[18] Guillaume de Nogaret fut, pendant plusieurs années, l'âme damnée du roi, LANGLOIS, Hist. de Fr., de Lavisse, t. III, 2e p., p. 126.

[19] Hist. litt., t. XXVII, 370.

[20] Dom VAISSÈTE, Hist. du Languedoc, t. IV, p. 551. — RAYNALDI, Annal. 1301, n° 41.

[21] Bulle Ausculta Fili, du 5 déc. 1301. — HÉFÉLÉ, trad. Delarc, IX, 221.

[22] LAURENT, Etudes sur l'histoire de l'humanité, t. VI, p. 379.

[23] Léopold DE RANKE, Histoire de France, trad. Forchat, t. I, p. 41-42.

[24] Nous avons vu que l'énergie doit être mise au compte des Légistes.

[25] GUIZOT, Hist. de la civilisation en France, t. IV, p. 149.

[26] C'est à propos de cette politique, consacrée au traité de Westphalie, que M. LAVISSE a écrit : La France a pratiqué la première avec éclat la politique de l'égoïsme national. Hist. de France, t. VII, 1re p., p. 23.

[27] A. LUCHAIRE, Manuel des institutions françaises au Moyen Age, p. 594.

[28] C'est ce qu'on exprima par la métaphore : presser l'éponge des Juifs.

[29] Nous n'avons pas encore trouvé un historien du XIIIe ou du XIVe siècle qui n'ait sévèrement protesté contre les exactions du roi de France. Le continuateur de Girard de Franchet raconte ainsi les commencements de cette exaction, inouïe en France, qu'on appela maltôte, malam toltam. On exigea d'abord le centième, puis le cinquantième de tous les biens ; on commença par le réclamer aux marchands, mais ensuite on l'exigea de tous les laïques et de tous les clercs, et cela dans tout le royaume. C'est dans les mêmes termes que s'expriment les autres chroniqueurs, et Sismondi les a heureusement résumés lorsqu'il a dit : Les officiers du roi demandèrent d'abord le centième denier aux contribuables, puis le cinquantième ; mais l'arbitraire des taxations et la violence des saisies rendaient la maltôte plus onéreuse encore que la quotité de l'impôt ne semblait le comporter. Ces derniers détails sont tirés de Nangis. Ils montrent la plaie au vif. Le fisc était d'une exigence inique ; mais ses officiers achevaient, par leur insolence incomparable, de révolter ceux-là mêmes qui se laissaient dépouiller sans se plaindre. Les subalternes de ce temps-là ressemblaient à ceux de tous les pays et de tous les temps : ils faisaient du zèle. Léon GAUTIER, Etudes et tableaux historiques, Boniface VIII, p. 244. Cf. Historiens de la France, Continuatio Girardi de Francheto, t. XXI, p. 14. — SISMONDI, Histoire de France, t. VIII, p. 516. — Voir aussi, RAYNALDI, IV, 209.

[30] BOUTARIC, dans sa consciencieuse histoire de La France sous Philippe le Bel, fait cette judicieuse remarque : On croit qu'au Moyen Age le clergé ne contribuait pan aux charges de l'État et que ses biens étaient exempts d'impôts ; rien n'est plus contraire à la vérité. Il faut distinguer les biens de l'Église de ceux qui formaient le patrimoine des ecclésiastiques. Les mêmes règles ne s'appliquaient pas aux uns et aux autres. Les clercs étaient affranchis des tailles personnelles, mais ils participaient aux impôts en raison de leur fortune personnelle, tout comme les laïques, pour les besoins de l'Etat et pour ceux des communes auxquelles ils appartenaient. E. BOUTARIC, La France sous Philippe le Bel, p. 177, 178. Les chapitres de cet ouvrage relatifs aux finances sont des plus remarquables.

[31] La France sous Philippe le Bel, p. 281-282. Voyez aussi dans les Historiens de France, XXXI, 525, l'Inventaire de Robert Mignon.

[32] La France sous Philippe le Bel, p. 282, 283. M. Boutaric cite à l'appui un ordre au Sénéchal de Beaucaire de donner mainlevée des biens de l'ordre de Cîteaux, les abbayes de cet ordre ayant fini par promettre un subside (juin, 1295).

[33] La France sous Philippe le Bel, 283, 284.

[34] La France sous Philippe le Bel, p. 28.

[35] Voir KERVYN, Recherches, p. 16, 17. La France sous Philippe le Bel, p. 284.

[36] A cette époque les canons ecclésiastiques ne donnaient au roi que la faculté de garder les bénéfices vacants, d'en réserver les fruits au futur titulaire et de présenter au bénéfice quand le titre était de patronage royal. — Voir THOMASSIN, Anc. et nouv. Disc., 3e partie, liv. II ch. 54. Edit. André, t. VII, p. 166, 173.

[37] E. BOUTARIC, La France sous Philippe le Bel, p. 69 et s. HÉFÉLÉ, Hist. des Conciles, IX, 213, 214.

[38] Homo Dei in rebus secularibus minus expertus. Liber Pontificalis, édit. DUCHESNE, tome II, p. 468.

[39] Abbé CHRISTOPHE, Histoire de la Papauté au XIVe siècle, t. I, p 73, 74.

[40] Fabricata infra palatium lignea camerula se concludebat. — MANNAEUS VAGIUS (1457), In vita Cœlestini, cité dans Hist. de la Papauté au XIVe siècle, I, 73, 74.

[41] Pétrarque élève jusqu'au ciel l'acte sublime de l'abdication de saint Célestin (De vita solit., Lib. II, sect. 3, cap. 18). tandis que Dante place parmi ceux qui ont vécu sans infamie et sans gloire celui qui fit par lâcheté le grand refus. (Div. Com., c. III, v. 60. — Cf. Acta sanctorum, t. IV, Maii. — Liber Pontificalis, 467, 468.

[42] TOSTI, Histoire de Boniface VIII, trad. Marie Duclos, t. I, p. 42.

[43] DUBOULAY, Hist. Universitatis parisiensis. Catalog. III acad. Tome III, p. 676.

[44] SAVIGNY, Hist. du droit romain au Moyen Age. — Cf. Corp. jur. can., De. cret, 1 pars, dist. 10 cap. 13.

[45] Cap. X Super specula, tit. L, lib. III, Decretal.

[46] PÉRIÈS, La Faculté de Droit dans l'ancienne Université de Paris, p. 95 et s.

[47] Cap. X Super Specula, tit. L, lib. III. Decretal.

[48] PHILIPPE, dans le Dict. de théologie de Wetzer et Welte, trad. Goschler, en mot Droit ecclésiastique.

[49] Paul VIOLLET, Histoire du droit français, p. 31 et s.

[50] PHILIPPE, dans le Dict. de théologie de Wetzer et Welte, trad. Goschler, en mot Droit ecclésiastique.

[51] Voir Les registres de Boniface VIII, par G. DIGARD, FAUCON et THOMAS, Paris, 1884, et POTTHAST, Regesta pontificum romanorum, t. IV.

[52] POTTHAST, Regesta pontifioum romanorum, t. IV, p. 1924, n° 24019.

[53] POTTHAST, IV, 24020.

[54] POTTHAST, IV, 24022.

[55] POTTHAST, IV, 24027.

[56] TOSTI, 224.

[57] Reg. Vat., an. II, ep. 59.

[58] Reg. Vat., an. I, ep. 59.

[59] Reg. Vat., an. I, ep. 508. — Cf. TOSTI, I, 275.

[60] Reg. Vat., an. I, ep. 146, 150, 151, 223, 315.

[61] Sext. Decret., lib. III, tit. 23, De immut. eccles., c. 3. — POTTHAST, IV, 24291.

[62] C'est en ce sens qu'HÉFÉLÉ a pu écrire: Le début de cette Bulle était très malheureux. Hist. des conciles, t. IX, p. 182.

[63] On peut voir, dans Thomassin, que la Bulle ne faisait que renouveler, purement et simplement, une doctrine traditionnelle dans l'Eglise et jusque là acceptée en principe par tous les États. Anc. et nouv. disc., 3e partie, l. I, chap. XLII, n° 9.

[64] BOSSUET, Defens. declarat. cler. Gall., II pars., lib. 7, c. 23.

[65] BARTZHEIM, Concilia Germaniæ, t. IV, p. 89 et s.

[66] Bulle Ineffabilis, du 25 septembre 1296. — RAYNALDI, IV, 210 et s. — POTTHAST, IV, 24398.

[67] Lettre Romana mater Ecclesia, du 7 février 1297. — POTTHAST, IV, 24468. — RAYNALDI, ad an 1297, § 49.

[68] Lettre, Etsi de stato, du 31 juillet 1297. — POTTHAST, IV, 24553. — RAYNALDI, ad an. 1297, § 50. — Cf. POTTHAST, IV, 24549. — Dans les Comptes publiés par MM. GUIGNIAU et NATALIS DE WAILLY an tome XXI des Historiens de la France, p. 529 et s., on peut relever les indications de tous les décimes dont le Pape Boniface VIII a autorisé la levée en France depuis 1297. Ces collections se terminent en 1307, trois ans après l'attentat d'Anagni.

[69] POTTHAST, IV, 25561.

[70] Historiens de la France, t. XX, p. 303.

[71] P. DUPUY, Histoire du différent entre Boniface VIII et Philippe le Bel, Paris, 1655, p. 28.

[72] HÉFÉLÉ, Hist. des Conciles, IX, 203.

[73] Il est fort possible que Boniface VIII ait conseillé à saint Célestin V d'abdiquer ; il est certain que, pour l'empêcher de devenir, aux mains des intrigants, une cause de troubles, il s'assura de la personne du bon et saint religieux. Mais ces actes, que ses ennemis lui reprochèrent avec tant d'aigreur, doivent être regardés comme des actes de prudence et de sagesse.

[74] POTTHAST, IV, 24513.

[75] Georges BLONDEL, dans l'Histoire générale, t. II, p. 611.

[76] HÉFÉLÉ, Hist. des Conciles, t. IX, p. 209.

[77] Cité par M. de WAILLY dans Mémoires de l'Acad. des inscript., XVIII, p. 443. M. de Wailly a démontré que le mémoire de Pierre du Bois est de l'année 1300, car l'auteur y parle du mariage de Blanche de France avec Rodolphe d'Autriche, qui eut lieu au commencement de 1300.

[78] POTTHAST, IV, 25080.

[79] POTTHAST, IV, 25096.

[80] POTTHAST, IV, 25097.

[81] F. ROCQUAIN, dans Bibl. de l'Ec. des Chartes, 1883, p. 383 et s.

[82] MICHELET, Histoire de France, Paris, 1872, t. III, p. 48.

[83] IMBART DE LA TOUR, Questions d'histoire sociale et religieuse, époque féodale, p. 180.

[84] Voir un manuscrit de la Bibliothèque nationale, Ms. lat. 17534, p. 511, reproduit dans la Bibl. de l'Ec. des Chartes, 1906 p. 470, 471. Cf. dans la Collection des documents inédits sur l'histoire de France, le volume consacré par M. Georges PICOT aux Documents relatifs aux États généraux et assemblées réunies sous Philippe le Bel.

[85] RAYNALDI, Ann. ad ann. 1302, § 12. — POTTHAST, 25184.

[86] Ch. V. LANGLOIS, dans Hist. de France, de Lavisse, tome III, 2e p., p. 153.

[87] RAYNALDI, ad. ann 1302, § 13. — POTTHAST, IV, 25189.

[88] S. BERNARD, De consideratione, l. IV, c. 3, Patr. lat., t. CLXXXII, col. 776.

[89] HUG. DE S. VICTOR, De Sacramentis, l. II, c. 2, 4, P. L., t. CLXXVI, col. 418.

[90] ALEX. DE HALÈS, Summ. theol., IV, q. X, m. V, a. 2. Par exemple, le Pape, non content, de déclarer que si la puissance temporelle s'égare, elle sera jugée par la puissance spirituelle, donne de la suprématie pontificale la raison suivante : Il appartient au pouvoir spirituel, dit-il, d'établir le pouvoir terrestre et de le juger s'il n'est pas bon : nam, veritate testante, spiritualis potestas terrenam potestatem instituere habet et judicare si bona non fuerit. On a bien soutenu que le mot instituere a ici le sens de diriger moralement et non d'établir. Mais le texte d'Hugues de Saint-Victor auquel Boniface VIII emprunte sa phrase est très clair car il porte : instituere ut sit.

[91] Ch. V. LANGLOIS, dans Hist. de France de Lavisse, t. III, 2e partie, p. 154.

[92] E. BOUTARIC, La France sous Philippe le Bel, p. 117.

[93] Relation contemporaine de l'attentat d'Anagni, découverte par M. le baron KERVIN DE LETTENHOVE dans la Reg. XIV, c. 1, du British museum et publiée pour la première fois dans la Revue des questions historiques, t. XI, p. 511 et s.

[94] CHRISTOPHE, Histoire de la Papauté au XIVe siècle, p. 150.

[95] On ne sait sur quoi Michelet peut s'appuyer pour dire que Benoît XI devait son élévation aux intrigues des Orsini. Les insignes de la Papauté lui furent effectivement remis par le cardinal archidiacre Matteo Orsini. Mais une lettre du nouveau Pape constate qu'il a été élu par l'unanimité du Sacré Collège. RAYNALDI, IV, 360.

[96] BOUTARIC, La France sous Philippe le Bel, p. 122. Dans le même sens, RENAN, Hist. litt., XXVII. p. 262, et LANGLOIS, Hist. de Fr., de Lavisse, III, 2e p., p. 166.

[97] FUNER, Papst Benedikt XI, (Munster, 1891), prouve que les deux lettres à Philippe le Bel du 25 mars et du 2 avril 1304 ont été inventées par le roi de France.

[98] Léon GAUTIER, Benoît XI, Etude sur la Papauté au commencement du XIVe siècle, p. 77.

[99] D. MARTÈNE, Veterum scriptorum amplissima collectio, t. I, p. 1411.

[100] Se culpabiles reddiderunt in captione Bonifacii.

[101] RAYNALDI, IV, 377.

[102] PTOLÉMÉE DE LUCQUES, Hist. eccl., XXIV, cap. 38 et s., ap. MURATORI, Scrip. rer ital., tome II.

[103] RAYNALDI, IV, 378, 379.

[104] BOUTARIC, La France sous Philippe le Bel, p. 277, 278, 297. — L. GAUTIER, Benoît XI, p. 150.

[105] Giov. VILLANI, Stor., lib. VIII, cap. 80. — POTTHAST, IV, 25448.

[106] Un contemporain, Ferreti, de Vicence, a accusé Philippe le Bel de cette mort. (MURATORI, Script. rerum italic., t. IX, p. 1013). Un moine de Westminster, qui écrivait cinquante ans après, en fait retomber la responsabilité sur Nogaret et Sciarra Colonna (Monach. Westmin., Flores histor., ann. 1364). Plus tard on accusa un certain Bernard Delitiosus (BALUZE, Vitæ pap, aven., II, n° 53). Le dernier historien de Benoît XI, P. FUNK, Papst Benedikt (Munster, 1891) combat l'hypothèse d'un empoisonnement du Pape. — Voir, sur cette question, HAURÉAU, Bernard Délicieux et l'inquisition albigeoise, Paris, 1877.

[107] BENOÎT XI, Epist. 170.

[108] Hic tutum se putans a gladiis impiorum qui, Urbis tyrannidem exercentes pastoralia decreta negligebant, Ferreti, ap MURATORI, Scriptores rerum italicarurn, t. IX. p. 1012, 1015.

[109] Ce n'était point la première fois qu'un Pape quittait Rome à cause des troubles de la ville. Depuis Innocent IV, les Papes n'y résidaient plus que d'une manière intermittente.